LYCEENS ET APPRENTIS AU CINEMA en BOURGOGNE

TONNERRE de Guillaume Brac

- Dossier pédagogique -

une action Artdam LYCEENS ET APPRENTIS AU CINEMA en Bourgogne SOMMAIRE Un dispositif d’éducation à l’image et au cinéma Synopsis page 3 Depuis 13 ans, cette opération place les lycéens et les apprentis de la Bourgogne au cœur d’un véritable L’Affiche projet d’éveil culturel et de sensibilisation artistique. Par la découverte en salle d’œuvres filmiques Fiche technique d’hier et d’aujourd’hui, en version originale, par l’analyse de ces films et la rencontre avec des profes- sionnels de l’image et du son, les élèves de seconde, de première, de terminale, de BTS et les apprentis, Casting issus de CFA, de MFR, de lycées publics, privés et agricoles, sont initiés au langage cinématographique Le Réalisateur et invités à aiguiser leur esprit critique.

Lycéens et Apprentis au cinéma en Bourgogne est soutenu par la Région Bourgogne Franche-Comté et Note d’intention page 4 la Direction Régionale des Affaires culturelles, en partenariat avec la DRAAF, le Rectorat de l’Académie de Dijon et les salles de cinéma. Analyse : les motifs, les thèmes page 5 L’opération est coordonnée et animée par l’Artdam, agence culturelle technique de Bourgogne Franche-Comté. Focus : du court au long métrage page 8 LAAC TV : nouveauté 2016/2017 Scénario : extrait page 9 A la rentrée 2016/2017 a été lancée LAAC TV, la chaîne du dispositif Lycéens et Apprentis au cinéma – Bourgogne, qui permet aux élèves inscrits à l’opération de s’exprimer, de donner leur avis de manière « La scène de l’arme chez Hervé » créative et de diffuser en ligne leurs travaux filmiques, qu’ils réalisent autour de la programmation 2016/2017 ou de leur passion pour le cinéma. Entretien avec le réalisateur page 11 Un concours de critiques filmées accompagne le lancement de cette Web TV. Vos vidéos seront visibles sur : vimeo.com/laacbourgogne in Les Fiches Cinéma, 2014

CONTACT : Résonance littéraire : page 14 Alfred de Musset LYCEENS ET APPRENTIS AU CINEMA - Bourgogne / Tiffany Peset, coordinatrice pour l’Artdam 7 rue professeur Louis Neel - 21600 Longvic www.lyceensaucinema.com Résonance musicale : Rover page 15 [email protected] / 03 80 67 08 67

L’Oeil du critique : page 16 Ce dossier a été réalisé par la coordination du dispositif Lycéens et Apprentis au cinéma - Bourgogne, février 2017. L’opération est coordonnée et animée par « Tonnerre, un portrait au lyrisme déjanté » l’Artdam, grâce au soutien et au partenariat de : par Serge Kaganski, in Les Inrockuptibles AVEUGLEMENT les personnages principaux, de dos, dans un pay- AVEC L’AIDE de la COMMISSION DU FILM DE SYNOPSIS : sage hivernal et une ambiance à la fois roman- BOURGOGNE tique, mystérieuse et mélancolique, tandis que AVEC LA PARTICIPATION du CENTRE NATIONAL OBSESSION Un rockeur trop sentimental, une jeune les lettres rouges « sang » du titre TONNERRE DU CINEMA ET DE L’IMAGE ANIMEE MELANCOLIE PASSION femme indécise, un vieux père fantasque. annoncent un drame. Le ton est donné. VENTES & DISTRIBUTION WILD BUNCH Dans la petite ville de Tonnerre, les joies SENTIMENT AMOUREUX de l’amour ne durent qu’un temps. FICHE TECHNIQUE: CASTING: Une disparition aussi soudaine qu’inexpli- MAXIME : Vincent MACAIGNE DRAME TRAHISON quée et voici que la passion cède place Sortie : 29 janvier 2014 , 1h40 - Image : 1.85 - Son : numérique 5.1 MELODIE : Solène RIGOT à l’obsession… RUPTURE DE REALISATION : Guillaume BRAC CLAUDE : Bernard MENEZ SCENARIO : Guillaume BRAC et Hélène RUAULT IVAN : Jonas BLOQUET TON POLAR avec la collaboration de Catherine PAILLE HERVE : Hervé DAMPT 1ER ASSISTANT REALISATION : Guilhem AMESLAND CAROLE : Marie-Anne GUERIN COMEDIE IMAGE : Tom HARARI MONTAGE : Damien MAESTRAGGI SENTIMENTALE MUSIQUE ORIGINALE : ROVER LE REALISATEUR: SON : Emmanuel BONNAT, Julien ROIG et Vincent VERDOUX BASCULEMENT DECORS : Héléna CISTERNE Diplômé de la Femis en production, Guillaume COSTUMES : Sandra BESNARD et Emmanuelle Brac réalise trois courts-métrages durant sa for- BOURGOGNE PASTRE mation. A sa sortie de l’école, il travaille comme DIRECTION DE PRODUCTION : Olivier GUER- assistant réalisateur, notamment sur les films COUP DE FOUDRE BOIS et Serge CATOIRE Parc de Arnaud des Pallières et Un baiser s’il vous REGIE GENERALE : Philip BUCHOT plaît de Emmanuel Mouret. En 2008 il co-fonde ROMANTISME DIRECTION DE POST-PRODUCTION : Eugénie DE- la société Année Zéro avec laquelle il réalise PLUS et produit Le Naufragé en 2009, puis Un monde PRODUCTION : Alice GIRARD - RECTANGLE PRODUC- MORVAN sans femmes en 2011. En 2012, ces deux films, TIONS réunis en un seul programme, sortent en salles UNE COPRODUCTION RECTANGLE PRODUC- MUSICIEN en France, en Belgique et au Japon, après avoir TIONS, WILD BUNCH et FRANCE 3 CINEMA été primés dans de nombreux festivals en France AVEC LA PARTICIPATION de CINE+ et FRANCE HIVER et à l’étranger. TELEVISIONS L’AFFICHE : EN ASSOCIATION avec SOFICINEMA 9, HOCHE En 2013 Guillaume Brac réalise son premier L’YONNE AJ AUXERRE IMAGES, CINEMAGE 7 et COFIMAGE 24 long-métrage, Tonnerre. Au lieu de proposer une représentation en gros AVEC LE SOUTIEN de la REGION BOURGOGNE, REEL ET FICTION plan du personnage principal, l’affiche plonge en partenariat avec le CNC 3 NOTE Le jeu de mot est facile, mais ne doit année, mon désir d’y inscrire une fiction n’a fait posera la question du bonheur et surtout du rap- rien au hasard. Tonnerre sera le récit que grandir. L’écriture de Tonnerre, comme celle port à la réussite et à l’échec. Chacun des per- D’INTENTION « d’une succession de coups de tonnerre. de mes films précédents, Le Naufragé et Un sonnages est plongé dans ce questionnement. 