PARC NATUREL RÉGIONAL DES MARAIS DU COTENTIN ET DU BESSIN

Sur les chemins de la Sangsurière et de l’Adriennerie Approche historique

CONNAISSANCE

www.parc-cotentin-bessin.fr A la charnière des côtes du Calvados et de la , s’ouvre un estuaire méconnu : la baie des Veys, où convergent les rivières nées des collines du bocage, du Bessin et du Cotentin. Cherbourg La Vire, l’Ouve (ou Douve), l’Aure, la Sèves et la Taute, s’épanchent en de basses et larges vallées, largement inondées en hiver, contribuant à faire du Cotentin Anse la du cul Hougue de loup presque une île. Manche La valeur écologique de ces basses Sommaire vallées a motivé la création en 1991 d’un Parc naturel régional, Carte d’identité > 3 celui des Marais du Cotentin et du Bessin. Briquebec Hydraulique et hydrologie > 4 A l’extrémité occidentale de cette vaste zone humide, la petite vallée Le Gorget et sa vallée > 5 du Gorget, affluent de la Douve, Un cours d’eau remanié > 6 U T A H B e a c h MANCHE abrite un marais tourbeux d’un tel STE-MERE- intérêt que, menacé à la fois par EGLISE Le Gorget, voie navigable ? > 9 Barneville-Carteret Mont la déprise agricole et des essais l de Mont ST-SAUVEUR- e de M LE-VICOMTE e

r Pointe du Hoc d localisés d’intensification, il a Le grand canal du Cotentin > 10

e

129 m. r Baie e

Havre 91 m. t r g e t des Veys de l e G o été classé en Réserve naturelle Carteret Réserve naturelle des Marais la D de la Sangsurière et de l’Adriennerie ouve O m a h a b e a c h nationale en 1991. Fluctuations hydronymiques > 12 Portbail Le marais de la Sangsurière et Moulins à eau, moulins à vent > 14 Havre Mont Mont de l’Adriennerie est désormais de Portbail de 129 m. d’Etenclin 131 m. reconnu pour ses richesses l ’ A u r e Passages d’eau : les franchissements du Gorget > 16 CARENTAN ISIGNY- naturelles exceptionnelles, mais Havre 130 m. SUR-MER de Surville LA HAYE- Mont Castre DU-PUITS TREVIERES son patrimoine culturel et son Le bac de la Sangsurière > 18 histoire sont moins étudiés. CARENTAN La chaussée de la Sangsurière > 20 s Ce livret se propose de jeter e v è S

la t e u la lumière sur deux aspects T a l a Havre V i r e l a Le grand chemin > 22 de St-Germain particuliers de son histoire. Pointe Calvados

du l ’ Banc A D’abord, celle du Gorget, avec y Une chaussée rompue > 24 Pointe ST-JEAN- du Becquet DE-DAYE les modifications de son cours, le L PERIERS o z o La chaussée moderne > 26 n l’E sa navigation et les projets de lle

l ’ A y canalisation avortés (le fameux La chaussée de Pierrepont > 30 « canal du Cotentin »), les moulins de son bassin. Puis sont abordés Des passages stratégiques > 34 les ouvrages de franchissements, Saint-Lô bacs, chaussées…, si importants Les chemins de fer > 38 localement, et les lieux de culte Glossaire ou de défense établis à leurs débouchés. Pour en savoir + D15 Mont de Besneville Mont de Taillepied Carte d’identité Nom : marais de la Sangsurière et de l’Adriennerie Situation : frange ouest du Cotentin Département : Manche Commune : Doville (canton La Haye-du-Puits) Superficie : 396 ha, comprenant : · Marais de l’Adriennerie : 114 ha · Marais de la Sangsurière : 231 ha · Anse de : 51 ha Statut de protection : Réserve naturelle nationale D900 Création : 26 février 1991 (classement par décret ministériel) Gestionnaires : Parc naturel régional des Marais du Cotentin et du Bessin (gestion Catteville de la RNN) ; Commission syndicale du marais de la Sangsurière (gestion agricole). Signes particuliers : propriété indivise des communes de Doville, Saint-Nicolas- de-Pierrepont et Saint-Sauveur-de-Pierrepont (canton de La Haye-du-Puits), Catteville (canton de Saint-Sauveur-le-Vicomte), à l’exception du marais de l’Adriennerie (propriété de la commune de Doville). le bas-Hamel le Gorget anse de Catteville marais de l'Adriennerie

marais de la Sangsurière Qu’est-ce qu’une Saint- Sauveur- « réserve naturelle de- la Glinette les Mouniers Pierrepont la Pitoterie nationale » ? Une Réserve naturelle nationale

la Chaussée est un espace naturel doté par la loi du plus fort degré de pro- Doville tection. Les réserves sont donc créées pour protéger un patri- moine naturel (habitat, faune, flore ou géologie) exceptionnel- Saint- Mont de Doville Nicolas- lement riche et fragile. de- Chaque Réserve naturelle natio- Pierrepont nale dispose d’un gestionnaire, Mont d'Etenclin désigné par l’Etat, qui met en œuvre les missions communes à toutes les réserves : protéger, gérer et faire découvrir leurs richesses.

2 D903 3 « Elle [la Douve] absorbe le ruisseau de St Sauveur-de-Pierrepont ou Gorget qui Les marais de la Sangsurière et Le , au nord n’est guère qu’un émissaire de long ma- Pré de la Fontaine rais débouchant à droite sur le marais Le Gorget et sa vallée de l’Adriennerie sont alimentés de l’ancienne gare de Denneville, de la Douves » (Henri CORDIER, Rivière de par un affluent de la Douve, repéré par un bosquet de saules Hydraulique et hydrologie Carte d’identité Douves — Notice, Ponts & Chaussées - le ou , le long de la « route touristique » Département de la Manche - 3e subdivision Gorget Fil de Gorges de Saint-Lô, Saint-Lô, 13 juillet 1906, p. 4). Nom : le Gorget. ainsi que par plusieurs de (RD 903), n’abrite que des Source : la Fontaine, Canville-la- ses émissaires, les rivières de sources secondaires, 200 mètres Rocque (altitude 22-25 m) Neuville et des Moulineaux et en aval des principales et Limite : confluent avec la Douve quelques ruisseaux de moindre connues autrefois sous le nom de (km 52). importance et aux noms tout aussi « Font au Bélier ». fluctuants. L’affluent majeur du Longueur : 14 km (1899), 16 km Gorget, la rivière du Buisson, (1906 ; 2011). conflue pour sa part à hauteur Profil en long Surface du bassin versant : du Fourquet (« la fourche »), en Le Gorget sourd à 30 mètres 2 environ 100 km (9 879 ha) aval de l’Adriennerie et donc de d’altitude à peine. Moins de Communes Rive gauche : Can- la réserve naturelle. 2 kilomètres après sa source, une ville-la-Rocque, Saint-Sauveur- fois passée la RD 137, il tombe de-Pierrepont, Catteville, Saint- déjà sous la cote des 10 mètres. Sauveur-le-Vicomte. De multiples sources Sa pente n’en devient pas nulle Communes Rive droite : Saint- Le Gorget prend sa source au pour autant et, à son confluent, Lô-d’Ourville, Denneville (Omon- sud-ouest de Canville-la-Roque, une quinzaine de kilomètre plus loin, l’altitude approche 3 mètres. ville-la-Folliot jusqu’en 1812), dans le chemin conduisant de la Baudreville, Bolleville, Saint- Pellinerie à la Masse d’Omonville. Cette topographie singulière, net- Nicolas-de-Pierrepont, Doville, Appelées « Fontaines Jean Noël » tement plus forte que celle de . sur une carte de 1787, ses cours d’eau drainant d’autres ma- sources sont nommées « Fosses rais, n’empêche par la vallée du Poret » par le service hydraulique Gorget d’être l’une des plus ma- des Ponts et Chaussées. récageuses du Seuil du Cotentin.

Marais de la Sangsurière

Mont de Besneville Mont de Taillepied Mont de Doville Mont d'Etenclin

Carte manuscrite d’une partie de la côte 4 occidentale du Cotentin, 1787 (détail) 5 à dessiner une trame complexe lourds travaux de terrassement, ils Aucune information n’a pu être évoquant un réseau capillaire. répondaient à un double objectif recueillie au sujet des cours ri- Une carte du xviiie siècle signale, agricole : contenir et évacuer l’eau verains de la Sangsurière et de sous la « Lande de l’Inguehou », à et enclore les pâturages. l’Adriennerie. On peut néanmoins l’entrée de l’anse de Catteville, un supposer qu’ils sont au moins « gouffre » où disparaissait alors Une rivière pour clôture aussi anciens que ceux de Pierre- le Fil de Gorges. Le mot est peut- pont. Ici, l’aménagement a pu être en- être excessif, mais témoigne de couragé non seulement par le pro- l’instabilité du réseau hydrau- fil et la nature particulièrement lique local et de la fragilité de son Le programme difficile du terrain, mais aussi par environnement. le statut du marais. Les prairies d’assèchement des de Pierrepont, de la Sangsurière marais du Gorget Un cours artificiel et de l’Adriennerie constituent Le projet du canal du Coten- Le cours actuel du Gorget est ma- des biens dits « communaux ». De tin ayant été ajourné en 1843 joritairement artificiel. De longue temps immémorial, les commu- (cf. p. 10), l’administration éla- date, il a fait l’objet de projets nautés riveraines y bénéficiaient bore vingt ans plus tard un vaste de corrections en vue d’accélérer de droits d’usage : prélèvements L’actuel cours du Gorget limitrophe programme d’assèchement des ses écoulements et améliorer les divers, coupes ou cueillettes, libre du marais de Pierrepont pourrait marais du Gorget. Comme les pro- conditions d’exploitation des ter- pâturage de troupeaux collectifs dater du milieu du xviie siècle, jets précédents, il prévoit le per- rains riverains en les asséchant. réunissant bovins, chevaux et, époque d’un accord conclu au cement d’un long canal au milieu selon les lieux et les époques, De son entrée dans le marais de sujet de sa clôture entre le sei- des marais de la Sangsurière et de Le marais de l’Adriennerie, 1955 (détail) cochons, moutons et oies, confiés Pierrepont jusqu’à sa sortie de ce- gneur des fiefs d’Hautmesnil et l’Adriennerie. à la gestion et à la surveil- lui de l’Adriennerie, il a été à la fois d’Auvers en Pierrepont, reconnu Ces travaux devaient compléter lance d’un syndic et de gardes. déporté en bordure du marais où, alors propriétaire tréfoncier* du ceux déjà réalisés dans la Il importait donc de séparer ces parfois « perché », il coule alors en marais, et les habitants et usagers vallée de l’Ouve, notamment la « parcours » de l’espace privé dé- surplomb, et dédoublé : ses deux des marais de Pierrepont. construction du pont éclusé de volu aux récoltes. Un cours d’eau remanié bras entourent le marais et souli- la Barquette. Posées en 1738, gnent les contours de son lit ma- les portes à flot de la Barquette jeur*, ne laissant au mieux, en pied se ferment à marée montante, de coteau, qu’une étroite bande empêchant la mer de remonter au- de prés. delà de Carentan. Auparavant, les A la différence des biefs* de eaux marines pouvaient remonter Une rivière sans lit ? siècles, on ne le devine que dif- moulins creusés en concurrence jusqu’au confluent de l’Ouve et du Gorget, facilitant la navigation On peut lire à propos de la vallée ficilement, sur les photographies plutôt qu’en remplacement du cours principal, ces chenaux se mais entravant l’écoulement des du Gorget, dans une Disgression aériennes, ou lors de la montée sont entièrement substitués à cours d’eau. sur les rivières qui se réunissent des eaux. l’ancien cours. Ce projet, tributaire de corrections dans le Vey datée de 1771, que Le Gorget coulait sensiblement préalables de la Basse-Douve et « la rivière n’y a pas de lit ». au milieu de la vallée mais au Classiques dans les marais d’amont prix de nombreuses contorsions et sur des « queues » ou aculs de assujetti à la création d’un syndi- Le cours primitif du Gorget se re- cat d’assèchement, ne reçut l’as- connaît en effet si mal que l’on a confirmant sa difficulté à creuser ceux d’aval (par exemple, dans les et entretenir spontanément son marais de la Sèves), de tels déports sentiment ni des riverains ni des avancé que des écoulements su- commissions syndicales de curage. perficiels s’y opéraient de façon lit. Il y recevait de plus une infinité se rencontraient également dans la diffuse. Abandonné depuis des de ruisselets qui contribuaient basse vallée de l’Ay. Imposant de

