ANCIENNES DÉCOUVERTES ARCHÉOLOGIQUES À CHAUGEY

par M. Bernard FARINE

En août 1960, la municipalité de Chaugey fait procéder au curage du ruisseau Auxon. Les déblais, rejetés par la pelle mécanique sur les berges mêmes du cours d'eau, puissamment lavés par les pluies, font apparaître des vestiges d'industries anciennes qui ont été recueillis de façon systématique. Ces vestiges sont situés à la sortie du hameau de Chaugey, com- mune de , département de la Côte-d'Or, en direction de et à gauche de la route départementale D 976, sur la rive gauche du ruis- seau appelé Auxon ou Ausson, coulant du sud vers le nord pour se jeter à 300 m de là, dans la Saône (fig. 1A). À cet endroit, la rive limite la propriété de la ferme Millière. Sur la carte IGN au 1/25 000 n° 3124 Est (Saint-Jean-de-Losne), les coordonnées Lambert sont les suivantes : x = 670,10 ; y = 5216,17. La zone concernée s'étale sur 350 m depuis la route, en direction de la voie ferrée -Saint-Bonnet-en-Bresse sous laquelle passe d'ailleurs l'Auxon (fig. 1B). Le niveau du sol est prati- quement celui de la Saône ep débit moyen et le site était, avant régula- risation du cours de la Saône, fréquemment inondé. Les résultats des observations, sondages et ramassages sont expo- sés ci-dessous, établis d'après les notes prises à l'époque.

LE GISEMENT

L'été 1960, particulièrement sec, permet, grâce aux basses eaux, d'effectuer un relevé de la coupe de terrain laissée à vue par l'engin mécanique, sur la rive gauche de l'Auxon (fig. 1C). Depuis la surface du sol on remarque : — de 0 à 1 m : terre argileuse brune, compacte ; — de 1 à 1,25 m : sable mêlé à de nombreux débris organiques et morceaux de bois. Le tout est très noir. Cette couche contient les ves- tiges archéologiques ;

© Mémoires de la Commission des Antiquités de la Côte-d'Or, T. XXXV, 1987-1989, p. 153-163. 154 BERNARD FARINE

N A

Terre argileuse brune

Sables et débris organiques noirs -Industries-

Petit gravier et sable

FIG. 1. — A : Site de Chaugey (Côte-d'Or) — B : Emplacements des zones de ramassage. — C : Coupe stratigraphique.

— au-delà de 1,25 m : alluvions composées de petits graviers mêlés à du sable, de puissance inconnue. À l'emplacement où la coupe est relevée et au niveau de l'eau apparaissent deux ou trois pieux de bois fichés verticalement. Les deux bords de l'Auxon, scrutés sur deux kilomètres en direc- tion de , ne livrent des industries anciennes que sur les 350 m CHAUGEY 155 déjà indiqués et uniquement dans les déblais de la rive gauche. Encore faut-il y distinguer trois secteurs à fortes densités (fig. 1B) : Secteur 1 : le plus éloigné de la route. La coupe stratigraphique (fig. 1C) en provient. Nous trouvons là, groupés et mélangés aux sables humifères noirs : armature pédonculée (fig. 2, n° 2), hache polie (fig. 2, n° 4), lissoir en os (fig. 3, n° 5), silex divers et céramiques du Néoli- thique final, et du Bronze final. Secteur 2 : en position médiane. Nous y avons recueilli, en ordre dis- persé : armatures losangiques (fig. 2, nos 1 et 3), lame (fig. 2, n° 1) et lamelles. Les tessons de céramiques, bien que présents, sont en nombre restreint. Secteur 3 : près du pont de la D 976 enjambant l'Auxon, a essentiel- lement livré de la céramique gallo-romaine et paléochrétienne. Aucun silex mais cependant un talon de hache polie de forme pseudo-conique. Un sondage de 1,50 m de long sur 0,80 m de large, pratiqué dans le secteur 1, à quelques mètres du bord du ruisseau, le plus près possible des pieux observés en place, est stoppé à 1,10 m de profondeur par suite de la montée des eaux juste au moment où apparaît une argile grisâtre déga- geant une assez forte odeur de décomposition. Il n'a pas démontré, de ce fait, la présence, en cet endroit, d'une possible couche archéologique.