18.11.2012 (extrait) Celui de la rencontre amoureuse, celui de la monde sans femmes, s’est donc nourrie de la (...) Cette hantise de l’échec et du vieillissement disparition, celui de la trahison, celui de l’enlè- force d’un lieu, à la fois bien réel et fantasmé. traversera tout le film. de Guillaume BRAC vement. Il y a plusieurs années, j’ai vécu une Ces deux films, qui traitaient déjà de la solitude (...) histoire passionnelle, qui n’a duré que quelques et de la naissance du sentiment amoureux, lais- Comme dans mes films précédents, la mise en semaines, mais qui m’a fait ressentir des émotions saient poindre une certaine cruauté, sans jamais scène, simple, frontale, sera avant tout au ser- tellement violentes, que j’ai cru sur le moment pour autant sortir du cadre de la comédie. Si vice des lieux et des acteurs. Mon obsession au que je ne m’en relèverais pas. Chacun ou presque cette légèreté, ce goût pour les situations co- tournage sera de capter des fragments de vie et a connu ce genre d’histoire, où l’être aimé - ou casses, sont constitutifs de mon désir de cinéma, de vérité. Cela pourra passer par des plans-sé- plutôt fantasmé - devient à ce point un objet de Tonnerre opérera un glissement progressif vers le quences, privilégiant la vérité de l’instant, le cristallisation, qu’il déclenche involontairement drame. rapprochement réel des corps, sans pour autant des tempêtes qui le dépassent totalement. Fort jamais l’ériger en principe. A l’exception des La NOTE D’INTENTION : heureusement, dans l’immense majorité des cas, C’est ce basculement de la comédie quatre rôles principaux, tous les personnages ces histoires s’arrêtent aux frontières de la folie. vers le fait divers, à l’intérieur même secondaires seront joués par des non-profession- La note d’intention est un texte court Tonnerre explorera leur transgression fiction- du film, qui m’intéresse. nels, que j’ai choisis sur place. Le plus souvent, ils envoyé soit par le réalisateur au pro- nelle. joueront leur propre rôle. Certains, comme Her- ducteur, soit par le producteur aux Tonnerre existe. C’est une petite ville de 5000 (...) Film physique et charnel, Tonnerre mettra en vé, Eric ou Pierrette, sont des amis que je connais différents financiers (et/ou diffuseurs), habitants, située à dix kilomètres seulement du regard plusieurs corps. Ceux de Maxime et de depuis longtemps. Je crois énormément à cette parfois les deux. village d’où sont originaires mes grands-parents, Mélodie, bien sûr. Mais aussi le corps de musicien rencontre entre comédiens et non profession- - Son objectif est de convaincre de l’in- dans le département de l’Yonne. Dès l’enfance, de Maxime face au corps de sportif d’Ivan. Ou nels. Cela contribuera à maintenir le film vivant térêt majeur d’un nouveau film à partir cette ville a exercé sur moi une véritable fascina- le corps encore jeune, mais négligé de Maxime, et à l’ancrer dans ce lieu. Mais cette recherche de du simple exposé du projet. tion, liée autant à son nom, qu’à son atmosphère face à celui vieillissant, mais bien entretenu de simplicité et de vérité n’empêchera pas un travail - Sa forme : un « exercice » d’écriture vaguement inquiétante, avec ses rues humides, Claude. Entre les scènes d’amour, de danse, de discret de stylisation de l’image. Les éclairages, savamment dosé entre l’argumentaire ses maisons abandonnées, sa mystérieuse Fosse sport, d’action, le corps des différents prota- les couleurs seront expressifs et raconteront à technique et financier et l’argumentaire Dionne, et les hautes collines boisées qui l’en- gonistes sera très souvent au cœur des scènes. leur manière la solitude, le désir, l’absence, la artistique et esthétique. - Chaque pays a sa méthode, chaque tourent. Plus tard, à la sortie de l’adolescence, Sous ses dehors naturalistes, Tonnerre est une folie. Le 16 mm, auquel je suis très attaché, ma- genre ses spécialités (on ne finance pas Tonnerre s’est muée en incarnation romantique histoire de vampires et de possession. (...) gnifiera les lumières d’hiver sur la ville ou le lac. un documentaire comme une fiction ). de la mélancolie, et bien souvent, je m’y suis Si Tonnerre est un film sur l’obsession amou- Les intérieurs, chez Claude, seront chaleureux; sa - La note d’intention peut aller d’1 à 3 promené, à la nuit tombée, le cœur lourd, res- reuse, il proposera aussi en filigrane le parcours maison sera un nid douillet, un refuge. Les atmos- pages. sassant une peine de cœur, qui trouvait dans ses d’émancipation d’une jeune fille, confrontée au phères nocturnes, travaillées, donneront, quant à rues vides et ses façades délabrées le réceptacle narcissisme des hommes. elles, une touche romantique au film, et instal- Elle accompagne toujours un ensemble de « pièces d’écriture » : le synopsis, le idéal. Lorsque je me suis mis à faire des films, Au-delà du récit d’une passion amoureuse, met- leront un climat d’inquiétante étrangeté, venant scénario, le budget... l’extrême cinégénie de cette ville m’est très vite tant aux prises deux personnages, qui ne vivent contredire l’apparente banalité des lieux et des apparue comme une évidence, et année après pas la même histoire au même moment, Tonnerre situations.» Plusieurs thèmes récurrents parcourent le film TONNERRE. Ils parti- les gens de son âge, avec son père et l’histoire familiale. ANALYSE : cipent à la construction du fil narratif et nourrissent la matière des La molesse, l’immobilisme et le laisser-aller physique dont fait preuve personnages, principaux et secondaires. le musicien s’opposent au dynamisme fringant de son père, joué par les motifs, les thèmes En voici un aperçu. Chaque thème est accompagné de pistes de Bernard Menez, retraité sportif et séducteur, en soif de mouvement réflexion, en vue d’amorcer un échange et un travail analytique et et d’action, et la plupart du temps vêtu d’une tenue de cycliste, la critique avec les élèves en classe ou en salle, après la séance. gourde à la main. Certains de ces points sont par ailleurs approfondis par le réali- Maxime, quant à lui, s’obstine à conserver sa tenue de dandy pari- sateur Guillaume Brac, dans sa note d’intention et/ou dans les ré- sien, petit blouson en cuir serré et bottes de ville, malgré son retour ponses qu’il a pu apporter lors des entretiens cités dans les pages en province et le climat froid et humide qui y règne, ce qui reflète suivantes. encore davantage son incapacité à s’adapter au monde qui l’entoure. Ses occupations principales consistent à rôder, à errer, à espionner, soi-disant en quête d’inspiration et d’amour, mais davantage en quête de soi-même et de son égo blessé, par son échec professionnel et son dépit sentimental. Il aurait pu revenir dans son cercle familial, dans sa ville natale, en héros, qui s’est accompli dans la capitale, auréolé d’une gloire incon- testable et d’un succès critique. Au lieu de cela, Maxime, effondré, paumé, en arrive même à succomber à des pulsions de violence, qui feront basculer le film, débuté comme une comédie sentimentale, dans un polar : lorsque dans un accès de rage et de désespoir, il casse l’armoire de sa chambre, lorsqu’il vole l’arme d’Hervé pour menacer puis frapper son rivale footballeur, lorsqu’il kidnappe et endort Mé- lodie, contre son gré.

