Le Pays de MARTIGNE-FERCHAUD

Yves BRETON

LE PAYS DE MARTIGNE-FERCHAUD

THOURIE, FERCE, EANCE, COESMES, . PAROISSES DE HAUTE-BRETAGNE

Préface de Xavier FERRIEU

Chez l'auteur : La Nouette - 35160 MONTFORT-SUR-MEU La loi du Il mars 1957 n'autorisant au terme des alinéas 2 et 3 de l'article 41, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite » (alinéa 1er de l'article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contre-façon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code Pénal. © YVES BRETON. 1985. PREFACE

Depuis quelques années, on assiste à un spectaculaire renouveau d'intérêt pour l'histoire, dont le public n'a jamais été aussi large, grâce en particulier aux médias qui multiplient évocations et films historiques. Face à une société résolument tournée vers l'avenir, nos contemporains sentent confusément le besoin de s'enraciner quelque part, de se passionner pour le passé, leur passé. Les associations de généalogistes voient le nombre de leurs membres augmenter cons- tamment, les archivistes et les bibliothécaires en savent quelque chose...

Si la chronologie historique n'est plus à l'honneur dans nos écoles — ce qui a pour conséquence d'effarantes lacunes chez les jeunes — de plus en plus de personnes s'enthousiasment pour l'histoire générale, nationale et locale. Les fouilles archéologiques, les restaurations de monuments anciens, les créations de musées — en particulier de " pays " — trouvent dans le public un large écho, dont la presse se fait constamment l'interprète. Lorsqu'on porte attention à l'architec- ture, pourquoi ne pas jeter un regard neuf sur les si nombreuses églises, chapelles, manoirs et maisons anciennes dont notre territoire est généreusement pourvu ?

Ce goût pour le passé se manifeste aussi au niveau local par l'édition de monographies communales. Le mouvement avait été amorcé à la fin du siècle dernier par des chercheurs du cru et par des vicaires historiens dans leurs bulletins paroissiaux. Prenons l'exemple d'ouvrages parus ces dernières années : l'histoire de Château- giron a été étudiée par l'abbé Legoux et J. Méril, Argentré-du-Plessis par Yves Durand-Noël, Châteaubriant par Alain Racineux, Saint- Coulomb par l'abbé Auffret, Saint-Guyomard par le docteur Mahéo, Plurien par Pierre Amiot, et tout récemment Montauban-de-Bretagne par l'abbé Bunouf, etc. Saluons également les rééditions, dues à des initiatives privées, d'ouvrages anciens de valeur, tels que Saint-Père- Marc-en-Poulet par Théodore Chalmel, La Gacilly par Emile Ducrest de Villeneuve, Carentoir par l'abbé Le Claire. Il convient enfin de mentionner de nombreux mémoires de maîtrise et thèses de doctorat, presque toujours inédits malheureusement, qui ont surtout étudié la démographie des paroisses, et qui sont conservés à l'Institut armo- ricain de recherches historiques de et dans les différents dépôts d'archives départementales. On ne saurait ignorer aussi les travaux des érudits locaux publiés dans les bulletins et mémoires des différentes sociétés savantes bretonnes, qui apportent une docu- mentation précieuse et presque toujours inédite.

Yves Breton, en véritable amoureux de sa commune d'origine, s'est attaché à dépouiller les nombreuses liasses d'archives, qui ont livré une abondante moisson d'informations nouvelles. Il a su aussi retrouver la trace des descendants des anciennes familles seigneuriales de Martigné qui lui ont communiqué généreusement leurs papiers, et permis de reproduire les portraits de leurs dieux. L'ouvrage qui parait aujourd'hui est une étude qui a puisé aux meilleures sources, et non une simple compilation de livres anciens, comme le sont trop souvent les ouvrages de cette nature. Il convient de remarquer tout particulièrement le chapitre sur les forges de Martigné, vivante contribution à une étude encore à faire des anciennes industries de notre province. Souhaitons que chaque commune de et de Navarre trouve un jour son historien qui ajoutera une pierre de plus à la monumentale rétrospective de notre pays. Xavier FERRIEU, Bibliothécaire-adjoint à la Bibliothèque municipale de Rennes, Archiviste-bibliothécaire de la Société archéologique d'Ille-et-Vilaine. AVANT-PROPOS

Les communes voisines de Martigné avaient la chance de connaître leur histoire. Des passionnés s'y étaient intéressés et avaient couché par écrit le fruit de leurs recherches. C'est ainsi que l'abbé Bouquay et Ernest Aubry furent les historiens de La Guerche, Henri Godivier, celui de Pouancé, l'abbé Goudé, Francis Legouais et Alain Racineux ceux de Châteaubriant, Hanry dépouilla les registres paroissiaux et municipaux de et Alfred Gernoux étendit ses investigations à Senonnes. Seules les communes étudiées dans cet ouvrage n'avaient jamais fait l'objet d'une recherche historique poussée. Il nous a paru bon de combler cette lacune, d'autant plus que, natif de Martigné, nous étions mieux à même d'y situer les différents épisodes qui jalonnent son histoire depuis dix siècles. Située sur les anciennes marches de Bretagne, la commune se trouve « bloquée » entre les puissantes baronnies de Vitré et de Châteaubriant. Il en sera de même pour , Fercé, Coesmes, Chelun et Eancé qui verront leurs destinées associées à celle de Martigné. Faut-il en conclure que ces gros bourgs ruraux vécurent dans l'ombre et dans la dépendance de leurs voisins ? La conclusion serait trop rapide. Les pages qui suivent ont pour but de montrer qu'il en fut autrement. Que cette étude, certainement incomplète, soit une invitation pour le lecteur à s'intéresser de plus près au passé souvent méconnu de sa région.

« La France a fait la France, et l'élément fatal de race m'y semble secondaire. Elle est la fille de sa liberté. Dans le progrès humain, la part essentielle est la force vive, qu'on appelle homme. L'homme est son propre Prométhée... »

MICHELET, L'histoire de France - 1833-1844. ABREVIATIONS UTILISEES

A.D. I.-et-V. Archives Départementales d'Ille-et-Vilaine

A.D.L.A. Archives Départementales de la Loire-Atlantique

B.M. Bibliothèque Municipale de Rennes

M.C. Musée Condé de Chantilly A.N. Archives Nationales

A.D.M. Archives Départementales de la Mayenne PRESENTATION GEOGRAPHIQUE

MARTIGNÉ est un gros bourg du sud-est de l'Ille-et-Vilaine ; ses 7 410 hectares en font une des plus grandes communes du département. Sa position aux confins de la Bretagne le désigne comme un carrefour de plusieurs régions : à une dizaine de kilomètres du Bas-Maine, de l'Anjou et du Pays de la Mée, ce fut toujours un lieu de passage très emprunté qui lui vaudra d'être, tout au long de son histoire, rattaché selon les événements, à l'une ou l'autre de ces provinces. Martigné est entouré des communes suivantes : Retiers au nord-nord-ouest, Coesmes au nord-ouest, Thourie à l'ouest, Fercé au sud-est, Noyal-sur-Brutz et Villepôt au sud, Pouancé au sud-est, enfin Eancé et Forges-la-Forêt à l'est. De cette façon, la commune se trouve limitrophe du Maine-et- Loire et de la Loire-Atlantique et à un degré moindre de la Mayenne.

Du point de vue géologique, le sol de cette région est constitué d'une série de couches primaires déposées dans une mer continue et plissées ensuite en une succession d'anticlinaux et de synclinaux d'une régularité remarquable. Les plis sont orientés sensiblement nord-ouest - sud-est. On distingue les synclinaux de Poligné-Martigné, de Langan-Erbray, de Redon et les anticlinaux de Châteaubriant et de Massérac. Rappelons qu'un synclinal est la partie en creux d'un pli géolo- gique et l'anticlinal sa partie supérieure. Les sols sont à dominance de schistes argileux et ardoisiers. On y trouve du minerai de fer en abondance et même de l'or.

