Recherche sur le « paradoxe de »

Rapport final

Fabrice Escot Laurence Touré

Préparé pour la Banque mondiale

Janvier 2016

Résumé exécutif des résultats de la recherche

Sommaire

Liste des tableaux et des figures p 5

I- Présentation de l’étude p 7

1. Contexte p 7

2. Objectifs de l’étude p 8

3. Méthodologie p 9 3.1. Identification et présentation des sites d’enquête p 9 3.1.1. La zone désenclavée : trois communes dans le cercle de Sikasso p 9 3.1.2. La zone enclavée : deux communes dans le cercle de p 10 3.2. Présentation des sites d’enquête p 11 3.2.1. Présentation des communes retenues p 11 3.2.2. Présentation des villages retenus p 11 3.3. Démarche méthodologique proposée p 12 3.3.1 Phase 1 : monographies villageoises et base de données socioéconomiques p 12 3.3.2 Phase 2 : enquête par questionnaire p 12 3.3.3. Phase 3 : Volet qualitatif d’approfondissement et de compréhension des données statistiques p 14

II- Résultats p 16

1. L’économie familiale, entre économie de subsistance et économie de marché p 16

1.1. L’exploitation agricole, cadre de production du coton, reste un ensemble familial centralisé et hiérarchisé mais de taille toujours plus restreinte p 16 1.2 L’exploitation du champ commun, base de la sécurisation familiale, exige un certain niveau de capital humain, matériel et financier. p 18 1.3 La pression exercée sur le champ collectif freine la libéralisation de l’accès attendu aux moyens de production des cadets sociaux des chefs de ménage dépendants. P 20 1.4 La diversification indispensable des sources de revenus : une faible mobilité intersectorielle locale et la contribution essentielle de la migration P 24 1.5. Des aspirations communes à tous les producteurs, des besoins croissants et un souci de les satisfaire de manière plus égalitaire P 29

2. Le coton : une production de richesse très inégalement répartie p 30

2.1. La richesse cotonnière est importante mais très inégalement distribuée entre les producteurs

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au vu des moyens de production engagés p 32 2.1.1. La filière coton fournit aujourd’hui l’apport financier le plus important des familles rurales des zones étudiées p 32 2.1.2. De très fortes disparités entre producteurs en termes de revenus cotonniers, avec de très bas revenus p 32 2.1.3. Cette disparité s’explique à la fois par la diversité des volumes de production et de la rentabilité de cette production p 34 2.1.4. Le fait d’être un « petit » ou « gros » producteur de coton, et de cultiver de façon plus ou moins rentable, relève de facteurs objectifs de production, mais également de facteurs plus subjectifs et psychologiques. p 37 2.1.5. La rentabilité est également affectée par la répercussion des années d’endettement, qui grèvent parfois les revenus des campagnes ultérieures p 41

2.2. Les logiques gagnantes ou perdantes de la cotonculture sont corrélées à l’organisation du travail au sein des UP p 42

2.3 La culture du coton, à la fois source de prospérité et de contraintes p 46 2.3.1 Le coton comme source d’enrichissement global p 46 2.3.2. Les crises récentes, en fragilisant les communautés de producteurs, ont installé une méfiance structurelle vis-à-vis du coton p 50 2.3.3. Le risque de culture à perte et d’endettement est toujours prégnant p 51 2.3.4. Les réformes récentes du « système coton » ne parviennent pas à sécuriser les producteurs, qui se sentent peu soutenus par la filière et par la CMDT p 53 2.3.5. Au final, la relation avec la CMDT est marquée par une relative tension p 56 2.3.6. De fait, le désengagement de nombre de producteurs se traduit par une baisse des rendements p 56

3. Les non producteurs : une incapacité à produire du coton et non un choix p 58

4 Stratégies d’utilisation des ressources disponibles et modes de consommation p 60

4.1 Un collectif qui n’assure que partiellement mais classiquement son rôle de provider p 60 4.1.1 La forte autoconsommation de la production céréalière sécurise le présent et renforce le collectif familial p 60 4.1.2 La stratégie d’utilisation de l’argent du coton est largement déterminée socialement p 62 4.1.3 Les revenus tirés des autres spéculations du champ commun : un complément indispensable aux revenus du coton p 64

4.2 La diversification effective des activités, peu organisée, génèrent des revenus socialement et économiquement faibles mais indispensables pour la satisfaction des petits besoins personnels ou du ménage p 65 4.2.1Les revenus personnels des chefs de ménages p 65 4.2.2 Les contributions féminines sont importantes voire essentielles à l’économie domestique p 67

4.3 Une utilisation des revenus globalement moins normée que par le passé, donc plus variable et aléatoire selon les UP, en fonction de la personnalité du chef de famille et des chefs de ménage p 69

4.4 Des ressources localement insuffisantes avec deux conséquences importantes p 69 4.4.1 Un fonctionnement à crédit p 70 3

4.4.2 L’argent de la migration, troisième pilier de l’économie familiale p 71

4.5 Des pratiques de consommation entre besoin de sécurité et désir d’amélioration du bien-être p 72 4.5.1 Une capacité de consommation généralement assez faible p 72 4.5.2 Des postes de dépenses économiquement et socialement déterminées p 72 4.5.3 L’alimentation : une certaine sécurité alimentaire et de nouvelles habitudes parallèles p 72

4.6 Les dépenses de santé : un poste largement disproportionné aux ressources disponibles de la famille p 74

4.7 L’investissement dans l’outil de production : un éternel recommencement et poste de dépense croissant p 77

4.8 Les biens d’équipement domestiques et de déplacement : un poste de dépenses priorisé puisque visible et bénéficiant à tous p 79

5. Coton et pauvreté/vulnérabilité p 80

5.1 L’étude ne peut confirmer le « paradoxe » p 80

5.2 La logique qui préside à l’organisation de la filière a certes sécurisé les comptes de la compagnie cotonnière, mais a accentué la vulnérabilité des producteurs dans la zone p 80

5.3 De fortes inégalités donc tensions sources de pauvreté p 82

5.4 Profil de la pauvreté subjective parmi les cultivateurs de coton p 83

III Conclusions p 91

Annexe. Illustration : structure de dépenses de la campagne 2014-2015 pour 5 « petits » et 6 « gros » producteurs p 95

Bibliographie p 103

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Liste des tableaux et des figures

Localisation des communes dans leur cercle respectif p 11 Récapitulatif des infrastructures des communes retenues p 11 Présentation des villages retenus p 12 Répartition des 167 UP dans les 8 villages retenus p 13 Récapitulatif par village : recensement des UP et des ménages, à l’exclusion des ménages en migration P 18 Présentation des UP de l’échantillon, en tant qu’unité familiale p 18 Présentation des UP de l’échantillon en tant qu’unité économique p 18 % des UP produisant les principales spéculations cultivées dans la zone p 19 Récapitulatif par village : recensement des cotonculteurs p 20 Principaux indicateurs de la culture du coton selon la zone p 20 Equipement agricole des UP par zone p 21 Equipement des UP selon le nombre de ménages (1 ou plusieurs) p 22 Présentation des UP de l’échantillon en tant qu’unité économique p 23 % de personnes cultivant les différentes spéculations par cible p 23 Récapitulatif par village : recensement des cotonculteurs, chefs UP et cadets p 24 % de cadets cultivant les principales spéculations cultivées dans la zone p 24 Activités non agricoles des cadets selon le type de producteur p 25 Principales sources de revenus monétaires des UP p 31 Répartition des revenus totaux de l’échantillon selon la tranche de revenu p 31 Répartition des revenus dégagés par la dernière culture coton selon la zone p 31 Sikasso, données de production moyennes par niveau de revenu p 34 Sikasso, données de production moyennes à l’hectare par niveau de revenu p 34 Bougouni, données de production moyennes par niveau de revenu p 35 Bougouni, données de production moyennes à l’hectare par niveau de revenu p 35 Répartition selon les niveaux de revenus des indices de production/rentabilité, Sikasso p 36 Répartition selon les niveaux de revenus des indices de production/rentabilité, Bougouni p 36 Répartition des UP selon l’équipement détenu et la taille p 38 Caractéristiques des UP selon leur équipement agricole (bœufs et charrues*) p 39 Intrants et rendements des producteurs selon leur équipement agricole (bœufs et charrues) p 40 Facteurs de production agricole par type de producteur p 40 Principaux indicateurs de la production de coton selon le type de producteurs p 40 Caractéristiques des UP selon leur niveau de performance coton p 43 Spéculations produites et vendues selon le tercile de rentabilité de la culture du coton p 44 Bétail possédé au niveau de l’UP p 46 Taux d’équipement des ménages p 48 Taux d’équipement des individus p 49 Endettement des producteurs selon le type p 52 Solutions pour ceux dans l’impossibilité de régler le crédit p 52 Rendements du coton à l’hectare entre 2008 et 2014 de deux petits et d’un “gros » producteurs p 57 Principales raisons citées en spontané de ne pas cultiver le coton p 58 Habitat et propriété de biens de consommation des non producteurs p 59 Principales solutions adoptées en cas d’insuffisance de production céréalière p 61 Production et vente des spéculations principales du champ collectif sur ensemble des deux zones p 62 5

Structure de dépense des revenus du coton par les chefs d’UP p 63 Montant des revenus non agricoles annuels selon la cible par personne p 63 Dépenses de consommation des chefs d’UP p 66 Dépenses de consommation des chefs de ménage subordonnés p 67 Dépenses de consommation des épouses p 68 Revenus non agricoles des chefs d’UP migration p 71 Migrants et transferts migratoires selon la zone p 71 Autosuffisance alimentaire selon la zone p 72 Ressenti sur l’alimentation selon la cible p 73 Montant prise en charge trois derniers épisodes santé/ménage: moyenne des trois épisodes p 75 Coût des soins de santé pour la dernière maladie p 75 Part du produit de la vente de la production réinvestie dans la production suivante et « bénéfice net » sur les 7 dernières campagnes pour 3 producteurs p 79 Equipement des UP selon la rentabilité du coton de l’exploitation p 81 Equipement des UP selon la taille et la production de coton des mono-ménages p 82 Rappel de l’outil utilisé et du « barème » subjectif de notation de la pauvreté p 83 Répartition de la population enquêtée sur l’échelle de pauvreté subjective selon la cible p 84 Niveau moyen de pauvreté subjectif des cadets hommes et femmes selon celui de leur chef d’UP p 85 Répartition de la population enquêtée sur l’échelle de pauvreté subjective par la cible selon le type de producteurs p 85 Niveau de pauvreté subjective par cible selon le niveau d’autosuffisance de l’UP p 86 Niveau de pauvreté subjectif des cibles selon le nb de ménages de l’UP (1 ou plusieurs) p 86 Niveau de pauvreté subjective par cible selon la rentabilité de la cotonculture dans l’UP p 87 Positionnement des chefs d’UP sur les 16 critères de la pauvreté subjective p 88 Analyse des différences d’écarts p 88 Positionnement des épouses sur les 16 critères de la pauvreté subjective p 89 Analyse des différences d’écarts p 89 Positionnement des épouses sur les 16 critères de la pauvreté subjective p 90 Analyse des différences d’écarts p 90

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Résumé des principaux résultats opérationnels

1. L’économie familiale, entre subsistance et marché

L’exploitation agricole reste un ensemble centralisé et hiérarchisé autour d’un collectif, avec le coton comme élément moteur de l’économie familiale. On note un processus de fragmentation important des grandes familles, avec des velléités d’indépendance des cadets. Les unités de production (UP) se (re-) constituent sur une base de type fratrie et rares sont celles qui rassemblent encore plus de deux générations de ménages. Les UP mono-ménages sont de plus en plus nombreuses (46% des UP en zone enclavée, 33% en zone désenclavée). Dans la zone enclavée (Bougouni), les UP sont plus petites et moins centralisées, mais le modèle est semblable. Le champ commun représente 80% des terres familiales cultivées et constitue la base de la sécurisation familiale. Son exploitation, via notamment la culture du coton, cultivé par 80% des UP, exige un niveau contraignant de capital humain, matériel et financier. Ceci explique le faible nombre de champs individuels ménages, et la mobilisation croissante des femmes dans le champ commun.

Le coton est moteur de cette économie paysanne, mais un moteur insuffisant. L’élargissement des sources de revenus aux cultures de rente et au non agricole est indispensable, que ce soit sur le plan économique pour faire face aux besoins monétaires croissants, ou sur le plan social pour satisfaire les velléités d’indépendance des cadets. Mais la mobilité intersectorielle locale reste faible, de même que les opportunités économiques sur le marché local. Par ailleurs, on remarque une très faible productivité des activités des cadets, lesquelles bénéficient de très peu d’investissement de la part du collectif. Seul le départ en migration occasionne un investissement familial, justifié sans doute par le fort retour sur investissement. Les revenus de la migration constituent en effet une contribution essentielle (même si insuffisante) aux UP. Les revenus des cadets, localement ou en migration, sont plus importants en zone enclavée, où l’économie paysanne est moins centralisée.

Revenus non agricoles moyens d’une UP Ensemble Enclavé Désenclavé Du chef d’UP 94 000 89 000 101 000 D’un cadet homme marié 75 000 100 000 79 000 D’une épouse 23 000 25 000 20 000 Nombre moyen de migrants par UP / par ménage 3,2 / 1 3,3 / 1,5 3 / 0,8 Transferts migratoires (total UP) 37000 41 000 34

Les aspirations au mieux-être sont communes à tous les producteurs, avec des besoins matériels croissants. Dévalorisation agricole, refus du labeur, désir d’autonomisation marquent la relation au travail. Un meilleur confort matériel de vie en termes d’habitat, de santé, d’alimentation s’impose progressivement, avec le toit de tôle comme standard. Les paysans de nos deux zones d’enquête évoluent d’une migration de « subsides » vers une migration durable qui passe par l’investissement et la propriété en ville (Sikasso surtout). Ce mouvement semble plus marqué en zone désenclavée, parmi les gros producteurs. Les femmes, riches ou pauvres, ont des aspirations communes : a minima, disposer de plus d’argent liquide personnel pour mieux consommer ; a maxima, arriver à constituer un capital productif sous forme de petit bétail pour sécuriser le futur. Ces aspirations partagées induisent des besoins financiers croissants et remettent parfois en question les modes de gestion des ressources, et notamment de l’argent du coton. « Moi ce que je voudrais c’est rentrer chez moi après les champs et regarder la télé, allongé sur mon lit, sans avoir besoin d’aller chez mon père, là-bas je suis moins à l’aise. » Fils de chef d’UP, gros producteur, Djele

2. Le coton : une production de richesse très inégalement répartie 7

La filière coton fournit aujourd’hui l’apport financier le plus important à l’économie des familles paysannes des zones étudiées. Très schématiquement, le coton fournit presque la moitié des revenus monétaires des UP, soit 500 000 sur un peu plus de 1 000 000 F CFA. Dans les deux milieux étudiés, l’opinion associe largement l’enrichissement matériel au coton, « koori ye ne bla yeleen na (le coton m’a mis dans la lumière ». La mobilité sociale de certains producteurs traduit un accès nouveau et rapide à une certaine aisance. Les taux d’équipement des foyers et l’habitat, le bétail possédé (18 vaches/UP), la détention d’argent liquide, permettent de mesurer l’impact objectif du coton sur les familles paysannes.

Principales sources de revenus monétaires des UP Taux d’équipement des ménages des 3% chefs d’UP Coton 16% Autres ventes agric. UP Maison en dur 55% Tôle 83% 42% Agricole cadets 8% Panneau solaire 70% Non agricole chef Télé 24% 13% Moto, Djakarta 54% Non agric. cadets

17% Transferts migratoires

La richesse cotonnière est très inégalement distribuée entre les producteurs, de façon assez extrêmisée. On remarque de très fortes disparités entre producteurs en termes de revenus cotonniers, avec de très bas revenus. Cette disparité est extrêmement marquée dans la zone désenclavée, du fait de la présence de nombreux très gros producteurs : 40% des producteurs (plus de 2/6) cultivent 1/6 des superficies de coton, achètent 1/6 des intrants CMDT, mais ne produisent que 1/8 du coton, et surtout ne reçoivent que 1/20 des revenus après déduction de leurs dettes potentielles. Dans la zone enclavée, l’écart entre revenus est moins extrêmisé du fait de la quasi-absence de très gros producteurs : 3/5 des producteurs cultivent environ 2/5 des superficies de coton, achètent 2/5 des intrants CMDT, produisent 2/5 du coton, mais ne reçoivent que 1/5 des revenus.

56% 60% 40% 22% 21% 21% % producteurs 18% 14% 16% 14% 20% 9% 7% 0% 2% % argent total 0% perçu 0 Fcfa 1 à 99 100 à 250 à 500 à 1 000 000 Fcfa 249 000 499 000 999 000 000 Fcfa Fcfa Fcfa Fcfa et plus

La rentabilité est conditionnée par les moyens de production, mais aussi par la psychologie du producteur. Un classement des UP selon la rentabilité à l’hectare de leur champ de coton ne montre pas de différence structurelle très marquée entre celles à plus forte rentabilité et celles à plus faibles rentabilité en termes de terres, de taille et de ressources humaines. Une UP laboure en moyenne, avec peu d’écarts, deux hectares de coton par attelage. Néanmoins, les producteurs les plus rentables sont plutôt mieux équipés, détiennent quasiment tous un attelage complet disponible au moment opportun et utilisent plus d’intrants (138 000 F CFA de crédit CMDT par hectare vs. 110 000 pour les autres, avec en plus pour certains un usage de la fumure organique). Leur économie familiale repose plus largement sur le champ commun et d’autres productions agricoles que le coton. Les chefs accordent moins de champs individuels et d’activités non agricoles aux cadets, engagent moins de migration et reçoivent moins de transferts migratoires. Les

8 logiques « gagnantes » ou « perdantes » de la cotonculture dépendent ainsi fortement de l’organisation du travail au sein des UP, avec une corrélation entre productivité/rentabilité et centralisme, qui s’oppose à l’autonomie individuelle. Les UP « plus rentables » envisagent apparemment la culture du coton avec sérénité et « optimisme », mobilisent plus massivement leurs ressources autour du coton et sont ainsi de « meilleurs producteurs » (meilleurs rendements et meilleure rentabilité à l’hectare).

Pour être rentable, la cotonculture demande des investissements auxquels tous les producteurs ne peuvent/souhaitent pas consentir. Les producteurs “peu rentables” sont souvent moins équipés, la location ou l’emprunt d’attelages induit de mauvaises conditions de labour et pénalise les rendements, et ils cultivent apparemment sur de trop grandes parcelles par rapport à leur organisation interne et la disponibilité de la main-d’œuvre (même si non forcément par rapport les critères CMDT d’équipement et de taille de l’UP). Leurs freins à investissement découlent d’une certaine méfiance vis-à-vis du coton, surtout par peur de l’endettement. Ils utilisent plutôt moins d’intrants/ha, et certains gèrent mal leurs intrants (utilisation des engrais coton pour les céréales). De fait, le désengagement de nombre de producteurs se traduit par une baisse des rendements.

« Marge bénéficiaire » de trois producteurs de coton sur 7 ans En bleu : part du crédit CMDT. En vert : part effectivement payée au producteur Rendement moyen « petit » : 920 kg/ha ; « gros » : 1 110 kg/ha

100% 75% 50% 25%

0%

2009 2012 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2008 2010 2011 2012 2013 2014 2008 2009 2010 2011 2013 2014

Petit (140 KF/an) Petit (160 KF/an) Gros (760 KF/an)

À côté des grandes UP centralisées et bien équipées, il existe des modèles alternatifs de « petits producteurs rentables ». Certaines UP non autosuffisantes (le plus souvent, par manque de terres par rapport au nombre de personnes à nourrir) ont adopté une réelle stratégie de production cotonnière, non systématique, mais occasionnelle, avec une forte mobilisation des ressources, donc de très bons rendements. Ces « opérations coton » sont ainsi marquées par une forte rentabilité (jusqu’à 2 tonnes à l’hectare) avec très peu d’occasions d’endettement. Les intrants et la rotation des cultures favorisent ensuite la production céréalière. On trouve également des UP mono-ménages « riches » qui compensent leur taille restreinte par un fort taux d’équipement et des terres disponibles (position avantageuse lors de la séparation de la famille, et/ou par un processus de capitalisation). De plus, ce sont des ménages plutôt grands, soit potentiellement polygames, avec moins de migration. Ces UP fonctionnent de fait comme les « grandes UP » rentables, à ceci près qu’elles font plus massivement appel à de la main-d’œuvre salariée pour compenser le manque de main-d’œuvre familiale… Elles obtiennent au final de meilleurs rendements et de meilleures rentabilités que les « grandes UP »…

Les revenus cotonniers des producteurs sont fortement volatiles. Les revenus sont dépendants du climat, des rendements, du prix payé au producteur, des aléas divers touchant la famille et l’exploitation. Des rendements trop bas entraînent des pertes voire un endettement, qui grève parfois les revenus de plusieurs campagnes ultérieures. Par exemple, sur la dernière campagne (2014-15), plus de 10% des producteurs ont reçu 0 F CFA, la plupart d’entre eux étant déjà endettés au terme de la campagne précédente (contexte de deux mauvaises années consécutives) malgré un prix au producteur plutôt « élevé ». Les crises récentes, en fragilisant les communautés de producteurs, ont installé une méfiance

9 structurelle vis-à-vis du coton, avec la mémoire de la crise de 2006, « année noire ». Le risque d’endettement est toujours prégnant et freine la mobilisation des ressources pour la culture du coton.

Les réformes récentes du « système coton » ne parviennent pas à sécuriser les producteurs, qui se sentent peu soutenus par la filière et par la CMDT. Le prix payé au producteur, même s’il est relativement stabilisé depuis quelques années, n’est pas garanti et ne sécurise pas les exploitants. Les intrants CMDT sont perçus comme trop chers vu le prix payé au producteur. Certains producteurs ont perçu un changement de la variété semencière et une baisse de la quantité de coton produite. La qualité des engrais et surtout celle des pesticides est souvent mise en cause. Les paysans ne se sentent pas soutenus par la CMDT. Certains déplorent à la fois le désengagement de cette dernière et la faible présence de l’Union des producteurs. Enfin, on reproche à la CMDT de ne pas soutenir les filières alternatives que sont aujourd’hui le sésame et le soja. Au final, Les réformes n’ont pas enrayé le découragement et la relation avec la CMDT est marquée par une relative tension.

3. Les non producteurs : une incapacité à produire du coton et non un choix

Les UP hors du système coton sont les plus pauvres de la zone. Ces UP non productrices sont souvent petites : elles représentent 20% des UP des 8 villages étudiés mais uniquement 5% de leur population. Dans ces UP, le collectif agricole ne peut pas fonctionner, alors qu’il est indispensable pour produire du coton. Les chefs sont souvent trop âgés pour travailler ; ils disposent de peu de main-d’œuvre, de terres et d’équipement. Leur économie est dépendante du travail des épouses et des transferts des migrants notamment. La sortie du coton résulte plutôt de facteurs sociaux comme la fragmentation des UP ou la migration. Les UP qui pourraient mais s’abstiennent de cultiver le coton (refus ou crainte) sont très minoritaires, et cette forme de « sortie spontanée » du coton semble aujourd’hui marginale.

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4. Les stratégies d’utilisation des ressources sont économiquement et socialement déterminées

Les ressources issues du champ commun sont gérées par le chef en vue d’assurer les besoins alimentaires et de souder la famille. Assurer la nourriture de la famille constitue l’objectif premier du chef de famille et la sécurisation alimentaire sa principale source de légitimité et de pouvoir. De fait, 85% de la production céréalière est autoconsommée, ce qui sécurise le présent et participe au collectif familial. Le revenu du coton sert également à tenir et renforcer ce collectif et sa gestion reste très centralisée, avec une faible redistribution aux cadets mais une visibilité dans l’utilisation de l’argent, afin d’éviter le gaspillage et la gestion opaque, source de conflits L’usage des revenus du coton est surtout déterminé par le fait que le paiement se fait en un seul règlement, varie peu avec le niveau de ressources, l’UP ou la zone et se décompose généralement ainsi : - Impôt et cérémonies sociales, notamment les mariages des enfants de la famille - (Re-)constitution de l’équipement agricole (bœufs de labour, décortiqueuse, tracteur pour les plus hauts revenus) et les frais de campagne, souvent très lourds : entretien/ renouvellement de l’outil production, équipement, paiement des salariés - Équipement confort maison (tôle, panneaux) - Remboursement des crédits, dont ceux occasionnés par les problèmes de santé Les revenus étant souvent faibles, beaucoup d’UP ont totalement dépensé l’argent du coton après deux ou trois mois, alors qu’un grand nombre de besoins restent à couvrir. Seuls les chefs d’UP « gros producteurs » peuvent épargner de façon conséquente, et une minorité (au moins 700 000 – 1000 000 F CFA de revenus) parvient à thésauriser. Pour la majorité, les revenus dégagés par les autres spéculations du champ commun constituent un complément indispensable aux revenus du coton,d’autant que ces revenus sont fractionnés au cours de l’année et permettent de faire face à des besoins plus quotidiens.

La diversification effective des activités, peu organisée, génère des revenus faibles mais socialement et économiquement indispensables. Les hommes dégagent très peu de revenus individuels agricoles. Les revenus non agricoles des chefs de ménages, y compris du chef d’UP, sont généralement de faible montant, très fractionnés, résultat d’une diversification des activités hors agriculture peu organisée et peu soutenue par le collectif familial. En revanche, ils sont gérés individuellement, permettent de satisfaire un certain besoin d’indépendance des cadets, et sont employés aux petits besoins de consommation, notamment alimentaires. Les femmes disposent généralement de champs individuels, en partie destinés à l’autoconsommation et en partie à la vente pour assurer leur contribution au collectif. Elles développent également des activités non agricoles, mais les revenus dégagés de ces différentes activités sont particulièrement modestes (20 000 francs par an en moyenne), quel que soit le niveau de revenus global de l’UP. Ces revenus non agricoles des femmes sont plutôt consacrés à des dépenses utiles. La structure de consommation des femmes est quasiment identique entre petits et gros producteurs, à la différence de celles des chefs et des cadets hommes. En moyenne, un « acte de consommation » engage les montants suivants (« gros » vs « petits » producteurs) : - Chefs : 2 300 vs 900 F CFA - Cadets : 1 900 vs 1 000 F CFA - Épouses : 1 500 vs 1 400 F CFA

Les ressources locales sont insuffisantes, avec trois conséquences importantes : - La capacité de consommation est généralement assez faible. - Un fonctionnement à crédit est presque imposé par l’augmentation des besoins à couvrir face à la faible rentabilité des activités individuelles. L’argent du coton garantit la solvabilité du producteur, et ainsi sert de plus en plus à rembourser des crédits ou dettes contractés au cours de l’année précédente, au détriment de la prise en charge des dépenses urgentes.

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- L’argent de la migration est le troisième pilier de l’économie après les céréales et le coton, source de revenu et support de résilience. Les migrants sont particulièrement mobilisés pour acquérir l’équipement de production, pour rembourser les dettes ou pour faire face aux dépenses de santé.

La gestion des revenus est globalement moins normée que par le passé, situation qui s’avère au final pénalisante pour les femmes. L’utilisation des ressources issues du champ commun est traditionnellement très normée. Mais le développement presque inéluctable des activités individuelles et l’explosion des besoins induit des situations très variables d’une UP à l’autre, avec une plus ou moins grande décentralisation de la gestion de certains revenus, une plus ou moins forte redistribution des revenus du coton, et enfin une plus ou moins grande prise en charge des besoins familiaux par le collectif. La gestion des ressources individuelles échappe plus encore à la norme. Grâce aux ressources tirées du champ commun qui couvrent l’essentiel des besoins élémentaires, l’utilisation des revenus individuels varie entre nécessité et satisfaction des plaisirs. In fine, le collectif évacue de plus en plus certaines charges sur les chefs de ménage, mais ces derniers les assurent diversement et souvent incomplètement. Les femmes sont ainsi souvent contraintes d’assurer par leur travail ou leurs revenus, une contribution décisive mais peu reconnue.

5. Les quatre principaux postes de dépenses illustrent bien la tension entre le besoin de sécurisation et les aspirations au bien-être

Les dépenses de santé représentent une des principales causes d’endettement. La santé constitue une réelle préoccupation et un élément essentiel du ressenti du bien-être. Les femmes évaluent la qualité de leur prise en charge par leur UP/ménage à travers l’alimentation et la santé. Les chefs de famille eux-mêmes admettent qu’il est maintenant presque obligatoire de faire recours au centre de santé en cas de maladie sérieuse, sous peine sinon de critiques, revendications et sentiment d’injustice ; mais ceci mobilise une part très importante des budgets familiaux, avec une réelle difficulté de la plupart des familles à recourir aux centres de santé. Ces dépenses nécessitent donc une contribution de chacun, selon les disponibilités et selon la gravité du problème à régler : chef UP, mais aussi cadets, épouses, migrants. Toutes les sources de revenus participent ainsi à régler les frais de santé. Le besoin de santé est devenu fort mais il reste presque impossible à satisfaire, quand on met en regard les montants des ressources disponibles des familles et les dépenses de santé engagées. Il est globalement impossible de faire face pour tout le monde et à tout moment. Malgré ces dépenses importantes, une partie des cibles ressent un mauvais état de santé, surtout au sein des UP « petits producteurs ». Le pourcentage de personnes se sentant en bon ou très bon état de santé est plus important au sein des UP de gros producteurs (chefs d’UP : 72% contre 59% ; épouses : 76% contre 64% ; cadets : 84% contre 65%)1. Ceci témoigne d’un certain impact positif des dépenses consenties pour la santé.

L’investissement dans l’outil de production : un éternel recommencement et un poste de dépenses croissant. Ce poste d’investissement est incontournable, et notamment dans la perspective coton. Les revenus, y compris les revenus non agricoles, sont utilisés massivement pour le financement d’une nouvelle campagne agricole. Les chefs rencontrent de nombreuses difficultés à maintenir un outil de production suffisant et performant (dégradation du matériel ; mort, perte ou vol d’animaux). La séparation des familles avec, pour certains, un redémarrage sans aucun matériel de production, est également une situation récurrente.

Part de la marge du coton investie dans l’outil de production pour trois producteurs sur sept ans

1Réponses à la question « Vous sentez-vous actuellement en très bonne, plutôt bonne, plutôt mauvaise ou très mauvaise santé ? »

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100% Bénéfice net 75% Autres 50% investisseme 25% nts Crédit CMDT 0% 2008 2010 2012 2014 2008 2010 2012 2014 2008 2010 2012 2014

Petit (140 KF/an) Petit (160 KF/an) Gros (760 KF/an)

L’alimentation : une certaine sécurité alimentaire et une évolution vers plus d’individualité et plus plaisir. Les besoins alimentaires de base restent sommaires mais largement assurés et sans réelle différence selon le niveau de vie de la famille. L’autoconsommation n’exclut pas les achats alimentaires, qui visent à diversifier l’alimentation et se rapprocher de standards alimentaires urbains, avec le besoin croissant de consommer du riz, des petits plats additionnels (spaghettis, pain, café), du bouillon-cube, ou même de consommer dans les gargotes. On ne vise pas la qualité nutritionnelle mais bien la dimension plaisir, avec une consommation plus individualisée.

Les dépenses monétaires alimentaires, en dehors et en plus du plat commun, constituent un poste important, pour autant déterminé par les revenus individuels (fractionnés et de faibles montants).

Les biens d’équipement domestiques et de déplacement : un poste de dépenses priorisé puisque visible et bénéficiant à tous. L’amélioration des conditions d’habitat (tôles surtout) est presque systématiquement envisagée alors même que les dépenses à venir de la famille ne sont pas sécurisées, en particulier les dépenses de santé. Elle représente un poste de dépenses important et répond au souci de ne pas garder d’argent liquide et de ne pas « gaspiller ». Elle constitue un investissement visible, donc bénéfique à l’image de la famille dans le village et pour l’entente intra familiale puisque réalisé suivant le droit d’ainesse, non contesté et utile pour tous. La motorisation est perçue comme un investissement utile, notamment du fait de l’enclavement. Les plus gros revenus marquent la différence par leur capacité à investir de plus en plus à l’extérieur du village et notamment via les acquisitions foncières et immobilières en ville (Sikasso surtout).

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6. Coton et pauvreté

L’étude ne peut confirmer le « paradoxe » ainsi qu’en témoignent les indicateurs précités, les biens d’équipement, les possessions, l’épargne, la structure schématique de consommation, l’opinion et les représentations associées au coton. Le fait que les non producteurs sont plus pauvres que les producteurs et plutôt par incapacité que par refus est également révélateur du fait que le coton contribue et surtout a contribué singulièrement à la richesse de la zone.

La logique qui préside à l’organisation de la filière a certes sécurisé les comptes de la compagnie cotonnière, mais a accentué la vulnérabilité des producteurs dans la zone. La filière manque de flexibilité et la CMDT est l’interlocuteur quasi unique des producteurs. Le système des intrants à crédit peut parfois prendre la forme d’un « chantage au coton ». La désaffection de la CMDT des autres filières agricoles potentiellement porteuses rétrécit le champ des possibles en termes de ressources agricoles. Le nouveau mode de fixation du prix payé au producteur et l’augmentation du prix des intrants ne favorisent pas la rentabilité. Le coton renforce une économie paysanne basée sur des UP centralisées et axées sur l’agricole. Les UP qui ont un fonctionnement économique « minimaliste » en termes de ressources collectives sont plus sujettes à des années de culture du coton à pertes, et donc à l’endettement. Ces UP sont plutôt plus pauvres que les autres. Les UP qui au contraire, par consensus ou par autorité du chef, maintiennent le plus un collectif centralisé, y parviennent au détriment de l’épanouissement des cadets. Le coton, non seulement n’est pas facteur d’épanouissement pour les femmes, mais il tend souvent à renforcer leur dépendance sociale et économique vis-à-vis des hommes.

Le coton accentue les inégalités, sources de tensions. La gestion de l’argent du coton peut amener des tensions internes aux familles et favoriser la séparation des ménages. Le coton participe largement aux inégalités interfamiliales au sein des communautés. Les situations chroniques d’endettement de certains producteurs ont amené dans certains villages la division des coopératives de producteurs de coton (CPC) qui pénalise les UP les plus démunies. Les « gros » producteurs tendent alors à créer leur propre CPC, ce qui bat en brèche le principe de mutualisation des risques. La fragmentation des CPC freine globalement les réalisations communautaires et les investissements collectifs au niveau villageois.

Le profil subjectif de pauvreté est très cohérent avec les éléments plus objectifs de détermination du niveau de pauvreté ou de richesse. Les membres des UP de gros producteurs se sentent plus riches, sur la base des revenus monétaires UP, ménage, individus. À l’intérieur d’une même UP, les femmes se positionnent bien plus souvent dans la pauvreté que les chefs d’UP et que les hommes mariés. Le sentiment de dépendance des cadets et des femmes favorise le sentiment de pauvreté. On retrouve bien l’importance perçue de la sécurisation par le collectif. Pour les femmes qui vivent en grandes UP, la prise en charge par le collectif est sécurisante, via deux piliers de cette économie paysanne telle qu’elle est actuellement pratiquée dans la zone cotonnière : les personnes vivant dans des UP mono-ménages et les membres des UP non autosuffisantes et qui produisent peu de coton se sentent particulièrement pauvres, surtout les femmes, dont beaucoup se situent dans la grande pauvreté.

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Conclusions et pistes de réflexion

La culture du coton n’appauvrit pas et le paradoxe de Sikasso n’est pas confirmé par cette étude. Néanmoins, la culture du coton n’est pas pour autant une source de prospérité comme elle pourrait l’être, et pour tous.

La production de coton favorise très inégalement les stratégies de subsistance des différents types de producteurs de la région. Sur le principe, le coton est perçu comme un facteur de sécurisation du présent (autosuffisance, support de consommation et accès à divers services de base notamment), et également comme un support de sécurisation de l’avenir (acquisition de biens durables, investissement, acquisition d’équipement agricole et de bœufs de labour). La clé d’entrée est l’impact sur les rendements céréaliers et la possibilité de détenir un capital d’investissement. Le désir assez communément partagé, même si inégalement assouvi, est le renforcement du rôle de provider du chef d’UP (habitat confortable, alimentation, santé, éducation), même si finalement assez peu parviennent à couvrir l’ensemble des besoins, et ultimement d’un investissement urbain. De plus, la cotonculture garantit l’accès au crédit (commerçants, relations, voire CPC), qui renforce la résilience et la sécurisation du présent.

Mais cette sécurisation du présent se heurte à plusieurs niveaux de tensions qui pénalisent les producteurs. La santé mobilise une part non négligeable des ressources des UP. Le coton et les céréales ne parviennent pas à répondre au souci de satisfaire un certain standard de vie qui inclut des besoins de confort, de plaisir, de meilleure alimentation, de mobilité, de modernité. Le système de production et de redistribution des ressources financières produites est centralisé. La charge de travail est importante, les coûts de production très élevés, et les « marges » souvent faibles et surtout très volatiles. La rentabilité de la cotonculture doit intégrer des années de forts et de bas revenus voire des pertes. La gestion du capital productif, et de sa composante la plus fragile, soit les bœufs de labour, est un facteur très déterminant de la rentabilité à terme de l’exploitation et de l’évolution du producteur.

