Nr. 16/2016

HERMENEIA

Journal of Hermeneutics, Art Theory and Criticism

Topic: The Paradoxes of Reception

Editura Fundaţiei Academice AXIS IAŞI, 2016 Advisory board Ştefan AFLOROAEI, Prof. Dr., Al. I. Cuza University, Iasi, Romania Sorin ALEXANDRESCU, Prof. Dr., University of Bucarest, Romania Aurel CODOBAN, Prof. Dr., Babeş-Bolyai University, Cluj-Napoca, Romania Denis CUNNINGHAM, General Secretary, Fédération Internationale des Professeurs de Langues Vivantes (FIPLV) Ioanna KUÇURADI, Prof. Dr., Maltepe University, Turkey Roger POUIVET, Prof. Dr., Nancy 2 University, France Constantin SĂLĂVĂSTRU, Prof. Dr., Al. I. Cuza University, Iasi, Romania Jean-Jacques WUNENBURGER , Prof. Dr., Jean Moulin University, Lyon, France Corneliu BILBA, Lecturer Dr., Al. I. Cuza University, Iasi, Romania

Editor in Chief Petru BEJAN, Prof. Dr., Al. I. Cuza University, Iasi, Romania

Editorial board Antonela CORBAN, PhD., Al. I. Cuza University, Iasi, Romania Valentin COZMESCU, PhD., Al. I. Cuza University, Iasi, Romania Florin CRÎȘMĂREANU, Researcher Dr., Al. I. Cuza University, Iasi, Romania Ciprian JELER, Researcher Dr., Al. I. Cuza University, Iasi, Romania Cristian MOISUC, Assistant Dr., Al. I. Cuza University, Iasi, Romania (Webmaster) Horia PĂTRAȘCU, PhD., Al. I. Cuza University, Iasi, Romania Dana ŢABREA, PhD., Al. I. Cuza University, Iasi, Romania (Deputy Editor)

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Journal’s Address Alexandru Ioan Cuza University of Iasi, Romania Department of Philosophy and Social-Political Sciences Blvd. Carol I nr. 11, 700506, Iasi, Romania Email: [email protected] Web: www.hermeneia.ro

Editor’s Address Axis Academic Foundation Tel/Fax: 0232.201653 Email: [email protected]

ISSN print: 1453-9047 ISSN online: 2069-8291 TOPIC: THE PARADOXES OF RECEPTION

Summary

George BONDOR Le problème de la lecture chez Nietzsche. Éducation, philologie classique et critique de la modernité ...... 5

Corneliu BILBA Entendre des voix dans le discours (I) : Foucault, Derrida et la politique du signe ...... 15

Cristian MOISUC Illumination divine et idée immédiate. Réception de l’augustinisme chez Malebranche ...... 32

Florin CRÎŞMĂREANU La réception des écrits maximiens dans la tradition latine ...... 47

Mihai MACI L’Histoire comme cadre de réception et de compréhension ...... 57

Alina Silvana FELEA Les paradoxes d’une crise : la représentation pharmakon ...... 71

Camelia GRĂDINARU The Painting that Moves: the Internet Aesthetics and the Reception of GIFs ...... 81

Ruxandra-Maria STOIA The reality under the reception of representations – a Stoic approach ..... 92

Andrei SĂLĂVĂSTRU The Body Politic of Vivat Rex: An Allegorical Political Discourse and its Reception at the Court of France ...... 100

Mihail TARAŞI Perceiving a work of art. Between artistic and aesthetic ...... 116

Varia

Anton ADĂMUŢ Some Aspects of the Pelagian Controversy ...... 129

Valeriu GHERGHEL Origen and The Paradox of Literalist Reading ...... 134

Interviews

Le rapport entre la philosophie et le Judaïsme ...... 142 (Entretien avec G. Bensussan; réalisé par Tudor Petcu

Hungarian philosophy in the context of the European philosophy ...... 151 (Interview with Béla Mester by Tudor Petcu)

Book review

Gelu SABĂU La fin de la croyance ...... 160 (Sam Harris, Sfârşitul credinţei: religie, teroare şi viitorul raţiunii, trad. Alexandru Anghel, Bucharest, Herald, 2016)

Dragoș MÎRŞANU The Lion’s World: A Journey into the Heart of Narnia ...... 165 (Rowan Williams, The Lion’s World: A Journey into the Heart of Narnia, New York, Oxford University Press, 2013)

Mihail TARAŞI Plasticity as visual artistic stake of the geometric structures ...... 168 (Mihály Jenö Bartos, Composition in Painting (2nd edition, revised), Iași, Polirom, 2016) George Bondor George BONDOR *

Le problème de la lecture chez Nietzsche. Éducation, philologie classique et critique de la modernité

The Problem of Reading in Nietzsche: Education, Classical Philology, and the Critique of Modernity

Abstract: The aim of this text is to analyse Nietzsche’s utterances regarding the act of reading in his Foreword to the conferences On the Future of Our Educational Institutions (1872), in the context of his discussion on education and classical philology. Furthermore, I explore Nietzsche’s other texts about these issues, with the aim to identify and to illustrate the very paradox of reading: parallel to the idea of the plurality of interpretations (“there are no facts, only interpretations”), he also proposes a rigorous conception about reading. What I intend to demonstrate is the fact that Nietzsche’s theory of reading is grounded on his critique of modernity and that it can be put into the context of contemporary hermeneutics, especially in relation with the problem of the limits of interpretation and with the concept of subtilitas applicandi.

Keywords: Nietzsche, reading, interpretation, modernity, education, classical philology

Le but de ce texte est d’analyser la manière dont Nietzsche discute de l’acte de la lecture dans la Préface aux conférences Sur l’avenir de nos établissements d’enseignement, soutenues en 1872. Le paradoxe qui peut être identifié est surprenant : bien qu’il soit en faveur de l’idée conformément à laquelle l’interprétation est présente dans tout phénomène (« il n’y a pas d’états de fait, mais seulement des interprétations »), en soutenant de la sorte la thèse de la pluralité des interprétations, Nietzsche est extrêmement rigoureux dans ses observations sur l’acte de la lecture. Cette chose devient d’autant plus claire quand on observe qu’il soutient également ses considérations sur la lecture dans la Préface tardive à l’Aurore, écrite seulement en 1886. Le contexte de la thématisation nietzschéenne des conférences susmentionnées est celui de l’éducation et de la philologie classique. C’est pourquoi j’analyserai également les manières dont le paradoxe mentionné se cerne d’autant plus clairement dans les autres textes nietzschéens portant sur l’éducation et la philologie classique. Je montrerai en même temps que

* “Alexandru Ioan Cuza” University, Iasi, Romania; email: [email protected]

5 Le problème de la lecture chez Nietzsche... l’analyse nietzschéenne de la lecture a comme point d’appui la critique qu’il fait de la modernité et je mettrai en évidence les rapports entre les réflexions de Nietzsche et quelques-uns des acquis incontestables de l’histoire de l’herméneutique, comme subtilitas applicandi.

Lecture, culture antique et éducation moderne

À 28 ans, Nietzsche soutenait les conférences réunies sous le titre Sur l’avenir de nos établissements d’enseignement, en discutant les problèmes de l’éducation au lycée et à l’université. Dans la Préface de ses discours, dont il affirme lui-même qu’elle n’a pas de rapport direct avec ceux-ci, Nietzsche analyse le problème de la lecture, avec une application directe au contexte de la discussion sur les institutions d’enseignement. Le lecteur dont Nietzsche affirme avoir des attentes doit posséder trois traits : 1) il doit être tranquille et lire sans hâte ; 2) dans l’acte de lecture, il ne doit pas toujours impliquer sa propre personne et sa propre « culture » (éducation) ; 3) on ne lui permet pas d’attendre à la fin quelque chose comme résultat, comme des tableaux (à l’exemple des plans d’enseignement pour les lycées ; Nietzsche 1999a, 648). En premier lieu, le lecteur calme à qui Nietzsche s’adresse n’est pas captif de l’époque, une époque agitée, soumise à une « hâte envoûtante », dont la plupart des gens deviennent la proie, tout en se laissant écraser avec un plaisir idolâtre sous ses roues (Nietzsche 1999a, 649). Nietzsche montre que le lecteur calme est celui qui « a encore du temps », car il n’évalue pas les choses selon le faux critère de l’économie et du gaspillage du temps. C’est pourquoi seulement ce type de lecteur peut choisir les meilleures heures du jour et les plus prolifiques moments pour penser au futur de l’éducation. Il croit encore à l’existence d’une manière féconde et honorable de passer ses jours, qui consiste dans la méditation sur un genre humain futur (meditatio generis futuri). Selon Nietzsche, un homme pareil n’a pas encore oublié de penser pendant qu’il lit, il connaît encore le secret de la lecture parmi les lignes et réfléchit sur ce qu’il a lu beaucoup de temps après avoir fini la lecture d’un livre (Nietzsche 1999a, 649). Cette réflexion désintéressée, qui n’a pas de but extérieur (comme celui d’écrire un compte rendu ou un nouveau livre), doit être appréciée au plus haut degré. Il suffit qu’un tel lecteur soit tranquille et sans soucis pour se mettre à parcourir un long chemin à côté de l’auteur. Par contre, selon Nietzsche, si le lecteur est profondément troublé, étant incité à passer tout de suite à l’acte, s’il veut jouir dans un instant des fruits pour lesquels luttent avec acharnement des générations entières, on devrait craindre qu’il ait mal compris l’auteur. En deuxième lieu, le propre moi et la propre éducation ne doivent pas être toujours impliqués, selon Nietzsche, comme s’il s’agissait d’une mesure et d’un critère de toutes les choses, tel que l’homme moderne s’y prend d’habitude. Par contre, on veut que le lecteur soit suffisamment cultivé pour

6 George Bondor considérer sa propre éducation comme insignifiante, ou même digne de mépris (Nietzsche 1999a, 650). Ce n’est que dans ce cas qu’il pourrait se laisser guider en toute confiance par l’auteur. En l’occurrence, l’auteur, à savoir Nietzsche même, affirme s’adresser au lecteur en partant du non savoir et de la conscience du non savoir. La seule chose que le lecteur devrait se réserver est « un sentiment très ardu pour le spécifique de notre actuelle barbarie allemande, pour ce qui nous différencie de manière si évidente nous, comme barbares du XIXe siècle, des barbares des autres époques ». Autrement dit, le lecteur doit avoir le sentiment de sa propre situation temporelle, du spécifique de son époque par rapport à d’autres époques, et même un sentiment des maladies propres à son époque et du lieu de ces maladies dans l’histoire des maladies qui traversent la culture européenne. Nietzsche ajoute en l’occurrence une description de ceux qui ont le sentiment de la distance par rapport à l’époque : ils sont solitaires, altruistes (Selbstlosen) – ils ressentent en eux-mêmes les souffrances et les pervertissements de l’époque (de l’esprit allemand), contemplatifs – leur regard ne s’en tient ni à la surface de choses, ni ne les examine à la hâte, mais ils ont accès à l’essence des choses, nobles – ils traversent la vie de manière passive et hésitante, pleins de doutes et sans se presser. Nietzsche attend du lecteur qui détient tous ces traits qu’il détruise et voue à l’oubli le livre après l’avoir lu, ce livre qui l’incite à aller sur le champ de bataille et passer aux faits. Le livre est, en définitive, « un annonciateur du fait », mais un annonciateur qui se fond dans son résultat.

La critique de la modernité et la lecture lente. Le parti pris de la philologie classique

Le jeune Nietzsche atteint ici quelques-unes de ses idées philosophiques, en anticipant certains de ses futurs thèmes de réflexion. Se distancer par rapport à sa propre époque, tout en investiguant à la fois l’histoire des maladies observables à présent sont des marques de la démarche généalogique, qui ne tardera pas à devenir la méthode philosophique de Nietzsche. Cette méthode ne présuppose pas seulement l’analyse de l’histoire des origines d’un phénomène, mais aussi leur interprétation existentielle, dans la mesure où elles sont vécues à l’intérieur de son propre soi. Le lecteur qui suspend sa propre culture, ses propres convictions et croyances, pour se laisser guider par le texte et par son auteur est comme le philosophe généalogiste, qui met tout en question, y compris sa propre manière provisoire d’être, et il le fait du point de vue de la volonté de puissance dominante dans la configuration de forces dont il fait partie. Chez Nietzsche, la généalogie ne sera pas une méthode neutre de recherche des phénomènes culturels, mais une investigation menée de l’intérieur du champ de ces phénomènes. Le philosophe généalogiste n’assume pas un point de

7 Le problème de la lecture chez Nietzsche... vue surordonné des choses dont il fait la recherche, mais il comprend qu’il fait partie de leur configuration, en portant en lui leur empreinte. Nietzsche s’érige en l’occurrence en critique acerbe de la modernité, comme il le fait d’ailleurs dans d’autres textes également. La hâte dans la lecture est, en fait, la vitesse beaucoup trop grande que la vie a empruntée à l’époque moderne. En même temps, la course après la nouveauté immédiate – l’une des maladies historiques modernes dont Nietzsche parle également dans la deuxième Considération inactuelle – éloigne le lecteur moderne des choses essentielles. De même, l’orientation trop rapide vers l’utilité, propre à l’homme moderne, se retrouve aussi bien dans l’acte de la lecture que dans l’éducation, le thème principal des conférences Sur l’avenir de nos établissements d’enseignement. Le désir des modernes d’insérer la réalité et toute la connaissance dans des catégories peut être observé également dans la manie des éducateurs d’enseigner les connaissances par des tableaux et des schémas rigides. Les fausses certitudes de soi de l’homme moderne, visibles également dans la hâte que le lecteur moderne met à s’introduire trop brutalement dans l’acte de la lecture, requiert une attitude de soupçon généralisé – le véritable esprit de la généalogie. À l’encontre de ces maladies de la modernité, notamment de la vie pressée qui amène avec elle une nouvelle barbarie, qui ne laisse plus le temps de penser, l’esprit et l’œil prenant le pli d’une vue et un jugement partiels ou fausses, Nietzsche rappelle les vertus de la vie contemplative et de la méditation (Nietzsche 1999b, 230-1, 232-3 [I, §§ 282, 285]). L’analyse de l’éducation, que Nietzsche fait dans ces conférences, va dans la même direction. Selon lui, les principales maladies des institutions modernes d’enseignement, à savoir la course après l’utilité et la spécialisation trop pointue, ne peuvent être combattues que par le retour à l’esprit de l’Antiquité. C’est pourquoi Nietzsche voit dans la culture antique précisément l’opposé de l’école moderne. C’est pourquoi la thématisation des tâches de la philologie classique devient importante. Néanmoins, la position de Nietzsche par rapport à celle-ci reste ambiguë. Parfois, il a l’air de faire confiance aux vertus de la philologie, comme science positive, en critiquant le romantisme de cette perspective. Autrefois, par contre, il la met en discussion. Rappelons brièvement ses deux positions. Quand il défend la philologie, il fait une critique du concept d’interprétation en faveur de la pure expérience de lecture des textes (Nietzsche 1999k, 460). Lorsqu’on introduit sa propre interprétation, on trahit les exigences de la philologie, selon Nietzsche. L’exigence mentionnée est pour lui la dernière forme de l’« expérience intérieure », fait qui justifie l’hypothèse d’une appropriation existentielle de la philologie classique. Les exemples où Nietzsche se sert de la philologie comme modèle digne d’être suivi portent sur la critique de la philologie du christianisme. Par

8 George Bondor exemple, dans Humain, trop humain, § 270, il dénonce l’absence de l’explication philologique au Moyen Age, qui a mené à l’incapacité de vouloir la simple compréhension de ce que dit l’auteur. En voilà la philologie rigoureuse (Nietzsche 1999b, 223 [§ 270]). Dans le § 84 de Morgenröte, Nietzsche met en discussion « la philologie du christianisme » et souligne le fait que celui-ci a éduqué dans une moindre mesure le sens pour l’honnêteté et la justice, et on peut observer cet aspect dans le rapport aux textes, plus précisément dans le fait que les textes sont vus comme des dogmes, l’interprétation de certains passages de la Bible étant faite à tout hasard (Nietzsche 1999c, 79). Au-delà du texte biblique, les théologues ont cherché un système ; ils n’ont pas voulu comprendre le texte, mais s’en servir pour démontrer « une vérité ». Nietzsche croit que ce texte doit être lu comme un livre et non pas comme une vérité unique. Donc, le texte même ne doit pas être vu comme un « en soi » qui raconte une histoire sacrée, mais « doit être connu à nouveau comme fable, embellissement, simplification, palimpseste, embrouillamini, donc comme réalité » (Nietzsche 1999k, 128 [KSA13, 11, 302]). Et dans un autre fragment, Nietzsche se pose la question rhétorique : « À quoi servent toute l’éducation scientifique, toute la critique et l’herméneutique, si un tel non-sens de l’interprétation de la Bible, comme celui de l’Eglise, est entretenu ? » (Nietzsche 1999k, 128 [KSA13, 11, 302]).

Subtilitas applicandi

De l’autre côté, il y a de nombreux lieux où Nietzsche se distancie de la pratique courante de la philologie. Dans une lettre adressée à C. Fuchs le 14 décembre 1887, il affirme que lorsqu’il a été philologue il s’est situé en deçà de son « centre » (Nietzsche 1986). Dans un aphorisme, il soutient que la philologie est « une routine monstrueuse ». D’ailleurs, dès 1869, l’année de la rédaction du discours inaugural de l’Université de Bâle le 28 mai 1869, ayant le titre Homère et la philologie classique, il affirme que « toute l’activité philologique doit être insérée dans une vision philosophique » (Nietzsche 1967, 269). Quelles sont les raisons de cette subordination, sur laquelle il reviendra également plus tard? Pour Nietzsche, le but de la philologie classique n’est pas d’étendre la connaissance, mais de former, de cultiver (Bildung). Dans une note, il admet qu’il doit à Wilhelm von Humboldt le fait d’avoir semé en lui la voie vers la connaissance, c’est-à-dire vers la formation universelle. Tout comme pour Humboldt, pour Nietzsche la formation signifie notamment réalisation de soi et évolution personnelle. Dans ce but, l’éducation est centrée sur un modèle philologique : la lecture des grands auteurs et des grands livres.1 En plus, le travail neutre et désintéressé avec les textes ne mène pas à une compréhension adéquate de ceux-ci. On comprend seulement ce qu’on

9 Le problème de la lecture chez Nietzsche... réalise dans notre propre vie. « Nous voulons comprendre la plus précieuse apparition et grandir en même temps qu’elle. Notre tâche est de nous accommoder (transposer le texte dans notre vie) (Hineinleben) » (Nietzsche 1920, 339). Nietzsche se sert du principe de Goethe : « On doit être quelque chose pour faire quelque chose », seulement qu’il s’en est servi en ce qui concerne l’acte de comprendre les textes : on doit être quelque chose pour comprendre quelque chose (Pöschl 1979, 142). Par la suite, le travail sur les phénomènes culturels n’est pas tout à fait rationnel. Par contre, la compréhension des textes et l’éducation par la philologie présupposent la participation de tout l’être humain. Justement pour cette raison, Nietzsche critique la pratique philologique de son époque, puisqu’elle reste dans la plupart du temps purement abstraite, sans rapport avec la vie. Or, la compréhension est directement liée à la vie pratique de celui qui se propose de comprendre. Ce principe herméneutique auquel Nietzsche croit est connu sous le nom de subtilitas applicandi. Gadamer s’est pleinement servi de ce principe, en affirmant que l’application n’est pas un simple appendice ou une conséquence de la compréhension, mais un moment incontournable de celle-ci. On comprend de manière précise dans la mesure où l’on arrive à appliquer un sens à notre propre existence (Gadamer 1990, 312-6 [291-295]). L’explication ci-dessus nous démontre le fait que, pour Nietzsche, il y a deux groupes de savants qui ont affaire à la philologie classique: ceux qui s’y donnent de la peine et ceux qui s’en servent. L’utilisation (qui présuppose également une évaluation) est l’occupation des philosophes ou des philologues qui sont en même temps des philosophes. La critique faite par Nietzsche à la philologie, en tant que science positive, comporte un sous-texte philosophique plus général. Il rejette la positivité de la science, fondée sur la croyance à la vérité unique et objective. Or, on sait que pour Nietzsche la vérité se dissémine dans une pluralité de métaphores (Vérité et mensonge au sens extra-moral), étant dépendante de notre volonté de vérité, qui est une forme de la volonté de puissance. Néanmoins, l’ambivalence du rapport de Nietzsche à la philologie se conserve lorsqu’il s’agit d’explication et de compréhension. Il emprunte à la science positive, qu’il critique, la méthode de l’explication, qu’il préfère à la compréhension. Ailleurs, par contre, il préfère l’interprétation: « Ausdeutung, nicht Erklärung » (Nietzsche 1999j, 98). De même, dans Par-delà bien et mal, § 22 (1886), bien qu’il se définisse comme philologue, il préfère l’interprétation au texte. Même ce que l’on appelle « légité de la nature » n’est pas un fait donné, affirme-t-il, c’est-à-dire un « texte », mais une interprétation (Nietzsche 1999e, 37). Dans ce dernier contexte, qui appartient à l’œuvre de maturité, on retrouve déjà la présupposition de la volonté de puissance, comme dernière instance interprétative (Hébert 1993, 328).

10 George Bondor La philologie, au service de la philosophie

Dans quelques notes pour Wir Philologen, depuis mars 1875, Nietzsche fait référence de manière explicite à la qualité d’éducateurs des philologues (Nietzsche 1999h, 3 [3], 14) et il écrit que ceux-ci ne sont pas à même d’éduquer à l’aide des antiques, raison pour laquelle il conclut que le « philologue n’est pas le but de la philologie » (Nietzsche 1999h, 3 [21, 22], 21). La philologie, telle qu’elle existe jusqu’ici, est en voie de disparition, car il lui manque le fondement (Nietzsche 1999h, 3 [4], 15). Nietzsche ne désire pas pourtant la disparition de la philologie, mais la création d’assises solides pour celle-ci. « Nous croyons que la philologie touche à sa fin – mais moi, je crois qu’elle n’a pas encore commencé » (Nietzsche 1999h, 3 [70], 34). « Le philologue du futur comme sceptique par rapport à toute notre culture et destructeur de l’état des philologues » (Nietzsche 1999h, 5 [55], 56). Nietzsche critique la philologie érudite, en lui préférant la philologie poétique (Nietzsche 1999h, 5 [17], 44). Selon Geneviève Hébert, on peut en conclure que toute lecture doit être une appropriation donatrice de sens. La prétention d’objectivité de la philologie scientifique est illusoire puisqu’il n’existe pas de sens premier. Par la suite, il y a une pluralité d’interprétations, chacune d’entre elles étant une relecture des interprétations précédentes. Pour cette raison, la philologie doit être un instrument de la philosophie, Nietzsche affirmant que la tâche de la philologie est la préparation pour une forme humaine véritable : « par exemple, les philologues comme préparation des philosophes, qui se servent de leur travail de fourmi pour faire une déclaration sur la valeur de la vie. En effet, quand il n’y a pas de direction, la plupart de tout travail de fourmi est dépourvu de sens et inutile » (Nietzsche 1999g, 3 [63], 32). C’est précisément cette idée qui est anticipée dans les conférences Sur l’avenir de nos établissements d’enseignement, où le modèle de philosophe auquel Nietzsche pense est, le plus probablement, Schopenhauer même (Colli 1999, 915). La référence au monde de Nietzsche en deçà de ses textes est nécessaire dans ce cas, puisque les personnages présents en l’occurrence sont faciles à identifier. Les conférences sont écrites sous la forme d’un dialogue entre un philosophe, son disciple et deux jeunes. Le philosophe pourrait être Schopenhauer ou Wagner même, sous la coordination duquel ces discours ont été rédigés par Nietzsche, qui était déjà professeur de philologie classique à Bâle. Les deux jeunes peuvent tout aussi bien être identifiés : l’un est Nietzsche même, plus jeune de 7 ans qu’au moment de l’exposition des conférences, assumant également le rôle de narrateur. L’autre semble être Paul Deussen, l’ami de Nietzsche qui deviendra un orientaliste très important. À cette époque-là, les deux étaient attirés par la philosophie de Schopenhauer.

11 Le problème de la lecture chez Nietzsche... Nietzsche revient au problème de la lecture dans la Préface à Aurore. Pensées sur les préjugés moraux : « On n’a pas été philologue en vain, on l’est peut-être encore, ce qui veut dire professeur de lente lecture » (Nietzsche 1999c, 17 [Vorrede, § 5] ; Nietzsche 1970a, 18 [Avant-propos de 1886, § 5]). La préface n’a été écrite que pendant l’automne de 1886, pour la deuxième édition du livre, de 1887. D’ailleurs, dans l’idée invoquée, où il mentionne les philologues, Nietzsche part justement du fait que la préface respective a été écrite tard, mais non pas trop tard, puisque le problème du livre requiert justement un traitement lent. Or, la lecture lente mène également à l’écriture lente. Nietzsche reprend en l’occurrence, des années après, ses idées sur la lecture placées également comme Préface aux conférences de jeunesse Sur l’avenir de nos établissements d’enseignement, en laissant l’impression de s’être concilié avec la philologie, qui lui avait valu aussi bien de louanges que des critiques. « La philologie notamment est cet art honorable qui requiert une seule chose de son admirateur, rester à l’écart, prendre son temps, se tranquilliser, devenir lent…» Le travail du philologue est lent, mais il est fort important dans une époque de la hâte. Il nous enseigne à « bien lire, c’est-à- dire, lire lentement, profondément, de manière rétrospective et prospective, avec réserves, les portes ouvertes, les doigts et les yeux sensibles…». Tout en méditant sur la lecture, Nietzsche réfléchit en fait également sur la manière dont il aimerait être lu. L’image qu’il se construit sur le lecteur modèle l’amène à modeler également son écriture. Dans Ainsi parlait Zarathustra, il dit que « celui qui écrit ses maximes de son propre sang – ne veut pas être lu, mais appris par cœur » (Nietzsche 1999d, 48). Pour Nietzsche, l’écriture authentique puise dans la vie même, dans le corps même. Par contre, l’écriture qui reste au niveau des idées abstraites est la preuve de l’étrangement par rapport à la vie même. « J’ai toujours écrit mes œuvres avec tout mon corps et ma vie : j’ignore ce que sont des problèmes purement spirituels… Vous ne connaissez ces choses qu'à l'état de pensées, mais vos pensées ne sont pas pour vous des expériences vécues, elles ne sont que l'écho de celles des autres : ainsi votre chambre frémit quand passe un camion, mais moi je suis dans le camion, je suis souvent le camion lui-même » (Nietzsche 1999i, 4 [285, sommer 1880] ; Nietzsche 1970b, 4 [285, été 1880]). L’esprit véritable n’est que sang, selon Nietzsche (Nietzsche 1999d, 48). Le lecteur qui comprend doit être profondément blessé et tout à la fois enchanté par le texte qu’il lit et par chacun des mots de celui-ci (Nietzsche 1999f, 255). Dans la Préface à la Généalogie de la morale, Nietzsche dévoile le fait qu’il codifie de manière délibérée ses pensées dans des aphorismes, la compréhension de ceux-ci requérant plus qu’une simple lecture, mais aussi un déchiffrement, c’est-à-dire une interprétation. Or, pour cela il est nécessaire d’avoir des lecteurs capables de ruminer les aphorismes, et c’est précisément ce que l’« homme moderne » n’a plus le temps de faire (Nietzsche 1999f, 256). Une fois de plus, le problème de la lecture est mis en relation étroite avec la critique des maladies de la modernité.

12 George Bondor Notes

1 Pour une évaluation critique de la conception nietzschéenne de l’éducation du point de vue de son actualité, voir François et al. (2015, 252-72).

References

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13 Le problème de la lecture chez Nietzsche...

Nietzsche, Friedrich. 1999h. Nachgelassene Fragmente 1875-1879. Dans Kritische Studienausgabe, t. 8, éds. Giorgio Colli & Mazzino Montttinnnari. München: Deutscher Taschenbuch Verlag & Berlin / New York: De Gruyter. [KSA 8]. Nietzsche, Friedrich. 1999i. Nachgelassene Fragmente 1880-1882. Dans Kritische Studienausgabe, t. 9, éds. Giorgio Colli & Mazzino Montttinnnari. München: Deutscher Taschenbuch Verlag & Berlin / New York: De Gruyter. [KSA 9]. Nietzsche, Friedrich. 1999j. Nachgelassene Fragmente 1885-1887. Dans Kritische Studienausgabe, t. 12, éds. Giorgio Colli & Mazzino Montttinnnari. München: Deutscher Taschenbuch Verlag & Berlin / New York: De Gruyter. [KSA 12]. Nietzsche, Friedrich. 1999k. Nachgelassene Fragmente 1887-1889. Dans Kritische Studienausgabe, t. 13, éds. Giorgio Colli & Mazzino Montttinnnari. München: Deutscher Taschenbuch Verlag & Berlin / New York: De Gruyter. [KSA 13]. Pöschl, Viktor. 1979. Nietzsche und die klassische Philologie. Dans Philologie und Hermeneutik im 19. Jahrhundert. Zur Geschichte und Methodologie der Geisteswissenschaften, éds. Hellmut Flashar, Karlfried Gründer & Axel Horstmann. Göttingen: Vandenhoeck & Ruprecht.

14 Corneliu Bilba Corneliu BILBA *

Entendre des voix dans le discours (I) : Foucault, Derrida et la politique du signe

Hearing voices in the text (I): Foucault, Derrida and the politics of sign

Abstract: The polyphonic discourse could generate a conflict of interpretations not only in arts and literature, but also in philosophy. For example, we could speak of polyphony in the case of meditation, when the subject is divided between two “voices”: the “I” (narrated) who have acted, thought, wanted and desired, and the “I” (narrator) who speaks [now] of the emotions, thoughts and evaluations aroused by what has been done, thought, wanted and desired [in a past moment]. In order to emphasize how the philosophical polyphonic text gives rise to conflictual interpretations, I analyze the famous debate between Foucault and Derrida, concerning the madness and the cogito, in Descartes’ First Meditation. That text is perfectly dialogic or polyphonic, since the “I” is twofold, and so there is nothing to be stated as the last and true position. This text is the first part of a research on polyphony in philosophical discourse.

Keywords: polyphony, conflict of interpretations, philosophical discourse, madness, Foucault, Derrida, Descartes

1. Polyphonie

Le discours polyphonique constitue la cause du conflit des interprétations, non seulement dans la réception de la littérature et des arts, mais aussi dans la lecture philosophique. Certains textes qui relèvent de la tradition de la pensée dialogique, initiée par Platon, ou de la tradition du « souci de soi » stoïcien, ou de la méditation chrétienne (surtout augustinienne) font obstacle à la compréhension orientée par les règles de la pensée monologique. Le rapport entre polyphonie et dialogisme constitue une matière assez complexe dans les approches linguistiques, car « certaines formes de polyphonie ne sont pas très propices au dialogisme », mais on peut retenir comme idée directrice que « propices à la polyphonie sont […] les cas où la conscience commence à dialoguer avec elle-même » (Olsen 2002, 2, 4-5). La notion de polyphonie a vu le jour dans la théorie littéraire de M. Bakhtine. Dans ses études sur le roman de Dostoïevski, Bakhtine a proposé une conception nouvelle du roman, dite dialogique, parce qu’opposé au

* “Alexandru Ioan Cuza” University, Iasi, Romania; email: [email protected]

15 Entendre des voix dans le discours (I): Foucault, Derrida et la politique du signe monologisme du roman classique. Dans le roman dialogique (ou polyphonique), les personnages ne sont pas des états ou des objets de la conscience de l’auteur. Ce sont plutôt des « voix » qui parlent à côté de la voix de l’auteur, à travers ses mots. L’auteur n’est pas le maître des personnages, mais leur interlocuteur, et les personnages sont des consciences autres qui ont leur propre monde. Chez Bakhtine, la polyphonie est « d’abord la marque distinctive du roman dostoïevskien, […] ensuite elle devient la caractéristique du roman en général, […] et enfin de tout langage ». (Bakhtine 1978, 18) La reprise du concept bakhtinien par les théoriciens de la littérature et par les linguistes a conduit à deux champs d’application de la notion de polyphonie : il y a une polyphonie littéraire et une polyphonie linguistique. En linguistique, ce sont les théoriciens pragmatiques du discours qui ont développé la polyphonie : on appelle « polyphonique » un discours dans lequel s’exprime une pluralité de voix. Par exemple, O. Ducrot a fait la distinction entre le sujet parlant, qui est un être empirique, le locuteur, qui est un élément du discours responsable de l’énoncé, et l’énonciateur, qui est une autre « voix » que celle du locuteur, exprimant un « point de vue » sans qu’on puisse lui attribuer des mots précis (voir Ducrot 1984, 204). La polyphonie consiste dans une tension ou désaccord entre les « voix » ou les « points de vue » qui s’expriment dans et par le même énoncé. En théorie de la littérature, la polyphonie est surtout étudiée par l’analyse du discours indirect libre, qui constitue la marque distinctive des romans de Flaubert1. Le style indirect libre consiste dans la reprise du point de vue du personnage dans la narration, de manière qu’on ne sait plus qui est-ce qui parle : l’auteur, le personnage ou l’auteur ayant pris une certaine position (critique, ironique, polémique etc.) par rapport au personnage. Selon Helge Vidar Holm, « l’emploi flaubertien du style indirect libre dans Madame Bovary pourrait faire partie d’une stratégie stylistique – consciente ou non – d’attribution indécidable ou ambiguë des formules utilisées pour traiter „la question de l’Autre de la parole” ». (Holm 2002, 126) Pour appliquer la notion de polyphonie au texte philosophique, il convient de rappeler que, chez Platon, le dialogue constitue la forme par excellence de la philosophie. Platon avait bien gardé dans l’esprit les discussions de Socrate ; ces discussions avaient eu lieu dans la place publique, au même endroit où les citoyens débattaient les problèmes de la cité. Au même endroit, les sophistes et les orateurs donnaient leurs leçons monologiques. D’entrée de jeu, le dialogue de Platon s’oppose à toutes les formes de discours monophonique, comme le poème philosophique de Parmenide, les discours funèbres et politiques, les leçons des sophistes ou les traités (De la nature) des physicalistes, et même à l’écriture en tant que forme rigide de connaissance « sans enseignement », bonne pour « juger de mille choses » (Platon 1933, 88 [275b]). Le dialogue socratique sert de

16 Corneliu Bilba modèle originel pour ce que Bakhtine a appelé « système dialogique », c’est- à-dire la présence, dans le dialogue, non seulement des protagonistes, mais d’un tiers qui serait le « surdestinataire »2 ou le témoin3, tel le démon de Socrate qui veille à la vérité de la chose lorsque Socrate (de Platon) prend la parole. C’est chez Platon que prend naissance la « compréhension responsive » et ce que Bakhtine a appelé « l’interprétation en tant que dévoilement de ce qui est, à travers l’intuition et à travers un rajout, fruit de l’élaboration créatrice ». (Siclari 2002, 5 of 13) Je pense que l’on puisse découvrir chez Platon le lien originel entre dialogisme et polyphonie. Il ne s’agit pas de rappeler le fait banal que Platon a écrit des dialogues philosophiques, mais du fait qu’on peut retrouver chez lui des situations dialogiques où plusieurs voix s’expriment à travers le même énoncé. Chez Platon, le point de vue de l’auteur est toujours soutenu par la voix de Socrate, mais parfois Platon est ironique ou méfiant à l’égard de Socrate. Dans Phaidros, Socrate, l’adversaire reconnu des discours monologiques, montre au jeune Phaidros comment faudrait-il parler en sophiste amoureux, tel Lysias, afin de convaincre le jeune homme à pratiquer le commerce érotique. Le lecteur (qui est lui même partagé entre la position de Phaidros l’écouteur, le public originel athénien et le récepteur fragmenté par la « distance aliénante ») ne sait plus qui est-ce qui parle à travers les mots de Socrate : est-ce Platon (l’auteur), est-ce Socrate (le locuteur), est-ce Lysias (l’énonciateur) ? Parfois, dans les dialogues de Platon, la conscience de Socrate est scindée entre sa propre voix et la voix de son démon : Socrate analyse les arguments des adversaires en les faisant les siennes, jusqu’à un certain point où le démon n’est pas content etc. Ainsi que Foucault l’a montré, la clôture des écoles philosophiques et la disparition de la cité à l’époque hellénistique ont conduit à la disparition du dialogue socratique et à la prééminence de la lettre écrite. Désormais, le philosophe va consigner ses pensées en faisant l’examen de sa conscience ou va écrire des lettres aux amis (comme Marc Aurèle l’a souvent fait) ou va se confesser (comme Augustin). L’examen de conscience demande un certain socratisme dans le rapport à soi : « Sénèque donne parfois l’impression qu’il utilise un langage juridique, où le soi est à la foi le juge et l’accusé ». (Foucault 1994, 798) C’est à cette tradition de la meditatio qu’appartient René Descartes, celui qui analyse les arguments « pour » et « contre » la mise en doute des connaissances sensibles ; sauf que la méditation cartésienne, à la différence de l’exercice stoïque, n’est pas centrée sur le rapport entre la pensée et les règles, mais sur le rapport entre la pensée et la réalité. En grande ligne, on peut dire que tout discours philosophique a comme modèle originaire le dialogue socratique qui, par sa dimension argumentative, laisse ouverte la possibilité d’entendre des voix qui font des objections à la position défendue. Par rapport à ce problème, Bakhtine disait : « lorsque nous nous mettons à réfléchir sur un sujet

17 Entendre des voix dans le discours (I): Foucault, Derrida et la politique du signe quelconque, lorsque nous l’examinons attentivement, notre discours intérieur […] prend immédiatement la forme d’un débat par questions et réponses, fait d’affirmations suivies d’objections ; bref, notre discours s’analyse en répliques nettement séparées et plus ou moins développées ; il est prononcé sous la forme d’un dialogue » (Todorov 1970, 287). Ce qui permet de poser la question du discours polyphonique en philosophie c’est surtout la meditatio, dans laquelle le sujet est divisé entre la voix du « je » (narré) qui a agi, pensé, voulu, désiré etc. et la voix du « je » (narrateur) qui parle de ce qui a été fait, pensé, voulu, désiré etc. » Cette condition, qui est souvent prise en compte pour définir la polyphonie dans les textes littéraires, constitue la règle de base de la méditation philosophique. Pour mettre en évidence la manière dont le texte polyphonique peut générer un conflit des interprétations dans la pratique de la lecture en philosophie, nous proposons l’analyse du célèbre débat entre Foucault et Derrida, autour de la question de la folie et du cogito, dans la Première Méditation de Descartes.

2. « Mais quoi, ce sont des fous »

Dans le texte en question, Descartes avait parlé « des choses que l’on peut révoquer en doute », en partant du constat que les sens nous trompent quelquefois. Ce fait incontestable impose de suivre une règle de prudence qui dit « de ne se fier jamais entièrement à ceux qui nous ont une fois trompés ». (Descartes 1992, 59) D’habitude, un homme qui avait été trompé auparavant par ses proches devient suspicieux. En tentant de régler sa conduite de la même façon, le philosophe se demande jusqu’à quel point est-il légitime de se méfier des sens trompeurs. A cette occasion, Descartes fait une distinction importante : nous faisons usage de nos sens soit dans l’état de veille, soit dans l’état de sommeil et de rêve. Etant éveillé et assis auprès du feu lorsqu’il écrit sa Méditation, l’auteur se dit qu’il devrait peut- être se comparer à des fous, s’il mettait en doute les données sensibles : « que je sois ici, assis auprès du feu, vêtu d’une robe de chambre, ayant ce papier entre les mains, et autres choses de cette nature ». (Descartes 1992, 59) Mais l’idée qu’il serait fou lui semble assez « extravagante » ; il est donc plus naturel de supposer que ces représentations font peut-être la matière d’un songe. Avant d’analyser cette hypothèse du rêve, Descartes parle des fous qui, en leur extravagance et grâce aux « noirs vapeurs de la bille », s’imaginent toute sorte de choses bizarres : qu’ils sont des rois, qu’ils sont vêtus d’or et de pourpre, ou qu’ils ont un corps de verre. Et il ajoute cette phrase qui fera problème au lecteur éveillé, tel Foucault : « Mais quoi, ce sont des fous, et je ne serais pas moins extravagant si je me réglais sur leur exemple ». (Descartes 1992, 59)

18 Corneliu Bilba Ensuite, en admettant la possibilité de prendre des représentations oniriques pour la réalité nue, Descartes semble reconsidérer la position initiale de sagesse, par rapport à l’extravagance. Il dit quelque chose d’étonnant, dans une phrase qui sera importante pour Derrida, dans sa critique de l’interprétation foucaldienne : « Toutefois, j’ai ici à considérer que je suis homme, et par conséquent que j’ai coutume de dormir et de me représenter dans mes songes les mêmes choses, ou quelquefois de moins vraisemblables que ces insensés lorsqu’ils veillent ». (Descartes 1992, 59) Il semble donc qu’il n’y ait pas de signes assez certains pour distinguer la veille d’avec le sommeil, d’où l’étonnement du philosophe : est-il en veille ou en sommeil lorsqu’il se représente son corps, ce papier, ce feu ? Pour couper le nœud, le philosophe prend cette décision épistémologique : « Supposons donc que nous sommes endormis, et que [toutes ces choses] ne sont que des fausses illusions ». (Descartes 1992, 61) Bien que fausses, les images oniriques sont comparables à des peintures et des tableaux ; en tant que représentations, ces formes bizarres et extraordinaires ne sont que des compositions des formes simples, réelles et véritables. Même l’imagination la plus extravagante doit faire usage des choses « plus simples et plus universelles » telles que les couleurs, la nature corporelle en général, l’étendue, la figure, la grandeur et son nombre, le temps etc. Ces choses simples constituent l’objet des sciences mathématiques qui sont en possession de quelques connaissances certaines et indubitables. L’extravagance est donc surmontée. Toutefois, la valeur de ces connaissances n’est pas garantie pour tous les mondes possibles : peut-être que Dieu a voulu que « Je » me trompe « toutes les fois que je fais l’addition de deux et de trois ». (Descartes 1992, 65) Cette supposition est vraiment extravagante car elle va contre l’opinion courante que Dieu – s’il y a un Dieu – ne pourrait vouloir me tromper ou permettre que je me trompe. Le philosophe doit pouvoir faire la distinction entre doxa et épistémè : « Il est dit souverainement bon […] néanmoins je ne puis douter qu’il ne la permette ». (Descartes 1992, 65) D’où la nécessité de suspendre tout jugement et de penser que ces choses sont fausses « et non point par inconsidération et légèreté, mais par des raisons très fortes et mûrement considérées ». Une des raisons, sans doute la plus importante, serait la possibilité que toutes ces opinions sur la nature et les attributs de Dieu soient des idées ayant comme origine « un certain mauvais génie, non moins rusé et trompeur que puissant qui a employé toute son industrie pour me tromper ». (Descartes 1992, 67) Face à cette menace métaphysique, le sujet devra « prendre garde soigneusement » et préparer bien son esprit afin que ce grand trompeur ne puisse « rien imposer ». Pendant 300 ans, le texte cartésien a été lu par la communauté des philosophes sans dispute ou malentendu ; on n’a pas posé des questions sur la signification sociale et culturelle de la relation entre folie et cogito chez

19 Entendre des voix dans le discours (I): Foucault, Derrida et la politique du signe Descartes. Les lecteurs, même les plus brillants, n’ont vu dans le texte que l’ouverture (la première journée) de la réflexion cartésienne aux grands thèmes de la philosophie occidentale : la théorie de la connaissance, la séparation de l’âme et du corps, l’existence de Dieu. Mais les « herméneutiques du soupçon » (voir Foucault 1994b) ont ouvert d’autres possibilités de lire les textes philosophiques, par la recherche des gestes, des actes et des forces originaires qui donnent naissance à une philosophie. La méthode archéologique est la somme des herméneutiques du soupçon, car elle a été rendue possible par l’unification dans un champ plutôt structuraliste de plusieurs attitudes méthodologiques hostiles à l’épistémologie traditionnelle et à la philosophie de la réflexion ; elle est à la fois une généalogie, une psychanalyse de la connaissance et une critique sociale. Nietzsche, Freud, Marx sous le même toit ! En 1961, Foucault publie l’Histoire de la folie ; dans un chapitre de ce livre, intitulé « Le grand renfermement » il dit que la phrase de Descartes « Mais quoi ce sont des fous » est l’expression d’un geste qui exclut l’hypothèse de la folie du champ de la méditation philosophique. Descartes aurait été sensible au fait que les fous se croyant des rois ou ayant un corps de verre, n’ayant donc pas la conscience critique de leurs cogitationes, ne seraient pas capables de comprendre la signification du cogito. Selon Foucault, Descartes passe un peu trop vite de l’hypothèse de la folie (du passage dans lequel il se compare à des fous qui assurent constamment qu’ils sont des rois) à l’hypothèse du sommeil et du rêve ; ce serait le signe que « dans l’ « économie du doute, il y a un déséquilibre entre la folie, d’une part, et l’erreur et le rêve, d’autre part ». (Foucault 1972, 57) Descartes serait prêt à admettre que l’erreur est possible, qu’il pourrait dormir et rêver, comme il arrive communément à tout être humain, mais il exclut la possibilité d’être fou. Il aurait chassé la folie du champ du discours raisonnable par une attitude philosophique qui définit toute la pensée rationaliste moderne dont le postulat est « moi qui pense je ne peux pas être fou ». Foucault cherche à établir une relation entre ce passage de la Première Méditation et un événement historique qu’il a appelé « le grand renfermement » : il s’agit de la fondation de l’Hôpital général de Paris et d’un certain nombres d’institutions semblables, en France et en Europe. Foucault trouve que l’attitude générale envers la folie a changé de manière radicale, dans le monde occidental, entre la fin de la Renaissance et le commencement de la première modernité (l’âge classique). A l’âge de la Renaissance, la folie avait le pouvoir de signifier – par la libre circulation des fous – la transcendance, la liberté et la chute de l’homme. Le symbole de cette liberté était la Nef des fous, « l’Odysée exemplaire et didactique des défauts humains ». Entre Montaigne et Descartes, une rupture a eu lieu dans la perception du fou ; Foucault parle de « l’instauration d’une ratio », repérée dans le mouvement social de l’âge classique, qui consiste à retenir le fou entre les mûrs de la cité et à le réduire

20 Corneliu Bilba au silence « par un étrange coup de force ». L’Hôpital général, dit Foucault, n’a pas été une institution médicale, mais un établissement policier destiné à la purification de l’espace social de toute forme de déraison, allant de la pauvreté au délire. L’internement avait eu des justifications religieuses et morales, mais était placé sous « la dialectique immanente de l’Etat », car il y avait une police de l’internement qui disposait d’un certain nombre d’instruments juridiques (dont les fameuses « lettres de cachet »). Ce qui constitue la particularité de l’expérience classique de la folie, c’est qu’elle est comprise dans la catégorie générale de la déraison : le fou est interné à côté des libertins, des homosexuels, des dissipateurs, des profanateurs. Foucault insiste sur le fait que l’internement n’a pas été un geste seulement négatif et répressif ; bien au contraire, il supposait un moment positif de « réorganisation du monde éthique, de nouvelles lignes de partage entre le bien et le mal ». Il y a donc une historicité de la folie : l’internement n’a pas eu comme objet une structure morale ou médicale atemporelle. L’objet psychiatrique a été constitué par exclusion, partage et marginalisation. Cette idée d’historicité sera prouvée par un deuxième moment de réorganisation, au début du XIXe siècle : la naissance de l’asile a été contemporaine de la séparation morale (sociale) entre la folie (maladie mentale) et les autres espèces de déraison : à l’époque de la Révolution, les profanateurs et les libertins n’étaient pas enfermés. La leçon de Foucault serait que la constitution historique de la folie signifie la constitution historique de la raison : « à l’âge classique, la raison prend naissance dans l’espace de l’éthique ». (Foucault 1972, 157) Vue dans ce contexte moral, social et politique, la Première Méditation de Descartes est une sorte de « renfermement philosophique de la folie », la phrase « Mais quoi ce sont des fous … » en étant le signe et la preuve de la violence de la raison envers la folie. Cette interprétation a été l’objet d’une critique sévère de la part de Jacques Derrida qui, dans une conférence donnée en 1962 au Collège philosophique4, a mis en question l’entreprise théorique de l’Histoire de la folie. Selon Derrida, la lecture de Foucault est superficielle, naïve et prétentieuse ; en réponse il propose une lecture classique, technique et rigoureuse qu’il prétend néanmoins « banale ». En lisant le texte cartésien, Derrida se propose de rétablir son état originaire, par l’usage de certaines techniques philologiques et grammaticales. Il veut avancer en deux directions : 1) déchiffrer le sens « patent » du texte, l’intention de Descartes – « ce qu’il a dit ou a voulu dire » ; 2) confronter le texte avec la « structure historique », pour tester la validité de la lecture foucaldienne. Il est donc question de voir : 1) si le signe a été bien compris « en lui-même » – exigence qui constitue la condition indispensable de toute herméneutique et de toute prétention de passer du signe au signifié ; 2) si le signe peut avoir la

21 Entendre des voix dans le discours (I): Foucault, Derrida et la politique du signe signification historique assignée par Foucault et si, éventuellement, cette signification s’épuise dans son historicité. Afin de réaliser son premier objectif – déchiffrer le signe en lui-même, Derrida se propose donc de suivre la voie du commentaire. Il relit la Première Méditation en latin et en français ; cette opération constitue par ailleurs la condition préliminaire de l’analyse textuelle détaillée. Il fait remarquer d’abord que le passage qui parle de l’extravagance des fous vient après le passage dont il est question des sens qui sont parfois trompeurs. Ainsi, l’énoncé « tout ce que j’ai reçu jusqu’à présent je l’ai appris des sens ou par les sens » relève de la position du sens commun et de la philosophie sensualiste, alors que la continuation « or j’ai quelquefois éprouvé que ces sens étaient trompeurs » joue le rôle d’un argument philosophique contre le sens commun. Le nouveau paragraphe sera une réponse du sens commun : peut-être que les sens nous trompent « sur les choses peu sensibles et fort éloignés », mais il s’en rencontre beaucoup d’autres qui sont indubitables. Ensuite, c’est toujours au sens commun de jouer : je pourrai nier la valeur des sens, si je me comparais à des insensés qui sont des fous ; je (le sens commun) ne suis pas extravagant, je ne me règle pas sur leur exemple. Par conséquent, la phrase-clef de l’interprétation foucaldienne (« Mais quoi ce sont des fous …») représente la réaction du sens commun qui veut éviter la voie philosophique du doute, pour ne pas faire semblant aux insensés. La phrase n’exprime pas la pensée définitive de Descartes. Selon Derrida, Descartes se fait l’écho de cette objection du non-philosophe qu’il va réfuter dans le passage suivant : « toutefois […] le dormeur et le rêveur est plus fous que le fou (plus loin de la perception vraie que le fou ». (Derrida 1967, 79, nous soulignons) Dans la poursuite de son monologue dialogique, Descartes avait proposé l’hypothèse du rêve afin de ruiner tout fondement sensible ; le sens commun (du non-philosophe) ne pourra pas rejeter cet argument d’une expérience (plus) universelle de l’illusion sensible. « En lui-même » le signe dit : ce n’est pas l’intention de Descartes d’exclure la folie, le rejet du doute comme extravagance est plutôt l’attitude courante du sens commun. Si Descartes l’admet provisoirement, c’est pour trouver un autre angle d’attaque, par le moyen d’une hyperbole : « Supposons donc que nous sommes endormis ». Tout homme pourrait comprendre et accepter une telle métaphore, en raison de l’habitude universelle de dormir et de rêver. Pourtant, cette nouvelle hypothèse ne satisfait pas l’esprit philosophique tourné vers la vérité absolue. Malgré sa logique et sa clarté, la lecture « banale » pourrait être minée par sa banalité même, dans le sens où elle assume la séparation et la confrontation entre l’attitude naturelle et l’attitude philosophique. La lecture de Derrida est dite « banale » dans un sens phénoménologique : elle a son point de départ dans ce qui est naturel et apparent, mais finit par établir une ligne de partage assez nette entre le sens commun et le sens philosophique. Par conséquent, Derrida range

