Anais do V Colóquio Internacional Cidadania Cultural: Jovens nos espaços públicos e institutucionais da modernidade 05 a 07 de outubro de 2011

LES JEUX D´EROS ET THANATOS DANS LES PENSIONNATS DES SÉVICES Antonio Domínguez Leiva

Quem di diligunt, Adolescens moritur (Plaute, Les Bacchides l. 817) ŖCeux que les dieux chérissent meurent jeunesŗ

Lieu de claustration hiérarchique, pédagogique et homosociale, le pensionnat (ainsi que ses formes connexes dans le Grand Enfermement de la jeunesse qui caractérise l´émergence des sociétés disciplinaires que sont l´orphélinat, l´académie militaire, le séminaire ou la maison de redressement) est voué inévitablement à hanter l'imaginaire érotique et, inversement, à en être impregné. Espace de l´extrême jeunesse et de l´éveil à la vie, il est aussi voué par un oxymore baroque des plus classiques à la mort. Cette riche bivalence explique le rôle crucial que ce chronotope (puisqu´une temporalité y est irrémédiablement spatialisée) exerce à la fois dans l´iconographie gothique de la hantise surnaturelle et dans celle de la « flagellomanie » libertine. Une constellation d´imaginaires entropiques découle de cette ambivalence qui vont du pensionnat sadique au pensionnat surnaturel et dont il s´agira dans le cadre limité de cette conférence d´explorer certaines voies particulièrement significatives (et quelque peu, on l´espère, surprenantes). Le Grand Enfermement de la jeunesse est un des épiphénomènes les plus frappants de ce que M. Foucault appelle dans son archéologie désormais canonique « le moment historique des disciplines », moment où naît un « art du corps humain », qui vise « la formation d'un rapport qui dans le même mécanisme le rend d'autant plus obéissant qu'il est plus utile, et inversement » : le corps humain entre dans une machinerie de pouvoir qui le fouille, le désarticule et le recompose. «La discipline fabrique ainsi des corps soumis et exercés, des corps « dociles »1. De cela le corps de l´écolier témoigne tout particulièrement puisque l' « invention » de cette nouvelle « anatomie politique », qui est aussi bien une « mécanique du pouvoir » est déjà à l'œuvre « dans les collèges, très tôt; plus tard dans les écoles élémentaires », avant d´investir lentement l'espace hospitalier; et en quelques dizaines

1 Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 1975, p. 139-140

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Anais do V Colóquio Internacional Cidadania Cultural: Jovens nos espaços públicos e institutucionais da modernidade 05 a 07 de outubro de 2011 d'années, restructurer l'organisation militaire2. L'espace scolaire, comme l´atelier ou l´armée, fonctionne dès lors comme une « machine à apprendre, mais aussi à surveiller, à hiérarchiser, à récompenser » à travers toute une « micropénalité du temps (retards, absences, interruptions des tâches), de l'activité (inattention, négligence, manque de zèle), de la manière d'être (impolitesse, désobéissance), des discours (bavardage, insolence), du corps (attitudes « incorrectes », gestes non conformes, malpropreté), de la sexualité (immodestie, indécence) ». Il s'agit à la fois de « rendre pénalisables les fractions les plus ténues de la conduite, et de donner une fonction punitive aux éléments en apparence indifférents de l'appareil disciplinaire : à la limite, que tout puisse servir à punir la moindre chose; que chaque sujet se trouve pris dans une universalité punissable Ŕpunissante »3. A côté des punitions empruntées directement au modèle judiciaire (amendes, fouet, cachot), « les systèmes disciplinaires donnent privilège aux punitions qui sont de l'ordre de l'exercice ŕ de l'apprentissage intensifié, multiplié, plusieurs fois répété (…) elle est moins la vengeance de la loi outragée que sa répétition, son insistance redoublée. Si bien que l'effet correctif qu'on en attend ne passe que d'une façon accessoire par l'expiation et le repentir; il est obtenu directement par la mécanique d'un dressage ». Didier Souiller nous a, avec la sagacité qui le caractérise, montré les nuances et les évolutions de ce vaste schéma qui parcourt la première modernité. De ce véritable dressage des jeunes découle la célèbre conclusion de la IIIe partie consacrée à la Discipline comme épistémè: « Quoi d'étonnant si la prison ressemble aux usines, aux écoles, aux casernes, aux hôpitaux, qui tous ressemblent aux prisons ?ŗ4. Symptomatiquement le premier roman explicitement adressé aux enfants en langue anglaise est aussi le premier roman de pensionnat, The Governess, or The Little Female Academy (Sarah Fielding, 1749), et il s´inscrit pleinement, comme le signale J. Bundan dans la logique de la surveillance foucaultienne5. Plus frappant encore est le fait qu´en quelques décennies le pensionnat figure comme lieu privilégié du sado-masochisme comme en témoignent ces Éléments d'intuition et Modes de Punition. En lettres par Mlle Dubouleau, célèbre institutrice particulière parisienne à Miss Smart-Bum, gouvernante d'une pension de

2 Id, ibid 3 Id, p. 180-181 4 Id, p. 229 5 Bundan, Judith. "Girls Must Be Seen and Heard: Domestic Surveillance in Sarah Fielding's The Governess". Children's Literature Association Quarterly 19.1 (1994): 8-14. v. aussi Foster, Shirley; Simons, Judy (1995). What Katy read: feminist re-readings of "classic" stories for girls. University of Iowa Press. pp. 195sq.

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Anais do V Colóquio Internacional Cidadania Cultural: Jovens nos espaços públicos e institutucionais da modernidade 05 a 07 de outubro de 2011 jeunes demoiselles à... Avec développement de quelques secrets de Tuteurs pour rire, qui ont trouvé leurs délices dans l'administration des Verges de Bouleau à leurs élèves femelles. Embellie de très jolies illustrations (1794). Dès l´époque baroque, ce "grand âge du fouet" dans la pédagogie, certaines voix dissidentes ont postulé non seulement le caractère esclavagiste de la pratique ("such a sort of slavish discipline makes a slavish temper", écrit Locke dans son célèbre traité de 1693) mais aussi sa dérive libertine, théorisée par une série d´auteurs qui vont de Pic de la Mirandole (Disputationes Adversus Astrologiam Divinatricem, iii, ch. Xxvii) à Cœlius Rhodiginus (1516), Otto Brunfels (Onomasticon, 1534), art. "Coitus") et le traité definitive sur la question de Meibomius De Usu Flagrorum in re Venerea (1643) repris par Schurig en 1720 pour sa Spermatologia (253-258). Dans la comédie décapante de la Restauration The Virtuoso (Shadwell, 1678) le vieux Snarl demande à sa maîtresse de produire "les instruments de notre plaisir" qui ne sont autres que des verges, explicant qu´il a été si habitué à l´école qu´il ne peut plus s´en paser ("I was so us´d to´t at Westminster School I cou´d never leave it off since... Do not spare thy pains. I love castigation mightily"). Il s´agit là pour Ian Gibson, dans sa célèbre Somme sur la question The English Vice de la première allusion littéraire en langue anglaise au lien entre punition corporelle et algolagnie. Les motivations du père fouettard sont elles aussi devenues ambiguës, tel que le montre un pamphlet anonyme de 1669 qui présente les écoles comme des bordels ou les "parties honteuses des enfants" "must be the anvil exposed to the immodest and filthy blows of the smiter", se demandant (bonne question) "who can think that if the punishment were not suffered on those parts, that it were like to be so much?"6 La réponse sera profusément illustrée dans la littérature érotique qui fera progressivement écho à la pédagogie des verges, de la place discrète que celle-ci occupe dans la parodie des disciplines monastiques mise en scène dans Aloisiae Sigaeae, Toletanae, Satyra sotadica de arcanis Amoris et Veneris de Nicolas Chorier (1660) aux délires flagellomanes sadiens qui, symptomatiquement, préfèrent encore les claustrations gothiques du couvent et du donjon aux pensionnats7. Peu à peu un modèle romanesque s´établit qui

6 Jill Campbell, Natural masques: gender and identity in Fielding's plays and novels, p. 192. 7« Il ajouta beaucoup d'autres paroles, lesquelles m'enflammèrent d'une telle ferveur que j'aurais demandé à être flagellée de ses sacro-saintes mains. Par un long sermon très étudié, il nous prouva que la pudeur en dehors du péché était un péché, que celles-là seules avaient raison de rougir qui se montraient nues aux yeux des hommes, dans un but de volupté et de lubricité, mais non celles qui le faisaient dans un but de piété et de pénitence. L'un est honteux, l'autre honnête; l'un fait

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Anais do V Colóquio Internacional Cidadania Cultural: Jovens nos espaços públicos e institutucionais da modernidade 05 a 07 de outubro de 2011 suivra un rituel précis et pratiquement inchangé jusqu`au SM chic de notre hypermodernité. On trouve ainsi dans Le Chérubin ou Gardien de l'Innocence féminine. Exposant les Artifices des Pensionnats loués, des Diseurs de Bonne Aventure, des Modistes corrompues et des soi- disant Femmes du monde (1792) la location des Pensionnats de demoiselles par de vieux libertins, qui trouvent plaisir à voir fouetter les jeunes élèves. « Un vieux Crésus libertin de Broad Street, dont les richesses étaient aussi considérables que les instincts dépravés, a entretenu depuis quelques années une espèce de trafic sensuel avec les directrices de deux pensionnats ; l'un situé aux environs de Hackney et l'autre dans la Banlieue de Stratford. Toutes les semaines il versait à ces Dames des sommes importantes, rien que pour pouvoir goûter des jouissances visuelles qu'un homme ordinaire aurait trouvé plutôt répugnantes qu'agréables ». L´on assiste alors à un détournement érotique du dressage disciplinaire tout à fait exemplaire : « Toutes les fautes commises, les dérogations au règlement etc., sont soigneusement enregistrées pendant les quatre ou cinq jours qui précèdent la visite du Crésus ; le jour de sa venue est fixé pour l'exécution de toutes les punitions infligées aux élèves. Après avoir fait entrer le vieux birbe dans un petit cabinet adjoignant la salle et dans la porte duquel sont aménagés des trous d'observation, les élèves sont appelées l'une après l'autre, mises à nu, étendues sur un établi ad hoc et fouettées sur leurs postérieurs en proportion de la gravité de leurs fautes. Dans la situation où elles se trouvent les jeunes filles ne peuvent pas se douter un instant qu'elles sont vues de toute autre personne que leur directrice. Et quand le vieux jouisseur, après avoir suivi, au moyen d'une lorgnette toutes les phases et les progrès de la flagellation en est arrivé au summum bonum de sa passion il sort de son rôle passif et se transforme a son tour en exécuteur...» 8 . L´on reconnaît là le parfait script (au sens où l´entend U. Eco) sado-masochiste tel qu´il envahit, fait significatif en soi, la production pornographique littéraire des sociétés disciplinaires bourgeoises. Pour comprendre comment l´on est passé en quelques décennies de la diffusion du régime disciplinaire à sa reconfiguration fantasmatique dans la « scène » sado-masochiste nous devons nous tourner vers l´hypothèse de la « production répressive » avancée par M. Foucault dans son autre volet archéologique, celui de l´Histoire de la sexualité. Le nouveau plaisir aux mortels, l'autre aux immortels, et les pénitences de ce genre sont de la plus grande utilité » (N. Chorier, Satyre sotadique, Paris, Bibliothèque des Curieux, 1910, p. 134-5). Outre le classique de Ian Gibson, voir, sur l´histoire de la flagellation Niklaus Largier et Graham Harman, In praise of the whip: a cultural history of arousal, 2007. 8 Bibliographie raisonnée des principaux ouvrages français et anglais sur la flagellation (1901).