Or, dans ce contexte, deux phénomènes viennent accentuer la fragilité du modèle d’exploitation : - Le mouvement vers la division en petites unités est une réalité prégnante, la tendance de la structure familiale, - Les producteurs cherchent aujourd’hui à éviter le travail dur, visent la mécanisation et privilégient l’usage de pesticides, notamment les herbicides.

Les non producteurs de coton sont justement les UP qui ne peuvent surmonter les aléaset les contraintes de la culture du coton. Ce sont, dans les deux zones étudiées, les UP les plus démunies et vraisemblablement les plus pauvres : un très faible équipement productif (équipement, main-d’œuvre), sans revenu alternatif local (faible agriculture, très peu voire pas de revenus non agricoles), très vulnérables, dépendantes des subsides des migrants et de la mise à contribution des femmes, et devant faire face à des dépenses de santé particulièrement élevées (des chefs d’UP très âgés). Ces non producteurs mettent justement en évidence les problèmes et contraintes rencontrées par les petits producteurs.

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A l’inverse, les UP pour lesquelles le coton est profitable, rentable, « gagnant » et qui participent aussi à la richesse nationale sont : - Soit des UP « riches » collectivement mais au détriment de l’autonomie socioéconomique des cadets, à contre-courant de l’évolution suivie par l’ensemble de la société en faveur d’une plus grande autonomie des individus ; - Des UP entrées en économie de marché et qui jouent notamment sur la migration comme source d’investissement, d’avenir. Mais ce mode de fonctionnement s’oppose à une vision publique qui voudrait « fixer les jeunes » en milieu rural ; - Des UP issues de l’éclatement inégal des familles et qui y ont eu la prééminence… au détriment des autres, démunies… le coton peut être alors un facteur de renforcement des inégalités et moteur d’une pauvreté rurale. On peut ainsi noter que la culture du coton peut être rentable, y compris pour des UP de petites tailles, à condition de respecter les itinéraires techniques.

Les femmes sont les grandes laissées pour compte de la culture du coton. Du fait de leur position inférieure au sein des familles et des UP, et ce indépendamment des revenus du coton. Sur de multiples critères, les épouses des UP de gros producteurs ne se différencient guère de celles des UP de petits producteurs, qu’il s’agisse : - De leur très faible degré d’autonomie économique et sociale, - De la contribution en travail qui est exigée d’elles dans le collectif, - Des revenus non agricoles qu’elles peuvent générer, - De l’argent liquide dont elles sont gratifiées à l’issue des campagnes cotonnières, - Des contributions financières pour lesquelles elles sont sollicitées, y compris sur leurs revenus personnels, et notamment pour faire face en cas de « choc » de la culture du coton, - Et au final, leur structure de consommation est quasiment identique.

La culture du coton représente souvent un frein à la diversification des activités au sein de l’UP et du développement socioéconomique des cadets. La culture du coton n’a pas réussi à revaloriser l’activité agricole du fait de la quantité de travail qu’elle exige, et car elle ne constitue pas, au final, une réelle source de mieux-être. Notamment les petits producteurs plus vulnérables aux aléas de la culture du coton, manifestent leur intérêt pour les autres cultures de rente qui sont aujourd’hui indispensables pour répondre aux besoins, mais ces autres cultures sont aujourd’hui elles-mêmes aléatoires, par manque de technicité des producteurs, et car elles n’offrent pas de garantie de prix. Le coton n’a pas permis de limiter les migrations, qui restent un pilier des économies rurales, y compris pour faire face aux chocs de la culture cotonnière

La stabilisation récente du prix payé au producteur a certes relancé l’intérêt pour la cotonculture, mais les coûts de production demeurent très élevés. Dans un contexte de baisse des rendements, les revenus des cotonculteurs, très volatiles, semblent globalement en baisse. Le coton est producteur de richesse quand il est cultivé dans de bonnes conditions, avec une forte mobilisation des ressources, autrement il est plus problématique. C’est aujourd’hui dans le vieux bassin cotonnier que le coton s’inscrit le plus favorablement dans la richesse et la lutte contre la pauvreté, avec des exploitations plus grandes, à la plus autosuffisantes en céréales et plus diversifiées sur les cultures de rente (vergers, soja, sésame…), plus centralisées, plus d’efficacité de la CMDT, et moins de problèmes structurels (enclavement, santé, etc.). La fragmentation des CPC favorise les tensions et les inégalités, freine le développement. Le soutien à la filière coton et les réformes ont été faites finalement au détriment des autres filières potentielles.

Les particularités régionales explicatives du paradoxe relèvent du mode d’organisation des exploitations familiales, basé sur la centralisation de la gestion des ressources au niveau des chefs d’UP, avec des UP très

16 hiérarchisées, un faible partage des moyens de production (en propriété mais aussi en accès), et des ressources produites. La culture du coton, en résonnant avec cette stratégie centralisatrice des chefs, tantôt renforce leur pouvoir, tantôt exacerbe les tensions et peut induire des éclatements non consensuels et facteurs d’inégalités socioéconomiques. D’une façon générale, elle ne permet pas le développement des individus, en l’absence de redistribution directe des revenus monétaires, et elle ne favorise pas le développement d’activités individuelles locales. En outre, le mode de gestion centralisé du collectif s’oppose à l’émergence des besoins plus importants et plus individualisés, et notamment face à la promesse coton. Le statut des femmes est particulièrement défavorisé au sein de cette hiérarchie. Cf. supra.

Pistes de réflexion/recommandations

Les principaux facteurs qui pourraient favoriser l’impact de la culture du coton sur la réduction de la pauvreté dans cette région relèvent de la sécurisation du présent. Les mesures possibles pour améliorer cet impact se situent sur deux plans, l’environnement des producteurs et les conditions de production elles- mêmes, notamment la culture attelée du fait de la nécessité d’acquérir fréquemment de nouveaux bœufs de labour.

Au plan des exploitations agricoles, il serait intéressant de : - Prévoir un encadrement des filières complémentaires, des autres cultures de rente (sésame, soja, arbres fruitiers, spéculations maraîchères) et de considérer une cohabitation du coton avec d’autres filières comme cela se fait déjà avec les céréales. - De diminuer le prix des intrants et le coût des intermédiaires pour améliorer le prix payé au producteur afin de rendre cette culture plus attractive et d’en faire une réelle source de prospérité. - De soutenir le développement socioéconomique des cadets, et la promotion d’autres sources de revenus indispensables tant sur le plan économique que social. Il semble également important de revoir la politique d’appui aux femmes, en considérant ces dernières comme membres de l’exploitation et non en dehors de l’exploitation familiale. - D’approfondir la réflexion sur le recours plus massif à la mécanisation ou au salariat agricole, et ses conséquences, dans un contexte de diminution progressive des familles et une scolarisation plus forte des enfants.

Au plan de l’action sociale, il est aujourd’hui indispensable de faciliter l’accès financier à la santé, afin de mieux maîtriser les coûts des soins de santé et des dépenses catastrophiques.

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I- Présentation de l’étude

1. Contexte

La région de Sikasso est la région la plus fertile et arrosée du et abrite largement la culture du coton, principale culture de rente du pays qui contribue de manière significative à l'économie nationale en fournissant des revenus et de l'emploi à plus de trois millions de petits exploitants et en représentant plus de 90% des valeurs annuelles d'exportation agricoles totales. De ce fait, la filière, et la région de Sikasso dans laquelle elle est particulièrement développée, ont bénéficié d’appuis nationaux et internationaux conséquents. La chute des cours mondiaux du coton à la fin des années 90, conjuguée à la mise en évidence de l'inefficacité du système de coton malien, ont conduit à une baisse importante de la production, menaçant la durabilité du secteur. Depuis le début des années 2000, différentes mesures d’ajustement ont été prises pour soutenir la filière coton, ce qui a entraîné une évolution du secteur en particulier dans la région de Sikasso.

Depuis une quinzaine d’années, des études de mesure de la pauvreté2 ont fait ressortir une contradiction majeure entre le potentiel de la filière et de la région, et son niveau de pauvreté, comparativement à d’autres régions du Mali. Le « paradoxe de Sikasso » désigne ce phénomène que plusieurs études (études internationales, grandes enquêtes nationales, études locales) ont documenté sur des critères multiples : monétaires, alimentaires (calories/jour, malnutrition infantile), consommation et/ou bien-être non alimentaire (niveau d’éducation et accès à la santé des enfants, acquisition de biens durables, possession d’équipement agricole, équipement du foyer, accès à l’eau potable et à l’électricité…).

La pertinence des données statistiques mobilisées dans certaines de ces études a été contestée. Une étude commanditée par l’AFD3 fait en particulier ressortir des aberrations statistiques susceptibles d’expliquer ce résultat et de réduire le paradoxe au seul fait de comprendre pourquoi, la région de Sikasso, et en particulier ses producteurs de coton, ne sont pas riches, à défaut d’être plus pauvres que les autres.

La Banque mondiale a réalisé un "Systematic Country Diagnostic for Mali" (diagnostic systématique pays - SCD) qui vise à identifier comment atteindre le double objectif de lutte contre la pauvreté et d'amélioration de la prospérité partagée en 2030. Compte tenu de l'importance de l'agriculture pour la réduction de la pauvreté, et l'importance du coton dans ce secteur, il est apparu nécessaire d'évaluer si le coton est l'un des meilleurs moyens d’accélérer la réduction de la pauvreté au Mali. Pour cela, une étude qualitative a été commanditée par la Banque avec cinq objectifs principaux : - Discuter des diverses mesures de réforme de la politique dans le secteur agricole dans le secteur général et du coton depuis le début des années 2000, et l'évolution du secteur en particulier dans la région de Sikasso au Mali - Déterminer le rôle de la production de coton dans les stratégies de subsistance des différents types de producteurs de coton de la région. - Evaluer les principaux facteurs qui influent sur la contribution de la production de coton à la réduction de la pauvreté dans cette région et d'identifier les mesures possibles pour améliorer l'impact de la production de coton sur la pauvreté.

2 Trois enquêtes ménages à l’échelle nationale : EMCES 1994, EMEP 2001 (DNSI 2004), ELIM 2006 3 Le paradoxe de Sikasso : coton et pauvreté au Mali, J Delarue, J.D Naudet, A.S. Robilliard, S. Mesplé Somps, document de travail, DIAL-IRD, DT /2009-09 18

- Faire des comparaisons entre les producteurs de coton et les producteurs non - coton. - Comprendre la dynamique à long terme de l'industrie du coton en utilisant les points de vue des producteurs.

2. Objectifs de l’étude

Face à cette demande et compte tenu des délais relativement restreints impartis pour sa réalisation, notre équipe s’est donné comme principal objectif opérationnel de l’étude de fournir un éclairage et des éléments explicatifs sur des mécanismes socioéconomiques structurels liés à la culture cotonnière dans la région de Sikasso.

Plus précisément, l’étude s’est donnée pour objectifs spécifiques : a. De cerner les schémas économiques et socioéconomiques dans lesquels les producteurs de coton s’engagent et fonctionnent et comprendre les logiques d’économie « familiale » (UP4/ménage), b. De cerner en quoi et à quel degré les mesures d’ajustement peuvent fournir des solutions adaptées aux problématiques structurelles des producteurs de coton « pauvres », c. D’identifier des particularités régionales de la région de Sikasso et de vérifier que ces particularités peuvent représenter des éléments réellement explicatifs du « paradoxe ».

Pour cela, une double approche quantitative et qualitative a eu pour objet de comprendre : - La façon dont les producteurs de coton considèrent leurs ressources monétaires et non monétaires - La répartition des ressources au sein des UP - Les logiques de consommation et d’investissement - Dans une dynamique plus globale d’appauvrissement/enrichissement o Les motivations et les freins à cultiver le coton o Les éléments qui sont associés à l’enrichissement ou à l’appauvrissement - Dans le système socioéconomique global, quels sont les contraintes et les choix opérés face à ces contraintes : o Quels objectifs ? o Quelles stratégies ?

3. Méthodologie

3.1 Identification et présentation des sites d’enquête

La Banque mondiale a souhaité que l’enquête soit menée dans huit villages répartis dans deux zones : - Une zone désenclavée avec un bon accès aux services de base (santé, éducation) - Une zone plus enclavée avec un faible accès aux mêmes services de base

4 Nous définissons l’UP (unité de production) comme une unité à base familiale composée d’un ou plusieurs ménages, qui se regroupent autour de l’habitat, des moyens de production et de la consommation courante. Cette triple superposition (habitat, production, consommation) est imparfaite, et les différentes acceptions et définitions de l’UP sont données en annexe 1

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La région étant vaste (env. 75 000 km2) et hétérogène en termes de population (Sénoufos et Miniankas majoritaires à l’Est, avec une plus forte densité de population, Bambaras majoritaires à l’Ouest, avec une très faible densité de population et un clivage entre très gros villages et très petits villages), il s’imposait, pour assurer une relative représentativité, de mener la recherche dans deux zones représentatives de cette diversité, sans pour autant choisir des lieux trop extrêmes.

Dans chaque zone, les villages retenus devaient être à la fois proches géographiquement pour faciliter l’administration du questionnaire, et représentatifs de leur région en termes de culture de coton (taille d’exploitation, et part des terres allouées au coton dans l’exploitation). Nous avons donc évité les villages trop particularisés. Pour nous aider dans la sélection des cercles, des communes et des villages, nous avons rencontré des élus des conseils de cercle et des directions CMDT dans chaque cercle, puis au niveau communal, des élus et les agents des zones de production coton. Nous avons également mobilisé l’étude réalisée par le PNUD sur le classement des communes à l’échelle nationale.5

3.1.1 La zone désenclavée : trois communes dans le cercle de Sikasso

a) Le choix du cercle de Sikasso Le cercle de Sikasso a été retenu car d’une part il est fortement désenclavé (et sur les 43 communes qui le composent, seules 7 sont considérées comme « pauvres » dont une seule comme « très pauvre », par le classement du PNUD), d’autre part il compte une population sénoufo majoritaire, qui est le principal groupe de la région. Au sein du cercle, deux sites ont été retenus : la commune de et les communes limitrophes de Klela/, qui sont trois communes « non pauvres » au sens du classement du PNUD, et disposant d’une infrastructure supérieure à la moyenne des communes maliennes.

b) Les communes de Klela/Gongasso Les deux communes rurales de Klela et Gongasso sont situées dans le secteur cotonnier de Klela, sur l’axe Sikasso-, au nord de Sikasso. Le chef-lieu de commune de Klela lui-même est distant du goudron, mais de nombreux villages sont situés au bord de la route. Le village de Gongasso est lui-même au bord de cette route. La commune de Klela est caractérisée par de très grandes unités familiales, une forte production de coton (5 000 tonnes sur les 15 000 que produit le secteur entier), avec de plutôt gros producteurs. La commune de Klela compte 10 villages, celle de Gongasso 10 villages.

Les deux villages retenus sont situés au bord de la route bitumée qui relie Sikasso à Koutiala/le Burkina, le village de Douna dans la commune de Klela et le village voisin de Deh dans la commune de Gongasso. Douna est considéré par les agents CMDT comme un village à forte production de coton, avec des producteurs motivés et des rendements élevés. Deh, au contraire, a été retenu car présenté par la CMDT comme un village où les agriculteurs sont moins impliqués dans la culture cotonnière, les rendements plus faibles et la production au final moins élevée.

5 Source : Profil de pauvreté des 703 communes du Mali, ministère de de la Solidarité, de l’Action humanitaire et de la Reconstruction du Nord – PNUD, 2014

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c) La commune rurale de Kourouma La commune rurale de Kourouma est limitrophe de celle de Klela mais relève du secteur cotonnier de . Le chef-lieu de commune est situé à 12 km à l’ouest de la route bitumée sur le même axe Sikasso- Koutiala, au nord de Sikasso. La commune de Kourouma est caractérisée par une assez forte production de coton (2 500 tonnes par an), avec des rendements moyens.

Au sein de la commune, deux villages ont été retenus : - Le village de Kougouala, situé à 4 km de Kourouma, gros producteur de coton et marqué par une forte entente, qui compte environ 1 350 habitants - Le village de Djele, légèrement plus distant, moins fort producteur de coton et caractérisé, selon l’agent ZPA de la CMDT, par des problèmes de mésentente voire de mauvaise gestion de la CPC, et qui compte environ 1 150 habitants

3.1.2 La zone enclavée : deux communes dans le cercle de Bougouni

a) Le choix du cercle Le cercle de Bougouni a été retenu car d’une part il est assez fortement enclavé (et sur les 26 communes qui le composent, 12 sont considérées comme « pauvres » dont 5 comme « très pauvres » par le classement du PNUD), d’autre part il compte une population bambara majoritaire, qui est le deuxième groupe de population de la région. Au sein du cercle, le secteur le plus conforme aux TDR a été identifié comme le secteur de , au sud du cercle. Deux sites ont été retenus : les communes limitrophes de et de Dafina, qui sont à la fois très enclavées mais sont situées dans la zone cotonnière, contrairement aux communes plus au sud, limitrophes de la Côte d’Ivoire, plus dans la zone forestière et certainement atypiques par rapport à la région. La commune de Yiridougou est classée comme « pauvre » par le PNUD et celle de Dafina comme « presque pauvre ». Ces deux communes sont situées à une quarantaine de km de piste de Garalo, village lui-même situé à 52 km de piste au sud de Bougouni. Dans les deux communes, les pistes sont peu praticables, surtout en hivernage. Le secteur est marqué par une très forte migration en direction de la Côte d’Ivoire principalement, migration ancienne et freinée par les crises ivoiriennes, toutefois, dans certains villages, plus du tiers des ménages ont migré, ce qui pose parfois de réels problèmes de main-d’œuvre agricole. En parallèle, l’éclatement des familles est assez abouti (2 ménages résidents par UP en moyenne, très inférieur à la moyenne nationale, et notamment sensiblement inférieur à la moyenne de la zone choisie au sein du cercle de Sikasso, avec 3,2 ménages par UP en moyenne).

b) La commune rurale de Yiridougou La commune rurale de Yiridougou compte 16 villages. Les deux villages retenus sont le chef-lieu de commune, Ouroumpala, bourg plutôt important (env. 1 500 habitants), et plutôt bon producteur de coton selon la CMDT, et le village de Mafele, plus petit, distant de 14 km, qui compte moins de 500 habitants et est considéré par les agents de la CMDT et la mairie comme « moins bons producteurs de coton », avec notamment un repli sur le sésame et un faible défrichement de nouvelles parcelles.

c) La commune rurale de Dafina La commune rurale de Dafina compte 8 villages. Afin d’harmoniser les villages avec ceux de la commune de Yiridougou, deux sites ont été retenus : deux quartiers du village de Gomi, qui en compte 4, mais dont deux comptent de plutôt plus grandes UP, moins de migration, plus d’équipement agricole, donc de plus gros et 21

« meilleurs » producteurs de coton, et le village de Dèguèbo, qui compte moins de 500 habitants et est perçu par l’agent ZPA local comme moins performant dans la cotonculture.

3.2 Présentation des sites d’enquête

3.2.1 Présentation des communes retenues Localisation des communes dans leur cercle respectif Les communes du cercle de Bougouni Les communes du cercle de Sikasso

Récapitulatif des infrastructures des communes retenues Cercle Bougouni (enclavé) Sikasso (désenclavé) Commune Yirigougou Dafina Klela Gongasso Kourouma Indice de pauvreté et - 0,09 -0,06 0,08 0,07 0,24 classification PNUD Pauvre Presque pauvre Non pauvre Non pauvre Non pauvre

Nb de localités/villages 16 8 15 10 10 Nb km de pistes rurales 39 40 109 113 97

Nb bornes fontaines et forages 18 4 22 14 19 fonctionnels Nb moyen de forages/bornes 1,1 0,5 1,5 1,4 1,9 fontaines fonctionnels / village Nb d’écoles 1er cycle 12 8 19 10 10 Nb de Cscom/pharmacies 1 + 1 1 + 1 1 + 1 1 + 1 2 + 2

Nb de services techniques 3 3 9 12 11 intervenant dans la commune Nb d’agents de mairie 13 15 22 15 21 * Source : Profil de pauvreté des 703 communes du Mali, ministère de de la Solidarité, de l’Action humanitaire et de la Reconstruction du Nord – PNUD, 2014

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3.2.2 Présentation des villages retenus

Cercle Bougouni (enclavé) Sikasso (désenclavé) Commune Yirigougou Dafina Klela Gongass Kourouma o Village retenu Ouroum- Kougo pana Mafele Gomi Deguebo Douna Deh u-ala Djele Production coton + +/- + +/- + +/- + +/-

3.3 Démarche méthodologique proposée

Pour la réalisation de cette étude, nous avons proposé une démarche méthodologique en 3 phases successives.

3.3.1 Phase 1 : monographies villageoises et base de données socioéconomiques

Pour la première phase, nous nous sommes fixés trois objectifs : - Obtenir des données contextuelles sur le village en lui-même - Etudier le niveau de morcellement des familles (et notamment entre producteurs et non producteurs) et le profil socioéconomique et « socioprofessionnel » des producteurs/non producteurs de coton - Fournir des termes d’identification des cibles et une base de recrutement des participants aux groupes

Nous avons ainsi procédé au recueil des données monographiques sur les villages retenus pour l’enquête et recueilli des données qualitatives sur les deux grands axes d’investigation (organisation économique et structure de la consommation des collectifs familiaux, des ménages et des individus), notamment pour, d’une part, identifier les problématiques importantes, d’autre part, élaborer un questionnaire efficace et pertinent.

Trois outils ont été utilisés : a. Des entretiens avec des « observateurs » (fonctionnaires, agents, relais…) b. Un recensement exhaustif des UP et des ménages qui les composent avec un groupe de personnes ressources. Ce recensement permet d’avoir une première appréciation du village et de son organisation sociale interne. c. Un « entretien village » collectif avec un groupe de personnes ressources

Grille de recensement villageoise pour un recensement exhaustif des UP et des ménages qui les composent (cf. annexe 2) Grille de recensement des infrastructures collectives et notamment des sources de financement de ces réalisations (cf. annexe 3) Guide d’entretien village collectif avec un groupe de personnes ressources (cf. annexe 4)

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3.3.2 Phase 2 : enquête par questionnaire

Il était nécessaire d’appuyer les éléments qualitatifs par des éléments de quantification et d’analyse statistique. Les objectifs attendus de cette phase s’organisent autour des deux axes d’organisation des ressources et de structure de la consommation.

Les UP ont été sélectionnées de façon aléatoire parmi la liste des UP recensées lors de la première phase. L’échantillon est ainsi un échantillon raisonné (sous-échantillons comparables entre les deux zones et entre les villages « performants » ou « moins performants » du point de vue de la CMDT).

L’approche par questionnaire a été menée auprès d’unités de production (UP), avec, au sein de chacune, trois cibles : - Le chef d’UP, pour renseigner sur l’organisation familiale, les ressources collectives, l’organisation du travail - Un homme marié non chef d’UP (frère cadet, fils le cas échéant) dans les UP composées d’au moins deux ménages - Une épouse (de cadet ou du chef d’UP)

Les « cadets », hommes ou femmes, ont renseigné sur leur niveau de pauvreté ressentie, les activités économiques auxquelles ils ont accès à titre individuel ou ménage, la circulation des ressources et l’utilisation des revenus dans la famille et les pratiques de consommation.

Les questionnaires des trois cibles d’une même UP ont été « associés » pour pouvoir être traités comme un seul questionnaire/UP.

Le questionnaire a été élaboré à l’issue de la phase 1 et comportait les sections suivantes : - L’organisation démographique globale de l’UP - L’organisation agricole (production végétale et animale) et activités non agricoles - Les pratiques agricoles (superficie, cultures, raison de ne pas cultiver le cas échéant) - Les biens d’équipement agricoles - Les biens matériels détenus par les UP, les ménages et les individus - Le niveau de pauvreté/richesse perçue et à travers des indicateurs objectifs et subjectifs - La structure de répartition des ressources entre les différents ménages et/ou entre les différentes « cibles » de personnes (chefs d’UP, chefs de ménages non chefs d’UP, épouses) - La structure de consommation (quels montants alloués à quelles dépenses) - Des questions d’opinion sur la redistribution des ressources au sein des UP

Le questionnaire utilisé est présenté en annexe 5.

Sur cette base, 167 UP ont été approchées, et plus précisément, 434 personnes enquêtées : 167 chefs, 100 cadets (car 67 UP sont mono-ménages), 167 épouses de chefs ou de cadets.

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Répartition des 167 UP dans les 8 villages retenus Cercle Bougouni (enclavé) Sikasso (désenclavé) Commune Yiridougou Dafina Sous- Klela Gongasso Kourouma Sous- Ouroum- total Kougou- total Total Villages pana Mafele Gomi Deguebo Douna Deh ala Djele Répartition 20 22 21 17 80 23 22 21 21 87 167 des UP

La saisie des données a été effectuée avec le logiciel CSPRO, et l’analyse sous SPSS par une équipe d’économistes statisticiens de l’INSTAT. Le choix des deux zones d’enquête très localisées, et l’échantillon étant raisonné en termes de poids relatif de chaque village, il n’est ni représentatif de la population des UP ni de la population des individus à l’échelle régionale. En revanche, il permet de dresser des bilans comparatifs sur les principaux critères retenus par l’étude, soit : - La zone enclavée/désenclavée - Les villages estimés « performants » ou non en termes de production de coton par la CMDT, - L’argent reçu lors de la dernière campagne où le coton a été cultivé

L’analyse des données statistiques/quantitatives a permis de distinguer trois types d’UP selon leur production de coton - Des « non producteurs », étant définis comme des UP où le coton n’a jamais été cultivé dans le champ commun au cours des dix dernières années. - Des « petits » producteurs, soit la moitié des producteurs dont les revenus de la dernière campagne où ils ont cultivé le coton sont inférieurs à la médiane, soit 240 000 F CFA. - Des « gros » producteurs, soit la moitié des producteurs dont les revenus sont supérieurs à cette même médiane (il s’agit donc d’une situation relative sans seuil prédéterminé)

La production d’indicateurs tendanciels aux niveaux UP, ménage et individuels (indicateurs agricole, économique, social, de bien-être, de consommation, de vulnérabilité notamment), ont permis de cerner le profil de pauvreté : - En soi, par rapport à la non pauvreté/l’aisance (quels sont les critères différenciateurs, et quels sont ceux qui le sont moins, et pourquoi), - Des différents types de producteurs de coton, et des différents types de pauvreté (structurelle familiale, ou inégalitaire par manque de redistribution) - Des trois cibles (chefs d’UP, cadets hommes, cadets femmes).

3.3.3. Phase 3 : Volet qualitatif d’approfondissement et de compréhension des données statistiques

A l’issue de l’analyse quantitative, deux axes d’investigation se sont clairement distingués :

- Un premier axe concerne les conditions de production de coton, surtout par les « petits » producteurs, avec comme points centraux de problématisation : o Pourquoi et comment ces petits producteurs ne parviennent-il pas à dégager des revenus suffisants de la cotonculture ?

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o Pourquoi dans ces conditions continuent-ils à produire du coton ? Dans quelle stratégie, quelles perspectives, et éventuellement sous quelles influences/de façon orientée par quel discours dominant ? - Cet axe est particulièrement saillant dans la zone enclavée, et a surtout été traité dans les villages du cercle de Bougouni.

- Un second axe concerne, au sein surtout des plutôt « gros » producteurs de coton, la redistribution des ressources monétaires dégagées par la cotonculture avec comme points centraux de problématisation : o Quel est le « parcours » de l’argent du coton au sein des exploitations agricoles ? Le quantitatif permettant de dégager les données objectives, il s’agira de comprendre sur quelles bases le chef d’UP gère cette somme, décide des allocations, entre divers postes de dépense (capitalisation économique, matérielle, sociale, consommation) et entre les membres de son UP/famille (selon le sexe, le statut économique, le statut social et familial) o L’argent du coton est-il différemment perçu de l’argent issu d’autres activités ? Est-il géré différemment ? o Quels sont les facteurs déterminants de cette redistribution ou non des ressources monétaires au sein des UP/familles agricoles ? Quelle est la part des facteurs culturels dominants, géographiques, quelle est celle des cultures familiales ? Quels facteurs influencent l’évolution plus ou moins « redistributrice » des chefs d’UP ? Quelle sont les inégalités, et les tensions potentiellement créées par ces inégalités ? Comment sont-elles gérées, en « positif » (accords, consensus) comme en « négatif » (fuites, désaffections, perte de cohésion…) - Cet axe, particulièrement saillant dans la zone désenclavée, a surtout été traité dans les villages du cercle de Sikasso.

Pour les investigations qualitatives, nous avons identifié, parmi les UP retenues par questionnaire, celles qui correspondaient aux grands types de relation coton – pauvreté/richesse. Nous avons identifié au sein de ces UP des individus ayant des intérêts stratégiques a priori différents, les données recueillies étant ensuite mises en commun, comparées et débattues chaque soir, avec la production d’une synthèse quotidienne. L’exercice a été répété plusieurs jours consécutifs et une synthèse générale, prévue en support d’une analyse de contenu, a été produite en fin de terrain.

Ont ainsi été approchées 21 UP : 9 UP de « gros producteurs » (dont 6 dans la zone désenclavée, où ces producteurs sont majoritaires) et 12 UP de « petits » producteurs (dont 9 dans la zone enclavée, où ces producteurs sont majoritaires) Soit des entretiens approfondis (durée de deux à quatre heures) menés auprès de 51 personnes : 20 chefs d’UP, 12 cadets, 19 épouses

Cf. guides d’entretiens en annexe 6

Note sur la représentativité et la valeur des données recueillies

Cette étude n’a pas été configurée pour obtenir des résultats significatifs sur la population de la région. L’échantillon quantitatif a été raisonné, sur les deux critères de zone (50% en zone enclavée, 50% en zone désenclavée) et de type de villages (50% dans les villages « performants » et 50% dans les villages « peu 26 performants »). Par ailleurs, tous les individus n’ont pas été enquêtés à l’intérieur des exploitations (ont systématiquement été enquêtés le chef d’UP, une épouse, et un cadet chef de ménage pour les UP composées d’au moins deux ménages) ;

Par ailleurs, l’étude n’a été réalisée que dans la région cotonnière ; elle n’offre pas de perspective comparative temporelle ou spatiale si ce n’est entre les deux zones retenues ;

Enfin, les données recueillies donnent à voir la situation à un temps T des producteurs étudiés, soit, en 2015, suite à une période de crise (mauvais rendements, faible rentabilité).

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II- Résultats

1. L’économie familiale, entre économie de subsistance et économie de marché

1.1. L’exploitation agricole, cadre de production du coton, reste un ensemble familial centralisé et hiérarchisé mais de taille toujours plus restreinte Nous nous situons ici dans le cadre d’une agriculture familiale6, avec deux entités constitutives, la famille et l’exploitation agricole. La structure familiale telle que définie par la coutume est celle d’une grande unité familiale sécurisante, organisée autour du chef de famille respecté, chacun étant traité en fonction de son rang dans la famille mais bénéficiant d’une prise en charge de ses besoins essentiels, nourriture, impôt et mariage, notamment. Dans ce contexte, la prise de décision, concernant l’organisation du travail ou la gestion des ressources de la famille, est très centralisée et quelque peu autoritaire.

Aujourd’hui comme hier, l’exploitation familiale est placée sous l’autorité d’un chef d’UP qui organise les activités et gère les ressources, et notamment celles qui concernent le champ commun (foroba), base du centralisme coutumier. Les cadets sociaux ne remettent pas fondamentalement en cause cette organisation intra familiale centralisée et hiérarchisée. « L’avantage du foroba, c’est que les chances s’accumulent, c’est ce que nos vieux nous ont dit. Parce que si on est chacun à part, tu trouveras que certains n’ont pas beaucoup de chance. Mais si on est tous ensemble, les chances vont se cumuler. Quand les chances se cumulent, le moment de baisse de certains va correspondre avec le haut de d’autres. Tout ce qu’on gagne c’est à égalité pour tout le monde, mais c’est le chef de famille qui en a la responsabilité. Si tu as besoin de quelque chose, tu pars lui dire et s’il le veut, il l’achète pour te donner. S’il ne veut pas, il ne l’achète pas. C’est lui qui fait ce qu’il veut. Donc c’est comme si c’est pour lui seul. » Cadet, gros producteur, Djele

Ce modèle traditionnel des grandes familles unies avec un pouvoir centralisé dans les mains du chef de famille reste valorisé voire idéalisé, puisque signe d’entente donc de force. Et l’idée selon laquelle une malédiction poursuit tout membre d‘une famille à l’origine des divisions familiales est bien vivace. Néanmoins, chefs d’UP comme cadets sont conscients que ce modèle ne répond plus à toutes les nécessités. Les besoins croissants des membres de la famille et l’exigence de transparence et d’égalité de traitement revendiquée par les cadets sociaux, le rendent difficilement applicable. Ces besoins créent des tensions, des attitudes de remise en cause de l’autorité du chef qui ne joue plus son rôle de « provider- protecteur ». On exige de plus en plus du chef qu’il rende compte, au moins à ses frères, de la gestion des ressources. « Le chef d’UP ne rendait pas compte à ses frères et faisait ce qu’il voulait, lui et ses enfants, avec cet argent. Donc moi, en tant que chef de famille, j’ai dit que cela ne va pas marcher. Il pouvait vendre un bœuf ou des céréales sans rendre compte à personne. » Cadet, gros producteur, Kougouala

« Avant, nous avions les yeux fermés. Mais depuis que j’ai fait de l’alphabétisation, j’ai commencé à noter tous nos gains et toutes les dépenses. Et je voyais que le grand frère disait que l’argent est fini alors que nous n’avions pas fait de réalisations. C’est à partir de là qu’on a commencé à lui poser

6 L’agriculture familiale désigne des formes d’organisation de la production agricole caractérisées par : i) l’existence de liens organiques entre l’économie domestique de la famille et celle de l’unité de production ;ii) la mobilisation effective du travail familial sans le recours au salariat permanent 28

des questions et il n’arrivait pas à justifier l’utilisation de l’argent. J’ai décidé de partir de mon côté. » Chef d’UP, gros producteur, Kougouala.

Ce collectif, en termes de famille comme en termes d’exploitation, est sujet à segmentation, d’une génération à l’autre, lorsque le collectif devient trop grand (et souvent, dans le milieu considéré, les enfants de même père voire de même mère créent une unité autonome), en cas de situations de pauvreté, le chef étant obligé de libérer les chefs de ménage par incapacité de les prendre en charge, ou en cas de mésentente (départ volontaire d’un cadet ou exclusion plus autoritaire par le chef). Les divisions s’organisent alors souvent selon un schéma « classique » de fratries, mais de plus en plus fréquemment entre ménages seuls. « Nous étions nombreux et la famille était pauvre. Les gens avaient refusé de travailler, ils se promenaient et ne prenaient pas le foroba au sérieux ; ils partaient faire du commerce pour eux- mêmes et chacun a cherché à faire son champ de son côté, sans rien dire aux autres. C’est comme ça que nous nous sommes séparés. Les animaux que nous avions étaient laissés à eux-mêmes et nous en avons perdu beaucoup. » Chef d’UP, petit producteur, Kougouala

« Ils se sont séparés de mon père parce qu’il n’avait pas de frère de lait. Il était le seul garçon de sa mère. Ils l’ont laissé par égoïsme, alors que nous, ses enfants, étions encore petits. » Chef d’UP, petit producteur, Mafele

La tension entre nécessité de maintenir un collectif sécurisant sans lequel il n’est pas possible de produire, et velléités d’indépendance des chefs de ménage, se traduit par la fragmentation accrue des familles et ainsi la taille de plus en plus réduite des unités de production. En effet, si l’autorité paternelle reste difficilement contestable, l’autorité au sein d’une fratrie, entre ainés et cadets, est plus souvent contestée. Il est souvent difficile aujourd’hui pour un chef de famille de maintenir son autorité durablement sur plus de 2 ou 3 ménages. Ainsi, dans les deux zones que nous avons étudiées, les exploitations familiales sont de taille variable, avec un pourcentage non négligeable de petites entités de 2 à 3 ménages, voire des UP mono ménages, avec une logique zone largement perceptible. D’autres études portant sur le bassin cotonnier l’ont déjà mis en évidence7, l’éclatement des familles est particulièrement prononcé dans la zone enclavée où 46% des UP sont en mono-ménage contre 33% dans la zone de Sikasso (soit un ménage sur 5 à Bougouni, et un sur 12 à Sikasso). On peut penser que la disponibilité des terres dans la zone de Bougouni et l’arrivée importante de migrants8 expliquent cet état de fait. A contrario, dans la région de Sikasso, la pression sur les terres rend plus difficile à la fois l’installation de nouveaux migrants, la division des terroirs familiaux ou le défrichement de nouvelles parcelles en cas de fragmentation des UP.

