et LA pendant la 2de GUERRE MONDIALE

André P I O G E R

LE MANS et LA SARTHE pendant la 2de GUERRE MONDIALE I

De la « drôle » de guerre à l'Occupation Bombardements - L'Occupant - Camps Guerre des tracts - Relève - S.T.O. LA RÉSISTANCE et ses réseaux Parachutages et Maquis

Extraits de la Revue " LA PROVINCE DU MAINE " 26, rue des Chanoines, 72000 Le Mans 19 7 6

INTRODUCTION

Aux jours où la France malheureuse connaissait l'invasion, il se trouva, pour ne pas désespérer d'elle, des âmes généreuses, parfois servies par les circonstances, mais sollicitées surtout par leur belle force de caractère et leur grand amour de la Patrie. Ces âmes bien forgées dirent « non » à la soumission, « oui » à la France et souvent à la mort. Unies par un même idéal elles constituèrent, au cours des années 40 à 44, ce que l'« Histoire » continuera de connaître sous le beau nom de « RÉSISTANCE ». C'est l'odyssée de ces êtres de choix, que M. Pioger, correspondant officiel, pour la Sarthe, du Comité d'Histoire de la Seconde Guerre mondiale, s'est surtout proposé de retracer dans les pages qui vont suivre. Il se documenta à des sources diverses ; citons notamment : Archives de l'Armée allemande, dossiers constitués au fil des jours de la guerre par les services préfectoraux, documents d'origine anglaise, contacts directs auprès d'authentiques Résistants, Archives du Comité d'Histoire. Quoique paraissant à titre posthume, nous ne doutons pas que cette œuvre puisse intéresser encore ceux qui participèrent à cet extraordinaire mouvement, ceux qui en furent les témoins attristés, et aussi les générations de Jeunes, lesquelles pourront en tirer de magni- fiques leçons. Dans la Sarthe d'août 1939 à juin 1940

D'après le « Journal » du Docteur Paul DELAUNAY, alors président de la Société d'Agriculture, Sciences et Arts de la Sarthe, Président de la Société d'Histoire de la Méde- cine, médecin chef de l'hôpital du Mans, qui habitait, 36, rue Chanzy, au Mans. Ce « journal », inédit, m'a été confié par sa fille, Made- moiselle Suzanne Delaunay, le 8 novembre 1959. André PIOGER.

C'est le 23 août 1939 qu'une atmosphère de guerre com- mence à s'installer dans la Sarthe. Les permissionnaires sont rappelés. Certains officiers de réserve rejoignent les postes qui leur sont affectés en cas de mobilisation. Les gares sont gardées et on barbouille en bleu les vitres de leurs fenêtres et les ampoules électriques de leurs quais. Les gendarmes, affairés, portent des ordres de mobilisation 1 et les rappelés rejoignent les casernes, valise à la main. La réquisition des voitures est commencée et, le 26 août, les quinconces des Jacobins présentent l'aspect d'un immense parc automobile. Le 28 août, les préparatifs précédant une mobilisation générale s'accentuent : rappels plus nombreux de réservis- 1. Sont alors rappelés les I.S.D. (Immédiatement et Sans Délai). tes, réquisition « de chevaux de labour qui traînent leurs pas lourds dans les rues de la ville ». Des queues s'étalent devant les bureaux de la Caisse d'Epargne. « On sable les greniers, bouche les soupiraux des caves ; on pose, sur les portes des maisons, pourvues de caves voûtées, de grandes étiquettes portant le mot « abri ». Le 30 août, les G.V.C. (gardes-voies et communications), en bourgeron, montent la garde, sur les ponts et aux pas- sages à niveau. Des chars d'assaut, rassemblés le 31 août aux Jacobins, quittent Le Mans. Le vendredi 1 septembre, vers 15 h 30, le tambour des pompiers, transporté en auto à travers la ville, annonce la mobilisation générale pour minuit et, à 16 h 45, le tocsin sonne à la cathédrale et à l'église de la Couture. Le samedi 2, défilé de Parisiens, masque en bandoulière, en route vers la Bretagne, tohu bohu invraisemblable dans les rues. Le 4, à 11 h, première alerte aérienne, miaulements lugubres des sirènes : on dira qu'il s'est agi d'un essai, mais on dira aussi que des avions ennemis ont survolé Char- tres. Le soir, Le Mans est plongé dans le noir total. Nouvelle alerte le 6 septembre, à 2 h 20. Ce jour-là, l'Etat-Major anglais s'installe au Mans, avec le duc de Glou- cester2 et le vicomte Gort. Un peu partout, on creuse des tranchées-abris, et on colle des bandes de papier gommé sur les vitres. On commence à déposer les vitraux anciens de la cathédrale, et « le chœur perd son mystère coloré ». Le vent et le soleil entrent par les baies dépouillées. Par terre, des gravats et des caisses d'emballage. 20 septembre. Les Anglais s'installent dans le départe- ment et le ministre britannique, Hore Belisha, leur fait une courte visite. L'hôpital du Mans est encombré par le matériel de l'hôpital Bichat évacué.