Le (dont l'origine du nom pourrait provenir, selon Arthur de la Borderie, du bourg de Senonnes) traverse la commune d'est en ouest, et la scinde en deux parties presque égales. Prenant sa source près de la Rouaudière, en Mayenne, il traverse Eancé avant de se jeter à Martigné dans l'étang de la Forge, appelé ainsi parce que ses eaux servaient autrefois à actionner les mécanismes des forges installées en aval. La rivière continue ensuite sa course vers l'occident en direction de Bain de Bretagne et de Pléchatel où elle se jette dans la Vilaine. Les terres sont irriguées par un réseau assez dense de petits ruisseaux. Celui du Mast, au sud, serpente au fond des vallées et le long des prairies, il traverse l'étang de Guéra et se mêle au ruisseau d'Anguillée. Ce dernier prend naissance près de la Mollière et sert de limite avec Fercé. Le ru de Saint-Morand, alimenté par l'étang du même nom, gonfle les eaux de ceux des Poissonnières et du Breil- Chevière, du côté d'Eancé. De nombreux moulins viendront se greffer sur les rives de ces cours d'eau. La forêt d'Araize, les bois de Javardan, de la Chouannière, du Bois-Guy nous rappellent que cette région fut primitivement une région très boisée. Les forêts et les étangs joueront dans l'histoire économique de Martigné un rôle très important. Il faut imaginer cette contrée beaucoup plus boisée qu'elle ne l'est actuellement. Les défrichements successifs, l'utilisation systématique du bois comme moyen de chauffage ou comme combustible pour les différents éta- blissements sidérurgiques des environs, contribuèrent à ne nous laisser que ces quelques bois.

La population actuelle est d'environ 3 300 habitants. A la fin du siècle dernier, elle culminait à 4 000. Il semblerait que l'arrêt des forges et leur démolition furent la cause de cette baisse démogra- phique, ou tout au moins un élément important. C'est en effet dans ces années-là que cessa une activité qui donna vie et prospérité à la commune pendant plus de deux siècles. D'autres activités industrielles sont heureusement venues prendre le relais, en particulier dans le secteur agro-alimentaire. La mutation technologique de la ville s'est ainsi effectuée sans heurts et contribua de cette façon à fixer une population qui reste essentiellement rurale et ouvrière.

LES TEMPS PREHISTORIQUES ET PROTOHISTORIQUES

De cette époque reculée, il ne reste dans la région que de rares témoignages d'une activité humaine. Les historiens découpent les temps préhistoriques en plusieurs périodes : la première, le Paléo- lithique, s'acheva il y a une dizaine de milliers d'années. C'est l'époque dite de la pierre taillée. L'homme s'abrite dans des grottes et chasse le gros gibier à l'aide d'outils et d'armes rudimentaires fabriqués à partir de bois d'animaux, de silex et d'os. La Bretagne ne conserve que très peu de traces de la présence de l'homme à cette époque. Il faut descendre dans des régions comme le Périgord par exemple, afin de trouver des manifestations de vie humaine.

Plus nombreuses sont les traces de l'homme du néolithique, qui va de 4 000 à 1 800 avant J.C. Notre région est fort riche en mégalithes : l'exemple le plus connu est certainement l'allée couverte de « La Roche aux Fées », sur la commune de Essé, à une quinzaine de kilomètres au nord-ouest de Martigné. Ces constructions en grosses pierres témoignent de l'ingéniosité des peuples qui habitaient notre pays. Comment furent érigés ces ensembles monumentaux ? Le secret reste encore à découvrir. i Sur le territoire même de Martigné, les exemples de monuments mégalithiques sont moins évidents. Il nous faut cependant les signaler. Bézier, dans son inventaire des monuments mégalithiques, nous pré- cise la nature de quelques-uns. Au hameau de la Ginière, en direction de Fercé, à deux kilomètres et demi de Martigné, s'élève un énorme bloc naturel de quartzite, à travers lequel on a creusé la banquette de la route et qui est connu sous le nom de « Pierre du loup ». Non loin de là, on rencontre sur une longueur de deux cents mètres, avant d'arriver à un ruisselet, cinq blocs distants entre eux de 40 à 50 m et d'une hauteur de 50 centimètres environ. De l'autre côté du ruisseau, au fond du vallon, une pierre a la forme d'une calotte applatie et semble posée. Elle a 1 m 10 de diamètre et 0 mètre 70 de hauteur. En remontant la pente du coteau opposé, on découvre d'autres blocs assez volumineux d'aspects semblables. Bézier rapporte que ces blocs pourraient être sinon d'origine néolithique, du moins des bornes romaines.

Il arrive que parfois en retournant la terre on trouve quelques haches en pierre polie, le plus souvent en dolérite. L'âge du bronze (de 1 000 à 600 ans environ avant J.C.) voit l'homme entrer dans l'âge des métaux. Il perfectionne son outillage et son armement. Il sait travailler les différents métaux, les mélanger, et confectionner de nombreux bijoux et bracelets. En 1880, au lieu-dit la Landais, un cultivateur, en labourant son champ, trouva un bracelet en or associé à une hache à talon en bronze. Le bracelet était renflé à ses deux extrémités et pesait une trentaine de grammes. Il fit partie de la collection Fornier, conseiller à la Cour d'Appel de Rennes en 1884.

Quant à la hache, elle est d'un type relativement courant : nos musées régionaux conservent en effet de nombreuses haches à douilles armoricaines de cette période.

Dès le seizième siècle, avaient commencé les invasions celtiques. Les Celtes étaient issus du peuple des « Champs des Urnes » nommés ainsi car ils incinéraient le corps des défunts et plaçaient leurs cendres dans des urnes. Ils faisaient partie de la grande famille indo- européenne et leur habitat primitif se situait probablement au sud- ouest de l'actuelle Allemagne. Ils déferlèrent par vagues successives sur l'Europe occidentale. Les premiers, les Goïdels arrivant de la Frise, envahirent et colonisèrent l'Irlande ; on y parle encore leur langue : le Gaélique. Vers le huitième siècle, les Brittons s'installèrent en Angleterre et dans le pays de Galles. Ils donnèrent à l'île un nom qui est parvenu jusqu'à nous : Inis Prydain, la Bretagne (1). En Armorique, les Celto-Belges qui dominaient alors passèrent eux aussi la Manche. Les siècles qui suivent verront ainsi l'assimilation progressive des peuples indigènes et un brassage perpétuel de cultures, techniques et civilisations.

C'est aux celtes que l'on doit la maîtrise de la fabrication du fer. La région, dont les noms de localité reflètent une intense activité autour du fer (pensons à Louisfert, Forges-la-Forêt, Fercé et Martigné- Ferchaud...), dut sans doute se lancer très tôt dans la production d'outils et d'armes de ce métal. Une étude plus détaillée concernant les origines et l'historique de la sidérurgie autour de Martigné sera développée dans le cours de cet ouvrage. Mais dans de nombreux endroits de la commune, on trouve encore une terre noirâtre chargée de scories, témoin d'une époque où l'on fabriquait çà et là son fer de la même façon que plusieurs siècles plus tard on fera localement son pain.

L'ARMORIQUE

L'actuelle Bretagne était en fait composée de cinq grandes fédérations : — La plus importante fut certainement celle des Vénètes. Son territoire s'étendait depuis l'embouchure de la Vilaine au sud, l'Oust au nord et l'Ellé à l'ouest. Sa situation sur la côte sud de l'Armorique en fit un puissant peuple de navigateurs. La capitale en était Dario- ritum (Vannes ou peut-être Locmariaquer). — A l'extrémité de la péninsule, régnaient les Osismes, ayant pour place forte Vorganium (Carhaix). — Les Coriosolites, établis entre Saint-Brieuc et Saint-Malo, avaient choisi Fanum Martis (Corseul) comme centre. — Les Namnètes, entre l'estuaire de la Vilaine et celui de la Loire, possédaient un territoire qui s'étendait au nord jusqu'aux environs de Châteaubriant. Condevicnum (Nantes) était leur capitale. — Enfin, les Riedones s'étaient fixés autour de Condate Redonum (Rennes). Comme on peut déjà le constater, Martigné se trouvait déjà aux limites de deux régions. L'appellation du nord de la Loire-Atlantique illustre bien cette position à la fois ambiguë et enviable : le pays de la Mée (Média). Notons dès à présent que les cités celtiques nommées ci-dessus inspirèrent fortement les administrateurs révolutionnaires,

(1) POISON (Henri), Histoire de Bretagne. Chatelaudren, 1954. lors de la création des départements. On y retrouve en effet à peu près la même délimitation géographique des cinq départements bretons. Ce n'est que plus tard qu'un découpage régional fort peu judicieux écartera la Loire-Atlantique de la Bretagne.