==> PISTES DE REFLEXION en classe : - Selon vous, le personnage de Maxime, incarné par l’acteur Vincent LE LOSER MAGNIFIQUE Macaigne, symbolise-t-il un héros flamboyant, que l’on tend à ad- mirer ? Pourquoi ? Vincent Macaigne incarne un rocker fleur bleue et dépressif, exilé - Quelles contradictions peut-on noter chez le personnage de dans la petite ville médiévale et bourguignonne de son enfance. Il Maxime ? émane de son personnage de trentenaire adulescent et désorienté - Quels changements s’opèrent dans son attitude au cours du film ? un grand spleen, une profonde mélancolie, qui se traduit par une cer- - La figure de « l’anti-héros » est souvent présente dans le cinéma taine maladresse, une gaucherie, et une impression qu’il n’est nulle classique et contemporain. Pouvez-vous en citer quelques exemples? part à sa place, inadapté, en décalage avec la ville de Tonnerre, avec 5 ANALYSE : (suite) de Maxime, comme un mélancolique, qui a besoin d’être rassuré suite ROMANTISME CONTEMPORAIN au drame de l’abandon, et qui ne réagit qu’à la poésie, notamment celle de Musset (voir poème page 14). Que ce soit dans sa 1ère partie aux allures de comédie sentimentale, ou dans sa 2nde partie aux contours plus sombres, digne d’un film noir, le film TONNERRE se caractérise néanmoins par une constante: l’élan romanesque qui le traverse et le foudroie de part en part, en voulant représenter toutes les contradictions et les incompréhen- sions du sentiment amoureux, de l’euphorie et l’exaltation des 1ers jours à la souffrance et au tourment provoqués par la trahison et l’abandon. Pour cela, le réalisateur semble avoir adopté les codes de la forme artistique du « romantisme allemand » en mettant en scène la représentation de l’émotion et d’une sensibilité accrue au détri- ment d’un certain rationalisme, en l’inscrivant dans la saisonnalité rude de l’hiver, et en la nimbant de mystère et de fantastique. La temporalité du film se veut floue et abstraite, à l’image de la fine couche de poussière qui recouvre les meubles du père de Maxime et des pièces défraichies de sa maison, comme si les personnages étaient coincés dans une bulle atemporelle que représente la ville provinciale de Tonnerre. Maxime, par son égoïsme autocentré et l’obsession amoureuse Dès la scène d’ouverture, une forte mélancolie se dégage de l’al- qui le dévore, incarne également à merveille ce sentiment du XIXe ternance de scènes montrant Maxime, seul dans une pièce encom- siècle : aveuglé par sa propre souffrance et son amour-propre meur- brée, grattant sa guitare, et de plans fixes sur les rues désertes d’une tri, qu’il exprimera même à travers des larmes dans une troublante petite ville de l’Yonne, plongée dans une obscurité dense, humide scène d’auto-apitoiement, il réduit le personnage féminin de Mélodie et épaisse, amplifiée par l’élan de tristesse qui émane des quelques à une image irréelle de l’amoureuse soumise aux désirs de l’homme, notes de musique au rythme lent composées par Maxime. en ignorant volontairement les tiraillements, les doutes et les Les 1ères minutes du film évoquent un songe d’hiver et placent le questionnements qui peuvent traverser la jeune femme. A travers personnage principal au coeur d’un conte fantastique, à l’atmosphère le regard du personnage principal, la figure féminine est présentée irréelle. comme l’origine des souffrances, fantasme opaque et mystérieux Ces accents gothiques et romantiques seront amplifiés lors de la qui échappe à la compréhension des hommes. scène du 1er baiser entre Mélodie et Maxime, échangé après une bal- lade dans des galeries souterraines, à l’emplacement d’une ancienne prison. Funeste présage. ==> PISTES DE REFLEXION en classe : Ce romantisme ambiant qui enveloppe tout le film se voit par ailleurs - Selon vous, quel est le point de départ du film TONNERRE ? personnifié dans la figure du chien au regard triste, que décrit le père - A quel(s) genre(s) filmique(s) appartient ce film ? Quels en sont les indices ? - A votre avis, pourquoi le réalisateur a-t-il choisi d’engager seule- ANALYSE : (suite) - A quelle saison le réalisateur a-t-il choisi de placer son récit ? Com- ment 4 acteurs professionnels ? ment décririez-vous l’impact de cette saison sur le déroulement de - Que provoque dans le film la confrontation entre les acteurs pro- l’intrigue ? Quelle atmosphère crée-t-elle autour des personnages ? fessionnels et les « non-acteurs », pour la plupart des locaux ? ECHOS CINEMATOGRAPHIQUES : - Quelle scène a été choisie pour l’affiche du film ? Vous semble-t- elle bien représentative du film ? Dans le cas contraire, quelle autre Deux autres personnages du cinéma contemporain font écho au loser roman- scène, quelle image, auriez-vous choisie pour représenter le film sur TONNERRE : une ville-personnage tique incarné par Vincent Macaigne : l’affiche ? Guillaume Brac a choisi la ville de Tonnerre et les paysages enneigés et humides du Morvan comme cadre envoûtant et comme théâtre 1) Oscar Isaac dans INSIDE LLEWYN UNE FICTION DOCUMENTAIRE de son intrigue filmique. Cette modeste mais singulière ville provin- DAVIS (USA, 2013) des Frères Coen : la ciale de 5000 habitants du département de l’Yonne, dont la légende complainte et l’errance cruelle d’un mu- sicien folk, paumé et désabusé dans les Dans le film TONNERRE, Guillaume Brac s’est attelé à un travail veut que sa fondation soit divine et mythologique, confère un ton à Etats-Unis des années 1960. méticuleux autour de la construction d’une atmosphère et de la la fois documentaire et romantique au film. La ville joue le rôle d’un matérialisation du climat à travers notamment le choix du grain, du personnage à part entière et influe sur le déroulement du récit et sur crépitement de la pellicule 16mm, qui déroute notre oeil désormais l’interaction émotionnelle des personnages. habitué à la netteté et à l’absence de profondeur de l’image numé- L’auteur a souhaité traduire en image l’esprit d’un lieu qui a bercé, rique, mais qui seule peut capter et retransmettre un fragment de vie, voire hanté toute sa jeunesse, un lieu familial qu’il connaît intime- les vibrations du réel. Ce geste naturaliste, qui est accompagné d’une ment, qui l’inspire et pour lequel il a écrit et imaginé des scènes qui stylisation, marquée par le traitement des couleurs et de la lumière, en émanent directement. En découle une grande cohérence entre le trouve son origine dans la volonté de l’auteur d’infiltrer de la matière cadre et la narration, un sentiment d’évidence et de forte apparte- documentaire dans sa trame fictionnelle, pour ainsi accentuer l’im- nance des personnages à leur environnement. On peut parler d’un 2) Joaquin Phoenix dans TWO LOVERS pact des scènes sur le spectateur et leur impression d’authenticité. véritable ancrage du récit dans un paysage choisi. De la ville est née (USA, 2008) de James Gray : une tragico- Le réalisateur choisit de composer la matière de son récit filmique une intrigue et non l’inverse. La ville de Tonnerre, son histoire, ses ha- médie qui suit les hésitations sentimen- grâce à l’entremêlement d’éléments réels à sa base fictive : en lais- bitants, son ambiance, fut un véritable moteur dans la construction tales et professionnelles d’un adules- sant, par exemple, certains acteurs non-professionnels, tel qu’Hervé, de ce projet filmique. cent new-yorkais, une sorte d’oiseau blessé revenu chez ses parents suite à jouer un rôle pivot, en acceptant que des accidents du réel viennent une dépression. Une source d’inspiration perturber voire modifier l’écriture des dialogues, pour ainsi amener un ==> PISTES DE REFLEXION en classe : avouée par le réalisateur Guillaume Brac. surplus de vie, un surplus d’âme dans sa matière filmique. - Quelle place occupe la ville de Tonnerre dans l’intrigue du film ? - Comment est-elle décrite et représentée par le réalisateur ? ==> PISTES DE REFLEXION en classe : - De quelles manières son caractère mystérieux, isolé et hors du - Quel rôle accorde le réalisateur aux personnages secondaires dans temps est-il accentué et mis en scène ? l’intrigue du film ? - Par quels moyens le réalisateur donne-t-il des allures de documen- taire à ce film de fiction ? FOCUS : UN MONDE SANS FEMMES de Guillaume Brac (57 min, 2011) du court au long métrage Avec Vincent Macaigne, , Constance Rousseau. Tourné au format 16 mm, à Ault, Picardie. En 2012, le public a découvert en SYNOPSIS : Une petite station balnéaire de la Côte salle les deux 1ers films de Guillaume Picarde, la dernière semaine