22 Corneliu Bilba l’interprétation foucaldienne du côté du sens commun et dresse son argumentation contre Foucault, à la manière dont la philosophie a toujours réfuté, depuis Platon, le sens commun et l’attitude non-philosophique : par reductio ad absurdum. Derrida construit donc un argument foucaldien contre sa propre thèse et, ensuite, répond à cet argument. Il procède à la manière dont Descartes lui-même dégageait le sens du doute à travers un entretien socratique et méditatif avec le sens commun. L’argument derridien pour Focuault serait que, dans le texte de la Première Méditation, Descartes ne parle pas de folie pour son propre compte, puisqu’il ne dit pas : « Supposons donc que nous sommes fous ! ». Et s’il ne le dit pas, c’est parce qu’il partage secrètement l’attitude ordinaire à l’égard de la folie. Il l’exclut puisqu’il n’en parle pas, donc il serait d’accord avec l’opinion du non philosophe. C’est précisément cet accord « préalable » (ou « préjugé », au sens dont parle Gadamer) qui rend possible le dialogue et tient ensemble le « je » ordinaire et le « je » philosophique. En passant de l’hypothèse de la folie à l’hypothèse du sommeil et du rêve, Descartes aurait dit ou voulu dire : la folie, n’en parlons plus, elle se trouve exclue d’entrée de jeu, car elle ne mène pas loin dans l’exercice de la raison. Selon l’interprétation foucaldienne, l’hypothèse de la folie ne permet pas de faire une analyse des représentations illusoires et de trouver à la fin quelque chose de simple et d’universel (comme, par exemple, les vérités mathématiques). Si je rêve, l’addition de deux et de trois fait toujours cinq ; si je suis fou, je n’en sais rien. C’est en ce sens qu’il y aurait, selon Foucault, « déséquilibre » entre la folie et le rêve : « songes ou illusions sont surmontés dans la structure de la vérité, mais la folie est exclue par le sujet du doute ». (Derrida 1967, 73-74) Néanmoins, Derrida n’admet pas l’argument. Pour lui, le fait que Descartes ne parle pas explicitement de folie signifie exactement le contraire : « Descartes, au fond, ne parle jamais de la folie elle-même dans le texte. Elle n’est pas son thème. C’est peut-être là, dira-t-on, le signe d’une exclusion profonde. Mais ce silence sur la folie elle-même signifie simultanément le contraire de l’exclusion, puisqu’il ne s’agit pas de la folie dans ce texte, qu’il n’en est pas question, fût-ce pour l’exclure ». (Derrida 1967, 79) Foucault pense que Descartes met la folie de l’autre côté du rêve, parce qu’il est impossible de découvrir en elle une structure qui nous permette de surmonter l’illusion. Au contraire, Derrida montre que la folie est un cas particulier de l’illusion sensible, donc le rêve n’est que « l’exagération hyperbolique de l’hypothèse où les sens pourraient parfois me tromper. Dans le rêve, la totalité de mes images sensibles est illusoire ». (Derrida 1967, 75) Il n’y a pas d’exclusion de la folie. La preuve textuelle irréfutable en est l’hypothèse du malin génie : « Je me considérerai moi- même comme n’ayant point de mains, point d’yeux, point de chair, point de sang, comme n’ayant aucun sens, mais croyant faussement avoir toutes ces choses ». (Descartes 1992, 67) Et Derrida explique : ce qui était tout à l’heure

23 Entendre des voix dans le discours (I): Foucault, Derrida et la politique du signe écarté sous le nom d’extravagance est maintenant accueilli dans l’intériorité la plus essentielle de la pensée. Donc nous avons deux moments du doute : le doute naturel, lorsque la folie est considérée comme un cas particulier de l’illusion sensible, et le doute métaphysique, lorsque l’illusion pourrait contourner toute possibilité de certitude intellectuelle, même l’addition de deux et de trois. La conclusion de cette lecture « à la ligne » (Descartes 1992, 85) serait non celle de Foucault (« moi qui pense je ne peux pas être fou »), mais la formulation de la certitude absolue – « même si je suis fou, même si ma pensée est folle, il y a valeur et sens du cogito ». Concernant le deuxième objectif – de voir si le signe a un rapport spécial avec la « structure historique » du grand renfermement, Derrida pense que la relation entre cogito et folie est atemporelle et que toute forme de cogito exclut la folie de la même façon, depuis le cogito grec jusqu’au cogito phénoménologique. En 1972, Foucault a écrit une « Réponse à Derrida »5 ; la version développée de ce texte, intitulée « Mon corps, ce papier, ce feu », a été publiée comme appendice dans la nouvelle édition de l’Histoire de la folie, chez Gallimard6. L’ancienne question est reprise de manière plus méthodique et plus savante ; Foucault propose des nouveaux arguments pour l’interprétation de Descartes qui, dans le texte initial, avait l’air d’une spéculation herméneutique « naïve ». En analysant la lecture sage et rassurante de Derrida, Foucault trouve que, dans sa technique textuelle, son adversaire fait usage de trois postulas qui « forment l’armature de l’enseignement philosophique en France » : a) toute connaissance entretient avec la philosophie un rapport fondamental et fondateur ; b) on pèche chrétiennement (c’est-à-dire par naïveté) contre cette philosophie qui détient la loi ; c) la philosophie est au-delà et en deçà de tout événement, elle étant répétition d’une origine. Si on relit le texte de Derrida à la lumière de ces trois présuppositions, on peut voir que sa lecture est assez cartésienne dans l’esprit de sa méthode. En fait, Derrida ne met pas en questions les présuppositions philosophiques de Descartes, car il procède en tant que simple commentateur qui veut découvrir la vérité du texte (ce que le signe dit « en lui-même »)7. Cette démarche est opposée à l’esprit de l’Histoire de la folie qui prouvait que « la philosophie n’est ni historiquement, ni logiquement fondatrice de connaissance », puisqu’il existe des règles de formation du savoir à chaque époque. Contre l’idée derridienne de rigueur herméneutique, Foucault pense que lire aujourd’hui un texte ancien sans se poser la question des conditions de formation et des événements qui traversent le texte, c’est fausser la lecture. Il me semble que Foucault reprend ici l’argument de Heidegger contre la conception de la rigueur qui était liée à la recherche d’un fondement de la signification (chez Husserl). Le souci de Derrida d’établir ce que le signe dit « en lui-même » suggère qu’il s’agit de la relation entre le signe et ce qui assure sa vérité, c’est-à-dire son

24 Corneliu Bilba fondement. Cette vérité est dégagée par Derrida à la suite de la distinction entre attitude naïve et attitude philosophique : ce ne serait pas Descartes qui dit « Mais quoi ce sont des fous », mais le sens commun et naïf qui est son interlocuteur fictif. Le sens du texte, le sens vrai, peut être saisi à la suite d’un exercice qui consiste à partager le texte entre ce qui relève de l’esprit commun et ce qui relève de l’esprit philosophique. Procédant de cette manière, Derrida a faussé sa propre lecture de Descartes, dit Foucault. L’interprétation devrait tenir compte du fait que le titre du texte cartésien est Méditations : cela suppose que « le sujet parlant ne cesse de se déplacer, de se modifier, de changer ses conventions, d’avancer dans ces certitudes, d’assumer des risques, de faire des tentatives. A la différence du discours déductif dont le sujet parlant demeure fixe et invariant, le texte méditatif suppose un sujet mobile et s’exposant lui-même aux hypothèses qu’il envisage ». (Foucault 1994c, 285) Un autre point important de la réponse foucaldienne concerne le rapport entre folie et rêve. Derrida avait subordonné l’extravagance de la folie particulière à l’illusion plus naturelle et plus universelle du sommeil et du rêve. Or, cela revient à « omettre l’importance plus grande [donnée par Descartes] à la coutume qu’à l’extravagance ». (Foucault 1994d, 248) Si Derrida peut les mettre ensemble, c’est parce qu’il pense que l’illusion de la folie se retrouve dans l’illusion du rêve. Il insiste sur le passage où Descartes, parlant de l’imagination des peintres (qui est analogue à la représentation onirique) avait dit : « leur imagination est assez extravagante ». (Descartes 1992, 61) Ayant appris (de Derrida) que la lecture « banale » est meilleure en latin, Foucault fait le constat surprenant que les mots en question ne se retrouvent pas dans le texte original et qu’ils ont été ajoutés par le traducteur. La preuve en vient de suite : « Si forte aliquid excogitent ad eo novum ut nihil » dit le texte latin ; « si peut être ils inventent quelque chose de si nouveau ». (Foucault 1994d, 256 ; cf. Descartes 1992, 60 et 61) Derrida avait fondé sa lecture sur une expertise philologique qui suggérait que, dans ce passage, Descartes avait utilisé expressément le mot « extravagant ». En même temps, dans le paragraphe sur les fous, Descartes avait employé le mot dementes : « terme technique médical et juridique par lequel on désigne une catégorie de gens qui sont statutairement incapables d’un certain nombre d’actes religieux, civils et juridiques ». (Foucault 1994d, 288) Enfin, Foucault réagit à la manipulation derridienne de l’hypothèse du malin génie : « en face du rusé trompeur, le sujet méditant se comporte, non point comme un fou affolé par l’universelle erreur, mais comme un adversaire non moins rusé, toujours en éveil, constamment raisonnable et demeurant en position de maître par rapport à la fiction ». C’est la réponse du sujet raisonnable face à la provocation de « ceux qui assurent constamment qu’ils sont des fous ».

25 Entendre des voix dans le discours (I): Foucault, Derrida et la politique du signe 3. Polyphonie et politique de l’interprétation

Ces deux interprétations de la Première Méditation reposent sur des politiques herméneutiques opposées. Derrida fait un commentaire animé par l’esprit de rigueur de l’exégèse philosophique classique : il veut déchiffrer dans le texte une ultima ratio, à savoir l’intention de l’auteur ; le vouloir dire qui serait la même chose que ce qui est effectivement dit. Depuis toujours, le but de l’exégèse a été de rétablir la lettre initiale et la vérité du texte, de reconstruire le contexte original dans lequel le texte était significatif de manière authentique. Le souci de l’exégète est de se mettre dans la peau de l’auteur ou du public original, ce qui est indiqué chez Derrida par l’expression « comprendre le signe en lui-même ». Si Foucault fait travailler le texte dans le sens d’une finalité qui semble lui être étrangère et extérieure (car il avait lu la Première Méditation à partir d’un certain nombre de préjugés tirés des enjeux théoriques de l’Histoire de la folie), Derrida essaye de libérer le texte cartésien et de le faire lire sans préjugé ou idée reçue. Pourtant, la prise de position de Derrida par rapport au préjugé est bien naïve (en ce sens, la lecture risque d’être vraiment banale »). Une discussion sur les préjugés ne peut aboutir que si on pose la question soit de les accepter en tant que tels (comme chez Heideger et Gadamer), soit d’en faire l’objet d’une critique des idéologies (comme chez Habermas). Une telle critique pourrait montrer que l’absence de préjugés est une illusion. Le rejet du préjugé foucaldien, par Derrida, n’est pas seulement le résultat (final) du processus de falsification de l’Histoire de la folie, c’est aussi une question de principe. Mais la prétention de Derrida de procéder avec rigueur et sans préjugé n’est que pure rhétorique car, en donnant à l’absence du préjugé un sens phénoménologique, il opère avec la distinction entre attitude naïve et attitude philosophique. Or, cette distinction n’est pas très claire chez Descartes qui « a manqué l’orientation transcendentale » (Husserl 1966, § 10, 20) ; par conséquent, elle risque de devenir chez Derrida un préjugé qui a toutes les chances de contourner son interprétation. L’avantage moral de Derrida8 est annulé par des fautes commises contre ses propres règles (ce qui n’est pas le cas de Foucault). Ainsi, le sage commentateur devient imprudent lorsqu’il reprend (Derrida 1967, 75-76) tout un passage de la traduction française de la Première Méditation, sans se rendre compte (l’observation est de Foucault) que le mot « extravagance », auquel il avait accordé une valeur argumentative importante, ne se retrouve même pas dans le texte original. A vrai dire, la reprise du texte latin n’était pas nécessaire, tant que Foucault avait placé la Méditation sous l’empire de la sensibilité sociale de l’âge classique. Mais une fois que la lecture en latin a été ouverte (par Derrida), il fallait continuer cette voie, pour montrer comment comprendre le mot « extravagance » lorsqu’il traduit, à différentes reprises, des expressions inégales (nec minus ipse demens viderer ; vel si forte

26 Corneliu Bilba aliquid excogitent adeo novum). En même temps, Derrida pense (comme le montre encore Foucault) que l’identité du sujet parlant soit fixe et que la responsabilité des actes soit bien partagée. En cherchant des preuves, nous avons découvert que Descartes dit lui-même (dans les Séptièmes réponses) que « je n’ai rien du tout assuré dans la Méditation I, qui est toute remplie de doutes »9. (Descartes 1992, 474) Si on relit la Méditation à la lumière de cette remarque, on se rend compte que les différentes hypostases du « je » ne sont pas bien définies. Donc le « signe en lui-même » ne saurait être déchiffré par la mise en relation avec la forme savante du cogito. Le « je » héroïque s’efface dans le péché contre la philosophie car « une certaine paresse [l]’entraîne insensiblement dans les trains de [sa] vie ordinaire ». (Descartes 1992, 69) Descartes finit la Méditation par une analogie avec le mythe de la caverne, en disant qu’il retombe dans les anciennes opinions à la façon d’un « esclave qui jouissait dans le sommeil d’une liberté imaginaire » et qui, croyant que sa liberté n’est qu’un songe « conspire avec ces illusions agréables » pour éviter les difficultés et les promesses douteuses d’une veille laborieuse ». (Descartes 1992, 69) Il est assez surprenant que Derrida, après avoir fait l’inventaire de tous les « mais » et les « toutefois » par lesquels Descartes introduit une nouvelle perspective, fait semblant de ne pas voir le « mais » final qui renverse tout, par la mise en doute du chemin parcouru même, lequel promettait beaucoup sans rien assurer. Ces considérations sur le manque de cohérence interne de la lecture de Derrida ne sont pas en mesure de faciliter la réponse à la question si Descartes a exclu (ou non) la possibilité de la folie. Si l’auteur n’a rien assuré dans la Première Méditation, il n’est pas sensé d’imposer au texte une conclusion, pour ou contre. L’observation faite par Foucault, à savoir que la Méditation n’est pas décidée et que le « je » n’est pas fixe, ne conduit pas nécessairement au renfermement philosophique de la folie. Si c’est le sens commun qui parle (en disant « Mais quoi, ce sont des fous ») et si l’esprit n’est pas à la hauteur de la tâche annoncée, il n’en découle pas qu’il y a déséquilibre entre rêve et folie. Dans la confrontation des arguments, il se peut que Foucault ait mieux vu certains points, ce qui a augmenté ses chances de gain, sans assurer aucune victoire. La deuxième lecture de Foucault peut être encore plus technique que celle de Derrida, le préjugé qu’il met en jeu peut avoir une fonction euristique plus importante que le commentaire scolaire, mais Foucault ne fait aucun effort pour renforcer les arguments de son opposant. La dispute autour de la folie n’a pas l’air d’un dialogue herméneutique, mais d’une « querelle »10 entre sophistes. La condition essentielle du dialogue philosophique est l’effort que font les protagonistes pour renforcer par des arguments propres la position (faible) de l’autre, et de les réfuter (éventuellement) par la suite, afin de répondre à des questions essentielles qui touchent à la chose elle-même. Ce type de

27 Entendre des voix dans le discours (I): Foucault, Derrida et la politique du signe dialogue a été pratiqué par Socrate/Platon, comme Gadamer l’a montré dans ses réflexions sur la compréhension dialogique. Par son style dialogique, la Première Méditation de Descartes appartient à la tradition socratique de la philosophie ; Derrida l’a bien remarqué. Par ailleurs, Derrida a mieux saisi la nature de l’entreprise herméneutique, car il a essayé de pratiquer lui-même le dialogue, en imaginant un argument foucaldien contre sa propre lecture. La structure de son argument a une valeur propédeutique importante pour l’analyse du débat : Derrida avait dit que l’argument foucaldien le plus sérieux serait le silence de Descartes à l’égard de la folie. Le fait que Descartes n’en parle pas serait la meilleure preuve qu’il l’a exclue. Or, ainsi qu’on l’a vu, le même argument peut fonctionner à l’inverse. C’est par le même type de d’argument qu’il est possible de renverser la meilleure preuve de la deuxième lecture de Foucault : si le « je » philosophique et le « je » naïf ne sont pas bien séparés, si Descartes n’a rien assuré dans la Première Méditation, alors on ne peut décider ni pour, ni contre l’exclusion de la folie. Ce n’est pas Foucault qui procure les meilleurs arguments pour sa thèse ; c’est plutôt la discussion. Foucault peut rejeter l’interprétation contraire parce qu’il lui semble, à la lumière du titre « Méditations », que la distribution des rôles est moins rigide que Derrida ne l’avait pas pensé11. Conformément à la lecture derridienne, les « mais » et les « toutefois » sont des marques permettant d’indiquer qui dit quoi dans le texte. Nous avons montré que Derrida ne prend pas en considération le « mais » final ; il est encore plus étonnant que Foucault ne le considère pas non plus. Le passage final prouve que Foucault a incontestablement raison, quand il dit que le sujet de la « méditation » n’est pas fixe. Et pourtant, Foucault passe également ce passage sous silence. Encore, il suggère que la mobilité du sujet méditant est valable pour l’ensemble des Méditations, ce qui n’est pas vrai. Il veut faire croire que les hypostases du « je » sont non seulement confuses, mais aussi obscures. Dans le passage final, Descartes dit que le « je » héroïque retombe dans les anciennes opinions, faute de l’absence de certitude de la « veille laborieuse » : en fait, les hypostases du « je » sont claires, bien qu’elles ne soient pas distinctes. Cette interprétation conduit à la conclusion que le lendemain, à la reprise de l’exercice méditatif (Méditation II), le « je » philosophique regagnera sa dignité, laissant au « je » naïf la responsabilité d’avoir exclu – à lui seul – la folie. Victoire de Derrida, donc ! C’est peut-être la raison pour laquelle Foucault passe sous silence le dernier passage ; ce passage semble lui donner raison dans l’immédiat, mais avec des conséquences herméneutiques inacceptables à long terme. Encore paradoxalement, ce silence de Foucault constitue un argument de plus pour la profondeur de son analyse, car Derrida ne voit pas que ce qui semble

28 Corneliu Bilba infirmer sa lecture dans l’immédiat, peut lui donner raison plus loin. Il cherche – plus que Foucault ! – les effets de surface (par ailleurs il avait le public devant lui). Pour Foucault, sophiste par vocation, il est plus profitable de suggérer que les plusieurs « mais » et « toutefois » sont des marqueurs de la polyphonie du texte. Mais il ne se rend pas compte que la polyphonie ne permet pas d’imposer une conclusion si nette que la thèse de l’exclusion de la folie, à moins qu’une analyse linguistique détaillée ne l’impose pas. Cette analyse linguistique nous essayerons de la faire dans un texte à venir.

Notes

1 En théorie de la littérature, le développement de la conception polyphonique a été rendu possible par la reprise de la théorie de Bakhtine, mais aussi par la narratologie de G. Genette qui avait soutenu, avant Ducrot, des idées similaires concernant la pluralité des instances dans la théorie du récit. Chez Genette, l’auteur, le narrateur et le focalisateur correspondent aux instances linguistiques de Ducrot. En partant de Ducrot, qui avait utilisé des exemples de romans de Flaubert, toute une école s’est développée par l’analyse du roman Madame Bovary. Ce roman appartient désormais à la tradition du roman polyphonique et constitue le modèle standard pour les analyses polyphoniques (voir Holm 2004, Jünke 2003). 2 « Ce surdestinataire avec sa compréhension „idéalement parfaite” n'est pas une conscience humaine ou bien une situation culturelle particulière, mais une expression idéologique précise, à savoir, selon les cas (selon les cultures, les époques, les conceptions), Dieu, ou la science, ou l'histoire, ou l'éthique » (Siclari 2002, 4 of 13). 3 Il s’agit d’une « attitude énonciative qui consiste à parler comme un témoin » (Lescano 2012, 145-188). Mais, selon Velcic-Canivez (2006), le « mode témoin » est une attitude énonciative complexe : témoigner ce n’est pas seulement [formellement] produire « un compte rendu certifié par l’expérience de son auteur » (ibid., 1-2) ; c’est aussi « prendre l’autre à témoin ». « Le mode témoin est marqué par l’intériorité du locuteur vis-à-vis des objets de discours et par un destinataire visé en tant que personne. Le référent d’une expérience est pris de manière inextricable dans cette double relation » (Velcic-Canivez 2006, 207). 4 Intitulée « Cogito et histoire de la folie », la conférence fut publiée dans la Révue de Métaphysique et de Morale et reprise dans L’écriture et la différence (1967). 5 « Michel Foucault Derrida e no kaino » (« Réponse à Derrida »), Paideia, no II: Michel Foucault, 1er février 1972, pp. 131-147. 6 « Mon corps, ce papier, ce feu », in Michel Foucault, Histoire de la folie, Paris, Gallimard, 1972, appendice II, pp. 583-603. La première édition avait été publiée chez Plon, en 1961. 7 Foucault a été très méfiant par rapport à la technique du commentaire ; il disait que le commentaire ne fait que répéter une origine et que ce geste est constitutif d’un certain « alexandrinisme » de la culture occidentale. En tant que répétition, le commentaire peut rater la différence, c’est à dire la nouveauté et le surgissement de l’événement. Mais Foucault ne détient pas la propriété intellectuelle de cette idée ; Wittgenstein avait remarqué bien avant lui qu’ « on ne peut commenter une phrase sans répéter cette même phrase ». 8 Cet avantage relevant d’une éthique professionnelle avait été obtenu par captatio benevolentiae – n’oublions pas qu’à l’origine le texte de Derrida était une conférence – lorsqu’il avait annoncé une lecture savante (dite ironiquement banale), sans préjugé, sans violence faite à la tradition universitaire.

29 Entendre des voix dans le discours (I): Foucault, Derrida et la politique du signe

9 Descartes répondait ainsi à l’objection du jésuite P. Bourdon qui avait demandé : « Pourquoi dites-vous si assurément que quelquefois nous rêvons ? ». « Il tombe innocemment dans la même faute (dit encore Descartes) et par la même raison il aurait pu aussi trouver ceci, nous ne rêvons jamais ; ou bien quelquefois nous rêvons ». (Descartes 1992, 474) 10 Pierre Macherey a remarqué que le débat entre Foucault et Derrida concerne moins la problématique de la philosophie cartésienne et plus le statut de la philosophie en général et de la raison dans la culture occidentale. Le texte cartésien a été lu pour répondre à des intérêts de moment, bien que des intérêts philosophiques (voir Macherey 2014). 11 Ainsi que Pierre Macherey le notait, « la méditation est un exercice de pensée qui suppose la mise entre parenthèses de tout contenu de pensée, donc cesse de considérer la pensée en tant que contenu ou ayant un contenu, c’est-à-dire un ou des objets, et l’aborde dans sa forme même de pensée, en tant qu’elle est pensée qui se rapporte, non à un objet, mais à un sujet qui pense, et que ce retour sur soi opéré par le biais de la méditation met en situation de devenir sujet de vérité » (Macherey 2014).

References

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30 Corneliu Bilba

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31 Illumination divine et idée immédiate. La réception de l’augustinisme chez Malebranche Cristian MOISUC *

Illumination divine et idée immédiate. La réception de l’augustinisme chez Malebranche

Divine Illumination and Immediate Idea: Reception of Augustinianism by Malebranche

Abstract: The purpose of this article is to show that the way Malebranche calls on the Augustinian heritage does not limit itself to a plain respectful reception, so as many exegetes think, quite to the contrary: in the Xth Elucidation, where he engage a violent polemic against Descartes, the French Oratorian shows himself very “Augustinian”, invoking the Augustinian theory of the illumination in order to criticize the Cartesian thesis of the creation of eternal truths; in other writings, he diverts an Augustinian principle (nulla natura interposita), intending to prove that the knowledge of idea is immediate. This strategy raises many philosophical and theological risks, denounced by the Index Commission of Rome.

Keywords: occasionalism, Augustinianism, cartesianism, knowledge, representation, Malebranche, idea, vision in God

Dans la Xe Eclaircissement, l’oratorien Nicolas Malebranche revient sur le noyau de son système occasionaliste et se propose de fournir une explication plus détaillée sur la manière dont « on voit en Dieu toutes choses, les vérités et les lois éternelles » (je cite le sous-titre). La décision de revenir sur ce qu’il avait déjà écrit dans la Recherche, dans la deuxième partie intitulée « De la nature des idées », où, procédant par énumération et élimination1 des quatre thèses concurrentes2, il établissait que « l’esprit peut voir en Dieu les ouvrages de Dieu » (Malebranche 1958-1970, OC I, 437), lui offre le prétexte de critiquer Descartes mais aussi d’affermir, grâce à des arguments d’autorité théologique, un raisonnement quelque peu fragile. Dans la Recherche, la vision en Dieu était établie grâce à pas moins de trois suppositions non démontrées3 qui servaient à prouver que l’homme se trouve dans une situation de « dépendance » par rapport à Dieu4 et que celle-ci oblige les philosophes à reconnaître que le prétendu caractère naturel des connaissances5 n’est, en effet, que l’effet de l’illumination divine. La relative fragilité de l’argumentation philosophique est masquée par le recours à des arguments d’autorité extraits de saint Augustin, notamment des fragments qui insistent sur la connaissance par illumination6. Dans la

* “Alexandru Ioan Cuza” University, Iasi, Romania; email: [email protected]

32 Cristian Moisuc Recherche (livre III, seconde partie), saint Augustin est invoqué plusieurs fois7, dans le but de soutenir la théorie malebranchiste de la connaissance, mais aussi de dénoncer les théories concurrentes, stigmatisées comme le fruit de l’orgueil ou de la superbe des philosophes8. Même si Malebranche n’indique pas un adversaire précis dans la Recherche, nous pouvons assez facilement deviner les partisans de l’innéisme des idées (notamment Descartes et Arnauld)9. La définition de l’idée qu’offre Malebranche10 réduit l’idée cartésienne à sa réalité objective11 et montre la distance assumée par rapport à l’illustre prédécesseur: « Mr. Descartes dit que les idées sont des modalités de l’âme. Cela est vrai: mais c’est qu’il ne prend pas comme moi le mot idée, pour signifier uniquement la réalité objective12, mais pour ces sortes de pensées par lesquelles on aperçoit un homme, un ange, comme il est clair par la première partie du passage que rapporte Mr. Arnauld. Il le prend, comme il paraît par la seconde partie de ce même passage, pour la perception, non en tant simplement que modalité de l’âme, mais en tant que renfermant la réalité objective ». (Malebranche 1958-1970, OC VI, 217) La réduction de l’idée à sa réalité objective, que Malebranche soutiendra avec force dans sa dispute avec Arnauld13, a un but précis: interdire que les idées soient tenues pour des modifications de l’âme (ce qui ouvrirait la voie à l’innéisme ou, du moins, à une quelconque relation d’inhérence entre les idées et l’esprit, ce que l’oratorien ne peut pas accepter). Un exégète attentif comme Gouhier ne pouvait pas manquer d’observer que Malebranche, tout en ignorant ce qu’il doit lui-même à la thèse innéiste14, accepte cependant la présence des idées dans l’âme, sans pour autant considérer que celle-ci soient des idées innées. C’est ici que la théorie augustinienne de l’illumination intervient pour introduire une distinction subtile : l’esprit détient des idées, mais ne les possède pas dans le sens propre du terme. Le rôle de la théorie de l’illumination est donc de décentrer l’ego de sa prétention orgueilleuse qui consiste à croire qu’il possède les vérités en lui- même. A part saint Augustin, Malebranche cite une phrase de saint Bernard (« c’est un orgueil très criminel que de se servir des choses que Dieu nous donne, comme si elles étaient naturelles »15) qui a le rôle de prouver que Dieu octroie à l’esprit la connaissance des idées par une lumière qui éclaire l’esprit et qui lui marque a chaque moments qu’il n’est pas sa propre lumière : « Ne dites pas que vous soyez à vous-même votre propre lumière, dit saint Augustin, car il n’y a que Dieu qui soit a lui-même sa propre lumière, et qui puisse en se considérant voir tout ce qu’il a produit et qu’il peut produire » (Malebranche 1958-1970, 434)16. Cette thèse de la Recherche, que Malebranche mobilise contre l’innéisme cartésien, est reprise dans le Xe Eclaircissement, grâce à la distinction entre la lumière éclairée et la lumière

33 Illumination divine et idée immédiate. La réception de l’augustinisme chez Malebranche qui éclaire17. La distinction a le rôle de souligner la radicale passivité de l’entendement dans l’acte de la connaissance18, ce qui interdit désormais de penser les idées comme des modifications de l’esprit (que celui-ci aurait la possibilité de se donner soi-même). N’étant pas des modifications de l’esprit, les idées ne peuvent être que des « perfections » situées en Dieu, « lesquelles représentent les êtres crées ou possibles » (Malebranche 1958- 1970, OC III, 137) ou, comme il le dit quelques lignes auparavant dans le Xe Eclaircissement, « les perfections de tous les êtres qu’il a crées ou qu’il peut créer » (ibid. 136). La connaissance de ces idées19 ou perfections, situées en Dieu, est immédiate. Le caractère immédiat de l’idée apparaît comme l’effet de l’attention, en tant que « prière naturelle qui obtient immédiatement de Dieu la lumière des vérités les plus révélées » (Malebranche 1958-1970, OC X, 144). L’enjeu philosophique de l’immédiateté est double : - d’une part, dans le Xe Eclaircissement, Malebranche veut critiquer la thèse cartésienne de la création des vérités éternelles et, pour ce faire, il vise directement le décret créateur dont parlait Descartes (AT I, 145 ; cf. Marion 1996, 183-219), qu’il considère une « imagination sans fondement » et une « fiction de l’esprit » (Malebranche 1958-1970, OC III, 133, 134)20. Malebranche pense qu’il n’y a aucun décret créateur qui pourrait jouer le rôle de médiateur entre l’esprit de l’homme et les idées éternelles situées en Dieu21. L’esprit connaît les idées grâce à l’union immédiate qu’il a avec Dieu : « ... idée que nous recevons par l’union immédiate que nous avons avec le Verbe de Dieu, la souveraine Raison » (Malebranche 1958-1970, OC I, 457)22. Il reprendra cette idée dans la réponse à M. Régis : « Car je suis persuadé…non seulement qu’il n’y a que Dieu... mais encore que lui seul peut agir immédiatement dans nos esprits, et en nous touchant par sa substance en tant que relative aux êtres créés et possibles » (Malebranche 1958-1970, OC III, 290); - d’autre part, pour critiquer Descartes, Malebranche a besoin de s’appuyer sur une autorité prestigieuse et sur une preuve théologique décisive, qu’il croit trouver dans la théorie augustinienne de l’illumination divine. Déjà dans la Recherche de la Vérité, l’oratorien plaçait les idées dans la substance de Dieu ; la connaissance des idées avait lieu grâce à l’illumination accordée par celui-ci : « Il est certain que les idées sont efficaces, puisqu’elles agissent dans l’esprit et elle l’éclairent […] Or rien ne peut agir immédiatement dans l’esprit, s’il ne lui est supérieur ; rien ne le peut que Dieu seul […] Donc il est nécessaire que toutes nos idées se trouvent dans la substance efficace de la Divinité, qui seule est intelligible ou capable de nous éclairer, parce qu’elle seule peut affecter les intelligences. Insinuavit nobis Cristus, dit saint Augustin, animam humanam et mentem rationalem non vegetari, non beatificari, non iluminari nisi ab ipsa substantia Dei » (Malebranche 1958- 1970, OC I, p. 442)23. Dans le Xe Eclaircissement, la théorie augustinienne de

34 Cristian Moisuc l’illumination est utilisée dans le but de dénoncer la thèse cartésienne de la création des vérités éternelles et le fragment du De libero arbitrio auquel Malebranche renvoie est épaulé par un fragment des Confessions24. La justification d’une connaissance directe et immédiate de l’ordre immuable et nécessaire n’est possible que grâce à l’union immédiate de l’homme à Dieu, qui sera justifiée par une autre thèse augustinienne : nulla creatura [natura] interposita. Nous avons compté huit occurrences explicites de cette thèse augustinienne dans le corpus malebranchiste. Certaines occurrences renvoient à des lieux précis de saint Augustin, d’autres mentionnent seulement le nom, sans aucune référence textuelle. Nous les signalons dans l’ordre chronologique de l’apparition dans l’ensemble de l’œuvre : i) La première référence augustinienne est placée au début de la Recherche, dans la Préface : « Mais je suis surpris que des philosophes chrétiens, qui doivent préférer l’esprit de Dieu à l’esprit humain, Moise à Aristote, saint Augustin à quelque misérable commentateur d’un philosophe païen regardent plutôt l’âme comme la forme du corps, que comme faite à l’image et pour l’image de Dieu, c’est-à-dire, selon saint Augustin, pour la Vérité à laquelle seule elle est immédiatement unie » (Malebranche 1958-1970, OC I, 10). Malebranche renvoie lui-même à un fragment du Liber imperfectus de Genesi ad litteram, où l’immédiateté de l’union ne signifie autre chose que le manque de médiation entre l’âme et Dieu, le texte augustinien étant clair là-dessus : « Ad ipsam similitudinem non omnia facta est, sed sola substantia ratinalis ; quare omnia per ipsam, sed ad ipsam, non nisi anima rationalis. Itaque substantia rationalis et per ipsam facta est, et ad ipsam ; non enim est ulla natura interposita » (Augustin 2005, 60). ii) La deuxième référence au principe augustinien se trouve toujours dans la Préface de la Recherche : « Cela fait voir que ce n’est que par l’attention de l’esprit que toutes les vérités de découvrent, et que toutes les sciences s’apprennent, parce qu’en effet l’attention de l’esprit n’est que son retour et sa conversion vers Dieu, qui est notre seul Maître, et qui seul nous instruit de toute vérité, par la manifestation de sa substance, comme parle saint Augustin, et sans l’entremise d’aucune créature » (Malebranche 1958-1970, OC I, 17-18). Malebranche renvoie à Soliloquia pour prouver que la lumière de la connaissance ne vient que de Dieu : « Deus intelligibilis lux in quo, et a quo, et per quem intelligibiliter lucet, quae intelligibiliter lucent omnia » (Augustin 1948, 28). La preuve que le thème de l’illumination directe par Dieu est une déclinaison différente du principe nulla natura interposita est fournie par la traduction que Malebranche lui-même fait du principe augustinien. Cette fois-ci, Malebranche renvoie, pour justifier l’usage du syntagme « nulla natura interposita », à De diversis questionibus (Augustin 1952, 138). iii) On trouve la troisième référence au principe augustinien dans la Recherche : « Enfin, dans cette vie, ce n’est que par l’union que nous avons

35 Illumination divine et idée immédiate. La réception de l’augustinisme chez Malebranche avec lui que nous sommes capables de connaître ce que nous connaissons, ainsi que nous avons expliqué dans le chapitre précédent ; car c’est notre seul Maître, qui préside à notre esprit, selon saint Augustin, sans l’entremise d’aucune créature » (Malebranche 1958-1970, OC I, 449). Le fragment augustinien qui justifie la thèse de Malebranche provient du De Musica (« Humanis mentibus nulla interposita natura praesidet ») (Augustin 1947, 356)25. iv) La quatrième référence provient de la Préface des Entretiens sur la métaphysique et la religion, où Malebranche, après voir longuement cité saint Augustin, ajoute qu’il serait « inutile de transcrire un plus grand nombre de passages de saint Augustin pour prouver que cette auteur a cru que la Sagesse éternelle est la lumière des intelligences et que c’est par la manifestation de sa substance, en tant qu’archétype de tous les ouvrages possibles, en tant qu’art immuable, que Dieu nous éclaire intérieurement et sans l’entremise d’aucune créature » (Malebranche 1958-1970, OC XII, 18). Cette fois-ci, la référence du De musica est soigneusement fournie (« Humanis mentibus nulla interposita natura praesidet »), et l’oratorien cite aussi De utilitate credendi (chapitre 15). v) Dans le texte des Entretiens sur la métaphysique et la religion nous trouvons la cinquième occurrence : « J’ai bien de la joie, Ariste, de voir que vous êtes bien convaincu, non seulement que la puissance de Dieu est la cause efficace de nos connaissances, car je pense que vous n’en doutez pas, mais encore, que la sagesse est la cause formelle qui nous éclaire immédiatement et sans l’entremise d’aucune créature. Je vois bien que Théodore vous a entretenu sur cette manière. Je lui dois aussi ce que vous tenez de lui et qu’il dit tenir de saint Augustin » (Malebranche 1958-1970, OC XII, 190). Malebranche ne fournit plus une référence augustinienne précise, le contexte étant fortement épistémologique et la thèse servant à prouver le caractère immuable des connaissances humaine26. Les trois dernières occurrences que nous avons trouvées proviennent toutes des Lettres adressées par Malebranche à Arnauld. vi) A la fin de la Troisième Lettre (1685), l’oratorien avoue prier Dieu pour que son adversaire trouve la grâce de rentrer en soi-même et de « consulter la Sagesse éternelle, cette Raison universelle qui préside immédiatement à tous les esprits et qui ne répond qu’à ceux qui savent l’interroger avec le respect et l’attention qui lui est due » (Malebranche 1958-1970, OC VII, 339). Aucune référence explicite n’est fournie. vii) La septime occurrence se trouve dans Deux Lettres (OC VIII-IX, 873), où Malebranche sermonne Arnauld pour avoir confondu l’enseignement offert par un Docteur en théologie avec la vérité dispensée par la Verbe lui-même : « Vous deviez avoir appris ces vérités de saint Augustin. Mais la Raison universelle informe l’esprit immédiatement par elle-même, nulla creatura interposita, comme dit ce Père. Nous sommes tous raisonnables en conséquence des lois générales et efficaces de l’union de notre esprit avec le

36 Cristian Moisuc Verbe divin, desquelles lois nos volontés sont les causes occasionnelles » (Malebranche 1958-1970, OC VIII, 873). La référence augustinienne est à De Genesi ad litteram, tout comme dans la Préface de la Recherche. viii) Enfin, la dernière occurrence est de la Lettre du 19 mars 1699 : « Mais les intelligences ne peuvent être unies directement qu’à ce qui est intelligent. L’âme ne peut être unie immédiatement et directement qu’à la substance divine, par elle-même toujours efficace. Toutes les modalités de l’âme, toutes ses perceptions en dépendent directement, nulla natura interposita, dit saint Augustin » (Malebranche 1958-1970, OC IX, 963). Le texte augustinien auquel Malebranche renvoie est De Genesi ad litteram. Nous voyons donc que sur les huit occurrences que nous avons trouvées, trois figurent dans la Recherche (dont deux dans la Préface), deux dans les Entretiens sur la Métaphysique et la religion (dont une dans la Préface), et trois dans les Lettres à Arnauld (dont une à la fin d’une lettre). Au total, sur les huit occurrences, quatre apparaissent soit à la fin, soit au début des ouvrages. On peut formuler d’une manière raisonnable l’hypothèse que cet usage du principe augustinien nulla natura interposita est dû au rôle que lui assigne Malebranche, qui est celui d’argument d’autorité. L’oratorien se servirait en effet de saint Augustin pour avancer sa propre thèse de l’union immédiate de l’âme avec le Verbe divin, ce qui justifierait la connaissance obtenue par illumination divine. La question qui se pose vise donc le sens de l’usage que fait Malebranche du principe nulla natura interposita : s’agit-il d’un usage augustinien proprement dit ou bien l’oratorien cite saint Augustin dans le seul but de justifier ses propres thèses ? Or, Malebranche a été condamné de manière officielle à plusieurs reprises par l’Eglise Catholique. Nous possédons aujourd’hui les actes des commissions de l’Index, ainsi que les rapports rédigés par différents censeurs qui se sont penchés sur les œuvres de Malebranche pour dénicher les déviations théologiques de sa doctrine (voir Costa 2003). La première condamnation a été adoptée en 1690, visant le Traité de la nature et de la grâce et c’est après cette condamnation que Malebranche a livré sa célèbre position sur les limites de la juridiction de l’Inquisition (qui est limitée à Italie et n’a aucun pouvoir en France)27. La deuxième condamnation a visé la Recherche sur la vérité et a été prononcée en 1709 et la troisième a frappé les Entretiens sur la métaphysique et la religion en 1714. Cette troisième censure nous semble importante parce que plusieurs censeurs ont été chargés de la mission d’examiner l’œuvre de Malebranche et d’en trouver les erreurs théologiques. Le premier, Giovanni Titolivio, a indiqué explicitement comme une des raisons de la censure (il y en avait plusieurs !) la thèse des idées immuables et indépendantes par rapport à Dieu. Selon le censeur, Malebranche remet en circulation la théorie platonicienne des idées et, prenant un faux appui sur le texte augustinien De diversis questionibus, interprète le caractère immuable des idées

37 Illumination divine et idée immédiate. La réception de l’augustinisme chez Malebranche comme la preuve que celles-ci sont indépendantes par rapport à Dieu. Or, Titolivio rappelle la solution thomiste qui consiste à dire que les idées sont immuables parce qu’elles sont contenues dans l’intellect divin, ce qui marque aussi leur dépendance par rapport à la causalité fondatrice divine. Le rapport officiel est rédigé par Titolivio en latin et ne fait aucune concession à la théorie des idées immuables de Malebranche : « ... ita Pater Malebrancius, obsoletam eiectamque Orbo Catholico sententiam restituens, producit, inquit, defendit : hasce ideae ita per se subsistentes componere mundum quendam realem visibilimque, in hoc homines habitant […] ipsi nimirum non aspiciunt ipsas res, sed intuentur ideas, quae necessariae, aeternae, et incommutabiles sunt » (Costa 2003, 215) (c’est le censeur qui souligne). Le deuxième censeur, Antonino Sale, pointe à son tour ce qu’il considère comme une erreur théologique très grave du système malebranchiste, l’union immédiate de l’âme avec Dieu. Cependant, le censeur ignore l’ancrage augustinien de la thèse malebranchiste, et critique seulement les conséquences (la reformulation du rapport entre l’âme et le corps selon les exigences de la théorie occasionaliste)28. La quatrième condamnation officielle a visé le Traité de morale (1714), examiné par Fabio Caracciolo et Giovanni Batista Giattini, qui critiquent plusieurs thèses de l’oratorien, jugées erronées. Cependant, il existe aussi une autre condamnation de Malebranche, qui n’est jamais devenue officielle, et qui vise les Méditations Chrétiennes. Il s’agit d’une condamnation « ratée » de 4 mai 1711, qui aurait dû être officialisée après le rapport du censeur Virgilio Gianotti mais qui, pour des raisons liées au parcours dans la hiérarchie ecclésiastiques de ceux qui en étaient responsables, est restée en suspens29. Cette condamnation nous semble la plus intéressante de toutes pour une discussion sur le détournement de l’augustinisme par l’oratorien, car le censeur indique avec précision quelques conséquences qui découlent directement de l’interprétation malebranchiste du principe augustinien nulla natura interposita. Le rapport en latin rédigé par Gianotti commence par avertir les théologiens de la Commission de l’Index que les Méditations Chrétiennes contiennent plusieurs thèses contraires aux vérités de la théologie catholique : « Meditationes itaque, quas Eminentiis Vestris humillime referre aggredior, plura continere videntur sanae Catholicaeque doctrinae contraria » (Costa 2003, 226). La première erreur décelée par le censeur est liée directement à l’application du principe augustinien nulla natura interposita, qui génère une conséquence pernicieuse sur le plan de l’ecclésiologie et de l’herméneutique du texte sacré, c’est-à-dire le rejet catégorique de la hiérarchie et de la médiation hiérarchique. Le caractère immédiat et direct de l’union de l’âme au Verbe que Malebranche prétend déduire de saint Augustin lui sert à justifier la thèse

38 Cristian Moisuc que le seul véritable Maître est le Verbe, qui parle directement et immédiatement à l’âme; pour cette raison, les paroles ou les écrits des Pères de l’Eglise ne doivent pas être tenues pour l’expression de la vérité révélée : « videlicet in eo sensu […] se adeo Dei seu Divini Verbi immediatae loqutioni adherere, ut exclusa velit omnia media, seu documenta quae ex ore Sanctorum Patrum aliorumque Doctorum audienda esse docet Ecclesia. In toto enim opere nihil magis inculcat, quod nisi audiatur Verbum loquens in secretiori rationis, dictis hominum quantumvis sapientium immorandum non est » (Costa 2003, 227). Le syntagme « ut exclusa …omnia media » qui revient sous la plume du censeur n’est que l’expression de l’usage malebranchiste du principe nulla natura interposita. L’immédiateté de l’union avec le Verbe que réclame Malebranche le fait tenir pour inutiles même les enseignements officiels de l’Eglise. La stratégie de Malebranche a comme but de décrédibiliser les Pères: en quête de la vérité théologique, le fidèle doit faire confiance plutôt au Verbe (qui lui parle directement et sans l’entremise d’aucune créature) qu’aux docteurs de l’Eglise30. En effet, dans le XIIIe Méditation Chrétienne, le Verbe conseille une attitude défiante par rapport aux Pères de l’Eglise : « Lorsqu’on n’est point en état de travailler, on doit profiter du travail des autres. Les saints Pères pleins d’amour pour la religion méditaient jour et nuit la loi de Dieu. Il faut que celui, qui n’est point en état de découvrir les vérités sublimes que je leur ai enseignées, profitent de leur travaux. Néanmoins il ne faut pas tellement les croire à leur parole, qu’on ne me consulte souvent, pour voir si je parle à l’esprit, comme ils font aux yeux. Ils sont hommes et sujets à l’erreur. Lorsqu’ils parlent comme témoins de la doctrine de leur siècle, il faut se rendre à leur témoignage et respecter ma parole dans la tradition de l’Eglise. Mais lorsqu’ils proposent leurs propres sentiments, tu dois les écouter avec quelque espèce de défiance, et ne te rendre jamais intérieurement que je ne te l’ordonne » (Malebranche 1958-1970, OC X, 149-150). Le témoignage des Pères de l’Eglise est relativisé par le Verbe divin lui- même (!), qui opère une distinction entre la vérité révélée et l’interprétation humaine de cette vérité. L’argument de la faillibilité de nature humaine intervient pour discréditer en bloc l’enseignement patristique, vu comme l’expression du développement historique de la théologie à une certaine époque (« témoins de la doctrine de leur siècle »). Le concept de tradition est relativisée par le Verbe lui-même, qui lui oppose ses propres paroles, proférées directement à l’âme du disciple. Or, cette interprétation malebranchiste à un fort parfum de protestantisme, comme le remarque le censeur, qui signale que Malebranche est tombé dans l’erreur de l’inspiration individuelle, qui justifie le recours « direct » et « immédiat » au Verbe, et la mise à l’écart de la médiation de l’Eglise (dans les vérités de la foi) : « … fere communem Recentiorum

39 Illumination divine et idée immédiate. La réception de l’augustinisme chez Malebranche Hereticorum erorem, qui pro intelligentia rerum quae ad Fidem, sive Regulam morum pertinent, ad unice internum Soiritus privati testimonium recurrendum esse asserunt. Vult enim in suis hisce meditationibus Malebrancius quod Homo non nisi Divinum Verbum agnoscat in Praeceptorem et Magistrum, ita ut omnem et quacumquem Directorum discipinam et Sanctorum Patrum doctrinam parvi faciens, immo, valde de ea dissidens, immediate ab ipso Verbo dirigi, instrui, et illuminari petet, ut velit » (Costa 2003, 226-227). Le rejet de la médiation ecclésiastique est évident pour le censeur, d’autant plus que dans l’Avertissement des Méditations, Malebranche avait clairement affirmé sa méfiance envers toute autorité théologique autre que le Verbe31 et la propension pour l’inspiration intérieure individuelle32. Le censeur était horripilé surtout par le rejet de l’institution de la confession et par le mépris du confesseur en tant qu’autorité ecclésiastique33 : « Ex quibus perspecte vident Eminentissimi Patres quomodo Malebrancius collimare videatur, ut dicebam, in errorem spiritus privati, docens interiori tantum, quem ipse putat, Verbi defflatu deferendum esse… » (Costa 2003, 227). La thèse augustinienne de l’immédiateté de l’union de l’âme avec le Verbe, sans l’entremise d’aucune créature, donne à Malebranche l’occasion de mettre hors jeu, en même temps, la hiérarchie de l’Eglise et structure hiérarchique de l’univers théologique médiéval34. Dans le Méditations chrétiennes, Malebranche avance subtilement la thèse des lois générales simple et uniformes35 (comparées avec le cours uniforme des rivières), qui décrivent la manière dont la lumière du Verbe se répand dans l’âme de l’homme. En effet, Malebranche conjugue son principe de simplicité de l’action divine avec la thèse augustinienne nulla natura interposita et rejette l’imaginaire dionysien des intelligences disposées hiérarchiquement entre l’âme et Dieu, ce qui ne pouvait pas échapper au censeur : « …est contra communem Theologorum omnium, qui pro inconcussum habent = hanc esse legem (utar cum Divo Thoma verbis Divi Dionisii), = hanc esse legem immobiliter firmatam ut inferiora reducantum in Deum per superiora ». Le censeur ne manquera pas de signaler aussi l’erreur de l’oratorien qui, pour des raisons épistémologiques, rejetait toute influence des anges et des démons sur les hommes (Malebranche 1958-1970, OC X, 21) : « Ulterius ibidem non solum de Demonibus, sed etiam de bonis Angelis absolute pronunciat …. in qua propositione plura includi et affirmari videntur, non modo communi Theologorum sententiae, verum etiam catholicae veritati contraria » (Costa 2003, 228)36. Dans la deuxième Méditation chrétienne et métaphysique, le principe augustinien nulla natura interposita est donc affirmé dans toute sa force, mais il est détourné grâce au principe de la simplicité des voies : puisque il n’y a aucune créature entre l’âme et Dieu, la lumière divine se répand

40 Cristian Moisuc immédiatement dans l’âme (une affirmation qui sera utile pour critiquer la thèse cartésienne de la création des vérités éternelles). Or, nous touchons là au centre de la métaphysique de Malebranche, c’est-à-dire au problème de la nature des idées. Le principe augustinien nulla natura interposita sert à justifier la thèse que Dieu lui-même est la cause immédiate des idées et que cette relation immédiate entre l’intellect humain et l’intellect de Dieu oblige à une redéfinition du statut des idées : celle-ci n’apparaissent pas grâce à l’abstraction pratiquée sur les choses sensibles, mais proviennent directement et immédiatement de l’intellect divin, en conséquence des désirs et de l’attention de l’homme. La brève formule du censeur surprend fort bien la nouveauté malebranchiste : « Conceptus, sive, ut ipse vocat, Ideas rerum non abstrahi a sensibilibus, sed produci a Deo proportionaliter ad hominis desideria » (Costa 2003, 228). Le censeur a raison de dénoncer le renversement de la noétique thomiste que Malebranche opère au nom de l’union immédiate avec le Verbe divin, mais en même temps il est inexact lorsqu’il affirme que selon Malebranche les idées son produites par Dieu, car il n’en est pas ainsi. Le texte malebranchiste dit une autre chose: « Il y a peut-être une lumière et une Sagesse éternelle, une Raison universelle, qui claire tous les hommes et qui les rends tous raisonnables… Des que tu veux penser a quelque objet, l’idée de cet objet se présente à ton esprit » (Malebranche 1958-1970, OC X, p. 12). Dans ce texte des Méditations Chrétiennes, il ne s’agit nullement d’une production des idées par Dieu (car celle-ci sont immuables et éternelles), mais de leur présence immédiate à l’intellect humain : c’est le rôle de l’attention (définie comme « prière naturelle ») de présentifier, de rendre proche à l’esprit les idées immuables qui se trouvent dans le Verbe: « Je sens que la lumière se répand dans mon esprit à proportion que je le désire et que je fais pour cela un effort que j’appelle attention » (Malebranche 1958-1970, OC X, 11). La présentification des idées est différente par rapport à leur production par cela même qu’elle remet en cause le statut de Dieu : désormais, Dieu n’est plus le créateur ou le législateur des idées (comme le voulait Descartes), mais seulement le dépositaire, celui dans l’intellect duquel les idées sont enfermées jusqu’au moment où l’homme décide qu’il doit se les re-présenter. Perdant la causalité fondatrice qu’il exerçait auparavant par rapport aux idées des choses et aux vérités qui se trouvent dans sa substance, l’intellect divin est rabaissé au niveau de l’intellect humain, comme remarque Jean-Christophe Bardout37. Désormais, le rapport entre le Créateur et la créature peut s’inverser: l’attention comme pouvoir de présentification des idées immuables permet l’institution d’une contrainte à laquelle Dieu même ne peut pas se soustraire38. Il suffit que l’attention (comme pouvoir de présentification des idées) soit exercée correctement - la lumière de l’évidence sera octroyée par le Verbe de façon quasi automatique39.

