UNE STATUE DE L'ATELIER DE HANS RUPRECHT HOFFMANN A RUSTROFF

On remarque dans la chavelle Saint-Eloi (ou des fonts baptis­ maux) de l'église de Rustroff (1) un Calvaire aux trois personnages sculptés à des époques différentes.

Le Christ en croix, très beBe œuvre en bois restaurée il y a quelques années, daterait du premier tiers du XVI" siècle (2) et serait d'un artiste trévirois déjà touché par la première Renais­ sance (3) et qui aurait aussi sculpté la célèbre pietà en bois de la chapelle Notre-Dame de la même église. La Vierge Marie, œuvre en bois, daterait de la seconde moitié du XVII" siècle. Saint Jean, œuvre en pierre, daterait du début du xvn· siècle.

Ainsi nous sommes donc en présence d'un groupe hybride, tant par la matière des œuvres que par l'époque où elles ont été scul11tées.

Ce grouJ)e du Calvaire a été classé parmi les Monuments Histo­ riques en 1968 (4).

Seule, la statue de saint Jean nous retiendra, car elle semble appartenir à l'école tréviroise de sculpture du début du xvn· siè­ cle. C'est une œuvre inédite. Elle est en .pierre blanche. Hauteur : 70 cm. Elle est recouverte d'une peinture moderne. Elle est presque intacte. Les deux ·gros orteils ont été brisés. Il semble que le nez trop droit à l'arête plate a été refait.

Saint Jean est habillé d'une ample tunique serrée à la taille par une ceinture en tissu. Les deux manches de la tunique sont froissées par de nombreux plis-bourrelets. Au-dessus de la tunique l'Evang:éliste porte un manteau dont le pan droit recouvre l'épaule droite, pan relevé par le bras droit. Le pan gauche du manteau passe sous le bras gauche pour remonter sur l'épaule droite en for­ mant presque tablier par devant. Ce drapé, déjà recherché, est bien exécuté.

Saint Jean, la tête levée, regarde en haut vers sa droite avec des yeux divergents (l'artisan qui a repeint la statue a mal rendu le regard). Ses cheveux ondulent sur la nuque et les épaules. Une

1 Rustroff, commune du canton de Sierck-le.s-Bains, arrondissement de Thion­ ville-E.st. 2 Helga D. Hofmann, DÏIB ZothlrimgiBche BkuZptur ·der Bp{itgotik, Saarbrücken, 1962. N• 579. Mlle Hofmann indique que ce Christ en croix est une œuvre lorraine du début du XVI• .siècle. Elle n'établit pas de relations avec la pietà de la chapelle Notre-Dame. 3 Il est intére.s.sant de comparer ce Chri.st en croix à celui, aujourd'hui détruit, de Pfalzel (Pays de Trèves) : E. Wackenroder, Die KWWltdenkmaZer de8 Landkre�BeB Trier, Düsseldorf, 1936, page 281, photo 188, ainsi qu'à celui d' Aach, page 36, photo 2. Ces deux Christ en croix « suivent » le Christ de Ru.stroff dans l'évolution arti.stique de la Renaissance. 4 Classement parmi les Monuments Historiques le 18-9-1968 avec le libellé : Calvaire, 3 statues, bois peint, XVII• siècle. 70

certaine vitalité gonfle la chevelure. Au-dessus du front on remarque une touffe de cheveux en pointe, ce qui est caractéristique de la manière tréviroise au début du baroque. Le menton est petit, les joues tendues, le cou puissant. Le visage de saint Jean ne dégage ni douleur ni émotion, :mais une impression de fermeté et d'énergie contenue.

L'Apôtre presse sa main sur son cœur en signe d'affliction. Il tient dans la main gauche son .évangil€ serré contre lui. Le corps repose sur la jambe droite ; la jambe gauche est fléchie et la hanche légèrement cambrée. Le genou gauche marque le devant du manteau. Les mains sont peu réussies. La liaison entre les doigts fins et le dos large de la main est mal faite.

Cette statue de Rustroff offre une grande ressemblance avec d'autres statues de saint Jean de l'école tréviroise de sculpture de la Renaissance tardive et du début du baroque. Citons les saints Jean de Büdlich de 1617 (5), de Beurig de 1631 (6), de Junglinster de 1634 (7) , de Dickweiler de 1617 (8), tous faisant tpartie d'un groupe du Calvaire.

La statue de saint Jean de Rustroff était autrefois au presby­ tère de Sierck-les-Bains (9). Comme l'analyse stylistique et la métho­ de comparative datent cette statue du premier tiers du xvn· siècle, on peut se demander si elle ne proviendrait pas du maître-autel de l'églis.e de Sierck, seule statue subsistante après les destructions de 1793-1794. L'abbé Ledain, dans une étude sur l'église paroissiale de Sierck (10), nous indique, citant un précieux manuscrit de 1789, que Jean de Morbach et Marguerite de Newe, son épouse, avaient fait ériger en 1604 le maître-autel de l'église en l'honneur de Dieu et de la Très Sainte Trinité. A cette époque ils n'ont pu faire awel qu'à un sculpteur trévirois.