d’août. En leur remettant Brac (un court et un moyen-métrage), les clefs d’un appartement de location, Sylvain fait réunis sous la forme d’un programme la connaissance de deux séduisantes jeunes femmes. d’une durée d’1h23. L’occasion rêvée de sortir ne serait-ce que quelques jours d’une vie solitaire dont les femmes sont déses- pérément absentes. très vite, Sylvain se rend indispen- Ces deux films ont pour point commun sable à ses nouvelles amies. Mais les choses se compliquent lorsque les une relation forte au décor, à savoir la sentiments et surtout Gilles, un dragueur local sans scrupules, viennent côte picarde, ainsi que le personnage s’en mêler... « Chronique douce-amère sur la beauté des amours de vacances mais aussi sur de doux rêveur solitaire, Sylvain, inter- la misère sexuelle et la solitude, cet épatant moyen-métrage révèle un auteur, prété par Vincent Macaigne, que l’on Guillaume Brac, et un grand acteur, Vincent Macaigne. » Jérémie Couston in Télérama retrouvera quelques années plus tard dans son 1er long métrage, Tonnerre. LE NAUFRAGE de Guillaume Brac (25 min, 2009) Dans ce premier long-métrage, Guillaume Brac poursuit l’exploration Avec Julien Lucas, Vincent Macaigne, Adelaïde Leroux Tourné en format 16mm, à Ault - Picardie. de ces thèmes qui lui sont chers, à sa- voir un ancrage fort du récit dans un SYNOPSIS : Luc part rouler à vélo pour tenter d’oublier paysage provincial, une atmosphère ses problèmes. Une succession d’incidents le contraint mélancolique et l’entremêlement du à passer la nuit dans une petite ville de Picardie. Il y fait la connaissance de Sylvain, qui s’efforce de l’aider, pour réel et de la fiction, notamment en le meilleur et pour le pire… faisant dialoguer des habitants locaux avec des acteurs professionels. Une « D’incident en incident, de déconvenues en solutions ha- nouveauté cependant : un changement sardeuses apportées par l’étrange compagnon célibataire en mal d’amitié qui s’est amarré à lui, les saynètes du film ménagent par à-coups le radical du ton de la narration à mi-che- suspense sur le flegme du héros face à sa dérive. Il y croque un décor provincial min du récit, qui fait basculer le film, (...) et regarde le voyageur y errer, s’y fondre presque, et accepter sa perdition, débuté comme une comédie sentimen- se surprenant finalement à ne retrouver ses attaches qu’à regret. Guillaume Brac se révèle habile à faire de cet espace un îlot où entre légèreté et gravité jamais tale, dans la noirceur d’un polar. forcées, le personnage et le spectateur se laissent perdre. » Benoît Smith, in Critikat SCENARIO PRESENTATION : « La scène de l’arme HERVE HERVE chez Hervé » correspond à la scène du Tais-toi maman, tu comprends rien… Ca y est ? Tu la sais ? Version du 2.12.2012 basculement. L’introduction de l’arme (extrait) ROSE BLANCHE crée une rupture de ton au coeur du Je dis ce que je veux… J’ai que le début à apprendre… film et nous fait passer brutalement de HERVE HERVE « La scène de l’arme, la comédie légère et sentimentale au C’est ça… Et bien, montre voir… chez Hervé » genre du polar, du thriller. L’ambiance s’assombrit soudain, la mélancolie de Maxime est gêné d’être le témoin de cette D’une petite voix mal assurée, elle récite les discussion. Gêné, surtout pour les deux pe- Maxime devient plus présente et son premiers vers. Maxime observe Hervé. Ce- de Guillaume BRAC tites filles. Il leur sourit. et Hélène RUAULT aveuglement et son obsession amou- lui-ci écoute sa fille, fier et ému. reuse vont désormais occuper tout HERVE avec la collaboration de Catherine PAILLE BLANCHE l’espace. Tu vois, la maison d’en face ? Quand j’ai Ecoutez la chanson bien douce / Qui ne commencé les travaux, c’était pour qu’on pleure que pour vous plaire / Elle est y vive tous ensemble… Et bien, elle a jamais discrète, elle est légère / Un frisson d’eau 40. INT. SOIR – voulu venir… sur de la mousse / La voix vous fut MAISON DE LA MERE D’HERVE – CUISINE ROSE connue et chère / Mais à présent elle est Maxime est à table avec Hervé, rencontré Faudrait déjà que tu la finisses… Trois ans que voilée / Comme une veuve désolée… lors de la visite du chais, chez Rose, la mère ça dure, tes travaux… Blanche s’interrompt. Elle cherche dans sa de ce dernier, une femme de 70 ans, au re- HERVE tête. Maxime sourit. gard franc et vif, à la silhouette légèrement Et ça va servir à quoi ? Je vais y habiter tout voûtée, en train de faire la vaisselle. Blanche, BLANCHE seul ? sa fille, âgée de 10 ans, tente d’apprendre sa Après, je sais plus… poésie, tandis que Lisa, âgée de 11 ans aide ROSE MAXIME sa grand-mère. Il faudra bien… Je suis pas éternelle ! C’était très bien… HERVE HERVE HERVE T’as de la chance d’être amoureux… Parce Oh, t’es encore bien en forme, surtout Tu vois quand tu veux ? Tu la relis avant de qu’avec la mère des petites, c’est compli- quand il s’agit de me crier dessus… Je fe- te coucher… Tiens, tu viens me faire une pe- qué… Ca fait dix ans que c’est compliqué… rais mieux de me prendre une petite jeune, Cette version est différente de la ver- tite bise ? Toi aussi, Lisa ? Je peux te dire que c’est usant à la longue… comme ta copine… Le problème, c’est sion finale. La totalité de cette version Il y a toujours quelque chose qui va pas… que c’est avec elle que je voudrais que ça Blanche vient faire un baiser à son père. Il du scénario est en consultation et en marche… Blanche, se lève et apporte son la serre tendrement dans ses bras et lui téléchargement sur le site du dispositif: ROSE www.lyceensaucinema.com. cahier de poésie à son père. Tandis que Lisa passe la main dans les cheveux. Lisa vient se Tu lui fais pas la vie facile, faut dire… entame une partie de console. joindre à eux. 9 HERVE tu vois, j’ai compris que sa mort avait servi à SCENARIO Elles sont belles, mes filles, hein ? MAXIME rien… Il avait rien eu le temps de faire… Il a Maxime lui sourit. Ca fait bizarre. C’est la première fois que je pas laissé pas de trace… Juste une blessure Version du 2.12.2012 tiens un vrai flingue. C’est lourd… Tu l’as de- chez ses proches… Et même cette blessure (extrait) ROSE puis longtemps ? elle finira par cicatriser... Sa petite-amie, elle T’as vu l’heure qu’il est ? Elles ont leur bus a dû pleurer pendant trois mois, au bout de à 7h20 demain matin… Après, elles peuvent HERVE « La scène de l’arme, six mois, je suis sûr qu’elle a baisé avec un pas se lever ! Non… C’est un copain qui voulait s’en dé- autre type et au bout d’un an elle l’avait chez Hervé » (suite) barrasser, je l’ai récupéré… J’ai les balles, HERVE oublié, c’est sûr… aussi… Je l’ai essayé une fois… Je peux te Oh, ça va, maman, arrête de me casser les dire, quand ça part, c’est violent… Avec ça, Hervé l’écoute attentivement. Il reste silen- pieds… On va se préparer les filles ? Je vais le jour où tu le décides, t’es sûr de pas te cieux un moment. leur dire bonsoir, j’arrive tout de suite… louper… Enfin, t’inquiète pas, je compte pas HERVE Maxime en profite pour sortir son télé- m’en servir tout de suite… Je crois qu’on laisse tous une trace… En vi- phone. Il a reçu un sms de Mélodie : « Ton Maxime sourit. vant, on laisse forcément une trace… Même livre me bouleverse ». Il lui répond aussitôt : le gamin qui meurt à dix ans, il laisse une « Pas trop, j’espère ? Tu me manques ». MAXIME trace… Sa vie, elle a pas été inutile, il a don- Il y a des types qui se loupent. Après, ils se né de l’amour autour de lui, à ses parents, retrouvent sans mâchoire, ou avec le crâne à ses frères et soeurs, à ses copains… Il y a 41. INT. NUIT – MAISON HERVE – SALON déformé… des gens qui laissent plus de trace en dix ans Maxime est installé dans une pièce à moitié Hervé rigole. ou vingt ans que d’autres en quatre-vingts… vide, aux murs nus, éclairée par une lampe Et pas besoin de faire de grandes choses HERVE de chantier. Il boit une bière. Il jette un ra- pour ça… Ça, c’est parce qu’ils flippent au dernier pide coup d’oeil à son portable, mais il n’a moment. Si tu bouges pas, tu peux pas te pas reçu de nouveau message. Hervé revient louper. Regarde, Kurt Cobain, il s’est pas lou- de la pièce d’à côté avec un chiffon, qu’il => Séquence de l’arme à visionner sur le pé… Il y a des jours, je te jure, j’y ai pensé déplie devant Maxime. Il en sort un petit re- DVD pédagogique. Disponible sur simple sérieusement… Heureusement qu’il y a les volver. Il le lui tend. (Réfléchir à revenir à l’ancien demande. petites… déroulement : conversation sur le suicide et la mort > apporte le flingue) Maxime le regarde.