7 Quel avenir pour les agricultures familiales d’Afrique de l’Ouest dans un contexte libéralisé ? Jean-François Bélières, Pierre-Marie Bosc, Guy Faure, Stéphane Fournier, Bruno Losch, Dossier no. 113 ; Diversités des agricultures familiales de par le monde, exister, se transformer, devenir. 2015, Coordinateurs : J.F Belières, Pierre-Marie Bosc 8 Croissance démographique, développement de la culture du coton et gestion durable des ressources naturelles en zone Mali sud, 2006

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Récapitulatif par village : recensement des UP et des ménages, à l’exclusion des ménages en migration Cercle Bougouni (enclavé) Sikasso (désenclavé) Commune Yiridougou Dafina Klela Gongasso Kourouma Total Ouroum- Kougou- Villages pana Mafele Gomi Deguebo Douna Deh ala Djele

Nb d’UP 105 33 108 19 35 73 64 35 472 Nb de ménages résidents* 207 76 204 50 153 152 184 174 1200 Nb moyen de 2,0 2,3 1,9 2,6 4,4 2,1 2,9 5,0 2,5 ménages résidents*/UP 2 ménages par UP 3,2 ménages par UP

Présentation des UP de l’échantillon, en tant qu’unité familiale Ensemble Bougouni Sikasso

Nombre d’UP de l’échantillon 167 80 87 % UP échantillon 100% 48% 52%

Nombre de ménages 516 174 342 % ménages échantillon 100% 34% 66% Nombre de personnes dans l’UP 22 17 26

Nb moyen ménages/UP 3,1 2,2 3,9 Proportion mono ménages 13% 21% 8%

UP avec 1 ménage 40% 46% 33% UP avec 2 ou 3 ménages 27% 35% 21% UP avec 4 ou 5 ménages 18% 15% 21% UP avec 6 ménages et plus 15% 4% 25% Total 100% 100% 100%

Or la taille de l’exploitation familiale n’est pas sans conséquences sur l’organisation du travail, les conditions de production et surtout sur la sécurisation des conditions de vie. Les UP mono-ménage représentent souvent des configurations à risque puisque plus vulnérables aux aléas climatiques, économiques ou même sociaux, nous le verrons.

1.2 L’exploitation du champ commun, base de la sécurisation familiale, exige un certain niveau de capital humain, matériel et financier.

Cette structure familiale centralisée, qui a su résister à plusieurs décennies de culture cotonnière, se matérialise par la culture d’un champ commun, le foroba, autour duquel l’économie familiale s’organise. Ce champ mobilise la plus grande partie des terres cultivées (80%).

Présentation des UP de l’échantillon en tant qu’unité Zone enclavée Zone désenclavée économique (Bougouni) (Sikasso) Ensemble UP avec terres disponibles 73% 49% 60% Superficie moyenne cultivée d’une exploitation 10 ha 18 ha 14 ha Superficie du champ commun 8 ha 15 ha 11,5 ha

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Dans le champ commun, les producteurs se diversifient plus ou moins autour de deux principales spéculations, le maïs et le coton, avec en moyenne, 5,2 spéculations par UP cultivées. Parallèlement à la production céréalière, les exploitations développent toutes des cultures de rente, coton, fruitiers (anacardiers, manguiers), sésame, soja et arachide. Le nombre de spéculations cultivées est peu différent entre petits et « gros » producteurs (5,1 vs. 5,5), en revanche les « petits » producteurs sont plus nombreux à cultiver le sésame et le soja, qui semblent souvent considérés comme des spéculations de « sécurité » face à l’incertitude sur les revenus du coton. « Moi (en plus du coton) je cultive 8 hectares, un hectare de maïs, deux hectares d’arachide, 2 de fonio et 3 de sésame. Je suis maçon pendant la saison sèche, et avec cet argent, j’achète des engrais. J’ai récolté 800 kilos de sésame cette année. Il est plus intéressant de faire du sésame, le travail est facile, mais le prix n’est pas garanti. Cette année ils avaient dit qu’ils allaient acheter à 1 000 francs et ils ont commencé à 500 francs. » Chef d’UP, petit producteur,

« On a 18 hectares tout en champ commun, on fait du coton, du mil, du sorgho, du maïs, de l’arachide, du haricot, du riz, du soja, des mangues et des oranges. C’est l’environnement qui fait ça, on diversifie. Quand tu cultives plus de variétés, tu peux perdre sur une mais pas sur l’autre, et différemment l’année d’après. Les céréales, on n’a jamais perdu, on peut vendre jusqu’à deux tonnes de sorgho par an. En 2014, cela a rapporté 250 000 francs. On vend en juillet quand on voit que le stock qui reste va suffire. On avait produit aussi une tonne de soja, on l’a vendue 280 000 francs. Cette année avec le soja, on n’a même pas récolté 100 kilos et cela n’a pas rapporté plus de 30 000 francs » Fils de chef, gros producteur, Djele

% des UP produisant les principales spéculations cultivées dans la zone

100%

75%

50%

25%

0%

Petits producteurs Gros producteurs

Dans notre échantillon, 90 % des UP enquêtées produisent du coton, ne serait-ce qu’occasionnellement, et le recensement des UP des 8 villages indique que seulement 20% des UP ne produisaient pas de coton pour la campagne en cours, et ce sont surtout de petites UP. Près du tiers des terres cultivées sont allouées au coton dans la zone désenclavée contre près du quart dans la zone enclavée, où l’introduction de la culture du coton est plus récente. Enfin, sur son champ commun, une UP consacre en moyenne 4,6 hectares au coton. Face à des besoins monétaires croissants, produire du coton n’est pas un choix mais presque une obligation.

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Récapitulatif par village : recensement des cotonculteurs Cercle Bougouni (enclavé) Sikasso (désenclavé) Commune Yiridougou Dafina Klela Gongasso Kourouma Total Ouroum- Kougou- Villages pana Mafele Gomi Deguebo Douna Deh ala Djele

Nb d’UP 105 33 108 19 35 73 64 35 472 Nb d’UP ayant cultivé le coton en 2014 69 32 64 18 34 61 64 34 376 % de l’ensemble UP 66% 97% 59% 95% 97% 84% 100% 97% 80%

La culture du coton impose un collectif à même de mobiliser plusieurs types de ressources : une main- d’œuvre importante et un équipement conséquents, disponibles au sein de l’UP ou à défaut contre paiement (location tracteurs ou attelage, salariés pour les labours, le désherbage ou la récolte essentiellement), et une capacité d’investissement importante dans l’équipement productif, qu’un collectif peut plus aisément dégager. Elle impose également une prise de crédit conséquent pour l’accès aux intrants. Elle est donc étroitement contrôlée par le chef d’UP et cultivée presque exclusivement dans le champ commun.

Principaux indicateurs de la culture du coton selon la Zone enclavée Zone Ensemble zone (Bougouni) désenclavée (indicatif) (Sikasso) % UP cultivant ayant cultivé le coton en 2014-15 84% 97% 90%

% terres cultivées allouées au coton (total UP) 23% 32% 29% % champ commun alloué au coton (total UP) 29% 39% 36% Superficie moyenne du champ de coton pour les UP 2,8 ha 6 ha 4,6 ha cultivant le coton Production moyenne en kilos 2 584 6 177 4 543 Rendement du coton en kilos par ha 923 1 030 993

La main-d’œuvre familiale « gratuite » : une ressource épuisable et des alternatives coûteuses Réunir les conditions indispensables à la production du coton représente un vrai challenge pour les chefs UP, avec la préoccupation constante de maintenir une cellule familiale efficace en termes de production. Il faut également satisfaire dans la mesure du possible les attentes des membres, et notamment des chefs de ménage « subordonnés », souvent désireux d’obtenir à la fois des conditions de travail moins pénibles et une forme d’indépendance économique. Peu de chefs d’UP (à peine plus du tiers) déclarent disposer de suffisamment de main-d’œuvre, et à Bougouni surtout cette main-d’œuvre n’est pas toujours disponible (travail autonome des jeunes, migration vers l’orpaillage ou d’autres destinations). On n’hésite plus à faire appel à de la main-d’œuvre journalière ou salariée pour les travaux pénibles ou pour faire face en période de surcharge, quand les différentes spéculations cultivées exigent une masse de travail que la famille seule ne peut accomplir. Les petites UP, de plus en plus nombreuses, sont particulièrement confrontées à un manque de main- d’œuvre, avec pour conséquences, une mobilisation accrue des femmes de la famille dans le champ

32 commun. Dans ce cas, le recours à de la main-d’œuvre salariée, alourdit singulièrement des coûts de production déjà élevés, au risque même de compromettre le bénéfice si l’année s’avère mauvaise.

Des moyens de production dont il devient difficile de se dispenser Les stratégies mises en œuvre par les ménages pauvres ou les cadets, hommes ou femmes, pour compenser le manque d’équipement (travailler à la journée dans d’autres exploitations) sont coûteuses voire pénalisent souvent la campagne suivante. Les UP cherchent ainsi à s’affranchir de telles pratiques. « Je n’ai pas de bœufs. Mon enfant qui va tenir les cordes des bœufs de quelqu’un. S’ils font 4 jours de travail dans le champ de ce monsieur, ils viennent travailler dans mon champ le 5ème jour avec la charrue. C’est ainsi que mes champs sont labourés. Cette année, avec ce système, je ne finirai pas à temps. C’est pour ça que j’ai réservé une somme pour la donner à un propriétaire d’attelage pour qu’il vienne travailler dans mon champ. Cela me permettra d’avancer dans le travail. » Chef d’UP pauvre, Mafele

Le manque chronique de main-d’œuvre amène certains chefs, voire certaines communautés villageoises, à créer des systèmes de stabilisation des jeunes, notamment par la libéralisation des activités et les activités autonomes (embouche), ou par l’autorisation du travail salarié dans les UP sans main-d’œuvre disponible. « L’élevage qui se pratique ici chez nous est peu pratiqué dans les autres villages. Nos jeunes font l’élevage ou l’embouche alors que les jeunes des autres villages partent pour l’orpaillage ou à Bamako pour faire du maraîchage. Les jeunes de notre village restent pour faire l’embouche. Nous avons pu canaliser nos jeunes vers cette activité. » Entretien village, Kougouala

« Ce qu’ils partent chercher là-bas ils peuvent en trouver ici. Quand ils font l’agriculture ce qu’ils gagnent ils font l’élevage avec ça comme le petit bétail et la volaille. » Entretien village, Douna

« Chez nous c’est un système qui a été mis en place dans le but d’aider les gens qui n’ont pas assez de main œuvre. Quand tu vois l’argent qu’ils gagnent tu sauras que ce n’est pas pareil au travail qu’ils font. 20 personnes peuvent aller chez quelqu’un pour aller cultiver. Les jeunes 10 000 pour les mariés, ceux qui ne sont pas mariés on leurs donne 7 500 francs. » Entretien village, Douna

De fait, et dans la zone cotonnière en général, le niveau d’équipement des UP est largement supérieur aux standards nationaux, grâce à la culture du coton, comme l’attestent différentes études statistiques et les témoignages que nous avons recueillis. « J’ai commencé à faire du coton car je n’avais pas d’équipement. Si tu fais du coton, la CMDT te donne des équipements à crédit. J’ai pu ainsi avoir une charrette, des tôles pour la maison et un âne aussi. » Chef d’UP pauvre, Ouroumpana

Dans notre échantillon, la plupart des UP dispose de matériel de production même si l’équipement n’est pas toujours complet. Equipement agricole des UP par zone Zone enclavée Zone désenclavée Ensemble (Bougouni) (Sikasso) UP équipées de tracteur 4% 1% 8% UP avec attelage complet 78% 68% 87% UP avec attelage incomplet 10% 13% 7% UP sans bœuf ni charrue 13% 19% 6% UP avec au moins un bœuf de labour 83% 73% 92%

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UP avec au moins une charrue 87% 80% 94%

Les grandes familles ont presque toutes au moins un attelage complet. A l’inverse, plus du tiers des mono ménages doivent encore cultiver à la daba, louer/emprunter des bœufs, etc.

Equipement des UP selon le nombre de ménages (1 ou plusieurs) UP mono- UP multi- ménages ménages Total Au moins un attelage complet 62% 92% 78% Un attelage incomplet 15% 4% 9% Ni bœuf ni charrue 23% 4% 12% Total 100% 100% 100%

Par ailleurs, dans la région, et notamment dans la zone de Sikasso, le passage à une culture permanente est ancien et impose un amendement annuel des terres, avec une utilisation massive d’intrants, herbicides et engrais notamment. Ils facilitent le travail et améliorent la productivité, surtout avec la culture du maïs, devenue le pilier de l’alimentation. L’appauvrissement constant des terres et le coût des engrais chimiques entraînent une réintroduction progressive et timide de la fumure organique, jugée très contraignante et souvent abandonnée avant qu’elle ne devienne indispensable. Le souci de limiter l’endettement auprès de la CMDT amène aussi de nombreux producteurs à l’achat d’intrants au comptant auprès des commerçants.

1.3 La pression exercée sur le champ collectif freine la libéralisation de l’accès attendu aux moyens de production des cadets sociaux des chefs de ménage dépendants.

Dans les deux zones, on note une libéralisation variable des conditions d’accès aux moyens de production et aux ressources des chefs de ménage dépendants. Le champ commun doit mobiliser prioritairement à la fois les terres disponibles, les ressources humaines et matérielles. Dans ce contexte, permettre aux cadets hommes l’accès à des champs individuels est considéré comme un luxe ou un risque que tout le monde ne peut ou ne veut pas se permettre. « Si tu laisses faire les champs individuels, tu trouveras que certains arrivent très tardivement dans le champ commun. C’est pour ça que les vieux n’acceptent pas cette façon de faire. Parce qu’à la fin, chacun ira travailler de son côté. Si vous devez cultivez des champs individuels, le mieux pour vous c’est de vous séparer et que chacun fasse pour lui. » Chef d’UP, gros producteur, Djele

« Nous n’avons pas atteint un niveau qui nous permet de faire des champs individuels. Ce sont les grandes familles qui peuvent faire des champs individuels. Tout ce que ma femme cultive, elle me le donne. Je n’ai qu’un seul jeune. Est-ce qu’il peut faire le champ commun et un champ individuel ? Ce n’est pas possible, il va rater un champ. Quand les gens font l’individuel, dis-toi que le champ commun va disparaitre un jour. Ils vont arriver au champ commun quand le soleil est déjà haut, ils y arrivent fatiguer et ne peuvent plus rien faire. » Chef d’UP pauvre, Kougouala

« C’est quand vous êtes nombreux que vous pouvez faire des champs individuels. Dans une grande famille, il y a forcément des injustices dans la gestion de l’argent et les champs individuels permettent de compenser. Mais quand vous n’êtes pas nombreux, ce que vous gagnez est géré devant tout le monde et personne n’accuse personne. » Cadet, UP pauvre, Kougouala

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De fait, dans cette zone cotonnière, les superficies allouées aux champs individuels restent faibles. La « coutume » des deux zones étudiées intègre les champs individuels pour les femmes mariées presque systématiquement, moins souvent pour les cadets. Les femmes disposent généralement de petites parcelles, essentiellement pour faire face aux charges familiales qui leur incombent, mais dans un contexte de concurrence des calendriers agricoles et face à l’exigence de la culture coton, en temps de travail et en main-d’œuvre, l’accès aux champs individuels pour les cadets hommes reste très limité.

Zone Zone Présentation des UP de l’échantillon en tant qu’unité Ensemble enclavée désenclavée économique (Bougouni) (Sikasso) UP avec champs individuels hommes et femmes 89% 89% 88% Superficie moyenne allouée aux champs individuels 2,5 ha 2 ha 3 ha Nombre de travailleurs dans l’UP 11,9 9,2 14,3

Ainsi, 37% des cadets hommes enquêtés ont un champ individuel et dans la zone de Bougouni, la tendance au champ individuel est plus forte et les surfaces des champs individuels (par travailleur), plus grandes. En moyenne, 2 spéculations par champ sont cultivées dans les champs individuels. Dans les champs individuels hommes, les cultures vivrières telles que le maïs sont parfois cultivées mais elles laissent souvent la place aux cultures de rente qui permettent de dégager des revenus individuels.

% de personnes cultivant les Champ commun Champ épouses Champ cadet différentes spéculations par cible homme Céréales Maïs (Bougouni ++) 93% 8% 25% Riz 35% 60% 3% Sorgho (Sikasso ++) 42% 16% 17% Mil (Sikasso ++) 46% 1% 6% Fonio 4% 27% 6% Spéculations de rente Coton 87% / 8% Sésame (Bougouni ++) 28% 37% 58% Autres (soja ++, Sikasso + +) 17% 13% 11% Anacarde, mangue et autres fruitiers 19% / 9% Tubercules 7% / 6% Spéculations « mixtes » Arachide (Bougouni ++) 56% 45% 33% Haricot (Bougouni ++) 17% 13% 6% Gombo 2% 31% / Piment, échalote et autres produits de 3% 20% 3% maraîchage

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Récapitulatif par village : recensement des cotonculteurs, chefs UP et cadets Cercle Bougouni (enclavé) Sikasso (désenclavé) Commune Yiridougou Dafina Klela Gongasso Kourouma Total Ouroum- Kougou- Villages pana Mafele Gomi Deguebo Douna Deh ala Djele

Nb d’UP 105 33 108 19 35 73 64 35 472 % d’UP ayant cultivé le coton en 2014 66% 97% 59% 95% 97% 84% 100% 97% 80% % cadets cotonculteurs 3% 0% 0% 0% 3% 0% 4% 1% 2%

Les petits producteurs accordent plus souvent des terres aux hommes (la moitié des UP multi-ménages de petits producteurs contre le tiers chez les gros producteurs) et de plus grandes parcelles (0,5 ha en moyenne, contre 0,4 pour les gros producteurs), et ceux-ci en corollaire cultivent plus de variétés (2,3 vs. 1,4, à corréler avec le fait que ces derniers sont plus nombreux dans la zone enclavée, où l’accès des cadets à la terre est plus facile). Les hommes cultivent en général des spéculations de rente, destinées à fournir des revenus propres au ménage. La culture du coton par les cadets reste toutefois très rare, en revanche elle est plutôt effectuée au sein d’UP de gros producteurs, et les entretiens qualitatifs montrent qu’il s’agit- il parfois d’UP en « transition » voire presque au stade de l’éclatement, où certains cadets ont entamé leur autonomisation.

% de cadets cultivant les principales spéculations cultivées dans la zone Epouses Hommes mariés

70% 70% 60% 60% 50% 50% 40% 40% 30% 30% 20% 20% 10% 10%

0% 0%

Riz

Maïs

Fonio

Autres

Sorgho

Piment

Haricot

Gombo

Sésame Arachide

Petits producteurs Gros producteurs Petits producteurs Gros producteurs

*Total spéculations maraîchage, fruitiers, tubercules

La mobilisation de la main-d’œuvre féminine Dans la région de Sikasso en général, et depuis toujours, les femmes sont mises à contribution dans le champ commun, pour semer le coton, le maïs et les arachides, pour désherber et récolter. Avant, leur implication était lourde et en contrepartie, les hommes se mobilisaient pour cultiver dans les champs des femmes.

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La collaboration entre hommes et femmes dans les travaux des champs a changé. Mais les femmes s’investissent toujours dans des groupes de culture qui travaillent dans les champs des hommes contre rémunération. « Avant hommes et femmes travaillaient ensemble dans le champ commun et les hommes travaillaient chez les femmes. Quand une personne t’aide à travailler ton champ, toi aussi tu es obligé d’aller l’aider à travailler son champ. Aujourd’hui, chaque femme cherche sa poche, et travaille pour elle-même. Si les femmes partaient dans les champs des hommes, on allait tout faire pour elles. Mais puisque les femmes ne partent pas dans les champs des hommes, nous aussi nous ne partons pas dans leur champ. C’est comme ça que les choses sont. » Chef d’UP, Mafele

« Ici dans notre village les groupes de femmes qui se constituent pour travailler chez les gens sont innombrables. Nous qui sommes leur mari, elles ont peu de jour pour travailler dans notre champ à plus forte raison travailler dans leur champ. Si jamais tu laisses ton champ en comptant sur l’aide de tes femmes, tu le regretteras. C’est un ton qu’elles font entre elles et tout homme qui interdit sa femme d’y participer récoltera toutes sortes de haine dans le village. Quand un homme n’arrive pas finir son champ, il fait appel au ton des femmes pour désherber son champ. Les femmes passent tout l’hivernage à travailler ainsi dans les champs des hommes. Elles sont payées. Mais le ton travaille à tour de rôle chez les femmes membres du ton, ça c’est gratuit. La femme est libre d’amener le ton travailler dans le champ de son UP quand son tour arrive ou de l’amener dans le champ d’une autre personne et elle prend cet argent. Chacun a donc son tour ; Après les tours, les gens les payent pour qu’elles travaillent chez eux. Elles gardent cet argent dans leur caisse. Donc toutes les femmes sont obligées d’y participer. On paye 250F par personne. Si c’est 10 personnes tu payes pour 10 personnes et si c’est 20 personnes tu payes 250 F fois 20. » Epouse de chef, UP pauvre, Mafele

Aujourd’hui, même si les femmes s’investissent moins dans le champ commun, leur contribution reste essentielle et dépend de leur âge et de la taille de la famille. Dans la grande famille, le système de tour de rôle entre femmes, donne plus de temps à chacune d’elles de cultiver pour satisfaire ses propres besoins. Dans les petites familles, en manque de main-d’œuvre ou de ressources pour payer du personnel salarié, les femmes sont largement mobilisées dans le champ commun et les produits qu’elles récoltent dans leurs champs individuels sont essentiellement utilisés dans la consommation familiale. « Dans la grande famille, je ne cuisinais plus et je ne travaillais plus au champ commun. Quand mon mari s’est séparé de ses frères, ce qui a changé en mal c’est que j’ai dû recommencer à travailler et je suis très fatiguée. » Epouse de chef, petit producteur, Kougouala

« Je ne cultive qu’un hectare de riz parce que je n’ai pas assez de force pour cultiver plus. Nous cultivons dans le champ de notre mari, c’est pour ça on ne peut pas faire autre chose. Nous faisons le semis, un peu de désherbage, nous faisons aussi la récolte du maïs et nous enlevons les feuilles de maïs et nous le mettons dans les sacs. » Epouse de chef, UP pauvre, Mafele

De fait, aujourd’hui, les femmes peuvent difficilement ou tardivement mobiliser les outils de production de leur UP et achètent leurs propres intrants. Elles sont peu aidées dans la mise en valeur de leurs parcelles individuelles. Les plus âgées bénéficient de l’appui de leurs fils, en dehors des heures consacrées au champ collectif, et de la main-d’œuvre gratuite mais occasionnelle de leur ton de culture. Elles sont souvent contraintes de faire appel à de la main-d’œuvre salariée. Par ailleurs, et nous le verrons plus loin, les ressources qu’elles tirent de leurs activités sont largement mobilisées pour la consommation familiale. 37

« Mon inquiétude c’est l’alimentation des enfants, car mon mari n’a pas de main-d’œuvre. Ma coépouse est malade, c’est moi qui prends en charge tous les 9 enfants. » Epouse de chef, petit producteur, Ouroumpana

Le produit des ventes de céréales, beurre de karité ou soumbala, est souvent réinvesti soit dans la consommation familiale, soit dans l’outil de production et la préparation de la campagne à venir (achat d’intrants, salaires de travailleurs journaliers).

1.4 La diversification indispensable des sources de revenus : une faible mobilité intersectorielle locale et la contribution essentielle de la migration

La concurrence des calendriers agricoles est réelle et limite par conséquent l’accès des cadets à des activités agricoles individuelles. Travailler comme journalier pour autrui est une source de revenu assez courante (en saison sèche ou saison pluvieuse surtout), pour les hommes comme pour les femmes. Néanmoins, ces activités se font à défaut, car très faiblement rémunératrices, et souvent en soutien au collectif, notamment en cas de situation difficile et de vulnérabilité de la famille. Ainsi, pendant les années difficiles, les femmes s’emploient comme salariées agricoles pour aider les hommes de leur UP. « L’année où il y a eu manque de nourriture dans le foroba, on a utilisé notre fonio et notre riz. Nous partions aussi cultiver chez les gens pour avoir ces céréales qu’on préparait pour toute la famille parce que les hommes n’avaient rien. Les hommes partaient travailler dans le champ commun et nous chez les gens pour avoir de la nourriture pour tout le monde. » Epouse, UP pauvre, Mafele

« Nous travaillons chez les gens pour avoir de l’argent pour nos besoins. On est payé 300 francs par jour pour travailler dans les champs de riz, de fonio et nous désherbons aussi de midi au crépuscule. Lorsque les hommes partent travailler, eux c’est 1000 francs de 8 h à 16 h pour le désherbage et le semis. Il nous arrive aussi de partir travailler chez l’agent de santé quand nous avons des malades. Nous avons un aide-soignant qui traite les gens ici. Quand nous n’avons pas d’argent, il nous soigne et nous partons faire un jour de travail chez avec la charrue, à raison de 5000 francs par jour. » Epouse, UP pauvre, Mafele

Si les chefs d’UP contrôlent largement les activités agricoles et l’accès des cadets sociaux aux activités économiques autonomes, ils sont aujourd’hui dans l’obligation de laisser ces derniers développer, lorsqu’ils n’ont plus besoin d’eux pour les travaux des champs, des activités génératrices de revenus, lesquelles peuvent être agricoles ou non agricoles. Cela présente un double avantage. D’une part cela permet la diversification des sources de revenus de la famille dans un contexte où le collectif n’est plus en mesure d’assurer l’ensemble des besoins croissants des membres de la famille. D’autre part cela permet de satisfaire partiellement le besoin d’indépendance économique des cadets sociaux, notamment des chefs de ménage. Mais les possibilités de mobilité intersectorielle restent très limitées, les marchés de proximité étant peu développés en dehors du salariat agricole. Les activités les plus courantes sont bien sûr le petit élevage, les activités de cueillette, pêche, chasse ou charbonnage, le commerce de céréales, de poulets ou petits ruminants, à son propre compte ou au compte d’un revendeur, et enfin les activités de petit artisanat comme notamment la maçonnerie ou la réparation (motos, vélos, pneus, appareils électriques,…). « Je fais de l’élevage, dans cette famille tous les hommes font de l’élevage et de l’embouche, chacun achète ses animaux. L’année dernière j’ai vendu trois moutons à 35, 40 et 50 000 francs, j’achète le

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son, ça m’a fait 60 000 francs de bénéfice. J’élève aussi des pigeons. » Fils de chef, gros producteur, Djele

« Je fais l’élevage de poulets et de pintades, j’en ai presque 1 000, c’est avec ça que je paie toutes mes dépenses. » Neveu de chef, gros producteur, Djele

« Je voudrais préparer l’avenir, faire une plantation de fruitiers et ensuite faire de l’élevage pour préparer l’avenir de mes enfants, je n’ai pas encore commencé car j’ai peu de moyens, la seule source de revenus pour moi c’est le coton, je n’ai pas de champ individuel, mon seul travail, c’est faire le bouffon à Sikasso, mais j’aimerais arrêter. » Frère de chef, gros producteur, Kougouala

Activités non agricoles des cadets selon le type de producteur Petits Gros producteurs producteurs % de cadets actifs pratiquant une activité de commerce 13% 8% % de cadets actifs pratiquant une activité artisanale 24% 21% % de cadets actifs pratiquant une activité rémunérée/salariée 3% 6%

Cette diversification des sources de revenus reste limitée, peu organisée, et peu soutenue par la famille. Au final, elle est jugée souvent insatisfaisante pour les cadets sociaux qui font part d’une certaine frustration, d’autant que le mode de prise de décision au sein des familles évolue peu à peu vers plus de collégialité. Les aspirations pour les jeunes générations passent par une meilleure scolarisation, permettant d’accéder au marché du travail urbain, non agricole. « Moi je ne peux plus étudier mais les enfants peuvent étudier. Je leur dis d’étudier pour devenir enseignant, gendarme, président, ministre. Les études, c’est du travail aussi. » Chef d’UP, Mafele

Les cadets des familles de petits producteurs exercent plus souvent des activités non agricoles, mais apparemment ces activités sont peu rentables et leurs revenus moins importants.

Dans ce contexte, la contribution de la migration dans les cycles de vie et les systèmes d’activité est essentielle.

L’exode demeure ainsi un pilier de l’économie locale. On peut considérer deux principaux types de migration : - L’installation à l’extérieur du village ou du pays, sur le long terme ou définitivement, de personnes de la famille. Ces personnes, insérées dans d’autres marchés de l’emploi sont pourvoyeuses de ressources financières, réalisent des investissements au village ou dans leur famille d’origine, et constituent en outre un pôle d’accueil en ville pour les membres de la famille, en cas de scolarité, de traitement médical ou autres. Les liens sociaux et économiques entre la famille et ce pôle sont réels et dynamiques. - Les migrations temporaires pendant la saison sèche des cadets hommes, permettant généralement de payer la dot pour un mariage, l’achat équipements, individuel ou familial. Nous avons recueilli de multiples mentions de ces échanges et mesuré l’apport économique conséquent et souvent indispensable que cela représente. Dans tous les cas, la migration constitue une ouverture sur d’autres opportunités, souvent mieux rémunérées et représente un des piliers de l’économie familiale encore aujourd’hui, malgré le coton et quelquefois à cause du coton (le coton pouvant financer des migrations). Elle répond au souci des paysans de diversifier leurs revenus et de s’extraire des contraintes et limites du marché local, lorsque le départ du 39 migrant est décidé de manière consensuelle et concertée mais elle peut constituer une opportunité pour les cadets d’échapper aux tensions familiales et à un pouvoir trop centralisateur, lorsqu’elle s’ancre dans un conflit de générations (village de Djele surtout, où les cadets refusent la faible redistribution de l’argent du coton). Dans ce cas, elle intervient indépendamment du calendrier agricole, pénalise les exploitations et occasionne, soit des arrêts temporaires ou définitifs de la cotonculture, soit la restriction des parcelles cultivées et des rendements. Le cas de la migration vers les placers, fort attractive pour les cadets, constitue une forme de migration dont les familles subissent plus les effets négatifs (retour tardif des hommes, retour avec fatigue et maladies) qu’elles n’en perçoivent le bénéfice. La migration sur Bamako, dans les villes de la région et en Côte d’Ivoire restent les destinations privilégiées. Elle est deux fois plus importante (notamment vers la Côte d’Ivoire) rapportée au nombre de ménages, en zone désenclavée qu’en zone enclavée.

« Je suis parti en RCI car c’était le moment. Si je ne partais pas je n’allais pas savoir où va le monde. La vie c’est comme ça, j’étais allé chercher un peu de fortune et… l’aventure c’est comme ça, ça corrige les aventuriers. Ils connaissent le monde et comprennent les choses. Si tu arrives à respecter les droits de l’homme, tu arriveras à t’en sortir. Même si l’on ne gagne pas la fortune, on peut gagner de l’expérience. Nous avons vu beaucoup de choses et nous avons eu beaucoup d’expériences. » Jeune chef d’UP pauvre, Mafele

« J’autorise les jeunes qui le demandent à partir car s’il y a trop de charges, tout le monde ne peut pas rester sur place. Mais quand tu pars, tu m’aides à faire avancer la famille. » Chef d’UP, Mafele,

« J’ai deux frère en migration, un à Baroueli, l’autre en Côte d’Ivoire. On a trouvé l’idée intéressante de les faire partir pour diversifier les ressources. » Fils de chef, gros producteur, Djele

« Moi je mets mes enfants à l’école, certains vont rester mais d’autres vont partir, je suis un paysan, je dois pouvoir être aidé pendant les mauvaises périodes. » Chef d’UP, petit producteur, Mafele

« Dieu merci, aujourd’hui avec mes 3 fils en migration, je n’ai plus peur. Si l’un ne donne pas, l’autre va donner. L’un est à Sikasso, l’autre en Côte d’ivoire et le troisième à l’orpaillage. Avant le début de l’hivernage, ils font chacun leur contribution. Ils ne viennent pas cultiver mais je ne leur ai pas demandé cela non plus. D’autres enfants sont là et lorsque cela ne va pas, je sais qu’ils peuvent m’aider, étant là-bas. » Chef d’UP, gros producteur, Kougouala

« J’étais pousse-pousse à Bamako. J’ai pu avoir quelque chose là-dedans. Je n’ai jamais fait un mauvais exode, ça marche toujours avec moi. J’avais fait 6 mois de pousse-pousse et j’avais eu plus de 150 000 francs. J’ai acheté des habits et des chaussures pour les gens de la famille et acheté un vélo pour moi-même, une grosse radio aussi. Après en Côte d’Ivoire, j’étais charbonnier. J’ai fait 4 mois au total et j’ai eu 330 000 francs. La question de vol de bœuf dont mon père parlait, ils ont été volés quand j’étais en RCI. Quand je suis revenu, nous avons acheté un bœuf avec mon argent. J’ai acheté aussi un panneau solaire. L’an passé je suis reparti à Bamako pour 3 mois. Je faisais le charbonnier. J’étais parti chercher une moto et je l’ai eu à 340 000 francs. » Cadet, Mafele

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1.5. Des aspirations communes à tous les producteurs, des besoins croissants et un souci de les satisfaire de manière plus égalitaire

La population rurale étudiée est très consciente d’une évolution sensible des mentalités et des besoins. D’une façon générale, cette évolution porte sur la relation au travail et sur l’usage des ressources, notamment une aspiration à un confort matériel de vie, dont on a vu qu’il est largement supérieur à la moyenne nationale. Cette tendance, qui semble s’exprimer aujourd’hui dans les deux zones, est plus manifeste encore dans la zone désenclavée Sikasso, peut-être parce que les gros producteurs aisés, qui y sont plus nombreux, sont déjà engagés dans ces nouveaux modes de vie et constituent certainement des modèles aspirationnels pour les autres producteurs. On note une conscience unanime que les besoins actuels sont sans commune mesure avec les besoins des familles des générations antérieures et qu’il y a à la fois plus de besoins, plus de possibilités d’y répondre, et un souci d’une satisfaction plus égalitaire des besoins avec le risque créer des inégalités et des frustrations.

La relation au travail est sous-tendue par deux dynamiques : - Une dévalorisation du travail agricole, considéré comme trop fatiguant (le « travail noir »), image que la culture du coton n’est pas parvenue à modifier. Cette dévalorisation induit la recherche de solutions pour améliorer les conditions de travail et de moins décourager les jeunes, souvent tenté par une expérience de migration, y compris dans l’orpaillage pourtant faiblement rémunératrice) et l’usage se répand parmi ceux qui en ont les moyens) Et dans tous les cas des dépenses à consentir o L’usage croissant de pesticides et d’herbicides (et l’achat parallèle aux intrants CMDT de pesticides du commerce semble de plus en plus répandu et considéré comme une « norme » culturale, cf. infra les montants importants consacrés à ce poste de dépenses), o La mécanisation (ultimement, le tracteur apparaît aujourd’hui comme un moyen à la fois de gérer le chevauchement des différents calendriers agricoles, de compenser le démarrage tardif de la saison des pluies, de cultiver plus de surface) « Je fais tout labourer par un tracteur, mes enfants migrants paient la moitié au moment du travail et je paie l’autre moitié quand je reçois l’argent du coton. » Chef d’UP, gros producteur, Kougouala « Je voudrais que mon père achète un tracteur, ce serait beaucoup moins fatigant pour nous. » Fils de chef, gros producteur, Djele

- Le désir d’autonomisation des jeunes, en termes de travail et de réalisation personnelle. Les jeunes aspirent en effet à des espaces d’autonomie, voire à une sphère privée. « Moi je voudrais avoir la télé et une climatisation, quand je veux voir la télé, il faut que je m’habille pour aller chez mon père, là je pourrais rester allongé et regarder la télé chez moi. » Fils de chef, gros producteur, Djele

Ultimement, pour certains, le désir de sortir de l’agriculture, soi-même ou ses enfants. Mais cette aspiration se heurte à la faiblesse du marché du travail et des opportunités économiques locales dans les secteurs non agricoles. « Si je veux investir mon argent, j’ai trois solutions : ouvrir une boutique ici, faire de l’achat et revente de céréales, mais si je monte une boutique, je n’ai pas de client ; si je deviens acheteur, il n’y a pas assez de marché. » Chef d’UP, petit producteur, Kougouala

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« Je ne peux pas avoir d’objectif, il n’y a rien à part l’agriculture » Neveu de chef, gros producteur, Djele

« Moi ce que je voudrais c’est partir en ville faire du commerce » Fils de chef, gros producteur, Djele

« Mon objectif c’est de construire une belle maison pour ma famille et de faire une grande plantation pour ne pas vieillir dans la culture. » Cadet, Mafele

Les aspirations à développer d’autres activités lucratives sont souvent contrariées, du fait de la crainte de voir le collectif se dissoudre, voire éclater, si les chefs d’UP autorisent les chefs de ménages ou les femmes à développer des activités lucratives parallèles. Dans les discours, cette notion d’impossibilité d’équilibre entre collectif et individualités économiques se traduit toujours dans les termes de la réussite et de l’entente.

L’éducation donnée aux enfants constitue également un moyen d’aspirer à des réalisations plus élevées. « Pour moi, le changement, c’est l’éducation/ Quand tu mets ton enfant à l’école, il a une ouverture d ‘esprit et il va avoir l’idée de diversifier ses activités et il ne sera pas comme ses parents. Et puis, si tu es instruit, on ne pourra plus rien te cacher. » Chef d’UP, gros producteur, Kougouala

L’aspiration à de meilleures conditions de vie est largement partagée. L’habitat, la santé et l’alimentation sont des critères majeurs de ce « bien-être » et surtout chez les femmes. Les standards sont de plus en plus élevés, et l’aspiration au mieux-être passe également par une amélioration de la satisfaction des besoins primaires. La consommation révèle aussi la tendance forte vers un mouvement ou un désir d’autonomisation des ménages, et le désir d’assouvir de petits plaisirs alimentaires au-delà du plat commun. D’où une multiplication des initiatives plus ou moins individuelles pour varier les menus.