2. Le duc de Gloucester sera reçu par le Préfet le 15 avril 1940. Fin septembre, la Sarthe devient de plus en plus anglaise. La circulation est réglée partout par des policemen à man- chettes blanches. Les Anglais font bon ménage avec les habi- tants. A Rouessé-Vassé bourgade de onze cents habi- tants, les épiciers trouvent en eux des clients empressés ; le cordonnier est sur les dents. Les vieux, qui ont fait la der- nière guerre, les haranguent en patois et leur offrent à boire et à manger. Le curé héberge le pasteur anglican et le méde- cin, et confesse les Britanniques catholiques avec la liste des péchés traduite par le cordonnier sur un vieux parois- sien. Les négociants manceaux peignent des drapeaux franco- anglais sur leurs vitrines. Le 23 octobre, vers 10 heures, alerte aérienne. Le 7 novembre, vers 21 heures 30, nouvelle alerte, mais la caserne Cavaignac reste illuminée ; le 11, alerte à 5 heures et demie ; le 13, à 5 heures et à 13 heures ; le 23, à 1 heure du matin et à midi ; le 3 décembre, à 10 heures 15. En janvier, on voit se promener, au Mans, des Hindous enturbannés. On s'installe peu à peu dans la drôle de guerre. Et par le dimanche ensoleillé du 10 mars, « des troupiers, sur le trottoir, promènent leur payse ». Aux Jacobins, parmi les camions anglais, quelques baraques foraines attirent soldats français et britanniques ; des enfants tournent sur les manèges ; un tir offre à ses clients les têtes d'Hitler et de Gœring. « Les gens ont repris leurs petites exi- gences, leurs petites habitudes ». On voit réapparaître les voyageurs en produits pharmaceutiques. « Sans les Anglais, on dirait que Le Mans est une ville de garnison en temps habituel ». Le 10 avril, la vraie guerre commence avec l'invasion de la Norvège. En grand nombre, les Anglais quittent Le Mans. « A Rouessé, le 11, une mitrailleuse est perchée sur le haut de l'ancien four à chaux et braquée contre des avions hypothétiques ». 3. Le Dr Delaunay avait une maison de famille à Rouessé-Vassé. Le 13 avril, à 22 h 45, alerte. Alertes encore le 10 mai, à 5 h 30 et à 23 h 30 ; le 11, à 7 heures, 11 h 30, 15 h 30 ; le 12, jour de la Pentecôte et des premières communions, à 9 h 30, 11 h 10, 11 h 45, 12 h, 12 h 30, 13 h 30, 18 h; le 13, à 5 h 30, 7 h 30 ; le 14, à 15 h 30. Le 13 mai, les premiers fuyards font leur apparition. Puis des autos, des camions, chargés de réfugiés belges et ardennais. passent et les blessés civils affluent à l'hôpi- tal. Le 18 mai, l'exode s'amplifie. De nombreux réfugiés, amenés par des trains bondés, attendent — on se demande quoi — sur les bancs de la cour de la gare. Des autos militaires belges commencent à passer. Les 20, 21, 22, c'est un défilé ininterrompu de voitures « blindées de matelas sur le toit, vaguement camouflées de branchages », de camions chargés de marmaille, de femmes allongées, de soldats, de voitures d'enfant, de bicyclettes aussi. Le général Étienne, commandant la 4 région, fait afficher sur les murs « une- proclamation magnifique, invitant les Allemands à se rendre bénévolement au camp de concentration de Funay ». On crée, dans les villages, des gardes contre les para- chutistes. « Quatre ou cinq bonshommes de Rouessé, entre deux parties de manille et deux stations chez le débitant, se promènent sur la place de l'église avec un bâton ou un vieux fusil ». Le 25 mai, apparition dans la ville « de charrettes de foin de la Somme traînées par des chevaux fatigués et chargées de marmots blonds ébouriffés. Derrière, dans une carriole, sur des sacs, le curé et le garde-champêtre avec son képi. La torpeur confiante où, derrière la ligne Maginot, demeuraient pouvoir civil et militaire, est cruel- lement secouée ». La chapelle de la Visitation, place de la République, est jonchée de paillasses pour les réfugiés. L'exode se présente de la façon suivante : 1 flot, autos ; 2 flot, camionnettes ; 3 flot, voitures à foin traî- nées par des tracteurs et des chevaux ; 4e flot, cyclistes ; 5 flot, piétons à valises, harassés. Les « misères de la guerre », par Callot ! Mais au lieu d'être pendus par les reîtres, les gens sont bombardés, mitraillés par les avions » 4. Le 3 juin, alerte. Les paysans des Maisons Rouges, route de Laval, auraient tué, à coups de fourche, un parachutiste allemand de 19 ans. Dans la nuit du 6 au 7, vers une heure du matin, des bombes éclatent dans les bois de Marshain, à Allonnes, sans que les sirènes aient fonctionné ; vitres cassées. On entend souvent le bourdonnement des avions au-dessus de la ville. Le 8, à minuit et à 6 heures 30, la D.C.A. tire. Le 9 juin, ce sont les fuyards parisiens et normands qui encombrent les routes. Les Anglais se préparent à déguerpir. On construit des barricades de voitures, de caisses de terre aux entrées de la ville. Le 13 juin, les « Manceaux sont promus au rang de réfugiés ». On emballe — dit-on — les machines des usi- nes Renault et de Gnome et Rhône. « La situation est affreuse. L'exode terrible continue. La ville fourmille de gens chargés de valises, de paquets, certains emportent une tourterelle, d'autres un chat. Une vache piétine à la queue d'une charrette rustique ». Le 14 juin, des agglomérations sarthoises sont bombar- dées ; Mamers à plusieurs reprises, à partir de 9 h 30, cent soixante bombes démolissent l'Ecole Primaire supé- rieure de garçons, des maisons, tuent une religieuse de la Passion et font de nombreux blessés ; heureusement beaucoup de maisons sont vides. Bombes sur Bonné- table, Saint-Georges-du-Rosay, La Flèche, où des avions italiens tuent des soldats, blessent un civil et causent des dommages au Rond Point de la Boierie, avenue de la

