Patrimoines du Sud

3 | 2016 Varia

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/pds/967 DOI : 10.4000/pds.967 ISSN : 2494-2782

Éditeur Conseil régional Occitanie

Référence électronique Patrimoines du Sud, 3 | 2016 [En ligne], mis en ligne le 01 février 2016, consulté le 14 février 2021. URL : http://journals.openedition.org/pds/967 ; DOI : https://doi.org/10.4000/pds.967

Ce document a été généré automatiquement le 14 février 2021.

La revue Patrimoines du Sud est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modifcation 4.0 International. 1

SOMMAIRE

Autour du projet de la « Maison aux images » de Lagrasse (Aude) : étudier et mettre en valeur les plafonds peints médiévaux Association internationale de Recherche sur les Charpentes et Plafonds Peints Médiévaux RCPPM

Quatre siècles d’artisanat verrier forestier en Languedoc méditerranéen : l’atelier du mas de Baumes Ferrières-les-Verreries, Hérault, XIVe-XVIIIe s Isabelle Commandré, Alain Riols et Bernard Gratuze

Faire des draps à Lodève, Clermont-l’Hérault et Bédarieux. Apports de l’archéologie industrielle à l’histoire de l’industrie lainière en Languedoc (1650-1900) Lisa Caliste

La découverte d’un panneau peint de la Renaissance dans l’église d’Osséja (Pyrénées- Orientales) Jean-Bernard Mathon

Musée scolaire ou cabinet de curiosités ? Exemple de l’institution Saint-Joseph de Rodez William Trouvé, Diane Joy et Roland Chabbert

L’Hôtel de Région en Languedoc-Roussillon (1986-1989) un chantier de recherche Dominique Ganibenc

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 2

Autour du projet de la « Maison aux images » de Lagrasse (Aude) : étudier et mettre en valeur les plafonds peints médiévaux The “Maison aux images" project at Lagrasse (Aude): study and promotion of medieval painted ceilings

Association internationale de Recherche sur les Charpentes et Plafonds Peints Médiévaux RCPPM

1 L’Europe méditerranéenne a connu à la fin du moyen âge un tournant culturel majeur : la réintroduction des images dans le décor domestique. De ce décor, les plafonds peints sont le principal et souvent unique vestige, les enduits des murs ayant été maintes fois repris ou détruits, tandis que l’on se contentait de masquer les plafonds que l’on redécouvre aujourd’hui. Ils constituent donc un chemin privilégié de la recherche et de la valorisation des arts décoratifs, un chemin encore largement inédit.

2 Le bourg de Lagrasse en compte un nombre exceptionnel, mais toute l’Europe méditerranéenne — et peut-être au‑delà — a construit, entre le XIIIe et le XVIe siècle, des charpentes peintes planes, pour lesquelles l’usage commun emploie le terme de « plafonds peints ». Ici et là se manifeste un premier intérêt pour ce phénomène. D’où le projet de créer à Lagrasse un centre de valorisation des arts décoratifs médiévaux, appelé la « Maison aux images1», qui sera aussi un lieu fédérateur pour les recherches européennes concernant les plafonds peints. L’article qui suit, écrit à plusieurs mains2, en expose les grandes lignes.

Lagrasse, le Languedoc et l’Europe méditerranéenne

3 Fortement ancrée dans le patrimoine de Lagrasse, la Maison aux images ouvrira le regard du public et les recherches des historiens, vers l’ensemble du Languedoc et bien au-delà, vers tout l’arc méditerranéen. En effet, les plafonds de Lagrasse participent de

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 3

ce grand mouvement culturel qui, entre le milieu du XIIIe siècle et les premières années du XVIe, dans le monde méditerranéen, a fait entrer les images dans l’univers domestique.

4 Sans doute existe-t-il aussi ailleurs des témoignages de ce phénomène nouveau. En Auvergne, à Brioude, à Aigueperse, par exemple ; mais aussi en Lorraine, à . La Maison aux images ne se privera pas d’explorer des comparaisons avec des exemples plus septentrionaux. Elle ne se privera pas non plus de franchir les limites de la chrétienté et de chercher des parentés techniques dans le monde d’Al‑Andalous et au Maghreb, suivant les mêmes chemins que ceux parcourus par la diffusion de la faïence médiévale décorée.

5 Les pays de la Méditerranée occidentale, des frontières du royaume de Grenade jusqu’aux rivages de l’Adriatique, semblent partager, au cours des derniers siècles du moyen âge, une même conception du décor de la maison faisant une part importante aux images. Si les murs ont presque toujours perdu leurs revêtements originaux, les charpentes de planchers – ce qu’en français on appelle abusivement plafonds puisqu’ils ne sont pas plats – restent le meilleur témoignage du goût qui prévalait alors pour les couleurs vives et l’abondance des images. Heureusement, de nombreux plafonds ont été conservés, car les détruire aurait mis l’immeuble en danger. Souvent on les a recouverts de badigeons ou de faux-plafonds, puis on les a oubliés. Partout on les retrouve aujourd’hui.

6 Depuis les travaux, pionniers mais restés inédits, de Jacques Peyron3 à la fin des années 70 et surtout à la lumière de travaux plus récents, on sait le Languedoc particulièrement riche en plafonds peints médiévaux, mais cet art est bien présent dans tout l’arc méditerranéen. La Sicile, déjà au milieu du XIIe siècle, a vu naître le merveilleux décor de la Chapelle palatine ; puis au XIVe siècle elle se pare de merveilles comme le palais Chiaramonte‑Steri à Palerme. Et toute l’Italie du nord, du Frioul au Piémont en passant par la Lombardie, offre des spécimens extraordinaires. Dans la Péninsule ibérique, les plafonds « artesonados », typiques de la culture musulmane, prouesses de charpenterie et de menuiserie, ont continué à couvrir églises et palais après la reconquête chrétienne (XIIIe-XVe siècles). Mais il est aussi des plafonds peints singulièrement plus proches de ceux que nous connaissons en Languedoc. À quel monde artistique appartient le palais des rois de Majorque à Perpignan, élevé dans les dernières années du XIIIe siècle ? Quelle synthèse artistique, chrétienne et musulmane nous ont laissé les peintres de l’extraordinaire plafond de la cathédrale de Teruel ?

Un phénomène de société mal connu, commun à tout l’arc méditerranéen

7 L’intérêt pour l’histoire des plafonds peints, et leur apport pourtant majeur à la connaissance des représentations médiévales, a été longtemps délaissé.

8 Après quelques essais4, liés de près ou de loin au goût moyenâgeux qui prévalait dans le XIXe siècle de Viollet-le-Duc, les historiens des arts ont négligé ces peintures qui n’ont pas vocation à être des chefs-d’œuvre et sont réalisées rapidement. Pourtant, si certaines mains sont terriblement maladroites, d’autres révèlent un grand talent graphique. Et les anthropologues qui auraient pu s’intéresser aux multitudes de saynettes que leur offraient les charpentes peintes, ont dédaigné la source documentaire qu’elles constituaient au motif que leurs commanditaires appartenaient

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 4

tous à la plus haute élite sociale. Pourtant, encore à la fin du moyen âge, la limite entre espace public et espace privé est ténue, et les grandes salles décorées de l’élite servaient aussi de salle de justice qui voyaient passer nombre de gens modestes.

9 Le domaine n’est cependant pas complètement vierge. Quelques études monographiques ont éclairé des plafonds remarquables5. Quelques répertoires, comme celui de Christian de Mérindol pour la France6, ou l’ouvrage déjà ancien de José F. Rafols7 pour l’Espagne, offrent des instruments de travail d’une utilité irremplaçable. Plus récemment le Professeur Maurizio d’Arcano Grattoni, a publié une étude8 très riche et complète des plafonds de la région du Frioul, un modèle méthodologique. Les journées d’étude organisées régulièrement par la RCPPM (association internationale de Recherche sur les Charpentes et Plafonds Peints Médiévaux) ont entamé un programme d’études et de publications concernant les plafonds languedociens9. Encore s’agit-il d’iconographie ; toute l’histoire technique des plafonds, la charpenterie et le travail du peintre sont encore à développer dans ce cadre. Il y a donc un discours à construire à propos des plafonds peints à l’échelle de toute l’Europe méridionale. Les huitièmes rencontres internationales de la RCPPM10 qui ont rassemblé à Lagrasse, du 9 au 11 octobre 2015 dernier, des spécialistes de l’étude des plafonds peints « du Frioul à l’Aragon » ont confirmé le partage d’une culture commune à ces décors. La question des relations culturelles a été abordée entre la Sicile et la Catalogne11, très judicieusement posée dans le cadre politique de la Couronne d’Aragon. Car la question des transferts artistiques est centrale pour la compréhension des œuvres, tant par la circulation des artistes, des modèles que des techniques. Et les échanges qui ont conclu ces rencontres ont souligné la nécessité d’un dialogue constant entre les différents acteurs de cette recherche. Il faut dépasser la fragmentation géographique pour élaborer une réflexion commune, tout en prenant en compte les grandes nuances locales et régionales.

Partenariats

10 Le chantier est gigantesque. Pour la seule partie iconographique du programme, il s’agit de milliers d’images inédites à trier, à analyser, chacune isolément et dans le contexte de chaque plafond et de la région qui l’a produite. Il faudra aussi les comparer entre elles, thème à thème, comme il faudra les rapprocher des sources écrites (archives, certes, mais aussi littérature savante ou populaire) pour tenter de les situer dans l’univers mental des derniers siècles du moyen âge.

11 Heureusement, les journées de Lagrasse ont été l’occasion de nouer des partenariats à plusieurs niveaux. Institutionnellement une coopération entre mairies devrait se mettre en place ; plus largement encore et plus étroitement entre chercheurs. Trois pôles se dégagent entre la mairie de Lagrasse, celle de Cividale en Frioul et celle de Teruel en Aragon, qui doublent les relations entre chercheurs.

12 Riche de son patrimoine lombard, classé Patrimoine mondial par l’UNESCO, la ville de Cividale del Friuli organise régulièrement des expositions et des animations ayant pour thème la civilisation médiévale. Sous la responsabilité du Pr. Maurizio d’Arcano Grattoni (université d’Udine), l’expérience de ses équipes scientifiques dans l’édition et dans l’intégration des acquis de la recherche à l’organisation d’entreprises culturelles destinées à tout public est un atout précieux pour la conception et l’expérimentation de manifestations larges et fédératrices. La position de Cividale del Friuli, à la frontière slovène, peut servir de base à des recherches s’étendant vers les pays slaves où des

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 5

plafonds peints, également attestés, confortent l’hypothèse du continuum européen exprimé dans les décors figurés des plafonds médiévaux.

13 La ville de Teruel, également classée « Patrimoine mondial » par l’UNESCO, qui abrite et conserve en sa cathédrale Santa Maria de Mediavilla l’un des plafonds peints médiévaux majeurs, pourrait être un autre partenaire, via la Diputación Provincial de Teruel. La thématique des décors de la cathédrale, associant imagerie chrétienne et tradition musulmane, témoigne d’un moment historique de cohésion sociale où chrétiens et musulmans ont partagé la vie de la ville.

14 Le riche passé historique de Teruel est valorisé par la ville et la Communauté autonome d’Aragon qui soutiennent le « Centro de Estudios mudéjares ». Adossé à l’Université de Saragosse, le « Centro de Estudios mudéjares » travaille à la médiatisation du très riche patrimoine médiéval de la région qui comporte de nombreux plafonds peints. Ils témoignent, pour les derniers siècles du moyen âge, d’un métissage culturel venu du nord, de l’Europe chrétienne, dans une péninsule ibérique marquée par des siècles de culture islamique.

15 D’autres villes, petites ou moyennes, détentrices de plafonds peints, publics ou privés pourraient à terme venir renforcer ce premier noyau : Pont-Saint-Esprit et Brioude en France, Saluzzo en Piémont, Viadiana ou même Crema en Lombardie, Tarragone ou Montblanc pour la Catalogne, Liria pour la Région de Valence en Espagne, etc.

16 Un programme de recherche d’une telle ampleur se conçoit évidemment dans le cadre d’une base de données, aisément échangeables, selon une indexation coordonnée. Mais il convient de ne pas se leurrer sur la difficulté de la tâche.

Quelques chemins pour une réflexion « méditerranéenne » sur les plafonds peints médiévaux

17 À en juger par les communications présentées à Lagrasse, la chronologie mérite attention. Après l’extraordinaire charpente peinte de la Chapelle Palatine de Palerme, d’une précocité étonnante (consacrée en 1143), il semblerait que les charpentes peintes les plus anciennes, dans l’espace géographique qui nous occupe ici, soient celles des palais musulmans hispaniques (tels le Palacio de Pinohermoso à Játiva, province de Valence, vers 1200). Suivent, chronologiquement, les églises aragonaises qui se développent suivant l’avancée des troupes chrétiennes vers le sud de la Péninsule ibérique, dans la deuxième moitié du XIIIe siècle. Mais de la Sicile du XIIe siècle au Frioul de la fin du XVe siècle, en passant par le Languedoc, l’Auvergne, la Provence, le Piémont, quelle a été la progression du goût pour les charpentes peintes ?

18 Un plafond peint est tout à la fois un travail de charpente, un ensemble de techniques picturales et des choix iconographiques. Malgré l’accélération des études pendant ces dernières années en Languedoc, on est encore très loin de pouvoir reconstituer les grandes lignes de l’organisation des chantiers, de leur chaîne opératoire et de leur rythme de fabrication. Il est vrai que les registres de notaires y sont mal conservés et que des autres régions de l’arc méditerranéen, qui en sont plus riches, viendront probablement des éclaircissements.

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 6

Le travail des charpentiers

19 Le travail des charpentiers est un premier domaine dans lequel la coopération nationale et internationale permettra d’approfondir nos connaissances et sans doute de tracer des influences réciproques, tout en dessinant des espaces techniques distincts.

20 La récente thèse d’Emilien Bouticourt12, consacrée à la Provence, permet de très utiles comparaisons avec le Languedoc. En commun, de part et d’autre du Rhône, l’usage de résineux pour les poutres, à la différence de ce qui se pratique dans la moitié nord de la France ; des poutres disposées sur leur petit côté, et donc plus hautes que larges pour mieux résister au risque de flèche du sapin. Qu’en est‑il au pied des Alpes, dans la plaine du Pô, ou de l’autre côté des Pyrénées ? La disposition des poutres n’est que l’une des caractéristiques de l’œuvre des charpentiers : les assemblages aussi mériteront d’être suivis et comparés.

21 Il semble qu’un type de charpente ait été répandu à travers tout l’arc méditerranéen : le plafond à poutres et solives, dont il conviendra de faire la longue chronologie. Avec lui vont les closoirs, glissés entre les solives, porteurs des décors variés qui font tout l’intérêt des plafonds peints. Mais il est loin d’être le seul type de charpente. En Languedoc, comme en Roussillon, il semble précédé par le plafond à simples poutres, ou de mur à mur ; mais la chronologie en est moins claire de l’autre côté du Rhône et, bien entendu, il faudra voir ce qu’il en est au‑delà des Alpes et des Pyrénées.

22 Partout semble l’emporter le désir que la charpente donne une impression de profondeur. C’est ce que font les Provençaux lorsqu’ils doublent les poutres et fabriquent des charpentes à deux niveaux de poutres et un de solives. Le Languedoc l’a peu connu, sauf au plafond dit de la Maison des consuls à Saint-Pons de Mauchiens et à la notairie de Béziers (milieu du XIV e siècle), ce qui ouvre pour eux des hypothèses « orientales ». Presque un siècle plus tard, c’est un plafond à caissons que Jacques Cœur choisit pour sa Loge montpelliéraine et c’est aussi la profondeur qu’on recherche dans ce type de plafond, où il semble que le décor peint soit en régression. Mais l’atelier crémonais, si célèbre, des Bembo, au milieu du XVe siècle, fait encore un autre choix : celui de resserrer les solives et de disposer les closoirs, non plus dans leur largeur, mais en hauteur. Est‑ce à ce même désir que correspondent, à la fin du XVe siècle, les plafonds en carène du Frioul ? Mais alors pourquoi ces grandes nefs, qu’elles soient un pur et magnifique travail de charpente comme à Pont‑Saint‑Esprit ou une charpente sur arc diaphragme comme dans les églises catalanes ou languedociennes, ont-elles disparu au profit de charpentes planes ?

23 On suivra donc les closoirs et les mots qui les désignent, comme d’ailleurs tout le vocabulaire de la charpente, des paredals languedociens aux bugets catalans ou encore aux pettenelle frioulanes, car les mots voyagent avec les hommes et leurs techniques.

Les techniques picturales

24 Un second grand thème transversal est celui des techniques picturales. Il va des modalités de réalisation du décor jusqu’aux choix des couleurs en passant par l’approvisionnement du chantier en pigments. La poursuite de ce thème conduira à traiter la question de l’organisation du chantier et du rapport entre charpentiers et peintres, très mal connue encore.

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 7

25 Car les pièces de bois, sont-elles peintes au sol ou en place ? En entier ou seulement en partie ? Et encore, cela concerne‑t‑il toutes les pièces ou seulement certaines d’entre elles ? Lesquelles ? Questions récurrentes auxquelles seront sans nul doute données des réponses nuancées, avec de nombreux cas d’espèce, selon que la peinture intervient dans un bâtiment réaménagé ou neuf. Les extraordinaires scènes peintes de la cathédrale de Teruel donnent à voir les charpentiers et les peintres préparant les pigments, puis, assis sur un banc, peignant de longues planches, qui sont, elles-mêmes, posées réellement sur le plafond. Ils apportent ici une partie des réponses, mais elles ne peuvent pas être transposées à tous les plafonds peints. Loin s’en faut (fig.1, 2a, 2b).

Fig. 1

Teruel (Aragon), cathédrale ; représentation de la construction des plafonds ; le travail des charpentiers © Christian Poumeyrol

Fig. 2a et b

Teruel (Aragon), cathédrale ; représentation de la construction des plafonds ; la préparation des pigments et la peinture des closoirs © Pedro Luis Hernando

26 L’organisation des ateliers est donc mal connue. Les registres de notaires, si rares en Languedoc, et quelques comptabilités apporteront leur lot d’informations. Quelle que soit la période, le travail des peintres – comme celui des charpentiers – semble rapide et rationnellement organisé. Mais ceux-ci passent probablement d’ateliers qui se déplacent sur les lieux à des ateliers sédentaires, travaillant presque à la chaîne, comme les Bembo de Crémone13 dont la fabrication standardisée envahit les plafonds lombards. Il sera intéressant de rechercher si ce phénomène de sédentarisation, se confirme aussi ailleurs.

27 Artisans locaux et artistes renommés : les exemples manquent en Languedoc et aucun élément ne permet de risquer une identification ni pour les peintres de l’hôtel de Gayon à Montpellier, au graphisme si proche des enluminures contemporaines, ni pour le talentueux peintre de nombreux closoirs du château de Capestang (Hérault), ni pour les

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 8

« italianisants » de Pomas (Aude). Les deux contrats qui règlent les conditions de construction et de décoration de la tribune de Millas en Roussillon sont des exceptions dans la région. Mais les comptes de la couronne d’Aragon évoquent plusieurs chantiers et le parcours d’Antonio Baietta en Frioul, étudié par Francesco Fratta14, montre un artiste connu, nullement limité à la peinture de closoirs.

28 Quelles techniques pour le dessin des pièces répétitives que sont les planchettes et autres listels ? Pochoirs, poncifs ou dessin à main levée ? Et pour les liants : colle ou œuf pour les teintes plates des fonds ? Quels pigments ? On comparera la splendeur de certains plafonds royaux catalans, utilisant le lapis-lazuli que doit fournir le commanditaire, aux emplois de produits plus locaux apportés par le peintre. D’ores et déjà, du Frioul à l’Aragon, les analyses chimiques par méthodes spectrométriques vont permettre d’aborder la circulation des pigments, dans des perspectives économiques et culturelles, à l’échelle de la Méditerranée occidentale.

29 Quelques plafonds suivent une technique parti culière, rare en France : le papier collé. Le décor du closoir est appliqué d’abord sur du papier qui est collé ensuite sur la planchette. L’objectif en est clair : le papier, aisément transportable, peut recevoir son décor indépendamment de la construction de la charpente, être fabriqué dans un atelier éloigné, et rapidement posé lors de la construction de la charpente, voire plus tard. Le procédé est assez largement attesté dans le Tessin, comme à Bellinzone (fig.3), mais il n’est pas absent du Languedoc, notamment à Béziers15.

30 Aux points de rencontre de l’iconographie et de la technique, la composition des closoirs est tout à la fois commune et marquée par des spécificités régionales, d’époque ou d’atelier. En commun, le refus du fond uniforme autour des scènes ou des visages représentés. Mais le décor qui entoure le sujet n’est pas le même au cloître de Silos (fig. 4), au plafond du château de Capestang, autour des portraits de l’atelier des Bembo ou sur les closoirs des palais de Cividale. Le cadre entourant les figurations peut être signifiant par lui‑même : que font ces polygones étoilés, poncifs de l’Aragon « mudéjar », sur le plafond du cloître de Fréjus (fig.5), alors qu’ils sont absents du décor provençal du milieu du XIVe siècle ? Ainsi le cadre entourant les figures pourrait être un moyen d’identification des closoirs dont on a perdu la provenance (fig.6).

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 9

Fig. 3

Bellinzone (Suisse), un plafond aux décors sur « papier ». Une représentation du monde à l’envers © Vera Segre

Fig. 4

Silos (Castille), abbaye Santo Domingo de Silos ; exemple de cadre « architecturé » © Georges Puchal

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 10

Fig. 5

Fréjus (Var), cloître ; polygones étoilés, milieu XIVe s © Georges Puchal

Fig. 6

Lagrasse (Aude), Maison du patrimoine ; fond animé par des rinceaux, à la mode languedocienne, fin XVe siècle © Jean-Pierre Sarret

31 Et la gestion des couleurs est aussi tout à la fois un élément commun à tous les décors et une forte spécificité chronologique et géographique. Le rouge domine, mais il est éclatant dans les églises aragonaises, discret dans les closoirs lombards du XVe siècle. Les couleurs alternées des fonds construisent un rythme des plafonds (fig.7). Cette règle quasi-absolue des plafonds peints languedociens vaut‑elle dans l’ensemble de l’arc méditerranéen ?

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 11

Fig. 7

Capestang (Hérault), Château ; alternance des fonds © Claude Delhaye

L’iconographie des closoirs

32 Le troisième volet de l’étude et de la valorisation des plafonds peints, l’iconographie des closoirs est une mine qui semble presque illimitée. On ne peut ici qu’en esquisser quelques voies. Le travail d’investigation sur les motifs figuratifs et leur sens est au cœur de la démarche de la Maison aux images.

33 On sait, à cet égard, l’extraordinaire richesse des plafonds lagrassiens. La Maison du patrimoine en présente aujourd’hui une partie : du plus ancien (3e quart du XIIIe siècle ?), très héraldique, peuplé de chevaliers en armures et d’animaux fantastiques, aux closoirs à portraits, sauvés d’une vente qui en aurait privé Lagrasse, en passant par des scènes truculentes de ses propres plafonds. Chaque plafond compose un kaléidoscope qui a son sens. On se gardera d’oublier le contexte de chacun, de son commanditaire et du temps où il est composé.

34 Mais c’est un autre accès au sens de ces plafonds qu’offre la démarche comparative. Car à travers tout l’arc méditerranéen, les thématiques se répondent en écho les unes aux autres. Quelle place pour l’héraldique et pour quelle héraldique ? Celle écrasante, occupant un closoir sur deux, imposée par Auger de Gogenx, abbé de Lagrasse au plafond en cours de restauration dans l’abbaye ? Ou celle choisie par Jean d’Harcourt au château de Capestang (fig.8), occupant toute la poutre centrale de la grande salle ? Ou encore, celle plus complexe, d’un réseau d’alliances à l’hôtel de Brignac à Montagnac, ou dans les plafonds piémontais ?

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 12

Fig. 8

Capestang (Hérault), Château ; alternance des armes du chapitre de Narbonne et de l’archevêque Jean d’Harcourt © Claude Delhaye

35 Des questions surgissent : pourquoi l’arrivée de l’écriture dans le décor des plafonds sous la forme de phylactères ? On y collectionna les devises, dont certaines traversent les frontières et dévoilent le substrat de la philosophie morale des commanditaires et de leurs contemporains. On y voit la découverte des visages, puis du portrait : la vogue des visages poupins à la Bembo dans le nord de l’Italie n’est qu’une partie de ces centaines de portraits d’hommes et de femmes, qui figurent sur les plafonds peints du XVe siècle, certains presque caricaturaux, d’autres d’une élégance éthérée (fig.9, 10, 11).

Fig. 9

Capestang (Hérault), Château ; visages ou portraits ? Milieu XVe siècle © Claude Delhaye

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 13

Fig. 10.

Pont-Saint-Esprit (Gard), Maison des Chevaliers ; portrait présumé de Guillaume Piolenc milieu XVe siècle © Georges Puchal

Fig. 11.

Cividale del Friuli (Udine) ; buste d’un homme d’armes, vers 1520-1530, peinture a tempera sur bois, collection privée, auparavant palais Mazzeri Mirco Cusin © Dipartimento di storia e tutela dei beni culturali dell’Università di Udine

36 Et que dire du monde animal, vrai ou imaginaire, avec ses animaux domestiques, exotiques, fantastiques, mais aussi ses licornes et ses sirènes à comparer ? Et des êtres hybrides récurrents enfin, pour retrouver sur les plafonds la représentation de la condition humaine entre âme et corps ?

37 Ici encore observer les points communs et les spécificités permet d’approfondir le rapport que la fin du moyen âge, dans le monde méditerranéen, entretient avec l’animal et ses nuances chronologiques, géographiques ou sociales.

38 Quelques rapprochements s’imposent : combien de représentations de fous entraînant des personnages en musique et en danses ? Combien de scènes carnavalesques ? Combien de représentations du monde à l’envers, qui, à en juger par leur forte présence sur le décor des charpentes peintes, est une constante des préoccupations de l’élite sociale ?

39 Mais loin, semble-t-il, de ces thématiques « quotidiennes », la littérature est transcrite en images. Dès la seconde moitié du XIVe siècle, le palais Chiaramonte-Steri illustre des cycles bibliques, mais aussi romanesques (fig.12), tels Tristan et Yseult (fig.13). Un peu

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 14

plus tard, à Bellinzone, aujourd’hui en Suisse, sur le plafond du palais Ghiringelli, l’artiste les associe à des représentations du monde à l’envers, tandis que les plafonds frioulans semblent, par comparaison, plus « poétiques ».

40 Les tonalités iconographiques régionales sont sensibles. Néanmoins les transferts culturels sont multiples et révèlent les contacts au sein du monde méditerranéen, selon des chemins complexes.

Fig. 12

Cycles littéraires représentés sur les plafonds peints Pordenone (Frioul), Osteria del Moro, aujourd’hui Museo civico di storia e arte, palais Ricchieri ; détail du cycle de Pyrame et Thisbé © Mirco Cusin

Fig. 13

Cycles littéraires représentés sur les plafonds peints Palerme, Palais Chiaramonte-Steri ; plafond, Tristan et Yseult © Gil Bartholeyns

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 15

41 Au XIIIe siècle, les plus précoces des plafonds peints de la France méridionale manifestent, comme celui de Narbonne16, une influence stylistique ibérique. L’influence venue du sud se manifeste encore tardivement (milieu du XIVe siècle) en Provence, dans le plafond du cloître canonial de Fréjus. Mais c’est d’Italie que viennent bien des modèles, comme à Pont‑Saint‑Esprit, dans la Salle d’apparat de Guillaume Piolenc (milieu du XVe siècle). Mais aussi, plus loin des grands centres culturels, comme Avignon, on la voit, très sensible, au château de Pomas. Et sans aucun doute, il faudra préciser ce qu’on entend par « italien ». Il faudra sans doute aussi ne pas conclure de manière trop simple : au moment où l’humanisme vient d’Italie et exporte ses modèles, un plafond surprend, celui que le cardinal Giuliano della Rovere, le futur Jules II, alors tout à la fois archevêque d’Avignon et évêque de Bologne, fait peindre dans le monastère de Santo Stefano, dans une manière qui semble plus languedocienne ou provençale que proprement padane.

La maison aux images de Lagrasse : fondements et grandes lignes du projet

Les raisons d’un choix

42 En Languedoc-Roussillon, les plafonds peints font l’objet d’une attention particulière qui se développe depuis quelques années et prend plusieurs formes. Le premier stade, comme il a été dit plus haut, fut la thèse de Jacques Peyron17, à laquelle succéda la restauration de la maison dite des chevaliers à Pont‑saint‑Esprit, mise en œuvre par Alain Girard18. Puis, le souhait de la commune de Capestang de mettre en valeur le plafond peint du château aboutit à la tenue d’un premier colloque en 200819 « Plafonds peints en France méridionale et Méditerranée occidentale » - à Narbonne, Capestang et Lagrasse et à la création de l’association de Recherche sur les Charpentes et Plafonds Peints Médiévaux (RCPPM). À Lagrasse tout particulièrement, mais aussi à Puisserguier cette attention permit de nouvelles découvertes, et la DRAC de Languedoc‑Roussillon qui les accompagna activement les a protégées au titre des Monuments historiques.

43 Puis intervint le travail universitaire. À Lagrasse, deux doctorants, par leurs travaux, enrichissent la connaissance de l’histoire et du patrimoine du bourg médiéval avec une thèse d’histoire et d’archéologie à l’Université Toulouse Jean-Jaurès sur l’urbanisme et l’architecture du bourg de Lagrasse et une thèse à l’Université de 1, sur la place de la charpente dans les constructions civiles médiévales en Bas‑Languedoc20.

44 En mars 2012, un évènement fortuit accélère la naissance du projet actuel : dix-neuf closoirs démantelés d’une maison lagrassienne sont vendus aux enchères. La commune, aidée par la Direction Régionale des Affaires Culturelles en fait l’acquisition. Ce sauvetage est le début d’une prise de conscience de la richesse patrimoniale spécifique du bourg : aujourd’hui, quinze plafonds peints, couvrant une large période du XIIIe au XVIIe siècle, y sont connus, dont cinq seulement étaient il y a peu repérés et classés21.

45 La richesse patrimoniale de la commune, l’intérêt des lagrassiens, l’implication de la RCPPM, la présence de chercheurs et le soutien de la DRAC‑LR, donnent l’idée à l’équipe municipale de créer à Lagrasse un centre de valorisation, de recherche, de conservation et d’animation dédié aux arts décoratifs médiévaux. Le site retenu a plusieurs atouts, dont sa position, au cœur du village, n’est pas le moindre. Il s’agit de l’actuelle Maison

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 16

du Patrimoine, propriété de la commune. Cet édifice accolé à l’église est l’ancien presbytère qui possède des plafonds protégés au titre des monuments historiques. Un terrain délaissé en avant du bâtiment, et servant actuellement de stationnement, permet de projeter une extension des lieux. La localisation de la Maison aux images en cet endroit permet d’imaginer la complémentarité entre l’abbaye toute proche et le bourg médiéval, mais aussi de rayonner vers les différents points d’une commune préservée sur le plan environnemental (fig.14).

Fig. 14

Lagrasse (Aude), vue du bourg et de son abbaye © Jean-Pierre Sarret

Les 15 plafonds de Lagrasse

46 Il est bien probable que le bourg de Lagrasse recèle encore quelques plafonds peints inconnus. Actuellement les quinze connus sont répartis entre onze lieux différents, la Maison du patrimoine en comptant quatre à elle seule (fig.15). L’abbaye détient un plafond, en cours de restauration. C’est l’un des plus précoces : il a été réalisé par le grand abbé Auger de Gogenx. Son long abbatiat, 1279‑1309, fut une période de transformation architecturale : il fit notamment élever sur deux niveaux, la chapelle Saint-Barthélemy, célèbre pour la qualité de son carrelage et de ses peintures murales. Au rez-de-chaussée comme au premier étage, les chapelles sont précédées d’un vestibule et celui du rez-de-chaussée est couvert par une charpente plane peinte. Y alternent avec des écus aux armes de l’abbé Auger de Gogenx, diverses représentations, dont des animaux hybrides et celle d’un charpentier au travail.

47 Dans le bourg, les autres plafonds sont répartis dans diverses maisons. Plusieurs de celles‑ci ouvrent sur la place des halles et comportent des couverts qui marquent fortement l’architecture de la place. Ces plafonds appartiennent aux toutes dernières années du XVe siècle ou au début du XVIe, période particulièrement faste dans la production de plafonds peints à l’échelle européenne.

48 Néanmoins il convient de faire un sort spécial au plus ancien plafond de Lagrasse qui n’appartient pas à cet ensemble ni en terme de localisation dans le bourg ni en terme de chronologie. Il est dans la rue des Cancans qui prolonge la rue du pont, sans doute dans l’un des plus anciens ilots bâtis sur la rive droite de l’Orbieu. Il n’était plus en place lorsqu’il a été connu, mais son style iconographique comme la répartition du décor sur la charpente en font un plafond à part parmi les plafonds languedociens. Ce plafond remonte aux environs de 1250-1270, ce qui en fait l’un des plus anciens connus aujourd’hui22.

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 17

Fig. 15

Lagrasse (Aude), carte de localisation des plafonds peints © Julien Flotran

La Maison aux images lieu de présentation des plafonds peints de Lagrasse

49 Un plafond peint, ou plutôt une charpente plane peinte, est en premier lieu le support d’un plancher. Il s’agit d’en faire un décor : un décor exubérant, très haut en couleurs, qui couvre la plupart des pièces de charpente. Qu’il s’agisse d’une charpente à poutres et solives ou à caissons, comme le sont ceux de Lagrasse et la plupart des charpentes planes connues en France méridionale, il faut réserver, au cœur du décor d’ensemble largement répétitif, une mention particulière aux motifs peints sur les closoirs, chacune porte un motif spécifique. Parfois simple entrelacs, motif floral ou thème héraldique, les closoirs portent le plus souvent une scène d’une narrativité stupéfiante.

50 À eux seuls, les plafonds connus à Lagrasse comptent un corpus de plus de cinq cents closoirs. À travers ces images, les commanditaires se montrent et affichent leurs réseaux sociaux. Armoiries, marques de marchands (fig.16), proverbes et devises, portraits, saynètes, faune et flore fantastique et naturaliste s’entremêlent entre moralité et humour. Les images témoignent du rang des propriétaires, de leurs convictions, de leur goût, de leur intimité. Elles sont la représentation du commanditaire. Décorer sa maison, c’est parler de soi, c’est se mettre en scène, autant d’actes de communication qui sont, parallèle étonnant, au cœur de nos modes de vie contemporains.

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 18

Fig. 16

Lagrasse (Aude), Maison du patrimoine ; closoir avec marque de marchand Georges Puchal © commune de Lagrasse

51 Tous les plafonds peints de Lagrasse ne sont pas et ne seront pas accessibles à la visite, du moins régulièrement, car ils appartiennent à des demeures privées. Cependant ils ont été photographiés et l’un des objectifs de la Maison aux images sera de les présenter au public et de mettre leur corpus à la disposition des chercheurs. Mais la Maison aux images, dans les locaux agrandis de l’actuelle Maison du patrimoine, est aussi et surtout le lieu où le public découvrira ce que sont les plafonds peints médiévaux (fig.17) dans une demeure qui en comptait quatre, aujourd’hui conservés malgré les lourds remaniements du bâtiment au XIXe siècle23. Si ceux du rez-de- chaussée ont reçu une malencontreuse couche de peinture marron, ceux du premier étage ne demanderont qu’une restauration légère24. Les décors des closoirs de l’ancien presbytère, d’une truculence exceptionnelle, d’un graphisme sûr, plein de mouvement, déploient une iconographie riche et déconcertante : hybrides, animaux fantastiques, scènes à caractère sexuel, prostituées, moines, jongleurs, fous, armoiries, devises, portraits (fig.18).

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 19

Fig. 17

Lagrasse (Aude), Maison du patrimoine ; plafond à caissons du rez-de‑chaussée © Jean-Pierre Sarret

Fig. 18

Lagrasse (Aude), Maison du patrimoine ; closoir avec portrait, fin XVe siècle. Alain Estieu © AD11

52 Outre ces plafonds en place, la Maison aux images présentera la collection communale des dix-neuf closoirs restaurés, composée avant tout de très beaux portraits d’hommes et de femmes, émanant d’une maison de la place des halles et datant des environs de 1500.

53 Et elle complètera cette présentation de l’art des charpentes peintes au seuil du XVIe siècle par une autre collection exceptionnelle, une partie des planches de sous- faces de la maison de la rue des Cancans, mises en dépôt par un propriétaire privé.

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 20

Cette série de chevaliers (fig.19 et 20) en armes, issus de toute l’Europe, entrecoupée d’oiseaux, de portraits et de motifs décoratifs divers date des origines chronologiques des charpentes peintes : par elle, le visiteur remontera à l’Europe chevaleresque du XIIIe siècle.

54 Le patrimoine public de Lagrasse en matière de plafonds peints médiévaux comprend aussi la maison Renaissance ou Maisn Sibra, au n° 6 de la rue Foy, composé de six caissons.

Fig. 19 et 20

Lagrasse (Aude), Maison du patrimoine ; images de rois à cheval, décor des sous-faces de planches provenant de la maison du 9, rue des Cancans © Jean-Pierre Sarret

55 Sur les fonds des closoirs se succèdent vingt-trois portraits, dix-neuf blasons, dont les armes des rois de France, Louis XII et le Dauphin François d’Angoulême, futur François 1er, quatorze marques de marchands, des phylactères avec devises, citations ou proverbes, des scènes historiées, des animaux fantastiques et des motifs végétaux.

Les plafonds peints comme éléments du décor domestique

56 Si les plafonds de Lagrasse offrent une image complètement renouvelée des goûts et de l’imaginaire de la fin du moyen âge, la Maison aux images a aussi pour objectif de présenter une réflexion d’ensemble sur le décor de la maison médiévale, en s’appuyant sur la pièce maîtresse que sont les charpentes peintes mais aussi sur les compléments qu’offre le patrimoine architectural local et sur les données que fournissent les documents écrits, notamment les inventaires après décès.

57 À ce jour, une seule maison de Lagrasse possède un vestige de mur peint, dont l’intérêt est augmenté par la succession des couches superposées à diverses époques jusqu’à l’époque moderne. Une analyse des différentes couches picturales sur les murs et le

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 21

plafond pourrait permettre de reconstituer l’intégralité de l’horizon visuel de cette pièce, d’établir une chronologie et de les comparer avec les peintures murales de l’abbaye.

58 Les sols que supportaient les charpentes de plancher étaient en général très lourds. De récents travaux dans le vestibule de la chapelle de l’abbé Auger à l’abbaye ont révélé un lit de terre et de mortier, de plus de vingt centimètres d’épaisseur, posé sur les merrains, et sur lequel étaient posés des carreaux vernissés. Le chœur et la nef de la chapelle conservent un rare carrelage vernissé, de 80 m2, composé de plusieurs tapis aux motifs géométriques, floraux et figuratifs. Dans la maison Renaissance, une simple calade couvre le sol du rez-de‑chaussée, le carrelage du XVIIe siècle du premier étage au dessin complexe est en partie conservé. C’est aux inventaires après décès qu’on demandera une approche du mobilier et de l’aménagement des pièces.

Le projet scientifique et culturel (P.S.C.)

Les parcours de découverte

59 Un conseil scientifique et technique, composé de onze personnes d’horizons et de compétences diverses - quatre chercheurs, quatre professionnels de la conservation et de la valorisation du patrimoine, deux professionnels de la médiation – plus des contributeurs occasionnels, a élaboré le projet scientifique et culturel. Le croisement des enjeux de la médiation, des contenus scientifiques et des préoccupations de la conservation a abouti à la formalisation d’une exposition permanente conçue comme un point central au sein d’un projet global de valorisation et de médiation du patrimoine communal.

60 Considérant que son abbaye est l’attraction première de Lagrasse, mais qu’on ne comprend l’urbanisme, l’architecture et l’histoire des lieux qu’avec le bourg qui s’est développé à partir d’elle, le parcours du visiteur a été conçu comme un tout incluant l’abbaye, le bourg médiéval et la Maison aux Images.

61 Au sortir des parkings à l’entrée de la commune, traversant l’Orbieu sur le pont vieux, les visiteurs rejoignent la rive gauche et se dirigent vers l’abbaye. Deux parties se visitent, l’une, constituée essentiellement du palais de l’abbé, avec sa chapelle, du dortoir des moines, du cellier, de la sacristie et du bras nord du transept, l’autre, constituée de l’église, du cloître et des bâtiments conventuels mauristes.

62 La visite se poursuit dans les rues du bourg en découvrant les façades, la halle puis la Maison aux images et enfin de l’église paroissiale Saint-Michel qui en est mitoyenne25.

63 Le contexte local ayant été campé, la Maison aux images et ses plafonds peints s’offrent aux visiteurs d’abord de façon immersive par l’évocation d’une salle médiévale proposant un décor en adéquation avec ce que l’étude du bâti révèle de la maison dans son état de la fin du XVe siècle. Ensuite l’approche se fait de façon analytique, en prenant pour appui les quatre plafonds de la maison, en abordant les techniques de char - pente et de peinture et en décodant l’iconographie (fig.21).

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 22

Fig. 21

Lagrasse (Aude), Maison du patrimoine ; vue de l’exposition de préfiguration « Images oubliées du moyen âge, les plafonds peints du Languedoc-Roussillon » Georges Puchal © RCCPM

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 23

Fig. 22

Lagrasse (Aude), Maison du patrimoine ; projet scientifique et culturel, insertion du projet de la Maison aux images dans le site de Lagrasse Laura Ceccantini, Jean-Pierre Sarret © commune de Lagrasse

64 Les plafonds de Lagrasse ouvrent ensuite, dans l’extension du bâtiment, par un ensemble de cartes interactives, frise chronologique et présentation de plafonds extérieurs à Lagrasse, sur le reste du Languedoc et sur tout l’arc méditerranéen. C’est à la richesse et à la complexité des contacts culturels que ce dernier espace est dédié. En Italie et au royaume d’Aragon aussi brillent de somptueux plafonds. Des peintres peut- être venus du monde mudéjar, de Catalogne ou de Majorque, ont introduit dans les décors des plafonds montpelliérains des motifs caractéristiques de l’art de la péninsule ibérique. À Pont‑Saint‑Esprit (Gard), comme au château de Pomas (Aude), on retrouve les échos de la peinture qui se pratique alors dans les Flandres ou en Allemagne et surtout un climat plus italianisant à la fin du XVe siècle.

65 La reconstitution d’un atelier de peintre constitue la dernière étape de ce parcours, où des ateliers permettent aux visiteurs, jeunes et moins jeunes, encadrés par un animateur, d’expérimenter les techniques picturales médiévales.

66 L’avantage de ce parcours muséographique réside dans son caractère très progressif qui ménage montée en puissance et ouverture. Le discours se fait sans rupture, mais il part, après la présentation du bourg, d’une émotion : l’immersion dans la salle au plafond à caissons du rez-de-chaussée, évocation d’une salle médiévale, peu de mobilier, beaucoup de coffres, abondance de tissus. Après le parcours dans la Maison aux images, il sera possible d’y revenir, en possession d’instruments de compréhension.

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 24

Les lieux de développement du projet

67 Projet global, la Maison aux images investit plusieurs espaces qui font l’objet chacun de programmes architecturaux. Le programme principal concerne le quartier ecclésial et plus particulièrement la Maison aux images, l’église paroissiale et l’aire de stationnement contiguë (fig.23).

Fig. 23

Lagrasse (Aude) ; la Maison du patrimoine, l’église paroissiale et l’espace récupérable en avant Jean-Pierre Sarret © commune de Lagrasse

68 L’ancien presbytère offre environ 250 m² utiles de planchers sur deux niveaux aménageables et 400 m² extérieurs disponibles au sol. Une attention toute particulière sera donnée aux quatre pièces pourvues de plafonds peints médiévaux de la fin du XVe siècle. Pour répondre au programme projeté, la superficie couverte disponible devra être complétée par l’adjonction d’une construction neuve qui pourrait être bâtie au nord sur l’ancien jardin, actuellement aménagé en terrasse, sur l’emplacement du garage attenant et sur tout ou partie de l’espace libre situé au nord de l’ancien presbytère (aire de stationnement actuelle établie sur l’emprise d’anciens bâtiments détruits). La création d’une architecture contemporaine, fonctionnelle devra s’intégrer parfaitement dans le quartier ecclésial. Intervenir sur un tissu urbain sensible demandera un subtil dosage entre la légitime nécessité d’inscrire le bâtiment dans son époque et de tendre la main au creuset qui le reçoit.

69 Le programme de la Maison aux images nécessitera 600 m² dont 300 m² de muséographie et comprendra : • un espace d’accueil : boutique/librairie, un bureau administratif • des salles d’expositions permanentes comprenant : la maquette du bourg ; quatre salles existantes couvertes de plafonds peints médiévaux. Deux d’entre elles possèdent chacune un plafond peint à caissons et les deux autres plafonds à poutres et solives • un espace thématique consacré au panorama des décors peints méditerranéens (France méridionale, Italie, Espagne) - un atelier de peinture • un espace de projection • une salle d’exposition temporaire

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 25

• des locaux techniques et de maintenance (rangements, entretien, chauffage) • des dégagements, circulations verticales et horizontales aux normes d’accessibilité tous publics • une salle d’activités pédagogiques avec local technique • la médiathèque trouvera sa place dans le nouveau bâtiment, faisant de la Maison aux images un pôle culturel et patrimonial pour tous, fait essentiel dans une commune qui ne compte que six cents habitants.

70 Certaines fonctions sont externalisées et « éclatées » dans le village afin d’optimiser les espaces, favoriser les circulations, irriguer le village (fig.24).

71 La maison Renaissance accueillera le centre de documentation, réservé exclusivement aux chercheurs, étudiants et utilisateurs habilités ; il rassemblera et organisera la documentation spécialisée sur les éléments du décor intérieur des maisons médiévales et nourrira les contenus des expositions temporaires et actions culturelles de la Maison aux images. Propriété de la commune, cet édifice classé au titre des Monuments Historiques depuis le 1er octobre 1930, bénéficiera d’un programme de restauration spécifique, en particulier de son plafond peint à caissons du début du XVIe siècle, du carrelage du XVIIe siècle. Son programme de réhabilitation comprendra l’aménagement de 80 m2 en deux niveaux. Au rez‑de-chaussée, les baies obturées seront ouvertes et vitrées. La projection d’un film sur la maison et son plafond sera diffusée en continu sur grand écran visible depuis la rue. De petites expositions temporaires sur l’urbanisme et l’architecture du village, le secteur sauvegardé, et le plan local d’urbanisme (PLU) y seront présentées. Le premier étage est prévu pour une salle d’étude et le centre de documentation.

Fig. 24

Lagrasse (Aude), Maison Renaissance ; façade © Jean-Pierre Sarret

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 26

72 Dans les réserves seront rassemblés et conservés, en collaboration avec la DRAC, des éléments « orphelins », sauvés de la destruction et sans destination, de charpentes, de planchers et de décors intérieurs de constructions médiévales du Languedoc. Ces réserves seront aménagées dans une ancienne cave viticole (propriété de la commune), sécurisée, située dans le village. D’une surface de 90 m2 d’un seul tenant et de plain- pied, elles comprendront les réserves archéologiques proprement dites, un sas d’entrée, un espace de conditionnement, une salle de préparation des expositions et une salle de rangement du mobilier muséographique.

73 Pour les rencontres, il est prévu d’aménager et d’utiliser des espaces communaux disponibles : la salle de réunion de l’ancienne maison des communes, propriété de la commune, de 93 m2, équipée et sonorisée, deviendra l’auditorium pour des conférences, des projections audio visuelles. Lors de rencontres exceptionnelles (colloques et séminaires) la grande salle du foyer communal d’une capacité d’accueil de trois cents personnes assises sera mise à disposition, ainsi que la place et la halle. Le cadre prestigieux de l’abbaye pourra également accueillir, selon les besoins, certaines manifestations.

74 Les aménagements et la valorisation du bourg de Lagrasse portent sur un itinéraire de visite conseillé, qui sera marqué par la réhabilitation des sols en calades, par la succession de totems signalétiques directionnels et par trente panneaux d’interprétation (fig.25). Le fil conducteur en est l’architecture. Des lieux particuliers seront mis en valeur. Le visiteur sera guidé, par un média, type audio‑guide, d’un point d’intérêt à un autre. Il est prévu d’aménager quatre points de vue avec tables de lecture du paysage sur le bourg et la vallée de l’Orbieu, aux Planels (sur le tracé du GR 36), à Boucocers (sur le sentier de communication piétonne camping / bourg), à Plaisance, (quartier dominant du Pech) et au Roc de la Cagalière, point culminant du village.