41 Illumination divine et idée immédiate. La réception de l’augustinisme chez Malebranche L’augustinisme de Malebranche glisse alors subtilement et acquiert des dimensions épistémologiques évidentes : l’union immédiate avec Dieu (c’est-à-dire sans l’entremise d’aucune créature : nulla natura interposita) permet la connaissance immédiate des idées immuables qui subsistent dans l’intellect divin. Seul un lecteur superficiel qualifierait cette théorie d’inspiration augustinienne. Plus que de la connaissance directe et immédiate des idées immuables, il y va du sens même de ce prétendu « augustinisme » épistémologique que le censeur Gianotti dénonce comme contraire à la foi (puisqu’il détruit de l’angélologie, le principe de la médiation hiérarchique et la tradition de l’Eglise) : peut-on encore parler d’un augustinisme dans le cas de cette théorie malebranchiste de la connaissance par représentation qui soumet Dieu au régime humain de la connaissance ? La destruction de la causalité fondatrice qu’exerçait Dieu envers les vérités dites éternelles et l’institution dans l’intellect divin des idées immuables permet-elle encore de considère la théorie malebranchiste de la connaissance par illumination comme étant d’inspiration augustinienne ? Jusqu’où le texte augustinien supporte-t-il une interprétation avant de subir un détournement de son sens originaire ? Qu’en est- il du statut des idées dites immuables, quel est leur véritable rapport avec l’intellect divin (puisqu’elles s’y trouvent sans être réellement créées par Dieu), quelle est leur origine (peut-on écore parler d’une origine des idées immuables et éternelles) ? Autant de questions auxquelles nous ne pouvons pas répondre dans cet article. Nous les soulevons en guise de conclusion, pour signaler que le prétendu « augustinisme » de Malebranche est bien plus problématique qu’on n’a l’habitude de penser.

Acknowledgement: This article was supported by a grant of the Romanian National Authority for Scientific Research, CNCS-UEFISCDI, project number PN-II-ID-PCE- 2011-3-0998: Models of Producing and Disseminating Knowledge in Early Modern Europe: the Cartesian Framework.

Notes

1 La disqualification, par Malebranche, des thèses supposées fausses (Moreau 2004, 68) suppose un passage en revue de toutes les théories concurrentes. Martial Gueroult soutient que cette énumération est complète : « La preuve négative opère un recensement complet de toutes les thèses possibles concernant l’origine et le siège des idées. Elle établit ensuite que toutes ces thèses sont insoutenables, sauf une…» (Gueroult 1995, 101, nous soulignons). 2 Il s’agit des « manières de voir les objets » : par eux-mêmes, par les idées que notre âme produit, par les idées produites chaque fois que l’on pense à un objet, par les perfections que possède l’âme en elle-même. Dans une œuvre de maturité, Malebranche maintiendra le fait que cette énumération de la Recherche est exhaustive : « J’ai fait un dénombrement de toutes les manières possibles de voir les corps » et provoquera l’adversaire a « faire voir que

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le dénombrement n’est pas exact, ou les preuves que j’ai données, pour faire exclusion des manières, sont fausses » (Malebranche 2006, 290). 3 A savoir, l’inclusion des idées en Dieu (« [...] il est absolument nécessaire que Dieu ait en lui-même les idées de tous les êtres qu’il a crées »), l’union de l’âme humaine à Dieu (« il faut de plus savoir que Dieu est très uni à nos âmes par sa présence ») et la bonne volonté divine, qui ouvre l’accès de l’esprit aux idées (« ainsi, l’esprit peut voir en Dieu les ouvrages de Dieu, suppose que Dieu veuille bien lui découvrir ce qu’il y a dans lui qui les représente »). (Malebranche 1958-1970, OC I, 437). 4 « [...] cela met les esprits créés dans une entière dépendance de Dieu, et la plus grande qui puisse être » (Malebranche 1958-1970, OC I, 439); « et ce mot général et confus de concours, par lequel on prétend expliquer la dépendance que les créatures ont de Dieu... » (ibid. 440). 5 « C’est Dieu même qui éclaire les philosophes, dans les connaissances que les hommes ingrats appellent naturelles quoiqu'elles ne leur viennent que du Ciel » (ibid. 440). 6 Etienne Gilson avait remarqué cette particularité de la lecture auquel le XVIIe siècle soumettait les textes augustiniens : «... la perspective historique du XVIIe siècle, qui interprétera volontiers dans le sens de l’innéisme la doctrine augustinienne de l’illumination » (Gilson 1984, 35). 7 Nous avons compté cinq occurrences (Malebranche 1958-1970, OC I, 434, 442, 443, 450, 467). 8 « C’est, si je ne me trompe, la vanité naturelle, l’amour de l’indépendance et le désir de ressembler à celui qui comprend en soi tous les êtres, qui nous brouillent l’esprit, et qui nous porte à nous imaginer que nous possédons ce que nous n’avons pas » (ibid. 434). 9 « Il y a des personnes qui ne font pas difficulté d’assurer que l’âme étant faite pour penser, elle a dans elle-même, je veux dire en considérant ses propres perfections, tout ce qu’il faut pour apercevoir les objets [...] Ils se flattent d’avoir dans eux-mêmes d’une manière spirituelle tout ce qui est dans le monde visible, et de pouvoir, en se modifiant diversement, apercevoir tout ce que l’esprit humain est capable de connaître » (ibid. 434). 10 « Objet immédiat ou le plus proche de l’esprit, quand il aperçoit quelque objet, c’est-à- dire qui touche et qui modifie l’esprit de la perception qu’il a de l’objet » (ibid. 436). 11 « C’est parce qu’il identifie l’idée à la seule réalité objective que Malebranche parle de la “réalité objective ou de l’idée” au lieu de dire, comme Descartes, “la réalité objective de l’idée”. Or ce coup de force par rapport au texte qu’il commente ne va pas sans un minimum de justifications […] En outre, le fait que Malebranche identifie l’idée à la seule réalité objective est très cohérent de sa part » (Glauser 1999, 153). 12 Lorsqu’il réduit l’idée cartésienne à sa réalité objective, Malebranche ne croit pas falsifier le texte cartésien, mais éclaircir ce dont Descartes a parlé « aussi obscurément et aussi généralement qu’il a fait » (Malebranche 1958-1970, OC VI, 172). Il est vrai que le texte cartésien de la Troisième Méditation est assez vague et permet d’analyser les idées soit du point de vue de leur réalité formelle (elles sont toutes égales, en tant que modifications de la pensée), soit du point de vue de leur réalité objective (elles sont différentes) : Ideae nominae intelligo cuiuslibet cogitationis formam illa, per cuius immediatam perceptionem ipsius eiusdem cogitationis conscius sum » (Descartes 1996, AT VII, 160) ; « per realitatem objectivam ideae intelligo entitatem rei representatae per ideam, quatenus est in idea […] nam quaecumque percipimus tanquam in idearum objectis, ea sunt in ipsis ideis objective » (ibid. 161). 13 « Quel est l’état de la question. Mr. Arnauld soutient que les modalités de l’âme sont essentiellement représentatives des objets différents de l’âme et je soutiens que ces modalités ne sont que des sentiments qui ne représentent à l’âme rien de différent d’elle-même » (Malebranche 1958-1970, OC VI, 50).

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14 « Malebranche semble ignorer ce qu’il doit aux innéistes ; cette permanence de l’idée au fond de l’âme lui paraît une opinion si naturelle qu’il ne se croit pas obligé d’en reconnaître la paternité à telle ou à telle école. Ainsi, dans le même chapitre, il rejette la doctrine des idées innées et il accepte le fait dont elle prétendait rendre compte » (Gouhier 1948, 228). 15 « Et quippe superbia et peccatum maximum uti datis tanquam innatis » – Saint Bernard, De diligendo Deo II, 4 (Sources Chrétiennes, CCCXCIII, 70). 16 Malebranche renvoit à Sermones LXVII v, 8, où saint Augustin écrit: « Dic quia tu tibi lumen non es ». 17 « Car l’esprit de l’homme que plusieurs Pères appellent lumière illuminée ou éclairée, lumen illuminatum, n’est éclairée que de la lumière de la Sagesse éternelles, que les mêmes Pères appellent pour cela lumière qui éclaire, lumen illuminans » (Malebranche 1958-1970, OC III, 157-158). 18 « Cette faculté passive de l’âme, par laquelle elle reçoit toutes les modifications dont elle est capable » (Malebranche 1958-1970, OC I, 43, nous soulignons) ; « de même que la faculté de l’âme de recevoir différentes idées et différentes modifications, c’est que, de même que la faculté de recevoir différentes figures et différentes configurations dans le corps est entièrement passive, et ne renferme aucune action, ainsi la faculté de recevoir différentes idées et différentes modifications dans l’esprit est entièrement passive et ne renferme aucune action ; et j’appelle cette faculté ou cette capacité de l’âme à recevoir toutes choses, entendement » (ibid.). 19 L’idée est définie comme « objet immédiat, ou le plus proche de l’esprit, quand il aperçoit une chose, c’est-à-dire ce qui touche et modifie l’esprit de la perception qu’il a d’un objet » (ibid. 413). 20 Nous ne détaillons pas les enjeux métaphysiques des accusations que Malebranche profère contre Descartes. Nous renvoyons à notre article : « ‘Blasphème’ ou ‘imagination sans fondement’ ? La bataille des griefs théologiques entre Descartes et Malebranche » (Moisuc 2013). 21 « Donc les vérités sont immuables et nécessaires, aussi bien que les idées. Il a toujours été vrai que 2 fois 2 font 4, et il est impossible que cela devienne faux. Cela est clair, sans qu’il soit nécessaire que Dieu comme souverain Législateur ait établi ces vérités, ainsi que le dit M. Descartes ... » (Malebranche 1958-1970, OC III, 136). 22 Il reprend la formule dans le Xe Éclaircissement, sans pour autant insister sur le caractère immédiat de l’union avec Dieu : « tout esprit a une connaissance de cet ordre d’autant plus claire qu’il est uni a la raison universelle » (Malebranche 1958-1970, OC IIII, 136). 23 La citation est du Tractatus in Joannis Evangelium, XXIII, 5. Dans un autre lieu, il dit : « C’est Dieu même qui éclaire les philosophes dans la connaissance que les hommes ingrats appellent naturelles, quoiqu’elles ne viennent que du Ciel […] En un mot, c’est la véritable lumière qui éclaire tous ceux qui viennent dans ce monde : Lux vera quae illuminat omnem hominem venientem in hunc mundum (Jn 1,9) » (Malebranche 1958-1970, OC I, 439-440). 24 « Si ambo videmus verum esse quod dicis, et ambo videbimus verum esse quod dico, ubi quaeso id videmus? Nec ego utique in te, nec tu in me, sed ambo in ipsa quqe supra mentes nostra est incommutabili veritate » (Augustin 1992, 402 [XII, c. XXV, 35]). 25 L’éditeur J.-C. Bardout signale que Malebranche établit dans ce fragment un renvoi partiellement incorrect à De vera religione (chapitre LV), où saint Augustin dit tout simplement « nulla creatura interposita ». Philologiquement, la référence est bien erronée, mais du point de vue philosophique, il peut être tenu pour correct, car Malebranche est plutôt intéressé par le principe augustinien comme tel et moins attentif aux variations lexicales de saint Augustin lui-même. Ce qui lui importe, c’est l’appui textuel de saint Augustin sur la thèse de l’immédiateté du rapport entre l’âme et Dieu.

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26 « Vous voyez une vérité immuable, nécessaire, éternelle. Car vous êtes si certain de l’immutabilité de vos idées, que vous ne craignez point de les voir demain toutes changer […] C’est en Dieu seul que nous voyons la vérité » (ibid. 189-190). 27 Il s’agit d’une lettre rapportée par Yves (1970, 199-200). 28 « Ex hac doctrina in aliud incidit novitatis portentum, quo assertit existentiam corporum quae videmus et palpamus, imo quae summo nos dolore cruciant, a nobis minime cognosci nisi per revelationem Dei, non quidem supernaturalem, sed naturalem, id est authoris naturae legibus praestitutam » (Costa 2003, 236). 29 Le second censeur chargé d’examiner les Méditations Chrétiennes, le secrétaire Selleri a été nommé Maître du Palais Papal quelque jours après la remise le rapport de Virgilio Gianotti ; le remplaçant de celui-ci, Agostino Pipia, a été nommé Maître Général de l’Ordre des Prêcheurs et n’a pas eu le temps de rédiger un rapport sur Malebranche (voir Costa 2003, 175). 30 Sur les principes de l’exégèse biblique malebranchiste, ainsi que les conséquences qui en découlent, nous renvoyons à notre livre, Métaphysique et théologie chez Nicolas Malebranche (Moisuc 2015, 225-242). 31 « Je ne reconnais d’autres Maîtres que lui et que je n’en veux point proposer d’autres à personne » (Malebranche 1958-1970, OC X, 6). 32 « Je sais que je suis homme et que le Verbe auquel je suis uni comme le reste des intelligences me parle clairement dans le plus secret de la raison… » (ibid. 5. 33 « Lorsque je te parle clairement dans le plus secret de la raison, tu ne dois plus écouter personne. Ton confesseur est sujet à l’erreur, il peut te tromper » (ibid. OC XII, 187). 34 « Tu es porté à croire que la lumière, qui éclaire tous les esprits, se répand d’abord dans les intelligences les plus pures, et de là qu’elle réfléchit ou s’écoule dans les intelligences de second ordre, et qu’elle se communique ainsi comme par degrés jusqu’à toi. Mais l’origine de ton système est que ton esprit aime la proportion et l’ordre. Tu te plais beaucoup plus à considérer les chutes des eaux et les cascades des fontaines que les cours uniformes des rivières [….] Ainsi tu te formes avec plaisir certains ordres d’intelligences pour recevoir et pour répandre successivement la lumière » (ibid., OC X, 21). 35 Voir Traite de la nature et de la Grâce : « Il est donc nécessaire que la conduite de Dieu porte le caractère des attributs divins, que ses voies soient simples, uniformes, générales et constantes » (ibid., OC V, 37. Dans les Méditations Chrétiennes, cette conduite constante de Dieu sera réaffirmée dans le VIe chapitre où Malebranche parle des « voies simples, générales, uniformes et constantes, dignes de la sagesse, de l’immutabilité et des autres attributs de Dieu » (ibid., OC X, 63). 36 Malebranche se montre ici adversaire de saint Denys l’Aréopagite et de la tradition orientale et occidentale (jusqu’à Suarez), plus particulièrement de l’angélologie dont il est question dans De coelesti hierachia IV, 3 et V, 4. 37 « …l’entendement divin lui-même est abaissé au niveau du notre, tout autant que l’entendement humain est appelé, dès cette vie, à connaître ce que Dieu connaît. La transcendance du Verbe se trouve dès lors menacée » (Bardout 1999, 164). 38 Le disciple dit au Verbe: « Vous promettez de me découvrir avec évidence beaucoup de vérités de foi, pourvu que je sache bien vous interroger pour vous obliger à répondre. Je vous prie donc de m’apprendre quelle est cette manière de vous consulter qui est toujours récompensée d’une connaissance claire et évidente de la vérité » (Malebranche 1958-1970, OC X, 30). 39 « Mais ton désir est une prière naturelle que mon esprit forme en toi. C’est l’amour actuel de la vérité qui prie, et qui obtient la vue de la vérité. Car je fais du bien à creux qui m’aiment : je me découvre à eux, et je les nourri par la manifestation de ma substance. Leur prière est donc toujours exaucée, pourvu qu’elle soit faite avec attention et avec persévérance » (ibid. 30).

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References

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46 Florin Crîşmăreanu Florin CRÎŞMĂREANU *

La réception des écrits maximiens dans la tradition latine

The reception of Maximian writings in Latin tradition

Abstract: The present paper has two sections. In the first part I ask whether or not Maximus Confessor knew Augustine’s work, while in the second I consider the reception of Maximus’ works in the Latin tradition and their influence on a number of thinkers in the Christian West.

Keywords: Maximus the Confessor, Reception, Augustine, Translators, Eriugena, Anastasius the Librarian

« Les grands livres de l’humanité sont destinés à influer sur la culture, et même sur la vie historique, non seulement par leurs vérités mais aussi par la manière dont on les a compris et interprétés » (Noica 1995, V)1. C’est le cas, indéniablement, de l’œuvre maximien dans le monde latin, tant qu’il a été connu. Avant de parcourir quelques séquences relatives à la réception de Maxime dans l’Occident, il convient, à notre avis, de présenter succinctement le degré où Maxime le Confesseur connaissait le latin et, par cela, la possibilité qu’il ait connu l’œuvre augustinien.

I. Maxime a-t-il vraiment connu les écrits de Saint Augustin?

Depuis 1982 déjà, George Berthold a mis nettement en évidence nombre de similitudes entre la doctrine augustinienne et celle maximienne (Berthold 1982, 14-17)2. Au fil du temps, plusieurs exégètes ont analysé cette possibilité (voir Dalmais 1953, 126 ; Thunberg 2005, 264-265 ; Blowers 2002, 422 ; Daley 2008, 101-26 ; Börjesson 2013, 325-36) sans que l’un d’entre eux apporte des arguments irréfutables ou qu’il formule des conclusions définitives. D’autre part, certains théologiens (voir Louth 1997, 340 ; Larchet 1998, 39-44, 121-2) se sont explicitement prononcés contre l’hypothèse que Maxime ait connu les écrits augustiniens. Comme Maxime plus tard (Dalmais 1948, 296-303), Augustin a été lui aussi nommé par les exégètes doctor caritatis (Brechtken 1975)3. Les deux Pères de l’Église ont en commun le thème fondamental de la volonté, mais le

* “Alexandru Ioan Cuza” University, Iasi, Romania; email: [email protected].

47 La réception des écrits maximiens dans la tradition latine contexte dans lequel on développe cette problématique est différent. Tandis qu’Augustin édifie sa doctrine relative à la volonté dans le cadre de sa polémique avec le manichéisme, Maxime recourt à la problématique de la volonté dans la dispute avec l’hérésie monothélite, l’aspect christologique étant essentiel (Börjesson 2015, 214). Outre le thème de la volonté, on rencontre dans les textes des deux le problème de la prédestination (caractéristique à la conception augustinienne)4 et du rôle (négatif) de l’amour de soi, présent souvent chez les deux auteurs5; de même, la doctrine maximienne sur les logoi apparaît également dans les textes d’Augustin sous le nom de rationes aeternae6, tout comme le nous maximien est similaire au spiritus augustinien et ainsi de suite. En définitive, l’argumentation entière qu’on pourrait dresser à l’appui de la question fondamentale : « Est-ce que Maxime a connu les écrits augustiniens? », est construite autour d’un personnage ayant vécu au VII-e siècle, Pierre, ancien consul, patricien et général (Πέτρου ἀπὸ ὑπάτων πα(τρ)ικίου καὶ δοῦκος) (Laurent 1952, 87-95 ; Daley 2008, 125) de l’armée byzantine de Numidie, au Nord de l’Afrique, entre 630-640, que Saint Maxime lui-même aurait connu, „were friends and confidants” (Daley 2008, 126). Les maillons de cette chaîne sont liés à Computus ecclesiasticus (CPG 7706), ouvrage maximien qu’on a daté comme étant rédigé entre octobre 640 et février 641, dédicacé au patricien Pierre (πατρικίῳ κυρίῳ Πέτρῳ) (Lempire 2004, 21), dont Maxime a été, pour quelque temps, le conseiller en questions de théologie (peritus). Il s’agit, sans doute, d’une seule et même personne. Selon Brian E. Daley, la connexion avec Augustin dériverait du fait que le général Pierre a conduit ses armées dans les lieux où, deux siècles auparavant, Augustin avait probablement vécu : « That a Greek general in Maximus’day, commanding imperial troops in the province where Augustin had lived two centuries before » (Daley 2008, 126). C’est un argument intéressant mais, à notre avis, insuffisant pour souligner une certaine influence des écrits d’Augustin sur Maxime, surtout pendant son séjour en Afrique du Nord (628-632 et 640/641-645) ; on n’exclut, quand même, la possibilité que Maxime ait connu l’œuvre augustinien. Assurément, les écrits augustiniens ne circulaient seulement dans les territoires traversés, à un moment donné, par les armées du général Pierre, mais dans toute la région du Nord de l’Afrique et même à Rome7. La question reste, donc, ouverte, car il faut des arguments plus solides pour démontrer une pareille influence. Au-delà de cette possibilité, il nous apparaît comme prioritaire la question : à quel degré connaissait Maxime le latin, de sorte que les textes augustiniens lui soient accessibles ? C’est de là qu’il faudrait partir pour ensuite déterminer certaines influences. Epifanovich affirmait que Maxime « est resté étranger aux influences de la théologie occidentale, bien que

48 Florin Crîşmăreanu [sachant le latin] il pouvait connaître les meilleurs ouvrages dans ce domaine » (Epifanovich 2009, 199-200). Le mal fondé de cette présupposition, à savoir le fait qu’en réalité Maxime ne connaissait pas le latin, se déduit de son affirmation faite lors de la discussion avec l’évêque Théodose : « Maître, il te sera plus utile d’emmener avec toi mon compagnon de captivité de Mesembrie [Anastase l’Apocrisiaire] plutôt que moi, car celui-là connaît aussi la langue [latine] » (Maxime le Confesseur 153). Mais la maîtrise d’une langue étrangère comporte des degrés divers ; par exemple, quelqu’un peut lire très aisément en une langue étrangère sans pourtant la parler correctement, ou nullement, par faute d’exercice. Il y en a qui parlent assez bien une langue étrangère mais qui ont des grandes difficultés à écrire en cette langue-là. Il se peut que ce soit le cas de Maxime également, capable de lire en latin mais sans le parler suffisamment bien, et c’est pourquoi il recommande à l’évêque Théodose d’emmener avec lui à Rome son compagnon de souffrance, Anastase l’Apocrisiaire. Un bon connaisseur de la biographie maximienne pourrait invoquer en faveur de la connaissance par Maxime de la langue latine le fait que celui-ci a séjourné à Rome pendant plusieurs années (entre 645-653, à l’exception de quelques voyages). Il est pourtant vrai qu’il avait habité un monastère de moines grecs, et, à cette époque-là, on pouvait facilement communiquer en grec même à Rome, vu qu’il y avait des moines, des évêques et même des papes qui parlaient le grec. En conclusion, pour citer Brian E. Daley, « How much St. Augustine may have influenced the theology of St. Maximus the Confessor is an open question » (Daley 2008, 101).

II. Traducteurs des écrits maximiens en latin

Une partie des ouvrages de Maxime ont été introduits au monde latin à l’époque carolingienne8 par le biais des traductions réalisées par deux coryphées de cette époque-là : Anastase le Bibliothécaire9 et Érigène10. Selon l’avis des spécialistes, « Anastase est indubitablement un meilleur helléniste que Jean Scot, car il traduit mieux. Quand même, pour l’histoire de la pensée occidentale, philosophique et théologique, les traductions moins bonnes de Jean Scot ont joué un rôle incomparablement plus important par rapport aux bonnes traductions d’Anastase » (Jeauneau 1979, 42). Il est également intéressant le fait que les textes maximiens sont pénétrés en Occident à une époque où l’on ne connaissait que précairement la culture et la langue grecques (Mango 1973, 696-710 ; cf. Le Bourdellès 1977, 117-123). Il apparaît donc comme moins surprenant que nombre des meilleurs hellénistes de cette période-là étaient des Irlandais (Scotti), comme par exemple Sedulius Scottus, Martin de Laon et, évidemment, Érigène.

49 La réception des écrits maximiens dans la tradition latine Anastase, grand admirateur de Maxime, s’est familiarisé, probablement, avec les textes de celui-ci pendant son séjour à Constantinople. D’autre part, à Rome aussi, les échos de la présence de Maxime étaient toujours vifs, résultat de la contribution du Saint au Synode de Latran (649) et, en définitive, au triomphe de l’orthodoxie dans son combat contre les fractions hérétiques. Anastase traduit en latin les scholies attribuées à Maxime (Scholia in Dionysium Areopagitum Ŕ CPG 7708)11, partiellement Mystagogia (CPG 7704), quelques lettres du Saint et des documents relatifs à son martyre (Collectanea)12. À propos d’Érigène, É. Jeauneau préfère dire que celui-ci a étanché sa soif de connaissance à la « fontaine des Pères christophores » (Alcuin [1896] 1978, 549 [VIII, I, 9-10]), dont il a traduit les œuvres : Denys, intégralement, sauf les scolies ; Maxime, Ambigua ad Iohannem (CPG 7705)13 et Quaestiones ad Thalassium (CPG 7688), Scoliae, comme nommées par Érigène ; Grégoire de Nysse (que Érigène confond à Grégoire de Nazianze), De hominis opificio. Dom Cappuyns considérait que Érigène a également traduit en latin le Hexaemeron de Basile de Césarée et le Ancoratus d’Épiphane de Salamine14. L’irlandais a eu accès, probablement, aux écrits maximiens par l’intermédiaire du CD, car, en plus du fait que Maxime commente quelques passages problématiques de l’œuvre de Denys, on rencontre souvent dans ses textes les grands thèmes dionysiens, tels la distinction théologie cathaphatique-apophatique, exitus-reditus, l’ascension spirituelle, théosis, etc15. Le consensus est unanime sur l’idée que Maxime a influencé de manière décisive Érigène (Jeauneau 1979, 50). Les statistiques ne le confirment quand même. Dans l’édition de Floss, reprise par Migne dans PL 122, Periphyseon comprend 589 colonnes. Conformément à l’inventaire dressé par É. Jeauneau, les citations de Maxime le Confesseur (uniquement de l’ouvrage Ambigua ad Iohannem) ne totalisent que 9 colonnes, celles de Denys seulement 10, tandis que les citations de Grégoire de Nysse occupent 15 colonnes. Pour autrement dire, les citations de Maxime représentent 1,55%, de Denys, 1,69%, et de Grégoire, 2,66% (Jeauneau 1983, 144). Encore une fois, on voit un décalage entre l’influence au niveau des idées et la présence statistique d’un auteur. Du point de vue qualitatif, « les traductions érigéniennes sont généralement très littérales: il est souvent possible de retrouver le mot grec à partir du mot latin choisi pour le traduire » (Jeauneau, 1999, 387). Un exégète qui a minutieusement observé la réception de l’œuvre maximien dans le monde latin arrive à la conclusion suivante : « Il est confirmé d’ailleurs par l’extrême rareté de citations de Maxime dans des écrits latins du moyen-âge. L’intérêt que mérite à tout point de vue le penseur profond et original que fut Maxime le confesseur, il ne l’a trouvé en Occident qu’à nos jours » (Dekkers 1985, 97).

50 Florin Crîşmăreanu Érigène est, sans doute, le traducteur le plus important des ouvrages de Maxime en latin16. Il y a pourtant dans l’histoire de l’Occident d’autres personnalités qui ont traduit en latin des textes de Maxime comme, par exemple, au XII-e siècle, Cerbanus17, un moine vénitien18 établi sur le territoire de l’Hongrie actuelle, qui traduit en latin Capita de caritate (CPG 7693)19. Cerbanus dédicace sa traduction De caritate à Davide de Pannonhalma (1131-1150), archimandrite et abbé du monastère Saint Martin « in S. Monte Pannomiae ». La traduction de Cerbanus De caritate ad Elpidium sera assez bien connue par les latins, car arrivant par l’intermédiaire de Gerhoh de Reichersberg (Gerhohus Reicherspergensis, 1093-1169) à Paris, où s’en servira, parmi d’autres, Pierre Lombard dans ses Sentences. À côté de l’ouvrage maximien Liber asceticus (CPG 7692)20, le texte Capita de caritate a suscité le plus d’intérêt de la part des latins. Trois siècles après la traduction de Cerbanus, l’humaniste Pietro Balbi (Petrus Balbus, 1399-1479) réalise une nouvelle traduction du texte maximien (Dekkers 1985, 93-4)21. Grâce à ces traductions, surtout à celles d’Érigène et d’Anastase le Bibliothécaire, Maxime, en tant que Commentator du CD, est cité par des auteurs importants, comme Saint Albert le Grand22 et son disciple Thomas d’Aquin23. Albert le Grand ne fait pourtant la distinction entre les deux traducteurs du CD : du texte (Érigène) et des scolies (Anastase) (Dondaine 1953, 71 note 13). La confusion ne s’arrête pas là, mais elle devient généralisée, comme un exégète le souligne : « chez S. Albert le Grand, sur 38 citations de Maximus ou Commentator (ou encore Johannes episcopus) relevées en dehors de ses Commentaires de Denys, 11 seulement appartiennent à S. Maxime; 24 appartiennent à Scot Érigène, 2 à Hugues de S. Victor et la dernier à Denys » (Dondaine 1953, 13 note 3). Il y avait donc une confusion générale à propos de ces scolies, les textes des auteurs grecs étaient indistincts de ceux des auteurs latins. Un autre exégète le confirme : « le corpus dionysien de l’Université de Paris, contenu notamment dans les mss Paris, Nat. lat. 1618, 15630 et 17341, qui présentait le texte des œuvres de Denys serti dans un apparat de gloses empruntées à Maxime le Confesseur, au Pseudo-Maxime, à Jean Sarrazin, à Hugo de Saint-Victor et, last but not least, à Jean Scot Érigène »24. En conclusion, les textes maximiens traduits en latin n’ont bénéficie que d’une faible réception en Occident25. Cette situation se reflète également dans le fait qu’aucun florilège patristique latin n’inclut des fragments de l’œuvre maximien26. On peut donc observer clairement que, au fur et à mesure qu’on laisse en arrière l’époque carolingienne, peu à peu, la moindre influence de Maxime s’efface. Et même quand, occasionnellement, les idées maximiennes se sont retrouvées dans les écrits des auteurs latins, ce fut dans un mélange, une confusion avec les idées d’autres auteurs, grecs aussi bien que latins.

51 La réception des écrits maximiens dans la tradition latine Notes

1 Constantin Noica, Comentarii la Categoriile lui Aristotel [Commentaires aux Catégories d’Aristote], Iaşi, Editura Moldova, 1995, p. V. 2 Pour la rigueur, l’étude de Dalmais citée ici est antérieure à l’article publié par G. Berthold, mais, très prudent, Dalmais affirme : « mais ce sont là des conjectures trop incertaines » (Dalmais 1953, 126). Même avant ces exégètes, H.-U. von Balthasar soutenait qu’il faudrait étudier plus attentivement la possibilité que Maxime ait connu les ouvrages augustiniens (Balthasar 1961, 13). 3 Pour la réception d’Augustin dans la Byzance, à l’époque de Saint Maxime, voir inter alii Lössl (2000) et Crostini (2013). 4 Augustin, De Civitate Dei, 5, 10, par exemple. À son tour, Maxime le Confesseur parle lui aussi d’un certain type de prédestination dans un dialogue avec l’évêque Théodose : « Théodose : Comment te portes-tu, Seigneur Abbé ? Maxime : Ainsi que dans sa Providence à mon égard Dieu a prédestiné (προώρισεν) avant tous les âges de me conduire au terme, ainsi je me porte. Théodose : Quoi donc ? Avant tous les âges Dieu a prédestiné chacun d’entre nous ? Maxime : S’il est vrai qu’il a préconnu toutes choses, il les a aussi prédestinées totalement [Rm 8, 29]. Théodose : Qu’est-ce préconnaître et prédestiner ? Maxime : La préconnaissance concerne les pensées, les paroles et les œuvres qui dépendent de nous, la prédestination concerne les choses qui nous arrivent sans que cela dépende de nous » (Disputatio Bizyae, trad. Riou 1973, 196). À propos de cet épisode, Alain Riou fait la mention suivante: „L’évêque Théodose n’était pas familier de tels développements sur la prédestination. Cette question n’avait guère été abordée par les Peres de l’Orient. Faut-il donc voir là une trace de la connaissance que Maxime aurait prise à Carthage des œuvres de saint Augustin ? En tout cas, il donne à la prédestination un tout autre sens que le Père latin. Si à l’avance Dieu connaît toutes choses de par son omniscience, sa prédestination ne concerne que le déroulement naturel des choses dans la succession des causes et des effets, elle laisse intacte la liberté hypostatique de l’homme devant les joies et les souffrances qui lui arrivent” (Riou 1973, 197-8). Pour la problématique de la prédestination chez Augustin et chez Maxime, voir Farrell (1989, 195-228) « An Outline of a Neo-Patristic Synthesis: Augustinism, the Problem of Predestination and Free Will, at St. Maximus ». 5 Crişan Gheorghe-Cătălin a présenté en public sa thèse de doctorat avec le titre „Iubirea la Fericitul Augustin şi Sfântul Maxim Mărturisitorul”/ « L’amour chez le bienheureux Augustin et chez Saint Maxime le Confesseur », sous la direction scientifique du pr. archid. prof. univ. dr. Ioan I. Ică jr., dans le cadre de l’École Doctorale de la Faculté de Théologie Orthodoxe « Andrei Şaguna » de l’Université « Lucian Blaga » de Sibiu. 6 Au sujet de « rationes aeternae » chez Augustin, voir Clarke (1982, 109-27). 7 J. Börjesson a formulé récemment une hypothèse plus plausible, selon laquelle Maxime a pris contact, probablement, avec des idées augustiniennes à l’occasion de la rédaction des actes du Synode du Latran de 649, à laquelle Maxime a contribué de façon majeure (dans plusieurs de ses textes, R. Riedinger a montré que ce sont Maxime et ses prochains qui ont rédigé les actes de ce synode ; voir Riedinger 1982, 121). Maxime fait une référence indirecte à Augustin lorsqu’il parle des Pères, des maîtres distingués (οἱ ἔγκριτοι διδάσκαλοι) mentionnés dans les actes du Concile Œcuménique V : Athanase d’Alexandrie, Basile de Césarée, Grégoire de Nazianze, Grégoire de Nysse, Ambroise, Augustin, Cyrille d’Alexandrie, Léon Ier le Grand et alii (Börjesson 2015, 217-8). Un siècle, environ, avant le Synode du Latran, on mentionnait Augustin dans les documents du Synode Œcuménique V (553) au nombre des Pères et des Maîtres de l’Église, et les sources de ces documents étaient les florilèges incluant des extraits des ses écrits. Donc, Maxime aurait pu se familiariser à des idées présentes dans l’œuvre augustinienne par l’intermédiaire de ces florilèges.

52 Florin Crîşmăreanu

8 Les écrits de Maxime étaient, probablement, familiers à un évêque iconoclaste de l’époque carolingienne, Claude de Turin († 827), comme il l’affirme dans une épître : qui nos in studio huius operis sicut scientia ita et tempore praecesserunt, id est Origenis, Hilarii, Ambrosii, Hieronimi, Augustini, Rufini, Iohannis, Fulgentii, Leonis, Maximi, Gregorii et Bedae (Claudius presbyter Iusto abbati (Carrofensi), dans MGH, Epistolae Karolini Aevi II, p. 594, r. 11-13). Selon qu’il est placé dans le temps, entre Léon, probablement le pape Léon Ier le Grand (env. 400-461) et Grégoire, probablement le pape Grégoire Ier le Grand (540-604), il est peu probable qu’il y a ait à l’époque un Maxime assez important pour être mentionné, autre que le Confesseur. 9 Pour les traductions des écrits maximiens réalisées par Anastase le Bibliothécaire, voir Dekkers (1985, 87-90). 10 Au sujet de l’entrée de Maxime dans le monde latin, voir Dekkers (1985, 83-97). 11 Dondaine parle même des « Scolies Maxime-Anastase » (Dondaine 1953, 69, 71, 92, 93, 119, 123 et passim.). Pour la présence de Maxime dans les scolies, voir aussi Lévy (2006, 123- 126). Malgré la distinction qu’il observe entre deux séries de scolies : maximiennes, marquées par Anastase dans le manuscrit par une croix, et les autres, probablement de Jean de Scythopolis, Anastase a traduit sans distinction, en les attribuant toutes à Maxime. « Mais sur quoi Anastase se basait-il? Disposait-il d’un ms. grec donnant ces marques distinctives? Il est difficile de le dire » (Dekkers 1985, 88; voir aussi Franceschini 1933, 355-63). L’auteur de l’article affirme que R. Grossteste ne connaissait pas la traduction antérieure des Scolies, réalisée par Anastase le Bibliothécaire. 12 Pour Collectanea, voi Forrai (2008, 319-37). Pour une discussion détaillée sur le « Corpus anastasien », voir Dondaine (1953, 35-66). 13 « Par sa traduction des Ambigua ad Iohannem, Jean Scot a introduit Maxime en Occident. Quel fut le succès de l’entreprise? On est tenté de répondre: très modeste » (Jeauneau 1982, 363). La traduction érigénienne de l’ouvrage maximien Ambigua ad Iohannem s’est conservée sous la forme de deux manuscrits datant du IX-e siècle (voir Dekkers 1985, 84-6). Ce qui est intéressant c’est le fait que les manuscrits les plus anciens qui contiennent les Ambigua de Saint Maxime, sont en latin (IX-e siècle), traduits par Érigène, et non en grec. Donc, dans l’établissement de l’édition critique, dont C. Laga annonce la parution dans CCSG, on ne peut pas faire abstraction de cette variante latine, antérieure à l’« original » grec. 14 Entre les Pères grecs et les Pères latins, Érigène préfère les premiers, pour avoir considéré les choses plus en profondeur (acutius considerantes) (Eriugena, Periphyseon V, 35; PL 122, 955 A; Jeauneau 1979, 8). 15 Pour Érigène et Maxime, voir, inter alia, Dräsecke 1911, 20-60, 204-29; Jeauneau 1975, 703-25 ; Jeauneau 1987, 397-421; Pearl 1994, 253-70; Kavanagh 2005, 567-96. 16 « La traduction de Jean Scot n’a dû connaître qu’une diffusion très restreinte » (Dekkers 1985, 87). Dans une autre perspective, « nous savons que, d’une façon ou de l’autre, Maxime a été initié a l’origénisme, et qu’il a été influencé par Évagre le Pontique, l’une des plus grandes figures de l’ancienne spiritualité monastique. À travers Maxime, l’Érigène avait donc accès a ces trésors spirituels de l’Eglise d’Orient. C’était là un rare privilège » (Jeauneau 1982, 360). Les ouvrages d’Érigène ont été condamnés dans les conciles de 1210 et de 1225. C’est grâce à lui qu’ont pénétré en Occident les doctrines de trois auteurs majeurs de langue grecque : Grégoire de Nysse, Denys et Maxime. N’est-ce pas que par la condamnation du penseur irlandais, on a tranché en quelque mesure la réception en Occident de Maxime, auteur décisif pour la conception érigénienne ? 17 Pour la traduction faite par Cerbanus, voir Dekkers (1985, 90-93). Similairement au destin de la réception des traductions érigéniennes dans l’espace latin, la traduction réalisée par Cerbanus n’a été connue que dans la région du Sud-Est de l’actuelle Allemagne et de l’Autriche, jusqu’au XIV-e siècle, quand on a perdu sa trace. 18 Cerbanus est né probablement dans une famille de nobles de Venise, vers la fin du XI-e siècle. Pour quelque temps il a séjourné à Constantinople, où il a « perfectionné » son grec (voir Tafel Ŕ Thomas 1856, 59).

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19 La traduction de Cerbanus De caritate ad Elpidium se trouve dans les manuscrits Admont 767 et Reun 35, aux abbayes autrichiennes de Zwettl (ms. 328, ff. 85r-120r), Heiligenkreuz (ms. 236, ff. 1r-21r), Sankt Florian (ms. 15, ff. 172r-174v) et à l’abbaye tchèque de Vyśší Brod (ms. 120, ff. 42r-54v). Pour cette traduction, voir Terebessy 1944. 20 Au sujet des traductions latines de cet ouvrage, voir Gysens 1996, 311-38. Sur la réception de cet opuscule maximien dans l’espace de la langue latine, voir aussi notre étude Crîșmăreanu 2015, 127-71. 21 Pour d’autres traductions latines des ouvrages maximiens voir Dekkers 1985, 94-7. 22 Voir le chapitre « Wirkungsgesghichte de S. Maxime dans les commentaires dionysiennes d’Albert », dans Lévy (2006, 461-86. 23 Thomas analyse la scolie sur θεοιεδῶν (deiformium) (PG 4, 65 B-C) dans Summa theologica Iᵃ - IIᵃᵉ, q. 50, a. 6 (Ed. Leonina, tome VI, Roma, 1891, 322): « Dicit enim Maximus, commentator Dionysii, in VII cap. de Cael. Hier.: Non convenit arbitrari virtutes intellectuales, idest spirituales, more accidentium, quemadmodum et in nobis sunt, in divinis intellectibus, scilicet angelis, esse, ut aliud in alio sit sicut in subiecto: accidens enim omne illinc repulsum est ». Sur ce sujet, voir Dondaine 1953, 12. 24 Côté 2002, 35; voir aussi Lévy 2006, surtout Appendice 2: « La réception de la pensée de Maxime à travers les gloses du Corpus Parisien », 455-60, où l’auteur analyse, par comparer plusieurs colonnes, la réception des idées maximiennes en Occident par le biais des traductions érigéniennes. 25 Dutton 1980, 450: « Maximus the Confessor’s work was little known in the early Middle Age ». 26 À propos de ce sujet, voir Dekkers (1994, 569-76).

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56 Mihai Maci Mihai MACI *

L’Histoire comme cadre de réception et de compréhension

History as Framework of reception and understanding

Abstract: The present text tries to describe the impossibility of the modern man to understand himself in an eccentric world and without a future scenario. Likewise, I tried to point out that, with the passage of time, there were two major frames signifying the human experience: the myth (for the “traditional world”) and the History (for the Modernity). The last one collapsed in the 20th Century. The man of the 21st Century has a private understanding of the world's events and it is incapable of shaping a coherent sense behind the acts that he just registers them.

Keywords: myth, history, framework reception, sense, drift

Qu‟est qu‟il y a de si étrange dans le temps qui nous à été donné ? Car – si nous nous arrêtons un moment (mais est-ce que nous pouvons, encore, nous arrêter ?) – ce qui risque à nous frapper c‟est le fait que nous ne comprenions plus le monde (de notre vie) tel qu‟il était un quart de siècle auparavant. On peut objecter : c‟est n‟est pas le privilège de ceux qui vivent aujourd‟hui ; en fait toutes les générations ont connu cette incompréhension du temps passé, mais pas encore tombé dans l‟oubli1. Qu‟est ce qu‟on peut répondre ? Avant tout il faut être attentif au fait que pour les hommes qui vivait avant nous l‟oubli n‟était pas une absence ou une perte irréversible des souvenirs, mais – au contraire – une élévation des faits particuliers à un sens universel. L‟immémorial n‟était pas le silence indifférent qui suit après le click du bouton « Supprimer », mais l‟essence du fait intégré dans la totalité du mythe duquel se revendiquait la communauté. Dans le monde passé – que nous désignons comme « monde traditionnel » – l‟oubli libérait les faits de leur contour contingent pour que leur sens puisse rejoindre le sens qui donnait cohérence à la structure sociale (et, par-là, de la vie individuelle des hommes). C‟était – si l‟on peut dire ainsi – le bon oubli, celui qui déchargeait la mémoire (tant individuelle que collective) du fardeau du détail sans signification ou qui pourrait en détourner l‟attention du significatif. Le mythe – nous le savons maintenant, après plus d‟un siècle d‟étude des religions (Eliade 1971) – n‟était pas seulement une histoire que l‟on racontait

* Lecteur, Oradea University, Romania, e-mail: [email protected].