6 Minutes de la carte d’Etat-Major, 1839 (détails) 7 Pirogue de Rauville Les travaux de de la Douve mené par l’État en celui du fossé de partage consé- Profitant d’une « frette à ba- cutif au renoncement de Saint- teaux », chenal peut-être creusé l’Association Syndicale 1967-1968. L’objectif poursuivi est, là encore, de faciliter l’écou- Sauveur-le-Vicomte à l’indivi- à l’occasion de la reconstruction e des Bas-fonds du lement des eaux en traçant une sion de la Sangsurière en 1854. du pont peu avant le xix siècle, Bassin de la Douve rivière sensiblement droite en Enfin, dès 1974, ce nouveau lit on y déchargeait « les Engrais de est lui-même doublé d’un bras Mer & la Pierre a chaux » utiles à En 1928 est créée l’Association coupant des méandres du Gor- get, en élargissant la rivière et intermédiaire placé dans l’axe l’amendement des terres. La tan- Syndicale des Bas-fonds du du pont. gue* était prise par les bateliers Bassin de la Douve, remplaçant en abaissant le niveau de cer- L’impact de ces travaux sur le aux bancs de la baie des Veys les syndicats de curage. Elle tains seuils (jusqu’à 88 cm de régime hydraulique et le fonc- tandis que le calcaire, cuit de propose un nouveau projet de leur niveau initial !) tionnement des marais est préférence dans des fours locaux, « dévasement » du lit du Gorget. Les travaux ont lieu en 1973. conséquent : « depuis la réali- provenait des carrières du Plain. Mais là encore, en dépit d’aides En aval de la Chaussée, le cours sation des travaux de curage du La mention d’ateliers de scierie et importantes, plans et rapport séparant Varenguebec de Saint- Gorget en 1973, les submer- de charpente à proximité suggère restent sans suite jusqu’à la fin Sauveur-le-Vicomte est rectifié. sions de ce marais sont limi- que les bois à l’entour pouvaient des années 1950. En amont, une grande coupure, fournir un fret avalant*. de la butte de l’Ingrehou aux tées à quelques jours chaque En 1958, les premiers travaux hiver. » (« Aménagement de sont entrepris avec une coupure prés du Bas Hamel, court-cir- cuite l’anse de Catteville. Une l’anse de Catteville », DDA de Une rivière portant du Gorget sous le Val Pépin, im- la Manche, vers 1980). posant une modification des li- autre isole du marais de la Sang- réelle navigation. Beaucoup, dont petits bateaux mites administratives. En 1971, surière le marais de la Chapelle, le Port de la Sangsurière cité Un aveu* du fief d’Aisy cite à la des rectifications et un recali- qui s’étend de la vieille chapelle Le Gorget, e dès 1239, ou celui, peut-être fin du xv siècle un Port de Va- brage complet du Gorget sont d’Hautmesnil à la chaussée de le même, auquel deux clos sous renguebec et un port « au Guy- décidés, suite au reprofilage la Sangsurière. Le tracé reprend Hautmesnil doivent leur nom, lon ». Mais le Gorget n’a jamais voie pouvaient ne servir que de cales été qu’une « rivière portant petits d’où partaient des bacs destinés batteaux », certainement seule- à simplement traverser un cours ment par grandes eaux. Les crues, navigable ? d’eau. noyant les berges et les quais, La navigation des rivières du Co- compliquaient voire empêchaient tentin n’est rigoureusement attes- la navigation sur les principales Des indices discutables tée qu’à partir du xive siècle, par rivières. Au contraire, la montée le biais de livraisons de vivres. des eaux rendait des cours d’eau En 1968, sur les bords de la mineurs ponctuellement acces- On peut cependant supposer que, Douve, à Rauville-la-Place, fut dé- sibles à des batelets d’un gabarit couverte une pirogue monoxyle* bien avant, les cours d’eau com- marais de inférieurs à ceux des gabares. e plétaient déjà la voirie terrestre et anse de Catteville la Chapelle datée du milieu du iv siècle. In- Modestement parcouru, le Gor- terprétée comme l’indice d’une ses fondrières. marais de get, à l’inverse de la Douve, du l'Adriennerie navigation antique du fleuve, son le Gorget Merderet, de la Sève, ne fut ja- usage pour la pêche ou la simple La navigation mais classé voie navigable. La traversée de l’eau ne peut pour- En dépit d’un lit sinueux, étroit navigation qui s’y exerçait resta marais de la Sangsurière tant pas être exclu : l’épave repo- et peu profond, le Gorget a bien donc informelle et semble n’avoir sait sur le gué de Cartot, en amont été navigué. Les archives font occasionné de travaux (inachevés d’anciennes places de pêcheries. écho, dans les années 1830, de semble-t-il) que dans le cadre de La mention de « port » ne suffit remontées de bateaux jusqu’à la la reconstruction du pont de la pas non plus à témoigner d’une chaussée de la Sangsurière. Sangsurière. 8 9 remplacer ceux de la Barquette de garde devait protéger la tête Regnéville, le projet n’aboutit Plan de la Gorge (…) projet de dessèchement des marais qui la et de Saint-Hilaire furent enga- du canal contre la mer et former pas. Pas plus ceux qui devaient Le grand canal du Cotentin traversent, 1807 (détail) gés. Mal préparé et ruineux, l’ou- une retenue en vue de produire encore surgir après la guerre vrage est abandonné avant que la chasse utile à l’entretien du de 1870, condamnés par les des mesures d’économie n’amè- chenal d’accès. mêmes arguments stratégiques nent à renoncer à l’ensemble Les seules eaux de la Douve et financiers mais aussi par du projet. devant suffire à l’alimentation l’essor du chemin de fer, de la du canal, une dérivation de navigation à vapeur et l’entente 20 mètres de large devait être entre l’Angleterre et la . Nouveaux projets creusée sous Selsoif, en aval Restées sans usage, les par- d’un grand barrage-déversoir et ties déjà réalisées motivèrent dotée, au contact du canal, d’un Les témoins en 1837 une nouvelle étude, pertuis et d’une écluse de petite du grand canal confiée aux ingénieurs Bollaërt et navigation laquelle devait être portée jusqu’à Néhou. Seuls des tronçons isolés subsis- Morice de la Rue, à qui l’on doit tant dans les marais de Carentan Enfin, un pont fixe sur la tran- les phares de Gatteville et Goury. témoignent encore du grand ca- chée (chemin de La Haye-du- Le canal de navigation projeté nal du Cotentin : les canaux des Puits à Barneville), des pont- relevait d’une ligne nationale du Espagnols, du Gravier, de Pom- levis sur les écluses et les Golfe de Gascogne au bassin de menauque, ainsi que celui du chaussées de marais, dont celle la Seine ! Les tronçons existants Haut-Dick, réhabilité en bassin à de , et quelques devaient être prolongés par un la Sangsurière flot pour le port de Carentan dès bacs assureraient le franchisse- canal de presque 50 kilomètres 1840. Le cinquième tronçon, dit ment du canal de navigation et dont 40 dans les marais, doublés Canal de l’Hôpital, a été comblé de ceux de dessèchement. de canaux de dessèchement. vers 1960. Large d’une quarantaine de Contesté par l’ingénieur en chef Le projet : un canal mètres, le canal devait compor- lui-même qui, militairement, Raz Blanchard (cap de ) concurrencé par la construction ter sur chaque rive un chemin préférait un débouché dans reliant la côte ouest et de , en proie à des du port militaire de Cherbourg, de halage. Dans les marais, des le havre de Lessay ou celui de à la côte est courants violents et aux attaques le chantier aurait imposé des tra- digues de 6 mètres de large et des flottes anglaises. vaux tout aussi colossaux. Un pharaonique projet faillit dominant de 3 mètres la ligne modifier considérablement le Rapidement les avantages agri- d’eau devaient séparer le canal de navigation de ceux d’assèche- cours du Gorget. A plusieurs re- coles, qu’entraînerait l’assèche- Le chantier sous prises, on envisagea en effet de ment des marais à parcourir, ment (dont celui des marais du creuser dans sa vallée un grand s’ajoutèrent aux objectifs mili- Bonaparte Gorget) ou des fossés creusés de part et d’autre. canal maritime qui, via Caren- taires. Les ambitions de Napoléon et tan et Portbail, devait couper le Conçus tantôt en complément, la main d’œuvre fournie par Le canal devait être formé d’un Seuil du Cotentin et relier ses tantôt en concurrence, les deux ses campagnes (prisonniers de bief unique fermé à chaque côtes est et ouest. Avancée dès projets se heurtèrent à l’oppo- guerre russes et espagnols) auto- extrémité par une écluse servant 1681, l’idée était née de la vo- sition d’ingénieurs militaires risèrent néanmoins, sur les bases aussi à l’évacuation des eaux lonté d’épargner aux navires de et civils et, plus encore, à des d’un projet de 1802, l’ouverture des rivières adjacentes, la Taute guerre et de commerce les pé- difficultés tant techniques que du chantier. Près de Carentan, et la Douve d’un côté, la Grise rilleux passages de la Déroute financières. Menaçant d’offrir le creusement de canaux et la de l’autre. Devant Portbail où (entre la côte de la Manche et à l’ennemi toute facilité pour construction d’un monumental un port était à aménager et les îles anglo-normandes) et des prendre et tenir la presqu’île et pont à portes à flot destiné à mettre en défense, une écluse 10 11 Le nom du Gorget doit être rapproché du mot gorge, au sens de « fossé, canal Un ruisseau aux nuance de petitesse. Il se retrouve le marais, au carrefour du « chemin d’écoulement ». Mais à l’image d’autres dans le nom d’un drain du marais du Pont de Baudreville à la Chaus- rivières, le Gorget prend au fil de l’eau nombreux noms sée d’Olonde » (actuelle route de différents noms, en particulier lors de de l’Adriennerie, le Fil ès Loutres, ses confluences et ses dédoublements. En amont de la chaussée de Pier- qui peut aussi bien faire référence à Barneville à la Haye-du-Puits) et de Fluctuations hydronymiques repont, le Gorget est appelé sur des l’animal qu’à un dénommé Leloutre, celui de Denneville à Saint-Sauveur- cartes anciennes Rivière du Marais et dans un toponyme riverain dispa- de-Pierrepont qui franchit la rivière parfois précisé de Saint-Sauveur ou ru Filbec, bec, héritage scandinave, tout près. Ce toponyme ne survit D15 Grande rivière du Marais, peut-être en signifiant également « ruisseau ». plus que sous une forme déformée, rapport au bras de moindre importance Mont de Taillepied s les Georgeais, qualifiant les par- d Au confluent du Gorget et de la n fa coulant au pied du coteau opposé. é celles entre la RD 903 et la rivière. D Douve, la commune de Varenguebec la Douve u d Passée la Chaussée, chacun des Les cartes anciennes, jusqu’au . doit son nom à celui d’un cours i ru deux bras prend alors le nom de Ri- d’eau qui signifierait en norois, « le premier atlas cadastral (1811) et

