LIVRET REF – L. 008 L’EMPIRE KOUCHAN

L’EMPIRE KOUCHAN

Datation incertaine

(1er siècle av. J.-C. à 3ème siècle après)

Kaniska 1 er (Monnaie)

© www.kergour.com Reproduction Interdite Janvier 2013

PROLOGUE – Les YUECHI

Nous devons vous entretenir des KOUCHANS et pour ce faire, il nous faut vous parler des YUE- CHIS. Et si nous vous parlons des YUE-CHIS, il nous faut mentionner les TOCHARIENS.

Certains spécialistes veulent que TOCHARIENS et YUE-CHIS soient deux peuples distincts bien que proches et peut-être cousins. Pour d'autres, il n'y a pas deux peuples mais un seul peuple TOCHARIENS / YUE-CHISYUE-CHI étant le nom donné par les Chinois aux TOCHARIENS. Nous adopterons la dénomination YUECHI qui pourrait se traduire par « CLAN DE LA LUNE » (yue = lune et chi = clan).

Au cours du premier millénaire avant notre ère, les YUECHI nomadisaient dans les environs du Bassin du TARIM (aujourd'hui au Nord-Ouest de la REGION AUTONOME du XINJIANG et à l'Ouest de la Province du GANSU de la République Populaire de CHINE). Il semble bien établi que les YUECHI étaient des INDO-EUROPEENS, parlant une langue indo-européenne : le TOCHARIEN.

Le peuple YUECHI se scindait en cinq clans ou Tribus : XIUMI, GUISHUANG, SHUANGMI, XIDUN et DUMI. Chaque clan avait son propre chef (dénommé un YABGNU). Ce peuple était bien organisé et sa population était importante : plus de 100 000 Les YUECHI étaient considérés comme étant riches et ils possédaient plus de 300 000 chevaux.

Il semble que les YUECHI ne menèrent pas systématiquement des raids de pillage surla Chine comme le firent la plupart de leurs voisins nomades et les relations YUECHICHINE étaient bonnes avant de devenir, pour un motif singulier, d'excellentes relations, au cours de la deuxième partie du premier millénaire avant notre ère. Le jade était alors « à la mode » et la CHINE éprouvait de sérieuses difficultés pour se procurer tout le jade dont elle avait besoin pour répondre à la demande du marché en bijoux et objets d'art… Or les YUECHI possédaient dans leur région montagneuse de YUZHI de très riches carrières de jade qu'ils surent efficacement exploiter devenant ainsi le grand fournisseur de la CHINE en pierres de jade.

Ces activités commerciales non seulement rapportèrent des sommes considérables mais aussi permirent aux YUECHI de nouer avec la CHINE des relations privilégiées qui leur seront fort utiles par la suite.

Les YUECHI étaient donc alors un peuple tranquille, riche, sans difficulté de voisinage ce qui était fort rare à l'époque.

Mais à l'Est une menace s'esquissait. La CHINE accablée par les raids des hommes de la steppe avait bâti la « Grande Muraille », puis les récentes Dynasties QUIN et surtout HAN avaient adopté une politique de brutale réactivité vis-à-vis des nomades qui, dès leurs apparitions en territoire chinois, étaient traqués et ou repoussés, ou anéantis.

Conséquence les raids des envahisseurs étaient de plus en plus hasardeux et coûteux et beaucoup de tribus se détournèrent de leurs activités traditionnelles de pillages au Sud et commencèrent à migrer vers l'Ouest.

Certains de ces migrants atteignirent le XINJIANG. Ils furent repoussés par les YUECHI, avec parfois l’aide de la CHINE. Dans les années 170 av. J.-C. le mouvement des tribus nomades vers l'Ouest s'accentue et les XIONG-NU, une des plus puissantes tribus de l'EST, à leur tour, font mouvement. Ils atteignent le XINJIANG et se heurte aux YUECHI qu'ils écrasent. La population YUECHI est en partie massacrée et en partie dispersée, mais une partie importante de cette population réussit à se regrouper et se dirige à son tour vers l'Ouest.

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Cette « vague » YUECHI occupera le FERGHANA, puis reprenant sa progression combattra victorieusement les SCYTHES et les PARTHES. Elle atteindra l’AMOU-DARIA (OXUS) à TERMEZ où elle entre en contact avec à la fois, le monde hellénistique et le monde bouddhiste.