6 Kwnstdenkmiiler des Landkreises Trier .. Calvaire de la chaire de Büdlich, œuvre signée et datée de Henri Hoffmann, fils de H.-R. Hoffmann. 6 E. Wackenroder, Die Kunstdenkmtiler des Kreises 8a.arburg, Düsseldorf, 1939. Retable d'autel de la Crucifixion, œuvre de .Jean Manternach, élève de H.-R. Hoffmann. 7 R.-M. Staudt et .J. Reuter, Die kirch!iohen Kunstdenkmiiler des Dekanats Betzdort, dans Ons Hmnecht, 1936. 8 R.-M. Staudt et .J. Reuter, Die kirchlichen B.!unstdenkmii!er des Dekanats Echternach, dans T'Hmnecht, 1953. 9 C 'est certainement cette statue qui est portée sur les inventaires de 1804 et de 1843 des effets de l'église de Sierck. Archives paroissiales de Sierck, registre des délibérations du conseil de fabrique, 1804-1960. 10 A bbé Ledain, Vue générale de, l'église paroissiale de Sierck, dans Mém. de la Société d'Archéoiogie et d'Histoire de ia , 1887. Inscription qui se lisait au fond du maitre-autel : « 1601,. Hat detr ehrwwrdige joannes van M

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On peut aussi se demander si la statue de Rustroff ne provien­ drait pas de la Chartreuse de . A la Révolution le mobilier de la Chartreuse a été vendu et dispersé dans quelques églises des envi­ rons : Perl, Sierck, Tettingen, .

A la fin du XVI" siècle, le prieur de Rettel, Hector Hoen, faisait réparer l'église et les bâtiments conventuels à la suite des destructions causées en 1589 par une bande de brigands déchaînés accompagnés de Messins. Le prieur fit aussi relever les autels dé­ truits, notamment le maître-autel, celui de Notre Dame, celui de sainte Anne, celui de saint Hugues (11) , et celui de saint Sébastien. Les dépenses vour la réparation des bâtiments et l'érection de nou­ veaux autels s'élevèrent à 20.660 florins. Le retable de l'autel Saint­ J,ean avait été commandé par le père Nicolas avec l'argent de son héritage (12).

E. Wackenroder pense que les reliefs des retables des autels latéraux de l'église de Tettingen proviennent de Rettel (18). Il en serait de même pour le très beau Baptême du Christ de cette église, une œuvre de Hans Ruprecht Hoffmann datée de 1601. Les deux autels latéraux de Tettingen montrent sur les pilastres les bustes des saints Benoît, Bruno, F'rançois et Ignace. La présence du fon­ dateur de l'Ordre des Chartreux, saint Bruno, indique avec une grande probabilité que les reliefs de Tettingen proviennent de Rettel.

Le prieur Hoen de Rettel et le père Nicolas auraient donc fait appel au sculpteur trévirois H.-R. Hoffmann pour la fourniture de nouveaux retables d'autel et cela vers 1599-1600.

La qualité de la statue de saint Jean de Rustroff est inférieure à celle des œuvres de Tettingen. On doit donc rpenser que le saint Jean de Rustroff ne provient pas de Rettel. Au point de vue du modelé on peut rapprocher la statue de Rustroff de celle de la sainte Madeleine du retable de la Vierge de l'église Saint�Gangolf de Trèves, une œuvre de l'atelier de H.-R. Hoffmann de 1603. Nous pensons donc que la statue de saint Jean de Rustroff pourrait provenir de l'ancien retable du maître-autel de l'église de Sierck, érigé en 1604. Au début du XVII• siècle, Hans Ruprecht Hoffmann, bien que décédé en 1616, s'effaoe devant les compagnons de ,son atelier. La qualité de la statue de saint Jean de Rustroff étant moyenne, elle serait non pas de la main de H.-R. Hoffmann, mais de l'un des élèves de son atelier. J. CAREL

11 Saint Hugues de Grenoble a collaboré avec saint Bruno pour la fondation de l'ordre des Chartreux. 12 Ch. Hoffmann, Das K�oster oon Rettel, , 1908. 13 Kunstden1rnniiler àe8 Kreisoo Saarburg.. . Les quatre reliefs représentent l'Annonciation, la Visitation, la Lignée de sainte Anne et la prédication de saint Jean-Baptiste. Cette Lignée de sainte Anne est une Lignée épurée par la Contre Réforme. Elle ne comporte que douze 'personnages et un ange1 alors qu'à la fin du Moyen Age les Lignées de sainte Anne comptaient dix-sept personnages (exemple celle de l'église de Bulgnéville, Vosges).