75 Une équipe de maitrise d’œuvre sera retenue en fin d’année 2015. Après vingt-quatre mois d’études et de travaux la Maison aux images devrait ouvrir ses portes en 2018.

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 27

Fig. 25

Lagrasse (Aude) ; exemple de panneau d’interprétation Jean-Pierre Sarret © commune de Lagrasse

Une base de recherches : la cartographie interactive des plafonds peints européens

76 L’accélération des découvertes en milieu urbain et le développement des recherches universitaires consacrées aux plafonds peints ces dernières années posent la question de leur restitution, afin de rendre accessible leur évolution, tant aux chercheurs qu’au grand public. Or les études actuelles s’inscrivent dans des enquêtes régionales, voire nationales26, essentielles pour appréhender la création de ces décors dans un milieu donné. Il nous semble néanmoins nécessaire à présent de dépasser cette fragmentation géographique, afin d’élargir nos horizons de recherche et participer ainsi à une réflexion commune.

77 De la nécessité d’englober la dimension européenne du phénomène est né le souhait de mettre en place un instrument de travail commun aux chercheurs des différents pays concernés, qui permettrait un recensement cartographique des décors. Si ce projet n’est pas nouveau, la question de sa mise en forme est plus complexe. Plusieurs tentatives ont déjà vu le jour, mais n’ont offert que des solutions partielles aux spécificités des besoins. Parmi les conditions nécessaires à la bonne marche de cette entreprise, plusieurs critères se dégagent. Tout d’abord la nécessité de se baser sur un outil de cartographie, afin d’offrir un résultat visuel immédiat de la diffusion européenne des décors. Ce recensement doit pouvoir être fait de façon collaborative, car seul un travail collectif donnera des résultats satisfaisants. De même, l’instrument de travail idéal doit être aisément modifiable, pour rendre compte de l’évolution

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 28

constante des recherches et des découvertes. Et enfin, condition qui n’est pas des moindres, un outil facile d’accès et d’usage, pour être utilisé par le plus grand nombre.

78 Le développement récent de la cartographie numérique nous a offert les outils nécessaires pour une telle entreprise, et une première étape de travail, expérimentale a vu le jour27.

79 Le choix d’une cartographie en ligne est une réponse pragmatique aux besoins immédiats d’un instrument de travail efficace et diffusable auprès du public, l’outil choisi répondant à tous nos critères : les fonctionnalités de la carte permettent de distinguer les différents états de conservation des plafonds peints indexés, par un choix de calques se superposant sur le fond de carte. C’est un apport majeur, afin d’appréhender l’état de ce patrimoine, tout en indiquant les lieux de conservation de ces décors.

80 De nombreux développements sont envisageables, notamment une indexation thématique de ces œuvres, à partir d’un thesaurus défini par les chercheurs, qui permettrait une recherche iconographique spécifique. Dans la même optique de « produire » des résultats, la création d’une base de données qui interrogerait la carte à partir de critères spécifiques (géographiques, thématiques comme chronologiques) est l’évolution à laquelle nous aspirons.

81 Dans cet esprit, la mise au point d’une nomenclature (multilingue) des éléments caractérisant un plafond peint, est un axe de travail primordial pour aboutir à la définition de critères d’indexation communs. La qualité et la pertinence de la base de données sont directement tributaires de la mise au point d’un référencement validé internationalement.

Fig. 26

Carte interactive des plafonds peints méditerranéens © OpenStreetMap contributors © RCPPM

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 29

Fig. 27

État d’une notice idéale, exemple du plafond peint du château des archevêques de Narbonne à Capestang © OpenStreetMap contributors

82 À travers ces quelques réflexions on voit l’ampleur de la tâche à accomplir. On devine aussi la richesse artistique et ethnographique dont ces témoins oubliés sont porteurs. Il y a lieu d’espérer que le développement international des recherches sur la décoration des plafonds peints apportera une vision renouvelée de l’environnement social des trois derniers siècles du moyen âge.

NOTES

1. L’évolution de l’usage a amené une évolution de l’appellation ; il n’est donc pas inutile de préciser en préambule que lorsqu’il sera question du presbytère, de la Maison du patrimoine ou de la Maison aux images il s’agira bien du même édifice. 2. Cet article est un travail collectif de la RCPPM. 3. PEYRON, Jacques. Les plafonds peints gothiques en Languedoc. Thèse de 3e cycle de l’Université Paul Valéry, Montpellier, 1977, 3 vol. 4. BRUGUIER-ROURE, L. Plafonds peints du XVe siècle. Bulletin monumental, 1873, p. 570-589. 5. Conseil général du Gard. La maison des Chevaliers de Pont-Saint-Esprit, La demeure des Piolenc. Réd. GIRARD, Alain, t. 1, 2001, p. 67-68 ; DUMAS, Colette, PUCHAL, Georges. L’imagier de Fréjus. Les plafonds du cloître de la cathédrale. Paris : éd. du patrimoine, CMN, 2001 ; FUGUET I SANS, Joan, MIRAMBELL I ALBANO, Miquel. L’esglesia Sant Miquel de Montblanc i el seu teginat. Cossetània, Valls, 2006 ; DRAC Languedoc-Roussillon. L’ostal des Carcassonne. La maison d’un drapier montpelliérain du XIIIe siècle. Réd. SOURNIA, Bernard, VAYSSETTES Jean-Louis. Montpellier, 2014. Ouvrage téléchargeable en Pdf sur le site de la DRAC. ; MARUBBI, Mario. Eroi antichi di casa Aratori. Tavolette da soffito del Quattrocento a Caravaggio. Bolis : Bergamo, 2013. 6. Conseil Général du Gard. La Maison des Chevaliers de Pont-Saint-Esprit, t. 2, Les décors peints. Corpus des décors monumentaux peints et armoriés du Moyen-Age en France. Réd. MéRINDOL, Christian, de. Nîmes, 2000, 474 p.

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 30

7. RAFOLS, José F. Techumbres y artesonados españoles. Barcelona-Buenos Aires : Editorial Labor S.A. , 1926. 8. D'ARCANO GRATTONI, Maurizio. Tabulae pictae. Pettenelle e cantinelle a Cividale fra Medioevo e Rinascimento. Milan : Silvana éditoriale, 2013. 9. Les ouvrages sont en ligne sur le site de la RCPPM ; on citera notamment DRAC Languedoc- Roussillon. Images oubliées du Moyen Age. Les plafonds peints du Languedoc-Roussillon. Montpellier, 2011 (1er ed.), 2e édition 2014) ; ouvrage téléchargeable en Pdf sur le site de la DRAC. Une livraison des cahiers du musée épiscopal de Vic, reprenant une partie des actes des journées RCPPM de 2009, Charpentes et plafonds peints médiévaux. Études, conservation, valorisation. La Catalogne, a rassemblé des contributions concernant les plafonds peints médiévaux de Catalogne et Roussillon : Teginats pintats medievals i moderns : conservació, restauració, revaloració, Quaderns del Museu Espicopal deVic, VI, 2013. 10. Du Frioul à l’Aragon : esquisse d’une géographie des plafonds peints médiévaux, 9-11 octobre 2015. 11. Narrazione, exempla, retorica. Studi sull’iconografia dei soffiti dipinti nel Medioevo mediterraneo, a cura di BUTTA Licia, 2013, Caracol, Palermo. 12. BOUTICOURT, émilien. Construire des charpentes autrement : le Midi rhodanien à la fin du Moyen Âge, thèse de doctorat d’archéologie, l’université Paris 1, 2014. À paraître. 13. TERNI DE GREGORY, Winifred. Pittura artigiana lombarda del Rinascimento. Milano, 1981 (1e éd. 1958). Pour en savoir plus sur les Bembo. 14. FRATTA, Francesco. Soffitti lignei dipinti in Friuli tra basso Medioevo e primo Rinascimento, Tabulae pictae. Pettenelle e cantinelle a Cividale fra Medioevo e Rinascimento, a cura di d'ARCANO GRATTONI, Maurizio. Milan : Silvana editoriale, 2013, p. 95-107. 15. À la notairie de l’évêque de Béziers, les armoiries figurent sur du papier en forme d’écu, peint et collé, de même que les étoiles ou soleils peints au centre des merrains. Nous remercions Laura Ceccantini qui en a fait la remarque. 16. DRAC Languedoc-Roussillon Midi-Pyrénées. Plafonds peints de Narbonne. Réd. BOURIN, Monique, PUCHAL, Georges et alii. Montpellier, 2016. 17. PEYRON, op. cit. 18. Conseil général du Gard, 2001, op. cit. 19. DRAC Languedoc-Roussillon, 2011, op. cit. 20. Laura Ceccantini : La place de la charpente dans les constructions civiles médiévales en Bas-Languedoc. Thèse en cours sous la direction de Philippe Bernardi, Université de Paris I ; Julien Foltran : Les monastères et l'espace urbain et périurbain médiéval en pays d'Aude : Lagrasse, Alet et Caunes. Thèse sous la direction de Nelly Pousthomis et Jean-Loup Abbé, Université de Toulouse Jean-Jaurès. 21. La maison de la rue Foy, dite maison Sibra, depuis 1930 et les quatre plafonds l’ancien presbytère depuis 1948. Quatre closoirs démontés d’un plafond situé dans l’immeuble de la poste sur la place de la halle ont été protégés au titre des objets mobiliers en 1978, mais semblent à ce jour perdus. 22. Découvert plus tard, il n’a pas fait partie de la campagne de datation par dendrochronologie, menée par la DRAC en 2012 dans le département de l’Aude. 23. Ces plafonds sont à l’étude dans le cadre d’une étude d’archéologie du bâti préalable aux travaux sur la maison du patrimoine. 24. Deux sont à caissons et deux à poutres et solives. 25. Des boucles de promenade ont été imaginées et seront proposées dans cette mise en valeur touristique. Des sentiers partent du village vers des lieux proches, certains offrent des points de vue panoramiques sur Lagrasse et la vallée de l’Orbieu jusqu’aux Pyrénées. Les visiteurs ayant un peu de temps sont invités à les découvrir.

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 31

26. À l’échelle française, un premier bilan fut dressé par la publication du corpus de Christian de Mérindol ; Conseil général du Gard, 2000, op. cit. t. 2. 27. Cartographie accessible dans l’onglet études et documents sur le site de l’association.

RÉSUMÉS

L’Europe méditerranéenne a connu, à la fin du Moyen Âge, un moment culturel majeur avec une présence marquante de l’image dans le décor domestique. De ce décor, les plafonds peints sont le principal et souvent unique vestige, les enduits des murs ayant été maintes fois repris ou détruits, tandis que l’on se contentait de masquer les plafonds que l’on redécouvre aujourd’hui. Ils constituent donc un chemin de la recherche et de la valorisation des arts décoratifs encore largement inédit. Si toute l’Europe méditerranéenne a construit des charpentes peintes entre le XIIIe et le XVIe siècle, le bourg de Lagrasse (Aude) en compte un nombre exceptionnel. D’où le projet d’y créer un centre de valorisation des arts décoratifs médiévaux appelé Maison aux images, qui sera aussi un lieu fédérateur pour les recherches européennes sur le sujet.

In the late Middle Ages, Mediterranean Europe experienced a major cultural turning point, with a strong presence of imagery in domestic settings. Of these decors, painted ceilings are often the only vestiges to remain, with wall coatings having been rubbed down or destroyed, while people were often happy to conceal the ceilings that we are now rediscovering today. They therefore represent a largely undiscovered area of research and recognition for the decorative arts. Although painted frames were in vogue throughout Mediterranean Europe between the 13th and 16th centuries, Lagrasse in the Aude department is home to an exceptional number of them, hence the project to create a medieval decorative arts recognition centre there, called the Maison aux image, which will also serve as a unifying space for European research on this subject.

INDEX

Keywords : painted ceiling, monumental painting, framework, 13th century, 14th century, 15th century, Middle Ages Mots-clés : plafond peint, peinture monumentale, charpente, XIIIe siècle, XIVe siècle, XVe siècle, Moyen Âge Index géographique : Lagrasse, Teruel, Capestang, Aude, Aragon, Hérault

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 32

Quatre siècles d’artisanat verrier forestier en Languedoc méditerranéen : l’atelier du mas de Baumes Ferrières-les-Verreries, Hérault, XIVe-XVIIIe s Four centuries of forest glass craftsmanship in the Mediterranean Languedoc: the glassmaking workshop of the farmhouse of Baumes (Ferrières-les-Verreries, Hérault), 14th-18th century

Isabelle Commandré, Alain Riols et Bernard Gratuze

1 L’artisanat verrier forestier connaît un développement particulièrement important dans la région bas-languedocienne qui bénéficie d’une tradition profondément ancrée et florissante depuis les XIIe‑XIIIe siècles jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Pour autant, les modes et structures de production sont encore peu documentés et l’historiographie en livre généralement l’image d’un modeste réseau d’officines diffusant des objets de consommation courante. Fondée sur la complémentarité des sources écrites, archéologiques et archéométriques, une thèse de doctorat, soutenue en 2014, a plus particulièrement privilégié l’analyse de ces fabriques1.

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 33

Fig. 1

Localisation des principaux établissements verriers médiévaux et modernes établis sur et autour du causse de l’Hortus (XIIe-XVIIIe s.) © I. Commandré 2015

2 Parmi les espaces étudiés, celui du Causse de l’Hortus a fait l’objet d’une attention spécifique. En effet, il est actuellement reconnu comme le plus ancien et l’un des plus importants pôles de la production verrière de la région, actif depuis le milieu du XIIIe siècle au moins, avec plusieurs établissements reconnus par les textes et par l’archéologie (fig.1). Ce plateau calcaire de plus de 65 km que se partagent plusieurs territoires communaux2 est implanté au cœur des garrigues nord‑montpelliéraines, à une vingtaine de kilomètres de la ville. Avec une altitude moyenne de 300 m, il forme un vaste domaine forestier d’environ 3000 hectares, peuplé d’une chênaie mixte, riche en taxons méditerranéens3.

3 Aux périodes médiévale et moderne, cet espace fait l’objet d’une propriété fluctuante et mixte, aux mains de grands seigneurs laïcs et/ou ecclésiaux. Tous cependant centrent principalement l’exploitation de leurs bois autour de l’artisanat verrier qui s’ancre progressivement dans le maillage de grands mas, traditionnellement tournés vers l’agro‑pastoralisme. Parmi les nombreuses officines qui jalonnent l’Hortus, celle du mas de Baumes, implantée en bordure septentrionale du plateau, constitue l’un des plus considérables pôles d’activité. Aussi ce site bénéficie‑t‑il d’une importante documentation historique multiséculaire alors que les données archéologiques et matérielles demeurent encore ténues. Ces dernières ont été successivement constituées par deux campagnes de sondages réalisées pour l’une en 1993 sous la direction d’A. Riols et pour l’autre en 1994 sous la direction de F. Raynaud4. L’ensemble de ces données rassemblant plusieurs disciplines a permis, dans le cadre d’une thèse de doctorat soutenue en 2014, d’en dresser une monographie.

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 34

4 Le mas de Baumes constitue actuellement un domaine de 200 hectares. Entièrement dévolu à l’agriculture et l’élevage durant le XIXe siècle et la première moitié du XXe siècle, la métairie est ensuite laissée à l’abandon par ses derniers occupants dans les années 1960. Ce n’est qu’au début des années 1990 que le SIVOM (syndicat intercommunal à vocation multiple) de l’Hortus en fait l’acquisition, en vue de restaurer progressivement les espaces bâtis et de les revaloriser par le biais d’une nouvelle activité économique et de la mise en place d’un sentier à vocation patrimoniale : le chemin des verriers. Les restaurations d’une partie des bâtiments sont achevées en 2005 et accueillent désormais un complexe hôtelier de luxe.

Chronologie générale d’occupation

5 Le « mansio de Balma » est présent dans les textes bien avant que ne s’y trouve associée une quelconque activité artisanale. Mentionné en 1247 comme propriété de l’évêché de Maguelone, il est donné en fief à Pierre de Balmes qui en fait serment d’hommage au Prévôt5. Dès cette époque, le domaine est fragmenté : intégré pour une part dans le domaine royal et d’autre part comme une possession de l’évêque de Maguelone6. Les premiers indices indirects d’une activité verrière se font jour durant la première moitié du XIVe siècle lorsqu’ apparaissent dans les actes les noms des grandes familles d’artisans connus par ailleurs.

L’activité verrière à l’époque médiévale : divers propriétaires et divers artisans (1340 - 1er quart du XVIe siècle)

6 En 1303, un certain Bernard Vergile, dont la profession n’est pas précisée, reconnait détenir le mas de Baumes du seigneur de Ferrières7. Ce nom, associé à celui d’une grande famille de verriers - les Virgile -, ne suffit pas à confirmer à lui seul la présence d’une activité verrière, même s’il semble toutefois le suggérer.

7 Ce n’est qu’en 1340, lorsque Guilhem Adhémar, damoiseau de Claret, s’installe à son tour en ces lieux que la présence d’une officine est cette fois avérée8. La délimitation de la seigneurie de Rouet, établie le 23 juin 1355, atteste en effet tout à fait explicitement de la présence d’un établissement verrier au mas de Baumes puisque quatre verriers, parmi lesquels le même Guilhem Adhémar, y exercent9. Aucune précision ne peut être apportée quant à la localisation précise, au mode de fonctionnement ou encore à la durée de cette première organisation artisanale, dont la mise en place semble être étroitement liée à la verrerie de la Seube, sinon faire suite à son abandon10.

8 En 1426, les frères Jean et Michel Falcon sont présents dans ce domaine qu’ils reconnaissent tenir, là encore, de l’évêque de Maguelone. Ils officialisent l’organisation de leur travail et la communauté de vie par le biais d’une association permanente, ou affrayrament perpetuo mettant en commun tous leurs biens meubles et immeubles présents et futurs11. Doit‑on y voir le signe d’un accroissement de l’activité au sein de la fabrique tenue par les Adhémar ou, à l’inverse, celui de l’émergence une nouvelle fabrique faisant suite au délaissement des lieux par les premiers verriers ? Rien ne permet de le préciser. Après une décennie d’activité, la fratrie cède les droits qu’elle détient sur Baumes et le mas de Fournel à Bernard de Noalhac. L’acte de cession est passé le 17 janvier 1436 dans le mas de Balmes, à savoir sur une place publique ou avait été construit le four de la verrerie12. L’abandon momentané de l’activité verrière et le

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 35

démontage des structures de production semblent donc bien effectifs durant la deuxième moitié du XVe siècle13.

9 Les signes tangibles d’une reprise, à nouveau sous la conduite de la famille d’Azémar, sont perceptibles dans le tournant du XVIe siècle comme l’indique le contrat d’apprentissage de Claude Barjac passé le 29 septembre 149414. Les recherches menées par Saint‑Quirin avaient permis à l’historien d’établir que la fabrique est active au moins jusqu’à la fin du premier quart du XVIe siècle15.

10 Jusqu’à cette époque, le mas de Baumes se compose d’au moins trois corps de bâtiments dont les possessions foncières relèvent de plusieurs propriétaires, parmi lesquels le chapitre de Maguelone et quelques grandes familles locales comme les Noalhac ou les Michel16. À partir des années 1570, une nouvelle ère s’engage. François de Roquefeuil, seigneur de Viols et de Londres, bénéficie de la vente des biens de l’Église de la seconde moitié du XVIe siècle et se porte progressivement acquéreur de la totalité de la seigneurie du Rouet qui inclut le domaine de Baumes17. Non sans heurts et procès, les Roquefeuil achèvent le rassemblement de ces terres en 165718. De cet important remembrement foncier découlent de profondes mutations dans l’organisation de la production verrière. Dès lors, c’est la famille de Laroque, issue du proche mas de Couloubrines, qui assure durablement le contrôle du secteur, parfois aidée ou momentanément relayée par d’autres artisans.

Période Moderne : la mainmise des de Laroque sur un vaste domaine unifié (1570‑1700)

Première phase

11 Plusieurs membres semblent déjà exercer leur art sur le proche territoire de Pompignan comme en atteste la présence de Bastien de Laroque mentionné par Saint‑Quirin dès 153919. L’installation au Mas de Baumes semble effective en 1570, lorsque Mathieu de Laroque, habitant de Pompignan, y achète une maison et un jardin20. Le verrier ne semble pas mener seul son activité puisque le 10 octobre 1574, son fils noble François de Laroque, également habitant du mas, contracte une dette auprès d’un marchand de verre de Sayrac21. Cette première phase semble effective jusqu’au 30 septembre 1582, date à laquelle Mathieu de Laroque décède et ses héritiers se défont de leurs biens détenus en ces lieux au profit de François de Roquefeuil22. Le compoix de Ferrières, dressé en 1594, ne signale logiquement aucune activité verrière : ces infrastructures, considérées comme biens nobles, ne sont en effet pas astreints à la taille. Mais il permet toutefois de confirmer que les de Laroque ne figurent plus parmi les propriétaires du mas de Baumes23.

12 Les fils de Mathieu de Laroque, François et Bastien, quittent le secteur et vont ouvrir un nouvel établissement plus proche du littoral et de l’agglomération de Montpellier. Ils s’établissent dans les bois du Mas d’Agrès sur le territoire de La Boissière et fondent également la verrerie de l’Arboussas à Argelliers (Hérault)24. Cette période de chômage du centre de Baumes semble compensée dans la région par l’activité d’autres centres comme celui de Couloubrines, puis de Cazenove.

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 36

Deuxième phase

13 La présence d’une officine25 semble à nouveau apparaître vers le milieu du XVIIe siècle et sera, à partir de là, plus ou moins continue pendant plus de 40 ans. en 1657, le vicomte de Roquefeuil arrente à Antoine de Laroque, maître verrier de Couloubrines, le domaine de Baumes et ses bois & aussi la jasse pour y faire veyrière26. L’amodiation27 suggère la mise en place de nouvelles infrastructures ; toujours dans la même propriété mais probablement dans un lieu bien distinct du précédent atelier. Dans les années qui suivent, l’établissement semble prendre une certaine importance : d’autres verriers comme son frère Louis de Laroque ou encore Clovis de Castelvieil viennent y travailler28. en 1666, le maître des lieux engage un procureur espicial et général pour gérer ses affaires courantes, notamment les prêts qu’il accorde à divers particuliers29. en 1676, Antoine de Laroque s’associe à Jean de Laroque, sieur du Villaret, pour une durée de six années30. L’acte précise que les deux hommes travailleront la premiere année de leur société a lad(ite) mestherie de Baumes, pour parachever larrentement que led(it) Sieur Anthoine de la Roque a passé avec madame la viscomtesse de Londres et les autres années de leur société aux lieux qui trouveront les plus commodes pour le faire. De fait, ils semblent également avoir investi dans le même temps les métairies de Villaret (Commune du Rouet, Hérault) et des Claparèdes (commune de Montoulieu, Hérault). Durant cette même année 1676, les deux hommes residans à la verrerye de Baumes et du Villars font l’acquisition d’une coupe dans le bois de Montguilhem, proche du mas des Claparèdes pour luzage de leur verrerie pour le temps & terme de troys annes31. En parallèle, Jean de Laroque et sa mère demeurant à present à leur metterie de Villaret (…) ou ilz ont faict dressé une verrière s’endettent auprès d’un habitant de Saint‑Bauzille‑de‑Putois après l’achat d’importantes denrées alimentaires pour leur nourriture, et entretien de leur familhe et ouvriers de ladite verrerie32. Chacun de ces actes mentionne bien la présence d’une seule fabrique et semble ainsi suggérer un fonctionnement en alternance pour ces trois établissements que dirige une seule et même équipe. Trois ans plus tard, le décès d’Antoine de Laroque met fin à cette société comme en atteste l’inventaire de ses biens communs de l’atelier, dressé le 7 novembre 167933. Après la disparition de son associé, Jean de Laroque continue à faire tourner l’établissement de Baumes, avec plusieurs collaborateurs parmi lesquels ses deux frères et peut‑être en alternance avec sa propre verrerie du Villaret, jusqu’en 170034. Il apparaît dans de nombreux actes, désormais qualifié comme « maitre de la verrerie de Baumes »35.

14 Cette deuxième moitié du XVIIe siècle, où les feux semblent pratiquement ne s’éteindre qu’entre chaque campagne, constitue l’apogée à la fois économique et foncière du site. Ce dernier semble dépasser le stade du simple mas et se voit désormais désigné comme « hameau » ou « village de baumes »36.

La direction provisoire des De Girard (1707-1746)

15 Si l’activité s’interrompt sans doute momentanément lorsque la carrière de Jean de Laroque du Villaret prend fin à la fin de l’été 1700, la reprise paraît cependant rapide et, pour un temps, le domaine passe sous la direction de la famille de Girard. D’origine gardoise, ses membres sont présents sur le causse et travaillent à cette époque dans divers établissements depuis près d’un demi‑siècle37. Vers 1707, Antoine de Girard de Sérignac loue déjà une partie du mas de Baumes et se consacre à la fabrication du verre38. À cette époque, pas moins de sept gentilshommes travaillent ensemble dans

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 37

l’officine. Avec cette nouvelle génération d’artisans, les lieux changent de configuration et la zone de production change sans doute à nouveau de place : la verrerie est installée à proximité du logis principal39. Si les activités artisanales et agro-pastorales ne cessent de fonctionner simultanément, elles deviennent en revanche bien distinctes, chacune étant gérée par un tenancier qui dispose d’une partie des bâtiments. Un nouveau bail passé en 1723 pour une durée de six ans établit clairement cette scission géographique et humaine des activités du mas de Baumes40.

16 Ce premier quart du XVIIIe siècle marque un tournant décisif quant à l’apport que constituent les textes. Les écrits de 1707 et de 1723 renseignent pour la première fois la nature des productions réalisées en ces lieux. en 1707, elles consistent en bouteilles, verres, flasquettes, cornues ou vaisseaux servant pour l’eau forte41. L’acte de 1723 fait montre d’une rente versée en argent et en nature : chaque année, le verrier sera tenu de fournir trois quintaux de bouteille d’Angleterre42. Dès lors, c’est probablement ces contenants en verre noir qui deviennent le produit manufacturé privilégié. L’officine semble fonctionner sans problème particulier lorsque, pour pallier la déforestation massive du Royaume, paraît le premier Arrêt du Conseil du Roy le 9 août 1723 qui interdit l’établissement de nouvelles forges et verreries sans l’obtention préalable de lettres patentes43. Les effets s’en font ressentir assez rapidement et les enquêtes et inventaires des bouches à feu, menées par les États de Languedoc dans les mois qui suivent, pointent l’Hortus comme un espace potentiellement exploitable pour alimenter en combustible la ville de Montpellier44. Par arrêt du Conseil du Roy du 7 août 1725, les trois établissements verriers que compte encore le secteur sont sommés de migrer en direction de l’arrière-pays languedocien, sur les montagnes de l’Aigoual et de l’Espérou45. La riposte des gentilshommes verriers, organisés en réseau dense et solidaire en Languedoc, ne tarde pas et se fait sur plusieurs fronts46. En sa qualité de syndic des verriers du Bas‑Languedoc, Antoine de Girard prend largement fait et cause pour assurer la pérennité de son établissement comme celle des autres. À l’issue de ces revendications, l’Intendant de Bernage leur accorde un délai correspondant au temps d’une campagne et au‑delà duquel ils devront honorer les nouvelles règlementations en déplaçant leur activité47. Dans les faits, ce premier coup de semonce de l’administration ne connait, à court terme, aucune application et le mas de Baumes poursuit donc son industrie. Elle se fait sous la conduite de François de Girard qui parvient même à renouveler l’arrentement du domaine en 1729, puis en 173548. Durant cette dernière année, pas moins de sept verriers s’y activent, aidés de six domestiques49.

Le retour de la famille de Laroque (1740-1790)

17 Avec le décès de François de Girard50, le milieu du XVIIIe siècle est marqué par le retour de la famille de Laroque dans la métairie. Louis et Pierre, également héritiers de Couloubrines, y travaillent tout d’abord en qualité de simples employés en 174051. Le 4 741, une association de cinq gentilshommes lie désormais les deux familles qui prennent conjointement la direction de l’officine52. Cette nouvelle période donne lieu au rachat des fonds qui livre à nouveau un état relativement complet de la verrerie et des bois mis à disposition53. La valeur des fonds de l’établissement est estimée à 4856 livres, somme que les acquéreurs s’engagent à payer dans les cinq années qui suivent.

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 38

Un déplacement contraint…

18 L’atelier de Baumes continue ainsi à fonctionner jusqu’à ce que, près de vingt ans après les premières promulgations, l’administration languedocienne mette en place de nouvelles mesures qui, cette fois, devront être appliquées. La sévère inflation du prix du bois conduit en effet les autorités de la Province à envisager d’autres combustibles et réduire drastiquement le nombre de bouches à feu. À cet effet, les enquêteurs J. Pitot et P. souche organisent une visite des abords de l’Hortus les 20 et 21 avril 1744. Ils sont reçus, guidés et logés par les verriers qui leur montrent l’étendue des réserves forestières que compte encore le secteur, aux fins de modérer sans doute l’impact de leur activité sur l’environnement qui les entoure54. Mais de leur visite et de leur nuit au mas de Baumes, les deux procurateurs des eaux et Forêts concluront surtout que led(it) causse n’etant eloigné de la ville de Montpellier que de quatre, cinq et six lieuës, il est possible d’en transporter le bois jusqu’à la ville par bât, puis charrette. Ordonnance est donc faite, de détruire les verreries du Causse, dont celle du mas de Baumes, et d’en déplacer définitivement les installations dans l’arrière‑pays. Cette fois, les nombreuses suppliques du « Sieur De La Roque et compagnie, maître de la verrerie de Baumes », pas plus que celles des habitants de Ferrières, Saint‑Martin-de-Londres et Pompignan, ne trouveront d’écho favorable55. Ils se voient donc contraints de quitter les lieux à l’automne 1745 pour s’établir, après de nombreuses tergiversations autour de plusieurs implantations possibles, au Mas de Prats (commune de Saint‑André‑de‑Buèges, Hérault), à quelques trente kilomètres de là, sur les premiers contreforts du Massif Central. Les compagnies de Baumes et de Ricome joignent momentanément leurs effectifs pour remettre en fonction l’atelier, délaissé alors depuis une trentaine d’années56. Pour autant, les massifs forestiers de la région de l’Hortus ne semblent pas plus exploités suite au déplacement des officines57.

…Mais provisoire

19 Il aura fallu moins d’une vingtaine d’années pour que le Mas de Baumes obtienne, et pour la dernière fois, les autorisations nécessaires au rétablissement de sa verrerie. L’interdiction formelle qui s’étendait à l’ensemble du Causse se voit donc partiellement levée par l’entremise de son principal propriétaire, le marquis de Roquefeuil. Ce dernier, après avoir remis en état les lieux, adresse une requête à l’Intendance en 1761 et justifie cette nouvelle installation par l’importante quantité de chênes blancs fort gros et fort vieux et dépérissant journellement que compte son domaine58. Des lettres patentes du 3 mars 1762 lui octroient formellement le droit pour l’affouage d’une verrerie (…) seule voye praticable pour leur consommation (les bois)59. Quelques semaines plus tard, c’est à Jérôme de Laroque que le marquis vend ses bois et cède, à titre gratuit, l’ancien logement d’Antoine de Girard à la métairie de Baumes60. Autre avantage non négligeable et témoignant bien de la volonté de rétablir cet artisanat profitable à l’équilibre économique du secteur, le gentilhomme obtient du propriétaire le droit de prélever, là encore gratuitement, du sable des mines et de la terre grasse dans ses terres.

20 En 1767, après la mort du seigneur de Roquefeuil, cet immense domaine est partiellement démembré et soumis à la vente. Jérôme de Laroque acquiert pour 24 000 livres le mas de Baumes, comprenant l’ensemble de ses constructions ainsi que 200 hectares de terre, où il exerce toujours avec ses trois fils61. Outre la verrerie, le gentilhomme se retrouve également à la tête d’un important cheptel ovin. Les

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 39

campagnes de production semblent ensuite se maintenir pendant une dizaine d’années sans incidence notable62. En 1788, Jérôme de Laroque et son fils aîné, probablement très conscients du statut déclinant de leur profession, s’essayent à un projet de verrerie industrielle fonctionnant au charbon de terre à Sète qui, malgré un accueil apparemment favorable des autorités locales, ne verra jamais le jour63. Ils maintiennent leur activité au domaine de Baumes jusqu’en 1790, date à laquelle les feux de la verrerie, qui est désormais la dernière du Causse de l’Hortus, s’éteignent définitivement64.

21 La documentation textuelle met donc en lumière une longue et dense histoire pour ce site, étroitement lié aux autres établissements du secteur. Le caractère complexe que livre ce type de source ne trouve en revanche que peu d’écho dans les apports de l’archéologie.

Organisation générale du site et de l’atelier : l’apport de l’archéologie

22 Le hameau du mas de Baumes compte actuellement une dizaine de constructions qui se répartissent sur près de 1000 m2. Ces unités s’organisent selon trois ensembles (groupe I, II et III), bien distincts les uns des autres à la fois par des orientations propres et la présence de chemins bordés de murets. Tous convergent cependant vers un secteur central qui ne présente actuellement aucun vestige particulier visible65. Les données historiques font état d’une remarquable permanence des formes matérielles de cette occupation et du caractère triparti du Mas de Baumes (fig.2).

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 40

Fig. 2

Ferrières-les Verreries (34), plan général du Mas de Baumes et localisation des fouilles (1993-1994) © I. Commandré 2015

23 Le premier et principal groupe forme la partie orientale du domaine. Il est composé de quatre corps de bâtiments (n° 1-2-3-4a et b) orientés nord-ouest/sud-est, agencés en équerre et formant un important ensemble architectural d’environ 350 m2. Il est bordé d’une cour fermée à l’ouest et d’une terrasse, ou enclos, à l’est. Le groupe II, implanté en bordure nord‑ouest du site, comprend trois édifices (n° 5-6-7), globalement orientés nord-sud ou bien est‑ouest. Ils occupent une emprise cumulée de près de 300 m2. Enfin, le groupe III est localisable dans la partie la plus méridionale du mas. Avec une superficie bâtie d’environ 200 m2, il est caractérisé par la présence d’une construction centrale (n° 8), orientée nord-est/sud-ouest, à laquelle ont été accolées deux petites annexes (n° 9 et 10) ainsi qu’un enclos.

Les constructions périphériques

24 L’officine tardive mise en évidence au sein du Groupe I ne représente qu’une modeste partie de ce groupe architectural principal du mas de Baumes (Voir plan général du Mas). Celui‑ci compte en effet au moins un corps de logis central à trois niveaux d’élévation (n° 2) à partir duquel prennent appui quatre autres constructions plus modestes, érigées sur un à deux niveaux (n° 1-3-4a et b). La halle verrière étant directement en butée contre le bâtiment n° 1 qui en constitue la fermeture septentrionale, il paraît logique d’associer ces deux espaces, tout du moins durant le fonctionnement de l’atelier. L’accès d’au moins deux des trois pièces du rez‑de‑chaussée est en effet totalement conditionné par un passage préalable dans l’aire de travail. elles peuvent donc avoir été employées, le temps des campagnes, au

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 41

stockage de certaines matières premières ou bien des pièces manufacturées en attente d’être transportées vers les lieux de revente. L’habitation principale, a priori de facture moderne66, est également très proche de l’atelier. Elle représente la forme d’architecture la plus élaborée du domaine de Baumes (fig.3).

Fig. 3

Ferrières-les Verreries ; vue générale, depuis le sud, des bâtiments principaux de la métairie de Baumes Groupe I. L’arbre occupe l’emplacement de l’atelier © A. Riols/ODAC 1993

25 Les trois autres dépendances, si elles ont pu participer du bon fonctionnement de la fabrique en assurant le logement de domestiques ou le stockage de certaines denrées, pourraient par ailleurs avoir été réservées aux activités domestiques et agricoles qui constituent l’autre versant économique des lieux67.

26 D’une manière plus générale, le repérage des unités les plus anciennes du site s’avère, au gré de modifications multiséculaires et des récentes restaurations, relativement délicat. Leur agencement montre en revanche une remarquable fossilisation du morcellement médiéval de la propriété. Le cadastre napoléonien, dressé dans le secteur en 1835, reprend en effet peu ou prou les trois ensembles actuellement visibles, dont la distinction se fait encore plus nette (fig.4).

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 42

Fig. 4

Ferrières-les Verreries ; extrait du Cadastre napoléonien du mas de Baumes (1832) © Archives départementales de l’Hérault, 3 P 3527, section C1

27 Pourtant rassemblés durant l’Ancien Régime sous l’autorité et la propriété commune du Seigneur de Roquefeuil, ces trois groupes vont conserver une certaine autonomie dans leur usage, dépendant le plus souvent de divers tenanciers, et parfois même garder une dénomination héritée des derniers siècles de l’époque médiévale68. Si les données archéologiques n’ont pu mettre en évidence la présence d’une activité verrière que pour deux des trois groupes, les témoignages historiques confirment sans ambiguïté la présence de verreries dans chacun de ces espaces au cours de la longue occupation du site.

Les espaces de production verrière

28 Les résultats présentés ici constituent la synthèse et la mise en perspective des précédents travaux menés par A. Riols et F. Raynaud. La première campagne de 1993 avait plus spécifiquement vocation à dresser un état des lieux sanitaire général du bâti et vérifier, sur la base d’une documentation historique abondante et déjà bien analysée, la localisation des vestiges de l’officine la plus tardive69. En juillet 1994, la fouille de sauvetage dirigée par F. Raynaud a consisté en une surveillance visant à accompagner les nombreux creusements de tranchées nécessaires à l’installation des réseaux en eau et électricité70. Cette dernière opération, marquée par des explorations plus aléatoires, a révélé la présence d’une seconde aire de production. En bordure orientale du groupe III, un épais remblai comportait de nombreux déchets de verre ainsi que des fragments de creusets pris dans une matrice cendreuse71. Il était associé à un mobilier céramique rattachable à la période des XIVe‑XVe siècles. Le caractère désorganisé de ces artefacts a amené l’équipe de fouille à interpréter ce niveau comme une simple zone d’épandage de déchets d’une officine médiévale qui devait se trouver à proximité immédiate. Les principaux témoignages de l’activité verrières demeurent donc les vestiges découverts en 1993 dans la cour occidentale du bâtiment principal (groupe I). Son décapage a, en effet, révélé la présence de deux structures de chauffe, sans nul

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 43

doute à mettre en lien avec les dernières occupations artisanales du site, durant le XVIIIe siècle.

La halle

29 Les vestiges de la halle n’ont été que partiellement dégagés et l’entrée principale n’a probablement pas été reconnue. L’infrastructure artisanale s’inscrit dans une architecture qui la précède largement, aussi en adopte‑t‑elle naturellement l’orientation nord‑est / sud-ouest. Elle est bornée au nord par le bâtiment n° 1, dont la façade méridionale devait servir à fermer l’atelier. À l’ouest, les vestiges semblent également ceinturés par le mur occidental de l’actuelle aire ouverte. La présence de nombreux remaniements encore visibles dans sa maçonnerie lui confère, pour ses états antérieurs, une autre dévolution que celle de la simple clôture72. Enfin, la fouille a permis de localiser les murs sud et est qui prennent directement appui sur les maçonneries anciennes pour former, au final, une halle quadrangulaire de 13 m de long pour 11,50 m de large73. Ces structures, qui affleurent pour la plupart à la surface de la cour, ne sont conservées que sur une seule assise, ce qui limite considérablement les observations possibles (fig.5).

30 Les matériaux locaux semblent amplement prédominer dans la construction avec l’emploi de blocs de calcaire froid d’un module petit à moyen, simplement dressés en double parement et liés par un mortier de chaux. Les murs ont une épaisseur moyenne de 0,65 à 0,70 m ; ils comportent au moins une ouverture supplémentaire, et probablement deux74. La présence d’un si grand nombre de points de passage de module variable peut certes s’expliquer par une évolution des espaces de circulation durant la période de fonctionnement de cette halle75.

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 44

Fig. 5

Ferrières-les Verreries (34), plan général des vestiges de la verrerie retrouvés lors de la fouille de 1993 – Groupe I © I. Commandré 2015

31 Mais elle pourrait par ailleurs trouver sens par des fonctionnalités différentes : transport du bois pour l’alimentation du four en bois, zone de transport pour les pièces à recuire ou encore circulation entre l’espace de production et d’autres zones domestiques du mas76. Concernant les parties hautes de la bâtisse, la présence récurrente de tuiles courbes dans le petit niveau de destruction indique la présence d’une couverture en terre cuite, portée par deux arcs diaphragmes d’après le compte- rendu des réparations effectuées en 174577.

32 Eu égard aux faibles niveaux d’exploration des quelques niveaux conservés, l’exploitation des données stratigraphiques reste limitée. À l’aplomb de l’ouverture méridionale du mur ouest, les restes d’un pavage de sol sont encore en place. Il est formé de dalles de calcaire froid local relativement calibrées, mais agencées sans ordre particulier. Ce niveau de circulation aménagé paraît avoir été mis en place sur l’ensemble de la halle, comme le confirme un petit sondage pratiqué dans l’angle nord‑ouest de la pièce78. Une différence altimétrique de 0,45 m semble toutefois indiquer que l’espace interne de travail était probablement organisé sur deux niveaux, de part et d’autre du four principal. Les investigations complémentaires, menées par F. Raynaud sur les élévations de cette partie du mas, ont permis d’associer le dallage de la halle des verriers avec celui des bâtiments n° 1 et 279. L’ensemble participe donc des dernières phases de travaux et de réaménagements du domaine, que l’on rapprocherait volontiers des textes relatant les réaménagements du site dans les années 1745, puis 1760. Aucun mobilier ou élément stratigraphique remarquable n’a semble-t-il été retrouvé en lien avec ces niveaux d’occupation.

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 45

Les structures de chauffe

33 Le faible niveau d’enfouissement des structures de chauffe devait très probablement rendre visible certaines parties, notamment le foyer du four de fusion caractéristique par sa forme ronde, avant le décapage. Ce dernier a permis de cerner la présence de deux fours pour lesquels aucune donnée matérielle ne permet d’établir de stricte contemporanéité.

Le four de fusion

34 Ce premier ouvrage est localisable dans la partie septentrionale de la halle et n’est conservé lui aussi que sur une seule assise, dépassant rarement 0,10 m de hauteur, qui permet tout juste d’en approcher la morphologie générale. Il présente une forme bipartite, orientée nord‑sud, composée d’un élément central et circulaire de 5 m de diamètre, prolongé dans sa partie méridionale par un massif trapézoïdal, formant une sorte d’aile associée à la fournaise. L’arrêt de la fouille au niveau de l’apparition de ces vestiges ne permet pas de déterminer la profondeur d’enfouissement ni de déterminer si la structure était semi-enterrée. La mise en œuvre peut cependant en être abordée. Elle fait état d’un aménagement élaboré à partir de blocs de calcaire froid de divers modules présentant de nettes traces de rubéfaction. À l’interface entre le parement externe du four et le dallage du sol, des petites dalles de calcaire ont été posées sur chant sans doute en vue de protéger les parties basses du four. L’ensemble pourrait participer d’une seule et même campagne d’édification (fig.6).

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 46

Fig. 6

Ferrières-les Verreries (34), vue générale, depuis le nord, du four de fusion en cours de dégagement - Niveau d’arrêt de la fouille © A. Riols/ODAC 1993

35 La construction circulaire peut être interprétée comme l’aire de chauffe et de travail du verre. L’épaisse couronne de maçonnerie qui entoure le foyer fait en moyenne 1,10 m de large. Elle délimite ainsi une ampoule parfaitement circulaire de 2,60 m de diamètre. Une seule ouverture d’environ 1 m de large, destinée à la fois à l’alimentation en bois et à l’évacuation des cendres, est aménagée au sud‑ouest. L’accès au foyer semble conditionné par un couloir d’alimentation d’à peu près 1,50 m de long, qui s’élargit vers le reste de la pièce. Au nord, le mur de soutènement aboutit directement à la porte méridionale du mur ouest de la halle aux fins sans doute de faciliter les opérations d’enfournement du combustible. Au sud, ce passage est délimité par l’imposant massif trapézoïdal qui forme la deuxième partie de four80. En l’état de la documentation, il reste délicat d’interpréter ce dernier ouvrage qui n’a été que partiellement dégagé. Très clairement en lien avec la partie circulaire contre lequel il prend appui, il semble aboutir vers un espace, peut-être une petite pièce, de 4,50 m de large pour 5 m de long dont la fonction reste indéterminée.

36 Faute de vestiges, aucune observation directe ne peut être établie pour les parties hautes de cette première structure de chauffe. L’aire du foyer indique toutefois une sole qui devait sans doute être circulaire et faire un minimum 2,50 m de diamètre. Par ailleurs, la présence de nombreux éléments de remplois dans les murs alentour porte à croire qu’une partie de cette maçonnerie était faite de briques réfractaires calibrées81. Ils témoignent en outre de l’usage de creusets circulaires d’une très importante contenance. Au moins un de ces contenants se trouve encore pris dans la maçonnerie du mur de la cour82.

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 47

37 De par ses dimensions massives et son caractère central, cette première structure de chauffe peut être interprétée comme un four de fusion. Elle présente par ailleurs de très nettes similitudes avec celui de l’atelier provençal de Roquefeuille, un peu plus précocement daté dans le XVIIIe siècle83. Si son identification ne pose pas réellement difficulté, son mode de fonctionnement reste en revanche moins bien compris. Lors de la fouille, l’aile qui prolonge l’espace de chauffe n’avait fait l’objet d’aucune interprétation, faute d’éléments tangibles pour en proposer un schéma d’organisation. La description que livre P. A. Chaptal sur les derniers fours à bois des verreries languedociennes à des époques contemporaines de cet atelier en livre peut‑être quelques éléments de réponse. Le célèbre chimiste fait état d’un espace de recuisson de pièces, situé en partie sommitale du four circulaire, mais parfois prolongé sur le côté par des arches à recuire84. Ce type d’espace permettrait donc tout à la fois une baisse progressive de la température des pièces ainsi que le stockage de l’importante quantité de bouteilles produites quotidiennement et en série à cette époque tardive. La qualité des vestiges, ainsi que l’analyse qui n’en est proposée ici qu’a posteriori, incitent toutefois à garder mesure quant à ces quelques pistes de réflexion.

Un four de recuit ?

38 Une deuxième structure de chauffe a été sommairement dégagée en bordure méridionale de la fouille. Comme pour le reste des vestiges, elle n’a fait l’objet que d’une conservation très partielle et ses élévations n’excèdent pas le premier niveau d’assise. Durant la campagne de fouille, aucune description n’en a été réalisée, mais l’établissement d’un relevé en plan ainsi que la documentation photographique aimablement mise à notre disposition permettent d’en proposer les principales caractéristiques. Cette structure se présente sous la forme d’une simple maçonnerie quadrangulaire de 5 m de côté, orientée tout comme la halle, nord‑est / sud‑ouest. Elle se situe d’ailleurs dans le prolongement immédiat de ce bâtiment qui englobe seulement le four de fusion et l’arrêt de la fouille ne permet pas d’établir si l’édifice se trouvait dans une seconde pièce ou bien en aire ouverte. Le four paraît bâti à partir de moellons de calcaire froid, d’un calibre légèrement inférieur à ceux de l’ouvrage principal. Une étroite ouverture de 0,50 m de large, aménagée sur sa face ouest, permet l’accès à la zone foyère. Cette dernière observe une forme générale allongée en fer à cheval et fait 2 m de long pour 1 m de large dans sa partie la plus développée85.

39 Malgré l’indigence des données relatives à ce deuxième espace de chauffe, il a été perçu par l’équipe de fouille comme étant un four de recuit. Sa morphologie générale rejoint en effet bon nombre d’exemples bien documentés86. Si cette hypothèse paraît effectivement la plus probante, elle sous-tend alors la présence d’une autre pièce accolée à la halle telle que précédemment reconnue à partir des données de terrain87. Il importe également de souligner à nouveau que rien ne permet actuellement de lier les deux structures de chauffe, aussi est-il envisageable que ce four de recuit soit rattachable à une précédente phase d’activité de l’atelier.