vière du marais de Doville jusqu’à ce

n ruisseau de travers », autrement à la première carte d’Etat-Major

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t- que celui du nord reçoive les eaux de n dit « le ruisseau tortueux ». Or c’est (1847), signalent un lieu-dit Gor à

r i u Sa i . e la Rivière de Neuville et en adopte le ch le ruisseau de ou de proximité d’un écart de Baudreville, d n la Comterie u la p

nom. Pourtant la Rivière de Neuville

p a la Fauverie, également nommé aujourd’hui ruiné, au nord du « che-

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n e t d n’est qu’un sous-affluent du Gorget,

Houllebec ou Filbec, qui arrose le min de Canville à Saint-Nicolas » . i d ru

' A aussi appelé ruisseau de la Planche village. Le nom de Varenguebec se (actuelle RD 903). Le nom Gor ou

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l e

a Varon. Le véritable affluent, né en li- D900

u réfère donc probablement au Gorget, Gord, conservé dans le parcellaire

m e s sière nord-ouest de la forêt de Saint- e dont le cours y est particulièrement local, ne semble pas résulter d’une rg o Sauveur-le-Vicomte, est en réalité e G sinueux. altération de Gorget, mais pourrait Catteville il d f formé du Ruisseau des Moulineaux le avoir un sens proche : trou d’eau,

le dit aussi de la Planche Saint-Jean, f fossé ou canal d’écoulement, plutôt il d e voire du Moulin de Neuville, grossi qu’un barrage de pêcherie, sens ré- s L Le Gor et le Gorget, o utres r le Gorget d’autres émissaires tels que les servé aux gords des grands fleuves. Neuville- ui . d en- e Ne marais de ruisseaux du Pont d’Alleaume et du lieux-dits oubliés ? De fait, le lieu-dit qualifiait égale- Beaumont uville l'Adriennerie Défands. Le Gorget donnait autrefois son nom ment l’émissaire du Gorget qui sort Plus rarement, le bras nord du Gor- à un lieu-dit entre les Fosses Vigot et des Fosses Vigot. marais de la Sangsurière get est également nommé Rivière Saint- r Sauveur- u des Gîtes ou, plus simplement, Ri- i de- ru . i. d oville d Pierrepont u marais de D e vière de la Sangsurière. la Fau ve Réuni au pont de la Sangsurière, ri e

( H le cours inférieur du Gorget est en-

o n u suite qualifié de . Ce o l Fil de Gorges iss l u e B b e Doville l e nom, comme celui de Vieux Fil de c 0 500 1 000 ) Gorges, semble aujourd’hui réservé Mètres au dernier tronçon, au-delà de son Saint- confluent avec Nicolas- Mont de Doville la Rivière du Buis- de- son. Attesté dès le xve siècle, il té- Pierrepont Mont d'Etenclin moigne peut-être d’une forme pri- mitive, Gorge, complétée d’un affixe « -et » à valeur diminutive.

Neufmesnil Le mot fil, comme filet, signifie « courant » avec une éventuelle

de blanc il) 12 rui. helande (Naudou 13 baronnie de Saint-Sauveur-le-Vi- Le vent, une valeur sûre du Buisson, à la Haye-du-Puits, le comte, et celui créé en 1858 par moulin du Haut-Regard, un autre Pour pallier l’irrégularité ou l’in- Moulins à eau, moulins à vent Foubert, alors maire de Saint-Sau- sur le haut de Saint-Symphorien, suffisance des débits, de nom- le moulin de la Croix Verte, sous ne doivent donc pas être regardés veur-le-Vicomte et futur sénateur. Pas de roues tenues nécessaires à une alimen- breux moulins à vent furent établis le mont Sainte-Catherine, ceux comme de possibles biefs. Les Le nom de « ruisseau des Mouli- tation régulière des roues. sur les hauteurs environnantes, de Noguet et d’Aisy (de la Masse) pour le Gorget sols essentiellement tourbeux de neaux » que le cours d’eau reçoit La vingtaine de moulins recensés tirant parti d’une énergie certes à Doville, celui de la Moulinerie à Fait exceptionnel, malgré sa pente sa vallée ne s’y prêtaient probable- en amont de Catteville pourrait en sur le bassin du Gorget profitaient plus inconstante encore mais libre Saint-Sauveur-de-Pierrepont, celui et un débit suffisant, le Gorget ment pas, ne pouvant supporter le outre témoigner d’ateliers fores- donc du cours mieux assis et et abondante. de la Lande à Neuville et, enfin, semble n’avoir entraîné aucun poids des installations ni résister tiers attestés au Moyen-âge. Quant plus pentu et dynamique de ses Le plus célèbre localement car le moulin à vent qui, à Catteville, moulin à eau. Ses détournements aux poussées exercées par les re- à son affluent dupont d’Alleaume, affluents ou bien des vents qui il suffit à doter d’un moulinla le mieux visible est le moulin du vers 1780, fut associé au moulin soufflent généreusement sur les Vieille Cour de Taillepied. mont de Doville, érigé tardivement à eau de Neuville. hauteurs voisines. (1840). A ses pieds, le moulin de Même les ruisselets descendant Bouttemont, à Saint-Nicolas-de- du mont de Doville avaient leurs Pierrepont, est le seul autre mou- moulins. Le ruisseau de Gaalon, à Des affluents lin encore conservé. Saint-Nicolas, en comptait même Moulin du mont de Doville mieux dotés deux. Celui de la lande de Noguet Les archives, en particulier les cartes, mais aussi la toponymie, Mont de Besneville La rivière du Buisson, qui sourd fut assurément le moulin à eau au sud de la Haye-du-Puits, et le plus proche du marais. Mais véritable mémoire des paysages,

s d Mont de Taillepied n témoignent de très nombreux fa é ses propres affluents, ont abrité dans leur cas comme dans bien D

u d i. u r moulins à vent disparus. Il y avait

à eux-seuls la moitié des moulins d’autres, un moulin à vent, garan-

les moulineaux la Douve

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- à Denneville les moulins

t au Canu

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du bassin. Le moulin de Haut (la

a r tie d’un meilleur rendement, leur u e S i h . c n d la u p et , à Bolleville, celui

des Kerdes

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o Haye-du-Puits) et de Bas (Saint- fut finalement adjoint.

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e Symphorien) et celui du Buisson,

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m e s e rg devenu minoterie (Bolleville), pré- o la vieille cour e G Neuville- Catteville il d f le en- le moulin de neuville le cédaient le chapelet de ceux établis f Beaumont il d e s L outres r le Gorget aux confins de , Doville u i. de marais de la lande de haut Neuville l'Adriennerie et Varenguebec (moulins Renault, Bois de Limor marais de la Sangsurière r au Comte, du Vey et d’Aisy). Le Saint- u i. d e Sauveur- la lande ru rais de Doville la cour d'aisy la F i. du ma au de- ve ruisseau de Broquebeuf servit à un ri Varenguebec noguet e

Pierrepont la moulinerie

( H moulin à tan* puis à une filature o isson u u l l B e le b Doville e c de la Haye-du-Puits. Les eaux du

l , e G bouttemont la lande du comte C a o la canuerie a m l o t

n e r

i Naudouil, au bord duquel s’ins- e

Saint- Mont de Doville ) Nicolas- talla l’abbaye de Blanchelande, les kerdes de- Mont d'Etenclin Pierrepont servirent à entraîner le moulin ab- la comterie Neufmesnil batial ainsi que celui dit de la Cour de blanc il) rui. helande (Naudou (l’Emperière). Enfin, plus bas en- abbaye de blanchelande core dans la vallée, à Varenguebec, le moulin du buisson la croix verte le ruisseau de la Comterie, reçut la moulinerie sainte-catherine également un moulin.

oquebeuf br le En rive gauche du Gorget, le ruis- Moulin à eau la tannerie seau de la Planche Saint-Jean en- Moulin à vent traîna dès le Moyen-âge le moulin