Un toit en tôle n’est plus un signe d’aisance, c’est maintenant un standard auquel tous aspirent. « J’ai fait reconstruire la maison pour plus de confort, car j’ai deux épouses et des enfants, il fallait une maison plus grande. » Chef d’UP, petit producteur, Ouroumpana

Un certain nombre de « parents » ou « grands frères » expriment également le souci de fournir un certain niveau de bien-être aux enfants ou à leurs cadets, à travers l’alimentation (mères surtout, mais pères parfois également parmi les plus jeunes) « Quand on fait des macaronis, on le fait surtout pour les enfants, on leur fait un plat, on en profite pour en manger aussi. » Fils de chef, gros producteur, Mafele

Aspiration ultime, largement partagée, l’investissement en ville est une tendance qui s’observe très nettement, les plus gros producteurs (et en germe les producteurs moins importants en passe de devenir gros producteurs) accèdent à la propriété foncière et immobilière (terrains, maison, location de bien) en ville. « Pour nous, l’argent, on l’utilise pour la nourriture, il y a aussi quelque chose qui est mis de côté car la maladie, ça ne prévient pas, le reste on l’investit dans la maison de Sikasso. » Fils de chef, gros producteur, Kougouala « Cette année on a fait pour 350 000 francs de travaux dans la maison de Sikasso. C’est à but locatif. » Chef d’UP, gros producteur, Djele

« On a une maison à Sikasso qu’on loue. » Fils de chef, gros producteur, Mafele

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« Je veux prendre ma retraite en ville, Koutiala, Sikasso, même Ségou. Ici il n’y a rien, j’ai fait faire des études à tous mes enfants, j’ai un fils électricien et un autre instituteur à Bamako, le troisième fait encore ses études, je fais pareil avec les enfants de mon frère. » Chef d’UP, gros producteur, Kougouala

Les paysans de nos deux zones d’enquête « inversent » ainsi l’ordre communément pensé de l’exode rural : d’un exode plus ou moins subi de recherche de subsides, on passe à un véritable investissement des ruraux en ville qui s’inscrivent de façon positive et durable, à la fois dans les marchés du travail sur des métiers rémunérateurs (artisanat rémunéré, tertiaire) et dans l’immobilier. « Si je trouve de l’argent, je vais aller payer une maison en ville. Pour moi, ce sera une source de revenus. Si tu construis dans la grande ville et que toi-même, tu ne t’y installes pas, tu peux mettre la maison en location et ce sera une source de revenu pour toi. Et dans l’avenir, au cas où un de tes enfants ira s’installer en ville, il ne va pas prendre de location. Si tu vois qu’il n’y a pas d’émergence ici et que nous sommes dans les ténèbres, c’est de la faute de nos pères. Parce que nos parents avaient de la fortune et la cachaient. Mais nous on veut s’afficher alors on fait des réalisations. Et on cherche de l’argent pour aller travailler dans la grande ville. Si un des enfants réussit à l’école et devient fonctionnaire, il s’installera dans la maison. Et celui qui veut être commerçant, il peut installer sa boutique dans la maison. Il y a plus de marché là-bas qu’ici. On s’affiche aujourd’hui plus qu’avant parce que les gens achètent des tracteurs, des moulins, d’autres construisent des maisons en ville. Avant ce n’était pas ça, certains gardaient leur fortune jusqu’à, ce que cela se gâte. » Chef d’UP, gros producteur, Kougouala

Le fait que les femmes soient les grandes « laissées pour compte de la richesse cotonnière » se traduit entre autres par leurs aspirations relativement identiques entre UP de petits et de gros producteurs : a minima, disposer de plus d’argent liquide personnel pour mieux consommer (pour elles-mêmes et leurs enfants), a maxima, arriver à constituer un capital productif sous forme de petit bétail pour sécuriser le futur.

Les cérémonies sociales (mariages et funérailles notamment) représentent un poste de dépenses important pour les chefs de famille comme pour les femmes. Les mères doivent constituer le trousseau de leurs filles, les chefs d’UP doivent payer la dot pour marier leurs fils. Dépenses souvent très lourdes, souvent plusieurs années pour y faire face, mobiliser plusieurs sources de revenus (solidarité familiale importante). Funérailles senoufo, sans doute en perte de vitesse mais dépenses somptuaires jusqu’à une date récente.

Entre dépenses utiles et aspiration au mieux-être, le besoin est croissant, notamment parmi les cadets, d’ouverture, de désenclavement et de moyens de communication, qui se traduit par la standardisation de biens d’équipement tels que téléphone, radios, vélos et motos.

Comme nous allons le voir, ces aspirations aujourd’hui largement partagées influent fortement sur l’évolution des modes de vie et des standards, induisent des besoins financiers croissants et questionnent les modes de gestion des ressources.

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2. Le coton : une production de richesse très inégalement répartie

2.1. La richesse cotonnière est importante mais très inégalement distribuée entre les producteurs au vu des moyens de production engagés

2.1.1. La filière coton fournit aujourd’hui l’apport financier le plus important (presque la moitié) des familles rurales des zones étudiées

Un producteur moyen9 de notre échantillon, pour la campagne 2014-2015, a alloué 4,5 hectares à la culture du coton, commandé pour 535 000 F CFA d’intrants à la CMDT et produit 4 950 kilo de coton, soit 1,1 tonne à l’hectare. Ce producteur a reçu en moyenne près de 500 000 F CFA après déduction des crédits intrants CMDT pour la campagne, de potentiels crédits d’achat de matériel et également des dettes contractées auprès de la CPC, notamment, comme nous le verrons, en cas de pertes à l’issue de la campagne précédente. Au sein d’une UP moyenne (3,1 ménages, 12 travailleurs, 22 personnes), le coton rapporte 160 000 F CFA par ménage et par an, 40 000 F CFA par travailleur et par an, 23 000 F CFA par personne et par an. La rentabilité moyenne d’un champ de coton est de 110 000 F CFA à l’hectare. Le coton constitue ainsi un apport non négligeable à l’économie rurale, notamment en termes d’apport d’argent liquide, en addition aux revenus des activités non agricoles et aux transferts des migrants. Il indique cependant également que les intrants représentent une partie importante du produit de la vente (au global, 52% du prix de vente du coton graine est prélevé à la source pour les intrants pris à crédit à la CMDT). Le principal bénéficiaire de la culture du coton est ainsi le producteur d’intrants. Principales sources de revenus monétaires des UP 3% Coton 16% Autres ventes agric. UP 42% Agricole cadets 8% Non agricole chef 13% Non agric. cadets 17% Transferts migratoires

2.1.2. De très fortes disparités entre producteurs en termes de revenus cotonniers, avec de très bas revenus Au sein de notre échantillon, la médiane de production de coton est de 2,7 tonnes, celle des revenus est de 240 000 F CFA. La superficie allouée au coton varie selon les producteurs de 0,5 à 36 hectares, la production varie de 300 kilos à 46 tonnes, et en corollaire, les revenus afférents varient de 0 (voire, des pertes) à 7 000 000 F CFA. La moitié des producteurs ayant reçu les plus forts revenus lors de la dernière vente du coton ont reçu 91% des revenus totaux enregistrés pour l’ensemble des producteurs étudiés (l’autre moitié ne s’est donc partagé que 9% des revenus monétaires du coton). De façon encore plus extrême, 14% des producteurs, qui ont perçu un revenu égal ou supérieur à 1 000 000 F CFA, en moyenne 2 100 000 F CFA, ont reçu 55% de l’argent total perçu par les producteurs.

9 Calculs effectués sur 143 producteurs pour lesquels toutes les informations nécessaires aux calculs de cette section étaient disponibles, 78 en zone désenclavée (Sikasso) et 65 en zone enclavée (Bougouni). Ces données sont indicatives. 44

Répartition des revenus totaux de l’échantillon selon la tranche de revenu Tranche de revenus par producteur Argent total % argent total (en F CFA) % producteurs perçu perçu 0 9% 0 0% 1 à 99 000 18% 1 265 000 2% 100 à 249 000 22% 4 770 000 7% Sous-total « petits producteurs » 49% 6 035 000 9% 250 à 499 000 21% 10 372 000 14% 500 à 999 000 16% 14 952 000 21% 1 000 000 et plus 14% 40 115 000 56% Sous-total « gros producteurs » 51% 65 890 000 91% 100% 71 475 000 100%

56% 60%

40%

22% 21% 21% % producteurs 18% 16% 20% 14% 14% % argent total perçu 9% 7% 0% 2% 0% 0 Fcfa 1 à 99 000 100 à 249 250 à 499 500 à 999 1 000 000 Fcfa 000 Fcfa 000 Fcfa 000 Fcfa Fcfa et plus

On note une disparité géographique : les producteurs de la zone désenclavée (Sikasso) dégagent des revenus bien plus importants que ceux de la zone enclavée (Bougouni) Les 10% à plus hauts revenus sont tous dans la zone désenclavée et se partagent à eux seuls 48% des revenus totaux de l’échantillon. Ceci est à corréler avec la plus petite taille des exploitations (en capital humain et foncier) des exploitations de la zone enclavée.

Répartition des revenus dégagés par la dernière culture coton selon la zone Zone Zone Ensemble désenclavée enclavée (en F CFA) (Sikasso) (Bougouni) 0 9% 7% 10% 1 à 99 000 18% 13% 28% 100 à 249 000 22% 20% 24% Sous-total « petits producteurs » 49% 40% 62% 250 à 499 000 21% 17% 25% 500 à 999 000 16% 19% 12% 1 000 000 et plus 14% 24% 1% Sous-total « gros producteurs » 51% 60% 48% Total 100% 100% 100%

45

30% Zone désenclavée 20% (Sikasso) 10% Zone enclavée (Bougouni) 0% 0 Fcfa 1 à 99 000 100 à 249 250 à 499 500 à 999 1 000 000 Fcfa 000 Fcfa 000 Fcfa 000 Fcfa Fcfa et plus

2.1.3. Cette disparité s’explique à la fois par la diversité des volumes de production et de la rentabilité de cette production

Logiquement, les revenus augmentent avec la superficie cultivée et le volume de production ; un producteur à hauts revenus est ainsi également un « gros » producteur, et inversement. Pour autant, d’une part, l’investissement dans les intrants CMDT tend à légèrement augmenter avec le volume de production ; les rendements à l’hectare et la rentabilité financière à l’hectare croissent fortement avec le volume de production. La très forte variation des revenus s’explique ainsi à la fois par celle des superficies cultivées et également par le fait que les gros producteurs sont de « meilleurs » producteurs. Ce qui, en d’autres termes, indique notamment pour les (plus) petits producteurs une distorsion entre les moyens investis dans le coton (terres, intrants, et travail afférent) et le résultat, en termes de richesse produite et surtout en termes de revenus monétaires pour la famille d’exploitants elle-même, avec un désavantage manifeste donc pour les exploitants qui cultivent le coton sur de petites surfaces. La culture du coton apparaît de ce fait plus rentable pour ceux qui la réalisent sur une grande surface et avec un usage massif d’intrants. Les rendements sont très variables selon les exploitations d’un même village pour une même année, ce qui suppose qu’ils ne dépendent pas uniquement de facteurs climatiques. Au sein de notre échantillon, le rendement à l’hectare varie de 1 à 10 (200 kilos à 2 tonnes), et se répartit de façon très échelonnée. Près de la moitié des exploitants récoltent moins d’une tonne à l’hectare.

Sikasso, données de production moyennes par niveau de revenu Superficie Crédit intrants Coton Revenus nets Producteurs moyenne CMDT moyens produit moyens (en F CFA) concernés (ha) (F CFA) moyen (kg) (F CFA) 0 5 1,6 182 000 874 0 1 à 99 000 10 1,8 171 000 1 391 44 000 100 à 249 000 15 2,2 271 000 2 028 162 000 Sous-total « petits producteurs » 30 2,0 223 000 1 624 97 000 250 à 499 000 13 3,4 327 000 3 392 332 000 500 à 999 000 14 6,2 699 000 6 483 653 000 1 000 000 et plus 18 13,7 1 808 000 15 780 2 159 000 Sous-total « gros producteurs » 45 8,2 1 060 000 9 377 1 170 000 Total Sikasso 75 5,9 720 000 6 276 740 000

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Sikasso, données de production moyennes à l’hectare par niveau de revenu Superficie Pour un hectare moyenne Crédit intrants Coton Revenus (en F CFA) (ha) CMDT (F CFA) produit (kg) nets (F CFA) 0 1,6 113 750 546 0 1 à 99 000 1,8 95 000 773 24 400 100 à 249 000 2,2 123 200 922 73 600 Sous-total « petits producteurs » 2,0 111 500 812 48 500 250 à 499 000 3,4 96 200 998 97 600 500 à 999 000 6,2 112 700 1 046 105 300 1 000 000 et plus 13,7 132 000 1 152 157 600 Sous-total « gros producteurs » 8,2 129 300 1 144 142 700 Total Sikasso 5,9 122 000 1 064 125 400

Bougouni, données de production moyennes par niveau de revenu Superficie Crédit intrants Coton Revenus nets Producteurs moyenne CMDT moyens produit moyens concernés (ha) (F CFA) moyen (kg) (F CFA) 0 7 2,1 212 000 1 590 0 1 à 99 000 15 2,0 183 000 1 665 55 000 100 à 249 000 16 1,8 168 000 1 600 146 000 Sous-total « petits producteurs » 38 2,0 182 000 1 623 83 000 250 à 499 000 18 3,4 387 000 3 608 354 000 500 à 999 000 8 4,3 530 000 4 625 645 000 1 000 000 et plus 1 9,0 912 000 9 200 1 250 000 Sous-total « gros producteurs » 27 3,9 405 000 4 116 474 000 Total Bougouni 65 2,8 279 000 2 659 245 000

Bougouni, données de production moyennes à l’hectare par niveau de revenu Superficie Pour un hectare moyenne Crédit intrants Coton Revenus (ha) CMDT (F CFA) produit (kg) nets (F CFA) 0 2,1 101 000 757 0 1 à 99 000 2 91 500 833 27 500 100 à 249 000 1,8 93 300 889 81 100 Sous-total « petits producteurs » 2 91 000 812 41 500 250 à 499 000 3,4 113 800 1 061 104 100 500 à 999 000 4,3 123 300 1 076 150 000 1 000 000 et plus 9 101 300 1 022 138 900 Sous-total « gros producteurs » 3,9 103 800 1 055 121 500 Total Bougouni 2,6 100 000 950 87 500

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De façon extrêmement marquée dans la zone désenclavée, du fait de la présence de nombreux très gros producteurs, 40% des producteurs cultivent schématiquement 1/6 des superficies de coton, achètent/utilisent 1/6 des intrants CMDT mais ne produisent que 1/8 du coton et surtout ne reçoivent que 1/20 des revenus après déduction de leurs dettes potentielles.

Répartition selon les niveaux de revenus des indices de production/rentabilité, Sikasso Intrants Coton Revenus Sikasso Producteurs Superficie CMDT produit nets 0 7% 3% 4% 2% 0% 1 à 99 000 13% 4% 3% 3% 0,5% 100 à 249 000 20% 9% 9% 7% 4,5% Sous-total « petits producteurs » 40% 16% 16% 12% 5% 250 à 499 000 17% 12% 12% 13% 9% 500 à 999 000 19% 20% 17% 19% 17% 1 000 000 et plus 24% 51% 54% 55% 69% Sous-total « gros producteurs » 60% 84% 84% 88% 95% 100% 100% 100% 100% 100%

Dans la zone enclavée, selon la même logique même si l’écart est moins extrêmisé du fait de la quasi- absence de très gros producteurs, 3/5 des producteurs cultivent environ 2/5 des superficies de coton, achètent 2/5 des intrants CMDT et produisent 2/5 du coton, mais ne reçoivent que 1/5 des revenus.

Répartition selon les niveaux de revenus des indices de production/rentabilité, Bougouni Intrants Coton Revenus Producteurs Superficie CMDT produit nets 0 10% 8% 8% 6% 0% 1 à 99 000 28% 19% 17% 16% 6% 100 à 249 000 24% 17% 14% 18% 15% Sous-total « petits producteurs » 62% 43% 39% 40% 21% 250 à 499 000 25% 33% 35% 35% 40% 500 à 999 000 11% 18% 21% 20% 31% 1 000 000 et plus 1% 5% 5% 5% 8% Sous-total « gros producteurs » 38% 57% 61% 60% 79% Total Bougouni 100% 100% 100% 100% 100%

 Dans le cadre d’une agriculture paysanne et essentiellement domestique, le coton est globalement créateur de richesse, mais avec de très fortes inégalités  La grande majorité du coton est produit par d’assez gros producteurs, relativement à leur milieu), situés surtout dans le vieux bassin cotonnier, avec une bonne rentabilité et de bons indicateurs. Leur participation à la richesse nationale (consommation d’intrants et production du produit d’exportation) s’accompagne de bénéfices monétaires pour l’exploitation.  Mais à côté, une mosaïque de petits producteurs ont globalement moins recours aux intrants et ont une plus faible rentabilité ; ils participent avec moins d’efficacité à la production et surtout en retirent bien moins de bénéfices.  La rentabilité apparaît liée à une importante surface de coton cultivée et à l’usage massif d’intrants. La partie suivante a pour objectif de comprendre les déterminants de ces deux facteurs.

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2.1.4. Le fait d’être un « petit » ou « gros » producteur de coton, et de cultiver de façon plus ou moins rentable, relève de facteurs objectifs de production, mais également de facteurs plus subjectifs et psychologiques.

Les déterminants de la rentabilité de la culture du coton relèvent globalement de deux types de « capital » au sens du cadre SRL10 : le capital naturel via les terres disponibles (superficie et qualité) et le capital physique, soit la main-d’œuvre familiale gratuite et la possibilité d’avoir recours à une main-d’œuvre salarié, l’organisation du travail et équipement. Au sein de notre échantillon, les « gros producteurs (qui représentent donc la moitié des exploitations) cultivent 75% des terres allouées au coton, produisent 80% du coton graine et reçoivent 90% de l’argent distribué à l’issue de la vente et de la déduction des crédits et dettes de la campagne actuelle ou de campagnes antérieures. Schématiquement, une exploitation de « gros » producteur compte en moyenne deux fois plus de travailleurs et cultive deux fois plus de terres, avec trois fois plus de bœufs de labour (et nombreux sont aujourd’hui qui possèdent un tracteur ou surtout font labourer leur champ au tracteur). Mais ces éléments descriptifs seuls ne permettent pas d’expliquer la différence de revenu entre les producteurs à hauts revenus et ceux à bas revenus. De fait, les « gros » producteurs allouent trois fois plus de superficie au coton, soit une partie plus importante du champ commun, avec une plus grande superficie de coton par travailleur. L’investissement en intrants par hectare de coton cultivé est supérieur de 10%, et au final les rendements sont supérieurs de 20%. Cette stratégie de culture s’avère ainsi payante. Néanmoins, dans ces conditions, le rapport de revenus entre ces deux classes de producteurs devrait être de 1 à 4 et non de 1 à 10. Deux facteurs majeurs expliquent l’écart de production : l’accès à la culture attelée et l’usage des intrants. Le matériel agricole disponible (surtout lorsque possédé, mais également lorsqu’accessible) détermine assez largement la superficie de coton cultivée.

Focus sur l’équipement agricole Certaines petites UP peuvent avoir un équipement complet (et nous verrons plus loin qu’une minorité d’UP mono-ménages sont fortement équipées) ; néanmoins, d’une part, l’équipement augmente avec la taille de l’UP, d’autre part, il existe très peu voire pas de grandes UP mal équipées (la quasi-totalité des UP de 20 personnes ou plus disposent d’au moins un attelage complet ; la quasi-totalité des UP de 35 personnes ou plus disposent d’au moins deux attelages complets ; 60, de trois ou plus…).D’une façon plus générale, le nombre de membres/de travailleurs, l’équipement et les terres cultivées sont corrélés. 75% des UP sans équipement ou avec un attelage incomplet sont mono-ménages, et disposent ainsi de très peu de travailleurs sur de petites exploitations.

Répartition des UP selon l’équipement détenu et la taille 4 3 2 1 0 0 10 20 30 40 50 60 70 Equipement détenuEquipement* Nombre de membres de l'UP

* 0 = aucun équipement ; 1 = un incomplet ; 2 = un complet ; 3 = deux complets ; 4 = au moins trois complets

10 Sustainable Rural Livelihoods 49

Les rendements par hectare sont corrélés au fait de détenir un attelage, même incomplet, mais ensuite très faiblement corrélés au nombre de bœufs voire d’attelages possédés. Le bénéfice de la culture attelée est ainsi surtout l’extension des surfaces cultivées, notamment en coton, mais garantit également un meilleur rendement. La culture attelée permet également une meilleure organisation du travail en accélérant notamment le travail de labour, ce qui permet un meilleur respect du calendrier agricole et de l’itinéraire technique. « Nous avons des problèmes d’équipements. Beaucoup de producteurs ont des charrues mais ils n’ont pas les bœufs au complet. Ils n’arrivent pas à labourer leur champ à temps. Ils sont en retard sur les autres. Pour faire une bonne récolte il faut semer dès le premier mois de la saison des pluies. Cela permet de respecter les moments de mettre les intrants et de traitement du champ. Mais si on n’a pas l’attelage au complet on passe tout le temps à attendre les gens ou à tourner auprès des gens qui ont les équipements. C’est la grosse difficulté dans la culture du coton dans notre milieu. » Entretien village, Deguebo

De façon claire, au sein de notre échantillon, la surface cultivée en coton est largement dépendante de l’équipement disponible : elle est d’environ deux hectares par attelage (ou un hectare par bœufs de labour), sachant que les UP qui ne possèdent qu’un bœuf de labour complètent en général leur attelage (location, emprunt, mise en commun). « Pour le moment je ne peux pas dépasser deux hectares. Quand j’aurai plus de bœufs de labour, je vais augmenter la superficie du champ de coton. Il faut beaucoup analyser avant d’augmenter la parcelle de coton, car tu vas diminuer la parcelle de céréales. » Chef d’UP, petit producteur, Kougouala

« Du temps de mon grand-père, ils étaient trois ménages avec ses grands frères. Ils ne cultivaient que 4 ou 5 hectares. On ne mesurait pas, on faisait du mil et du sorgho, un quart d’hectare de coton pour les femmes qui filaient, on cultivait à la daba. Aujourd’hui je suis avec mon frère, on est deux ménages, on cultive 15 hectares dont 6 de coton, je fais tout labourer par un tracteur. Sinon on a six bœufs et deux charrues, tout acheté avec l’argent du coton. Sans charrue, on ne pourrait pas cultiver plus de 3 hectares. » Chef d’UP, gros producteur, Kougouala

Caractéristiques des UP selon leur équipement agricole (bœufs et charrues*) Démographie Superficies (ha) Nombre de Nombre de Nombre de Total Champ Champs Champ de ménages membres travailleurs cultivé collectif individuels coton ** Ni bœuf ni charrue 1,3 7,6 3,6 3,9 3,2 0,7 0,9 1 attelage incomplet 1,6 10 5,4 5,3 4,6 0,7 1,3 1 attelage complet 2,1 14,7 8,7 10 7,8 2,2 2,5 Au moins 2 attelages complets 4,8 34,3 18,7 22,2 18,6 3,6 7,3 * Un attelage est dit complet lorsque l’UP possède deux bœufs et une charrue ; possèdent ainsi au moins deux attelages complets les UP qui possèdent au moins 4 bœufs et deux charrues. ** Le champ de coton fait partie du champ collectif

50

25

20 Ni bœuf ni charrue 15 1 attelage incomplet 10 1 attelage complet 5 Au moins 2 attelages complets

0 Nombre de Total cultivé Champ Champs Champ travailleurs collectif individuels coton

% des Superficie Superficie terres % des Superficie Superficie Superficie du champ du reste du alloué aux terres des champs du champ du champ de coton / champ champs alloué au individuels/ collectif / de coton / « attelage » Collectif / individuels coton travailleur travailleur travailleur détenu travailleur Ni bœuf ni charrue 18% 23% 0,19 0,89 0,25 / 0,64 1 attelage incomplet 13% 25% 0,13 0,85 0,24 1,9 0,61 1 attelage complet 22% 25% 0,25 0,90 0,29 2,1 0,61 Au moins 2 attelages complets 16% 33% 0,19 1,00 0,39 1,8 0,60

Focus sur les intrants Les rendements sont assez fortement corrélés à l’usage massif d’intrants, essentiellement achetés à crédit via les CPC et la CMDT, mais également, et de plus en plus, achetés dans le commerce ou lorsque possible, remplacés par la fumure organique. Or, les UP qui possèdent le plus de terres et d’attelages complets, et qui utilisent le plus massivement les intrants CMDT, sont également celles qui possèdent le plus de bétail. Ces grosses UP sont ainsi plus garanties de bons rendements. Les petites UP, souvent mono-ménages, sans équipement, semblent limiter les crédits CMDT, et aucune ne possède de bétail ; ce sont ces UP qui ont globalement les plus faibles rendements. La productivité des UP de « petits producteurs » est ainsi inférieure, aussi bien en termes de rendements à l’hectare (presque -20% par rapport à ceux des « gros » producteurs), qu’en termes de gains par travailleur (-50%). « Nous, on a produit 7,25 tonne sur 5 hectares, il faut dire qu’on a un peu de bétail, on utilise la fumure. » Fils de chef, gros producteur, Djele

Intrants et rendements des producteurs selon leur équipement agricole (bœufs et charrues) Bovins Crédit CMDT / possédés par Rendements/ ha l’UP ha Ni bœuf ni charrue 103 000 0 922 1 attelage incomplet 120 000 5 1 061 1 attelage complet 106 000 4 1 069 Au moins 2 attelages complets 125 000 38 1 077

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Facteurs de production agricole par type de producteur Petits Gros producteurs producteurs Ressources humaines/main-d’œuvre Déterminants humains Nb moyen ménages/UP 2,3 4,1 % UP « mono-ménages » 55% 22% Proportion de ménages « indépendants » 22% 5% Nombre de travailleurs / UP 8,4 16,2 % de chefs d’UP considérant disposer… … d’une main-d’œuvre disponible 78% 87% … d’une main-d’œuvre suffisante 43% 58% % de chefs d’UP qui font appel à de la main-d’œuvre rémunérée 28% 48% Terres Superficie totale des exploitations 9,1 ha 20 ha % chefs d’UP estimant disposer de suffisamment de terres disponibles 59% 65% Superficie du champ commun 7,4 ha 16,9 ha % champ commun sur terres cultivées 80% 85% Surface champ commun / travailleur 0,9 ha 1,1 ha Equipement agricole % d’UP possédant au moins un attelage complet 67% 94% % d’UP avec attelage incomplet 14% 4% % d’UP sans bœuf ni charrue 19% 2% % de chefs d’UP estimant posséder un équipement suffisant 16% 32% Nombre moyen de bœufs de labours possédés 2,4 6,9 Nombre moyen de charrues possédées 1,6 3,2 Ne possèdent pas de charrette 37% 3% Ne possèdent pas de semoir à coton 55% 17%

Cultivent occasionnellement le coton 39% 9% Surface du champ de coton en hectares 2,2 6,8 % des terres UP allouées au coton 24% 34% % du champ commun alloué au coton 30% 40% Superficie du champ de coton / travailleur 0,26 ha 0,42 ha Crédit intrants CMDT à l’hectare 108 355 123 679

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Principaux indicateurs de la production de coton selon le type de producteurs Petits Gros producteurs producteurs Rendement du coton par hectare 2014-15 920 1 113 Part de la production réservée pour remboursement crédits 50% 53% Revenu attendu (hors dettes antérieures CMDT/CPC) 228 000 914 000 27 100 F 56 400 F Revenu attendu moyen /travailleur CFA CFA Revenu effectif déclaré 88 200 893 000 Différence entre revenu attendu et payé 140 000 21 000 % du revenu attendu effectivement perçu 39% 98% 11 800 F 55 100 F Revenu perçu moyen /travailleur CFA CFA

2.1.5. La rentabilité est également affectée par la répercussion des années d’endettement, qui grèvent parfois les revenus des campagnes ultérieures

La différence entre le prix « dû » (prix de vente moins prix des intrants de la campagne écoulée) est très faible chez les plus gros producteurs (20 000 F CFA de différence), mais bien plus importante chez les « petits »producteurs (140 000 F CFA en moyenne). Cette différence s’explique notamment par les autres « prélèvements à la source », plus importants chez les petits producteurs, notamment du fait des dettes antérieures/des crédits d’achat de matériel agricole, qui sembleraient représenter des montants importants (ex. 238 000 francs de perte l’année précédente, dus à la coopérative, ou 40 000 francs par an de remboursement d’un bœuf de labour à la CMDT). Ces importants écarts de revenus s’expliquent notamment par deux facteurs : - Des faiblesses structurelles qui, indépendamment des conditions climatiques (subies de façon égale par tous les producteurs), minent régulièrement la production et expliquent les rendements inférieurs, avec des revenus faibles voire des pertes (impossibilité de rembourser les crédits) : o Surtout le faible équipement o Le besoin accru de main-d’œuvre qui en découle o Et une organisation plus complexe à mettre en œuvre, voire la désorganisation et le non respect de certains calendriers (cf. semis tardif) - L’endettement qui en découle, qui grève les revenus des campagnes ultérieures.

Le spectre de l’endettement amène certains producteurs à cultiver le coton qu’occasionnellement, lorsque les conditions optimales leur semblent réunies, ou pour éviter de grever la production céréalière. Entre 10 et 20% des producteurs auraient adopté cette posture ; ce sont essentiellement des petits producteurs, et pour la plupart, mono-ménages. La culture du coton suppose ainsi une gestion financière, puisque le producteur doit gérer : - L’amortissement des « chocs » que constituent les périodes d’endettement (une ou plusieurs années de revenus nuls) - Le réinvestissement du produit de la vente dans la production, y compris pendant les périodes de non revenus - Ce qui suppose à la fois : o une attitude d’anticipation de ces situations et/ou une capacité à y répondre 53

o une « gestion de trésorerie » et des choix d’utilisation des revenus du coton en cohérence avec l’économie spécifique de cette spéculation

 L’équipement agricole est la clé de la superficie de production, de l’organisation du travail, d’un certain respect des itinéraires techniques et au final contribue aux niveaux de rendements. Comme nous le verrons, certains exploitants avec peu d’équipement limitent les superficies et obtiennent parfois de bons rendements et de bonnes rentabilités à l‘hectare, mais ceci suppose une stratégie déterminée.  Les petites UP sont largement défavorisées en termes de rentabilité de culture du coton  L’éclatement des familles crée des UP mono-ménages, et notamment dans la zone enclavée, plus vulnérables en termes d’organisation du travail et plus démunies pour assurer une bonne production cotonnière. Les chefs de ces petites UP sont plus nombreux à considérer qu’ils ne disposent pas d’une main-d’œuvre suffisante, en revanche, ils sont moins nombreux à faire appel à de la main-d’œuvre rémunérée, et ainsi, au minimum, 30% d’entre eux engagent la campagne agricole en insuffisance de main-d’œuvre et vraisemblablement avec des problèmes d’organisation du travail agricole.  Ces petites UP sont également insécurisées par la perspective de l’endettement, sachant que ce mécanisme, loin d’être fantasmatique, est une réalité vécue de façon parfois traumatisante.

2.2. Les logiques gagnantes ou perdantes de la cotonculture sont corrélées à l’organisation du travail au sein des UP

Les UP ont été classées en trois terciles selon la rentabilité à l’hectare du champ de coton (soit l’argent perçu de la CMDT suite à la vente du coton après déduction des crédits et dettes éventuelles) : - Un tercile « moins performant » : de 0 à 60 000 F CFA à l’hectare, - Un tercile « moyen » : de 60 001 à 130 000 F CFA à l’hectare, - Un tercile « plus performant » : 130 001 F CFA à l’hectare et plus.

Globalement, les trois terciles rassemblent des UP de profils très similaires en termes de famille et d’exploitation. L’âge des chefs et le nombre de personnes et de travailleurs vivant dans l’UP sont similaires, ainsi que les terres disponibles, le recours à de la main-d’œuvre salariée, et le fait de cultiver le coton occasionnellement ou systématiquement. Le critère le plus déterminant semble être celui de l’organisation du travail, notamment de l’équilibre entre activités individuelles et centralisées.

La logique « gagnante » : le coton au cœur des activités de l’exploitation agricole, avec une focalisation des ressources : des UP soit très soudées dans le collectif, soit mobilisées par l’autorité du chef d’UP Les UP où la culture du coton est la plus rentable, à la fois sont plus centralisées, au niveau des terres collectives, des emplois autonomes des cadets mariés, et de la migration (moins de migrants, moins de superficie accordée aux champs individuels, moins d’activités non agricoles exercées par les cadets). L’agriculture est plus diversifiée (le maïs ne représente que 77% des productions céréalières) et les rendements des autres spéculations plus importants. Il s’agit ainsi apparemment d’UP où la stratégie économique est axée sur les ressources agricoles collectives, et qui tirent du champ commun à la fois les récoltes pour l’autoconsommation, d’autres cultures de rente et des revenus substantiels du coton. Cette 54 forme d’exploitation, plutôt « traditionnelle » dans son fonctionnement, parvient à accéder à une agriculture « monétarisée »… au détriment toutefois de l’autonomisation de ses cadets.

La logique « perdante » : une culture du coton sans mobilisation des ressources adéquates, une attitude plus « dilettante » ou un manque de contrôle du chef d’UP ? A l’inverse, les UP où la culture du coton est la moins rentable possèdent plutôt moins d’équipement agricole, mais elles cultivent une moins grande superficie de coton. Ces UP sont peu centralisées autour des productions agricoles du champ commun et ont des sources de revenus à la fois plus diversifiées (non agricole, transferts migratoires) et plus individualisées (champs individuels, activités non agricoles des cadets). Ces producteurs ont par ailleurs une agriculture peu diversifiée, centrée sur le maïs (86% des productions céréalières) et l’arachide. La moindre rentabilité est confirmée par des occasions d’endettement plus fréquentes (presque les deux tiers de ces producteurs ont déjà été dans l’impossibilité de payer les crédits intrants CMDT). Ces UP cultivent vraisemblablement le coton, malgré leurs mauvaises performances, pour tous les avantages liés au « club coton » : appartenance sociale, accès aux intrants à crédit, accès au crédit/à des emprunts auprès de tiers, de la CPC…

Caractéristiques des UP selon leur niveau de performance coton Moins Moyens Plus performants performant

Age du chef d’UP 51 ans 56 ans 54 ans Nombre de ménages de l’UP 2,9 3,3 3,3 Nombre de personnes vivant dans l’UP 22,5 19,5 25 Nombre de travailleurs (chef + cadets 11,2 10,8 15,4 actifs)

Superficie cultivée 13,3 ha 15 ha 14,7 ha Superficie du champ collectif 10,7 ha 12,7 ha 12,4 ha Superficie allouée aux champs 2,6 ha 2,3 ha 2,3 ha individuels des cadets % des terres allouées aux cadets 20% 15% 15% Nombre d’activités par cadet actif 1,2 1,1 0,9 Nombre d’activité / femme mariée 1,3 0,8 0,7 Revenus personnels dégagés par 27 000 F CFA 24 000 F CFA 14 000 F CFA femme mariée Argent reçu des migrants 45 000 F CFA 24 000 F CFA 34 000 F CFA

Superficie du CC allouée au coton 3,1 ha 4,8 ha 5,4 ha % coton / CC 30% 38% 45% Superficie du champ collectif allouée 7,6 ha 7,9 ha 7 ha aux autres spéculations Autosuffisance alimentaire 3 ou 4 ans/ 5 3 ou 4 ans/ 5 3 ou 4 ans/ 5

Nb de bœufs de labour de l’UP 3,5 4,8 5,7 Nb de bœufs à l’hectare cultivé 3,2 ha / bœuf 2,25 ha / bœuf 2,7 ha / bœuf Nb de bœufs / ha de coton cultivé 1,1 1 1,1 Charrues 2,4 2,2 2,6

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Crédit CMDT / ha 116 000 F CFA 103 000 F CFA 138 000 F CFA Production moyenne par producteur 2,7 tonnes 5,3 tonnes 6,6 tonnes Rendement coton / ha 0,87 tonne / ha 1,04 tonne / ha 1,22 tonne / ha Bénéfice moyen (reçu de CMDT) 77 000 F CFA 467 000 F CFA 954 000 F CFA Bénéfice / ha 25 000 F CFA 97 000 F CFA 177 000 F CFA % de l’argent du coton redistribué 4% 6% 9% Argent redistribué par travailleur 280 F CFA 2 500 F CFA 5 600 F CFA

« Petits » producteurs 93% 33% 17% « Gros » producteurs 7% 67% 83%

Déjà endettés CMDT 52% 38% 38% Déjà endettés pour de l’équipement 10% 20% 20%

Spéculations produites et vendues selon le tercile de rentabilité de la culture du coton Tercile Moins rentables Moyens Plus rentables

Surface 7,6 ha 7,9 ha 7 ha champ % UP Produc- % % UP Produc- % % UP Produc- % produc- tion vendu produc- tion vendu produc- tion vendu trices * moyenne *** trices * moyenne *** trices * moyenne *** ** ** **

Maïs 92% 6 850 16% 100% 6 532 12% 100% 8 310 18% Sorgho 40% 560 1% 45% 800 15% 43% 1 183 20% Mil 40% 375 9% 45% 963 1% 57% 754 3% Riz 30% 158 30% 41% 522 2% 34% 559 0% % maïs 86% 74% 77% Arachide 51% 334 32% 57% 896 44% 57% 337 37% Haricot 19% 32 0% 16% 26 63% 9% 14 55% Sésame 32% 68 97% 27% 85 99% 23% 67 99% Anacarde 19% 43 91% 10% 39 82% 11% 49 100% Mangue / / / 2% 39 0% 9% 374 58% Patate douce 11% 24 0% 4% 18 33% / / / Fonio 9% 13 16% / / / 2% 2 100% * parmi les UP ayant cultivé le coton ** sur la moyenne des UP du tercile, en incluant les UP qui n’ont pas cultivé la spéculation *** calculé en cumul pour l’ensemble de la production du tercile

12000 mangue arachide 9000 riz 6000 mil 3000 sorgho maïs 0 Moins rentables Moyens Plus rentables

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En ce qui concerne lien entre cotonculture et sécurité alimentaire, il apparaît que c’est plutôt la capacité à assurer l’autosuffisance qui détermine les conditions de production de coton et non l’inverse

La stratégie de culture du coton apparaît très fortement corrélée à, et certainement influencée par, la disponibilité des terres et le fait corolaire de parvenir plus ou moins régulièrement à l’autosuffisance alimentaire. Les UP qui parviennent rarement à l’autosuffisance (0 ou une seule fois au cours des 5 dernières années) sont très minoritaires dans notre échantillon. Elles sont de plus petite taille et plus souvent des UP monoménages (presque 3/5). Ce qui caractérise surtout ces exploitations non autosuffisantes est à la fois la faible superficie de terres disponibles (un hectare pour trois personnes), le faible nombre d’actifs (moins de la moitié des membres de la famille) et le faible équipement en culture attelée (moins de la moitié possède un attelage complet). Ces UP sont ainsi structurellement peu à même d’assurer leur propre subsistance alimentaire, y compris lorsqu’elles ne cultivent pas le coton. Les activités sont diversifiées et plutôt décentralisée, et les migrants représentent un apport financier non négligeable. C’est parmi ces UP que l’on retrouve surtout les non cultivateurs et les cultivateurs occasionnels ; moins d’1/3 cultive le coton tous les ans. Lorsque le coton est cultivé, la superficie est limitée par le manque d’équipement agricole et certainement la faible main-d’œuvre (un hectare en moyenne, et peu font appel à des ouvriers agricoles rémunérés), en revanche, il fait l’objet d’un investissement relativement conséquent (130 000 francs de crédit CMDT), avec des rendements très élevés et ainsi une culture le plus souvent « rentable ». Ce qui tend à indiquer que la culture du coton est envisagée à la fois en termes d’apport financier et également comme accès aux intrants maïs. Une culture du coton réellement stratégique et « gagnante », pour des UP plutôt défavorisées au niveau de leur capital naturel et physique, face auquel le coton s’inscrit dans une logique de diversification (non agricole) et d’alternance (coton vs céréales). Ces UP apparaissent ainsi comme certes des petits producteurs occasionnels (et participent ainsi peu à la richesse nationale), pour autant la façon dont elles ont intégré la culture du coton en fait des bénéficiaires de la culture coton ; c’est d’ailleurs parmi ces UP, où la culture du coton semble particulièrement rationalisée et optimisée, que l’on, retrouve les plus hauts rendements et la plus forte rentabilité à l’hectare.