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Anais do V Colóquio Internacional Cidadania Cultural: Jovens nos espaços públicos e institutucionais da modernidade 05 a 07 de outubro de 2011 dispositif de pouvoir disciplinaire ne se limite pas, comme le pensèrent Freud et les théoriciens de l´émancipation libidinale qui le « mélirent », à une simple répression (des corps, des sexes) mais à la production d´une « spirale perpétuelle de pouvoir et de plaisir »: « Le plaisir diffuse sur le pouvoir qui le traque, le pouvoir ancre le plaisir qu´il vient de débusquer (...) Plaisir d´exercer un pouvoir qui questionne, surveille, guette, épie, fouille, palpe, met au jour; et de l´autre côté, plaisir qui s´allume d´avoir à échapper à ce pouvoir, á le fuir, á le tromper ou à le travestir. Pouvoir qui se laisse envahir par le plaisir qu´il pourchasse; et en face de lui, pouvoir s´affirmant dans le plaisir de se montrer, de scandaliser, ou de résister. Captation et séduction; affrontement et renforcement réciproque (...) ces incitations circulaires ont aménagé autour des sexes et des corps, non pas des frontières à ne pas franchir, mais les spirales perpétuelles du pouvoir et du plaisir »9. De ce jeu le sado-masochisme constitue l´exemple ultime, sous-tendant par ailleurs de façon implicite (et « sans jamais dire son nom », comme l´on disait de l´autre grand tabou qui accompagna la propre traversée vitale de l´auteur) toute l´articulation de l´œuvre foucaultienne comme le signale Suzanne Gearheart10. D´où l´étonnante hégémonie de la flagellation dans le discours et l´iconographie pornographique des socités disciplinaires et tout particulièrement celle de l´Angleterre victorienne (mais le « vice anglais » devient vite la chose du monde la mieux partagée) investissant les espaces et les rituels mêmes qui emblématisent la nouvelle « anatomie politique » tel que le montre, entre autres, la Bibliographie raisonnée des principaux ouvrages français et anglais sur la flagellation traduite du célèbre érudit érotomane Ashbee par Hector France (1901). Se déroule alors en parfaite symétrie une double écriture du dressage disciplinaire des écoliers : d´un côté celle, officielle et relevant pratiquement de la propagande, qui donne lieu à l´émergence d´un véritable genre romanesque (celui des « school stories », qui se décline dans plusieurs modalités) intronisé par le classique des « Boarding Schools » Tom Brown´s School Days (Thomas Hudges, 1857), suivi par une pléthore innombrable d´auteurs des deux sexes (s´adressant aux deux publics ségrégués des internats disciplinaires) et totalisant des

9 M. Foucault, Histoire de la sexualité 1. La volonté de savoir, Paris, Gallimard, 1976, p. 62. 10 “It is at this point in Foucault's argument that an implicit concept of sado-masochism emerges, because it supplies the mechanism that makes power productive in this second, "libidinal," sense. Power implies the existence of inequality, subordination, humiliation, or pain, and it is primarily the concept of sado-masochism that can account for the conversion of such an experience of displeasure, whether it is inflicted on others or on the self, into a source of pleasure (“Foucault's response to Freud: sado-masochism and the aestheticization of power”, online sur http://findarticles.com/p/articles/mi_m2342/is_n3_v29/ai_18096757/).

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Anais do V Colóquio Internacional Cidadania Cultural: Jovens nos espaços públicos e institutucionais da modernidade 05 a 07 de outubro de 2011 milliers de titres jusqu´aux années 1940 où le genre, comme les institutions dont il prolonge la logique, connaît une progressive désaffection 11 . Destinée à ce nouveau public qu´est l´enfance, « invention » de la cellule familiale bourgeoise selon la célèbre analyse de P. Ariès, et plus concrètement l´enfance scolarisée, cette littérature se double bientôt de véritables circuits autonomes dans le champ littéraire, notamment des magazines spécialisés tout entiers dévolus au genre, suivant la voie tracée par le mythique Boys Own Paper (1879) (certains incluant des références à cet univers de plus en plus fantasmatique dans leur titre: Schoolboy´s Own Paper, Schoolgirl, etc). G. Orwell fera une analyse féroce de leur caractère aliénant dans un de ses célèbres articles qui préfigure la vague ultérieure des cultural studies britanniques (et accompagne sa propre critique dévastatrice des boarding schools), « Boy´s Weeklies » (1939)12. C´est que l´image idyllique construite par ces œuvres de la nouvelle mécanique du pouvoir (qu´elles secondent à plus d´un titre, comme montre, entre autres, leur appui institutionnel ou leurs liens tenus avec des mouvements para-disciplinaires tels que le scoutisme) fonctionne comme véritable idéologie, dont Orwell exposera la « mauvaise conscience » dans son brûlot "Such, Such Were the Joys" (publié posthume en 1952 par le Partisan Review), essai autobiographique où le pensionnat devient un véritable locus horribilis gothique. Aux antipodes de cette littérature pour la jeunesse (bien que certains critiques se soient amusés à fouiller les sous-textes érotiques qui la jalonnent, telle cette curieuse manie d´appeler tous ses personnages Lesbia qu´affiche la reine des girl school stories Angela

11 Citons entre autres F.W. Farrar Eric, or, Little by Little: A Tale of Roslyn School (1858), Revd H.C. Adams Schoolboy Honour; A Tale of Halminster College (1861), A.R. Hope, Stories of Whitminster (1873), mais aussi l´oeuvre de P. G. Wodehouse, Anthony Buckeridge ou de Charles Hamilton, alias Frank Richards, auteur des séries sur Greyfriars School, St. Jim's et Rookwood entre 1906 and 1940. Pour ce qui est des “girls school stories” citons des figures extrêmement célèbres telles que Enid Blyton ou Angela Brazil, auteure de 46 best-sellers dévolus au sous-genre, mais aussi L. T. Meade, Elinor Brent-Dyer, Dorita Fairlie Bruce, Mary Gervaise ou Elsie Oxenham (cf. notamment Sims, Sue & Clare, Hilary, Encyclopaedia of Girls School Stories, 2000). 12 “Needless to say, these stories are fantastically unlike life at a real public school. They run in cycles of rather differing types, but in general they are the clean-fun, knock-about type of story, with interest centring round horseplay, practical jokes, ragging roasters, fights, canings, football, cricket and food. A constantly recurring story is one in which a boy is accused of some misdeed committed by another and is too much of a sportsman to reveal the truth. The „good‟ boys are „good‟ in the clean-living Englishman tradition—they keep in hard training, wash behind their ears, never hit below the belt etc., etc.,—and by way of contrast there is a series of „bad‟ boys, Racke, Crooke, Loder and others, whose badness consists in betting, smoking cigarettes and frequenting public-houses (…) but no one is ever caught out in any really serious offence. Stealing, for instance, barely enters as a motif. Sex is completely taboo, especially in the form in which it actually arises at public schools. Occasionally girls enter into the stories, and very rarely there is something approaching a mild flirtation, but it is entirely in the spirit of clean fun. A boy and a girl enjoy going for bicycle rides together—that is all it ever amounts to. Kissing, for instance, would be regarded as „soppy‟. Even the bad boys are presumed to be completely sexless.” (http://www.telelib.com/authors/O/OrwellGeorge/essay/boysweeklies.html).

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Brazil13) se déroule dans la pornographie clandestine une pléthore tout aussi affolante de pensionnats, inévitablement sadomasochistes. La liste, rien qu´en se limitant à la Bibliographie citée de Ashbee et H. France, est tout aussi décourageante que celle des school stories dont ils sont à plus d´un titre les étranges (au sens freudien de unheimlich) « doubles » inversés (Allan Moore, parmi d´autres phares du steampunk révisionniste, s´amusera à croiser les deux registres dans ses déconstructions postmodernes de l´imaginaire victorien, de la League of Extraordinary Men au plus explicitement pornographique Lost Girls). Telle cette Vénus Maîtresse d'école ; ou Sports du bouleau (Par R. Birch, s.d), version virale ou génétique de la mécanique sadomasochiste où la fille d'une directrice de pensionnat qui ne laissait jamais passer une occasion de fesser ses élèves, monte à son tour une école avec une de ses amies (« Et maintenant, dit-elle, nous vivons ensemble et fouettons, comme deux petits diables aussi bien les petits garnements que les grands»). Telles encore Les Camarades d'École ; ou Guide des Jeunes Filles en Amour, En une série de lettres, concentré des topoï saphiques qui marqueront toute la tradition de la lebsploitation au fil des neuf lettres que s´échangent Cécile et Émilie et qui traitent principalement sur la masturbation et la flagellation. Reprenant le sujet du Chérubin, la nouvelle « L'École de mistress North » (dans Curiosités en flagellation. Une série d'incidents et de faits compilés par un flagellant amateur et publiés en cinq volumes, Londres, 1875) se présente comme la correspondance épistolaire de sir Charles qui a à ses gages une dame au nom prédestiné, Miss Whippington, qui dirige un pensionnat pour les jeunes filles de l'aristocratie. « Elle flagelle ses élèves pour le plaisir de son riche protecteur, après avoir arrangé pour lui une cachette d'où il peut, tout à son aise, suivre les contorsions et jouir de la confusion et de la honte de ses belles et rougissantes victimes. Lady Flora Bumby, une jeune fille gracile, à l'air doux, d'une délicate beauté, blonde, âgée de quatorze ans environ est mise en scène, avec accompagnement de détails minutieux sur sa contenance, sur sa toilette intime, ses dentelles et les charmes qu'ils cachent aux regards profanes. C'est ensuite le tour de Miss Mason, une belle brune de seize ans, aux yeux fulgurants, aux joues de pourpre : elle est gentiment apprêtée et délicatement cinglée de longues marques rouges », résument Ashbee et H. France, dont l´amplificatio érotomane déborde, on le voit, les cadres discursifs du simple catalogue bibliographique des

13 Weber, Sandra; Mitchell, Claudia, That's Funny, You Don't Look Like a Teacher! Routledge, 1995, notamment p.79sq.

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Anais do V Colóquio Internacional Cidadania Cultural: Jovens nos espaços públicos e institutucionais da modernidade 05 a 07 de outubro de 2011 erotica curiosa. Il en va de même dans la longue digression qui suit, exemple typiquement victorien de double discours qui vise à contester l´existence de ces flagellantes de rêve (qui ne peuvent être, dans le discours nosographique du temps, que des hystériques) avant de présenter, par un art de la gradation propre aux pornèmes du genre, « Miss Mason, une autre élève qui tombe sous la férule de la douce institutrice. Cette fois on nous présente une boulotte, assez courte de stature, aux cheveux roux, avec de grands yeux d'un brun sombre : elle répond au nom de Miss Howard et n'a atteint que son dix-septième printemps. Pour commencer, on l'expose dans toute la gloriole de sa captivante nudité. C'est couchée à plat-ventre qu'elle subit son châtiment jusqu'à ce qu'elle ait perdu connaissance. Ici se termine ce petit délassement et sir Charles, arrivé au paroxysme de l'excitation, est confortablement soigné par Miss W..., l'institutrice, qui pendant plus de deux heures se prête à ses extravagances libidineuses et assouvit sa soif de luxure, faisant revivre de temps à autre ses forces déclinantes, au moyen de quelques douzaines de coups de verge bien appliqués, tandis que dans leur chambre, Miss Mason et Lady Flora se laissent aller sans aucune retenue aux incitations d'une idylle amoureuse d'un genre nettement lesbien » (id). La prolifération obsessionnelle de cette littérature est en elle-même symptomatique de la transfiguration qui s´y joue entre le nouveau dispositif du pouvoir et les plaisirs qu´il génère. On trouve ainsi dans La Pudique Albion. Les Nuits de Londres, (Paris, 1885) de Hector France lui-même, une « lettre d'une dame» qui incarne l´extension libidinale du régime des micropénalités analysé par Foucault : « L'âge où le fouet agit le plus efficacement sur les jeunes personnes varie entre quinze et dix-huit ans. C'est l'époque où les passions fermentent, prennent de la force, et il faut user d'un traitement radical. Pour les filles plus jeunes, quelques coups de baguettes bien appliqués sur le gras des jambes ou des bras produit d'ordinaire l'effet désiré. Naturellement il n'est pas possible d'établir une règle quant au nombre des coups. Tout dépend des tempéraments et des caractères. Deux filles recevant le fouet ne se conduisent pas toutes deux de la même façon sous la douleur ; les unes ont la chair plus sensible que les autres, mais en général, un coup par année est ce qu'il y a de plus équitable et de plus logique. Ainsi douze coups pour une fillette de douze ans. Une de trois lustres en recevra quinze et ainsi de suite». « À cette théorie si simplement exposée », constate amusé l´auteur implicite, « je n'ajouterai pas un mot. Tout commentaire serait superflu ». Voici encore Les Mystères de la « Villa de la Verveine » ou Miss Bellasis flagellée