HERVE MAXIME Tu peux le prendre, vas-y… J’ai le frère d’une amie qui s’est suicidé, j’ai Maxime prend l’arme dans sa main, la sou- jamais su comment, d’ailleurs… Il était pas pèse. vieux, il devait avoir vingt-cinq ans… Et bien ENTRETIEN Le réalisateur que vous êtes devenu est d’abord accompagné l’écriture et la réalisation du film, la seconde partie du film. Avec Tom Harari, nous passé par la case production ? Quelle était une figure ou un univers qui vous aurait servi de avons fait en sorte de souligner la violence des avec le réalisateur votre ambition au départ et comment a-t-elle référence ? émotions en accentuant certaines couleurs ; évolué ? Pas un, plusieurs. Il y a ceux qui m’accompagnent c’est quelque chose de très présent dans Tw o (extrait) C’est vrai que je suis arrivé assez tardivement à parce qu’ils m’ont nourri depuis des années : Lovers, qui a presque une esthétique de film noir la réalisation. J’ai d’abord fait des études d’éco- c’est le cas de Pialat et de Rozier. Mais je n’ai ou de polar. J’avais aussi parlé à Tom Harari d’un Son parcours, ses inspirations, la nomie, puis j’ai passé le concours de la Fémis en pas revu leurs films au moment de l’écriture ou très beau film de Minnelli, Quinze jours ailleurs. production. À ce moment-là, je voulais absolu- de la préparation du film. Je peux peut-être citer Il y a dans ce film une image très expressive, et fabrication du film, ses acteurs... ment travailler dans le cinéma, mais j’avais le sen- La Gueule ouverte, même si le rapport est assez même si pour certaines scènes nous voulions timent que je n’avais pas les compétences qu’il lointain : je l’ai revu une fois, mon chef op aus- quelque chose de très brut et de naturaliste, pour d’autres séquences, c’est vraiment cette par Gaell B. Lerays, fallait pour la réalisation, et que la production, si l’a regardé. Il y a là cette même cohabitation assez logiquement, serait plus adaptée et à mon entre un père et un fils dans une petite ville de expressivité de l’image que nous recherchions. Le in Les Fiches Cinéma, 18.02.2014 parcours scolaire et à ma passion du cinéma. À la province, et des acteurs de la culture populaire, film oscillait d’ailleurs beaucoup entre ces deux Fémis, je me suis rendu compte que la réalisation qui tranchent un peu. J’ai aussi souvent pensé à pôles en fonction des scènes : entre le natura- était quelque chose dont, non seulement j’étais Two Lovers (James Gray, ndlr), que je n’ai pas lisme et le romanesque. On a cherché à forcer un capable, mais qui me plaisait vraiment, que c’était revu non plus : il y avait ce sentiment, comme si peu la réalité, à pousser les couleurs pour ajou- même une sorte de nécessité, que ça m’était in- le sol se dérobait sous les pieds du personnage ter une touche d’étrangeté. Ce qui m’intéresse supportable d’être de l’autre côté, en tout cas joué par Joaquin Phoenix, quand il comprend c’est vraiment d’aller chercher ce qu’il peut y de n’être que de l’autre côté. J’avais un univers que Gwyneth Paltrow ne va pas partir avec lui… avoir de beau, d’émouvant, d’expressif, ou d’an- que j’avais envie de développer, des histoires que C’est ce sentiment là que creuse tout le film goissant dans un réel assez prosaïque. C’est pour je voulais raconter. Ensuite, ça a pris du temps : Tonnerre, celui qu’on éprouve sur le quai de la ça que je ne pourrai jamais filmer des lieux qui j’ai travaillé comme assistant réalisateur, comme gare quand Mélodie ne descend pas. J’ai aussi ne sont que beaux. Ce qui m’intéresse ce sont lecteur de scénarios pour différents organismes pensé à F… comme Fairbanks de Maurice Dugow- les contrastes entre des choses qui sont très ba- pendant plusieurs années, j’ai développé un pro- son, avec Patrick Dewaere et Miou-Miou, un très nales, très contemporaines, et puis des choses jet de réalisation d’un long-métrage qui ne s’est beau film sur la naissance d’une histoire d’amour plus intemporelles, plus poétiques. La carte pos- pas fait… Tout s’est débloqué quand j’ai créé ma très innocente, très joyeuse, et la façon dont tale ne m’intéresse pas du tout. propre société de production avec deux amis elle est gâchée. C’est l’un des plus beaux rôles (Stéphane Demoustier et Benoît Martin, ndrl) ; de Dewaere, même si presque tous ses films sont Vos personnages sont toujours placés dans une La totalité de cet entretien est c’est un peu ironique, mais c’est en revenant à la ses plus beaux rôles… forme de retrait, de refuge, qui ne les isole de consultable dans la rubrique production que j’ai enfin pu réaliser. J’avais d’ail- rien malgré la distance qu’ils ont installée et « Ressources pédagogqiues » sur le site leurs dans l’idée de produire mes propres films Vous parlez de ces inspirations avec votre chef les rend perméables à tout, un mouvement de www.lyceensaucinema.com. en faisant ça. Je n’avais plus besoin de convaincre opérateur, Tom Harari, et avec le reste de retrait pour mieux accueillir tout ce qui est en qui que ce soit puisque c’était moi qui étais seul l’équipe pour orienter leur travail, les inspirer à instance, dans un entre-deux mondes, un entre- responsable de mes films. C’est comme ça que leur tour ? deux temps ? j’ai fait Le Naufragé et Un monde sans femmes, Two Lovers, c’est une référence qui parlait beau- C’est vrai, c’est toujours une forme d’échappée, avec Année Zéro. Et ce qui s’est passé avec Un coup à Vincent Macaigne et qui parlait à Tom Ha- une parenthèse temporelle et géographique. Ils monde sans femmes m’a permis de trouver un rari aussi : si le film est assez brut à première vue, sont à la fois dans un monde très réel et dans producteur comme Rectangle. il y a un important travail de stylisation dans une sorte de théâtre des émotions. Les person- Tonnerre, sur les atmosphères, tout un jeu sur nages sont presque enfermés dans ce lieu qui Est-ce qu’il y a un cinéaste en particulier qui a les couleurs, plus particulièrement dans toute fonctionne en parallèle, presque coupés du reste du monde. On peut se dire que Maxime pour- jamais et nous avons fini par revenir à ce premier gens du reste. Ce contraste entre la joie dont une rait quitter Tonnerre, mais c’est comme s’il était jet : quelque chose de très simple, de très pur. rencontre amoureuse peut nous remplir, cette ENTRETIEN prisonnier de cette ville, aimanté, comme s’il y Après avoir beaucoup tâtonné avec mon mon- espèce d’exaltation et presque d’innocence, mais avait une espèce d’envoûtement qui l’empêchait teur son, nous sommes allés piocher dedans, à laquelle se mêlent déjà des sentiments plus avec le réalisateur (suite) de partir. nous l’avons transformé nous-mêmes, et avons sombres et plus complexes, comme un désir de décidé des endroits où il y aurait de la musique. possession, un aveuglement. Je voulais parler de par Gaell B. Lerays, Dans Un monde sans femmes, c’est votre chef J’ai l’impression que l’univers du film a beaucoup ça et de la violence incroyable que peut repré- opérateur qui signait la musique. Comment se parlé à Rover ; c’est quelqu’un qui a un rapport senter le silence, l’absence totale d’explication, in Les Fiches Cinéma, 18.02.2014 fait le choix de la musique pour vous, à quel au romantique très fort, un rapport au mélanco- le vide. J’avais simplement envie d’explorer la moment l’entendez-vous ? lique. Peut-être que les seules dimensions qu’on façon dont une histoire très joyeuse et inno- (…) Pour Tonnerre, je me suis dit que le meilleur ne trouve pas dans sa musique et qui existent cente peut engendrer une très grande violence moyen pour que ça se passe bien, c’est que je dans le film, ce sont la trivialité