57 L’Histoire comme cadre de réception et de compréhension les soirs brumeux autour du feu, mais, au contraire, il était l’histoire, la seule vraie, qui gardait la cohérence de la communauté (on sait, dans la passé, les « peuples » se définissait non par la langue ou le sang, mais par la religion) et lui donnait les critères de compréhension du monde. Ainsi, l‟homme traditionnel avait toujours une vue cohérente sur les évènements de sa vie, car il avait – dans l‟arrière-plan de son jugement (dans la « mémoire collective ») – un schéma structurel qui organisait les faits selon leur correspondance avec l‟histoire originelle (Eliade 1965).2 L‟homme (que nous l‟appelons) traditionnel pouvait ne pas comprendre quelque chose qui arrivait – les plus souvent – soudainement dans son monde, mais juste par son étrangeté ce fait était lui aussi quelque chose de significatif et même sans être assimilé (dans l‟explication du mythe) il entrait – comme épouvantable, par exemple – dans la structure de la mémoire communautaire. Bien sur, nous pouvons observer deux choses : d‟abord que, si le mythe fonctionne comme dernier repère de l‟intelligibilité, les hommes anciens avaient des explications pour tout ce qui arrivait dans leur monde. La chose est vraie dans la mesure dans laquelle le monde traditionnel était lui-même un monde « à la mesure de l‟homme », cette « monde de la vie » évoqué – dans un langage abstrait – par la pensée phénoménologique (surtout par le dernier Husserl et par son disciple Jan Patočka ; voir, pour l‟essentiel, Husserl 1976). Deuxièmement – ceux qui on fait l‟épreuve de l‟histoire des religions peuvent la témoigner – le mythe lui-même n‟est pas très complexe, car on peut ramener sa structure à la connexion de quelques éléments fondamentaux (tel que l‟ont fait van der Leeuw ou Eliade) qui se combinent – et se recombinent – dans de diverses configurations. Ni même aux niveaux du sens les choses ne sont plus compliquées : presque toujours nous avons à faire avec une sotériologie qui enseigne – à l‟individu égaré dans son corps et dans ce bas monde – le chemin qui doit être suivi pour retrouver l‟unité originelle d‟avant la mort et la déchéance.3 Assez peu – pour l‟homme moderne, habitué avec la diversité instantanée du tout et bon viveur de son l‟exil dans le monde matériel, mais juste ce qu‟il était nécessaire aux nos ancêtres qui habitait dans une petite parcelle du monde (le plus souvent leur village) et qui rêvait se libérer de la pesanteur de leurs rudes travaux. Il nous plaît parfois d‟opposer le mode traditionnel au monde moderne (celui qui commence au XVII–XVIIIIème siècles pour se généraliser à partir de la moitié du XIXème), en soulignant les différences qui le séparent. Mais, en ce qui nous concerne, c‟est surtout la continuité qui s‟impose. Car la modernité vient elle-même avec un grand mythe : c‟est l’Histoire – unique et avec un grand H. C‟est cette « grande narration » qui va constituer l‟arrière plan de toute explication de la vie des hommes. Au contraire du mythe, elle ne mise pas sur l‟oubli qui sépare l‟essentiel du détail, mais – au contraire – sur une mémoire hypertrophié (par le livre et la bibliothèque) qui enregistre et qui garde la moindre des choses4. Nous savons que la modernité

58 Mihai Maci commence – avant la science – par l‟élargissement du monde au temps des Grandes Explorations. Ce que nous risquons d‟oublier c‟est que cette ouverture – tant énorme que soudaine (il s‟agit de moins d‟un siècle) – a bouleversé tout un univers traditionnel (et non seulement celui de l‟homme européen). Les Grecs (eux-mêmes peuple de navigateurs) ont bien thématisé à leur temps cette étrange réalité : la multiplicité introduit la relativité, et la relativité – comme perte des repères – finit presque toujours dans l‟aporie. Se garder de l‟aporie veut dire préserver quelques « points cardinaux » qui peuvent orienter le jugement. Nous le savons – avec Platon et Aristote – ces repères, pour être gardés de la dissolution dans la multiplicité doivent être d‟un autre ordre que les choses qui tombent, dans leur diversité, sous l‟observation. Et ce que les Grecs nous ont légué est l‟idée que ces repères qui nous permettent de nous orienter dans le chaos de la multiplicité se sont les structures de la compréhension (pour un panorama « raisonnée » de la pensée grecque voir Couloubaritsis 1998 et pour la crise de sens dans le monde grecque de Romilly 1988). L‟homme médiéval n‟était pas – a ses débuts – le citoyen des grandes villes commerciales de la Méditerranée (ou s‟entremêlent les choses et les idées), mais celui de son village, assez stable dans le temps, pour se revendiquer seulement de la foi commune de ses semblables. C‟est pour ça que l‟explication religieuse lui a été suffisante. Les Grecs ont revenu non seulement avec la Renaissance (elle-même due, au moins en partie, à l‟exode des clercs byzantins après la chute du Constantinople), mais peut-être en premier lieu avec les Découvertes qui ont ébranlé les limites du monde traditionnel. Pour organiser la pluralité de mondes à peine enregistrés par les explorateurs, la Modernité met en avant elle aussi les structures de la compréhension dans une logique encore plus poussée que celle du monde antique, car fonde sur des moyens d‟abstraction – dues aux mathématiques (et aux opérations avec les « nombres arabes ») – que les Grecs ne connaissaient pas. C‟est ainsi que naît la science moderne, celle qui deviendra – au fur de temps (et à la suite du changement de l‟environnement par ses applications techniques) le plus efficient intégrateur de faits dans une « histoire » explicative (Baumer 1977). Il s‟agit – ainsi que les Lumières l‟ont bien vu – de la Science, une, grande, (encore) narrative, capable de rendre compte du destin de l‟homme dans le monde (élargie à l‟échelle de l‟Univers). Mais, si la science prend compte du particulier dans la mesure dans laquelle il est un exemplaire du général, elle reste muette devant l‟accumulation de faits particuliers qui ne sont pas structuré par aucune norme – c‟est à dire devant l‟histoire. La tentative de soumettre l‟histoire à la raison este plus tardive que celle de trouver les structures intelligibles du monde naturel (de Lubac, 1979, 1981). Et, avant toute compréhension, l‟histoire se découvre – de même que la géographie ou les mœurs – comme étant plurielle et, surtout, opaque. Car en sortant le Pompeï de la poussière les hommes du XVIIIème siècle ont en face une

59 L’Histoire comme cadre de réception et de compréhension monde aussi – ou, peut-être, encore plus – lointaine et étrange que le Vieux Monde chinois ou le Nouveaux Monde amérindien. Comment disposer ces mondes dans une histoire (d‟abord récit, puis logique) unitaire ? A cette question le Siècle des Lumières donne deux réponses : d‟abord, avec Hegel, elle nous montre l‟histoire comme le développement dans le temps d‟un principe universel. Autrement dit, nous avons une seule histoire qui intègre, comme des étapes successives toutes les civilisations connues (et connaissables), dans un parcours ascendant qui s‟accomplit dans le présent (et, peut-être, dans chaque présent). Cela veut dire que, d‟une certaine manière, le présent est la mesure du passé. Nous retrouvons dans les temps lointains tous les caractères de notre monde, mais avec un moindre éclatement et sans être unies dans l‟architecture qui parachève le temps des nous jours.5 C‟est au nom de cette manière de voir l‟histoire – et de se comprendre soi-même comme agent de l‟histoire – que l‟homme européen du XIXème siècle s‟est adonné à l‟aventure coloniale. Elle a été, avant tout, une tentative d‟intégrer l‟humanité des périphéries dans le parcours d‟une histoire commune – celle de l‟homme blanc européen. Quand les petits vietnamiens apprendraient que leurs ancêtres était les Gaulois, il faisait corps commun avec cette histoire qui – en avançant par les Gaulois, le Romains, l‟Empire chrétien et puis la Modernité – définissait « le Monde » de l‟époque « impérialiste ». Il s‟agissait d‟une réduction (abusive, selon nos critères), mais qui était faite au nom d‟une grande générosité. Car en épongeant leur passé (pas assez ancien et pas de tout idyllique), on les élevait aux bénéfices de la civilisation (telle qu‟elle se concevait dans les fourneaux des technologies qui changeait la face du monde)6. Jusqu‟au début de la Grande Guerre le XIXème siècle a vécu dans la longue ombre des Lumières. Mais, il faut le dire, une autre ombre se faisait de plus obscurcissait le ciel de l‟histoire : celle de l‟idéologie romantique. Peu de temps avant Hegel, un autre de ses contemporaines, Herder (dans ses « Idées pour une philosophie de l‟histoire de l‟humanité »), voyait l‟histoire dans une toute autre perspective : pour lui c‟est n‟était pas l‟évolution qui comptait, mais l‟expression. Chaque peuple était l‟expression d‟un « esprit » propre et chaque communauté avait ainsi son « âme » qui le justifiait dans l‟histoire (et dans l‟éternité). C‟est la perspective romantique qui atteint son apogée dans le nationalisme qui fait apparaître des états sur les cartes et qui va aboutir à la dissolution des empires7. L‟ « âme » du peuple de Herder est juste ce « mythe » (thématisé par Schelling) qui garde – au niveau de la signification – toute l‟expérience des générations. Pour le romantiques, le mythe n‟appartient pas à l‟histoire et il ne se forme pas dans le temps ; au contraire, il est là depuis les origines et – comme phénomène originaire – il fonde l‟histoire (comme destin partagé) d‟une communauté. L‟hécatombe de la Grande Guerre et « le tremblement des hommes » qui lui a suivi ont sonné le glas de la naïve conviction des Lumières et – à cause

60 Mihai Maci du grand rassemblement de peuples qui ont immergé sur la scène de l‟histoire – a remonté le pendule dans la direction des mythes romantiques. Ainsi, les peuples – et les peuplades – des quatre confins du monde ont appris – puis ont découvert – qu‟ils ont la même dignité historique que leurs maîtres coloniaux. Avec cette prise de conscience l „histoire avait cessé d‟être une et d‟être européenne. Maintenant elle est devenue universelle et plurielle (Eksteins 1991). Ce qu‟il y a de plus intéressant c‟est le fait que chacune de ces histoires reproduise le même scénario : un passé glorieux (toutefois difficile à localiser autrement que dans le mythe), une étape intermédiaire (qui finit dans le colonialisme moyenâgeux) et, puis, la libération (due à la prise de conscience du peuple de son passé). Ce schéma – qui rappelle la triade de Hegel (thèse – antithèse – synthèse) et, finalement, la sotériologie chrétienne – reste peut-être la plus puissante emprise du monde européen sur les autres peuples du monde. Vouloir non seulement se libérer d‟un oppresseur, mais se constituer comme état national – avec tout son appareil, avec la pouvoir économique (dans un mode ou l‟économie domine le débat politique) – vouloir écrire son histoire, enregistrer ses mythes et être reconnu par d‟autres pays (et surtout par l‟ancienne puissance coloniale), c‟est, en effet, vouloir s‟intégrer dans cette histoire que les empires européens l‟ont étendu à l‟échelle du monde entier. La décolonisation n‟a pas rompu l‟unité de l‟histoire – telle que la concevaient les Lumières – mais, au contraire, l‟avait consacré comme un mythe capable d‟élever tout particulier à la signification universelle. C‟est peut-être pour ça que le plus cohérent schéma de l‟histoire contemporaine – le marxisme (qui se voulu lui-même un « hégélianisme pour le peuple ») – a pu annexer la lutte anti-coloniale. A la fin de la Grande Guerre, l‟Etat Soviétique avait proclamé « l‟enseignement marxiste-léniniste » comme dogme officiel. C‟était, au fond, une tentative – assez simpliste (que l‟on pouvait comparer à l‟ancienne gnose) – de lire l‟histoire et, aussi, de donner un sens au présent. L‟égalité, l émancipation, l‟industrialisation prenait les allures d‟un futur qui adviendra (et adviendra nécessairement) juste parce qu‟il est déjà là, présent dans le fait que « la classe ouvrière » avait compris « le sens de l‟histoire ». Plus que tout autre rejeton des Lumières, « le matérialisme dialectique et historique » se voulait aussi une « explication scientifique » du monde dans son ensemble (y compris le présent), que un « mythe » de nos temps, capable de forger le futur. Il a été moins compris comme tel là où il avait été imposé (au pays du « socialisme réel ») car ici il s‟avérait être non pas un mythe, mais une machine –bureaucratique – à broyer des vies (par millions), que dans les pays qui ne l‟ont pas vécu, et qui rêvait de ses promesses. Il faut le dire : le communisme a été non seulement un système politique (qui a réalisé l‟industrialisation forcée d‟une bonne partie du monde, mais avec un prix humain et matériel effroyable), mais aussi un cadre – peut-être le dernier

61 L’Histoire comme cadre de réception et de compréhension grand cadre – d‟interprétation de l‟histoire (Wetter 1965). Ceux qu‟on appelle « les nostalgiques » ne sont peut-être que ceux qui s‟attardent à lire de cette manière obsolète une histoire qui, depuis, s‟est vidé de sens. Car qu‟est-ce qu‟il pouvait opposer « le monde libre » au communisme ? Les libertés – de plus normales dans une démocratie – sont peu de chose face la libération que le communisme promet. Les théories de la vie sociale et les explications des contextes historiques ne valent pas l‟édification d‟un monde nouveau capable d‟intégrer – et de signifier – tout le passé. Comme au début de l‟ère chrétienne, la gnose était plus cohérente que la foi (qui vacille, s‟interroge et revient). Ce que les démocraties ont opposé à l‟idéologie communiste c‟était moins un discours, que la réalisation de ce que le Parti ne pouvait que promettre : la béatitude terrestre – une mode matériel qui affranchit l‟homme de sa servitude et lui donne les moyens de se sentir « l‟accomplissement de l‟histoire »8. D‟une certaine manière c‟est ça l‟héritage de la Seconde Guerre Mondiale : d‟une part, celle-ci avait mit fin à l‟idée romantique de nation fonde sur l‟unité de terre, de sang et de langue (en ouvrant la porte vers d‟autres formules d‟organisation, supranationales), d‟autre part elle a imposé le primat de la technique (comme organisation économique de la science – ce que Heidegger appelle Gestell) (Heidegger 1958)9 qui s‟était avéré décisive tout au long de cette guerre (la plus destructive de l‟histoire). Après la Guerre, les inventions qui ont aidé à la victoire ont été « laïcisées » et introduites dans la production de série. Déjà d‟entre les guerres, Benjamin observait cette chose étrange : « à l‟époque de la reproduction technique » les choses perdent leur « aura » et tend à s‟épuiser dans leur fonctionnalité : « L‟œuvre d‟art à l‟époque de sa reproductibilité technique » (Benjamin 2000). Cela veut dire que la « meilleur des mondes » produit par l‟économie et par la science ne débouche pas sur autre chose que sur la jouissance infinie produite produit par le fait d‟accumuler tous les moyens, mais sans vivre sous la contrainte d‟aucune finalité (extérieure). C‟est en sens que l‟occidental était libre : il pouvait – car il avait les moyens – faire ce qu‟il voulait de sa vie sans se soucier d‟une « direction » (supposé commune) de l‟histoire. Autrement dit, il était – réellement – le terminus de l‟histoire. S‟il y a encore quelque chose à partir duquel il peut être compris c‟est cette « volonté » sans autre finalité que son accroissement thématisé par Nietzsche à la fin du XIXème siècle. Ajouter à tout cela la banalisation (par multiplication, mais aussi par simplification jusqu‟à la caricature) des mythes dans les « mythologies » (qui ont fait une bonne fortune dans l‟analyse académique de Roland Barthes à Umberto Eco) média (après la « révolution de l‟audiovisuel »), la dévalorisation de l‟école (après le succès de l‟alphabétisation élémentaire et la reprise de son rôle par les technologies intelligentes ») et nous avons une bonne image de ce monde qu‟on dise « postmoderne ». L‟homme « traditionnel » avait perdu sa foi tout au long de la modernisation ; dans le dernier siècle il a

62 Mihai Maci perdu aussi la confiance dans les grands thèmes de la Modernité : avec la Grande Guerre – dans le pouvoir libérateur de la science et de la technique, avec la Seconde Guerre dans la mythologie nationale et avec la chute du communisme dans l‟idée de l‟égalité. A la fin de la Guerre Froide nous avons un monde unifié dans l‟aspiration d‟une vie meilleure, mais dans ce cas « meilleur » voulait dire « consommer selon sa volonté ». Les derniers unificateurs – l‟appartenance à un lieu, à une langue ou même à un genre (homme ou femme) – sont abolis l‟un après l‟autre. L‟homme d‟aujourd‟hui ne se définit plus par un genre qui le comprend, car il se comprend lui-même avant tout comme individualité10. Et d‟une certaine manière, il a raison : il est ce qui reste après le dernier partage du monde et des idées – le lieu d‟un solipsisme de la volonté (c‟est « le là » de l‟être qui se dévoile – dans ce « temps pauvre » - comme volonté objective dans la technique, dira Heidegger). Est-ce que c‟est étrange de parler, dans ce contexte, de la fin des « grandes narrations » ? Est-ce que c‟est sans signification le fait que les narrations ordinaires se soient réduites à l‟«entertainement », c‟est à dire au bruit de fond d‟existences en perpétuel mouvement, mais sans aucune finalité ? Ce parcours – historique et narratif – nous permet de voir quelques raisons qui peuvent expliquer pourquoi nous ne comprenons plus nos expériences d‟il y a un quart de siècle. Généralement, nous disons que notre vie a changé de telle manière que le passé est devenu incompréhensible. Mais notre vie elle-même a changé parce que « le monde » (et son sens) s‟est modifié radicalement dans cet intervalle. Cela veut dire que le changement n‟est pas seulement celui de notre perspective (du à l‟expérience accumulée pendant ce temps), mais aussi celui d‟une mode qui – pour donner une image intelligible – avait « tourné » (et continue à tourner) dans un mouvement imprévisible et impossible d‟être décrit par une « formule » quelconque. C‟est ça qui bloque la compréhension. Car toute intelligence et interprétation à besoin d‟un sol ferme. L‟exemple le plus facile est celui de la lecture d‟un texte (l‟herméneutique au sens restreint). Nous ne lisons jamais tout à fait innocents. Car il y a toujours une « grille de lecture »11 à partir de laquelle nous rencontrons le message du texte lu. Nous lisons un texte « parce que » nous avons à rédiger un travail, « parce que » quelqu‟un nous a attiré l‟attention sur lui, « parce qu »‟il nous a provoqué ou nous à fait curieux, « parce que » nous voulons nous instruire ou simplement nous amuser. Il y a, avant tout, une disposition qui nous oriente la lecture (et cette disposition a – elle-même – de multiples niveaux). En lisant quelque chose nous ne sommes pas dans la situation étrange d‟un tout nouveau, dans laquelle des choses inconnues déferlent sur nous en nous bloquant le jugement, mais – le plus souvent – au fur et à mesure de la lecture nous sélectons et nous organisons (selon un critère ou un autre) le matériel lu. Nous comprenons – ou nous ne comprenons pas (mais nous savons, en

63 L’Histoire comme cadre de réception et de compréhension manière socratique, que l‟incompréhension est elle-même une modalité de nous montrer – en négatif – ce qu‟il y a à comprendre) – quelque chose ou le message du texte dans son entier, mais, en tout cas, nous pouvons circonscrire le « quoi » de ce que nous lisons (dans le langage commun : nous pouvons faire « le résumé » de ce que nous lisons – c‟est à dire nous pouvons encadrer et définir ce que nous lisons). Le reste est, dans une bonne mesure, sujet d‟une technique ou d‟une autre et d‟une méthode plus ou moins approprié pour ranger les connaissances. Il faut dire encore une chose : ce genre d‟herméneutique à toujours une finalité qui correspond plus ou moins au « pourquoi » initial (c‟est le fameux « cercle herméneutique »), qui est celle d‟ajouter quelque chose – en les réorganisant – aux connaissances antérieures. Pour employer une image plastique : chaque livre que nous ajoutons dans notre « bibliothèque » intérieure refait l‟ordre d‟un (ou de plusieurs) rayons, élargissant ainsi non seulement l‟espace de ce qui est connu, mais aussi en ouvrant d‟autres possibilités à la connaissance. Cette chose est possible parce que nous avons – forgé par l‟école, la tradition ou par autodiscipline – « la bibliothèque » (c‟est à dire le cadre) dans lequel le livres s‟ajoutent les unes aux autres. C‟est ce cadre qui est « la grande narration » - même si elle est incomplète, même si l‟on peut lui faire des grandes modifications, elle est là et elle peut recevoir les autres informations. Peut-être étymologiquement c‟est ça le sens du com-predere : recevoir-dans-et-avec. La compréhension est possible parce qu‟elle présuppose un horizon d’intelligibilité qui est structuré et capable de recevoir (tout en se modifiant) les nouvelles données. Mais qu‟est ce que nous faisons si cet horizon s‟ébranle ? D‟une certaine manière il n‟est pas assez stable comme il paraît, mais ses faiblesses n‟apparaissent qu‟à l‟exercice d‟un « doute méthodique », qui n‟est pas le passe temps du commun des mortels. Même s‟il est faillible, ce cadre reste fonctionnel dans le quotidien de nos vies. D‟autant plus que – au-delà des exercices savants – il n‟est pas « la propriété » de quelqu‟un. Ce cadre d‟intelligibilité est une concrétion historique propre à un certain endroit (assez large en extension) et à un certain moment historique (assez stable dans la duré). En ce sens il est proche de ce que Thomas Kuhn appelait « paradigme » (Kuhn 1983). Comme celle-ci il est partagé juste par sa grande capacité d‟explication ou, plutôt, la possibilité d‟organisation et de structuration des expériences très différentes. Nous savons que dans la théorie de Kuhn quand un paradigme n‟est plus en mesure de rendre compte d‟une pluralité déjà vaste d‟expériences elle est substituée par une autre. La dernière peut avoir de moindres performances au début, mais le critère décisif est sa capacité à intégrer dans un sens unitaire des faits différentes. C‟est sur cet arrière-plan – assez peu interrogé – que se joue la capacité de compréhension propre à un moment historique.

64 Mihai Maci Or, tel que nous l‟avons vu, ce qui a caractérisé le dernier siècle a été juste le débâcle des grandes « paradigmes » de compréhension du monde élaborés à partir du début de la Modernité. Il faut dire encore une chose : il ne s‟agit pas seulement des idées (ou des réseaux des idées assez bien structurés), mais aussi de leur projection dans le monde sous la forme des institutions. Car il y a une correspondance – biunivoque, comme disent les mathématiciens – entre la connexion des idées (dans des structures « rizomiales ») et le système des institutions qui le transposent dans le monde social. Cela fait que la déstructuration de réseaux des idées affecte les institutions (en le vidant d‟une justification supérieure), tout comme l‟échec des institutions met en cause la valeur des idées sur lesquels elles se fondent. Ainsi, un grand séisme historique (et le dernier siècle a connu au moins trois) fait s‟écrouler aussi les édifices de la « cité terrestre » (les institutions) que les « idées » qui leur donnent stabilité. Et – s‟il faut encore quelque chose – après un tel séisme ne reste pas nécessairement un vide dans laquelle mûrit une autre « paradigme » (tant au niveau des idées, qu‟à celui des institutions) mais plutôt un champ des débris à partir duquel chacun peut se bricoler son propre « abri » (plus ou moins) théorique. Il paraît que c‟est ça la situation des temps récents : la chute des « idéologies » a eu comme effet la « privatisation » de leur ruines et comme conséquence directe le triomphe du bricolage des « idées » (dont la juxtaposition peut paraître saugrenue)12. Cet état de choses est plus que visible, par exemple, dans la décomposition des « ailles » traditionnels du champ politique : « la droite » et « la gauche ». Compromises les deux dans leurs revendications maximales – avec le nazisme et le communisme, leur manquant les classes (ou les groupes) sociales dans laquelles elles trouvaient leur réservoir électoral, sans les « intellectuels engagés » qui leur donnait un profil bien distinct, « la droite » et « la gauche » ont migré ensemble vers le centre du spectre politique en se contaminant, en se mélangent et, finalement, en devenir interchangeables. « La gauche » a puisé dans les débris de « la droite » (l‟idée de « marché libre » et autorégulatrice est un exemple), tout comme « la droite » dans ceux de « la gauche » (les « politiques sociales » sont le meilleur cas). Dans les pays avec une certaine tradition politique il y a encore une certaine inertie grâce à laquelle – au moins au niveau des « principes » – on garde encore une certaine distinction. Mais dans le nouveaux venus au monde démocratique (et non seulement non-européens) la confusion est totale. Et la conclusion est décevante : la vie politique se retribalise, car le dernier critère de l‟engagement n‟est plus le consentement à un programme d‟action, mais la soutenance apporté à un homme qui a su se faire remarquer. Ce qui, en passant soit dit, ouvre – larges – les portes au populisme (et – que Dieu nous garde ! – au césarisme), car se dispenser des « idées » en politique veut dire se confier à l‟autorité personnelle de quelqu‟un. C‟est avec sa volonté qu‟entrent en résonance à un certain

65 L’Histoire comme cadre de réception et de compréhension moment les électeurs (eux-mêmes se définissant par leur choix – reflet de leur volonté) en résonance ; mais rien n‟empêche que demain les deux volontés ne se retournent l‟une contre autre en transformant la cité dans une champ de combat. Cela veut dire que les « vieilles » distinctions qui on structuré la pensée – et la pratique – politique on resté dans une bonne mesure sans contenu et sont incapables a rendre compte de la vie publique actuelle13. Mais, avant d‟arriver à ces distinctions il faut nous attarder sur une autre chose, encore plus décisive : la chute de ces « paradigmes » de la vie commune nous a entraîné presque toujours dans un renversement des situations digne du « roman des mystères » du XIXème siècle. La chute du national-socialisme nous a montré non seulement son incapacité à réaliser ses promesses (sociales), mais l‟immense horreur de la « guerre totale » et particulièrement du Shoah. La fin du communisme nous à fait visible non seulement la misère dans laquelle a échoué un tiers de la population de la planète (devenu, au sens propre, « le troisième monde »), mais aussi le drame incommensurable du Goulag et des champs de la famine. L‟apogée de la technique a pris le visage du nuage atomique. Plus récent (et moins tragique, mais peut-être plus cynique), la crise économique nous a obligé à devenir conscients du fait qu‟il y a un grand écart entre le mythe de la prospérité et sa réalité terrestre. Comme dans le cas des « paradigmes » de Kuhn, l‟homme contemporain avait passé d‟un cadre de référence de sa vie à un autre avant de finir fatigué – et horrifié – par la suite de « révélations » qui ne lui montrent pas autre chose que l‟égarement du monde et l‟impossibilité de retrouver la confiance avec laquelle il s‟est investi dans la vie (et l‟histoire)14. Si Nietzsche disait que le « surhomme » est le survivant du naufrage de toutes les explications et Heidegger que l‟homme résolu du demain est celui qui a vu s‟effriter « le sol » familier des raisons pour rester suspendu au-dessus de l‟ « Urgrund » abyssal, l‟homme actuel – sans avoir choisi conscient « le chemin étroit» de Parménide – rassemble à ceux-ci. Il est, de facto, au-delà de ces « histoires » qui ont articule l‟Histoire au moins dans les derniers quatre siècles. Elle ne sont plus émouvants pour lui et ne sont plus en mesure à lui imprimer une dynamique personnelle ou sociale. Il ne se comprend plus dans leurs cadres et – par suite – ne le comprend plus. Cela veut dire une chose assez étrange : l‟homme du XXIème siècle tend à perdre son dimension historique. Et ce n‟est pas l‟effet d‟une ignorance – comme nous le disent les nostalgiques de l‟école d‟autrefois – mais la conséquence du fait que l’homme se sent trahi par l’histoire. Ces bouleversements qui on marqué la contemporanéité lui ont ôté ce sens qui relie les hommes dans l‟espace et les générations dans le temps : la fonction unificatrice du sens commun. L‟homme moderne est condamné à affronter seul le monde : seul, c‟est à dire sans bénéficier de ce cadre de compréhension (et de soutien) qui avait été, à son temps, le mythe ou l‟Histoire. S‟il veut trouver un sens dans

66 Mihai Maci sa vie, il doit forger une notion de « sens » à l‟usage personnel, dans un contexte défini et pour un temps relatif. Peut-être ici se trouve la raison pour laquelle – tout comme l‟enfant ou l‟adorateur du totem – il commence par investir avec de l‟esprit ce qui n‟est pas autre chose que de pure matière : la maison, la voiture, les objets à la mode etc15. Il vit dans un monde des objets, non seulement dans le sens qu‟il a à faire chaque jour avec elles, mais surtout dans celui que l‟organisation de ces objets lui prescrit ce qu‟il doit faire. Sa vie s‟avance par des routes découpées dans la masse des objets qui l‟entourent. Ainsi, il n‟est pas surprenant qu‟il a la tendance de prendre quelques-uns comme repères de sa vie. Et, de plus, il est dans la situation de rencontrer ses semblables aussi parmi des objets, dans une mode horizontale qui ne valorise que le mouvement et l‟accumulation. Les rencontres peuvent donner naissances à des petites « histoires », à des anecdotes qui évoquent un esprit de communauté là où il n‟est plus. Car les hommes ne se meuvent pas dans la même direction portées par les lignes de champ d‟une Histoire commune, mais entrent les un dans les histoires des autres comme des clients dans les boutiques de grades villes. Cela veut dire que l‟homme actuel n‟a plus aucun cadre de référence pour comprendre le monde ? Non, car, entre autres, juste un tel cadre définit l‟humanité de l‟homme. Mais cet arrière-plan de ses pensées quotidiennes n‟est plus l‟œuvre d‟un destin commun avec ses voisins comme pour ses ancêtres. Maintenant il est fait des lambeaux recueillis de partout : un peu de connaissances – surtout intuitives – gardés de l‟école, beaucoup de choses – sans aucun ordre – arrivés par les médias, quelques éléments qui portent le prestige de la mode et, bien sur, ses propres opinions investies avec l‟honnêteté avec laquelle sont déclamés. En ce qui concerne leur contenu, celui-ci est fait – avant tout – de beaucoup de défiance ; on l‟appelle « la théorie de la conspiration » et elle dit que rien n‟est pas ce que paraît. En fait, c‟est une forme aplatie de gnose qui veut qu‟« au-delà » de toute situation se trouve une confrontation entre deux volontés : la bonne (à laquelle se rallie tout honnête homme), et la mauvaise (qui tend sur l‟emprise de ce monde). On la voit, avec cette objectivation de volontés nous passons à l‟animisme. Car l‟homme actuel est aussi superstitieux. Mais, en bon gnostique, il est non seulement de la bonne partie, mais aussi parmi ceux qui « voient » la texture der(n)ière des choses. Après « la théorie de la conspiration » vienne l‟équivalence de tout réel en termes financiers : tout à un prix, donc tout peut être acheté. Le prix établit des hiérarchies sociales mais, en même temps, réduit les hommes et les relations entre eux à de pures combinassions numériques. De cette manière les personnes et les choses sont dématérialisés et transformés en de simples fonctions des nombres. Si au niveau des choses le monde tend à devenir opaque, à celui de chiffres elle acquiert la transparence du vide.

67 L’Histoire comme cadre de réception et de compréhension Est-ce que l‟on peut concevoir quelque chose qui dépasse ces deux formes de combinatorique ? Ce n‟est pas « le spirituel » qui manque à nos temps. Mais celui-ci s‟est lui-même privatisé. « Dieu est mort » – dit le fameux mot de Nietzsche. Pas dans le sens qu‟Il a disparu, mais plutôt dans celui qu‟il s‟est cassé dans une infinité de morceaux devenus des « daimons » personnels qui sont aussi des conseillers financiers et de trainers de diète et qui parlent par les petites phrases de la « littérature motivationnelle » qu‟on trouve sur le Facebook. Les « mythes » modernes sont - évidement – ceux des « VIP » et des grands films de succès commercial. Autrement dit, une foi « qui nous arrange », qui nous conforte dans nos habitudes et qui peut prendre l‟air d‟un club de passionnés du tel ou tel personnage ou auteur. Une « foi » au-delà de laquelle n‟est que la panique de la solitude, du vieillissant, de la maladie et de la mort. La fin des « grandes narrations » signifie encore une chose, plus grave : la violence – qui revient dans ce temps des troubles – n‟est plus justifiable par des « idées » (c‟est à dire ramené à un autre niveau – par exemple « l‟intérêt d‟état » - qui commande aux situations concrètes) ; désormais elle n‟est pas autre chose que « violence aveugle » (même si elle est gouverné par le calcul de la technique qui commande la cyber-guerre). Nous ne pouvons plus faire appel à une « autre » instance – plus prestigieuse et digne de respect – que les faits bruts et les volontés démesurés des hommes. Abandonnés dans un monde « froid » des choses et de faits qui ont tous la même valeur et le même droit à l‟attention, nous n‟avons plus aucune instance de recours. C‟est pur ça que notre compréhension saute d‟un chose à l‟autre dans un mouvement stérile, et se retourne en cercle sans pouvoir un appui. Et, finalement, c‟est pur ça que nous ne nous pouvons comprendre tels que nous étions il y a un quart de siècle. Ce n‟est pas le temps qui nous sépare de cette « autre vie », mais l‟amoncellement de ruines des « grandes idées» écrasés par « le vent du progrès ». En le regardant, nous ne pouvons plus dire autre chose que tout ce qui se trouve « au-delà » est « meilleur » que ce qui nous à resté sur ce radeau qui erre sans direction.

Notes

1 Car nous le savons : il y a un « temps blanc » entre le vécu et ce qui est consigné par l‟histoire. Ce que nous appelons « histoire immédiate » (voir, par exemple, les travaux de Jean-François Soulet) c‟est une histoire des faits dont le sens reste suspendu à leurs conséquences (pas encore déployées). 2 C‟est encore fois Eliade 1965 qui nous offre une « morphologie du mythe ». On peut lui objecter tout ce que les analyses anthropologiques ont apporté depuis, mais – dans les grandes lignes – son approche reste utile encore aujourd‟hui. Pour le débat sur les thèses de Eliade voir: Rennie 1996. 3 L‟histoire « structurelle » des religions – tel que l‟on essayée Eliade 1949 et G. van der Leeuw 1948 ne pouvait pas aboutir à autre chose qu‟à une combinatorique rationnelle – même s‟il s‟agit d‟une « pensée sauvage » – des éléments de la vie de « l‟homme

68 Mihai Maci

traditionnel ». Elle est décevante car « dite et écrite », elle n‟est pas q‟une narration parmi les narrations que lit l‟homme moderne et il est difficile pour nous de comprendre la manière dans laquelle cette histoire (unique) organisait la vie de nos ancêtres. 4 Même si elle ne fait que substituer – dans un langage plus rationnel (ce qui ne veut pas dire « rationaliser » tout d‟un coup) – au vieux thème religieux de nouveaux sens : par exemple on a le Progrès qui prend le relais de la Providence chrétienne. La confiance dans le rôle sotériologique (car libérateur au moins de l‟effort physique) du Progrès se veut l‟équivalent de la foi, et le fait de précipiter l‟avènement du nouveau – par la Révolution – deviennent le « millénarisme » des Temps Nouveaux. 5 C‟est, bien sur, un résumé assez grossier de thèses des Leçons sur la philosophie de l’histoire de Hegel que nous avons tenté ici. Un examen plus poussé insistera sur plus des nuances, mais nous avons voulu mettre en évidence le schéma de la pensée historique des Lumières. 6 Il ne s‟agit pas de justifier de colonialisme, à qui l‟on peut imputer une grande partie des malheurs que subirent – et (par ses conséquences) – encore subissent les peuples des pays non-européens. Notre propos est seulement celui de monter la manière de penser des hommes de ce temps là. 7 D‟une certaine manière les visions opposées de Hegel et de Herder vont se « figer » dans les idéologies politiques : la « gauche progressiste » d‟une part et la « droite nationaliste » de l‟autre. A un niveau plus « cérébral » elles se sont décanté dans l‟opposition entre la « civilisation » et la « culture » qui a marque la philosophie de la culture de la fin du XIX- ème siècle. 8 Et c‟est à Ouest qu‟on avait senti pour la première fois le sentiment de ce désenchantement (Baudrillard 1970). 9 Le « rassemblement » duquel parle le penseur allemand vise l‟organisation de la connaissance en vue d‟un objectif tant volontariste qu‟objectivant : la production (et il s‟agit, bien sûr de la production industrielle, de série – sur laquelle ont travaillé aussi – en poursuivant le thème de « l‟aliénation » de Marx – les représentants de l‟« Ecole de Francfort »). 10 Et la dernière définition que l‟humanité attend ne peut être – telle que l‟avait montré Arendt 1983, qu‟une venue de l‟extérieur. Mais nous sommes – dans une l‟époque de « la sortie de la religion » – dans l‟ignorance de ce que veut dire ce « extérieur ». 11 Wolfgang Iser, Hans Robert Jauss et des autres représentants de ce qu‟on avait appelé « l‟Ecole de Constance » ont thématisé « l‟herméneutique de la lecture ». Dans la culture roumaine Andrei Corbea Hoişie avait présenté et développé leurs contributions. 12 Pur être plus clair : dans le présent « les idées directrices » du passé n‟ont pas disparu « dans le néant ». Non, elles sont là, parfois objectivés dans des choses (c‟est le cas de la projection technique de la science), parfois toujours comme des idées (dans la culture), mais d‟une part elles ne sont plus directrices, d‟autre part elles sont là toutes, dans un mélange dont il est impossible à discerner le vrai du faux ou le significatif de dérisoire. Ce « tout à la fois » laisse comme seul critère d‟ordre le nombre – qui simplifie en uniformisant. 13 Nous les employons encore, mais nous ne pouvons préciser leur contenu. Elles sont des « nomina nuda », des mots vides qui ne prescrivent rien à notre attitude ou à la vie publique. 14 Du point de vue de ce que nous avons dit antérieur il est intéressant de noter que ces bouleversements historiques ont fait que des « explications » tout à fait opposées (et discrédités toutes les deux) subsistent « sur le marché », sans influencer rien d‟autre que les sondages et sans pouvoir déterminer rien dans l‟ordre d‟une meilleure compréhension de la condition présente de l‟homme. 15 C‟est Lipovetzky 1983 qui à partir de L’ère de vide avait exploré l‟imaginaire « liquide » de l‟homme contemporaine. On peut livre ses livres en tandem avec la grande saga de l‟imaginaire de l‟homme médiéval brossée par Jean Delumeau pour voir – en acte – « la différence historique » qui sépare le monde ancien de celui contemporain.

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References

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70 Alina Silvana Felea Alina Silvana FELEA *

Les paradoxes d’une crise : la représentation pharmakon

Paradoxes of a Crisis: The Representation Pharmakon

Abstract: The crisis of representation has become acute in modernity. The ability to represent has been seriously questioned, because the language and images become unable to find their adequacy to reality. The radical change of attitude in relation to visual and linguistic sign occurred after a long practice of semiotics that required the close correspondence between representation and reality. Because this thing was impossible, the signs have been depreciated and representation was problematized. The paradox of the crisis lies in the fact that we seek its origins in the definition and function of signs and images, while it is our own skeptical conscience who refuses to give them a proper meaning, be it conventional.

Keywords: representation, language, word, image, art, meaning, reception, understanding

L’ontologie, le pôle des certitudes pendant des siècles, le repère pour lequel on a porté tant de combats d’esprit s’est relativisé il y a plus d’un siècle déjà, ce qui a relâché la quête âpre des réponses aux « questions de la vie ». En même temps, cette relativisation de l’ontologie qui comprend des dimensions historiques et géographiques à la fois, a balayé le terrain de la pensée, l’a défriché, en le laissant libre pour semer les grains de la crise. L’incertitude a joué son rôle parce qu’elle a conquis tout ce qui pouvait être conquis dans la pensée occidentale, en commençant, bien sûr, avec l’idée de la vérité, démolie de son socle qui, pourtant, paraissait éternel. Il ne l’était pas. « Les conceptions que les hommes se sont données au cours de l’histoire, des “faits objectifs” ou des “vérités évidentes” ont suffisamment varié pour que l’on se montre méfiant à cet égard », pensent Perelman et Olbrechts Tyteca (Perelman et Olbrechts Tyteca 1970, 4). C’est une inférence logique bien placée dans leur Traité de l’argumentation. Mais à la méfiance il faut ajouter le trouble et parfois les attaques furibondes contre tous les « mensonges » (représentation, vérité, objectivité etc.) qui, dit-on, avaient empoisonné la raison pendant des siècles.

* Lecturer doctor at the Faculty of Letters of “Transilvania” University, Braşov, Romania; email: [email protected]

71 Les paradoxes d’une crise : la représentation pharmakon Unius vocis unica est significatio

Dans la vision de Sanctius, l’idéal linguistique se traduisait par une équivalence parfaite : un mot et une seule signification lui correspondant (unius vocis unica est significatio) ! Les Stoïciens aussi formulaient à leur façon le désir d’univocité : l’orthonymie, ou autrement dit chaque chose avec son nom direct et correct. Tout comme le stylet tombe droit (orthon) dans le sol, le mot devrait avoir ce pouvoir de toucher le coeur des choses, chaque nom en indexant sa chose. C’était un rêve, il y avait la part d’illusion. Le langage, considéré longtemps transparent, était vu comme un simple médium de passage. Pour les classiques, l’idée formée, accomplie est « exprimée » ou « traduite » par les mots, ces mots qui viennent toujours après... sans autre contribution que celle reproductive. Puisque la pensée est première, c’est l’idée qui a la prééminence, et non le langage. La représentation n’était rien d’autre qu’un simulacre, le double de l’objet, ayant une valeur similaire à l’objet lui-même. D’autre part, les images visuelles avaient l’obligation de configurer l’objet absent avec tant de vivacité et de conformité que celui qui regardait devait voir en cette absence la présence convaincante de l’objet. La confiance en ce pouvoir reproductif du langage et des images était si puissante qu’on avait même la prétention que les mots et les images représentent aussi le non-représentable. On formulait ainsi l’ambition d’isoler maintes formes du spectacle de la réalité qui n’avaient pas été jusque-là isolées. Les mots conformes, les mots qui reproduisent ou expriment, les mots qui représentent le visible et l’invisible, les mots qui se plient à la surface des choses, les mots-moulage, les mots et les images constituant l’oeuvre d’art-fenêtre sur la réalité : « L’Ecran réaliste est un simple verre à vitre, très mince, très clair et qui a la prétention d’être si parfaitement transparent que les images le traversent et se reproduisent ensuite dans toute leur réalité. Ainsi, point de changement dans les lignes ni dans les couleurs : une reproduction exacte, franche et naïve. L’Ecran réaliste nie sa propre existence » (Zola 2014, 278). L’esthétique réaliste a constitué le point culminant de l’ambition de reproduire le réel par l’art du langage. Depuis l’Antiquité et jusqu’au XIXème siècle, le langage et les images dans l’art, mais aussi dans la vie quotidienne ont été au service d’un seul maître : la réalité. On a cru qu’il soit possible de redécouvrir le pouvoir perdu des mots (mais perdu quand ?... et où ?), ce pouvoir qu’ils avaient de nous offrir l’essence des choses, de re-constituer le monde, de le re-présenter. Ni même aujourd’hui, à l’époque du doute et du relativisme, du signe arbitraire, on n’a pas totalement renoncé à la vision des mots qui se plient et adhérent aux choses. On voit parfois comment les signes « remontent » vers le monde, notre société incrédule et sceptique étant paradoxalement fascinée par la magie et par un animisme qu’on a décrété depuis longtemps

72 Alina Silvana Felea simple illusion des époques primitives. En effet il y a un certain nombre de théories modernes qui jugent les phénomènes hétérogènes – par exemple le parler quotidien – de la perspective de la cohérence et de l’homogénéité. De la sorte, on dit que la théorie générative de Chomsky est une théorie idéalisée puisqu’elle soutient qu’il existe des communautés homogènes (speech community) dont les membres connaissent parfaitement le langage qu’ils utilisent. Au-delà de l’arbitraire, de la différence, de l’hétérogène il y subsiste l’espoir de la logique, de l’explicable, du motivé. C’est comme dans la logique artistique d’Aristote qui considérait l’ordre humain naturel et non pas une construction artificielle de la pensée ayant besoin de recourir aux structures et aux formes pour comprendre le monde. Un autre exemple en serait : le rejet de la mimésis en modernité n’a effacé non plus l’ambition de « représenter » en littérature. Pourtant le désarroi d’échouer en ce projet de restitution du monde par le language et par l’art, l’amertume du sujet qui ne peut plus donner sens à la représentation se traduisent de différentes manières. Parfois par la sublimation du multiple, du pluriel, du divers ; d’autres fois, apparemment à l’opposé, par la perpétuation (fausse) d’une conception classique dans une forme moderne. Par exemple, les écrivains de « l’école du regard » (Alain Robbe-Grillet, Claude Simon) décrivent avec un souci accru de précision, en tentant la reproduction des détails, des formes géométriques, des aspects matériels d’où l’humanité est bannie. « Il s’agit plutôt – souligne Molino – du plus récent avatar de l’ut pictura poesis » (Molino et Lafhail-Molino 2003, 299). Mais le résultat de cet « hyperréalisme » est la déshumanisation et un effet bizarre de non-familiarité, de fantastique perçu comme étrangeté. De l’excès de réel on n’apprend rien sur le sens puisque on y renonce, on ne communique pas, on n’informe plus, on ne trompe personne. On présente seulement des fragments de monde juxtaposés, et non pas une vision du monde constituée par la volonté d’un sujet ayant confiance dans son pouvoir de comprendre et de restituer un sens par stratification et déréalisation1. Le changement dans la représentation, tant par les mots que par les images, s’est réalisé from referential precision to referential obscurity (Krieger, 1992, 110).

Pivots de transformation

Pourquoi les conceptions ont si radicalement changées en ce qui concerne la représentation par le mot et par l’image ? Qu’est-ce qui a ébranlé d’une manière décisive la confiance en ce que l’on perçoit, le respect pour la vérité unique, la certitude que la réalité est compréhensible et dicible ? Quelles ont été les découvertes ou les déceptions qui ont conduit à l’idée que l’évidence est un gros mensonge, un vrai piège, que les mots et les images trahissent et ne sont plus dignes de notre attention respectueuse ?

73 Les paradoxes d’une crise : la représentation pharmakon D’abord, on a observé, au cours du temps, que les choses mêmes, les impressions, le monde dans son ensemble ont leur coefficient irréductible d’ambiguité, sont instables, réfractaires à la définition, impropres à l’articulation cohérente par le langage. Et depuis Mallarmé on soutient avec toute la conviction que le langage n’a pas de rapport direct avec le monde. Mais jusqu’à la modernité proche de nous, il y a eu toujours la vision de ceux qui considéraient que le signe linguistique est foncièrement opaque, que la représentation (par la langue ou par l’image) manque constamment les essences, qu’elle est incapable de restituer pleinement l’idée. Cette inaptitude dénoncée par certains, était ignorée par d’autres, précisément par ceux qui croyaient à la naturalité de la mimésis ou à la précision de la référence. On peut identifier toutefois des signes de changement, au cours des derniers siècles. Lessing, par exemple, coupait le lien de la représentation linguistique et de la représentation picturale, ne voyant plus leur conditionnement intrinsèque. Mais la vraie fracture se produisait dans la lignée de Nietzsche, pour lequel les mots trompeurs ne conduisent jamais à la vérité, la vérité n’étant qu’un concept vide, dont la substance est habilement mimée par la rhétorique. « Les vérités sont des illusions dont on a oublié qu’elles le sont, des métaphores qui ont été usées et qui ont perdu leur force sensible, des pièces de monnaies qui ont perdu leur empreinte et qui entrent dès lors en considération non plus comme pièces de monnaie, mais comme métal » (Nietzsche 1991, 123). Le substrat des soi-disant vérités est constitué donc par des métaphores qui, par utilisation incessante, sont détournées de leur vraie nature poétique. Ainsi les vérités, monnaies d’échange sont en fait dérivées d’un imaginaire déclassé par l’idée de sa facultativité. En associant ou plutôt en mettant le signe d’égalité entre les vérités et les métaphores, Nietzsche a mis en ruine le fondement même de la vérité dans la culture occidentale2. A leur tour, les métaphores poétiques ne gagnaient pas de cette association un préstige, par tradition attribué à la vérité, mais étaient jetées dans la zone du dérisoire, ce territoire du « seulement ou rien d’autre que des métaphores... ». Les mots poétiques, vus souvent comme une quintessence du langage qui secondait, expliquait ou faisait manifeste le monde, ont perdu leur pouvoir d’adéquation. La crise de la représentation par mot et par image se traduit, à l’aube de la modernité, par l’idée de l’opacité des signes, de leur caractère arbitraire et conventionnel, la perte du sens, l’impossibilité de la transparence représentationnelle, de la dénotation, et l’institution du règne de la connotation, en fait. Et puis les progrès de la science et de la technologie, la possibilité de la reproductibilité technique nous ont conduit à de nouvelles formes d’art qui ont jeté dans le superflu le désir de copier comme autrefois, de reproduire ou de représenter la réalité. Le monde pouvait donc être capté rapidement

74 Alina Silvana Felea et avec fidélité mais non avec les vieux instruments, les images traditionnelles et les mots !

Multiplications

C’est Humboldt qui a produit une vraie révolution dans la linguistique (et non seulement) avec sa théorie de la langue comme principe dynamique de la pensée. Une langue, disait-il, n’est pas un produit fini, une oeuvre, Ergon, mais activité, procès, Energeia. C’est précisément ce que l’art veut devenir aujourd’hui. « Le problème de l’art – remarque Petru Bejan – n’est plus un problème d’objet, forme ou couleur, mais d’energie. Le but des artistes de la communication n’est plus celui de la production des significations de premier rang, mais de nous rendre conscients de la modalité d’action des stimuli communicatifs de n’importe quel type sur notre conscience et notre sensibilité » (Bejan 2012, 53). Il ne s’agit pas d’autre chose que de la propulsion prioritaire d’un principe commun, un principe qui contribue à l’articulation des langues aussi bien qu’au fonctionnement actuel de l’art. Cet art ne veut plus être isolé, séparé, exilé de la société : il s’agit d’un art socialement actif et activiste, un art « contextuel » et ancré dans le quotidien. Ses images et ses mots se mêlent jusqu’à la confusion aux images et aux mots de notre vie. Et pourtant cet art qui refuse d’être exclusiviste (comme l’art d’autrefois l’était), qui est beaucoup plus accessible – au moins en apparence – pose des problèmes de réception et de compréhension. Après le bannissement de la représentation de la peinture, c’est à dire de la forme, de la couleur et du sujet – voir les compositions de Blanc sur blanc de Kasimir Malévitch – le langage de la littérature a dû suivre le mouvement. Il y a eu une prolifération de « l’écriture blanche » (expression lancée par Roland Barthes), des « monochromes », des styles neutres et inexpressifs, purement dénotationnels ou informatifs qui visaient la désintégration du language, au moins dans sa forme traditionnelle. Le monologue intérieur chez Joyce, le flux de la conscience qui refuse la verbalisation, la simulation d’un langage inaudible, impossible d’être reproduit par écrit ne sont qu’autant de modalités de révéler « l’impropriété » et le vague de l’expression, l’obscurité dans l’image. Mais cette imagination déréglée par la perte du sens, productrice d’images et de mots déréglés à leur tour, crée de la confusion et du malaise. Le désir de représenter non plus les formes figées de la vie, mais les structures, les systèmes, le mouvement envoie la réception dans un vague insoluble. « Il faut laisser parler les mots », disait Novalis. En effet, la poésie moderne est devenue une sorte de monade fermée, autotélique, peuplée par les mots-choses, les mots importants seulement pour leur sonorité, leur voix, et non plus pour leur dépendance de l’empirique. Le lecteur se heurte aux mots sans savoir comment les recevoir ou les traiter, la grammaire n’a

75 Les paradoxes d’une crise : la représentation pharmakon plus de sens... La fonction poétique représente donc, du point de vue symbolique, le divorce entre le signe linguistique et l’objet : « la poétique a affaire à des problèmes de structure linguistique, exactement comme l'analyse de la peinture s'occupe des structures picturales » (Jakobson 1981, 210). En même temps, le langage poétique se caractérise par cette fameuse autoréférentialité dont Jakobson a parlé comme d’une fonction générale du langage : « La visée (Einstellung) du message en tant que tel, l’accent mis sur le message pour son propre compte, est ce qui caractérise la fonction poétique du langage » (Jakobson 1981, 218). On a passé donc d’une modalité traditionnelle de re-présenter le monde à une modalité de présenter une réalité plutôt construite, donc un produit de l’imagination. Même l’analyse du discours scientifique (chez Foucault, par exemple) a été marquée par ce tournant poétique dont le principe directeur serait que « la science invente son objet tout comme la littérature produit ses mondes fictionnels. C’est le discours qui imprime à ces objets la catégorie de la réalité » (Bilba 2014, 533). Tout comme autrefois la poésie aspirait d’être une peinture par des mots, en modernité le langage veut atteindre l’idéal de la simultanéité et de la juxtaposition, ce qui est propre pour le septième art, le cinéma. Mais il s’agit ici d’une utopie, puisque’on ne peut pas linéariser le multiple spatialisé et les mots ne surviennent pas tous d’un seul coup, en synchronie.