Toujours pressés par les PARTHES, les YUECHI traversent l’AMOU-DARIA et dans les années 110 av. J.-C. occupent la BACTRIANE capital BACTRES (aujourd'hui BALKH dans le Nord de l'AFGHANISTAN) une région qui au cours des deux siècles précédents fut une satrapie Perse, puis le Royaume Greco-Bactrien, avant d'être pillé et ruiné par les invasions PARTHES et SCYTHES. Le pays reste cependant très riche car il est au débouché de la Route de la Soie et ses activités commerciales sont intenses. Sa population est importante de l'ordre de 1 million d'individus.

Les YUECHI seront facilement acceptées par les BACTRIENS, ils se sédentariseront, s’helléniseront et administreront le pays sans difficulté particulière. Confirmation de cette implantation réussie, dans les années -70, les YUECHI battent monnaie en copiant les pièces du Royaume Greco-Bactrien.

BACTRES sera la dernière étape de la migration des YUECHI qui demain deviendront des KOUCHANS.

Migration des Yuechi

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LES SOUVERAINS KOUCHANS

1/ – Chef (YABGHU) de la Tribu des GUISHUANG Roi du KUSHANA

Au tout début du 1er siècle de notre ère, KUJULA KADPHISES, YABGHU (chef) de la tribu des GUISHUANG, une des cinq tribus du peuple YUECHI, attaque les quatre autres chefs des tribus YUECHI, les extermine et intègre leurs tribus dans sa propre tribu des GUISHUANG, que nous connaissons sous le nom de KOUCHAN.

Kujula Kadphises (Monnaie)

Certains chercheurs estiment qu'il n'y a pas eu intégration et que les cinq tribus furent réunies par KUJULA dans une solide confédération.

Quoi qu'il en soit nous pouvons dire qu'alors les YUECHI disparaissent et que les KOUCHANS leur succèdent, créant le royaume de KUSHANA qui sera plus tard l’EMPIRE KOUCHAN. Et KUJULA est probablement dans les années 20 – 30, Roi du KUSHANA.

Nous ne savons presque rien de KUJULA et en particulier nous n'avons aucune date viable le concernant.

Il est prouvé qu'il fut un grand conquérant. Il occupa, souvent après de durs combats, le , les Provinces Frontières du Nord-Ouest de l'Inde, la région de KABOUL puis au Sud de l'AFGHANISTAN la région de KANDAHAR. Enfin il conquit le KASHMIR dont il chassa les PARTHES.

Évidemment nous ne pouvons savoir si KUJULA était conscient de ce que ses conquêtes jetaient les bases d'un futur Empire, l’EMPIRE KOUCHAN, héritier de l’EMPIRE MAURYA, mais certains indices peuvent laisser penser que KUJULA nourrissait de grandes ambitions et qu'il transmit à son fils WIMA et à son petit-fils .

Preuve de ses ambitions, après la conquête du KASHMIR où il s'est heurté aux PARTHES, il se tourne vers ses possessions de BACTRIANE qui sont toujours soumises à des incursions parthes. Il envahit la PARTHIE, inflige une sanglante défaite aux Parthes, puis se retire. En somme, il rappelle ses droits et laisse entrevoir ses ambitions.

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Mais KUJULA n'est pas qu'un bon général, il est aussi un bon administrateur. Nous ne savons rien de son administration mais nous constatons : ses territoires sont calmes et leurs habitants travaillent et commercent en toute sécurité.

KUJULA adaptera l’alphabet Grec à la langue Kouchane et selon le modèle grec, frappera des monnaies comportant, ce qui est assez extraordinaire, les légendes en grec et en KHAROSTHI le syllabaire de l'Empereur ASHOKA-MAURYA.

KUJULA mourra à l'âge de 80 ans, fait confirmé par plusieurs sources viables, mais nous ne connaissons pas la date exacte de sa mort, ce qui est fort naturel car il faut être conscient que dans ces régions et à cette époque noms et dates sont tous plus ou moins sujets à caution et donc à controverse. En somme trop souvent, nous en sommes réduits à dire ou à écrire « peut-être » ou « probablement ».

Pour les Rois ou Empereurs KOUCHANS, nous sommes confrontés à de nombreuses chronologies (ou systèmes de datation) dont trois sont généralement reconnues comme les plus valables :

- La chronologie GROUSSET qui date KANISHKA, le plus grand Empereur KOUCHAN (70-102) - La chronologie V. SMITH qui date KANISHKA (120-161)

- la chronologie BHANDARKAR, révisé par ZEYMAL qui elle date KANISHKA (278-301)

A noter que la chronologie BHANDARKAR a été présentée à la conférence de DUSHANBE en 1968 et a retenu la préférence de nombreux chercheurs.