4. Le département reçoit 7 937 réfugiés, dont 7 793 Belges. 300 blessés sont hospitalisés : 50 à La Ferté ; 50 à Connerré ; 200 au Mans (16 mai 1940). Allemands.4 bis. (V. Rectification p. 11). La Flèche fut bombardée le 17 par les Gare et à la Mégerie. L'auberge du Pavé de Torcé, sur la route de Bonnétable, est mitraillée ; une femme et un enfant sont blessés. Les abords de la forêt de Per- seigne reçoivent quelques bombes et quatre torpilles tombent près du Sanatorium de Parigné-l'Evêque. Au Mans, les sirènes ont hurlé à 13 h 15, 18 h et 19 h et la D.C.A. a tiré. Le 15, elles se font entendre à 17 h 30, mais c'est La Ferté-Bernard qui, à 19 h 30, est bombardée. Dans la rue Gambetta, on dénombre des morts et des blessés. Les morts, sans cercueil, sont mis en terre en présence du Maire seul. Le 16, on s'attend à un bombardement du Mans, le traî- tre de Stuttgart l'ayant annoncé « en souvenir du circuit de la Sarthe », a-t-il dit ; mais c'est à Saint-Calais que, vers 5 h 30, une maison est démolie et une autre souf- flée, et à Vibraye que, vers 6 heures, une femme est tuée et des maisons touchées. Les Anglais sont partis5. Le Mans paraît vide, bien que des fuyards passent encore. L'exode continue pour ceux qui vivent à l'ombre de la mort. Le désarroi administratif est à son comble. Des soldats débandés, sans chefs, traînent par les rues. Le 17 juin, Bouloire est bombardé ainsi que Sablé. Les braves généraux commandant la Défense pas- sive, les pompiers, reçoivent l'ordre d'évacuer, puis, au dernier moment, le contre-ordre. Sur les routes, les foules affamées, mitraillées, se ruent, se battent, pillent. La police est inexistante. C'est l'anarchie spontanée de Taine, la carence administrative est complète. Des militaires volent. Vers 13 heures, le bruit d'une suspension des hostilités se répand, et des partants retardataires font demi-tour. A l'hôpital, la Commission administrative est invisible. La gare est vide, à l'abandon. Les barricades ne sont plus gardées. Les généraux responsables se sont repliés sans 5. Ils ont même abandonné une douzaine de pièces anti-chars au château de la Groirie à Trangé (note Avignon). donner d'ordre. Repliées aussi les pompes funèbres et qua- rante cadavres faisandés attendent à la morgue de l'hôpi- tal. Tous les hôpitaux militaires sont évacués. Cependant, des pêcheurs incorrigibles tendent leurs lignes au Pont Gambetta et au Pont en X. Les soldats du 117 R.I. pren- nent le chemin de Libourne. Les officiers sont accompa- gnés de leur famille. La nuit du 17 au 18 juin est très bruyante. Les autos pétaradent, des tanks se replient. Vers 8 h 30, on entend des bruits de bombes dans le lointain. La ville est jonchée d'autos et de charrettes à l'abandon, de débris de verres cassés, de vieilles chaussures, de paquets perdus. Plus de voirie. Les magasins sont clos ; pas de ravitaillement. A la prison, on a replié les gardiens en oubliant les trois cents détenus. Heureusement, des gardes mobiles sont revenus et les ont embarqués 6 On pille à la gare de triage, et, paraît-il, dans les bureaux de postes ruraux L'Enre- gistrement a laissé tout son papier timbré, des millions Le camp anglais de Mulsanne, regorgeant de matériel, est pillé. L'arsenal, avec ses cartouches, ses armes, laissé ouvert aux rôdeurs, est fermé après coup, par un Commissaire de police. Les ambulances ont abandonné leurs approvi- sionnements. Le 18, place de la Croix-d'Or, apparaissent vers 13 heu- res, les premiers détachements motorisés allemands qui parcourent la ville en tous sens : ce sont des jeunes flo- rissants, bien équipés. A 15 heures, ils ont déjà posté des sentinelles à chaque bout des ponts, aux issues de la ville et à la barricade de la route de Laval. Ils entrent dans les cafés, ne disent rien aux curieux qui les entou- rent. A leur arrivée à la Préfecture, les Allemands font des-

6. En réalité il y a 251 détenus qui sont chargés le 15 juin dans six wagons. 7. Des pillards sont signalés à Mamers le 15 juin. Des soldats débandés rôdent autour des usines Renault. 8. L'Inspecteur d'Académie est parti. Papiers, journaux, téléphones brisés jonchent le plancher des bureaux (note Avignon). cendre le Préfet, mais « montent jusqu'à M. Caillaux », alors à son bureau de Président du Conseil général. Le maire, Henri Lefeuvre, est sommé de monter dans une voiture allemande qui le conduit à travers la ville pour faire cesser toute résistance s'il y a lieu. En réalité, aucune résistance organisée ne s'est manifestée de la part de l'armée française. Seul un char attardé a tiré vers 5 heu- res du matin, sur des avant-gardes ennemies qui progres- saient route de Sablé. Les chars allemands ont riposté et ont abattu le clocher à Saint-Georges-du-Bois. Un léger engagement aurait eu lieu à Noyen. Les casernes sont restées pleines d'un tas de choses utilisables. Les Français et les ouvriers italiens des usi- nes de la périphérie ont pillé les trains destinés à la station magasin, au triage du Maroc, notamment quatre tonnes d'alcool solidifié. La ville, qui était très sale et jonchée de détritus le 18, est très propre le 19 ; la police allemande y a pourvu. Le 19, l'ennemi débouche maintenant des routes de Paris, de Bonnétable, d'Alençon. C'est un défilé incessant de convois d'artillerie, de fourgons, de motocyclistes qui prennent la route de Laval. Et pourtant, une partie de l'armée allemande converge de La Ferté-Bernard vers Saint- Calais pour gagner rapidement la vallée de la . Des bicyclettes sont réquisitionnées. La Kommandantur donne l'ordre de déposer les armes à feu à la mairie. Un employé maladroit trouve le moyen de loger une balle de revol- ver dans la fesse d'un feldwebel pendant le contrôle des revolvers et provoque un bel émoi chez le Maire et les adjoints La Kommandantur défend aux civils de sortir après huit heures du soir et fait rouvrir d'autorité les magasins. « Pas de journaux, pas de nouvelles, car la radio est indéchiffrable ».