et le comique. et des sentiments extrêmement noirs. Le projet demande à quelqu’un dont j’aime beaucoup Il faut aussi que je précise que j’ai quand même du film au départ, c’était de rendre compte de tout le travail. Rover avait fait un seul album que écrit le scénario en écoutant son album en tout cet arc émotionnel. Ce moment de bascule j’adorais ; je l’avais écouté énormément de fois boucle, c’était comme une espèce de condition- qui est le pivot du film en a toujours fait par- et je me disais que si j’aimais autant sa musique, nement pour écrire d’écouter ses chansons. Ça tie. L’essentiel des débats autour de Tonnerre il y avait peu de risque pour qu’il me propose a forcément coloré le film d’une façon ou d’une concerne d’ailleurs cette bascule-là, c’est ce qui quelque chose que je n’aimais pas. J’avais aussi autre. divise. J’ai toujours eu le sentiment que c’était besoin d’une sorte de figure qui planerait au-des- quelque chose de très organique, qui faisait partie sus du film, quelqu’un qui soit un peu l’âme Pour ce qui concerne le travail d’écriture, vous du projet-même du film. On parle beaucoup de musicale du film. Le personnage est un rockeur, avec toujours travaillé avec Hélène Ruault. polar à propos de la seconde partie du film, mais même si, finalement, c’est une dimension du film Cette fois, une troisième personne est créditée, ce n’est rien d’autre que la face obscure d’une qui n’est pas si essentielle que ça. Je savais que Catherine Paillé. Comment écrit-on à six mains ? histoire d’amour. C’est une histoire sentimentale Rover pourrait composer à la fois les chansons, la À six mains, c’est un peu excessif. L’apport de en deux parties. musique ; je voulais que ce soit vraiment lui qui Catherine Paillé a été très utile, mais il a été très prenne en charge toute la musique de Tonnerre. ponctuel, quelques semaines seulement. On Ault puis Tonnerre : le lieu est dans vos films Je l’ai donc contacté très simplement et on s’est avait besoin d’un œil neuf et de quelqu’un qui un personnage à part entière. À quel moment rencontré très facilement ; il faut préciser que aurait un regard plus analytique sur la structure de l’écriture le cadre, les décors se dessinent-ils c’était juste avant qu’il explose complètement, du film, et qui permette de resserrer certaines pour vous ? du coup il était encore un peu disponible ! Il s’est choses, peut-être de fondre certaines scènes ; Pour Tonnerre, c’est venu dès le début ; en fait, passé quelque chose de très intéressant avec Ro- mais le vrai travail de création du film s’est fait j’ai écrit le film pour ce lieu-là, je l’avais en tête ver et qui rejoint d’ailleurs l’expérience que nous avec Hélène. C’est plutôt une sorte de longue dès le départ. Exactement comme je savais dès avons partagée avec Tom Harari : le thème que consultation qu’a faite Catherine Paillé, on ne le départ que le film s’appellerait Tonnerre et l’on entend dans le film est en fait une première peut pas vraiment parler de co-écriture. que ce serait une histoire de coup de foudre. Je proposition que Rover m’a envoyée juste après voulais depuis plusieurs années faire un film à avoir lu le scénario, une sorte de premier jet qu’il Vous avez dit que le point de départ du projet, Tonnerre : c’est un lieu que je trouve très ins- a composé en une nuit, une longue improvisation c’est la trahison amoureuse. Est-ce vraiment là pirant, que je connais depuis longtemps, que de dix minutes à peu près. Par la suite, pendant qu’est né le désir du film ? je trouve très cinégénique. Je voulais y inscrire le montage, nous avons essayé de travailler sur En effet, c’était quelque chose dont je voulais cette histoire de coup de foudre et de trahison des thèmes différents, mais rien ne fonctionnait parler pour l’avoir vécue, comme beaucoup de amoureuse. Je me suis dit que c’était le décor 12 idéal. Tous ces éléments-là étaient réunis quand d’eux qui vive immédiatement. C’est aussi très dif- y compris quand ça passe par les mots. Il y a là s’inventer au moment où on tourne, ce qui rend j’ai commencé l’écriture, tout comme il y avait ficile, parce qu’à chaque fois c’est un vrai risque : il quelque chose d’à la fois mystérieux et d’évident. le tournage assez périlleux ; les scènes ne sont déjà Vincent Macaigne, Bernard Menez, Hervé. Le y a des scènes qui ne sont pas dans le film parce Chaque film que j’ai fait avec lui exprime quelque jamais complètement verrouillées. Ces accidents projet était déjà très enraciné. que je les ai ratées, ce n’est pas du tout une chose de très important pour moi : sur un cer- peuvent venir de plein de choses : d’éléments de recette, ça peut donner des moments de grâce tain rapport à la solitude, un rapport à la timidi- décor, d’un choix de mise en scène, des acteurs, Vous avez choisi une nouvelle fois de travailler comme ça peut ne rien donner du tout. Le fait té, à la pudeur, et puis un rapport à la blessure mais ça vient aussi d’un climat sur le plateau, un avec des non acteurs auxquels vous donnez des que cette part de risque et d’amateurisme reste amoureuse, à la possibilité d’une violence ; et à la climat de tâtonnement et d’exigence mêlés qui rôles déterminants, qui sont moteurs plus qu’ad- dans le film alors qu’il s’agit d’un long-métrage, fois, à chaque fois c’est une exploration des dif- fait que tout le monde est un peu poussé à bout. juvants de l’action, qui apportent une dimension produit par un gros producteur et distribué par férentes facettes de la personnalité de Vincent. Il faut que la scène soit étonnante à un moment documentaire au film, un ancrage dans un ter- Wild Bunch, le fait de pouvoir jouer des scènes Je pense sans doute que je pourrais continuer à donné, qu’on sorte un peu des rails pour que je ritoire donné. Pourquoi ce choix ? Et comment sur le fil, travailler avec des gens avec lesquels explorer ce personnage dans plusieurs films en- sois satisfait. Je veux qu’il se passe réellement cela influe-t-il sur la mise en scène et le jeu des on sait que ça peut déraper à tout moment, qu’ils core, enfin, ces personnages que Vincent peut quelque chose, que quelque chose se révèle, que acteurs principaux ? peuvent faire faux bond, trouver des gens à la der- incarner. Il y a aussi une relation de confiance, quelque chose arrive tout simplement, arrive vrai- Il y a plein de raisons à leur présence. Un lieu, nière minute pour certaines scènes : tout ça me c’est un compagnon : c’est très réconfortant de ment, et qui ne soit pas juste une exécution de la c’est aussi les gens qui y vivent ; leur présence, plaît vraiment, j’aime que le film reste vivant de cheminer avec quelqu’un. C’est très fort de pou- scène, qu’elle soit poussée plus loin. Mais quand c’est aussi ce supplément d’âme, ce supplément cette façon-là. (...) Ces personnes qui manquaient voir avancer à la fois avec un ami, un excellent on dit ça, on ne dit rien : ça reste une intention et de réel qu’ils donnent au film. C’est aussi filmer venaient donc uniquement de Tonnerre et de ses comédien, quelqu’un qui est très inspirant. Dans ça pousse à chercher pour trouver quelque chose des gens que j’aime, il y a quelque chose que environs. Ça donnait une dynamique qui n’existait le temps de l’écriture les choses sont déjà in- qu’on ne connaît pas encore au moment où on j’ai envie de saisir d’eux. Cette forme de vie, de que pour ce film-là. Et quel plaisir de filmer des carnées puisqu’elles sont nourries par quelqu’un. le cherche. Ça peut faire grincer des dents : les maladresse, d’accident et même d’incongruité gens pour la première fois, de ne pas filmer un vi- Ce qui est terrible