Les derniers niveaux de fonctionnement de l’atelier

40 Le décapage effectué en 1993 n’a pas permis d’atteindre les derniers niveaux de fonctionnement de l’atelier. Il est toutefois probable que les très importantes opérations de dérasement, puis de déblaiement de la cour à l’issue de l’occupation

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 48

verrière ont définitivement oblitéré l’ensemble de ces données sédimentaires. Reste que la partie septentrionale de l’atelier où les verriers circulaient quelque 0,50 m plus bas a piégé encore quelques informations comme en témoigne le petit sondage pratiqué dans l’angle nord‑ouest de la pièce. L’exploration a révélé la présence d’un important remblai d’abandon comprenant à la fois les matériaux de construction de la bâtisse ainsi que de très nombreux déchets de production en verre. Par ailleurs, les tranchées pratiquées en 1994 dans la terrasse orientale de cette partie du mas ont révélé la présence d’un important dépôt cendreux témoignant d’une zone de rejet des résidus de combustion88.

Les productions de l’atelier du Mas de Baumes

41 Lors du décapage de 1993, aucun mobilier n’a été récolté dans le petit niveau de terre végétale qui recouvrait les vestiges. Quelques déchets de fabrication ont malgré tout été piégés dans les niveaux d’abandon testés en bordure septentrionale. Ils montrent une production de verre principalement centrée sur la réalisation de récipients de stockage des liquides89. Ici encore, le recours aux données textuelles s’avère plus probant ; la documentation du début du XVIIIe siècle rapporte, pour la seule verrerie de Baumes, la fabrication de bouteilles, verres, flasquettes, cornues ou vaisseaux servant pour l’eau forte90, ce que confirme assez largement le mobilier de la cachette des verriers découvert fortuitement et qui contenait principalement des topettes (fig.7). Le renouvellement du bail de 1723 précise également la mise en œuvre de bouteilles d’Angleterre91.

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 49

Fig. 7

Un exemple des productions tardives (2e moitié XVIIIe s.) du Mas de Baumes et de Couloubrines : les topettes © C. Durand/CNRS-UMR 7299, Aix-en-Provence, 2013

42 Aucun mobilier n’ayant été conservé à l’issu des découvertes archéologiques, les analyses physico‑chimiques ont été pratiquées à partir du mobilier de la prospection réalisées en 2011‑2012 autour de l’atelier fouillé et d’un prélèvement effectué sur les verres de la cachette des verriers (fig.8)92. Elles ont révélé des compositions sodiques tout à fait traditionnelles, probablement basées sur l’usage de matières siliceuses et d’une soude végétale - le salicor - d’origine locale (fig.9).

Fig. 8

Ferrières-les Verreries. Composition des verres du site de Lallemand déterminée par LA-ICP-MS,

principaux oxydes en % massique (Na2O à Fe2O3), autres oxydes (Cu O à Pb O) en parties par million (ppm)

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 50

Fig. 9

Ferrières-les Verreries (34). Diagramme Na2O/ K2 + MgO/ CaO. Pour les échantillons testés, on observe la très nette composition sodique méditerranéenne, à fondant produit à partir de cendres de plantes halophytes littorales (salicor)

43 Malgré leur caractère tardif, les recettes employées par les derniers verriers du Mas de Baumes ne montrent donc encore aucun recours à la soude industrielle qui commence pourtant à se développer à cette époque comme en témoignent d’autres ateliers à peu près contemporains, tels que le petit centre des Natges (Saint‑Maurice‑Navacelles, Hérault). Par ailleurs, l’usage extrêmement réduit des colorants et adjuvants (cobalt et manganèse) donne au verre une teinte naturelle légèrement vert‑bleuté.

Conclusion

44 Avec 450 ans d’occupation discontinue comprise entre les années 1340 et 1790, le mas de Baumes constitue à ce jour le plus long témoignage de l’activité verrière du Languedoc. Il figure parmi les toutes premières zones d’installation et sera le dernier centre forestier du littoral languedocien à fermer ses portes. Au total, le site cumule à lui seul plus de 200 ans de production avérée par les textes, soit environ 7 générations de verriers, avec des séquences d’abandon de moins en moins marquées. De fait, les phases d’activité plus ou moins continues s’allongent jusqu’à atteindre des périodes comprises entre 30 et 40 ans pour les XVIIe et XVIIIe siècles où les lieux sont alors considérés dans les écrits comme un véritable village d’artisans. Vaste domaine forestier aux réserves qui pouvaient paraître comme presque inépuisables, ce secteur où domine largement l’agro-pastoralisme constituait un cadre idéal à la pérennité d’une telle activité que les gentilshommes comme les propriétaires fonciers successifs ont su mettre à profit. Hormis quelques témoignages de charbonnage93, chaufournage et bûcheronnage pour lequel un tri des essences est organisé, les verriers resteront le

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 51

principal débiteur des bois dans le territoire jusqu’à leur départ définitif. Mais l’exceptionnelle durée de ce centre n’en fait pas le seul élément remarquable. L’activité verrière rattachée à la métairie semble en effet se caractériser par des phénomènes de déplacements dont l’échelle semble s’élargir avec le temps. Dès lors, le mas de Baumes ne doit pas être envisagé comme un simple établissement, mais comme une entité primitive autour de laquelle gravite une multitude de sites dans un rayon plus ou moins vaste. L’image qu’en fournit pour l’heure l’archéologie semble donc très vraisemblablement restrictive par rapport à la lecture qu’en suggèrent les textes.

45 Les ateliers médiévaux, auxquels les vestiges ténus retrouvés dans le groupe III peuvent sans doute être assimilés, œuvrent au sein du domaine encadrant la métairie. La production, aux mains de diverses familles d’artisans, s’organise sur un petit territoire. Elle prend la forme de multiples officines autonomes de taille variable, s’activant successivement et pour lesquelles les réoccupations semblent plutôt rares, sinon inexistantes94. L’atelier médiéval doit donc se concevoir à l’échelle du Causse, avec une histoire complexe qui rend difficile la localisation précise du « mas de Baumes » évoqué dans les écrits. La verrerie ne se réduit pas à un groupe de bâtiment, mais plutôt à un terroir.

46 À ce premier modèle succède une organisation moderne de plus grande ampleur encore, dont les prémices s’annoncent à partir de la deuxième moitié du XVIe siècle. La mainmise progressive de la famille de Laroque sur le secteur entraine en effet un changement d’échelle et une toute autre structuration de l’activité. Les implantations de fabriques outrepassent dès lors largement le périmètre du Causse pour progressivement couvrir une vaste zone, de l’ordre de la micro‑région circonscrite par les villes de Montpellier et de Ganges95. Afin de limiter l’épuisement des ressources forestières et maintenir un renouvellement permanent des structures de production, les verriers disséminent un maillage plus organisé d’ateliers dont ils alternent les périodes d’usage. Par le biais des associations qu’ils contractent, ils s’assurent ainsi d’une activité continue, propre à pérenniser et densifier par ailleurs leurs réseaux d’échanges. Les sites, implantés plus durablement, font alors l’objet de réoccupations cycliques. Les vestiges de l’atelier fouillé dans les bâtiments principaux du mas, dont les traces de remaniements sont perceptibles malgré l’indigence des données, se font largement l’écho de cette organisation moderne. Ils témoignent également de la structuration particulière du four principal, avec l’adjonction probable d’un four de recuit qui annonce les prémices d’un important changement dans des modes de production.

NOTES

1. COMMANDRÉ, Isabelle. L’artisanat du verre en Bas-Languedoc du XVIe au XVIIIe s. Thèse de doctorat en archéologie menée sous la direction de D. Foy, Aix-Marseille Université, 3 volumes, 2014. 2. Il s’agit des communes de Ferrières-les-Verreries au nord, de Rouet à l’ouest et de Claret, Lauret et Valflaunès à l’est.

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 52

3. Un taxon correspond à une entité d’êtres vivants regroupés ensemble, qui possèdent des caractères communs du fait de leur parenté. La taxonomie permet l’élaboration des règles de la classification. 4. RIOLS, A. (Dir.). Rapport de sondages archéologiques au Mas de Baumes (commune de Ferrières- les-Verreries, 34). Rapport de fouille de sauvetage dactylographié, déposé au S.R.A. Languedoc- Roussillon, juillet 1993, document non paginé de trois pages ; et RAYNAUD, F. ; RINALDI, R. (col.). D.F.S. de sauvetage : Domaine de Baumes (Ferrières-les-Verreries). Rapport de fouille de sauvetage AFAN dactylographié, déposé au S.R.A. Languedoc-Roussillon, 1994, 13 p. Ces fouilles ont été menées en amont des travaux de réhabilitation du mas qui ont donné lieu à de profondes modifications du bâti comme de la topographie générale des lieux. Par la documentation iconographique et planimétrique qu’elles constituent des vestiges ou élévations désormais disparus, ces recherches forment donc une base de documentation de première importance. Elles ont été complétées par une étude historique portant sur l’ensemble du territoire : FERRAS, Catherine. Les verreries forestières du Causse de l’Hortus. Mémoire dactylographié du service Patrimoine Office Départemental d’Action Culturelle (O.D.A.C.), déposé dans les archives du Conseil général de l’Hérault, 58 pages, s.d. 5. Voir SAINT-QUIRIN, A. De. Les Verriers du Languedoc, 1290-1790. Montpellier, réédition de 1985, p. 279, d’après un acte daté du 12 des calendes de mars 1247 contenu dans le cartulaire de la Prévôté (AD Hérault. G 1787). La réédition rassemble les trois articles publiés dans le Bulletin de la société Languedocienne de Géographie en 1904, 1905 et 1906. 6. ROUQUETTE VILEMAGNE, 1914. Cart. Mag., tome III, n° DCCCLXIII, p. 531 : Reconnaissance faite au Roi dans la Baylie de sauve le 1er aout 1293 qui détaille les possessions régaliennes, parmi lesquelles figure mansum (…) vocatum de Balmis, in parrochia de Ferreriis. A. Pézières livre dans son ouvrage sur la commune de Ferrières une transcription complète de cet acte (PÉZIÈRES, 1896, p. 84 d’après la version manuscrite du cartulaire, tome 6, f°330). L’année 1293 marque un changement de suzeraineté sur la baronnie de sauve suite à l’échange effectué entre l’évêque de Maguelone et le Roi de France, ce dernier rétrocédant ladite Baronnie en échange du Montpelliérais. La délimitation de la Baylie de sauve le 21 janvier 1294, mentionne pourtant qu’une partie du mas reste dans le domaine royal : excepto manso Petri Mathei de Balmis qui erat domini Regis (ROUQUETTE VILEMAGNE, 1914 : Cart. Mag, tome III, p. 630, acte n° CMLXXXII). 7. AD Hérault. 99 EDT 7. Extrait de compoix sur feuille libre et isolée. « Fiefs du Seigneurs de Ferrières possédés par Monsieur de Rouet dans la paroisse de Ferrières : Premièrement le Mas de Balmes recognu au seig(neu)r de Ferrières par Bernard Vergile et Ramonde sa femme en lan 1303, avec toutes ses deppandances, lequel mas est scitué a Balmes et confronte avec la maison de Pierre Mathieu, (…). Nott. Recue par Jean Capelis nore. de Sauve et le cahier cotté B au Sr. de Ferrieres ». 8. AD Hérault. 99 eDT 7. extrait de reconnaissances seigneuriales et de compoix concernant le mas de Fournels, rattachés au domaine de Baumes, F°1 v° : En lan 1340 Guillaumes Azemar recogneus au Seig(neu)r de Ferrières une maison dans la paroisse dud(it) Ferrières et au mas des Fournels et confront comme vale chemin qui est au-devant de la porte de lad(ite) maison jusques à une croix ex(timer) ou IX sols 10 d. 9. SAINT-QUIRIN, 1985, p. 279-280 : le représentant de l’évêque de Maguelone établit, avec le sergent royal, une délimitation de la juridiction de Rouet. Des panonceaux sont alors installés dans les lieux les plus emblématiques, parmi lesquels figure la maison de Guilhem Adhemarii, verrier du mas de Baumes qui sert de lieu pour la ratification de l’accord : acta fuerunt hoc in manso predicto de Balmis et horum furerunt testes a proximo paragrafo citra, Guillermus Adhemarii, veyrerius, Johannes Adzemarii, Arnudus Olerii, Guilhermus de Balmis, veyrerii (acte probablement intégré dans le cartulaire de la Prévôté : AD Hérault. G 1787, non consulté). 10. LAMBERT, N. La verrerie médiévale forestière de la Seube, Claret (Hérault). Archéologie en Languedoc, 1982-1983, n° 5, p. 232. Pour D. Foy, les sites de la Seube et du mas de Baumes

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 53

pourraient même faire partie d’un seul et même ensemble (Voir également FOY, D. Le verre Médiéval et son artisanat en France méditerranéenne, Paris, 1988, p. 117-118). 11. AD Gard. 2 e 23/2, f°114 r°. 31 décembre 1426, association et affairement entre noble Jean Falcon Veyrier du lieu de Balmes, paroisse de st-Jean de Ferrière d’une part et noble Michel Falcon, son frère d’autre part. L’inféodation du mas est confirmée par un acte du 13 mars 1434 contracté entre les deux frères, et Pierre Ricard, prévôt de Maguelone (AD Hérault. 1 Mi 360 R22, vol. 38). 12. PÉZIÈRES, A. Histoire de la commune de Ferrières, Canton de Claret, département de l’Hérault. Nîmes, 1896. p. 85-86, retranscription réalisée d’après les documents d’archives alors conservés en mairie, mais désormais disparus (l’acte, qui n’a pas été retrouvé devait être associé à la côte AD Hérault. 99 EDT 7). Ces informations sont intégralement reprises par Saint-Quirin (SAINT-QUIRIN, 1985, p. 280). 13. FERRAS, inédit, p. 17. 14. AD Gard. 2 e 64/420, f°58 v°. Le 29 septembre 1494, contrat d’apprentissage de Claude de Barjac qui se loue pour trois ans chez noble Estienne Adhémar de Saint-Jean-de-Ferrières aux fins deprendre affaire vitrerarii. 15. SAINT-QUIRIN, 1985, p. 280-281. En 1515 et 1522, Jean et Jacques d’Azémar travaillent à la verrerie de Baumes. Ils habitent encore le mas de Vallières en 1527 (sans réf.). N. Lambert évoque même un document de 1548 qui atteste du fonctionnement de la verrerie à cette époque, (LAMBERT, 1983, p. 230, note n° 79, sans réf.). 16. AD Gard. 86 J 204. Titres reconnaissances et lods du Mas de Baumes (1308-1693). FERRAS, inédit, p. 17. Le chapitre de Maguelone était seigneur de Rouet au moins depuis le début du XIIIe siècle. 17. PÉZIÈRES, 1896, p. 88 (d’après des documents d’archives municipales) et SAINT QUIRIN, 1985, p. 17-18, sans réf. Le Chapitre, privé de revenus au moment des guerres de religion doit se défaire de nombre de ses terres afin de rétablir ses finances. La vente de Baumes est associée à celle des domaines de Lauret et de Gabriac ; elle est effectuée pour un montant de 21 500 livres. Ces terres consistent en forets, bois et cazals, de nul revenu par suite de leur esterilité. 18. AD Hérault. 99 EDT 7. Vente, procès, jugement et déclaration concernant la seigneurie de Ferrières (1540-1707) et AD Gard. 86 J 204. Procès de Roquefeuil, sr du Rouet. 19. SAINT-QUIRIN, 1985, p. 281 : noble Bastien de la Roque, verrier de Pompignan (sans réf.). Aucune indication ne permet d’établir de lien entre cet artisan et le suivant. 20. AD Hérault. 1 Mi 360 R 45. en 1570, Mathieu de la Roque achète à Jean Noalhac, habitant de Pompignan la moitié d’une maison et d’un jardin au mas de Baumes. La mention que fait Saint- Quirin d’un certain noble Bastien de la Roque, verrier de Pompignan dès 1539, ne permet pas d’établir de lien entre les deux artisans (SAINT-QUIRIN, 1985, p. 281). 21. AD Gard. 2 e 63/106, f°127 v°. le 10 octobre 1574, Debte de Noble Françoys de la Roque du mas de Baumes, paroisse de Feyrières contre Louis Hermeley, marchand de veyres de Sayrac pour 10 livres. 22. PÉZIÈRES, 1896, p. 88-89 (d’après les archives de Notre-Dame-de-Londres, documentation non retrouvée). Le 30 septembre 1582, Les héritiers de Mathieu de Laroque, noble François et Bastien de Laroque, frères et écuyers du lieu de la Boissière, vendent à François de Roquefeuil tout ce qu’ils tiennent de leur père, au mas de Baumes, commune de Ferrières (Mas d’Agrès à La Boissière). 23. AD Hérault. 1 Mi 360 R 24. Libre de Ferrières commancé le 27e de décembre 1594 faict de l’autorité de la cour souveraine des aydes à Montpellier et par comission d’icelle : f°1 r° à 2 v° pour le mas de baumes. 24. Les deux sites sont distants de 25 kilomètres. Plusieurs actes notariés montrent effectivement la présence des deux frères au Mas d’Agrès dès 1581, puis quelques années plus tard à Argelliers (site de l’Arboussas). AD Hérault. 2 E 4/84 f°17 v°. Achat d’une terre sur le terroir de la Boissière par François et Bastian de Laroque, frères et verriers le 28 octobre 1581. AD Hérault. 2 E 4/85 f°266 v°. Arrentement pour Noble François de la Roque, gentilhomme verrier au mas d’Agret, le 20 août 1584. AD Hérault. 2 E 4/72, f°390 r°. Vente d’une paire de bœufs par Noble Pierre de la Roque

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 54

d’Argelliers le 27 octobre 1584. AD Hérault. 2 E 4/85, f°347 r°. Dette contractée auprès de François de Laroque gentilhomme verrier du mas d’Agre, le 9 octobre 1584. 25. Envisagée ici dans le sens d’atelier, de lieu d’élaboration. 26. AD Hérault. G 2252. Feuillet intitulé Mémoire sur la dégradation faite aux bois. Acte du 23 septembre 1657 qui conclut l’accord pour 6 ans moyenant 600 livres chasque année. Voir également SAINT-QUIRIN, 1985, p. 285. 27. Bail à ferme d'un bien foncier, d'une exploitation rurale, moyennant une prestation périodique en nature ou en argent. 28. Louis de Laroque s’installe à son tour avec sa famille le 23 février 1660 en qualité de simple employé pour le temps et terme dune annee (AD Gard. 2 E 64/188, f°108 r°). Saint-Quirin évoque un autre acte, daté du 23 septembre de la même année, dressé entre le seigneur de Roquefeuil et Louis de Laroque (SAINT-QUIRIN, 1985, p. 281). AD Gard. 2 E 56/110. Acte de 1664 qui mentionne la présence d’au moins sept gentilshommes travaillant à la verrerie de Baumes. AD Gard. 2 E 34/64, f°159 r°. Le 25 septembre 1667, Dette à l’encontre de Clovis de Castelviel gentilhomme verrier demeurant a p(rese)nt a la verrerye du mas de Baumes. Voir également AD Gard. 2 E 36/462, f°294 r°. Testament de Clovis de Castelvieil, le 2 novembre 1667. 29. AD Gard. 2 E 56/327, f°300. Le 28 juin 1666, noble Antoine de la Roque, maître de la verrerie de Baumes proclame André Deveze pour son procureur. Concernant les dettes que divers particuliers contractent auprès d’Antoine et Pierre de Laroque : AD Gard. 2 E 64/188, f°113 r° (oblige du 12 mars 1660), AD Hérault. 2 E 4/171, f°492 r° (acte du 25 octobre 1672), AD Hérault. 2 E 81/12, f°233 v° (obligation du 6 octobre 1698). 30. AD Gard. 2 E 56/120, f°21 v°. Acte du 13 février 1676. 31. AD Hérault. 2 E 77/7, f° 159 v°. Acte du 7 août 1676. 32. AD Hérault. 2 E 77/31, f°237 r°. Acte du 25 janvier 1676, endettement à hauteur de 171 livres. 33. AD Gard. 2 E 56/116, f°194 v°. Inventaire des biens laissés par Antoine de Laroque (décédé). 34. AD Hérault. 99 EDT 3. État de la capitation de Ferrière en 1701. Jean de Laroque du Villaret est taxé de 40 livres, mais il est précisé qu’ il ne réside plus dans la paroisse depuis le moys d’aoust 1700. 35. AD Hérault. 2 E 77/10, f°215 r°. Mariage du 21 juin 1688 ; AD Hérault. 2 E 62/149, f°221 v°. Compte-rendu du syndic des gentilshommes verriers du 22 juillet 1689 ; AD Hérault. 2 E 77/56, f°63 v°. Ratification d’obligation du 7 août 1698 ; AD Hérault. 2 E 77/56, f°222 v°. Mariage du 15 septembre 1699 : ce dernier acte précise que l’acte est passé dans la métairie de Baumes où ledit Sieur du Villaret fait et exerce l’art de verrerie depuis plus de douze ans ; AD Hérault. 2 E 77/69, f°147 v°. Mariage du sieur de Couloubrines et de Marianne de la Croix du 3 juillet 1700. Dans son ouvrage sur la commune de Ferrières, A. Pézières confirme aussi la présence permanente de la famille de Laroque au mas de Baumes par le biais des registres d’état civil et des abjurations à partir de l’année 1685 au moins (PÉZIÈRES, 1896, p. 75 et 101). 36. PÉZIÈRES, 1896, p. 84. 37. AD Hérault. 1 Mi 360 R7 (pièce n° 107). Plainte de Noble Pierre de Girard gentilshomme verrier h(abit)ant du Mas de Montels paroisse du lieu de Carnas, travailhant à lad(ite) verrière de Cazenove, déposée le 13 septembre 1655. 38. SAINT-QUIRIN, 1985, p. 200, d’après un mémoire qu’il date de 1707, retrouvé dans les papiers de Jean d’Azémar, seigneur du Colombier. 39. AD Hérault. 3 HDT B 491. Les renouvellements du bail, passés en 1723 et 1734 précisent que la verrerie est à proximité de la maison dite de done Jeanne. 40. AD Hérault. 3 HDT B 491. Bail afferme du 14 janvier 1723 pour le temps et terme de six années. La métairie est désormais partagée entre le fermier Jean Reboul et le sieur de Girard qui disposent chacun de plusieurs bâtiments. Restent en commun le four à pain et les poules. Outre l’habitation et l’espace de travail, les gentilshommes disposent de petits jardins et de quelques terres pour assumer les cultures vivrières de leurs familles et celles qui fourniront le fourrage des chevaux et des mules.

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 55

41. SAINT-QUIRIN, 1985, p. 200. 42. AD Hérault. 3 HDT B 491. Bail afferme du 14 janvier 1723 qui stipule que ledit sieur de Girard doit s’acquitter annuellement de la somme de 175 livres et de trois quintaux de bouteilles d’Angleterre. Les quittances de 1725, 1727 et 1728 qui suivent cet accord précisent que dans les faits, l’artisan livre de 3 à 6 quintaux de bouteilles, en compensation du loyer variable qu’il fournit en argent. 43. AD Hérault. C 2758. Ces établissements (…) ne doivent être mis en usage que pour la consommation des bois qui ne sont pas à portée des rivières navigables et des villes et qui, par leur situation, ne peuvent servir ni aux constructions ni au chauffage (…). 44. AD Hérault. C 2760. Mémoire des verreries établies dans le Bas Languedoc. 45. AD Hérault. C 12059. Le Sr De Bernage (…) Intendant de Justice, Police & Finances dans la Provence de Languedoc (…) a trouvé qu’il seroit à propos de transferer les Verreries cy-après, sçavoir, les trois verreries établies sur la petite Montagne ou Causse appellée de Cazenove, dont l’une est au château de Roüet, Paroisse de St Etienne de Gabriac, Diocèse de Montpellier, éloignée d’environ trois lieuës de la Ville de Montpellier ; la Seconde à la Metairie appellée de Cazenove, dans la paroisse de Claret, Diocèse de Nismes, à la même distance de ladite Ville ; la troisième à la Métairie appellée Baume, dans la paroisse de Ferrières, Diocèse d’Alais. 46. Des lettres de suppliques sont envoyées à l’Intendant et les représentants du syndic des verriers se déplacent jusqu’à Paris pour demander audience au Roi, faisant valoir l’impact économique de l’activité verrière sur la région. D’autre part, les artisans s’assurent des appuis locaux et arguent du renouvellement des baux d’arrentement des bois comme d’engagements pris à l’avance auprès de marchands liquoristes afin d’obtenir un délai (AD Hérault C 2760). 47. AD Hérault. C 2760. Nous, pour faciliter aux maîtres des verreries de Rouet, Casanove et Baumes le moyen de consommer les bois qu’ils ont achettez à la Marquise De la Fare et du Sr marquis de Londres, leur permettons, sous le bon plaisir du Roy, d’y continuer leur travail jusqu’au 24 juin 1727 qui est le temps de la campagne prochaine. AD Gard. 1 e 2897. Même acte collationné devant notaire le 16 août 1726. 48. AD Hérault. 3 HDT B 491. Renouvellement du bail afferme de 1723 le 1er août 1729 pour six ans et à raison de 200 livres et huit parts de verres ou bouteilles, outre les trois quintaux de bouteilles d’Angleterre. Un nouvel accord est ensuite passé en 1735. 49. À partir des extraits de compte de la caisse de secours du corps des verriers qui étaient déposés aux archives municipales de Ferrières, Saint-Quirin avait établi qu’en 1725, six gentilshommes travaillaient à Baumes, secondés d’au moins quatre domestiques. Pour l’année 1737, il comptait sept gentilshommes et six domestiques (SAINT-QUIRIN, 1985, p. 282 d’après une documentation désormais disparue). 50. AD Hérault. 2 E 81/23. Testament de François de Girard, le 2 décembre 1738. 51. FERRAS, inédit, p. 40 (sans réf.). 52. AD Hérault. 2 E 81/23, f° 234 v°. Acte du 4 août 1741 par lequel Antoine de Girard du Lac, Louis de Laroque sr de Couloubrines, Louis de Girard et Charles d’Aspères sr de Brouzet s’associent à Fulcrand Michel de Girard, maître de la verrerie de Baumes. La valeur des fonds de l’établissement est estimée à 4856 livres. 53. Elle comprend des mules, des chevaux, des outils ainsi que toutes sortes de matières de sa préparation par led. sieur de Girard pour la prochain campagne. Par ce recouvrement, la nouvelle compagnie a également accès au reste de la coupe forestière qui avait été allouée par la Marquise de Londres, veuve du seigneur de Roquefeuil. 54. AD Hérault. C 2763. 55. AD Hérault. C 2764. Supplique du sieur de Laroque, maître de la verrerie de Baumes, et le sieur De Vallongues et Cie, maîtres de la verrerie de Ricome à l’intendant Le Nain, où ils exposent qu'on peut, sans crainte de manquer de bois de chauffage, les laisser exploiter leurs usines dans les lieux où elles sont établies (août 1745). A. Pézières évoque également les délibérations

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 56

communales du 6 février 1746 qui confirment que la communauté s’oppose fermement à la fermeture et destruction des ateliers de Baumes et de Ricome (PÉZIÈRES, 1896, p. 106). AD Hérault. C 12059. Requête des habitants des lieux de Londres, st-Martin, de Ferrières et de Pompignan rapportée aux États le 28 mai 1746. 56. AD Hérault. C 2765. Requête par laquelle les propriétaires des verreries de Baumes et de Ricome demandent l’autorisation de fixer leur établissement à la métairie des Prats (1746). Une lettre du subdélégué de Montpellier adressée à l’Intendant le 8 février 1747 stipule bien que les deux verreries de Baumes et Ricome ont été supprimées et les deux compagnies qui le fesoint travailler se sont réunis et ont formé la verrerie du Prat, et par conséquent au lieu de 2 feux qu’il y avoit anciennement, on voit qu’il n’y en a qu’un seul, ce qui diminue de moitié la consommation du bois. AD Hérault. C 5679. Ordonnance de J. Le Nain, Intendant du Languedoc et J.L. d’Anceau, grand Maître des eaux et forêts (1747). Voir également RIOLS 1991a, p. 114. 57. De nombreuses transactions effectuées par la suite témoignent en effet de l’existence d’une haute futaie bien établie et les plans d’approvisionnement de la ville de Montpellier par le biais de ces réserves n’ont toujours pas dépassé l’état de projet en 1776. AD Hérault. C 2949. Projet d’approvisionnement de la ville de Montpellier en bois de chauffe et de charbon (Mémoire imprimé, daté du 3 décembre 1776 et signé de Faure, Lieutenant-Général) le cosse de Pompignan est rempli de gros arbres de toutes espèces, qui périssent sur pied faute de débouchés (…) la seule verrerie de Baume située à l’une de ses extrémités, consomme chaque année trente mille quintaux de chêne blanc ; encore n’exploite-telle que ce qui est le plus à sa bienséance et dans son arrondissement. 58. FERRAS, inédit, p. 46. 59. AD Gard. 100 J 32. 60. AD Hérault. 3 HDT 510. 61. AD Hérault. 3 HDT B 491. Le domaine reste ensuite dans la famille de Laroque jusqu’en 1860 d’après PÉZIÈRES, 1896, p. 84. Données reprises dans SAINT-QUIRIN, 1985, p. 283. 62. AD Hérault. C 2739. Enquête de 1788 sur la situation des forges et fourneaux dans la Province de Languedoc. Acte n° 47 : Lettre du subdélégué du Vigan, datée du 5 août 1788, qui mentionne la présence d’une verrerie au lieu de Baumes, paroisse de Ferrières, exploitée par le Sieur de la Roque et Sieur Jerome de la Roque, son fils ayné (…) une autre verrerie située dans le ruisseau de Trevezel, sur la Montagne de l’Espérou, dans la paroisse de Notre Dame du Bonheur, exploitée par le Sieur de la Roque cadet. Voir également AD Hérault. C 2766. 63. AD Gard. C 1917. Lettre de M. d’Aguze, subdélégué du Vigan, datée du 21 juin 1788, à l’Intendant à propos d’un mémoire de M. de la Roque, en permission d’établir à Cette une verrerie royale. Voir également AD Hérault. C 2766. Lettres de M. de La Millière et de l'intendant (mai/juin 1788). 64. Durant la période révolutionnaire, les verriers font l’objet d’une attention toute particulière de la part du Comité de surveillance du nouveau département de l’Hérault. en 1792, les de Laroque de Baumes ont quitté les lieux et sont inscrits sur la liste des émigrants soupçonnés d’aide aux contre-révolutionnaires (AD Hérault. 1 Q 723). Un inventaire des biens qu’ils ont délaissé est dressé le 4 juillet 1792 et fait état d’un incendie, probablement volontaire (AD Hérault. 1 Q 476). 65. Ce découpage reprend strictement celui qui avait été très logiquement proposé par les précédentes équipes de fouilles. Afin de faciliter la compréhension globale du site et des diverses analyses qui en ont été faites, les édifices ont ensuite été individualisés par un numéro (voir plan général du mas de Baumes). 66. Aucune étude de bâti n’a pu être conduite en amont des restaurations et les lectures architecturales sont désormais largement limitées. 67. Le bâtiment n° 2 contenait notamment un imposant four à pain dont la présence est avérée dans les textes dès la fin du XVIe siècle.

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 57

68. Le compoix de Ferrières, établi en 1594, est à ce titre tout remarquablement révélateur : bien que récemment acquises par la famille Roquefeuil, les trois parties du mas sont successivement décrites et présentent déjà la même organisation générale de leurs bâtiments avec, pour le groupe I une maison, partie a deux estages et crosades (fenêtres à croisées), contient jasse, four et possieu (porcherie), casal (...) et parrans (enclos). Le groupe II, dont la bâtisse principale est dite maison Michel comporte également déjà deux étages et trouve associée à jasse, possieu, celestre, jardins secants, pallier et four. Et enfin le groupe III contient un petit membre de maison à deux estages (…) et une jasse (AD Hérault. 1 Mi 360 R 24 : f°1 r° à 2 v°). 69. D’après les clichés, ce décapage a été effectué sur une profondeur de l’ordre de 0,05 à 0,20 m, les vestiges affleurant pour partie à la surface (RIOLS, 1993). 70. Au total, neuf tranchées, d’une largeur moyenne de 0,80 m ont été mises en place aux abords immédiats des constructions (RAYNAUD, 1994, p. 6). 71. RAYNAUD, 1994, p. 7. Remblai d’une épaisseur variable de 0,10 à 0,65 m d’épaisseur découvert dans la tranchée n° 1. 72. Portes ou fenêtres (RIOLS, 1993, document non paginé). La documentation photographique semble indiquer la présence de deux portes, espacées l’une de l’autre de moins de trois mètres, encore visibles par des arrêts très nets de la maçonnerie sur près de 2 m de hauteur. 73. Soit une aire d’environ 150 m2. 74. Un seuil, de 1,90 m de large, a été dégagé dans le mur est. L’organisation des vestiges, et notamment l’agencement des fours ainsi que l’absence partielle du tracé du mur sud, laisse supposer la présence d’une autre porte en partie méridionale. 75. Durant sa seule dernière période d’activité, la verrerie connait une activité continue pendant près de trente ans. 76. Les travaux réalisés en 1745 font état d’une officine très ajourée, équipée de trois portes, un grand portail, quatre fenêtres et trois embrasures(…) pour donner du jour. AD Hérault. 3 HDT B 516 et 517. 77. FERAS, inédit (sans réf.) : Il y a deux arceaux dont les piliers qui le supportent seront raccommodés. 78. RIOLS, 1993, document non paginé. 79. RAYNAUD, 1994, p. 8. 80. Il fait 2 m de côté dans sa partie la plus étroite qui est reliée au four et 4 m dans sa partie la plus large, pour 3 m de long. 81. Plusieurs éléments ont un module quadrangulaire de 0,10 x 0,15 m. 82. Il fait plus de 0,10 m d’épaisseur mais son diamètre n’a pas pu être évalué. 83. FOY, D. ; VALLAURI, L. Roquefeuille, une verrerie provençale aux XVIIe et XVIIIe siècles, In Actes des 4e rencontres de l’A.F.A.V., Rouen 24-25 novembre 1989. Ateliers de verriers de l’Antiquité à la période pré-industrielle. Cahors, 1991, p. 141-142 et fig.4 p. 148. 84. CHAPTAL, 1807, p. 274-275. L’encyclopédie méthodique, dans sa description des verreries languedociennes indique également : le pavé de cette tour (four) se prolonge en une espèce d’étude disposée en plan incliné, qui s’éloigne du four d’environ dix à douze pieds (soit environ 3 m), (DIDEROT, D’ALEMBERT, 1791, t. VIII, p. 453). 85. Le relevé en plan dressé par les fouilleurs semble indiquer des traces de reprise dans sa structuration interne. 86. FOY, VALLAURI, 1991, fig.4 p. 148 : fours n° 2-3 et 4. 87. Ce type de four ne peut en effet en aucun cas être situé à l’extérieur de l’aire de travail des verriers. à l’issue de leur soufflage, les pièces nécessitent en effet un transport rapide et sans trop d’écart de température vers l’espace de recuisson. Si l’ouvrage s’avérait être implanté à l’extérieur, alors il ne peut s’agir que d’un four à fritte, destiné à la préparation des matières premières. 88. RAYNAUD, 1994, p. 6 : tranchée n° 6.

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 58

89. Un autre lot de matériel, appelé « cache des verriers » a été découvert dans le courant du XIXe siècle non loin du mas, dans une petite cavité karstique obstruée (SAINT-QUIRIN, 1985, p. 18-19). Interprété comme le mobilier produit lors de la dernière campagne de Baumes, il contenait essentiellement des petites bouteilles étroites à col long, également appelées « topettes » ainsi que des bouteilles et Dame-Jeanne. 90. SAINT-QUIRIN, 1985, p. 200. 91. AD Hérault. 3 HDT B 491. Bail afferme du mas de Baumes du 14 janvier 1723. 92. Au total, 19 échantillons ont été testés avec B. Gratuze au centre Ernest-Babelon (IRAMAT/ CEB, UMR 5060, CNRS/Université d’Orléans). La méthode employée est la spectrométrie de masse, couplée à un plasma inductif avec prélèvement par ablation laser (LA-ICP-MS), qui permet actuellement l’analyse quantitative la plus complète possible sur la composition du verre. Du reste, ce procédé permet de ne pas endommager les artefacts soumis à l’analyse. 93. Le charbonnage est recensé dans le secteur depuis la période médiévale (VERNET et alii 2002, p. 424). Il semble récurrent à partir de la deuxième moitié du XVIIe siècle au moins dans les textes (AD Hérault. G 2252. Mémoire sur la dégradation faite aux bois qui contient plusieurs arrentement de bois pour des charbonniers). 94. Il s’agit notamment des sites de la seube, Plat Fournel, la Taillade, la Buissade, Bacayrole, sueilhessud (commune de Cazeveille), Mascla, Villassèque, Juoilhes/sueilhes-nord. Pour le XVIe siècle, il s’agit des officines du saut du Loup, La Quisse 1, la Quisse 2 et le bois de Pous/escabasses. 95. La verrerie de Baumes fonctionne en alternance au moins avec les centres du château de Rouet, de Villaret, de Montguilhem, des Claparèdes, de Cazenove, de Ricome, de Bressonnarie/ Mas de verdier, de Couloubrines, de Lamalou et probablement les petits sites plus temporaires d’Iscary et de Cayzergues.

RÉSUMÉS

Cette monographie concerne l’un des sites verriers étudiés dans le cadre d’une recherche doctorale en archéologie menée entre 2007 et 2014. Implanté sur le causse de l’Hortus (Hérault), le Mas de Baumes (commune de Ferrières‑les‑Verreries) est présent dans les textes depuis le milieu du XIIIe siècle. Vaste domaine foncier trop éloigné de la ville pour permettre une exploitation directe, c’est par le biais des industries du feu, et tout particulièrement celle de l’artisanat verrier, que les divers propriétaires du domaine vont valoriser leur capital forestier. Durant plus de quatre siècles, jusqu’à la période révolutionnaire, un important pôle verrier, aux mains d’une oligarchie d’artisans issus de la petite noblesse, se développe et veille à alterner les centres de production afin de ne pas épuiser les ressources ligneuses de ce secteur des garrigues nord‑montpelliéraines.

The monograph covers one of the glassmaking sites studied as part of doctoral archaeological research conducted between 2007 and 2014. Located on the Causse de l’Hortus (Hérault), the Mas de Baumes (in the commune of Ferrières‑les‑Verreries) is mentioned in texts from the mid‑13th century onwards. A vast estate that was too far from the town to allow for the direct sale of wood, it was thanks to furnace-based craft industries, specifically glass working, that the estate’s various owners were able to take advantage of their forestry assets. For more than four centuries, up until the revolutionary period, an important glassmaking centre in the hands of an oligarchy,

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 59

made up of artisans from the gentry, developed and made sure to alternate production sites in order to avoid exhausting timber resources in this area of the north-Montpellier garrigue.

INDEX

Index géographique : Ferrières-les-Verreries, Hérault Keywords : craftsmanship, glass, archaeology, 14th century, 15th century, 16th century, 17th century, 18th century Mots-clés : artisanat, verre, archéologie, XIVe siècle, XVe siècle, XVIe siècle, XVIIe siècle, XVIIIe siècle

AUTEURS

ISABELLE COMMANDRÉ INRAP Méditerranée

ALAIN RIOLS AFAV- Association Française pour l’archéologie du verre

BERNARD GRATUZE IRAMAT, UMR 5060, CNRS/Univ. Orléans

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 60

Faire des draps à Lodève, Clermont- l’Hérault et Bédarieux. Apports de l’archéologie industrielle à l’histoire de l’industrie lainière en Languedoc (1650-1900) Sheet-making in Lodève, Clermont-L’Hérault and Bédarieux. The contribution of industrial archaeology to the history of the wool industry in the Languedoc (1650-1900)

Lisa Caliste

1 À partir du XVIIe siècle, le Languedoc fonde sa réussite économique sur la grande draperie en imitant les draps fabriqués par les vénitiens, les anglais et les hollandais pour le marché levantin. Ces étoffes de laine, appelées mahoux, londrins seconds ou encore londres larges, ont acquis une grande renommée grâce à la qualité de leurs apprêts et la variété de leurs couleurs1.

2 L’activité drapière, en raison notamment de son prestige et de son ampleur, a suscité l’intérêt des chercheurs dès le début du siècle dernier, et plus encore depuis les années 19802. Grâce aux travaux de Gilbert Larguier sur le Narbonnais, de Claude Marquié sur le Carcassonnais, de Rémy Cazals sur la région tarnaise et de Jean-Michel Minovez sur le Toulousain, la réglementation et l’organisation de la production sont mieux connues, la sociologie des entrepreneurs mieux cernée et les produits fabriqués mieux caractérisés. Par ailleurs, James K. J. Thomson et Christopher H. Johnson ont éclairé les cycles d’industrialisation et de désindustrialisation de l’espace drapier du nord de l’Hérault, entre 1633 et 19003. Pourquoi, dès lors, rouvrir le dossier ?

3

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 61

Mené de 2011 à 2014, l’inventaire du patrimoine industriel de l’Hérault a montré une forte représentation des vestiges de l’industrie textile, à la fois soyeuse, cotonnière et drapière4. Cette étude entendait d’abord contribuer à leur reconnaissance patrimoniale. La manufacture de Villeneuvette, fondée en 1674 et érigée en manufacture royale dès 1677, en constitue à l’évidence le fleuron, au point d’être érigée en l’exemple-type de la manufacture concentrée méridionale, sans s’interroger plus avant sur sa représentativité. De fait, nous savons peu de choses sur le nombre et l’implantation rurale et/ou urbaine des ateliers, les influences architecturales, voire l’existence de modèles ou d’archétypes de manufactures. Au-delà, la question de l’espace physique de production recoupe celle de son organisation, en particulier au sein de la manufacture dispersée ou de la manufacture concentrée. Par extension, elle induit celle de la mécanisation des phases de production et, plus largement, celle de l’investissement. Trop souvent abordées à l’aide des seules sources écrites, nous proposons de réinvestir ces questions à partir des édifices, appréhendés par l’iconographie et le bâti. Dans quelle mesure les formes matérielles de l’industrie permettent‑elles de réinterroger l’histoire lainière du Languedoc ? Soulignons que, pour la moitié nord de la France, l’archéologie industrielle a été convoquée pour participer à la connaissance de l’activité drapière5. Ainsi, depuis l’étude pionnière menée sur la ville de Louviers, les travaux de l’Inventaire général du patrimoine culturel ont permis de rendre compte d’un tissu économique bien plus dense et pérenne que celui des seules manufactures royales, en Normandie, comme dans les Ardennes6.

4 Le territoire d’étude englobe Villeneuvette et ses marges. Si plusieurs fabriques ont existé dans l’Hérault, dont celles de Saint‑Pons‑de‑Thomières et de Saint‑Chinian à l’ouest du département7, Clermont‑l’Hérault, Lodève et Bédarieux, au plus près de la manufacture royale, se caractérisent par une forte identité industrielle, née d’une spécialisation mise en exergue par des monographies locales8. Ainsi, Lodève apparaît comme la ville fournissant du drap militaire, Clermont‑l’Hérault du drap fin et Bédarieux du drap pour le marché intérieur. L’approche territoriale a été préférée à l’approche monographique pour trois raisons : le caractère souvent ténu de l’existant, la nécessité d’obtenir un corpus substantiel – in fine, 40 édifices identifiés in situ se rapportant au XVIIIe siècle, 110 au XIXe siècle - enfin les connaissances désormais établies sur la division et la dispersion du travail de la laine, déjà suggérée par le vocabulaire contemporain. On sait en effet que les termes « manufacture » et « fabrique » recouvrent chacun deux significations. « Manufacture » renvoie d’une part à la branche industrielle, d’autre part aux bâtiments regroupant capital et main d’œuvre. Dans le même esprit, le terme « fabrique » peut s’appliquer à un territoire de production comme à un espace bâti, recoupant alors le sens de la manufacture- bâtiment, sens que nous privilégierons ici. Cet article propose d’établir – malgré d’évidentes difficultés sur lesquelles il faudra revenir – une cartographie historique de l’activité drapière, et de la confronter à l’inventaire des établissements industriels, jusqu’alors inédit à l’échelle de ce territoire9. En retour, il s’agit de mettre cette enquête, associant l’analyse morphologique des ateliers à celle des sources écrites, au service de la connaissance des processus d’industrialisation, en particulier des modes de spatialisation de la production textile, sur le temps long, du XVIIe au début du XXe siècle.

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 62

La manufacture et le territoire (1655-1708)

5 En Languedoc, les manufactures royales de draps, au nombre de 1210 (fig.1), ont longtemps concentré les recherches, comme aujourd’hui les moyens mis en œuvre pour la conservation et la valorisation de ce patrimoine industriel monumental11. à la suite de Claude Marquié, rappelons qu’elles ne représentent pourtant qu’une part minoritaire, environ 15 % de la production de draps en Languedoc12. Quelle a été la place de Villeneuvette, manufacture royale située au cœur du territoire étudié, dans le tissu économique du Lodévois, du Clermontais et du Béderrès13 ? Quelles ont été ses influences sur les modes d’organisation de la production textile dans cet espace géographique ? Le projet exigeait d’établir une liste des établissements attestés au XVIIe siècle. Nous en proposons une première classification issue de travaux foisonnants, d’où un rapide bilan historiographique, et d’un dépouillement inédit des sources fiscales.

Fig. 1

Les manufactures royales du Languedoc Véronique Marill © Région Languedoc-Roussillon, Inventaire général

Villeneuvette : une manufacture royale à l’origine d’un développement économique local ?

Les indices d’une croissance au cours de la seconde moitié du XVIIe siècle

6 Les historiens s’accordent pour reconnaître l’antériorité de l’industrie textile languedocienne sur les initiatives portées par Colbert14. Rappelons que la majorité des

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 63

manufactures royales instaurées en Languedoc préexiste à l’obtention de leurs privilèges15. Toutefois, si la draperie de la région montpelliéraine a fait l’objet de recherches centrées sur les XIIIe et XIVe siècles, puis sur les XVIIe et XVIIIe siècles, les études quantitatives concernent uniquement le siècle des Lumières, époque marquée par la double croissance de la production et de la réglementation16. Cette observation nous amène à signaler la prédominance des sources réglementaires convoquées par les historiens, en raison peut‑être de la richesse des archives de l’Intendance du Languedoc et de leur conservation remarquable, délaissant notamment les actes notariés, au contraire de ce que l’on observe pour les espaces drapiers du Nord17. L’approche développée ici, centrée sur l’analyse des formes matérielles de l’industrie textile, mobilise en premier lieu les sources fiscales, permettant d’aborder les espaces de production, en particulier l’épineuse question de leur localisation, éclairées par les archives de l’Intendance du Languedoc et les fonds notariés18.

7 Dans ce pays de « taille réelle » où l’impôt porte sur les biens, les compoix (fig.2), ces registres contenant la liste des biens des contribuables, renferment plusieurs informations sur les bâtiments liés à la production textile, en particulier leur usage industriel, leur localisation, leur surface, leur valeur et leur propriétaire. L’analyse des compoix des communautés de Lodève, Clermont‑l’Hérault et Bédarieux19 démontre la présence d’une activité textile ayant nécessité des investissements importants, antérieurs à la politique mise en œuvre par Colbert et ses successeurs20. D’autre part, elle permet également d’en saisir l’évolution. Nous remarquons ainsi une augmentation sensible des équipements industriels, en particulier à Lodève, au cours de la seconde moitié du XVIIe siècle. Cette tendance se poursuit au siècle suivant : en 1767, Lodève compte 18 moulins à foulon, 9 teintureries et 2 savonneries21, tandis que les installations de Bédarieux semblent se maintenir sans augmentation notable et que Clermont‑l’Hérault est équipée de 5 teintureries et 2 savonneries22. S’il est probable que les installations désignées dans les compoix ne représentent pas la totalité des équipements industriels présents sur ce territoire, ces chiffres témoignent néanmoins d’une augmentation notable des sites industriels, entre le milieu du XVIIe siècle et la fin du XVIIIe siècle.

