CHARLES BIRETTE

LE V AL DE S AIRE ILLUSTRÉ

SITES - MONUMENTS - HISTOIRE GRANDS PERSONNAGES

Hors texte : Cinq photogravures

Un dessin de M. A. SERVANT Quatre lithographies de M. G. MOUTY

CAEN Société d'Impression de Basse-Normandie 10, rue de la Monnaie 1932

A L'ORÉE

Le Val de Saire est mon pays natal ; je suis enclin peut-être à dépasser la vérité en faisant son éloge. Tou- tefois, je reste persuadé que cette région mériterait d'être plus connue, et c'est la raison principale qui m'a poussé à la décrire. Il suffit de l'aller parcourant pour la trouver belle. Mais plus d'un touriste, je présume, ne sera pas fâché, de savoir ce qu'en disent les livres, anciens ou récents, qui dorment dans les bibliothèques. J'ai donc consulté les meilleurs, afin de résumer leurs documents et leurs jugements. Des amis, des artistes, m'ont permis d'orner ces pages de gravures remarquables. Outre les portraits des illustres personnages du Val de Saire, on aura plaisir à retrouver l'habile et spirituel coup de crayon de M. A. Servant ; on appréciera les lithographies si expressives et si fine- ment touchées de M. G. Mouty. La bienveillance de ces maîtres égale leur talent. Qu'ils daignent trouver ici l'hommage de ma très vive reconnaissance. Maintenant, partons pour le Val de Saire. Entrons dans ce pays plantureux et riant. Voici le renouveau qui nous invite : allons Par les champs faire un peu d'école buissonnière, Saluer le clocher, le château, la chaumière, Et réveiller de vieux échos dans ces vallons.

Mai 1931.

Vue d'ensemble

On appelle Val de Saire la petite presqu'île arrondie qui termine celle du Cotentin à l'est de Cherbourg, comme la corne de la Hague la termine à l'ouest. Ce n'est pas une division administrative ; il comprend les deux cantons de Saint-Pierre-Eglise et de . Sa superficie est de 25.000 hectares et sa population d'environ 20.000 habitants. Son nom ne lui vient pas, comme certains l'ont cru et même écrit, de Vallis Cereris, vallée de la déesse Cérès, à cause du sol éminemment fertile, mais de la SAIRE, rivière qui le traverse de l'ouest à l'est, à peu près en son milieu. Elle prend sa source au Mesnil-au- Vial, sépare le Theil de Gonneville dont elle emplit l'étang, passe par Brillevast, , Valcanville, Anne- ville, et se jette dans la au sud de Réville, après un cours de 35 kilomètres. Il faut placer le Val de Saire parmi les régions les plus remarquables de la province normande. Pourquoi donc est-elle si peu connue ? Isolée comme la Hague, sa sœur jumelle, au bout du Cotentin, elle ne renferme aucune ville importante. Les Guides touristiques ne la signalent guère à l'attention ; leurs renseignements sont brefs, souvent erronés. Au surplus, elle est desservie par un petit train, primitif et irrégulier, dont la lenteur est légendaire. Et pourtant, ceux qui parcourent ce territoire les yeux ouverts en gardent un souvenir inoubliable. Il pos- sède des caractères propres, bien définis. S'il n'a pas, pour étonner les regards, l'âpre et sauvage beauté de la Hague — encore que la région de Fermanville pré- sente le même aspect que la Hague —, ses charmes cap- tivent par leur aménité et leur grâce ; ils sont plus reposants, beaucoup plus variés aussi. Et tout d'abord on admire, au milieu d'exquis paysages, le luxe de la verdure et l'incomparable richesse du sol.

La PLAINE ALLUVIALE qui s'étend au nord et à l'est, en bordure de la mer, depuis Saint-Pierre-Eglise jusqu'à Morsalines, est sans contredit la plus fertile de France (1). Elle l'est par sa nature même, et par les apports de tangue et de varech dont les sucs l'ont imprégnée depuis des siècles. Naguère elle était cou- verte de prairies et de céréales ; on y cultivait aussi du colza, du chanvre et du lin. Ces dernières récoltes ayant vu leurs cours diminuer, sont abandonnées depuis plus d'un demi-siècle. Peu à peu les champs se sont transformés en jardins potagers. La température est douce en hiver à cause du gulf-stream, le sol est précoce : il se prête donc parfaitement à la culture des pommes de terre hâtives, des choux-fleurs, et en géné- ral de toutes les plantes maraîchères. Et n'oublions pas le pommier, autre source de richesse, planté en abon- dance dans le labour et dans l'herbage : la récolte des pommes à cidre dépasse presque toujours les besoins de la consommation locale, et leur exportation se prati- que sur une grande échelle.