9. Témoignage de l'adjoint au Maire A. Oyon, mort en déportation. Il m'a conté le fait au cours d'une réunion d'officiers de l'Armée Secrète en 1943. Le matin du 20 juin, la ville est calme. Les Allemands se promènent comme chez eux, fusil en bandoulière. A 13 heures, la circulation reprend ; l'ennemi file en autocars vers Tours et Bordeaux. Les Allemands pillent des mai- sons vides de leurs habitants, avenue Léon-Bollée, et en déménagent les meubles. Le désastre est total, c'est un effondrement sans précédent dans notre histoire. L'inva- sion ! Vers 18 h 30, place des Jacobins, des camions à hauts parleurs beuglent des refrains bruyants, pendant que le défilé des véhicules continue. Le 21, la ville paraît plus vide encore. Les barricades ont été enlevées et beaucoup d'Allemands sont partis, la fleur au canon du fusil. Des affiches de la Kommandantur font appel à la discipline, menacent de la peine de mort les pillards et les détenteurs d'armes, fixent à 20 f. le taux de change du mark, etc... Les Allemands s'installent dans les maisons vides de la rue Chanzy ; après en avoir forcé les portes. Jusqu'à une heure avancée de la nuit, ils chantent et font de la musique. Ils apportent des matelas des maisons voisines qu'ils ont pillées 10 Les prisonniers français sont amenés à pleins camions dans les casernes. Le 22 juin, une ambulance allemande occupe un pavil- lon de l'hôpital. Les convois ennemis traversent tou- jours la ville que des avions survolent. Pas de nouvelles officielles depuis cinq jours : on ne sait rien de ce qui se passe. Ordre est donné de mettre les horloges à l'heure allemande. Le dimanche 23 juin, des camions s'installent sur les pelouses du magnifique jardin de Tessé. « Des soldats de la Grèce J'ai vu les coursiers vagabonds Dans nos jardins pompeux errer sur les gazons Parmi ces demi-dieux qu'enfante le génie 10. Des soldats allemands pillent le château de Chardonneux, près de Saint-Ouen-en-Belin, le 18 juin 1940. J'ai vu des bataillons, des tentes et des chars Et l'appareil d'un camp dans le temple des Arts ». C. Delavigne (Les Messéniennes, I). On dit que l'Armistice est signé et déjà c'est le retour en sens inverse, des réfugiés à baluchons, des piétons lamentables et des cyclistes. Certaines maisons vides ont été forcées par les Allemands et pillées. Des réfugiés de Char- leroi regagnent leur pays en corbillard automobile. Sur une motocyclette, sont juchés deux hommes et une femme qui porte, sur ses épaules, son chien jaune. Les apophtegmes non vérifiés reviennent à l'esprit : « Le temps travaille pour les Alliés ». « Qui a la maîtrise de la mer est vainqueur ». « L'Allemagne, à bout de souffle, meurt de faim, manque d'essence, de caoutchouc ». Des troupeaux de prisonniers déferlent sur l'avenue de Pontlieue. Dans la nuit du 24 au 25, ce ne sont que « bruits scan- dés de bottes ». Dans la journée, les Allemands se rassem- blent aux carrefours pour écouter les harangues. Ils repar- tent ensuite en chantant et fêtent l'armistice. Les drapeaux à croix gammée flottent sur les bâtiments occupés. De longues files bottées et rigides parcourent les rues. La guerre est terminée pour un temps, l'occupation com- mence 11

11. 35 soldats allemands furent tués — surtout entre La Ferté-Ber- nard et Connerré — ou moururent de leurs blessures dans la Sarthe (3 septembre 1940). La résistance française y fut donc alors presque inexistante. Les bombardements du Mans (1940-41) et (1943-44)

En période d'hostilités, Le Mans, grand carrefour de routes et de voies ferrées et qui possède des usines tra- vaillant pour la Défense Nationale, est un objectif de première importance pour les avions ennemis.

— 1940-41 — Pourtant, en 1940, si certaines agglomérations sarthoises, peu nombreuses d'ailleurs (Bonnétable, Mamers, La Ferté- Bernard, Saint-Calais, La Flèche furent plus ou moins sérieusement bombardées, lors de l'avance des troupes alle- mandes vers la Bretagne et le Val de Loire, par contre Le Mans, qui connut pas mal d'alertes, n'eut à subir aucune attaque aérienne. Après l'occupation totale du département, de rares avions anglais survolent la région à différentes reprises. Des bombes tombent un peu au hasard (bombes anglaises ou bombes larguées par des appareils allemands en dif- ficulté) autour du château de Malicorne (2 juillet), à

1. M. R. Besnard, de La Flèche, nous signale que le bombardement de La Flèche n'a pas eu lieu le 14 juin 1940, mais le 17 et qu'il a fait cinq morts dont trois soldats. Les avions qui ont effectué ce bombar- dement étaient allemands, et non italiens. (Cf. Dans la Sarthe d'août 1939 à juin 1940. Province du Maine, 1971, T. 73, p. 304) (p. 5 supra). Yzeuville (Le Mans) où l'école de filles et quelques mai- sons qui l'avoisinent sont légèrement touchées (29 juin), à Tennie (dans un champ des Panlouères, dans la nuit du 21 au 22 décembre 1940), aux environs de Bessé-sur- Braye, en janvier 1941. En prévision d'attaques aériennes, qui paraissent de plus en plus probables à mesure que le temps passe, les organisations de défense passive, dirigées par d'ex- militaires d'activé, font l'inventaire des caves suscepti- bles de servir d'abris ; des refuges bétonnés et des tran- chées sont établis sur certaines places, auprès des objectifs militaires, près des écoles, et l'alerte est donnée par des sirènes dispersées dans tous les quartiers. Ces sirènes hurlent tant de fois pour rien qu'on ne croit plus guère à un bombardement de la ville et les habitants ensom- meillés ne se rendent pas aux abris. Les Allemands, nombreux — (en décembre 1940, 6 000 hommes de troupe, appartenant à soixante unités diffé- rentes, logent dans les casernes, dans certaines écoles et dans des maisons réquisitionnées) — ont établi quel- ques postes de D.C.A. ici et là.