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Anais do V Colóquio Internacional Cidadania Cultural: Jovens nos espaços públicos e institutucionais da modernidade 05 a 07 de outubro de 2011 pour avoir volé (1882) « tableau très fidèle et très minutieux de ce qu'est un pensionnat fashionnable pour demoiselles à Brighton, à notre époque », où « le récit roule principalement sur les punitions corporelles infligées aux aimables pensionnaires de la maison » (id). Les titres s´accumulent autour de la grande prolifération des perversions qui informe la logique médico-disciplinaire du pansexualisme Fin-de-Siècle et accompagnent toute la Belle Époque dont elles constituent un des « dessous » de choix. Au titre pédagogique et austère de Victor Du Cheynier À la baguette, impressions d´enfance et d´adolescence sur le fouet dans l´éducation (1909) fait pendant, la même année Le Pensionnat du Fouet d´Aimé Van Rod (1909), sur la « sévérité de l’éducation anglo-saxonne dans laquelle l’auteur évoque toute la gamme des sensations subtiles du fouetteur et de la fouettée ». Pierre Dumarchey, plus connu sous le nom de Pierre Mac Orlan, signe comme Sadie Blackeyes toute une épopée de la flagellomanie écolière (Lise fessée : roman sur la flagellation à l’école et dans le monde [1910], Quinze Ans. Roman sur la discipline familiale suivi de quelques lettres sur les châtiments corporels dans l’éducation des jeunes filles, Sonia ou la belle étudiante [1913], Les Belles clientes de M. Broze et du Maître d’école avec un choix de lettres concernant les faits curieux touchant la flagellation des misses et des femmes [1914], Miss : souvenirs d’un pensionnat de correction par une demoiselle de bonne famille, [1920]). C´est alors que Robert Desnos fait la véritable synthèse de tout cet imaginaire sado-masochiste du pensionnat qui ne va cesser d´être recombiné dans le chapitre devenu célèbre du « Pensionnat de Hummingbird Garden» (dans La liberté ou l´amour, 1927) étudié par notre collègue Sébastien Hubier avec sa finesse et sa verve proverbiales. Le texte de Desnos est à plus d´un titre une fin et un commencement, transfigurant le bric-à-brac des perversions disciplinaires bourgeoises en une dérive poétique qui vise à leur dépassement hégélien en une sorte de Aufheben libidinal qui est celui de maintes productions surréalistes, hantées par le legs fantomatique de l´imaginaire symboliste et décadent, des collages de Max Ernst aux Poupées de Bellmer14.

14Cette opération devient véritable ars poetica dans un des passages métadiscursifs du texte : « L‟orage de toute éternité montait derrière ton toit d‟ardoise pour éclater, lueur d‟éclair, à l‟instant précis où le martinet de la correctrice rayerait d‟un sillon rouge les fesses d‟une pensionnaire de seize ans et éclairerait douloureusement, tel un éclair, les mystérieuses arcanes de mon érotique imagination. N‟ai-je écrit cette histoire que pour évoquer votre ressemblance, éclair, coup de fouet ! ». Pour la continuité du surréalisme et l´imaginaire décadent, voir notamment la conclusion à l´ouvrage homonyme de J. Pierrot (L´imaginaire décadent, PURH (Rouen -Le Havre), 1977).

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Cet imaginaire va continuer, pratiquement immobile (c´est là une de ses conditions d´existence, étant donné la ritualisation qui l´informe) jusqu`à nos jours, figé qu´il est par ailleurs dans la construction identitaire d´une véritable sous-culture produite, selon le schéma foucaultien de la productivité répressive du pouvoir. C´est ainsi que la classification normative au sein du dispositif médico-disciplinaire qui associe désormais la complémentarité du « sadisme » et de sa contrepartie idéale, le « masochisme », établie par Krafft-Ebing dans sa Psychopathia sexualis (1886) puis reprise par S. Freud dans ses Trois Essais sur la sexualité (1905) est définitivement popularisée par Havelock Ellis et finit par « produire » littéralement une « identité perverse » qui est celle du sado-masochiste, exprimée dans une sous-culture spécialisée créé autour des traditionnels bordels pour flagellants si caractéristiques du « vice anglais ». En témoignent les magazines qui, du London Life (1918-41) à Bizarre (1946-1959) ou Pussy Cat (1964), consolident la sous-culture S&M au moment où le fladge devient dominant à l’intérieur du champ pornographique anglais puis européen comme le constate G. Freeman dans son étude pionnière sur The Sexual Underground. Devenu un des loci amoeni fantasmatiques de cette sous-culture (il a sur les externats ou les high schools cochons un important avantage qui est celui de sa claustration gothique), le pensionnat sadomaso est alors décliné sur tous les supports et médias comme l´a montré Sébastien, notamment dans le cinéma sexploitation puis hardcore. Les abus sexuels sadiques dans les internats abondent dans le sous-genre des manga érotiques du exemplifiés par Shusaku mais aussi dans la bande dessinée SM (la pornoécole Clifford dans la saga Twenty de Von Gotha) ou le sado-roman (Souvenirs de pensionnat, 2005) de Cathy Grimaldi, Le Pensionnat (2006) de Jérôme Kob, etc). Ces œuvres promises à une relative surenchère pour combler l´horror vacui du genre transforment les institutions disciplinaires en pur fantasme, lui ayant survécu après leur éviction dans les sociétés postmodernes ou, selon le terme juste de G. Lipovetsky, post- disciplinaires. On est dans une modalité de la nostalgie (la même qui affectionne encore les couvents ou les donjons) qui ressasse les topoï du temps où le genre constitua l´envers et le « révélateur » ultime du sadomasochisme latent dans le dispositif de dressage de l´enfance. Or c´est précisément la dénonciation de cet aspect qui accompagna la désaffection progressive de ces institutions répressives (et de la littérature célébratoire qu´elles avaient sécrété).

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Celles-ci furent de plus en plus dénoncées dans la littérature notamment après la « boucherie héroïque » de 1914 qui fut pour beaucoup la « fin fantasmatique du système scolaire qui était le microcosme du monde corrompu et auto-immolateur alentour »15. Dans l´autobiographie de Cyrill Connelly, le personnage « décadent » de Walter Le Strange rêve d´une émancipation du système qui curieusement évoque la Déclaration d´Indépendance des Enfants dans la sado-épopée délirante de Henry Darger16. L´œuvre de Connelly, ainsi que celle déjà évoquée de son ami et compagnon à St Cyprian's School G. Orwell parachevaient une série de récits qui opposaient au modèle normalisateur des school stories le récit sordide de tout ce que celles-ci voilaient. Ces textes, aux accents souvent teintés de gothicisme, remontaient aux portraits sinistres de Lowood School dans Jane Eyre (transposition à peine voilée de Cowan Bridge où furent enfermées les sœurs Brontë) ou de Dotheboys Hall dans le Nicholas Nickleby de Dickens (oeuvre qui mena, par son succès auprès des lecteurs, à la fermeture de la Bowes Academy qui l´inspira)17. Le référent gothique fut aussi essentiel dans les Bildungsromane naturalistes qui firent du pensionnat et ses figures connexes le locus horribilis de l´enfance : le classique brésilien O Ateneu de Pompeia, le Törless de Musil ou encore les deux contributions majeures espagnoles au genre : AMDG de Ayala et El jardín de los frailes du futur président de la IIe République M. Azaña. De fait même les textes qui tentaient encore de justifier le système deviennent ambigus, tel The Harrovians de Arnold Lunn (1913), véritable « anatomie de la cruauté » bien que le personnage principal prenne le parti de « jouer le jeu » ("Power was very sweet.... He had learned the grammar of handling men" constate-t-il après être devenu Head of the House dans le très rituel univers Ŗharrovienŗ18). Cette mécanique devient un pur cauchemar sous la

15Regenia Gagnier, Subjectivities: A History of Self-Representation in Britain, 1832-1920, Routledge, p. 180. 16Dans une transposition de la Déclaration d´Indépendance américaine, le classique du outsider art Henry Darger affirme le droit des enfants "to play, to be happy, and to dream, the right to normal sleep of the night's season, the right to an education, that we may have an equality of opportunity for developing all that are in us of mind and heart” (MacGregor, John M. (2002). Henry Darger: In the Realms of the Unreal. New York: Delano Greenidge Editions), tandis que Walter Le Strange s´exclame: "Whipt like a mere slave—that is, an oppressed fag, or lower boy . . . O may everyone be free! Let not the wretched new boy be oppressed and mishandled just for the convenience of the idle . . . priests of Athleticism and Public School Spirit of Imperialism", (Cyril Connolly, A Georgian Boyhood in Enemies of Promise, New York: Persea, 1983 [1938], pp. 207-9). 17Par ailleurs l´oeuvre de Dickens est pastichée dans la comédie décapante de Mark Evans Bleak Expectations (2007) où figure la plus vicieuse boarding school imaginable, affublée du nom cabotin de St Bastard´s. 18Par ailleurs le narrateur explique que "The Public Schools aim at something higher than mere Culture. They build up character and turn out the manly, clean-living men that are the rock of empire.... They teach boys something which is more important than the classics. They teach them to play the game" (in id, p. 181).

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Anais do V Colóquio Internacional Cidadania Cultural: Jovens nos espaços públicos e institutucionais da modernidade 05 a 07 de outubro de 2011 plume de R. Graves et ses confrères en dissidence19. Séparés par leur infériorité de classe du restant des collègues, Connelly et Orwell font l´expérience de l´injustice radicale du système20. Pour ce qui est des institutions pour filles, lieu d´un double dressage, Olive Schreiner, l’auteur féministe de From Man to Man (1926), déclarait sans détour : « Of all cursed places under the sun, where the hungriest soul can hardly pick up a few grains of knowledge, a girls boarding- school is the worst. They are called finishing schools, and the name tells accurately what they are. They finish everything but imbecility and weakness, and that they cultivate ». « The pattern of school life was the continuous triumph of the strong over the weak. Virtue consisted . . . in dominating them, bullying them, making them suffer pain, making them look foolish, getting the better of them in every way. Life was hierarchical and whatever happened was right. There were the strong, who deserved to win and always did win, and there were the weak, who deserved to lose and always did lose, everlastinglyŗ, écrit Orwell dans son "Such, Such Were the Joys"21. Symptomatiquement, comme le signale R. Gagnier c´est là l´univers du célébrissime roman dystopique auquel il travaillait pendant la rédaction de cet essai. Parmi les éléments cauchemardesques issus du régime disciplinaire, Gagnier relève l´effroyable et palpable solitude malgré (ou à cause de) la répression par le système de la « ownlife », qui désigne en novlangue l´individualisme et l´excentricité et qui accompagne la répression plus générale des émotions, ainsi que de l´imagination et de l´art. En Océanie comme à St Cyprian la préservation de la hiérarchie est le but final du système, dont le sadisme consiste avant tout en une esthétisation du Pouvoir pour le Pouvoir. De fait le célèbre discours initiatique de O´Brien au Ŗnew boyŗ qu´est Winston Smith peut se lire comme une

19 “Finally, our only regret at leaving the place was that for the last year we had been in a position, as members of the sixth form, to do more or less what we pleased. Now we were both going on to St John's College, Oxford, which promised to be merely a more boisterous repetition of Charterhouse. We should be freshmen there . . . and hurt somebody and get hurt ourselves. There would be no peace probably until we reached our third year, when we should be back again in the same sort of position as now, and in the same sort of position as in our last year at our preparatoy school . . . We'[d] get our degrees, and then have to start as new boys again in some dreadful profession” (R. Graves, Good-Bye to All That (New York: Octagon, 1980), p. 36. [1929]. 20 “Because he was beaten for wetting the bed at his prep school, Orwell learned that he lived in "a world of good and evil where the rules were such that it was actually not possible for me to keep them." "Call no man happy till he's dead. Next time [the beating] may be mine" was Connolly's way of putting his "Gospel of the Jealous God," that no matter how one tried, one would inevitably break the rules and be punished: "Everything in life has to be paid for…When we are enjoying ourselves most, when we feel secure of our strength and beloved by our friends, ... our punishment—a beating for generality, a yellow ticket, a blackball or a summons from the Headmaster, is in preparation." This view of inevitable tragedy derived, of course, from Orwell and Connolly's status as scholars, that is, as social unequals of fee-paying Oppidans” (R. Gagnier, op cit, p. 184) 21Orwell, Collected Essays, Journalism, and Letters of George Orwell, Vol. 4, eds. Sonia Orwell and Ian Angus (New York: Harcourt, Brace, Jovanovich, 1968), p. 359.