(1) Voir Le Val de Saire, par L. G., dans l'Annuaire des Cinq Départements de la Normandie, publié par l'Association Nor- mande, 1901. La PARTIE VALLONNÉE, qui occupe l'ouest du Val de Saire, a ses points culminants à la Pernelle (122 m.), au bois de Boutron (126 m.) et à Clitourps (140 m.) (1). Si elle est parfois moins productive, telle la lande de la Pernelle, en revanche elle excelle en sites admirables, en vallées délicieuses : il suffit de citer celle du Vast. Aussi bien, de petites forêts l'agrémentent ça et là, et leurs noms seuls font rêver : Pépinvast, Boutron, Blan- queville, Barnavast, Boisnet, le Rabey. Plusieurs domi- nent les hauteurs, couronnant ainsi le Val de Saire d'un diadême de verdure. Le pin et le sapin, le hêtre et le chêne s'y haussent le plus possible par dessus l'épaule des collines, pour regarder la splendide écharpe d'azur de la mer à l'horizon. Puis, quand la brise s'éveille, ces bois se mettent à échanger leurs réflexions dans « des conversations bien belles, je vous assure » (2).

Plus émouvante en effet que la vision des champs cultivés, des vallons et des forêts, il y a celle de la MER partout voisine, de la mer qui berce tout le Val de Saire de sa lamentation mystérieuse, comme surnatu- relle. A chaque aurore, quand elle « sert au soleil de vase baptismal », ses flots qui miroitent de mille feux semblent nous adresser des sourires éblouissants. Le soir tombe : aussitôt la nappe bleue s'assombrit comme un grand suaire qui imprègne l'âme de mélancolie... Autour de l'arc régulier que décrit la côte depuis le cap Lévi jusqu'à la pointe de Réville, la mer presque sans répit écume de colère à l'assaut des terribles récifs si nom- breux dans ces parages ; tandis que dans la baie de Morsalines — sa conquête — elle s'allonge et se retire sur le tapis de sable avec une douceur féline... La mer est le gagne-pain de beaucoup de riverains au Val de

(1) Sur le Mont Etelan, où se tient la foire Saint-Gabriel, le 13 octobre. (2) A. LE NORDEZ, Propos normands. Saire ; c'est le champ, fécond lui aussi, que labourent jour et nuit les pêcheurs de Fermanville, Cosqueville, Gatteville, , Réville, Saint-Vaast-la-Hougue. Trop souvent, hélas ! après les avoir bercés de sa houle, nourris de sa faune, grisés de sa rude haleine, elle les saisit pleins de vigueur, pour les rouler dans son vaste linceul et les coucher au fond de ses abîmes impéné- trables.