LES INDUSTRIES

Les trois secteurs ont fourni un total de quatre-vingts outils ou éclats en silex ou chaille, 387 tessons de céramique, un lissoir en os, un fragment de bracelet en lignite, un demi-poids en terre cuite, cinq os, deux morceaux d'andouillers et quarante-cinq dents animales. L'étude de ces vestiges recueillis en dehors de tout contexte archéologique, principalement en ce qui concerne les céramiques, a été effectué par un spécialiste avec toutes les réserves d'usage. Ce qui va suivre donnera un bon aperçu de la richesse potentielle du gisement archéologique de Chaugey, même si, dans quelques cas, certaines dévolutions peuvent être remises en question.

Néolithique final : Bien représenté par les outils de pierres taillées ou polies, il reste peu fourni en fragments de céramiques. Les instruments en pierre sont généralement en silex quoique, par- fois, la chaille ait été utilisée. Provenant vraisemblablement des allu- vions de la Saône, les rognons ou plutôt les galets sont d'origines fort variées et les couleurs rencontrées sont là pour l'attester : rouge, brun- rouge, caramel translucide, brun, noir, zone : 156 BERNARD FARINE

FlG. 2. — Néolithique final — 1, 2 et 3 : armatures — 4 : hache polie 5 : petit grattoir denticulé — 6 : petit grattoir cortical.

— Trois armatures : - une losangique à retouches bifaces en silex (fig. 2 n° 1) ; - une losangique à retouches plates non couvrantes, en silex noir (fig. 2 n° 3) ; - une biface à large pédoncule, à retouches couvrantes, en silex rouge (fig. 2 n° 2) ; — Trois grattoirs : - un petit grattoir denticulé sur éclat laminaire à bords retou- chés (fig. 2 n°5) ; CHAUGEY 157

- un petit grattoir sur éclat cortical (fig. 2 n° 6) ; - un grattoir sur éclat cortical. — Une lame : - une grande lame en silex blond (fig. 3 n° 1). — Trois segments de lames dont : - une base de lame partiellement retouchée, en silex blond (fig. 3 n° 2) ; - une à retouches bilatérales. — Une lamelle en silex. — Trois éclats laminaires. — Un fragment d'outil à retouches semi-abruptes, en silex couleur cire à points blancs, du genre Grand Pressigny. — Deux nucléus : - un petit nucléus multipolaire en silex (fig. 3 n° 4) ; - un micro-nucléus multipolaire à lamelles, en silex gris-noir (fig. 3 n° 3). — Trois fragments de nucléus dont : - un unipolaire à lamelles, en chaille ; - un à lamelles, à plan de frappe lisse, sur gros éclat de chaille. À remarquer que les nucléus sont exploités à l'extrême et réduits à la grosseur d'une petite noix. — Cinquante-huit éclats de taille, parmi lesquels nombre de corti- caux. — Une grande hache en roche noire légèrement zonée à section subrectangulaire, aux bords plans et aux joues très faiblement convexes, au tranchant peu arqué. Silhouette générale : trapé- zoïdale (fig. 2 n° 4)., — Un fragment de hache en roche polie, gris-noir, très altérée en gris-clair, sur 1 mm d'épaisseur, aux bords aplatis, aux joues moyennement convexes. La cassure a été reprise en retouches bilatérales.

L'industrie osseuse est représentée par un seul objet : un ciseau taillé dans un métapode de cervidé (fig. 3 n° 5). Dans l'ensemble des céramiques anciennes recueillies, on ne trouve que quelques tessons susceptibles d'être attribués au Néolithique final en raison de leur aspect et des dégraissants (gros grains de quartz). En font partie : — un fragment d'anse à perforation verticale attenante à un cor- don (fig. 3 n° 7) paraît le plus typé ; le dégraissant calcaire est retrouvé par ailleurs sur de rares tessons. 158 BERNARD FARINE

FIG. 3. — Néolithique final — 1 : lame — 2 : lame brisée — 3 et 4 : nucléus — 5 : lissoir en os — 6 et 7 : anses perforées (céramique) 8 : bord de vase (profil).