La conquête romaine. En 56 avant J.C., les Vénètes, grâce à leur expérience maritime, étaient le seul des peuples d'Armorique à pouvoir résister à l'avance des légions romaines. Mais Jules César sut profiter de la jalousie des autres cités, et, ayant fait construire une importante flotte, il vint à bout des Vénètes dans le golfe du Morbihan. Les massacres qui sui- virent furent le prélude à l'implantation romaine. Quatre ans plus tard, la défaite d'Alésia mettait un point final à la conquête de la Gaule. A partir de cette époque, la Gaule fut divisée en trois provinces : la Belgique, l'Aquitaine et la Lyonnaise. C'est à la dernière que fut rattachée l'Armorique, Tours étant la capitale.

La société, les hommes, et même le paysage se transformèrent. Les Romains mirent en place tout un réseau de voies de communi- cation entre les anciennes « capitales ». Ces voies devaient participer à la mise en exploitation des régions conquises et à une sécurisation de régions encore incertaines. Martigné fut très certainement une étape le long de l'une de ces voies. Selon Francis Legouais (1), un grand axe Angers-Rennes (Juliomagus-Condate) sillonnait la région ; il passait par Béré (Bariacum), Rougé (Rubiacum), Thourie. Au niveau de Châteaubriant, s'embranchait une voie en direction de Vitré. Cette dernière passait par Noyal-sur-Brutz en direction de Martigné. Le cadastre napoléonien (1829) comporte la mention d'un nom de lieu que l'on retrouve fréquemment le long de ces anciennes voies : la Vieille Chaussée. Ce lieu, situé près de l'étang, inciterait à croire que la voie romaine traversait le Semnon à un endroit différent de celui emprunté par l'actuelle route, où la rivière est pourtant moins large. Or, il faut savoir que la configuration de l'étang se trouva fortement modifiée par la création des forges et la mise en place d'un barrage pour utiliser la force hydraulique (en 1560, l'étang était moitié moins large qu'il ne l'est aujourd'hui). Si bien qu'à l'époque gallo-romaine, la traversée au niveau de la Vieille Chaussée devait probablement être plus facile qu'en un autre lieu. La voie se continuait jusqu'à , passait au sud de Piré, puis au nord d', en direction de Rennes (2), où elle rencontrait celle qui reliait Angers à Rennes, deuxième voie plus directe.

Soumise à une organisation militaire et économique, l'Armorique le fut aussi socialement. C'est de cette époque que date l'origine du

(1) LEGOUAIS (Francis), Châteaubriant dans l'histoire. De la préhistoire aux temps modernes. Chez l'auteur. 1983. (2) BANEAT (Paul), « Etude sur les voies romaines du département dUle-et- Vilaine », in Bulletin de la Société archéologique d'l.-et-V., 1927. nom de Martigné. Dauzat (3) nous renseigne sur ce point : c'est un gouverneur romain du nom de Martinus qui a laissé son patronyme à la ville. C'est l'hypothèse la plus répandue et la plus probable, et qui conduit à penser que Martigné fut donc le siège d'une garnison, ou tout au moins d'une petite troupe. La position stratégique de l'endroit, aux confins de deux régions, en faisant une zone « tampon », va naturellement dans ce sens. Dans quelques lieux à la désinence en « é », on retrouve la même origine latine : Aubigné viendrait du gentilice romain Albinus ; Acigné de Aquiniacus... L'implantation romaine fut assez forte dans les environs, en particulier à proximité d'établissements sidérurgiques, importants pour la production de matières premières utilisées pour la fabrication d'armes. Léon Puzenat (4) cite la découverte au début du siècle dans un puits de mine à Rougé, d'un bronze de Faustine, épouse de l'empereur Marc- Aurèle (121-181). Ce qui corrobore la thèse quant à l'intérêt que les Romains portaient aux minières et aux forges. Il existe une autre explication avancée par Madame Créhin, habitant la commune et qui s'est intéressée au problème. Martigné pourrait provenir de Mars, dieu de la guerre chez les Latins et de « ignis » (suffixe désignant feu). L'endroit aurait été l'arsenal où l'on construisait les armes de la guerre. Ce qui pourrait appuyer les dires de cette personne est un document officiel de la fin du IVe siècle, Notitia Dignitatum, cité par Léon Puzenat (4) et qui énumère les fabriques de la Gaule, et parmi celles-ci une manufacture d'armes en Armorique, aux environs de Condate.

Cette hypothèse au demeurant fort plausible devrait être étayée par d'importantes découvertes d'objets de cette époque. Or, il n'en est rien. Ce qui nous conduit à délaisser cette théorie. Il serait très intéressant d'entreprendre des recherches afin de préciser l'emplacement exact où passait la voie romaine. Mais ceci est à laisser aux archéologues et spécialistes des Antiquités Histo- riques. Un autre endroit de la commune présente quelques particu- larités troublantes susceptibles d'engager des fouilles. Au lieu-dit Taillepied, à trois kilomètres du bourg, sur une colline dominant l'étang et où la vue s'étend très loin, le sol présente des affaissements rectilignes sur une longueur d'environ ving-cinq mètres et dirigés nord-ouest - sud-est. La tradition locale et mon enquête personnelle sur les lieux mêmes font état d'un ancien sou- terrain dont on aurait rebouché la sortie suite à des chutes d'animaux. Il est probable que nous sommes en présence d'une substruction très ancienne, d'autant plus que Ducrest de Villeneuve (5) mentionne l'existence d'un souterrain dans les abords d'un château qui se

(3) DAUZAT (Alphonse), Dictionnaire des noms de lieux. (4) PUZENAT (Léon), « La sidérurgie armoricaine », in Bulletin de la Société géologique et minéralogique de Bretagne. Rennes, 1939. (5) Le collectionneur breton. 1864, p. 207-214. dressait en cet endroit à la fin du XIIe siècle. De cette galerie dépen- dèrent le sort et la destruction du château en 1183, mais nous aurons l'occasion de relater ce fait d'armes en son heure. Il n'est pas impen- sable que l'origine même de ce souterrain est antérieure à la présence du château féodal de Taillepied, et remonte ainsi au tout début de notre ère. La Bretagne est en effet la seule région parmi celles conquises par les Celtes où il existe de telles constructions. Ces structures rectilignes assez étroites, ou sortes de couloirs séparés par des châtières maçonnées ou taillées dans le roc, faisaient office de silos à céréales ou peut-être de sépultures, ou encore de simples cachettes. Les quelques exemples que l'on a pu retrouver (6) nous four- nissent de précieux renseignements sur la connaissance de l'art celtique car on y retrouve souvent des restes de poteries et de céramique. Sans augurer du résultat que pourrait donner la conduite de recherches, il serait bon que les spécialistes des Antiquités Historiques viennent y regarder de plus près.

La pénétration de la culture latine. Elle se fit principalement dans la partie orientale de l'Armorique et se développa beaucoup autour des villes. Les campagnes de l'ouest opposèrent une résistance plus vive à la romanisation, qu'elle fut sociale ou religieuse. Les zones rurales, fortement imprégnées de paganisme gaulois, constituaient une barrière à l'infiltration de la culture latine. La langue celte résista dans l'extrémité est de notre région, tandis qu'elle fit place à une langue romane dans ce qu'on appelle aujourd'hui la Haute-Bretagne ou pays gallo.

LA BRETAGNE INSULAIRE ET L'EMIGRATION

Primitivement peuplée par des races d'origine ligure, la Bretagne fut ensuite envahie par les Celtes, les Goïdels et enfin les Bretons. Les premiers se trouvèrent repoussés vers le nord (Ecosse). La conquête romaine ne sera effective et complète qu'en 84 sous le règne d'Agricola. En 122, Hadrien dressa le fameux mur qui porte son nom et qui s'étend de la Fyne au golfe de Solway, ceci afin de tenir les Pictes en respect. Mais malgré tout, la Bretagne résista fortement à la latinisation : elle garda sa langue et ses croyances religieuses. Le christianisme ne pénétra que très lentement, touchant en priorité les habitants des villes.