Il nous faut donc bien être conscient de notre extrême faiblesse et accepter les réserves que nous vous imposons souvent.

2/ WIMA KADPHISES II

Il est le fils de KUJULA KADPHISES.

Il va successivement conquérir la Vallée de l'INDUS, le , le DOAB, puis la vallée du GANGES jusqu'à VARANASI. A notre connaissance, il ne le fit pas.

VARANASI atteint, il aurait pu proclamer qu'il avait reconstitué l’EMPIRE d’ASHOKA- MAURYA.

Nous ne savons pratiquement rien de lui et de son Royaume, sinon, c'est bien peu de choses, qu'il fit frapper des pièces de monnaie en or à son effigie ce qui n'était pas usuel et nous révèle un fait intéressant : depuis que l'on a récemment découvert le rythme des moussons qui assure une navigation sûre et régulière dans l'océan Indien, le commerce entre les ports de la côte Ouest de l'Inde et l'Égypte a été multiplié par plus de 20 fois et les Romains, qui achètent beaucoup mais vendent peu à l'Inde, ont été contraints de régler leurs achats en or.

D'où l'afflux sur le marché d'une masse d'or dont on ne sait que faire jusqu'à ce que le Roi WIMA décide de frapper sa propre monnaie en or.

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Wima Kadphises (Monnaie)

3/ KANISKA 1er

KANISKA était le fils de WIMA KADPHISES.

Les territoires dont il hérite de son père couvrent une immense étendue comprenant :

- Le BACTRIANE et le GANDHARA - L’AFGHANISTAN

La PLAINE INDO-GANGETIQUE, de l’AFGHANISTAN au BENGALE dans le sens Ouest-Est, des contreforts HIMALAYENS et du KASHMIR au MALWA, et à la chaine des VINDHYAS dans le sens Nord-Sud.

La superficie de ces territoires doit dépasser les 5 millions de kilomètres carrés. L'empire KOUCHAN de KANISKA est donc un des plus grands empires du monde avec l'EMPIRE des HAN en CHINE et l'EMPIRE ROMAIN en Occident.

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Empire Kouchan sous Kaniska

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KANISKA n'était pas un conquérant bien que certains chercheurs prétendent qu'il conquit la PARTHIE ce qui n'est pas prouvé.

Par contre, nous savons que KANISKA participa à la création à KACHGAR au XINJIANG d'un Royaume dont il garda probablement le contrôle… Un tremplin pour unepossible conquête de la Route de la Soie.

KANISKA eut des activités sur le plan extérieur, maintenant des relations continues avec les Empereurs de Chine, envoyant des Ambassadeurs en Perse et à Rome, ainsi que des missions, à but commercial pensons-nous, auprès du CHAMPA (VIETNAM), de la THAILANDE et des pays de l'INSULINDE.

Par contre sur le plan intérieur, nous ne savons rien, rien de son administration, de ses finances, et rien de ses forces armées ce qui est assez surprenant.

À peine connaissons-nous les noms des deux Capitales que KANISKA donne à son Empire : KABOUL et .

Les seuls domaines pour lesquels nous possédons des renseignements relativement précis son le domaine religieux et le domaine culturel-artistique et cela grâce aux abondantes sources bouddhistes disponibles.

4/ VASISKA (151 – 155(?) - HUVISKA (155 – 187(?))

De ces souverains, nous ne savons rien sinon qu'ils ont été les successeurs directs de KANISKA.

5/ VASUDEVA (191 – 225(?))

VASUDEVA est le premier souverain KOUCHAN qui porte un nom Indien. C'est là une preuve d'assimilation importante. Assimilation confirmée par l'apparition de plus en plus fréquente de dieux hindous sur les pièces de monnaie frappée par VASUDEVA.

VASUDEVA, dont nous ne savons pratiquement rien, est considéré comme le dernier Grand Souverain de la DYNASTIE KOUCHAN.

6/ Après VASUDEVA,

Après Vaduseva, la DYNASTIE KOUCHAN se maintient à et dans le GANDHARA avec les Souverains suivants :

- KANISKA II (226 – 240(?)) - VASHISKA (240 – 250(?)) - ANISKA III (255 – 275(?)) - VASUDEVA II (290 – 310(?)) - (310 – 325(?)) - 1er (325 – 345(?)) - KIPUNADA (350 – 375(?))