Le coton renforce les inégalités entre UP mono-ménages « démunies » et celles qui, par inégalité ou par pugnacité, détiennent des terres et un équipement agricole important.

La plupart des UP mono-ménages sont dans une faiblesse structurelle, avec peu de terres et pas d’équipement, et sont rarement autosuffisantes (un an sur deux). Nombre de ces UP ne cultivent le coton qu’occasionnellement, utilisent plutôt peu d’intrants, ne peuvent mobiliser que peu de ressources, et au final enregistrent d’assez faibles performances, avec une très faible rentabilité ; c’est dans cette classe que l’on retrouve la majorité des exploitants ayant eu des revenus nuls lors de la dernière campagne. Les UP mono-ménages avec terre et équipement sont dans une logique plus « rationnalisée » de la production de coton : des terres, des disponibilités financières, recours à une main-d’œuvre salarié, usage plus massif d’intrants, et de fait avec une rentabilité et une profitabilité importantes.

2.3 La culture du coton, à la fois source de prospérité et de contraintes

2.3.1 Le coton comme source d’enrichissement global Ce constat a été mis en évidence dans de multiples études : l’arrivée du coton dans la zone a constitué une véritable révolution. Elle a permis une sécurisation indéniable des conditions de vie des producteurs, une sécurisation de leur présent. « Au temps des vieux, on cultivait et on était fatigué. Il y avait des quantités énormes de céréales dans la famille mais cela ne servait à rien. Il y avait à manger seulement et les gens cherchaient l’argent. Le coton a mis fin à cette fatigue et il y a maintenant des tôles sur les maisons. Actuellement, celui qui ne cultive pas le coton ne peut rien faire. Tant qu’on se dit

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cultivateur, il faut faire des céréales pour la nourriture et du coton pour les dépenses. » Chef d’UP, petit producteur, Kougouala

Cette sécurisation se traduit prioritairement par l’autosuffisance alimentaire, favorisée par deux principaux facteurs : - L’introduction du maïs dans la zone, via la CMDT, dans la perspective de proposer une céréale au calendrier agricole plus compatible avec celui du coton, et de productivité supérieure à celle du mil. « C’est grâce au coton que nous gagnons du maïs. Celui qui ne cultive pas le coton n’a pas d’engrais sauf s’il l’achète avec son argent ou bien il se contente de la culture du mil. La récolte du mil est comme un travail de saison sèche. C’est en saison sèche que nous récoltons les mils tandis que le maïs murit en saison des pluies et on peut le consommer très tôt. Cela n’est pas du tout possible avec le mil. Celui qui est en manque de nourriture, s’il ne cultive que le mil, il passera un bon moment dans la souffrance avant d’avoir à manger. C’est aussi une raison qui fait qu’on est obligé de cultiver le coton. Les récoltes du maïs finissent bien avant celle du mil. » Chef d’UP, petit producteur, Mafele

- L’accès aux engrais coton bénéficie indirectement aux cultures céréalières du fait du système de rotation des cultures. Le passage à la culture permanente, surtout dans la zone de Sikasso, se traduit par une dépendance des producteurs à l’accès aux intrants. D’ailleurs, l’une des raisons principales avancées par les petits producteurs de coton pour cultiver le coton, malgré les faibles revenus dégagés, est l’accès aux intrants à crédit et son impact sur la production céréalière de la famille. « Dans le temps on ne mettait pas de l’engrais dans les champs et on ne pouvait pas cultiver le même champ pendant 10 ans mais grâce à l’engrais du coton nous pouvons cultiver pendant plus de 10 ans sur la même parcelle. C’est grâce au coton que nous produisons beaucoup de maïs. Ils nous donnent les engrais du coton plus les engrais du maïs. Même si la terre est pauvre si tu mets de l’engrais le rendement est bon. Les engrais, c’est bien de les avoir pour son champ. » Cadet, gros producteur, Mafele

« Tu ne peux pas sortir de la pauvreté, si tu ne cultives pas le coton. Ceux qui le cultivent alors qu’ils ne gagnent presque rien là-dedans, le font pour bénéficier des intrants pour le champ de céréales et assurer ainsi une certaine sécurité alimentaire. » Chef d’UP, Kougouala

« Si tu vois que nous cultivons le coton bien qu’on en gagne pas d’argent la dedans, c’est parce qu’avec le coton viennent les engrais chimiques et si tu cultives à la même place des céréales l’année suivante, tu vas avoir un bon rendement. C’est la seule raison qui fait que nous n’arrêtons pas le coton. Et aussi parce que nous pouvons avoir de l’engrais pour le maïs. » Chef d’UP pauvre, Kougouala

« Avec le coton, je mange à ma faim, c’est un effet indirect. Avant, dans ma famille paternelle, je devais aller travailler pour les autres, maintenant je ne le fais plus. » Epouse de chef, petit producteur mono-ménage, Mafele

La culture du coton a également permis l’épargne, essentiellement sous forme de bétail.

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Bétail possédé au niveau de l’UP Nombre de vaches possédées par l’UP en moyenne 18 Nombre de petits ruminants possédés par l’UP en 8 moyenne Nombre de volailles possédées par l’UP en moyenne 26

Par ailleurs, et contrairement au sésame, au soja et à d’autres cultures de rente dont les prix fluctuent sans contrôle de la part des paysans (qui se sentent impuissants face aux commerçants), le prix du coton est fixé à l’avance et garanti, ce qui permet certaines prévisions, malgré les aléas climatiques et les variations du prix payé au producteur. « C’est parce que le coton est plus garanti que le sésame que je suis venu au coton. Le sésame ce sont les commerçants qui fixent les prix et ils peuvent venir dire que le prix a chuté. Alors que le coton, quand on fixe le prix, c’est connu de tous et il n’y a pas de changement brusque dans ça. J’ai fait quand même du sésame car l’argent du coton vient tardivement. Tu vends en attendant le sésame pour faire tes dépenses : café, condiments, payé des filets pour attraper le poisson afin de mettre ça à la sauce… » Chef d’UP pauvre, Mafele

« C’est la seule culture dont le prix est fixé par le gouvernement. Les autres cultures on discute du prix avec les commerçants. La culture dont le gouvernement maîtrise le prix c’est le coton. » Chef d’UP pauvre, Mafele

Cultiver du coton donne aussi aux producteurs, et notamment aux moins aisés d’entre eux, une solvabilité qui permet de d’emprunter de l’argent ou de payer à crédit pour combler par exemple un déficit céréalier ou faire face à d’autres problèmes, sans recourir à la décapitalisation. Les crédits, pris auprès de voisins, de commerçants ou même de la coopérative, sont remboursables sur l’argent de la campagne de coton à venir. « Quand on ne cultive pas le coton ici on est marginalisé dans beaucoup de choses dans le village. On est comme perdu dans le village, on n’est pas connu. AV prend en charge certains problèmes du village sans qu’on ne demande à la population de contribuer mais on réclame aux gens qui ne sont pas dans l’AV leurs contributions et ils sont obligés de payer. C’est pour ça que je suis rentré dans la culture du coton. Au-delà de cette contribution on peut être dans des difficultés financières, on a aucun moyen d’y faire face seul, les gens peuvent t’aider en comptant sur le fait que tu es producteur de coton. Ils se disent que tu payeras la dette quel que soit argent que tu auras dans le coton. C’est aussi l’une des raisons qui ont fait que je suis rentré dans la culture du coton. » Chef d’UP pauvre, Mafele

Et enfin, le coton a permis aux producteurs de la zone d’avoir un niveau d’équipement productif et en biens du ménage, largement supérieur à la moyenne nationale.11 « Le coton m’a mis dans la lumière (Koori ye ne bla yeleen na) ! » Chef d’UP, Ouroumpana

« Le coton, c’est notre produit. C’est dans ça que nous gagnons de l’argent, que nous pouvons avoir des maisons avec de la tôle, des équipements, faire de l’élevage. » Chef d’UP, petit producteur, Kougouala

11Le paradoxe de Sikasso : coton et pauvreté au Mali, Jocelyne DELARUE, Sandrine MESPLE-SOMPS, Jean-David NAUDET, Anne-Sophie ROBILLIARD, DIAL, DOCUMENT DE TRAVAIL DT/2009-09, NOV 2009 59

« Avec le coton, il y a eu un changement de stratégie dans la gestion de la famille. Avant le coton, on cultivait des céréales et on déléguait quelqu’un pour aller chercher l’argent pour payer l’impôt. Aujourd’hui, c’est l’argent du coton qui paie l’impôt. » Chef d’UP, gros producteur, Kougouala

« On est des paysans, on aimerait que les revenus agricoles augmentent, faire des travaux et investir en ville. » Chef d’UP, gros producteur, Kougouala

« C’est grâce au coton qu’on n’a plus de céréales, mais c’est l’argent liquide qui est le plus important. Si tu ne vends pas de coton, il n’y a aucun moyen de faire face aux dépenses » Chef d’UP, gros producteur, Kougouala

« Sans l’argent du coton, tu ne peux pas avancer, chez nous c’est l’argent du coton qu’il est plus facile d’avoir. » Chef d’UP, moyen producteur, Kougouala

Les taux d’équipement en biens du ménage montre bien la diffusion progressive de certains standards, comme la maison en dur et le toit de tôles, à tel point que la possession de ces équipements ne permet plus réellement de distinguer les niveaux d’aisance matérielle. L’équipement des toits en tôle est presque devenu une nécessité et un investissement rentable à plusieurs points de vue : objectivement, du fait de son imperméabilité en cas de pluie et de la disparition de la paille, statutairement, avec la diffusion de ce standard de vie. « Aujourd’hui, la paille qu’on coupe pour faire les toits, comme il y a beaucoup de bœuf maintenant, les gens qui ont des bœufs viennent du nord pour couper toute la pailler avant qu’on ne finisse les travaux du coton. Et après ça ne vous ne pouvez pas avoir de longue paille qui peuvent servir de toit et si tu ne peux pas avoir de longue paille, tu es obligé de te débrouiller pour chercher de la tôle pour ne pas que l’eau rentre dans la maison. » Chef d’UP, Mafele

En revanche, les différences de niveau de vie sont plus visibles sur les biens « intermédiaires » (panneau solaire, télé, moto ou Djakarta), plus « futiles », donc non prioritaires pour les moins aisés.

Taux d’équipement des ménages Chefs Hommes Epouses Maison en dur (béton, banco stabilisé) 55% 48% 46% Tôle 83% 78% 71% Panneau solaire 70% 62% 38% Télé 24% 20% 12% Moto, Djakarta 54% 47% 31%

Taux d’équipement des individus Chefs Hommes Epouses Vélo 83% 83% 17% Moto 46% 49% 0% Véhicule 2% 0% 2% Vêtements en wax ou en basin en bon état 59% 64% 73% Ustensiles de cuisine en bon nombre et en 68% 63% 70% bon état Tel mobile 67% 83% 45%

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Finances individuelles Chefs Hommes Epouses Argent liquide disponible 80% 79% 76% Si oui, détiennent… Moins de 25 000 F CFA 65% 62% 86% 25-49000 F CFA 17% 22% 8% 50-99 000 F CFA 10% 4% 3% 100 000 F CFA et plus 8% 12% 3% Ont pu aider financièrement une autre 77% 77% 55% personne

Néanmoins, cultiver du coton aujourd’hui n’est pas un choix systématiquement intéressant, et s’impose souvent pour bénéficier d’avantages collatéraux. En effet, la cotonculture est jugée très contraignante et risquée si elle n’est pas portée par un collectif soudé et des personnes au minimum alphabétisées. Nous verrons que ceux qui ne cultivent pas le coton sont souvent dans l’impossibilité de le faire, par manque de matériel, par endettement, non par choix. La situation assez chaotique ces deux dernières décennies (fluctuation du prix sur le marché mondial et libéralisation du prix du coton payé au producteur, restructuration de la CMDT (avec dégraissage au sein du personnel, abandon du soutien des autres filières et de l’appui au développement, augmentation du prix des intrants), s’est traduite localement par une moindre garantie de rentabilité voire beaucoup d’endettement, des dissensions sociales au sein des villages et un sentiment d’impuissance des producteurs. Un grand nombre d’entre eux font ainsi part d’une certaine lassitude et d’une grande méfiance vis-à-vis de l’endettement imposé par la coton culture. L’accès aux intrants à crédit nécessite des écrits, et pénalise ceux qui sont incapables de faire des calculs de rentabilité. Enfin, la restructuration de la CMDT s’est accompagnée d’une plus grande exigence quant à la qualité du coton produit, ce qui implique plus de contraintes dans la gestion des ressources humaines et des moyens de production pour espérer une bonne productivité, ou des moyens financiers importants pour s’en dédouaner (tracteurs, personnel salarié). « Il y a certaines herbes, si tu n’enlèves pas ça en bas du coton, ça gâte les capsules de coton. Ce travail coïncide avec le sésame. Si tu n’as pas les travailleurs pour enlever ça, et que tu t’occupes du sésame, le coton va se gâter et si le coton se gâte, le sésame ne peut pas boucher ce trou. Mais si tu as la force, si le bas du coton est propre, tu peux faire le sésame. Mais si tu n’as pas cette main- d’œuvre, tu dois mettre le sésame de côté. Si tu as un jour ou deux jours pour ça, le reste tu t’occupes du coton. La force pour nous, c’est quand tu as l’argent et que tu peux prendre trois à quatre personnes en plus de toi-même pour désherber tout d’un coup. Ou bien tu prends un groupe de femmes pour aller désherber le coton et tu peux être à l’aise pour bien cultiver le sésame. » Chef d’UP, Mafele

« La culture du coton est très compliquée. C’est la plus dure de toutes les cultures. Une fois que le coton est semé, c’est le travail qui commence jusqu’au jour où ils te diront « tiens ton argent ». Il y a aussi des gens que se fatiguent mais ils ne gagnent rien après. Et ça se complique de plus en plus. Ils demandent d’enlever toutes les impuretés maintenant et quand la pluie bat le coton récolté, il faut trouver un bon endroit pour le sécher au soleil sinon ses graines pourrissent et cela entraine une perte de poids. » Cadet, Mafele

« La culture du coton et les autres cultures sont différentes. Une seule personne ne peut pas entretenir un champ de coton. L’entretien du coton est difficile. Le sorgho par exemple, quand tu le sèmes, tu peux faire le désherbage une fois et ça suffit et tu attends la récolte. Le mil pour qu’il 61

donne bien, il faut désherber 4 fois. Le travail du coton est très dur. On nettoie le champ du coton, on le laboure et on le sème. Après il faut sarcler 3 fois. Si le sarclage est fait, vous mettez les engrais et ensuite il faut le démarier. Le matin tout le monde va mettre les engrais. Seules les femmes ne partent pas. Après avoir mis l’engrais dans la terre, il faut remuer le sol et on laisse ce champ pour s’occuper d’autres champs. Après vous revenez encore au coton. Vous faites le 1er désherbage et vous attendez un peu. Quand on met l’engrais, les herbes poussent, on enlève ces herbes avec les houes à la main. Quand vous finissez de tout désherber, vous attendez encore. Le coton demande beaucoup de travaux. » Chef d’UP, Mafele

« Le coton dans les champs individuels, ça voudrait chauffer. Au début du coton ici, les gens pensaient que le coton était une aubaine et les femmes s’étaient même inscrites pour le cultiver. Ceux qui ont essayé de faire du coton une fois dans leurs champs individuels ne l’ont pas fait une deuxième fois. Ils étaient tous endettés. C’est parce qu’il y a trop de travail à faire dans le coton. Il faut être chaque fois dans le champ du coton alors que les autres cultures si on fait le désherbage une fois, cela suffit. Il faut désherber le coton 4 fois sinon on ne gagne rien. D’ailleurs, là où nous sommes aujourd’hui, si nous avions les moyens d’avoir les intrants nous-mêmes, on arrêterait la culture du coton. La culture du coton demande beaucoup de travail et le rendement est faible. On ne gagne rien dedans. » Chef d’UP, Mafele

Les risques et les efforts consentis sont jugés finalement très lourds comparativement aux avantages et revenus, surtout pour les petits producteurs. Et nous verrons que le revenu est largement investi pour réunir les conditions de production dans un contexte d’appauvrissement des sols, de fuite de la main- d’œuvre et d’endettement généralisé et de besoins croissants. « L’argent du coton a un grand nom sinon l’argent que nous dépensons en dehors du coton est bien supérieur à l’argent du coton. Les autres savent combien on a eu dans le coton mais ce qu’on gagne dans les autres activités, personne ne sait le montant à part l’intéressé lui-même. On finit de dépenser cet argent avant l’arrivée de l’argent du coton. » Chef d’UP pauvre, Kougouala

2.3.2. Les crises récentes, en fragilisant les communautés de producteurs, ont installé une méfiance structurelle vis-à-vis du coton

Face aux possibilités de culture à perte et d’endettement, les mécanismes de résilience par emprunt supposent à la fois des communautés bien structurées et relativement soudées, mais également des pertes relativement isolées (les « gagnants » ou la CPC pouvant accorder des prêts aux « perdants »). Or, les producteurs ont subi des « années noires », qui ont été marquées par la défaillance, y compris des très gros producteurs jusque là jugés « hors d’atteinte ». Ces événements sont toujours très présents aux esprits, notamment la crise de 2006. De plus, ils ont entraîné dans certains villages la séparation des producteurs entre plusieurs CPC, ce qui extrêmise les inégalités et entrave l’entente communautaire

« C’était le chaos dans le village et je n’oublierais pas cette année jusqu’à ma mort. Les liens de parentés étaient sur le point de se détériorer à cause de ces endettements. C’était en 2001. C’était la catastrophe dans le village. Tous nos grands pivots avaient failli. Ils étaient tous endettés. Il n’y a pas de choses pires que la faillite d’un gros producteur de coton. Nous avons compris qu’il n’est pas facile pour un gros producteur de coton de se retrouver après la faillite. (…) Il y a eu des années difficiles parce qu’ils avaient baissé le prix du coton. Les gens étaient endettés partout dans le village. Certains avaient des dettes de 200 000F et d’autres plus. Ils ont été obligés de vendre les

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bœufs pour payer ces dettes. En ce moment on pèse mon coton par exemple et on me dit de passer chez le monsieur qui déduit les crédits. Je passe chez lui et je trouve que mon argent du coton ne suffit pas pour payer mes crédits. Après cette phase est venue celle de la BNDA. On nous a dit de former des associations. Quand le producteur est endetté, la BNDA paye et les endettés remboursent après, donc on ne les amène plus. » Entretien village, Ouroumpana

« C’est à cause des endettements. L’AV était en difficulté, les grands pivots étaient endettés. Quand ils se sont débrouillés à payer leur dette ils ont décidé de se retirer. Il y avait eu une perte d’argent au niveau du secrétaire, l’argent de la BNDA. La BNDA a dit de payer cet argent. C’était une dette. La BNDA dit que cette dette n’est pas payée, le trésorier dit que c’est payé. Il y a eu une discussion autour de cette dette. Le trésorier avait perdu l’argent, et ceux qui ont payé l’argent ont créé l’AV 2 et nous nous sommes les gens de l’AV 1. Ceux qui ont payé étaient les gros pions qui soutenaient le trésorier, ils sont du même côté. Après avoir payé les crédits ils ont dit de séparer les AV. La solution qu’on a eue c’est la séparation des AV pour que chacun s’arrange de son côté pour surmonter la crise. Nous avons partagé les fonds qu’on avait dans la caisse. Chaque AV paie les dettes de bœufs de ses membres. Les groupes se sont constitué par affinité, s’il y a un endetté dans un groupe, le groupe paie et après l’endetté rembourse le groupe. Nous nous sommes organisés comme ça pour surmonter la crise. » Entretien village, Ouroumpana

« C’était en 2006, une année d’endettement qui nous a fatigués. On n’avait pas pu payer les crédits de la BNDA avec l’argent du coton parce qu’il y avait beaucoup d’endettés. Ça nous avait amené à changer notre secrétaire. La population a été obligée de cotiser pour payer la BNDA. Des producteurs endettés ont cotisé pour payer leur dette. Ils ont coupé l’argent de ceux qui avaient gagné. Il fallait que les gagnants acceptent ça pour que le village retrouve la paix. C’est comme ça que l’on est sorti de la crise. Après les endettés ont remboursé petit à petit les gagnants » Entretien village, Deguebo

2.3.3. Le risque de culture à perte et d’endettement est toujours prégnant

Les exploitants enregistrant les plus faibles revenus sont également ceux qui ont enregistré le plus de pertes l’année précédente. De façon très nette, tous ceux (sauf deux) ayant déclaré des revenus nuls pour la campagne 2014-15 ont enregistré une perte l’année précédente. La forte proportion de producteurs endettés à l’issue de la campagne 2013-14 et les rendements médiocres de cette dernière campagne et donc les faibles « marges » enregistrées, expliquent ainsi très largement le nombre élevé de producteurs ayant perçu des revenus faibles voire nuls à l’issue de la campagne 2014-15. « La première année où j’ai cultivé le coton, j’ai gagné 175 000 francs avec un hectare, la deuxième année, j’ai cultivé sur deux hectares, mais je n’ai récolté que 260 kilos, j’ai eu une dette de 238 000 francs à la CMDT. Quand tu t’endettes, c’est l’AV qui paie, un de mes fils migrants m’a envoyé 75 000 francs, mais je devais 163 000 à l’AV, que j’ai remboursé l’année suivante. J’ai produit trois tonnes, j’ai reçu 300 000 francs » Chef d’UP, moyen producteur, Kougouala

La décapitalisation par vente de bétail ou de céréales permet de pallier entièrement ou partiellement cette perte sèche de revenus. Néanmoins, elle suppose un capital sur pied, et pour les paysans endettés la perspective de vendre un bœuf de labour est très anxiogène car elle ouvre un cycle négatif. Lorsque possible, les chefs d’UP préfèrent vendre des céréales ou faire appel aux migrants, et en presque dernier recours demander un prêt à une autre famille ou à la CPC.

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« Certains ont vendu leurs animaux d’autres des bœufs de labour pour payer la dette. C’est ce qui fait que tu vois une personne avec un attelage cette année et l’an prochain elle se retrouve sans attelage. » Entretien village, Deguebo

Endettement des producteurs selon le type Petits Dont ceux à Revenus Revenus Gros Ensemble producteurs revenus entre 1 et entre 100 et producteurs nuls 100 kf 240 kf % d’UP ayant déjà été dans la situation où le prix de vente du coton ne suffisait pas à rembourser… … le crédit CMDT ou les dettes 51% 92% 42% 47% 35% 43% … le crédit pour les bœufs de 16% 15% 15% 18% 16% 16% labour ou du matériel Dernière année où le cas s’est présenté 2013 85% 19% 3% 5% 2011 ou 2012 / 11% 21% 11% Année antérieure / 15% 26% 20%

Solutions pour ceux dans l’impossibilité de régler le crédit* Petits Gros Ensemble producteurs producteurs Vente de bétail 58% 58% 58% Vente de céréales 21% 28% 25% Autre (recours aux migrants surtout) 33% 33% 33% Emprunt à la coopérative 21% 17% 19% Emprunt à une autre UP 8% 10% 9% * Total > 100% car possibilité de recours multiple

2.3.4. Les réformes récentes du « système coton » ne parviennent pas à sécuriser les producteurs, qui se sentent peu soutenus par la filière et par la CMDT

Le prix payé au producteur, même s’il est relativement stabilisé depuis quelques années, n’est pas garanti et ne sécurise pas les exploitants.

La culture du coton est dès lors envisagée avec une relative méfiance, qui limite dans bien des cas l’investissement (terres, intrants, investissements en travail extérieur). « C’est la CMDT qui achète notre coton. Elle achetait le coton à 185 F. Avant elle l’achetait à 135 F. Après elle a monté le prix à 165 F. C’était une joie pour nous tous et nous avons dit que la CMDT veut vraiment aider les paysans à sortir de la misère. Nous nous sommes lancés véritablement dans la culture du coton. Nous cultivons pour avoir des avantages comme on le disait. C’est un problème pour nous producteurs. Pendant que les gens se plaignaient de ça, ils baissent le prix du coton de 165 à 150 F. Nous sommes dit : « est ce qu’ils ne veulent pas que les pauvres arrêtent de cultiver ? Ils montent et diminuent le prix du coton comme ils veulent ». Si par exemple un pauvre entreprend des choses en se disant que le prix du coton est 165F et à la grande surprise ils ramènent le prix à 100 F c’est un grand problème. Ils ne nous disent rien. Nous producteurs nous voyons qu’ils réduisent le prix du coton de tel montant et c’est tout. Après ils nous parlent de ristourne, ils nous payent cette ristourne deux ans. » Entretien village, Ouroumpana 64

« Aujourd’hui, le coton est acheté à 235 F CFA et pour la campagne prochaine, on ne sait pas à combien ils vont fixer le prix du coton. Ça sera plus ou moins de 235 on ne sait pas. C’est vraiment un problème entre la CMDT et nous. Les producteurs veulent bien s’engager dans la culture du coton mais il faut les encourager pour les motiver. » Entretien village, Ouroumpana

Les intrants CMDT sont perçus comme trop chers face au prix payé au producteur

Par ailleurs, le coût des intrants est jugé exorbitant, sans compter les difficultés à les obtenir à temps de la CMDT, et leur qualité quelquefois contestée. « La 1ère difficulté c’est quoi ? Ils ont baissé le prix du coton, et ils disent que le prix des engrais aussi a baissé. En réalité, si l’on fait une analyse des choses, on trouve que le prix des engrais n’a pas chuté. Ils ont fixé le prix du coton à 235 F aujourd’hui et le prix du sac d’engrais coûte 11 785 F tu vois ? Le sac d’engrais coûtait plus de 15 000 ils ont baissé mais le prix du coton s’était 255 F (…) L’engrais est passé de 15 000 à 11 785 F et le coton est acheté à 235 F. » Entretien village, Gomi

La subvention des intrants est connue par certains producteurs, et cette mesure est valorisée sur le principe, toutefois elle est jugée insuffisante et le coût des intrants toujours trop élevé par rapport au prix payé au producteur « Cette année par exemple la CMDT nous vendu le sac à 11 785 F, mais les années précédentes c’était à 13 415. C’est la subvention qui a fait qu’on le sac à 11 785 F cette année. Sur chaque sac le gouvernement paye plus de 500 F pour les paysans. » Entretien village, Deguebo « C’est vrai que la CMDT subventionne les intrants mais le prix du coton est bas. (…) Le prix du coton est petit et le montant qu’ils payent dans le prix des intrants est insignifiant comme subvention. Cela fait que le coût des intrants nous reviennent très élevés. » Entretien village, Mafele

Certains producteurs ont perçu un changement de la variété semencière et une baisse de la quantité de coton produite. « Nos difficultés sont dues au fait qu’ils ont changé les semences. Il y a 4 ans que le coton ne donne pas assez de capsules. La plante fait très peu de capsule vers le haut. C’est vers le bas qu’il y a beaucoup des capsules. La seule raison pour nous c’est le fait qu’ils ont changé la semence » Entretien village, Deguebo

La qualité des engrais n’est pas remise en cause, en revanche celle des pesticides est sévèrement jugée.

La qualité de ces derniers est perçue comme en baisse, ce qui crée des tensions autour des pratiques culturales. Face au constat manifestement partagé que les ravageurs du coton semblent moins sensibles aux pesticides, la CMDT semblerait dénoncer les mauvaises pratiques culturales des producteurs et le non respect de l’itinéraire technique, face aux producteurs qui quant à eux perçoivent plus aujourd’hui d’impact des pesticides sur la santé humaine (nocivité pour la personne qui pulvérise) que sur les ravageurs. « Maintenant nous même on a constaté que les intrants n’ont pas assez de force. Quand les gens de la CMDT sont venus avec les gens de plusieurs villages pour le problème du coton on ne s’est pas mis d’accord. Les autorités nous ont dit que c’est la pauvreté du sol qui fait que le rendement n’est pas bon. Mais moi j’ai constaté que le poison qu’on donnait c’était un seul poison mais maintenant ils nous donnent plusieurs poisons et nous demandent de faire le traitement 5 à 6 fois. Et ce poison ne

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tue pas les chenilles, et après 15 jours quand tu viens tu trouveras que les chenilles ont bouffé le coton. » Entretien village, Douna

Les paysans ne se sentent pas soutenus par la CMDT

Les producteurs, et surtout dans la zone enclavée, dénoncent la mauvaise qualité des services, même si une amélioration est remarquée. On déplore des retards dans la livraison des intrants, des quantités livrées inférieures à celles demandés, et enfin des retards dans l’organisation de la collecte. « Par rapport à notre partenariat avec la CMDT le problème qu’il y a, c’est celui des engrais. Le village peut recenser 60 ha de coton, quand vous partez demander les engrais pour les 60 ha, la CMDT vous dit qu’elle ne peut que vous donner des engrais pour 40 ha. C’est un problème pour nous. » Entretien village, Deguebo

« Nous avons des grosses difficultés avec la CMDT. Elle ne nous donne pas la quantité des intrants que nous voulons et on ne les trouve pas à temps. » Entretien village, Gomi

Les producteurs ont conscience que la CMDT s’est désengagée des services connexes et propose moins d’accompagnement des paysans sur la filière coton. « Pour moi il y a un changement je le dis parce que c’est un point qui m’a beaucoup marqué dans le cadre du travail. Avant, quand les AV se créaient la CMDT organisait des formations à l’intention des paysans mais aujourd’hui la CMDT ne forme plus les producteurs. Les formations portaient sur les activités champêtres ; de la production jusqu’à la commercialisation du coton. La CMDT ne fait plus ces formations. Je ne sais pas si c’est ce manque de formation qui la cause de la réduction du rendement à l’hectare ou bien si c’est autre chose qui réduit les rendement de coton à l’hectare. » Entretien village, Kougouala

Enfin, on reproche à la CMDT de ne pas soutenir les autres filières, notamment les cultures de rente alternatives que sont aujourd’hui le sésame et le soja. Ces cultures alternatives (sésame surtout) ne sont pas à date sécurisées, mais sont moins risquées. Bon nombre de paysans investissent des ces filières, sans pour autant, souvent abandonner le coton ; en l’état, la relation au coton est ainsi fragilisée, sans pouvoir être rompue. « Le sésame a été vendu à 400F le kg dans certains endroits, 500 F. Vous-même il faut voir la différence de prix. Nous serons tous tentés de nous engager dans la culture sésame à cause de son prix. C’est un prix qui motive le cultivateur. Aussi il y a deux mois environ que nous avons eu l’argent de nos sésame et ce n’est qu’avant hier que nous avons eu l’argent du coton. » Entretien village, Ouroumpana

« Lors de l’une de nos réunions, il y a quelqu’un qui a dit que c’est la culture du coton qui est en train de faire régresser la région de Sikasso. Ce qu’on peut vous dire c’est que s’ils ne font pas attention la culture de la pomme de terre va arracher les cultivateurs du coton. Parce que le prix du coton baisse alors que le prix de la pomme de terre monte. Je ne peux rien dire sur ça. Mais je sais que ceux qui sont proches de Sikasso ont abandonné la culture du coton au profit de la pomme de terre. Mais moi-même je n’ai pas de terre propice pour la cultiver, c’est pourquoi je suis dans la culture du coton ici. On pourrait diminuer les superficies du coton. S’il y avait les revenus dans le coton on allait augmenter. » Entretien village, Douna

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Les réformes n’ont pas enrayé le découragement. Si les producteurs continuent à produire du coton car le prix actuel garantit des revenus à la majorité, au final, le contexte induit toutefois des démotivations, et les cultures alternatives sont de plus en plus considérées et évaluées. La culture du coton peut être remise en cause… tout au moins dans les discours, et à condition d’autres perspectives. La démotivation des producteurs se traduit également par des pratiques « aberrantes », détournement des engrais du coton, ou non respect des itinéraires techniques, et certains leaders communautaires tentent de mettre en place des contrôles internes car ces comportements fragilisent davantage les autres producteurs par le jeu de la mutualisation des risques. « Nous donnons les intrants en fonction des capacités d’utilisation des gens. Si quelqu’un veut prendre plus d’intrants qu’il n’utilise, nous lui disons de ne pas le faire. Nous vivons ensemble, on se connait entre nous dans le village. Nous savons qui produit peu et qui produit beaucoup. Par exemple moi je peux utiliser 10 sacs dans mon champ si je vais dire au secrétaire de me donner 15 sacs. Le secrétaire il me connait, il sait que si je dépasse les 10 sacs je serais endetté il me dit de me limiter aux 10 sacs. Même si cela ne me plaît pas c’est ce qui se fera, il ne me donnera pas plus de 10 sacs. Il y a une équipe technique qui s’occupe de mesurer les champs. Ils savent les dimensions des champs de tous les producteurs et le partage des intrants se fait à la place publique devant tout le monde. Si au départ un producteur avait prévu de cultiver 5 ha mais la pluviométrie fait par exemple que le coton a poussé véritablement sur 1 ha sur les 5 ha, si l’équipe technique qui fait des visites dans tous les champs constate ce fait dans le champ d’un producteur, on donne à ce producteur les intrants pour un hectare et le reste des intrants qu’il avait retourne dans le magasin de l’AV. Ce sont ces mesures que nous avons prises ici pour éviter les endettements. Nous sensibilisons les producteurs dans ce sens. » Entretien village, Kougouala

« C’est l’une de raisons pour lesquelles nous avons formé ces groupe. La grange CPC ne peut pas suivre tout le monde comme il faut. Mais c’est plus facile de se suivre dans les groupes restreints. Par exemple grâce à toi le groupe a été en faillite cette année, si l’an prochain moi je te vois développer des actes qui vont nous plonger dans des situations de crédits, c'est-à-dire tu prends des intrants que je sais, tu ne pourras pas rembourser, est ce que je te laisserai faire ? Non. Avant certains vendaient leurs intrants. » Entretien village, Deh

2.3.5. Au final, la relation avec la CMDT est marquée par une relative tension

Beaucoup expriment le sentiment d’être manipulés par une filière qui aujourd’hui fait peser sur eux, à la fois le travail (pénible), les coûts de production et les risques. La relation avec la compagnie cotonnière s’inscrit ainsi de plus en plus dans une forme de rapport de force, où l’ancien « partenaire » est de plus en plus perçu comme un donneur d’ordre plutôt autoritaire et avec une distance croissante dans la relation. « On craint beaucoup aujourd’hui parce que nos cultures de base c’était le coton et le maïs. On n’a jamais mis le soja dans notre programme. Aujourd’hui on craint beaucoup parce que le prix du coton est entrain de baisser et le maïs là c’est pour la consommation. Notre crainte aujourd’hui c’est le prix du coton et du maïs sont entrain de baisser alors le prix de l’ordonnance augmente. Et le prix du poisson fumé est passé de 1250F à 3000F alors qu’on a fait tout le prix du maïs n’a pas dépassé 100F. Et on entend à la télé que le salaire des fonctionnaires a augmenté. » Entretien village, Douna

« Moi j’ai mal dit des sales mots à un monsieur qui travaille au bureau là bas. Je lui ai dit que si lui il travaille dans un bureau c’est parce qu’il y a des gens qui travaillent sous le soleil pour produire le coton. Sans ces gens toi tu ne serais pas dans ce bureau. » Entretien village, Ouroumpana 67

2.3.6. De fait, le désengagement de nombre de producteurs se traduit par une baisse des rendements

Les producteurs constatent la baisse des rendements et l’associent certes à l’épuisement des sols, mais aussi aux mauvaises conditions d’exploitations (variétés semencières moins productives, moindre efficacité des intrants, culture du coton épuisant les sols, mauvais encadrement…) « On a constaté que le rendement est entrain de baisser à l’ha au fil du temps. Nous avons dit que c’est les intrants qui ne sont pas biens, la CMDT dit que c’est la terre qui est fatiguée. Il y a des intrants qui ne sont pas vraiment biens. » Entretien village, Douna

« Pour être en paix dans la culture du coton il faut avoir un champ à la dimension de tes capacités. Ce qui te permettra de faire des cultures vivrières et de faire une bonne récolte. Quand la CMDT donne les engrais pour 40 ha de coton, elle donne des engrais pour 20 ha de maïs à côté. Ça crée des problèmes lors du partage de ces engrais entre les producteurs dans le village. Par exemple si lui il fait 2 ha de coton, la CMDT lui donne les engrais pour 1ha de maïs à côté. C’’est un problème surtout s’il n’a plus d’argent pour acheter le complément d’engrais pour faire plus de culture vivrière. C’est ça qui fait que certains producteurs mettent dans leur champ de culture vivrière une partie des engrais qui était destinée au coton et cela crée d’autres problèmes pour le coton. » Entretien village, Deguebo

Rendements du coton à l’hectare entre 2008 et 2014 de deux petits et d’un “gros » producteurs Rendements du coton en kg/ha sur les 7 dernières campagnes pour 3 producteurs

1500 1000 500 0 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014

Petit (140 KF/an) Petit (160 KF/an) Gros (760 KF/an)

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3. Les non producteurs : une incapacité à produire du coton et non un choix

Comparativement aux producteurs de coton, gros ou petits, les non cultivateurs présentent un profil plutôt atypique, à la fois de structure familiale et d’exploitation agricole.