— 1943 — Ce n'est que le 4 mars 1943, à 18 h 38, que Le Mans connaît son premier bombardement. Cinq avions venant du Sud-Est, de la direction d'Allonnes, survolent la gare de triage dite « du « Maroc », et la bombardent sans que l'alerte ait été donnée. Cette gare, une des plus impor- tantes de France, est un objectif valable. Dans le dépôt des machines, on relève douze points de chute, mais deux bombes n'ont pas éclaté ; deux cheminots sont tués. Le toboggan qui permet le triage rapide des wagons est inutilisable : une bombe n'y a pas éclaté et un employé y a été tué. La rotonde qui abrite les locomotives a subi des dégâts : des machines sont ensevelies sous les décom- bres. Dans l'atelier, une bombe n'a pas explosé, mais un homme a été tué ; un transformateur est rendu inuti- lisable et un incendie s'est déclaré. On compte égale- ment un tué dans le magasin général où une bombe n'a pas éclaté. Au petit entretien, on déplore un tué et des dégâts matériels. Les bombes ont aussi touché les ate- liers voisins et les voies, tuant trois employés. L'instal- lation de la gare est détruite, les voies sont arrachées ; les plaques tournantes doivent être manœuvrées à bras. On ne peut plus travailler dans les ateliers. Les pertes tota- les sont de douze tués et de vingt-trois blessés. Ce bom- bardement qu'on ne croyait pas possible, malgré les aver- tissements continuels diffusés par la B.B.C., et les tracts lancés par avion, plonge dans la stupeur la ville qui en verra bien d'autres, hélas !

Le 9 mars, à 19 heures, les Usines Renault sont visées. Cinq ou six avions lancent soixante-treize bombes. Trente tonnes d'huile et un stock de caoutchouc sont incendiés. Sont détruits les bâtiments F et P et les chaînes de fabri- cation des maillons pour engins motorisés. La fonderie et la scierie sont touchées. Mais cette fois des bombes sont tombées en dehors de l'objectif : six maisons de la rue du Polygone sont en ruines ; dix-huit sont très endommagées : six, rue du Polygone ; dix, rue Roger-Salen- gro ; une, rue des Narcisses ; une, rue des Coquelicots. Six personnes sont tuées et quatre légèrement blessées. La présence de bombes à retardement rend tout travail impossible ; l'une d'elles explose le 18 mars dans un dépôt de fûts et détruit un bâtiment d'une utilité secondaire.

Dernier bombardement de l'année 1943, le 29 juin, à 20 h 15. Trois formations, de chacune vingt-et-une forte- resses volantes, laissent tomber, d'environ cinq mille mètres d'altitude, plus de quatre cents bombes un peu au hasard. Deux cents s'éparpillent dans les environs de l'usine Gnome-et-Rhône, route d', et au Nord d'Arnage, cinquante sur le territoire des communes d'Allon- nes et de Spay, cinquante aux environs de Fillé et de Moncé- en-Belin, six au château des Arches, à Yvré-l'Evêque, quatre- vingts dans les bois de pins bordant le camp d'Auvours et onze près de Chemiré-le-Gaudin. Heureusement, beaucoup de projectiles ont explosé dans les champs et les terrains vagues et 27 bombes n'ont pas éclaté ! On compte pourtant six tués, vingt blessés ; quatre maisons sont détruites. Ce bombardement en tapis a fait peu de dégâts : la voie ferrée Le Mans - Tours est coupée en deux endroits ; les lignes téléphoniques sont arrachées ; les lignes à haute tension éga- lement. La 23 Paris - et quelques chemins vicinaux ont subi des dommages vite réparés. La dispersion des bombes montre aux habitants du Mans et des environs qu'ils doivent, dans leur intérêt, se rendre aux abris quand les sirènes les alertent.

— 1944 — C'est surtout en 1944, à partir du printemps, que des bombardements vont se succéder sur Le Mans. Le 7 mars, de 21 h 10 à 22 h, une centaine d'avions lancent deux mille bombes de 250 à 500 kg. Trois cents tombent sur la gare de triage et le boulevard J.-J.-Rousseau tout proche, mais trente sur l'avenue Léon-Bollée, la rue de la Mariette et la rue Sainte-Hélène situées loin de tout objectif mili- taire ; les autres se dispersent sur la Croix-Georgette, Allonnes, Spay, Guécélard, La Suze où elles creusent des entonnoirs dans les prés et les champs. Quarante pro- jectiles n'éclatent pas. A la gare de triage, le plateau de débranchement, le plateau géographique sont inutilisables pour plusieurs semaines. Deux cent cinquante wagons sont détruits, trois wagons d'essence et des wagons de paille et de fourrage brûlent. Le parc des traverses est incen- dié. Une plaque tournante est endommagée, ainsi que dix locomotives. La cantine n'existe plus. La voie ferrée se dirigeant vers Tours est coupée en deux endroits. Avenue Léon-Bollée, l'école publique de filles René-Des- cartes est très touchée, le Séminaire, occupé par les Allemands, est atteint. On compte trente-et-un morts dont neuf femmes et sept enfants ; quarante-cinq blessés sont hos- pitalisés ; cent vingt immeubles sont détruits. Les Alle- mands réquisitionnent trois cents hommes pour le déblaie- ment.