La Haye-du-Puits de Neuville, dépendance de la

Moulin Renault 14 15 Passages d’eau : les franchissements du Gorget

« il y a sur l’étendue des dittes Frontière physique entre Saint-Sauveur-le-Vicomte et la Haye-du-Puits, la Des marais ennoyés C’est cette dynamique fluviale L’écoulement des rivières était communautés [St-Nicolas et vallée du Gorget se franchit principalement en deux points, qui semblent avoir particulière qui vaut au Cotentin alors d’autant plus contrarié toujours eu une importance notable mais variable. et des rivières ses appellations de « Clos » et de que leur cours était entravé par St-Sauveur de Pierrepont, qui coulent mal « presqu’île » : seul, à l’extrême des ouvrages de retenue (moulins, Catteville, Neuville-en-Beaumont, Avant le xviie siècle, les marais du ouest, l’isthme* qui sépare la pêcheries) dont pouvaient aussi supporte la route Bolleville et Doville] un marais A l’est, la chaussée de la Sangsurière Cotentin pouvaient rester inon- vallée du Gorget de la Côte des tirer profit quelques places-fortes. départementale 900 « de Saint-Lô à Cherbourg » via Saint-Sauveur-le-Vicomte Iles empêche son insularité. considérable qui met un grand dés jusqu’à neuf mois par an. et la Haye-du-Puits, ancienne nationale n° 800 déclassée en 1972. Leur niveau très bas (quelques Une vaste enquête menée au mi- obstacle au commerce et e mètres au dessus du niveau de Sur la Douve, l’effet pouvait se lieu du xvii siècle montre qu’une la mer) les rendait sensibles à quinzaine de pêcheries barraient transport des denrées » A l’ouest, la chaussée de Pierrepont, sur laquelle passe la plus faire ressentir jusqu’à Saint-Sau- l’influence des marées : la ma- alors le lit de la Douve entre (« Demande de la construction de deux discrète RD 127, dite « de Bricquebec à La Haye-du-Puits », qui relie Saint- veur-le-Vicomte lors des grandes ponts », 20 oct. 1785, Arch. dép. Calvados, rée montante les submergeait e Saint-Sauveur et les Ponts d’Ouve ponts », 20 oct. 1785, Arch. dép. Calvados, Nicolas-de-Pierrepont à Saint-Sauveur-de-Pierrepont. marées. Au début du xx siècle, les C 4350) parfois, et arrêtait ou refoulait Ponts et Chaussées s’en servaient où s’appuyaient par ailleurs C 4350) les eaux douces en remontant le encore ponctuellement pour aider des moulins à marée et dont la Au-delà, deux autres franchissements, dont la petite RD 137, dite « de cours des rivières. à la remonte des bateaux jusqu’au manœuvre des vannes influait Vindefontaine à la mer à Denneville », n’ont qu’un usage très local. confluent du Gorget. sur les niveaux de la nappe d’eau jusqu’à Beuzeville et Pont-l’Abbé. Enfin, les anciens chemins de fer de Coutances à Cherbourg et de Carentan « Les eaux de la mer que l’on à Carteret franchissaient également le Gorget, l’un en aval, l’autre en amont introduit parfois par les portes Au xviiie siècle, d’importants tra- du marais de Pierrepont. Ils ont perdu leur vocation primitive mais ont été « à Saint-Sauveur iront, qui sur de la Barquette en basses vaux hydrauliques furent conduits reconvertis en « voies vertes ». eaux, remontent jusqu’à sur l’ensemble des marais du Co- mer est fondée. » l’embouchure du Gorget, tentin. Le pont de la Barquette, «(C uvelierà Saint-Sauveur, Chronique de Bertrandiront, qui du Guesclin,sur soit sur 23k [km] environ de construit sur la Douve entre 1735 éd.mer Charrière, est fondée. » Paris, 1839, t. I., p. 199). parcours. » (Henri Cordier, et 1740, fut doté de portes que (Cuvelier, Chronique de Bertrand du Guesclin, Rivière de Douves — Notice, la marée montante ferme mécani- éd. Charrière, Paris, 1839, t. I., p. 199). Saint-Lô, Ponts & Chaussées quement, empêchant ainsi la mer (3e subdivision de Saint-Lô), 13 juillet 1906) de submerger les basses vallées.

16 17 y prétendait en 1739, mais on ignore maintien d’un niveau d’eau néces- La chapelle de Hautmesnil si elle en était alors le titulaire légi- saire à sa navigation ait nécessité un Hautmesnil constitue, avec Aureville, Selsoif et Taillepied, l’un des villages time ou si, au contraire, elle tentait de temps d’y retenir et élever les eaux Le bac de la Sangsurière satellites de Saint-Sauveur-le-Vicomte. A l’exception de Taillepied, ils n’acqui- s’en accaparer la jouissance. Ce mo- du Gorget, comme le suggère la lé- rent jamais, à l’époque moderne, d’indépendance religieuse ni administrative. nastère possédait à Doville de nom- gende d’un plan du xviiie siècle rela- breux droits, dont celui du patronage tive à un barrage provisoire : Toutefois, en raison de leur isolement et en vertu de libertés confirmées au e Le passage de la Sangsurière appa- de l’église, et biens, dont la ferme La xiv siècle par l’évêque, les chapelains de Hautmesnil et Selsoif célébraient des raît sur les cartes anciennes sous la Moinerie, proche du passage. « Endroit où l’on fait un batardeau fêtes et sacrements normalement réservés aux desservants de l’église parois- avec des pierres et bois [?] pour mention de « bac ». Cette situation Une logistique contraignante Le contexte féodal local inviterait siale (baptêmes, mariages, inhumations). n’a rien d’original : jusqu’aux an- souttenir [?] l’Eau dans le passage Le recours au bac entraînait de plutôt à en attribuer les droits au fief nées 1730, la plupart des franchis- de la Sensurière » Le nom de la chapelle de Hautmesnil, formé à la mode du Moyen-âge, (sur lourdes contraintes logistiques : d’Aisy, concurrent de Blanchelande à sements des marais s’effectuaient (« Plan du cours de la Rivière Douve, depuis mansionile, dérivé, au sens de « manoir, domaine rural », de mansione, « mai- Doville, mais ses aveux* n’en font pas le Bourg de St Sauveur le Vicomte jusqu’au au moyen d’embarcations, parfois • temps nécessaire à la traversée de son »), peut laisser croire à un établissement relativement tardif. Cependant la la vallée, mais aussi à l’appel et à plus mention… Four de Taute proche Carentan, où elle a son complémentaires d’un gué primitif, embouchure dans la Mer au Grand Vey », chapelle d’époque romane, aujourd’hui en ruines, contient des éléments en l’attente du passeur ; Une dernière hypothèse, suggérée ou très souvent en remplacement c.1760 Arch.Nat., N 11 Manche 17). remploi, chapiteau orné et débris de sarcophage, indices d’un sanctuaire et d’un premier pont ruiné. • coût du passage (en 1739, à la par le maintien délibéré du pont en d’une nécropole antérieurs. Sa position géographique, la proximité supposée ruine et encouragée par les noms de Sangsurière, il en coûtait 6 de- d’une motte féodale et le vocable de la chapelle (saint Georges) plaident éga- niers pour un homme et 1 sol pour Grand Chemin et Chemin du Roi don- Un bac au Hautmesnil ? Bien que faible, le tirant d’eau des lement en faveur d’une occupation très ancienne un cheval ou une tête de bétail) ; nés parfois à cette voie, serait que le Le village de Hautmesnil a pu se bacs imposait tout de même des ni- passage pouvait relever de l’autorité trouver au débouché d’un franchis- Sa dédicace à saint Georges pourrait faire écho à un événement local survenu • état communément déplorable du veaux d’eau suffisants. En l’absence supérieure, mais que les intérêts stra- sement stratégique désormais ou- au viiie siècle. Vers 750, un reliquaire contenant, entre autres, un morceau de de chaussée ou, comme ici, de gué, bac et de ses agrès ; tégiques, voire des contraintes tech- blié, comme le laissent supposer la mâchoire de saint Georges, se serait échoué à Portbail. Authentifiées par certains passages ne connaissaient • soumission aux conditions météo- niques ou financières, aient décidé plusieurs indices : des pontifes et le vicomte en personne, les reliques furent emmenées à Brix probablement qu’une activité sai- rologiques : pluies et crues consé- de son abandon officiel. • la situation de l’ancienne chapelle où elles motivèrent la fondation de trois églises et devinrent la destination sonnière. Le cours d’eau à franchir cutives, brouillards, vent, dans En pratique, les avantages de sa po- de Hautmesnil, anormalement iso- était souvent prolongé perpendicu- cette vallée orientée est-ouest (à de pèlerinages. sition auraient finalement prévalu et lée sur le bord du marais, lairement de chenaux ou saignées Beuzeville, pareillement