Nous avons considéré comme « non producteurs » des exploitants qui, au cours des dix dernières années, n’ont pas produit de coton. Ces UP sont minoritaires dans notre échantillon (7%), de plus elles ne représentent, au sein de l’ensemble, que 3% de la population, car elles sont de très petite taille (1,7 ménage en moyenne, 6/10 sont des UP mono-ménages), soit 5,4 travailleurs par UP. Par ailleurs, l’âge moyen des chefs d’UP est particulièrement élevé (69 ans), ce qui exclut de « nouvelles » UP récemment sorties de la grande famille ; il s’agit plutôt de ménages de personnes âgées dont les enfants ont quitté le village et qui n’ont plus les moyens de cultiver le coton, ou d’UP très démunies en termes d’équipement agricole ; la moitié d’entre eux n’ont ni charrue ni bœuf de labour. La superficie du champ commun est particulièrement restreinte (2,7 ha en moyenne), et toujours inférieure à celle des producteurs de coton.

Les raisons invoquées pour ne pas produire de coton traduisent le caractère « démuni » de ces UP en termes surtout de moyens de production, humains et matériels, ainsi que la peur de l’endettement. Le prix bas payé au producteur n’est mentionné que par une seule UP, en raison secondaire, ce qui confirme que la non culture de coton n’est pas un choix mais résulte bien d’une incapacité.

Principales raisons citées en spontané de ne pas cultiver le coton Manque de matériel dans le gwa 53% Par manque de main-d’œuvre / de bras valide à temps 19% Par peur de l’endettement 24%

« J’avais pris l’argent d’un bœuf à crédit. Comme cela a trouvé que j’ai déjà 2 bœufs, j’ai acheté des tôles pour construire une maison. On coupait l’argent du bœuf petit à petit. J’ai remboursé l’argent du bœuf pour 2 ans et ensuite j’ai vu que le prix de la CMDT commençait à tomber. Les gens qui étaient endetté, la CMDT les prenait pour aller les enfermer à Bougouni. J’ai eu peur et j’ai vendu un de mes bœufs pour payer la 3e année du crédit bœuf et il est resté la dernière année. J’ai arrêté de cultiver le coton parce que j’avais peur d’en faire une autre dette. » Chef d’UP, non producteur, Ouroumpana

Les champs individuels représentent 60% des terres cultivées dans la famille, essentiellement par une ou des épouses. Le capital sur pied est très faible (1 à 2 vaches et 1 petit ruminant par UP) et les revenus des activités non agricoles sont très peu importants et largement inférieurs à ceux tirés des activités non agricoles des UP productrices de coton : 10 000 F CFA par chef d’UP, 22 500 par homme marié, en revanche ceux des femmes sont égaux à la moyenne : 28 000 F CFA / an.

Et de fait, les femmes de ces UP sont particulièrement actives et assurent l’essentiel de la nourriture et des petits besoins de la famille. En revanche, le nombre moyen de migrants et leur apport monétaire dans la famille sont largement supérieurs à ceux des catégories de producteurs.

Les enquêtes qualitatives font ressortir qu’il s’agit souvent d’UP dont le chef est vieux et inactif et dont les enfants sont largement en migration. Ces enfants contribuent parfois de manière substantielle aux dépenses de la famille (80 000 F CFA / an / UP, mais presque 300 000 F CFA pour les UP qui reçoivent des

69 subsides des migrants). Les faibles investissements sont généralement une contribution de leur part. L’équipement de ces UP est plutôt inférieur à celui des producteurs de coton (vu le très faible sous- échantillon, nous ne produisons que les données pour les chefs d’UP, qui sont très indicatives et très relatives).

Habitat et propriété de biens de consommation des non producteurs Chefs d’UP Maison en dur 30% Tôle 70% Panneau solaire 30% Télé 0% Djakarta 20% Vélo 80% Moto 10% Véhicule 0% Vêtements en basin ou wax en bon état 70% Ustensiles de cuisine en bon état 50% Tel mobile 40%

Le profil des UP non productrices de coton, dans les deux zones investiguées, tend vers une extrèmisation de celui des plus petits producteurs, et pose ainsi un « pôle » démuni inapte à produire le coton.

S.C. a 70 ans et est aujourd’hui aveugle et inactif. Il a arrêté de cultiver et de produire du coton depuis 4 ans. Il a 4 fils partis depuis leur jeunesse, en Côte d’ivoire ou à Bamako. Trois d’entre eux envoient régulièrement de l’argent ou prennent en charge les travailleurs salariés ou des dépenses importantes de santé par exemple. L’un vient encore ponctuellement cultiver pendant l’hivernage et en 2014, il a pu finir de financer son mariage grâce à l’hectare de coton qu’il a cultivé, en empruntant les bœufs de labour à un voisin. En 2015, son fils n’est pas venu et sa femme a cultivé du maïs, de l’arachide et du sésame pour faire face à leurs dépenses quotidiennes. Lui-même a toujours cultivé le coton, jamais plus d’un hectare faute de main- d’œuvre et de matériel de production. Ses revenus annuels ont toujours oscillé entre 50 000 et 150 000 F CFA, permettant juste de payer les travailleurs salariés, l’impôt et de faire face à quelques épisodes de maladie. Il n’a jamais pu obtenir suffisamment pour investir ou épargner. Il a fait faillite une seule fois, et son fils lui a envoyé 35 000 F CFA pour solder sa dette. Ses enfants ont financé également les toits de tôle de sa maison.

M.B. a 47 ans, est marié à deux épouses dont une handicapée mentale et a des enfants encore trop jeunes pour travailler. IL y a dix ans, il a contracté un crédit auprès de la coopérative pour acheter un bœuf de labour, mais a utilisé l’argent fourni pour équiper son habitat en tôles. Suite à une mauvaise récolte, il n’a pu rembourser cette année-là le crédit de 150 000 F CFA, qu’il a payé pendant trois ans sur la base de revenus très faibles dus à des rendements très médiocres. Depuis sept ans, il ne cultive plus le coton. Son fils aîné et sa seconde épouse contestent ce choix, et souhaitent eux-mêmes cultiver prochainement une parcelle de coton, quand son fils aura l’âge de prendre lui-même en charge le travail nécessaire.

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4. Stratégies d’utilisation des ressources disponibles et modes de consommation

De façon coutumière, toutes les ressources dégagées dans la famille, localement ou à l’extérieur, et les biens (bétail notamment), étaient gérées par le chef de famille qui décidait seul de leur utilisation. Il était impensable pour un cadet de disposer d’un revenu ni même d’un bien personnel. « Avant, le fils n’avait droit à rien. Rien n’appartenait ni à la mère ni à l’enfant, même pas un poulet. Et nous ne contredisions pas nos parents. Avant les gens se respectaient, avaient peur les uns des autres. C’est maintenant que les fils ont des biens personnels.» Chef d’UP pauvre, Ouroumpana

Aujourd’hui, nous l’avons vu, les besoins et le mode de production imposent une diversification et une gestion plus décentralisée des sources de revenus, en particulier celles générées par les individus en dehors du champ collectif. Globalement, quels que soient la zone, le village ou le profil du producteur, les ressources s’organisent en deux pôles distincts : - les ressources tirées du champ collectif, avec une gestion centralisée et plus normée - les ressources tirées des activités individuelles agricoles ou non agricoles Pour chaque type de ressource, nous allons développer ses modes d’utilisation, qui donnent des informations instructives sur les stratégies mobilisées par les producteurs pour assurer la prise en charge de la famille, sur les considérations économiques et sociales qui déterminent largement ces stratégies et finalement sur les modes de consommation actuels.

4.1. Un collectif qui n’assure que partiellement mais classiquement son rôle de provider

Le rôle de provider des chefs d’UP, source de leur pouvoir, repose sur la maîtrise du grenier des céréales cultivées dans le champ commun pour l’alimentation familiale et sur les revenus du coton, pour la prise en charge des autres dépenses familiales. « Ce qu’on cultive dans le champ collectif, c’est moi qui gère tout. Mon frère n’a pas de champ individuel, car on est de la même maman, on fait tout ensemble. Mais c’est moi qui décide (…) On ne peut pas partager l’argent du coton entre nous car on ne sait pas ce qui va se passer, les problèmes à venir, les maladies. Si tu partages l’argent du coton au moment de la vente, il n’y a plus de chef d’UP. Le chef c’est ça, prendre les décisions et contrôler les revenus. (…) Ce qui est à toi est aussi au foroba… mais prendre dans le foroba en cas de besoin, en tant que chef, c’est aussi une obligation. » Chef d’UP, gros producteur, Kougouala

Du champ commun ou foroba, les exploitations tirent deux principales ressources : les céréales et les revenus du coton. On attend de ces ressources qu’elles permettent la prise en charge l’alimentation de base de la famille, l’impôt, l’entretien des liens sociaux et enfin, les principaux frais de santé et d’éducation des enfants. L’amélioration des conditions d’habitat de la famille est également priorisée et est organisée par ordre de préséance suivant la génération et l’âge de la personne.

4.1.1. La forte autoconsommation de la production céréalière sécurise le présent et renforce le collectif familial

Assurer la nourriture de la famille constitue l’objectif premier du chef de famille et la sécurisation alimentaire sa principale source de légitimité et de pouvoir. De fait, la production céréalière reste 71 conséquente. On note que le maïs a remplacé le mil et le sorgho au sud où le climat lui est encore plus favorable (dans certains villages, la culture du mil et du sorgho a quasiment disparu, cf. Mafele). Le maïs est privilégié du fait de sa forte productivité (la CMDT fournit des intrants à crédit pour cette spéculation) et d’une récolte précoce, limitant la période de soudure. La production agricole est largement autoconsommée pour l’alimentation de base et la préservation des liens sociaux de proximité sociaux (mariages, baptêmes, funérailles, mais également accueil visiteurs, cadeaux alliés matrimoniaux…).

Vendre les produits céréaliers, y compris d’éventuels surplus, suscite de fortes résistances. La vente de maïs peut être envisagée à défaut d’autres sources de revenus, pour acheter des intrants, mais tout est fait pour ne pas fragiliser le stock annuel de céréales. L’endettement est souvent préféré à une décapitalisation en céréales pour faire face à un problème car un manque de céréales en début de campagne impose souvent la mise en œuvre des stratégies pénalisantes pour la production de l’année suivante (salariat agricole dans d’autres familles contre céréales au lieu de mettre en valeur les champs de la famille). « Nous sommes en début d’hivernage, certaines personnes prennent déjà le « blou songon » (prix des feuilles du maïs) c'est-à-dire elles prennent une somme avec les nantis contre le maïs de l’an prochain qui n’est même pas semé d’abord, c’est à dire prendre l’argent de ton maïs avant même de l’avoir semé. Au moment de la récolte ils te prennent les 100kg à 3000F pour le vendre très cher après. Pour avoir un sac de maïs aujourd’hui par exemple avec les commerçants il faut payer 10 000F. Le maïs que nous allons semer bientôt, tu trouveras que les pauvres qui n’ont pas de solutions partent voir les nantis pour prendre une somme avec eux payable en nature sur la récolte du maïs qu’ils vont cultiver en hivernage. Au moment de la récolte, ces nantis prennent les sacs à 3 000F jusqu’à épuisé la somme qu’ils avaient prêtée au pauvre en question. Le pauvre cultive son maïs et à la récolte il donne les sacs de 100kg à 3000 f l’un. Ces gens attendent que le prix du maïs arrive à 10 000 pour les vendre aux autres. Et même quand ces mêmes pauvres veulent acheter ce maïs en ce moment ils sont obligés d’acheter à 10 000F. C’est tout le problème ici. » Chef d’UP pauvre, Mafele

Principales solutions adoptées en cas d’insuffisance de production céréalière Petits Gros producteurs producteurs coton coton Vente du bétail de l’UP 29% 33% Revenus des cultures de rente du champ commun 26% 11% Emprunt à une autre famille 18% 17% Recours aux migrants 5% 11% Autres 32% 28%

En revanche, le surplus de céréales peut en revanche être vendu lorsque la consommation familiale annuelle est assurée.

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Production et vente des spéculations principales du champ collectif sur ensemble des deux zones Production Production moyenne par moyenne par Part de la % UP qui en UP qui en UP pour production produisent produit l’ensemble vendue Maïs 97% 7 405 7 197 15% Sorgho 43% 1 959 835 14% Mil 47% 1 473 692 3% Riz 35% 1 161 406 5% Fonio 4% 132 5 26%

Arachide 55% 956 525 40% Haricot 15% 161 24 33% Sésame 28% 265 73 98% Patate douce 5% 288 15 14%

Anacarde 13% 327 44 91% Mangue 3% 3 739 130 52%

« Nous avons donné 18 sacs de maïs pour payer les dettes qu’on avait prises pour acheter les herbicides. Si j’avais gardé tout ce maïs, la famille n’allait pas pouvoir manger tout ce qu’on a récolté. De toute façon, si on ne paye pas les dettes, on ne trouve plus de crédit. » Chef d’UP, petit producteur, Mafele

« Quand on récolte beaucoup de céréales, on prend ce qu’il faut pour la consommation et on peut vendre le reste. Même tout récemment, une de mes filles devait se marier, j’ai vendu pour 150 000 francs de céréales. » Chef d’UP, gros producteur, Kougouala

4.1.2. La stratégie d’utilisation de l’argent du coton est largement déterminée socialement

Le bénéfice dégagé de la vente du coton représente souvent la principale source de liquidités des UP. Les revenus cotonniers fournissent ainsi aux chefs une part non négligeable de leurs revenus (même en intégrant la vente des autres spéculations) : - notamment pour les gros producteurs - mais également pour les « petits » producteurs, puisqu’ils semblent représenter environ le tiers des revenus monétaires, y compris pour cette campagne 2014-15 qui s’inscrit dans un contexte défavorable (prix bas en 2012-13, suivi de deux années de mauvais rendements au global)

Les principaux constats que l’on peut tirer de l’utilisation des revenus du coton sont les suivants : - La gestion de ce revenu reste très centralisée, avec néanmoins une recherche de consensus sur l’utilisation de cet argent pour éviter les frustrations ou tensions au sein de la famille et préserver l’entente intra familiale indispensable. - L’argent du coton est prioritairement mobilisé pour plusieurs postes de dépenses presque incontournables. Nous avons illustré en annexe, les structures de dépenses de la campagne 2014- 2015 pour 5 « petits » et 6 « gros » producteurs.

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o Le paiement de l’impôt et des cérémonies sociales, notamment les mariages des enfants de la famille o La rémunération des travailleurs. Sa flexibilité constitue le principal ressort d’adaptation de l’agriculture familiale, cela a été mis en évidence dans de nombreuses études. De fait, on note une faible redistribution des revenus aux cadets (sommes comprises entre 5000 et 25 000 F CFA par personne), et une redistribution variable selon le niveau de réussite de la campagne. o La (re-)constitution de l’équipement agricole (bœufs de labour, décortiqueuse, tracteur pour les plus hauts revenus) et les frais de campagne, souvent très lourds : entretien/renouvellement outil production, équipement. o Plus surprenant, l’amélioration des conditions d’habitat (tôles surtout) est presque systématiquement envisagée alors même que les dépenses à venir de la famille ne sont pas sécurisées, en particulier les dépenses de santé. « Quand nous avons eu l’argent du coton, les jeunes m’ont dit d’acheter du ciment, qu’ils voudraient désormais faire les travaux de construction avec le ciment parce qu’avec le banco il faut réparer chaque année les maisons. Nous avons donc mis le prix du ciment à coté et le reste nous l’avons dépensé. On ne peut rien garder parce qu’en hivernage, il faut toujours acheter des choses. Il faut réparer les charrues, il faut acheter les herbicides, des engrais (quand on fait un grand champ de maïs) pour compléter ce que la CMDT a donné. Nous avons fait tout ça l’an passé. Et chaque année nous achetons 10 sacs d’engrais pour le maïs, pour compléter la CMDT avec l’argent de la CMDT et s’il n’y a plus d’argent du coton nous vendons autres choses pour les acheter.» Chef d’UP, gros producteur, Kougouala

- On constate que l’utilisation de l’argent coton est très semblable, d’une zone à l’autre, d’une famille à l’autre, d’un type de producteur à l’autre et quel que soit le niveau de revenus.

A noter que le coton permet une certaine mobilité sociale, ascendante ou descendante (potentiel facteur ou déclencheur d’éclatement des familles) « Lui, tu vois, avant il n’avait rien. Maintenant c’est le patron, il a la plus grosse maison du village. » Chef d’UP, petit producteur, Kougouala

Structure de dépense des revenus du coton par les chefs d’UP Producteurs Producteurs Rappel : montant reçu lors de la dernière vente du « moins performants » « plus performants » coton* Sur 88 218 F CFA reçus Sur 893 079 F CFA reçus % argent reçu Montant % argent Montant Structure de dépense de l’argent du coton* moyen (F reçu moyen (F CFA) CFA) Montant redistribué aux membres de l'UP 6% 6 241 8% 75 301 Impôt 11% 11 609 3% 25 034 Remboursement de dettes 21% 22 227 16% 146 983 Scolarisation et santé 6% 6 515 6% 54 323 Investissements divers (habitat mariages 27% 28 559 21% 185 379 équipement agricole, motos, salaires employés) Bétail 10% 10 355 9% 82 676 Consommation 7% 7 753 3% 23 855 Epargne gardée par le chef 12% 12 333 33% 298 511 74

*Rappel, déclaratif, redressé pour arriver à 100% ; ces données sont indicatives

- Globalement, une fois déduit le remboursement des crédits intrants CMDT, le montant du revenu coton est faible. Ainsi, à part les très gros producteurs qui peuvent thésauriser (banque ou institution de micro finance), l’argent du coton est vite dépensé, généralement dans les 2 à 3 mois qui suivent le paiement par la CMDT, et cela d’autant plus vite que l’argent du coton est mobilisé pour rembourser les dettes. « Nous on a reçu un million et demi du coton, on garde toujours de l’argent, le vieux garde ce qui est pour les dépenses, le reste on va le déposer à la Kafo. (…) Nous, dans la famille, on ne prend jamais de crédit, car si tu t’apprêtes en conséquence pour la nouvelle saison, tu gardes de l’argent après les récoltes pour préparer la prochaine saison, tu ne peux pas prendre de crédit. » Fils de chef, très gros producteur, Djele

« En 2015, l’argent du coton a été dépensé tout de suite, c’est rare de voir des gens faire plus de 4 mois avec l’argent du coton, j’ai vendu le coton le 8 janvier, j’ai aussi vendu des céréales à partir du 23 mars. » Chef d’UP, gros producteur, Kougouala

- L’argent du coton se caractérise par un paiement annuel unique, prix au kilo fixé à l’avance ce qui, dans le monde paysan, est tout à fait exceptionnel. De par la nature unique du paiement, les revenus du coton sont plutôt destinés à des investissements, réalisés immédiatement dès réception de l’argent. « L’argent du coton vient de façon globale et tu peux ainsi faire une réalisation que tout le monde voit. » Chef d’UP, gros producteur, Kougouala

Il semble que le mode d’utilisation de cet argent soit largement déterminé par le souci de dépenser l’argent immédiatement, de peur de le gaspiller ou de ne pouvoir le gérer dans la durée en toute transparence et de manière égalitaire. Les investissements sont visibles et bénéficient à tous, ce qui explique qu’ils soient privilégiés, au détriment de la constitution d’un fonds d’épargne mobilisé en cours d’année pour faire face à des problèmes de santé par exemple, ainsi que le souhaiteraient les femmes. Le montant perçu est de toute façon souvent insuffisant pour permettre de prendre en charge tous les épisodes de santé de la famille avec, de ce fait, le risque de générer des tensions. Face à la menace d’éclatement des familles, assurer l’entente intra familiale et conforter les liens sociaux est une priorité absolue.

4.1.3. Les revenus tirés des autres spéculations du champ commun : un complément indispensable aux revenus du coton

Les revenus dégagés par les autres cultures de rente (soja, sésame), qui occupent une surface réduite mais presque systématique du champ commun, viennent compléter les revenus tirés du coton, et s’inscrivent d’autant plus en complément de ces revenus que cette production peut être vendue en petites quantités, en fonction des besoins et des problèmes : problèmes de santé, entretien/réparation matériel, achat engrais.

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4.2. La diversification effective des activités, peu organisée, génèrent des revenus socialement et économiquement faibles mais indispensables pour la satisfaction des petits besoins personnels ou du ménage.

Les revenus non agricoles des chefs d’UP sont assez difficiles à estimer sur la seule base du déclaratif, néanmoins il est intéressant de constater qu’ils semblent très similaires, quel que soit le type de producteurs. Mis à part le petit artisanat plus souvent exercé par les chefs d’UP « petits producteurs », la structure du travail non agricole est assez homogène. Comparativement aux revenus du coton, en revanche, ces revenus constituent une ressource très importante pour les petits producteurs (et bien souvent un moyen de résilience et le principal support de la consommation, notamment alimentaire), et des revenus plutôt secondaires pour les « gros » producteurs.

4.2.1. Les revenus personnels des chefs de ménages

Face à l‘ampleur des besoins aujourd’hui et à la nécessité de les satisfaire de manière égalitaire pour éviter les frustrations, le collectif ne parvient plus à assurer parfaitement son rôle de provider. Les revenus individuels des différents membres de la famille sont souvent indispensables, à la fois pour faire vivre la famille et pour satisfaire les besoins individuels des personnes. A noter que le chef d’UP lui-même, sauf s’il est très âgé, cherche généralement à développer des activités personnelles afin de prendre en charge ses petits besoins et ceux de son ménage. Cette pratique, totalement impensable il y a quelques décennies, dénote à elle seule d’un changement perceptible d’équilibre des pouvoirs au sein des familles. « Les besoins de l’homme sont nombreux. Si les gens demandent au foroba (champ commun) de trouver pour eux toutes les choses dont ils ont besoin, le foroba ne pourra pas. Il faut donc les autoriser à faire des activités pour qu’ils puissent avoir un peu de fond pour les petits besoins. Mais les maladies et autres, le foroba s’en occupe. Je les ai autorisés à faire de l’élevage et je vois l’impact de cela sur mon UP parce qu’ils arrivent à assurer leurs problèmes autres que les frais de santé sans passer par moi. Ils arrivent même à se soigner sans le foroba mais après le foroba les rembourse. Le foroba prend de l’argent avec eux et rembourse quand il vend son coton. Avant on mettait tout ensemble. C’est pour qu’ils soient un peu indépendants du foroba pour certains besoins. C’est pour ça que j’ai pris cette décision. » Chef d’UP, gros producteur, Kougouala

« Je les autorise à faire ces petits champs de sésame pour leurs petits besoins. Et ce sont les vendredis et les lundis qu’ils ont pour ces champs après les semis du champ commun. Il y a des moments où ils sont autorisés à aller travailler chez les gens. Ils empochent l’argent qu’ils gagnent mais nous l’utilisons souvent pour payer les frais de réparation de la charrue qui se gâte en plein hivernage, à un moment où le paysan n’a plus d’argent. J’autorise les jeunes à faire des champs individuels pour qu’ils puissent aussi régler certains de leurs besoins sans passer par moi. Quand ils sont malades même s’il faut chercher un crédit, je le fais pour les soigner. Avec l’argent qu’ils gagnent, ils achètent leur thé et autres et ne viennent plus me voir chaque fois pour ça, c’est de l’économie pour moi. C’est bien parce que l’argent du coton ne suffit pas pour assurer les charges quotidiennes de la famille. Si en plus des charges, je dois faire face aux petits besoins des fils ça va être trop pour moi. L’argent de leur sésame leur permet d’assurer les petits besoins sans moi. L’argent que j’allais dépenser dans ses besoins va être gardé pour renforcer mes capacités dans la prise en charge des problèmes de santé de la famille. L’avantage est que ça leur permet de faire du café le matin, le thé quand ils veulent. Après la vente du coton je leur donne une somme et c’est

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tout. Ils ne pensent plus au reste de l’argent qui est gardé pour les problèmes de l’UP. Même moi, je ne touche pas à cet argent pour mes besoins personnels. Je me débrouille à côté pour avoir mon prix de café. » Chef d’UP, petit producteur, Mafele

Ces revenus sont gérés individuellement et non reversés au chef de famille, comme cela se faisait auparavant. Pouvoir disposer de ses propres revenus contribue de manière indiscutable à satisfaire le besoin d’indépendance des cadets et consolide ainsi l’entente familiale. Néanmoins, d’une manière générale, les cadets sont souvent mis à contribution pour la prise en charge de leur ménage notamment, selon des règles d’attribution des responsabilités et des postes de dépenses relativement standards. On observe ainsi leur relative autonomie sur certains postes, complément du condiment (sel, poisson), problèmes de santé de faible importance, besoins personnels. La principale limite de ces contributions individuelles est leur montant réduit, de par le faible niveau de rentabilité de ces activités. Nous avons vu que les hommes, y compris chefs d’UP, disposent rarement de champs individuels donc de revenus personnels agricoles et que leur investissement dans des activités non agricoles est limitée, tant sur le plan financier qu’en termes de disponibilité que du fait de l’étroitesse du marché local.

Montant des revenus non agricoles annuels selon la cible par personne Chefs d’UP 94 443 F CFA Cadets 74 802 F CFA Epouses 22 563 F CFA

La somme de petits revenus individuels irréguliers permet néanmoins de satisfaire certains besoins, généralement de petite consommation, en grande partie alimentaire, mais également habillement. Et chacun, sur la base des revenus dont il dispose, peut prêter de l’argent au collectif. Nous avons demandé à chaque personne interrogée, chef d’UP, chef de ménage ou épouse, de préciser le poste de dépense et le montant des trois derniers actes de consommation. Pour les chefs d’UP, les calculs ont été effectués sur la fbase de 449 actes de consommation. On constate que la structure de la consommation est sensiblement la même, quel que soit le niveau de revenu de la personne. L’alimentation représente ainsi un poste de dépenses très important, particulièrement chez les petits producteurs (près de la moitié des dépenses de consommation). Dépenses de consommation des chefs d’UP « Petits » producteurs « Gros » producteurs % d’actes Montant % dépense % d’actes Montant % dépense

de conso moyen de conso de conso moyen de conso Nourriture 50% 897 48% 43% 1 659 30% Boisson, thé 24% 363 9% 13% 627 3% Carburant 5% 1 497 9% 13% 1 205 7% Vêtements, chaussures 4% 2 844 11% 9% 6 213 23% Crédit téléphonique 7% 522 4% 9% 683 3% Petit outil 5% 2 505 12% 4% 3 928 7% Autres (médicaments, cigarettes, cola, 5% 1 123 6% 8% 7 187 26% réparations) TOTAL 100% 927 100% 100% 2 344 100%

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Pour les chefs de ménage non chefs d’UP, les calculs ont été effectués sur la base de 283 actes de consommation. Le poste le plus important est les vêtements/chaussures pour eux-mêmes et les membres de leur ménage, non ou très peu pris en charge par les chefs d’UP.

Dépenses de consommation des chefs de ménage subordonnés « Petits » producteurs « Gros » producteurs % d’actes Montant % dépense % d’actes Montant % dépense

de conso moyen de conso de conso moyen de conso Nourriture 38% 479 19% 37% 496 10% Boisson, thé 22% 441 10% 15% 483 4% Carburant 6% 1 117 7% 15% 1 674 13% Vêtements, chaussures 10% 3 235 34% 9% 8 662 43% Crédit téléphonique 12% 992 12% 13% 1 904 13% Petit outil 4% 2 594 11% 3% 7 096 12% Autres (médicaments, cigarettes, outils, 7% 907 7% 8% 1 187 5% réparations) TOTAL 100% 966 100% 100% 1 876 100%

Chez les uns comme chez les autres, la structure de la consommation est sensiblement la même, chez les gros ou petits producteurs. En revanche, dans les deux cas, c’est le montant moyen engagé qui varie de manière sensible selon le niveau de vie de la personne. Il est ainsi deux fois plus important chez les « gros » producteurs.

4.2.2. Les contributions féminines sont importantes voire essentielles à l’économie domestique

En termes de production, la situation des femmes est identique quel que soit le type de producteurs. 90% d’entre elles cultivent un champ individuel, elles cultivent le même nombre de spéculations sur des superficies analogues, et globalement cultivent les mêmes spéculations (les écarts sont très faibles sur la plupart des spéculations cultivées par les femmes). Chez les deux types de producteurs, ces cultures sont destinées à l’autoconsommation et à la vente, et assurent souvent l’essentiel des revenus personnels des femmes, qui sont extrêmement modestes, en soi et du fait des nécessaires investissements, y compris dans la production (herbicides, outils, employés), mais aussi dans les mariages. La consommation est ainsi largement « utile » et très peu « plaisir ». « Moi j’essaie d’augmenter mon revenu pour compléter ce que mes enfants gagnent. Cette année dans mon champ j’ai cultivé le soja, j’ai vendu à 270 francs le kilo, ça m’a rapporté 70 000 francs. J’ai vendu du riz pour 22 500 francs, et des arachides. J’ai aussi vendu des oranges, j’ai fait 8 000 francs de bénéfice, et j’ai vendu un complet de pagne, j’ai gagné 2 500 francs. Je peux demander de l’argent à mon mari, mais le plus souvent, il ne donne pas. » Epouse de chef, petit producteur, Kougouala

« Cette année j’ai vendu 100 kilos de fonio, 100 kilos de riz, 400 kilos d’arachide et 200 kilos de sésame. Le sésame m’a rapporté 100 000 francs, j’ai tout vendu d’un coup pour le trousseau de ma fille. Je vends aussi des condiments, je gagne 500 francs par semaine. Avec l’arachide j’ai acheté une chèvre et des petites choses pour les enfants, des beignets, avec le riz et le fonio j’achète des vêtements pour les enfants. J’ai trois filles qui sont à l’école, elles font des boulettes de viande pour

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les vendre, ce qu’elles gagnent, elles me le rapportent. Aujourd’hui j’ai trois chèvres. » Epouse de chef, petit producteur, Ouroumpana

« Ma principale source de revenus c’est le soja, j’ai récolté 100 kilos, j’ai gagné 30 000 francs. J’ai récolté deux sacs d’arachide, j’en ai vendu un à 17 500 francs pour acheter des herbicides et avoir les frais de labour. Je fais le commerce du riz à Koro barrage, je gagne 1 000 francs par semaine. » Belle-sœur de chef, gros producteur, Kougouala

La production des champs individuels des femmes est largement déterminée par leur contribution attendue pour subvenir aux besoins de la famille Au-delà de la prise en charge des condiments et de la sauce (beurre de karité, feuilles, soumbala), les femmes cultivent le riz, traditionnellement cultivé dans les bas-fonds, l’arachide et le fonio, tant mobilisé pour diversifier l’alimentation familiale que vendu.

Les calculs concernant leurs trois derniers actes de consommation ont été effectués sur la base de 440 actes de consommation. Les femmes achètent souvent de la nourriture mais les montants sont minimes donc elles dépensent « peu » pour ce poste au final, jamais ou presque en crédit téléphonique ou en carburant. Les femmes prennent généralement en charge la plupart des repas « à côté ». Elles assurent également les dépenses des enfants et l’automédication via les pharmacies par terre. On notera que les montants sont les mêmes entre épouses d’UP de petits et de gros producteurs, mais les postes de dépenses sont moins « vitaux » chez les gros producteurs, notamment les vêtements/chaussures et les thé/boissons. Dépenses de consommation des épouses « Petits » producteurs « Gros » producteurs % d’actes Montant % dépense % d’actes Montant % dépense

de conso moyen de conso de conso moyen de conso Nourriture 76% 260 13% 58% 314 12% Boisson, thé 1% 150 0% 9% 232 1% Vêtements, chaussures 6% 3 676 28% 16% 1 720 21% Petit outil 13% 6 615 51% 12% 3 110 20% Autres (tontine, tissus, herbicides, éléments du 3% 2 463 7% 5% 26 050 46% trousseau) Carburant / / / / / / Crédit téléphonique / / / / / / TOTAL 100% 1 370 100% 100% 1 544 100%

Enfin, et cela ressort plutôt des entretiens qualitatifs, les femmes peuvent épargner de petites sommes qu’elles prêtent aux chefs de ménages en cas de besoin. Là encore, il n’est plus question de mobiliser leurs ressources sans leur accord formel. « Les femmes s’adonnent à la culture plus que les hommes. Les femmes sont plus motivées, elles ont plus de cœur que les hommes dans la culture. Les femmes ont des dépenses à faire mais elles économisent plus que les hommes. Même si elles ont l’argent ce sont les hommes qui les soignent. Quand les hommes n’ont plus d’argent ils peuvent en emprunter avec les femmes et elles demandent d’être rembourser en maïs pendant les récoltes et c’est le sac à 5 000F. Quand tu empruntes 35 000F, tu donnes 7 sacs de maïs au moment de récolte. C’est ce que nous appelons « Boulou songo » (prix des feuilles) » Chef d’UP, Mafele

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4.3. Une utilisation des revenus globalement moins normée que par le passé, donc plus variable et aléatoire selon les UP, en fonction de la personnalité du chef de famille et des chefs de ménage

Le chef d’UP est le garant et gérant des ressources issues du champ collectif qui constituent le facteur de cohésion, de stabilité sociale et le principal filet de sécurité des familles. A ce titre, le mode d’utilisation de ces ressources est assez normé. Avec le développement presque inéluctable des activités individuelles et l’explosion des besoins, on constate néanmoins une certaine dilution de cette norme qui précisait le mode de gestion des revenus et les obligations du chef de famille concernant les postes à couvrir. Selon les UP, on observe ainsi des situations très variables, une plus ou moins grande décentralisation de la gestion de certains revenus, une plus ou moins forte redistribution des revenus du coton, et enfin une plus ou moins grande prise en charge par le collectif des charges familiales et de fait, une mobilisation variable des chefs de ménages. Par ailleurs, la qualité des relations intra familiales détermine l’acceptation des cadets sociaux de l’UP (hommes et femmes) à contribuer sous forme de dons ou de crédits au pot collectif. Une bonne entente familiale favorise des contributions spontanées et sans demande de remboursement. La gestion des ressources individuelles échappe plus encore à la norme. Grâce à l’argent du coton, et plus globalement des ressources tirées du champ collectif qui permettent la satisfaction des besoins élémentaires, l’utilisation des ressources individuelles est moins normée, et pour les gros producteurs de coton, largement tournée vers la satisfaction de petits plaisirs. « Nous utilisons l’argent du coton pour régler les charges de la famille. C’est ça qui nous permet de payer que nous avons envie de manger, avec l’argent que nous gagnons dans les petites activités. Cela est possible parce qu’il y a l’argent du coton. Sans cela, on n’allait pas pouvoir dépenser notre argent des travaux individuels. C’est grâce au coton que nous achetons de la bonne viande, les choses dont on a envie de manger. L’argent du coton joue un grand rôle. Quand on a ça on peut faire beaucoup de choses à côté. Quand le coton ne donne pas, on ne peut rien faire. L’argent du coton nous permet de régler les cas urgents, les problèmes imprévus. Puisque l’argent du coton assure ces charges, nous pouvons donc nous permettre de faire ce que nous voulons avec l’argent de nos activités privées. » Chef d’UP, gros producteur, Kougouala

La prise en charge des dépendants, femmes et enfants est très variable selon les ménages, car laissée à l’appréciation des chefs de ménages. La gestion des revenus individuels reste ainsi très personnalisée, peu transparente et largement tournée vers la satisfaction de petits plaisirs individuels. In fine, entre un collectif qui se débarrasse de certaines charges sur les chefs de ménage avec de moins en moins de complexes, et des contributions ménages laissées largement à la seule appréciation des chefs de ménages, on comprend que les femmes se sortent pas gagnantes et sont souvent contraintes d’assurer par leur travail ou leurs revenus une contribution décisive mais peu reconnue.