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 64

Fig. 2

Bédarieux (Hérault), article du compoix de 1685 (AM Bédarieux. CC 6) Lisa Caliste © Région Languedoc-Roussillon, Inventaire général

Tableau des ateliers en lien avec la draperie, à Lodève, Bédarieux et Clermont-l’Hérault (XVIIe-XIXe siècles), d’après les cadastres anciens

Moulin à foulon teinturerie Atelier des apprêts savonnerie

Lodève – 1655 7 1 0 1 Lodève - 1696 17 4 0 6 Lodève - 1767 18 9 0 2 Lodève - 1835 12 14 4 2 Lodève - 1882 10 13 4 2

Bédarieux – 1660 7 0 0 0 Bédarieux - 1685 9 4 0 1 Bédarieux - 1788 (1) 3 2 0 0 Bédarieux - 1833 9 9 7 5 Bédarieux - 1882 10 12 9 5

Clermont‑l’Hérault - XVIIe (2) 1 1 0 2 Clermont‑l’Hérault - XVIIIe 0 5 0 2 Clermont‑l’Hérault - 1837 0 11 6 0 Clermont‑l’Hérault - 1882 0 10 6 0

(1) Les chiffres sont tirés du dépouillement des 28 plans de l’atlas levé en 1788. (2) Les chiffres sont tirés du dépouillement effectué par Adolphe Crémieux

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 65

8 L’étude quantitative menée par Tihomir J. Markovitch, à partir des enquêtes industrielles, corrobore ces observations. Selon l’auteur, si l’on se réfère aux seules productions de Lodève et de Clermont, pour lesquelles nous possédons des données directes se rapportant à la fois [à 1692 et 1708], l’industrie lainière de cette partie du Languedoc aurait progressé de 26 %23. Au cours des dernières décennies du XVIIe siècle, la manufacture royale de Villeneuvette n’est donc pas un isolat dans l’espace économique étudié, et ne peut expliquer à elle seule l’augmentation de la production de draps. Cette croissance s’appuie, à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle, sur la multiplication des sites industriels dédiés à la draperie. Ce dynamisme, soutenu par des initiatives privées, n’était-il pas souligné en 1682, par l’Intendant du Languedoc Henri d’Aguesseau, lorsqu’il affirmait : deux sortes de draps sont fabriqués à la manufacture [de Clermont], d’une part ceux destinés au Levant et d’autre part des serges et d’autres étoffes de laine destinés au Languedoc. Concernant cette production, la manufacture est inutile car beaucoup de particuliers assurent la même fabrication dans beaucoup d’entreprises sans secours extérieur24 ?

L’attrait du marché levantin

9 La croissance observée en Lodévois, Clermontais et Béderrès, au tournant des XVIIe et XVIIIe siècles, puis tout au long du siècle, se traduit aussi bien par une augmentation du nombre de pièces fabriquées que par la progression de leur valeur marchande25. Si en 1682, face aux difficultés rencontrées par la manufacture de Villeneuvette, les marchands du pays ne veulent pas se charger de cette affaire, car ils ne connaissent pas le commerce du Levant26, leur désintérêt pour la grande draperie s’estompe rapidement. La correspondance conservée dans les archives de l’Intendance du Languedoc montre ainsi la conversion de Bédariciens, dès les années 1700, à la production de qualités supérieures, en particulier de londres larges et londrins seconds27. Signalons également qu’à Lodève, la multiplication des moulins à foulon (de 7 à 17), entre 1655 et 1696, est le fait de nouveaux déclarants, seules les familles Cure, Vinas et Vernier apparaissent dans les deux déclarations28. Il est difficile de connaître la part de l’esprit d’entreprise, celle du marché et celle de la réglementation dans cet engouement. Néanmoins, les historiens sont unanimes pour souligner le lien entre l’essor de la grande draperie en Languedoc et la politique d’aides mise en place par l’administration royale, favorisant ces initiatives privées29.

10 À la suite des travaux de Philippe Minard, Rémy Cazals évoque un mélange complexe de réglementation administrative et d’encouragement à l’esprit d’entreprise, propice au développement de l’industrie textile dans le royaume30. Ainsi, jusqu’en 1757, l’administration du Languedoc accorde des primes pour chaque pièce de drap destinée au Levant, dont le montant varie en fonction des manufactures31. à Bédarieux, le conflit autour de la manufacture privilégiée du marchand Seimandy, dénomination singulière et intermédiaire entre celles de manufacture royale et de fabrique ordinaire32, témoigne de l’enjeu que représente la possession de titres accordés par le pouvoir royal. Dans le cas évoqué, ils permettent notamment d’échapper au contrôle des jurés-gardes, les draps de Seimandy étant soumis aux visites des inspecteurs de Clermont-l’Hérault33. Ils ouvrent surtout les portes d’un commerce lucratif car, ainsi marqués du titre de

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 66

« manufacture privilégiée », ces draps ont beaucoup de réputation dans le Levant [où] ils s’y vendent mieux que ceux des fabriques ordinaires34. Tout au long du XVIIIe siècle se multiplient les demandes émanant des fabricants de Clermont‑l’Hérault et de Bédarieux pour obtenir des distinctions permettant d’aposer à [leurs] draps un plomb ou marque distinctifs qui les annonce pour ce qu’ils sont et qui empêche qu’ils ne soient confondus avec ceux dont la qualité est inférieure à ceux de sa fabrique35 (fig.3 et 4).

Fig. 3 et 4

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 67

Échantillons de londrins seconds de fabricants de Clermont- l’Hérault © Archives départementales de l’Hérault (France), C2215

Villeneuvette et la manufacture dispersée

11 À ce point de la démonstration, si la multiplication des ateliers dévolus à la grande draperie est avérée, un rapide rappel historiographique est nécessaire avant d’aborder la question de la spatialisation de la production textile en Lodévois, Clermontais et Béderrès. Depuis les années 1970‑1980, les processus d’industrialisation du territoire européen sont définis au sein de plusieurs modèles, dont celui de la proto‑industrie et du district36. Ces appareils conceptuels ont permis d’introduire l’espace au centre des problématiques, comme les rapports de ses différentes composantes, en particulier entre villes et campagne. Plus précisément, les réflexions sur la protoindustrialisation ont renouvelé la connaissance de l’industrie textile en France, en développant un modèle dans lequel les industries rurales et la manufacture dispersée jouent un rôle primordial, défini au sein d’une région37. Ainsi, en 1984, Franklin F. Mendels propose trois critères pour qualifier une situation régionale de « protoindustrielle » : industries rurales, débouchés extérieurs, et symbiose industrie-agriculture doivent être réunis simultanément38. Les historiens à l’origine de ce concept, notamment le groupe de Göttingen, ont également mis en avant le comportement démographique spécifique du milieu protoindustriel, en particulier une croissance démographique irréversible39. En l’absence d’études démographiques fines pour les XVIIe et XVIIIe siècles et de connaissance du degré de prolétarisation de la cellule familiale en Lodévois- Clermontais‑Béderrès, l’utilisation du terme « protoindustrialisation », tel que défini précédemment, pour qualifier l’industrie textile de ce territoire paraît précipitée. De plus, comme l’a souligné Pierre Jeannin, le modèle proposé par les chercheurs allemands se rapporte essentiellement au niveau le plus bas des industries textiles, en particulier des pays de production de toile, secteur où probablement la valeur ajoutée était

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 68

la plus faible40. Le secteur des lainages est celui pour lequel la répartition entre production urbaine et production rurale est plus difficile à préciser41.

12 Pour le Lodévois, Clermontais et Béderrès, les sources écrites témoignent de l’existence d’un lien productif entre ville et campagne, encadré par le pouvoir royal et dominé par les marchands-fabricants installés dans les agglomérations. Ainsi, selon une ordonnance royale de 1722, les fabricants de Lodève sont autorisés à faire travailler dans tous les villages et hameaux de la Montagne42. à la même époque, les 19 marchands‑fabricants de Clermont‑l’Hérault font travailler dans le ressort de la ville 160 métiers produisant 1750 draps londrins seconds alors que les londres larges sont élaborées dans 21 villages voisins43. Même la manufacture concentrée de Villeneuvette associe travail salarié et travail à façon distribué dans les campagnes alentour44 (fig.5). Ces exemples tendent à montrer qu’il existe une répartition des tâches, entre ville et campagne, en fonction des opérations et des produits fabriqués. Pour Jean‑Michel Minovez, qui privilégie les relations entre négoce et fabrication pour définir l’organisation de la production, l’espace étudié est dominé par le Verlagsystem, système répandu dans les territoires de la draperie cardée45. Il consiste, pour un marchand‑fabricant, à maîtriser le cycle de production. Propriétaire de la pièce qu’il fait fabriquer – payant en retour la façon -, il distribue les matières premières, commande la fabrication et fait éventuellement procéder aux apprêts. Son rôle est rarement international et il doit alors s’en remettre aux grands négociants qui, parfois, réalisent eux-mêmes cette dernière opération46. Si l’on s’en tient à la thèse de Jean‑Michel Minovez47, quels sont les ateliers nécessaires aussi bien aux opérations préliminaires qu’aux apprêts, détenus par les marchands-fabricants de Lodève, Clermont‑l’Hérault et Bédarieux ?

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 69

Fig. 5

Territoire du Lodévois, du Clermontais et du Béderrès Véronique Marill © Région Languedoc-Roussillon, Inventaire général

Où sont les ateliers ?

« Marchands-facturiers » et lieux de production

13 Pour l’historien des techniques, un des moyens permettant de retrouver l’homme au travail est de rentrer dans l’atelier48. Les compte‑rendus des inspecteurs et les correspondances conservés dans les archives de l’Intendance du Languedoc nous renseignent sur les outils, parfois les gestes49. Paradoxalement, l’identification et la connaissance des lieux qui les ont abrités est moins évidente. Appliquée au Lodévois, au Clermontais et au Béderrès, cette question semble avoir partagé les auteurs. Certains, faute de mentions, nient leur existence à l’instar d’Adolphe Crémieux50. à l’opposé de cette thèse, Tihomir J. Markovitch identifie trois espaces de production, l’usine avec la concentration d’un outillage important (environ une cinquantaine de métiers) et d’un personnel apte à la fabrication de qualité, destinée à l’exportation ; à l’échelon inférieur, une entreprise de moindre envergure, la manufacture de taille moyenne, ne portant pas le titre de manufacture royale et dirigée par un seul entrepreneur, avec un outillage nettement plus modeste ; enfin à un degré encore plus bas, les petits ateliers de caractère plutôt artisanal, avec une vingtaine de producteurs possédant chacun un ou deux métiers seulement et produisant en moyenne une trentaine de pièces de draps par an51. Si l’auteur livre ici une typologie intéressante, il n’en identifie aucun exemple, excepté la manufacture de Villeneuvette qu’il rattache à la catégorie « usine ».

14

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 70

L’analyse des compoix semble vérifier le constat d’Adolphe Crémieux : nous ne retrouvons aucune mention de « fabrique de draps » dans les compoix du XVIIe siècle ni à Lodève, Clermont‑l’Hérault ou Bédarieux. Toutefois, il est vain de rechercher ce terme, car il apparaît seulement dans les premières matrices du cadastre napoléonien. Que déclarent les marchands‑fabricants ? En 1696, Jean Coste, marchand-facturier à Lodève, possède un moulin battant avec deux foulons sur la Soulondres52, les héritiers du marchand Estienne Fabre, une teinturerie53, tandis que les marchands Pierre Guiraud, Jean Carabasse et Rolland Palze, déclarent chacun une maison au bas de laquelle il y a une savonnerie54. Ces informations sur les négociants apparaissent bien minces au regard des quelques 200 occurrences que nous avons relevées dans les compoix du XVIIe siècle, en lien avec l’artisanat et l’industrie. Il est possible d’en déduire que les marchands, dans la plupart des cas, ne sont pas propriétaires des ateliers. Ces derniers peuvent être loués, comme l’illustre ce bail, d’une durée de quatre ans, d’une maison au faubourg de Montbrun à Lodève, du tisserand Jean Serre, en faveur de Jean Delmade, pour ledit Delmade y pouvoir placer son métier de retorseur55. Si nous écartons le métier des déclarants, très souvent absent des registres, les compoix livrent quelques informations sur l’existence d’espaces spécifiquement dédiés au travail des draps, en particulier au travers des mentions de moulins à foulon, de teintureries, d’herme servant a estaindre les draps travailliés56, de savonneries57 et de boutiques.

Les teintureries

15 La teinture des laines ou des draps exige à la fois un haut niveau de qualification et un capital fixe important58. À Clermont‑l’Hérault, Lodève et Bédarieux, les teintureries sont presque exclusivement situées dans les faubourgs, faubourg de la Frégère à Clermont59, faubourgs de Montbrun et d’Al Ban à Lodève60, faubourgs du Pont (Saint‑Louis), du Vignal et de Trousseau à Bédarieux61. Nous n’avons retrouvé aucune mention de ces installations dans les écarts, contrairement aux moulins à foulon, comme nous le verrons. Rejetées hors des enceintes, mais sans en être trop éloignées, elles sont situées à proximité immédiate d’un point d’eau, confrontant dans la plupart des cas une rivière, la Lergue à Lodève62, l’Orb et le Vèbres à Bédarieux63 et le Rhonel à Clermont‑l’Hérault64. à Lodève, les quatre teintureries relevées dans le compoix de 1696 présentent des superficies comprises entre 11 et 22 cannes, la plus grande étant située au faubourg d’Al Ban65. à Bédarieux, les quatre teintureries ont une contenance de 12 à 31 cannes, cette dernière surface relevant d’un cas précis : une maison au‑dessous de laquelle y a une teinturerie66. à Clermont-l’Hérault, Adolphe Crémieux a relevé une teinturerie d’une superficie de 15 cannes, ainsi qu’une maison de 12 cannes, le dessous servant de teinturerie67. D’une superficie moyenne de 16 cannes (soit 64 m2), ces ateliers étaient équipés de chaudières et de cuves de cuivre ou d’étain68. Malgré les précisions apportées par les compoix, il ne nous a pas été possible d’en identifier in situ. En raison de leur localisation dans les faubourgs les plus anciens, ces constructions ont subi d’importantes modifications au fil des siècles. La maison Baille, édifice clermontais attesté au XVIIe siècle, à l’angle des rues du Portal neuf (actuelle rue du Portail Naou) et de Rogas, aurait-elle abrité une teinturerie dès cette époque ? Il nous est impossible de l’affirmer, malgré la présence d’un atelier de teinture aux siècles suivants et la participation de cette famille à la production textile, à l’origine notamment de la création de la manufacture de Villeneuvette (fig.6 et 7).

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 71

Fig. 6

Clermont-l’Hérault (Hérault), façade occidentale de la maison Baille Marc Kérignard © Région Languedoc-Roussillon, Inventaire général

Fig. 7

Clermont-l’Hérault, plan de localisation des usines textiles attestées aux XVIIIe et XIXe siècles Véronique Marill © Région Languedoc-Roussillon, Inventaire général

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 72

Les « molins battant »

16 Une fois l’étoffe tissée, elle devait être foulée afin d’acquérir résistance et souplesse, ce qui représente un des métiers les plus complexes de la draperie69. Les moulins à foulon, appelés dans les compoix molin battant, sont implantés en bordure de la Soulondres et de la Lergue à Lodève70 et exclusivement en bordure du Vèbres à Bédarieux71. Le territoire de Clermont- l’Hérault en est pratiquement dépourvu au XVIIe siècle, Adolphe Crémieux n’en relevant qu’un cas unique72. Selon Émile Appolis, certains fabricants de Clermont‑l’Hérault étaient amenés à fouler leurs draps à Lodève73. Contrairement aux teintureries, nous retrouvons ces moulins drapiers en écart, comme au Bouldou, à Fangouze ou encore au Pioch Megé sur le territoire de Lodève, au moulin de Campagne, aux Douzes et au Pradel sur celui de Bédarieux. Ils sont détenus par des bourgeois (2), des pareurs (10), un tisserand, un tondeur, un marchand-facturier et un charpentier. Ils sont parfois en indivision, par exemple le moulin de Fulcrand Teisserenc, fils de Jacques, qui déclare un moulin battant assis sur la riviere de Lergue avec un foulon et jardin le tout comun et indivis avec les hoirs de Jaques Cure74, révélant la nécessité de mettre en commun les capitaux nécessaires à leur construction. à cette époque peuvent coexister plusieurs activités, soit au sein d’un même édifice, tel ce moulin a bled et a drap à Bédarieux75, soit au sein d’un domaine, par exemple dans cette propriété de Lodève avec maison, moulin à bled avec quatre meules moulans, moulin battant avec deux foulons76 ou la suivante, à Bédarieux, composée d’une maison à partie du bas de laquelle y a un moulin à bled avec une meule moulant et un moulin batant avec sa paissiere et besal de la rivière de Vebres dit le moulin de Campagne77.

17 Les moulins drapiers recensés sont pour la plupart à deux foulons ; un seul présente quatre foulons, celui du pareur Pierre Poujol, fils de Marselin, qui déclare, en 1696, un molin battant assis sur la riviere de Lergue avec quatre foulons jardin olivette et rivage, situé à Fangouze, et dont la moitié est estimée à 13 cannes78. D’après les descriptions qui en sont faites dans les compoix, les moulins drapiers se composent d’un édifice contenant les foulons, le molin battant, accompagné de sa pentiere [prise d’eau] bezal [canal d’amenée] champ jardin et rivage79. Selon Émile Appolis, ces moulins comportent fréquemment un étage supérieur qui sert de boutique d’affineur80. Dès 1696, certains sites présentent une densité d’installations. C’est le cas au Bouldou où se trouvent une maison, moulin battant avec trois foulons, pattus et jardin, tout joignant, assis ledit moulin sur la riviere de Lergue, al bouldou, dans lequel moulin passe le bezal quy port leau au molin de Jean Rivemalle et Jean Mas ajant iceux son passage dans ledit moulin pour aller ouvrir et fermer les rasclauzes de leurdit molin81. Ce sont ces installations qui ont été les mieux conservées, tout au moins les niveaux les plus bas, et dont on retrouve aujourd’hui des vestiges, comme à Lodève, sur le site du Bouldou (fig.8, 9, 10). Malgré un travail de la laine fortement domestique au XVIIe siècle, des édifices spécifiquement dédiés à la production des draps ont existé, dès cette époque, sur le territoire du Lodévois, du Clermontais et du Béderrès. À l’écart des agglomérations lorsqu’il s’agit des moulins drapiers, ils s’en sont rapprochés lorsqu’ils servaient de teintureries. Alors que les sources consultées nous rapportent l’existence de 27 moulins à foulons et 9 teintureries à la fin du XVIIe siècle, il nous a été impossible ni de les cartographier, faute d’en reconnaître les confronts, ni d’en retrouver des vestiges, exceptés quelques cas isolés.

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 73

Toutefois, cette liste de sites présente un état du maillage territorial des ateliers, amené à se développer au siècle suivant.

Fig. 8

Estampe d’un moulin à foulon pour les draps de Lodève, devenu l’usine dite du Bouldou ; dessin de Genillon, gravure d’Aveline en 1775 © Archives départementales de l’Hérault (France), 9 Fi 12

Fig. 9

« Vieux foulons sur la Lergue, d’après une sanguine de B. Roger » © Archives départementales de l’Hérault (France), 9 Fi 297

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 74

Fig. 10

Lodève (Hérault), usine dite Bouldou ; les anciens foulons ont connu plusieurs agrandissements jusqu’au XXe siècle Marc Kérignard © Région Languedoc-Roussillon, Inventaire général

Quand le bâtiment d’industrie se fond dans la ville (1708-1810)

18 Au XVIIIe siècle, les installations industrielles du siècle précédent sont complétées, parfois remplacées, par un nouvel édifice, la manufacture. Que savons-nous de ces manufactures ordinaires, à l’origine de la croissance économique du Languedoc, notamment dans le Lodévois‑Clermontais‑Béderrès, où la manufacture de Villeneuvette ne fournit déjà plus que 260 pièces de draps en 1725, contre 2 190 pièces livrées par Clermont-l’Hérault82 ? À l’aide d’un corpus de 40 édifices, identifiés in situ, il s’agit d’en définir les principaux caractères et d’en comprendre la genèse en confrontant réglementation, procédés techniques de fabrication des draps et conception architecturale.

De nouveaux espaces de production

Vers la concentration de la production

19 En 1708, le marchand-fabricant clermontais, Antoine Raissac, fait construire au faubourg de la Frégère, une maison à faire tinture, première manufacture dont la localisation, la nature et la date de construction peuvent être établies avec certitude, en dehors de la manufacture de Villeneuvette83. Elle participe assurément au mouvement de concentration de la production dans des édifices construits à cet effet, phénomène qui s’amplifie après les années 1710. En 1715, le Conseil d’État délivre aux fabricants de Clermont‑l’Hérault le privilège de travailler pour le Levant84. Ils sont alors autorisés à confectionner des londrins seconds, au même titre que les manufactures royales et les

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 75

villes de Carcassonne et de Saint‑Chinian85. Comme le rappelle Tihomir J. Markovitch, la réussite de ces initiatives privées se confirme dans les années 1730, époque où elles ont eu tendance à supplanter la manufacture royale par une croissance supérieure86. Au cours de cette période, d’après les documents fiscaux de cette ville, l’unique teinturerie recensée au XVIIe siècle est complétée par 4 nouvelles installations (fig.11). Les espaces réservés à l’étendage des laines et des draps font également leur apparition, avec deux cas mentionnés dans le compoix du XVIIIe siècle. Un mémoire de 1765 signale, à Clermont‑l’Hérault, dix teintureries bien fournies de tous leurs ustensiles87. De même, les vocations se multiplient à Bédarieux88, avec la permission accordée aux fabricants, en 1759, de produire des londrins seconds destinés aux mêmes endroits [que] Clermont, Le Caire, l’île de Chipre et quelque peu à Constantinople89. Dans les années 1760, Bédarieux compte deux teintureries bien fournies, des rames pour sécher seize pièces à la fois, et huit presses90. À Lodève, la tendance est similaire, bien que portée par une production à destination du marché intérieur : alors que le nombre de moulins à foulon reste stable, 9 teintureries sont mentionnées dans le compoix de 1767 (4 dans celui de 1696), 4 ateliers pour les apprêts (aucun en 1696) et 9 étendoirs (deux en 1696)91 (fig.12). Comment s’organise la production entre ces différentes installations ? Au XVIIIe siècle, la confection des draps nécessite l’intervention d’une dizaine de corps de métiers réalisant de 20 à 30 opérations92, dont certaines sont regroupées dans ces manufactures-bâtiments nouvellement édifiées. Tout d’abord, les marchands y contrôlent les opérations préliminaires, le dégraissage, le lavage, le triage et le cardage des laines93. Ils y effectuent également la teinture des laines, comme parfois à Lodève94, et le plus souvent, des draps. Ils y surveillent enfin les opérations d’apprêt, qui consistent à lainer, tondre, étendre, lustrer les pièces, savoir‑faire détenus par des ouvriers qualifiés, les pareurs95. Bédarieux présente un cas, semble-t-il, unique : les fabricants de la ville, autorisés à fabriquer des londres larges96 puis des londrins seconds, envoyaient leurs draps à Clermont-l’Hérault car avant l’année 1757 il n’y avait point à Bédarieux de tinturerie pour donner aux draps les opérations de la teinture et des derniers apprêts97. Voyant les inconvénients qu’on essuyait dans le transport des draps à Clermont98 et souhaitant y établir une teinturerie pour l’utilité de la fabrique99, ils en font construire une, faubourg Trousseau, au profit de l’ensemble des fabricants de la ville. Qu’en est-il des opérations de filage ou de tissage ? Si Tihomir J. Markovitch souligne qu’à Lodève et Clermont, avec la spécialisation dans la fabrication des draps, un mouvement de concentration est bien visible dans le rapport entre le nombre de fabricants, le nombre de métiers et le volume de la production100, nous ne pouvons en conclure à l’installation des métiers dans les manufactures nouvellement créées. Un mémoire sur la fabrique de Lodève, rédigé en 1740, rappelle qu’il y en a même plusieurs [fabricants] qui ont assez de logement dans leurs maisons pour y établir des métiers, et il est à présumer qu’ils l’auraient déjà fait sans les privilèges de la maitrise101. La manufacture de Jean Flottes Jeune, une des plus importantes de Clermont- l’Hérault, compte seulement trois à quatre métiers en 1765102. L’outillage, capital fixe, semble néanmoins être la propriété des marchands, comme l’attestent les actes enregistrés par les notaires, notamment ce conflit qui oppose, en 1708, Jean Pelletan, marchand-facturier de Clermont‑l’Hérault, à Jean Paloc, maître tondeur et affineur de draps103. Dès le début du XVIIIe siècle, il y a bien une tendance à la concentration, à la fois de la production dans l’espace urbain, tout au moins de certaines opérations, mais également des capitaux entre les mains de marchands, se rapprochant ainsi des Verleger. L’amplification de ce phénomène au cours du XVIIIe siècle ne doit pas cependant masquer la dispersion de la main d’œuvre,

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 76

en ville et dans les hameaux, qui demeure importante jusqu’à la fin du siècle. Dans les années 1780, l’industrie textile fait travailler 8000 ouvriers dans la ville et la campagne de Lodève et 6000 dans celles de Clermont-l’Hérault, alors que les populations urbaines sont estimées à 8000 habitants à Lodève et 4500 à Clermont-l’Hérault104.

Fig. 11

Clermont-l’Hérault (Hérault), plan du fief Daussatières ; détail de la rue de Boubequiol, actuelle rue de l’Égalité, XVIIIe siècle (AM Clermont-l’Hérault, CC 12) © Archives départementales de l’Hérault (France)

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 77

Fig. 12

Estampe de la manufacture de Lodève ; dessin de Genillon, gravure d’Aveline en 1775 © Archives départementales de l’Hérault (France), 9 Fi 9

Essai de typologie des manufactures

20 Malgré l’absence de plans connus pour les manufactures ordinaires, quelques caractéristiques morphologiques peuvent être esquissées, conduisant à un essai de typologie basée sur l’implantation des sites, leur emprise, leur organisation et leur architecture. À partir du corpus étudié (40 édifices identifiés), deux types peuvent être distingués, le premier constitué d’ateliers isolés et le second d’ateliers groupés et organisés autour d’une cour. La première configuration trouve son origine dans la présence d’un cours d’eau, ayant très souvent induit l’implantation d’un moulin dès le moyen âge. Autour de ce noyau primitif se développent, au cours du XVIIIe siècle, plusieurs constructions annexes, de petites dimensions, le plus souvent accolées. Nous en retrouvons des exemples à Lodève, aux lieux-dits Frescaty, Le Bouldou, Fangouze (détruit) et les Trois Moulins, ainsi qu’à Bédarieux aux lieux-dits Moulin de Bouquier et Moulin de Campagne. À Clermont‑l’Hérault, les nombreuses sources ont été captées pour alimenter viviers et lavoirs, dont les eaux ont été utilisées au XVIIIe siècle pour le lavage des laines et des draps et pour l’alimentation d’ateliers de teinturerie ; c’est le cas aux lieux-dits Fontaine de Thurou, La Croix Rouge et au Fontenay. Lorsqu’elles font l’objet d’agrandissements à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle, les nouvelles unités de production prennent place dans des bâtiments rectangulaires, parallèles au réseau hydraulique, faciès qui connaît son plus grand développement au XIXe siècle. Nous en observons les prémices à Lodève sur les sites des Trois Moulins, de Fontainebleau, du Pont de Celle et de Montplaisir, comme sur les sites clermontais de Bézorac et de la rue saint Dominique (actuelle rue Hippolyte Rouquette), ou encore, à Bédarieux au Vignal, à Joli Cantel ou au Moulin de Campagne (fig.13, 14, 15).

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 78

Fig. 13

Bédarieux (Hérault), « Moulin de Campagne » ; détail du plan cadastral de 1826 © Archives départementales de l’Hérault (France), 3 P 3456

Fig. 14

Lodève (Hérault), « Trois Moulins » ; détail du plan cadastral de 1833 © Archives départementales de l’Hérault (France), 3 P 3570

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 79

Fig. 15

Clermont l’Hérault (Hérault), « Fontaine Thurou » ; détail du plan cadastral de 1836 © Archives départementales de l’Hérault (France), 3 P 3507

21 Le second type de fabriques105 concerne des constructions ex nihilo, à l’initiative de marchands-facturiers. Ces édifices, regroupant magasins106, ateliers de teinturerie et d’apprêts, sont installés dans les espaces urbains restés vacants, dans les faubourgs ouest de Clermont- l’Hérault (faubourg de la Frégère), dans les faubourgs nord (rue du Fer, actuelle rue Louis Abbal) et sud (faubourg Trousseau) de Bédarieux et, vraisemblablement, aux marges des faubourgs des Carmes, de la Bouquerie et d’Al Ban à Lodève. Respectant le parcellaire existant, les manufactures sont implantées sur de vastes parcelles rectangulaires, bordant un cours d’eau, telle la manufacture Seimandy : les bâtiments qui servaient à cette manufacture sont vastes, commodes, fournis de tout ce qui est nécessaire et près de la petite rivière qui baigne les murs de la ville107. Construits en limites de parcelle, les édifices forment un espace clos autour d’une cour centrale (fig.16, 17, 18).

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 80

Fig. 16

Clermont-l’Hérault (Hérault), rue de la Frégère ; détail du plan cadastral de 1836 © Archives départementales de l’Hérault (France) 3 P 3507

Fig. 17

Lodève (Hérault), faubourg de Villeneuve ; détail du plan cadastral de 1833 © Archives départementales de l’Hérault (France), 3 P 3570

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 81

Fig. 18

Bédarieux (Hérault), faubourg Trousseau ; détail du plan cadastral de 1826 © Archives départementales de l’Hérault (France) 3 P 3456

22 Le bâtiment en front de rue, de deux à trois étages, possède très souvent une façade soignée, ordonnancée, offrant à voir la réussite du marchand-facturier. À Clermont‑l’Hérault, la manufacture édifiée par Antoine Raissac, en 1708, présente ainsi un front bâti continu, d’une longueur de 50 mètres environ. Les étages sont dévolus au logis, tandis que les vastes espaces en rez-de- chaussée, couverts de voûtes d’arêtes, servent de magasins de stockage, semblables à ceux de Villeneuvette (fig.19). Le corps central est prolongé par des ailes en retour, de plus petites dimensions. Réservées aux unités de transformation, elles pouvaient abriter les tables de tondeur, les presses et les cuves de teinture. Ces ensembles manufacturiers se singularisent par leurs grandes dimensions, les larges portes et passages facilitant la circulation entre les ateliers et les baies nombreuses et régulières permettant un éclairage suffisant pour les opérations de précision, notamment l’apprêt des draps.

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 82

Fig. 19

Villeneuvette (Hérault), magasin au rez-de-chaussée de la maison de maître. Michel Descossy © Région Languedoc-Roussillon, Inventaire général

23 Si dix manufactures peuvent être rattachées à l’archétype de la grande manufacture sur cour, les trois plus beaux exemples de cette architecture industrielle se trouvent à Clermont‑l’Hérault, rue de la Frégère (fig.20) et à Bédarieux (fig.21, 22) au faubourg Trousseau, rue Courbezou108. Ce dernier exemple est particulièrement intéressant car nous en connaissons à la fois le maître d’ouvrage et le maître d’œuvre. La manufacture dite Fabregat est construite sur un terrain acquis en 1755, par le corps des fabricants de Bédarieux, qui fait venir un maître teinturier pour dresser le plan de la construction, faire le choix d’un local commode et propre avec usage soit pour la teinturerie, soit pour placer les presses et rames et autres outils nécessaire109. Alors que l’identification d’un architecte, auteur du projet de construction des grandes manufactures, est exceptionnelle et, le plus souvent hypothétique110, cette mention en éclaire la conception. À Bédarieux, elle est l’œuvre d’un technicien, le maître teinturier de Saint-Chinian, Antoine Janot111. D’après les termes d’un prix‑fait, Estienne Noquier, Estienne Coulet et Pierre Cabrol, maçons de Bédarieux, en réalisent le pavement à la fin de l’année 1756112. En 1788, la teinturerie du corps des fabricants de Bédarieux est aux mains de Jean Fabregat qui déclare une maison de 141 cannes et 6 pans, une teinturerie de 40 cannes et 6 pans, un local où sont les fourneaux de 26 cannes et 5 pans, un échaudoir de laine de 16 cannes et 7 pans, ainsi qu’une remise voûtée de 46 cannes et 2 pans113 (fig.23). Si la cour centrale, de petites dimensions, a aujourd’hui disparu en raison des agrandissements postérieurs114, nous retrouvons ici le soin apporté aux façades sur rue, mais également la présence d’ateliers installés en fond de parcelle, à proximité immédiate de l’Orb.

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 83

Fig. 20

Clermont-l’Hérault (Hérault), manufacture Raissac ; rue de la Frégère Marc Kérignard © Région Languedoc-Roussillon, Inventaire général

Fig. 21

Bédarieux (Hérault), manufacture Fabregat depuis l’ouest Marc Kérignard © Région Languedoc-Roussillon, Inventaire général

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 84

Fig. 22

Bédarieux (Hérault), manufacture Fabregat ; rue Courbezou Marc Kérignard © Région Languedoc-Roussillon, Inventaire général

Fig. 23

Bédarieux (Hérault), plan de la manufacture Fabregat, en 1788 (AM Bédarieux. CC 11) Lisa Caliste © Région Languedoc-Roussillon, Inventaire général

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 85

Architecture des manufactures ordinaires : quelles inspirations ?

Une architecture traditionnelle

24 Parmi les dix cas relevant de l’archétype de la grande manufacture, l’usage industriel des bâtiments repérés rue du Fer à Bédarieux, près du pont de Vinas à Lodève ou encore rue Neuve (actuelle rue de la Liberté) à Clermont-l’Hérault, n’a pu être établi avec certitude. Dans les deux premiers cas, ces sites abritent une activité industrielle au XIXe siècle mais qu’en était- il au siècle précédent ? Pour le site clermontais, c’est le titre de propriété qui éveille la présomption, car détenu par la famille Bonneville, importante famille liée au négoce des draps. Dans ces trois cas de figure, l’organisation comme la modénature du bâti renforcent l’hypothèse de leur identification en tant que grande manufacture édifiée au XVIIIe siècle (fig.24). L’absence de cours d’eau à proximité des sites de la rue du Fer et de la rue Neuve, ne serait pas décisive car, comme l’a souligné Maurice Daumas, les commerçants en draps et en toile avaient besoin de grands bâtiments pour entreposer leurs matières premières aussi bien que les stocks de filés et de pièces tissées115. Les contrats notariés témoignent de ces transactions impliquant les cardeur, retorseur, tisserand et les marchands. Ainsi, Pierre Cabal, marchand de Bédarieux, intervient en 1731 dans plusieurs ventes de fils de trame et de chaîne, ainsi que de pièces de draps, en faveur de Jean Baptiste Fabre, habitant de Gignac116. Il s’agit donc pour ces marchands de disposer avant tout d’espaces de stockage.

Fig. 24

Bédarieux (Hérault), immeuble rue du Fer, peut-être manufacture de draps au XVIIIe siècle Marc Kérignard © Région Languedoc-Roussillon, Inventaire général

25

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 86

Dans ce contexte, les espaces de production ne présentent pas de spécificité industrielle mais, au contraire, de fortes ressemblances avec l’architecture urbaine ou rurale environnante, ce qui peut en rendre l’identification délicate117. En premier lieu, les matériaux de construction sont identiques : des moellons de calcaire, de schiste ou des galets de rivière sont utilisés pour le gros-œuvre, des pierres de taille en grès servent aux encadrements, un enduit à la chaux est appliqué sur les façades. Concernant les formes architecturales, le recours au plan en U et à la symétrie sont des dispositifs empruntés aux formes traditionnelles de l’habitat urbain contemporain, notamment des hôtels particuliers118. La modénature des façades trouve les mêmes inspirations : les baies sont pourvues d’arcs surbaissés, parfois à clé saillante, et ordonnancées en travées régulières. De même que pour les hôtels particuliers, les impostes des portes ou le panneau central des balcons des manufactures révèlent aux passants le chiffre du propriétaire. Certains escaliers sont parés de rampes dont le travail de ferronnerie est semblable à celui des résidences urbaines voisines (fig.25). Nous ne pouvons que souscrire aux remarques de Jean-François Belhoste et Jean-Michel Chaplain, à propos des manufactures de Louviers : de telles continuités nous conduisent à observer à quel point les fabricants lovériens font corps économiquement et socialement avec les membres de la bourgeoisie locale, juristes, officiers de finance, marchands tanneurs et toiliers aux vues essentiellement rentières, aux liens profonds avec la terre, où ils préfèrent placer les gains réalisés au détriment du réinvestissement industriel et commercial. Une telle attitude favorise évidemment la non spécificité du bâtiment industriel au sein d’un plus large ensemble de biens fonciers et immobiliers. Elle encourage à sa façon, l’indifférence de la forme par rapport à l’usage119.

Fig. 25

Clermont-l’Hérault (Hérault), grand escalier de la manufacture Raissac Marc Kérignard © Région Languedoc- Roussillon, Inventaire général

La question des modèles

26 Bien qu’intégrées au tissu urbain, les manufactures du Lodévois‑Clermontais‑Béderrès se singularisent, aussi bien par les dimensions de leurs composantes bâties que par leur organisation dans l’espace, caractères à partir desquels nous avons défini un archétype d’architecture industrielle pour le XVIIIe siècle. En fait, il est remarquable de voir que la construction de ces manufactures languedociennes respecte un modèle présent à Louviers, Elbeuf et Sedan. Ainsi, les travaux initiés par Jean-François Belhoste et Jean- Michel Chaplain, en 1979, ont permis de mettre en évidence des caractéristiques communes aux manufactures drapières de la moitié nord de la France, construites sur de

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 87

longues parcelles rectangulaires, avec en fond, donnant sur l’eau, la teinturerie et la dégraisserie, une cour au centre, deux ailes d’ateliers et, sur la rue, la maison de maître avec les magasins120. Jusqu’alors, nous ne savions pas si ce modèle s’appliquait aux manufactures languedociennes. Ainsi se questionnait Jean-François Belhoste, en 1984 : tout ceci est du moins valable pour la France du Nord, mais reste discutable pour le Languedoc. Car, on trouve là le cas de manufactures villageoises, à Saptes et surtout à Villeneuvette, village créé de toutes pièces au cours du développement de la manufacture pour le logement de ses ouvriers. La recherche comparative n’est pas encore suffisamment avancée pour déterminer s’il s’agit d’un cas exceptionnel, dû à l’originalité d’un entrepreneur, ou d’un trait caractéristique de la civilisation industrielle méditerranéenne121.

27 Il est aujourd’hui possible d’établir que la construction des établissements industriels du XVIIIe siècle, dédiés à la grande draperie, respecte le même schéma du nord au sud du royaume. Si nous ne connaissons aucun plan d’usine modèle qui aurait circulé entre centres drapiers, la mobilité des hommes, notamment des techniciens, a pu faciliter ces échanges. Nous savons qu’à la fin du XVIIe siècle, des ouvriers hollandais, notamment de Leyde, sont présents à Villeneuvette, après être passés par Conques ou Carcassonne122. Les bâtiments de la manufacture royale de Villeneuvette sont commandités par le marchand Pierre Baille en 1675, puis par la société Pouget à laquelle succèdent l’entrepreneur carcassonnais Guillaume Castanier d’Auriac et son fils123. Si le tracé géométrique de l’ensemble témoigne d’une conception préalable124, on ne connaît pas, en effet, l’auteur du plan. On soupçonne un maître d’œuvre (peut-être un ingénieur ?), soucieux d’efficacité qui a cherché à créer une architecture fonctionnelle et systématique, tout en utilisant les techniques locales de construction et de décor. Les dispositions intérieures des maisons, les éléments de décor (calade à motif géométrique, enduits, épis de faîtage en céramique, ferronnerie) sont fréquents dans les villages du canton et de la moyenne vallée de l’Hérault125 (fig.26, 27). Il existe donc bien une unité, à la fois historique, technique et architecturale, aussi bien à l’échelle locale entre la manufacture de Villeneuvette et les manufactures des villes voisines, qu’au-delà, à l’échelle nationale.

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 88

Fig. 26

Villeneuvette (Hérault), plan de la manufacture royale, fin XVIIIe-début XIXe siècle (archives privées) Michel Descossy © Région Languedoc- Roussillon, Inventaire général

Fig. 27

Villeneuvette (Hérault), logements et magasins de l’ancienne manufacture royale ; place Louis XIV Marc Kérignard © Région Languedoc-Roussillon, Inventaire général

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 89

Lodève et les draps de troupe : un unicum ?

Un monopole pour la fourniture des draps de troupe ?

28 Lodève est souvent présentée comme une exception par les auteurs qui se sont intéressés à la draperie du Midi, en raison de sa spécialisation dans la fourniture de drap pour l’armée126 : la fabrique de Lodève commença à travailler pour les troupes vers l’année 1700 ; on reconnut en 1730 sa supériorité sur les autres127 et cette supériorité lui a assuré et conservé depuis cette époque la préférence pour les fournitures des troupes128 [...] par l’article huit du même titre [titre second de l’ordonnance du 26 mars 1776], Sa Majesté ordonne expressément à tous les régiments, de tirer leurs draps directement de Lodève et de la première main des ouvriers et fabricants129. Si la production de drap de troupe s’impose à Lodève, la production d’étoffes civiles ne disparaît pas pour autant, tout au moins jusqu’aux années 1780130. Ainsi, en 1768, Lodève fournit des draps pour les troupes, pinchinats couleur, draps 24ains couleur, draps 17ains couleur, draps londres larges, ratines, tricots131. Les 24ains et 17ains sont destinés au commerce intérieur, à l’Allemagne et à l’Italie, les gris blancs, tricots sont pour les troupes de France, les ratines se vendent en blanc à Lyon où on les fait teindre pour le marché intérieur et pour l’expédition vers l’Allemagne et l’Italie132. Lodève n’est pas la seule à travailler pour les deux marchés, celui de la draperie civile et celui de la draperie militaire, attestés également à Bédarieux, dès les années 1740. À cette époque, plusieurs ordonnances royales adressées aux fabricants bédariciens entraînent la suspension de leur production de londres larges au profit de celle des draps gris-blancs pareils à ceux de Lodève133. Face à la crise que connaît la grande draperie destinée au marché levantin, dans le dernier quart du XVIIIe siècle, la fourniture des draps aux armées apparaît comme une alternative et plusieurs entrepreneurs de Bédarieux et de Clermont-l’Hérault s’y convertissent134. Ainsi, à Clermont‑l’Hérault, la maison Delpon et la maison Rouquet, Marréaux et Devaux travaillent pour le compte de l’État, comme la manufacture de Villeneuvette.

Des espaces de production spécifiques ?

29 Contrairement aux cités voisines, nous n’avons retrouvé à Lodève qu’un cas isolé, peut- être deux, de grande manufacture sur le modèle de la fabrique organisée autour d’une cour, caractérisée par la façade ostentatoire du logis et des magasins en front de rue. Au milieu du XVIIIe siècle, Lodève compte pourtant 62 fabricants qui fournissent environ 12 000 pièces de draps pour les troupes. La différence observée tiendrait-elle à la spécialisation lodévoise ? Reprenons un mémoire de 1740 qui rapporte le circuit de production des draps pour les troupes. Les laines viennent des alentours, du diocèse de Béziers, d’Agde, de Montpellier, de Narbonne, du Roussillon et d’Espagne. D’abord triées puis lavées, elles sont mises à tremper dans des cuviers remplis d’eau chaude d’où elles sont tirées à mesure qu’elles sont lavées dans le courant de la rivière. Cette étape est effectuée chez le fabricant, presque tous ont chez eux la plupart des ouvriers qui préparent les laines jusqu’à les mettre en état d’être filées ou remises aux cardeurs. Cette préparation englobe la teinture des laines, au contraire des fabriques de Clermont-l’Hérault et de Bédarieux qui teignent en drap : tous les fabricants teignent eux‑mêmes leurs laines dans dix teintureries appartenant à dix d’entre eux. Il y a dans la ville environ 130 cardeurs, qui font filer chez

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 90

eux, à peu près le tiers des chaînes de tous les draps, et la trame des draps les plus chers. Le reste des fils de trame et de chaîne est travaillé par les fileuses particulières de la ville et par des cardeurs dispersés dans les villages des diocèses de Lodève, Vabre, Alès et Béziers. Les fils de chaîne sont ensuite retordus au moulin, ourdis et comptés par un ouvrier du marchand-fabricant. Les draps sont tissés à Lodève, par 210 maîtres qui ont plus de 300 métiers. À la sortie du métier, ils sont « épotoyés »135 par des ouvrières que les fabricants payent à la journée. Ils sont ensuite envoyés chez le planquet qui marquent les draps des noms, qualités et numéros, les font fouler, les garnissent, les tondent et leur donnent les derniers apprêts dans les 47 foulons de la ville. Les fabricants leur fournissent le savon qu’ils prennent dans cinq savonneries établies à Lodève, comme le chardon, qu’ils font venir en plus grande partie de Provence, les forces qu’ils tirent de Sedan, mais la plupart de Nyon en Suisse, les presses qu’ils ont dans leurs maisons au nombre de quarante‑cinq à cinquante136. Selon la description qui en est faite en 1740, la chaîne opératoire des draps de Lodève diffère à plusieurs reprises de celle des draps londrins seconds fabriqués notamment à Clermont-l’Hérault. Hormis la teinture qui se fait ici en laine, les apprêts sont réalisés au moulin à foulon par le planquet et ses commis alors qu’ils sont concentrés, à Clermont-l’Hérault comme à Bédarieux, dans des manufactures construites à cet effet. Ces différences pourraient expliquer la quasi- absence de grande manufacture sur le modèle de la fabrique organisée autour d’une cour, caractérisée par sa façade ostentatoire en front de rue. Par ailleurs, le prestige de la production même ne doit-il pas être pris en compte ? Bien que le commerce des draps de troupes soit une opération lucrative137, ses entrepreneurs ne semblent pas vouloir afficher leur réussite dans les bâtiments de leur industrie. Toutefois, une dernière hypothèse doit être évoquée. Alors que les fabriques clermontaises sont en retrait au XIXe siècle, le développement de l’industrie textile à Lodève pourrait être à l’origine de la disparition de ces grandes manufactures d’Ancien Régime. De nombreux sites se sont agrandis au détriment des bâtiments préexistants, comme en témoigne l’usine de l’étendage, dont les extensions ont été réalisées au détriment d’une ancienne teinturerie. En 1865, Camille Saintpierre disait de cette ville que parmi les villes manufacturières du département, Lodève occupe la première place et se distingue par le caractère général de son industrie et l’organisation de ses usines138 (fig.28).

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 91

Fig. 28

Lodève, plan de localisation des usines textiles attestées aux XVIIIe et XIXe siècles Véronique Marill © Région Languedoc-Roussillon, Inventaire général

Une architecture industrielle renouvelée (1810-1900)

30 La concentration d’une partie du capital, et dans une moindre mesure de la main d’œuvre, s’est développée en Lodévois-Clermontais‑Béderrès dès le début du XVIIIe siècle, avec la création des manufactures ordinaires. Le travail à domicile est cependant resté essentiel pour certaines opérations, notamment le tissage. Serait-on en présence d’une « alliance », ou tout au moins d’une coexistence séculaire du factory system et du domestic system139 ? En 2000, Serge Chassagne soulignait le déplacement de la réflexion autour de la proto-industrie française vers une territorialisation du phénomène, avec une interrogation implicite […] sur l’échec proto-industriel, c’est-à-dire l’absence de passage du stade proto-industriel à la phase de l’industrialisation (travail mécanisé et concentré en usine)140. En Lodévois-Clermontais‑Béderrès, la concentration se poursuit au XIXe siècle, en lien notamment avec la mécanisation et le développement des usines intégrées.

Une révolution mécanique fondée sur l’énergie hydraulique

Origines et développements de la mécanisation dans le Lodévois, Clermontais et Béderrès

31

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 92

La mécanisation débute à Bédarieux avec l’installation des premiers équipements dédiés à la filature des laines, dès le début des années 1810141. En 1813, il existe déjà 32 filatures par mécanique à Bédarieux, alors que Lodève n’en compte que 5142. Les fabricants Pierre Martel, Verny et Gaston, Antoine Causse, Prades et Grand frères, Amefield et Jean Begalou143, et Joseph Maistre à Villeneuvette144, sont à la tête de ce mouvement porté par deux marchés, celui des nouveautés et celui des draps de troupe (fig.29, 30 et 31). Les fabricants bédariciens sont les premiers à travailler de nouvelles étoffes, dès les années 1780145, notamment les draps fins façon d’Elbeuf et de Louviers, à destination de la France, de l’Italie, de la Suisse et de l’Espagne146. Si cette production a vraisemblablement induit une mécanisation des équipements, le secteur des draps de troupe soutient également ce phénomène dès les années 1820, comme l’a souligné Christopher H. Johnson147. Au cours du XIXe siècle, l’État impose plusieurs contraintes aux adjudicataires de la fourniture des draps aux armées, dont la « règle des 50 000 mètres », production annuelle exigée en 1824 pour soumissionner aux marchés. Elle est suivie par la « règle du maximum », obligeant le soumissionnaire à avoir un outillage capable de satisfaire au lot maximum148. Dans les premiers temps, le gouvernement favorise les investissements en versant aux fabricants le quart du prix des machines149. Lorsque Camille Saintpierre dresse un tableau de l’industrie du département de l’Hérault, en 1865, 16 usines héraultaises sont concernées par la fourniture de draps aux administrations, 12 à Lodève, 2 à Clermont-l’Hérault (la maison Delpon (fig.32) et la maison Rouquet) et une à Bédarieux (la maison Donnadille)150. à cette époque, la mécanisation s’est étendue à l’ensemble des opérations, du traitement des laines aux apprêts des draps151. Dans les 17 fabriques les plus importantes de Lodève, l’outillage se compose d’environ 400 machines cardes ou drousses, de 800 métiers à tisser mécaniques, de plus de 150 fouleuses mécaniques. Le nombre des broches152 des mull jenny doit dépasser d’après nos calculs 35 000 153. à Clermont-l’Hérault, les 7 usines de la ville comptent 6 000 broches, 121 métiers mécaniques et 164 à bras154 (fig.33, 34). Quant à Bédarieux, les 15 filatures représentent un ensemble d’environ 13 000 broches, tandis que ses manufactures utilisent encore 280 métiers à bras et 76 seulement à la mécanique155. Ces chiffres, avancés par l’auteur afin de souligner la mécanisation des équipements industriels156, révèlent également le maintien d’un grand nombre de métiers à bras dans les usines.