exposée, amené l’installation informelle d’un • le voisinage supposé d’une motte Desservie par une chasse en cul-de-sac, la situation de la chapelle locale et permettant la desserte et l’accès du il est arrivé que le vent arrache le service de bac. Sa rentabilité aurait féodale*, son état lui valurent d’être remplacée en 1864 par une église neuve, érigée au bac au plus près du coteau. bac à ses amarres et le pousse ensuite pu attiser la convoitise de • le nom de attribué à deux clos bord des Grandes Rues. jusqu’à Liesville). Port l’abbaye de Blanchelande. au sud-ouest de la chapelle. Abondant sur le Seuil du Cotentin, e xviii siècle : le toponyme le Port désigne en effet Carte du diocèse de Coutances, 1689 (détail) une situation paradoxale autant des lieux où accostaient des embarcations fluviales que des cales Atténuées par la construction du pont de bacs. La mention d’un « port de A qui profite le bac ? de la Barquette, les submersions de » dès 1239 pourrait Peu de documents existent sur le va- la Sangsurière continuèrent d’impo- la Sangsurière non seulement témoigner d’un tel et-vient de la Sangsurière et on ne ser le recours à un bac. Il semble va-et-vient mais aussi se rattacher à sait pas clairement qui en détenait même qu’au mépris de l’exploita- ; elle suggèrerait alors un les droits. L’abbaye de Blanchelande tion agricole des marais d’amont, le Hautmesnil passage d’eau d’importance, plutôt qu’un simple bac à bestiaux. D’autres franchissements ont égale- ment pu exister plus à l’ouest, depuis Plan de la rivière Douve, 1760 (détail) le Port de Varenguebec, où à l’est, en direction de l’Ingrehou. 18 19 « ce passage [la Sangsurière] siècle : Les Veys », BSAN, t. LX, 1992 (1967- Sert de Communication à Un chemin de bois La chaussée Un passage délicat 1989 (I)), p. 175-217]. une infinité d’habitants des Durant l’Ancien Régime (xvie – L’inconfort et les risques du passage La mise en œuvre de « chemins de Communes Environnantes [ainsi xviiie siècles) la chaussée de la par la Sangsurière étaient alors tels bois » à souvent permis de franchir qu’] aux Voyageurs des Villes Sangsurière était dans un état qu’ils imposaient de se constituer des terrains marécageux, tourbeux de la Sangsurière de Cherbourg Coutances etc. » si déplorable qu’en 1689, une des chemins de fortune ! ou humides. Connus depuis le (« séance du 19 nov. 1824 : Etat des chemins néolithique, ils étaient constitués Vicinaux, Communaux ou Ruraux traversant carte du diocèse de Coutances la Commune de Doville », Commune de ne la mentionne même pas. « on trouve continuellement d’éléments posés au sol, suppor- Doville. Registre des délibérations du Conseil des abimes, qu’on ne peut tant parfois des panneaux de bois Municipal. Enregistrement des séances du franchir qu’avec la précaution ainsi surélevés de la surface du Elle s’avérait d’autant moins 14 mai 1822 au 27 nov. 1831). de les couvrir de clayes, et marais et, dans les cas les plus praticable qu’au lieu d’être en dés qu’il a un peu pleu, toute complexes, maintenus par des surplomb, elle se trouvait alors la chaussée est noyée, de pieux enfoncés sur leurs bords ou « enfoncée en dessous de la manière qu’on ne passe plus en travers. » (« Plan du superficie du marais que dans un mauvais bac » cours de la Rivière Douve[…] », c.1760 Entre monts (Charles de Ménil-Durand, « Mémoire Arch.Nat., N 11 Manche 17). Séparant le marais de la Sangsu- XVII, 1771. Rapport remis par monsieur rière de celui de l’Adriennerie, la Lefebvre », Arch. dép. Calvados, C 4040) chaussée de la Sangsurière ouvre Cette situation aberrante, Reconstitution d’une chaussée de bois Ce recours à une technique aussi soudainement, à la descente aggravée par les effets du fot, préhistorique, marais du Somerset rudimentaire évoque les fascines* de coteaux pentus, d’amples n‘avait rien d’exceptionnel : utilisées par les militaires en cam- perspectives. Les silhouettes Vauban lui-même avait remarqué pagne : au xviiie siècle, le Génie bombées des monts de Doville ces « chaussées fort basses qui envisageait ainsi de recourir aux et d’Etenclin, et celles plus sont presque deux ou trois pieds fagots du bois de Limors pour, lointaines des monts de Taille- sous l’eau » (Sébastien le Prestre de au besoin, faciliter la traversée pied et Besneville, accentuent Vauban, « lettre du 20 juillet 1686 », f°11- de l’Ouve au perray d’Etienville le contraste entre les prairies 12, Bibl. mun. Cherbourg, ms 580). planes du marais et le relief des [cf. Hubert, « Les difficultés de circulation e e paysages moutonnant (bocage, entre le Bessin et le Cotentin du xviii au xix landes et bois) à l’entour. Sa construction, engagée à la fin du xviiie siècle, ne fut achevée qu’au milieu des années 1830. Reliant les bourgs de Saint-Sau- veur-le-Vicomte et La Haye-du- Puits, elle s’est substituée à un itinéraire plus sinueux qui pas- sait déjà par la Sangsurière. En concurrence des passages par le Pont-l’Abbé ou, antérieurement, par le perray d’Etienville, situés environ 10 kilomètres en aval, il offrait l’opportunité d’un contour- nement de la vaste dépression qui barre le Seuil du Cotentin 20 21 « Le chemin vicinal de la Haye du Puits a Saint Sauveur le Vicomte, dit le Grand Au sud, à l’exception des 300 pre- sud pour traverser la rivière sur la chés pour voitures », valait alors chemin, part du bourg de la Haye du Puits, traverse les communes de Saint miers mètres, le parcours différait Vive-Planche et poursuivre vers la principalement « pour le trans- Le grand Simphorien, Neufmesnil, St Nicolas de Pierre-pont, Doville (arrondissement de bien plus de l’actuel, tracé au plus Haye-du-Puits. port et l’emploi sur le port de Coutances) et Saint Sauveur le Vicomte arrondissement de Valognes. Ce chemin court au mépris du relief : montant Cherbourg et dans sa rade des existe de temps immémorial.» (« séance du 8 avril 1823 : Etat des chemins Vicinaux, Communaux vers le sud-ouest par les carrefours bois considérables de la forest Une route très utile chemin ou Ruraux traversant la Commune de Doville », Commune de Doville. Registre des délibérations du Conseil Grand Bosc et Turin, le vieux che- de Bricquebec ». Municipal. Enregistrement des séances du 14 mai 1822 au 27 nov. 1831) min gagnait la Grange à dîme de En 1783, cet axe relevait à la fois La seconde devait surtout offrir Doville (village de l’église actuelle) de la « route de communication « la faculté de faire défiler en temps puis accompagnait à peu de dis- n°8 », dite « de Cherbourg à St Malo de Guerre sur deux colonnes les Un axe ancien ? tance la vallée du Buisson orientée et Brest par Bricquebec, la Haye- troupes destinées à la garde de la nord-est / sud-ouest ; approchant du-Puits, Lessay, Coutances, Cé- . On ajoutait alors : Communément attribué à des axes presqu’île » « Il du mont de Doville, il bifurquait au rences, la Haye-Pesnel, n’y a aucune plantation régulière d’origine antique, les qualificatifs Saint- Sauveur- et » et de la n°24, « Route sur cette route. Elle est traversée de « Grand Chemin » et de « che- le- Vicomte de Valognes à Coutances par St- min du Roi » parfois attribués au par 15 ponts dont un seul à la Mont de Besneville Sauveur-le-Vicomte, la Haye-du- , en l’espèce celui chemin de Saint-Sauveur à La charge du Roi » Puits et Lessay formant une route de Saint-Sauveur dont les dimen- Haye-du-Puits pourraient témoi- l'abbaye Mont de Taillepied de communication de Cherbourg en sions et l’ancienneté imposaient gner de son appartenance à un la croix montbroquin Basse-Bretagne ». (Tableau des routes et de fréquentes réparations. réseau majeur très ancien. Toute- la méloquerie embranchements de la Généralité de Caen de fois, bien que réputé exister « de Au début du xixe siècle, l’état et 1783 (Arch. dép. Calvados, C 3448). temps immémorial », ni la topony- le gabarit du chemin n’étaient mie, ni la voirie et son parcellaire La première, bien qu’annon- toujours pas à la mesure de son cée devant « ouvrir des cantons importance et d’un intérêt straté- riverain n’assurent de l’antiquité le hautmesnil Catteville du franchissement. Neuville- fort riches et très fertiles dans gique qui ne s’est jamais démenti. en- Beaumont le Cotentin et l’Avranchin [qui] manquent absolument de débou-