c’est d’écrire un scénario dans journées peuvent beaucoup déborder, personne que peut avoir le réel, je trouve que ça apporte sage qui circule dans des rôles secondaires de film son coin, de ne jamais savoir si le scénario va se ne peut jamais se reposer sur quoi que ce soit. Par beaucoup de légèreté au film – à cet égard, la en film, d’avoir quelque chose de neuf qui surgit. tourner, de ne jamais savoir quel visage pourra lui exemple, on installe quelque chose, ça prend du scène du repas avec la grand-mère, juste avant donner vie. Pour moi, ce qui est assez beau, c’est temps, et je me rends compte que ce n’est pas le revolver, est très réjouissante. Quand je vois Vous avez dit que c’est la troisième fois que vous que ce sont des projets qui se sont faits dans une ça, qu’il faut refaire la scène. Il n’y a rien de sys- certains films de Pialat, je sais que ça fait toujours écriviez pour Vincent Macaigne. D’où peut naître forme d’urgence, dans des délais assez courts (9 tématique, mais c’est un peu l’état d’esprit dans sourire, mais sourire avec beaucoup de tendresse un tel désir pour un acteur ? Est-ce qu’il s’agit mois entre le début de l’écriture et celui du tour- lequel je suis. J’ai besoin qu’à la fin de la scène, je et d’affection, de voir quelqu’un qui n’est pas du du désir de filmer un corps, de creuser les diffé- nage pour Tonnerre), et que ces films, dès l’écri- me dise tiens, il y a cette chose-là que je n’avais tout acteur et qui arrive avec sa manière d’être, rentes facettes d’une personnalité ? Comment ture, avaient un visage. pas du tout imaginée et qui s’est produite, j’ai de parler, et qui s’impose comme ça dans une ce désir influe-t-il sur la construction du person- réussi à être surpris par la scène alors que, pour- scène. Je trouve ça vraiment très beau et sou- nage, l’écriture du film ? Comment travaillez-vous avec vos acteurs : tant, je la connaissais par cœur. vent très drôle. Ça me plaît. Il y a aussi que ces C’est pour le plaisir d’explorer la sensibilité, êtes-vous très directif ? Est-ce que vous répétez gens dépassent leur fonction scénaristique : on presque l’âme de quelqu’un dont on est très beaucoup ? Êtes-vous en attente d’heureux acci- Est-ce que vous faites beaucoup de prises ? n’a pas affaire à des personnages secondaires, on proche. C’est très compliqué de répondre à cette dents ou vous en prémunissez-vous ? Ça arrive, mais pas nécessairement, d’autant a affaire à des personnages tout court. Ils sont à question, parce que c’est un désir qui s’est forgé On répète, mais pas tant que ça, en tout cas moins que je tourne en pellicule. Sur Tonnerre, la fois personne et personnage. Je pense que pour au fil des années. On a passé beaucoup de temps moins que ce que je voudrais. Le problème, c’est je pense qu’on est à un maximum de treize prises un comédien, c’est très difficile en une scène ou ensemble avant de faire des films tous les deux, que ce n’est jamais possible, pour des questions pour une scène. Ce sont les scènes d’amour qui deux de donner une âme à un personnage qui et on se connaît très bien. Je pense que par cer- de planning, les acteurs étant souvent dispo- ont été les plus compliquées à tourner ; d’ailleurs très souvent n’est qu’un alibi scénaristique, alors tains aspects on est très proches, et que Vincent nibles ensemble au moment où il y a d’autres nous en avons tourné trois et il n’en reste qu’une. que pour des non acteurs, il suffit de quelques est quelqu’un qui est capable d’incarner à la per- choses à régler, juste avant le tournage. Il est secondes à l’écran pour qu’il y ait quelque chose fection ce que je peux avoir besoin d’exprimer, vrai également que j’ai besoin que le film puisse RESONANCE LE POÈTE Elle sort d’une blessure Ainsi doivent dormir nos sentiments éteints. Qui jamais ne guérira ; Ces reliques du coeur ont aussi leur poussière ; Honte à toi qui la première littéraire Mais dans cette source amère Sur leurs restes sacrés ne portons pas les mains. M’as appris la trahison, Du moins je me laverai, Pourquoi, dans ce récit d’une vive (extrait) Et d’horreur et de colère Et j’y laisserai, j’espère, souffrance, M’as fait perdre la raison ! Ton souvenir abhorré ! Ne veux-tu voir qu’un rêve et qu’un amour « La Nuit d’octobre » Honte à toi, femme à l’oeil sombre, trompé ? Dont les funestes amours LA MUSE Alfred de Musset, in Les Nuits, 1837 Est-ce donc sans motif qu’agit la Providence Ont enseveli dans l’ombre Poète, c’est assez. Auprès d’une infidèle, Et crois-tu donc distrait le Dieu qui t’a frappé ? Mon printemps et mes beaux jours ! Quand ton illusion n’aurait duré qu’un jour, Le coup dont tu te plains t’a préservé peut-être, C’est ta voix, c’est ton sourire, Enfant ; car c’est par Ce poème a été composé par Alfred C’est ton regard corrupteur, là que ton coeur de Musset en octobre 1837 suite à sa Qui m’ont appris à maudire s’est ouvert. rupture avec George Sand. Jusqu’au semblant du L’homme est un bonheur ; apprenti, la douleur C’est ta jeunesse et tes Dans Tonnerre, lors d’une scène à table est son maître, charmes entre le père et le fils, à la fin du repas, Et nul ne se connaît Qui m’ont fait désespérer, Claude (Bernard Menez) en déclame tant qu’il n’a pas Et si je doute des larmes, quelques vers, pour prouver à Maxime souffert. C’est que je t’ai vu pleurer. (Vincent Macaigne) que son chien est C’est une dure loi, sensible à la poésie et au romantisme. Honte à toi, j’étais encore mais une loi su- Ce dernier, en effet, aphasique jusqu’à Aussi simple qu’un enfant ; prême, présent, s’anime et se redresse soudain Comme une fleur à l’aurore, Vieille comme le avec émoi et vivacité. Il se recouchera Mon coeur s’ouvrait en monde et la fatalité, dès la fin du poème. t’aimant. Qu’il nous faut du Certes, ce coeur sans N’outrage pas ce jour lorsque tu parles malheur recevoir le baptême, défense d’elle ; Et qu’à ce triste prix tout doit être acheté. Le contenu du poème fait également Put sans peine être abusé ; écho au récit filmique et à la trajec- Si tu veux être aimé, respecte ton amour. Les moissons pour mûrir ont besoin de rosée ; Mais lui laisser l’innocence toire sentimentale de personnage joué Si l’effort est trop grand pour la faiblesse Pour vivre et pour sentir l’homme a besoin Était encor plus aisé. par Vincent Macaigne. humaine des pleurs [...]. Honte à toi ! tu fus la mère De pardonner les maux qui nous viennent d’autrui, De mes premières douleurs, Épargne-toi du moins le tourment de la Et tu fis de ma paupière haine ; Jaillir la source des pleurs ! À défaut du pardon, laisse venir l’oubli. Elle coule, sois-en sûre, Les morts dorment en paix dans le sein de la terre : Et rien ne la tarira ; 14 RESONANCE « Sur la couverture de son album, Rover dans le film, preuve que les deux hommes Destins croisés ressemble un peu à la Bête du conte, avant se sont rabibochés (géniale scène avec Ber- Le choix de Rover paraît d’autant plus perti- musicale métamorphose : des habits de duc, une nard Menez). nent que son histoire personnelle n’est pas chevelure à la Caspar Friedrich et un regard sans rappeler celle du personnage principal infiniment tendre. Le chanteur français, qui « Ce n’est pas un film qui baigne dans la de Tonnerre. Fils d’expatrié ayant vécu près s’est fait connaître du grand public en 2012 musique. Celle-ci arrive à des moments de dix ans aux Etats-Unis et trois au Liban, « ROVER, le rockeur grâce notamment à la chanson Aqualast, ponctuels pour décharger l’émotion qui a Timothée « Rover » Régnier a posé ses valises mélancolique qui revient sur grand écran, avec la musique ori- été emmagasinée, développe