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 93

Fig. 29

Aquarelle de Jean-Marie Amelin, probablement la filature Causse de Bédarieux, 1822 © Médiathèque centrale d’Agglomération Emile Zola, Montpellier, 1652RES_Vol9_030

Fig. 30

Bédarieux (Hérault), détail d’un plan représentant les usines Causse, 1859 © Archives départementales de l’Hérault (France), 5 M 350

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 94

Fig. 31

Bédarieux (Hérault), usine Causse Marc Kérignard © Région Languedoc-Roussillon, Inventaire général

Fig. 32

Clermont-l’Hérault (Hérault), papier à en-tête de la société Delpon, Bruguière et Boissière, 1865 © Archives départementales de l’Hérault (France), 7 S 194

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 95

Fig. 33

Clermont-l’Hérault, (Hérault), plan représentant l’atelier de filature de MM. Planque, Siau, Gaussinel et Delpon ; rue Saint Dominique, 1838 © Archives départementales de l’Hérault (France), 7 S 193

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 96

Fig. 34

Clermont-l’Hérault (Hérault), usine Planque, Siau, Gaussinel et Delpon ; rue Saint Dominique Marc Kérignard © Région Languedoc-Roussillon, Inventaire général

Préférer l’énergie hydraulique à l’énergie thermique

32 L’épisode suivant, rapporté en 1824 par le préfet Creuzé de Lesser, pose clairement la question des sources d’énergie favorisées, en Lodévois-Clermontais-Béderrès, au début du XIXe siècle : les mécaniques à filer la laine n’ont été connues à Lodève qu’en 1809 ; […] une seule maison de Lodève établit deux assortiments […]. Ces machines n’ayant pas été établies sur un cours d’eau, il fallut employer des chevaux pour moteurs du manège. Cette méthode étant peu connue alors, occasionna beaucoup de dépenses et ne donna pas de résultats satisfaisants ; cet exemple dégoûta les personnes qui auraient été tentées de les suivre. En 1811, il vint à Lodève deux Anglais constructeurs de mécaniques ; [...]. Lorsque les machines furent en activité, et qu’on put en calculer les avantages plusieurs fabricants et des capitalistes se déterminèrent à suivre l’exemple donné. On a construit successivement plusieurs ateliers sur les deux rivières qui traversent la ville de Lodève, et dans ce moment (1822) il y a 80 assortiments de mécaniques à filer157. Est-il nécessaire de rappeler, à la suite de Rémy Cazals, que le recours à la force hydraulique comme énergie mécanique n’est en rien une preuve de retard158 ? En raison des nombreux cours d’eau159, dont l’énergie est gratuite, et de gisements houillers peu accessibles160, les industriels languedociens privilégient l’hydraulique pour mettre en mouvement leurs machines et instaurent durablement ce choix énergétique. Un seul établissement, situé à Lodève, est équipé d’une machine à vapeur au milieu du XIXe siècle161. Il s’agit des usines Vitalis où l’on acquiert une première machine à vapeur

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 97

en 1845162. Un changement paraît toutefois s’opérer dans les années 1860‑1880 avec la multiplication des moteurs thermiques dans les principales usines (fig.35).

Fig. 35

Villeneuvette (Hérault), décor de la chapelle, daté de 1871 et signé du peintre D. Pauthe Michel Descossy © Région Languedoc-Roussillon, Inventaire général

33 À Bédarieux, les établissements Donnadille s’équipent de machines à vapeur au début des années 1870163. À la même époque, la moitié de la force motrice de Lodève, évaluée à plus de 1000 chevaux, est fournie par des machines à vapeur. Néanmoins, le moteur thermique reste très souvent un moteur d’appoint, utilisé notamment pendant les périodes de sécheresse ou d’inondations. Rappelons que les cheminées d’usines, qui se multiplient alors dans le paysage du Lodévois, du Clermontais et du Béderrès, ne signalent pas toutes l’adoption d’une machine à vapeur. Elles sont très souvent liées à l’existence d’une chaudière utilisée pour chauffer les cuves de teinture, les cylindres d’apprêts ou l’air pour le séchage de la laine164. Ainsi, Camille Saintpierre affirme que le département dispose, en 1865, de 240 chaudières motrices ou calorifères. Sur ce nombre, 119 sont destinées uniquement au chauffage, dans des établissements industriels165.

De nouvelles usines, entre aménagement des espaces et nouvelles implantations : l’exemple Donnadille

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 98

Fig. 36

Bédarieux, plan de localisation des usines textiles attestées aux XVIIIe et XIXe siècles Véronique Marill © Région Languedoc-Roussillon, Inventaire général

La maison Donnadille : de l’usine à la maison patronale

34 L’industrialisation du territoire du Lodévois-Clermontais‑Béderrès est certes marquée par la mécanisation des procédés de fabrication des draps, mais également par une multiplication des grandes unités de production, concentrant à la fois le capital et la main d’œuvre.

35 À Bédarieux, les usines Donnadille illustrent parfaitement l’évolution des espaces de travail, entre densification et déplacement des sites industriels (fig.36). La conservation d’une partie du bâti industriel et de nombreuses archives publiques et privées en font un intéressant cas d’étude. La société anonyme des Établissements Donnadille166, spécialisée dans la production de draps pour l’armée et les administrations (fig.37), trouve son origine en 1834. À cette date, les frères Donnadille, Vital et Jean, se portent acquéreurs des ateliers de teinture et d’apprêts des draps appartenant à Pierre et Auguste Bompaire, situés au sud du faubourg Saint-Louis, rue Gassenc167 (fig.38). Ces biens demeurent dans la famille Donnadille, passant d’abord aux mains de Vital Aphrodise en 1842, puis à ses deux fils Vital et Gustave en 1870168. à la mort de ces derniers, ils sont détenus en indivis par les trois héritiers, Marie, Joseph et Pierre Donnadille. Ce dernier, bien que sous tutelle, s’en porte acquéreur le 21 novembre 1882169. Le développement des établissements Donnadille, concentré sur un demi-siècle, se traduit par une extension des ateliers préexistants puis un déplacement des activités industrielles de plus en plus loin du centre-ville. La première réalisation des frères

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 99

Donnadille est une maison, construite dès la fin des années 1830, sur une parcelle voisine des ateliers Bompaire réservée jusqu’alors à l’étendage170.

Fig. 36

Fig. 37

Bédarieux (Hérault), papier à en-tête des établissements Donnadille Frères, 1865 © Archives départementales de l’Hérault (France), 7 S 162.

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 100

Fig. 38

Bédarieux (Hérault), détail d’un plan relatif à une demande d’installation d’usine présentée par MM. Jean et Vital Aphrodise Donnadille, 1834 © Archives départementales de l’Hérault (France), 7 S 159.

36 Enregistrée en tant que « maison de fabrique » dans les matrices cadastrales, il est vraisemblable qu’elle ait abrité des métiers pour la production de draps. Lors de la vente des biens de la famille Donnadille en 1882, la maison dite « maison Neuve » - un incendie ayant entraîné la reconstruction du bâtiment vers 1870171 comprend trois étages sur rez- de-chaussée [...] avec ses dépendances et appartenances, qui consistent en deux terrasses, deux cours, un jardin, une serre et dépendances et une écurie située au fond de la cour septentrionale [...]. La maison principale a ses entrées sur la cour au passage qui est au‑devant du jardin172. Alors que l’ensemble est passé aux mains de Pierre Donnadille, ce dernier s’adresse à l’agence Carlier, en 1892, afin de modifier les appartements173 . Après travaux, le rez-de-chaussée est réservé aux pièces de service et le premier étage aux appartements. Les deuxième et troisième étages sont occupés par des magasins pour les laines teintes et les draps. Ce cas exemplaire montre combien la reconversion des bâtiments de l’industrie est aisée à cette époque : l’usage ne déterminant pas encore la forme, la fabrique des frères Donnadille est devenue une élégante et prestigieuse maison patronale (fig.39).

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 101

Fig. 39

Bédarieux (Hérault), fabrique Donnadille, devenue maison patronale dans les années 1890 Marc Kérignard © Région Languedoc-Roussillon, Inventaire général

Les usines Donnadille : de l’atelier à l’ensemble usinier

37 Si les ateliers de la rue Gassenc sont réservés à la teinture et au stockage des produits finis et semi-finis, c’est parce qu’un autre site est dédié à la production du fil et du tissu, celui dit « du quai de la Passerelle ». Cette nouvelle usine est implantée quelques centaines de mètres plus au sud, toujours le long de l’avenue Jean Jaurès. Le premier noyau, édifié à la fin des années 1830, est constitué d’une maison, d’une filature et de foulons174. Il fait l’objet de plusieurs agrandissements tout au long du siècle visant l’aménagement d’une tissanderie, d’une teinturerie et d’une conciergerie175. Lorsque l’agence Carlier intervient rue Gassenc plusieurs plans de cette seconde usine sont également relevés, donnant à voir l’organisation de la production, en tous points semblable à la description fournie lors de la vente de 1882176. Les bâtiments industriels sont aménagés en U autour d’une cour ouverte sur l’actuelle avenue Jean Jaurès. Le corps de bâtiment constituant la limite nord du site contient, en rez‑de‑chaussée, des magasins de stockage, une salle des métiers à filer ainsi que la chambre d’eau des turbines hydrauliques. Dans le corps de bâtiment en retour se trouvent la salle des lavages et celle des apprêts, prolongées par les salles des machines à vapeur et des chaudières. Le rez‑de‑chaussée de l’aile sud abrite plusieurs cuves. Les étages de cet ensemble sont destinés aux salles des cardeuses et des métiers à filer et à tisser. Alors que Pierre Donnadille est à la tête des ateliers de la rue Gassenc et du quai de la Passerelle, et qu’il se livre à des agrandissements sur les deux sites, il fait l’acquisition, en 1891, des bâtiments industriels jouxtant le domaine de Montplaisir, au sud de la ville177. Profitant également du cours de l’Orb, les industriels de Bédarieux, Flamman fils et Vidal frères, y ont installé des foulons au cours des années 1830 ainsi qu’une

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 102

tannerie mentionnée à partir de 1880178. Une autre partie du site appartient, à la même époque, à la famille Moustelon de Vieussan qui y développe une activité de meunerie. Pierre Donnadille se porte donc acquéreur d’un corps d’immeubles avec divers bâtiments attenants se composant d’usine à moudre les grains avec tous ses moteurs, canal d’amenée, canal de fuite ; barrage, cellier, écuries, creux à fumier, hangars, four, pigeonnier, logement du meunier, cours, séchoirs pour le blé, jardin, potager attenant, pompe et cave179 et d’un vaste bâtiment servant d’usine avec cour, constructions, étendage, chûte, canaux d’amenée et de fuite, moteurs, transmissions, machines et généralement tout ce qui fait partie de cette usine180. À la suite du rachat, Pierre Donnadille fait également dresser le plan des lieux par l’agence Carlier181. Le site est ceinturé par des bâtiments réservés au stockage ainsi qu’à l’épaillage des laines. L’espace central est occupé par un vaste bâtiment de plan rectangulaire, dont le sous-sol est traversé par un canal desservant les chambres d’eau de deux turbines. Le rez‑de‑chaussée est destiné au foulage des draps tandis que les trois étages abritent les cardeuses, les assortiments de filature, les métiers à tisser et les magasins des laines (bâtiment détruit) (fig.40). À la tête d’un ensemble usinier, Pierre Donnadille réorganise la production entre les trois sites. Celui de la rue Gassenc conserve les produits semi-finis et finis. L’usine du quai de la Passerelle devient le principal centre de production de draps. Enfin, c’est dans celle de Montplaisir que sont effectués leur foulage, lustrage, séchage et mise en paquets pour l’expédition182.

Fig. 40

Bédarieux (Hérault), usine Donnadille, au sud de la ville, détruite par un incendie (archives privées)

Bâtir des usines intégrées

Les usines intégrées et le territoire

38 Trois types d’usines s’imposent au cours de la première moitié du XIXe siècle, filatures, tissages, apprêts, et même un quatrième, les usines intégrées se livrant à toutes les opérations, de

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 103

l’amont à l’aval183. Les établissements Donnadille en fournissent un exemple, moins connu pourtant que la maison lodévoise Teisserenc et Harlachol184. L’inventaire du mobilier de l’usine Donnadille dite du quai de la Passerelle signale des dreusses Hehelm et Compagnie, des Mull Genny, des métiers à tisser mécanique Mercier, Crespin, Servon ou Crompton, des garnisseuses, des tondeuses, des chevalets, des brosseuses et velouteuses, illustration de la concentration sur un seul et même site de la chaîne de production des draps, du lavage de la laine aux apprêts185. Il atteste, par ailleurs, de la multiplicité des fournisseurs de machines, essentiellement français et anglais186. Sur le territoire étudié, l’industrialisation ne se limite pas à l’apparition des formes concentrées du factory system, bien visible dans l’exemple évoqué ; elle s’accompagne d’une réorganisation de la production entre ville et campagne. Ainsi, à Bédarieux, le fabricant Jacques Prades, qui détient un atelier pour l’apprêt des draps au début du XIXe siècle, rue du Fer, s’en sépare lorsqu’il fait construire une usine au nord de la ville, équipée des nouvelles mécaniques187. Il vend ces locaux du centre-ville au négociant Jean Vernazobres père qui implante un atelier de teinturerie à l’arrière du front bâti. La maison Vernazobres organise la production entre ce site du centre-ville, dédié vraisemblablement aux apprêts, au stockage des marchandises et au commerce, et l’usine dite Regraffe, implantée à l’est de la ville le long du Vèbres, où ils font filer, tisser et fouler les draps. De même, à partir du second quart du XIXe siècle, l’usine du fabricant Pierre Sicard, au faubourg Saint-Louis (place Pasteur), fonctionne en complémentarité avec celle alors nouvellement implantée au nord de Bédarieux, mitoyenne des établissements Prades (fig.41). La fabrication des draps est alors réorganisée entre ces deux sites : l’usine du faubourg Saint-Louis conserve les ateliers de prestige (teinturerie, atelier des presses et dégressoirs), tandis que le site au nord de la ville est dédié à la filature et au foulage des draps188. L’analyse menée dans le Lodévois-Clermontais‑Béderrès révèle à la fois une appropriation des espaces vacants en limite d’agglomération (le long de l’avenue de la République à Lodève et de l’avenue Jean Jaurès à Bédarieux) et une réoccupation des sites industriels isolés (moulin Biot à Clermont-l’Hérault, moulin Bouquier, usine Causse à Bédarieux, usine du Bouldou, moulin du Roi, moulin du Capitoul à Lodève). En réinvestissant massivement les écarts au cours du XIXe siècle, l’industrie textile s’appuie sur un maillage mis en place aux siècles précédents189.

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 104

Fig. 41

Bédarieux, usine Sicard, place Pasteur Marc Kérignard © Région Languedoc-Roussillon, Inventaire général

Quelle architecture ? Quels modèles ?

39 Les établissements industriels qui s’égrainent le long de l’Orb, du Vèbres, du Rhonel, de la Lergue et de la Soulondres sont des bâtiments massifs, construits sur un plan rectangulaire (fig.42). Pouvant comporter jusqu’à cinq niveaux, dont plusieurs étages en soubassement pour compenser l’encaissement des cours d’eau, ils sont qualifiés d’« usine à étages »190. Leurs murs gouttereaux sont percés d’ouvertures nombreuses et régulières, chaque baie étant associée à une rangée de machines. La morphologie de l’usine à étages est liée au système de transmission de la force hydraulique, mettant en jeu un axe vertical entraînant, à chaque étage, un arbre horizontal muni de poulies reliées aux machines par des courroies de transmission. Les aménagements hydrauliques ne présentent toutefois aucune spécificité : ils comportent un barrage permettant de dévier l’eau vers le « béal », ce canal d’amenée qui alimente une ou plusieurs roues, et dont la partie avale, appelée canal de fuite, permet de restituer l’eau à son cours principal (fig.43). À l’instar de ce que nous avons démontré pour le siècle précédent, les bâtiments d’usine nouvellement construits s’intègrent au tissu urbain par leurs emprunts à l’architecture domestique (encadrements droits, ordonnancement des ouvertures, génoises). De même, les matériaux de construction sont constitués de moellons pour le gros-œuvre, de pierres de taille pour les encadrements et les chaînages, de chaux pour les enduits et de bois pour les charpentes et les planchers191. Les matériaux de l’industrie, métal et brique, sont absents. Seules les dimensions des édifices, comme le grand nombre de baies et leur rapprochement, distinguent les ateliers, qu’ils soient édifiés sur le cours d’une dérivation, ou qu’ils en soient dissociés grâce à la présence d’une machine à vapeur, comme nous l’avons observé sur le site des

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 105

établissements Vitalis192 (fig.44). Contrairement aux grandes manufactures d’Ancien Régime, les édifices industriels du XIXe siècle se démarquent également des immeubles voisins par l’absence de décors portés aux façades.

Fig. 42

Lodève (Hérault), usines textiles en amont de la ville ; rive gauche de la Lergue, 1898 (archives privées) Marc Kérignard © Région Languedoc- Roussillon, Inventaire général

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 106

Fig. 43

Bédarieux (Hérault), détail des deux roues hydrauliques de l’usine d’Alexandre Vernazobres ; extrait d’un plan dressé en 1839 © Archives départementales de l’Hérault (France), 7 S 159

Fig. 44

Lodève (Hérault), usine Vitalis Marc Kérignard © Région Languedoc-Roussillon, Inventaire général

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 107

40 Le standard architectural de l’usine du XIXe siècle, en Lodévois-Clermontais-Béderrès, s’apparente à l’« architecture industrielle fonctionnelle » : la forme est directement induite par la fonction et répond aux contraintes engendrées par le type de production193. À partir de l’étude des matrices cadastrales et d’une analyse in situ menée à Lodève, Clermont‑l’Hérault et Bédarieux, nous avons identifié 49 usines à étage, édifiées entre 1810 et 1880. Au-delà des contraintes techniques et de la recherche de fonctionnalité qui expliquent le développement de ce type d’architecture industrielle, l’uniformité des usines textiles soulève une fois encore la question des modèles. Tandis que l’existence de plans fait défaut pour la période précédente, les cahiers des charges pour l’adjudication de la fourniture des draps pour l’habillement des troupes, élaborés par le Ministère de la Guerre et le Ministère de la Marine et des Colonies, comportent des indications quant à l’uniformisation du bâti industriel sur l’ensemble du territoire national. Fournis aux entreprises qui souhaiteraient soumissionner pour l’attribution de lots, ils contiennent à la fois la réglementation de l’attribution mais également des formulaires, dont le « modèle n° 1 » qui se rapporte au plan des ateliers et des usines dont se compose la manufacture de draps du pétitionnaire194 (fig.45). L’élévation de l’usine donnée en modèle, comme le plan intérieur figurant la disposition des machines dans les différents étages, est proche des unités de production qui se répandent en Lodévois, Clermontais et Béderrès au cours du XIXe siècle. En 1865, Camille Saintpierre portait déjà ce regard : l’État s’immisce de plus dans la constitution des sociétés commerciales, dans la disposition des bâtiments de l’usine, les procédés de teinture, de filature ou de tissage195.

Fig. 45

« Plan des ateliers et des usines dont se compose la manufacture de draps » du pétitionnaire, extrait d’un cahier des charges pour l’adjudication de la fourniture des étoffes de laine à l’habillement des troupes de terre et de mer, 1864 © Archives départementales de l’Hérault (France), 2R571

41 En 1899, un incendie détruit la grande manufacture Teisserenc-Visseq, accolée à l’enceinte de la ville de Lodève. Implantés au Bouldou et inaugurés en 1900, les nouveaux ateliers sont installés dans une vaste halle de dix mille mètres carrés, de plain‑pied, couverte d’une toiture en sheds. La rupture est évidente : l’intégration des usines textiles au tissu urbain n’est plus de mise. S’interroger sur les espaces du travail des draps avant 1900 nous place au croisement de nombreuses problématiques, dont celle de la protoindustrialisation et des rapports ville-campagne. À l’échelle de l’atelier,

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 108

il est possible de distinguer quelques particularismes : les façades sont plus ostentatoires à Clermont-l’Hérault, les usines à étages plus anciennes à Béd‑Clermontais‑Béderrès, les différences s’estompent et l’intérêt monumental de chaque site disparaît pour laisser place à leurs caractères communs. Souhaitant s’inscrire dans la tradition des études de l’Inventaire, le présent dossier avait pour ambition de contribuer à la connaissance de l’industrialisation du territoire languedocien, par le dialogue entre les sources écrites et les vestiges construits de l’activité drapière. Tout au moins, il permet de préciser les systèmes de production dominants et leur spatialisation entre le XVIIe et la fin du XIX siècle. Premier constat, celui de la plasticité des implantations industrielles qui induit, sur le temps long, un mouvement de va-et-vient entre ville et campagne. Amorcée dans les années 1670 avec la manufacture royale de Villeneuvette, une première concentration de la production est engagée dans les agglomérations, avec la création et le développement de manufactures ordinaires dès le début du XVIIIe siècle. Le système de production, système hybride entre domestic et factory system, identifié comme du Verlag par Jean- Michel Minovez, se définit alors par cette concentration du capital et par la dispersion de la main d’œuvre au sein de petites unités de production, situées à la fois dans les campagnes et dans les villes. Dès les années 1810, la concentration de la main d’œuvre s’amplifie avec l’adoption des machines pour le filage, puis le tissage et les apprêts. Basée sur l’énergie hydraulique, cette mécanisation a entraîné un redéploiement de l’industrie dans l’espace rural où la construction d’usines intégrées se superpose au maillage des sites industriels plus anciens. Ces phases sont portées par la capacité des entrepreneurs du Lodévois-Clermontais-Béderrès à s’adapter aux flux de main d’œuvre, aux contraintes technologiques et aux marchés. Sur ce point, il serait intéressant de mener et d’interroger « l’inventaire complet des activités [...] et leur agencement variable »196, ou la possibilité pour les industriels d’avoir recours à des activités industrielles complémentaires197. Dernier constat, celui des circulations et des échanges, de l’échelle locale à l’échelle internationale : circulation des hommes, des matières premières et des produits, des équipements et des savoir-faire, des capitaux et des modèles architecturaux. Il faudrait notamment compléter la présente étude par l’analyse systématique des alliances développées entre Lodève, Clermont-l’Hérault, Villeneuvette et Bédarieux, qu’elles soient matrimoniales ou entrepreneuriales. Retournons, en dernier lieu, au plus près de nos sources, cette prose d’une multitude de « bâtiments » du quotidien198. On sait qu’ils ont connu, au siècle dernier, une reconversion sans bruit, les préservant souvent de la démolition. Il convient aujourd’hui d’en révéler la valeur : puisse cet article servir à la reconnaissance d’un patrimoine commun à Lodève, Clermont-l’Hérault, Villeneuvette et Bédarieux, hérité d’une activité drapière de plus de quatre siècles.

ANNEXES

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 109

Document 1

Bail d’une durée de quatre ans, d’une maison au faubourg de Montbrun à Lodève, de Jean Serre, tisserand à Jean Delmade, retorseur1 (19 juillet 1693) Source : Archives départementales de l’Hérault. 2E39/627. Actes de l’étude de notaire de maître Jean Masrequirand, à Lodève, registre des actes de 1693 à 1701, f° 19 v., 20. L’an mil six cent quatre vingt treize et le dix-neuvième jour de mois de juillet après midi, dans Lodève, par devant moi notaire royal soussigné présents les témoins bas nommés, a été constitué en personne Jean Serre tisserand de draps, habitant dudit Lodève, lequel sieur Serre a baillé et baille en afferme et arrentement à Jean Delmade retorseur de ladite ville ici présent, stipulant et acceptant, savoir est une maison à d’un étage que ledit Serre a, assise aux faubourg de Montbrun dudit Lodève, confronte de terral Jacques Luchaire, marin Jean Vaissière et … c’est pour le temps et terme de quatre années qui commenceront à la fête Saint Michel proche et finiront pareil jour lesdites quatre années échues, pour ce moyennant le prix et somme chacune d’icelles de vingt quatre livres payable savoir la moitié audit jour et fête Saint Michel et l’autre moitié à la fête de Pâques après …, et ainsi continueront lesdits payements pendant lesdites quatre années, avec pacte que ledit Serre sera tenu de mettre en état ladite maison et la rendre logeable entre ici et le jour et fête Saint Michel … pour ledit Delmade y pouvoir placer son métier de retorseur et en outre ledit Serre s’oblige de … jouir paisiblement ledit Delmade deladite maison affermée et payer toutes charges, et ledit Delmade de l’entretenir en bon ménage et père de famille, et pour l’observation de ce dessus … comme les concernés ont obligé et hypothequé les biens de Soubenide de Tourède viguier de justice du présent royaume ainsi l’ont promis … fait et recité à la maison du …. en présence de Joseph Lugainhe marchand facturier et … Teisserenc fils de Fulcrand habitants dudit Lodève, soussignés avec ledit Delmade, ledit Serre a dit ne savoir écrire et moi Jean Masrequirand, notaire royale dudit Lodève soussigné.

Document 2

Restitution d’outils par Jean Paloc, maître tondeur et affineur de draps de Clermont, à son créancier, Jean Pelletan, marchand facturier de la ville (6 juillet 1708) Source : Archives départementales de l’Hérault. 2E26/149. Actes de l’étude de notaire de maître Claude Pons, à Clermont-l’Hérault, registre des actes de 1708, f° 83. L’an mil sept cent huit le sixième jour du mois de juillet après midi, dans Clermont diocèse de Lodève, devant nous notaire et témoins, constitué en personne sieur Jean Paloc, maître tondeur et affineur de draps dudit Clermont, lequel sachant avoir emprunté du sieur Jean Pelletan, marchand facturier de ladite ville, la somme de quatre mille huit cens trente cinq livres onze sous dix deniers, pour l’employer comme il a fait en l’achat des presses, forces, plaques, platines, fuilets et autres outils servant à son métier ainsi qu’il appert par le contrat d’obligation reçu par nous notaire le 30 octobre 1706, et par lequel ledit Paloc lui aurait pour l’assurance d’iceux affecté et hypothéqué spécialement lesdits outils et outre et par dessus ladite somme et depuis ledit contrat ledit Paloc est encore débiteur envers ledit sieur Pelletan en compte courant arrêté le 3 avril dernier de la somme de sept cent seize livres sept sous trois deniers, ledit compte signé dudit Paloc à lui présenté et par lui avoué et avoue véritable, lesquelles dites deux sommes jointes ensemble reviennent en total à celle de cinq mille cinq cent cinquante une livres dix neuf sous un denier, due par ledit Paloc audit Pelletan, de laquelle ledit sieur Pelletan ne pouvant être payé, ni même de partie d’icelle quelque demande qu’il en a fait, aurait le jour d’hier, en vertu dudit contrat et de lettres de rigueur du juge du petit scel royal de Montpellier, fait faire un commandement audit Paloc d’y satisfaire. Et voulant ensuite lui faire saisir lesdits meubles et outils, ce qui aurait obligé ledit Paloc ne pouvant pour le présent satisfaire ledit sieur Pelletan en argent, et pour éviter les

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 110

frais des exécutions et des poursuites, de le prier de vouloir prendre au dire et jugement d’experts tous lesdits meubles outils qui sont dans sa boutique pour le paiement de ce qui lui est du et de lui proroger ce qu’il pourra devoir en reste au-delà du prix et valeur desdits outils s’il y échoit. À quoi ledit sieur Pelletan inclinant ( ?) les parties ont convenu de passer le présent acte par lequel le sieur Paloc de son bon grè a vendu comme il veut par pure vente audit Jean Pelletan, ici présent et acceptant, tous lesdits outils spécifiés dans l’inventaire que ledit Paloc en a donné ce jourd’hui de lui signé dudit sieur Pelletant, de sieur Pierre Ramy consul et de Dominique Ramy frères tous les deux maîtres tondeurs et affineur de draps de ladite ville, expert estimateur pris et nommés savoir de la part dudit Paloc ledit Dominique Ramy et de celle dudit sieur Pelletan ledit sieur Ramy, lesquels ici présents ont dit et déclaré s’être transportés en la boutique de la maison dudit Paloc et avoir procédé à l’inventaire et estimation desdits outils en dieu et conscience dont le prix revient en total à la somme de cinq mille quatre cent quarante deux livres huits sous, savoir trois presses façon d’Hollande, garnies de fuillets, platines planches bridages tour, cable et barres et autres choses nécessaires auxdites presses évaluées l’une pour l’autre à onze cent cinquante livres chacune, revenant à trois mille quatre cent cinquante livres, une autre presse appelée à quatissage garnie de dix plateaux de bois de noguier et autres choses nécessaires évaluées à cent quarante libres, deux tables à plier de bois de noguier estimées à dix livres chacune évaluées à vingt livres, une table à brosser garnie de draps vert et de son faudet évaluée à seize livres, trois brosses et une tuille, savoir une brosse grande servant à coucher les draps à la rame et deux plus petites évaluées en tout à vingt cinq livres, six faudets compris celui du ... évalués l’un pour l’autre en tout dix huit livres, quatre tables à tondre garnies de leur toile crochets reboues ( ?) manotes ( ?) marche pied faudets évalués en tout quarante livres, cinq coulles ( ?) évaluées en tout vingt livres, cent quarante deux douzaines cardes en double ( ?) assorties depuis la première main jusques à la sixième estimées à raison de trente six sols la douzaine l’une pour l’autre revenant à deux cent cinquante cinq livres douze sols, vingt sept douzaines de cardes de chardon neuf évaluées à quarante huit sols la douzaine ce montant soixante quatre livres six sols, deux berrières ( ?) de pierres garnies de leurs barres crampes de fer et autres choses nécessaires évaluées en tout trente sept livres, douze paires de forces évaluées l’une pour l’autre à quarante livres la paire en tout quatre cent huitante livres, sept charges de plomb pesant avec les surcharges trois quintaux évalué à vingt livres le cent montant soixante livres, trois barres de fer pour les fourneaux et un boulet servant de charge évalué en tout trente six livres, finalement trois mille feuillets outre ceux qui sont compris dans la garniture des trois presses, et lesquels trois milles feuillets n’ont pas encore servi évalués à vingt six livres le cent montant en tout sept cent huitante livres, toutes lesquelles dites sommes reviennent à la susdite de cinq mille quatre cent quarante deux livres huit sols et pour laquelle ledit Paloc a fait comme … fait la vente pure et simple de tous les outils ci dessus exprimés et justement appréciés par lesdits Ramis experts et laquelle vente ledit Paloc fait audit sieur Pelletant en paiement de pareille somme de quatre cent quarante deux livres huit sols que ledit sieur Pelletan a précompté sur celle de cinq mille cinq cent cinquante livres dix neuf sols un denier ; et les cent neuf livres onze sols un denier dues encore de reste par ledit Paloc audit sieur Pelletan icelui Paloc promet et s’oblige d’en faire paiement audit Pelletan à la volonté dudit sieur Pellettan, et ainsi ledit Paloc s’est dessaisi desdits outils en faveur dudit sieur Pellettan pour quicelui dit sieur Pellettan en fasse et dispose à ses ... et volontés comme choses à lui appartenant et ledit sieur Pellettan les déplacer de la boutique dudit Paloc ou ils sont actuellement lors et quand ledit sieur Pellettan le jugera à propos, et ainsi au moyen de la présente vente ledit sieur Pellettan déclare ledit contrat d’obligation reçu par nous notaire ledit jour du 30 octobre 1706, en ce qui port debtte baré et faucellé, se réservant néanmoins ledit sieur Pellettan de ... consentement dudit Paloc en cas de besoin, l’hypothèque … dudit contrat d’obligation n’entendant faire nonation d’obligation ( ?). Et à l’observation de ce dessus ledit Paloc a obligé sa personne et biens aux gens de justice et petit scel royal dudit Montpellier ainsi y l’ont juré fait et recité dans mon étude, présents Jean Chapal et Gabriel Verni habitants dudit Clermont et nous Claude Pons notaire royal de ladite ville requis soussigné avec ledit Paloc, sieur Peletan, Ramis et témoins, se réservant ledit sieur Pellettan la déleguation de quatre cent cinquante livres fait en sa faveur par ledit sieur

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 111

Jean de Raymond sur ledit sieur Paloc par le contrat de vente de maison reçu par nous notaire le 28 juin 1706.

Document 3

Vente du marchand Aron Semandy à Jean Salles, maître tisserand de Bédarieux, d’un métier à tisser pour 37 livres (9 mars 1729) Source : Archives départementales de l’Hérault. 2E7/144. Actes de l’étude de notaire de maître Jean Rivès, à Bédarieux, registre des actes de 1729 à 1731, f° 30. L’an mil sept cent vingt neuf le neuvième jour du mois de mars avant midi, dans Bédarieux diocèse de Béziers, devant moi notaire et témoins bas nommés, fut présent en personne Jean Salles, maître tisserand de draps habitant dudit Bédarieux, lequel de grès et par cet acte confesse devoir au sieur Aron Semandy, marchand citoyen de la ville de Montpellier, ici présent et acceptant la somme de trente sept libres, et c’est pour la vente du grand métier à faire des draps que ledit sieur Semandy lui a vendu audit prix de ladite somme de trente sept livres ainsi que lesdites parties ont déclaré s’être convenues, lequel métier ledit Salles a déclaré devant nous notaire et témoins l’avoir reçu dudit sieur Semandy, laquelle dite somme de trente sept livres prix de la vente du susdit métier, le dit Salles promet et s’oblige de payer audit sieur Semandy dans six mois prochains à compter de le jourd’hui, se réservant ledit sieur vendeur le prix cité sur ledit métier jusques à son parfait paiement, et pour l’observation de ce dessus lesdites parties chacune comme les concerne obligent tous leurs biens présents et à venir soumis à justice. Fait et recitté dans la maison du sieur Semandy en présence d’Antoine Gauffre praticien et du sieur Jean François Bornes garçon chirurgien habitants dudit Bédarieux, témoins requis signés avec ledit sieur Seimandy et non ledit Salles pour ne savoir de ce requis et moi Jean Rivès notaire royal dudit Bédarieux qui requis.

Document 4

Quittance en faveur de Pierre Cabal, marchand de Bédarieux, de 54 livres, pour la vente de deux pièces de draps londres, fabriqués par Joseph Foulquier et Mathieu Mathieu, maîtres tisserands de Bédarieux, pour Jean Baptiste Fabre de Gignac (3 février 1731) Source : Archives départementales de l’Hérault. 2E7/144. Actes de l’étude de notaire de maître Jean Rivès, à Bédarieux, registre des actes de 1729 à 1731, f° 291, 292. L’an mil sept cent trente un et le troisième jour du mois de février après midi dans Bédarieux diocèse de Béziers, devant moi notaire et témoins bas nommés, ont été présents et constitués en personne Joseph Foulquier et Mathieu Mathieu maîtres tisserands habitants de Bédarieux, lesquels de leur grès par cet acte devant nous notaire et témoins, [déclarent] avoir ci devant reçu de Pierre Cabal marchand de ladite ville, la somme de cinquante quatre livres savoir ledit Foulquier celle de vingt trois livres et ledit Mathieu celle de trente une livres et c’est pour la façon de deux pièces de draps londres que lesdit Foulquier et Mathieu ont tissé pour Jean Baptiste Fabre de Gignac au mois de mai de l’année mil sept cent vingt neuf et rendu audit Cabal dans le même mois, laquelle dite somme de cinquante quatre livres ledit Cabal a ci-devant payé auxdits Foulquier et Mathieu pour ledit Baptiste Fabre consentant qu’il s’en fasse rembourser comme bon lui semblera sans lui être tenus d’aucune garantie, et pour l’observation de ce dessus lesdites parties chacune comme les concerne obligent tous leurs biens présents et à venir soumis à justice. Fait et recitté dans mon étude en présence d’Antoine Gauffre praticien et du sieur Gabriel Jean marchand habitant dudit Bédarieux, témoins requis signés avec ledit sieur Cabal et non lesdits Foulquier ni Mathieu pour ne savoir signé de ce requis et moi Jean Rivès notaire royal dudit Bédarieux qui requis.

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 112

Document 5

Quittance en faveur de Pierre Cabal, marchand de Bédarieux, de 8 livres 5 sous, pour la vente de trois chaînes, fabriquées par Joseph Poujé, maître retorseur de Bédarieux, pour Baptiste Fabre de Gignac (11 mai 1731) Source : Archives départementales de l’Hérault. 2E7/144. Actes de l’étude de notaire de maître Jean Rivès, à Bédarieux, registre des actes de 1729 à 1731, f° 321, 322. L’an mil sept cent trente un et le onzième jour du mois de mai avant midi dans Bédarieux diocèse de Béziers, devant moi notaire et témoins bas nommés, a été présent et constitué en personne Joseph Poujé, maître retorseur de la ville de Bédarieux, lequel par cet acte devant nous notaire et témoins, a déclaré avoir reçu de Pierre Cabal, marchand dudit Bédarieux, la somme de huit livres cinq sols, et c’est pour le paiement de trois chaînes que ledit Poujé aurait retorsués au sieur Baptiste Fabre de Gignac, lesquelles dites trois chaînes ledit Poujé aurait remis audit Baptiste Fabre au commencement du mois de mai de l’année mil sept cent vingt neuf, de laquelle somme de huit livres cinq sols ledit Poujé en quitte ledit Cabal et Baptiste Fabre, consentant que ledit Cabal s’en fasse rembourser comme il advisera et sans lui être tenu d’aucune garantie, et pour l’observation de ce dessus lesdites parties chacune comme les concerne obligent tous leurs biens présents et à venir soumis à justice. Fait et recitté dans mon étude en présence d’Antoine Gauffre patricien, d’Alexandre Fabregat fils, du sieur Jean Fabregat marchand et de Simon Falipou fils de Pierre Falipou garçon retorseur habitant dudit Bédarieux, témois requis signés avec ledit sieur Cabal et non ledit Poujé pour ne savoir signé de ce requis et moi Jean Rivès notaire royal dudit Bédarieux qui requis.

Document 6

Quittance en faveur de Pierre Cabal, marchand de Bédarieux, de 42 livres 5 sous, pour la vente de trames et de chaînes, fabriquées par Jacques Ramond, cardeur de Nissergues, pour Baptiste Fabre de Gignac (14 mai 1731). Source : Archives départementales de l’Hérault. 2E7/144. Actes de l’étude de notaire de maître Jean Rivès, à Bédarieux, registre des actes de 1729 à 1731, f° 322. L’an mil sept cent trente un et le quatorzième jour du mois de mai après midi dans Bédarieux diocèse de Béziers, devant moi notaire et témoins bas nommés, a été présent et constitué en personne Jacques Ramond, cardeur de laine habitant du masage de Nissergues, terroir de Villemagne, lequel par cet acte devant nous notaire et témoins a déclaré avoir reçu de Pierre Cabal, marchand de Bédarieux, la somme de quarante deux livres quinze sols pour du travail que j’avais fait au sieur Baptiste Fabre de Gignac tant en treme qu’en chaîne, lequel dit travail j’ai remis audit sieur Baptiste Fabre dans le mois d’avril de l’année mil sept cent vingt neuf, de laquelle somme de quarante deux livres quinze sols en quitte ledit Cabal et Baptiste Fabre, consentant que ledit Cabal s’en fasse rembourser comme il advisera sans lui être tenu d’aucune garantie et pour l’observation de ce dessus lesdites parties chacune comme les concerne obligent tous leurs biens présents et à venir soumis à justice. Fait et recitté dans mon étude en présence de Jean Bonnafous fils d’autre garçon tisserand de draps et de Antoine Gauffre praticien habitant dudit Bédarieux témoins requis signés avec ledit sieur Cabal et non ledit Ramond pour ne savoir signé de ce requis et moi Jean Rivès notaire royal dudit Bédarieux qui requis.

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 113

Document 7

Délibération des marchands fabricants de Bédarieux pour l’acquisition d’un terrain au noble Abbes de Cabrerolles, devant servir à la construction d’une teinturerie (28 juillet 1755) Archives départementales de l’Hérault. 2E8/41. Actes de l’étude de notaire de maître Jean Dominique Alzieu, à Bédarieux, registre des actes de 1755, f° 114, 115. L’an mil sept cent cinquante cinq et le vingt huitième juillet après midi, dans Bédarieux devant nous notaire et témoins, ont comparu les sieurs Guilhaume Martel et Dominique Rouy marchands fabricants et jurés gardes du corps des fabricants dudit Bédarieux, lesquels ayant la présance des sieurs Pierre Triadou, Pierre Martel, Siméon Ferret, Jean Fabregat et fils, Jacques Cére fils faisant pour son père, Jean Cailus, Louis Betous, sieur Mathieu Fabregat, aussi Baptiste Vernezobres, faisant la plus saine partie dudit corps, leur ont proposé que depuis quelques temps le corps ayant délibéré de faire l’établissement d’une teinturerie pour l’utilité de la fabrique par les raisons déduites dans ladite délibération, il aurait été obtenu une ordonnance de Monseigneur l’intendant autorisant ladite délibération et qui promet ledit établissement. Mais cette opération a été suspendue et le retardement devient tous les jours plus préjudiciable à ladite fabrique, ce qui a déterminé lesdits fabricants d’en venir à l’exécution. Et pour cet effet, ils nous ont fait venir un maître teinturier pour dresser le plan de la construction, faire le choix d’un local commode et propre avec usage soit pour la teinturerie, soit pour placer les presses et rames et autres outils nécessaires. Et on a trouvé que cet emplacement ne pouvait pas se mieux faire que dans un fonds appartenant au sieur d’Abbes de Cabrerolles, situé près son moulin à blé, ou l’on trouve la commodité des eaux et tous les avantages qu’on peut désirer pour remplir l’objet qu’on se propose. Et en conséquence on est entré en marché avec ledit sieur d’Abbes qui prétend et veut absolument une rente de cent vingt livres pour le fonds qu’il cède avec toutes les facultés de l’eau pour l’usage de ladite teinturerie, offrant de bailler ledit fonds, dans l’étendue et contenance qui a été marquée, à titre de locatairie perpétuelle, pour ladite rente lui être payée annuellement à perpétuité par ledit corps qui se chargera en outre de l’alivrement de cette partie par proportion et à concurrence de la contenance, et encore que ladite rente sera quitte du dixième vingtième royal quatre sols pour l’aire et de toute autre contribution créée et à créer. De plus il a été proposé que ledit terrain n’étant pas suffisant pur y placer les rames il doit y être pourvu d’ailleurs aussi commodement qu’il sera possible, et enfin que cet ouvrage soit mis en état le plus promptement qu’il se pourra, il est nécessaire de traiter et composer avec l’entrepreneur soit pour la construction, fourniture des matériaux, achat des chaudières et généralement tous les outils utiles et nécessaires pour que ladite teinturerie soit mise en l’état requis même les presses, rames, et généralement tout ce qui sera nécessaire jusque l’entière perfection, dans le temps et terme qui sera convenu avec l’entrepreneur. Il sera ensuite question de pourvoir au paiement dudit prix fait ce qui ne peut pas se remplir que par emprunt. Sur quoi délibéré a été que ledit corps des fabricants aprouve le traité fait avec ledit sieur d’Abbes de Cabrerolles et donne pouvoir auxdits sieurs jurés gardes de passer contrat à titre de locatairie perpétuelle du local en question, sur le prix de la rente annuelle et perpétuelle de cent vingt livres, aux clauses et conditions énoncées ci dessus. De plus, il est donné pouvoir auxdits jurés gardes de faire l’acquisition d’un sol propre et commode pour le placement desdites rames. Et au surplus il leur est donné pouvoir de traiter et convenir avec l’entrepreneur, à raison de la construction de ladite teinturerie, achat des matériaux, chaudières, presses, rames et tous outils nécessaires. Enfin pour parvenir au paiement desdites acquisitions, constructions, fournitures, il est aussi donné pouvoir auxdits jurés gardes d’emprunter toutes les sommes nécessaires relativement à ce qui aura été fait et convenu et suivant le prix qui aura été réglé avec l’entrepreneur. Et à cet effet a payé tous actes et obligés ledit corps en la qualité qu’ils procèdent, de laquelle délibération lesdits jurés gardes ont requis nous dit notaire en retenir acte ce que nous avons fait. Fait et recité en présence de Monseigneur Jean François Montaignol adjoint en parlement,

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 114

juge de Bédarieux et de Charles Avelous pareur de draps de ladite ville, témoins requis soussignés avec lesdits jurés gardes fabricants délibérant et nous notaire qui requis soussigné.

Document 8

Prix fait pour le parement du rez-de-chaussée de la teinturerie que le corps des fabricants de Bédarieux a fait construire (20 décembre 1756) Archives départementales de l’Hérault. 2E8/42. Actes de l’étude de notaire de maître Jean Dominique Alzieu, à Bédarieux, registre des actes de 1756, f° 386, 387. L’an mil sept cent cinquante six et le vingtième jour du mois de décembre après midi dans Bédarieux, devant nous notaire et témoins constitués en personne le sieur Pierre Martel juré garde du corps des marchands fabricants dudit Bédarieux, faisant tant pour lui que pour le sieur Dominique Rouy, son collègue, lequel en conséquence du pouvoir à eux donné par ledit corps de son gré par cet acte, a adjugé et adjuge à Estienne Noquier, Estienne Coulet et Pierre Cabrol, habitants dudit Bédarieux, ici présents et acceptant comme dernier moins surdisants le pavement des membres du rez de chaussée de la teinturerie que ledit corps a fait construire audit Bédarieux et aux endroits qui leur seront judiqués par lesdits jurés gardes, lequel pavement sera fait avec bons larraiguaces et de recette ( ?) qui seront bien joints et noyés dans un bon mortier et avec effet les creux seront comblés et les terres applanies, et s’il y manque des terres pour le niveau desdits membres bas ledit corps sera tenu d’en faire le transport à ses frais et dépens, lequel pavement lesdits entrepreneurs s’obligent de faire entre ici et le premier février prochain, et moyennant le prix et somme de trois livres cinq sols la canne carrée, payable à la fin et à la réception dudit ouvrage, déclarant lesdites parties le montant du susdit prix fait pouvoir se monter à la somme de cent quatre vingt dix livres et pour l’observation de ce dessus lesdites parties obligent leurs biens présents et à venir [soumis] à justice. Fait et recitté en présence du sieur Jean Roux, marchand fabricant de la ville de Clermont et de Barthélémy Galtier maçon habitant dudit Bédarieux témoins requis soussignés avec ledit Martel et non lesdits entrepreneurs pour ne savoir signer de ce requis et nous notaire soussigné.