Le 8, de 21 h 15 à 22 h 15, des avions essaient d'attein- dre la sous-station électrique d'Arnage qui alimente toutes les usines du Mans. Douze bombes rasent six maisons, en endommagent quinze, tuent une personne, en blessent deux. La ligne de 30 000 volts Arnage - Rai Aube 1 bis et les deux lignes de 30 000 volts Arnage - Le Mans sont coupées pour un temps. Les communications téléphoniques avec de nombreux centres sont interrompues ; avec Paris, elles sont rendues difficiles. Des inscriptions à la peinture appa- raissent sur les murs de la ville : « Libérateurs : tueurs », « Ils sèment la mort », « Avec Darnand contre les assas- sins », « Ils sont venus ! », « L'Angleterre sera détruite ! ».

Le 14 mars, de minuit 5 à 1 h 15, trois à quatre cents avions lancent sur la gare de triage deux mille cinq cents bombes de deux cent cinquante à mille kg. Cent n'explo- sent pas immédiatement, mais certaines sont à retarde-

1 bis. Rai Aube est une station électrique très importante de l'Orne. Les Francs-Tireurs et Partisans de l'Orne en janvier 1944 avaient reçu del'ordre cette de station. l'Interrégional, de couper les lignes à haute tension partant ment. La zone bombardée déborde sur les Usines Renault, le quartier du Maroc et la Cité des Pins. Cinq cents immeu- bles sont détruits, autant sont endommagés. On compte 48 tués, 57 blessés. Dans la gare du Maroc, les dégâts sont énormes. Les bâtiments sont détruits ; les voies, les aiguillages inuti- lisables ; quinze locomotives et environ huit cents wagons sont hors d'usage. Les voies Le Mans - Tours sont cou- pées entre le poste 7 et Arnage. Aux Usines Renault, trois cents bombes (dont un cer- tain nombre étaient incendiaires) ont anéanti le bâtiment Caproni consacré à l'entretien et à la forge, les bâtiments F, G, H, I d'où sortent les tracteurs, les bâtiments C et J où sont usinées de nombreuses pièces, la cantine et le mess des chefs de service, le poste de transformation électri- que. Le bâtiment A où l'on monte les chenilles des tanks est très endommagé, ainsi que la Centrale électrique et la menuiserie. La voie de raccordement est coupée sur quinze mètres. Le parc de bois de travail a beaucoup souffert. A la Cité des Pins, huit cent cinquante familles sont sinistrées. Sur trois cent quarante pavillons qui y ont été construits, la moitié sont endommagés, dix-sept sont rasés, quatre-vingts irréparables ; neuf collectifs ont été sérieusement atteints. Cité Dautry, route de Tours, rue du Circuit, rue de Ruaudin, rue Ernest-Renan, rue de la Fromendière, rue Denis-Papin, habitées par des cheminots et des ouvriers, cinquante immeubles sont par terre, cent sont inhabitables. L'église de la Sainte-Famille (Maroc) est détruite, l'église Sainte-Thérèse (Cité des Pins) gra- vement touchée. La « Kriegsmarine » est incendiée, les bâtiments de l'A.V.L. 2 et de l'ancienne Cartoucherie sont détruits. A l'usine Junkers, les ateliers de tôlerie et de montage, ainsi que la chaufferie et la cantine, ont été sérieusement touchés.

2. Intendance allemande, chargée surtout de la fabrication du pain et des biscuits de guerre. Deux avions ont été abattus, l'un chemin de Laigné, l'autre route de Tours. Les Allemands, débordés, procè- dent à la réquisition de nombreux hommes du Mans pour effectuer la remise en état de la gare et des usines 3 Trente-et-une bombes non éclatées sont détruites ou enle- vées ; 18 dont l'extraction est trop difficile restent enter- rées.

Le 2 mai, de 12 h 10 à 12 h 15, nouvelle incursion des avions sur la gare de triage. Vingt-quatre bombardiers piquent sur leur objectif et lâchent trente bombes à deux cents mètres d'altitude ; ils font deux tués et qua- torze blessés. La cantine S.N.C.F. est détruite. Un atelier de l'A.V.L. est incendié ; la voie alimentant la butte de triage, et la voie de contournement de cette butte sont coupées. Une bombe a bloqué la tranchée d'accès du dépôt, interdisant l'entrée et la sortie des machines. Toute circu- lation ferroviaire est impossible entre les postes C et E. Quelques bombes sont tombées sur la tête du faisceau de départ des voies vers le poste 8 et sur plusieurs autres voies de la gare.

Le 7 mai, à 19 h 35, ce sont les usines Junkers, instal- lées rue du Polygone, et l'ancienne Cartoucherie que cin- 3. Je me souviens parfaitement de ce bombardement. Les sirènes donnèrent l'alerte vers minuit. Je pressai les membres de ma famille pour qu'ils se rendissent rapidement aux abris construits rue des Tilleuls. Le ciel était embrasé par des milliers de fusées éclairantes ; un ronronnement intense et inquiétant se faisait entendre au-dessus de nos têtes. Nous avions à peine pénétré dans l'abri que les pre- mières bombes éclataient. Déjà de nombreuses personnes du quartier se pressaient dans la tranchée bétonnée. Les unes priaient à haute voix, les autres hurlaient quand une déflagration un peu plus vio- lente secouait le sol. Dans la nuit totale, c'était hallucinant. De l'entrée de l'abri, on apercevait dans la direction du Sud, les lueurs d'incendies énormes, les trajectoires lumineuses, des obus traçants de la Flack, quadrillaient le ciel. quante-cinq bombardiers opérant en deux vagues, d'une altitude de dix-huit cents mètres, écrasent. Ils emploient de grosses bombes. Cent maisons sont détruites, boulevard J.-J. Rousseau, rue Eugène-Guérard, rue Joly, rue Ernest- Renan, rue du Polygone, rue du Progrès, rue des Bleuets, rue des Lilas. Heureusement, on ne relève qu'un mort et six blessés français. Les bombes ont coupé la ligne de Tours, entre les postes 6 et 7, pendant quinze heures