L'écroulement de l'empire romain, puis le repli des légions pour défendre l'Italie menacée par les Goths (410) sont l'occasion pour les

(6) Le dernier en date à Saint-Yvi dans le Finistère. Pictes de multiplier les incursions en Bretagne. Les Angles, puis les Saxons, s'ajoutent aux envahisseurs. Pendant près de trois siècles, ces peuples se disputeront la souveraineté de ce qu'on appellera plus tard l'Angleterre, le pays de Galles et la Cornouaille. Au début du ve siècle, la Bretagne se présente surtout comme une fédération de petites républiques avec à leurs têtes un tiern, qui transmet son pouvoir à sa descendance. Un chef suprême contrôle l'ensemble. Les invasions successives des Germains aboutissent à l'asservissement d'une partie de l'ancien peuple breton : ainsi naquit l'Angleterre par assimilation des vaincus et de leurs vainqueurs. Certaines ethnies repoussées vers l'ouest contribuèrent à former la Cornouaille (Kernew) et le pays de Galles (Cymru). Enfin et surtout en ce qui nous concerne, il s'ensuivit une importante émigration vers l'Armorique (et à un degré moindre vers la Galice). A ce moment, notre péninsule prend alors le nom qu'on lui connaît : la Bretagne (Britannia). La civilisation celtique, qui fut fortement étouffée et réduite lors de la conquête de l'Armorique, retrouva ainsi une deuxième jeunesse par l'apport de voisins insu- laires. Ils remirent à l'honneur des structures, tant sociales que politiques, et une forme de gouvernement propre. Les différentes tribus qui arrivaient en Armorique reconstituèrent les royaumes qu'elles avaient perdus ; furent ainsi reformés : la Domnonée par les Domronii, la Cornouaille et le Broc-Erec (pays de Vannes).

Principalement implantés sur le littoral nord, les arrivants don- nèrent une nouvelle dimension géographique à notre province. Une ligne partant de l'estuaire de la Rance jusqu'à Vannes séparait les populations bretonnes à l'ouest et gallo-romaines à l'est. Voici donc un début d'explication concernant la répartition linguistique. Le sud- est de l'Ille-et-Vilaine est d'essence romane, on n'y parla certainement jamais le breton, les termes de gallo encore employés aujourd'hui ont leur origine dans le vieux latin ou encore le gaulois, mais jamais une provenance bretonne n'a pu être démontrée, tout au moins pour la contrée qui nous intéresse. Les communes qui nous intéressent présentement faisaient donc partie du royaume des Francs.

LA FORMATION DU ROYAUME DE BRETAGNE

Jusqu'à l'avènement de la dynastie carolingienne, la Bretagne resta partagée en trois grandes entités (Cornouaille, Domnonée, Broc- Werec). L'affaiblissement du pouvoir mérovingien et ses divisions intestines n'encourageaient pas à une réunification des multiples souverainetés bretonnes. La prise du pouvoir par la famille d'Héristal et la constitution d'un puissant gouvernement franc (752) présentaient un danger réel pour l'indépendance des Bretons. Le début du ixe siècle voit ainsi de multiples incursions, notamment dans la région de Vannes, contribuant ainsi à assurer la main-mise franque sur les populations locales. Présentant une paix instable, l'empereur Louis le Débonnaire plaça à leur tête un prince inconnu jusqu'alors, mais breton authen- tique et parlant leur langue : Nominoë (825). Sorte de représentant de l'empereur (« missus imperatoris ») et chef en Bretagne (« dux in Britannia »), il devient vassal du pouvoir franc. Dans l'esprit de l'époque, son serment de fidélité le liait personnellement et non le peuple breton, ce qui ne signifie en rien que la Bretagne fut jamais un quelconque fief français. Le patriotisme de Nominoë fut tel que l'histoire a gardé de lui le souvenir d'un bon administrateur et excellent diplomate. Il réorganisa le pays, tant sur le plan religieux que territorial. A compter de ces années, l'Eglise bretonne fut découpée en neuf diocèses gouvernés par des évêques (Salomon, son deuxième successeur, malgré l'avis de la papauté, transférera le siège de la Métropole de Tours à Dol, et cela jusqu'en 1199). La règle Scot fut supprimée dans les monastères et on adapta la règle bénédictine. Il fut aidé en cela par Conwoïon, fondateur de l'abbaye de Redon. Nominoë reconstitua une Bretagne qui englobait désormais les mar- ches de Rennes et de Nantes et lui donna les frontières qui lui sont aujourd'hui reconnues (Salomon ira même jusqu'à annexer la Sarthe, la Mayenne, la presqu'île du Cotentin ainsi que Jersey et Guernesey). Au péril franc succédèrent le péril normand et la course au trône breton. L'assassinat de Salomon avait mis en concurrence les prin- cipaux comtes. Les hommes du nord profitèrent de la division poli- tique qui régnait alors et ravagèrent systématiquement le pays où ils s'installèrent en maîtres. Le roi des Francs, en 921, pour se débar- rasser des Normands de la Loire, leur abandonnera même un bien qui ne lui appartenait pas : la Bretagne (7). Lors de l'exode vers l'est, les moines bretons emporteront les reliques des saints patriotes et participeront sur les lieux d'émigration à la création d'abbayes.

Il faudra attendre l'an 936 pour que Alain Barbe-Torte chasse les Normands. Il fut le premier à porter le titre de Duc de Bretagne. Le « grade » de Duc signifie-t-il qu'il devait allégeance à un roi de France ? Il n'en est rien. Si l'on en croit Yann Brékilien (8), le souverain breton portait les titres de Britanniae Rex (roi de Bretagne) et Brittonum dux (chef des Bretons). La première appellation n'était en fait que purement honorifique, alors que la seconde conférait à celui qui la portait, l'autorité pour gouverner.

(7) SAINT-SAUVEUR (Durtelle de), Histoire de Bretagne, des origines à nos jours. Rennes, Plihon, 1935, 2 volumes. (8) BREKILIEN (Yann), Histoire de la Bretagne, Paris, 1977,

Chapitre I

LES TEMPS FEODAUX

Les historiens s'accordent généralement pour reconnaître le début de la féodalité en Bretagne à partir de l'accession d'Alain Barbe- Tarte au trône ducal. Mais afin de mieux comprendre les pages qui suivront, il nous faut dès à présent essayer de décrire et expliquer succinctement les caractères du monde féodal. Chronologiquement, les temps féodaux se situent entre la fin du IXe et le milieu du XIIC siècle, sans pour autant que cela signifie qu'avant et après ces limites aucun système ne s'en rapprocha. On qualifiera même cette époque de « féodalité pure ». La société féodale s'ouvre sur des échanges commerciaux, de nombreuses réformes accompagnent la renaissance religieuse et la plupart de nos modestes bourgs de campagne voient alors le jour. Un des faits prédominants de la féodalité fut la décadence de l'autorité publique. Exercée sous les Carolingiens par l'empereur tout puissant, elle tombe aux xe et XIC siècles aux mains des Comtes, des Ducs puis, selon les régions, termine sa chute tout en bas de la hiérarchie sociale noble, au niveau des petits seigneurs. Les attributs (droit de frapper la monnaie, exercice de la justice...) deviennent alors la propriété de petites seigneuries qui se distingueront par la suite par la portion de terre sur laquelle un seigneur exerce des droits qui furent autrefois royaux. Les grands féodaux ne sont plus les repré- sentants de droits d'origine publique. Leur importance sociale provient maintenant de l'étendue de leur patrimoine, du nombre de petites seigneuries rurales et surtout des vassaux. C'est ce que Georges Duby (1) appelle les seigneuries châtelaines : « C'est autour du château que se groupe la petite compagnie des vassaux du châtelain... c'est là que les manants viennent se réfugier en cas de danger. » Le pouvoir est local, on dirait aujourd'hui décentralisé, et le châtelain, entouré de ses prérogatives, assure sa main-mise sur le monde paysan.