Document 9

Mémoire à l’adresse du contrôleur général des finances par Pierre, Jean et Jacques Martel frères, marchands fabricants de Bédarieux, pour l’érection de leur fabrique en manufacture royale (1785) Source : Archives nationales. F12_1384. Monseigneur, Jamais un état n’a mieux fleuri que lorsque le commerce y a été favorisé dans toutes ses branches, ce principe est aujourd’hui mieux adopté qu’il ne le fut jamais dans l’administration publique, la profonde intelligence, la sublime sagacité des grands hommes que sa Majesté s’est associée pour l’administration de ses états, font éclater, tous les jours cette vérité especulative par une pratique d’autant plus utile, qui en ranimant les forces intérieures de l’état, leur donne encore un plus grande énergie par les secours que le commerce soutenu retire de l’étranger. Personne, Monseigneur n’a mieux saisi que vous sous tous les rapports, ces précieux avantages, la France, qui se félicite toujours de vous avoir à la tète de l’administration des finances, ressent bien sensiblement les précieuses influences d’un génie tel que le votre, sur tout, dans la partie du commerce, par la faveur que vous y donnez, d’après l’adoption de ce sage principe, qu’un état n’est jamais si florissant que quand le commerce y fleurit. Sur ce point de vue, c’est avec confiance, Monseigneur, que les MM Martel frères osent vous supplier de fixer vos regards sur la ville de Bédarieux, et d’y considérer parmi les avantages qui résultant de son commerce, ceux que produit leur manufacture sans tirer vanité de leur

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 115

zèle, ils méritent sans doute quelque bienveillance et peut-être des marques de votre attention. La position heureuse de leur petite ville lui prête tous les avantages que le commerce peut exiger dans toutes ses branches, elle est aussi une des plus anciennes villes de la province qui se soit occupée à la fabrication de toute sorte de draperies pour le Levant, l’Inde, l’Espagne, l’Italie et pour l’intérieur du Royaume. Son commerce supplée à la stérilité d’un pays agreste et montagneux, il fournit à la subsistance de tant de mille personnes par l’emploi d’un grand nombre de bras qui resteraient non occupés faute de pouvoir être employés ailleurs. Ce n’est pas le seul bien qui résulte de ce commerce, il concourt encore à la consommation des matières, comme des laines, huiles et autres denrées, et en réhausse le prix et encourage l’agriculture. Tous ces avantages reffluent au loin et rompent successivement l’équilibre du prix modique ou resteraient ces objets, par le défaut d’une consommation utile et considérable. La fabrique de Bédarieux est l’émeule des meilleures fabriques du Languedoc, elle s’est toujours bien soutenur, ses productions ont toujours été recherchées et vendues à un plus haut prix que dans les autres manufactures. L’heureuse position de cette ville, surtout pour cette branche de commerce, la supériorité des productions de ses manufactures et les avantages qui en résultent, paraissent mériter les attentions de Monseigneur le contrôleur général, et pour relever son émulation, le porter à y établir une manufacture royale. Elle est la seule dans le Languedoc qui n’en soit pas décorée. Elle l’emporte cependant sur toutes les autres villes de la même province, soit par l’utilité générale, ou mieux par la nécessité absolue de ses manufactures, soit par la quantité, et la supériorité de leurs productions. Pour se convaincre de cette vérité, l’exemple de Carcassonne est bien frappant, cette ville jadis le flambeau du commerce de la province, qui expédiait de 40 à 50 milles pièces de draps n’en expédia l’année dernière qu’environ 9 à 10 milles pièces, tandis que Bédarieux en expédié ordinairement environ 12 mille dans l’étranger, ou dans l’intérieur du Royaume. Le diocèse de Béziers qui a un grand intérêt d’en avoir une au moins est le seul privé de cet établissement, qui ne peut avoir lieu qu’à Bédarieux, seule ville de ce diocèse ou il y ait des manufactures, il n’est pas douteux que cet établissement ne fut très avantageux au public, et au commerce de cette ville. Il rehausserait l’émulation parmi les fabricants, et serait une ressource non interrompue pour l’ouvrier qui n’a d’autre moyen pour fournir sa subsistance. Sans en augmenter le nombre si Monseigenur l’agrait ainsi il suffirait de transférer à Bédarieux le titre de la manufacture royale de Saint Chinian, au diocèse de Saint Pons, vacante depuis plusieurs années, et dont les bâtisses viennent d’être acquises par Monseigneur l’évêque de cette dernière ville. Parmi le nombre des manufactures de Bédarieux, il n’en est point qui mérité plus la décoration de manufacture royale que celle des MM Martel frères. on peut avancer sans crainte d’être contredit, qu’ils l’ont portée au plus haut degré de perfection, par leur zèle, et par les connaissances qu’ils ont acquises de père en fils. Ils ont toujours soutenu leur commerce avec dignité, par leur délicatesse, et par leur exactitude à remplir leur engagement, même dans les temps les plus malheureux. Ils ont été bien plus loin encore : dans des temps où le commerce de toute la province languissait, la détresse des ouvriers, l’embarras de l’agriculteur pour la consommation de ses denrées, leur inspirèrent le projet de fabriquer plusieurs qualités de draps fins et finis pour l’intérieur du Royaume, l’Espagne et l’Italie. Le succès de leur entreprise a répondu à la dignité de leurs motifs, et cette branche du commerce si bien suivie leur produit aujourd’hui une consommation des plus étendues. Il n’est point de commerçant dans leur ville, pas même dans le province qui les égale, qui les approche même dans le nombre de leurs expéditions, encore moins dans la qualité et le genre de leurs draperies, soit pour l’étranger, soit pour l’intérieur du Royaume. Leurs expéditions annuelles sont portées à environ 4 mille pièces de draps, et l’on ose avancer, depuis le rapport de leur inspecteur que leur manufacture seule fournit bien près du tiers du nombre de celles produites, par les douze manufactures royales établies dans la province. Ils ont toutes les connaissances requises pour cette partie, l’un d’eux s’est attaché à l’achat des matières, et à la correspondance, l’autre à la fabrication aidé de plusieurs commis et le troisième a fait des voyages de long cours, dans l’intérieur du Royaume, en Espagne, en Italie et dans d’autres parties de l’Europe. Ils ont d’ailleurs les propriétés et les facultés les plus

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 116

suffisantes pour soutenir avec éclat la décoration qu’ils sollicitent pour leur manufacture. D’après tous ces divers avantages, ils osent espérer que Monseigneur le contrôleur général voudra prendre en considération leur manufacture, et les honorer de la faveur qu’ils osent solliciter.

Document 10

Extrait des pièces de la procédure en licitation des biens, immeubles et meubles, de Vital Aphrodise Donnadille fils aîné, à Bédarieux (5 avril 1883) Source : Archives départementales de l’Hérault. 46Q1/1074, Article 69. Le cinq avril 1883, il a été présenté à la transcription l’acte dans la teneur suit : République Française au nom du Peuple Français Cahier des charges, clause et condition dressé en conformité des articles 957 et 972 du code de procédure civile pour servir à la vente par licitation, les étrangers admis, des biens immeubles ci-après désignés. Cette vente est poursuivie au nom et à la requête de la dame Marie Louise Eugénie Marguerite Donnadille sans profession et du sieur Pierre Harmony de Francias propriétaire, son mari, qui l’assiste et l’autorise, tous deux domiciliés à Paris, ayant Me Clercy pour avoué. Cause n° 1 La dame Marie Dorothée Arribar, sans profession, veuve de sieur Vital Aphrodise Donnadille père, en son vivant manufacturier à Bédarieux, ladite dame domiciliée à Bédarieux, prise et considérée tant en son nom propre et personnel s’il a lieu, que comme tutrice du sieur Pierre Donnadille son petit fils, mineur, sans profession, domicilié à Bédarieux et 2° Le sieur Justin Lagare, manufacturier, domicilié à Lodève, pris et considéré comme tuteur du sieur Victor Joseph octave Isidore Donnadille, enfant mineur, domicilié à Lodève, ladite veuve Donnadille et ledit sieur Lagare, ayant Me Alengry pour avoué. Actes de la procédure [...] Copie 1° d’un cahier des charges dressé le 2 juin 1883 par maître Théron notaire de Bédarieux, pour la visite des immeubles provenant de la faillite Bompayre frères, teinturier à Bédarieux ; 2° d’un procès verbal d’adjudication dressé le 2 juin 1883 par Me Théron notaire à Bédarieux, contenant adjudication en faveur des sieurs Donnadille frères de Bédarieux 3° d’un acte de vente reçu le 27 mai 1868 par Maître Rives notaire à Bédarieux ; consentie par la dame veuve Vernadou née Vernazobres et ses enfants, en faveur de monsieur Vital Aphrodise Donnadille, père, négociant, tous domiciliés à Bédarieux ; 4° un autre acte de vente reçu le 6 juin 1868 par Maître Rives, notaire à Bédarieux, consenti par le sieur Charles Triadou propriétaire, sans profession, et ses neveux et nièces en faveur du sieur Vital Aphrodise Donnadille, père, négociant, tous de Bédarieux ; 5° d’un autre acte de vente reçu le 11 juin 1868 par maître Rives, notaire à Bédarieux, consentie par les héritiers Thibé, en faveur du sieur Donnadille père, négociant à Bédarieux ; 6° un procès verbal de partage dressé le 6 janvier 1870 par Maître Rives, notaire à Bédarieux, entre les sieurs Donnadille frères, fabricants de draps, domiciliés à Bédarieux. Par un acte du palais, de Couderc huissier à Béziers, en date du 14 octobre 1882, enregistré, Me Clercy avoué des mariés de Francia, a fait signifier à Maître Alengry, avoué de la dame Arribat veuve Donnadille, es-qualités, et du sieur Justin Lagare, es-qualités, des conclusions tendant à ce qu’il plaise au tribunal : Ordonner le partage de la succession du sieur Vital Aphrodise Donnadille fils aîné, en son vivant manufacturier, domicilié à Bédarieux, indivise entre ses deux enfants, la dame de Francia et le sieur Joseph Donnadille, dire qu’il sera procédé au dit partage, conformément à la loi, et suivant les droits des parties. Ordonner la vente par licitation, sans expertise préalable devant tel juge du siège que le tribunal commandera à ces fins, ou en cas d’empêchement devant tout autre juge du siège

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 117

qui sera requis et après l’accomplissement des formalités prescrites par la loi, des immeubles ci-après dépendant de la succession du sieur Donnadille fils aîné : 1° d’une maison d’habitation dite la maison Neuve, avec ses dépendances et appartenances, qui consistent en deux terrasses, deux cours, un jardin, une serre et dépendances, et une écurie située au fond de la cour septentrionale, le tout situé à Bédarieux faubourg Saint Louis section A formant la majeure partie du numéro 641, confrontant du nord Antoine Ricard, du levant la maison et la cour, avec ses dépendances, appartenant à Pierre Donnadille, du midi une rue, du couchant la grande route de Lodève à Castres, sur la mise à prix de 30000 francs ; 2° d’une pièce de terre en nature de vigne, sise à Bédarieux, tènement de Fasses-Bonnes, sections A, numéros 815 bis et 816 confrontant du levant l’usine à gaz, sur le mise à prix de 1500 francs ; 3° d’une autre pièce de terre, en nature d’olivette, située dans le terroir de Bédarieux, section B, tènement de Fontenilles, numéro 118 et tènement de Castel Sec, numéro 208, sur la mise à prix de 1500 francs, le tout aux clauses et conditions du cahier des charges qui sera dressé à cet effet. Ordonner encore la licitation sans expertise préalable devant tel juge du siège commis, ou devant tout autre juge du siège qui sera requis en cas d’absence ou d’empêchement et après l’accomplissement des formalités prescrites par la loi, de l’usine servant de manufacture de draps, sise à Bédarieux, faubourg Saint-Louis, tènement des Fasses-Bonnes, section A, numéros 828, 829, 830, 831 et partie du numéro 827 et confrontant du levant la rivière d’Orb, du midi l’ancien chemin de Bédarieux à Hérépian, du couchant la grande route de Lodève à Castres, du nord les héritiers Triadou, ensemble du matériel industriel, et de tous les droits quelconques en dépendant, ainsi que divers objets mobiliers de nature industrielle, se trouvant à Bédarieux dans une maison appartenant à Pierre Donnadille dite la maison Vieille, le tout indivis entre les parties de la cause, lesquels matériel industriel et objets mobilier de nature industrielle, devront être énumérés dans le cahier des charges qui sera dressé à cet effet, sur la mise à prix de 150000 francs et en outre aux clauses et conditions du cahier des charges qui sera dressé pour servir à la dite vente. Renvoyer devant tel notaire qui sera commis pour le partage des objets mobiliers, de ménages, meubles, argenterie, et linges provenant de la succession de Donnadille père, et qui sont indivis entre parties de la cause, pour être procédé conformément à la loi ; nommer un notaire pour dresser les opérations de comptes, liquidation et partage tant de la succession du sieur Donnadille fils aîné, que des biens immeubles et meubles indivis entre la dame de Francia, Joseph Donnadille et Pierre Donnadille, provenant de la succession du sieur Donnadille père, dans laquelle succession la dame de Francia et Joseph Donnadille, représentant leur frère [sic] Vital Aphrodise fils aîné, ont droit à la moitié, et Pierre Donnadille représentant son frère Gustave Donnadille a droit à la moitié ; nommer tel juge commissaire pour surveiller les dites opérations de partage, conformément à la loi, déclarer les dépens frais et partages, et ordonner la distraction au profit du dit maître Clercy, avoué de la cause qui l’a demandée sous les offres et affirmations de droit sous toutes réserves. La cause en cet état, inscrite au rôle, a été après communication de pièces au parquet et entre avoués de la cause, appelée à l’audience du 8 novembre 1882 à laquelle : Oui pour les mariés de Francia maître Clercy avoué, qui a conclu comme en l’acte de conclusion ci-dessus relaté ; Oui pour la dame veuve Donnadille, es-qualités, et le sieur Justin Lagare, es-qualités, Me Alengry avoué, qui a conclu, comme à un acte de conclusion, signifié le 28 octobre 1882, par Delmas, huissier à Béziers, à ce qu’il plaise au tribunal : Ordonner le partage de la succession du sieur Vital Aphrodise Donnadille fils aîné, en son vivant manufacturier, domicilié à Bédarieux, indivise entre ses deux enfants, la dame de Francia et le sieur Joseph Donnadille. Dire qu’il sera procédé au dit partage conformément à la loi, et suivant les droits des parties : ordonner la vente par licitation sans expertise préalable devant tel juge du siège que le tribunal commettra à ces fins, ou en cas d’empêchement devant tel juge du siège qui sera requis et après l’accomplissement des formalités prescrites par la loi, des immeubles, ci- après, dépendant de la succession du sieur Donnadille fils aîné :

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 118

1° d’une maison d’habitation dite la Maison Neuve, avec ses dépendances et appartenances, qui consistent en deux terrasses, deux cours, un jardin, une serre et dépendances et une écurie située au fond de la cour septentrionale, le tout situé à Bédarieux faubourg Saint Louis section A formant la majeure partie du numéro 641, confrontant du nord Antoine Ricard, du levant la maison et la cour, avec ses dépendances, appartenant à l’hoirie Donnadille, du midi une rue, du couchant la grande route de Lodève à Castres, sur la mise à prix de 30000 francs ; 2° d’une pièce de terre en nature de vigne, sise à Bédarieux, tènement de Fasses-Bonnes, sections A, numéros 815 bis et 816 confrontant du levant l’usine à gaz, sur le mise à prix de 1500 francs ; 3° d’une autre pièce de terre, en nature d’olivette, située dans le terroir de Bédarieux, section B, tènement de Fontenilles, numéro 118 et tènement de Castel Sec numéro 207 et 208 sur la mise à prix de 1500 francs, le tout aux clauses et conditions du cahier des charges qui sera dressé à cet effet. Ordonner la licitation sans expertise préalable devant tel juge du siège commis à cet effet, ou devant tel autre juge du siège qui sera requis en cas d’absence ou d’empêchement et après l’accomplissement des formalités prescrites par la loi, de l’usine servant de manufacture de draps, sise à Bédarieux, faubourg Saint‑Louis, tènement des Fasses-Bonnes, section A numéros 828, 829, 830, 831 et partie du numéro 827 et confrontant du levant la rivière d’Orb, du midi l’ancien chemin de Bédarieux à Hérépian, du couchant la grande route de Lodève à Castres, du nord les héritiers Triadou, ensemble du matériel industriel, et de tous les droits quelconques en dépendant, ainsi que divers objets mobiliers de nature industrielle, se trouvant à Bédarieux dans une maison appartenant à Pierre Donnadille dite la maison Vieille, le tout indivis entre les parties de la cause, lesquels matériels industriels et objets mobilier de nature industrielle, devront être énumérés dans le cahier des charges qui sera dressé pour servir à la dite vente, et sur la mise à prix de 150000 francs et en outre aux clauses et conditions du cahier des charges qui sera dressé pour régir la dite vente. Renvoyer devant tel notaire qui sera commis pour le partage des objets mobiliers, de ménages, meubles, argenterie, et linges provenant de la succession de Donnadille père, et qui sont indivis entre parties de la cause, pour être procédé conformément à la loi ; nommer un notaire pour dresser les opérations de compte, liquidation et partage tant de la succession du sieur Donnadille fils aîné, que des biens immeubles et meubles indivis entre la dame de Francia, Joseph Donadille et Pierre Donadille, provenant de la succession du sieur Donnadille père, dans laquelle succession la dame de Francia et Joseph Donnadille, représentant leur père Vital Aphrodise Donnadille fils aîné, ont droit à la moitié, et Pierre Donnadille représentant son frère Gustave Donnadille a droit à la moitié ; nommer tel juge commissaire pour surveiller les dites opérations de partage, conformément à la loi, déclarer les dépens frais de partage et comme tels prélevables sur la masse des biens à partager et en ordonner la distraction au profit du dit maître Alengry avoué de la Cour qui l’a demandée sous les affirmations de droit, sous toutes réserves. Et à la même audience le tribunal civil de Béziers a rendu le jugement dont la teneur suit : Attendu que nul n’est tenu de demeurer dans l’indivision, et que le partage peut toujours être provoqué nonobstant toutes conventions contraires ; Attendu que les mariés de Francia ont formé devant le tribunal de Ceins [sic], une instance contre la dite veuve Donnadille, es-qualités, et contre le dit sieur Lagare, es-qualités, ayant pour objet : 1° le partage de la succession du sieur Vital Aphrodise Donnadille fils, en son vivant manufacturier, domicilié à Bédarieux, laquelle succession est indivise entre la dame de Francia et le mineur Joseph Donnadille, placé sous la tutelle du sieur Lagare seuls enfants issus du mariage dudit sieur Donnadille fils aîné, avec la dame Eugénie Marguerite Lagare ; veuve du dit sieur Donnadille fils aîné. Attendu que les mariés de Francia demandent spécialement la vente par licitation aux formes de droit, d’une pièce de terre sise à Bédarieux, au tènement de Fasses Bonnes, d’une autre pièce de terre sise à Bédarieux au tènement de Fontanille et de Castel Sec, ainsi que d’une maison sise à Bédarieux dite la maison Neuve ; le tout dépendant de la succession

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 119

dudit sieur Donnadille fils aîné, et indivis entre la dame de Francia et son frère Joseph ; Attendu que deux documents versés aux débats et des renseignements fournis au tribunal, il résulte que le partage en nature des deux pièces de terre et de la dite maison est impossible, que par suite il y a lieu d’ordonner la vente par licitation des immeubles dont [il] s’agit sans expertise préalable devant un juge du siège ; 2° attendu que les mariés de Francia ont en outre formé contre les parties défendrisses une instance en licitation, d’une usine servant de manufacture de draps, sise à Bédarieux, faubourg Saint-Louis, avec ses dépendances et son matériel, et de divers objets mobiliers, le tout indivis entre la dame de Francia, Joseph Donnadille et Pierre Donnadille, et provenant de la succession du sieur Vital Aphrodise Donnadille père, en son vivant manufacturier, domicilié à Bédarieux ; Attendu que par un acte du 6 janvier 1870, Ribes, notaire à Bédarieux, enregistré, les sieurs Gustave Donnadille et Vital Aphrodise Donnadille fils aîné, ont procédé entre vif, au partage de la succession de leur père Vital Aphrodise Donnadille père, mais qu’ils ont laissé dans l’indivision divers meubles et immeubles, et notamment ce qui fait l’objet de la présente instance engagée par les mariés de Francia contre la veuve Donnadille et le sieur Lagare ; qu’il convient d’ordonner le partage de la dite succession pour ce qui reste encore indivis ; Attendu que l’immeuble dont [il] s’agit est aussi impartageable en nature, eu égard aux droits des parties, ainsi que le matériel de la dite usine, et tous les objets mobiliers indivis entre parties ; Attendu qu’il y a donc lieu d’ordonner la vente par licitation, sans expertise préalable devant un juge du siège, de l’immeuble dont s’agit avec ses dépendances, et des immeubles par destination, du matériel se trouvant dans ledit immeuble et même des objets mobiliers de nature industrielle se trouvant à Bédarieux dans une maison dite la Vieille, appartenant à Pierre Donnadille, et de renvoyer devant le notaire qui sera commis pour le partage des objets mobiliers autres que ceux dont il vient d’être parlé, indivis entre parties ; Attendu que les dépens doivent être passés comme frais de partage ; Par ces motifs, le tribunal ordonne le partage de la succession du sieur Vital Aphrodise Donnadille fils aîné, en son vivant manufacturier domicilié à Bédarieux, indivise entre ses deux enfants, la dame de Francia et le sieur Joseph Donnadille ; dit qu’il sera procédé à ce partage conformément à la loi, et suivant les droits des parties ; Ordonne la vente par licitation sans expertise préalable devant Monsieur Labat juge du siège que le tribunal commet à ces fins, ou en cas d’empêchement devant tout autre juge du siège qui sera requis, et après l’accomplissement des formalités prescrites par la loi, des immeubles ci-après dépendant de la succession du sieur Donnadille fils aîné. 1° d’une maison d’habitation dite la Maison Neuve, avec ses dépendances et appartenances, qui consistent en deux terrasses, deux cours, un jardin, une serre et dépendances et une écurie située au fond de la cour septentrionale, le tout sis à Bédarieux faubourg Saint Louis section A formant la majeure partie du numéro 641, confrontant du nord Antoine Ricard, du levant la maison et la cour, avec ses dépendances, appartenant à Pierre Donnadille, du midi une rue, du couchant la grande route de Lodève à Castres, sur la mise à prix de 30000 francs ; 2° d’une pièce de terre en nature de vigne, sise à Bédarieux, tènement de Fasses-Bonnes, sections A, numéros 815 bis et 816 confrontant du levant l’usine à gaz, sur le mise à prix de 1500 francs ; 3° d’une autre pièce de terre, en nature d’olivette, située dans le territoire de Bédarieux, section B, tènement de Fontanilles, numéro 188 et tènement de Castel Sec numéro 207 et 208 sur la mise à prix de 1500 francs, le tout aux clauses et conditions du cahier des charges qui sera dressé à cet effet ; Ordonne le partage de la succession du sieur Vital Aphrodise Donnadille père, grand- père des dits mineurs Donnadille et de la dite dame de Francia, pour ce qui reste encore indivis entre les héritiers ; Ordonne encore la licitation sans expertise préalable devant Monsieur Labat juge du siège commis à cet effet ou devant tout autre juge su siège qui sera requis en cas d’absence ou d’empêchement et après l’accomplissement des formalités prescrites par la loi, de l’usine servant de manufacture de draps sise à Bédarieux, faubourg Saint-Louis, tènement des Fasses-Bonnes, section A, numéro 828, 829, 830, 831 et partie du numéro 827 et confrontant

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 120

du levant la rivière d’Orb, du midi l’ancien chemin de Bédarieux à Hérépian, du couchant la grande route de Lodève à Castres, du nord les héritiers Triadou, ensemble du matériel industriel, et de tous les droits quelconques en dépendant, ainsi que divers objets mobiliers de nature industrielle se trouvant à Bédarieux dans une maison appartenant à Pierre Donnadille dite la maison Vieille, le tout indivis entre les parties de la cause, lesquels matériel industriel et objets mobilier de nature industrielle, devront être énumérés dans le cahier des charges qui sera dressé à cet effet, sur la mise à prix de 150000 francs ; Renvoie devant Maître Théron, notaire à Bédarieux, pour le partage des objets mobiliers, de ménage, argenterie, linges provenant de la succession de Donnadille père, qui sont indivis entre parties de la cause, pour être procédé conformément à la loi ; Nomme maître Théron, notaire à Bédarieux pour dresser les opérations de compte, liquidation et partage tant de la succession du sieur Donnadille fils aîné, que de la succession dudit Donnadille père, pour lequel reste encore indivis entre les héritiers […] des biens immeubles et meubles indivis entre la dame de Francia, Joseph Donadille et Pierre Donadille, provenant de la succession du sieur Donnadille père, dans laquelle succession la dame de Francia et Joseph Donnadille, représentant leur père, Vital Aphrodise fils aîné, ont droit à la moitié, et Pierre Donnadille représentant son frère Gustave Donnadille à la moitié ; Nomme Monsieur Labat, juge commissaire pour surveiller les dites opérations de partage conformément à la loi ; Déclare les dépens frais de partage et comme tels prélevables sur la masse des biens, à partager et en ordonne la distraction au profit de Me Clercy et Alengry avoués de la cause qui l’on demandée sous les offres et affirmations de droit. Ce jugement dûment enregistré et expédié en forme exécutoire a été ratifié à Maître Alengry avoué du sieur Lagare Justin, de Lodève, et de la veuve Donnadille née Arribat de Bédarieux, es-qualités, par un acte du Palais de Calmels, huissier à Béziers, en date du 21 novembre 1882, enregistré. Ce jugement a été aussi notifié au sieur Justin Lagare de Lodève, par exploit de Condut huissier à Lodève, en date du 22 novembre 1882, enregistré. Il a été ainsi notifié à la veuve Donnadille par un exploit de Aymès, huissier à Bédarieux en date du 25 novembre 1882, lequel exploit dûment enregistré : Désignation des immeubles à vendre 1° Une maison d’habitation comprenant trois étages sur rez-de-chaussée, dite la maison Neuve, ainsi que le sol sur lequel elle est construite, avec ses dépendances et appartenances, qui consistent en deux terrasses, deux cours, un jardin, une serre et dépendances et une écurie située au fond de la cour septentrionale, le tout est (signé) je dis situé à Bédarieux, faubourg Saint-Louis, et forme la majeure partie du numéro 641, section A du plan cadastral de la commune de Bédarieux, d’une contenance de 30 ares environ, d’un revenu matriciel de 45 francs. La maison principale a ses entrées sur la cour au passage qui est au devant du jardin. L’immeuble ci-dessus désigné confronte dans son ensemble, du nord Antoine Ricard, du levant la maison dite la maison Vieille et la cour, avec ses dépendances, appartenant à Gustave Donnadille, du midi la rue ou traverse Gassenc, et du couchant la grande route de Lodève à Castres. 2° Une pièce de terre en nature de vigne phylloxérée, sise au terroir de Bédarieux, au tènement de Fasses-Bonnes, sections A, numéros 815 bis et 816, de contenance le numéro 815 bis de 22 ares 87 centiares environ, première et deuxième classe d’un revenu de huit francs 52 centiares, et le numéro 816 d’une contenance de 35 ares 30 centiares environ, de troisième et quatrième classe, et d’un revenu de 3 francs 85 centimes, confrontant du levant l’usine à gaz, du nord Triadou, du sud Villebrun et de l’ouest Bernadou. 3° Une autre pièce de terre, en nature d’olivette, sise dans le terroir de Bédarieux, se composant de deux parcelles, la première au tènement des Fontanilles, section B, tènement de Fontanilles, numéro 188 du plan cadastral, de contenance de 19 ares, 10 centiares environ de troisième classe, d’un revenu de 10 francs 29 centimes, la deuxième au tènement du dit Castel Sec section B numéro 207 et 208 de contenance ensemble de 16 ares 80 centiares, de troisième classe et d’un revenu total de 2 francs 2 centimes. Le tout confrontant de l’ouest Aymès, du midi Mauran, de l’est Arribat et un chemin qui divise les deux parcelles, du nord un chemin. 4° Une usine avec canal d’amenée et de fuite alimenté par les eaux de la rivière d’Orb dont il

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 121

est divisé, servant de manufacture de draps, ainsi que le sol sur lequel elle est bâtie, avec atelier de filature, de tissage, d’apprêts, de serrurerie avec cour et un enclos pour usine séparé de l’usine par un chemin, ainsi qu’avec ses dépendances et appartenances, avec les machines, l’outillage de toute nature attaché à l’exploitation de la dite usine qui vont être plus bas détaillés, le tout situé à Bédarieux, faubourg Saint-Louis, tènement Fasses-Bonnes, section A, numéros 828, 829, 830 et 831, et partie du numéro 827 du plan cadastral, de contenance totale de 78 ares 30 centiares environ, de deuxième et troisième classes, d’un revenu total de 783 francs 98 centimes environ. Cet immeuble confronte dans son ensemble du levant la rivière d’Orb, du midi l’ancien chemin de Bédarieux à Hérépian, du couchant la grande route de Lodève à Castres, du nord les héritiers Triadou. On pénètre dans l’usine par une grande porte donnant sur la grande route de Lodève à Castres. On a devant soi une grande cour, à droite de la cour se trouve un bâtiment servant de maison d’habitation, et le logement du concierge, à gauche l’attelier de serrurerie et menuiserie. En face la cour se trouve la principale façade de l’usine qui est élevée de deux étages sur rez-de-chaussée. À la suite de la façade principale et à droite et à gauche d’icelle, il existe un corps de construction élevé aussi de deux étages sur rez-de-chaussée, le tout contigu et attenant communique ensemble et ne forme qu’un seul et même immeuble avec la façade principale. Par une issue pratiquée à l’aile droite de la façade principale on peut être dans une autre cour en forme de triangle qui sert de séchoir, au fond de cette cour se trouve une petite maison servant actuellement d’octroi qui est comprise aussi dans la présente vente. Sur le derrière de la façade principale, il existe une cour avec séchoir et laveuses. Dans cette cour se trouve une porte qui donne accès au chemin que l’on doit traverser pour se rendre à l’enclos des rames. Sur le derrière de l’aile gauche du dit bâtiment se trouve un autre dont partie sert de bassin pour les eaux du canal d’amenée. 5° Immeubles par destination et matériel à vendre avec l’immeuble comprenant le numéro 4 du présent cahier des charges. Désignation du matériel se trouvant dans la maison dite la Vieille, appartenant à Pierre Donnadille, lequel matériel est indivis entre la dame de Francia, Joseph Donnadille et Pierre Donnadille : - onze cuves - quatre chaudières - une lustreuse - huit presses avec platines - cartons, 180 tôles - tables, chevalets et tous les outils nécessaires et accessoires pour ces industries - une chaudière à vapeur avec cheminée en tôle - une machine à vapeur - deux moulins à indigo - deux trieuses - deux batteuses - une rameuse système Hocton de Londres - une sécheuse système Crespin et Lapagne de Paris - une essoreuse système Tulpin frères de Rouen et un panier de rechange - deux cuviers à épailler - une brosseuse - une décatisseuse Regraffe et tuyautage divers Désignation du matériel se trouvant dans l’usine, indivis entre les dits dame de Francia, Joseph Donadille et Pierre Donnadille - dix fileuses - dix-sept dreusses - six dreusses Hehelm et Compagnie - trois cardes et une machine à aiguiser - quatre Mull Geuny, 240 broches - une Mull Geuny, 210 broches - une Mull Geuny, 200 - trois renvideuses, 300 broches

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 122

- deux renvideuses, 480 broches - sept ourdissoirs - dix jarres en terre, une est cassée, deux en jonc - paniers, caisses - 252 grandes corbeilles - 80 petites corbeilles - deux Romaines - poêles - un tour avec ses outils, deux cylindres à aiguiser, deux sont en fonte - un krick - deux pendules - deux pompes pour l’huile - chaudron - graissoir et divers accessoires propres à l’atelier de filature - deux ( ?) - deux ventilateurs - huit garnisseuses avec 102 douzaines [de] lames - quatre tondeuses transversales - trois tondeuses longitudinales - deux cylindres de rechange - deux brancards - deux tables - un comptoir - six chevalets - six ( ?) - un support - une brosseuse - une machine à curer les lames - un cuvier avec les tuyaux et son tour - une velouteuse - trois enclos dont un avec rames longeant la rivière d’Orb - 11 métiers à tisser, mécanique Mercier - 65 métiers à tisser, mécanique Crespin - 63 métiers à tisser, mécanique Servon - 20 métiers à tisser, nouveauté Crompton - un métier à la main pour échantillons - huit foulons simples - deux doubles - six laveuses - une délayeuse - une machine à laver la bourre - un chaudron monté, chevalets, brancard et tous les outils nécessaires à cet atelier - deux machines à vapeur et deux filtres - quatre chaudières - deux courroies de rechange - un grand tour - un cuvier pour échauder la laine avec tuyaux - une meule - deux machines à laver la laine - un grand lavoir avec pompe centrifuge - un hydro-extracteur, système Culpin - un atelier de serrurerie avec tous les outils nécessaires - une machine à raboter et une perceuse - un atelier de menuiserie avec tous ses outils - une pompe à incendie - une bascule

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 123

[Suivent les Clauses et conditions de la vente non transcrites.]

NOTES

1. Les draps de laine se caractérisent par la qualité de la laine employée, le type de traitement qu’elle subit (peignée ou cardée), le titrage du fil, le nombre de fils constituant la chaîne, le mode de tissage (à pas simple ou à pas croisé) effectué sur des métiers étroits ou des grands métiers, et les différentes finitions, appelées apprêts. La grande draperie est constituée de draps unis dont la trame et la chaîne (de 1600 à 4000 fils), toutes deux en laine cardée, sont tissées à pas simple, sur de grands métiers. Les mahoux en constituent la qualité supérieure : fabriqués avec les meilleures laines d’Espagne, leur chaîne se compose de 3000 à 3600 fils de chaîne. Ils sont destinés à vêtir les dignitaires de l’Empire ottoman. Les londrins seconds sont fabriqués à partir des laines espagnoles ou des laines fines du Rous- sillon, de Béziers et de Narbonne et comportent 2600 fils de chaîne. Ils représentent la majeure partie de la production à destination du Levant. Les londres larges, constitués de laines fines du Languedoc, ont une chaîne de 2400 fils. Ils servent à vêtir le commun des gens des États du grand Seigneur (Empire ottoman). Ces caractéristiques édictées dans les règlements connaissent des évolutions, notamment à la fin du XVIIIe siècle, avec la diminution du nombre de fils utilisés pour les chaînes. Voir notamment le glossaire dans MINOVEZ, Jean-Michel. La puissance du Midi : drapiers et draperies de Colbert à la Révolution. Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2012 ; MOREIL, Françoise. L’Intendance de Languedoc à la fin du XVIIe siècle : édition critique du mémoire pour l’instruction du Duc de Bourgogne. Paris : Ministère de l’Éducation Nationale, 1985, p. 224-227. 2. DUTIL, Léon. L’État économique du Languedoc à la fin de l’Ancien Régime. Paris : Hachette, 1911. Thèse de Doctorat en Lettres ; MARQUIÉ, Claude. L’Industrie textile carcassonnaise au XVIIIe siècle, étude d’un groupe social : les marchands-fabricants. Rouffiac : Société d’études scientifiques de l’Aude, 1993 ; CARDON, Dominique, CAZALS, Rémy, VAQUER, Jean, LARGUIER, Gilbert. L’industrie de la laine en Languedoc depuis la préhistoire jusqu’à nos jours. Carcassonne: APALR, 1995; MINOVEZ, 2012, op. cit. 3. THOMSON, James K. J. Clermont-de-Lodève 1633-1789: fluctuations in the prosperity of a Languedocian cloth-making town. Cambridge: Cambridge University Press, 1982; JOHNSON H., Christopher. The life and death of industrial Languedoc, 1700-1920. The politics of deindustrialization. Oxford : Oxford University Press, 1995. 4. Les vestiges de l’industrie textile représentent 21 % des sites industriels étudiés dans l’Hérault. LANGUEDOC-ROUSSILLON. Inventaire général du Patrimoine culturel. Patrimoine industriel de l’Hérault. Réd. CALISTE, Lisa, VIÈQUE-VIGIER, ondine. Lyon : Lieux Dits Éditions, 2014, (Images du Patrimoine ; 287). 5. Nous souscrivons aux propos de Louis Bergeron : l’archéologie (de l’industrie) est l’instrument de la connaissance scientifique de ce grand compartiment de la culture matérielle, instrument grâce aux résultats duquel peut s’engager d’une façon sûre la construction du patrimoine. [...] L’archéologie industrielle est donc première et fondamentale ; c’est à partir d’elle que peut se définir la dignité d’appartenir au patrimoine, BERGERON, Louis. Archéologie industrielle, patrimoine industriel : entre mots et notions. In LA MÉMOIRE DE L’INDUSTRIE. DE L’USINE AU PATRIMOINE (Besançon, 2003). Besançon : Presses universitaires de Franche-Comté, 2006, p. 24-25. 6. CHAPLAIN, Jean-Michel, BELHOSTE, Jean-François. Les manufactures textiles à Louviers de 1680 à 1830 : architectures traditionnelles et révolution industrielle. In Comptes-rendus du 104e Congrès national des Sociétés Savantes. Paris, 1979, p. 147-158 ; CHAMPAGNE-ARDENNE. Inventaire général du Patrimoine culturel. La Manufacture de Dijonval et la draperie sedanaise (1650-1850) (Ardennes). Réd. avec la collab. de BALSAMO Isabelle, BELHOSTE, Jean-

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 124

François, BERTRAND, Patrice [et al.]. Paris : Ministère de la culture, 1984, (Les Cahiers de l’Inventaire ; 2) ; HAUTE-NORMANDIE. Inventaire général du Patrimoine culturel. Elbeuf : ville drapière, Seine-Maritime. Inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France. Réd. LE Roy-RÉAL, Emmanuelle, KOLLMANN, Christophe, COUCHAUX, Denis. S. l. : Connaissance du patrimoine de Haute-Normandie, 1994, (Itinéraires du patrimoine ; 50). 7. L’industrie textile à Saint-Chinian a été étudiée dans le cadre d’un inventaire mené par Catherine Ferras et Jean-Michel Sauget. SAUGET, Jean-Michel, FERRAS, Catherine. Saint- Chinian : Inventaire du patrimoine d’un village héraultais, 2006. 8. APPOLIS, Émile. Un pays languedocien au milieu du XVIIIe siècle. Le diocèse civil de Lodève : étude administrative et économique. Albi : imprimerie coopérative du sud-ouest, 1951 ; VIDAL, Marie-Thérèse. L’industrie des draps à Lodève dans la période contemporaine. Bulletin de la Société Languedocienne de Géographie, 1934, t. V. ; voir également les mémoires de maîtrises dirigées par Robert Laurent et soutenues à l’Université Montpellier III, entre 1968 et 1972. 9. Nous remercions Florian Blazin, stagiaire à l’Inventaire général du patrimoine culturel, Région Languedoc-Roussillon, Brigitte Saint-Pierre et l’association Résurgences, en particulier Pascale Donnadille et Jean-Luc Pastre, pour leur aide précieuse et appréciée lors des enquêtes menées à Bédarieux et à Clermont-l’Hérault. Celle réalisée à Lodève s’est appuyée sur l’inventaire de Michel Wiénin : WIÉNIN, Michel. Lodève, rapport sur le patrimoine industriel de la commune, 2008. Cahiers d’arts et traditions rurales, 2010-2011, n° 21-22, p. 127-180. 10. Le Languedoc a compté jusqu’à 16 manufactures royales (AN. F12/1379, 1772), mais seules douze d’entre elles ont bénéficié d’un soutien financier de la part de la province du Languedoc (manufactures royales de La Terrasse à Carbonne, Auterive, Les Saptes à Conques, La Trivalle à Carcassonne, Pennautier, Montolieu, Cuxac-Cabardès, Bize, Villeneuvette, Saint-Chinian qui en compte deux et Aubenas). Le département de l’Hérault en compte trois, situées à Saint-Chinian et à Villeneuvette, ainsi que deux manufactures privilégiées, à Cessenon et à Bédarieux. 11. Villeneuvette, une manufacture en Bas-Languedoc. Études sur l’Hérault, 1984, 15-n° 1-2 ; MINOVEZ, Jean-Michel. Les manufactures royales de draps fins du Midi toulousain et leurs entrepreneurs au XVIIIe siècle. Annales du Midi : revue archéologique, historique et philologique de la France méridionale, 2000, t. 112, n° 229, p. 21-40 ; MARQUIÉ, Claude. En Languedoc : des manufactures aux usines (1666-1954). In Du moulin à l’usine, implantations industrielles du Xe au XXe siècle. Toulouse : Éditions Privat, 2005, p. 129-146 ; LANGUEDOC-ROUSSILLON. Conservation régionale des monuments historiques. L’ancienne manufacture royale de draps de la Trivalle à Carcassonne. Patrimoine restauré. Réd. FERRIOL, Marie-Chantal, TARBOURIECH, Christiane. Montpellier : DRAC Languedoc-Roussillon, 2014 (Duo). 12. MARQUIÉ, op. cit., p. 133 ; DUTIL, op. cit., p. 405. 13. Le Lodévois renvoie au pays de Lodève, le Clermontais au pays de Clermont-l’Hérault (anciennement Clermont-de-Lodève) et le Béderrès au pays de Bédarieux. 14. À titre d’exemples, reprenons les propos de Charles Carrière : nous ne refusons donc pas à Colbert la volonté d’intervenir et de promouvoir ; nous pensons simplement qu’elle ne fit qu’effleurer, en les modifiant légèrement, des pratiques anciennes : ce ne fut en rien une création, CARRIÈRE, Charles. La draperie languedocienne dans la seconde moitié du XVIIe siècle. Contribution à l’étude de la conjoncture levantine. In Conjoncture économique et structures sociales. Hommage à Ernest Labrousse. Paris-La Haye : Mouton, 1974, p. 171 ; et ceux de Rémy Cazals : la pensée et l’action de Colbert doivent d’abord être replacées dans un mouvement très général, le mercantilisme, qui prolonge des pratiques déjà présentes au Moyen Age. […] Colbert n’a évidemment pas créé l’activité industrielle lainière. Il n’aurait rien pu faire s’il n’avait pas eu des relais locaux, négociants marseillais, fabricants et financiers de Languedoc, CAZALS, op. cit., p. 33-34. 15. MARQUIÉ, 2005, op. cit., p. 130 ; FERRIOL, TARBOURIECH, op. cit., p. 14.

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 125

16. DUTIL, op. cit. ; MINARD, Philippe. La fortune du colbertisme. État et industrie dans la France des Lumières. Paris : Fayard, 1998. 17. CHAPLAIN, Jean-Michel. La Chambre des tisseurs : Louviers cité drapière, 1680-1840. Seyssels : Champ Vallon, 1984. 18. Il ne s’agit que de quelques sondages dans les fonds notariés de Lodève, Bédarieux et Clermont-l’Hérault qui ont servi à élaborer le corpus documentaire présenté en annexe. 19. AD Hérault. 142 EDT 73. Lodève, matrice du compoix, 1655 ; AD Hérault. 142 EDT 78. Lodève, matrice du compoix, 1696 ; AD Hérault. 142 EDT 84. Lodève, matrice du compoix, 1767 ; AC Bédarieux. CC 3. Bédarieux, matrice du compoix, 1660 ; AC Bédarieux. CC 6. Bédarieux, matrice du compoix, 1685 ; AC Clermont-l’Hérault. CC 8 et CC 9. Clermont-l’Hérault, matrices du compoix, 1er et 2e volume du quartier Saint-Paul, XVIIIe siècle ; AC Bédarieux. CC 11. Atlas, 1788. 20. AD Hérault. 142 EDT 73. Lodève, matrice du compoix, 1655 ; AC Bédarieux. CC 3. Bédarieux, matrice du compoix, 1660 ; CRÉMIEUX, Adolphe. La vie politique et économique à Clermont- l’Hérault au XVIIe siècle. Montpellier : Causse-Graille-Castelnau, 1949. Au milieu du XVIIe siècle, la communauté de Lodève déclare 7 moulins à foulon, 1 teinturerie et 1 savonnerie, celle de Bédarieux uniquement 7 moulins à foulon, et celle de Clermont‑l’Hérault, 1 moulin à foulon, 1 teinturerie et 2 savonneries. 21. AD Hérault. 142 EDT 84. Lodève, matrice du compoix, 1767 22. AC Clermont-l’Hérault, CC 8 et CC 9. Clermont-l’Hérault, matrices du compoix, 1er et 2e volume du quartier Saint-Paul, XVIIIe siècle. 23. MARKOVITCH, Tihomir J. Histoire des industries françaises. Les industries lainières de Colbert à la Révolution. Genève : Librairie Droz, 1976, p. 209. 24. Extrait de la correspondance d’Aguesseau, à Montpellier, le 9 janvier 1682, cité par SMEDLEY‑WEILL, Annette. Correspondance des Intendants avec le Contrôleur général des Finances, 1677-1689. Naissance d’une administration, sous-série G7. Inventaire analytique. Paris : Archives nationales, t. II, 1990, p. 70. 25. MARKOVITCH, op. cit., p. 207-208 et p. 229. à Lodève, la production de draps destinés à l’habillement des troupes augmente entre 1692 et 1708, de 6 000 à environ 7 000 pièces. à Clermont-l’Hérault, la production passe de 1 515 pièces de drap à 2 500 (le type de draps n’est pas précisé par Tihomir J. Markovitch), tandis qu’à Bédarieux la production (non précisée) semble diminuer, passant de 1 200 à 800 pièces. 26. Correspondance d’Aguesseau, le 19 décembre 1682, cité par SMEDLEY-WEILL, op. cit., p. 98. De même, l’Intendant ne relève, en 1679, que des productions de qualité inférieure : les laines du Levant sont travaillées aux manufactures de Gévaudan, des Cévennes, de Montpellier, Lodève, Clermont, Saint-Pons, Saint-Chignan, Carcassonne, Castres, Limoux, Chatabre [Chalabre ?] et autres lieux en Languedoc pour produire de grosse draperie, des cadis et couvertures de lit […], extrait de la correspondance d’Aguesseau, 3 juin 1679, cité par SMEDLEY-WEILL, op. cit., p. 36. 27. AD Hérault. C 2094. Demande du marchand Seimandy, de Bédarieux, pour l’obtention du titre de manufacture royale, le 16 avril 1767 ; Mémoire pour le corps des fabricants des draps de Bédarieux en Languedoc, vers 1767 ; Copie de la lettre écrite à M. le Contrôleur général par M. de Saint Priest, le 14 octobre 1768. De 1709 à 1759, seul le marchand-fabricant Seimandy avait l’autorisation de fabriquer des londrins seconds, sa manufacture étant reconnue comme « manufacture privilégiée » : il est désigné comme le premier qui ait fait travailler dans le pays en draps pour le Levant, qu’il avait seul la liberté de faire des draps fins. 28. AD Hérault. 142 EDT 73. Lodève, matrice du compoix, 1655 ; AD Hérault. 142 EDT 78. Lodève, matrice du compoix, 1696. 29. CARRIÈRE, op. cit., p. 159. 30. CAZALS, op. cit., p. 37.