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Anais do V Colóquio Internacional Cidadania Cultural: Jovens nos espaços públicos e institutucionais da modernidade 05 a 07 de outubro de 2011 pure variation du texte précédemment cité dans l´essai autobiographique22. Le fait qu´il s´agisse d´une dénonciation des totalitarismes qui poussèrent jusqu`à l´extrême limite la logique disciplinaire de la nouvelle anatomie politique montre bien le lien créé entre l´univers de l´enfance dressée et celui de son embrigadement (nous ne pouvons évoquer ici le rôle essentiel des institutions de l´enfermement juvénile dans la mécanique sociale des totalitarismes). Après le traumatisme des camps (et, plus progressivement, celui du Goulag), la représentation de la mécanique du pouvoir disciplinaire, sinon cette mécanique elle-même, entre en crise. Le temps est alors venu, comme pour les couvents après leur désacralisation protestante ou les châteaux gothiques après leur inutilité fonctionnelle, de la réappropriation fantasmatique des espaces répressifs d´antan (et des formes littéraires qui leur étaient consubstantielles), devenus des purs supports libidinaux d´une écologie de la peur (pour reprendre, détourné, un des titres légendaires du giallo italien). Le très amusant et très utile (pour les amateurs de toutes les choses pop) site encyclopédique (version hétérotopique qui eut enchanté Borges) TVTROPES décrit ainsi le trope du pensionnat de l´horreur… ŖNot to be confused with your usual Boarding School trope, the Boarding School of Horrors is a place where your nightmares come true. There are no midnight feasts or jolly hockey sticks here. Presided over by cane-wielding Sadist Teachers, you will be beaten or locked up for the slightest misdemeanor ŕ and that's if you're lucky. If summoned to the headmaster's office, don't expect to come out alive. Then there is the matter of your fellow students. At best, you'll have your head flushed down the toilet; at worst, you face years of unspeakable bullying. In a British school, you may be enslaved to the prefects thanks to the "fagging" system. And the Absurdly Powerful Student Council will only add to complications as they promote this form of cruelty as presumably girls or guys they like are sent to be lowly concubines within their ranks and is above the law with the Prefect acting as their muscle as they choose whom to beat up or torture. The food is inedible slop, there is no central heating, and creepy crawlies are everywhere. If you complain or write home to your parents, they won't

22“Power is in inflicting pain and humiliation. Power is in tearing human minds to pieces and putting them together again in new shapes of your own choosing. Do you begin to see, then, what kind of world we are creating? . . . A world of trampling and being trampled upon. . .. We have cut the links between child and parent, and between man and man, and between man and woman. No one dares trust a wife or a child or a friend any longer. But in the future there will be no wives and no friends. Children will be taken from their mothers at birth, as one takes eggs from a hen. . .” Orwell, Nineteen Eighty-four (New York: Harcourt, Brace, and Co., 1949), p. 270-271.

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Anais do V Colóquio Internacional Cidadania Cultural: Jovens nos espaços públicos e institutucionais da modernidade 05 a 07 de outubro de 2011 believe you (assuming your mail even makes it out of the school, that is). In the worst cases you could be sexually abused or even murdered while staying at the Boarding School Of Horrors, often doubling as an Academy of Evil. Still, count yourself lucky. At least you're not in an Orphanage of Fearŗ. On est là, on le voit, aux frontières de deux claustrations, oscillant entre le trope carcéral (et la plupart de films de pensionnat entreront peu ou prou dans la catégorie des Women in Prison chère à la sexploitation, notamment dans la figure hybride qu´est la maison de correction pour jeunes) et la pure extension de l´espace gothique, travaillé par les figures traumatiques du retour du refoulé qui iront jusqu´à l´irruption de la menace surnaturelle (il s´agira alors d´une variante particulièrement prenante de la maison hantée). Nous n´avons évidemment pas le temps d´évoquer les dizaines d´oeuvres qui reconfigurent ces tropes (il faudrait les dimensions d´une veritable monographie, que peut- être, forts de cette experience brésilienne, nous oserons entreprendre avec Sébastien). Je me limiterai donc á évoquer deux aspects complémentaires de l´implosion fantasmatique du modèle foucaultien déjà évoqué: son hypertrophie par une surenchère sadique et le détournement parodique de celle-ci qui débouche sur une contestation quelque peu ambigue. Au-delà des limites convenues (et, nous le savons, obsessionnellement réitératives) des cérémoniaux de la douleur délicieuse propres au fladge l´on assiste ainsi à une radicalisation des pulsions sadomasochistes dans le riche sous-genre du giallo où le locus horribilis du pensionnat gothique devient espace sacrificiel de victimes immanquablement féminines. Nude si muore ; Cosa avete fatto a Solange?; La Residencia ou Phenomena, pour ne citer que quelques grands classiques seront suivis de quantité d´oeuvres dérivées telles que Enigma rossa ou encore des oeuvres mettant en scéne des variations autour de l´institution scolaire telles que les mythiques Suspiria ou, limite déjà avec le slasher, Pieces de l´Espagnol maudit J. Piquer Simon. Co-scénarisé par le pionnier et maître du genre Mario Bava le film du vétéran gothique Antonio Margheriti Nude... si muore (sorti en pleine agitation de 1968) postule dès son titre même la loi structurelle du giallo, plus tard reprise par le slasher états-unien : le corps féminin ne peut se donner à voir sans attirer la mort, ce qu´illustrera par la suite le récit. Le texte de l´affiche américaine (et il faudrait faire toute une histoire paratextuelle du cinéma de genre, de par le rôle décisif qu´y joua le marketing sous toutes ses formes) établit lui aussi l´horizon d´attente qui campe le pacte de lecture du film : « Each a prisoner of her own

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Anais do V Colóquio Internacional Cidadania Cultural: Jovens nos espaços públicos e institutucionais da modernidade 05 a 07 de outubro de 2011 desires. Each a plaything ot the other´s unholy passions. Each a prey to the nameless horror that stalks the shadows ». Une triple menace donc, qui vient à la fois de l´intérieur du sujet déviant (puisque féminin, hanté par une sexualité qui ne peut être que pathologique), de ses camarades et supérieurs hiérarchiques (dans l´univers mortifère du giallo la maxime sartrienne de l´Enfer c´est les autres ne cesse de se décliner) et enfin de l´innomable horreur qui s´abat, tel un ange exterminateur sur ce monde clos de perversions. C´est ainsi que les six pensionnaires enfermées pendant les vacances d´été dans le select internat féminin St Hilda, parfaitement isolé dans le sud de la France, vont périr progressivement aux mains d´un anonyme psychopathe comme l´exige le genre. Dès l´ouverture, toujours dans les régles du genre, une beauté dénudée et donc victimaire est étranglée et noyée dans ce locus terribilis prédéstiné du giallo qu´est la douche (intertextualité hitchcockienne oblige, constituant la matrice psycho-visuelle du genre). La scène est explicitement offerte à notre voyeurisme puisque le giallo nous impose systématiquement le point de vue du tueur qui reste anonyme jusqu´au dévoilement final de son identité, jouant ainsi de la bivalence identificatoire de la scopophilie cinématographique, à la fois jouissant de façon masochiste de l´angoisse pour le sort inévitable de la victime et se délectant de la position sadique de la caméra littéralement meurtrière. Le cadavre est ensuite manipulé par les mains gantées du tueur (autre topos du genre, icône du caractère inmanquablement pervers du psychopathe combinant l´idée de préméditation, de dissimulation et le rapport fétichiste à l´objet de désir) qui le traînent jusqu´à une malle, ensuite transportée jusqu`à un train en partance pour une pension de jeunes filles. Le récit qui commence se place donc sous le signe de la progression du cadavre fétichisé de la femme, dont il ne sera qu´une sorte d´extension fantasmatique (et le genre, on le sait, se situe bien plus du côté de la ritualisation du fantasme que du récit logocentrique traditionnel). Une première disparition (celle d´une fille étranglée dans la cave où se trouve la mystérieuse malle) trouble la vie de cet idyllique et luxueux havre de paix, le giallo étant fasciné par les milieux et les créatures de luxe qu´il s´agit de mettre à mal et à mort, à la fois reflet de l´esthétisme généralisé qui articule la stylistique outrée du genre et une sorte de fantasme populiste de voyeurisme et revanchisme à l´égard des dominants. Après avoir découvert le cadavre dans la maison aux oiseaux, puis l´avoir vu à nouveau disparaître (c´est là un des topoï du giallo, sorte de fort-da macabre qui joue avec la manipulation du spectateur

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Anais do V Colóquio Internacional Cidadania Cultural: Jovens nos espaços públicos e institutucionais da modernidade 05 a 07 de outubro de 2011 autant sinon plus que des personnages), la belle et riche Lucille prend son inévitable douche, observée par le jardinier grossier et voyeur sur un arbre perché (figure inévitable de ce sous- genre, dégradation du modèle lawrencien de l´Amant de Lady Chatterley) dont les mouvements syncopés (humoristique pendant du geste onaniste) l´alertent, déjouant le suspense installé par la mystérieuse scène d`ouverture et les codes hitchcockiens convenus. On assiste alors à une des variations retorses dont le giallo se délecte, puisque la jeune fille ayant sagement fui en oubliant de fermer le robinet, la douche fonctionne comme un piège prêt pour une nouvelle victime qui cette fois-ci tombera aux mains strangulatoires du tueur anonyme. Commence alors une double enquête, menée à la fois par l´inévitable inspecteur et par une des internes, lectrice modèle de romans policiers à énigme (les gialli littéraires dont le genre filmique est une magnifique perversion) alors que les suspects habituels prolifèrent, du jardinier cité (gênant témoin qui est vite éliminé dans une scène elliptique qui montre bien à quel point le « bel art du meurtre » ne peut être dans le giallo que gynécide) au beau professeur d´équitation courtisé par les jeunes filles en fleur ou encore le maître-nageur, dont le masque et la combinaison de plongée constituent des parfaits accessoires de tueur giallesque. De fait c´est dans cet accoutrement que le tueur tentera de noyer une autre interne dans la piscine dans une nouvelle méprise macabre, puisque cette victime a pris la place de Lucille pour aider celle-ci dans son intrigue romanesque avec le professeur Richard, qu´il s´agit d´occulter à la police. Les coups de théâtre se succèdent selon l´art labyrinthique du genre, hypertrophie du code herméneutique propre au récit policier classique avant le dévoilement final du mystère qui comme toujours joue sur une inversion de genre sexuel (encore une fois Psycho sert ici d´hypotexte) : la sadique, disciplinaire et sexuellement ambigue Ms. Clay (Ludmila Lvova) était en fait un homme (plus exactement il s´agit d´un usurpateur de l´identité de la véritable Ms. Clay, dont le cadavre a été trouvé dans la fosse de chaux). Le « mcguffin » habituel dans le genre de la détection classique (les whodunits via notamment les krimis de Edgar Wallace) reste l´héritage qui doit échoir à Lucille et dont le faux Ms. Clay (Pierre, son cousin cupide et homicide) voulait à tout prix s´emparer multipliant les méprises macabres (celles-ci abondent dans le giallo, comme si l´assassin était tout aussi perdu que le spectateur lui-même au milieu des faux-semblants de cet univers baroque). Ce contenu explicite hautement invraisemblable

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Anais do V Colóquio Internacional Cidadania Cultural: Jovens nos espaços públicos e institutucionais da modernidade 05 a 07 de outubro de 2011 n´est de fait que le prétexte au déploiement de la logique pulsionnelle qui articule véritablement le récit. Illustrant la « panique générique » (gender panic) qui préside la logique pulsionnelle du giallo, l´androgynie devient ainsi expression suprême de la pathologie, explication quasi-tautologique (puisque telle est la force de la réitération rhétorique des structures du genre) de la pulsion mortifère envers l´insolente beauté des jeunes pensionnaires. Alliant la claustration, le voyeurisme et l´oxymore central de la belle jeunesse promise à la mort au fantasme de la violence disciplinaire, le pensionnat allait donc devenir un des hauts-lieux de cette cérémonie du meurtre sexuel qu´est le giallo, avec notamment une de ses oeuvres les plus fortes et transgressives, Cosa avete fatto a Solange? de Massimo Dallamano, 1972. Cette œuvre se dit vaguement tirée d´un roman du maître du krimi Edgar Wallace (co- production avec la maison allemande Rialto oblige) qui avait déjà inspiré un film de psychopathe pensionnaire, Der unheimliche Mönch (H. Reinl, 1965) où le moine éponyme, armé d´un fouet qui est à la fois instrument sado-masochiste et arme fatale (la scène où il s´attaque de la sorte à une décapotable reste un des grands moments camp des krimis, envers ridicule de la strangulation de la belle Lola Winters où les deux aspects du fouet se rejoignent), sème la terreur dans le pensionnat du château londonien Dartwood. Dans ce premier film l´intrigue tournait, comme dans la formule de détection classique chère à Wallace, autour d´un héritage contesté selon les codes établis du genre, dont on connaît l´influence sur le giallo mais aussi les éléments qui l´en dissocient (notamment la structure classique de l´intrigue policière nourrie d´un humour douteux et le culte des gagdets dont le fouet du sinistre moine est un avatar). Bien que le potentiel érotique du cadre ne fut que discrètement évoqué, le succès du film entraîna une suite deux ans plus tard, The College-Girl Murders, cette fois-ci en couleurs (avec un moine rouge, tradition pulp oblige) et avec un gadget encore plus bondien, le poison méphitique qui fait émane, symptomatiquement, du missel lors de la lecture par une des appétissantes pensionnaires. La tradition du fladge se faisait plus explicite, certaines étudiantes se rendant à des soirées spéciales organisées par des professeurs pervers qui devenaient, selon l´usage du genre, des parfaits suspects pour éloigner le spectateur du véritable coupable. Le film de Dallamano allait pousser jusqu´au paroxysme la bivalence érotico-macabre du sous-genre annoncée par les krimis et le film de Margheritti, devenant le plus célèbre des