Nous ne savons rien de ces souverains qui n'ont laissé ni inscriptions, ni monnaies.

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DECLIN DE L’EMPIRE KOUCHAN

La mort de VASUDEVA en 225(?) puis l'occupation de la BACTRIANE et des Provinces du Nord- Ouest de l'Inde par les SASSANIDES dans les années 225 - 230 amorcent le déclin de l'Empire.

Certes la perte de la BACTRIANE, sans que les forces de l'Empire n'est rien pu faire pour s'y opposer, a dû profondément choquer les KOUCHANS, mais enfin cet événement relativement mineur à l'échelon de l'immensité de l'Empire ne peut tout expliquer.

En fait, nous ne pouvons identifier et analyser aucune cause précise de ce déclin. Nous pouvons seulement le constater.

L'Administration est de plus en plus déficiente et n'assure plus une totale sécurité dans les Provinces. Le commerce décroit et le pays s'appauvrit.

Seules les activités religieuses et artistiques continuent de vivre et de se développer comme au temps où l'Empire était à son apogée.

La RELIGION dans l’EMPIRE KOUCHAN

Tous les Souverains KOUCHANS firent, toujours, au long de leur règne, la preuve d'un remarquable esprit de tolérance dans le domaine religieux. Non seulement ils « acceptèrent » toutes les religions existantes sur leur territoire mais ils firent souvent beaucoup pour éviter les heurts entre celles-ci.

Aussi on peut dire que dans l'EMPIRE, les trois grandes religions de l'époque BOUDDHISME - JAINISME – HINDOUISME purent vivre côte à côte sans heurts sérieux ce qui est extraordinaire. Pensez qu'alors des milliers et des dizaines de milliers de religieux appartenant à ces trois religions méditaient, étudiaient, priaient dans des grottes ou des caves ou des monastères voisins, proches les uns des autres. Ils se côtoyaient et ils se parlaient et (avec beaucoup d'humour certains textes bouddhistes le rapportent) parfois ils se disputaient et même il criaient très fort ! ! ! Et de heurts violents : point et encore moins de morts.

KANISKA, le plus grand des KOUCHANS, avait comme ASHOKA avant lui et comme AKBAR après lui, une vision lancinante de l'immense diversité culturelle et religieuse de ses sujets et rêvait de leur faire trouver « une » unité dans « une » paix et « une » réconciliation générale. Pour cela KANISKA était prêt à aller très loin, ignorant les intérêts immédiats et oeuvrant pour le futur.

En fait, il s'était rallié à un syncrétisme religieux qui seul, selon lui, pourrait réaliser cette oeuvre d'unités tout en faisant justice au riche héritage spirituel de ses sujets…

Les monnaies que KANISKA fit frapper sont un excellent exemple de ce syncrétisme et nous pensons que jamais et nulle part, au monde, un souverain ne fit frapper monnaie aux effigies d'autant de dieux divers : dieux hindous, grecs, romains et même Sumériens-Elamites.

KANISKA ne fut pas (contrairement à ce que beaucoup prétendent) bouddhiste. Il ne prendra jamais parti, il n'est rien. Car être disciple d'une religion serait faire injure à ceux de ses sujets qui n'appartiennent pas cette religion. Alors il est au-dessus. Il appartient à toutes les religions comme il appartient à tous ses sujets.

Mais il n'en est pas moins un pauvre humain et il a ses préférences qui vont au BOUDDHISME et parfois il se trahit en laissant paraître cette préférence ! ! !

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Toute sa vie KANISKA parrainera le Bouddhisme en apportant un appui sans faille aux centres religieux culturels de TAXILA et de qui étaient imprégnés de Bouddhisme, puis en convoquant le quatrième Concile du Bouddhisme qui se réunit au KASHMIR sous sa présidence.

Ce concile traita de la nouvelle doctrine bouddhiste du MAHAYANA qui préconisait une plus grande ouverture sur le Monde et une intensification des activités missionnaires sur l'Asie Centrale et le Sud-Est Asie.

KANISKA reprit en partie à son compte les recommandations du CONCILE au sujet des activités missionnaires du BOUDDHISME dans le monde. Il s'impliqua dans ces missions et il leur fut d'une grande aide en leur assurant l'appui des nombreux réseaux commerciaux del'EMPIRE.

Peut-être en se faisant, KANISKA retrouvait-il le Souverain politique et économiste qu'il avait été et que bien sûr il restait.

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