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 126

31. Cette prime s’élève à 10 livres tournois pour les pièces de drap fabriquées dans les manufactures royales et à 5 livres tournois, puis à 2,50 livres tournois, dans les autres cas. Ces primes sont supprimées en 1757, comme le contingentement par fabrique, cette « fixation » mise en place à partir de 1741. MARKOVITCH, op. cit., p. 222 et 227 et DUTIL, op. cit., p. 347-351. 32. AD Hérault. C 2094. Copie de la lettre écrite à M. le Contrôleur général par M. de Saint Priest, le 14 octobre 1768. 33. L’inspecteur de Clermont-l’Hérault a juridiction sur Bédarieux, tandis qu’un inspecteur, chargé de contrôler la qualité des draps de troupe, est présent à Lodève. Ils sont assistés par les jurés-gardes de la corporation des fabricants ; APPOLIS, op. cit., p. 525 ; DUTIL, op. cit., p. 300-303. 34. AD Hérault. C 2094. Copie de la lettre écrite à M. le Contrôleur général par M. de Saint Priest, le 14 octobre 1768. À titre d’exemple, l’aune de drap londrin second, fabriqué à Villeneuvette, est vendue 8 livres tournois, celle produite par Seimandy à Bédarieux, l’est à 7 livres 15 sous, de même que l’aune de drap londrin second des manufactures de Clermont- l’Hérault. Les draps londres larges, produits à Clermont-l’Hérault, Bédarieux et Lodève, se vendent à 5 livres 10 sous l’aune, AD Hérault. C 2094. État des draps fabriqués, visités et marqués dans le département de Clermont de Lodève, 1768 ; voir également MARKOVITCH, op. cit. 35. AD Hérault. C 2094. Pierre Flottes le jeune, fabricant de draps à Clermont et Lodève demande pour sa fabrique le titre de manufacture privilégiée. Permission accordée à Pierre Flottes le jeune, d’apposer à chaque pièce de drap de sa fabrique un plomb doré portant d’un côté les armes du Roi et de l’autre ses nom et surnom, le 12 août 1766 ; AD Hérault. C 2094. Demande du marchand Seimandy, de Bédarieux, pour l’obtention du titre de manufacture royale, le 16 avril 1767 ; AN. F12/1384. Mémoire à l’adresse du contrôleur général des finances par Pierre, Jean et Jacques Martel frères, marchands fabricants de Bédarieux, pour l’érection de leur fabrique en manufacture royale, 1785 (cf. annexes, document 9). Émile Appolis a relevé une demande émanant de Jean Vinas, fabricant de Lodève, formulée en 1727 pour l’obtention du titre de manufacture royale ; APPOLIS, op. cit., p. 492. 36. MINOVEZ, Jean-Michel, VERNA, Catherine, HILAIRE-PEREZ, Liliane (dir.). Les industries rurales dans l’Europe médiévale et moderne. 33e JOURNÉES D’HISTOIRE DE FLARAN, Toulouse : Presses Universitaires du Mirail, 2013. Voir notamment les contributions de Catherine Verna, Liliane Hilaire- Pérez et Jean-Michel Minovez, de Mathieu Arnoux, de Jacques Bottin et de Carlo Marco Belfanti. 37. MENDELS, Franklin. Des industries rurales à la protoindustrialisation : historique d’un changement de perspective. Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 1984, vol. 39, n° 5, p. 977-1008. 38. MENDELS, op. cit., p. 988 ; JEANNIN, Pierre. La protoindustrialisation : développement ou impasse ? (note critique). Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 1980, vol. 35, n° 1, p. 54-60. Selon la théorie développée par F. Mendels, la protoindustrialisation implique l’apparition et l’expansion d’un type d’industrie dont la production finale est destinée à l’exportation dans un marché situé hors de la région. Elle concerne la participation de ménages paysans dans la production. C’est un phénomène d’établissement et d’expansion de l’industrie rurale ou de la manufacture rurale dispersée. Enfin, elle implique l’association de producteurs de surplus agricoles commercialisés et d’une paysannerie cultivant des exploitations dont les dimensions insuffisantes rendaient nécessaire la recherche de revenus de complément. 39. JEANNIN, op. cit., p. 55-60. 40. JEANNIN, op. cit., p. 61. 41. JEANNIN, op. cit., p. 63. 42. Les fabricants de Lodève feront travailler à l’exclusion de ceux de Clermont, dans tous les villages et hameaux de la Montagne, et dans ceux qui sont au-delà des rivières de Salagou et de Lergue, à la réserve néanmoins des lieux et paroisses de Montpeyroux, St André, Otton, Ceyras, St

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 127

Félix, et Jonquières, qui seront réservés aux fabricants de Clermont, avec tous les lieux et villages situés au-delà desdites rivières : faisant défenses aux fabricants de Lodève de faire travailler dans aucuns des villages du diocèse de Béziers, soit à la droite ou à la gauche de la ville de Clermont, qui seront pareillement affectés pour les fabricants des draps pour le Levant, à peine de vingt- cinq livres d’amende, et de confiscation, et à ceux de Clermont de faire travailler dans les lieux destinés pour les fabricants de Lodève, sous les mêmes peines, AD Hérault. C 2385. Ordonnance royale, 19 décembre 1722. 43. MINOVEZ, 2012, op. cit., p. 90. 44. En 1729, la manufacture de Villeneuvette reçoit, par une ordonnance royale, la délimitation des lieux devant travailler exclusivement pour elle : Nébian, Ceyras, Saint-André, Montpeyroux, Saint-Jean- de- Fos au diocèse de Lodève, Gignac, Péret, Lezignan-la-Cèbe, Caux, La Vaquerie au diocèse de Montpellier et jusqu’à Vissec au diocèse d’Alès, ALBERGE, Claude. Villeneuvette, une manufacture en Bas- Languedoc. Études sur l’Hérault, 1984, 15-n° 1-2, p. 12. 45. MINOVEZ, 2012, op. cit., p. 88-111. 46. MINOVEZ, 2012, op. cit., p. 89. 47. Plusieurs actes notariés attesteraient d’une organisation de la production à trois niveaux, faisant interagir le marchand, le fabricant et le tisserand, les deux derniers étant dépendants du premier pour la commercialisation de leurs produits (cf. annexes, document 4, 5, 6). L’hypothèse de la prédominance du Kaufsystem, en particulier à Bédarieux, laissant place au Verlagsystem au cours du XVIIIe siècle, serait à vérifier à partir d’un dépouillement systématique des fonds notariés. 48. BERNARDI, Philippe, VERNA, Catherine. Travail et Moyen Âge : un renouveau historiographique. Comment les historiens parlent-ils du travail ? Cahiers d’Histoire, 2001, n° 83, p. 34. 49. Plusieurs documents rendent compte de la démonstration réalisée par Christophe Klingergt, teinturier de Besançon venu à Clermont-l’Hérault, en 1748, afin de montrer un nouveau procédé pour teindre en écarlate, AD Hérault. C 2381. 50. CRÉMIEUX, op. cit., p. 162. 51. MARKOVITCH, op. cit., p. 208. 52. AD Hérault. 142 EDT 78. Lodève, matrice du compoix, 1696, f° 138 r. 53. AD Hérault. 142 EDT 78. Lodève, matrice du compoix, 1696, f° 174 r. 54. AD Hérault. 142 EDT 78. Lodève, matrice du compoix, 1696, f° 21 v., 30 v. et 78 r. 55. AD Hérault. 2 E 39/627. Lodève, étude du notaire Jean Masrequirand, registre des actes de 1693 à 1701, f°19 v., 20, (cf. annexes, document 1). 56. AD Hérault. 142 EDT 73. Lodève, matrice du compoix, 1655, f° 177 r. et AD Hérault. 142 EDT 78. Lodève, matrice du compoix, 1696, f° 81 r. 57. Les règlements de 1697 et de 1708, pour les draps dont la vente et la consommation se fait aux Échelles du Levant, encadrent la fabrication des étoffes de laine. Il est précisé que ces draps seront foulés avec le savon et non avec la terre sous peine de 50 livres contre les foulonniers, AD Hérault. C 2385. Règlement des manufactures, 22 octobre 1697. 58. Sur les aspects techniques, se reporter à la « note IX sur les procédés de fabrication des draps et sur l’organisation industrielle à Lodève » dans MARTIN, Ernest, Histoire de la Ville de Lodève depuis ses origines jusqu’à la Révolution. Nîmes : Éditions Lacour, 1996, t. 2, p. 467-484 ; APPOLIS, op. cit., p. 473-475 ; MINOVEZ, 2012, op. cit., p. 80-83. 59. AC Clermont-l’Hérault. CC 3. Clermont-l’Hérault, matrices du compoix, XVIIe siècle, f° 88 v., cité par CRÉMIEUX, op. cit., p. 162. 60. AD Hérault. 142 EDT 78. Lodève, matrice du compoix, 1696, f° 174 r., 175 v. 61. AC Bédarieux. CC 6. Bédarieux, matrice du compoix, 1685, f° 5 v., 147 v., 157 r. et 245 r. 62. AD Hérault. 142 EDT 78. Lodève, matrice du compoix, 1696, f° 7 r. 63. AC Bédarieux. CC 6. Bédarieux, matrice du compoix, 1685, f° 5 v., 157 r. et 245 r.

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 128

64. AC Clermont-l’Hérault. CC 3. Clermont-l’Hérault, matrices du compoix, XVIIe siècle, f° 88 v., cité par CRÉMIEUX, op. cit., p. 162. 65. AD Hérault. 142 EDT 78. Lodève, matrice du compoix, 1696, f° 7 r., 24 r., 174 r., 175 v. 66. AC Bédarieux. CC 6. Bédarieux, matrice du compoix, 1685, f° 157 r. 67. AC Clermont-l’Hérault. CC 3. Clermont-l’Hérault, matrices du compoix, XVIIe siècle, f° 88 v., cité par CRÉMIEUX, op. cit., p. 162. 68. APPOLIS, op. cit., p. 475. 69. MINOVEZ, op. cit., p. 75. 70. AD Hérault. 142 EDT 78. Lodève, matrice du compoix, 1696, f° 2 r., 9 r., 35 r., 37 v., 75 v., 77 v., 81, 88 r., 137 r., 138 r., 146 r., 151 v., 153 r., 219 r. 71. AC Bédarieux. CC 6. Bédarieux, matrice du compoix, 1685, f° 13 r., 54 v., 55 r., 57 r., 70 v., 74 v. 72. AC Clermont-l’Hérault. CC 2. Clermont-l’Hérault, matrices du compoix, XVIIe siècle, f° 305, cité par CRÉMIEUX, op. cit., p. 173. En 1673, Pierre Baille, fabricant de Clermont-l’Hérault achète un moulin à foulon sur la Dourbie (au lieu-dit « Vieille manufacture »), à proximité du site choisi pour aménager, quelques années plus tard, les premiers bâtiments de la manufacture de Villeneuvette, cité par ALBERGE, op. cit., p. 9. 73. APPOLIS, op. cit., p. 469. 74. AD Hérault. 142 EDT 78. Lodève, matrice du compoix, 1696, f° 81 r. 75. AC Bédarieux. CC 3. Bédarieux, matrice du compoix, 1660, f° 41 r. 76. AD Hérault. 142 EDT 78. Lodève, matrice du compoix, 1696, f° 146 r. 77. AC Bédarieux. CC 6. Bédarieux, matrice du compoix, 1685, f° 185 r. 78. AD Hérault. 142 EDT 78. Lodève, matrice du compoix, 1696, f° 35 r. 79. AD Hérault. 142 EDT 78. Lodève, matrice du compoix, 1696, f° 81 v. 80. AD Hérault. 142 EDT 78. Lodève, matrice du compoix, 1696, f° 9 r. 81. APPOLIS, op. cit., p. 470. 82. ALBERGE, op. cit., p. 9. 83. Une maison d’haut en bas, et tout l’entier sol des jardins et ferrajals joignant et qui sont contigus, y compris maison, teinturerie que ledit sieur Raissac a ci devant joui et qui est sur le compoix du sieur Denis Flottes situé aux faubourgs de la Frégère à prendre depuis la maison de Vital Bernard, jusques au ferrajal de Jacques Bonneville et depuis la rue publique, grand portal et teinture jusqu’au ruisseau de Rounel, de long en long, en tout leur largeur, et longueur, y compris, encore le bâtiment que ledit sieur Raissac a fait bâtir proche ledit ruisseau pour conduire l’eau à ladite teinture, fait une livre quatorze sols cinq deniers, AC Clermont-l’Hérault. CC 9. Clermont-l’Hérault, matrices du compoix, 2e volume du quartier Saint-Paul, XVIIIe siècle ; THOMSON, op. cit., p. 276. 84. ALBERGE, op. cit., 1984, p. 9. 85. APPOLIS, op. cit. p. 497. 86. MARKOVITCH, op. cit., p. 226-227. 87. AD Hérault. C 2180. Résumé du mémoire de M. Gaja, 1765. 88. AD Hérault. C 2094. Lettre de Le Blanc, 20 avril 1767 : ce n’est que depuis 1759 qu’on a formé d’autres en conséquence de la permission générale qu’on a donné de travailler en draps pour le Levant ; AD Hérault. C 2385. Réclamation du corps des fabricants de Bédarieux intitulée « visite des draps du bureau de la jurande », 1765 : en 1765, Rousserie fils et Triadou père et fils, ces deux prétendus fabriquants ainsi que Calvairac et Aubaret n’étaient il y a trois ou quatre ans que des tisserands que le sieur Martin a fait travailler […]. Charles Martel n’était également il y a cinq ans qu’un tisserand qui ne fut même admis que par autorité ; DUTIL, op. cit., p. 354. 89. AD Hérault. C 2385. État de quantité des draps et autres espèces d’étoffes visitées et marquées dans le département de Clermont Lodève, 1778. 90. AD Hérault. C 2180. Demandes faîtes par Monseigneur l’Intendant, non daté.

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 129

91. AD Hérault. 142 EDT 84. Lodève, matrice du compoix, 1767. 92. BELHOSTE, Jean-François. La maison, la fabrique et la ville. L’industrie du drap fin en France (XVe-XVIIIe siècles). Histoire, Économie et société, 1994, vol. 13, n° 3, p. 457-475. Comme le rappelle l’auteur, se référant à l’ouvrage de Duhamel de Montceau (1761) et à l’Encyclopédie (1765), l’enchaînement complet de tous ces travaux exigeait un long délai, cinq à six mois, pour achever une pièce longue de 25 à 40 mètres. 93. Une maison, patus, pigeonnier, sol ouvert jardin à la rue Boubequiol, teinturerie, lavage de laine et étendage de laines contient le bâtiment 73 cannes, AC Clermont-l’Hérault. CC 9. Clermont-l’Hérault, matrices du compoix, 2e volume du quartier Saint-Paul, XVIIIe siècle, f° 227 r. Sur les aspects techniques, se reporter à APPOLIS, op. cit., p. 461-464 et MINOVEZ, 2012, op. cit., p. 62-66. 94. Une maison servant de teinturerie pour les laines ; un étendoir pour les laines, AD Hérault. 142 EDT 84. Lodève, matrice du compoix, 1767, f° 74-75. 95. Une autre maison où il y a une presse pour les draps, AD Hérault. 142 EDT 84. Lodève, matrice du compoix, 1767, f° 74-75 ; une maison et boutique d’affineur et presse pour les draps, AD Hérault. 142 EDT 84. Lodève, matrice du compoix, 1767, f° 148-151 ; une petite maison servant pour tremper les draps, AD Hérault. 142 EDT 84. Lodève, matrice du compoix, 1767, f° 443-445. Sur les aspects techniques, se reporter à APPOLIS, p. 471-476 et MINOVEZ, 2012, op. cit., p. 84-88. 96. APPOLIS, op. cit., p. 508. 97. AD Hérault. C 2094. Mémoire pour le corps des fabricants des draps de Bédarieux en Languedoc, vers 1767. 98. Ibid. 99. AD Hérault. 2E8/41. Bédarieux, étude du notaire Jean Dominique Alzieu, registre des actes de 1755, f° 114 à 116 (cf. annexes, document 7). 100. MARKOVITCH, op. cit., p. 227. En 1692, sont recensés 41 métiers à Clermont-l’Hérault pour une production de 615 pièces de draps divers, puis en 1708, 104 métiers pour une production de 1680 pièces, alors que le nombre de fabricants se trouve réduit de 19 à 16, puis en 1729, 200 métiers pour une production d’environ 4900 pièces de qualité semblable, contrôlée par 18 fabricants, MARKOVITCH, op. cit., p. 208 et 226. 101. AD Hérault. C 2389. Mémoire contenant les éclaircissements résultant des opérations que le masurier a eu ordre de faire dans la fabrique de Lodève pour parvenir à y établir le bon ordre par un règlement, 9 novembre 1740. 102. AD Hérault. C 2094. Lettre de l’inspecteur de Clermont l’Hérault ?, 29 août 1765. 103. Gabriel Pelletan et ses fils, Antoine et Jean, sont directeurs de la manufacture de Villeneuvette, en 1702, ALBERGE, op. cit., p. 7 ; AD Hérault. 2E26/149. Clermont-l’Hérault, étude du notaire Claude Pons, registre des actes de 1708, f° 83 (cf. annexes, document 2) ; AD Hérault. 2 E 7/144. Bédarieux, étude du notaire Jean Rivès, registre des actes de 1729 à 1731, f° 30 (cf. annexes, document 3). 104. BALLAINVILLIERS, Charles Bernard. Mémoires sur le Languedoc suivis du Traité sur le commerce en Languedoc de l’Intendant Ballainvilliers (1788). Montpellier : Entente Bibliophile, 1989, p. 150 et p. 157. Au milieu du XIXe siècle, Lodève compte 11 864 habitants, dont 4 000 travaillent à l’industrie des draps et Clermont-l’Hérault compte 6 450 habitants, dont 1 000 ouvriers employés par les entreprises textiles de la ville, SAINT‑PIERRE, Camille. L’industrie du département de l’Hérault, Études scientifiques, économiques et statistiques. Montpellier : Coulet libraire, 1865, p. 19, 194 et 187. 105. Nous avons identifié 10 édifices pouvant être rattachés à cet archétype. Dans deux cas, la destruction des bâtiments industriels, à la fin du XIXe siècle, nous oblige à présumer de leur morphologie à partir des plans cadastraux. 106. Claude Marquié a déjà signalé l’importance dévolue au stockage, en particulier des laines, dans les manufactures de Carcassonne, MARQUIÉ, 1993, op. cit., p. 121-122.

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 130

107. AD Hérault. C 2094. Lettre de Le Blanc, le 20 avril 1767. Malgré la consultation des compoix de Bédarieux, nous n’avons pas retrouvé la localisation de la manufacture Seimandy. 108. CALISTE, VIÈQUE-VIGIER, op. cit., p. 23 ; se reporter aux dossiers électroniques de l’Inventaire général du patrimoine culturel : IA34006024, IA34006025 et IA34006086. 109. AD Hérault. 2E8/41, 1755. Bédarieux, étude du notaire Jean Dominique Alzieu, registre des actes de 1756, f° 114, 115 (cf. annexes, document 7). 110. L’attribution du dessin de la manufacture de la Trivalle à l’architecte Charles d’Aviler, architecte des États du Languedoc, demeure hypothétique. Aucun plan antérieur à 1787 n’a été retrouvé, FERRIOL, TARBOURIECH, op. cit., p. 44 et p. 58. 111. AD Hérault. C 2245. Police d’afferme de la teinturerie de Bédarieux à Antoine Janot, maître teinturier haut de Saint-Chinian, par le corps des fabricants de la ville et pour une durée de neuf ans, 29 juillet 1755. 112. AD Hérault. 2E8/42. Bédarieux, étude du notaire Jean Dominique Alzieu, registre des actes de 1756, f° 386, 387 (cf. annexes, document 8). Le coût total de la construction s’élève à 52 000 livres, AD Hérault. C 2094. Mémoire pour le corps des fabricants des draps de Bédarieux en Languedoc, vers 1767. 113. AC Bédarieux. CC 11. Atlas de 28 plans, 1788. 114. Il est possible que le bâtiment ait fait l’objet d’une reconstruction partielle au cours du dernier quart du XVIIIe siècle. 115. DAUMAS, Maurice. L’archéologie industrielle en France. Paris : Robert Laffont, 1980, p. 95. 116. AD Hérault. 2E7/144. Bédarieux, étude du notaire Jean Rivès, registre des actes de 1729 à 1731 (cf. annexes, documents 4, 5 et 6). 117. BELHOSTE, CHAPLAIN, op. cit. 118. LANGUEDOC-ROUSSILLON. Inventaire général DU PATRIMOINE CULTUREL. Clermont- l’Hérault et son canton (Hérault). Réd. GRANDJOUAN, Marie-Sylvie. Montpellier : ACPLR., 1988, (Images du Patrimoine ; 33). 119. BELHOSTE, CHAPLAIN, op. cit., p. 153-156. 120. BELHOSTE, Jean-François. Les manufactures de drap fin en France aux XVIIe et XVIIIe siècles. Revue de l’Art, 1984, n° 65, p. 26-38. 121. BELHOSTE, 1984, op. cit., p. 35. 122. ALBERGE, op. cit., p. 12. 123. MARQUIÉ, 2005, op. cit., p. 131, 132 ; BELHOSTE, Jean-François, SMITH, Paul. Architectures et paysages industriels : l’invention d’un patrimoine. Paris : La Martinière, 2012, p. 40-47. 124. ALBERGE, op. cit., p. 5. 125. GRANDJOUAN, Marie-Sylvie. Projet d’étude la manufacture de Villeneuvette, Études sur l’Hérault, 1984, 15-n° 1-2, p. 68. 126. APPOLIS, op. cit. ; CAZALS, op. cit. ; MINOVEZ, 2012, op. cit. Les draps pour les troupes sont des étoffes de 1600 fils, puis 1700, de couleur gris-blanc, bleu, vert ou rouge, BALLAINVILLIERS, op. cit., p. 154. 127. En 1726, le cardinal de Fleury, originaire de Lodève, devient ministre, ce qui semble contribuer aux décisions prises en faveur de l’industrie locale, APPOLIS, op. cit., p. 479. 128. Les ordonnances royales de mars 1729 et d’avril 1736 sur l’habillement de l’infanterie portent que cette dernière sera revêtue de draps de Lodève, AD Hérault. C 2390. 129. AN. F12/1384. Mémoire des députés et du syndic général de la province du Languedoc concernant la fabrique des draps de Lodève pour l’habillement des troupes, 29 juillet 1777 ; MINOVEZ, 2012, op. cit., p. 239-240. 130. APPOLIS, op. cit., p. 487-490. 131. AD Hérault, C 2094. État des draps fabriqués, visités et marqués dans le département de Clermont de Lodève, 1768.

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 131

132. AD Hérault. C 2385. État des draps fabriqués, visités et marqués dans le département de Clermont de Lodève, 1777. 133. AD Hérault. C 2385. Ordonnances royales, 1746 et 1755. 134. Cette situation se renforce au XIXe siècle et perdure au XXe siècle : en 1902, sur 153 lots de fournitures militaires pour la France, l’Hérault en a 62 (39 pour Lodève, 12 pour Bédarieux, 11 pour Clermont-Villeneuvette), CAZALS, op. cit., p. 58. 135. Cette opération consiste à retirer tous les défauts d’une pièce de drap, comme les fils doubles ou les nœuds de la trame ; APPOLIS, op. cit., p. 468. 136. AD Hérault, C 2389. Mémoire contenant les éclaircissements résultant des opérations que le masurier a eu ordre de faire dans la fabrique de Lodève pour parvenir à y établir le bon ordre par un règlement, 9 novembre 1740. 137. APPOLIS, op. cit., p. 480. 138. SAINTPIERRE, op. cit., p. 186 139. Alain DEWERPE. L’industrie aux champs. Essai sur le proto-industrialisation en Italie du nord (1800-1880). : École Française de Rome, 1985, p. 96. Alors qu’il a été possible pour les chapitres précédents de s’appuyer sur des travaux qui font date, le territoire d’étude ne bénéficie pas de recherches équivalentes pour le XIXe siècle. Nous avons donc privilégié les études de cas à partir des sources manuscrites, publiques et privées, et des vestiges, pour aborder la question de l’industrialisation du Lodévois-Clermontais-Béderrès. 140. CHASSAGNE, Serge. Encore la proto-industrie ou vingt ans après. Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, 2000, vol. 197, n° 2, p. 7. 141. AN. F12/1577. États de situation des fabriques et manufactures de draps, 1812-1822. La mécanisation dans le Lodévois, Clermontais et Béderrès a donné lieu à plusieurs études centrées sur les rapports entre patronat et ouvriers, en particulier sur les conflits tels que grèves et luddisme, ces actions menées par les ouvriers pour briser les machines, voir notamment SAGNES, Jean. Villeneuvette : un cas particulier dans l’histoire économique et sociale de l’Hérault. Études sur l’Hérault, 1984, 15-n° 1-2, p. 21-64 et JOHNSON, op. cit., p. 40-94. 142. AN. F12/1577. État de situation des fabriques et manufactures de draps, 1813. Nous voyons apparaître ces nouvelles usines dans les premières matrices cadastrales : à Bédarieux 6 « filatures en laine » sont imposées en 1833, de même 2 « ateliers de filature en laine » sont taxées à Clermont-l’Hérault en 1837, tandis qu’aucune n’est mentionnée dans l’état des sections de Lodève en 1835. 143. JOHNSON, op. cit., p. 35. 144. ALBERGE, op. cit., p. 11. Rémy Cazals mentionne un contrat d’association passé entre James Douglas et la maison Maistre et Cie de Villeneuvette, en juillet 1812, CAZALS, op. cit., p. 50. 145. DUTIL, op. cit., p. 419. 146. CREUZÉ DE LESSER, Hippolyte, Statistique du département de l’Hérault. Montpellier : A. Ricard, 1824, p. 558-559 : depuis quelques années, les fabriques de Bédarieux et celles de Lodève se sont livrées à la fabrication des draps fins, et par là elles ont introduit dans le département un nouveau genre d’industrie. 147. Cité par CHASSAGNE, Serge. Compte-rendu. Annales. Histoire Science Sociale, 1998, vol. 53, n° 4, p. 1024. 148. SAINTPIERRE, op. cit., p. 190. Dans le cahier des charges pour l’adjudication de la fourniture des étoffes de laine à l’habillement des troupes, élaborés par le Ministère de la Guerre et le Ministère de la Marine et des Colonies, en 1864, figure la désignation des métiers, machines, ustensiles et moteurs que doit posséder tout fabricant ou toute société de fabricants légalement constituée, qui désire soumissionner pour l’exploitation du nombre de lots de la fourniture des draps de troupe. De même, dans le cahier des charges du 5 janvier 1890 pour la fourniture de 18 lots des draps nécessaires aux troupes de l’armée de terre, figure l’obligation suivante : le tissage sera exécuté sur des métiers mécaniques, à l’exclusion des métiers à la main, AD Hérault. 2R571. Cahier des charges du

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 132

5 janvier 1890 pour la fourniture de 18 lots des draps nécessaires aux troupes de l’armée de terre, 1890. 149. CREUZÉ DE LESSER, op. cit., p. 561. 150. SAINTPIERRE, op. cit., p. 196 et 208. 151. CREUZÉ DE LESSER, op. cit., p. 559-563. 152. Il s’agit des pièces composant la partie mobile des métiers à filer : ces tiges métalliques, animées d’un mouvement de rotation extrêmement rapide, reçoivent le fil. L’importance d’une filature s’évalue au nombre de broches qu’elle possède. 153. SAINTPIERRE, op. cit., p. 187. 154. SAINTPIERRE, op. cit., p. 197. 155. SAINTPIERRE, op. cit., p. 208. 156. Camille Saintpierre recense 103 établissements drapiers dans le département de l’Hérault, faisant fonctionner 80 400 broches et 2 145 métiers, dont 1 273 métiers mécaniques, SAINTPIERRE, op. cit., p. 214. 157. CREUZÉ DE LESSER, op. cit., p. 561-562. 158. CAZALS, op. cit., p. 52. 159. Les installations se concentrent en bordure de l’Orb et du Vèbres à Bédarieux, de la Lergue et de la Soulondres à Lodève. A Clermont-l’Hérault le débit du Rhonel n’étant pas suffisant, les industriels clermontais installent leurs usines le long de la Lergue, notamment sur le territoire de la commune de Ceyras. 160. Le bassin houiller de Graissessac est relié à Béziers, par une voie de chemin de fer passant par Bédarieux, à partir de 1858. 161. AUDIGANNE, Armand. Du mouvement intellectuel parmi les populations ouvrières. Les ouvriers des Montagnes Noires et l’industrie des draps. Revue des Deux Mondes, 1853, p. 352- 381, cité par CAZALS, op. cit., p. 51. 162. WIÉNIN, op. cit., p. 19. Se reporter au dossier électronique de l’Inventaire général du patrimoine culturel : IA34006021. 163. AD Hérault. 3 P 347-356. Bédarieux : matrices cadastrales, 1827-1911 ; Archives privées. 164. CAZALS, op. cit., p. 52. 165. SAINTPIERRE, op. cit., p. 28. 166. AD Hérault. 2 E 8/203. Statuts de la société anonyme des Établissements Donnadille, 1905. 167. AD Hérault. 3 P 347-356. Bédarieux : matrices cadastrales, 1827-1911 ; AD Hérault. 46 Q 1/182. Art 89, 1834. 168. AD Hérault. 3 P 347-356. Bédarieux : matrices cadastrales, 1827-1911. 169. AD Hérault. 46 Q 1/1074. Art 69, Cahier des charges, clause et condition dressé en conformité des articles 957 et 972 du code de procédure civile pour servir à la vente par licitation, 5 avril 1883 (cf. annexes, document 10). 170. AD Hérault. 7 S 159. Plan et profil d’une partie du cours de la rivière Orb, relatif à une demande en autorisation d’usine formée par MM. Jean et Vital Aphrodise Donnadille, 1834 ; AD Hérault. 7 S 159. Plan et profil de l’usine de Mr Alexandre Vernazobres située sur la rivière de l’Orb, relatifs à la quatrième demande de ce propriétaire, 1839 ; AD Hérault. 3 P 347-356. Bédarieux : matrices cadastrales, 1827-1911. 171. AD Hérault. 3 P 347-356. Bédarieux : matrices cadastrales, 1827-1911. 172. AD Hérault. 46 Q 1/1074. Art 69, Cahier des charges, clause et condition dressé en conformité des articles 957 et 972 du code de procédure civile pour servir à la vente par licitation, 5 avril 1883 (cf. annexes, document 10). 173. Léopold Carlier serait parti du bâtiment existant ; les factures conservées par la famille Donnadille témoignent de travaux effectués sur un bâtiment préexistant, en particulier la facturation de cloisons à démolir.

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 133

174. AD Hérault. 7 S 159. Plan et profil d’une partie du cours de la rivière Orb, relatif à une demande en autorisation d’usine formée par MM. Jean et Vital Aphrodise Donnadille, 1834. 175. AD Hérault. 7 S 158. Demande des sieurs Vernazobres et Donnadille en autorisation d’exhausser la retenue qui alimente leurs usines, plan et profil des lieux, 1856 ; AD Hérault. 7 S 158. Plan et nivellements des usines Sabatier et Donnadille, 1860. 176. On pénètre dans l’usine par une grande porte donnant sur la grande route de Lodève à Castres. On a devant soi une grande cour [...] En face la cour se trouve la principale façade de l’usine qui est élevée de deux étages sur rez-de-chaussée. À la suite de la façade principale et à droite et à gauche d’icelle, il existe un corps de construction élevé aussi de deux étages sur rez-de-chaussée, le tout contigu et attenant communique ensemble et ne forme qu’un seul et même immeuble avec la façade principale, AD Hérault. 46 Q 1/1074. Art 69, Cahier des charges, clause et condition dressé en conformité des articles 957 et 972 du code de procédure civile pour servir à la vente par licitation, 5 avril 1883 (cf. annexes, document 10). 177. AD Hérault. 3 P 347-356. Bédarieux : matrices cadastrales, 1827-1911 ; AD Hérault. 46 Q1/1380. Art 94 et art 95, 1891. 178. AD Hérault. 3 P 347-356. Bédarieux : matrices cadastrales, 1827-1911. 179. AD Hérault. 46 Q1/1380. Art 94, 1891. 180. AD Hérault. 46 Q1/1380. Art 95, 1891. 181. Archives privées. 182. AC Bédarieux. 2 F 5. Bédarieux zone industrielle d’accueil, sd. 183. CAZALS, op. cit., p. 50. 184. CAZALS, op. cit., p. 50-51. Se reporter au dossier électronique de l’Inventaire général du patrimoine culturel : IA34006013. 185. AD Hérault. 46 Q1/1074. Art 69, Cahier des charges, clause et condition dressé en conformité des articles 957 et 972 du code de procédure civile pour servir à la vente par licitation, 5 avril 1883 (cf. annexes, document 10). 186. Une décatisseuse « Regraffe » est signalée dans la vente des biens Donnadille en 1883. Camille Saintpierre signale également, à Lodève et à Bédarieux, plusieurs fabriques de cardes, de machines à préparer et à carder la laine, de laveuses, garnisseuses, déflocheuses, et de métiers à tisser de divers types, SAINTPIERRE, op. cit., p. 161-164. 187. AD Hérault. 7 S 156. Demande de Mrs Sicard et Prades de Bédarieux pour construire un barrage sur la rivière de l’Orb, 1er mars 1830. 188. AD Hérault. 7 S 156. Demande de Mrs Sicard et Prades de Bédarieux pour construire un barrage sur la rivière de l’Orb, 1er mars 1830. 189. Alain Dewerpe a mis en évidence cette permanence de la spatialisation des unités de production en Italie septentrionale, principe dont la logique excède le seul appel au milieu géographique pour plonger ses racines dans les rapports que le système de production tout entier entretient avec la société et l’économie des zones où s’implante l’industrie rurale, DEWERPE, op. cit., p. 93. 190. HAUTE-NORMANDIE. Inventaire général du patrimoine culturel. Reconversions, l’architecture industrielle réinventée. Réd. RÉAL, Emmanuelle. Lyon : Lieux Dits Éditions, 2013, (Images du patrimoine ; 281), p. 16. 191. WIÉNIN, op. cit., p. 7-9. 192. CALISTE, VIÈQUE-VIGIER, op. cit., p. 26-27. 193. RÉAL, 2013, op. cit., p. 16. 194. AD Hérault. 2R571. Cahier des charges pour l’adjudication de la fourniture des étoffes de laine à l’habillement des troupes de terre et de mer, 1864. 195. SAINTPIERRE, op. cit., p. 190. 196. JEANNIN, op. cit., p. 62. 197. Voir la réflexion de Sylvain olivier sur la complémentarité entre les activités liées à la laine et celles liées au genêt. Olivier, Sylvain. Aux marges de l’espace agraire. Inculte et genêt en

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 134

Lodévois (XVIIe-XIXe siècle). Sous la direction de Jean-Marc Moriceau, Université de Caen Basse- Normandie, Mémoire de thèse non édité, 2012, p. 517-535. 198. BELHOSTE, CHAPLAIN, op. cit., p. 148.

RÉSUMÉS

Le Languedoc a tiré sa richesse des draps de laine, à la fois des draps fins exportés vers le Levant à partir du XVIIe siècle, des « nouveautés » vendues en Europe au XIXe siècle, et des draps destinés aux administrations. Dans l’Hérault, si la prestigieuse manufacture de Villeneuvette a participé à cette production, l’essor économique est soutenu par un maillage d’ateliers polarisés autour de Lodève, Clermont‑l’Hérault et Bédarieux. La confrontation des travaux historiques avec l’analyse des édifices industriels permet de préciser les systèmes de production qui se sont succédé entre le XVIIe et le XIXe siècle, se traduisant notamment par une répartition mouvante des capitaux et de la main d’œuvre entre villes et campagne. S’il est possible d’identifier un archétype de manufacture urbaine commun aux centres drapiers français, le modèle de la manufacture sur cour adopte ici les standards de l’architecture vernaculaire. Au début du XIXe siècle, alors que la mécanisation s’impose, de nouveaux édifices industriels, sur le modèle de l’usine à étages, densifient le maillage préexistant et signalent la présence de l’industrie dans les campagnes.

The Languedoc derived its wealth from woollen cloth, broadcloth exported to the Levant starting in the 17th century, “novelties” sold in Europe during the 19th century, and cloths intended for use by administrations. In Hérault, though the prestigious Villeneuvette factory participated in this production, a maze of workshops around Lodève, Clermont‑l’Hérault, and Bédarieux sustained economic development. A correlation of historical works with an analysis of industrial buildings helps us to deduce the production systems that succeeded each other from the 17th to 19th centuries, a process giving rise in particular to a shift in distribution of capital and labour between towns and rural areas. If it is possible to identify an archetype of an urban factory common to French cloth manufacturers, here the courtyard factory model is representative of vernacular architecture standards. At the beginning of the 19th century when mechanisation was becoming more established, new industrial buildings based on the multi-storey factory model increased the density of the existing structure, and highlighted industry’s presence in rural areas.

INDEX

Index géographique : Hérault, Lodève, Bédarieux, Clermont-L’Hérault Keywords : factory, cloth, wool, industrial heritage, 17th century, 18th century, 19th century Mots-clés : manufacture, drap, laine, patrimoine industriel, XVIIe siècle, XVIIIe siècle, XIXe siècle

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 135

AUTEUR

LISA CALISTE Chercheur Inventaire général Languedoc Roussillon Midi Pyrénées

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 136

La découverte d’un panneau peint de la Renaissance dans l’église d’Osséja (Pyrénées-Orientales) Discovery of a painted panel from the Renaissance period in Osséja church (Pyrénées-Orientales)

Jean-Bernard Mathon

1 Lors d’une intervention sur le retable du maître-autel de l’église paroissiale Saint‑Pierre d’Osséja, trois planches peintes recto‑verso furent mises au jour, utilisées en réemploi. Ce fut l’occasion de s’interroger sur l’évolution de l’édifice, la succession de travaux sur le retable, l’histoire matérielle de ces planches. L’étude de ces peintures a conduit à leur restauration et permis d’identifier leur auteur.

Le contexte : l’église et le retable du maître-autel

2 L’église primitive d’Osséja, mentionnée en 973, fut saccagée par le comte de Foix en 1198, puis reconstruite. Le nouvel édifice fut consacré par l’évêque d’Urgell, le 2 novembre 1219. Des travaux d’agrandissement furent réalisés au XIVe siècle. Les campagnes de 1819 et de 1893, vouées à donner encore plus de places dans l’église, provoquèrent la destruction du bâti ancien. L’édifice actuel, de style néo‑gothique, date pour une grande partie - notamment la nef - de 1894. Seules ont été conservées de l’époque médiévale l’abside romane1 (fig.1), datant de 1219, et la chapelle gothique de sainte Lucie, à droite du chœur, correspondant au remaniement du XIVe siècle.

3 Le retable du maître-autel2, dédié à saint Pierre, est de style baroque tardif3. Comme un certain nombre de retables cerdans du XVIIIe siècle, les boiseries de la partie supérieure épousent la forme de la voûte4 (fig.2). Ce retable ne semble pas avoir été doré ni polychromé à l’origine5. Une inscription sur le soubassement nous indique la date et le nom de l’auteur de la dorure et de la polychromie6 : en 1828, il fut peint et doré par Sees Loany.

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 137

4 Un repeint général sur la structure et les sculptures témoigne d’une intervention postérieure, sans doute à la fin du XIXe siècle, suite à la reconstruction de l’édifice, en 1894. Mais, à cette même date, une intervention sur la structure et les sculptures fut également réalisée par les frères Courtade ; il pourrait s’agir de modifications sur le retable et la réalisation de certaines statues7. C’est sans doute à cette époque que la table d’autel et les gradins d’origine ont été déplacés dans la chapelle Saint-Sébastien et remplacés par un autel en marbre, le tabernacle étant transféré côté sud du chœur. Après le concile Vatican II, l’autel a été supprimé.

Fig. 1

Osséja, église Saint-Pierre ; vue extérieure de l’abside romane Élisabeth Dandel © CCRP66

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 138

Fig. 2

Osséja, église Saint-Pierre ; retable du maître-autel Élisabeth Dandel © CCRP66

La découverte et son interprétation

5 Suite à l’inventaire du mobilier de l’église paroissiale Saint‑Pierre d’Osséja8 réalisé en 2006 par le Centre de conservation et de restauration du patrimoine du département des Pyrénées-Orientales9, dans le cadre du Plan‑Objet 6610, des interventions de conservation ont été réalisées sur les objets, notamment le retable du maître-autel, en 200811.

6 Lors de l’intervention sur le retable de saint Pierre, il a été constaté que la base de la niche centrale (fig.3) avait été réparée antérieurement et que des planches avaient été remplacées ou raboutées à d’autres en effectuant des greffes. Certaines planches étaient en bois brut, d’autres recouvertes de peintures difficilement lisibles sous la crasse et la cire (fig.4). Après examen et un décrassage partiel, nous avons identifié cette peinture comme pouvant dater du XVIe siècle ou du tout début du XVIIe siècle, par le style et les auréoles dorées.

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 139

Fig. 3

Osséja, église Saint-Pierre ; niche centrale du retable, avec statue de saint Pierre posée sur les planches peintes découvertes Élisabeth Dandel © CCRP66

Fig. 4

Osséja, église Saint-Pierre ; les trois planches découvertes après retrait de la statue de saint Pierre Giorgio Bédani© CCRP66

7 En examinant le revers du retable et le dessous de la niche, nous avons constaté que les fragments de planches peintes au-dessus étaient également polychromes en dessous avec des motifs de rinceaux blancs sur fond rouge (fig.5). La décision fut prise de déposer ces planches et de les transférer au CCRP pour étude. La base de la niche fut restaurée avec des planches neuves.

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 140

Fig. 5

Osséja, église Saint-Pierre ; au revers du retable, vue du dessous de la niche : décor de rinceaux blancs sur fond rouge Giorgio Bédani© CCRP66

8 À partir de nos observations et de l’histoire de l’édifice et du retable, nous nous sommes interrogés sur la provenance de ces planches peintes. L’hypothèse que nous avons avancée et qui demeure valide est que ces planches sont le résultat de trois usages, dont deux réemplois.

9 Ces fragments proviennent d’un panneau peint, découpé, élément d’un retable de l’époque de la Renaissance ; ce retable aurait pu précéder l’actuel retable baroque. Nous avons de nombreux exemples, en Roussillon, de retables du XVIe siècle, démontés, réemployés ou détruits, pour être substitués à de grands retables sculptés, aux XVIIe et XVIIIe siècles12.

10 Plus intrigante est la présence au revers de peintures décoratives. Des traces fantômes de pentures métalliques (fig.6) nous indiquent que ce panneau a servi, à un moment donné, de porte. Ce fut sans doute le cas après le démembrement du retable primitif, au moment de l’édification du retable baroque, vers 177413. D’ailleurs, à l’arrière du retable, dans l’abside romane, dans un renfoncement du mur subsistent des traces de peintures identiques à celles du revers de nos planches.

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 141

Fig. 6

Osséja, église Saint-Pierre ; traces fantômes de pentures métalliques indiquant que ce panneau a servi de porte Danièle Amoroso© CCRP66

11 À quel moment notre fragment de retable, transformé en porte, a‑t‑il été redécoupé pour servir à réparer la base de la niche du retable baroque ? Le plus probable est une intervention tardive, certainement à la fin du XIXe siècle, lorsque le retable baroque a été repeint et sans doute réparé.

L’étude

12 Fin 2008, une étude préalable à restauration a été demandée à deux restauratrices14. Parallèlement, cinq prélèvements de couche picturale ont été confiés au CICRP de Marseille pour analyser les éléments constitutifs15 et un échantillon de bois remis à un laboratoire pour identification16. Les planches ont été radiographiées17 (fig.7) afin de visionner les assemblages, les repeints éventuels et les couches sous-jacentes. Lors de cette étude un nettoyage partiel de la surface peinte, masquée par des projections de plâtre, a été effectué.

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 142

Fig. 7

Osséja, église Saint-Pierre ; radiographie Rx : détail de l’arc de saint Sébastien. service imagerie médicale © Centre hospitalier Saint-Jean, Perpignan

13 Le support est constitué de trois planches de conifère assemblées au moyen de languettes bâtardes. De petits rouleaux de toile, noyés dans la préparation, ont été utilisés en comblement dans les joints. De la filasse est présente au niveau des joints, à la face et au revers. Des emplacements de clous forgés alignés sur deux verticales indiquent que des montants de bois, aujourd’hui disparus, étaient placés au revers de l’œuvre.

14 Les réemplois ont été source d’importantes altérations : découpe du bord droit et mise en place de ferrures à l’aide de clous forgés repliés sur la couche peinte, lors de la première modification ; découpes sauvages de trois bords (fig.8 et 9), nombreuses traces de clous traversant, griffures profondes, enfoncements, datant de l’utilisation comme base de la niche. Les joints originaux se sont trouvés désolidarisés. Certaines zones sont très fragilisées par des attaques d’insectes xylophages.

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 143

Fig. 8

Osséja, église Saint-Pierre ; vue de face après premier nettoyage. Panneau reconstitué avec découpes consécutives au dernier réemploi. Les zones blanches et violine étaient masquées par des décors en bois doré Danièle Amoroso© CCRP66

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 144

Fig. 9

Osséja, église Saint-Pierre ; vue du revers après dépose et décrassage Danièle Amoroso© CCRP66

15 La préparation a été appliquée en couches successives, composées de sulfate de calcium et de colle protéique, avec une grande qualité de mise en œuvre.

16 La composition générale des scènes, réalisée au moyen d’une teinte fluide violine appliquée à la brosse est visible aujourd’hui grâce à l’absence des encadrements de bois dorés en partie supérieure. Les emplacements vides laissent voir la préparation et les essuyages de pinceaux originaux. À l’emplacement des scènes peintes, une sous‑couche ocre jaune a été appliquée. Le dessin sous-jacent de couleur noire, visible par transparence, a été réalisé au pinceau. On observe les incisions liées à la construction autour des personnages et de l’architecture. Les parties dorées sont composées d’une feuille d’or posée sur bol rouge. Le travail d’incisions est relativement élaboré. Une ligne de peinture noire cerne les auréoles.

17 Les couches peintes laissent apparaître les coups de brosse. On retrouve un mélange à base d’azurite pour les bleus, un mélange d’acétate de cuivre ou d’azurite et d’oxyde de fer jaune, pour les bleu-vert, un mélange d’oxyde de fer et de laque rouge pour les rouges. L’ensemble offre une impression de maîtrise de la mise en œuvre et un dessin juste et précis. Les scènes sont recouvertes par un vernis de nature organique.

18 Du fait des remaniements, on note de très nombreux trous de clous, des enfoncements (fig.10), des écrasements, des lacunes et des griffures de la couche picturale (fig.11). Les couches peintes présentent cependant une excellente cohésion. Le réseau de craquelures est peu visible. Le vernis est très jauni et assombri. L’ensemble de la face est maculé de projections de plâtre, de chiures de mouches et divers encrassements. Deux zones de brûlures sont discernables. On note quelques repeints très ponctuels au niveau de certaines lacunes.

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 145

Fig. 10

Osséja, église Saint-Pierre ; trace de trou de clou avec enfoncement de la couche picturale, suite à un réemploi Danièle Amoroso© CCRP66

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 146

Fig.11

Osséja, église Saint-Pierre ; trous de clous et arrachements de matière, consécutifs au démembrement du retable d’origine Danièle Amoroso© CCRP66

La restauration18

19 Après un traitement par voie chimique contre les insectes xylophages et un dépoussiérage, le support a fait l’objet d’un nettoyage des joints originaux en vue du remontage des trois planches. Il a ensuite été consolidé au niveau des fentes, par collage et insertion de petites pièces de bois.

20 L’intervention la plus importante a été la création d’un format rectangulaire, pour donner une cohérence à l’ensemble de l’œuvre, en ajustant des pièces de bois neuf.

21 Le réassemblage des trois planches a été réalisé en faisant concorder le dessin et en assurant le meilleur affleurage possible. Des entailles faites dans l’épaisseur des chants originaux et neufs ont permis l’installation de faux-tenons, puis l’ensemble a été collé.

22 Les zones lacunaires de bois ou les enfoncements de petite taille ont été comblés (fig. 12).

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 147

Fig. 12

Osséja, église Saint-Pierre ; ensemble, de face, après traitement du support, pose de greffes de bois et collage des planches Danièle Amoroso© CCRP66

23 Après l’enlèvement des projections, un nettoyage poussé a été réalisé sur l’ensemble de la surface. Le retrait mécanique des résidus de plâtre sur les fonds a permis de retrouver une surface lisse, marquée par de nombreuses taches claires et des auréoles. Le dévernissage par voie chimique a permis de retrouver les tonalités de la couche picturale (fig.13, 14, 15, 16 et 17). Les lacunes de peinture originale ont été remises à niveau avec un mastic en laissant visibles les enfoncements et traces de clous. Après vernissage, une réintégration colorée de type illusionniste a permis de refermer les zones lacunaires et les petites usures. Les taches claires et auréoles au niveau du bandeau violet ont été atténuées. Les parties de bois neuf ont fait l’objet d’une mise en teinte. Le décor peint du revers a été refixé, consolidé, nettoyé, mais aucune remise à niveau ni réintégration colorée n’a été effectuée ; seules les parties de bois neuf ont été teintées.

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 148

Fig. 13

Osséja, église Saint-Pierre ; détail de saint Sébastien en cours de dévernissage. Danièle Amoros © CCRP66

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 149

Fig. 14

Osséja, église Saint-Pierre ; visage de saint Sébastien avant traitement Danièle Amoroso© CCRP66

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 150

Fig. 15

Osséja, église Saint-Pierre ; visage de saint Sébastien après restauration Dinh Thi Tien © CCRP66

Fig. 16

Osséja, église Saint-Pierre ; détail de saint André (?), avant traitement Danièle Amoroso© CCRP66

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 151

Fig. 17

Osséja, église Saint-Pierre ; détail de saint André (?), après restauration Dinh Thi Tien © CCRP66

L’iconographie

24 Ce panneau peint restauré19 constituait la partie gauche du registre central d’un retable. Ce registre devait être divisé en deux ou trois scènes comprenant vraisemblablement chacune deux personnages. Chaque scène devait être isolée par un encadrement, sans doute de bois doré. Aucun encadrement n’est aujourd’hui présent, seuls les trous laissés par les pointes fixant les bois dorés sont visibles.

25 Trois personnages sont représentés, avec leurs attributs : à gauche, se faisant face, saint Sébastien portant un arc et des flèches, et sans doute saint André avec un livre et une croix ; dans le compartiment de droite, saint Antoine abbé présente un livre ouvert, le tau peint sur la coule et le cochon avec une clochette à ses pieds permettent de l’identifier.