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« gialli au pensionnat » et donnant lieu à une trilogie des « écolières en péril ». D´emblée le spectateur est plongé dans cette bivalence, puisque la scène idyllique du bateau sur la Tamise où le « professeur de désir » Enrico Rosseni (Fabio Testi) tente de jouir des faveurs de la belle adolescente Elizabeth (Cristina Galbó) juxtapose l´acte sexuel frustré (attribué par cet ambigu pédagogue à « l´éducation qui empêche [sa belle] de se comporter comme toute fille normale de son âge ») à la vision imparfaite (élément essentiel du giallo) du meurtre de la jeune collègue de cette dernière Hilda. Qui plus est, ce meurtre est un des plus emblématiques de la pulsion de mort qui anime tout le genre (et une des plus choquantes du cinéma de cette décennie pourtant riche en transgressions de tout poil), puisqu´il s´agit de la pénétration de la lame meurtrière dans le sexe même de la victime. La scène elle-même relève plutôt du fantasme que de la vision, puisque l´irréalisme du montage évite tout effet de spatialisation selon les codes du Mode de Représentation Institutionnel. Ce statut fantasmatique de l´image revient lors du flashback pendant la scène de sexe dans l´appartement du professeur et enfin lors du cauchemar où Elizabeth remémore enfin le costume de prêtre de l´agresseur. Le niveau psychanalytique, tellement surexposé qu´il en devient suspect de cacher d´autres contenus latents, se combine d´entrée de jeu avec la stratégie narrative, articulée autour du dilemme du couple illicite et qui plus est adultérin, complexification du punctum habituel autour duquel s´articule la narration du giallo selon l´étude de G. Needham repris par Will Wright23. Dire ou ne pas dire devient à la fois un enjeu moral, une mécanique du récit pour entretenir le suspense et une forme de métafiction pour désigner l´esthétique même du genre, pris entre la monstration du « réel » au sens lacanien et les stratégies de son évitement, notamment le prétexte de la fiction herméneutique propre au roman policier. La dilation même dans la présentation du personnage qui donne titre au film (qui n´apparaît qu´au bout de 71 minutes) pousse à l´extrême ce jeu du non-dit sur lequel s´articule non seulement le genre, voire le récit cinématographique mais aussi, on l´aura compris, la société catholique elle-même (puisque malgré l´inscription du film dans un boarding school britannique toute

23“The common element of mystery within the giallo is figured upon the punctum: “an inconsequential detail that pricks the eye, adding something that the narrative and mise-en-scene itself can neither contain nor foretell.” [7] The punctum usually consists of the main protagonist witnessing a primal scene (usually a violent murder), from which they attempt to recall some clue to the assailant‟s identity. As the protagonist pursues the mystery, they continually recollect their gaze upon this act (the punctum) for further clarity and solution. (…)The punctum thus initiates the giallo‟s fascination with seeing and thus the „gaze‟; not only with detection, but also with the presentation of violence within its narrative”. “Dario Argento, Maestro Auteur or Master Misogynist?” Offscreen, vol. 10, n. 4 (30 avril 2006)

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Anais do V Colóquio Internacional Cidadania Cultural: Jovens nos espaços públicos e institutucionais da modernidade 05 a 07 de outubro de 2011 l´iconographie renvoie au catholicisme, à commencer par la figure du prêtre meurtrier, héritée, on le voit, du « moine sinistre » de l´autre Wallace). Les meurtres vont bien entendu se succéder, selon une logique lacanienne de la répétition qui fait du genre tout entier une sorte de « sinthome »24. Mais aussi, en relation dialectique avec ceux-ci, les scènes de nudité et de perversions sexuelles sous prétexte de montrer la décadence morale de jeunes nymphettes d’un lycée privée anglais (Ŗthose girls know what it´s all about for sure. They´re all sixteen and surrounded by secret boyfriends, petty jealousies, and orgies and lesbian games...ŗ résume un des supects), qui, bien qu´externe, fonctionne selon les axes du pensionnat clos, notamment lors des deux scènes symétriques de douches, observés par le trou pratiqué par un enseignant voyeur auquel nous sommes contraints de nous identifier. Là nous est donné à voir cet autre envers du « réel » qui tenace l´œil pervers du giallo. Le trinianisme pervers des filles (qui sont « loin d´être des anges ») appelle le meurtre purificateur selon le schéma misogyne que le genre léguera au slasher puritain de l´ère reaganienne, de même que la vision des corps appelle inévitablement leur mutilation (il est symptomatique que le seul meurtre qui n´aie pas recours à la pénétration brutale du couteau, répétition vengeresse du geste de l´avortement qui provoqua la folie de Solange, mette en relief la serviette rouge flottant dans l´eau en guise d´hémorragie de l´hymen pour le reste inviolé d´Elizabeth). Une même ambiguïté, faite de fascination et de répulsion, caractérise ce double regard, situant le spectateur en une position malaisée, renforcée par l´explicitation de son plaisir à la fois sadiste-voyeuriste et fétichiste-scopophile selon l´analyse célèbre de Laura Mulvey. Toute l´ambiguïté du schéma masochiste selon Freud (dans son célèbre article de 1919 « Un enfant est battu ») se retrouve dans notre double identification au meurtrier (par l´adoption de son point de vue en caméra subjective, phénomène repris par le slasher) et aux victimes (par l´angoisse que suscite en nous l´attente, puis la violence extrême des meurtres, substituts pour Freud Ŕet ses disciples mutins que sont les réalisateurs de gialli- de l´agression sexuelle). Il n´est jusqu`à l´effet du fantasme freudien lui-même qui ne soit recombiné par le giallo

24 “The killer, instigator of violence, also engages in repetitive „flashback‟ sequences, wholly Freudian in nature, that refer back to some repression (often a primal scene) that motivates their serial acts of murder. These acts are directed with aesthetic detail and poetic nuance through the „gaze‟ of the assailant upon their victim. This fascination with the gaze within the texts embodies examples of both varieties noted by Mulvey: (1) sadistic-voyeurism and (2) fetishistic-scopophilia; with these tendencies marked by fragmented point of view shots of female victims penetrated with phallocentric weapons: knives, spikes, scissors and broken glass” (Id, ibid).

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Anais do V Colóquio Internacional Cidadania Cultural: Jovens nos espaços públicos e institutucionais da modernidade 05 a 07 de outubro de 2011 dans sa mise en écriture même 25 . De là aussi le jeu, caractéristique du genre, entre transgression et affirmation de la Loi, qui ne peuvent, selon le schéma bataillien, que constituer les deux faces indissociables du même phénomène. C´est ainsi que le sens du film excède inévitablement la fin moralisatrice qu´il semble mettre en scène, créant une sensation persistante de malaise dysphorique en conflit avec la clôture narrative du récit autour de la vengeance paternelle et l´apparent happy ending du couple légitime réuni, double retour à la normativité de la Loi. L´obsession du vagin pénétré par le couteau, phallus devenu meurtrier, trouve son origine dans la « scène primitive » de l´avortement traumatique de l´énigmatique Solange, déconstruction du récit des origines freudien à l´image de l´indicible qui pesait sur ce sujet tabou scindant la société italienne à l´époque du film. Mais la vengeance du Père excède par une hybris affolée la réparation escomptée, se payant la suprême victime dont le spectateur garde encore le souvenir, la virginale Elizabeth, madone adolescente sacrifiée au cycle infernal de la vendetta étudié par R. Girard. Le succès à scandale du film entraîna une variation autour du thème des collégiennes en péril du même Dallamano, La lame infernale (La polizia chiede aiuto, 1974) où l´on retrouve maint écho structurel et thématique du premier opus. Il s´agit encore une fois d´un meurtre (maquillé en suicide d´une collégienne enceinte) qui cache le secret des turpitudes sexuelles des adolescentes mais aussi, cette fois-ci, des notables pervers qui, avec la complicité de l´institution médicale représentée par le docteur Beltrane (« un pervers, un obsédé et un impuissant » sous ses dehors compatissants), les droguent et abusent sadiquement d´elles. Œuvre hybride à la lisière du giallo, du poliziottesco et du thriller politique, il s´agit d´un film avant tout de la désillusion encore plus pessimiste que son précédent, tout entier hanté par la perte de l´innocence des jeunes. La fascination pour les visages angéliques qui ne sont que tromperie traverse à nouveau ce film (on retrouve au générique la joyeuse bande d´adolescents en moto qui fait pendant à l´excursion en vélo des amies de Solange, scène qui

25 « L'aveu de ce fantasme n'est consenti qu'avec hésitation, le souvenir de sa première apparition est incertain, une résistance sans équivoque s'oppose au traitement analytique de cet objet, honte et sentiment de culpabilité s'émeuvent à cette occasion peut-être avec plus de force que lors de communications semblables portant sur les premiers souvenirs de la vie sexuelle (…) Qui était l'enfant battu ? L'auteur du fantasme lui-même ou un autre enfant ? Etait-ce toujours le même enfant ou était-il indifférent que ce fût souvent un autre ? Qui était-ce qui battait l'enfant ? Un adulte ? Mais qui, plus précisément ? A toutes ces questions ne faisait suite aucune solution éclairante, mais toujours uniquement la même réponse timide : Je n'en sais pas plus ; un enfant est battu» (Freud, « Un enfant est battu », Oeuvres Complètes, vol 15. Paris : PUF, 2002, p. 115s). Par où l´on reconnaît les hésitations et les choix formels même du giallo, marqué, tout comme les patients évoqués par Freud, de « névrose obsessionnelle ».

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Anais do V Colóquio Internacional Cidadania Cultural: Jovens nos espaços públicos e institutucionais da modernidade 05 a 07 de outubro de 2011 préfigurait son sauvage avortement) ainsi que la question lancinante de la virginité, du brutal diagnostic initial (« on a retrouvé du sperme dans le vagin, dans l´anus et dans l´estomac ») au délicat flash-back où Laura Volare remet ses culottes après avoir été narcotisée par le docteur, en passant par « l´autre scène » qu´il nous est donnée à évoquer mentalement à partir des voix enregistrées dans le magnétophone, ingénieux et efficace procédé qui renforce l´aspect fantasmatique de ces orgies d´adolescentes livrées à des « vieillards vicieux ». Cette perte de l´innocence devient miroir à la fois de la corruption de l´ensemble de la société italienne dans ces « années de plomb » et, davantage peut-être, d´une sorte de faille ontologique héritée du pessimisme chrétien. L´acceptation finale de ce monde mauvais par les inspecteurs qui étaient censés, selon les codes génériques du polar classique, rétablir la Vérité en faisant triompher la Justice, s´accompagne de leur propre engluement, la fille de Valentini faisant partie elle-même du réseau de prostitution sur lequel repose l´énigme. La fin abrupte frustre notre appétit de rétablir l´ordre à la fois narratif et axiologique, nous confrontant à la banalité du mal quotidiennement assumée par les pouvoirs en place et, malgré leurs états d´âme, leurs chiens de garde. Un troisième volet de la trilogie ne put voir le jour qu´après la mort de Dellamano, de la main de l'obscur Alberto Negrin. On retrouve dans Enigma rosso (1978) la synthèse des deux films précédents, renforçant l´iconographie classique du pensionnat sans cesse menacé par le regard du mystérieux tueur, épiant inlassablement les jeunes corps des collégiennes. Le cadavre violé de Angela, pensionnaire de Sainte Teresa au nom trompeur, est retrouvé dans une rivière, dans une bâche en plastique transparent. L'inspecteur Gianni Di Salvo (Fabio Testi) est chargé de l'enquête, où il apprendra, grâce au témoignage d'Emily, la petite sœur d'Angela, que cette dernière faisait partie d´un petit clan, celui des « Inséparables » qui fuguait régulièrement afin de monnayer leurs charmes lors de soirées spéciales. La sexualité est devenue, air du temps oblige, plus présente, des scènes de douche résolument WIP aux flash-backs des orgies pédophiles des notables véreux, avec notamment un viol sadique au godemichet qui reprend le motif de la pénétration meurtrière tout en jouant visuellement avec l´œil de la caméra, à la fois pénétré et pénétrant, emblème du régime voyeuriste du giallo tel qu´étudié par G. Needham dans « Playing with genre ». La tranquillité contemplative de ce pensionnat modèle est à l´image du masque de sérénité et de sagesse de ses régisseurs qui cache les pires perversions, créant à nouveau un climat