le réalisateur, au fin fond de la Bretagne pour composer ginale de Tonnerre, premier long-métrage de dans un entretien à L’Yonne. Je tenais à ce son album, il y a quelques années. Seul dans électrise TONNERRE » Guillaume Brac (Un Monde sans femmes). que les paroles des chansons soient en an- une maison familiale. « Une vieille demeure Ce film sorti fin janvier raconte l’histoire de glais. Le film est déjà tellement français, bretonne de 1701, dans les Côtes-d’Armor par Ariane NICOLAS, Maxime (Vincent Macaigne), un auteur-com- ancré dans une petite ville de province. La près de Bréhat, précise-t-il à Libération. positeur de rock qui quitte pour Ton- J’étais seul, je voulais me voir nu, savoir nerre, village frigorifié du Morvan où il ce que je valais. » Un exil qu’il espérait re- espère retrouver calme et inspiration... vigorant, comme Maxime. « J’aime quitter Article publié sur francetvinfo.fr, jusqu’à ce qu’il tombe amoureux d’une Paris, j’aime aller ailleurs, j’aime le senti- le 17 février 2014. journaliste de L’Yonne aux traits poupons ment d’aventure. En revanche, quand je (Mélodie, interprétée par Solène Rigot). voyage, je suis souvent seul, je m’installe d’une façon très anonyme dans une ville. « Le romantisme, J’aime être solitaire. » ça peut vous coûter cher » Le chanteur français Timothée La musique de Rover s’accorde délicate- C’est tout le paradoxe des romantiques, REGNIER (dont le nom de scène ment avec le film de Guillaume Brac, à aimer la solitude, puiser l’inspiration dans la fois drôle et désabusé. «J’ai composé l’adversité (« C’est à mes malheurs que je est ROVER) signe sa première bande après notre rencontre, sans lire le scéna- prétends sourire », écrit Alfred de Mus- originale de film pour Tonnerre, le rio, raconte Rover dans une interview aux set, cité dans Tonnerre) mais dépendre premier long métrage de Guillaume Inrocks. Et quand je l’ai lu il se trouve que des autres, comme un artiste de son pu- Brac. L’acteur Vincent Macaigne y ça correspondait parfaitement.» Il ne s’y blic. Guillaume Brac a d’ailleurs tourné trompe pas. Ce colosse à la voix aérienne incarne un rockeur, dont les chan- une scène de concert avec Rover et son se définit lui-même comme « un grand groupe, finalement coupée au montage. sons sont écrites (et interprétées romantique », thème qui hante le film : « La scène du concert à Auxerre était très dans le film) par ROVER. « C’est peut-être très romantique, mais ça musique vient en contrepoint et rend ça belle mais pour des raisons de récit, nous peut vous coûter cher », lance un gendarme plus universel. » Ici et là, on retrouve des avons coupé ce bloc de 10 minutes », ex- à Maxime, après son pétage de plombs. Gui- sonorités proches de la chanson Silver : idéal plique le réalisateur à L’Yonne. On devrait la tare plaintive, synthé tourmenté, le style pour décrire un monde froid, glissant, où retrouver (avec d’autres passée à la trappe) de Rover habille les scènes avec charme, chaque humain tente d’adhérer aux choses dans les bonus du DVD. Quant à Rover, il comme une ombre glacée qui rôde entre les et de se réchauffer comme il peut (auprès planche actuellement sur son second opus. murs. A plusieurs reprises, Vincent Macaigne d’une petite amie, d’un chien, d’une vidéo de Entendra-t-on les airs de Tonnerre résonner joue lui-même la partition de Rover à la gui- Roland Garros sur YouTube). sur scène, pour sa prochaine tournée ? » tare, d’abord seul, puis en duo avec son père L’OEIL Un rockeur dans la dèche s’installe pro- patience et de minutie, captant les timidités, mais peu novatrice, sentant un peu le vieux à visoirement chez son père en province. les maladresses, les élans, les hésitations qui l’instar des lieux où il est situé. Mais Guillaume dU CRITIQUE Un beau portrait de trentenaire dépha- jalonnentla rencontre entre une jolie fille de Brac réussit à montrer autre chose sous la carte sé, glissant avec grâce du naturalisme 20 ans et un trentenaire déjà écorché par la vie. postale du bourg qui s’étiole et d’une amourette Comme dans le film précédent, le couple est comme une autre. Une crypte secrète, lieu de doux au lyrisme déjanté. « Tonnerre, un portrait inscrit dans un contexte socio-familial et géo- quelque légende locale, montre que même un graphique précis. Par exemple le père, joué par banal chef-lieu de canton peut receler un poten- Après le beau succès d’estime de son moyen au lyrisme déjanté » Bernard Menez, qui amène sa vis comica natu- tiel romanesque. Un voisin vigneron qui, racon- métrage Un monde sans femmes, on attendait relle, sa bonhomie et tout un pan de mémoire tant son histoire familiale sombre, instille une avec gourmandise le premier long de Guillaume cinéphile, entre Jacques Rozier et Pascal Thomas. dose anxiogène. Des paysages enneigés, filmés par Serge KAGANSKI, Brac. Le jeune réalisateur confirme sa veine réa- On verra au cours du film que ce père poule a comme un décor de conte gothique, une forêt liste et sentimentale, sa tonalité tissant comédie critique de cinéma sa part de responsabilité inconsciente dans l’état à la fois magique et maléfique tirent le film et et drame, sa cartographie précise de la province, la Bourgogne prosaïque vers un re- son attachement à la figure masculine gistre plus mystérieux. du garçon perdu entre deux âges, mi- ado attardé, mi-adulte, incarné par son Texte critique publié Et puis, à mi-film, une rupture de ton acteur fétiche, l’excellent Vincent imprévisible, un “coup de tonnerre”, sur le film Tonnerre Macaigne (également figure de proue que l’on ne racontera pas, si ce n’est in « Les Inrockuptibles », de la plupart des jeunes cinéastes in- pour dire que la comédie désen- le 28 janvier 2014. téressants du moment). chantée bascule dans le film noir et que Macaigne confirme son talent à Macaigne est ici un rockeur mélanco- pouvoir tout jouer et à changer de lique, en pleine coupure électrique, registre d’un instant à l’autre avec sorte de lointain cousin bourguignon la même puissance d’incarnation. du maussade Llewyn Davis des Coen. Ajoutons que la jeune Solène Rigot Son album n’a pas marché, il est en est une jolie découverte et que la panne d’inspiration et de finances, atone du rockeur déconfit. La ville de Tonnerre, critique Marie-Anne Guérin (les Cahiers du ciné- revient habiter chez son père à Tonnerre, dans qui semble à l’exact opposé de son nom, joue ma, Trafic…) fait une apparition réjouissante en l’Yonne. son rôle de charmant repoussoir, avec ses rues grande bourgeoise séduisante et fantasque. Revenir à 30 ans chez son daron dans un bled un peu mornes, son hiver engourdissant, ses in- assoupi et hors du monde est sans doute une térieurs de papier peint jauni, ses vieilles pierres Commencé piano piano, Tonnerre monte très belles mais qui suintent l’ennui, le déclas- forme d’accomplissement dans l’échec, un en intensité jusqu’à se permettre, mine sement, la vieillesse. Ici, comme au fond d’une grand chelem de la lose. Heureusement, sa ren- de rien, un finale quasi langien où se vallée perdue de western, le temps s’arrête, les contre avec une journaliste locale stagiaire lui confrontent la loi et la morale, l’inno- donne l’espoir de rebondir, de rebrancher un peu chiens aboient, mais le TGV du monde contem- cence et la culpabilité, avec le specta- l’électricité. porain passe. teur comme juge de dernière instance. To n nerre Comme dans Un monde sans femmes, Brac dé- pourrait n’être qu’une énième chro- Sous le calme apparent de Tonnerre, la nique naturaliste provinciale, tricotée avec talent crit le processus amoureux avec beaucoup de foudre était prête à frapper.