Un tracé conservé Bois de Limor Saint- Porté sur les premiers atlas cadas- Sauveur- de- Varenguebec traux de Doville (1811) et Saint- Pierrepont St-Sauveur-le-Vicomte - Route de la Haye-du-Puits

Sauveur-le-Vicomte (1829), le vieux le carrefour turin chemin de Valognes à Coutances Doville par la Sangsurière survit encore Saint- Mont de Doville en totalité. Quittant Saint-Sauveur Nicolas- de- Mont d'Etenclin par les petits pavés de l’abbaye par Pierrepont l’une des portes de l’enceinte qui, au Moyen-âge, fermait le bourg, il Neufmesnil filait vers le sud-ouest parla Croix Montbrotin, puis la Méloquerie où la route actuelle le coupe ; traver- sant la lande de Hautmesnil, il

prenait ensuite aux Grandes Rues oquebeuf br le (actuel Hautmesnil) une direction Ancienne route Saint-Sauveur/Coutances sud-est pour aboutir, comme au- Ancienne route Saint-Sauveur/la-Haye-du-Puits jourd’hui, à la Sensurière. Bac de la Sangsurière, v1 Bac de la Sangsurière, v2 La Haye-du-Puits

22 23 Le vieux chemin « dans ce pays où je suis, si vous La reconstruction du pont Un incident survenu à la Révolu- entendez dire que je suis noyé, il ne du Gorget « la portion de ce chemin connue tion témoigne de sa dangerosité. faudra pas vous en étonner car pour Une chaussée rompue sous le nom de chaussée de la En 1791, l’évêque constitution- en sortir, il faut traverser un quart Le bac de la Sangsurière officia Sanssurière est souvent couverte nel de Coutances, en tournée, de lieue dans l’eau jusqu’au ventre jusqu’à ce qu’à la Révolution, par les eaux, de manière que les passe par la Sangsurière. Son de mon cheval et sur une chaussée l’Administration ne consente à y communications sont interceptées équipage s’y embourbe et, sous étroite bordée de fossés profonds et reconstruire un pont. Hélas, la tous les hyvers pour les voya- l’œil indifférent voire hostile fangeux » (lettre du 10 mars 1827, citée par perte des archives nous prive de geurs étant à pied et que souvent des riverains, le prélat ne se M. Guilbert dans Charles de Gerville, Voyage précisions tant sur l’ouvrage que ceux étant à cheval sont arretés tire de sa très fâcheuse posture archéologique dans la Manche (1818-1820) I. sur le chantier. Il est même pos- pour l’abondance de l’eau qui s’y qu’au prix d’un humiliant bain Arrondissement de Cherbourg, Saint-Lô, Société sible qu’on le remplaça une qua- d’Histoire et d’Archéologie de la Manche, 1999 trouve dans le temps des pluies » de boue. rantaine d’années plus tard. (Etudes et Documents), p. XXXXV). (« Commune de Doville. Registre des Le souvenir de cette chaussée délibérations du Conseil Municipal. Séances De façon classique, la construc- du 6 vendémiaire an XI [28 sept. 1802] au ruinée devait offrir à Barbey tion fut entreprise à l’écart du 2 mai 1812 », « séance du 19 nov. 1824 », d’Aurevilly un décor d’un goût cours du Gorget. Les fouilles Arch. mun. Doville) suffisamment dramatique et pour sa fondation mirent à jour romantique pour qu’en 1864, il les restes de l’ancien pont, sur y fasse passer les protagonistes lequel, semble-t-il, on put as- d’Un Prêtre Marié. seoir le nouveau. Le cours anté- rieur des eaux, condamné par les arches effondrées, fut ainsi réta- bli en même temps que son fran- chissement. La topographie de la « Il repassa la Sangsurière, un peu vallée laisse toutefois croire qu’à au-delà de laquelle il avait conduit la Sangsurière, ce cours retrouvé « Lorsqu’on a construit la chaussée Sombreval, espèce d’abîme de li- résultait lui-même d’un premier de la Sansurière, l’on a senti mon perfide et dangereux qu’il détournement probablement opé- qu’un pont était nécessaire à ré déjà pour les besoins du pont fallait traverser sur une chaussée l’écoulement des eaux […] et l’on perdu, au plus près du coteau. rompue, dont les pierres s’écrou- a jugé que ce n’était pas au milieu laient sous les pieds des che- des eaux, sur des terres sans vaux. » (Jules Barbey d’Aurevilly, Un Prêtre fonds, qu’il fallait l’asseoir, l’on a e xix siècle : Marié, Œuvres complètes, t. I, Gallimard, Bibl. préféré le construire sur les terres de la Pléiade, Paris, 2003, p. 1112). sèches de Saint-Sauveur […]. un pont sans chaussée Il en a résulté la nécessité phy- La reconstruction du pont du sique d’établir un nouveau cours Gorget ne suffit pas à améliorer aux eaux, qui a débordé nos terres la situation de la Sangsurière. Le cultivées, l’ancien cours de la Ri- pont dispensa en effet du bac, vière de Neuville s’est rempli mais mais, comble d’incohérence, les racines des plantes aquatiques l’absence de travaux à la chaus- et le dépôt de limon indiquent en- sée maintint le passage dans core lecture où existait l’ancien une situation catastrophique. canal. » (« séance du 18 juillet 1828 », Les traversées y restèrent dif- Registre des délibérations de la Commune de ficiles et périlleuses, y compris Saint-Sauveur-le-Vicomte : 13 sept. 1823- pour les cavaliers. 10 oct. 1832) 24 25 « Que de travaux il a fallu pour donc un débouché superficiel L’exhaussement de la chaussée ment celles de la Fière sur le solidifier ce terrain mouvant où Merderet et de Beuzeville sur la d’environ 12 m2. Bâti en pierre de la Sangsurière eut donc pour les pilotis s’enfoncent par leur La chaussée moderne de taille, il portait un pavé long effet d’opposer un barrage aux Douve), la nouvelle levée n’of- propre poids, où les pierres de près de 5,70 mètres ainsi que eaux de surface ; la fréquence, frait en effet qu’un seul exutoire, descendent et disparaissent dans des trottoirs protégés par un pa- la hauteur et la durée des crues placé de surcroît à l’extrême la vase tourbeuse ! L’eau filtre rapet. « il serait Inutile de porter des Le phénomène a été observé de s’en trouvèrent augmentées, au nord : le pont du Gorget. Peut- sous cette croûte molle incapable pierres sur cette Chaussée avant façon spectaculaire à l’occasion détriment de l’exploitation des être encore reconstruit à cette de supporter la charge du ballast, que l’avoir exhaussée avec des de la construction du chemin marais en amont. occasion et dépourvu de radier, il des rails et des locomotives. A terres pour la mettre au-dessus de de fer Paris-Cherbourg, de la était constitué d’une seule arche A l’inverse de la plupart des un certain endroit, trois ponts se la supperficie des marais chose chaussée du Port de Carquebut en plein-cintre de 4 mètres de chaussées, percées de nombreux sont affaissés successivement l’un qu’il est Impossible a la Commune à Liesville, ou encore, plus ré- portée. Prolongé sur chaque rive ponceaux* de décharge (notam- sous l’autre, faisant jaillir la terre de doville d’entreprendre par la cemment, en 1973, lors de la par des ailes en retour, il offrait détrempée autour d’eux » (Théophile trop grande quantité de terre qu’il reconstruction du pont de Pont- Gautier, Quand on voyage, juin 1865, à propos du faut transporter sur cette chaus- l’Abbé : la surface du marais chemin de fer tracé dans les marais de la Douve) sée » (« Commune de Doville. Re- ne résista pas aux dépôts que gistre des délibérations du Conseil les services de l’Equipement Municipal. Séances du 6 vendémiaire an XI avaient alors constitués en vue [28 sept. 1802] au 2 mai 1812 », « séance du du contournement du chantier 19 nov. 1824 », Arch. mun. Doville) et, en quelques jours, la chaus- Un sol qui se dérobe sée provisoire fut engloutie tan- De nos jours encore, des affais- dis que d’impressionnants bour- Le sol tourbeux ne pouvant sup- sements ponctuels (entre Les relets s’étaient formés dans le porter de fortes charges, le pro- Moitiers-en-Bauptois et Pont- marais alentour... blème de l’enfoncement de la l’Abbé, abords du pont de la chaussée de la Sangsurière de- RN 13 sur la Vire…) affectent vait s’avérer presque insoluble : certaines chaussées. quand ils n’étaient pas dépla- cés ou emportés par les crues, ses rechargements ponctuels ne Un barrage hydraulique « On pense dans la contrée que le marais submerge davantage faisaient en effet qu’alourdir A la Sangsurière, la tourbe, gor- l’infrastructure. Il en était de gée d’eau, se tasse d’autant plus depuis la confection de la même à Pierrepont où l’on sous le poids de la route qu’elle chaussée de la Sangsurière. Il constatait que « cette chaussée y atteint une grande profondeur. est de fait que l’eau provenant s’enfonçant toujours a besoin On peut donc supposer, au re- de ce marais, étant arrivée à la d’être fréquemment rechargée ». gard de l’ancienneté du fran- chaussée, est forcée de revenir au chissement, que les matériaux pont de la Sangsurière en suivant un canal qui longe cette même e s’y sont accumulés sur une hau- Au début du xix siècle, la mu- r teur telle qu’ils opposent désor- chaussée » (D le Chanteux, « Tableau de nicipalité de Doville attendait bord des marais du Canton de la Haye-du- donc impatiemment l’applica- mais un barrage aux eaux souter- Puits », Annuaire des cinq départements de tion du projet du nouveau che- raines. l’ancienne Normandie publié par l’Association min de la Haye-du-Puits à Saint- La présence dans les parcelles Normande, t. 11, 1844 (1845), p. 427-441) Sauveur-le-Vicomte, condition adjacentes de bombements pa- à la mise en œuvre du chantier rallèles a même pu apparaître tant attendu de réfection de la comme le résultat de la pression chaussée de la Sangsurière. exercée par ses remblais. 26 27 « Lorsqu’une route traverse un Une possible construction en effet mis à jour des files de ignore comment, vers 1833, fut comme de coutume, par la planta- du fascinage, celui de se laisser marais, et en général lorsqu’elle pieux, coiffées d’un « gril à bandes constituée sa chaussée neuve. Eta- tion de deux rangées de peupliers. traverser par l’eau. Peut-être est- est placée sur un sol tourbeux ou sur fascines* transversales, larges et peu éloi- blie sur l’ancienne, il est probable La solution d’une assise flottante ce la cause du succès partiel de de peu de consistance, on l’établit Les traités d’ingénierie recom- gnées les unes des autres » qui qu’on se contenta de surélever la reste appliquée de nos jours, non ces derniers chantiers. quelquefois sur un grillage en mandaient de recourir sur certains contenait et supportait l’empierre- levée, au moins en partie, avec les plus avec du bois mais avec... des Celui de la Sangsurière fut en bois ou sur un fascinage ; à moins chantiers à des lits de fagots ou ment de la chaussée et du gué en déblais des tranchées creusées pneus : les chaussées de Tribe- revanche une réussite et Barbey qu’on ne préfère recharger à loisir fascines. Préservés de la décom- prolongement et que des archéo- dans les coteaux riverains. Ele- hou (marais de la Taute), Gorges d’Aurevilly dut être le seul à re- les remblais en terre ou cailloutis, position par une immersion per- logues ont depuis fouillés. vée « à une hauteur considérable (Sèves) ou Pont-l’Abbé (Douve) gretter les anciennes fondrières ! à mesure qu’ils s’affaissent. » manente, ils offraient une légèreté Semblable technique fut égale- au dessus du sol », elle nécessita ont été restaurées de cette façon. (Joseph-Mathieu Sganzin, Programme résumé et une souplesse aptes à absorber ment retenue pour la construction l’aménagement d’une rampe d’ac- Toutefois, faute de ponceaux en des leçons d’un cours de construction avec des mouvements de terrain, tout cès au marais de et nombre suffisant, cette solution des applications tirées spécialement de l’art en 1857-1858 du chemin de fer l’Adriennerie de l’ingénieur des Ponts et Chaussées, Paris, en assurant une meilleure réparti- Paris-Cherbourg pour lequel, écri- fut en outre jalonnée et contenue, ne possède pas l’un des avantages Carilian-Gœury et V. Dalmont, 1839 (4e édit.). tion des charges. vait l’instituteur de Carquebut en Connue de longue date, la tech- 1913, on dut « enfouir une forêt », « Pris la route de la Haye-du-Puits, nique du grillage a été utilisée et pour celle de la Route Prusse qui est devenue très belle, comme dès l’époque antique dans les à , fondée, comme son toutes les routes de ce pays ; mais marais de la Douve pour asseoir la nom l’indique, pendant la guerre moi j’aimais mieux les ornières voie reliant Cosedia (Coutances) de 1870 sur des lits de fascines. pleines de périls de ma jeunesse. » à Alauna (Valognes). Vers 1835, Les archives du chantier de la (Jules Barbey d’Aurevilly, « vendredi 16 dans les prairies d’Etienville, fut [décembre 1864] », Memoranda. Œuvres Sangsurière étant perdues, on complètes, t. 2, Edit. Gallimard, Bibl. de la Pléiade, Paris, 2003, p. 1120).

Dessin interprétatif du long-pont d’Etienville

28 Fouilles de la chaussée d’Etienville 29 La chaussée de Pierrepont

Longue d’à peine 300 mètres, la chaussée de Pierrepont profite d’un rétré- cissement marqué de la vallée du Gorget. Limite communale entre Doville et Saint-Sauveur-de-Pierrepont, elle partage le marais en deux, séparant la Sangurière ou marais de Doville, à l’est, de celui de Pierrepont, à l’ouest. Aujourd’hui très secondaire, la chaussée de Pierrepont eut un intérêt suffisamment considérable pour motiver - en témoigne son nom - la construction précoce d’un « pont de pierre » mais aussi, à diverses époques, sa mise en défense. Confirmée par la convergence de chemins antiques, l’ancienneté du passage attira tôt l’attention des historiens et archéologues.