— un fragment de mamelon à perforation verticale (fig. 3 n° 6). — un bord évasé à lèvre arrondie (fig. 3 n° 8).

Tous ces éléments concernant le Néolithique final de Chaugey le classent comme probablement un peu plus ancien que le Néolithique final d'Ouroux-sur-Saône. CHAUGEY 159

' 1

i 3 a s

FIG. 4. — A : Bronze final — A 1 : bord de vase (profil) — 2 : fond de vase (profil). B : Âge du Fer — 1 fragment de bracelet-tonneau (lignite) 2 à 7 : fragments de céramiques décorées.

Bronze final : L'Âge du Bronze, bien que très peu représenté dans le lot de céra- miques détenues, est présent dans sa partie finale. Un bord à marli facetté (fig. 4A n° 1) et quelques fonds plats du genre de la fig. 4A n° 2 peuvent être rattachés à cette période. Aucun morceau de métal n'a été trouvé, ce qui ne prouve pas de façon absolue son absence. Les détecteurs de métaux n'existaient pas dans le commerce en 1960 ! 160 BERNARD FARINE

S • f • 8 •• ' 9 • 10-

FIG. 5. — Périodes gallo-romaine et paléochrétienne — céramiques diverses.

Hallstatt: La majeure partie des tessons de céramiques, à couleur noire domi- nante se rattachent à l'Âge du Fer, principalement de la période de Hallstatt. Nous en avons dessiné six fragments décorés dont trois de bords de vases. Le décor consiste en une bande unique soit d'ocelles (fig. 4B nos 2, 3 et 4), soit de lunules (fig. 4B nos 6 et 7). Un seul exem- plaire présente des carrés en creux à quatre facettes (fig. 4B n° 5). Enfin, un morceau de bracelet-tonneau en lignite du type décrit par J.-P. Millotte peut être attribué au Premier Âge du Fer (fig. 4B n° 1).

Périodes gallo-romaine et paléochrétienne : Essentiellement rencontrés dans le secteur 3 comme nous l'avons déjà indiqué, nous attribuons aux six premiers siècles après Jésus-Christ les quatre-vingt-seize tessons de récipients généralement tournés, dont huit bords, sept fragments décorés (dont un des bords déjà dénombrés), une anse ronde en boudin, huit parties de fonds plats, une de grosse jarre et soixante-douze de panses. Les pâtes fines, dures et sonnantes sont en majeure partie gris clair. Quelques exemplaires sont cependant brun clair ou rouges. Deux excep- tions à ces règles sont les tessons (fig. 5 nos 3 et 4), à pâte tendre, rayable CHAUGEY 161

à l'ongle et de couleur crème orangé. Le dégraissant est rarement visible à l'œil nu ; le calcaire et le mica ont pu cependant être parfois reconnus. La diversité des formes tranche sur celles des périodes anciennes nettement moins élaborées. Les bords sont évasés (fig. 5 nos 2,4,5 et 6), droits (fig. 5 n° 7), légè- rement rentrant et à col haut (fig. 5 n° 10), déversés à col rentrant (fig. 5 nos 8 et 9). Les lèvres sont : bifide (fig. 5 n° 5) laissant présager un récipient muni d'un couvercle, plates (fig. 5 nos 7 et 10), ou ronde (fig. 5 n° 8). Les fonds sont généralement plats. Les décors, lorsqu'ils existent, sont à bandes horizontales cannelées (fig. 5 nos 1 et 2), à la molette (fig. 5 n° 3), ou même parfois peints en bandes noires (fig. 5 n° 4). Quelques tessons sont sablés.