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Anais do V Colóquio Internacional Cidadania Cultural: Jovens nos espaços públicos e institutucionais da modernidade 05 a 07 de outubro de 2011 morbide rempli de secrets inavouables qui lentement apporteront la terrible lumière sur les motivations du tueur, cette fois-ci dédoublé entre l´image de l´innocence meurtrière (oxymoron cher à ce genre essentiellement néobaroque qui donne les titres Virgin Terror et Virgin Killer en Australie et Angleterre) d´un enfant qui tente en vain de venger sa soeur assassinée et la violence institutionnelle qui se cache derrière le masque de cette « Némésis » dont les goûts poétiques renvoient à l´âge des Vanités, tout en annonçant le motto de la saga lynchéenne de Twin Peaks (« Fire Walk With Me »): "Corri verso la morte / La morte ti viene incontro / e tutti i tuoi piaceri sono come tanti ieri. Nemesis". Mais c´est surtout dans l´oeuvre atypique de N. Ibanez Serrador La Residencia que le lien entre la logique sacrificielle du giallo et le modèle sadomasochiste foucaultien est clairement formulé. Nous ne pouvons évoquer dans le détail ce film majeur aux significations multiples mais signalons surtout comment s´y établit d´emblée la consubstantialité du dressage disciplinaire des corps et la circulation du désir sado-masochiste, incarné par la parfaite über-dominatrix qu´est la directrice Mme Fourneau (l´inoubliable Lilli Palmer) dont la répression des désirs sexuels à la fois envers ses pupilles et son propre fils se traduit par une personnalité authoritaire, anale et sadique. Ce désir engendré par la mécanique du pouvoir circule selon les axes hiérarchiques de cet univers clos jusqu´aux internes elles-mêmes qui reproduisent les humilliations et les flagellations qu´elles subissent auprès de celles qui leur sont soumises. Des scènes restées célèbres (et qui par ailleurs illustrèrent souvent les affiches promotionnelles du film dans ses versions étrangères) constituent des exemples notoires d´iconographie sado-masochiste cinématographique. Sous couvert de simple exploitation voyeuriste de cette paraphilie (ainsi que les autres « perversions » qui lui sont habituellement associées dans le discours médico-disciplinaire et pornographique, telles que le tribadisme et l´onanisme chers à la lesbploitation) le film avance une déconstruction para-foucaultienne des mécaniques du pouvoir, renforcée par le sous-texte politique où l´institution qui donne titre au film devient le miroir déformé de la dictature franquiste. A cela s´ajoute, héritée du giallo, la violence psychopathologique qui s´abat sur les pensionnaires de la main gantée du tueur anonyme, qui est ici un pur produit de cette mécanique devenue littéralement folle. Il s´agit en effet du fils de la directrice qui, en réponse aux stricts interdits dont celle-ci entoure toute expression de sexualité, a décidé de se construire, trés littéralement, une femme à la mesure de l´imago de sa mère, ce qui ne peut se

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Anais do V Colóquio Internacional Cidadania Cultural: Jovens nos espaços públicos e institutucionais da modernidade 05 a 07 de outubro de 2011 faire par un collage macabre des membres épars des différentes victimes. Sous la fable tellement oedipienne (et plus encore que freudienne, ultra-lacanienne) qu´elle en devient suspecte et la parodie noire de la maternité fusionnelle et castratice méditérranéenne se dit l´horreur ultime d´un systéme de dressage des corps où « les spirales perpétuelles du pouvoir et du plaisir » se traduisent par une tératogonie politique. Cette surenchère sadique hantera encore quantité de gialli et de slashers pensionnaires que nous ne pouvons, sans tomber dans des fâcheuses et inutiles redondances, évoquer dans le détail. L´on y retrouve, détournées et radicalisées, « les spirales perpétuelles du pouvoir et du plaisir » du modèle foucaultien qui marquaient la tradition sado-masochiste du pensionnat fladge, dans une formule complexe qui combine divers aspects disciplinaires tels que volonté panoptique (à la fois de l´œil de la caméra et de celui du tueur), impératif de l´aveu et fascination pour une « folie qui ne serait que crime » et inversement. Cette tradition continuera par ailleurs jusqu´à nos jours comme le montrent des œuvres telles que le néo- slasher suédois Strandvaskaren de Mikael Håfström (2004). Mais parallèlement s´est établi une autre tradition qui en constitue une sorte de corollaire inversé, opposant au sacrifice des jeunes victimes l´idée d´un sadisme congénital à cette belle jeunesse. Le triomphe de cette topique du contre-sadisme pensionnaire remonte à une oeuvre étonnante qui par le biais de la parodie ouvre une contestation du modéle disciplinaire qui, d´ambigue qu´elle est initialement passera à être manifeste dans des créations ultérieures. Symptomatiquement elle provient d´un vétéran des camps de prisonniers de la IIe guerre mondiale, Ronald Searle, rescapé, qui plus est, du célèbre « chemin de fer de la mort » sur le pont de la rivière Kwai, dont il dessina les atrocités avec un talent digne de G. Grosz. À son retour de cette horreur, Searle donna un tournant tout à fait inattendu au genre des school girls stories par une série de macabres caricatures centrées autour du pensionnat imaginaire St Trinian´s et qui connurent, fait encore plus inattendu, un succès sans précédent. Le macrocosme en délire de Henry Darger est ici contenu dans le cadre de cet humour noir que André Breton vient d´hypostasier et que l´on associera désormais à la « britishness » au même titre que la mélancolie spleenétique dont c´est en quelque sorte le corollaire. Dans ce jeu de massacre grandguignolesque l´univers douillet à la Angela Brazil, mais aussi celui des pensionnats au fouet du fladge faisaient implosion dans une comédie gothique d´un nouveau genre (dans la veine ouverte par la parodie des Monster Films hollywoodiens

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Anais do V Colóquio Internacional Cidadania Cultural: Jovens nos espaços públicos e institutucionais da modernidade 05 a 07 de outubro de 2011 des planches de la Famille Adams), hantée par la dystopie et la mort. Poussant jusqu´au bout ce « gentle art of murder » tout britannique qu´illustraient les microsociétés obstinément meurtrières des detective novels de Agatha Christie les petites pensionnaires accumulent allégrement les lynchages (Ŗnow for old Stinksŗ), les incendies (« Hands up the girl who burnt down the east wing last night »), les noyades (ŖI din´t realise it took so longŗ), les strangulations ("Go on, say it I promise to leave my body to Science"!), les tortures médiévales ("come along prefects. Playtime over" dit une des maîtresses, toujours aussi bénignes envers les espiègleries homicides des internes) ou raffinées (une fillette attend impatiemment la marée qui doit venir noyer sa camarade enterrée jusqu´au cou dans le sable : "Could you tell me the time, please?") ou bien encore tout simplement biscornues, à la croisée des romans d´aventures et de l´artefact surréalisme (« caught the little beast trying to warn Herbert Morrison"). Il en résulte une fâcheuse accumulation de cadavres dans les couloirs, nouvelle Danse Macabre pour une après-guerre sordide ("Cleaners getting slack, Horsefall"). La pédagogie est bien, comme dans la Société des Amis du Crime rêvée par le Divin Marquis, celle du meurtre, très souvent (comme chez Christie) par empoisonnement (ŖWell done, Cynthia, it was deadly nightshadeŗ…et l´autre planche: Ŗchuck those out- they´re harmlessŗ). Elle est aussi, dans la tradition du pensionnat gothique, mécanique sadienne de la violence (« Little Maisy´s our problem child" dit une des gouvernantes de la fille qui pend lamentablement dans le donjon, phrase qui ne peut être qu´ironique dans ce monde à l´envers) quand elle n´est pas, cette pédagogie, une pure parodie de l´incompréhension du monde des adultes, coupables d´une totale négligence envers l´horreur qui les entoure: "Some little girl didn´t hear me say "unarmed combat"... "But I only broke her leg, Miss", rétorque la petite villaine. Les sports traditionnels des girl school stories deviennent l´ arène de gladiatrices meurtrières : ainsi une des filles est-elle prête à injecter une piqûre fatale à sa rivale tombée, sous le regard désapprobateur (mais somme toute indulgent) de la professeure (« Fair play, St Trinian´s - use a clean needle »!). Cet univers macabre envahit même le langage codé des pensionnats à travers une série de jeu de mots sinistres "And this is Rachel our head girl", dit-on à propos d´une fille qui aiguise la lame de son gigantesque couteau devant une superbe collection de têtes coupées trônant sur des étagères. « It was inevitable that the débacle [Searle] had just witnessed, the atmosphere of cruelty and the smell of death in which he and his companions existed for four years, should

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Anais do V Colóquio Internacional Cidadania Cultural: Jovens nos espaços públicos e institutucionais da modernidade 05 a 07 de outubro de 2011 permeate his drawings so that the schoolgirl jokes took on their first flavour of violenceŗ signale sa compagne d´alors Kaye Webb avant de préciser: ŖIt hardly seems necessary to mention that Searle does not really think of schoolgirls as murderous little horrors. But unconsciously he was seeking to reduce horror into a comprehensible and somehow palatable formŗ 26 . Outre cette dynamique qui connectait avec la psyché collective de l´Angleterre d´après-guerre, la dystopie sado-amazonienne des pensionnaires de St Trinian´s parodiait, en les magnifiant, les topoï de la panique morale qui voyait dans les écoles pour filles (et dans le genre littéraire qui en découlait) un foyer d´indépendance et de déviance féminine (notamment sexuelle, qu´elle fût onaniste ou lesbienne). Contrairement à l´image populaire de la pensionnaire britannique honorable, tranquille et bien élevée, les filles de St Trinian étaient « violentes, voire démoniaques, adeptes au gin et aux cigarettes et totalement hors de contrôle »27. Searle se donne à cœur joie dans la parodie des stéréotypes de la femme fatale ("Angela Menace" en est le portrait le plus achevé, occupant à juste titre la couverture de The Terror of St Trinian´s) et de la petite madone perverse (l´iconographie transgressive des jarretelles à découvert anticipait curieusement la mode des naughty schoolgirls qui allait suivre, comme en témoignent par ailleurs les adaptations filmiques plus récentes), mais aussi de la flapper alcoolique (telle cette fillette dans la poubelle dont seules dépassent ses bottines, entourée par un cortège de bouteilles de scotch vides). Parodie aussi de la petite fille modèle qui fait ses prières (« And please rain fire and brimstone on the lot », demande-t-elle au saint vengeur) ou des âmes tourmentées à la Morticia Addams (« Well actually Miss Tonks my soul is in Torment", dit une fille solipsiste penchée sur son violon) voire du satanisme (deux fillettes appellent le démon à l´intérieur d´un cercle magique pour lui prier elles aussi de détruire le pensionnat : « go on, make him abolish prep » tandis que, ailleurs, le diable lui-même accompagne deux des filles le jour du Parent´s Day). Parodie enfin des stéréotypes classiques d´Aphrodite où l´on retrouve la mise à mal de Cupidon selon la tradition iconographique de l´Amour Puni (il est pris la main dans le sac "playing with lethal weapons...") mais les nouvelles bacchantes n´en ont que faire et il se produit un retournement amazonien, plutôt macabre, du topos de l´arc amoureux (« oh my god she´s in loveŗ disent des fillettes d´une camarade qui vise adroitement un garçon grassouillet de son arme meurtrière).

26 Searle, Ronald, The St Trinian's Story, Penguin, 1959, p16. 27 Dans l´étude en ligne du genre des School Girl Stories faite par Ju Gosling http://www.ju90.co.uk/indexsho.htm.