Aliquid stat pro aliquo

La pensée occidentale a été tributaire pendant des siècles à la conception grecque de la supériorité de la nature et de la réalité perceptible face à l’art et à la convention. Pour cette raison, la représentation a cherché constamment l’adéquation avec cette instance supérieure. En commençant avec le XVIème siècle, non seulement la sphère esthétique, mais aussi les structures de pensée et de mentalité ont été imprégnées de plus en plus de ce désir d’abstractisation, de rationalité, de prééminence de l’esprit scientifique. En tant que processus concurrent pour l’idée de naturalité, la symbolisation par abstractisation a gagné, avec le temps, de plus en plus du prestige. Aliquid stat pro aliquo, la définition traditionnelle du signe selon laquelle quelque chose se présente à la place d’autre chose, est un principe essentiel pour notre adaptation à la réalité. La valeur de ce principe s’avère non seulement dans le processus de la communication, mais aussi dans l’avancement de la culture et le progrès de la civilisation : il s’agit en effet de la capacité d’échanger des informations, de les stocker, de les transmettre en espace et en temps, de les utiliser au bénéfice de l’espèce humaine. Et l’art ne fait pas note à part quant à la dépendance des signes. Lorsque Joseph Addison faisait sa distinction entre l’art des signes naturels et l’art des signes conventionnels, en proposant même une hiérarchie des arts selon le critère

76 Alina Silvana Felea de la vrai représentation (Addison, Spectator, no. 416), il comprenait que le signe naturel a une accessibilité supérieure face au signe arbitraire ou conventionnel qui a besoin d’une « traduction ». En effet, nous saisissons sans difficulté le contenu informationnel de la photographie, mais l’expression linguistique d’un texte exige la décodification afin de capter le sens. Mais les signes conventionnels et l’arbitraire des codes impliquant la faculté d’abstraire ne sont pas un surplus difficile à gérer par l’intellectuel. Jean-Jacques Wunenburger, qui n’est pas le seul à souligner ce fait, disait avec raison que les images « se greffent sur un trajet anthropologique, qui commence au plan neuro-biologique pour s’étendre au plan culturel » (Wunenburger 2003, 21). Les psychologues Henry Head et, après lui, Jean Piaget ont appelé « symbolique » ou « sémiotique » cette fonction qui apparaît entre un an et demi et deux ans chez le bébé humain et qui se traduit par la capacité de représenter une réalité absente par un signe qui a valeur de substitut. Les êtres humains sont donc bien « équipés » autant pour la réception des signes naturels que pour la réception et la compréhension des signes conventionnels. En tant que produit d’une codification du monde par les signes, la représentation implique un important processus de transformation du monde chaotique en structures d’intelligibilité. La réalité devient compréhensible, lisible, grâce à ce processus complexe de représentation impliquant la condensation, l’articulation, la modélisation des informations divers que le monde offre. Wunenburger réaffirme donc l’idée de Gilbert Durand qui parlait « d’une liaison indissoluble entre, d’une part, des structures qui permettent de réduire la diversité des productions singulières d’images à quelques ensembles isomorphes, et, d’autre part, des significations symboliques réglées par un nombre fini des schèmes, d’archétypes et de symboles » (Wunenburger 2003, 22). Même s’il s’agit des conventions, elles doivent être partagées, comprises. Sinon, il y a le risque de créer un langage autonome, relevant d’un jeu combinatoire, une mécanique vide de sens qui conduit imanquablement à l’incommunicabilité. Prenons le dessin canard-lapin devenu célèbre grâce à Joseph Jastrow, dessin qui illustre la loi gestaltiste de l’inséparabilité de la perception et de son interprétation. On se rend compte qu’il est impossible de percevoir en même temps les deux images du canard et du lapin, de saisir simultanément les alternances ; seulement en succession deviennent-elles perceptibles. Donc la multiplicité, concevable théoriquement, n’est pas perceptible que par la succession des plans. C’est pour cette raison que lorsqu’on lit les calligrammes d’Apollinaire, on ne voit pas l’image et si on voit l’image, on ne lit pas en même temps le texte ! L’aspiration de l’art de dépasser ses limites est parfaitement explicable, si on se réfère à sa nature exploratoire, pour trouver de nouvelles modalités d’expression. Pourtant certaines des

77 Les paradoxes d’une crise : la représentation pharmakon limites sont indépassables ! Ainsi que Petru Bejan l’observe judicieusement, « la crise de l’art n’a pas partie liée à la production ou à la création, mais à la perception et à l’intelligibilité. C’est pour cette raison qu’on n’aime pas certains des projets artistiques et on ne les comprend pas. Mais peut-être ils ne doivent être ni aimés, ni compris » (Bejan 2014, 20). L’inflation des images et des mots dans la vie quotidienne (la télé, la publicité, le Facebook, etc.) est une invitation journalière à la facilité, à l’avalement sans réflexion des messages. L’existence d’une ramification de l’art qui soit « contextuel », se mêlant donc à la vie quotidienne, est dès lors inévitable. Mais d’habitude on attend de l’art, conformément à une tradition de réception, la transmission d’un sens plus ou moins manifeste, plus ou moins compréhensible, puisque le sens, considéré depuis longtemps comme une empreinte génétique de l’art, paraît indispensable. « Les oeuvres d’art permettent la transmission et le partage du vécu, du sentir, du voir, et rendent ainsi possible une participation à un monde commun » (Wunenburger 2003, 69). Mais si ce partage n’est pas actuellement possible et les représentations ne sont plus à la portée du récepteur, ce récepteur ne sait pas comment se comporter face aux projets artistiques composés de sensations qui ne s’adressent qu’à la perception et qui se réduisent à l’expérience scopique de l’oeil ou à la verbalisation liée uniquement à la voix... Lorsque les images et les mots apparaissent comme des formes pures, déliées de leur fonction de signe et de la recherche d’un sens, l’art-présentation des produits n’offre aucun indice de comportement dans le processus de réception. Néanmoins, les lecteurs ou les spectateurs aspirent sans cesse à trouver des ressemblances qui ramenent le produit artistique à quelque chose de familier. S’il ne s’agit plus d’une adéquation de l’image à certaines caractéristiques du modèle et il n’y a pas des ressemblances entre le représenté et le représentant qu’on peut percevoir (relation d’aboutness), si on pense la représentation en faisant abstraction de la notion de ressemblance, alors on a besoin d’un « accord explicite » (comme le dit Walton, 1990) sur le nouveau statut de la réception des objets artistiques, d’une grille de traduction. On a besoin des conventions appropriées ! Puisque toute oeuvre appelle un jugement d’appréciation, de nouveaux outils de décryptage et de nouveaux paradigmes de lecture s’imposent. Le blocage des savoirs que la négativité de l’art présuppose, bloque aussi la réception, la communication, le nécessaire échange. Cela parce que la représentation en tant que « relation d’ordre logique […] est instaurée ou instituée par la capacité à utiliser des systèmes sémiotiques et elle est validée par l’ensemble des conventions et des croyances propres à un groupe culturel » (Vouilloux 2004, 119). Par conséquent, ce n’est pas la langue et ce ne sont pas les images qui nous posent des obstacles. C’est notre rapport aux mots et aux images qui est devenu problématique. S’il est vrai que l’image est un acte de conscience

78 Alina Silvana Felea et, donc, elle n’est pas une simulation ou un simulacre de l’objet, ce ne sont pas les images ou les mots qui nous trahissent, mais notre propre conscience ! La représentation pharmakon, à la fois poison et remède, dont parlait Derrida (en continuant en fait le débat ouvert par Platon et Aristote) est pourtant docile, si l’on veut. Longtemps on a eu la conviction que les mots et les images peuvent et doivent pointer directement vers le monde, en le représentant en toute transparence. C’était l’illusion de la représentation- copie ! Ensuite, la pensée occidentale a postulé que les images et le langage sont totalement impuissants devant le monde. Mais le paradoxe réside en ceci que la culpabilité est passée aux mots et aux images qui, dit-on, ont trahi notre confiance, nous exposant aux impardonnables crédulités ou, au contraire, aux perplexités de l’incompréhension. En réalité, coupables pour cette crise de la représentation sont seulement les consciences qui semblent ignorer l’évidence que les images et les mots sont exactement ce que nous voulons qu’ils soient.

Notes

1 Chez Nikolaï Hartmann on entend par stratification l’idée que l’œuvre d’art a deux niveaux d’existence : certaines représentations relèvent de l’apparence sensible et d’autres de la construction idéelle. Le détachement de l’art et du réel sensible c’est la déréalisation. Par ce mot il est entendu l’idée d’origine kantienne que « l’apparence de l’œuvre d’art est apparition pour une conscience, un fait qui suppose l’adaptation de cette apparence aux opérations de la conscience » (Ratulea 2011, 168). 2 Ainsi que George Bondor le fait remarquer, la pensée de Nietzsche est mise en question de toute métaphysique, pour la raison que « chez l’homme, le perspectivisme – et donc l’illusion, le masque, le mensonge – sont présents et encore bien plus nécessaires que dans toute autre sphère de l’existence » (Bondor 2015, 83).

References

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79 Les paradoxes d’une crise : la représentation pharmakon

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80 Camelia Grădinaru Camelia GRĂDINARU *

The Painting that Moves: the Internet Aesthetics and the Reception of GIFs

Abstract: The visual content is an important part of social media, combining several key functions: communication, protest, art. In spite of its limitations, GIF is a popular tool that uses different supports (films, photographs, paintings). In its creation, usage, and sharing of GIFs, people make active a veritable “practical aesthetics“. Also, GIFs bring into play the exemplification of the “remix culture“, the “participatory culture“ or even of the “Internet ugly aesthetic“. This paper focuses on the GIFs that (re)use famous paintings and on their reception in social media. The process of reception is a complex and creative form of production, in which the value of art is recognized in the same time with a subtle irony or even humour. This kind of GIFs may conduct to the (re)discovering of great pieces of art and culture, and also to their inclusion in everyday life, as a part of everyone experience. This process of democratization of art makes it also alive, as a movement of still and as a transformation of the artistic canon. The example of The Scream‟ GIF illustrated some of the actual trends of its reception in social media.

Keywords: GIF, Internet‟ aesthetics, visual content, reception, remix, repetition, movement, nostalgia, Edvard Munch, The Scream

The cultural implications of GIFs

For a long time, people have been fascinated with the images and with their motion. The use of still images in order to create movement was one of the dreams of the humankind, but “before photography was invented and subsequently used to make movies, cameraless devices such as zoetropes, thaumatropes, phenakistoscopes, and flip books gave life to drawings and photographs“ (Counts 2000, 357). After cinema and TV, the computer came into the scene as a powerful tool even for the celebrating of motion. Thus, GIF – Graphical Interchange Format – was created by CompuServe Inc. and is used intensively for integrating images into the web pages. GIFs may be still graphics, but also animated ones, created with software named GIF builders. In fact, animated GIFs are an electronic kind of flip books that produce the impression of a continuous movement. They are very popular on tumblrs and blogs, and not just because of the brevity of the

* Department of Interdisciplinary Research in Social Sciences and Humanities, ”Al. I. Cuza” University of Iasi, Romania; e-mail: [email protected]

81 The Painting that Moves: the Internet Aesthetics and the Reception of GIFs format, but also because “it has an ethos, a utility, an evolving context, a set of aesthetics. GIFs are encountered not in theaters or in living rooms, but on networked screens that are physically private but socially public. They are not simply viewed; they are created, used, posted, collected, copied, modified, performed“ (Eppink 2014, 298). As Eppink pointed out, the history of GIF, with its obvious technical limitations, does not explain its success; it is shared as a form of identity, as an answer, as a substitute of non-verbal cues or “a cinema of affiliation“ (2014, 298). Its creator is not essentially important, being at least unmentioned, a situation that recalls Barthes‟ ideas about author and its legitimate role. GIFs are celebrating the technological format in capacity of an art form, delineating the “hyperaesthetics“ as a “dynamic aesthetics applied to dynamic arts. Hyperaesthetics requires theorization in real-time“ (Lunenfeld 2000, 173). The works of art created or simply mediated through the means of technology need the speed of hyperaesthetics in the quest of finding how technology affects the understanding of visual culture and of our world (Taylor 2004, 328-342). As Lunenfeld pointed out, “there is a world of technological wonder, where the equipment has such sheen that the aura of art pales in comparision“ (Lunenfeld 2000, 2). This recognition of the media support in the act of creating or presenting a GIF is, in my opinion, another exemplification of Bolter and Grusin‟ concept of “remediation“ (1999). Thus, the capacities of the new medium are emphasized, in the same time with the use of other forms of older media: “In the logic of hypermediacy, the artist strives to make the viewer acknowledge the medium as a medium and to delight that acknowledgement“ (Bolter and Grusin 1999, 33). Thus, new media reorganize our perspective of earlier technological forms and also allow their creative reinsertion in new complex ways. One of the aesthetic trends of the Internet is named “Internet Ugly“ that uses especially memetic content created by amateurs (for which the aesthetic is not a purposed goal) or by artists (that use it as a kind of “cultural dialect“ (Douglas 2014, 315)). It employs several sets of tools in order to beautify, muss, and communicate certain things about the user. One of its major characteristics is the authenticity, seen as a counter-value of the mainstream values such as purity or symmetry. It remains a creative choice that recognizes the user‟s irony and internet savvy. Although Internet Ugly is not “the only core aesthetic of the internet, it is the one that best defines the internet against all other media. It is certainly the core aesthetic of memetic internet content. The ugliness of the amateur internet doesn‟t destroy its credibility because it‟s a byproduct of the medium‟s advantages (speed and lack of gatekeepers), and even its visual accidents are prized by its most avid users and creators“ (Douglas 2014, 315). Thus, it distinguishes clearly between the opportunities offered by Internet and those offered by other media, such as TV. In this respect, Douglas considers the Internet

82 Camelia Grădinaru Ugly as the Internet‟s “folk art“ (Douglas 2014, 336), with cultural and social implications that also shape the ways of conversation. Thus, Internet Ugly is “the aesthetic of the mundane conversation and idle doodlings that have always existed, but which the internet makes shareable by default“ (Douglas 2014, 337). It comprises a set of users and communities values and sometimes it is used also for political or corporate objectives. The pop-cultural GIFs are the manifestation of participatory culture, where the media recipient is no more a passive one, but an active generator of content. The participatory culture is one “in which fans and other consumers are invited to actively participate in the creation and circulation of new content“ (Jenkins 2006, 290). In this process, digital technologies provide a large tool box for exploration of many practices and styles, the user generated content being an important part of the cyberculture. In this variety of information, the remix is a key element of this culture that makes possible many activities, from copy – paste practices to politically practices. For Linda Huber, the GIF is “one particular phenomenon that exemplifies the power and the pervasive everydayness of remix. The gif is a very simple and accessible form of remix that draws directly on the power of mass media, but subverts it for extremely everyday kinds of creativity and expression“ (Huber 2015). GIFs led to an entirely set of practices related to creation and consumption, pointed out the ascending importance of the visual content to new media, seen as being very well incorporated in the everyday life. As Highfield and Leaver think, “the contemporary visual social media landscape replete with GIFs, selfies, emoji, and more is the latest iteration of networked communication with a long-running theme: we have always found ways to be visual online“ (Highfield and Leaver 2016, 48). Hagman criticizes the idea that GIFs are the perfect instantiation of the contemporary culture of distraction, in which the abbreviation, the shortcut, the compression are some of their favorite tools. The social decrease of “temporal commitment“ – significantly visible in the new forms of communication, such as Twitter – could integrate GIFs in this routine of speed. On the contrary, Hagman thinks that this perspective fails in detecting something important for the reception of GIF and of its popularity: GIF is “more a matter of creation than recycling. At the heart of this creative intervention lies a recognition of cinematic movement as a force of differentiation and metamorphosis“ (Hagman 2012). Thus, GIF is a symptom of our times, but also a significant gesture that recalls in attention its dynamic and intertextuality. The GIF reinforces the process of democratization by making use of pieces of films, ads, political speeches, awards shows, or photography and paintings, and thus redirecting the attention to the details. In this vein, the repetition is one of its key aspects, creating a sort of Benjamin‟s “room for play“. But the GIF “employs repetition not as a principle of sameness but

83 The Painting that Moves: the Internet Aesthetics and the Reception of GIFs as a principle of difference“ (Hagman 2012). The meaning of the repeated image is evacuated from the large meaning of the whole, and the temporal narrative can‟t be accomplished. The viewer is magnetized by the repetition in itself and not by the goal of making sense. The animated GIFs transform movement into a strange repetitive moment, into a metamorphosis of a singularity. They don‟t have a closure and, as suspended elements, they describe a perfect loop. Being decontextualized, the movement becomes powerful in transmitting new ideas and interpretations, emphasizing a certain gesture and the meaningful side of the human embodiment. In this vein, GIFs can be interpreted as an excess that denies the narrative: “the animated gifs that are encountered all over the internet very seldom tell a story: on the contrary they seize hold of those purely excessive moments that carry little to no narrative purpose“ (Hagman 2012). The logic of GIF is slightly different from the logic of the story with a defined path of meaning. The hypnosis of repetition accentuates the relevance of a separate frame without the prerequisite of searching the link with the rest. In Barthes‟ terms, GIFs contain a “third meaning“, generally accessible through a fragment which carries an emotion. The phenomenon of GIF has been discussed also in the newspapers, indicating its dissemination and its vogue in the large public. For instance, Alex Williams noted that GIFs are the digital accessory of the moment, being positioned between the still and the moving image. In this respect, “the Internet, it seems, has found its version of vinyl chic“ (Williams 2013), revitalizing nostalgia for earlier technological forms, such as the early cinema or even the animism. The cycle of formats and devices and the speed of their development recall techno-nostalgic flashbacks. The older forms are surrounded by an inexpugnable aura of emotions, a relic of the past times. Nick Douglas pointed out that “as in the offline world, this nostalgia cycle will likely continue as each generation rediscovers the tools of its youth and replicates their effects with new tools. Internet creators use nostalgia, constricted platforms, and trickled-down professional tools to invent unintended uses for tools, redevelop forgotten methods, and create internet culture outside the „best practices‟ of professionals working with cutting-edge tools. The results are passed around and further uglified or beautified in a perpetual cycle“ (Douglas 2014, 334). Even the old types of Internet Ugly may come back through the means of “nostalgic affectation“. For Hampus Hagman, GIFs represent a commitment to cinema in the very act of altering the original and differentiating from it. The fascination for movement (seen as the key element of cinema) puts GIF near the early cinema. In this respect, following Agamben‟s ideas, GIFs can be conceived as a “form of gesture“, a “manifestation of pure mediality“ (Hagman 2012). Thus, “the main difference from earlier cinema is that the gif makes our fascination with movement communicable and shareable, rather than just

84 Camelia Grădinaru being the source of private consumption“ (Hagman 2012). For Uhlin (2014), GIF recalls not only the liberator potential of early cinema, but also it is linked with gaming. GIF animations are seen as “a mode of play with moving images“ (Uhlin 2014, 517), being characterized by repletion, citationality, and deployment of gesture. Their spectator is considered “dispossessive“, since “is not interested in claiming the image for her own. Instead, she transforms the image into an object of play, available to be used by anyone and whose meaning is partly dependent on these uses, just as play is conducted through the consent of the players“ (Uhlin 2014, 524). This mode of play has its own independence and the creation and circulation of many GIFs represent a turning away from the mainstream. Being more than wordplay, Uhlin situated GIF in a gift economy, typical for the Internet culture. The ludic aspect is born also from this separation of GIFs from the logic of commodity and from the appropriation with the sharing economy of the cyberspace. Thus, GIFs put to the issue some traditional dichotomies, such as art – commerce or play – work, high culture – low culture. The visual is most of the time in tandem with the textual; reaction GIFs that repeat a moment of dialogue, a gesture, a body position are inserted in communication as a response to other posts. What is interesting for that function is its efficacy, whether the communicators know or not what is the source of the GIF (the movie, the painting, the show, and so on). Of course, in the case when the initial source is recognized, the recipient will go on a more profound level of meaning. The procedures of framing, deconstruction, reuse, parody are blurring the authority of the original and maintain a fruitful conversation with the postmodern stances. Tolins and Samermit conceive GIFs as embodied enactments in text- mediated communication, since they can be used in many different modalities: as emotional responses, as emphasis of a certain point, or as “co-text demonstrations of affect and action“ (Tolins and Samermit 2016, 75). A particularity of those GIFs is that they are a kind of simulacrum of face-to-face communication. Thus, they are meant to substitute emotions or actions that in offline do not need any kind of demonstration. They also display gestures, behaviours, facial expressions, as a general insertion of a well-known philosophical secundarity – the body – in the conversation. What is interesting is the fact that they use the bodies of other people in order to underline our own bodily stances: “the use of animated images, displaying the bodily and facial expressive behaviors of others, acts as a novel form of demonstration within technologically mediated dialogue. In producing the actions of others as demonstrations attributable to oneself, the use of GIFs can be analyzed as a novel form of reenactment, making embodied resources available to the texters to create meaning in a way that was previously limited“ (Tolins and Samermit 2016, 87). Thus, the content

85 The Painting that Moves: the Internet Aesthetics and the Reception of GIFs of other established forms of art or communication are freely used as a tool for interpersonal conversation and as a form of personal expression (Huber 2015). GIFs differ from emoticons by the procedure of reproducing recordings of actions realized before by another source. Thus, “GIFs offer opportunities to isolate emotions, underline humour, and break sequences into key moments“ (Highfield and Leaver 2016, 55). In this respect, they provide “visual depiction of affect“ (Tolins and Samermit 2016, 83) and also a type of addressee response. Moreover, the reaction GIF leans on the distance between the source and the actual context of its use. This situation instantiates once more the idea of “context collapse“ that was much discussed in new media studies. Huber remarks that “this ironic play between different levels of meaning, both from the original source material and the new context into which it is being used, requires a particular kind of expertise“ (2015). The expertise is multi-stratified, at the level of cultural literacy, at the level of remix, at the technologic level, and at the conceptual one. Even if the reaction GIF is not seen as an “objet d‟art“, but as an instrument for online communication, and in this respect it needs only much “smaller remix-acts“, all the same it supposes the control of the practices that surround its creation, dissemination, and reception. Thus, we have to notice that “in the reaction gif we see that remix not only pervades through our culture, but has infiltrated into our first and most basic form of media: language“ (Huber 2015).

The reception of The Scream GIFs

The most part of the literature dealt with the analysis of GIFs that re-use frames from movies or TV shows. My preoccupation is to investigate the reception of GIFs that have as their source famous paintings. We all know, for instance, the GIFs with Mona Lisa (for instance, https: //www.tumblr.com/search/mona%20lisa%20gif) that rolls the eyes and performs different facial expressions, including scary hypostases. Kajetan Obarski (http: //kiszkiloszki.tumblr.com/) made animated GIFs based on famous paintings (Goya, Magritte, Leonardo da Vinci and so on) that are altered by the insertion of cybercultural tropes. These GIFs can be described as “darkly absurd“ (Dunne 2016) and present, for example, how Leonardo da Vinci (Lady with an Ermine) uses Photoshop in order to restyle his Lady‟s ermine into a giraffe, how the “raining men“ from Magritte‟s Golconda are torn into bloodily pieces, alerting the newscasters, or how van Gogh (Self-portrait with Bandaged Ear) receives as gift a pair of blue headphones with a bow. The aversion to the art canons and mainstream interpretations are obvious and the mocking of them is included into a larger keeping the receiver guessing about the end.

86 Camelia Grădinaru On the one hand, the play with consecrated works of art is a suggestive strategy in order to destabilize the canon and to introduce the irony and the parody in the scene. On the other hand, even if the “treatment“ of these pieces of art is not one of piety and respect, the introduction of them in the speedy feed of social media represents a step onward in the process of familiarization with the art world. Also, these great works are not anymore at distance, in an intangible space with particular rules, but they are positioned in the very ordinary and mundane everyday life. All the same, GIFs have been present in the art galleries of New York, Berlin, and also have brought together people at dedicated festivals. The citationality involved by the GIF contains an intrinsic recognition of the source and in this vein we can affirm the capacity of rediscovering the art through GIFs. Thus, the GIFs can play the role of the trigger in view of accessing the vast path of deciphering and understanding the cultural and artistic suppositions of an art work. The subsequent subverting and distorting of the original can offer a sense of freedom for both the creator of GIF and its receiver. Of course, these strategies (irony, parody, mocking) may be interpreted as diminishing the reception of the original work of art or as a form of vulgarization or, putting it crudely, as bad taste. As an example, I tried to perceive the reception of The Scream GIFs and to analyze the dimensions of their “practical aesthetics“. This concept represents “the ways in which people, in ordinary circumstances, discriminate, evaluate, and experience objects and artifacts in museums and galleries“ (Heath and vom Lehn 2004, 44). For the purposes of my paper, I adapted this term in order to include also the aesthetic experiences produced outside the walls of the museum. It is important to stress the fact that the public reception of GIFs is not just an act of passive spectatorship (see the concept of “dispossessive spectator“ at Graig Uhlin (2014)), but a very active one. Moreover, it supposes a creative act of production. The original is transformed in different ways and used to express an emotion, an idea, or simply an answer to an interlocutor. The Scream transmits per se a very eloquent and powerful message, so its takeover was at hand. In this respect, we notice that Edvard Munch‟s painting lends oneself at many interpretations, such as the short video made by the Romanian animator Sebastian Cosor (Springer 2015), that brought together different temporalities and media supports: The Scream and Pink Floyd‟s The Great Gig in the Sky. The conversation between various types of art is, anyhow, totally inscribed in the history of this painting. Thus, the version in pastel-on- cardboard from 1895 (there are four versions of this painting and many other lithographs) is “a singular instance of a modern painter bringing a poem he wrote into direct physical relationship with his artwork. To fit the

87 The Painting that Moves: the Internet Aesthetics and the Reception of GIFs space at the bottom of the frame while preserving his line breaks, Munch recorded the poem in two columns separated by a vertical line.

“I was walking along the road with two friends The Sun was setting – the Sky turned blood-red. And I felt a wave of Sadness – I paused tired to Death – Above the blue-black Fjord and City Blood and Flaming tongues hovered My friends walked on – I stayed behind – quaking with Angst – I felt the great Scream in Nature“ (Ahn 2012).

Even if this heart rending poem originated into 1892 entry diary, the differences between these two versions reveal the expressionist power of the painter. As Sue Prideaux remarks, Munch saw his work as a confession realized through the pieces of his paintings, marked with his ambition that “by looking inside himself he would be capable of building an image of eternal truth from the transitory and particular laboratory of his own life‟s experiences“ (Prideaux 2007, vii). This quest was accomplished, philosophers, psychologist or men of letters attesting the veracity of the ideas expressed through his works. His love for reading and books seemed to underlie in part the links between several philosophical ideas and the interpretation of his paintings. Thus, for instance, the link with Schopenhauer‟s concept of dread was denied by Munch, as the later made contact with Schopenhauer‟ philosophy subsequently. The proximity with Nietzsche‟s ideas was also brought to the fore in The Scream‟ interpretations: “if every self-portrait is a portrait of the soul to some degrees, The Scream was the portrait of the soul stripped as far from the visible as possible – the image on the reverse, the hidden side of the eyeball as Munch looked into himself. „We paint souls‟. It has come to be seen as a painting of the dilemma of modern man, a visualization of Nietzsche‟s cry, „God is dead, and we have nothing to replace him‟.“ (Prideaux 2007, 151) Far from suggesting an interpretation of this masterpiece, we have to observe that its expressive force and its power to speak general truths of humankind made it the perfect “candidate“ for relapses and “replays“. The animated GIFs seems to “give voice“ to the scream, but not through audio meanings, but through movement. Even if Tumblr is one of the favourite “spaces“ for GIFs, I chose to observe the ways in which The Scream was received on Facebook, because of its large use. Thus, for instance, a “Daily Art“ post from 25 May 2016 received 333 appreciations, 81 shares, and 4 comments, an “Abyss of the Mind“ post from 15 January 2016 has 116 likes, 3 comments, and 41 shares, and the “Incredible Art Department“ post from 25 October 2015 has 49 likes, 4 comments, and 86 shares.

88 Camelia Grădinaru The “Art People Gallery“ post from 24 May 2015 (https: //www.facebook.com/artpeople1/?fref=nf) received 5.5K of likes, 1.1 K of shares, and 131 comments. Hereinafter I will briefly analyze these comments, because they are numerous and diverse, and may delineate some patterns of reception. The comments can be classified in three main categories: comments that express the fascination and admiration for the painting (and subsidiary for GIF), comments that express the disturbing feelings and a certain psychological discomfort done by the artistic reception, and comments that do not advance appreciations, but indicate associations with other works. In the first category, the prevailing words are: “magic of the gothic“, “great idea“, “I love it“, “I like it“, “awesome“, “cute“, “great“, “cool“, “epic“, “amazing“, “good“. Two posts are directly related to the GIF itself: “great idea for an animated movie“ and “looks better than the real thing (the most awful painting ever)“. In the second category are appreciations such as: “creepy“, “disturbing“, “nightmares“, “strange“, “scary“, “grotesque“, “dramatic“, “freaky“. Also, opposite constructions such as: “cool and creepy in the same time“, or “beautifully disturbing“ may indicate a multi-layered perception of this GIF. In the third category are several references to other works (Sebastian Cosor‟ movie, an art work by Prithviraj Maallick and even Gollum) or to the personal mood of that moment (“looks how I feel“). Only one comment expresses the indifference: “not impressed at all“). Also, GIFs with The Scream were posted by users as a reaction after personal problems or after some political news (a user, DH, noted: “After watching the debates last night“ and then posted this GIF). In this vein, the GIF is a visual modality to emphasize a variety of states (despair, discontent, rampage, anxiety or pain for the most part). What is interesting to remark is the technologic simplicity of this GIF. If other GIFs that have as source famous paintings interfere significantly with their message or structure, as an act of disobedience from the canon, The Scream GIFs are made just to accentuate the intensity of the painting through movement and through the procedure of “zooming“ and on- coming. The movement of the character and also that of the surrounding nature underline the angst, the concentric lines created through the motion producing the sensation of a dead end.

Conclusions

In spite of its limitations, GIFs are still in the headlines, emphasizing the users‟ enjoyment of visual content. In the processes of creation, sharing, and reception of GIFs, people put to work a veritable “practical aesthetics“. Also, GIFs can be conceived as examples of the “remix culture“, the

89 The Painting that Moves: the Internet Aesthetics and the Reception of GIFs “participatory culture“ or even of the “Internet ugly aesthetic“. This paper focused on the GIFs that (re)use famous paintings and on their reception in social media (with a special attention to The Scream). These GIFs can be posted as such, because they can be funny, provocative, and anti-canon. Moreover, they send a powerful message and they also can be used as reaction GIFs. They supplement the lack of online communication by pointing out ideas and emotions. They also emphasize a certain point of view, having on their side the power of visuality. Nevertheless, their meanings are multi-stratified and the receiver can get one or many senses, based on her familiarity with the art world. If the receiver is a versant one, she can access the deeper meanings and the intertextual layers. Anyhow, the reception of GIFs is, in fact, a complex and creative process, in which the cultural and artistic values are recognized frequently in an ironic, parodic or humorous manner. This kind of GIFs may also help us discover great pieces of art and culture, and also help us include them in our everyday life, as a part of our immediate, yet meaningful experience.

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91 The reality under the reception of representations – a Stoic approach Ruxandra-Maria STOIA *

The reality under the reception of representations – a Stoic approach

Abstract: If we rewind each path that led us to knowledge, we discover that our access to it started with one basic act – the act of perception. But every sensory experience or mental event appears in our mind as a representation. Since Antiquity, the philosophers were quite aware that there is no representation without perception, but also no judgment without representation. By working with the Stoic texts it becomes more evident that the individual, as the subject of the receiving representations, is the only one in charge to master its own data of perception, namely to test and then to assent a representation or not. Prudent as always, the Stoics encourage the individual to be suspicious and careful in front of what appears to him in the first instance: objects, feelings or mental events. In this case, how do we deal with such appearances? How do we interpret them? Are we guided more by our emotions in front of what we perceive better than the truth itself? Following the Stoic doctrine, the purpose of this article is to investigate the work that is behind the reception of representations and to reveal the reason why one should control and correct them.

Keywords: object, representation, reception, assessment, philosophy, Stoicism

In the history of the philosophical ideas, the notion of representation (phantasia)1 gained a lot of attention, being one of the main concepts through which the access to knowledge could be explained. This topic was a delicate subject to approach also in Antiquity, since the discussion refers to our awareness of receiving impressions from the outer world. There was no doubt that the term itself was strongly connected with the act of perception. But the link between both of them indicates us how tricky a representation can be. While the perception is instant, the representation is not. Indeed, we receive representations every time we perceive something. But the difficulty arises not from the fact that we perceive an object, an event or a feeling, but from how we manage to see the representations from each one of them. In the end, one should try to train its mind, in order to achieve a proper (objective) perspective of how reality looks like. At least, this is the vision that the Stoics conceived about this particular aspect. And yet, there are still other questionable sides of this phenomenon that require

* PhD Student in Philosophy at the Faculty of Philosophy and Social-Political Sciences, “Alexandru Ioan Cuza” University of Iasi, Romania, email: [email protected]

92 Ruxandra-Maria Stoia further consideration. As a preliminary matter, a brief description of the Stoic doctrine may create the conditions to set the main scene of this article. Stoicism, as any other philosophy developed in Hellenistic and Roman period, is conceived to deal more with the ethical inferences of the philosophical system. But the other two parts, physics and logic, are also involved in the Stoic discourse. In fact, there is a permanent correspondence between these parts. Precisely, the Stoics saw an interdependence that takes part between our way of thinking and our way of acting. A good government of the mind reflects itself in the conduct. But there are a lot of factors that are disturbing our logical thinking. For this reason, the entire Stoicism, mainly the Roman one, is filled with urges regarding the care of the self.2 In this context, the notion of “care” must be understood as a form of exercise. Likewise, every action upon oneself determinates us to become the subject and the object of our own care. This mechanism assumes that the individual must work with himself and, in exact terms, he must train his thoughts. But the thoughts cannot be trained without a theoretical support. They need to be sustained by the philosophical discourses. Despite their simplicity, the Stoic texts are a valuable source in the field of practical philosophy, due to the moral principles that they promote. In contrast with other philosophical works, the Stoic ones were written in a modest way. By far, the manner of explaining the philosophical ideas and beliefs occurs on a mundane level. Even if the doctrine is divided in three parts, one can see that the exposed theory remains in connection with the concrete world. In fact, being in the world determinates the individual to develop exactly three spheres of action. For instance, the logic part, which includes a complex association of theory of knowledge, grammar, semantics and logic principles, serves for developing an accurate way of thinking. At the same time, it stresses upon the use of valid arguments and how to reason correctly by criticizing the representations. On the other hand, the study of physics assures an awareness of the fact that we are part of the Universe and therefore we should become cooperative with the natural events brought by the fate itself.3 Ultimately, the role of ethics is to bring improvements in our own action, which in this case means to seek the common good. From this wide point of view, it might become easier to conceive that, via all of these three sides of the doctrine, the individual manifests a sort of care regarding oneself, the other and the Universe (Hadot 1995, 193-202).4 Without any doubt, the first form of care, as a preliminary stage, is the one regarding our own self. But, the preoccupation with oneself starts with a serious attention upon what we perceive from the external world and how do we handle the reception of it. This act of vigilance is important in the field of knowledge and action, because we understand and react based on

93 The reality under the reception of representations – a Stoic approach what we perceive. Certainly, this aspect had generated a lot of insecurity for the simple reason that we can easily fall into the temptation to assent whatever appears to us. Now, the ancient philosophers felt the need to shape rational arguments around this subject in the hope to avoid such risk. It seems that they end up investigating the meaning and the mechanism of our representations (phantasiai). Approaching the Stoic texts on this topic is an advantage because the concept of phantasia remained essential through the whole Stoic tradition. The word cannot be traced “in the Greek literature before the dialogues of Plato, in which it occurs only seven times. Aristotle is apparently the first writer both to have used it regularly and to have discussed its meaning at length” (White 1985, 484).5 Then, from the Zenonian fragments until the later Stoics the term gained a crucial position, for the fact that it became the criterion by which the truth of things is tested. Yet, we still need to explore how the Stoics constructed their philosophy around the reception of representations. Based on the evidences of Diogenes Laertius, Zenon defined a representation as “an imprint on the soul: the name having been appropriately borrowed from the imprint made by the seal upon the wax” (Diogene Laertius, VII. 45). Later, Chrysippus will add that a representation implies, in fact, a process of change, more than an act of imprinting something in the soul (ibid. VII. 50). In the both cases, the nature of the representation indicates a sort of alteration, like an affect that takes part once a representation reveals itself. Moreover, “as a pathos, a representation is passive; it is an instance of our being affected, «stamped», or imprinted in such way that we are made aware of something – e.g. in the case of seeing, of something white; in the case of pain, of an unpleasant disturbance to my leg; in the case of fear, of something dangerous” (Long 1996, 271). For sure, if the representation is passive, then the interpretation of what we receive from it, it will require an active mood of the ruling part of the soul (hegemonikon), often associated with the concept of mind in Stoicism. Unquestionably, some representations are false or, at least, misleading. In this case, the role of the hegemonikon is to examine what is real and what stays under the appearance. In fact, the Stoics distinguished between a cognitive and a non-cognitive representation. A representation is cognitive (kataleptike) when it is in accord with the object itself, while a non- apprehending one “does not proceed from any real object, or, if it does, fails to agree with the reality itself, not being clear or distinct” (Diogene Laertius, VII. 46). Still, what does it mean for a representation to agree with the object itself and how do we know if an object is real? The questions are related to one another and the answer it might be found if we follow some examples in this area.

94 Ruxandra-Maria Stoia The relationship between the representation and the represented object requires few clarifications. A representation doesn’t come alone; it comes with what has caused it (SVF II. 54), i.e. an external object, an event or a feeling. A representation shapes the form that comes from the perceived object, even if it doesn’t cover all the qualities of the object itself, as it appears in the following situation:

“One day when a discussion had arisen on the question whether the wise man could stoop to hold opinion, and Sphaerus had maintained that this was impossible, the king, wishing to refute him, ordered some waxen pomegranates to be put on the table. Sphaerus was taken in and the king cried out, «You have given your assent to a presentation which is false». But Sphaerus was ready with a neat answer. «I assented not to the proposition that they are pomegranates, but to another, that there are good grounds for thinking them to be pomegranates. Certainty of presentation and reasonable probability are two different things».” (Diogene Laertius, VII. 177).

Here, the representation was an adequate vision of pomegranates. In the end, we were dealing with a cognitive representation, for the reason that the representation matched the characteristics of pomegranates. But the situation proved that Sphaerus assented the idea that in front of him were things that looked like pomegranates. The fact that they are pomegranates was true only in a propositional form. The example suggests some phenomenological aspects. It seems that a representation cannot guarantee knowledge, but it can play the role of a potential judgment. (Long 1996, 275).6 So, how should we then treat a representation? More or less, a representation is an announcement of a presence of an object or of an event. But after a representation is declared to be cognitive, one still has to assent it or not. The decision to be affected or not remains up to the percipient, like in the following examples:

“But whereas the older Stoics declare that this apprehensive presentation is the criterion of truth, the later Stoics added the clause « provided that it has no obstacle ». For there are times when an apprehensive presentation occurs, yet is improbable because of the external circumstances. When, for instance, Heracles presented himself to Admetus bringing back Alcestis from the grave, Admetus then received from Alcestis an apprehensive presentation, but disbelieved it; […] and when Menelaus on his return from Troy beheld the true Helen at the house of Proteus, after leaving on his ship that image of her for which ten years’ war was waged, though he received a presentation which was imaged and imprinted from an existing object and in accordance with that object, he did not accept it as valid.” (Sextus Empiricus, I. 253-256).

95 The reality under the reception of representations – a Stoic approach The closer we get to the late Stoic texts, the better we can see the responsible status that the individual has for giving or withholding assent to a representation. Now that the texts are stressing upon moral and practical facts, one can say that the Roman Stoics had in attention more the representations received through the mind itself, like the ones that comes from incorporeal things, instead of the ones derived from the sense organs.7 The reason is quite evident, if we take into account the interest of the Stoics to control the passions and the emotions. For instance, Seneca in his work, On Anger (Seneca 1970), captures the irrational nature of the feeling of anger. Moreover, anger is the result of a bad management of representations and judgments. No wonder why stoicism is famous for the rational guide of thinking with inferences in everyday life. In this sense, it will be captivating to follow the carefulness that the Roman Stoics used through the logic part of the doctrine in order to protect themselves. Back to the feeling of owning each decision to assent a representation, Epictetus can be here a perfect example for fixing this idea: “the gods have put under our control only the most excellent faculty of all and that which dominates the rest, namely, the power to make correct use of the external impressions” (Epictetus, The Discourses, I.1.7). 8 The world is full of prejudices, therefore this hermeneutical technique of controlling the representations comes to destroy what the crowd constructs. The crowd is always guided by beliefs and some of them remain without foundation. Epictetus realized this when he claimed that “it is not the things themselves that disturb men, but their judgments about these things. For example, death is nothing dreadful, or else Socrates too would have thought so, but the judgment that death is dreadful, this is the dreadful thing. When, therefore, we are hindered, or disturbed, or grieved, let us never blame anyone but ourselves, that means, our own judgments” (Ibid. The Manual, § 5). But, probably the most known passage from Epictetus that amplifies how dangerous a judgment can be is the next one: “His son is dead. What happened? His son is dead. Nothing else? Not a thing. His ship is lost. What happened? His ship is lost. He was carried off to prison. What happened? He was carried off to prison. But the observation: «He has fared ill» is an addition that each man makes on his own responsibility” (Ibid. The Discourses, III.8.5-6). Both examples are helpful to realize that the reality itself doesn’t have moral or aesthetical attributes. In this case, the individual must try to think objectively the life events. Such a technique requires prudence and a slow act of assimilation the representations.9 By Epictetus, this exercise might be even easier to fulfill if we take into consideration his theory regarding the separation between the things which are under our control and the ones that are not. Being aware that there are things not in our control, reduce the possibility to get affected. To arrive at the point of apathy or resignation means that to use objective representations. So,

96 Ruxandra-Maria Stoia working with such a distinction it can be an advantage to learn how to be distant in front of the daily challenges. In like manner, Marcus Aurelius is quite meticulous with his thoughts. He offers clear steps to achieve an objective perspective about the external events. The passages under our attention are revealing a method that requires to define and then to decompose an object or an event. For sure, the more details we have about a representation, the more we dominate it:

“a definition or a delineation should be made of every object that presents itself, so that we may see what sort of thing it is in its essence stripped of its adjective, a separate whole taken as such, and tell over with ourselves both its particular designation and the names of the elements that compose it and into which it will be disintegrated. For nothing is so conductive to greatness of mind as the ability to examine systematically and honestly everything that meets us in life, and to regard these things always in such a way as to form a conception of the kind of Universe they belong to […]”( Marcus Aurelius, III.11).10

The suggestion is repeating itself also on VI.13: “As in the case of meat and similar eatables the thought strikes us, this is the dead body of a fish, this is a fowl or pig […] – such, I say, as are these impressions that get to grips with the actual things and enter into the heart of them, so as to see them as they really are, thus should it be thy life through, and where things look to be above measure convincing, laying them quite bare, behold their paltriness and strip off their conventional prestige”. Marcus Aurelius is trying to put into practice how to be faithful to reality. Indeed, the perception is an involuntary act and there is nothing to blame on it. But, the appearances don’t contain any sort of moral or aesthetic qualities, like the judgments do. So the risk of being affected or not comes from the way we describe what we perceive. In consequence, one should cultivate a disinterested, impersonal and unemotional vision. Somehow, this technique involves a reduction from every external aspect that surrounds the object perceived. Based on the preceding pages, one can affirm that phantasia is more than a concept, because it is expressing a way of looking at the world. We are a sum of perceptions and the fact that we work in our everyday life with representations is an undeniable statement. This article attempted to discuss the Stoic version of testing the representation, in order to see the reality as it is and to live in a rational way as possible. It seems like the Stoics were not only aware, but extremely concerned to prove that the power is in our hands to evaluate each representation. Stoicism is, by far, a philosophy that requires self-government. Hence, to attest such a responsibility, one should start by exercising and training his own representations.

97 The reality under the reception of representations – a Stoic approach Notes

1 The Greek word doesn’t have a proper equivalent in English. The philosophical tradition plays also a decisive part for choosing the right term. For instance, in Aristotle’s philosophy, phantasia is often translated as imagination, but its meaning still remains in the field of having mental images. Regarding Stoicism, the term has been translated into many forms, such as: representation, presentation, appearance or impression. At any rate, all of them are connected with the basic significance of what phantasia represents. By taking into consideration the etymological sense, the word comes from the verb phainesthai, which indicates the idea of something that becomes apparent. In addition, it is important to keep in mind that the meaning of phantasia is less related to aesthetics, but rather to epistemology. 2 For further investigations concerning this topic see Foucault (2005, 85). 3 The belief that one should live in accordance with the Nature is a characteristic of the Stoic theory. This fact means to agree and to conform to all the natural law (death, illness) and principles provided by the Nature. 4 The description of the ternary scheme can be applied more in the late Stoa, by Epictetus and Marcus Aurelius. More precisely, Hadot remarked that each register corresponds to a discipline of the soul, namely: for logic one needs the discipline of assent, for physics the one of desire, and for ethics the one of action. 5 Surprisingly or not, these are the only locations in Plato’s work dealing with the noun form of phantasia: Republic II, 382e10; Theaetetus 152c1, 161e8; Sophist 260c9, 260e4, 263d6, 264a6. Even if Plato didn’t insist on this subject, that doesn’t mean that the paragraphs where phantasia appears are not giving us a clue regarding the nature of it. On the contrary, for instance in Sophist 264a-b, phantasia is explained as being something that comes through sensation, but the final result of “what appears” is a mixture of sensation and opinion. 6 The author gives the following illustration: “«That looks like my hat», as distinct from «There’s my hat»”. 7 Based on the Stoic distinction noticed by Diogenes Laertius, VII.51. 8 The belief that the proper use of representation is the key of having a moral life hunts Epictetus in most of his work, such as II.I.4; II.22.29; IV.6.34 or The Manual, §1. 9 The idea of a prudent technique comes from Epictetus, The Discoruses, II.18.24-26: “Wait for me a little, O impression; allow me to see who you are, and what you are an impression of; allow me to put you to the test.” 10 See also XII.18.

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99 The Body Politic of Vivat Rex: ... Andrei SĂLĂVĂSTRU *

The Body Politic of Vivat Rex : An Allegorical Political Discourse and its Reception at the Court of France

Abstract: In the Middle Ages, allegory was a powerful tool for conveying a message and it saw widespread use in the political discourse of the period. It was employed not just in political tracts, but also in sermons with a political undertone. One such sermon was Vivat Rex, delivered at the end of 1405 by Jean Gerson, Chancellor of the University of Paris and a massively significant figure of the Church at the beginning of the fifteenth century. In Vivat Rex, Gerson draw a metaphorical picture of the structures of France, which had the king at their center, in his position as head of this symbolical corpus mysticum. Proposing the University of Paris as an advisory body to the king, Gerson proceeded then to deliver, by using corporal analogies, repeated recommendations for how to provide a better governance, combined with moral advice and persistent criticism of the state of the kingdom. Gerson‟s attempt proved to be a failure, though, because the authority he appealed to, the King of France, was severely weakened and in no position to follow the Chancellor‟s urgings.

Keywords: Jean Gerson, body politic, Vivat Rex, King of France, University of Paris

1. The Historical and Cultural Context of Vivat Rex

Born in 1363, in the village of Gerson-lès-Barby, in the province of Champagne, from humble origins, Jean Gerson rose to become one of the most preeminent theologians of the Middle Ages, not just in his native France, but in all the Catholic Christendom. Gerson‟s path to such a lofty achievement had to be – unavoidably, if we take into consideration his modest birth – through the University of Paris. At that time, the University was at the peak of its prestige and influence: from its beginnings, in the twelfth century, it had benefited from the protection and the favor of both the Crown of France and the Holy See. Despite some occasional frictions, such as those triggered by the privileges granted to the mendicant clergy by the papacy, which the University considered to infringe upon the rights of the regular clergy, the Papacy hailed the University of Paris as parens

* Department of Interdisciplinary, Research – Humanities and Social Sciences, “Al. I. Cuza” University of Iasi, Romania, email: [email protected]

100 Andrei Sălăvăstru scientiarium, the “parent of sciences”, in the words of Gregory IX. As an institution focused on the study of theology, the University of Paris came to be regarded as one of the most important voices in defining the dogma of the Catholic Church. At the same time, though, it gained a significant influence in the affairs of the Kingdom of France as well and its pronouncements came to have a great propagandistic value: for this reason, the Crown of France had tried to gain control of the University and sway its opinions according to the interests of the French monarchy. Such was the case during the Great Schism of the West: when the French cardinals elected Robert de Geneva as pope Clement VII, in opposition to the Roman pope Urban VI, under the pretext that Urban had been elected under the pressure of the people of Rome, the University had doubts over the validity of this second election. Yet, King Charles V, who had decided to support the antipope, compelled the University to go along with his wishes and, later, the Court of France even forbade the University to discuss the matter when it seemed that it may have reached an opinion which did not concur with that of the French Court (Posthumus Meyjes 1999, 15-23). Yet, this apparent subservience was not entirely rejected by the University: the latter often depicted itself as the “Daughter of the King of France”, an allegory which implied its submission, and its strong ties with the French Crown allowed it to try to play the role of an impartial and wise advisor to the king – a position which many University figures, including Gerson, often claimed. It is in this context that Jean Gerson arrived at the University of Paris, where he joined the College of Navarre to study first arts and then theology (McGuire, 2006, 4). There, Gerson enjoyed the patronage of Pierre d‟Ailly, who preceded him as Chancellor of the University, and the Duke of Burgundy himself, Philip the Bold, and he rose, at a young age, up to the position of Chancellor of University. As chancellor of the most prestigious institution of learning in the West, Gerson found himself deeply involved in the most pressing issue of the Catholic world at that time, the Great Schism, which found its resolution at the Council of Konstanz, where the same Gerson played a leading role. But Jean Gerson was involved in the domestic politics of France as well and he often preached in front of the Court, providing advice and making veiled criticisms about the state of affairs in France during that period. Its difficult situation, with a king afflicted by mental disease and incapable of providing a coherent governance and weakened by the internal strife between the princes of the blood, could have only troubled Gerson. In some of his sermons, Gerson made use of the corporal analogy, between the human body and the state: that was a rather common trope during that period, as the medieval mind was prone to allegorical thinking. Such analogies had been previously used

101 The Body Politic of Vivat Rex: ... by personalities such as John of Salisbury, Thomas Aquinas, Giles of Rome, Jean de Paris, Marsilius of Padua and remained in use long after Gerson‟s death. In this regard, Gerson fits neatly into a well-established tradition. Gerson used this analogy for the first time in a sermon known as Adorabunt Eum, preached on 6 January 1391, but the most important and famous expression of this allegory, which can be said to sum up his political thinking, came in a sermon known as Vivat Rex, preached on 7 November 1405. When Jean Gerson delivered his sermon Adorabunt Eum, the French King Charles VI was considering the idea of restoring the unity of the Church by force – by means of a military expedition in Italy, which would have made the Avignon pope, Clement, the undisputed head of the Church. That was the so-called via facti or via rigoris, one of the four ways of ending the Schism envisioned during that period, the other three being via cessionis, where one (or both) of the claimants of the papal throne would have resigned, the via concilii, which proposed the convocation of a general council to settle the issue, and via compromisi, which envisioned the appointment of neutral arbiters, to whose decisions the popes would have been compelled to submit. The University and Jean Gerson himself were very much in favor of a peaceful resolution of the crisis, strongly advocating during this period in favor of via cessionis and urging the occupants of the papal throne to put the welfare of the Church above their pride and desires and resign for the sake of all Christendom. Yet, despite that, at times, the antipopes from Avignon and the popes from Rome gave hints that they might consider such an option, in the end all these urgings proved fruitless and many, Gerson including, moved decisively towards the third option, the calling of a general council (Posthumus Meyjes 1999, 15-203). But the bellicose plans which Charles VI was considering at the beginning of the 1390‟s and the antipope Clement VII was supporting did not meet with a strong approval in the University circles and that was the main theme of Gerson‟s sermon, Adorabunt Eum, where he urged the king to put aside this solution. In this sermon, preached before the Court on 6 January 1391, Gerson, as Brian Patrick McGuire pointed out, defined three types of kingdoms: personal, temporal and spiritual. In the first, each person must govern himself, in the second princes govern others, in the third the Church is governed. Gerson urged the king to look after all three kingdoms, because of his role as an anointed ruler, describing him as a priestly figure and appealing to the earlier view of royal power as sacerdotal (McGuire 2005, 49). In addition to the use of corporal analogies, two other themes which were going to feature prominently in Vivat Rex appeared also in Adorabunt Eum: the concern with sins and their impact on worldly politics, as Gerson made reference to them in order to urge the king to act in accordance to the Christian tenets he professed, as the health of the

102 Andrei Sălăvăstru kingdom depended on the king‟s own “spiritual health”; second, the emphasis on the role of the University, as Gerson sought to portray the institution he was a part of as an authoritative advisor to the Crown in all ecclesiastical and political matters (Newhauser and Ridyard 2012, 142). And it is worth pointing out that Gerson was not the only one to use sermons in order to attempt to push the ruling elites on the path on personal and political reformation. Not long before the chancellor delivered Vivat Rex, Jacques Legrand, an Augustinian friar and preacher, condemned in May 1405 in a sermon before the queen the frivolity and extravagance of her court, also with the use of allegory, but using more direct words than Gerson would use (as proven by the fact that Legrand was criticized by some courtiers for uttering harsh words in front of the Queen, while Gerson‟s sermon was largely regarded as commendable) (Gibbons 1996, 64-65). The context and the central topic of Vivat Rex were completely different from Adorabunt Eum. Unlike the former sermon, Vivat Rex focused exclusively on French domestic politics. Since Adorabunt Eum was delivered, in 1391, the situation in France had taken a turn for the worse: Charles VI‟s bouts of insanity which started in 1392 meant that the central authority became severely weakened and the magnates of the kingdom acquired sufficient power to become an actual threat for the monarchy and throw the realm into anarchy through their feuding. The years preceding Vivat Rex saw the enmity between the Houses of Burgundy and Orlèans grow into open conflict, with their heads, Philip the Bold, the king‟s uncle, succeeded in 1404 by his son John, and Louis d‟Orlèans, the king‟s brother, disputing their control over the kingdom and its weak monarch. In the summer of 1405, in response to the queen‟s – who, at the time, was acting in conjunction with Louis d‟Orlèans – attempt to take the Dauphin out of Paris, John of Burgundy marched at the head of an army against the capital, captured the Dauphin and brought him back to Paris, something which was taken by his enemies as an attempt to carry out a coup. With the tensions growing, the University attempted to intercede with the Duke of Orlèans, only to be rebuffed, but, in October 1405, a settlement was reached between the parties in conflict (Adams 2010, 166-175).