LA FAUNE

Les dents, os et morceaux d'andouillers extraits des limons étalés sont profondément colorés en brun ou noir par le milieu où ils ont séjourné. Bien qu'ils ne puissent être classés dans aucune des divisions archéologiques exposées précédemment du fait des conditions de découverte, il nous paraît indispensable d'en établir la liste.

Dents : — Bovidé (petit bœuf des palafittes ?) 16 — Suidé 7 5 — Caprine ou ovine (dont 2 morceaux de mâchoires) 9 — Équidé (petit) 10 — Cervidé 1 — Canidé 1 — Canines sp 3 Total 45

Ossements : — Bovidé calcaneum 1 astragale 1 — Oviné-Capriné : métapode 1 — Cervidé : métapode 1 — Tête d'humérus sp 1 Total 5 162 BERNARD FARINE

Andouillers : — Un fragment de bois de cerf sans traces de travail 1 — Un fragment de base, altéré 1 Total 2

CONCLUSION

Tout en restant fort circonspect dans l'interprétation des données recueillies au cours de ramassages, nous avons été en mesure, grâce à l'observation des coupes et des compositions des terres, de situer grosso modo les objets dans l'espace et le temps. Ses vestiges fortement groupés au milieu d'un sable noirâtre à nombreux débris végétaux, nous portent à considérer le secteur 1 comme zone d'habitat. L'outillage lithique et les céramiques non tournées le datent dans une large période allant du Néolithique final de la culture Saône-Rhône au Hallstatt avec un possible hiatus au cours de l'Âge du Bronze (seul le Bronze final paraît être repré- senté). Les pieux observés, trouvés uniquement sur la rive gauche, peuvent être aussi bien les restes d'un ponceau, que d'un petit débar- cadère ou d'un tout autre emploi. Ils ne peuvent pour l'instant être datés. Le secteur 2, pratiquement sans céramique, avec un peu d'outillage lithique épars pourrait correspondre à un déplacement, par le courant, d'objets placés primitivement plus en amont. Le secteur 3, où, par ailleurs, il n'a pas été rencontré de sables noirs, sans industrie lithique, livre de la céramique tournée et sonnante ayant existé à certains moments des six premiers siècles de notre ère et que l'on peut qualifier de gallo-romaine et de paléochrétienne. L'Auxon a sans conteste attiré les hommes au cours des âges et on peut rapprocher le site de Chaugey de celui observé en mars 1961 dans les déblais du curage effectué de Saint-Martin à Franxault à la limite des deux communes, ou de nombreux tessons de céramiques dont plu- sieurs avec un carénage rappelant la période des « Champs d'urnes », ont été ramassés. Reste maintenant à préciser l'importance du site archéologique de Chaugey. Seules des fouilles menées officiellement, dans les règles de l'art, seront susceptibles de le faire. CHAUGEY 163

BIBLIOGRAPHIE

MILLOTTE (J.-P.), « Le Jura et les plaines de la Saône aux Âges des Métaux », Annales littéraires de l'Université de Besançon, vol. 59, Archéologie 16-1963 (Les Belles Lettres, Paris). Néolithique-Chàlain-Clairvaux, fouilles anciennes, présentation des collections du musée de Lons-le-Saunier n° 1 (Billot, 1985). La Préhistoire française vol. II Civilisations néolithiques et protohistoriques (édi- tions du CNRS, 1976) : Louis BONNAMOUR, Claude MORDANT et J.-P. NICOLARDOT, « Les civilisations de l'Âge du Bronze en Bourgogne », p. 601 ; René JOFFROY, « Les civilisations de l'Âge du Fer en Bourgogne », p. 816 ; Jean-Paul THÉVENOT et Henri CARRÉ, « Les civilisations néoli- thiques de la Bourgogne », p. 402. Première céramique, premier métal, du Néolithique à l'Âge du Bronze dans le domaine circum-alpin (Billot, 1985). SÉNÉCHAL (R.), La Céramique commune d'Alésia, Bibliothèque Pro Alésia IX (Université de Dijon, faculté des sciences humaines, Société des Sciences historiques et naturelles de Semur-en-Auxois, 1985).