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Il se pourrait bien que sous cette parodie outrancière se dise, magnifiée, la crainte bien réelle de l´émancipation des jeunes filles qui suivit l´incorporation massive des femmes au travail pendant la guerre. Pour Siriol Hugh-Jones, le succès de la série vint de ce jeu de mise à distance : « Most English men cherish a profound fear and distrust of women of all shapes and sizes, particularly the shrewd, sharp canny ones liable to grow up into astute turf accountants, or demon barristers, or ace doctors specializing in forensic medicine. This means that men can safely laugh themselves insensible at the Searle girls, at the same time proving their point that females are basically jungly and out to kill, and if you can't beat them you can at least lock them awayŗ28 . Inversement, pour le public féminin, ces fantasmes sadéens d´émancipation pouvaient éveiller une certaine sympathie Ŗparce que les dessins, malgré toute leur joyeuse horreur, sont peut-être fondamentalement de leur côté », constituant même « the Schoolgirl's Marseillaise ». De fait, Searle lui-même attesta plus tard dans sa vie cette sympathie envers celles qui devinrent, nolens volens, « ses filles »29. Le fait est que cette explosion libératoire de cruautés absurdistes connecta, à la grande surprise de Searle (qui se lassa vite de la formule), avec toute une génération, imposant même le terme de « trinianisme » dans le langage courant (pour désigner les établissements trop laxistes ou les comportements délinquents des amazones). Plusieurs dessins furent rassemblés dans un premier livre, Hurrah for St Trinian's! (1947), préfacé par l´excentrique ponte de l´avant-garde vorticiste Wyndham Lewis (qui allait devenir le romancier du cycle dans The Terror of St Trinian´s, 1952) dans un curieux cross-over entre pop et high culture qui annonçait des évolutions futures30. Plusieurs autres volumes suivraient, tous des best- sellers : The Female Approach (1949); Back to the Slaughterhouse (1951), Souls in Torment (1953) et Merry England etc (1956). Fatigué par sa création et par les accusations portées par la presse britannique à chaque nouvelle exaction Ŗtrinianisteŗ faite par les délinquantes juvéniles de plus en plus médiatisées, Searle mit un point qu´il croyait final à ses petites maniaques.

28 Searle, Ronald, The St Trinian's Story, Penguin, 1959, p22. 29« [A St Trinian's girl] would be sadistic, cunning, dissolute, crooked, sordid, lacking morals of any sort and capable of any excess. She would also be well-spoken, even well-mannered and polite. Sardonic, witty and very amusing. She would be good company. In short: typically human and, despite everything, endearing” (In Davies, Russell, Ronald Searle: A biography, Sinclair-Stevenson, Londres, 1990, pp101-2). 30R. Graves, rescapé comme on l´a vu des vieilles boarding schools et des horreurs de la Première Guerre composa lui aussi un « School Hymn for St Trinian's »

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Mais le succès de celles-ci ne faisait que commencer, car le Septième Art s´empara vite de cet univers mortifère si chéri des Anglais pour en faire une série de comédies grand public. La première fut The Belles of St Trinian's (1954), qui s´ouvre, iconiquement, sur l´enseigne du pensionnat avec un fond sonore de mitraillettes (celles-ci étaient activées par des fillettes dans leur couloir dans un des dessins originaux), suivi par le défilé martial des filles armées jusqu´aux dents et suivies par un tonneau de gin dans les titres de crédit dessinés par Searle lui-même. L´arrivée du bus scolaire, topos inaugural du genre des girl school stories, provoque ici la frénésie burlesque des habitants (et jusque de leurs poules) qui tentent à tout prix d´éviter les filles dont ils connaissent, comme le spectateur implicite, les excès en tout genre. Pour donner un peu de piquant à la formule, le film ajoute à la tribu des « Searle´s Girls », devenues des Fouth Formers, une autre bien plus érotisée (celle des Sixth Formers) dans la lignée de l´Angela Menace originelle. C´est à cette fraction (parodie du topos disciplinaire des catégories d´internes) qu´appartient la flapper dissipée Arabella (Vivienne Martin), expulsée pour avoir brûlée le pavillon de sports qui, contrairement au gymnase incendié par une des camarades, n´était pas assuré (le topos de l´incendie, présent dans le genre parodié, est ici inversé car il ne s´agit plus d´une catastrophe subie par les héroïnes mais bien provoquée par elles). D´autres procédés comiques beaucoup plus conservateurs se superposent au canevas abstrait du sadisme searléen (présent dans les pièges qui jalonnent tous les couloirs et où tombe toujours Miss Butler après que la principale, plus futée Ŕil s´agit après tout d´un homme travesti-, les évite), notamment l´aspect vaudevillesque de la quête de la fortune d´une riche pensionnaire étrangère qui pourrait sortir l´école de la banqueroute où elle se trouve, doublée des enquêtes farfelues que la police mène au sujet de la vague de crimes qui émane comme une épidémie de St Trinian´s. Mais l´ambiance macabre qui avait fait le charme outrageant des dessins de Searle n´était plus qu´un vague élément de décor. Le film suivant Blue Murder at St Trinian's (1958) allait encore davantage s´éloigner de son modèle, présentant l´école occupée par l´armée, seul remède qui puisse contrer, symptomatiquement, les rebelles (nous sommes encore une décennie trop tôt mais les rébellions de la Hongrie pouvaient se lire à l´horizon de cette satire), unies désormais par leur hymne martial (écrit par Sidney Gilliat et resté célèbre à ce jour). Dans The Pure Hell of St Trinian's (1960) on se rapproche encore davantage de la Ŗcomédie sexyŗ à l´anglaise, avec les

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Sixth Formers kidnappées par des proxénètes arabes et délivrées par l´armée hétéroclite de leurs petites camarades (dont la violence subversive est embrigadée pour la bonne cause de la virginité Ŕque l´on suppose perdue- de leurs aînées). The Great St Trinian's Train Robbery (1966) montre l´essoufflement de la série, faisant appel au fait divers sensationnel du train de Glasgow qui avait eu lieu trois ans auparavant et, partant, à la parodie des films policiers que la nouvelle avait suscités. Banalisées et de plus en plus marginalisées dans leurs propres histoires, les pensionnaires homicides de Searle étaient devenues, chose qui semblait impossible, relativement normalisées. Différentes tentatives de les ressusciter à l´écran, du catastrophique The Wildcats of St Trinian's (1980), satire quasiment thatchérienne des syndicats, au reboot contemporain St Trinian´s (2007) et sa suite (St Trinian's 2: The Legend of Fritton's Gold) Ŕen attendant St Trinian´s 3 versus the world- n´ont pas, malgré (ou à cause de) leur aggiornamento, réussi à capturer la magie transgressive des planches originelles. Peut-être que l´horreur réelle sur laquelle elles s´étaient bâties Ŕ à la fois du traumatisme de la guerre (qui envahissait toute la culture d´après-guerre, des films noirs aux E. C. comics sarcastiques) et de l´institution disciplinaire en crise- n´a plus, dans nos sociétés post-disciplinaires, que la forme convenue d´un humour potache faussement transgresseur. À moins qu´il ne faille regarder ailleurs pour trouver le prolongement de l´imaginaire sado-amazonéen de Searles. C´est curieusement aux antipodes de la sphère culturelle britannique, dans le Japon des années 1970, que nous en découvrons un étonnant avatar : la saga des Terryfying High School Girls, films-phares de la sexploitation nippone connue comme la « pinky violence ». Délaissant le pensionnat stricto sensu pour la maison de redressement propre au film noir et au genre exploitatif des women in prison, cette série de la TOEI constitue une sorte de variation ultraviolente autour du « trianianisme » déchaîné. De cette étonnante quatrilogie (Terrifying Girls' High School: Women's Violent Classroom, 1972, et TGHS: Lynch Law Classroom, 1973, de , suivies par TGHS: Delinquent Convulsion Group, 1973, et TGHS: Animal Courage, 1973, de Masahiro Shimura) nous n´avons pour l´instant que le deuxième volet disponible et traduit. Dans la mal nommée « École de l´Espoir » des pin ups fétichisées par l´uniforme des lycéennes, ce sailor fuku dont le hentai et le JAV (Japanese Adult Videos) feront ses délices, se donnent aux plus violentes tortures dès la scène d´ouverture où l´autoproclamé « comité disciplinaire » vide de son sang une petite camarade (convenablement dénudée en top less pour l´opération)

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Anais do V Colóquio Internacional Cidadania Cultural: Jovens nos espaços públicos e institutucionais da modernidade 05 a 07 de outubro de 2011 dans un laboratoire qui renvoie à l´archétype fantastico-sadique des mad doctors. La victime réussit à s´enfuir mais elle est poursuivie jusqu`à la terrasse par les filles du comité qui provoquent sa chute dans le vide, évoquant d´emblée un des films les plus sadiques de la tradition nippone, le célèbre et polémique Go, Go, Second Time Virgin de Kōji Wakamatsu (1969). Par la suite trois nouvelles arrivantes (enfermées respectivement pour vol éhonté d´une voiture, dégommage kung-fu d´une bande de badauds et masturbation d´un camionneur qui finit en mort accidentelle d´un agent de police) vont s´unir selon le topos des girl school stories autour de la figure charismatique de Noriko Kazama (Miki Sugimoto), qui s´attaque au comité disciplinaire (elle enquête en réalité sur la mort de son amie défénestrée). La scène de la mise à nue humiliante (avec le fétichisme des petites culottes qui va caractériser des sous-genres nippons tels que le burusera), qui dévoile l´infiltration d´un transexuel (classique icône de la gender panic qui préside à ces productions), suivie des scènes d´humiliation dans les douches cèdent le pas à une série de tortures qui vont de la pénétration forcée d´une ampoule au supplice de la baignoire, plus connoté politiquement (de la Gestapo au waterboarding des Viêt Côngs par les U. S. Marines). Curieusement, celui-ci débouche ici sur une variation sadique du fétiche nippon du omorashi (équivalent du panty wetting), la fille étant forcée, après son ingurgitation forcée, à se retenir en cours pendant des longues heures devant le regard sadique de ses camarades jusqu'à souiller ses culottes en public. Plus explicite encore des traumatismes du temps, la scène de gégène appliquée aux tétons et aux sexes des deux victimes puis de Noriko elle-même qui, en faisant honneur à son surnom la Croix (et à celle qu´elle a tatouée, à la manière yakuza, entre ses jambes), s´offre de façon explicitement christique pour les délivrer. Le sacrifice sera pourtant inutile puisque, dans un retournement d´humour noir, les victimes, traumatisées, se pendront dans un couloir, hybris fatale du système qui poussera les internes à la révolte. D´autres scènes typiques du genre Women In Prison (illustré au Japon par la saga des Satori, La Femme Scorpion) se succèdent, telle que les bagarres violentes entre filles (mettant le corps féminin à rude épreuve pour la plus grande délectation des voyeurs), les viols des internées (traitées comme des simples esclaves sexuelles pour égayer les nuits des politiciens) ou les romances lesbloitation, toujours proches d´une certaine abjection comme le montrent les minauderies dans les toilettes où affleure une variation de l´urolagnie fétichiste nippone. La sexualité des « dominants » est comme il est convenu dans le genre toujours ridicule : ainsi

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Anais do V Colóquio Internacional Cidadania Cultural: Jovens nos espaços públicos e institutucionais da modernidade 05 a 07 de outubro de 2011 de la masturbation par vibromasseur interposé (très vintage par ailleurs) de l´assistante par le ministre qui finit, exténué, par s´endormir. Le kidnapping et viol collectif d´un des professeurs est à la fois fantasme de soumission du spectateur mâle et rituel d´humiliation de l´autorité ridiculisée dans son orgasme même qui l´infantilise puis par la rediffusion de ses cris en stéréo sur les haut-parleurs de l´école et enfin par son expulsion au milieu des rangs de jeunes filles qui entonnent l´hymne de l´établissement. La scène revient plus tard lors du guet-apens tendu aux mâles corrompus et pervers qui dirigent l´institution : "Oh! Des uniformes! Des filles en uniforme!", s´écrient sur le mode bouffon professeurs, proviseurs et directeurs avant de se lancer sur les étudiantes masquées (ils sont en cela les fidèles relais des propres spectateurs dont ils réalisent les fétiches). Le sexe, on le voit, est toujours selon la logique disciplinaire un instrument de pouvoir, une arme pour obtenir des informations, faire chanter ou se venger sur la gent masculine, immanquablement perverse. Fidèle à la grammaire du women in prison, le film met en scène la révolte amazonienne finale des pensionnaires contre leur véritables ennemis qui ne sont autres (phallocentrisme oblige) que les mâles qui les oppriment. Ironiquement, elles sont aidées en cela par un cynique maître chanteur, ainsi que par une autre chef de gang (la célèbre star du pinku eiga Reiko Ikke) débarquée avec sa moto selon l´iconographie de la bikesploitation féminine que Ikke et Suzuki venaient d´illustrer dans un autre classique de la TOEI dont ce film semble l´exact reflet, Girl Boss Guerilla (1972). La révolte culmine dans le saccage des différentes salles du lycée par les bacchantes en uniforme, la bataille rangée contre la police du haut des barricades (dans le plan le plus frappant du film, hommage inattendu à Eisenstein) et, image extrêmement subversive pour l´époque, un drapeau japonais brûlé sur une voiture en flammes. De par sa surenchère même cette fin outrageante (dans la lignée du classique du cinéma insurgent des révoltes étudiantes, le if… de Lindsay Anderson paru en l´année charnière de 1968) peut à la fois se lire comme la transposition enthousiaste des mouvements contestataires de l'époque ou leur parodie délirante et sexploitative ; c´est ce que pourrait indiquer la fin normative du film où, après l´incarcération des révoltées, le maître chanteur s´allume une cigarette sur les restes de sa voiture où son magot est parti en flammes, couronnée par une phrase digne des spaghetti westerns les plus débridés : « 50 millions de yens pour une clope ».