2. Gerson’s Rhetorical Artifice: The University of Paris as “Daughter of the King”

Gerson preached Vivat Rex on 7 November 1405 to celebrate the reconciliation between the Dukes of Burgundy and Orléans and, fittingly, the theme was the peace of the state (Posthumus Meyjes 1999, 120-121). Just like in the previously discussed sermon, Gerson emphasized the moral authority of the University, who, while an obedient daughter of the King of France, could nonetheless provide the soundest advice. The Chancellor

103 The Body Politic of Vivat Rex: ... considered Paris as the seat of all meaningful theological endeavor, calling Paris the throne of divine wisdom and asserting that the University of Paris sustained the Christian faith, which would have been less well-defended without the University (Pascoe 1973, 87). Nancy McLoughlin pointed out the significance of Gerson using a female persona for the University, despite the fact that the University itself was an all-male institution and an exponent of the patriarchy: while maintaining her daughterly dependence and loyalty, Gerson attempted to present the university as the only reliable, objective, and moral authority figure who could help the king and his court see the unbearable consequences their policies had for the university, the city of Paris, and the French people (McLoughlin 2015, 97). Such a position, though, could have led to frictions, as many nobles and even the king himself might not have been inclined to accept reproaches from the University. In the aftermath of John of Burgundy‟s march against Paris, Louis d‟Orlèans advised a delegation of the University which tried to advocate reconciliation to concern itself only with scholarly matters and leave the politics for the king and the princes of the realm. Louis d‟Orlèans had his own particular reasons for such a harsh retort, as he had come to regard the University as sympathetic to his political rival, the Duke of Burgundy – and he was not wrong in this. But the University could have been regarded as an intruder in a medieval world dominated by a martial spirit and its advice as unwelcome. Therefore, when Gerson wished to advise the Crown regarding a politically sensitive topic, he was extremely careful to demonstrate the extent to which he accepted the king‟s superior authority by adopting a purposefully subordinate and female persona for the university based upon her royally granted title as Daughter of the King: when he opened his sermon Vivat Rex, he was careful to start with the assurance that the university, personified as the Daughter of the King, spoke not by right, but with humility, like an obedient daughter, and, furthermore, he assured the members of his royal audience that he did not aspire to teach them anything that they did not already know, but rather sought to move them to act upon what they knew already (McLoughlin 2015, 35-36). And such a rhetorical artifice was greatly necessary, having in mind the claims made by Gerson in his argument which, if not carefully polished, could have offended many powerful people. Gerson‟s sermon, delivered after that particular quarrel between the parties of Burgundy and Orlèans was settled, however, asked much more of the queen and the dukes than the peaceful conclusion of the most recent conflict: he demanded an end to wars entirely (McLoughlin 2015, 110). Yet, the image so carefully constructed by Gerson for the University was not entirely one of submission: as a relation of the King, a female could wield considerable influence and there were many such precedents in France. A woman could move her father or her husband and even more so

104 Andrei Sălăvăstru a queen. This was convincingly argued by Kimberly LoPrete, who pointed out that there were “physical and conceptual spaces in which ruling women came to figure prominently and even laudably in the „public‟ affairs of medieval France” and “being a woman did not constitute ipso facto a legal incapacity to lordly rule”: on the opposite, the image of a woman as de jure or de facto regent over her husband‟s or son‟s lands or even exercising lordship within her own rights were one quite familiar in late medieval France, even though, naturally, male heirs were still accorded preference (LoPrete 2007, 1921-1941). By the time of Jean Gerson, the Salic Law had indeed taken hold and it firmly excluded the women from either succeeding to the Crown of France or transmitting rights of succession to it, but that was a regulation which remained exclusive to the Crown rights. On the other hand, women could possess themselves the kind of authority inferior to the royal one and an advisory role such as the one claimed by Gerson for the personified University was even expected. A contemporary model was easily available for Gerson, which would have eased the reception of his claims in favor of the University as an advisor for the king: that of the Queen Isabeau, who, in the preceding years, was often called to mediate between the warring dukes and her role was articulated initially as “one requiring a lack of ambition combined with diplomatic skill” (Adams 2009, 10) – a position which the University mirrored perfectly. Therefore, the reference to the University as “daughter of the King” was more than a mere figure of speech, because, in the words of Daisy Delogu, “Gerson stages a complex allegory of the University, endowing her with voice and body, intellect and effect, [...] promoting her as one that can ought to perform critical state-building and governing functions” (Delogu 2013, 11).

3. The Corporal Allegory of the King and the Realm of France

If it was the personified University of Paris which addressed, through the words of her Chancellor, the king and his Court, it was only natural that Gerson‟s discourse revolved around the person of the king. It has already been remarked in historiography that Gerson‟s political outlook was heavily monarcho-centric (Nederman 2013, 465-480) and it could not have been otherwise: except for the writers from northern and central Italy, for whom the Republican model still held sway, the political thinkers from the rest of Europe were overwhelmingly insisting that monarchy was the best system of government. It was a model which fitted the theological sensibilities of these writers, most of whom were clerics, and the natural model of the human body which many referred to in making their case. Following faithfully this medieval tradition, Gerson argued in favor of the unicity of rulership, because “plurality of princes or princely powers is bad” and, typically, this was an idea which was supported by appealing to the analogy

105 The Body Politic of Vivat Rex: ... with the human body, when pointing out that “so the small world, namely the man has only one soul which governs him” (Gerson 1824, 3). In the opinion of Brian Patrick McGuire, Gerson used the monarchy as a rallying point for all who lived within the kingdom of France and, in his summons to moral and political reform, he frequently made use of shared symbols in French History: the King was anointed by God himself through the Archbishop of Reims and therefore had a duty to look after all the estates of his realm, especially the weak (McGuire 2005, 189). That was a common enough trope in medieval France, where the king was seen as the guarantor of his realm‟s unity and his subjects‟ security. Christine de Pizan, in her works such as Le Livres du Corps de Policie, linked the metaphorical health of the kingdom to the actual physical health of its monarch and, in the context of the early fifteenth century, that was more than a figure of speech, as the illness of Charles VI was throwing France into anarchy. According to P.S. Lewis, the idea that the king was the head of a corpus mysticum of which the various groups in society were the members was a popular one and it served to place the king beyond the normal pale of humankind (Lewis 1968, 84). Gerson‟s appeal to the king was even more logic when considering the status which he attributed to him and which, to a certain extent, even went in opposition to the policy of the Church. In order to prevent another monarch to gain an edge over the papacy, as it happened during the Carolingian and the Ottonian periods, the Catholic Church strongly denied the sacerdotal character of the monarchy. Its ire was directed mostly against the imperial office and Gregory VII reminded the emperors that, not being able even to chase away the demons, they are inferior even to the exorcists (Bloch 1961, 186). Yet, when Gerson reminded his audience about the sacred origins of the French monarchy, when Clovis was baptized by Saint Remy with the miraculous holy oil, he pointed out that the king was endowed not only with the royal power, but also with a “priestly or pontifical dignity” (Gerson 1824, 4). In his sermon, Gerson reiterated the concept of the multiple personas of the king. It was a concept which was discussed at length by Ernst Kantorowicz in his classic work The King‟s Two Bodies, where he argued convincingly that the medieval and early modern monarch was seen to possess two bodies, a corporal one, which was perishable and subjected to all human infirmities, and a political one, which was immortal and flawless. Gerson referred to this as “the corporal life” and “the civil life” of the king, to which he added “the spiritual life”. With respect to the first, Gerson‟s thought was dominated by the medical paradigm of this time, who maintained that the health of the human body depended on the harmony of the main qualities, which corresponded to the four humors. In Gerson‟s words, the corporal life of man “is guarded and preserved by the convenient proportion and harmony of the four main qualities, warmth, coldness,

106 Andrei Sălăvăstru dryness and wetness. Through the disproportion or the indisposition of these contrary qualities in the human body the natural and vital complexion is corrupted, by having too much warmth or too much cold, as experience shows in diverse afflictions” (Gerson 1824, 11). Naturally, for Gerson the civil life was more important than the corporal one, because it coincided with the life of the realm, and it had to be protected against all dangers: this was something which the University was supposed to contribute to, by “finding and helping to make a convenient remedy”, but without infringing upon the issues which belonged to the king‟s Council (Gerson 1824, 16). But, as already pointed out, for Gerson, the king possessed not a double body, but a triple one, in his quality as guardian of the faith. After all, the King of France was “Le Roy Tres Chretien”, and, therefore, in Gerson‟s words, “the King lives, lives, I say, a life not just corporal, as they say, but civil and mystical” (Gerson 1824, 19). By pointing out that the king did have an existence which was civil and mystical, Gerson made it possible to explain the tight connection between the well-being of the monarch and the well-being of his realm. The king was the head of his realm and, as such, he was the preserver of its unity, joined together with his subjects, who are the members of the body of the state, “according to the many offices and estates which are in this kingdom”. The king described by Gerson was not a mere person, but a public power instituted for the common good and, in this quality, he “spreads life through the whole body” (Gerson 1824, 19-20) – a characteristic which was emphasized also by other predecessors of Gerson, such as Giles of Rome. The royal power was sustained by two arms, one being the nobility, the other the clergy and each of them was responsible for the well-being of the other. Since, according to the established theory of governance, injury to a part of the body politic resulted in injury to the whole, it was a solemn duty for one part to protect the other from harm. The clergy could not provide physical protection, as they were forbidden to bear arms and shed blood and, therefore, this was the task of the nobles: but the clergy had the even more important duty of providing for the spiritual well-being of the realm. Even more, it could have provided advice in matters of politics, because medieval governance was supposed to be rooted in the Christian faith and morals. The University of Paris was an ecclesiastical institution and a major source of knowledge of wisdom and, for this reason, Gerson emphasized that it had a duty to take an interest in the well-being of the other Estates. The nobles, argued Gerson, should not begrudge the University for this and should not deny her this right, because, as an arm of the kingdom, the University was not allowed to remain silent: “If a knight, in order to do injustice, will risk himself and his life in battle, the arm of the clergy and of the University of Paris should let him fall without saying a word?” (Gerson 1824, 10).

107 The Body Politic of Vivat Rex: ... Just as he always rallied against sin in his sermons, Gerson was also quick to point out the necessity for the king of possessing the fourth cardinal virtues: extolled since the Antiquity as the defining traits of the ideal prince, they were appropriated as well by the medieval political thought, which added to them specific Christian virtues, such as charity, hope and faith. Gerson drew a parallel between the four cardinal virtues and the physical qualities which, according to the anatomical medieval model, also inherited from the Antiquity, determined the health of the human body. Through this analogy, Gerson emphasized the idea of order, proportion and harmony – “just like the corporal life preserves itself through the good proportion, order and harmony of the four main qualities, as they say” (Gerson 1824, 14) – and, in this regard, he was merely following faithfully the typical medieval line of thought. If the civil life of the king mirrored the structure and the workings of the natural body, then it was a foregone conclusion that its existence depended on the already-mentioned cardinal virtues: “Accordingly, this civil life maintains and preserves itself in conjunction with the four cardinal or main virtues, prudence, temperance, fortitude and justice”(Gerson 1824, 14). Gerson explicitly indicated that rather than resulting from the misdeeds of a few sinful aristocrats, the evils he recounted resulted from a complete breakdown in the system of royal government: those who were supposed to lead France pursued instead their own self-aggrandizement at the expense of royal power and the common good (McLoughlin 2016, 329). Yet, despite his calls for reform and his assertions that all was not all well in the Kingdom of France, Gerson was careful in assigning blame. After all, he spoke in front of an audience consisting of many of the people which one might have considered to be responsible for the ills afflicting the realm. Gerson was not a radical and, despite his recognition that significant changes might have been necessary, he expected these changes to be effected by the existing authorities. In the good medieval tradition, he stressed the value of obedience, the duty of all good subjects and key to the preservation of the realm, and he emphasized his point through the corporal analogy (Gerson 1824, 11). In this regard, it has to be pointed out that medieval tradition regarded obedience not “in terms of servile subordination but as an aspect of individual virtue and rightful order in the society” (Rigby 2012, 471). As a central figure of the Council of Konstanz and a preeminent supporter of the general council as the supreme authority in the Church, even above that of the pope, Gerson was long considered in the modern historiography as a proponent of a kind of ecclesiastic constitutionalism. But such a term attributed to Gerson would be misleading, because, even though Middle Ages accepted the idea that some limits must exist for any authority, such limitations were imposed upon the person, not upon the

108 Andrei Sălăvăstru office. Basically, an evil ruler could have been rightfully resisted, but a virtuous one could have not. In his ecclesiastical works, Gerson talked about the limits of papal power, but he raised this issue in relation with the secular monarchy as well. Catherine Brown pointed out that Gerson claimed in Vivat Rex that a monarchy did not have to be absolute, but the term is a rather poor choice. Unlike in the modern age, where absolutism has strong negative connotations, the medieval mindset did not necessarily see something wrong with an absolute power: what concerned medieval political writers like Gerson was the idea of a just and virtuous rulership. An absolute power in the service of God and the law of nature was, on the contrary, something to be commended and desired. But Catherine Brown is correct when pointing out that Gerson thought it was better if kings had less lordship, if there were some restraints on their power: in his opinion, this would have helped rather than harmed the ruler (Brown 1987, 163). Gerson made his case again with the help of the corporal analogy when he pointed out that such a step was necessary so that the “head does not draw too much humor and blood from the members” (Gerson 1824, 24). The head was always maintained to be the most important part of the body, although, from the late thirteenth century, under the influence of the recently rediscovered Aristotelian anatomy, that was a position which it had to share with the heart. By comparing the realm with the body (and the king with the head), Gerson was able to describe the organization of the former as an outcome of nature. Thus, he asserted that, just like in a true body the inferior members would expose themselves for the sake of the head, so in a mystical body, the true subjects would similarly expose themselves to danger for the sake of their prince. Yet, the relationship between head and members comprised of obligations for both sides. The medieval political paradigm constantly emphasized the idea of interdependency between the parts of the body politic, but that meant that the head itself could not exist without the inferior parts and it owed them justice, order and protection, a point which did not escape Gerson‟s attention, as he stated that “the head must take care of and rule the other members, otherwise there is destruction: because a head without a body cannot last” (Gerson 1824, 20). As already mentioned, with respect to his conception about the rulership of the Church, Gerson was often called a constitutionalist (in the medieval sense of the word), because of his emphasize on the role of a general council, which, according to Gerson, should have been able to overrule a pope in certain circumstances. While there was nothing “constitutionalist” in his statement that a king‟s existence depended upon his subjects, it got somehow closer to that when Gerson addressed the topic of tyranny – an ever-present concern in medieval political thought. In his opinion, it was better if there were limits on the king‟s power. But the restraints against a king‟s abuse of power were not codified by law, nor did they concern the

109 The Body Politic of Vivat Rex: ... powers of the office – instead, they related to the king‟s own self- preservation and took the form of warnings about the dangers of tyranny. The king was not restrained by an external authority, because he was the supreme authority in his realm, but he limited himself in order to act in accordance with the law of God and nature. To provide a more convincing and vivid picture, Gerson delivered that warning in corporal terms – a king who abused his power (by despoiling his subjects) was like a head which sucked out all the blood, humor and substance from the members. Such a king would literally annihilate himself, because “a head without a body cannot last: a body without sustenance will also perish” (Gerson 1824, 21). Gerson did not limit himself to a mere warning against tyranny, but went further in order to explain why it was so dangerous. His explanation was, once more, delivered with the help of metaphors, where tyranny was presented as “poison”, “venom” and “disease”, who put to death “the whole political and royal life”. But the most charged accusation against the tyranny was that it was “unnatural”, working only for its benefit, which was contrary to “good civil life” (Gerson 1824, 23). In a time when nature was considered as providing the best models of organization and action, which should have always been followed if good results were to be had, being “unnatural” was regarded as flawed, even evil and contrary to God‟s law. But, despite the rhetoric directed against tyranny, Gerson was not prepared to countenance the most radical actions which could have been taken to prevent it. In this regard, Gerson remained pretty much a traditionalist, strongly attached to the political establishment. Despite his disillusionment with many of its flaws and his frequent allusions to the shortcomings of the French government, which was allowing the country to slide into anarchy, increasing the sufferings of the poor, Gerson envisioned any potential reforms as coming from above, initiated by the monarchy itself, and his calls all aimed for this purpose. As for the option of disobeying and even rebelling against a tyrannical king, Gerson was hostile to it, because he regarded the solution as worse than the problem. In fact, Gerson‟s dilemma was one which troubled pretty much all medieval political thought, without exception. There was a total consensus about the evils and dangers of tyranny, but Middle Ages did not actually have any constitutional mechanism for peacefully restraining the actions of a king who was determined the flout the norms of equity and justice. The king was constantly urged to respect the laws of God, nature and of his own realm, the coronation oath asserted his obligation to do so, but actually constraining an unrepentant king confronted medieval political theory with two unpalatable alternatives: sedition or tyrannicide. The former tore apart the unity of the realm, the latter was a major sin against the laws of God, both because of the act itself, and because the intended target was, despite his flaws, God‟s anointed. If a part of the body politic was afflicted by a

110 Andrei Sălăvăstru “disease” which could not be cured and threatened to spread to the whole body, medieval political writers advocated a radical solution such as its removal, a “surgical” operation performed by the realm‟s symbolic physician, the king. But that was clearly not viable if the king himself was the source of the illness, such as in the case of tyranny. In this regard, Gerson‟s approach favored lenience, because, even if tyranny threatened to enter the body politic, “it is not convenient to cut or divide the body” and he recommends to “treat it kindly with gentle words just like the good physicians do” (Gerson 1824, 23-24). Gerson totally rejected the idea of sedition, because it contradicted the fundamental medieval tenet of preserving the unity of the body politic and, therefore, in his opinion, in such a case the remedy was worse than the disease: “There is not anything less reasonable and more cruel than to wish to stop tyranny by sedition, and I call sedition popular rebellion without reason, which is worse than tyranny: Lucius Scilla was called to Rome to overthrow the tyranny of Marius, but he was worse than him, just like some say Excessit medicina modum. The medicine without measure hurts more than the disease, says Lucan.” (Gerson 1824, 24). But, if the subjects could not legally restrain their sovereigns, the latter were supposed to restrain themselves, because, this way, the royal power was more durable: even though Gerson opposed sedition, he was realistic enough to understand that oppressed subjects could retaliate against their princes. In order to prevent this from happening, he argued that the power of the prince should not be unrestrained, but, on the contrary, some limits should exist, because a limited royal authority was “reasonable, healthy and durable”. The justification is provided in corporal terms: if such restraints existed, then the head would not be able to drain all the humors and blood from the other members (Gerson 1824, 24). Jean Gerson was always concerned with the concept of sin, which appeared often in his sermons. As Gerson applied the sins to politics, he began treating them as embodied and diabolically inspired entities that acted upon the political world as independent forces allied with misguided or wicked humans (McLoughlin 2016, 333). As a cleric, Gerson placed sin as the source of all evils which could befall a kingdom: in his opinion, the prosperity of the corporal and civil life depended on a good spiritual life and the latter had to be defended “against the prince of tyranny, the Mortal Sin”. Medieval thought had long established a link between physical and spiritual life, considering that the diseases of the body were often the consequence of sin. It was a belief which sprang from the medieval notion that the body was the mirror of the soul and a sinful soul resulted in a diseases body. Gerson took this relationship into the sphere of political thought, when he connected, again by using corporal terms, the calamities which might befall a realm to the spiritual flaws of its prince or its people.

111 The Body Politic of Vivat Rex: ... For him, sins were worse than the “evil humors”, because they destroyed not only the body, but the “spiritual life”: “Be certain that for the sins of the body mystical, be them in the head or in the members, we face great corporal and civil dangers, and especially when they are horrible, strange sins, ugly and evil against God and nature”. (Gerson 1824, 47). Gerson referred in the text to the sins which might hinder the four cardinal virtues, but he devoted most of his attention to the sin of flattery: not only because the connection between its effects and bad governance was obvious, but also because it allowed him to redirect the blame from the king, especially with respect to the concept of tyranny. In his opinion, the flatterer was the one who pushed the prince on the dangerous path of tyranny and, for this not to happen, it was essential for the monarch to be surrounded by counselors who provided him with the best advice for the good of the realm and not for their own aggrandizement. Such counselors were an integral part of the body politic imagined by Gerson as, without them, the body was incomplete: “It is a great help for the conservation of the King and of the civil life, because a King without prudent counsel it is like the head in a body without eyes, without ears and without nose.” (Gerson 1824, 32). Because the realm was depicted as one united body and the well-being of its parts was interdependent, it was easy for Gerson to emphasize the concept of solidarity: “Then all that is needed for the defense of the civil life of the king and the kingdom, take and raise money, that must be done in good equality and equity by all the body mystical” (Gerson 1824, 45). None of the parts of the body politic should be compelled to contribute to the common good more than the others, because otherwise it would mean to incur the risk of sedition, but, on the other hand, Gerson was quick to follow the medieval tradition in pointing out that other parts have different responsibilities within the realm than mere labor. He alluded to the well- known fable of the belly, pointing out to what a “senator of Rome said in order to bring about the union of the people with the Senate, against which the former grumbled”, in order to assert that the lower parts should not feel envious on the others for their different tasks, because the latter merely fulfilled the role which was ascribed to them by God. On the other hand, the superior parts had a duty not to “despoil the members who toil” (Gerson 1824, 45). Yet, despite this concern for the state of the poor, Gerson‟s focus was, in the words of Cary Nederman, mostly “on the king‟s relations with the nobility and the great men of the realm”, in order to “stabilize the fraught condition of the aristocratic orders” (Nederman 2013, 475). Gerson‟s approach towards the lower class was very paternalistic and, in this, the analogy between the realm and the body served him well: the metaphor had always been strictly hierarchical, with superior and inferior parts of the body. The interdependency of the parts might have been

112 Andrei Sălăvăstru admitted, but that never meant that all of the members of the body politic had the same status.

4. Conclusions

Despite Gerson‟s powerful rhetoric, his passionate appeals did not have the desired effect. The underlying cause for his failure lies in the fact that his approach was fundamentally inadequate, having in mind the situation of France at the beginning of the fifteenth century. The contrast with his success in ending the Western Schism is powerful and it explains the reasons for his failure in bringing about a resolution to the French crisis: in the case of the Schism, after initially starting with appeals to the two popes to resign for the sake of the Church, he pushed for an institutional solution, where a General Council asserted its superiority over the pope and imposed its will on the claimants to the papal throne. On the other hand, with Vivat Rex, Gerson called upon the existing authority, the King, to resolve the crisis, but it was the weakness of this authority which brought the crisis in the first place. With Charles VI basically a non-factor, for long periods, on the political stage due to his illness, the government was in the hands of the Queen, Isabeau of Bavaria, and the king‟s brother, the Duke of Orlèans. In other periods, a regency would have been powerful enough to control the situation, but, at the beginning of the fifteenth century, a rival authority had formed in France around the Dukes of Burgundy, an authority which was powerful enough to challenge the monarchy, albeit under the guise of protecting the king from bad counsel and providing a better government for the realm. The peace Gerson preached for completely collapsed in 1407, after the murder of the Duke of Orlèans by his rival. Of course, Vivat Rex was not the end of Gerson‟s efforts and, in a sermon from 1408, Veniat Pax, he preached again in favor of reconciliation. But, instead of the expected penance, the Duke of Burgundy made, through his men, the apology of his crime and that was to prove too much for Gerson, who slowly and gradually moved in the camp hostile to the Burgundy faction. Yet, even if it did not have the desired practical effect, Gerson‟s careful cultivation of the monarchy and his praise directed towards the King of France ensured the success of the sermon. Despite his criticism directed against the crisis France was going through at the beginning of the fifteenth century, the monarchy saw nothing troublesome in Gerson‟s words. On the contrary, as Nancy McLoughlin pointed out, Gerson‟s Vivat Rex circulated in the libraries of kings and monasteries and it was published independently, in 1561 and 1824, as means of shoring up royal power, at the time when it was seriously tested by popular discontent and succession problems. Yet, at the same time, one should not fall into the trap of attributing an excessive importance to Vivat Rex, because many of the ideas expressed in this

113 The Body Politic of Vivat Rex: ... sermon were not original, but merely fitting into an already existing tradition of political thought. When someone claims that French political thinkers were particularly inspired by Gerson‟s conflation of the king‟s body with the realm as a means of making the king responsible for the elimination of vices (McLoughlin 2015, 125), that means to ignore that this particular idea preceded Gerson by a long time. It would be hard to argue that Gerson was the inspiration for it, when, by 1405, it had already been expressed by illustrious figures such as John of Salisbury, who argued that the prince “must correct the errors of its subjects in a medical fashion” (John of Salisbury 2004, 49), or Giles of Rome, who likewise claimed that “the king and the good prince must try to tame the dissatisfactions and the discords” (Giles of Rome 1966, 366).

Acknowledgments: This paper has been financed by the University „Alexandru Ioan Cuza” of Iassy, part of the project nr. GI-2015-25; ctr. 28/2015, from the competition Internal Grants for Young Researchers of UAIC.

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115 Perceiving a work of art. Between artistic and aesthetic Mihail TARAŞI *

Perceiving a work of art. Between artistic and aesthetic

Abstract: The paper tries to bring the professional harmonic-expressive condition of visual art as an original fundament of particular-artistic quality into the attention of the theoretical setting. This condition, avoided ideologically by the aesthetic project of the 18th century due to the religious nature of the harmonic concept, can be the fundament of an autonomous artistic framework for the reception of visual works of art.

Keywords: harmonic-expressive, essence, experience, professional, illustration, aesthetic function, taste, sensorial taste, conceptual taste

I do not know how much the opinion of a practicing visual artist on the problems brought about by the perception of art can spark the curiosity of those interested in Aesthetics. The two fields, Aesthetics and artistic practice, engage the artistic act in two different areas of analysis, in distinct referential frameworks with different theoretical instruments, etc.1 From the perspective of understanding them as normal cultural practices, the parallelism and autonomy of the two are primarily based on the fact that aesthetic and artistic practices offer two different cultural experiences – one of philosophical essence, the other, artistic – of a single object – the production of artefacts that assume artistic quality – to a possible receiver. The understanding of artistic particularity as a specific experience – in accord with pragmatist aesthetic thinking (even if the terms and use of this understanding are different), especially with the observations made by Dewey, who signalled that that art manifests itself autonomously only as an experience (Shusterman 2004, 19-20), not a class of objects - assumes, in this paper, a professional conditioning of experience in the field of auctorial success capable of triggering particularities of reception. This experiential logic was paused in the 18th century, by coupling the two under the idea of necessary aesthetic education for the modern man, as an opportunity to rationally understand art. The result of this conjunction was the emergence (that lingers even today) of a new manner of reception (a modern one) of the for-mentioned production, whose novelty is founded on the intermediation of the artistic interaction between author and lector,

* Associate Professor, Ph.D. at ”G. Enescu” University of Arts, Iasi, Romania, email: [email protected]

116 Mihail Taraşi through the filter of a judgment of taste applied to the objects. The main presupposition of this framework is: art is “born” from an evaluation made by an institutionally legitimated taste and not as a result of the activity within the craft. I do not want to discuss the crises within the artistic theoretical space. They have been analysed by far more competent authors. I only want to juxtapose two possible understandings of the artistic act – professional- artistic and aesthetic – from the point of view of an author-lector interested in aesthetics who finds himself in a confusing situation due to the bringing together of two types of experience, in a logic setting, where they have been overlapped and restructured theoretically under institutional authority with paideic implementation, as two dimensions – one sensorial, the other, rational – of the same experience. The modern restructuration of art occludes, in my opinion, the artistic quality of art in favour of an ideological stake of taste (Ferry 1997, 30-4), understood here, in the broad sense, as authority on the judgement of taste of art – regardless of the fact that it is based on sensorial faculties (I like) or conceptual (I understand, I agree) – offered to the lector by the modern project as democratic power over art. In short, taste does not engage the artistic quality of a work of art, but its social convenience of the moment, institutionally legitimated as is; it represents the power modern institutional subjectivity exerts to qualify an artefact as art (Dikie 1984; Dikie 1988). To my understanding, artistic quality does not manifest itself through the logic of taste, because the experience of taste is a different cultural experience that must satisfy man’s structural availabilities for taste and not for art. Such a difference manifests itself objectively on the experience level and is easily observed by anyone in any relation to any artistic expression medium. For example, the difference between the experience generated by listening to manele at a wedding – which is a truly aesthetic experience that satisfies the concept of taste – and the experience produced by listening to the works of Bach – which, for me, is an actual artistic experience. Only in the ideological context of right to taste are they both artistic experiences, identical from the perspective of the logic of reception. The cultural aesthetic identity, shared by both the works of Bach and manele – that of similar artefacts ruled by the convenience of taste – can only be based on understanding Bach in the new reception framework, outside the understanding of professional norms for artistic quality. In my opinion, as a craftsman, this only represents a different way of experiencing Bach, which we can call an experience of taste, either sensorial or conceptual, of the artistic qualities of a work of art, different from that of its artistic qualities credited to the result of Bach’s professional competence. The particularity of this new type of experience mainly means one thing: the artistic-aesthetic

117 Perceiving a work of art. Between artistic and aesthetic quality of art is only the result evaluating the sensorial or conceptual convenience or the work – understood as a judgement of taste based on lectorial benchmarks (so extra-professional) – institutionally legitimated as is. Thus, this quality can be given by anyone, with institutional consent – today, the institution permits, within the logic of completely democratized taste, the lector to choose any of the aesthetic evaluation benchmarks (from sensorial to conceptual) that have been present as a taxonomic corpus within the last 200 years in aesthetic education – because it is not the result of internal professional norms. The next part of the paper tries to show that there are differences between the reception of a work of art as an autonomous artistic fact and its reception as an aesthetic fact2, although from the perspective of Aesthetics, the two seem to overlap. The difference can be mostly based on the understanding of aesthetic qualities as extra-artistic, modern, and contemporary opportunities of use – in virtue of the conceptual existence of taste3 - of a work of art; the same logic used for every object with an aesthetic destination. To question this situation which hides the work of art among aesthetic objects, is to suggest a new particular framework of reception (considered pre-modern), dedicated to artistic quality. This is my assumption: there is always a specific-artistic essence for visual art – one of a professional nature – that frames the autonomy of a work of art’s cultural experience as a specific self-sufficient form of human interaction through the artistic quality of that specific work of art. This essence is its expressive-harmonic origin and marks the difference between the possible (but not necessary) aesthetic qualities and the stable artistic quality, using the logic between the experience of an illustration and the experience of an artistic entity, between applied art and just is art (not art for art’s sake)4. The resuscitation of the harmonic principle, as the original essence of artistic quality5 mainly tries to question the ideological side, of an illuminist nature (which suggests a new systematization of art, dedicated to the “new man”), the for-mentioned supposition – art appears after an evaluation of institutionally legitimated taste, not a craft driven one – in the following manner: Is it worth losing an antiquated harmonic experience in favour of a taste-driven exercise of authority, which legitimates your position as a modern, strong cultural participant? Because the aesthetic use of a work is readily available to nowadays lecturer, art’s harmonic particularity can be observed through the emphasis on the differences between the two parallel perception frameworks. 1) The taste framework is well known due to 200 years of aesthetic education. It bases itself on an artistic archive of artefacts, differentiated by their appurtenance to various cultural trends; trends artistically defined by different aesthetic norms – a priori or a posteriori established. The foundation on which this framework is built is the establishment of separate autonomic

118 Mihail Taraşi functionality of words and images present in a visual work of art, through the labelling of artistic language as retinal language, after applying the distinction between word and image – for iconoclastic reasons (Morley 2003, 12-3). The autonomy of the two linguistic entities must ideologically support the sensorial dichotomy – rationally attributed to man as a modern functioning protocol6 – that acknowledges the superiority of reason, and, in consequence, its novelty consists in understanding that the word is more important than the image because it is the form reason manifests itself. In the comprehensive context outlined by the association of the fracture between image and word and the postulate of the word’s superiority, the logical manifestation of artistic language is understood outside its harmonic essence (pre-modern) and it gains an illustrative addressing: images (the visible) must illustrate words (the intelligible). According to illustrative logic, the entire “artistic” of a work of art is divided into (a) a theme, (b) visually illustrated according to contemporary “official” norms. In this illustrative context, the area of aesthetic visual interest of a work is limited to appearance: the different way visible elements can illustrate the intelligible, based on aesthetic norms regarding the hierarchy of text and image, taking into consideration the following: a) extra-artistic properties of visible elements used to illustrate: colours, objects, sounds, figurative or abstract representations, borrowed performative techniques etc.; b) conformity or nonconformity of using these era dependent properties and aesthetic norms, which would indicate that these norms (and their evolution) represents the true logic of a dynamic artistic quality (Maliţa 2009, 67-87), idea justified by the fact that, on representation level (appearance), differences and elemental dynamics are easily observable. The idea of dynamic quality is basically the possibility to label as “art” all the apparent properties of very different objects (including artistic ones). Thus, it seeks to support the logic of evaluations of taste, made not according to a common artistic quality, but to the evolution of cultural ideology. This new institutionalized understanding of visual artistic professionality meant, from the beginning, the internalization of certain norms within artistic practice (better said, within a part of artistic practice). They have encouraged the illustration and have opened the artistic archive for the illustrative painters of the 19th century – who illustrated both the new social order and the new aesthetic norms – institutionally legitimated, according to these norms, as artists7. The association of old art (antique works, Uccello, Bruegel, Rembrandt etc.) with applied art, in the modern sense of convenient illustration – Gross, Guérin, Bouguereau etc. – is equivalent to the introduction of a work of art into the realm of aesthetic objects, through institutional authority, for the social right to taste. Within this context, we do not have works of art and aesthetic objects anymore – which trigger

119 Perceiving a work of art. Between artistic and aesthetic different experiences – but only objects with the same status, only more or less aesthetic (more or less acceptable from the perspective of taste). Thus, the mix between low art and high art (Groys 2003) is not a contemporary problem, but the immediate result of introducing art into the realm of taste, by not recognizing its cultural independence (as a specific experience), and by replacing its professional, stable, and harmonic identity – for modern novelty ideological reasons (secular art) – with its aesthetic illustrative function. This means it is totally dependent on the evolution of cultural ideologies (outside the normal link any human construct has to social change). The void left behind by artistic identity can be filled under the authority of the institution, with almost any other extra-artistic function, based on the evolution of cultural trends which can be roughly divided into two broad directions of “taste”: a sensorial one and a conceptual one. The appreciation of art in relation to these kinds of functions transforms the work of art into an aesthetically utilitarian item – which manifests itself in both sensorial and conceptual protocol of aesthetic use. For example, a religious work of art – let us say Rafael’s Madonna and Child – can be used as a sensorial experience, reduced to its retinal function, to decorate your living room because the colours match the coach very well; or it can be used conceptually (conventional-symbolic illustration) through its placement in a hall where a Marionology symposium is taking place, where its artistic quality is reduced to its semantic function of intelligently illustrating the theme – in the same manner in which the party leaders’ portraits were displayed in the institutions of the communist state. Thus, a work of art’s artistic quality is reduced to the function of the for-mentioned portraits. 2) Unlike the aesthetic framework, the professional understanding of art, based on the idea of harmonic essence means something else. Modern art, traditional art, byzantine art, African art etc. are just administrative possibilities of technical administration of the same artistic quality, understood as a harmonic unit of expressive nature of a work of art. What is different in this case are only the elements (which an artist articulates according to the same internal norms of arts) provided naturally by the evolution of society. But they do not have artistic qualities. They can only have aesthetic properties, if the fact that the characters in Manet’s paintings are dressed differently from the ones in Rembrandt’s paintings can constitute an aesthetic theme; the same can be said about Duchamp’s WC not being represented through classical painting technique – like the trees in Corot’s landscapes – but as an object. From this perspective, such differences do not determine the quality of their use in either of the two works. Thus, in the Duchamp-Corot case, if we reference the artistic, the two elements, the WC and the tree, have the same technical status, that of the ready-made – one is natural, the other one is cultural (artificial). What is

120 Mihail Taraşi different is only the technical manner of representation. Even if the WC and the tree are used by the two respective authors within different technical approaches, they belong to the same internal artistic logic. This means that the only thing that is artistic here is the particular way in which the artist harmonically articulates all the elements of the work. The technical solution (individual or group-work) or the chosen representation medium – and the visible elements linked to them – cannot be relevant markers, helpful to the understanding of the artistic particularities of the work of art. This situation needs the clarification of a few things: 1. The harmonic essence of visual art means something totally different from retinal beauty. More precisely, it is represented by its antique conceptual fundament: contraries working together, toward a sole goal (the dissolution of parts in a whole). Regarding visual art, these contraries mean: a) Different initial properties of all elements used in a work of art, which can be divided, in the broad sense (and without covering all the possibilities) into words and images. Thus, the visual artistic language is not only a retinal language (point, line, form, colour), but an open language which can access any element an author desires, thanks to the fact that the initial properties of the used elements have no artistic relevance (see 2.). b) Contradictions between: author established relationships between the elements of a work of art and the logic conventions of perception; situations arisen from the differences between the reception of a work of art and its experience as an expressive whole; different polemic directions in the theory of art (e.g. sensorialists and conceptualists); different institutional interpretations of a work of art etc. Practically, when experiencing a work of art, the harmonic essence implies that, in the case of an artistic success, all contradictions present in the reception of art, not only in the work itself, lose their conventionally contradictory character in favour of their reconstitution into a whole of equal possibilities which engage, in this manner, as a field of interactions, the ambiguity of human nature. This description of the harmonic function means, from a professional perspective, an important difference between understanding harmony as a fundamental principle of contradictory unity and its modern and contemporary internalization into visual practices (artistic and extra-artistic) only as a restrictive harmonic and retinal rule (recipe) which norms a visual approach only from angle of scopic sensorial function. 2. Artistic quality manifests itself as a result of the actions of the harmonic principle, only as a whole, not for every part (elements which constitute the work of art). The simple presence of parts (regardless if they are colours, messages, forms, technological novelties etc.) and their initial properties (before they were artistically used within the work of art) has no relevance regarding artistic quality. This also means – in a harmonic, pre-

121 Perceiving a work of art. Between artistic and aesthetic modern sense, of artistic quality as a result of harmonic operationalization of words and images (and any other element that is part of a work of art) into a whole that has an expressive nature – (a) retinal properties (beauty, ugliness etc.), or (b) conceptual ones (logical illustrative coherence understood as an aesthetic rhetoric property of conceptual art) of a work of art are only properties of the elements, images or ideas, which are part of a whole and, in the same context, cannot define the artistic quality of the whole, but only its retinal or rhetoric functions. These kinds of presences and properties can be (and have been) used in works of art, if an artist wills it, but they are neither necessary nor sufficient (Maliţa 2009, 305) to constitute artistic quality. The only necessary and sufficient step is their harmonic articulation into an expressive whole. The attempt to find artistic quality and/or essence in the simple presence of elements in a work of art or in the extra-artistic qualities inherent to their initial properties means, more or less, a confusion regarding the difference between artistic functionality of the work as a whole and the accountable functionality of the sum of its parts – understood best as the artistic dysfunctionality within the logic of differences between the way an assembled automobile works kinetically whereas the sum of its parts works accountably: sorted according to form, neatly stacked on shelves. It must be said that the harmonic nature of art as a functional particularity which specifically regulates the relationship between the whole and its parts has been noticed in different theoretical settings, even if not in these particular terms or in the direction of establishing it as an essential part of visual art. In this situation, we can conclude, for example, at the crossroads between the observation of various semioticians – such as Jean Marie Klinkenberg (Klinkenberg 2004, 336) or Anca Mateescu Bogdan (Mateescu Bogdan 1999, 91) who claim, in one way or another, the idea of visual art being a unique sign (elements used lose their semantic independence in favour of the relationship between themselves) – or René Magritte’s observation that – “In a painting, words have the same substance as images” (Magritte 1929) – that parts present in a work of art gain artistic function only if they lose their substantial independence (their initial properties: beauty, ugliness, critical rhetoric, semantic properties etc.) and transform into a unique substance of expressive nature, which is transmitted from the author to the lector through the work of art. 3. The expressive nature of art mainly means two things: a) There are no hierarchies between the elements of a work of art, for the simple reason that artistic expressivity is only based on the harmonic relationship between elements and not on their independent properties seen here as initial properties. Moreover, this relationship cancels the defining function of initial properties, meaning it cancels functional and categorial independence of the said element in favour of engaging it as part which

122 Mihail Taraşi defines its new function only in relationship with the other elements that suffer the same process of artistic functional restructuration. From this perspective, a work of art is similar to a cogwheel mechanism, self- significant, where any modification to one element brings with it changes to all the other ones. In this context, the initial properties of elements (cogs) – their quantity, form, origin, initial significance, position etc. – are annulled, such as properties which can qualify them for different hierarchic positions, in favour of them working together without any kind of hierarchy. Here, systemizing parts of a work of art or the attempt to bring a hierarchy to its elements – in the idea that the message is more important than the retinal or vice-versa – is a discourse that has nothing to do with its artistic quality. b) The expressive nature of art can be understood as a particularly- artistic substantiality of a visual work of art – following the logic of unique artistic substance – which satisfies which satisfies the characteristics observed by Wittgenstein in the world’s substance, which, in his opinion, is both form and content (Wittgenstein 2012, 104). Better said, the harmonic-expressive, artistic particularity of a visual work of art means the following thing: the difference between the visual substance of form and the rhetoric of its content is irrelevant. This does not mean, though, that the work of art cannot be systemized within the terms of these differences, but only that, following this systematization, one gains an illustration and loses the joy of artistic quality8 in favour of one brought about by extra- artistic, logic-derived knowledge (historical, ideological, hermeneutical, methodological etc.). 4. Receiving a harmonic whole does not necessarily produce pleasure for the lector, scopic or conceptual, because the harmonic expression is the expression of equilibrium and not of beauty (or convenience). In this sense, harmony particularly produces a state of finding one’s self within the world, with the good and the bad altogether. For example, the well-built, harmonic stake from the works of Andrei Tarkovski is well known (Salînski 2012) and easily perceived as such. It is only that receiving the work does not mean immediate satisfaction, in the idea of pleasure or accord. Tarkovski published a few letters he received from spectators (Tarkovski 2015, 6-15), majority of which were sent after viewing the movie The Mirror. These letters show a reception that ranges from “We, the poor spectators, see movies that are good, bad, very bad, ordinary and very original. And any of them can be understood, can move you or you can reject it, but this!?...” (Tarkovski 2015, 7), to “After viewing it you are left with a feeling of spite for your own weakness and ignorance” (Tarkovski 2015, 8) or even “What is this movie about? About man. No, not specifically the one who’s voice is heard from the off, played by Innokenti Smotunovski. It is a movie about you, about your father, about your grandfather, about the man who will live

123 Perceiving a work of art. Between artistic and aesthetic after you and who will still be « You ». About the man that lives on Earth, who is part of the Earth’s life and Earth is part of his, about the fact that man answers with his life to past and future.” (Tarkovski 2015, 8-9). This range of emotions very well defines the state of reception triggered by the harmonic artistic quality, as a state that has no ties to a lecturer’s agreement but to his placement in a territory of vital experiences common to all people where he can reflect upon the ambiguities of a world that reflects upon the limits of human reason; even if, from the perspective of taste, this displeases him. Within the same logic, the initial reception of impressionist works – which have a professional harmonic structure just as evident as Tarkovski’s work – means (with all the lectoral dissatisfactions) an artistic quality experience just as powerful (and harmonic) as the ones after its institutional recognition. It is only the reaction of the “institutionalised” critics that is disharmonic and bellicose, but, because it belongs to the realm of judgement of taste, it is irrelevant to the artistic quality of an impressionist work of art. To me, in somewhat consonance with the observations made by authors who question, from an aesthetic perspective, the importance of an axiological judgement in art – for example Marc Jimenez, Jean-Marie Schaeffer etc. – the reception of a work of art, understood as a cultural experience of its particular artistic quality, does not imply in any way an evaluation. Artistic quality in a work of art is naturally dominant – in the case of an auctorial success – since the dawn of art, as a possibility of surpassing both (a) a works documentary actuality – understood here as its lack of perenniality – towards the harmonic spectrum (which goes beyond actuality and the document), as well as (b) the idea of a fast expedition of artistic quality in the terms of “I like” or “I agree” (Tarkovski 2015, 54). One must not necessarily agree or like an object – although this is not impossible (it is possible but not necessary) – but only has to “engage” this possibility, before cultural hierarchies, a state observed and discussed by the phenomenological aesthetic (even if in different terms). This type of reception is an “open” experience, meaning it takes a long time and – after contact with the work – it engages new angles of reflection upon the work in this new open field. Today, as a result of the presence of aesthetic alternatives, such an experience can only be understood as an option for harmonic artistic quality against aesthetic qualities. It has to be said that the harmonic essence of art does not mean art’s property over harmony, but only the core and artistic claim in this activity, understood as guidelines for artistic success as a cultural human relation through an artificial object9. The cognitive framework opened by visual art’s harmonic essence requires a particular engagement – different from the aesthetic one – of the

124 Mihail Taraşi situation brought about by the use of new elements and techniques in the visual practices from the beginning of the 1960s (situation that marks, in my opinion, the tow territories of taste: sensorial taste and conceptual accord). The idea that “any object could be art” (Maliţa 2009, 7 note 1) means something different within the framework of professional understanding of art as a practice with a premodern harmonic stake than the aesthetic engagement of this idea within the modern taxonomic framework, where it is the liberation of art from professional restrictions. The difference between the two understandings are based on the following idea: The restrictions talked about in Aesthetics, were, in fact, only external aesthetic institutional restrictions (not professional), because the illustrative norms of sensorial taste are not connected to the artistic use of a complete visual language (they do not have any relation to the harmonic-professional norms, internal to practice, but are only illustrative norms dedicate to the modern evaluation of art as a matter of taste). From the perspective of stable harmonic norms, the internalization of ready-mades into artistic practice means the same thing as, for example, the internalization of technical developments in oil painting. According to harmonic logic, the parts – understood here in the broad sense which also includes different technical aspects – lose their initial identity in favour of the harmonic whole. This means that, between Duchamp’s Fountain and Rembrandt’s Return of the prodigal son there is no difference in artistic quality just as there are no differences between the artistic qualities of tempera and oil painting. In this context, the for-mentioned idea can be reworded into: a) any object can, at any time, become an element of a work of visual work of art, regardless of its initial properties, as long as it fulfils the necessary and sufficient condition of becoming part of a harmonic whole of expressive nature, by losing its original identity; b) any object can be work of art if it is comprised of elements that fulfil this condition. For example, Duchamp’s take on harmonic understanding using ready- made is as follows: A work of art is not only the object, but it is comprised of more elements which can be roughly divided – for a methodologic explanation – into words and images; a) the object as a seen visual representation and b) a text, brought about by placing the object into an artistic context, which “tells a story” about the modern artistic archive (definitions of art, aesthetical theories, historical etc.). Artistic quality is not the result of the objects representation but from Duchamp’s success at engaging the expressive nature of the relationship between the two elements: the fact that they have the same hierarchic level within the work of art, as elements. Thus, it is not in an illustrative form (object) – content (text) type of relationship with the object, but one in which both are forms and the

125 Perceiving a work of art. Between artistic and aesthetic “significant” content is the relationship itself which manifests as an artistic stimulus that brings all eyes on man’s context in the evolution of the world. This means the acceptance of artistic experiences (in premodern terms) as a cultural experience of the world (and its ambiguity) through a work of art – situation that “excludes” illustrative logic – not as an experience of the work (as an object) that must be realized as a matter of immediate satisfaction or dissatisfaction. Regarding the harmonic dimension of the technical solution, one must understand that Duchamp chose the hazard 10 – it could have very well been a shoe – and it is, as a choice, meant for the relation with the text about the artistic archive, used in the work. This text assumes, first of all, the modern taxonomic origin of the archive, meaning the target of the avant-gardes that were trying to remove rational order in favour of anarchy. Technically speaking, hazard – seen here as a methodologic core in the technical choice of the ready-made – is the most harmonic professional choice, the most adequate to convey an anarchist message (essentially a text about Chaos) in a form that best satisfies the expressive unity of the work (the whole). Thus, it is the technical harmonic solution focused on the whole form (text and image together), not just the visible or intelligible. In the same manner, in the retinal-harmonic representation of the world – not beautiful, just harmonic – a religious text was chosen as an adequate technical solution, even though it was – same as byzantine art, impressionist works or The Mirror – outside the idea of immediate lectorial satisfaction. Another solution of representation could become an illustration of avant-garde rhetoric, though a possible significance of its aesthetic function in detriment of the harmonic whole: for example, a painting of a WC in a hall at the Louvre, on a pedestal with a tag. The choice of understanding visual artistic quality as a harmonically autonomous inter-human relation does not try to contest the possible aesthetic use of art. Moreover, a large part of the ideas mentioned earlier, argued here in a functionalist manner11, are present in one way or another, in the observations made within the philosophical discourse about art, even if they are logically instrumented differently, using other terms and contexts of reference12. The truth behind aesthetic observations cannot be contested. They are pertinent, regarding aesthetic, sensorial or conceptual, reception of objects or situations (meaning true observations about aesthetic functions of these objects and situations, including works of art, in different cultural settings. Within this context, the distinction between aesthetic and artistic reception of a visual work of art can be especially argued using evidence easily observable by anyone: the aesthetic experiential area is far larger than that of artistic experience. Inside this broad setting, aesthetic reception of works means applying them, through lectorial application of their aesthetic

126 Mihail Taraşi function, possibly but not necessarily artistic, within the logic outlined by the ideological dimension of taste; logic dedicated to a specific use – linked to the sensorial or conceptual satisfaction – of any other object (or situation viewed as an aesthetic object), cultural or natural (flowers, smells, a sunset, cars, shoes, works of art etc.) based on the attachment of an individual (or group of individuals) to a newer or older cultural trend. The individualisation of artistic experience, as a particular instance of reception only for some artificial objects, present in this broad aesthetic framework, can be done in today’s heavily anesthetized society (Harvey 2002, 332) – where not only art (Babias 2004), but even the surgical act is used in an aesthetical manner – by differentiating itself from the aesthetic one13, if we are to accept that the existence of artistic quality is something different (more or less) than the satisfaction in terms of taste. Following professional logic regarding the original harmonic-expressive essence of visual art, the autonomy of the two artistic experiences arises from the simple fact that aesthetic and artistic practices are distinct and imply the use of the same visual language with a different stake.