4.4. Des ressources localement insuffisantes avec deux conséquences importantes (y’avait pas une question de trois, ??)

Si la diversification des sources de revenus est effective, elle reste peu organisée et soutenue par le collectif familial. Ainsi, si les chefs d’UP peuvent être plus ou moins sensibles au souci d’indépendance des cadets, et soucieux de voir se développer d’autres sources de revenus complémentaires au sein de la famille, l’investissement dans les activités individuelles des cadets sociaux n’est jamais prévu, et cela quel que soit le niveau de réussite d’une campagne agricole. Peur de fragiliser le collectif en soutenant le pôle individuel, peur aussi une fois encore de créer des disparités entre les membres, donc des frustrations. De ce fait, les 80 activités développées par les cadets sociaux sont peu rentables et dégagent des revenus à la fois très fractionné et d’un montant très faible. Cette situation a deux conséquences importantes : - Un fonctionnement familial largement à crédit - Un recours encore massif à la migration, troisième pilier de l’économie domestique

4.4.1. Un fonctionnement à crédit

Nous avons remarqué que la plupart des familles de petits producteurs ont ainsi intégré le crédit comme mode de fonctionnement pour faire face aux problèmes familiaux. Une part importante de l’argent du coton est consacrée au remboursement des dettes contractées pendant l’année précédente (cf. utilisation argent du coton). « Le coton a des avantages c’est vrai l’argent du coton ne dure pas avec nous mais ça nous permet d’assurer les grosses charges. Le coton permet d’avoir des crédits avec les gens. Si les gens savent que tu fais du coton ils te donnent des crédits si tu en as besoin. » Cadet, gros producteur, Mafele

« Les gens font crédit en comptant sur le coton car le coton est garanti. La CMDT ne laissera pas son coton, elle l’achètera forcément. Les projets peuvent prendre fin et laisser les gens mais la CMDT ne laissera pas son coton. » Chef d’UP pauvre, Mafele

« Quand j’ai besoin de crédit, j’en ai grâce au coton. Après la vente du coton, une ristourne revient au village et elle est gardée dans la caisse de la coopérative. Ceux qui ont besoin d’argent peuvent venir s’endetter auprès de cette caisse et ils paient ensuite sur l’argent de la campagne à venir. C’est le coton qui va servir à payer cette dette. » Chef d’UP pauvre, Ouroumpana

« Certains crédits sont dans le bonheur mais il y a d’autres qui sont à cause des maladies. Si un membre de ta famille est malade et que tu n’as pas l’argent pour les soins. Tu vas chez les gens de ton ton, ce qu’ils ont pu te donner et tu peux dire à ta mère d’aller prendre l’argent dans la caisse des femmes, c’est ces sommes que tu prends pour que ton malade puisse être soigné. Si la charrue se gâte, tu peux emprunter cinq mille chez quelqu’un pour aller payer cette pièce de la charrue, si tu trouves le vendredi ou le lundi, tu pars travailler pour cette personne. C’est comme que tu arranges ta charrue et paye les frais de soin des bœufs. » Chef d’UP pauvre, Mafele

Les questions qui se posent sont de savoir si les producteurs ont réellement le choix d’une autre stratégie, et par ailleurs, si cette stratégie est finalement payante et quelles sont ces conséquences. Pour une majorité, surtout parmi les petits producteurs mais pas seulement, l’argent du coton est dépensé quasi instantanément. Les dépenses prévues ou imprévues doivent ainsi être assurées par des revenus issus d’autres ressources : revenus des autres cultures de rente, revenus non agricoles, vente progressive de céréales, subsides des migrants, et ultimement la vente de bétail voire de bœufs de labour. A défaut ou une fois ces ressources épuisées, les producteurs n’ont d’autre recours que de s’endetter, soit auprès de commerçants locaux, soit auprès de la coopérative. Certains producteurs tentent au maximum d’éviter toute forme de crédit (y compris CMDT, en achetant une partie des intrants dans le commerce), d’autres n’ont d’autre solution que d’y recourir de façon plus ou moins importante (en soi, mais surtout par rapport à leur structure de revenus), d’autres enfin semblent s’être engagés dans une consommation habituelle du crédit. Le remboursement de « dettes » représente ainsi 20% des revenus du coton des petits producteurs et 16% pour les gros producteurs.

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4.4.2. L’argent de la migration, troisième pilier de l’économie familiale

On peut noter que les contributions financières des migrants sont relativement importantes, notamment en période ou en année difficile (remboursement d’une dette) ou pour faire face à une dépense importante (mariage par exemple, achat d’un moyen de locomotion, etc.). En moyenne, une UP avec migrant(s) reçoit 90 000 F CFA par an, et au global, sur l’ensemble des UP, la migration rapporte un peu plus de 30 000 francs par an par UP.

Revenus non agricoles des chefs d’UP migration Petits Gros producteurs producteurs Nb moyen migrants / UP 3,2 3,2 Argent déclaré reçu des migrants par le chef d’UP 88 015 76 940

« J’ai payé 300 000 francs pour le mariage de mon fils qui est en migration, mais après je sais que je pourrais lui demander 500 000 en cas de besoin, pour le moment c’est mon fils berger qui m’aide, il m’a donné 75 000 quand j’ai été endetté, une année il a payé un bœuf de labour, et il m’a envoyé 100 000 francs. » Chef d’UP, petit producteur, Djele

Migrants et transferts migratoires selon la zone Ensemble Bougouni Sikasso Nombre moyen de migrants / UP 3,2 3,3 3 Nombre moyen de migrants / ménage 1 1,5 0,8 Argent déclaré reçu des migrants par le chef d’UP (UP avec migrants) 90 847 100 391 82 365 Argent déclaré reçu des migrants par le chef d’UP (total UP) 37 440 41 186 34 082

Cet apport extérieur, de la migration saisonnière ou de membres de la famille installées en ville ou à l’étranger, s’avère dans bien des cas indispensable pour compléter les ressources dégagées par le groupe familial sur place, rembourser des dettes ou faire face à des besoins d’investissement. Les migrants sont particulièrement mobilisés pour compléter le matériel de production avant le démarrage d’une campagne, ou financer la prise en charge des problèmes de santé. Au final, la migration est surtout source de revenu et support de résilience (distance géographique mais proximité sociale) même si elle peut être source de dépense et fragilisation.

4.5 Des pratiques de consommation entre besoin de sécurité et désir d’amélioration du bien-être

4.5.1 Une capacité de consommation généralement assez faible

La surface financière des individus et des UP en général reste limitée du fait de la faible rentabilité des activités y compris le coton. Par ailleurs, la capacité d’endettement n’est pas extensible. La solvabilité donnée par la culture du coton est à hauteur des revenus habituellement dégagés par la famille et bien connus de tous.

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4.5.2 Des postes de dépenses économiquement et socialement déterminées

La structure de consommation est conditionnée par trois éléments : - La structure des revenus de la famille : individuel ou collectif, paiement unique ou fractionné - Le souci de ne pas fragiliser l’entente familiale - Le souci de sécuriser l’avenir, généralement en dehors du village. De fait, la structure de la consommation des UP est assez semblable quel que soit les revenus, et entre riches et pauvres, la différence est plutôt perceptible dans les montants engagés. Ainsi, quatre postes principaux de dépenses se dégagent, quel que soit la famille, son niveau de vie ou la zone. - La nourriture et la santé qui sont aujourd’hui les deux éléments retenus par les femmes pour juger de la bonne ou mauvaise qualité de leur prise en charge par leur famille ou leur mari. - L’investissement et l’entretien des moyens de production - L’investissement dans les conditions d’habitat et les moyens de déplacement

Deux postes sont difficilement compressibles et très lourds : la santé et l’équipement productif. Parallèlement à cela, un pôle de dépenses s’impose progressivement par le biais de l’alimentation et de l’habitat : la recherche de plaisir et de bien-être, autorisée par l’autoconsommation alimentaire et les revenus coton qui sécurisent le présent.

4.5.3. L’alimentation : une certaine sécurité alimentaire et de nouvelles habitudes parallèles

Dans le domaine alimentaire, on constate que les besoins alimentaires de base restent sommaires mais largement assurés et sans réelle différence selon le niveau de vie de la famille.

Autosuffisance alimentaire selon la zone Niveau d’autosuffisance alimentaire des Zone enclavée Zone désenclavée UP sur les 5 dernières années Ensemble (Bougouni) (Sikasso) 0 ou 1 an / 5 ans 14% 18% 11% 2 ou 3 ans / 5 ans 23% 34% 14% 4 ou 5 ans / 5 ans 63% 48% 75%

Les chiffres dégagés par l’étude sur l’autosuffisance alimentaire sont peu extrapolables 12, néanmoins celle- ci apparaît non totalement assurée, et surtout parmi les petits producteurs (3 années sur les 5 dernières au global pour les « petits » producteurs, et 4 pour les « gros »). En cas d’insuffisance de la production céréalière, la solution la plus fréquente est la vente du bétail (tous) et, surtout pour les petits producteurs, le recours aux revenus des cultures de rente du champ commun, dont, évidemment, le coton, mais aussi le sésame ou le soja.

De manière plus subjective, le sentiment de pouvoir assurer sa propre alimentation de base et celle de ses dépendants, est largement répandu, quelle que soit la cible, chefs d’UP, cadets homme ou épouses.

12 La question posée lors de l’enquête par questionnaire : « Vos différentes récoltes, stockées ou vendues, ont-elles été suffisantes pour assurer l’autosuffisance alimentaire pour la campagne (année)… », est en effet ambiguë car elle peut inclure ou non la vente des cultures de rente. 83

Ressenti sur l’alimentation selon la cible Avez-vous actuellement Chefs Cadets hommes Epouses le sentiment… Zone Zone Zone Zone Zone Zone enclavée désenclavée enclavée désenclavée enclavée désenclavée De pouvoir vous nourrir 58% 66% 74% 65% 67% 73% correctement De pouvoir nourrir 60% 69% 74% 67% 60% 70% correctement vos enfants

Néanmoins, la forte part d’autoconsommation de la production céréalière familiale n’exclut pas les échanges marchands. En effet, parallèlement à cela, jamais en substitution, on note de nouvelles pratiques alimentaires : - La préparation du riz en famille, traditionnellement réservée aux repas de fête, aux visites extérieures et au moment du travail dans les champs, ne nécessite plus de circonstances particulières, et s’étend par exemple à une fois par semaine. - Des petits plaisirs alimentaires sont pris en compte de plus en plus souvent, largement à la charge des ménages, et souvent des femmes : spaghettis, pain, etc. - L’achat de plats préparés dans les gargotes 3 à 4 fois par semaine, pour des personnes lassées de manger du tô à tous les repas.

« L’alimentation a beaucoup changé, avant on mangeait du tôt le jour et la nuit, maintenant on mange du fonio, du riz, avant on ne prenait pas le café maintenant on peut en faire tous les matins avec du pain. C’est parce que j’ai un métier, c’est l’argent que je gagne chaque jour avec les réparations que je peux acheter ça. Mais tu ne peux pas faire ça avec l’argent du coton. L’argent du coton ça sert à faire de gros investissements. Celui qui prend l’argent du coton pour aller acheter chaque jour du pain et du café les yeux fermés, il ne voit rien, comment tu peux te permettre d’aller mettre l’argent d’un investissement dans du pain et du café alors que l’investissement te permettra d’avoir du pain et du café ? » Chef d’UP, petit producteur, Kougouala

Nous avons vu que les dépenses alimentaires constituent souvent une part importante des actes de consommation. Ces changements alimentaires ne s’inscrivent pas dans le souci de compléter une ration alimentaire quantitativement insuffisante ou d’en améliorer la qualité nutritionnelle, mais plutôt de diversifier l’alimentation et de se rapprocher de standards alimentaires urbains. Cette consommation s’adapte bien aux revenus individuels fractionnés et de faible montant.

4.6. Les dépenses de santé : un poste largement disproportionné aux ressources disponibles de la famille

La santé constitue une réelle préoccupation et l’état de santé représente un élément essentiel du ressenti du bien-être, sans doute le premier. Bien sûr, les itinéraires thérapeutiques démarrent toujours par de l’automédication traditionnelle ou moderne, avec l’achat de médicaments des pharmacies par terre. A ce stade, les dépenses sont généralement assurées par les femmes/mères, pour elles-mêmes ou pour leurs enfants. Les hommes procèdent de même pour ce qui les concernent et certains financent les frais d’automédication pour leur ménage. Lorsque la maladie s’aggrave, le recours au centre de santé est envisagé, souvent un peu tardivement. Les chefs de famille disent qu’il est maintenant presque obligatoire de faire recours au centre

84 de santé en cas d’épisode de maladie sérieux, sous peine de critiques, revendications et sentiment d’injustice si cela se fait pour certains et pas pour d’autres. « Aujourd’hui, aller au centre de santé, c’est presque une obligation, sinon la personne concernée pense qu’elle n’est pas considérée dans la famille. » Chef d’UP, Mafele

Aujourd’hui donc, le recours à la médecine moderne est non seulement socialement admis mais il est encouragé. On note ainsi que la fréquentation des centres de santé est assez élevée. Ainsi, à la question, « la dernière fois que vous avez été malade, avez-vous consulté au centre de santé ? », 74% des trois catégories de personnes interrogées ont répondu positivement, les épouses étant à peine moins concernées que les chefs d’Up ou les cadets. En revanche, la barrière financière fait varier le recours au CSCOM de manière significative selon qu’il s’agisse de famille de petits ou de gros producteurs de coton, de 81% chez les gros producteurs à 65% chez les petits producteurs. Le lieu d’accouchement relève elle d’une logique village, suivant le plus ou moins grand enclavement du village et la distance au CSCOM. D’où également la différence constatée entre les deux zones d’enquête, les accouchements à domicile dans la zone de Bougouni, (district sanitaire par ailleurs plus vaste et moins bien desservi en formations sanitaires)13 étant de l’ordre de 47% contre 41% dans la zone de Sikasso.

Le poste santé semble occuper une place énorme dans les budgets familiaux, ce qui explique sans doute certaines réticences et même une réelle incapacité de la plupart des familles à recourir aux centres de santé de manière systématique et équivalente pour tous les épisodes de maladie des membres de la famille. Ainsi, et les femmes le déplorent, les épisodes de maladie ne sont pas traités dans les formations sanitaires aussi rapidement qu’ils le nécessiteraient. Le besoin de santé est devenu fort mais il reste presque impossible à satisfaire, quand on met en regard les montants des ressources disponibles des familles et les dépenses de santé engagées. « J’ai soigné ma 1ère femme chez Housseni et j’ai payé 10 000F. Il y a une autre femme malade que j’ai soignée à 10 000F. J’ai aussi traité ma belle-fille à 9 000F .Il y a beaucoup de maladies. Même si quelqu’un a le rhume, il faut l’amener au centre de santé sinon il va penser qu’il ne compte pas pour toi. » Chef d’UP, Mafele

Montant prise en charge trois derniers épisodes santé/ménage: moyenne des trois épisodes Zone Zone Petits Gros Non Total enclavée désenclavée producteurs producteurs producteurs Nombre d’actes de 176 197 153 188 20 361 santé Dépense totale santé 5 647 080 2 453 945 3 107 200 4 390 325 563 500 8 061 de ces actes * 025 Dépense moyenne à 32 086 12 457 20 308 23 353 28 175 22 330 l’acte  Ce montant élevé et largement supérieur à celui de la zone Sikasso s’explique par dix actes médicaux de 100 000 à 500 000 F CFA, tous à Bougouni. Si on les soustrait, on obtient pour Bougouni une dépense totale de santé de 1 056 600 F CFA et une dépense moyenne à l’acte de 6 365 F CFA.

En moyenne, les dépenses par épisodes de maladie concernant les chefs d’UP s’élèvent à 26 729 F CFA contre 23 409 F CFA pour les cadets homme et de 11 892 F CFA pour les épouses. Les chefs d’UP et les non producteurs de coton sont généralement plus âgés et leurs problèmes de santé plus lourds donc plus

13 Données SNIS 85 coûteux (actes chirurgicaux). Une des familles dans laquelle nous avons mené des entretiens, composée d’un chef d’UP inactif et de sa femme, a ainsi mentionné trois épisodes de santé, pris en charge par un des enfants installé à Bamako, à hauteur de 350 000 F CFA, 75 000 F CFA et 70 000 F CFA.

Coût des soins de santé pour la dernière maladie Bougouni Sikasso Petits prod Gros prod Non prod Moyenne Total Chefs UP 48 812 10 427 24 988 26 711 41 056 26 926 Cadets 89 864 28 803 12 944 45 762 3 750 43 473 Epouses 4 883 4 165 4 870 4 433 714 4 405

Les entretiens et la « comptabilité » de l’usage des revenus du coton montrent que les dépenses de santé représentent aujourd’hui un poste de dépenses important qui, selon la logique familiale centralisatrice de ressources, relève en théorie du chef d’UP. Ce dernier dispose rarement de l’argent liquide disponible pour assurer cette dépense, sauf au moment de la vente du coton ou d’un stock de sésame ou de soja. Les enquêtes qualitatives montrent que d’une manière générale, l’argent du coton est effectivement mobilisé dans les soins de santé. Une partie de l’argent conservé par le chef de famille est consacré à ce poste de dépenses, que ce soit pour financer les épisodes de maladies qui se présentent ou pour rembourser les dettes contractées les mois précédant le paiement du coton pour faire face aux cas de maladie. On remarque ainsi que la maladie constitue une des principales causes d’endettement, et que pour cette dépense particulièrement, le coton donne aux familles de producteurs, y compris aux petits, une solvabilité bien appréciée et fortement mobilisée. Certains paient aussi leurs frais de santé par des jours de charrue dans le champ de l’aide-soignant privé installé dans le village. « Il y a un aide-soignant ici. Si tu n’as pas d’argent pour le payer, tu peux aller travailler dans ses champs et cela paie les soins. Si tu viens avec la charrue, c’est 5 000 F CFA pour la journée. » Epouse de chef, Mafele

« On emprunte aux commerçants, sinon on peut faire des emprunts à l’AV, ils prêtent facilement si ils font confiance » Fils de chef, gros producteur, Mafele

« Quand il y a un malade, le foroba prend des dettes pour soigner ce malade et après il vend des produits pour rembourser. C’est ainsi que je sais que l’argent du coton est fini. Cela peut être au sein de la famille. Mon mari gagne un peu dans son activité de maçon et cela lui permet de dépanner le foroba en cas de difficulté financière. » Epouse de chef, gros producteur, Kougouala

Dans les faits, la situation est plus contrastée. Ainsi, le dernier épisode de maladie, qu’il concerne un chef d’UP, un chef de ménage ou une épouse, a été payé presque à parts égales par le chef d’UP et le chef de ménage. « (Un jour) les médicaments traditionnels n’ont pas pu me soigner. C’était moi-même qui partais les chercher en brousse. J’achetais des médicaments à la pharmacie par terre et je les prenais en même temps que le traitement traditionnel. Un jour j’ai eu une crise pendant que je faisais les ablutions pour la prière. Ainsi ils m’ont amenée au centre de santé. C’est comme ça ici, tant que la maladie ne t’affaiblit pas le foroba ne te soigne pas. Au début tu te débrouilles et tu continues à préparer à manger pour les gens. Le chef de famille attend que tu sois bien malade avant de te soigner. » Epouse de chef, Mafele

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L’implication des chefs varie néanmoins selon le niveau de production de coton. Chez les petits producteurs, les chefs d’UP interviennent assez peu souvent pour la prise en charge des cadets et des femmes (seulement le tiers des dépenses). En revanche, ils assurent aux deux tiers leurs propres soins. Les femmes prennent en charge leurs soins de santé à hauteur de 7% dans les familles de petits producteurs contre 3% chez les gros producteurs. Enfin, les cadets assurent à plus des deux tiers leur prise en charge maladie contre seulement 40% chez les gros producteurs. Les entretiens qualitatifs montrent que les dépenses de santé au CSCOM le plus proche sont généralement prises en charge par les chefs de ménage, sur les revenus qu’ils dégagent de leurs activités individuelles ou par le chef d’UP, lorsque ce dernier refuse aux membres l’accès à des champs individuels ou à des activités parallèles et centralise les ressources. En revanche, les dépenses très lourdes, nécessitant un recours géographiquement plus éloigné et techniquement supérieur (CSREF de Sikasso ou Bougouni, hôpital), sont toujours assurés par le collectif. De même, les femmes paient généralement les premières dépenses de santé et essentiellement les médicaments des pharmacies par terre. Par ailleurs, les entretiens qualitatifs montrent que les hommes empruntent souvent de l’argent à leurs épouses pour la gestion des cas de maladies, et que les migrants sont également fréquemment mis à contribution (envoi d’argent ou accueil et prise en charge des malades en ville).

Pourtant, on note un faible taux d’adhésion aux mutuelles, là où elles existent, à quelques exceptions près. Une des familles retenues en enquête qualitative représente de ce point de vue un cas exemplaire. Composée de 79 personnes, tous ménages confondus, la contribution de toute la famille à la mutuelle s’est élevée cette année à 200 000 F CFA et a été payée intégralement dès réception de l’argent du coton par le chef d’UP. Une forte centralisation de la famille et des ressources importantes permettent au chef d’UP de prendre cette initiative. « Tout notre argent part dans les soins des malades. Nous avons fait opérer une femme. Là où nous sommes dans la mutuelle nous payons moins cher là-bas mais quand nous partons ailleurs nous payons cher. Chaque fois on des malades. Pour la dernière opération, je crois qu’on a dépensé 15 000F. C’est moins cher quand on est dans la mutuelle et ceux qui ne sont pas dans la mutuelle sont toujours surpris de voir que nous traitons nos malades à si bas coût. Depuis que nous avons adhéré à la mutuelle de Kourouma, nous payons chaque année et cette année nous avons payé jusqu’à plus de 200 000F. Moi j’ai aimé la mutuelle. Si par exemple on doit payer 3 500F pour un traitement on paye 1000F et la mutuelle prend le reste en charge. Il y a des cas où on ne paye pas plus de 750F pour le traitement. On met sur l’ordonnance le montant global et le montant à payer en tant que membre de la mutuelle. Dans le domaine de la santé quand même nous dépensons. Là où il y a la santé, il y a la maladie. » Chef d’UP, gros producteur, Kougouala

La mutuelle ne concerne que les soins de santé du premier niveau de la pyramide sanitaire, et de ce fait, elle est jugée souvent inappropriée par les adhérents puisque elle ne permet pas de faire face aux grosses dépenses de santé. « J’ai payé la mutuelle l’an passé à 20 000 F mais personne n’est allé au centre de santé. En revanche, ma deuxième épouse est tombée malade et est finalement décédée. On avait vendu du maïs pour faire face aux dépenses de plus de 200 000 F car la mutuelle n’a pas marché puisqu’il a fallu la transporter à Sikasso. Il n’y a pas de mutuelle là-bas. » Chef d’UP, gros producteur, Kougouala.

Malgré l’argent du coton, 32% des chefs d’UP, 20% des cadets hommes et 7% des femmes déclarent une incapacité ou de grosses difficultés à faire face à des dépenses de santé ces 10 dernières années, toujours 87 largement plus en zone enclavée (35% des chefs contre 11% en zone désenclavée) et chez les petits producteurs de coton (28% des chefs contre 15% chez les « gros » producteurs).

Au final, la prise en charge des problèmes de santé, bien que fort coûteuse, est jugée satisfaisante, même si les femmes semblent regretter que dans le revenu coton, les investissements (surtout tôles, motos) prennent souvent le pas sur la consommation courante dans la famille, en particulier sur les épisodes de santé, qui pourraient être mieux pris en charge et surtout plus vite. Elles regrettent ainsi que le recours au centre intervienne aussi tardivement. « On attend que les cas de maladie s’aggravent avant de décider d’aller au centre de santé. C’est cette attente qui n’est pas normale. Et puis généralement, l’argent du champ commun est mobilisé si la maladie nécessite un déplacement à Sikasso. Sinon, c’est le chef de ménage qui paie. » Epouse de chef, gros producteur

Au final néanmoins, le ressenti de son état de santé personnel est globalement très positif. A la question, « Vous-mêmes, vous sentez-vous actuellement en très bon/plutôt bon/moyen/ plutôt mauvais/ très mauvais) état de santé ? », les cadets se déclarent à 77% en très bon ou plutôt bon état de santé, les femmes à 70% et les chefs d’UP, souvent plus âgés, à 66%. On se sent globalement en meilleure santé (très bon et assez bon) à Sikasso (72%) qu’à Bougouni (67%). Enfin, la différence est relativement marquée entre les gros et les petits producteurs de coton : pour les épouses, 76% de bon ou très bon état de santé contre 64%, 84% pour les cadets contre 65% et enfin, 72% pour les chefs d’UP contre 59% dans les familles de petits producteurs.

4.7 L’investissement dans l’outil de production : un éternel recommencement et poste de dépense croissant

Dans cette zone, l’investissement dans les outils et les moyens de production agricole est incontournable. Les revenus, y compris les revenus non agricoles, sont utilisés massivement pour le financement d’une nouvelle campagne agricole. La séparation des familles avec, pour certains, un redémarrage sans aucun matériel de production, est également une situation récurrente. Les chefs d’UP expriment leurs nombreuses difficultés à maintenir un outil de production suffisant et performant (animaux bien dressés, en forme physique). La maladie, la mort ou le vol d’animaux semblent assez fréquents. Les aléas, vols, maladie, mort d’animaux, sont fréquents, la vente de bœufs pour faire face à une dette également. Ils redistribuent la carte de l’équipement chaque année et imposent des dépenses lourdes. Les chefs d’exploitation priorisent également le renforcement de l’équipement productif de la famille pour améliorer les conditions de démarrage de la campagne agricole ou augmenter la superficie cultivée. Enfin, l’entretien du matériel de production et l’achat des intrants mobilisent une part non négligeable des revenus de la famille. « On ne peut pas garder d’argent parce qu’en hivernage, il faut toujours acheter des choses. Il faut réparer les charrues, il faut acheter les herbicides, des engrais (quand on fait un grand champ de maïs) pour compléter ce que la CMDT a donné. Nous avons fait tout ça l’an passé. Et chaque année nous achetons 10 sacs d’engrais pour le maïs, pour compléter les intrants CMDT avec l’argent du coton. Et s’il n’y a plus d’argent du coton, nous vendons autre chose pour les acheter. » Chef d’UP, gros producteur, Kougouala

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On constate d’ailleurs une certaine difficulté à se constituer un patrimoine en dehors du capital d’exploitation. Au final, ce coût de production très élevé et de fait, la faible rentabilité des activités agricoles participe à la perception négative de l’agriculture, activité adoptée par défaut et jugée sans avenir, avec ou sans le coton.

Face au revenu aléatoire et relativement peu sécurisé des producteurs, et notamment des plus petits, le nécessaire investissement dans l’outil de production du coton grève encore plus les bénéfices (acquisition et/ou maintenance du matériel, plus l’achat d’intrants du commerce, salariés). Le recours à la main- d’œuvre familiale « gratuite » est une nécessité. « Moi mes fils sont en ville, cette année j’ai fait appel à 4 ouvriers agricoles, que je paie 10 000 francs par mois, pendant huit mois et un, neuf mois. J’ai payé 330 000 francs pour les ouvriers. Le tracteur c’est la troisième fois que je le fais, j’ai fait labourer les 15 hectares, j’ai payé 200 000 francs. Cette année il y a eu beaucoup d’herbes, j’ai acheté beaucoup d’herbicide, le crédit a augmenté, mais ça n’a pas été rentable. Pour 5 hectares j’ai reçu 600 000 de la CMDT, déjà je devais 330 000 francs aux ouvriers et j’avais 100 000 francs de crédit. J’ai dû vendre des céréales pour le mariage de ma fille. » Chef d’UP, gros producteur, Kougouala

Les tableaux suivants présentent, pour trois producteurs rencontrés en qualitatif le calcul de la « marge » sur les 7 dernières campagnes, soit, le prix de vente du coton (production x prix au kilo) moins la part des crédits intrants CMDT, et au sein de cette dernière la part des investissements agricoles réalisés par le producteur sur l’argent du coton (dont l’achat d’intrants), soit la part du produit de la production réinvestie dans la production.

Part du produit de la vente de la production réinvestie dans la production suivante et « bénéfice net » sur les 7 dernières campagnes pour 3 producteurs

100% Bénéfice net 75%

Autres 50% investissements

25% Crédit CMDT

0%

2009 2008 2010 2011 2012 2013 2014 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 Petit (140 KF/an) Petit (160 KF/an) Gros (760 KF/an)

4.8 Les biens d’équipement domestiques et de déplacement : un poste de dépenses priorisé puisque visible et bénéficiant à tous

Le niveau d’équipement domestique des familles et les moyens de locomotion est largement supérieur à la moyenne nationale, nous l’avons vu en partie 1, et relativement standard, quel que soit le niveau de revenus de l’UP. Les plus gros revenus marquent la différence par leur capacité à investir de plus en plus à l’extérieur du village. 89

Cet investissement présente l’avantage d’être un investissement visible, à la fois bénéfique à l’image de la famille dans le village et pour l’entente intra familiale puisque réalisé suivant le droit d’ainesse, non contesté et utile pour tous. La motorisation est perçue comme un investissement utile, notamment du fait de l’enclavement (et parfois, avec la perspective de faire face à la maladie). « On a acheté une moto car le Cscom est loin, quand on doit transporter un malade, il faut monter à trois sur la moto, car il faut quelqu’un pour conduire et le malade ne peut pas être seul derrière, et les chemins sont mauvais, donc mon père acheté une moto à 600 000 francs. » Fils de chef, gros producteur, Mafele

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5. Coton et pauvreté/vulnérabilité

5.1 L’étude ne peut confirmer le « paradoxe »

L’étude ne permet pas de mener de comparaison avec d’autres régions, cependant, plusieurs éléments permettent d’infirmer un lien entre culture du coton et appauvrissement. La cotonculture imprime une dynamique globalement positive au sein de l’économie agricole où elle est exercée : - Non seulement elle ne semble pas se poser en concurrence avec les productions liés à l’autoconsommation, mais au contraire, certaines UP parmi les plus démunies, qui sont structurellement dans une situation de non autosuffisance, semblent tirer parti au mieux de la culture du coton. - La détention assez partagée de certains biens matériels (habitat, déplacement), le niveau des aspirations et les standards qui se sont imposés traduisent une élévation des niveaux de vie, - L’accès au crédit et une forme de « solvabilité », si elles ne constituent pas en soi des formes d’enrichissement, s’accompagnent d’une plus grande résilience, et en ce sens le coton - Enfin, les UP qui ne peuvent pas (ou, pour une minorité, qui ne veulent pas) cultiver le coton sont parmi les plus pauvres de notre échantillon, ce qui s’oppose assez manifestement au constat initial du paradoxe.

D’une façon générale, la culture du coton est un secteur créateur de richesse pour ses producteurs. Pour autant, ce constat positif doit être tempéré par plusieurs niveaux de restriction, ou de limite, à cet « enrichissement de tous » par le coton.

5.2 La logique qui préside à l’organisation de la filière a certes sécurisé les comptes de la compagnie cotonnière, mais a accentué la vulnérabilité des producteurs dans la zone

La culture du coton s’accompagne pour les producteurs de plusieurs niveaux de contraintes, voire de pression :

La filière manque de flexibilité L’organisation de la filière impose la CMDT comme interlocuteur quasi unique des producteurs, et crée une dépendance forte. Le système des intrants à crédit peut parfois prendre la forme d’un « chantage au coton ». La réforme a entraîné la désaffection de la CMDT des autres filières agricoles potentiellement porteuses, qui dès lors se posent en concurrentes de la filière coton alors qu’elles pourraient plus largement être envisagées de façon complémentaire. Le « système coton » tend ainsi à réduire le spectre des ressources agricoles. Dans ce contexte, les UP pauvres, qui ne peuvent produire du coton par manque de moyens, sont exclues des avantages du « club coton » et sont ainsi plus durement installées dans la pauvreté. D’autres s’engagent dans la production de coton dans des conditions défavorables, et au final préjudiciables à leur rentabilité.

Le coton renforce une économie paysanne basée sur des UP agricoles et centralisées Très exigeante en travail, la culture du coton impose une mobilisation des ressources du collectif, au détriment de l’autonomie économique et donc sociale des cadets, et agit ainsi plutôt en frein par rapport à la croissance des autres secteurs économiques.

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Les UP qui aujourd’hui, par consensus ou par « échec » du chef à maintenir un collectif centralisé, ont un fonctionnement économique « minimaliste » en termes de ressources collectives, sont plus sujettes à des années de culture du coton à pertes, et donc à l’endettement. Ces UP sont plutôt plus pauvres que les autres, sans que les écarts soient pour autant très marqués.

Les UP qui au contraire, par consensus ou par autorité du chef, maintiennent le plus un collectif centralisé, et se mobilisent largement autour de la culture du coton, sont certes plutôt plus riches que les autres, avec donc une logique coton « gagnante », mais cette production collective de richesse crée souvent des frustrations et des revendications d’autonomie des divers membres de la famille, et freine la diversification des activités économiques. La réussite de la stratégie agricole fragilise ainsi l’exploitation à la fois en tant que collectif familial (opposition à un désir croissant d’espaces de liberté économique et sociale des jeunes, d’où des tensions, risques de dissensions, de « fuite en migration » des jeunes, de séparation des ménages, etc.) et en tant qu’UP (faible diversification des ressources, absence d’investissement sur d’autres filières parfois porteuses, et vulnérabilité face aux aléas climatiques, etc.), et cette apparente « solidité économique » cache ainsi parfois une fragilité du modèle lui-même.

Ceux qui ont une meilleure performance économique à l’hectare (donc plus de fric car on a vu qu’ils cultivent plus de surface, donc bien plus de fric gagné) ont une réalisation en équipements matériels (sur ceux qu’on a retenus) ; ce fric est donc bien présent et utilisé pour aller vers les standards actuels

Equipement des UP selon la rentabilité du coton de l’exploitation Moins Moyens Plus performants Ensemble performants Maison en dur 42% 61% 71% 57% Tôle 77% 82% 88% 82% Panneaux 72% 71% 78% 73% Télé 19% 24% 35% 25% Moto 49% 57% 67% 57%

100% 80% Moins performants 60% Moyens 40% 20% Plus performants 0% Maison dur Tôle Panneaux Télé Moto

Le coton, non seulement n’est pas facteur d’épanouissement pour les femmes, mais il tend souvent à renforcer leur position de dépendantes des hommes, sociale et économique

Les femmes apparaissent largement laissées pour compte au sein de cette organisation du travail et de gestion des ressources. - D’une part, elles sont le coton représente pour elles une charge accrue de travail au sein du collectif, plus de boulot dans le collectif,

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- Elles reçoivent très peu d’argent en liquide à l’issue de la vente du coton (et notamment, au sein des UP mono-ménages où, en l’absence de redistribution entre chefs de ménage, aucune distribution n’a lieu) - En cas de mauvaise rentabilité du coton et encore plus de perte, elles sont mises à contribution sur leurs productions agricoles propres voire leurs revenus. De ce fait, les femmes apparaissent ainsi, sur tous les critères, plus pauvres que les hommes, y compris les chefs de ménages cadets (biens possédés, activités autonomes, argent liquide disponible, autonomie économique et sociale).

5.3 De fortes inégalités donc tensions sources de pauvreté

Le coton participe largement aux inégalités sociales entre familles L’argent du coton étant très largement investi dans l’habitat, il contribue à rendre visibles les différences de niveau de richesse des familles, et à matérialiser le statut des « riches » (comme celui des « pauvres »). De plus, le coton participe à l’éclatement des familles en créant des tensions autour de l’utilisation des revenus dégagés. Or, la séparation des ménages est le plus souvent opérée de façon très inégalitaire, l’UP du « chef » étant largement favorisée dans le partage des terres et de l’équipement agricole, et d’autres ménages pouvant être quasiment spoliés de ce partage. Cette inégalité tient à la fois aux représentations sociales et à la coutume et au profil psychologique des parties prenantes. La situation des UP « dotées » et des UP « démunies » est renforcée par la culture du coton, les premières étant souvent engagées dans des dynamiques positives d’enrichissement et de développement, les secondes étant manifestement plutôt condamnées à une certaine stagnation, en tout cas à une bien plus grande vulnérabilité.