(1) Histoire de la France rurale, des origines à 1340, sous la direction de Georges Duby et A. Wallon. Paris, Seuil, 1975. Au morcellement territorial et à l'affermissement des pouvoirs locaux, succède tout au long du second âge féodal (1160-1240) un regroupement des terres au profit des grands féodaux qui imposent leurs obligations aux châtelains et qui doivent entrer de fait dans leur vassalité. La plus importante des obligations est de nature mili- taire. Vassaux nobles et manants doivent l'exercitus et l'equitatie. L'ensemble des prérogatives donnera naissance, toujours selon G. Duby, aux seigneuries banales. Le seigneur banal tire de son ban (pouvoir de commandement) des pouvoirs d'ordre militaire, fiscal, judiciaire et économique. Il les exerce sur les hommes qui sont en sa puissance : les roturiers et les nobles. Ces derniers, au titre de l'hom- mage qu'ils lui ont prêté et du fief reçu en retour, sont ses chevaliers et forment l'ost quand l'occasion s'en fait sentir. Il est bien évident que la population rurale est de loin la plus importante de la seigneurie. Le seigneur juge toutes les causes, y compris et surtout en matière de compétence criminelle : il a droit de haute justice. Dans le domaine économique, il perçoit également de nombreuses taxes : péages, contrôles de foires et marchés, obligation aux habitants d'utiliser le four banal ou de moudre les céréales au moulin banal. « La seigneurie est un cadre d'économie fermée » (2). D'ailleurs le mot banlieue ne tire-t-il pas son origine de l'étendue sur laquelle un seigneur exerçait son droit de ban ?

Les relations féodo-vassaliques. La plus antique de ces relations fut d'abord le lien personnel qui engageait deux individus, l'un demandant la protection de l'autre, au cours d'une cérémonie rituelle : l'hommage. Le vassal, à genoux, ses mains jointes dans celles de son suzerain, se recommande et se déclare être son homme. Le seigneur relève son sujet et le baise sur la bouche : c'est l'asculum (il nous en reste aujourd'hui l'accolade). Ensuite, le chevalier debout jure sur les saintes écritures fidélité et sûreté. Ces solennités purement formelles retrouvaient leurs contre- parties réelles dans des obligations réciproques. L'hommage impliquait pour le seigneur la protection du vassal et pour celui-ci le service de son maître. L'un et l'autre vivaient très souvent en un même lieu, le suzerain fournissant le gîte, le couvert et même l'équipement fort coûteux. Mais de plus en plus le serment de fidélité entraîna une rétribution ou bénéfice sous forme de fief qui était une quantité de terre donnée à titre de salaire. Le fief contribua à séparer les hommes et à créer de multiples entités géographiques et aujourd'hui encore le chercheur éprouve beaucoup de difficultés quand il veut savoir qui était le véritable seigneur d'une terre.

Le fief. Il représente le bénéfice réel accordé par le seigneur au vassal. C'est sur cette structure politique et hiérarchique que reposera tout le Moyen-Age. Il subsistera à l'époque moderne jusqu'à la nuit du (2) LEMARIGNIER (Jean-François), La France médiévale. Institutions et sociétés. Paris, Colin, 1981. 4 août, mais il ne possédera plus sa signification originelle et dépendra du droit civil en tant que bien patrimonial. Les exemples que l'on rencontrera par la suite illustreront les différents aspects du fief : preuve de dépendance politique au haut Moyen-Age et bien civil familial aux siècles suivants. Entre les deux, l'accaparement par le pouvoir central de tous les grands domaines féodaux (la Bretagne sera le dernier) aura ôté aux fiefs représentativité et force politiques. La concession du fief se fit d'abord « de visu ». Les deux hommes visitaient la région faisant l'objet du don et en précisaient les limites. A partir du XIIe siècle, un acte écrit, sorte d'inventaire assez précis, se substitua à la « montrée » : c'est ce qu'on appela « l'aveu et dénombrement ». Il s'agissait en fait de la description, parfois détaillée, de tout ce qui constituait le fief. L'aveu s'appliqua également par la suite aux biens roturiers et les censitaires devaient le fournir pour tous les biens qu'ils tenaient dans la directe d'un seigneur. Nous possédons de nombreux aveux pour les communes qui nous inté- ressent principalement. Le plus ancien pour Martigné date de 1286, Fercé possède le sien rendu en 1210 et Coesmes au XIIe siècle. Les devoirs du vassal sont essentiellement d'ordre militaire et constituent en un service annuel de quarante jours de service de guet au château. Les chevaliers procurent l'encadrement des manants qui effectuent les corvées les plus ingrates. Mais, le plus souvent, le service du chevalier est celui « d'ost et chevauchée » qu'il rend en combattant à cheval. Le vassal rend un service proportionnellement à l'importance du fief qu'il a reçu. Les plus modestes (fiefs de chevaliers ou de haubert) sont l'occasion pour leurs détenteurs d'arriver seuls à l'appel de leurs suzerains. Pour les fiefs plus importants, le baron ou le comte sont dans l'obligation de fournir un certain nombre de vassaux. Jean-François Lemarignier (3) y voit là l'origine de la hiérarchie des dignités nobiliaires qui subsista jusqu'à la révolution. Les vassaux constituent au château une cour auprès de laquelle le maître prend aide et conseil. Ils le soutiennent dans l'exercice de la justice dite féodale, en opposition à la justice banale. La seconde s'applique aux sujets de bas niveau social, la première s'exerce sur le monde des seigneurs : l'aristocratie (y compris religieuse). Avant 1789, les nobles ne pouvaient être jugés que par leurs pairs au Parlement, survivance dans ce sens de l'antique cour féodale.

A l'origine, le fief est simplement viager : il est concédé pour la vie du bénéficiaire, mais devient très vite héréditaire au cours du XIe siècle. A chaque changement de « propriétaire », celui qui en héritait devait lui aussi en rendre aveu au suzerain ou au descendant de celui-ci. L'héritier devait acquitter, à titre de droit de mutation, une redevance appelée droit de relief, ne pas être trop jeune, ni être une femme. Généralement, le fief se transmit à l'aîné des enfants et à lui seul, afin de conserver une unité territoriale (4), ce qui devait (3) LEMARIGNIER. op. cit., p. 126. (4) En Bretagne, l'Assise du comte Geffroy en 1185 institue le droit d'aînesse afin de mettre un terme au démembrement des fiefs. être à l'origine du partage noble (deux tiers et le préciput à l'aîné, les puinés se partageant le tiers restant). L'évolution des structures permit de même aux vassaux d'aliéner le fief qu'ils tenaient, c'est-à-dire de le vendre. Le vassal, qui fut à l'origine un homme de confiance, devenait par le fait même un étranger à la cour du suzerain. Mais l'aliénation fut vite autorisée et acceptée par l'intermédiaire du droit de quint, nommé ainsi car égal au cinquième du prix de vente. De nombreuses petites seigneuries rurales ont ainsi leur origine dans un détachement partiel de la seigneurie paroissiale. On en comptera en moyenne cinq à six, parfois davantage pour les communes étudiées. Tel village sera contrôlé par un chevalier ou même un roturier qui y exercera une partie de la puissance publique. On trouvera avant la révolution une multitude de familles nobles dont la provenance et l'accession au second ordre remonte à cette époque, et non à une quelconque et improbable participation aux croisades. LA SITUATION FEODALE DE LA BRETAGNE La fin du premier millénaire voit les maisons de Rennes et de Nantes entrer en rivalité pour le titre du Duc de Bretagne. Mais en 992, Geoffroi I", comte de Rennes, prend le pouvoir et impose ses volontés à la maison de Nantes alliée aux comtes d'Anjou. « Cette époque vit s'élaborer l'organisation des fiefs et se former pièce à pièce la vaste construction féodale qui, pendant tout le Moyen-Age, fut le principal et le plus fort rempart de la Bretagne contre les attaques du dehors... Si la dignité ducale eut été alors aux mains des comtes de Nantes... dominés par la puissance prépon- dérante des comtes d'Anjou, ceux-ci qui tenaient à intervenir direc- tement dans les affaires de Bretagne, par conséquent à se ménager dans ce pays une entrée facile, auraient empêché l'établissement d'une défense sérieuse de la frontière bretonne... Avec les comtes de Rennes, rien de tel à craindre, ils eurent soin tout particulièrement de confier ce poste périlleux de la frontière à des hommes, à des groupes d'hommes de sang et de cceur vraiment bretons, qui propagèrent le sentiment très vif de la nationalité bretonne et surent défendre énergiquement l'indépendance du duché et de la nation » (5).