Notes

1 A situation observed since 1797 by Friedrich von Schlegel. See Zaharia 2002, 9. 2 The difference between aesthetic and artistic has been observed for a long time, even if it has been governed differently. See Malița 2009, especially 107-10. 3 In the sense in which Luc Ferry observes the persistent subjectivity of the judgement of taste, included in the idea of novelty, as a link between modern and contemporary (Ferry 1997, 34). 4 The distinction is: a) art for the sake of art means a work focused on the harmonic stake; b) just is art means that the harmonic stake of practice is focused on a particularly artistic interactive experience between people. 5 In the sense of Heidegger’s observation “A thing’s origin is also the source of its essence” (Heidegger 2011, 17). 6 See Foucault 1996, 362 or comments about Baudelaire in Foucault 2004, 73. 7 Frunzetti 1985, 19-20. See the distinction between cultural destination and cultural destiny proposed by Ion Frunzetti regarding institutional administration of French painting in the 19th century and the contradictory result of this administration. 8 Marcel Duchamp observed that any systematized work quickly becomes sterile and that poor Mona Lisa lost her smile due to being looked at too much (Tomkins 2013, 60). 9 Close to the observations of Nicolas Bourriaud, especially regarding the understanding of artistic inter-human relationships (Bourriaud 1998). 10 Tomkins 2013, 53. Duchamp talks about using the hazard technique as a “rational expression” of man’s departure from the conventional control over the use of language. 11 In a way in which they can answer Nelson Goodman’s question: When can something be art? Answer: When it works harmonically as the result of an artistic auctorial action. 12 Shusterman 2004, 32. For example, the observations by Noȅl Carroll and Nicholas Wolterstorff, that define art as a social or cultural practice governed by internal standards and rationales, commented by Shusterman. 13 Shusterman 2004, 49. According to Dewey: “Aesthetic experience is always more than aesthetic.” – mentioned by Shusterman.

127 Perceiving a work of art. Between artistic and aesthetic

References

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128 Adămuţ

V A R I A

Anton ADĂMUŢ *

Some Aspects of the Pelagian Controversy

Abstract: Pelagius makes from our will something absolute. He suppresses the original sin: Adam was sent to us only as a bad example. He suppresses the work of salvation: Jesus acts on us only from the outside, by means of His examples and teachings, and does not exercise within us an intimate action that would involve the supernatural will. Pelagius, says Augustine, acknowledges the grace through which God reveals to us what we need to do, but he does not recognize the one by means of which God makes us act and helps us in our action. The problem is: how does the freedom of man, that is under the influence of grace, manage to preserve some of its own energy? For if it does not preserve anything, then we do not cooperate either. Augustine states two truths against Pelagius: man is free, and man cannot do anything without grace. The statements are important, but they themselves do not solve the problem, they only create the problems. The real clavis we find elsewhere, in the Augustinian explanation regarding the divine government of wills, therefore the biggest problem is the agreement of grace with freedom. Some aspects of the controversy we shall find in this text.

Keywords: Pelagius, Augustine, original sin, grace, liberty

A British monk named Morgan settled in the early years of the fifth century in Rome. He took the name of Pelagius – the Man of Seas and the contemporaries called him, because of his perfidy, anguis brittanicus. Scholar and with a scrupulous morality, he conquers including the pope’s respect. Pelagianism is formally heretical and rather belongs to the lawyer Coelestius and to Julian of Eclanum, of whom Augustine will state: totius Pelagiani dogmatis machina sine architecto necessario remanisisset (“without him, the Pelagian machine would have lacked an architect”) (Ferenţ 1997, 115). Pelagians exalt human nature, especially Julian, who is slanderous and calls Augustine “the most erudite among bipedal”. Being in the service of truth, Augustine fought fervently for the truth. He will send a personal letter and one on behalf of five African bishops to Pope Innocent I. He writes to John as well, Bishop of Jerusalem, about the

* Professor, ”Al. I. Cuza” University of Iasi, Romania, email: [email protected]

129 Some Aspects of the Pelagian Controversy Pelagian heresy. Rome answered (Roma locuta est), and if Rome has spoken, the debate was considered to be closed: Causa finita est: utinam aliquando finiatur error. The dogmatic errors of the Pelagians are clearly formulated on the first conviction of heresy (Council of Carthage, 411). Coelestius is accused, much more risky than Pelagius himself, of the following errors (Portalié 1931, 2380-2383; Ferenţ, 1997, 116-7): - Adam was created mortal; even if he had not sinned, he must die; death is therefore a consequence of the original sin; - the original sin hurt only Adam, not his descendants as well; death and concupiscence are not the effect of the original sin, but the original condition of man. In Enchiridion, 26, Augustine argues, against Pelagius (contra Pelagianos), that the punishment of Adam’s original sin reflects on his entire nation (Hinc post peccatum exsul effectus, stirpem quoquesuam, quam peccando in se tanquam in ridice vitiaverat, poena mortis et damnationis obstrinxit); - children are born in the state in which Adam was before sin; the baptism of infants does not cancel sin, for it has nothing to cancel, it only unites the children of Christ; - the children who have died without baptism enjoy eternal life; - man can be without sin by its own power, without the assistance of grace, for there have always been people without sin. Julian the Pelagian accuses Augustine of inventing the original sin. By 420, Julian addresses to Augustine with the words: “at the beginning of your conversion you had the same concept of original sin like me”. Augustine responds in Contra Iulianum (VI, 12, 39): in the books that I have written as a simple layman, I was not strengthened in Scripture; nevertheless, my language consorts with the ancient doctrine of the Church”. Also in Contra Iulianum (V, 3, 13) Augustine says: before choosing God, we are not yet worthy; the choice brings with self dignity; and when God punishes, then that person is punished with justice”. The doctrine of sin was summarized by Coelestis in six phrases: 1. Adam was created mortal and would have died regardless had he sinned or not; 2. Adam's sin affected only him, and not the human race; 3. The law leads to the kingdom of heaven, as well as the Gospel; 4. Even before the arrival of Christ, there were sinless people; 5. newborn babies are in the same state as Adam was before the fall; 6. by means of Adam's death and sin, the entire human race does not die, nor does it raise by Christ's resurrection (Pelikan 2004, 324). This is what is stated in Propositiones Caelestii quae obiectae sunt Pelagio: 1. Adam mortalem factum, qui sive peccaret, sive non peccaret, moriturus esset; 2. Quoniam peccatum Adae ipsum solum laeserit, et non genus humanum; 3. Quoniam Lex sic mittit ad regnum quemadmodum Evangelium; 4. Quoniam ante adventum

130 Anton Adămuţ Christi fuerunt homines sine peccato; 5. quoniam infantes nuper nati in illo statu sint, in quo Adam fuit ante praevaricationem; 6. Quoniam neque per mortem vel praevaricationem Adae omne genus hominum moriatur, neque per resurrectionem Christi omne genus hominum resurgat (De Gestiis Pelagii, 11, 23). The issue is retaken in De Gratia Christi et de Peccato Originali, II, 12, 13; 13, 14: nihil distat inter Pelagium et Coelestium quod doctrinam de peccato originali. The fact is that Augustine is not a fatalist and does not either want to reintroduce the pagan blind necessity. Predestination is something else than divine foreknowledge, for God is able to want one thing (predestination) and allow another (foreknowledge). And unlike what He wants, what He allows is something else. He wants good, but allows evil as well, as He foreknows both of them without predetermining any. He helps the good ones through his goodness, and the bad ones are allowed due to the freedom of man’s will. And when He helps the good ones, he foreknows them, not predetermine them! Essentially, Pelagius denies the supernatural order and admits only the external data of revelation, exaggerating the power of freedom. We find the substance of the Pelagian system in the absolute independence of man’s freedom in relation to God and in the unlimited power, both in good, as well as in evil and which is in man. The origin of this idea Pelagius finds in stoicism, and he will adopt the motto: to ask from God for wealth and health, not for virtue, that depends on us! To God, says Pelagius, man owes the being and the freedom (possibilitas boni). Freedom is the only gift from God, and because it is free, Pelagius calls it gratia. Following the action by means of which the gift is offered, God no longer has any influence on his own gift – freedom. If God intervenes, freedom is canceled, the heretics say by making use of three formulas: non est liberum arbitrium, si Dei indiget auxilio (Pelagius); destruitur enim voluntas quae alterius ope indiget (Coelestius); si praevenitur, interit (Julian, which Augustine quotes in Contra Iulianum). Once the perfect freedom is lost as a result of the original sin, says Augustine, free will cannot but sin if not assisted by grace, which he calls auxilium quo volumus. This auxilium is not accepted by Pelagius. The most expressive formula belongs to Julian, and it is about the complete emancipation of will: libertas arbitrii, qua a Deo emancipatus homo est. Man has the omnipotence of freedom to achieve good only if freedom is completely emancipated from God. It follows from here, in the Pelagian system, a frightening rigor and which is the immediate consequence of the exaggeration of the power of freedom. Therefore, since perfection is possible for Pelagius, it also becomes mandatory. As in the Stoics’ case, that Pelagius often invokes, the good forces, and it is no longer just about the simple advices, but about irrevocable precepts. Augustine's thinking has voluntarism aspects, and for him the essence of man is not given by the intellect, but by will. The essential nature of man

131 Some Aspects of the Pelagian Controversy combines agapé with éros, but this essential nature is not also the existential nature of man. Man’s nature is distorted by the original sin. The conflict between Augustine and Pelagius is one of the most important from Church’s history and can be compared to the Trinitarian dispute or to the Christological one. We find the decisive point in the relation between moral and religion. The issue is to know whether the moral imperative depends, in order to be fulfilled, on the divine grace or if somehow even grace depends on the moral imperative. Pelagius believes that freedom is the essential nature of man and this idea, taken in itself, does not make Pelagius a heretic. The way in which he develops the idea will bring him into conflict with Augustine (Tillich 1970, 144-153). To summarize: for Pelagius, death is a natural phenomenon and not a consequence of the fall. Since death depends on finitude, Adam would have died even if he had not sinned. The Adamic sin regards only Adam him, not the entirely human species as well. From this point of view, the original sin does not even exist. In order to be sinful, each one of us has, he himself, to sin. The simple Adamic descent does not make anyone a sinner through inheritance. Evil does not exist outside of us, says Pelagius; if so, religion risks to no longer surpassing the status of simple moral! Augustine believes, as well as Pelagius, that freedom is an original and essential human quality and that Adam was free until he sinned. Originally, human freedom was oriented towards good. From this perspective, everyone is free. But this freedom is dangerous in the sense that man ceases to aspire towards God and turns to himself. Therefore, Augustine conceived the doctrine adiutorium gratiae, i.e. the helping power of grace given to Adam before the fall was not in a state of pure nature (in puris naturalibus), therefore the assistance of grace, in the case of Adam, before the fall, was only potential. Augustine believes that Adam had the freedom not to sin, not to die, not to move away from good. It was easy for Adam not to sin and he had no reason to do it either. And yet, he sins! But since the fall had no external motivation, it follows that he acted motivated from inside and for Augustine sin is, originally, something of spiritual order. The man was absolutely independent and had available, potentially, everything that was good. Sin is not for Augustine just a simple moral mistake, is not, strictly speaking, the same as disobedience. Disobedience is the consequence of sin, not the cause of sin. We find the cause in fact that Adam turns his face away from God and sin is precisely this turn away. For this reason, there is no moral remedy for sin. Only one remedy the sin has: the return to God, and this return is possible only by the power of God. After the fall, the soul louses his power on body. The difference between Augustine and Pelagius lies in the concept and conception on nature. Pelagius thus argues: “the sin is not born with man, but it is committed afterwards because it is clear that

132 Anton Adămuţ the offense does not depend on nature, but on will” (Ferenţ 1997, 123). But this regards freedom and free will. In 412 Augustine writes the first text against Pelagius: De Peccatorum Meritis et Remissione et de Baptismo Parvulorum. He reconfirms here the doctrine of the Adamic sin (In Adam omnes peccaverunt, I, 10, 11; Unum peccatum omnibus commune, I, 11, 13) and then, in Book II, he does not agree that man could escape this conditions: “It is not true that man’s perfection would become impossible, as it is claimed by Pelagians, when the possibility of not sinning is not admitted; the free will simply can not exclude the intervention of divine grace. Man, even if baptized, keeps in self the concupiscence that was forgiven as sin, but it is still alive in the body as « a law of sin »” (Moreschini & Norelli 2004, 49). The Pelagian controversy is the latter one that Augustine undertook. During the controversy there are coming out highly complex issues: the human nature, the original sin, the doctrine of grace. “The Augustinian conception on grace seems to raise a very serious problem, almost impossible: that of reconciling grace with free will. But, for Augustine, this contradiction does not exist at all. According to Augustine, if it is true that I possess free will, it is equally true that I want to live. Then, the will is something that I was given as a fact about which it cannot be discussed and to want means to always use free will, whose definition is always confused with that of the will” (Moreschini & Norelli 2004, 54). The core problem that arises does not regard the relation of grace with free will, the problem regards the relation of grace with freedom. For I do not wonder if loving God depends on free will; I wonder if loving God is in my power. And the power of this kind is freedom as such. An effective free will is freedom. Where is the difference? In the fact that grace leaves intact the free will, but “the difference between the man who receives the grace and the man who does not receive it resides in the very effectiveness of free will: when he does not have the grace, it realizes that, even if he sees good, he can not achieve it, while the one that has it, he sees it and can achieve it” (Moreschini & Norelli 2004, 55).

References

Ferenţ, Eduard. 1997. Antropologie creştină. Iaşi: Presa Bună. Moreschini, Claudio & Enrico Norelli. 2004. Istoria Literaturii Creştine Vechi Greceşti şi Latine (vol. II, 2). Iaşi: Polirom. Pelikan, Jaroslav. 2004. Tradiţia creştină. O istorie a dezvoltării doctrinei (vol. I). Iaşi: Polirom. Portalié, Eugène. 1931. Saint Augustin, în Dictionnaire de Théologie Catholique. Paris: Letouzey et Ané. Tillich, Paul. 1970. Histoire de la Pensée Chrétienne. Paris: Payot.

133 Origen and The Paradox of Literalist Reading

Valeriu GHERGHEL *

Origen and The Paradox of Literalist Reading

Abstract: Why Origen emasculated himself? There are two explanations for his action. The first explanation is that were several women among the students that attended the Catechetical School of Alexandria. It is said that his act was meant to emphasize in a radical manner the master’s complete innocence, detachment and serenity. As second explanation for his gesture, it is said that the act was a paradoxal consequence of reading a passage from the Gospel of Matthew (19: 12), and interpreted it in a much too literally sense, applying exactly the urge to experience virginity through castration. This explanation is not enough. What does it mean to read something literally? And why did Origen read that passage literally, when he specifically recommends in De principiis the search for the allegorical, hidden meaning? But Origen, if we are to trust his words, could not read in a literal way the paragraph from the Gospel of Matthew (19: 12), because he relies almost entirely on the allegorical reading and on distancing himself entirely from “the bodily lie“, where the meaning lies, figuratively. His hermeneutics denies any effect that is pure somatic. The act of reading doesn’t lead to pleasure. I will explain this biographical incident (an incident related to reading) as following: above all, when alone, Origen relates to the literal meaning of the scripture. When he teaches, he hides it. He emphasizes particularly the mystical purpose of the reading. In Origen’s case, if this is a direct result of the reading, his self-mutilation derives from his refusal of pleasure and, in the same time, from the helplessness of the refusal. The charm keeps the reader outside the truth. But charm has its own immediate truth.

Keywords: hermeneutics, Origen's self-castration, literal / allegorical reading, pleasure.

When it comes to the stories we read, what does it matter if they have a good or a bad ending? It depends, of course, on the historical context, the very moment of the reading, its function, and the intended purpose. In Samuel Pepys’ case, we’ve seen that the reading of a book (L’escolle des filles ou La philosphie des dames, divisée en deux dialogues, 1655) arrives to an ambiguous ending, impossible to be clarified conclusively. It ends rather badly, I’d say. Consequently, it is unclear how to better interpret the episode recorded in the journal, in the Babel-like constructed phrase: “It did hayer my prick para stand all the while, and una vez to décharger“. As an obscure footnote about an unforeseen and, so to speak, collateral effect of the

* Professor, ”Al. I. Cuza” University of Iasi, Romania, email: [email protected]

134 Valeriu Gherghel reading or, as its meant, bodily fulfilment? (Gherghel 2005, 120-4; Wolfreys 2000, 7-10). I’ll endeavor to answer the question about Pepys, not before recalling an episode equally famous in the history and biography of reading (and readership as well). I’m thinking about Origen’s self-castration. First let’s go over some of his biographical data. Origen was born somewhere in Egypt, between 183 and 186. Within the Christian theology he is regarded as an inconsistent disciple and a follower of Clement of Alexandria’s doctrine, whose name he never mentions (it is unlikely he attended any of his lectures). He may have briefly studied under the Neoplatonist thinker, Ammonius Saccas (who died in 243). Incidentally, Plotinus attended Saccas’ lectures for 10 years. Additionally, Ammonius Saccas refused to put pen to paper when it came to his philosophy, but he did not necessarily regard the philosophical exercise as an initiation into mystery. Back to Origen, I’d add that, despite the attacks on his doctrine during the 5th Ecumenical Council in 553, he remains one of the most prolific and subtle theologians. After being imprisoned, tortured and persecuted under Emperor Decius (250-251) – similarly to the renowned thinker Boethius –, he died around 252-253. Origen is the author of the apokatastasis doctrine: at the end of the world, God will not condemn anybody (the devil included). He will have thus reclaimed all of his creatures. Sheol’s name will have lost meaning (it will no longer bear any reference)1. The theologian reiterates the pagan belief of the end coinciding with the beginning: the golden age of Vergilius succeeds the Iron Age; the world goes back to its origin. Origen was quite prolific (he employed the help of seven tachygraphers that he would dictate to). Epiphanius speaks of six thousand such writings! Naturally, he was exaggerating. Many of them have been lost or destroyed. Some endured in the Latin version only: Contra Celsum (in eight books), other forms in a polemic writing and Greek (For a general introduction to Origen’s theology see inter alia Nautin 1977; Crouzel 1985; O’Leary 2011; Martens 2012; etc.). An important theological treatise entitled De Principiis (in four books) survived only in the flawed Latin translation (or paraphrase) of Rufinus of Aquilea, who had a habit of intervening heavily in the text. In the fourth book of this work, the adamantine theologian, as his admirers called him (from adamantios, man of steel) establishes the theory of the triple meaning of the Scripture. First, he says, the Scripture has a literal meaning (somatic and historical), secondly a pneumatic sense (moral and tropological), and thirdly, a spiritual one (mystical and allegorical). From an analogical perspective, the Scripture is a live composition, a being. The truth of the Scripture resides (Origen rarely uses the notion of meaning) within it, much as the soul lies within the deceiving somatic and the intuitive intellect within the soul. Thus, the Scripture can be read and understood in three ways:

135 Origen and The Paradox of Literalist Reading historical, moral and mystical. Sometimes the simple literal meaning of the sentences is enough. Often though, it must be accompanied by an investigation of the spiritual kind. The episode I’ve alluded to happened during Origen’s youth when he first started his career as a headmaster in Alexandria, succeeding Clement as the head of the school. He also taught Julia Mammaea, better known as Alexander Severus’ mother. There is no secrecy surrounding this event, it is a well known, much talked about fact. I am, of course, referring to Origen’s self-castration, a subject he was silent about for a long time. The incident is also mentioned by Eusebius of Caesarea in Historia Ecclesiastica, Ecclesiastical History (VI: 8, 1-5) although the historian isn’t shedding too much light on it and attributes it to an excessive ascetic gesture and a somewhat untamed spirit. We can only wonder. What pushed him to resort to such a hasty act? I’ll nterpret his act from a strictly hermeneutical perspective. I think it derives from an ambiguous way of understanding the act of reading and its function (For further discussion of Origen’s castration see: Hanson 1966; Dinshaw 1988; Stevenson 1995; Caner 1997; Moreschini & Norelli 2001, 299; Kuefler 2001). Within this interval, the books itself seems to be an ambiguous reality. In what way though? I’ll elaborate on its ambiguity later on. For now I’ll go back to the instructive passages from De principiis (IV: 1-3). For the most part, Origen doesn't deny the importance of the literal meaning (the somatic and historical). Nevertheless he doesn't regard the literal meaning as the main principal by which the proper reading of a text should be understood. Moreover, only he who is capable of grasping the hidden meaning of the spiritual kind seeking its “flight“ towards a higher destination (the flight analogy proposed by Origen might be in reference to the theory of the soul from Plato's dialogue, Phaedrus), where the soul aspires towards the super- heavenly place of the Forms), proves that he has accurately identified the true and unsurpassed function of any given passage from The Scripture. Origen doesn't believe that the act of reading (interpretation of the written word) ends with one meaning, it wouldn't suffice. In truth, it changes the reader, getting him closer to the understanding of the Divine Principle. The effect of the reading is thusly of an ontological nature. It's main function is to commence a path towards God. Origen doesn't dispute the literal meaning and it's more often than not contradictory side. Any first- rate contradiction is meant to test our vigilance. If we cannot understand the literal meaning of the biblical verses and we come upon (seeming) contradictions (since all contradictions are traps) is because The Holy Spirit is forever testing our alertness. This is the hermeneutical rule that Origen proposes in De Principiis: reading is an act of rising towards the mystical significance; the ascension

136 Valeriu Gherghel begins though from the literal meaning. Consequently, let’s find out how the exegete puts it into practice. There are two explanations for his action (vide Eusebius of Caesarea, Ecclesiastical History, VI: 8). The first explanation is that were several women among the students that attended the Catechetical School of Alexandria. It is said that his act was meant to emphasize in a radical manner the master’s complete innocence, detachment and serenity. He took precautions, so to speak, against malevolent gossip. Eusebius’ explanation is rather simplistic. Here’s the first reason: it is not just Origen’s lectures that are attended at that time by women. Around the same time, in Rome, Plotinus resides in the home of some ladies of high social standing. Some of their names are mentioned in some of Plotinus’ biography written by Porphyrios: a certain Gemina whose daughter shares the same name, a Amphikleia etc. (cf. Life of Plotinus, 9). The author of Enneads did not discriminate between the members of his audience: gnostics and Christians, platonists and stoics were equally welcomed. His way of living did not incite rumours. Second reason: more than a century later, in Origen’s Alexandria, the future Christian Bishop, Synesius of Cyrene attends Hypatia’s lectures, a scholar who taught metaphysics, mathematics and astronomy (Synesius and Hypatia will exchange letters till the end of his life). This period in time seems to be quite tolerant with scholars of both sexes. At this point in time, both society and church are very tolerant of women teaching in schools and Academies. For now, they seem to ignore the harsh warnings coming from the former pharisee, Paul of Tars. Before long, the woman’s standing in society will drastically change. Theophylus, the Patriarch of Alexandria (the same one that ordained Synesios but caused trouble for John Chrysostom (golden mouthed) will urge his supporters to kill Hypatia (her murder occured around 415). As second explanation for his gesture, it is said that the act was a consequence of reading a passage from the Gospel of Matthew (19: 12: “and there are eunuchs who made themselves eunuchs for the sake of the kingdom of heaven“) and interpreted it in a much too literally sense, applying exactly the urge to experience virginity through castration. It’s a known fact that this way of reading ends up badly. This explanation is not enough. What does it mean to read something literally? And why did Origen read that passage literally, when in De principiis he specifically recommends the search for the allegorical, hidden meaning: ta kekrymmena? Sure, he does not reject the literal (the literal meaning comes at a price), nor does he fall into the literalism of gnostics. His act was associated with the “somatic“ effect of too much of a literal reading: whenever he remains in literal, the interpretation mutilates (which is perfectly true, at least regarded from the

137 Origen and The Paradox of Literalist Reading point of view of the exegetical practice proposed by Origen himself, in De principiis, IV). But Origen, if we are to trust his words, could not read in a literal way the paragraph in Matthew (19, 12), he who relies almost entirely on the allegorical reading and on distancing himself entirely from “the bodily lie“, where the meaning lies, figuratively. His hermeneutics denies any effect that is pure somatic. The act of reading doesn’t lead to pleasure, nor does it embody the “erotic“ (as per Susan Sontag’s meaning of the term in opposition with allegorism). This is only accomplished through the complete transfiguration of the reader. The conversion itself is the decisive sign of a reading done right. Some believe however that in Origen’s case, the reading of the pericope from only through the believe that in Origen’s case the reading of the passage (fragment, pericope) from the Gospel of Mathew, ended badly. The theologian’s self-mutilation happened because he stayed within the literal interpretation. Could this be Origen’s understanding? Probably not. The author of Peri Archon, De principiis, is the first one to warn against the dangers of a literal interpretation. Why should you rather pluck out your right eye, and not the left one, if it makes you to stumble, he asks, quite rightly, referring to a statement of the same Matthew (5: 29: „And if thy right eye offend thee, pluck it out, and cast it from thee…“). It would be absurd to take this exhortation au pied de la lettre. Literalism is not a reasonable exegetic solution. For this very word, not a few have accused Origen of excessive allegorism, and even of a deliberate depreciation of the literal meaning, and of exegetical subjectivism: among them, the renowed J. Tixeront himself (Tixeront 1927, 120-121; Dawson 2000, 102). Moreover, in a scholium on Mathew (19: 12) written in his old age, a scholium that survived (sic!), Origen demonstrates that he accurately understands the true significance of Jesus’ assertion on eunuchs. Virginity is not the attribute of flesh but is primarily a possession of the soul. Those who resort to such practices, Origen writes, exaggerate. Is more information needed? Most definitely. To explain his act, this will not suffice. After all, the literal reading of the exhortation in Matthew, the theologian is clearly put into an equivocal situation. On the one hand, he fiercely rejected literalism; on the other he practiced it. This is by no means the only ambiguity we are confronted with when reflecting upon his fate. I’d interpret this biographical incident (an incident related to reading) thusly: above all, when alone, Origen relates to the literal meaning of the scripture. When he teaches to others, he hides it. Particularly he emphasizes the mystical purpose of the reading. As with Pepys’ phrase, his silence is suspicious.

138 Valeriu Gherghel Essentially, what is it that the theologian is not admitting to? I’ll use the following quotation as my answer: “But if in every part of the Scriptures the superhuman element of thought does not seem to present itself to the uninstructed, that is not at all wonderful for, with respect to the works of that providence which embraces the whole world, some show with the utmost clearness that they are works of providence, while others are so concealed as to seem to furnish ground for unbelief with respect to that God who orders all things with unspeakable skill and power... But as (the doctrine of) providence is not at all weakened (on account of those things which are not understood) in the eyes of those who have once honestly accepted it, so neither is the divinity of Scripture, which extends to the whole of it, (lost) on account of the inability of our weakness to discover in every expression the hidden splendour of the doctrines veiled in common and unattractive phraseology“ (De principiis, IV: 2, 7-9; my italics in the passage). Let’s sum this up. The scripture provides in the first place, the literal sense which has two main properties: it awakens the spirit of the reader by means of contradictions, who is deceived by the unsurpassed charm of the discourse (and thus gives into pleasure), and, secondly, it denies (by means of the same charm) the access of most to the esoteric sense. As it is mostly the case, Origen regards pleasure with suspicion. To read something literally, means to read for the pleasure of reading. To read for the pleasure of reading though, means to go against the very meaning of the Scripture. Origen the reader is torn, much like Pepys was later, between truth and pleasure, between the charm of the letter and its hidden meaning, between somatic and spiritual. In Origen’s case, if this a direct result of the reading, his self-mutilation derives from his refusal of pleasure and at the same time from the helplessness of the refusal. The charm keeps the reader outside the truth. But charm has its own immediate truth. The history of the Christian reading starts maybe with a castration and ends in auto-f(r)iction (Paradoxically, this term is used here in the proper sense). Pepys reads it one way, Origen, another. In each case though, the ending has a somatic finality. To better emphasize the disparity between the two readers I shall use a small mental experiment. Suppose Apuleius (the author of Metamorphoses), Origen and Samuel Pepys, find themselves in the monastery from the novel The Name of the rose, more precisely in the scriptorium, and they all have in front of them the same book, offered to them by none other than the old librarian, Jorge de Burgos. The book he chooses is Solomon’s Song of Songs. How will each of the readers react upon reading it? Apuleius will go over it with an aesthetic eye. He will stay within the literal and somatic. He has already read Satyricon and written The Metamorphoses. Apuleius is not afraid of pleasure. He accepts it explicitly. He is a reader that remained at the aesthetic stage. As far as

139 Origen and The Paradox of Literalist Reading Samuel Pepys goes, he will yet again be torn between temptation and rejection. He is warned that the somatic is deceiving, yet he cannot deny its charm. Finally he’ll give into temptation. He’ll burn the book afterwards. He reads for the pleasure of reading, in a literal manner but would like to perceive it allegorically. Samuel Pepys is a reader stationed at the moral stage. Origen will understand the text literally but will interpret the poem in a spiritual way. He’ll note the literal beauty of the poem but will deny it in a mystical reading. He is the reader situated at the religious stage. To conclude, Apuleius will give into the vice, as for him and all the other non-Christian readers, the act of reading doesn’t count as an explicit vice. Origen will deny it because he knows with certainty that the act of reading in itself can overcome vice, and he can rise above it. In contrast, Pepys will follow Origen’s exegetic instructions. He wants to overcome the vice but he stumbles and sins. Pepys’ reading of the book ends in sorrow. The three characters in this experiment confirm as many attitudes towards the “sin“ of reading. As it is well known, the theory regarding the different stages of life and their characteristics belong to Soeren Kierkegaard, the Danish philosopher.

Notes

1 Anyway, we may not neglect or reject the idea of apokatastasis (restitutio in pristinum statum). It presents biblical fundaments: Acts 3: 20-21 (the unique occurrence of „apokatastasis” in The New Testament) and, in a specific manner, 1 Corinthians 15: 23-28: „But every man in his own order: Christ the first fruits; afterward they that are Christ’s at his coming. Then cometh the end, when he shall have delivered up the kingdom to God, even the Father; when he shall have put down all rule and all authority and power. For he must reign, till he hath put all enemies under his feet. The last enemy that shall be destroyed is death. For he hath put all things under his feet. But when he saith all things are put under him, it is manifest that he is excepted, which did put all things under him. And when all things shall be subdued unto him, then shall the Son also himself be subject unto him that put all things under him, that God may be all in all”: “ta panta en pasin”. Psalm seems to be dedicated to apokatastasis, too: „Our soul is escaped as a bird out of the snare of the fowlers” (Ps124: 7). Apokatastasis is invoked by Origen in a special fragment from De principiis, III: 6: 5, where the theologian comments the verses from 1 Corinthians 15: 23- 28. Rufinus pretends that Origen used the name of the devil to designate “the ultimate enemy” mentioned in Saint Paul’s Epistle. We mention that many theologians were and are Universalist. The objection of an anti-Universalist, Emperor Justinian (in the pages of the „epistle” dedicated to Patriarch Mennas, a text from 544) is the following: if God gives a maximum reward (eternal life), He also gives a maximum punishment (eternal suffering). The judge uses the same measure for good deeds and for sins. It is certain that Jerome was nervous every time he had to pronounce or write the word “apokatastasis”. St. Augustine (De civitate Dei, XXI: 17) was kinder, he considered that the exulted high tone of the Alexandrine interpreter discusses on the theme of apokatastasis is based on Origen’s mercy and empathy. Origen himself deserves to be the subject of compassion for his kindness. Still, the following seemed to be Universalist (more or less): Clement of Alexandria, Ephrem the Syrian, Dydimus the Blind, Origen, Gregory of Nissa, Gregory of Naziansus

140 Valeriu Gherghel

(he comments this topic without any conclusion), Eusebius of Caesarea, Theodor of Mopsuestia (350-428), John Chrysostom, Rufinus, Saint Augustine (in the beginning), Dyonisius the Areopagite, Saint Maximus the Confessor, John Scotus Eriugena. Evagrius Ponticus lead the Origenism to extreme. Hans Urs von Balthasar, in his work Short discourse on Hell, admits (at least) an Origenist tendency. Jean Daniélou declared that the apokatastasis in Jesus Christ is a very Orthodox doctrine. Ilaria Ramelli agrees to Cardinal Daniélou. She wrote on this theme The Christian Doctrine of Apokatastasis: A Critical Assessment from the New Testament to Eriugena (2013). Ramelli also makes a linguistic / semantic investigation. The adjective aionios is not to be translated with “eternal, forever”, instead “for a long time, for a long period” is recommended. Aionios was confounded (especially by the Latin translators) with another adjective, aidios (eternal, forever, perpetual). Only God is aidios. And so is the afterlife, in paradise. Both adjectives were translated in Latin with aeternum, causing equivoques and facilitating the idea of recuperation. Ilaria Ramelli studied the occurrences of both terms in the writings of several Holy Fathers. E.g., John Chrysostom was not a sensu stricto Origenist; he uses aidios strictly to characterise the life into God, but never to characterise the punishment of hell, while aionos is used next to life and also to punishment. Origen never really admitted that he believes that the devil will receive divine absolution.

References

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141 Interviews

Le rapport entre la philosophie et le Judaïsme (Entretien avec Gérard Bensussan et réalisée par Tudor Petcu)

1. Le judaïsme nous est connu en tant que la religion de la morale et de la raison et on sait très bien que sa structure est tout à fait philosophique, qui a influencé voire la métaphysique et la théologie chrétienne. C‟est pourquoi on parle de ce qu‟on appelle l‟héritage judéo-chrétien de l‟Europe. En tout cas, je vous propose de mettre en évidence les fondements judaïques de la philosophie, bien sûr au sens large, pour mieux comprendre pourquoi il fallait discuter sur un rapport réel entre la philosophie et le Judaïsme. 2. Dans la première question j‟ai souligné le fait que le Judaïsme représente en fait une religion de la morale et de la raison et du ce point de vue, je prendrais en compte le rabbin andalou du XIIème siècle Moïse Maïmonide. En fait il est considéré comme le seconde Moïse du Judaïsme. Il a influencé le monde juif, mais aussi le monde non-juif, notamment Thomas d‟Aquin, bien connu par l‟ouvrage Summa theologiae. Voila donc un rapport entre la mistyque judaïque et la philosophie chrétienne. À partir de cette réalité, comment le Judaïsme a-t-il influencé à vos yeux l‟évolution de la philosophie chrétienne? 3. Si vous êtes en accord, je vous propose de bien vouloir continuer discuter sur la pensée et la philosophie du Moïse Maïmonide car, à mon avis, il représente un modèle concernant l‟analyse sur le rapport entre le Judaïsme et la philosophie. Les plus importantes oeuvres du Moïse Maïmonide étaient sans doute Guide des Égarés et Traité des huit Chapitres, des oeuvres qui avaient exercé une forte influence sur la philosophie scolastique. Pas moins, il faudrait souligner ses démarches de reconcilier la philosophie aristotélicienne et la science avec les enseignements de la tradition juive. Peut-on discuter d‟une actualité de la pensée du Moïse Maïmonide en ce qui concerne la philosophie juive contemporaine? 4. Un philosophe français très important du XXème siècle dont l‟oeuvre a été influencée par la mystique judaïque et la tradition juive a été Emmanuel Levinas. Je vous prie donc de nous présenter la structure

 Gérard Bensussan est professeur de philosophie à l‟Université Marc-Bloch de Strasbourg et chercheur au CNRS. Il est spécialiste de philosophie classique allemande et philosophie juive.  Faculté de Philosophie de l‟Université de Bucarest, email: [email protected].

142 Interviews judaïque de la philosophie d‟Emmanuel Levinas et du ce point de vue je vous propose de discuter surtout sur son oeuvre Totalité et infini ou il parle sur la responsabilité pour l‟autre. 5. Un autre sujet qui devrait nous attirer l‟attention serait, à mon avis, les contributions judaïques à la philosophie contemporaine. Étant données toutes les approches et directions philosophiques de nos jours, quelle serait la place occupée par le Judaïsme dans la philosophie contemporaine? Pas moins, je desirerais vous poser encore une question que je considère essentielle: quel serait à vos yeux le rapport entre le Judaïsme et les sociétés contemporaines dominées par la pensée pragmatique?

Réponses de G. Bensussan

Sur votre point 1: Je crois qu‟il est erroné de réduire le judaïsme à une religion de la raison. Ceci constitue certes une de ses tendances profondes et de longue durée, qui irait en gros de Maïmonide à Hermann Cohen, mais c‟est une tendance qui a également été combattue du dedans même du judaïsme. Il suffit de se souvenir de l‟âpreté de la contraverse antimaïmonidienne au Moyen Âge, il suffit de lire le Kuzari, de mentionner la Kabbale, ou de se référer, plus près de nous, aux tendances « existentialistes » de la philosophie juive moderne et contemporaine. Un penseur de la stature de Rosenzweig par exemple, ne saurait relever de ce que vous appelez une religion de la raison, une religion morale. C‟est un premier point qui me semble très important. Un autre élément de contestation de votre propos liminaire porterait selon moi sur ce que vous nommez le « judéo-chrétien », comme si cela allait de soi. Or le moins qu‟on puisse dire, c‟est que ce n‟est pas le cas du côté du judaïsme. Yeschayahou Leibowitz, par exemple, en a contesté l‟existence aussi bien théologique qu‟historico-mondiale, de façon sans doute extrême, excessive. Mais il ne fait pas de doute que, théologiquement, le judéo-christianisme est toujours un christianisme, comme l‟indique à elle seule la formule où le déterminant précède le déterminé. Et de même, tout christianisme est un judéo- christianisme (sauf le marcionisme lequel a été vaincu dans l‟histoire de l‟Eglise) c‟est-à-dire une relève dialectique du vieux (le judaïsme) dans le neuf (le christianisme), d‟un testament, l‟ancien, dans un autre, le nouveau, qui en réaliserait les potentialités plus ou moins celées. Au contraire, il y a bel et bien deux « religions », le judaïsme et le christianisme, qui ne se laissent ni dialectiser ni réconcilier, sauf sous la forme œcuménique toujours-déjà chrétienne du judéo-christianisme. Je ne nie pas que des usages de cette expression soient possibles pour déterminer des contenus civilisationnels plus ou moins précis, et c‟est ce qui me porte à tempérer le point de vue de Leibowitz. Simplement je soupçonne ou je pressens qu‟il y a

143 Interviews dans cette facilité de langage, le « judéo-christianisme », une sorte de tour de passe-passe. Si nous sommes parfois amenés à utiliser cette expression, c‟est seulement pour décrire un état de fait, pour saisir de façon très vague et très universelle quelque chose comme une epistémè, ce que Levinas déterminait comme « la Bible plus les Grecs ». Si le judaïsme n‟est pas l‟équivalent pur et simple de la Raison, si le judéo-christianisme constitue une construction théologique d‟abord, idéologique ensuite, comment et par où comprendre le rapport, à la fois nécessaire et effectif, de la philosophie et du judaïsme qui fait l‟objet même de votre interrogation? Je pense qu‟il faut poser deux attendus contastés et complémentaires. D‟abord, judaïsme et philosophie constituent des traditions de pensée, également anciennes et vivantes, dont les modes de questionnement, les procédures argumentatives et les façons d‟avancer dans la pensée et dans la vie sont très hétérogènes, et même en bonne part incompatibles. Constitution d‟un questionnement portant sur l‟essence d‟une part, à savoir réflexion sur les modalités de la question « qu‟est-ce que ? » et des conditions dans lesquelles des réponses peuvent y être apportées ; herméneutique de la langue et de la narration d‟autre part, commentaire infini toujours tendu par l‟écoute des textes et la parole vive qui les traverse. Je dis les choses très grossièrment et très rapidement. Comment et pourquoi ces deux traditions de pensée (la pensée ne se réduit donc pas à la philosophie, elle l‟englobe et la dépasse) se sont-elles, jusqu‟à un certain point, entre-fécondées ? Cela tient sans s‟y réduire, à une circonstance particulière : la rencontre de la tradition grecque de la philosophie et de la tradition hébraïque du judaïsme comme pensée est très ancienne, on peut la faire remonter au moins à la traduction des Septante, à ce passage, suivi d‟autres, de l‟hébreu au grec. Ce qui signifie que, du côté du judaïsme au moins, l‟interrogation sur la confrontation entre le don de la Loi au Sinaï et les requêtes de la raison humaine est très ancienne, à vrai dire aussi ancienne que la philosophie elle-même. Cette ancienneté d‟une confrontation entre deux traditions qui n‟avaient pas vraiment vocation à se rencontrer a donné naissance à la philosophie juive dans sa spécificité concrète, et par rapport à la philosophie elle-même, et par rapport à la pensée juive, telle qu‟elle s‟exprime dans la Torah écrite et orale, le Midrash, les commentaires rabbiniques, etc. La question qui se pose à partir de là, c‟est celle de la spécificité de ladite philosophie juive, justement, en tant qu‟elle se distingue et de la philosophie et de la pensée juive.

Point 2 : Il faudrait là encore s‟entendre sur les contenus de la philosophie « chrétienne », par rapport à la philosophie « juive ». Cette dernière s‟est toujours trouvée en terra incognita, aussi bien en Chrétienté qu‟en Islam, hôte étrangère et pourtant familière, exclue en dedans pourrait-on dire, encryptée selon le mot de Derrida. Ce qui n‟est pas le cas pour les philosophies

144 Interviews « chrétienne » ou « musulmane ». S‟il y a bien, entre le christianisme ou l‟islam et la raison philosophique, de la contrariété, de la discrépance qu‟il revient au logos d‟équilibrer (comme c‟est aussi le cas pour le judaïsme), il y a toujours dans ce travail de mise en harmonie une territorialité, une assise politique productrice d‟une homogénéité culturelle, ce qui passe par des institutions, des figures religieuses, des instances de légitimité, etc. (et ceci n‟est nullement le cas pour le judaïsme). S‟agissant de la philosophie « juive » en effet, l‟hétérogénéité de la philosophie et de la révélation, pour le dire selon une formule convenue, se complexifie donc de façon souvent menaçante, par la nécessité d‟avoir à se situer par rapport à l‟islam ou au christianisme et par rapport aux figures «philosophiques » qui sortent de leurs confrontations avec la tradition de pensée de l‟Antiquité grecque. Pour répondre directement à votre question, je dirais la chose suivante : il y a eu bien sûr une influence, comme on dit, de la philosophie juive sur la philosophie chrétienne (j‟ôte les guiillemets ici) –essentiellement, vous le dites, de Maïmonide, Rabbi Moyses, Maître Moyses, Moïse l‟Africain, etc. sur la pensée proprement chrétienne –je songe en particulier à ce que peut en dire Maître Eckhart. Cette influence demeure toutefois limitée, me semble-t-il, non pas négligeable mais cantonnée à des aspects très précis. Ce qui m‟intéresse davantage, ce sont les spécificités de la philosophie juive et, du coup, ce qui, de ces spécificités, se lègue et se transmet à la philosophie tout court, de façon le plus souvent indirecte et indiscrète. J‟ai proposé, ailleurs (Qu’est-ce que la philosophie juive ?, Paris, DDB, 2004), un certain nombre de distinctions que je voudrais rappeler brièvement. Il faut tout d‟abord bien marquer la différence entre pensée juive et philosophie juive, comme je viens de le préciser. La pensée juive couvre une très longue chaîne de traditions écrites et orales, de la Bible hébraïque à la Kabbale, en passant évidemment par le Talmud et une myriade de commentaires quasi- infinis. La pensée juive constitue donc un corpus océanique propre au judaïsme, endogène. La philosophie juive provient en revanche d‟une confrontation avec une tradition tout à fait hétérogène au judaïsme, d‟une rencontre contingente avec la philosophie grecque, ses façons de questionner, ses concepts, ses problèmes, très différents des opérations herméneutiques de la pensée juive. La philosophie juive naît donc d‟une double impossibilité : impossible de faire comme si la philosophie n‟avait à nous instruire de rien ; impossible de faire comme si le don de la Loi n‟importait pas à la pensée. De cette double impossibilité, la philosophie juive fait son labeur. Il s‟agit pour elle d‟inventer des modes de traductibilité de ce qui provient du continent biblico-talmudique vers la conceptualité grecque, il s‟agit de traduire, et plus précisément, comme le dit Levinas, de « traduire en grec des questions que la Grèce ignorait », de doter des catégories issues de la pensée juive d‟une intelligibilité articulée selon des concepts. Ce fut un travail extraordinairement productif, et redoutable aussi.

145 Interviews Exemplairement on en voit les circonvolutions et les arabesques, si je puis dire, dans le Guide des perplexes.

Point 3 : Je reviens, comme vous le suggérez à juste titre, sur Maïmonide – qui est la figure inaugurale ou quasi-inaugurale (car il faudrait aussi évoquer Saadia Gaon), de ce que je viens de déterminer comme la double impossibilité de la philosophie juive, double impossibilité qui forme une tâche proprement philosophique. Maïmonide est beaucoup plus subtil que ce qu‟en disent bien des manuels, à savoir qu‟il serait simplement celui qui aura « rationalisé » le judaïsme ou encore proposé des modes d‟équilibration, voire d‟équivalence de la Philosophie et du Judaïsme. Je suis beaucoup plus sensible pour ma part à l‟extrême tension qui marque souvent la pensée maïmonidienne dans le Guide et à la signification du geste fondamental qui la manifeste. Il est remarquable que la forme d‟exposition du Guide obéit presque toujours à un processus déductif de type aristotélicien ou néo- aristotélicien. C‟est ce qui explique qu‟on ait pu y lire un rationalisme, s‟il l‟on doit ainsi qualifier une vraie confiance épistémologique dans le travail du connaître, dans l‟élaboration intellectuelle d‟un savoir possible. Mais il y a toujours aussi une conscience très aigüe, chez Maïmonide, que la vérité religieuse ne peut se dire en entier dans les concepts élaborés par les sciences les plus exigeantes. Ce constat tendu entre deux pôles ne saurait toutefois empêcher le philosophe juif de tenter de traduire les contenus de la révélation dans les mots, les notions et les concepts de la rationalité, fût-ce au prix d‟une déperdition et au risque d‟un malentendu, voire d‟un échec. Sans cette tentative d‟ailleurs, il ne serait même pas possible de montrer que les concepts ne suffisent pas à assurer la saisie des vérités physiques et surtout métaphysiques entrevues par intermittence, ni qu‟ils sont constamment débordés par elles. Il y a une communauté partielle de la philosophie et de la prophétie dont il faut comprendre les contours et les différences. On pourrait dire que, pour Maïmonide, la philosophie peut propédeutiquement faire office de « Torah par provision ». En effet, si elle entend dogmatiquement subordonner la totalité du sens à la raison et ne faire place à rien d‟autre qu‟elle-même, alors il convient, comme le fait le Guide, de rappeler que la prophétie a précisément pour vocation de libérer l‟autonomie des significations en excès et d‟exhiber ce qu‟elles peuvent avoir d‟inscrutable pour la rationalité. Aussi le geste qui se montre dans de nombreux développements du Guide procède-t-il d‟une véritable stratégie de débordement de la raison philosophique qui entend cependant lui faire à chaque fois pleinement droit. Maïmonide 1) reconnaît l‟opposition de la croyance religieuse et de la rationalité philosophique ; 2) il lit cette opposition comme un écart et une disproportion ; 3) il discrimine entre les conjonctures où l‟écart peut quasiment s‟annuler et celles où il ne se laisse pas réduire. L‟argumentation

146 Interviews suivra rhétoriquement l‟ensemble de ce mouvement : a) accompagnement conséquent de la démonstration jusqu‟à ses conclusions légitimes et b) indication, qui peut parfois sembler marginale ou concessive, alors qu‟elle est décisive, d‟une disruption de la concaténation démonstrative. On le voit dans la parabole du palais : là où paraît s‟indiquer le sommet de la pyramide, l‟accomplissement achevé d‟une figure de la vérité, le prophète vient fragiliser l‟édifice, il obliger à en reconsidérer la structure. Ce mouvement se retrouve à maintes reprises dans le Guide, par exemple au chapitre 32 du livre II où sont distinguées trois « théories sur la prophétie » qui recoupent plus ou moins les « trois classes d‟hommes » du chapitre 37. Je n‟ai pas le temps ici d‟entrer dans le détail de l‟exposition, car il faudrait développer la doctrine maïmonidienne de la prophétie. Mais le propos constant, en deux temps le plus souvent, consiste à établir d’abord une sorte d’identité de la philosophie et de la Loi, pour la désidentifier après-coup sur « un point », comme écrit souvent Maïmonide, qui risque fort de la ruiner. Autrement dit, la philosophie est pleinement légitime dans son champ propre, et pour autant qu‟elle est elle-même respectueuse de ses conditions d‟exercice et de ses exigences démonstratives. Mais il y a des problèmes théoriques où elle se trouve excédée, c‟est-à-dire où ses procédures hypothético-déductives et ses règles démonstratives ne sont plus efficientes. Il faut donc lui laisser tout le champ possible et aussi lui indiquer ses limites dès lors qu‟elle les franchit illégitimement. Cette thèse stratégique maïmonidienne, la thèse d‟une rationalité religieuse, se déploie à propos de deux grandes questions théologiques et philosophiques soulevées dans le Guide : les preuves de l‟existence de Dieu et le statut créé ou incréé du monde.