Equipement des UP selon la taille et la production de coton des mono-ménages UP mono-ménages Non producteurs Ont produit – de Ont produit + de UP multi- de coton 2,7 tonnes 2,8 tonnes ménages Maison dur 33% 56% 62% 57% Tôle 67% 64% 85% 91% Panneaux 33% 60% 92% 75% Télé 0% 11% 23% 31% Moto 17% 38% 77% 63%

100% 75% Monoménages non coton 50% Monom. - 2,7 tonnes 25% Monom. + 2,8 tonnes 0% Multiménages Maison Tôle Panneaux Télé Moto dur

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Le coton participe largement aux inégalités sociales Les situations chroniques d’endettement, surtout des petits producteurs, a amené dans certains village la division des CPC, qui pénalise les UP les plus démunies du fait de (au moins) trois mécanismes : - Au plan purement économique, cette dissociation bat en brèche le principe de mutualisation des risques et induit des relations plus individualisées face aux dettes, avec une pression accrue sur les producteurs pauvres lorsqu’ils sont dans cette situation ; - Au plan social, les CPC se sont souvent constituées autour des niveaux économiques des producteurs, avec des CPC de « riches » et des CPC de « moins riches ou pauvres », ce qui crée des formes de classes sociales au sein des communautés villageoises - Enfin, au plan du développement, la séparation d’une CPC unique en plusieurs CPC freine globalement les réalisations communautaires et les investissements collectifs (chaque CPC

Dans certains villages, le désir de conserver l’ensemble des producteurs dans une seule CPC est clairement exprimé, et la séparation est perçue comme facteur d’appauvrissement. « C’est vraiment un désir de rester une seule coopérative parce que c’est l’union qui fait la force. Sil y a beaucoup de personnes dans une seule coopérative ça augmente le revenu. » Entretien village, Kougouala

« C’est très simple à comprendre. Toute CPC qui ne peut pas produire 80 tonnes sera endettée. Si les gens se séparent la production par CPC va baisser. Le prix du carburant du secrétaire est pris en charge par la CPC, vous achetez une moto pour lui et vous assurez l’entretien de la moto. La CPC prend en charge ses frais de déplacement… Quand on fait tout ce calcul on se rend compte la prise en charge du secrétaire pèse beaucoup sur la caisse de la CPC. Je vous demande une chose, quand vous partez dans un village où la CPC s’est éclatée en plusieurs CPC, demandez quelles réalisations ils ont pu faire lorsqu’il y avait une CPC dans village ? Ils vont vous citer des choses ; et quelles réalisations ils ont pu faire maintenant qu’ils sont séparés ? Ils ne pourront pas vous citer des choses. » Entretien village, Deh

5.4 Profil de la pauvreté subjective parmi les cultivateurs de coton

L’étude a permis de valider différents outils de mesure de la pauvreté élaborés sur la base du programme de recherche réalisé en 2010-2011 pour la Banque mondiale par Miseli (Evaluation participative de la pauvreté dans la région de Koulikoro), et notamment de l’outil basé sur le positionnement subjectif, qui s’avère très pertinent et très cohérent avec des critères objectifs. Par ailleurs, les critères, aussi bien subjectifs qu’objectifs, d’évaluation de la pauvreté des UP, des ménages et des trois cibles individuelles (chefs d’UP, cadets hommes, cadets femmes) montrent que la pauvreté est effectivement importante.

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Rappel de l’outil utilisé et du « barème » subjectif de notation de la pauvreté « Comment est-ce que vous vous situez personnellement, en tenant compte de tout ce que vous avez dit sur votre situation, sur cette échelle ? »

0 1 2 3 4 5 6 Les niveaux 0 et 1 se situent au niveau de la grande pauvreté, les niveaux 2 et 3 au niveau de la pauvreté « moyenne » (le niveau 3 est un stade intermédiaire entre sécurisation du présent mais de trop faibles revenus pour ne pas être pauvre), le niveau 4 se situe au niveau de la non pauvreté, les niveaux 5 et 6 se situent au niveau de l’aisance/de la richesse.

Le niveau de pauvreté subjectif des cadets est globalement corrélé à celui du chef d’UP, pour autant la dépendance sociale et économique renforce le cas échéant le sentiment de pauvreté

Les cadets vivent plutôt mal leur situation de dépendance et se sentent globalement plus pauvres par manque d’autonomie, quel que soit le niveau de vie de la famille par ailleurs.

Dans le détail des cibles, les chefs d’UP et les hommes mariés se situent de façon très similaire, et les femmes se positionnent bien plus souvent dans la pauvreté. - 41% des chefs se situent comme pauvres, dont 20% comme très pauvres ; mais 35% se situent au niveau « entre deux » et 24% comme non pauvres - 40% des cadets hommes mariés situent comme pauvres, dont 17% comme très pauvres ; mais 36% se situent au niveau « entre deux » et 24% donc non pauvres - 54% des épouses se situent comme pauvres, dont 25% comme très pauvres ; mais 25% se situent au niveau « entre deux » et 21% comme non pauvres

Répartition de la population enquêtée sur l’échelle de pauvreté subjective selon la cible

40

30 Chefs d'UP 20 Cadets mariés

10 Epouses

0 0 1 2 3 4 5 6

Le niveau moyen des cadets des chefs d’UP qui se déclarent « pauvres » ou « presque pauvres » se situe également aux niveaux pauvre ou presque pauvre, et que les cadets des chefs « non pauvres » sont globalement « non pauvres ». A noter que l’indigence (niveau 0) correspond bien à une rupture individuelle, cf. le fait que les cadets de chefs « indigents » ne le sont la plus souvent pas eux-mêmes.

95

Niveau moyen de pauvreté subjectif des cadets hommes et femmes selon celui de leur chef d’UP 6 5 4 3 Cadets femmes 2 Cadets hommes 1 0 0 1 2 3 4 5 6

La production de coton détermine clairement le sentiment de pauvreté

Les « cibles » au sein des UP de petits producteurs se positionnent bien plus largement dans la pauvreté que ceux des UP de gros producteurs, et notamment dans la grande pauvreté. Ceci est surtout manifeste chez les épouses (et l’on retrouvera ici l’impact de la prise en charge des besoins primaires par l’UP sur le sentiment de pauvreté), mais plutôt moins marqué chez les cadets hommes, dont les revenus sont plutôt liés à leurs activités personnelles.

Répartition de la population enquêtée sur l’échelle de pauvreté subjective par la cible selon le type de producteurs 40 40 40 30 30 30 20 20 20 10 10 10 0 0 0 0 1 2 3 4 5 6 0 1 2 3 4 5 6 0 1 2 3 4 5 6

Chef, Pt prod Chef, gros Prod Cadet, Pt prod Cadet, gros prod Epouse, pt prod Epouse, gros prod

Le sentiment de grande pauvreté est lié à une insuffisance sur les besoins primaires, une forte insécurité du présent et une absence d’autonomie. Ce sont majoritairement les femmes et certains chefs âgés d’UP vulnérables (petits producteurs, UP mono-ménages), qui se positionnent à ce niveau, ou des personnes en rupture (veuvage). « Moi je n’ai rien à moi, pas d’argent, même si on me soigne, ça ne fait pas de moi quelqu’un de riche. » Veuve, gros producteur, Djele

Le positionnement au niveau 2 traduit une certaine couverture des besoins primaires mais une incapacité à investir, à se projeter positivement dans l’avenir « Je n’ai rien à moi, à part ce que le chef me donne je ne peux rien faire, je suis coincé. » Cadet, gros producteur, Kougouala

« Je me mets au niveau 2 car je n’ai aucun revenu à moi. » Cadet, gros producteur, Djele

Le positionnement au niveau 3 traduit une sécurisation du présent à travers une prise en charge par l’UP satisfaisante, avec une certaine autonomie de mouvement, ou autonomie et prise en charge individuelle, voire « donneur d’ordre » pour les femmes.

96

« Je suis au niveau 3. Je ne suis pas riche, mais ne suis pas pauvre car je mange correctement et je ne dois pas travailler pour les autres, j’ai des salariés. » Epouse de chef, petit producteur, Mafele

L’autosuffisance alimentaire impacte fortement le sentiment de pauvreté, surtout chez les femmes.

Niveau de pauvreté subjective par cible selon le niveau d’autosuffisance de l’UP

3 2,9 2,9 2,4 2,5 3 2 2,2 2,2 1,5 2 1 0 Chefs Cadets Épouses

Rarement autosuffisants Parfois autosuffisants Largement autosuffisants

Le sentiment de pauvreté est prédominant dans les UP mono-ménages, qu’il s’agisse des chefs comme de leurs épouses, et l’on retrouve bien ici la vulnérabilité des petites UP.

Au sein des grandes UP, on notera surtout le plus faible taux de chefs qui se déclarent pauvres, ce qui traduit la position privilégiée des « décisionnaires/gestionnaires » par rapport à leurs subordonnés, et les inégalités induites par les systèmes de redistribution des ressources au sein des grandes unités familiales.

Niveau de pauvreté subjectif des cibles selon le nb de ménages de l’UP (1 ou plusieurs)

100% Aisés Non pauvres 50% Presque pauvres Pauvres 0% Chefs Epouses Chefs Epouses Cadets Très pauvres mariés UP mono-ménages UP multi-ménages

97

La logique « gagnante » ou « perdante » de culture du coton (la rentabilité) apparaît moins déterminante du sentiment de pauvreté

En toute logique, le niveau de revenus concret de l’UP est plus contributif que la conscience d’une « rentabilité » ; en revanche, il est intéressant de constater qu’au sein des UP « moins performantes », où les cadets sont plus autonomes, le degré de réalisation personnelle ne s’accompagne pas d’un sentiment de richesse supérieur.

Niveau de pauvreté subjective par cible selon la rentabilité de la cotonculture dans l’UP

3 3 2,9 2,8 2,6 2,8 2,7 3 2,4 2,3

2

1

0 Chefs Cadets Epouses

Moins performant Moyens Plus performants

Dimensions et critères déterminants de la pauvreté subjective selon les cibles

Transversalement

D’une façon générale, il est intéressant de constater que la mobilité sociale liée à la culture du coton se traduit par l’absence d’écart, parmi les trois cibles, sur la notation de la famille d’origine. Les revenus monétaires contribuent toujours de façon importante à la détermination de son niveau de pauvreté subjectif.

98

Au-delà, on note des différences selon la cible :

Les critères les plus déterminants de la différence entre chefs d’UP de « petits » et « gros » producteurs sont les revenus de l’UP (gwa), mais surtout l’appareil productif (équipement), ensuite les revenus dégagés. Le bétail possédé, et donc l’épargne sur pied, est également un critère déterminant, qui correspond bien aux critères objectifs qui différencient ces deux types de producteurs.

Positionnement des chefs d’UP sur les 16 critères de la pauvreté subjective

4 3 2 1 petits prod 0 gros prods

Analyse des différences d’écarts :

1,2 1 0,8 0,6 0,4 0,2 0 -0,2

99

Les critères les plus déterminants de la différence entre épouses au sein des UP de « petits » et « gros » producteurs sont essentiellement les revenus monétaires, qu’il s’agisse de ceux de l’UP, du ménage (surtout, ce qui est intéressant pour les épouses et traduit l’importance des revenus individuels vs. les revenus collectifs) ou personnels. Le niveau de vie matériel/le confort joue également : ustensiles de cuisine et literie, habitat, alimentation, ce qui traduit bien le niveau d’aspiration des épouses, qui visent plutôt à la sécurisation du présent, pour elles-mêmes et surtout pour leurs enfants, et aspirent moins à des formes de réussite sociale. On notera que le bétail et l’équipement possédés sont peu déterminants, mais qu’en revanche les champs individuels sont contributifs. Le social (considération, réseau, etc.) est globalement contributif pour les femmes, ce qui signifie un faible écart sur ce plan entre épouses d’UP de « petits » et de « gros » producteurs. Les femmes se situent ainsi globalement plus au plan de la réalisation que des conditions de cette réalisation, ce qui semble normal vu qu’en général leur situation est très dépendante des ressources des hommes et de leu prise en charge.

Positionnement des épouses sur les 16 critères de la pauvreté subjective

4 3 2

1 F ptits prods 0 F gros prods

Analyse des différences d’écarts :

1 0,8 0,6 0,4 0,2 0

100

Les critères les plus déterminants de la différence entre cadets au sein des UP de « petits » et « gros » producteurs sont les revenus (de l’UP, du ménage et individuels). On notera que le bétail n’est pas contributif, et que, cas unique, les champs individuels cultivés sont un critère qui contribue négativement à la note globale, ce qui est cohérent avec les critères objectifs, puisque les cadets des UP de « gros » producteurs ont moins accès à la terre (en % de cadets ayant un champ individuel et en superficie moyenne allouée aux hommes). On notera que les éléments de la considération sociale sont largement déterminants chez ces chefs de ménage, plus que chez les autres cibles.

Positionnement des cadets sur les 16 critères de la pauvreté subjective

4 3 2 1 H,, petits prod 0 H, gros prods

Analyse des différences d’écarts :

1 0,8 0,6 0,4 0,2 0 -0,2 -0,4

101

III Conclusions

La production de coton favorise très inégalement les stratégies de subsistance des différents types de producteurs de la région

Sur le principe, le coton est perçu comme un facteur de sécurisation du présent (autosuffisance, support de consommation et accès à divers services de base notamment), et également comme un support de sécurisation de l’avenir (acquisition de biens durables, investissement, acquisition d’équipement agricole et de bœufs de labour).

Aussi bien les « petits » que les « gros » producteurs partagent cette représentation et cette image positive associée à la culture du coton. La clé d’entrée est l’impact sur les rendements céréaliers et la possibilité de détenir un capital d’investissement. Le désir assez communément partagé, même si inégalement assouvi, du renforcement du rôle de provider du chef d’UP (habitat confortable, alimentation, santé, éducation), même si finalement assez peu parviennent à couvrir l’ensemble des besoins, et ultimement d’un investissement urbain, traduit l’adhésion au coton comme support de projection positive. De plus, la cotonculture ouvre sur l’accès au crédit (commerçants, relations, voire CPC), qui constitue un bénéfice majeur et renforce la résilience et la sécurisation du présent.

Mais cette sécurisation du présent se heurte à trois niveaux de tensions qui pénalisent les producteurs :

- La sécurisation du présent passe par la santé, qui mobilise une part non négligeable des ressources des UP, y compris les revenus du coton, et grève l’avenir. La prise en compte de la santé dans les mutuelles traduit bien le besoin de solutions, en l’absence desquelles l’endettement est parfois le seul recours. - Par ailleurs, le souci de satisfaire un certain standard de vie qui inclut des besoins de confort, de plaisir, de meilleure alimentation, de mobilité, de modernité, etc. se heurte aux ressources dégagées par le coton et les céréales, qui ne parviennent pas à y répondre, sans que le marché local offre des activités rémunératrices complémentaires.

- Le système centralisé de production et de redistribution des ressources financières produites. La culture du coton répond aux stratégies des chefs d’UP, car elle renforce leur pouvoir direct et s’organise structurellement autour du collectif. Mais, la culture du coton soutient très peu les stratégies des autres acteurs, les cadets et encore moins les femmes. D’une façon générale, elle ne permet pas le développement des individus, en l’absence de redistribution directe des revenus monétaires, et elle ne favorise pas le développement d’activités individuelles locales.

- La culture du coton est caractérisée par une charge de travail importante, des coûts de production très élevés, des « marges » souvent faibles et surtout très volatiles (intrants et nécessité de maintenir un équipement agricole performant, fluctuation du prix payé au producteur, nécessité croissante d’apport en intrants). La rentabilité de la cotonculture doit intégrer des années de forts et de bas revenus voire des pertes, ce qui suppose une capacité d’absorption des « mauvaises années ». Les UP qui ne disposent pas d’un équipement complet doivent compenser par une mobilisation accrue de la main-d’œuvre, une limitation des surfaces cultivées et au final de moindre rendements et des marges plus faibles ; leur modèle économique est ainsi plus fragile, et au final la rentabilité structurellement plus faible. Le bénéfice sur les cultures céréalières prend 102

ainsi potentiellement l’avantage sur l’apport en argent liquide. La gestion du capital productif, et de sa composante la plus fragile, soit les bœufs de labour, est ainsi un facteur ultra déterminant de la rentabilité à terme de l’exploitation et de l’évolution du producteur. L’accès au crédit, s’il renforce le présent, et notamment en période de soudure, peut affaiblir l’avenir, soit par un mécanisme d’endettement structurel au système (crédits/dettes CMDT / CPC), soit par le jeu des dettes privées contractées avec en gage la prochaine récolte de coton. Or, ces dettes privées sont souvent engagées, en tout cas en termes de montants, soit pour des soins de santé, soit pour des événements sociaux incontournables (mariages). - Or, dans ce contexte, deux phénomènes viennent accentuer la fragilité du modèle d’exploitation : o Le mouvement vers la division en petites unités est une réalité prégnante, la tendance de la structure familiale. o On est dans une logique où on évite le travail dur, on vise la mécanisation et l’usage de pesticides, notamment les herbicides. o Il est intéressant de constater que la culture du coton n’a pas réussi à revaloriser l’activité agricole, de par la quantité de travail qu’il exige, et car il ne constitue pas, au final, une réelle source de mieux-être.

- Les producteurs, et notamment les petits producteurs plus vulnérables aux aléas de la culture du coton, manifestent leur intérêt pour les autres cultures de rente qui sont aujourd’hui indispensables pour répondre aux besoins, mais ces autres cultures sont aujourd’hui elles-mêmes aléatoires, par manque de technicité des producteurs, et car elles n’offrent pas de garantie de prix.

- Le coton n’a pas permis de limiter les migrations, qui restent un pilier des économies rurales, y compris pour faire face aux chocs de la culture cotonnière

Les femmes sont les grandes laissées pour compte de la culture du coton, du fait de leur position inférieure au sein des familles et des UP, et ce indépendamment des revenus du coton. Sur de multiples critères, les épouses des UP de gros producteurs ne se différencient guère de celles des Up de petits producteurs, qu’il s’agisse : - De leur très faible degré d’autonomie économique et sociale - De la contribution en travail qui est exigée d’elles dans le collectif - Des revenus non agricoles qu’elles peuvent générer - De l’argent liquide dont elles sont gratifiées à l’issue des campagnes cotonnières, - Des contributions financières pour lesquelles elles sont sollicitées, y compris sur leurs revenus personnels, et notamment pour faire face en cas de « choc » de la culture du coton - Et au final, leur structure de consommation est quasiment identique

Pour les UP (majoritaires) qui sont structurellement dans l’autosuffisance, le coton ne représente pas une mise en danger de celle-ci et en plus, dans des conditions de production optimales et globalement entables ; dans ce cadre hyper structuré et à fort capital, le coton est « gagnant » et vient renforcer des forces déjà présentes, cf. le fait que tout le monde y trouve son compte ; le coton au profit de tout le monde. Pour celles (minoritaires) qui sont structurellement dans la non suffisance alimentaire, le coton émerge comme source occasionnelle et parmi d’autres de diversification des ressources ; les apports financiers semblent être les supports de l’économie de ces UP, que l’absence de capital pousse à privilégier le non vivrier ; coton et céréales sont ainsi mis en balance de façon alternée pour un équilibre global, à terme des ressources, mais tout est fait de façon pensée ; dans ce cadre très structuré de mobilisation 103 stratégique de faibles ressources, le coton est « gagnant » mais ne vient que balancer cette déficience structurelle, cf. les femmes, qui n’en profitent pas ; le coton au profit du chef d’UP surtout. Enfin, pour celles (plutôt minoritaires) qui sont structurellement dans un capital moyen et une organisation des ressources équilibrée entre centralisme et libéralisme, l’analyse de l’ensemble des ressources montre une faible rentabilité de tous les postes de ressources ; il semble ainsi s’agir d’UP avec faible pouvoir de décision et faible mobilisation des ressources pour quoi que ce soit… ; dans ce cadre très peu structuré de mobilisation plutôt erratique de ressources pourtant à fort capital, le coton est « assez perdant » ;

Les UP très stratégiques dans l’autosuffisance reçoivent le double à l’hectare des UP dans la moyenne. Ce ne sont ainsi pas les plus gros producteurs qui sont les plus performants, mais au final de petits producteurs très stratégiques. L’étude montre qu’il est possible d’améliorer les performances de bon no ;bre de producteurs avec un schéma plus organisé ; le coton est gagnant lorsqu’il est rationalisé avec une forte mobilisation des ressources, quitte à le cultiver occasionnellement

La stabilisation récente du prix payé au producteur a certes relancé l’intérêt pour la cotonculture, mais les coûts de production demeurent très élevés et, dans un contexte de baisse des rendements, les revenus des cotonculteurs, très volatiles, semblent globalement en baisse. Le coton est producteur de richesse quand il est cultivé dans de bonnes conditions, avec une forte mobilisation des ressources, autrement il est plus problématique peut ne pas être facteur de richesse. A conditions égales, le coton pose problème car il s’oppose à l’emploi autonome des cadets, on gagne au niveau central mais on perd pour les ménages/individus.

 Au final, c’est aujourd’hui dans le vieux bassin cotonnier que le coton s’inscrit le plus favorablement dans la richesse et la lutte contre la pauvreté, avec des exploitations plus grandes, plus autosuffisantes, plus centralisées, une CMDT plus efficace, et moins de problèmes structurels (enclavement, santé, etc.)  argent du coton plus autres cultures de rente plus production céréalière/vivrière.

Les principaux facteurs qui pourraient influer sur la contribution de la production de coton à la réduction de la pauvreté dans cette région relèvent de la sécurisation du présent. Les mesures possibles pour améliorer l'impact de la production de coton sur la pauvreté peuvent se situer sur plusieurs plans, mais il semble plus pertinent de jouer sur l’environnement des producteurs plutôt que sur les conditions de production elles-mêmes. Le système d’achat d’équipement, et surtout les bœufs, montre sa limite car le bien est très périssable. En conséquence, il serait peut-être intéressant : - Au plan des exploitations agricoles, d’encadrer les filières complémentaires des autres cultures de rente - (sésame, soja, fruitiers, maraîchage) - Au plan de l’action sociale, de faciliter l’accès financier à la santé, afin de mieux maîtriser les coûts des soins de santé et des dépenses catastrophiques.

Les non producteurs de coton sont justement les UP qui ne peuvent surmonter les aléas et les contraintes de la culture du coton. Ce sont, dans les deux zones étudiées, les UP les plus démunies et vraisemblablement les plus pauvres : - Un très faible équipement productif (équipement, main-d’œuvre) - Sans revenu alternatif local (faible agriculture, très peu voire pas de revenus non agricoles) - Très vulnérables, dépendantes des subsides des migrants et de la mise à contribution des femmes - Et devant faire face à des dépenses de santé particulièrement élevées (des chefs d’UP très âgés) 104

Ces non producteurs mettent justement en évidence les problèmes et contraintes rencontrées par les petits producteurs.

Les particularités régionales explicatives du paradoxe relèvent du mode d’organisation des exploitations familiales, et particulièrement - La centralisation de la gestion des ressources au niveau des chefs d’UP, avec des UP très hiérarchisées, peu de partage des moyens de production (en propriété mais aussi en accès), et des ressources produites - La culture du coton, en résonnant avec cette stratégie centralisatrice des chefs, tantôt renforce leur pouvoir, tantôt exacerbe les tensions et peut induire des éclatements non consensuels et producteurs d’inégalités socioéconomiques. D’une façon générale, elle ne permet pas le développement des individus, en l’absence de redistribution directe des revenus monétaires, et elle ne favorise pas le développement d’activités individuelles locales. En outre, ce mode de gestion du collectif se pose en confrontation avec l’émergence des besoins plus importants et plus individualisés, et notamment, face à la promesse coton. - Le statut des femmes particulièrement défavorisé au sein de cette hiérarchie. Cf. supra.

105

Annexe. Illustration : structure de dépenses de la campagne 2014-2015 pour 5 « petits » et 6 « gros » producteurs

Petits producteurs :

Producteu Surfac Argent reçu Rappel pour r et village e et utilisation la campagne 2013/14 coton pour la campagne 2014/15 A. B 180 000 F CFA Pas de coton, nouvelle UP Kougouala 110 000 – achat d’un bœuf 7 000 – impôt 5 000 – cadeau à son père Reliquat – dépenses pour la famille (maladie, condiment, thé)

S.K 1 ha 120 000 F CFA ½ ha coton car il était seul avec Ouroumpa Investis dans le mariage d’un fils sa femme  45 000 F CFA na 10 000 - soins de santé de son Vente d’anacardes 150 000 F et de sésame épouse 40 000 F pour compléter l’argent du coton Achat de trois complets Paiement des travailleurs sur la récolte de sésame 37 500 F

B.Z 1 ha 165 000 F CFA 73 500 F CFA Ouroumpa 10 000 – pour lui-même Construction de maison pour na 110 000 – construction de maison avec tôle son fils 30 000 – achat de radio 30 000 – achat de batterie

M D C 2 ha 25 000 F CFA (dettes à la CPC) 1,5 ha coton, 800 kg  35 F Mafele CFA seulement Endettement CPC suite à des problèmes de santé

S.C 1,5 ha 140 000 F CFA 1,5 ha cultivé, 851 kg  Mafele 27 000 – achat de panneaux solaires 67 000 F CFA seulement 5 000 – impôt 30 000 – achat d’herbicides 20 000 – crédit labours 70 000 – soins de santé 65 000 – portes maison

106

« Gros » producteurs » :

Producteur Surface Argent reçu Rappel pour et village coton et utilisation la campagne 2013/14 pour la campagne 2014/15 S.B 300 000 F CFA (240 000 de dettes CMDT) 150 000 F CFA Kougouala 500 000 – mariage d’un fils 150 000 – santé (chef d’UP 5 000 – redistribution à son épouse diabétique)

S.B 5 ha 900 000 F CFA 350 000 F CFA (4ha) Kougouala 25 000 – impôt Couverture de 2 maisons avec 60 000 – redistribution dans l’UP tôles 17 500 – scolarité des enfants Redistribution dans l’UP 40 000 – remboursement de crédits pour cérémonies 125 000 – paie des ouvriers et location du tracteur 435 000 – achat d’une moto 50 000 – achat de pesticide 135 000 – mariage d’une sœur 155 000 – achat de tôle et réparation maison

D.D 9 ha 885 000 F CFA Djele 370 000 – achat d’un bœuf + vache 35 000 – achat d’une parcelle de terres 65 000 – frais de scolarité 235 000 – mariage fils 160 000 – redistribution dans l’UP

N. D 6 ha 900 000 F CFA Perte de 60 000 F CFA Djele 250 000 – deux maisons couvertes avec tôles Or, besoins : 44 000 – remboursement de dettes santé Remboursement de crédits 80 000 – voyages pour la consommation 30 000 – impôt Mariage de deux filles 115 000 – redistribution dans l’UP Pour cela : 250 000 – deux mariages - vente de deux vaches et de 2 130 000 – épargne bœufs - apport des migrants 200 000

M. Z. C 4 ha 640 000 F CFA 445 000 F CFA Mafele 6 000 – impôt 200 000 – achat d’un bœuf 20 000 – paie des ouvriers 6 000 – impôt 110 000 – mariage d’un fils 35 000 – mariage 40 000 – remboursement de soins médicaux 45 000 – redistribution dans 10 000 – remboursement crédit CPC l’UP 10 000 – remboursement crédit belle fille Reliquat – remboursement de 80 000 – redistribution dans l’UP crédits 225 000 – achat d’un bœuf de labour 20 000 – réparation de charrue 50 000 – dépenses de santé 10 000 – achat de cola A dû vendre 18 sacs de maïs pour

107

remboursement des intrants A à nouveau un fils malade et va être obligé de s’endetter

K.C 6 ha 350 000 F CFA 650 000 F CFA Mafele 45 000 – remboursement de dettes 105 000 – redistribution dans 210 000 – construction de 2 maisons avec tôle l’UP 60 000 – remboursement crédit mariage 40 000 – herbicides 13 500 – réparation de charrue 150 000 – couverture de deux 5 750 – achat de vêtements maisons avec tôle 10 000 – frais d’essence 120 000 – mariage 52 000 – poisson pour la sauce

108

Dépenses d’un petit producteur en cycle positif de croissance

Année Superficie Superf Intrants Production Revenu dégagé et utilisation champ commun icie CMDT hors coton coton

2002- 1 ha maïs 1 ha 200 000 2 000 100 000 F CFA 2003 + 40 000 100 000 – achat de tôles crédit bœuf 2003- 1 ha maïs 1 ha 150 000 1 300 150 000 F CFA 2004 150 000 – achat d’une charrue et d’une charrette

2004- 1,5 ha maïs 1 ha 190 000 1 500 200 000 F CFA 2005 100 000 – achat de tôles 40 000 – frais de santé 30 000 – paie des ouvriers 30 000 – préparation de la campagne agricole suivante 2005- 1,5 ha maïs 1 ha 190 000 1 200 100 000 F CFA 2006 0,25 arachide 60 000 – tôles 30 000 – paie des ouvriers 2006- 1,5 ha maïs 1 ha 190 000 1 400 200 000 F CFA <2007 0,25 arachide 100 000 – mariage avec deuxième épouse 70 000 – paie des tons de culture 30 000 – paie des ouvriers 2007- 1,5 ha maïs 1,5 ha 190 000 1 500 175 000 F CFA 2008 0,25 arachide 100 000 – soins de santé pour une hernie 50 000 – remboursement de dettes de mariage 30 000 – paie des ouvriers 2008- 1,5 ha maïs 1,5 ha 190 000 1 300 125 000 F CFA 2009 0,25 arachide 45 000 – paie des ouvriers 80 000 – remboursement de crédits pris en hivernage (santé, alimentation) 2009- 1,5 ha maïs 1,5 ha 190 000 1 300 150 000 F CFA 2010 0,5 sésame 150 000 – soins de santé de première épouse 2010- 1,5 ha maïs 2 ha 256 000 2 000 200 000 F CFA 2011 0,25 sésame 100 000 – soins de santé pour sa sœur 35 000 – paie des ouvriers 65 000 – remboursement de crédits pris en hivernage (santé, alimentation) 2011- 1,5 ha maïs 2 ha 250 000 1 500 125 000 F CFA 2012 0,25 sésame (mauvaise 50 000 – achat d’un âne année) 35 000 – paie des ouvriers 10 000 – réparation de charrue 30 000 – remboursement de crédits pris en hivernage (santé, alimentation) 2012- 1,5 ha maïs 2 ha 250 000 1 700 185 000 F CFA (prix bas, 185 F) 2013 0 sésame (pas 75 000 – achat d’un petit bœuf pu cultiver à de labour temps) 45 000 – paie des ouvriers 20 000 – remboursement de crédits pris en hivernage (santé) 45 000 – gardés pour les dépenses courantes 2013- 1,5 ha maïs 2 ha 265 000 1 300 100 000 F CFA 2014 0,25 ha Achat de 35 000 – paie des ouvriers arachide pour la « Super 65 000 – remboursement de sauce Galan » crédits pris en hivernage (santé, alimentation) 2014- 2 ha maïs 2 ha 250 000 1 200 100 000 F CFA 2015 1 ha sésame 100 000 – soins de santé pour le Carré d’arachide chef Sésame : 45 000 paie des ouvriers + 20 000 réparation de charrette Prévision 2 ha maïs 3 ha Env. 300 3 000 Nouvelle maison en tôles 2015- 1 ha sésame 000 2016

Dépenses d’un petit producteur en situation de rupture (faible investissement sur l’équipement)

Année Superficie Superf Intrants Production Revenu dégagé et utilisation champ commun icie CMDT hors coton coton

2008- 2 ha maïs 2 ha 240 000 2 000 125 000 F CFA 2009 2 ha sorgho Empru 50 000 – vêtements 0,25 patate nt de 40 000 – achat de deux charrues douce bœufs 35 000 – conservés pour saison 0,25 pois de suivante labour 2009- 2 ha maïs 2 ha 240 000 2 300 200 000 F CFA 2010 2 ha sorgho Empru 150 000 – achat de tôles 0,25 patate nt de 50 000 – conservés pour saison douce bœufs suivante 0,25 pois de labour 2010- 2 ha maïs 2,5 ha 290 000 2 400 300 000 F CFA 2011 2 ha sésame Empru 220 000 – achat d’un taureau 0,25 patate nt de 30 000 – frais de santé douce bœufs 50 000 – conservés pour saison 0,25 pois de suivante dont 25 000 engrais

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labour Sésame : une charrette à 140 000 2011- 2,5 ha maïs 2,5 ha 290 000 1 800 100 000 F CFA 2012 2 ha sésame Empru (mauvaise 50 000 – frais de santé épouse (2 0,25 patate nt de pluviométri déplacements au Cscom) douce bœufs e) 50 000 – conservés pour saison 0,25 pois de suivante dont 25 000 engrais labour Sésame : 100 000 dont 50 000 pour frais de santé d’un migrant et 50 000 pour un enfant très affaibli, Csref de Kolondiéba 2012- 2,5 ha maïs 2,5 ha 290 000 2 200 140 000 F CFA 2013 2 ha sésame Empru + 75 000 Prix bas, 125 000 – achat de tôles et 0,25 patate nt de crédit 185 F CFA installation douce bœufs informel 15 000 – conservés pour saison 0,25 pois de avec suivante labour agent CPC 2013- 2,5 ha maïs 2,5 ha 290 000 2 100 240 000 F CFA 2014 1 ha sésame 150 000 – construction de maison et achat de tôles 90 000 – achat d’engrais du commerce 2014- 2,5 ha maïs 2,5 ha 245 000 1 100 25 000 F CFA 2015 1,5 ha sésame Bœuf mort, Réparation de charrue 0,5 arachide pas pu Paie des ouvriers pour arracher 0,25 patate emprunter les tiges de coton douce 2 bœufs à 0,25 pois temps Son épouse prend en charge tous les frais

Dépenses d’un gros producteur en cycle positif de croissance

Année Superficie Super- Intrants Production Revenu dégagé et utilisation champ commun ficie CMDT hors coton coton

2008- 3 ha maïs 3 ha 350 000 4 400 550 000 F CFA 2009 1 ha sésame 85 000 – achat d’une vache 0,5 ha arachide 50 000 – paie des ouvriers 0,25 haricot 75 000 – réparation de charrues et charrettes 70 000 – redistribution dans l’UP Chef a conservé 150 000 pour conso courante 2009- 3 ha maïs 3 ha 350 000 4 000 600 000 F CFA 2010 1 ha sésame 100 000 – achat de tôles 0,5 ha arachide 100 000 – redistribution aux deux 0,25 haricot fils mariés 60 000 – achat de pesticides 50 000 – réparation d’une

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charrette 50 000 – réparation d’une charrue 40 000 – paie des ouvriers 30 000 – frais de santé fils et petit-fils 25 000 – remboursement de crédits pour la consommation 150 000 – conservés pour la pour consommation courante 2010- 3 ha maïs 3 ha 350 000 4 500 600 000 F CFA 2011 1 ha sésame 100 000 – achat de tôles (cuisine) 0,5 ha arachide 100 000 – redistribution aux deux 0,25 haricot fils mariés 35 000 – achat de pesticides 80 000 – achat d’une vache 50 000 – paie des ouvriers 35 000 – réparation de charrue 200 000 – conservés pour la pour consommation courante 2011- 3 ha maïs 5 ha 525 000 5 000 550 000 F CFA 2012 1 ha sésame 200 000 – achat de tôles 0,5 ha arachide 100 000 – redistribution aux deux 0,5 haricot fils mariés 80 000 – achat de pesticides 150 000 – achat d’une vache 35 000 – paie des ouvriers 2012- 3 ha maïs 6 ha 525 000 7 400 1 300 000 F CFA 2013 1,5 ha sésame 5 ha 575 000 – remboursement de 1 ha arachide déclar crédit (achat moto) 0,25 haricot és 100 000 – remboursement de CMDT crédits de consommation 100 000 – achat d’une vache 75 000 – paie des ouvriers 80 000 – achat de pesticides 50 000 – achat de dabas larges 150 000 – redistribution dans l’UP 200 000 – conservés pour la pour consommation courante 2013- 3 ha maïs 5 ha 525 000 6 000 750 000 F CFA 2014 1,5 ha sésame 200 000 – achat d’un taureau 85 000 – achat d’une génisse 100 000 – mariage d’un fils 1 ha arachide 50 000 – achat de 3 charrues 0,25 haricot 60 000 – paie des ouvriers 60 000 – achat de pesticides 65 000 – soins de santé pour le fils 20 000 - impôt 150 000 – redistribution dans

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l’UP 2014- 3 ha maïs 5 ha 525 000 6 700 1 000 000 F CFA (en avril) 2015 1,5 ha sésame 300 000 – remboursement de 1 ha arachide crédits de consommation 0,25 haricot 50 000 – remboursement de frais de santé 225 000 – frais de santé pour le chef 150 000 – achat d’une vache 90 000 – achat de pesticides 50 000 – maintenance du matériel agricole 30 000 – réparation de moto 20 000 – impôt 12 500 – achat de pulvérisateur 150 000 – redistribution dans l’UP Sésame : 70 000 dont 30 000 réparation moto et 6 000 engrais, reste conservé par le chef

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Bibliographie

Croissance démographique, développement de la culture du coton et gestion durable des ressources naturelles en zone mali sud, 2006, IER, Ibrahima CISSÉ, Abdou Yéhiya MAÏGA, Jean François BÉLIÈRES, Aboubacar TRAORÉ Bitchibali KOUNKANTJI Diversité des agricultures familiales ; Exister, se transformer, devenir. Coordination : PM BOSC, J-M SOURISSEAU, P. BONNAL, P. GASSELIN, E VALETTE, J-F BELIERES, Editions Quae

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