Le peintre

26 Nous proposons d’attribuer ce panneau à Antoine Peytavi et Jean Perles, peut-être associés à Joseph Brell, pour deux raisons. Cette peinture est sans conteste de la même main que le retable du hameau du Puig de Valcebollère (fig.18), attribué à Antoine Peytavi20 par Marcel Durliat21.

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 152

Fig. 18

Valcebollère ; retable de la chapelle Saint Hilaire du Puig, attribué à Antoine Peytavi et Jean Perles, vers 1564-1965 Dinh Thi Tien © CCRP66

Fig. 19

Osséja, église Saint- Pierre ; visage de saint Sébastien Dinh Thi Tien © CCRP66

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 153

Fig. 20

Valcebollère ; prédelle du retable de la chapelle Saint Hilaire du Puig : visage de saint Just (?) Dinh Thi Tien © CCRP66

27 Pour s’en convaincre, nous prendrons trois exemples : avec des formats différents, les visages du saint Sébastien d’Osséja (fig.19) et celui du saint Just de Valcebollère (fig.20) sont identiques, le modèle est le même, ainsi que la technique picturale ; les auréoles des saints sont similaires dans les deux cas (fig.21 et 22) ; les saints Antoine abbé sont des « copier-coller » (fig.23 et 24).

Fig. 21

Osséja, église Saint- Pierre ; détail de la couronne de saint Sébastien Dinh Thi Tien © CCRP66

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 154

Fig. 22

Valcebollère ; prédelle du retable de la chapelle Saint Hilaire du Puig : détail de la couronne de saint Just (?) Dinh Thi Tien © CCRP66

Fig. 23

Osséja, église Saint- Pierre ; visage de saint Antoine abbé Dinh Thi Tien © CCRP66

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 155

Fig. 24

Valcebollère ; panneau gauche du retable de la chapelle Saint Hilaire du Puig : visage de saint Antoine abbé Dinh Thi Tien © CCRP66

28 Nous pourrions ajouter que chez Antoine Peytavi se re- trouve fréquemment le principe de personnages en pied représentés avec un mur de fond en deux tons parfois séparé par une moulure, comme c’est le cas sur le petit retable de saint Lin d’Oreilla (fig.25) ou le retable de saint Fructueux d’Iravals, à Latour de Carol22 (fig.26). La seconde raison réside dans un document auquel fait référence Marcel Durliat23. Il s’agit d’une revendication de Joseph Brell auprès d’Antoine Peytavi pour le remboursement des sommes engagées dans le cadre de leur association. À cette occasion il cite les travaux réalisés avec Antoine Peytavi et Jean Perles pendant les années 1564‑1565, dont trois retables pour la communauté d’Osséja24. De ces trois retables, nous en connaissons désormais deux : celui du Puig de Valcebollère et celui d’Osséja dont il est question ici ; le troisième n’est pas identifié ou a disparu.

La valorisation

29 Ce panneau restauré (fig.27 et 28) a été présenté dans une exposition consacrée à la peinture de la Renaissance, en 201025. Son classement au titre des Monuments historiques est intervenu le 10 septembre 2012. Il a été de nouveau été exposé, à Perpignan, en 201526.

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 156

Fig. 25

Oreilla, église Sainte-Marie ; retable de saint Lin Dinh Thi Tien © CCRP66

Fig. 26

Latour de Carol, église d’Ira- vals ; retable de saint Fructueux : panneau gauche de la prédelle Dinh Thi Tien © CCRP66

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 157

Fig. 27

Osséja, église Saint-Pierre ; vue d’ensemble du revers, après restauration Dinh Thi Tien © CCRP66

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 158

Fig. 28

Osséja, église Saint-Pierre ; vue d’ensemble de l’avers, après restauration Dinh Thi Tien © CCRP66

30 Il fait partie de l’itinéraire des peintures de la Renaissance en Roussillon mis en place par le CCRP27. Nous avons mis sur pied un projet de présentation recto-verso, sous vitrine sécurisée et répondant aux normes de conservation pour ce panneau qui demeure fragile, dans l’église d’Osséja.

NOTES

1. Seule l’abside est protégée au titre des Monuments historiques ; elle a été inscrite au titre des immeubles le 30 septembre 1964. 2. En bois polychrome et doré ; hauteur : 750 cm ; largeur : 615 cm. 3. Datable de 1774 si l’on se réfère à l’inscription portée sur les gradins d’origine transférés - ainsi que l’autel en bois polychrome - dans la chapelle Saint-Sébastien. Le sculpteur serait Antoine Domingo. 4. Comme c’est le cas dans les églises d’Enveigt ou de Ur, par exemple. 5. De nombreux retables baroques ne furent dorés et polychromés que de nombreuses années après avoir été sculptés. 6. Inscriptions dans deux médaillons : « SEES DORAT » et « LOANY 1828 ».

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 159

7. Sans doute les statues de saint Sébastien, saint Roch et saint Pierre. Le nom de Courtade figure sur le socle des deux premières statues. 8. 147 objets inventoriés et diagnostiqués. 9. Désigné ci-après CCRP. 10. Le Plan-Objet 66 est un programme innovant mis en place en 2003 par le CCRP en partenariat avec la DRAC Languedoc-Roussillon, puis la Région à partir de 2005. Ce programme permet la réalisation dans un même mouvement, sur un édifice, de l’inventaire et des constats d’état sur le mobilier, de préconisations de travaux d’entretien sur les édifices et de conservation curative et préventive sur les objets, suivi de traitements visant à stopper les altérations et dégradations sur les œuvres. Il est accompagné d’études préalables à restauration et de formations à l’attention des bénévoles. Il est cofinancé par le Département, la DRAC et la Région. 11. 46 objets (dont 8 retables) traités en conservation par une équipe de restaurateurs libéraux, sous la conduite de Giorgio Bédani et Isaline Trubert. 12. À ce propos, consulter : MATHON, Jean-Bernard (dir.). [Exposition, Perpignan, Chapelle Notre-Dame des Anges, 15 septembre 2012-2 février 2013] Le Maître de Llupia, un peintre en Roussillon au début du XVIe siècle, découverte, restauration. Milan : Silvana Éditoriale, 2012. 13. Les décors de rinceaux blancs sur fond rouge pourraient dater de la fin du XVIIIe siècle. 14. Étude préalable réalisée par Catherine Goupil et Nathalie Houdelinckx, en novembre 2008. 15. Analyses réalisées par Christine Benoit au CICRP de Marseille, dossier 16413. 16. Identification de pin sylvestre ou pin de Salzmann. Dtalents ingénierie, Christelle Belingard. 17. Radiographies par le service d’imagerie médicale du Centre hospitalier Saint-Jean de Perpignan. 18. La restauration a été réalisée par Philippe Hazaël-Massieux pour le support et par Danièle Amoroso et Isabelle Devergne pour la couche picturale, en juillet-août 2009. 19. Dimensions du panneau restauré : 104 cm de hauteur sur 117 cm de largeur. 20. Antoine Peytavi est originaire de Toulouse ; il aurait travaillé à Puigcerda avant 1562, puis à Perpi- gnan jusqu’en 1570, avec des incursions en Cerdagne vers 1564-1565 ; puis de nouveau à Puigcerda jusqu’en 1574, date à laquelle il revient à Perpignan où son activité est connue jusqu’en 1590. Il a eu plusieurs associés ; d’abord Jean Perles, puis Miquel Verdaguer. Il est décédé en 1592. 21. Pyrénées-Orientales. Conseil général. Arts anciens du Roussillon, peinture. Réd. DURLIAT, Marcel. Perpignan : Conseil général des Pyrénées-Orientales, 1954, p. 163-164. 22. Marché passé le 29 Novembre 1572 entre les fabriciens d’Iravals et Antoine Peytavi, en collaboration avec Miquel Verdaguer, pour la peinture du retable de saint Fructueux de l’église d’Iravals. Ils sont payés 85 ducats. 23. M. Durliat mentionne ce document aux AD Pyrénées-Orientales sous la côte D2 non classé. Ces documents sont aujourd’hui sous la côte : ADPO, 4E58 ; il s’agit d’un dossier factice sur les peintres. 24. À cette époque Valcebollère faisait partie de la communauté d’Osséja. 25. Exposition « Peintures de la Renaissance restaurées », Perpignan, Chapelle Notre-Dame des Anges, 15.09.2009 au 15.01.2010. 26. Exposition « Trésors du patrimoine catalan », Perpignan, Chapelle Notre-Dame des Anges, 5e séquence, 18.09 au 12.12.2015. 27. Prochainement des cartels avec flash-code seront installés, permettant le téléchargement des fiches sur i‑phone

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 160

RÉSUMÉS

L’histoire protéiforme d’un panneau peint de la seconde moitié du XVIe siècle attribuable à Antoine Peytavi, originaire de Toulouse, et à Jean Perles.

The protean history of a painted panel from the second half of the 16th century, attributable to Antoine Peytavi, a native of Toulouse, and to Jean Perles.

INDEX

Index géographique : Pyrénées-Orientales, Osséja, Valcebollère Keywords : painting on wood, Renaissance, 16th century, religious painting, Peytavi Antoine, Perles Jean Mots-clés : peinture sur bois, Renaissance, XVIe siècle, peinture religieuse, Peytavi Antoine, Perles Jean

AUTEUR

JEAN-BERNARD MATHON Directeur du CCRP Conservateur des antiquités et objets d’art des Pyrénées-Orientales

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 161

Musée scolaire ou cabinet de curiosités ? Exemple de l’institution Saint-Joseph de Rodez School museum or curiosity cabinet? The example of Saint-Joseph de Rodez’s institution

William Trouvé, Diane Joy et Roland Chabbert

1 Fondée en 1684 par Jean-Baptiste de La Salle, l’institution des Frères des Écoles Chrétiennes dispense un enseignement gratuit aux garçons des classes populaires. Le succès de la Congrégation atteint son apogée partout en France dans les années 1850‑1880, grâce à une pédagogie innovante.

2 La ville de Rodez conserve la mémoire de l’importance des Frères, appelés en 1745 par l’évêque qui avait mis à leur disposition un immeuble proche de la cathédrale : après un siècle de déménagements et l’ouverture de plusieurs écoles est créé en 1851, rue Sarrus, un pensionnat, à l’emplacement de l’actuelle institution Saint‑Joseph. C’est ce lieu qui possède encore un témoignage précieux de l’évolution de l’éducation.

3 Au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle, les méthodes d’enseignement qui faisaient déjà la réputation des frères et s’étaient trouvées confortées par la loi Guizot de 1833, mettent en avant le sens pratique et accordent aux sciences une place importante. Cette pédagogie peut s’appuyer sur l’utilisation d’objets réunis à cet effet ainsi que l’indique une lettre du supérieur de l’ordre aux directeurs d’établissement en 18731. L’intérêt accordé aux objets comme supports pédagogiques dépasse cette seule congrégation et est formalisé dès 1849 dans le Manuel de l’instruction primaire. Exposé aux instituteurs dans un discours prononcé à l’Exposition universelle de 18782, le principe de musée scolaire est enfin institutionnalisé en 1881 par une circulaire de Jules Ferry adressée à tous les départements : Règlement intérieur du Musée pédagogique et de la Bibliothèque centrale de l’enseignement primaire.

4 Dans la seconde moitié du XIXe siècle, un musée scolaire est constitué progressivement dans l’établissement ruthénois comme dans la plupart des établissements lassaliens, et la collection qu’il abrite présente, outre son état de conservation, l’intérêt

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 162

supplémentaire de témoigner d’un parti-pris aujourd’hui abandonné, celui qui animait les cabinets de curiosités (fig.1).

Fig. 1

Musée de l’institution Saint-Joseph, vu depuis l’entrée P. © Inventaire général Région Midi-Pyrénées

Constitution des collections

5 Deux documents permettent de fixer les jalons importants de la constitution du musée. Le premier, publié en 1959 pour les fêtes du centenaire de l’institution, retrace un siècle d’histoire de l’établissement et présente un inventaire succinct des collections3. Le deuxième est une description dactylographiée, rédigée vers 1970 du contenu des vitrines et fournit quelques détails sur les origines des objets conservés4. Enfin, des documents retrouvés in situ aident à retracer le parcours de certains objets. Par ailleurs deux photographies focalisent l’attention sur la collection d’animaux naturalisés. Si la carte postale éditée dans les années 1930 ne montre que les vitrines, sur l’autre photographie, prise vingt ans plus tôt, les animaux sont mis en scène, disposés sur une table centrale et sur le sol (fig.2).

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 163

Fig. 2

Photographie du cabinet d’histoire naturelle vers 1910 W. Trouvé © Inventaire général Région Midi-Pyrénées

6 La collection d’animaux naturalisés semble avoir été constituée dès les premières années d’ouverture du pensionnat, entre février 1859 et 18635 et fut enrichie ultérieurement. Les premiers spécimens d’oiseaux, naturalisés vers 1877 ou 1884, si l’on peut se fier à leurs cartels, n’étaient pas exposés dans la salle où l’on peut les voir actuellement mais dans le vestibule de l’infirmerie et avaient dû être déménagés une première fois. Les dispositions du musée paraissent en effet avoir été établies dans le dernier quart du XIXe siècle par le frère Idinaël‑Marie, professeur de sciences dans l’établissement dès son ouverture avant d’en devenir le directeur entre 1885 et 1909. Dans les mêmes années, le frère Xénophon‑Joseph, sous‑directeur de l’établissement et ancien enseignant en mathématiques, a réalisé lui‑même, avec quelques aides, une large part de la collection de taxidermie. Sa passion pour l’histoire naturelle était notoire puisqu’au début du siècle suivant un ancien élève, devenu officier à Madagascar, déclare avoir songé plusieurs fois au moyen d’enrichir la collection du frère Xénophon mais n’avoir pas réussi à conserver quelques variétés de poissons6. En effet, il n’existe pas de collection d’ichtyologie dans le musée.

7 Durant la Première guerre mondiale, l’institution Saint-Joseph est réquisitionnée, transformée en hôpital temporaire où plus de 7000 soldats et blessés de guerre sont soignés. Le musée de l’établissement devient le bureau de l’officier gestionnaire7. Il faut vraisemblablement voir là l’origine de la collection d’armes de cette époque.

8 Au cours de la première partie du XXe siècle, les collections sont progressivement enrichies en particulier par le frère Clément Baute, professeur de sciences entre 1924 et 1939, qui constitue la collection de géologie et enrichit celle d’entomologie par l’acquisition des spécimens de lépidoptères et de coléoptères. Sous son égide, d’anciens élèves contribuent ponctuellement à compléter le fonds du musée8. D’autre part, la loi

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 164

de 1904 provoque indirectement l’enrichissement de la collection : en supprimant le droit d’enseigner aux congrégations religieuses, elle incite près de 4000 frères français à s’expatrier et à réaliser de nouvelles fondations dans tous les continents. Les frères- missionnaires au cours de leurs voyages, dans les colonies françaises et les pays où le réseau lasallien s’est développé, recueillent des objets qui complètent la collection.

9 Au milieu du XXe siècle, viennent s’ajouter deux plans-reliefs (fig.3) réalisés au début du siècle par Amans Ginestet, directeur de l’école Notre-Dame de Rodez.

Fig. 3

Plan-relief de la ville de Rodez et ses environs, fabriqué par Amans Ginestet à la fin du XIXe siècle ou début du XXe siècle P. Poitou © Inventaire général, Région Midi-Pyrénées

10 Jusque dans les années 1990, c’est le frère Henri Laur qui prend soin du cabinet de curiosités. Il semble avoir été spécialisé dans l’étude des fossiles et s’être soucié de la conservation des spécimens d’entomologie. Dans une note rédigée en 1987, il évoque plusieurs herbiers dont aucun n’a été retrouvé au cours de notre étude : le grand herbier (le plus ancien) est dû au Frère Israël‑Auguste, professeur au pensionnat. Auteur également d’un herbier du Lot ayant figuré à l’expo (sic) internationale de Paris en 1900. Le petit herbier (cartons moyens) est l’œuvre du F. Roucarie († 1933) prof. à l’institution. Trois petits cartons pourraient être l’œuvre d’un troisième botaniste, le frère Israël‑Auguste parti en Égypte en 1904. Il y constitua un troisième herbier. La disparition de ces herbiers est d’autant plus regrettable qu’ils semblent être particulièrement représentatifs des recherches scientifiques des Frères des Écoles Chrétiennes qui en ont constitué de remarquables, dont celui de la Flore de Montpellier, conservé au musée du Biterrois à Béziers.

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 165

Un ensemble riche mais hétéroclite

11 Les pièces du musée sont généralement exposées sur des socles blancs en bois avec un cartel sur lequel figurent l’identification de l’objet et parfois sa provenance et la date de son entrée dans les collections. Six domaines principaux sont présentés dans six armoires‑vitrines : géologie, zoologie, ethnologie, archéologie, armes blanches et à feu, numismatique. Trois autres vitrines accrochées aux murs du couloir reliant la chapelle au dortoir, ne contiennent que des pièces géologiques. Les naturalia sont divisées ici selon les trois règnes, minéral, végétal et animal. Les minéraux proviennent de l’Aveyron et des départements voisins (Lot, Cantal), mais aussi des anciennes colonies françaises (Sahara Oriental, Madagascar, Nouvelle‑Calédonie). Quelques roches ont été commandées spécialement pour le musée au comptoir géologique et minéralogique d’Alexandre Stuer de Paris et deux petits meubles comptoirs de minéralogie sont conservés avec leur contenu. Cette importante collection voisine non seulement avec celle de paléontologie, plutôt maigre, mais aussi avec celle des coquillages, qui compte près de 1 000 objets et dont l’état de conservation est sans doute le plus alarmant.

12 Les animaux naturalisés sont répartis de manière cohérente dans les vitrines du musée. Les oiseaux, spécimens les plus nombreux, sont toujours placés sur les étagères supérieures et regroupés par familles : les oiseaux marins, les échassiers, les gallinacés, les oiseaux migrateurs, les rapaces ; etc… Viennent ensuite les mammifères, les reptiles et les animaux marins, installés en partie basse des deux grandes vitrines du fait de leurs tailles et de leurs poids (fig.4). Certains sont mis en scène comme le putois ou le reptile qui tiennent leurs proies, des oiseaux, dans la bouche. César, le chien des Pyrénées ayant appartenu à l’un des directeurs de l’établissement, accueille, face à la porte d’entrée, le visiteur.

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 166

Fig. 4

Vue d’ensemble de la vitrine n° 4. Félins et mammifères sont en partie basse tandis que les oiseaux occupent la partie haute. Les papillons et les insectes, sont rangés dans des boites au niveau intermédiaire P. Poitou © Inventaire général, Région Midi-Pyrénées

13 Les collections d’archéologie et d’ethnologie sont presque confondues et il est malaisé d’en retracer précisément la constitution. Quelques pièces d’Égypte ancienne, récupérées à proximité de la pyramide de Chéops vers 1890, ont été offertes par le frère Isidore‑de‑Péluse ou par le collège de Sainte‑Catherine d’Alexandrie : une tête et un pied de momie, cinq ouchebti9 et une statuette du dieu Bès (fig.5). La période gallo- romaine est mieux représentée avec quelques céramiques de la Graufesenque, site majeur de production de sigillée dans le sud de l’Aveyron. Une amphore trouvée dans l’enclos même de l’établissement et un crâne féminin, découvert dans un ensemble de sépultures du Ie au III e siècle au lieu-dit la Boule‑d’Or (déposé en 1978 au musée), complètent la collection. Les objets ethnographiques ont été rapportés par les religieux. Les œuvres issues de Chine, du Japon et du Vietnam sont majoritaires (fig.6 à 8). La plupart ont été collectées en Cochinchine (sud du Vietnam actuel) par les frères‑missionnaires qui y enseignaient comme en témoignent des manuels bilingues en langues tamoule et annamite. Les objets d’Afrique occidentale ont été donnés, avec des échantillons de minéralogie, par l’ancien élève Eugène Salesses. Ils n’ont pas été rassemblés dans un projet élaboré : une paire de chaussures en écorce voisine avec une défense d’éléphant, des armes et des instruments de musique (fig.9).

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 167

Fig. 5

Fragments d’une momie et divers éléments provenant d’Égypte, issus de la collection archéologique P. Poitou © Inventaire général, Région Midi-Pyrénées

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 168

Fig. 6

Détail d’une pagode en ivoire sculpté, objet issu de la collection ethnologique P. Poitou © Inventaire général, Région Midi-Pyrénées

Fig. 7

Figure d’un Bodhisattva Di Lac (divinité familiale) P. Poitou © Inventaire général, Région Midi-Pyrénées

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 169

Fig. 8

Éléments de plaquettes en bois avec des textes en écriture tamoule P. Poitou © Inventaire général, Région Midi-Pyrénées

Fig. 9

Détail de la collection d’ethnographie africaine P. Poitou © Inventaire général, Région Midi-Pyrénées

14 Si la collection d’armes (fig.10) ne compte que 75 objets10, le « département » de numismatique, constitué de plusieurs milliers de pièces et qui n’a pas pu être étudié en détail, est important. Outre des monnaies antiques, grecques et romaines, les monnaies

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 170

médiévales européennes sont fréquentes et pour certaines identifiées11. Mais ce sont les pièces ramenées d’Extrême‑Orient qui sont les plus nombreuses. Leur étude reste à mener mais il est peu probable que ces pièces soient antérieures au XIXe siècle.

Fig. 10

Détail de la collection d’armes blanches. On y trouve une épée datant du XVIe ou du XVIIe, une épée de parade d’époque Restauration et un sabre japonais P. Poitou © Inventaire général, Région Midi-Pyrénées

15 Résultat d’une accumulation progressive, les collections forment donc un ensemble hétéroclite d’objets, sans volonté d’obéir à des principes raisonnés de classification. De plus, le musée de Saint‑Joseph, grâce au rayonnement international de la congrégation lasallienne, donne à voir aux élèves la diversité du monde et montre un certain attrait pour ce qu’il a d’étrange, différant en cela également des attendus d’un musée scolaire tel qu’il est défini dès la moitié du XIXe siècle et ce jusque sous la IIIe République : il faut éviter […] d’introduire des objets plus curieux que réellement utiles à l’enseignement […] Ce qu’il importe surtout de faire connaître aux enfants, ce sont les objets qui les entourent, ce sont les produits de la localité ou mieux de la région qu’ils habitent12. Par ailleurs nombre de domaines requis par la Revue d’éducation et d’instruction primaire en 188713 sont absents des collections de Saint‑Joseph : hygiène et pharmacie scolaire (dont tableaux didactiques), chauffage et éclairage, industries diverses et produits industriels locaux, agriculture, alimentation. Plus qu’à un musée scolaire, les collections de l’institution Saint‑Joseph appartiennent donc au type du cabinet de curiosités, qui classe les objets en quatre catégories constitutives : artificialia, naturalia, exotica et scientifica.

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 171

Vers une protection au titre des Monuments historiques ?

16 Si la congrégation des Frères des Écoles Chrétienne a visiblement accordé durant tout le XIXe siècle une importance considérable à ses collections qu’elle a pris soin de constituer, les ensembles conservés, en revanche, sont plutôt rares et curieusement bien peu documentés.

17 En 1933, le collège lasallien de Langueuil, dans la province de Québec, comptait 123 000 pièces14 et sa collection d’histoire naturelle était alors réputée sur le plan international. En France cependant, sur la trentaine d’établissements des Frères des Écoles Chrétiennes recensés sur la base Mérimée en 2015, aucune mention de musée ou cabinet de curiosité n’apparaît. Dans la région, le seul autre exemple clairement identifié dans un établissement lasallien est le pensionnat de l’Immaculée Conception à Béziers, qui abrite des collections instituées en musée, comme à Rodez, dans les années 1880. À la même époque, la congrégation de l’Immaculée Conception de Castres, fondée par Émilie de Villeneuve, créait un musée du même type au collège et lycée Notre‑Dame de Castres15.

18 Tant par la richesse de ses collections que sa qualité de témoin tangible de l’histoire de l’enseignement par les Frères des Écoles Chrétiennes, le musée de l’institution Saint‑Joseph est donc remarquable et mériterait d’être valorisé. Certes une éventuelle ouverture au public pose de nombreuses questions, non seulement de sécurité pour les collections mais aussi de protection du public en raison notamment de l’usage d’arsenic pour la taxidermie des animaux. Si la conservation de l’ensemble semble justifiée, ses modalités restent à étudier.

19 Le musée de l’institution Saint-Joseph se prêterait particulièrement bien à une protection dépassant le cadre des protections individuelles d’objets. La loi « Création, architecture et patrimoine », en projet, permettrait de le considérer comme « ensemble historique mobilier » (article L 622.1.1). Dans cette perspective, le conservateur des antiquités et objets d’art de l’Aveyron a été associé à l’inventaire réalisé à Rodez par le « Master Patrimoine » de Cahors16 en partenariat avec le Service du Patrimoine de Rodez Agglomération.

NOTES

1. Le Frère Philippe, supérieur de 1838 à 1874, adresse le 21 juillet 1873 une lettre aux frères directeurs d’établissements comme celui de Rodez, des « grands pensionnats » où les élèves poursuivent leurs études après le primaire. Il leur demande de contribuer à l’élaboration d’un ouvrage qui servirait de référence pour la conduite de ces établissements et mentionne dans la seconde partie, consacrée à l’enseignement dispensé : Les collections nécessaires pour certaines études : cartes géographiques et sphères, instruments d’arpentage, cabinet de physique et d’histoire naturelle, etc. 2. Alain VERGNIOUX, Le Musée, Le Télémaque, 2004/2 (n° 26), p. 15-24.

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 172

3. Cent ans d’histoire, institution Saint-Joseph, Rodez, Souvenir du Centenaire, 1859-1959. 4. Sainte-Geneviève, Saint-Joseph, Rodez. Un établissement, deux histoires, une priorité : l’éducation, 2000, p. 55. 5. Cent ans d’histoire, op. cit., p. 20. 6. Échos et nouvelles, bulletin de l’association de l’école. 7. Le livre d’or de l’institution Saint-Joseph de Rodez. Guerre de 1914-1918, p. 130. 8. La collection de minéralogie appartenait à M. Salesses, spécialiste des chemins de fer africains, promoteur de la voie Conakry‑Niger, gouverneur honoraire des colonies. 9. Statuette funéraire de serviteur. 10. Aux pièces datées de la première guerre mondiale, s’ajoutent des pièces plus exotiques, acquises antérieurement : un fusil berbère et un marocain, une carabine japonaise, des sacoches à poison d’Afrique et des armes blanches… 11. On remarque notamment une monnaie frappée sous Charles V et plusieurs pièces à l’effigie de Pierre III et d’Alfonse d’Aragon. 12. Manuel général de l’instruction primaire, 1849. 13. Revue d’éducation et d’instruction primaire, 1er septembre 1887. 14. Frère Marie-Victorin, Mon miroir. Journaux intimes 1903-1920, Bibliothèque nationale du Québec, 2004, p. 216, note de l’éditeur 133. 15. Ce musée ne semble plus être ouvert aux élèves de l’institution. 16. L’inventaire du musée de l’Institution Saint-Joseph de Rodez a été mené en 2013 et 2014 par les étudiants du master patrimoine de Cahors : géraldine Amiel, Lucie Boyer, Claire Champetier, Lisa Filisetti, Quentin Joerger, Carmen Lacombe, Julie Lossouarn, Cynthia Maurel, Elodie Mazel, Lucie Picaud, Lucile Pinasa, Coralie Salperwyck, Marie Serres, Elsa Valette et William Trouvé, qui a finalisé le travail et réalisé les dossiers d’étude des bâtiments de l’institution. Coordination et encadrement, Roland Chabbert, conservateur en chef du patrimoine, chef du service de la connaissance du patrimoine de la Région Midi-Pyrénées.

RÉSUMÉS

L’Institution Saint-Joseph de Rodez, fondée par les Frères des écoles Chrétiennes, abrite depuis la seconde moitié du XIXe siècle un cabinet de curiosités qui s’est peu à peu enrichi des dons faits par les frères missionnaires ou par d’anciens élèves. Il s’agit d’un des rares témoignages de collections à visées pédagogiques encore visible dans les établissements privés de la région. Son inventaire, réalisé en 2014, devrait permettre d’en favoriser la protection.

The Saint-Joseph de Rodez Institution, founded by the Christian Brothers, has been home to a cabinet of curiosities since the latter half of the 19th century, which has gradually been added to over time with donations from missionary brothers or alumni. It is a rare example of collections with an educational purpose that can still be seen in the private institutions of the region. The drawing up of its inventory in 2014 should aid in supporting its protection.

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 173

INDEX

Keywords : school museum, painting, scientific/technological objects, Frères des Écoles Chrétiennes, 19th century, 20th century Mots-clés : musée scolaire, objets scientifiques et techniques, Frères des Écoles Chrétiennes, XIXe siècle, XXe siècle Index géographique : Aveyron, Rodez

AUTEURS

WILLIAM TROUVÉ Étudiant du master de Cahors

DIANE JOY Responsable du service du patrimoine Rodez agglomération

ROLAND CHABBERT Conservateur en chef du patrimoine

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 174

L’Hôtel de Région en Languedoc- Roussillon1 (1986-1989) un chantier de recherche Languedoc-Roussillon Regional Council building (1986-1989), a research site

Dominique Ganibenc

1 Lieux de décision, de gestion, de représentativité, la construction des Hôtels de Région a marqué l’urbanisme des villes depuis le début des années 80 par la monumentalité, le caractère de l’architecture et la mise en scène retenue. Dans un tiers des cas, le choix fut fait de réutiliser des bâtiments existants2 mais la Région Languedoc‑Roussillon fait partie de celles qui recherchèrent, avec une construction ex nihilo, l’intervention d’architectes3 de renom et la reconnaissance d’un prestige certain.

Des projets d’envergure

2 Un long processus de décentralisation aboutit en 1986 à l’officialisation d’un Président de Région au sein d’une assemblée de conseillers régionaux élus au suffrage universel. Il parut rapidement évident qu’une situation dans laquelle les personnels du désormais ancien établissement public régional étaient éclatés sur trois sites, au 20, rue de la République et dans les immeubles du Capoulié et du Triangle, ne pouvait perdurer. En 1965, Montpellier est en pleine mutation. La ville, promue capitale régionale, sous l’impulsion de son maire François Delmas et de son adjoint à l’urbanisme le géographe François Doumenge, avait étoffé son Plan d’Urbanisme Directeur (PUD) avec le projet Polygone. Inauguré en 1975, ce dernier avait le mérite d’effacer la limite imposée, à deux pas du centre historique, par la faille de la voie ferrée. Les élections municipales de 1977 donnent la majorité aux socialistes ; le député Georges Frêche est élu maire et va le rester jusqu’en 2004. La nouvelle municipalité renforce le projet d’urbanisation des terres situées à l’est. Ricardo Bofill est alors pressenti par le Maire et son adjoint à l’Urbanisme Raymond Dugrand pour conduire le projet Antigone, sur des terrains militaires achetés par la ville à l’est du centre commercial du Polygone.

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 175

Fig. 1

Montpellier (Hérault), le quartier Antigone en cours de construction : la place du Nombre d’Or, l’usine de Villodève, la distillerie coopérative de Montpellier et l’école Paul Painlevé. 29 mars 1985 Claude O’Sughrue © Archives, Région Languedoc-Roussillon

Fig. 2 et fig. 3

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 176

Montpellier (Hérault), construction du quartier Antigone, la Place du Nombre d’Or, 1983 © Région Languedoc-Roussillon, Inventaire Général

3 L’architecte catalan est déjà connu en France pour ses interventions à Cergy Pontoise en 1971, et à Saint‑Quentin‑en‑Yvelines en 1973. Par délibération du conseil municipal de Montpellier, le 22 mai 1979, Ricardo Bofill est engagé comme architecte en chef du programme et lance le concept d’une réalisation méditerranéenne, verte, monumentale, socialiste, avec l’intégration de logements à loyers modérés.

Fig. 4

Montpellier (Hérault), un des immeubles de la place du nombre d’or aujourd’hui M. Kérignard © Région Languedoc-Roussillon, Inventaire général

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 177

Un concours d’architectes « régionaux »

4 De son côté, le lancement du projet de construction de l’Hôtel de Région est facilité par la bonne entente entre l’exécutif régional, dont le Président était Robert Capdeville, et la municipalité de Montpellier. La Commission Spéciale chargée d’étudier un programme de construction de la « Maison régionale » qui se réunit le 28 juin 1984 est d’ailleurs présidée par Raymond Dugrand, adjoint au maire. Parmi plusieurs projets d’implantation, celui de construire sur la rive orientale du Lez finit par emporter les suffrages, parce qu’il répond aux critères principaux de la commission : proximité des axes de communication (routier, ferroviaire et aérien), terrain apte à supporter près de 10.000 m² de plancher avec parkings souterrains au voisinage d’autres administrations. La SERM (Société d’Équipement de la Région Montpelliéraine) se voit confier la tâche de veiller au déroulement du programme depuis l’établissement des avant‑projets jusqu’à la réception des travaux. La méthode de désignation de l’architecte est celle du Concours avec appel de candidatures, lancé à l’ensemble des architectes de la région du Languedoc‑Roussillon. Les candidats peuvent s’associer entre eux ou avec des confrères extérieurs à la région, qu’ils soient de nationalité française ou étrangère. Cette dernière possibilité permet à Ricardo Bofill d’être présent, associé avec Claude Joubert. Le 21 juin 1985, le jury de concours se réunit pour désigner l’équipe de concepteurs devant réaliser l’Hôtel de Région. Sept projets sont présentés. À l’issue d’une pré-sélection, les projets ayant pour mandataires les architectes Tourre, Joubert et Bedeau sont retenus (chaque membre du jury est alors libre de commenter le travail des différents candidats). Le vote à bulletin secret qui suit donne 18 voix au projet Joubert et 6 voix au projet Tourre. Au terme d’une procédure d’appel d’offres restreinte, fin 1985, La Méridionale des Travaux (Montpellier) emporte le marché.

Fig. 5

Montpellier (Hérault), à l’emplacement du futur Hôtel de Région, la distillerie coopérative de Montpellier et l’école Paul Painlevé. 29 mars 1985 Claude O’Sughrue © Archives, Région Languedoc-Roussillon

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 178

Fig. 6 et 7

Montpellier (Hérault), maquette du projet de l’Hôtel de Région (vue depuis l’avenue de la Pompignane et depuis le Lez) M. Kérignard © Région Languedoc-Roussillon, Inventaire général

Un changement de cap et une hausse des coûts

5 En mars 1986 Robert Capdeville, Président sortant, perd la gouvernance de la région au profit de Jacques Blanc, député de Lozère, affilié à la Droite. La future construction, dont les fondations sont presque terminées, et qui va être appelée le Palais ou l’Hôtel quatre étoiles par quelques esprits caustiques, alimente les débats ; certains membres de l’exécutif régional déconseillant vivement la poursuite des travaux, parce que la construction est trop prestigieuse et qu’elle va écraser les ressources de la région pour longtemps. Néanmoins, les engagements pris sont déjà importants et il est décidé courant 1986, de conserver le projet en le révisant à la baisse. L’intention de réduire la hauteur du bâtiment est un temps envisagée puis abandonnée parce que cela aurait nui à l’équilibre architectural de l’ensemble. La réduction des superficies se traduit par la suppression du hall de réception en verre qui devait être accolé à l’immeuble, ainsi que celle des bâtiments annexes - logement de gardien et différentes constructions devant abriter les parties techniques que les concepteurs intégrèrent à l’intérieur de l’édifice. Les économies vont également concerner la décoration, l’ameublement et l’équipement technique. Les ascenseurs choisis sont de moindre puissance que prévu. Cependant, les mesures restrictives introduites, telles la diminution des superficies du parement en marbre ou en parquet en faveur de la moquette, ou le choix d’une climatisation moins sophistiquée pour les espaces de travail, ne vont pas peser lourd face aux nombreux

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 179

changements voulus par les nouvelles instances dirigeantes. Certains de ces changements ne faisaient que pallier les lacunes et imprécisions du projet initial, comme l’admettra la chambre régionale.

Fig. 8

Montpellier (Hérault), projet initial avec projection du hall d’accueil qui sera supprimé

6 En rentrant dans sa phase technique concrète, le coût du projet passe ainsi de 72 millions de francs à près de 145 millions, ce qui fait disparaître toute ambition d’économie. Plusieurs modifications du programme vont s’avérer d’importance : suppression du bâtiment devant l’arche entraînant un espace architecturé (forum) en forme d’hémicycle à aménager ainsi que la construction de deux pavillons, fermeture de l’arche par une double verrière, renforcement de la structure porteuse en rez‑de‑chaussée, transformation du soubassement de l’Hôtel en bordure du Lez, création en sous-sol de trois magasins, d’une salle d’archives, d’une salle de gymnastique ainsi que de locaux et ateliers pour la maintenance, surélévation du 12e étage, installation d’une gestion technique centralisée, création d’un hall d’accueil et d’exposition, et d’une salle de documentation, transformation de la salle des Assemblées pour laquelle l’hémicycle avait été préféré à la configuration initiale d’une salle capitulaire, création d’une salle de régie audio‑visuelle ainsi que d’un studio de visioconférence, etc.

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 180

Fig. 9

Montpellier (Hérault), hémicycle A. Darnaud © Région Languedoc-Roussillon

Contraintes de site et procédés

7 À la suite d’études sur les sols, l’édifice est ancré sur près de 180 pieux de 14 mètres. L’immeuble est réalisé avec une structure de piliers et planchers en béton armé ; l’édifice, qui est construit dans le sol ferme et en partie dans l’eau, possède une partie basse (jusqu’à la cote 14) réalisée comme un bâtiment étanche afin de faire face aux crûes du Lez dont le niveau peut varier de 9,20 à 14 mètres. La construction surplombe la rivière de 50 mètres et occupe une surface hors œuvre de 10.000 m² pour une surface utile de 7.800 m². Des éléments préfabriqués en béton architectonique de teinte ocre habillent les murs. Au nombre de 1050, ils sont composés de 300 pièces différentes qui ont demandé la fabrication de 45 moules de base, ces moules pouvant s’adapter selon les besoins. En mars 1987 les façades porteuses de l’édifice s’élèvent sur quatre niveaux. Trente mois vont être nécessaires pour construire la totalité de l’élévation qui s’est déroulée en trois étapes dont la première, fut la réalisation de la façade intérieure porteuse en béton gris qui est pratiquement terminée à la fin de l’exercice 1987. La deuxième phase consiste en la mise en place pour la façade extérieure des éléments préfabriqués en béton, qui précède la pose de l’isolation en laine de roche et des murs rideaux, fixés à 10 cm des murs porteurs. L’habillage de la façade demande un an aux huit spécialistes qui s’y consacrent. Le procédé de façades légères dont Ricardo Bofill fait usage est apparu une première fois dans les années 1960 pour connaître un regain d’intérêt à partir de la décennie 1980. Pour l’Hôtel de Région, l’architecte se sert principalement de la disposition en semi-rideau, c’est-à-dire insérée entre les parois. En septembre 1988 les façades extérieures ont leur aspect final. L’ouverture de l’arche, exposée à de violents courants d’air, doit être fermée. Non prévues au programme initial, deux verrières de 21 m de haut sur 8 m de large sont posées durant le deuxième trimestre 1989.

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 181

Fig. 10

Montpellier (Hérault), les fondations de l’Hôtel de Région, 16 septembre 1986 © Archives, Région Languedoc-Roussillon

Fig. 11 et fig. 12

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 182

Montpellier (Hérault), la construction de l’Hôtel de Région [s.d.] P. Desmazes © Archives, Région Languedoc-Roussillon

8 Le rez-de-chaussée est destiné à l’accueil, aux expositions ainsi qu’aux services communs. Les services administratifs sont répartis du 1er au 7e étage et les différents organismes le sont du 3e au 6 e. Le conseil régional occupe les 9e, 10e, 11e étage et l’exécutif une partie des 8e et 12 e, le 12e étage étant principalement réservé aux appartements. Le bureau du président de région, entre confort et symbolisme, est situé dans l’axe de la fermeture de l’arche. La qualité fonctionnelle d’un tel immeuble ne dépend pas uniquement de la localisation des différents services mais également de l’agencement spécifique que certains d’entre eux exigent, tels le salon d’exposition des départements régionaux développé partiellement sur deux niveaux, et la salle des assemblées qui a exigé une hauteur sous plafond égale à trois niveaux. Les services, par leur diversité, obtiennent des traitements particuliers que ce soit dans le mobilier de fonction ou l’appareillage mécanique, électrique, informatique et de projection, même si dans les étages dits courants (du 1er au 7e), une homogénéité d’ensemble est recherchée. Les aménagements, la décoration et le mobilier fonctionnel sont le fruit d’une décision établie à partir de présentations témoins concernant les différents lieux : bureaux, circulations, sanitaires. L’exercice de ce choix devient un sujet de discorde entre le maître d’œuvre et le maître d’ouvrage via la commission des offres. Ricardo Bofill veut imposer son choix des matériaux et des designs de décoration intérieure et de mobilier qu’il propose au maître d’ouvrage. En cas de désaccord, il se dit prêt à faire une autre proposition jusqu’à ce qu’un accord intervienne. La position de Jacques Blanc est toute autre. Afin qu’aucune ambiguïté ne s’installe entre eux, il demande à l’architecte d’admettre contrairement aux termes que ce dernier a émis dans son compte-rendu du 11 janvier 1988, qu’il ne saurait être seul à choisir. Couleur de moquettes, revêtement des murs, parquets, faux plafonds, style d’appareils

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 183

sanitaires ou de mobilier, appliques, luminaires vont contribuer à la dégradation de leurs rapports jusqu’à la fin des travaux.

Fig. 13

Montpellier (Hérault), l’Hôtel de Région aujourd’hui M. Kérignard © Région Languedoc-Roussillon, Inventaire général

Une architecture militante

9 Cette porte urbaine est présentée comme ouvrant la ville sur la région et ses départements, à tel point que le projet fut baptisé par ses concepteurs : Porte d’Occitanie. La base porteuse de l’immeuble est habillée de béton architectonique de couleur ocre, la même tonalité que la pierre de certaines carrières régionales. Le corps monumental aux lignes modernes se dresse au-dessus du plan d’eau et de son jet d’eau aménagé à partir du Lez pour renvoyer principalement l’image de sa façade ouest. Le style post-moderne propose une architecture claire à la modénature épurée, avec un rapport dimensionnel privilégiant la verticalité. Parmi les autres Hôtels de Région un tel rapport à la verticalité n’est présent que dans le Nord‑Pas‑de‑Calais où les architectes Luc Delamazure, Gilles Neveux et Jean-Michel Wilmotte ont conçu pour le siège de région, un « signal », beffroi de verre sur 17 niveaux. L’édifice montpelliérain, par la pureté de ses lignes, s’inscrit parmi les plus élégants Hôtels de Région. Sa communication architecturale relève d’un fonctionnalisme expressif par le traitement de volumes et d’éléments distinctifs (baies, colonnes, motifs) desservant ses principales fonctions d’usage comme c’était déjà le cas en architecture classique, que ce soit sur les bâtiments publics ou les constructions de riches particuliers. Notons l’avant-corps sur la façade est, la grande baie de la salle des assemblées (hémicycle) située sur la façade ouest, la multiplication des motifs architectoniques de l’étage (12e) consacré aux appartements, etc. ; intervenant ici comme autant de facteurs communicatifs primaires. La fonction de l’immeuble, en l’absence d’un signe iconique précis est affirmée par sa désignation placée sur le fronton est. Les colonnes d’angle de la façade ouest sont des éléments nouvellement introduits dans l’architecture du quartier avec

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 184

leur élévation tout de verre vêtue, procédé auquel l’architecte a déjà fait appel au théâtre de Marne‑la‑Vallée. De tracé octogonal à ressaut pentagonal, elles accueillent à leur sommet un bow‑window qui n’est pas sans rappeler l’architecture, ici modernisée, épurée, des temples grecs.

Fig. 14

Montpellier (Hérault), la façade est de l’Hôtel de Région aujourd’hui M. Kérignard © Région Languedoc-Roussillon, Inventaire général

Le projet Antigone et sa Porte Sud

10 De facture plus moderne que les autres constructions, le rapport architectural de l’Hôtel avec les immeubles sur le site a été établi par un même vocabulaire néo- méditerranéen : point d’uniformité, mais un langage articulé selon les besoins particuliers des différents bâtiments ou ensembles, ainsi en est-il pour ceux de la place du Nombre d’Or, des Échelles de la Ville ou de la Place du Millénaire, pour lesquels furent utilisés des éléments architectoniques parfois identiques, mais appliqués dans des dimensions propres à chaque bâtiment ou ensemble. Pour l’Hôtel de Région, citons le fronton triangulaire interrompu, régnant sur la grande verrière de l’arche de la façade est, ainsi que les colonnades à sept éléments engagés, établies en rez-de- chaussée, des façades nord et sud. Il est à noter également le type de modénature marquée mais fluide, modernisée, des différents éléments de la corniche qui ne reprend pas la monumentalité et le traitement incurvé, appliqués aux bâtiments de la place du Nombre d’Or. Il est établi sur le modèle des places du Millénaire, de Thessalie et du bâtiment des Échelles de la ville. La disposition des baies filantes qui dominent le dernier étage des façades nord et sud s’avère pareillement récurrente. L’Hôtel de

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 185

Région, par sa position stratégique est le véritable point d’appel réel et symbolique du développement du quartier. Il est l’aboutissement de l’axe majeur qui prend naissance au pied du bâtiment des Échelles de la Ville et aboutit aux rives du Lez. Rappelons que cette perspective majestueuse a été réalisée en deuxième intention avec le percement axial de la place du Nombre d’Or, exigeant la démolition de quelques appartements nouvellement construits. L’ensemble constitue l’un des plus intéressants projets d’urbanisme contemporain post moderne.

Fig. 15

Montpellier (Hérault), corniche érigée en porte à faux (place du nombre d’Or) M. Kérignard © Région Languedoc-Roussillon, Inventaire général

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 186

Fig. 16

Montpellier (Hérault), le fronton triangulaire interrompu (Les échelles de la ville) M. Kérignard © Région Languedoc-Roussillon, Inventaire général

Fig. 17

Montpellier (Hérault), la place de Thessalie avec pour toile de fonds la maison des syndicats M. Kérignard © Région Languedoc-Roussillon, Inventaire général.

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 187

Fig. 18

Montpellier (Hérault), hémicycle de la place de l’Europe M. Kérignard © Région Languedoc-Roussillon, Inventaire général.

Fig. 19

Montpellier (Hérault), vue générale de l’Hôtel de Région M. Kérignard © Région Languedoc-Roussillon, Inventaire général

Patrimoines du Sud, 3 | 2016 188

NOTES

1. Cette étude est le départ d'un travail beaucoup plus important qui porte sur tout le quartier d'Antigone et l'évolution de l'urbanisme à Montpellier dans les dernières décennies du XXe siècle. 2. Basse-Normandie (Abbaye aux Dames à Caen) ; Bretagne ( Hôtel de Courcy à Rennes) ; Champagne-Ardenne (Grand Séminaire à Châlons-en-Champagne) ; Corse (Ancien Grand Hôtel Continental à Ajaccio) ; Franche-Comté (Hôtel de Grammont à Besançon) ; Haute-Normandie (Caserne Jeanne d’Arc à Rouen). 3. Christian de Portzamparc (Rhône-Alpes, Lyon) ; Christian Langlois (Limousin, Limoges et Val- de-Loire, Orléans) ; Jean-Pierre Estrampes (Midi-Pyrénées, Toulouse) ; Luc Delamazure (Nord-Pas- de-Calais, Lille) ; Bruno Mader et l’Atelier 4 (Auvergne, Clermont-Ferrand) ; Philippe Chaix et Paul Morel (Alsace, ) ; Claude Parent (PACA, Marseille) ; Francisque Perrier (Aquitaine, Bordeaux).

RÉSUMÉS

Le déroulement et achèvement du projet de construction de l’Hôtel de Région en Languedoc- Roussillon, à Montpellier, œuvre de l’architecte catalan Ricardo Bofill.

The process and completion of the Languedoc-Roussillon Hôtel de Région (Regional Council Headquarters) construction project in Montpellier, designed by the Catalan architect Ricardo Bofill.

INDEX

Index géographique : Hérault, Montpellier Keywords : architecture, Bofill Ricardo, hôtel de Région, 20th century Mots-clés : architecture, Bofill Ricardo, hôtel de Région, XXe siècle

AUTEUR

DOMINIQUE GANIBENC Docteur en Histoire de l’Art ATER, Université Montpellier III

Patrimoines du Sud, 3 | 2016