Si le Val de Saire est prodigue d'agréments natu- rels, on y rencontre aussi des MONUMENTS dignes de retenir l'attention : églises qui valent par la pureté du style comme celle de Quettehou, ou par leur déco- ration comme celle de Montfarville ; châteaux anciens comme à Tocqueville, ou modernes comme à Pépin- vast ; phares d'une hauteur inouïe comme à Gatte- ville, vieilles tours comme à Saint-Vaast. Puis cette région possède d'autres charmes, plus dis- crets, non moins curieux : ceux qui ont trait par exem- ple aux habitudes religieuses et aux antiques tradi- tions, ou bien aux légendes et aux croyances supersti- tieuses de ses habitants. (A vrai dire, ces traditions se retrouvent dans le reste de la presqu'île, mais plus effacées). Certes ! il y aurait un attrayant chapitre à écrire sur les Saints qui sont patrons des églises, et sur les fêtes, foires, pèlerinages auxquels ils donnent lieu, comme saint Laurent à Tocqueville, saint Lubin à Gatteville, saint Firmin à Valcanville, sainte Pétronille à la Pernelle, saint Blaise à Morsalines. Il faudrait signa- ler les fontaines aux eaux miraculeuses, surtout celle de saint Benoît à Néville et celle de saint Eloi à Réville. Mais il faudrait aussi s'asseoir au foyer des vieilles chau- mières, car il en subsiste dans beaucoup de hameaux. Et là, ne se croirait-on pas transporté soudain au Moyen- Age en écoutant les anciens conter des histoires de « varous » ou de « goubelins » (sorciers qui se chan- gent en bêtes et apparaissent la nuit dans les lieux déserts) ? Quant au PARLER POPULAIRE, il est plus caractérisé que partout ailleurs et compte parmi les plus savoureux de France. Il est si riche par son vocabulaire et sa phoné- tique que les étrangers n'y comprennent à peu près rien... Mais, loin d'être du français défiguré, c'est en grande partie la langue du XV et même du XII siècle, avec ses diphtongues, ses nasales et ses chuintantes, que parlent, sans s'en douter, les braves paysans (1).

Enfin, un pays est intéressant, non seulement par ce qu'il est, mais par ce qu'il fut. Qui ne trouve plaisir, en parcourant une région, à évoquer les souvenirs, les gloires de son passé ? Or, des FAITS HISTORIQUES impor- tants se sont passés au Val de Saire, et des personnages remarquables y sont nés. Celui qui fait le tour de ce coin de terre repasse à grands traits, pourrait-on dire, les périodes principales de l'histoire de France. Car la région de Saint-Pierre- Eglise, avec ses monuments mégalithiques, nous trans- porte jusque dans la préhistoire. Chemin faisant, la grande fréquence des noms de lieu terminés en « ville » nous rappelle les invasions des « hommes du Nord » au IX siècle, puisque c'est leur nom à peine modifié qui précède cette désinence. A Barfleur, nous revivons les siècles du Moyen-Age, surtout l'histoire de la Normandie sous les ducs et les rapports de ceux-ci avec l'Angleterre. Bien qu'il n'en demeure aucune trace palpable, les vieux documents renseignent suffisamment sur le passé glorieux de Barfleur. Gagnons Saint-Vaast, et nous voici au siècle de Louis XIV, de Vauban, de Tourville, tandis que nous contemplons les forts de la

(1) Sur le folk-lore et le patois, on trouve d'amples renseigne- ments dans J. Fleury, Littérature orale de la Basse-Normandie, et Ch. Birette, Dialecte et Légendes du Val de Saire. Hougue et de Tatihou, tandis que nous rêvons aux beaux navires de guerre qui dorment là, ensablés. Et l'époque contemporaine, dira-t-on ? — Eh bien ! pour avoir un large aperçu des tendances, des goûts, des idées politiques et sociales qui ont cours en France depuis plus d'un siècle, il suffit d'observer la physionomie des ILLUSTRES PERSONNAGES du Val de Saire. Au point de vue religieux, c'est Julie Postel travail- lant sur les ruines de la Révolution à la rééducation chrétienne (comme la plus importante et la seule effi- cace) de la jeunesse féminine, et fondant une impor- tante Congrégation pour continuer son œuvre. Au point de vue des arts, c'est Marie Ravenel représentant la poésie romantique, et Guillaume Fouace les divers gen- res de peinture au XIX siècle. Dans le domaine politique et social, c'est Alexis de Tocqueville étudiant en toute impartialité quelle forme de gouvernement doit succé- der à l'Ancien régime pour le plus grand bonheur des Français ; c'est enfin l'abbé de Saint-Pierre, ce grand précurseur incompris de son temps, inventant pour les générations futures une foule de réformes, et proposant surtout des moyens pratiques pour « tuer la guerre ».

Une idée apparaît déjà, qui s'imposera davantage quand nous regarderons ces personnages de plus près : au pays du Val de Saire, dont les charmes si variés s'harmonisent pour laisser une impression étonnam- ment suave, les âmes d'élite tendent vers un idéal qu'on peut toujours — si divers soit-il aussi — résumer en deux mots : beauté et bonté. 39.807. — S. I. B. N., 10, rue de la Monnaie, Caen

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