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Cette ambivalence (constitutive par ailleurs des genres de la sexploitation31) traverse tout le film qui, tout en respectant les archétypes phallocentriques du genre, ridiculise tous les représentants de l'ordre, mis en contradiction avec leur hypocrite soumission aux valeurs japonaises traditionnelles : des professeurs dont le but devrait être d´aider les délinquantes à « devenir des mères et des épouses modèles » aux ministres libidineux, le sous-préfet véreux et les kapos pensionnaires, payées en sous-main par celui-ci pour faire ses basses besognes. C´est cette même ambivalence qui permettra, un an plus tard, une étonnante transformation de ce pinku eiga trinianesque en véritable pamphlet révolutionnaire. Ancien membre de l´Internationale Situationniste, René Viénet s´empare en effet du film de Suzuki pour en faire un « détournement » typiquement debordien, Les Filles de Kamare (1974)32. Toutes les scènes du film, reproduit en intégralité (et conservant sa bande son originale), sont sous-titrées de façon subversive, transformant de fond en comble le sens du récit, devenu « le premier film porno japonais subversif » intitulé de façon potache Une petite culotte pour l´été (allusion au fétiche nippon souvent réprésenté dans le film). « Ç´aurait dû être plus porno plus subversif », s´excuse le « narrateur » pendant que l´on entend le discours incompréhensible du principal devant les rangs disciplinaires des fillettes, « Prenez-en à vous mêmes, spectateurs. Vous supportez qu´il y ait une censure pour veiller sur vos bonnes moeurs. Il reste à faire de la liberté des abus divers et précieux ». Le ton soixante-huitard est d´emblée donné. La meneuse du comité disciplinaire devient ainsi une commissaire du peuple qui endoctrine sa victime (« nous avons appris la torture pendant les guerres coloniales. L´ennemi intérieur devrait s´en souvenir. Si le peuple était lucide sur ses misères chaque mourant se ferait plaisir en butant quel qu´un ») tandis que la sadique transfusion devient métaphore sociale aux accents clairement foucaultiens (« c´est votre sang qu´on pompe dans les prisons, les écoles, les usines »)33. Le meurtre initial est occulté avec la complicité des autorités (« on dira qu´elle est morte dans un ascenseur d´un arrêt du cœur ») tandis que la

31 Je me permets de renvoyer ici à mes articles « Sex Heil ! Apogée et chute du sadomasochisme psychotronique », in A. Dominguez Leiva et S. Hubier, Délicieux Supplices, Erotisme et cruauté en Occident, Dijon, Le Murmure, 2008, p. 387-401 et « Les paradoxes du cinéma culte, entre hétérotopie et subversion », Post-face à D. Aubray et G. Visy, Les oeuvres cultes entre transgression et transtextualité, Paris, Publibook, 2009. 32 Libre de droits, visible sur http://www.ubu.com/film/vienet_kamare.html 33 Il est toutefois intéressant de noter que Surveiller et punir ne paraîtra qu´un an plus tard, témoignant donc d´un veritable Zeitgeist contestationnaire.

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Anais do V Colóquio Internacional Cidadania Cultural: Jovens nos espaços públicos e institutucionais da modernidade 05 a 07 de outubro de 2011 scène du vol de voiture devient révolte subversive ("au nom de la loi je vous arrête", "au nom de la liberté j´aimerais bien te supprimer"). Des citations de Guy Debord sur la société du spectacle détournent le spectacle voyeuriste de la douche avant la rupture du pacte générique en un échange savoureux: "tu sais pourquoi tu montres ton cul?" "parce que c´est un film porno. Un film porno japonais subversif". "Te fous pas de ma gueule". Le narrateur réfléchit aussi sur le propre média lors de la scène lesbienne des toilettes : « le cinéma est à refaire (…) on n´échappe à la banalité qu´en la détournant ». Et pendant la scène de l´orgie avec les collégiennes, il se demande: "faut- il commenter la misère érotique des éducastrateurs ?" tandis que, lors de la torture à l´ampoule il remue la plaie du traumatisme français: « faut plus parler des tortures d´Algérie, les seules dont on peut parler c´est les tortures rétro pour faire bander les collabos ». Les personnages sont affublés de différentes symboliques politiques. Une des internes devient une « bouffeuse », voire une tueuse, de prêtres ("on a de mal à les répérer maintenant; ils ne sont plus en soutane et se déguisent en hommes normaux"). L´irruption de Riko devient celle de la "débauchée marxiste" qui vient "régler une vieille querelle avec la vicieuse bakuniniste" qu´est Noriko, le défi biker devenant controverse hégélienne (« ton retournement dialectique était bien réussi »). Le maître chanteur véreux devient celui que "les théoriciens peu lus ont délégué pour tuer le directeur", maintenant que "les contradictions de la petite bourgeoisie peuvent être largement exploitées". Son aura normalisateur de macho est lui aussi détourné par le jeu des genres sexuels: « j´ai rendez-vous avec mon amant qui sort tout à l´heure de son lycée ». Le ministre devient le « ministre des révolutions » (« Combien de pendus à la santé? une trentaine. Pas mal, plus besoin de guillotinner, hi hi ») tandis que les cours deviennent des leçons d´existentialisme (« aujourd´hui on parlera de l´existentialisme. Est-il un humanisme? » « On en a rien à foutre » rétorquent les pensionnaires) et que l´hymne de l´école devient chanson paillarde ("o Filles de Kamare quand la rage du cul vous prend vous êtes vraiment émouvantes tout bouge tout bouge tout bouge »). La catfight finale devient prétexte à l´apologie de la révolution culturelle chinoise tandis que la révolte se décline sur le mode situationniste (« elles veulent vivre sans temps morts et jouir sans entraves »), oscillant entre la pure monstration (« la violence prolétarienne se passe de commentaires et encore moins de traduction ») et le lyrisme révolutionnaire : « c´est aussi beau que le négatif qui fait avancer les choses, l´admirable

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Anais do V Colóquio Internacional Cidadania Cultural: Jovens nos espaços públicos e institutucionais da modernidade 05 a 07 de outubro de 2011 destruction qui reste, le premier et le plus indispensable des gestes constructifs. Faut-il encore parler de Watts, de ce sommet de la lutte contre la marchandise? ». Ou encore, l´ironie désabusée de ceux/celles qui n´abandonnent pas « la Lutte » : « c´était quand même pas mal. Très Potemkine à la fin. Vive la sociale. A la prochaine ». Il est intéressant de noter que les girl school stories classiques, dont le trintianisme était une féroce parodie sadienne, allaient elles aussi subir un détournement situationniste dans le contexte de la révolte punk contre le thatchérisme aux mains de Dick Appleyard et Dave Robinson. Leurs hilarants détournements des planches typiques des magazines scolaires des années 1930 pour Recycled Images créaient un contraste brutal entre l´image et le texte (« Angela still thought it was sexist- hiring a male stripper for the end of term disco ») qui attaquait, par le décalage anachronique, le nouveau conformisme de l´âge néolibéral34. Pour ce qui est du genre du pinku eigu de collégiennes il allait se poursuivre dans des œuvres telles que Sexy Battle Girls (1986) de M. Watanabe qui mêle vengeance et sévices à grand renfort de gadgets sadico-érotico-loufoques tels le vibromasseur-boomerang de Kyoko ou son complément inversé, la vagina littéralement dentata de Miraï. Le motif des pensionnaires vengeresses en butte à un système répresseur et corrompu ne cessera pas de hanter l´iconosphère nippone, gouvernée par toutes les déclinaisons sado-masochistes des écolières malmenées. Leur penchant masculin, reflet d`une crise des corps dressés de la virilité élevée à des proportions épiques, se fait aussi sentir dès la version psychopathique du if… anglais par Sôgo Ishii dans Panique dans le lycée (Kôkô Dai Panic, 1978). Quant à l´outrance satirique de Searle, elle allait nourrir toute une veine de l´humour noir anglais destiné à la jeunesse, du Crunchem Hall dans le classique Matilda de Roald Dahl (1988) à la Austere Academy du cinquième volume de la série à succès A Series of Unfortunate Events de Lemony Snicket. Nous en trouvons, en outre, un avatar particulièrement loufoque dans l´Ecole de la Guilde des Assassins de Ankh-Morpork (filière professionalisante du meurtre jadis élévé á la catégorie des Beaux-Arts par T. De Quincey),

34“It is the political and sexual innocence of the characters in these stories that now seems so extraordinary and odd to readers today. However, the very Victorian values of patriotism, colonialist expansionism and racist arrogance presented by these old books undoubtedly underwent a resurgence in eighties Britain with the Tory party's constant rejection of European values. That is perhaps one reason why Recycled Images postcards were quite popular with those British people who disliked these new/old Thatcherite values” (catalogue de l´exposition The Dinham Road School, Royal Albert Memorial Museum, 1996) v. aussi l´analyse en ligne http://www.ju90.co.uk/sit.htm

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Anais do V Colóquio Internacional Cidadania Cultural: Jovens nos espaços públicos e institutucionais da modernidade 05 a 07 de outubro de 2011 parodie explicite et avouée de Tom Brown's Schooldays dans l´univers hors-pair de Discworld créé par Terry Pratchett (Pyramids, etc). Après ce parcours qui nous a mené de la discipline aux délicieux supplices du fladge puis aux parodies violentes de ceux-ci dans le trinianisme, lui-même travesti en spectacle sexploitatif ou encore pamphlet révolutionnaire, le temps est venu de nous arrêter. Il resterait encore à explorer une autre route, en quelque sorte inverse, par laquelle le locus horribilis du pensionnat est devenu une des figures privilégiées de l´espace gothique contemporain, du pensionnat comme repaire maudit de sectes maléfiques (Satan´s School for Girls ; The Woods, etc) au pensionnat hanté (Umineko no Naku Koro ni; Los Otros, le manga The Dreaming ou encore le mini-cycle des Dead Boy Detectives dans l´univers du Sandman de N. Gaiman, etc) voire tératogonique, telle l´Académie des démons Youkai dans le manga Rosario+Vampire ou le dystopique Utopia Gakuen de Shitsurakuen, à la croisée entre le Handmaid´s Tale de M. Atwood et l´univers des Pokémon. Combinant plusieurs de ces aspects, le pensionnat comme lieu proprement initiatique à des mystères surnaturels triomphe dans l´iconosphère globale, de l´école magique de Roke (héritée des écoles druidiques) de Ursula LeGuin dans A Wizard of Earthsea (1968) à l´académie Hogwarts dans le cycle megaseller des Harry Potter, véritable hybridation entre le genre des school stories et celui de la Fantasy pour adolescents35. Mais d´Eros on est ici glissé du côté de Thanatos, rompant l´équilibre foucaultien qui avait articulé notre propos jusqu´ici et cette intéressante variation des menaces qui pèsent depuis l´âge disciplinaire sur les pauvres pensionnaires des deux sexes devra être remise, comme on dit aux enfants qui ont été sages, à une autre fois...

35J. K. Rowling a elle-même maintes fois reconnu sa dette envers Angela Brazil, Enid Blyton et autres classiques du genre. Ironiquement le succès planétaire du cycle a marqué un retour en force du système des boarding schools.

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