Les fiefs des frontières. Afin de fortifier les frontières de l'est, les ducs mirent en place toute une chaîne de puissantes seigneuries dont le premier maillon était Clisson et le dernier Fougères. Entre ces deux extrêmes, de multiples fiefs imbriqués les uns dans les autres constituaient une ligne de défense quasi-insurmontable pour d'éventuels assaillants. L'énumération de ces baronnies est assez évocatrice ; on rencontrait, du sud vers le nord : les baronnies de Retz (Machecoul, Princé,

(5) LA BORDERIE (Arthur LE MOYNE de), Histoire de la Bretagne. 5 tomes. Rennes, Plihon et Hommay, 1896-1914. Pornic), de Ancenis, de Châteaubriant (relevant alors du Comté de Rennes au temporel et de Nantes au spirituel), de Vitré, de Fougères et de . La baronnie de Châteaubriant, créée au début du XIe siècle par le duc, était formée d'un ensemble de petites châtel- lenies et comprenait la baronnie proprement dite, les châtellenies de Tellay, Piré et Cornuz (Corps-Nuds), situées dans le comté de Rennes et la châtellenie de Vioreau au Comté de Nantes. La baronnie de Vitré était la plus puissante de toute la Haute- Bretagne et s'étendait sur plus de 80 paroisses (6). Elle fut formée par le duc Geoffroi I qui tailla dans son comté de Rennes un fief qu'il donna alors à Riwallon, premier seigneur de Vitré. Selon A. de la Borderie, on comptait encore au XVIIIe siècle, parmi les fiefs nobles relevant de Vitré, jusqu'à une centaine de terres à juridiction. Il est intéressant de relever les noms des premiers seigneurs et dames qui furent à la tête de ces marches de Bretagne : Guéthenoc à Ancenis, Tihern et Brient à Châteaubriant, Manguinoë à La Guerche, Méneczuc et Guihénoc à Martigné, Riwallon à Vitré et Main à Fougères. Ces personnages étaient en fait de vrais Bretons et le sentiment d'appartenir à la même ethnie avait rapproché dans un même élan Basse-Bretagne et pays gallo. Toutefois le duc, par sécurité, préféra placer sur la frontière des hommes dont il était sûr du patriotisme et distribua les terres à d'authentiques bretons. Riwallon établit sa demeure à Marcillé. C'est son petit-fils, Robert, qui construisit le château de Vitré à l'emplacement actuel et donna le lieu de l'ancien à la riche abbaye Saint-Martin de Marmoutiers près de Tours, afin que celle-ci y fonde le prieuré de Sainte-Croix. « Que l'on sache que moi, Robert de Vitré, je donne aux frères de Mar- moutiers une terre avec toutes les coutumes que j'y possédais pour qu'ils y construisent un bourg et un prieuré ; cette terre se trouve près de mon château de Vitré et il y eut là jadis un autre château. En outre je leur donne une tenure et deux autres qu'ils ont achetées à Hervé de Martigné... » (7). Cette donation eut lieu entre 1064 et 1076. Robert décida d'y unir le prieuré de Marcillé ; c'est à cette époque que Marcillé adopta le patronyme de Robert. Les comtes de Rennes avaient songé à enclaver, dans les grands fiefs qui jalonnaient la frontière, des terres d'étendues plus modestes mais qui relevaient d'eux immédiatement. En effet, Vitré fut long- temps un obstacle réel contre la pénétration des comtes du Maine qui se servaient de la seigneurie de Laval comme d'un bélier afin d'enfoncer la défense bretonne. Ce n'est qu'au XIIIe siècle que la maison de Laval entra dans celle de Vitré par le mariage de Philippe (une fille) de Vitré et de Guy VII, seigneur de Laval. La seigneurie de La Guerche fut ainsi un de ces domaines relevant directement du duc et englobait huit paroisses. Les autres seigneuries

(6) BORDERIE (A. de la), Essai de géographie féodale. (7) MORICE (Dom), Mémoires pour servir de preuves à l'histoire de Bretagne. T. 1, col. 424-425. qui nous intéressent principalement (Thourie, Fercé, Coesmes et Martigné-Ferchaud) étaient toutes des mouvances de Vitré, c'est-à- dire que les titulaires étaient tous vassaux du baron de Vitré.

LA SEIGNEURIE DE MARTIGNË

En 1060, la seigneurie de Martigné appartenait à Hervé, fils de Alvève et de Deusset, époux de Méneczuc (8). Ce seigneur avait sept fils : Geoffroy, Hamelin, Guihénoc, Alvève, Brienton, Gaultier, Bertrand, et trois filles : Mélisinde, Deusset et Thonnaie. Martigné relevait, nous l'avons déjà précisé, du baron de Vitré, c'est pourquoi Hervé est présent en qualité de chevalier à l'acte de fondation du prieuré de Sainte-Croix par Robert II. Nous reparlerons plus loin de ces premiers seigneurs, les seuls dont la connaissance soit parvenue jusqu'à nous et qui ont porté Martigné en leur surnom. La branche aînée des sires de Martigné s'allia très tôt à la maison de La Guerche et le nom même de Martigné tomba en désuétude, mais l'esprit de l'antique maison demeura. Comme armoiries, les seigneurs de Martigné portaient « d'argent à une quintefeuille de gueules ». On relève encore la présence de Hervé de Martigné aux côtés de Robert de Vitré, son suzerain, quand le duc de Bretagne, Conan II, accorde des privilèges aux moines de Marmoutiers sur le territoire du Vendelais.

Les seigneurs de La Guerche. A la fin du XIe siècle, Gauthier surnommé Hay, seigneur de La Guerche, possédait la châtellenie de Martigné. Il avait épousé une dame nommée Basilie. Il nous faut ici donner quelques indications sur la maison de La Guerche, dont un des premiers membres fut Sylvestre, qui était aussi seigneur de Pouancé en Anjou. Il eut un fils nommé Geffroy de Pouancé (père de Gauthier) et après la mort de sa femme il se fit homme d'église et fut élu évêque de Rennes en 1075. Gauthier Hay hérita des seigneuries de La Guerche et de Pouancé. Il fonda avec son épouse le prieuré de la Magdeleine en leur ville de Pouancé, en l'an 1094 (9). Ce couple eut un fils, Geffroy de Pouancé, et trois filles. L'aînée appelée Emma ou Anna épousa Juhael, fils de Tehel de Châteaubriant, dont elle eut un fils appelé Guillaume de La Guerche. La seconde fut, par son mariage, dame de La Roche-Diré, et la troisième dame de Candé. Mais très vite, Geffroy décéda au combat, ainsi que Juhael de Châteaubriant. Emma devint ainsi héri- tière des seigneuries de La Guerche, de Pouancé et de Martigné.