Des origines intrigantes Dès le xviie siècle, Toustain de Billy prétendit qu’un monastère avait existé au viiie siècle à Pe- treo ponte, annonçant ainsi la présence d’un pont dès cette époque. Dépendance de Fonte- nelle, abbaye de la Basse-Seine (aujourd’hui Saint-Wandrille), le prieuré de Pierrepont aurait été Carte du diocèse de Coutances, 1689 (détail) le lieu du séjour et du trépas de Un point de convergence doit son nom aux Bertrand, sei- A l’est, venant de Saint- deux de ses abbés. gneurs de Bricquebec, auxquels Néanmoins Pierrepont fut très Au début du xixe siècle, Charles les ducs de Normandie avaient Sauveur-le-Vicomte, tôt un point de convergence jus- de Gerville ajoutait que « les concédé cette « charrière ». Il Cependant, fondées sur des tifiant à la fois la construction le chemin de la tangue Mérovingiens y avaient une mai- comprenait trois parties cou- sources ambiguës et colportées précoce d’un pont de pierre et Traversant le ruisseau des son royale » qu’il situait au Hot. rant sur près de 85 km de part sans guère de critique, ces as- sa fortification, ainsi que la fon- Moulineaux par la chaussée L’hypothèse d’une place de pre- et d’autre de Bricquebec. Les sertions n’ont jamais été prou- dation à son débouché d’un éta- du moulin de Neuville, attesté mier rang au Haut-Moyen-âge deux premières traversaient le vées. L’identification des lieux blissement religieux, voire d’une dès le xie siècle, il offrait une est encouragée par la proximité Cotentin d’est en ouest et la troi- demeure incertaine : si une agglomération. En attesteraient alternative au passage par la de Portbail où furent découverts sième, dite « grand chemin du charte de Charles le Chauve, en des découvertes archéologiques Sangsurière. La mention d’un des vestiges antiques et méro- pont Saint-Paul rendant à Pier- 854, reconnaît bien à Fonte- faites au xixe siècle près de la Îlet du Vey, laisse suspecter un vingiens, et par celle de Saint- repont », quittait la baronnie de nelle la propriété d’un domaine ferme dite du Bourg. tracé antérieur ou concurrent, Sauveur-le-Vicomte, née du Bricquebec, traversait la Scye, de Pierrepont, l’endroit pourrait perdu de très longue date, rétablissement des attributs de et la Saudre, pour aboutir au plutôt se situer au nord de la prenant appui au sud sur un gué Pierrepont (marché, juridiction) Gorget. Cette branche couvrait Seine. Alors même que Fonte- Au nord, venant (« vey ») reliant, à travers l’anse après les invasions scandinaves. donc un tronçon de l’ancienne nelle devait hériter en Cotentin de Catteville, le Hamel à l’îlot de Bricquebec, voie de Coriallum (Cherbourg) à des biens de l’abbaye de Nantus d’Inguehou. A l’époque féodale, Condate (Rennes), via Cosedia (aujourd’hui Saint-Marcouf-de- la Querrière Bertran celui-ci aurait porté une motte (Coutances) l’Isle), aucune source écrite ne Appuyé sur des tracés d’origine castrale* qui présentait encore Carte du diocèse de Coutances, 1689 (détail) lui prête de possessions locales. antique, ce « grand chemin » des pans de murs au xviiie siècle. 30 31 Cette liaison entre les deux Saint- La chapelle du Maur (Saint-Sauveur-de-Pierrepont) A l’ouest, reliant La chaussée rompue « il serait interessant d’établir Sauveur correspond sûrement au au moins une communication Aussi anciens et importants fu- chemin « tangueur » qu’un aveu Moins d’un kilomètre au nord du marais de Pierrepont, se dressait au bord Pierrepont à la côte, le provisoire dans un païs […] rent-ils, les ponts et chaussée de de 1528 reconnaît aux vicomtes d’un chemin venant de Barneville une chapelle dite Notre-Dame-du-Maur ou sauvage et à peine accessible chemin « des Illemans ». Pierrepont connurent le même et que les riverains devaient en- du Maure. Son nom fut corrigé par erreur en « Mort », laissant croire à une cha- pendant les saisons de l’année Ce nom, au sens « des insu- sort que ceux de la Sangsurière tretenir. Leur donnant accès aux les plus sèches. Elle mettroit en pelle funéraire. En réalité, il doit être rapproché de l’ancien français more et laires », pourrait témoigner de et de la plupart des marais, si tangues de la Côte des Îles, cette état d’attendre l’Exécution de la de l’anglais moor signifiant « tourbière », « marais », « lande ». Ce dernier sens, son usage par ceux des îles anglo- ce n’est qu’il semble n’y avoir voie entrait donc en concurrence grande route qui lierait entre elles normandes. Ce chemin emprunte jamais eu de bac. La traversée avec la Douve et le Gorget par ainsi que pour Limors, le bois de Varenguebec, convient mieux à la situation touttes les parties de l’ouest de encore localement un petit pont se faisait à gué, à cheval de pré- lesquels remontaient les tangues du sanctuaire : la chapelle avait été érigée en 1369 au Hamel du Maur, aux la presqu’île et qui traverseroit la aujourd’hui qualifié de « romain ». férence, et par une chaussée de la baie des Veys. abords de l’actuel écart de La Lande. Convertie en école en 1829 puis détruite Sangsurière » (Ibid.). Bien moderne en réalité, cet ou- qui, aussi basse et dégradée par un incendie vers 1860, elle fut remplacée en 1899 par un oratoire dédiée vrage a été restauré avec les re- que celles d’aval, présentait les à Notre-Dame... des Marais. liquats d’un remembrement qui mêmes dangers, comme en té- eut pour effet de… détourner le moignent les accidents dont fu- cours d’eau qui passait dessous. rent victimes bêtes et hommes : Un embranchement de ce che- en 1704, un curé de Besneville min côtier, à destination de Car- s’y noya. teret, via la chaussée d’Ollonde, passait par la chapelle du Maur. Le pont neuf Lassés de réclamer en vain le rétablissement du chemine- ment indispensable à leurs com- « Comme cette routte anciennement merces et digne du nom de leurs construite est toujours couverte localités, les paroisses riveraines Le nouveau pont est achevé à depuis deux jusqu’à quatre pieds engagèrent d’elles mêmes, à la l’automne 1788. En dépit des e d’eau qui empesche d’en voir le fin du xviii les travaux qui s’im- précautions prises, l’inconsis- fond, qu’à la longue il s’y est formé posaient. En 1784, les gens de tance du sol devait condamner des trous ou cavitées et qu’enfin Saint-Nicolas et Saint-Sauveur l’ouvrage : au milieu des années il y a de droite et de gauche des commencèrent à déposer sur 1930, après presque 150 ans de espèces de précipices, ce passage la chaussée enfoncée le caillou loyaux services, des fissures me- est très dangereux, au point que fourni par le marquis de Sainte- naçantes imposèrent son rem- plusieurs fois il y a péri des gens Suzanne, seigneur du lieu. placement. Comme à la Sangsu- et souvent des bêtes » (« Demande de L’intendant de la Généralité de rière, un nouveau pont fut donc la construction de deux ponts », 20 oct. 1785, Caen, sollicité pour le finance- bâti à l’écart du cours d’eau, Arch. dép. Calvados, C 4350) ment des deux ponts, procéda en 10 mètres plus près des terres 1785 à une enquête qui recon- sèches de Saint-Sauveur. nut d’autant mieux l’intérêt du chantier qu’il permettait d’ajour- ner celui des pont et chaussée de la Sangsurière !

32 33 « De tout cela il resulte néces- et était reliée par un pont à des L’ensemble des passages du sairement que dans le paÿs en La guerre de Cent Ans bâtiments de la rive sud. Celles Seuil du Cotentin semble avoir Des passages stratégiques question les grands chemins et (1337-1453) érigées à Pierrepont sur le Gorget, été protégé : on peut donc et sur l’Ouve pou- s’interroger sur le silence des fort spacieux ne conviennent La guerre de Cent Ans, particuliè- au Pont-l’Abbé vaient être comparables. La « bas- textes à propos de nullement estant sujets a des rement marquante dans « le Clos la Sangsu- tille » de Pierrepont, qui devait . L’état du franchissement, inconvénients trop préjudiciables de Constantin », terrain de rière mées qui se sont succédées ici se jouxter la chaussée, voire, comme en particulier la ruine du pont, Ponts coupés ou fortifiées au bien du Service du Roy et à fréquents et de longues périodes sont efforcées de couper les ponts. à Beuzeville, le cours de la rivière, empêchaient probablement d’y Le passage de la Sangsurière té- la Seureté du mesme paÿs, et d’occupation, a entraîné la ruine fut une pièce maîtresse du siège passer, dispensant donc de le moigne des problématiques rela- que l’on ne doit avoir en vüe que de nombreux ouvrages. Le Pont qui devait aboutir, le 3 juillet contrôler. tives à la desserte de la presqu’île Dans la seconde moitié du de rendre ceux qui y sont assés d’Ouve sur la rivière qui lui donne 1375, à la reddition des Englois du Cotentin : bacs, ponts et chaus- xviiie siècle, un Mémoire sur les praticables et suffisans pour le son nom et, sur la Vire, le Pont- de Saint-Sauveur-le-Vicomte. sées s’y sont en effet succédés. grands chemins qui se pratiquent bien du commerce, se gardant très Hébert et celui de Saint-Fromond, actuellement dans le Costentin religieusement de faire construire furent rompus par les Français insistait encore sur l’intérêt stra- des ponts ny chaussées sur les eux-mêmes. D’autres, comme Une note de la fin du xviie siècle tégique de limiter les accès à la marais et rivières qu’aux lieux celui de la Sangsurière, le furent précise que non seulement un bac Eglise de Saint-Nicolas-de-Pierrepont presqu’île à quelques points es- ou ils seront indispensablement dans des circonstances incon- y était établi, mais qu’il palliait la sentiels et faciles de contrôle. nues. Trois siècles après la fin du destruction d’un pont maintenu necessaires pour l’utilité absolüe conflit, beaucoup, comme àPont- délibérément en ruines ! Le texte du commerce ou pour des besoins l’Abbé et Chef-du-Pont, n’étaient ne parle que de chaussée, mais très pressans » (Arch. dép. Calvados, C 3448). pas encore reconstruits. l’existence de l’ouvrage est impli- cite et se trouve confirmée par la D’autres franchissements furent découverte de vestiges lors de sa mis en défense. Au milieu du tardive reconstruction. xve siècle, les principales entrées, à commencer par celle de Saint- Sauveur-le-Vicomte, se hérissent Cette destruction répondait à de forteresses. Des manoirs oc- des impératifs stratégiques que cupés par des chefs militaires, tel l’Histoire n’a jamais contredits. celui de Garnetot, en amont du Bien avant les destructions de confluent du Gorget, et de Maisy, juin 1940 et juin 1944, les ar- en bordure de la baie des Veys, furent fortifiés, ainsi que les clo- chers de certaines églises. L’un d’eux, à Saint-Nicolas-de-Pierre- pont, domine encore la vallée du « Il y a un passage au travers d’un Gorget et son franchissement. marescq pour aller à St Sauveur Investis du Cotentin par le traité le Viconte ; on y passe de présent de Mantes en 1354, les Navarrais en batteau. Il y avoit autrefois une engagèrent pour leur part un pro- chaussée qui reste ruinée par gramme de construction de fortins ordre du Roy Charles Sept après en tête de pont. Il n’en reste qu’un la battaille de Formigny en 1450 » nom : Beuzeville-la-Bastille. De (Pierre Gouhier (édit. crit.), « Mémoires des plan carré et comprenant trois ni- subdélégués [« Pour l’instruction de Duc de veaux, la « bastide » se dressait sur Bourgogne »] », L’intendance de Caen en 1700, Paris, C.H.T.S., 1998). un îlot entre deux bras de l’Ouve 34 35 La guerre de 1870 culièrement armés : les coteaux La seconde guerre de Pierrepont à St Sauveur L’invasion prussienne décida nord du marais furent hérissés mondiale de Pierrepont. En occupant les autorités militaires à mettre de canons et d’obusiers. La ligne donc ces points toute invasion en défense le seuil du Cotentin : se prolongeait jusqu’à Portbail. Les troupes allemandes enva- venant de l’intérieur se ennoiement des marais pour cou- L’ensemble pouvait communi- hirent la France en mai 1940. trouverait arrêtée et Cherbourg e per la presqu’île, par la fermeture quer jour et nuit par des signaux En juin 1940, la vii panzerdi- à couvert ; il faudrait que des portes à flot de la Barquette télégraphiques envoyés depuis vision, emmenée par Rommel, l’ennemi forçât ces points et l’aménagement de fossés et de des mâts plantés sur ces po- s’enfonce irrésistiblement vers pour pénétrer dans le fond de barrages ; sitions, relayés par des postes l’Ouest. En catastrophe, les la presqu’île » (Airolles, lieutenant autorités militaires françaises d’état-major, « Mémoire sur les environs batteries d’artillerie aux points établis sur les clochers des hau- s’efforcèrent de compléter la de la Haye-du-Puits » 24 jan. 1840 ; les plus stratégiques d’une ligne teurs voisines. mise en défense de la ligne des Arch. Min. Défense Nationale, M.R. 1241 :) transversale du Grand Vey à Soixante-dix ans plus tard, des marais du Cotentin, amorcée Portbail, dotée de stations de dispositions quasi identiques au printemps 1940, d’après un Ces dispositions s’avérèrent inu- télégraphie aérienne ou électrique. devaient encore être prises, plan du Génie de 1905. tiles : les Allemands choisirent de Les abords de l’isthme du Co- avec aussi peu de succès, pour A l’inondation forcée de la basse contourner la ligne de défense par tentin, entre la côte ouest et la faire obstacle aux divisions alle- vallée de la Douve, s’ajoutait le l’ouest en passant par l’isthme. vallée du Gorget, furent parti- mandes. contrôle de ses franchissements : deux mille garde-côtes et marins et Lignes de défense de la presqu’île du Cotentin, vers 1870 une quinzaine de canons de tous Juin 40 : la bataille calibres sont répartis dans l’ur- de Pierrepont. gence sur une vingtaine de postes. Violemment arrêté, le 17 juin La chaussée de la Sangsurière au soir, à hauteur de la gare de est minée en son milieu, son Denneville, le peloton de tête de extrémité sud est fermée par la viie Panzerdivision se déporta 1944, en même temps que ceux une tranchée profonde dou- vers Pierrepont. La colonne Le sort des ponts des voies ferrées voisines. Le blée d’un barrage, et, au nord, de blindés légers y rencontra, Détruit en 1940, reconstruit pro- tablier du pont de la voie ferrée le pont du Gorget est dynamité. au matin du 18 juin 1940, bablement en bois sous l’occu- fut aussitôt remplacé par les Trois pièces d’artillerie, trois fu- l’opposition farouche d’une pation par les Allemands, le pont Américains par un pont Bailey sils mitrailleurs et une trentaine batterie postée dans l’enfilade de la Sangsurière fut à nouveau qui permit aux convois de pro- d’hommes sont positionnés pour de la chaussée, sous l’église détruit en juin 1944, victime de fiter d’une voie sans encombre- prendre la chaussée en enfilade. Saint-Sauveur. la vingtaine de bombes améri- ments latéraux. Les lieux libérés C’était là un « défilé » dont la dan- Groupés autour de deux canons caines tombées à la Libération (Saint-Nicolas ne le fut que le gerosité pour une armée en ligne et quelques mitrailleuses, ses sur la chaussée et ses abords. 5 juillet 1944), il fallut réparer avait été reconnue en 1840. 80 fusiliers marins et soldats Remplacé, comme beaucoup et d’abord sécuriser le passage : devaient contribuer, avec la d’ouvrages alors détruits, par la chaussée fut déminée durant « la ligne de ces marais bataille de , à retarder un tablier provisoire, le pont du l’hiver 1945-1946 tandis que le n’est franchissable que par la prise de Cherbourg. Une stèle Gorget fut finalement reconstruit pont, remplacé par un ouvrage quatre points qui sont autant et un canon (sans lien avec sur les culées de l’ancien, sous tubulaire provisoire, ne fut re- de défilés : 1° la route de l’évènement) posés sur les ruines la forme d’un tablier en béton construit qu’en 1957. Carentan à Valognes, 2° la de Saint-Sauveur honorent la armé de 4,20 mètres de portée. chaussée de Pont l’Abbé. mémoire de ceux tombés là A Pierrepont, le pont recons- 3° celle de la Sensurière et aux côtés du lieutenant Ramas, truit dans les années 1930 est 4° le chemin de St Nicolas ingénieur du Génie maritime. dynamité par les Allemands en