Point 4 : Il y a aussi une sorte de malentendu qui a présidé à la réception de la philosophie de Levinas. Le registre où s‟inscrit massivement cette pensée, c‟est, comme chacun sait, « l‟éthique ». Or sur ce terme d‟éthique et ses usages variés, il convient de n‟être « pas dupe », selon le mot de Levinas lui- même dans Totalité et infini. Dans la réception de l‟œuvre de Levinas au sens le plus large, le thème de l‟éthique et le thème, plus ou moins concommittant, de la responsabilité se sont surimposés, comme d‟eux- mêmes, et très légitimement. Mais il faut se souvenir que la réception de Levinas fut en bonne part réactive. La connaissance et la reconnaissance de l‟oeuvre ont été relativement tardives. Levinas, pendant une bonne trentaine d‟années, n‟a été ni lu ni entendu, sauf par quelques « amateurs » qui allaient l„écouter au Collège philosophique de Jean Wahl ou à l‟Ecole Normale Israélite Orientale pour ses lectures talmudiques du samedi matin. Marqués par le marxisme et l‟existentialisme, puis par le structuralisme, surdéterminés par la conjoncture politique (la guerre froide, les guerres coloniales, le thème mobilisateur du « changer le monde »), les grands débats de l‟après-guerre

147 Interviews en France l‟ignorent complètement. Le recul permet de comprendre ce qui s‟est passé, depuis le silence fait sur l‟œuvre jusqu‟à son accueil œcuménique. Les années soixante et soixante-dix furent très attentives à l‟Histoire, « avec une grande hache » comme dit Perec. L‟époque était soucieuse d‟urgences immédiates et collectives où l‟individu ne pouvait se donner « sens » qu‟en se subordonnant à un projet qui le dépassait et l‟englobait, à un projet révolutionnaire universel et mondial. Une méditation comme celle de Levinas, sur ma responsabilité pour un autre singulier quoi qu‟il fasse, au point que je peux être responsable de sa responsabilité même, et sur l‟unicité inentamable de la subjectivité répondante, ne pouvait alors qu‟apparaître intempestive. La conjoncture qui permit ensuite que Levinas soit lu est portée par une récession générale des « sciences humaines », surtout du marxisme et du structuralisme dominants dans les années soixante-dix, liée elle-même à l‟histoire du monde, à des événements politiques planétaires et en particulier à la fin du communisme. En promouvant une forme quasi-paroxystique de la responsabilité, de ma responsabilité, à moi, par-delà toutes les déterminations dont je peux bien être le siège, Levinas semblait autoriser, à rebours d‟une pensée jusque là dominante et à un certain moment de l‟histoire intellectuelle mais aussi politique, sociale, idéologique, une sorte de réappropriation de soi du sujet, de son individualité agissante, de sa capacité d‟initiative autonome. Or, c‟est là que je veux en venir, il y eut, sous bien des aspects, un vrai contre-sens dans cette réception. La responsabilité lévinassienne ne résulte aucunement d‟un « je veux » actif, elle constitue au contraire une prédétermination originelle du sujet, et, à bien y regarder, plus déterminante, venue de bien plus loin encore que l‟inconscient ou les rapports de production. Prise dans ce contre-sens, la pensée lévinassienne a couru le risque de se simplifier, de se schématiser et de se figer en quasi-idéologie morale. Or l‟ambition de l‟auteur d‟Autrement qu’être, œuvre majeure, n‟est pas de fournir, dans l‟éventail déployé des disciplines de la philosophie, de l‟épistémologie à l‟anthropologie en passant par l‟herméneutique, une théorie nouvelle de l‟éthique comme étude de l‟ethos, analytique du comportement humain moyen et général. Levinas ne nous propose pas de morale. Il nous enjoint même de veiller à ne jamais en être « dupe » – ce sont les premiers mots de Totalité et infini, je l‟ai dit. Il faut donc se garder de la tentation hâtive et périlleuse de chercher dans cette pensée une éthique prescriptive comportant des lois ou des règles normatives susceptibles d‟améliorer la qualité morale d‟une communauté historique donnée. L‟éthique de Levinas ne désigne jamais la systématisation plus ou moins cohérente de l‟ensemble des règles de conduite d‟un groupe humain. Elle ne fonde pas davantage la possibilité d‟une justification rationnelle des normes morales par ou sous un principe unificateur. Il est bel et bien requis de l‟entendre et de l‟interpréter en son sens extra-moral.

148 Interviews Que vise cette pensée, à quoi s‟efforce-t-elle ? C‟est là, précisément, que se tient l‟élément juif, das Jüdische, comme dit Rosenzweig, c‟est là que se traduit en grec quelque chose que la Grèce ignorait. Ce que cherche Levinas, ce qu‟il tente, c‟est de dire le « sens » de « l‟humain de l‟homme », c‟est-à-dire ce qui, de l‟homme et dans l‟homme, ne se laisse jamais totaliser sans reste ni comprendre dans une totalité de « sens ». La pensée de Levinas est une Ethique de l‟Ethique, selon l‟expression de Derrida, soit une éthique sans loi, sans concept, sans morale, et qui précède sa détermination en lois, en concepts et en morales. Il s‟agit moins de penser les fondements de la subjectivité que d‟en remonter le cours vers son archi-origine en suivant l‟axe incertain du rapport de l‟homme à l‟homme. L‟éthique lévinassienne propose de penser ce rapport interhumain sur le mode de la rencontre, de l‟inattendu, de l‟événement d‟une effraction, et plus radicalement encore comme un rapport à l‟infini, dont le visage, lieu de l‟effraction, dans sa dénudation absolue, serait la trace, le non-lieu. Le visage barre donc toute définition « à la grecque ». Définir le visage reviendrait à oublier l‟infini qu‟il signifie dans la finitisation de sa définition. Autrement dit : si l‟autre est ce qu‟il est, c‟est-à-dire s‟il est défini et quels que soient les contenus de sa définition, s‟il est enfermé dans une essence quelle qu‟elle soit, il n‟est plus l‟autre, il est ce qu‟il est, il est son être même. Ce ne sont donc jamais des propriétés étantes, des propriétés qui sont et qui font l‟autre, en son altérité de sujet singulier, mais son visage en tant que nudité « sans qualités », sans être identifiable. Autrui n‟est donc que son visage. Mais on remarque d‟emblée que l‟usage du verbe être pour « prédiquer » d‟autrui son « essence » de visage emporte de toute évidence une considérable difficulté puisqu‟il reconduit le visage à sa définition. Tout le philosopher lévinassien se tient, se tisse et s‟étire dans une attention aiguë au « destin sans issue où l‟être enferme aussitôt l‟énoncé de l‟autre de l‟être » (Autrement qu’être ou au-delà de l’essence, Livre de Poche, p. 16) et dans l‟incessant souci de dédire le dit où s‟enkystent nos énoncés. Cette attention fait son style philosophique et donne à son écriture une respiration inimitable, souffle et essouflement, emportement et dégrisement. Plutôt que de promouvoir une « fin de la philosophie », Levinas surcharge la philosophie. Il en accompagne l‟effort historial jusqu‟à l‟exaspérer en la dédisant, selon la surenchère qui l‟anime en propre, selon ce qu‟il nomme « son emphase » ou son « exaspération » par « excès de l‟expression ». Cet accompagnement de la philosophie en la dédisant consiste, pour Levinas, à « passer d‟une idée à son superlatif » (De Dieu qui vient à l’idée, Vrin, 1992, pp. 141-142). Pour répondre d‟un seul mot à votre question, à savoir où se tient foncièrement l‟« élément juif » chez Levinas, je dirais – dans cette confrontation inédite et philosophiquement articulée avec la question de l’être, où se profile la grande ombre de Heidegger. Rien ne permet encore de dire ce qu‟il restera de ce combat gigantesque.

149 Interviews Point 5 : Je répondrai très brièvement à votre question –elle ouvre à de « sombres temps », je crois, dans l‟histoire de la philosophie dont j‟ai été parmi d‟autres le contemporain. A ce que je viens de décrire à propos de Levinas, en effet, à cette énonciation philosophique d‟une ignorance philosophique, il faudrait ajouter l‟autre « élément juif » apporté à la philosophie contemporaine par le « judaïsme », je veux parler de Derrida. Je n‟ai pas le temps de montrer ici en quoi il y aurait, dans le projet même de la déconstruction, du judaïsme. Je me permets de renvoyer vos lecteurs à ce que j‟ai pu moi-même écrire à propos de « la circoncision comme philosophème » chez Derrida ou aussi à son entretien dans Questions au judaïsme ou encore au volume collectif Judéités publié il y a quelques années. Avec le recul, on pourrait dire qu‟autour de ces deux noms, principalement, Levinas et Derrida, et de façon très hétérogène, quelque chose du judaïsme a tenté de se dire au XXème siècle dans les mots même de la philosophie, lui faisant certainement violence, la heurtant dans ses traditions les mieux enracinées et ses ressources les plus marquées, la tordant selon des codes langagiers qui n‟étaient pas a priori les siens –ce que beaucoup de philosophes ont difficilement supporté, y voyant parfois un tournant théologique plutôt funeste. Il me semble que cette période ou cette séquence « juive » (il faut être très prudent avec cet usage ici) est désormais révolue – elle aura duré, comme un certain interdit qui a frappé l‟antisémitisme après la Shoah, une cinquantaine d‟années. Un certain nombre de philosophes s‟en réjouissent, je l‟ai dit, et accompagnent prestement la perte d‟hégémonie du « bloc lévinasso-derridien » (c‟est une expression que j‟ai entendue chez quelques- uns de mes collègues), voire d‟une « yéchivisation » de la philosophie à l‟Université (là encore je rapporte un propos entendu). Il est trop tôt pour savoir ce qu‟il en sera de ces apports « judéo-français » à la philosophie contemporaine, ce qui passera peut-être dans un héritage, ou pas. Pour ma part, je ne suis pas très optimiste, d‟autres signes d‟ailleurs vont dans le même sens et n‟incitent guère à se réjouir. Je dirais même que ce qu‟il convient désormais de penser, c‟est un certain type de rapport, plus ou moins patent ces temps-ci, entre la philosophie et l‟antisémitisme. Vaste programme… Nous verrons bien.

150 Interviews

Hungarian philosophy in the context of the European philosophy (Interview with Béla Mester by Tudor Petcu)

TP: At the beginning of our dialogue I wish to make reference to the meaning of Hungarian philosophy in the context of European philosophy. I mean I think it would be necessary to present in a relevant way the role that the Hungarian philosophy has played in the evolution of the European philosophy, especially western philosophy. So, what could you say about this topic?

BM: I can answer as a historian of philosophy who is focussed on the actual research project managed by him as a principal investigator entitled Narratives of Hungarian Philosophy 1792–1947 (from the Kantian debates in Hungarian philosophy to the prohibition of the academic periodical, entitled Athenaeum). Because of my intellectual background, and my field of research, all of my answers will be formulated from the point of view of an historian of the Hungarian philosophy, by other words, with a bias of a historian of philosophy. Your question refers to one of the fundamental problems of every nation-level historiography of philosophy, amongst them the ones of the greatest philosophical cultures of Europe. It is always a crucial question to find a well-founded link between the universality of philosophy, the role of philosophy in a national culture, and the role of the philosophical tradition of a nation in the universal (European) philosophy. In the self-reflection of the Hungarian philosophy, János Erdélyi‟s Philosophy in Hungary (1865–1866) has formulated a classical solution. In his great Hegelian vision of history of philosophy, the Hungarian story is a long march from the unconscious philosophical elements hidden in the structure of the Hungarian language (thesis) through the cultivation of the mainstream philosophies of the actual epoch in Latin (antithesis) till the happy end, when the Hungarian philosophy and its terminology in its native language is in harmony with the top (and

 Béla Mester (1962), PhD, Senior Research Fellow of the Institute of Philosophy, Research Centre for the Humanities, Hungarian Academy of Sciences, Budapest, Hungary; share- time associate professor of College of Nyíregyháza when he is an alumnus; member of the editorial boards of Hungarian Philosophical Review and Kellék; vice-president of the Hungarian Philosophical Society; Doctor universitatis of history of philosophy (ELTE University, Budapest, 1997); PhD of literary studies (UBB, Cluj, 2003, in Hungarian); PhD of political philosophy (ELTE University, Budapest, 2005); fields of research: history of early modern political philosophy, history of Hungarian philosophy.

151 Interviews end) of the universal philosophy that is Hegelianism (synthesis). Albeit, Erdélyi‟s vision cannot be continued in the historiography, it has an inevitable hidden influence on the opinions on the connections between philosophy and national culture. In general, a relatively small national philosophical culture like the Hungarian one has three strategies to find its position in the universal scene. We can try finding several star-philosophers in the past or in the present and using them as a wild card for the ornament of philosophy in international level. This method can work on the surface; I can identify Hungarian philosophy with the works of György (Georg) Lukács or with the theory of personal knowledge of Mihály (Michael) Polányi or with the philosophy of science of Imre Lakatos, etc. They are important names in the Hungarian tradition and known authors for the international audience of philosophy. I think it is an inevitable step for the self-understanding of the Hungarian philosophy, but it is not enough without offering a complete narrative of the history of the Hungarian philosophical traditions. Another way is to develop a detailed, philologically sophisticated history of the local receptions of the mainstream philosophies. It is not too easy and you cannot find a sensational result. If you are the best in this genre, at the end you can write a chapter about the Hungarian, Romanian, etc.) reception of Hume or Locke in a Cambridge volume on the Continental reception of British philosophers. At the first glance it is a highly boring field of research, but very important. If you look at the greatest manuals of an epoch of history of philosophy, usually you can find that there is no information about East-Central-Europe, or there are just general phrases without concrete data. (Recently you can see this phenomenon in Jonathan Israel‟s monograph on Radical Enlightenment.) Authors of these manuals are not guilty, they use the data offered by the historians of philosophy of our region; it is our task to modify the position of our region in the map of universal philosophy. However, the research programs of history of reception are needed and important elements of the self-reflection of the Hungarian philosophy; it is not enough alone; and it is counter-productive in several cases. The most interesting stories are based on the reception of different trends; sometimes they did not communicate with each other, both of them were visible from a Hungarian (or other Central-European) perspective, only. It would be fruitful a coordinated research-program to investigate the common philosophical patterns of our region from a comparative perspective.

TP: Which are the main philosophical approaches assumed over the years in the different academic milieus in Hungary? Can we talk about a strong Hungarian phenomenology, or about any analytical Hungarian philosophy, or so? Every country where philosophy was assumed as a field of research has had a specific and general philosophical tradition, as for example England, very well-known through its analytical philosophy, or Germany

152 Interviews through its idealism or phenomenology expressed by Edmund Husserl or Martin Heidegger. In this case, what about the philosophical tradition in Hungary?

BM: I think we should be careful with the concept of “national spirit” of philosophical trends. However, we can feel the differences of the philosophical climate of the national cultures of Europe; we should not forget that they are constructions of historiographies of philosophy embedded in different national cultures. However, Descartes and Leibniz were French and German persons, they did not identify themselves as French or German philosophers; nationalisation of their philosophies is a product of the centuries after their lifetime. This constructed and historical feature of the concept of the national character of philosophy is the clearest in the Hungarian case when the first program to make “Hungarian philosophy” (1830) was identical with the program to formulate a national narrative of the philosophical heritage of Hungary. Nowadays, boundaries of a philosophical part of a national culture have become more malleable than they were ever, both from the points of view of the linguistic and geographical boundaries. Hungarian philosophers in the neighbouring countries (e.g. Romania) are active participants of the philosophical lives of both countries. (A Hungarian philosophical periodical entitled Kellék is registered both in Romania, and in Hungary; another Hungarian philosophical periodical in Transylvania, entitled Többlet has a series of special issues for the presentation of the PhD-schools of Hungary, etc.) Hungarian philosophers of West Europe, and of the world, amongst them ancient emigrants, can participate in the Hungarian daily philosophical life. A new phenomenon in Hungarian culture is the presence of the Central European University (CEU). However, it is an international institution with international faculty members, established by the laws of New York State; it has become an integrated part of Hungarian cultural life. Its philosophical department was one of the best tens in Europe by a recent independent evaluation. Concerning the present trends of Hungarian philosophy we should mention at first the name of László Tengelyi, a great figure of the international scholar community in the field of phenomenology. He died in the last year, just after the conference by the opportunity of his 60 th birthday. However, he has spent his last years as a German professor in Wuppertal, he has always remained an important figure of the community of Hungarian philosophers; he was an active member of the advisory board of the Hungarian Philosophical Review, he has regularly participated in Hungarian conferences, and had publications in Hungarian. His figure mirrors the importance and quality of (German- and French-style) phenomenology in the contemporary Hungarian philosophical life.

153 Interviews Its counterpart is a significant Hungarian tradition of logic, based on our old tradition of mathematics. After its “war of independence” against the “dialectical logic” of the official Marxism, it has achieved an estimated position within the Hungarian philosophical life. The international significance of this discipline is mirrored in the long and multicoloured list of authors of the special issue of Hungarian Philosophical Review in English in memoriam Imre Ruzsa, the father of the modern Hungarian logics (2010). School of logic of our philosophical life has been connected with both the intellectual workshops of philosophy of science, and with the analytical philosophy. The former one is a relatively old tradition in Hungarian philosophy, the last one has appeared relatively later than in the neighbouring philosophical cultures. (It is a strange fact of the history of philosophy that the Vienna Circle has just a single member of Hungarian origin, and has almost zero influence on Hungary in the time when the cultural connections between Vienna and Budapest were vivid in other cultural fields.) In the last years, it was one of the most significant events of our philosophical life an open debate between the protagonists of the analytical and phenomenological traditions about the concept and meaning of philosophy. (Several years ago it was my task to edit a Hungarian special issue of the periodical entitled Filozofia of the Slovakian Academy of Sciences, as a twin of the special Slovakian issue of Hungarian Philosophical Review. By my conception as an editor, a report on this debate has represented our everyday scholar activities in a nutshell, for the Slovakian audience.) Philosophy of language has an important position; it is a field of research what is important both for analytical and phenomenological traditions, and for the logicians, as well. Historical point of view was always important in Hungarian philosophical tradition. Within this scholar community, Hungarian researches of the history of antiquity had traditionally estimated position in the international scene. Researches of early modernity, and Kantianism had always a distinguished importance in Hungarian philosophy, partly because of the role of the Cartesian and Kantian tradition in the history of Hungarian philosophy. A Hungarian speciality is the philosophical orientation of a branch of Hungarian sinology. This intellectual workshop has always genuine theories in the field of the interpretation of the history of Chinese thought; their last achievement is a new history of Chinese philosophy based on the traditions of Hungarian sinology, with an interesting analysis from the point of view of the (European–Chinese) comparative history of philosophy. Political philosophy and philosophy of law in Hungary, called “the country of lawyers”, has always a distinguished role in Hungarian philosophy, after the collapse of Communism had a relatively dominant position in the public sphere.

154 Interviews Aesthetics has a continuous tradition from the end of the 18th century, and it has significant intellectual workshops nowadays, as well. There is an actual research project for writing its history from its beginning, written in Latin till our age.

PT: Western philosophy has always accorded a huge attention to the relation between philosophy and theology although there is basically difficult to find too many common denominators, first of all because of their comprehensive logics. Of course, from this point of view there would be a lot to say, especially if we would need to take into account the modal logics as a way to explain the Reality in comparison with theology mostly based on a mystical worldview which has its own logics. But we shouldn’t forget about the different Christian efforts in the Middle Age to create a liaison, a strong connection between philosophy and theology, as Saint Anselm or Thomas Aquinas did. Anyway, what can you say about the way by which was defined the relation between philosophy and theology in Hungary and who were the main Hungarian philosophers focused on the analyses of this topic?

BM: In Hungarian philosophy, amongst the philosophers with Catholic identity, there has always been a significant neo-Thomist tradition from the end of the 19th century till nowadays. As a field of research, philosophy of religion has traditionally strong positions, especially from a historical point of view, both in the research centres of the church and state universities, and in our academy of sciences. There is a Catholic intellectual workshop for a new Christian philosophy, and on the other side has emerged a new, modernised atheist argumentation. Despite of these important phenomena, the main characteristics of the relationship of philosophy and religion in Hungarian tradition is mainly rooted in cultural identity of the philosophical authors, not in the question of the relationship between knowledge and faith, or similar classical topics. For example, Hungarian Cartesian movement, and the Cartesian debates of the 17 th century has appeared within the Protestant, dominantly Calvinist institutional network. In the same time, a Suarez-style late scholasticism was an exclusive Catholic discipline. Later, however, the Kantian debate (1792–1822) was organised by the new, religiously neutral public sphere of the printed brochures and periodicals, their main protagonists were mainly Protestants on both sides. As late as the age of the neo-Kantian philosophy of values in the end of the 19th century and in the beginning of the 20th century, the most important Hungarian school of this kind of philosophy has not any Catholic members. (It is the circle of Károly Böhm who was born in Banská Bystrica, today in Slovakia, was living for decades in Budapest and died as a professor in Cluj in 1911. Today there is a lecture room called “Sala Böhm Károly” for his memory in UBB.) In the same time, a young philosopher (Ákos Pauler, an

155 Interviews emblematic figure of the interwar period of philosophy in Hungary) with Catholic identity has developed his ethics on different foundations. He has not any Protestant disciples. At the same time, this strong denominational determination is does not work in today Hungarian philosophy, we must calculate with it as an important historical element.

TP: As far as I know, one of the most Hungarian philosophers was Ágnes Heller, who joined the communist party and so she began to develop an interest in Marxism. So, please describe us in some words her philosophical personality, so influenced by the school of the continental philosophy.

BM: Ágnes Heller belonged to the circle of the disciples of György Lukács. Albeit, Lukács was a member of the Hungarian Communist emigrant enclave in Moscow, and has come back as an aspirant for the leadership of the cultural life, after the Communist political turn (1948) he has been marginalised in political and cultural life. He and his disciples were always heretics of the Marxism in the eyes of the rulers of the country. In the years before Heller‟s emigration, she and other members of the same circle were the participants of the movement for creating a Marxist anthropology, and ethics, connected with the existentialism of this epoch. Based on the Hungarian philosophical traditions, all of the members of this circle has founded his or her opinions with serious researches in the topics of history of philosophy, connected their field of interest. (In the case of Heller these historical topics were the Hegelian movement in Hungary, Aristotle‟s ethics, and the Renaissance ideal of human being.) In the Communist bloc, there were only two relevant intellectual workshops of this movement: Budapest school, and the Praxis Circle in Zagreb. (There were several very important individual authors of this genre in Poland, as well.) They have appeared in the scene of politics with the Korčula petition against the Soviet occupation of Czechoslovakia. (Korčula is a Croatian island when there were usual summer universities in this time, offering a free meeting point for the reform-Marxist philosophers of the Communist bloc.) It is symptomatic that almost all the significant figures of this scene had to emigrate in the seventies both from Poland and Hungary, and the periodical of the Croatian Philosophical Society; entitled Praxis was prohibited in the same time. In the Hungarian case the turning point was the “philosophers‟ trial” in 1972, just after the death of György Lukács, in accordance with the Conservative turn of the Hungarian Communist politics, against the economic reform (1968), and its possible consequences for the culture and politics. After the trial, the majority of the disciples of Lukács left the country, and the main figures of the second generation of the Budapest school (by the slang of the Hungarian intelligentsia the “Lukács-kindergarden”) became inland

156 Interviews dissidents in Hungary, without a normal job. However, Ágnes Heller lived in Australia and in the USA; at the same time she remained the follower of the Continental tradition. In her new works written in America, and after the collapse of Communism, again in Hungary, from her earlier period remained an interest in the ethical and anthropological problematics. In the time of her emigration the biggest influence on her was the intellectual climate of the New School in New York. In here she was the heir of the position of Hannah Arendt. New School itself has been established by European (mainly German) emigrants, as well. The intellectual positions of Arendt and Heller had important similarities; they were refugees of different totalitarian regimes, and followers of European Continental philosophical traditions in America. Arendt‟s totalitarianism-book has a special importance for the Hungarians, because of its additional chapter about the revolution of 1956 omitted from some editions. Both the anti-totalitarian political philosophy of Arendt and her model as a public intellectual have been deep influence on Ágnes Heller; it is an important addition for the interpretation of Heller‟s later works.

TP: We shouldn’t forget to highlight the contemporary philosophical theories in Hungary, because in our days it’s very hard to find a philosophical task given the technological revolution and the development of pragmatism. I am saying that because the general question that is addressed even in the British and American schools of philosophy is the following: what role can play philosophy in our days, in a society where science is evolving on and on? But in spite of this fact and according to the question I have mentioned above, there are numerous contemporary philosophical views related especially to politics, science and economics. So, which are the most important contemporary Hungarian philosophical theories and approaches?

BM: I should speak first of all about the institutional embedment of philosophy in Hungary in the Communist era, after its collapse, and today. The Communist political turn after the WWII has destroyed the institutions of philosophy. There were three years without any academic periodical of philosophy, later, a few volumes of Philosophical Yearbook was the only terrain for the publications. Philosophical studies were possible in an institute directly controlled by the Communist party, only, in the Stalinist era. In Kádár‟s Hungary, the situation seemingly has been normalised; an academic periodical has been (re)founded, and philosophy became an integral part of the higher education. The price of this normalisation was a highly restricted position of philosophy in higher education and in intellectual life; (emission of MAs of philosophy was the privilege of the ELTE University in Budapest, in every second year, not for too many students). After the collapse of communism, Hungarian philosophy as an institutional system

157 Interviews and as a scholar community has been reconstructed, soon. Hungarian Philosophical Society has been (re)established in the last years of Communism, amongst the other early endeavours of the reestablishment of the civil society; new philosophical intellectual workshops, periodicals, educational programs, and PhD schools have been established in every significant Hungarian university. Emigrants and inland dissidents have appeared in the universities, with their new points of view. Several philosophers of the research institute of the Academy of Sciences who was artificially separated from the university sphere, and from the possibility of to teach the youth has become professors in the universities. In this situation, philosophy has achieved relatively better positions in public sphere; several philosophers assumed the role of the public intellectual in the media (e.g. Ágnes Heller). In spite of the presence of philosophy in public sphere, it remained a kind of elitism in the behaviour of our scholar community. It was partly a reaction to the ideological-political usage of philosophy, struggle for the autonomy of philosophy as an academic discipline. (There were similar reactions amongst the scholars of literary studies, against the social determination of literature, formulated by Marxism, and for the autonomy of artworks.) A consequence of his (partly hidden) elitism is that applied forms of philosophy, e.g. applied ethics have relatively smaller role in Hungarian philosophy that in other countries in our region. Nowadays, the institutional background in the education has restricted again. Philosophy is a part of the curricula of just a few secondary grammar schools, and the right of the teachers of philosophy for teaching ethics is continuously contested by the authorities. Programs of philosophy and PhD-schools are in a dangerous situation in almost every university. A new tone of the language of Hungarian politics, which has turned gradually to an anti-intellectual, pseudo-plebeian rhetoric, does not offer a good chance for try a significant role of philosophy in the public affairs. Under conditions of an anti-intellectual political language, and an elitist philosophical self- identity, there are two types of the reflections to the modern world. The first one is trying to understand our scientist modern world. Hungarian tradition of philosophy of science can offer relevant answers for scientist worldview, by the philosophical analysis of the keywords of different disciplines, which are not reflected ones within the framework of these disciplines. In the last years were important philosophical discussions e.g. about the meaning(s) of the (different) concept(s) of the evolution, on the possibility of the demarcation between artificial and human minds, etc. Another way is a kind of a well-established philosophical critique of several phenomena by the disciplines like bioethics, ecological philosophy, and so on. Albeit, these applied philosophies has not enough strong

158 Interviews positions in the academic sphere of philosophy, they have a significant laic audience in the circles around several cultural periodicals, and in the sphere of the Hungarian branch of the international movement of philosophical cafés. Maybe, this scene will be the basis of the reestablishment of Hungarian philosophical tradition. We must remember that in the 1880s, Philosophical Circle of Budapest (ancestor of Hungarian Philosophical Society, established in 1901) was the initiator of the reform of the social embedment of the Hungarian philosophy, out of the academic sphere, as a part of the vivid cultural life of the Budapest cafés.

159 Book reviews

Gelu SABĂU La fin de la croyance (Sam Harris, Sfârșitul credinţei: religie, teroare şi viitorul raţiunii, trad. Alexandru Anghel, Bucharest, Herald, 2016)

Le livre du neurosavant américain Sam Harris, La fin de la croyance. Réligion, terreur et le futur de la raison, a été écrit tout de suite d’après les attentats du 11 septembre 2001 et publié à New York en 2004. Le livre a été traduit en roumain cette année aux Editions Herald de Bucharest. Si l’on pense aux événements de ces derniers 15 ans qui sont passés depuis les attentats qui ont abattu les Tours Jumeaux et à l’état d’ésprit qui domine l’Europe dans ce moment-là, il nous semble que le sujet du livre est plus actuel aujourd’hui qu’à l’époque où le livre est apparu. Tel qu’on peut le déduire du titre, le livre parle du phénomène terroriste, de son lien avec la religion (spécialement la religion islamique, mais non seulement) et de la raison qui doit se rapporter d’un point de vue critique à ces réalités. La thèse de l’auteur est claire, radicale et soutenue avec décision: au fondement du phénomène terroriste de nos jours se trouve la dimension irrationnelle de l’esprit humain, qui se manifeste, spécialement, par la foi religieuse. Si la thèse de l’auteur, aussi bien que quelques-unes de ses affirmations, peuvent être surprenantes pour quelques-uns des lecteurs, il faut le dire dès le début que Harris est connu comme l’un des « quatre chevaliers du nouveau athéisme », avec Daniel Dennett, Richard Dawkins et Christopher Hitchens. L’auteur est un apologète décidé de la raison et du sécularisme, comme forme d’organisation sociale, mais, à la différence des athées classiques, il parle de la dimension spirituelle de l’existence humaine. Dans ce sens-là Harris fait la distinction radicale entre la foi religieuse et la spiritualité. La spiritualité est définie comme une forme de prise de conscience de son propre soi, détachée des représentations dogmatiques sur le monde, spécialement à l’aide des techniques de méditation. Par la foi religieuse ou croyance on comprend le contenu narratif des religions, en parlant spécialement de trois grandes religions de l’Occident : le judaïsme, le christianisme et l’islam. Harris fait la séparation radicale entre les deux, il est un critique dur de la religion et un promoteur d’une spiritualité sans religion. Cette conception est largement présentée dans un autre livre (Waking Up. A Guide to Spirituality without Religion, Simon & Schuster, 2014, traduit en roumain aux Editions Herald, 2015), mais elle apparaît aussi subjacente dans le livre que l’on discute maintenant. Lorsque l’auteur parle de la croyance, il envisage d’abord la croyance telle qu’elle est comprise littéralement dans les

 Lecturer, Hyperion University, Bucharest, Romania, e-mail: [email protected]

160 Book reviews textes sacrés. Cette méthode de travail présente des avantages, mais elle a aussi des nombreux inconvénients. L’avantage consiste dans le fait que, du point de vue sociologique, la plus part des gens comprennent littéralement leur propre foi. De ce point de vue, une telle méthode nous rapproche réellement des données empiriques existantes en réalité. Harris nous offre dans ce sens des nombreux exemples des manifestations bizarres des différentes orientations religieuses des Etats Unies, comme résultat de l’interprétation littérale des passages de la Bible. L’interprétation littérale de la Bible conduit à ce que Paul Tillich appelle « croyance idolâtre », qu’il veut l’expulser du domaine de la religion. Par contre, Harris considère que cette « croyance idolâtre » est tout à fait représentative pour les traditions religieuses : « Mon argument envisage, finalement, la majorité de croyants de toutes les traditions religieuses, et non seulement la paroisse sans tache de Tillich, composée d’un seul croyant » (66) La croyance est comprise comme simple opinion sur quelque chose qui normalement ne peut pas être démontrée, et le mythe est conçu comme une fable, souvent absurde. Le résultat de cette perspective est une foi aveugle pour laquelle l’homme est prêt à agir, violent parfois, contre son prochain. Les exemples présentés dans le livre sont les exemples classiques dans ce sens: l’Inquisition et l’Holocauste. L’Inquisition est la conséquence d’une conception sur le Dieu et sur la Vérité monopolisée par l’Église, et suppose, par conséquence, l’élimination de ceux qui ne correspondent pas à cette conception (les hérétiques). C’est sûr que pour la conscience de l’homme moderne beaucoup des raisons pour la condamnation des hérétiques sont dérisoires ou ridicules, mais elles ont produit des effets tout à fait réels. L’Holocauste est la conséquence d’une foi aveugle, mais cette fois-ci, dans l’idée de la supériorité de la race arienne et dans le destin providentiel du Führer. Même s’il s’agit d’un phénomène séculaire, l’Holocauste est la conséquence d’un antisémitisme qui a des racines théologiques: « l’haine pour les juifs en Allemagne a été (prédominant) séculaire, mais cette perspective représentait en fait l’héritage directe du christianisme médiéval » (102). Malheureusement, cette affirmation qui soutient l’hypothèse d’une filiation directe entre l’antisémitisme modèrne et celui d’origine théologique médiévale n’est pas accompagnée d’une démonstration. La démonstration aurait été d’autant plus nécessaire, dans les conditions où il est connu que l’antisémitisme modèrne a été nourri (sauf les raisons économiques ou sociales) par une réaction aux valeurs de la modernité auxquels les juifs se sont rallié, rajoutée, en Allemagne, par la théorie de la suprématie de la race arienne. Dans la suite vient la critique du phénomène terroriste, vu comme une conséquence directe des valeurs proposées par la religion islamique. Donc, la critique du terrorisme est en fait une attaque directe sur la religion musulmane. Le rapport entre l’Occident et le monde musulmane est vu par

161 Book reviews le prisme de la guerre des civilisations: « Nous sommes en guerre contre l’islam » (109), c’est le verdict clair de l’auteur. La religion musulmane est critiquée d’abord parce que l’interprétation littérale des versets du Coran (et l’auteur cite des pages entiers de tels versets) encourage directement la violence. Puis, il s’agit des valeurs imposées par l’islâm au monde musulman qui n’encouragent pas du tout une réaction critique par rapport aux actes extrêmes de suicide terroriste. Par contre, le monde musulman dans son ensemble et les musulmans modérés encouragent le phénomène terroriste. Les chiffres dans les sondages d’opinion sont rélévantes dans ce sens-là: entre 20% (Turquie) et 80% (Liban) des habitant des pays musulmanes sont d’accord avec les attentats suicide au bombe ! Un autre cas, représentatif de ce point de vue, est celui de l’écrivain Salman Rushdie, accusé de blasphème et condamné à la mort. Dans tout le monde islamique il n’y avait pas aucune voix importante pour défendre l’écrivain origine indienne. L’auteur combat aussi les points de vue divers sur le phénomène terroriste: les séculaires, les relativistes et les représentants de la gauche, qui pensent que le terrorisme est une réaction du monde arabe par rapport à la agression de l’Occident sur le Moyen Orient. Aux séculaires, qui soutiennent que les hommes sont motivés en général par des intérêts politiques ou économiques, puis ils cherchent des justifications religieuses pour leurs actes, Harris leur répond que le discours religieux est efficace, en fait, exactement parce que les hommes l’y croient. La croyance est, donc, la dernière justification pour des actes extrêmes. Aux gauchistes, qui jugent le phénomène terroriste dans la perspective d’une réaction par rapport à l’Occident, leur répond que, tout au long de l’histoire il y a eu d’autres territoires occupés et des populations agressées (palestiniens chrétiens, tibétains, indiens etc.) mais ces gens-là ne se sont pas suicidés, en tuant des innocents. Les idées du jihad et du martyre, spécifiques à l’islam, peuvent très bien expliquer ce type de comportement. L’auteur critique aussi le relativisme et le multiculturalisme qui dominent l’Occident et affirme que « dans une guerre des civilisations, le pragmatisme n’est pas très pragmatique. La disparition de la conviction qu’on peut y avoir raison, à tous égards, il semble être une recette pour le chaos apocalyptique imaginé par Yeats, quand ”aux meilleurs de nous leur manque une foi, et les pires sont les prisonniers des passions démesurées” » (185). La réponse de Harris consiste dans une apologie pour un rationalisme capable d’imposer une étique universelle du bien et du mal, corroborée d’une recherche spirituelle par laquelle les individus peuvent se découvrir et se connaître eux-mêmes. Les gens peuvent être ainsi encouragés à dépasser par la raison les obstacles d’ordre éthique, religieux ou racial qui les séparent maintenant. La conclusion est claire: « On peut être raisonnables. La raison seule, par sa nature, est celle qui peut unifier l’horizon cognitif et l’horizon moral. La raison n’est, ni plus, ni moins, que le gardien de l’amour » (196).

162 Book reviews Voilà donc quelques idées principales soutenues par l’auteur dans son livre. Mais, au-delà des points positifs du livre, il présente aussi quelques inconvénients. Les points faibles du livre proviennent de la manière dont l’auteur traite le sujet. Lorsqu’il parle du sens littéral des textes religieux, l’auteur ignore le fait que chaque religion possède divers traditions herméneutiques, qui essayent exactement d’harmoniser les textes sacrés et de leur donnés un sens moral ou spirituel. C’est assez banal que la Bible ou le Coran contiennent des contradictions internes, mais ces textes ont été interprétés chaque fois pour leur donnés un sens cohérent. A partir de l’idée que Dieu est l’auteur de la Bible et qu’il faut comprendre littéralement le texte de la Bible (c’est vrais que beaucoup de croyants pensent ainsi), on arrive à faire des affirmations vraiment naïves du point de vue théologique: « Il est certain que le dogme chrétien de la naissance d’une vierge et une bonne partie de l’angoisse de l’Église en ce qui concerne la sexualité ont été le résultat d’une traduction erronée de l’hébraïque » (95) ou « Jésus Christ – qui a été né d’une vierge, a trompé la mort et s’est enlevé en corps au ciel, tel qu’on l’a prouvé – peut être mangé sous la forme d’un gâteau. Quelques mots en latin débitées sur ta boisson préférée, et tu pourras lui boire le sang. Est-ce qu’il y a des doutes que s’il y avait une seule personne dans le monde qui aurait pu croire quelque chose de pareille, cette personne aurait été regardée comme folle? » (74). Et les exemples similaires pourraient continuer. On trouve la même insuffisance lorsque l’auteur parle du Coran et de la religion islamique. Sa seule démonstration consiste dans la répétition de passages du Coran qui incite à la violence. Il ne dit rien sur les factions religieuses existantes à l’intérieur de l’islam. Il ne dit rien sur les traditions herméneutiques de l’islam. Il ne dit rien sur le fait que dans le XIXème siècle il y avait dans le monde musulman une forte tendance moderniste et rationaliste (représentée par des théologues tels que Muhammad Abdush ou Rashid Rida) qui avait essayé d’harmoniser la Coran avec la science moderne. Cette tendance n’a pas été marginale, mais, par contre, elle a été représentative pour l’esprit musulman de l’époque. Il ne dit rien sur le fait que l’interprétation littérale du Coran, initiée par al-Wahhab dans le XVIIIème siècle, a été marginale dans le monde musulmane jusqu’à la moitié du XXème siècle, quand elle devienne influente et commence à inspirée les mouvements radicaux. Qui-est c’est qui a produit ces changements? Quels ont été les causes qui ont influencé ces réorientations dans le monde musulman? On ne sait pas. Tous ces déficiences du livre nous donnent parfois l’impression que l’auteur ne connaît pas très bien ou qu’il se rapproche d’une manière inadéquate de l’objet de sa critique. Et, finalement, le projet de Harris de séparation entre la spiritualité et la religion enlevé aussi des questions. Est-ce qu’il est possible d’avoir une spiritualité sans foi religieuse dans les conditions où toutes les formes

163 Book reviews d’exercices spirituels, prières ou méditation ce sont nées à l’intérieur d’une tradition religieuse? Est-ce qu’on peut avoir une spiritualité purgée des représentations de l’imagination, qui représente, finalement, sous la forme d’un mythe, des aspects rélévantes de la vie intérieure? Est-ce qu’on peut avoir la garantie que l’irrationnel, dans sa forme négative et destructive, ne trouvera pas une autre forme manifestation si les religions, dans leurs formes classiques, disparaitront? Les gens, ne trouveront-ils d’autres prétextes pour se tuer? L’expérience du XXème siècle nous montre que l’esprit destructif a toujours eu la capacité de se cacher sous le visage de meilleures intentions. Seulement l’exercice du discernement et de l’amour peut lui résister.

164 Book reviews

Dragoş MÎRŞANU

The Lion’s World: A Journey into the Heart of Narnia (Rowan Williams, The Lion’s World: A Journey into the Heart of Narnia, New York, Oxford University Press, 2013)

The fiftieth anniversary of the death of the writer, literary critic and Christian polemicist C. S. Lewis (most widely known as the author of Mere Christianity and/or of the Chronicles of Narnia) has presented an occasion for new publications celebrating his life and revisiting his works. Alongside new biographies such as the one written by the historical theologian and Christian polemicist Alister McGrath (C.S. Lewis – A Life: Eccentric Genius, Reluctant Prophet, London: Hodder & Stoughton, 2013), a short and rather surprising work has made its way on the shelves of the booksellers. The Lion's World: A Journey into the Heart of Narnia is an intimate and evocative discussion of the key messages and themes running through the Narnia stories by the eminent theologian Rowan Williams. That a professional theologian would take pains to consider Lewis seriously is almost a first, and certainly reflects a fresh approach. Confessing now to have been “repeatedly humbled and reconverted by Lewis,“ Williams finds himself a long way away from the time he was first being educated as a theologian, when Lewis was being read enthusiastically by “unsophisticated“ people but considered to be a “slightly embarrassing phenomenon“ by the elite (X-XI). As it had been already recognized before Williams, for instance by one of Lewis biographers, George Sayer, the Narnia stories undoubtedly have a theological content (e.g., the stories of the creation, the temptation, the fall, and of death, atonement, hell and heaven); however, while written with an inherent theological depth, they nonetheless do not represent a materialization or depiction of a supposedly worked-out theological scheme: “The author almost certainly did not want his readers to notice the resemblance of the Narnian theology with the Christian story. His idea, as he once explained to me, was to make it easier for children to accept Christianity when they met it later in life. He hoped that they would be vaguely reminded of the somewhat similar stories that they had read and enjoyed years before. « I am aiming at a sort of pre-baptism of the child's

 Independent researcher; e-mail: [email protected]

165 Book reviews imagination. »“ (G. Sayer, Jack: A Life of C.S. Lewis, 2nd. ed., Wheaton, Illinois: Crossway Books, 1994, 318-9). In more or less the same vein, Williams suggests that Lewis's fundamental aim is to help us sense what the experience of God is “like,“ without resorting to the usual religious talk: “I want to capture something of what Lewis is trying to do in communicating... the character, the feel, of a real experience of surrender in the face of absolute incarnate love. (...) Whether for the jaded believer or the contented unbeliever, the surprise of this joy is worth tasting“ (7). For Williams, Lewis is particularly inspired when he achieves a rather unusual definition, or a redefinition, of “transcendence.“ Instead of being a matter of distance (e.g., beyond our understanding), we should see it in terms of difference, of strangeness. In Lewis, thus, “transcendence is the wildness of joy“ and is expressed in terms of rebellion, as “the truth of God becomes a revolution against what we have made of ourselves“ (139). The rightful king of Narnia, Aslan the Lion, who promises in The Lion, the Witch and the Wardrobe a (subversive) “meaning“ makes his first appearance as a rebel against the established order, not as its possible guarantor; thus, against the “ordered state of sin,“ (55) stands an “unpredictable world of grace“ (52). Choosing to make his “divine“ presence an animal Lewis ran the risk of trivializing but at the same time gave himself significant opportunities and certainly gained the attention of the intended readership. Not being a Tame Lion is an important feature of Aslan, who, while being “good“ is meant to be also “unsafe.“ In Silver Chair, the witch-queen in the “Underland“ tries to promote the idea that the world above is a myth and a dream, while the Lion is a fantasy produced by thinking of a bigger cat. The refusal to turn one's back to Aslan even if Aslan is a fiction allows Rowan Williams to link it to Dostoevsky's famous assertion that, faced with the choice between Christ and the truth, he would choose Christ. (60-1; cf. his own Dostoevsky: Language, Faith and Fiction, Waco, TX: Baylor University Press and London: Continuum, 2008, Ch. 1: “Christ against the Truth?“, 15-62). As we have enslaved ourselves, the invitation to rebel is actually an invitation to “a revolution against what we have fairly consistently thought we wanted and who we fairly consistently thought we were“ (140). We shall be able to sustain this revolution by means of self-examination but, more so, by being “engaged in conversation with a highly dangerous stranger,“ that we may come to trust following each our own path. “If you are thirsty, you may drink,“ says the Lion; there is but one stream, however “there is no approaching him without an overwhelming sense of risk“ (63): “the challenge is whether we can believe that, often in spite of appearances, it is a well-spring of joy.“ (70). Aslan cannot make the experience of meeting him

166 Book reviews easy for people settling for half-truths (75) and, while we need to declare to God our willingness to be cured, only his claws “can strip away the entire clothing of falsehood with which we have surrounded ourselves“ (86), unmasking our uncomfortably real self, as seen by the eye of God. To see yourself as a reflection of how Aslan sees you does not mean you would necessarily accept this as a being true: such denial means falling into the temptations of unreality (102-7). Finally, being “surprised by joy“ speaks of the joy of truth itself that “happens when we are not analysing ourselves,“ but as an answer to our longing, to an insatiable thirst (108). For Lewis, being stripped of our private version of reality and leaving behind a self-centred perspective offers the possibility to sense hitherto inaccessible dimensions to the world. Lewis reminds Williams of Maximus the Confessor“s theology of the logoi, when he portrays the encountering of “the connectedness of all that is around us to its inexhaustible root or ground in the divine - the connectedness of the various mountain spurs to the central massif of Aslan's country“ (141-2; cf. 119-120). Williams“ exploration of theological themes is rounded up with a discussion of hell and heaven, death and the end of all things (with the possible influence of, among others, Plato and Augustine). It is also worth mentioning that Williams does not refrain from engaging the critics of Lewis' Narnia stories (Ch. 2). Showing first the inspiration he drew from older children's literature, Williams mildly defends Lewis up to a point from accusations of racism and cultural prejudice (“the West and the rest“), sexism and misogyny (“a preference for the extremes of the spectrum where female characters are concerned – witch-queens and nannies“), and violence (inhabiting “quite uncritically the conventions of chivalric adventure“). For Williams, however, “what is interesting is not how Lewis reflects the views of an era but how he qualifies them in obedience to the demands of a narrative or a spiritual imperative or both“ (46). To sum up, I applaud Williams' interpretation of the theological ideas in the Narnia stories as a convincing recommendation for Lewis as not just the “mere“ trilemma apologist, but also as an imaginative theologian, for children and adults alike.

167 Book reviews Mihail TARAŞI

Plasticity as visual artistic stake of the geometric structures (Mihály Jenö Bartos, Composition in Painting (2nd edition, revised), Iași, Polirom, 2016)

Mr Jenö Bartos’s book discusses the artistic act from the professional perspective of the syntactic arrangement of retinal language elements. In this context, the composition is engaged as an architectonic system based on the need of reinforcement capable of rigorously supporting the construction of a work of art. Beyond the strictly methodological aspects, visual composition, seen as the modern science of arranging scopic elements (point, line, form, colour), is treated as a structural system with two organically coupled directions: 1) a “load bearing”, visual one, which must satisfy the natural (physiological) conditions of perception, 2) a cultural dynamic function (seen as plasticity), based on the elasticity of the for-mentioned structure – with the technical role of order generating geometric support – elasticity which permits their permanent adaptation to various scopic formal situations1. The disciplinary engagement of composition in this manner means, in short, that compositional structures are both geometric structures as well as plastic ones. Thus, they offer both the technical support as well as the seen, artistic quality to the work of art. If from a methodological point of view, plastic structures can be understood as a shell of geometric structures – the visible exterior of the work of art – the stake of expressive plastic unity of a work’s meaning, seen as the artistic goal of a syntactic order, involves another kind of relation that goes beyond the methodological one. Within the compositional framework described in this book, plasticity fundaments the artistic autonomy of the artistic act, just as a work of art (as a plastic space) “represents the state of a self-sufficient universe, equivalent to the real one” (18) The organic independence of this universe, as a self- consistent and self-sufficient alternative to normal scopic perception of the world, is outlined by the plastic identity of the painting, understood as an auctorial act defined by compositional logic. In other words, the professional stake of ordering elements in a painting (an author’s compositional stake) is always plasticity, seen as a special channel for visual relations between people, which, in order to arrange plastic space, calls for a

 Associate Professor, Ph.D. at ”G. Enescu” University of Arts, Iasi, Romania, email: [email protected]

168 Book reviews constructive formula which strives to streamline both the objective and the subjective components. According to Mr. Bartoș, objectivity means constructive elements of a technical structural nature – geometric structures, ordering principles; grammar of language – while subjectivity is understood, following its normal auctorial logic (creative personality; the infinite representation of natural shapes), as a human motivational availability inherent to any artistic act, which must be compositionally administered according to artistic autonomy norms within the plastic space. Under these conditions, subjective factors only manifest themselves through objective ones. When looking at the relations between subjectivity and objectivity, the objective visual structures2 are seen as virtual objective structures (17). This means that the objectivity of the scopic physiologic grounds for the constructive organisation of a pictural space – present in the professional training as a set of schematic methodological rules for space organisations – represents the source and the guideline for building the artistic as a possible quality of a visual representation (which situates that representation in an alternate space to the one based on the normal visualisation of the surrounding environment), quality which can be obtained by the author, only individually, based on the operationalization and not on the simple presence of methodological schemes in the work of art. In other words, the endless possibilities of plastic operationalization of technically objective structures engage them as a possible generator of understood artistic quality, in this case, as a particular visual situation that can appear only when an author succeeds in transcending the technical methodological character of this structure. Following this, artistic quality is a virtual quality of these structures that is the result of turning them into artistic structures, moulding process in which the technical objectivity of compositional structures is redefined as plastic objectivity. This type of composition implies the simultaneous administration of two types of objectives (a) a technical and (b) an artistic one that is, constructively speaking, independent, which infers that artistic objectivity ratifies technical objectivity as a source of its quality. The methodologic rigor of such an order means especially the acceptance of the differences between the precise normative power of a technical ruleset and the generous offer given by the principle seen as a possibly artistic, infinite and different from the norm. This means that the constructive norm only works in a qualitative way if understood as a plastic composition principle that “ensures the optimal fundamental framework and the necessary conditions for the evolution of forms in a plastic space” (92) and not as a “recipe”. For Mr. Bartos, the rules of composition: a) unity and diversity; b) order and disorder; c) Harmony (symmetry, proportion, balance, rhythm) –

169 Book reviews manifest themselves as three plastic principles that work as is, not individually, but within a dynamic relationship which implies finding a solution for the polar contradictions within the first two rules through the unifying nature of the third – harmony – where “The plastic order includes (naturally) the obligatory presence of harmony…” (95). Plastic principality means, in this case, that none of the three has, artistically speaking, normative independence. In the absence of their harmonic unity, separately, they can only represent quantitative norms – as an accounting, taxonomic presence within the work, of a technical ruleset being fulfilled – whereas their harmonic unity means “… the special qualitative state of the order principle,” (96) which can engage the act of painting as a form of reflection over the harmonic order of the world. With the relatively new resurrection of painting as a medium for contemporary artistic expression, Mr. Jenö Bartos’s plea for order, seen as order of the plastic space – which implies a disciplinary aura for composition, different from its old, well known methodological quality regarded as useless by both old and new avant-gardes – could mean a solid professional guideline for those interested in building a visual work of art through the plastic operationalization of points, lines, forms and colours.

Notes

1 For example, the reinforcements of abstract works – the hidden geometric structure of a painting which determines the order with which visual elements are represented (for abstract painting, they are the point, line, form, colour) – are based on the same normative guidelines as very realist works. What differs there is that, using the same ruleset, the points, lines etc. are arranged in such a manner that they portray recognisable natural forms. 2 In the field of professional theory, the objectivity of these structures is basis on which the whole grammar of retinal language has been based (in its modern scientific form). The norms for articulating scopic language elements follow the objective logic of structural perceptive conditioning imposed by the human visual apparatus. See Johannes Itten, Kunst der Farbe Subjektives Erleben und objektives Erkennen als Wege zur Kunst, 1983, Otto Maier Verlag Ravensburg, p. 21.

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