(8) MORICE (Dom), Mémoires pour servir de preuves à l'histoire de Bretagne. Rennes, 1909, 6 volumes. (9) PAZ (A. du), Histoire généalogique de plusieurs maisons illustres de Bretagne. Paris, 1620, Nicolas Buon. Son père voulant pourvoir à sa terre et à sa fille, la proposa en mariage à Robert II de Vitré, « avec toute sa terre et son tenement, excepté le mariage que premièrement il avait donné à Juhael de Châteaubriant, sçavoir Martigné » (10). C'est ainsi que les seigneurs de La Guerche, de Pouancé et de Martigné devinrent puinés, c'est-à-dire branche cadette des sires de Châteaubriant, la branche aînée étant représentée par Briand, IVe du nom. En 1135, Robert II de Vitré ayant succédé à son père à la tête de la baronnie et traitant ses vassaux et sujets trop rudement (il alla même jusqu'à Redon saccager l'abbaye), ceux-ci s'en plaignaient directement au duc Conan III. Robert et son épouse Emma se retrou- vèrent chassés de leurs terres et trouvèrent refuge successivement chez les barons de Fougères, puis du Maine, et enfin auprès de Guillaume de La Guerche, leur beau-fils et fils. Robert commença à guerroyer dans la région de Moustiers et son fils André dans celle de Vitré. Quand le duc Conan apprit que Guillaume les avait secourus, il en fut fort mécontent et rassembla son armée pour venir assiéger et prendre La Guerche et envoyer chercher Geffroy le Bel, comte d'Anjou, son cousin. En 1143, le duc installa son camp au pont de , mais il se fit bientôt surprendre par les troupes ennemies sorties de la forêt voisine qui massacrèrent et mirent en déroute l'ost ducal. Après cette victoire, Robert put retrouver sa ville et terre de Vitré et fit la paix avec le duc, son prince et souverain. Guillaume, dont nous venons de parler, succéda à sa mère Emma. Son fils Hugues fut seigneur de La Guerche, de Pouancé, de Martigné- Ferchaud et de Segré. Il prit alliance en la maison de Craon et décéda le 24 juillet 1162. Geffroy, second du nom, posséda les terres dénommées ci-dessus. Guillaume II succéda à son père l'an 1195 pour les mêmes fiefs. Afin de mieux situer ce personnage dans son temps, il faut rappeler quelles étaient les conditions de gouvernement du duché à cette époque. A la mort de Conan III en 1150, le duché revint à sa fille Berthe qui épousa d'abord Alain, comte de Richemont, dont elle eut Conan IV dit le Petit. Alain étant mort, elle se remaria ensuite avec Eon, vicomte de Parhoët, qui reçut le gouvernement de la Bretagne. Mais en 1154, Henri II Plantagenêt, comte d'Anjou, héritier du duché de Normandie, remontait sur le trône d'Angleterre. Conan le Petit lui fit alors appel afin d'être rétabli dans ses droits au duché en 1156. Mais le Plantagenêt, fort de l'aide qu'il avait apportée au rétablis- sement de Conan IV, s'installa bientôt en maître sur le pays nantais d'abord, puis imposa un mariage entre Constance, fille de Conan, et son fils Geffroy ; celui-ci étant mineur, il réclama la garde du duché de Bretagne. « Henri II, époux d'Aliénor d'Aquitaine, était le prince le plus puissant d'Europe, roi d'Angleterre, duc de Normandie, comte d'An- jou ; il possédait en plus le Maine et la Touraine, régnait sur les

(10) LE BAUD (Pierre), Histoire de Bretagne avec les chroniques des maisons de Vitré et Laval. Paris, D'Hozier, 1638. provinces du sud-ouest de la France que sa femme lui avait apportées en dot en 1152 et dominait en Bretagne et sur le comté de Toulouse » (11). On s'en doute, l'avènement de ce prince étranger se fit dans des conditions extrêmement violentes. On en racontera un épisode par la suite. Parmi les nouvelles méthodes de gouvernement anglo- normandes, il faut citer en particulier le partage du pays en huit baillies gérées chacune par un sénéchal. A sa majorité, Geffroy accéda au trône ducal. Son règne fut bref : quatre ans. Son jeune fils Arthur devait normalement lui succéder, non seulement au trône de Bre- tagne, mais aussi à celui d'Angleterre. Ses oncles, Richard Cœur de Lion et Jean sans Terre, s'y opposèrent et ce dernier assassina l'enfant au mois d'avril 1203. Guillaume de La Guerche assista en 1202 aux Etats de Rennes pour délibérer sur les moyens de venger la mort d'Arthur. L'an 1206, il fonda les chanoines de la Magdeleine en sa ville de La Guerche. On peut encore aujourd'hui admirer dans la collégiale son gisant remis à jour à la fin du siècle dernier. Il repose maintenant dans un enfeu. Le chevalier est représenté « gisant, un coussin sous la tête, sur un lit dont la bordure est garnie de petits écussons, et revêtu de sa cotte de mailles avec son épée et son bouclier. A ses pieds repose un chien, symbole de fidélité, et près de sa tête deux anges en prières sont agenouillés ». Les armes des sires de La Guerche sont peintes sur le fond de l'enfeu : « de gueules à deux léopards d'or » (12). Guillaume avait épousé une dame nommée Hersande de Sillé, de laquelle il eut deux fils et une fille. Le second fils, Thébaud, fut d'abord chanoine de Saint-Maurice d'Angers, puis évêque de Dol. La fille fut Elizabeth, épouse de messire Guillaume de Thouars, baron de Candé, seigneur de Challains, du Lion d'Angers et de Chanceaux en Anjou. Hersande de Sillé avait une sœur, Dométa, mariée à Raoul III de Montfort, lequel voulant fonder une chapellenie en l'abbaye Saint- Jacques de Montfort en 1225, donna dix livres de rente qu'il avait droit de prendre sur le passage de Martigné. Sans anticiper sur l'énumération des petites seigneuries qui composaient Martigné, on peut déjà citer celle de Taillepied, au nom assez évocateur. Si l'on en croit E. Ducrest de Villeneuve (13) qui ne cite malheureusement pas ses sources, il existait au XIIe siècle, non loin de l'une des sources du Semnon, un château-fort du nom de Taillepied à cause, dit la tradition, de la roche escarpée au sommet de laquelle il était situé. En 1183, le sire de Taillepied avait entrepris de faire respecter sa neutralité selon les privilèges de la Marche et refusait de ce fait toute suzeraineté, qu'elle soit bretonne ou angevine. Les Marches étaient des régions fort enviées car franches et libres

(11) POISON (H.), Op. cit. (12) MAUNY (Michel de), L'ancien comté de Rennes. Paris, 1974. (13) Le collectionneur breton. 1864. Article « Le Château de Taillepied », par Ducrest de Villeneuve. d'impôts. On y effectuait de nombreux échanges commerciaux. Afin de garder leur indépendance, la possession en avait été longtemps interdite aux seigneurs limitrophes, défense vite enfreinte. A l'avè- nement des Plantagenêts en 1166, le sire de Taillepied avait refusé le don d'usage, sorte de tribut qui entraînait vassalité. Il avait créé sur ses domaines une haute justice et prétendait ne relever féoda- lement de personne, rétablissant ainsi l'indépendance des Marches. Les principaux barons de Bretagne résistèrent tant bien que mal à l'envahisseur et le tolérèrent plus qu'ils ne l'acceptèrent. Le châtelain de Taillepied ne se soumit pas pour autant. Cependant, le roi anglais, comte d'Anjou, envoya une troupe de routiers sous les ordres d'un sire du voisinage qui réclamait la suzeraineté sur le sire de Taillepied. Pressentant le danger, celui-ci envoya sa fille Amette et les dames du château dans une abbaye voisine, tandis qu'un messager partait chercher du secours vers la cité bretonne de Châteaubriant. Quelque temps après, les mercenaires à la solde de l'Anglais et les vassaux du sire de Craon envahirent les abords du château qu'ils pillèrent et ravagèrent, mais le château tint bon jusqu'à l'arrivée de l'ost du sire de Châteaubriant. Débarrassé des Angevins, le châtelain fut alors confronté à un autre problème. Ayant fait appel au puissant baron de Châteaubriant, ne risquait-il pas de devenir de fait son vassal ? En gage de reconnaissance, le baron ne demandait pas moins que la main de Amette pour son fils. Mais la jeune fille qui s'était retirée au couvent prétendit vouloir se consacrer à Dieu. Qu'à cela ne tienne ! L'armée bretonne leva le camp et laissa le sire de Taillepied à ses problèmes. Très vite, les routiers angevins furent de retour et ne tardèrent pas à livrer un nouvel assaut infructueux. « Le sire de Taillepied eut l'idée de surprendre l'ennemi... Il avait l'espoir de trouver libre l'issue du souterrain qui débouchait près du camp, ou du moins de la forcer facilement. Il s'engagea dans le passage, à peine en eut-il franchi la porte extérieure qu'une flèche le frappa au cœur et l'étendit mort... L'ennemi, maître de l'issue secrète, s'y glissa à son tour et surprit la garnison qu'il massacra. Le pillage et l'incendie désolèrent pendant trois jours la riche forteresse... » Au siècle dernier, la tradition orale voulait que le fantôme d'Amette hante les lieux. Il est fort regrettable que l'auteur pré-cité ne fournisse pas ses sources. Toutefois, le récit relaté plus haut est fort probable. Plusieurs faits nous conduisent à l'accepter dans le fond. D'abord l'existence de ce souterrain déjà mentionné dans le chapitre consacré au début de notre ère. Le site de Taillepied présentant en effet quelques avan- tages sur le plan stratégique et topographique a très bien pu être utilisé à des époques différentes, le château féodal ayant été alors (re) construit sur l'emplacement d'une fortification plus antique. Les seigneurs de Taillepied ayant eu connaissance du souterrain érigèrent peut-être leur demande à proximité. Souhaitons que des fouilles soient un jour entreprises dans ce secteur. Quant à la maison de Taillepied, elle est une des plus anciennes qui soit répertoriée sur Martigné. On peut ainsi dénombrer : Augier, témoin en 1055 d'une donation à Saint-Florent d'Angers ; Thomas croisé en 1240 ; Pierre écuyer dans une montre de 1380 (14). Cette famille se fondit dans celle de Mauhugeon. Elle blasonnait « de gueules fretté d'or ».