36 37 St-Sauveur-de-Pierrepont - La gare La ligne stratégique Les chemins de fer de Brest à Cherbourg : voie de à Le Gorget et ses marais sont traversés par trois anciens chemins de fer d’intérêt général : les lignes Coutances-Sottevast et Carteret-Carentan et une transversale Coutances de l’une sur l’autre. En 1860, 2 ans après l’inau- guration du Paris-Cherbourg, le Conseil général de la Manche lance une étude pour une ligne de Brest à Cherbourg. La me- nace anglaise qui avait décidé du tracé direct de Paris à Cherbourg lui conférait un intérêt straté- gique. Mais les rivalités entre les bourgades, élus et notables inté- ressés firent que le tracé n’en fut Haut de plus de 4 mètres, le arrêté qu’en 1880, et qu’elle ne terre-plein de la ligne coupe et fut livrée qu’en 1884. ferme totalement la vallée du Gorget, 150 mètres en amont de Satisfaisant finalement à des la chaussée de Pierrepont. Une intérêts plus économiques que banquette d’accès au marais militaires, la ligne ne consista de Pierrepont dut être ménagée qu’en une transversale entre les sous le pont. lignes Paris-Cherbourg et Lison- Lamballe, raccordée à Sottevast Huit trains quotidiens de voya- et . Long (73 km), si- geurs empruntaient initialement nueux et accidenté, son tracé fut cette ligne, puis trois dans le conçu pour desservir les chefs- milieu des années 60, ainsi lieux de canton de l’ouest du que, l’été, par des directs ve- Cotentin. nant de Bordeaux, Rennes et Saint-Brieuc, plus un train pour D’abord prévu en travers de Lourdes à l’Assomption. Elle de- l’Adriennerie, le franchissement vait être fermée au trafic voya- de la vallée du Gorget fut reporté geurs en 1972 puis aux mar- en amont de la Sangsurière et chandises entre 1973 et 1988 de la chaussée de Pierrepont, selon les sections. au prix d’un allongement et d’une accentuation du profil : Déclassée en 1996, la voie a été les convois venant de Sottevast cédée au Conseil général de la arrêtés à Pierrepont et Neuville Manche et convertie en 2000 en devaient faire machine arrière « voie verte ». pour trouver l’élan nécessaire au passage du flanc ouest du mont de Doville. Pont du chemin de fer sur le Gorget 38 39 Carrière du Mont Castre Dotées d’embranchements par- Glossaire ticuliers, ces industries prolon- Aveu : déclaration écrite que doit fournir le vassal à son suzerain lorsqu’il entre en possession d’un fief (par achat ou héritage). gèrent l’exploitation de la voie Bief : canal creusé pour les besoins de la navigation ou d’une installation industrielle ; portion de cours d’eau comprise entre deux après sa fermeture progressive ouvrages hydrauliques. aux voyageurs et aux marchan- Fascine : fagot ou clayonnage utilisé à des fins militaires ou hydrauliques sur les bords ou dans le fonds d’un cours d’eau. dises dans les années 1970. Fret avalant : marchandises dont le transport par voie fluviale s’opère à la descente, vers l’aval. Abandonné à son tour en 1991, Hydronyme : nom de lieu qualifiant un cours ou un point d’eau. le tronçon -Carentan de- Isthme : bande de terre étroite reliant deux terres entre deux mers. meura emprunté par le Train Lit majeur : bassin d’expansion des crues. Touristique du Cotentin jusqu’en Monoxyle : taillé dans une seule pièce de bois. 1994. Acquis par le Départe- Motte féodale : tertre artificiel sur lequel était édifié un château ou son donjon. Moulin à tan : moulin qui, par broyage, tire de l’écorce de chêne le tannin nécessaire au traitement des cuirs. ment en 1991, le tronçon Caren- Ponceaux : petit pont, d’une seule travée. tan-Portbail forme depuis 2000, Propriétaire tréfoncier : propriétaire des fonds et tréfonds (sous-sol) d’un terrain. avec la Sottevast-Cambernon, Tangue : mélange de sédiments fluvio-marins, minéraux (calcaire) et organiques, que les courants déposent dans les estuaires « les voies vertes du Cotentin ». de la Manche.

Pour en savoir +

Le pont ferroviaire sur la Sèves, à Baupte

Le chemin de fer de de Carteret à La Haye-du-Puits fut inauguré en 1889, et celui NATURA 2000 Carteret à Carentan : de la Haye-du-Puits à Carentan Flore et végétation des marais Les oiseaux nicheurs des prairies humides Collection “Connaissance” Prix public : 5 € Prix public : 5 € une voie anglo-normande en 1894. Gratuit Le projet d’une ligne traversant le Ces publications sont disponibles à la boutique de la Maison du Parc. Cotentin, souhaité par le Dépar- Un total de 43 kilomètres d’une tement dès 1861 mais contesté voie unique, bientôt empruntée par les Chambres de Commerce par une dizaine de trains quo- de Cherbourg et Granville, fut tidiens, mettait ainsi la côte et tout aussi laborieux à mettre en ses stations à 8 h 30 de Paris. oeuvre. A l’inverse de la ligne Son ouverture aux marchandises stratégique née de la menace en 1896 lui conférait l’intérêt des Marais du Cotentin et du Bessin anglaise, la ligne de Carteret industriel escompté, transpor- Dépôt légal à parution : septembre 2012 - Tirage : 1000 ex. servait les intérêts étrangers, en tant, à Lithaire, les grès du Mont Textes : B. Canu, C. Binet - Illustrations : Archives nationales, atelier photographique des archives nationales : couverture, p. 18 (NIII assurant un débouché et une Castre, et, à Baupte, la tourbe Manche 11) ; Service historique de la défense p. 10 (J10C 498) ; BNF : pp 4 (MS 6457), 36 (MS_6457) ; IGN carte d’état major : pp 6, 13 ; IGN carte de Cassini : pp 13, 32 ; Musée de Normandie : p. 9 ; Archives départementales de la Manche : pp 10 (6Fi_99_304), 11 desserte ferroviaires à l’archi- des marais de Gorges. (6Fi_99_286), 23 (6Fi 551-336), 30, 34 (6Fi 52-9), 39 (6Fi548-1), 40 (6Fi 36-6 et 6Fi 343) ; Michael Roche : p. 3b ; pel anglo-normand. Le projet C. Binet, PNRMCB : p. 7 ; B. Canu p. 39 ; L. Jeanne (GRAC) ; L. Vipard : p.28 ; Thierry Houyel : pp 3a, 5, 15, 17, 19, 20, 21a, 23, 24, 27, ne fut arrêté qu’en 1886 et réa- 29, 37 ; Sommerset Conty Council p.21b lisé en deux temps. Le tronçon Carte issue des fichiers BD TOPO® - © IGN 2011, PnrMCB®-2012 Imprimé sur du papier PEFC avec des encres végétales par l’imprimerie Le Révérend à Valognes. 40 CULTIVER NOTRE APPARTENANCE AU TERRITOIRE POUR ÊTRE ACTEURS DE NOTRE PROJET

Parc naturel régional des Marais du Cotentin et du Bessin

Maison du Parc 3 village Ponts d’Ouve - 50500 SAINT-CÔME-DU-MONT Tél. 02 33 71 65 30 - Fax. 02 33 71 65 31 - [email protected]

Siège administratif 17 rue de Cantepie - 50500 LES VEYS Tél. 02 33 71 61 90 - Fax. 02 33 71 61 91 - [email protected] www.parc-cotentin-bessin.fr

Commission syndicale de la Sangsurière