Le 20 mai, de minuit 15 à minuit 45, c'est la gare de triage qui est à nouveau l'objectif principal des avions alliés. Mille bombes sont lancées, mais deux cents tom- bent autour des Usines Renault, une sur la route natio- nale 23, une sur la route nationale 768, huit sur des che- mins vicinaux. Trente maisons sont atteintes, dix sont démolies. On compte neuf tués et cinq blessés. Le parc de stockage des Ponts-et-Chaussées, route d'Angers, est mis sens dessus dessous. Un entrepôt important des Comp- toirs Modernes (Société d'alimentation qui ravitaille alors un habitant de la Sarthe sur dix) est incendié. Les rues E.-Renan, E.-Guérard, la route de Ruaudin, le Chemin Neuf d'Arnage, le boulevard J.-J.-Rousseau, les avenues Félix- Geneslay et du Docteur-Jean-Mac, le Petit Saint-Georges reçoivent des bombes. Quatre projectiles s'égarent sur les communes de Changé et de Rouillon. A la gare de triage, les plateaux de réception et d'attente sont fortement endom-

4. Le souffle d'une grosse bombe arracha les volets des fenêtres de notre maison, déplaça deux cloisons, ouvrit les portes de nom- breux appartements de l'avenue Jean-Jaurès, fit tomber les frontons de certains immeubles. Des éclats s'en vinrent jusque dans la cour de l'école Pierre-Philippeaux. J'eus l'occasion une ou deux semaines plus tard de constater, avec un de mes jeunes amis, M. Pierre Michel (responsable d'un groupe de renseignements de Tours, recherché par la Gestapo, il était venu prendre chez moi son radio, que nous n'avions pas vu, et nous demander l'hospitalité pour une nuit), que les Usines Junkers étaient totalement rasées : il n'en restait rien, absolument rien ! magés. Le dépôt des machines est très touché, et la chute des catenaires interdit tout trafic. Les voies 1 et 2 sont soufflées. Tous les abris sont écrasés. Un train de munitions saute ; un train de paille brûle. La ligne de 30 000 volts Arnage - Le Mans est détruite ainsi que le câble souterrain de 30 000 volts qui longe la gare. L'ali- mentation électrique des Usines Renault est suspendue : il faut mettre en marche la Centrale thermique qui fournit l'électricité aux établissements prioritaires de la ville. Sa puissance est seulement de 700 kw. Deux avions sont abat- tus, l'un rue Marie-Langlais, l'autre dans le périmètre des Usines Renault ; onze aviateurs sont tués.

Le débarquement approche et les bombardements sont de plus en plus rapprochés. Le 23 mai, à 2 h 30, la gare de triage et l'usine Gnôme- et-Rhône sont de nouveau attaquées. Dans la gare qui est immobilisée, des dégâts considérables sont causés au plateau de débranchement et à la butte de gravité, l'appa- reil des voies est détruit. L'usine Gnôme-et-Rhône est, elle aussi, très touchée. Deux lignes à haute tension de 30 000 volts Arnage - Le Mans et une ligne de 5 500 volts sont arrachées ; un transformateur est détruit. La centrale thermique est remise en marche et fournit cette fois 1 000 kw. Les routes voisines des objectifs sont touchées. Treize bombes s'égarent sur le territoire d'Allonnes. Deux personnes sont blessées, mais par des éclats d'obus de la D.C.A. Deux avions sont abattus, l'un à la Chevallerie, près du Mans, l'autre au lieu-dit « le Bois », à Moncé-en-Belin. Sept aviateurs sont carbonisés, un se tue en sautant en parachute, un autre blessé est fait prisonnier. Après les bombardements, les wagons éventrés du Maroc sont pil- lés. Des Manceaux, des ouvriers Todt, des soldats alle- mands volent, le 21 mai du mousseux, le 22 du vin et du sucre, le 23 des clous et de l'avoine, le 25 des objets divers.

Le 6 juin, vers 5 heures, des avions de transport, qui essaient de quitter le terrain d'aviation des Raineries, sont mitraillés, mais il n'en résulte aucun dommage pour la population civile. Le 7, vers 9 h 45, sans que l'alerte ait été donnée, soi- xante-trois maisons sont démolies rue de la Prairie, rue de Mayence. Dix-sept personnes sont tuées, sept sont blessées. Le viaduc de Pontlieue, qui était visé, n'est pas touché, mais quatre voies ferrées Le Mans - Paris sont coupées 5. Le 8, à 8 h, soixante avions arrosent de leurs projec- tiles les usines Gnome-et-Rhône et le terrain d'aviation ; ils font un blessé. A midi, le même jour, un avion isolé coupe la voie Le Mans - Tours, à hauteur de la Cité des Pins, et détruit une maison. Le 10, à minuit trente, une cinquantaine de bombes, dont certaines à retardement, tombent sur le camp d'aviation des Raineries et sur les accotements de la route nationale 23. Le 12, à 20 h 30, la station électrique d'Arnage est attaquée à la mitrailleuse : une ligne à basse tension est coupée. Le 14, à 18 h 30, la station est bombardée et mitrail- lée de nouveau ; cette fois, les dégâts nécessitent des répa- rations qui durent 48 heures. Le 14, le quartier Saint-Benoît est mitraillé sans dom- mages. 5. Je me trouvais à proximité du viaduc lors de ce bombardement et je m'abritai tant bien que mal dans l'encoignure d'une porte de la rue Guillemare. Le 15 juin, à 8 h 30, la gare de voyageurs est attaquée en piqué. C'est la première fois que les avions la pren- nent pour objectif. Une bombe tombe sur la forge des équipes techniques de la voie, une autre sur le quai B. Mais beaucoup de projectiles s'égarent : la station des tram- ways de la Sarthe du Gué de Maulny, les rues de l'Ormeau- Bertinière, d'Iéna, les boulevards E.-Zola, de la Petite- Vitesse et Demorieux reçoivent des torpilles. L'hôpital psychiâtrique est touché par neuf bombes ; l'Institution Saint-Louis subit des dommages. Dix maisons sont détruites : cinq personnes sont tuées, six sont blessées. Le 17 juin, 13 h 30, le terrain d'aviation et ses abords sont à nouveau attaqués ; dix-sept exploitations agricoles subissent des dégâts. Le 23 juin, 8 h 45, trois bombes tombent sur des wagons en cours de déchargement sur l'embranchement de la caserne Chanzy. Un train est coupé en deux ; onze maisons sont atteintes. Il y a deux tués. Des pillards opèrent dans les maisons éventrées : le 3 juin, route d'Angers, l'un d'eux vole un placard et divers objets ; le 24 du même mois, deux individus déro- bent des marchandises dans des wagons détériorés de la gare de triage ; rue de la Mare, le 24, une maison sinis- trée est pillée ; le 22 juillet, à la Cité des Pins, les objets de cuivre des pavillons abandonnés par leurs habitants disparaissent 6