En 1207, Guillaume et son cousin Geffroy III, baron de Château- briant, fondèrent le prieuré de la Primaudière. Le lieu dépendait alors de la paroisse de Juigné-les-Moutiers, sous la baronnie de Châteaubriant et de la seigneurie de Pouancé. L'acte de fondation mentionne la présence des deux seigneurs, de Geffroy évêque de Nantes, de Guillaume évêque d'Angers et une dizaine de vassaux. La Primaudière fut alors donnée aux religieux de l'abbaye de Grand- mont. Les deux personnages y ajoutèrent des droits qu'ils possédaient sur cinq bourgeois de Châteaubriant, de Pouancé, de Segré, de La Guerche et de Martigné (15), terres qu'ils avaient alors en leur possession. Trois années plus tard, Guillaume donna vingt sols de rente à l'abbaye Saint-George de Rennes, en présence de Péan de Bécherel et d'Etienne de Coesmes (ce qui nous donne le nom d'un des premiers membres de cette dernière maison). Durant les années 1221 et 1222, Amaury de Craon, sénéchal d'Anjou, Jean de Montoire, comte de Vendôme, et Hardouin de Maillé entrèrent en guerre contre le duc Pierre de Dreux, dit Mauclerc. Ils pénétrèrent en Bretagne, pillèrent et ravagèrent les terres de Château- briant et de La Guerche, puis investirent ces villes. Mais la réaction du duc fut rapide et Guillaume put reprendre sa ville et décéda le 4 septembre de l'an 1223. Son fils Geffroy III lui succéda à la tête des mêmes terres. Par lettre du 15 janvier 1229, il promit de donner son fils aîné à la fille aînée d'André, seigneur de Vitré, espérant par là-même un renfor- cement des fiefs de frontière. Les incursions, en particulier des sires d'Anjou et du Maine étaient fréquentes et cette région du Comté de Rennes était souvent le théâtre de violents affrontements. André prévoyait de doter sa fille avec cent livres de rente à prendre sur la

(14) COURCY (Pol Potier de), Nobiliaire de Bretagne. Mayenne, Floch, 1978. (15) LEGOUAIS (Francis), Châteaubriant dans l'histoire. Chez l'auteur, 1983. coutume de Vitré et ce qu'il avait sur Martigné. Les deux pères s'entre- promirent de toujours donner par mariage les enfants des uns aux autres. Mais ce dessein ne put être réalisé. Dom Anselme (16) men- tionne le mariage de Geffroy avec Emmette, dame de Château- Gontier, de Nogent-le-Rotrou, de Longvilliers, de Montigny. Il fut promis à l'époux quelques rentes à prendre sur les terres de Meslay et, au défaut de paiement, le seigneur de Pouancé mit en procès son beau-père avec lequel il s'accorda. Ce mariage est une étape importante dans la transmission des seigneuries étudiées. Jusqu'à présent, elles étaient l'apanage de sei- gneurs attachés au duché de Bretagne. Or, si l'on en croit le Père Anselme, les seigneurs de Château-Gontier et de Château-Renaud sont, selon toute vraisemblance, issus des anciens comtes de Bellesme et d'Alençon. On peut déjà préciser que les comtes (puis ducs) d'Alençon feront alliance avec les Bourbon-Vendôme, et de ces derniers sortiront les princes de Condé que l'on retrouvera par la suite. L'alliance des sires de La Guerche et de ceux de Château-Gontier marque en fait le début de l'introduction de familles extérieures au pays et qui ne résideront pas sur leurs terres. L'aboutissement de ce processus trouvera son terme dans la possession par les princes de Condé et ce jusqu'à la révolution, des terres de Martigné et de Châteaubriant. De son mariage avec Emmette de Château-Gontier, Geffroy eut deux fils : l'aîné décéda très tôt et le cadet, nommé Pierre, fut chanoine à la cathédrale Saint-Pierre de Rennes, et deux filles dont l'une, Yolande, fut l'épouse de Raoul III de Rieux.

Martigné et la maison vicomtale de Beaumont. L'autre fille, Jeanne, fut donc dame de La Guerche, de Pouancé, de Martigné, de Segré et de Château-Gontier. Elle prit alliance en la maison de Beaumont par son mariage avec Jean, vicomte de Beaumont au Maine, fils de Louis de Brienne, dit d'Acre, troisième fils de Jean de Brienne, roi de Jérusalem, empereur de Constantinople et de Bérangère de Castille. Louis d'Acre avait épousé Agnès, vicom- tesse de Beaumont, dame de La Flèche, de Fresnay, de Sainte-Suzanne, du Lude et de Château-Gontier. Beaumont est aujourd'hui une ville située à mi-chemin entre Alençon et Le Mans. Elle était alors une vicomté. Jeanne de La Guerche avait apporté dans la corbeille de mariage, entre autres terres, celles de La Guerche et de Martigné qui se trouvèrent ainsi détachées de fait du duché de Bretagne, et passaient alors sous la dépendance de la maison de Beaumont. Alors que l'alliance de ses parents n'avait permis que « l'entrée en lice » de familles du Haut-Anjou, son contrat de mariage donna carrément

(16) ANSELME (Dom), Histoire généalogique et chronologique de la Maison Royale de France. Paris, 1884, tome III, p. 317 : « Les seigneurs de Château- Gontier ». Il est en cela en contradiction avec Du Paz qui prétend que Geffroy avait épousé Anne de Montmorency. Depuis, plusieurs auteurs ont suivi cette voie. Renouer avec une certaine tradition de la monographie pa- roissiale, telle est une des motivations qui conduisent aujourd'hui l'auteur à nous livrer le fruit de plusieurs années de recherches. Natif de Martigné-Ferchaud, Yves Breton s'est passionné pour le passé de sa commune d'origine et, comme l'histoire d'un bourg ne se limite pas forcément à ses frontières cadastrales, il a étendu ses investigations vers les communes voisines. Les grandes fa- milles seigneuriales qui régnaient sur le pays sont ainsi reconsti- tuées. On y apprend le fonctionnement et l'organisation d'un bourg rural de Haute-Bretagne au XVIIIe siècle. On notera entre autres le chapitre consacré aux forges de Martigné, un des éta- blissements les plus conséquents de la région. Yves Breton a puisé tous ses renseignements aux meilleures sources : Archives Départementales et Nationales. Les documents qui viennent illus- trer le texte sont absolument inédits. Tout concourt à faire de ce livre un ouvrage qu'il apparaît nécessaire de posséder si l'on veut s'intéresser au pays de Martigné-Briand.

Dessin de couverture : Maison du Maître de Forges de Martigné, par Nathalie Mainfroy. Couverture Hérault 2-1985 Imprimé en France

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