Le 4 juillet, à 12 h 45, l'aviation s'en prend à l'usine Gnome-et-Rhône. Six bombes endommagent les ateliers du Nord-Est et du Centre. Les bureaux et le restaurant sont détruits. Quinze bombes tombent en dehors de 6. Les condamnés de droit commun étaient utilisés au déblaie- ment, ce qui peut expliquer certains vols. Le 26 mai 1944, les déte- nus des équipes de déblaiement et de désamorçage des bombes rentrent en état d'ébriété. l'objectif. La voie Le Mans - Tours est coupée en deux endroits, la Nationale 23 en un point ; le câble souter- rain Le Mans - Angers est sectionné quatre fois. Le terrain d'aviation tout proche a reçu quelques bombes. La popu- lation civile compte douze tués. Le bombardement man- quant totalement de précision, quinze torpilles sont tom- bées sur le territoire de la commune de Changé, cent soixante-dix-sept sur celui de la commune de Spay. Un poste de D.C.A. a eu un tué et deux blessés. Un avion est abattu à Noyen, un autre à Poillé. Le 6 juillet, une bombe éclairante non explosée éclate dans la gare du Maroc et occasionne des brûlures à cinq ouvriers. Le 15 juillet, l'Usine à gaz est mitraillée ; le gazomètre n° 1 est perforé et cinq cents mètres cubes de gaz sont perdus. Le 17, la voie ferrée Le Mans - Angers est coupée au Petit-Saint-Georges ; deux personnes sont tuées. Le 24 juillet, nouveau bombardement de la gare de triage. Trois rames de wagons sont atteintes, deux citernes d'essence brûlent. Des bombes s'égarent assez loin de l'objectif, rue Henri-Barbin, rue Martin, rue Joly, rue Denis-Papin. On compte deux morts et neuf blessés.

Le 5 août, à 20 h 15, trente-six avions attaquent le pont du boulevard Demorieux, le pont du Chemin-de-Fer sur la Sarthe et sur le canal des Planches. Tous ces objec- tifs sont touchés, mais l'Hôpital psychiâtrique, les bâti- ments du Syndicat agricole, la halle des Messageries, la Manufacture des tabacs ont souffert. Quatre personnes sont tuées, trente-trois sont blessées. Le 6 août, à 14 h 45, dernier bombardement avant la libération de la ville. Une dizaine d'avions attaquent la partie Nord-Est de la ville, le boulevard Négrier, la rue Pierre-Belon, la rue de l'Abbaye-Saint-Vincent (où l'Asile départemental de vieillards est touché), la ruelle Banjan, la rue Notre-Dame (où se tient la Feldkommandantur qui subit des dégâts assez importants), la rue Bergère, la rue Cauvin. Des maisons sont détruites ; sept personnes trou- vent la mort7 et treize sont blessées dans ce bombarde- ment qui n'obtient aucun résultat stratégique intéres- sant .

Finies maintenant les alertes perpétuelles. La vie nor- male reprend son cours Le Mans n'a pas trop souffert des raids alliés. Il n'a pas subi les destructions impor- tantes et les pertes nombreuses en vies humaines qui ont affecté Angers, Tours, Rennes et même Laval, parce que les objectifs attaqués se trouvaient sur la périphérie de l'agglomération et parce qu'aussi, contrairement à ce qui s'est passé ailleurs, le centre de la ville n'a jamais été bombardé, pour en interdire la traversée, comme on aurait pu le redouter. Si les bombardements n'avaient pas été parfois pra- tiqués à très haute altitude par des aviateurs manquant de sang-froid et d'expérience, des destructions inutiles et de nombreux deuils auraient été évités. La population ne craignait pas les avions anglais et canadiens qui volaient relativement bas et dont les équipages semblaient très ménagers des souffrances des Français, mais elle redou- tait les appareils américains qui lançaient leurs projec- 7. Parmi les morts figuraient mon beau-frère et ma belle-sœur, tués dans leur maison du boulevard Négrier par une bombe qui explosa dans le sous-sol de leur immeuble. 8. On s'est demandé si les avions n'avaient pas voulu viser la concentration de véhicules cachés sous les arbres du quinconce des Jacobins, en plein centre de la ville. 9. Du 5 au 9 août 1944, 14 personnes sont encore déclarées à l'état civil comme décédées des suites de bombardements. Il s'agit de gens blessés dans les bombardements antérieurs. IMP. R. MADIOT-LAVAL 53219

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