Trente-sixième année N°148 Mars 2015 (1er trimestre) Les Nouvelles 6 Euros d’

ÉDUCATION Scolarisation des filles MONDE RURAL Formes de crédit dans le centre de l’Afghanistan FEMMES Développement du leadership ISSN 0249-0072 ISSN des femmes afghanes Editorial Les Nouvelles d’Afghanistan SOMMAIRE N°148

MONDE RURAL Les formes de crédits dans le centre de l’Afghanistan Diplomatie ouverte par Aude PETELOT 3

FEMMES Développement du leadership des femmes afghanes par Fahimeh ROBIOLLE 7 Alors que l’ère Karzaï s’est traduite par une crispation croissante, avec un président qui semblait vouloir manifester son indépendance en disant le EDUCATION plus souvent non, Achraf Ghani renoue avec une attitude diplomatique plus ty- Scolarisation des filles piquement afghane d’ouverture tous azimuts. Bénéficiant d’une sorte de bien- par Etienne GILLE 12 veillance du Pakistan, il en joue à fond pour retisser des liens avec les Tâlebân. HISTOIRE Il cherche à obtenir, semble-t-il avec succès, l’appui de la Chine pour qu’elle La réouverture fasse pression sur le Pakistan. Les Chinois sont en effet intéressés à profiter du de la légation de France en 1945 retrait –même s’il n’est que partiel – des Américains pour s’implanter davantage par Gilles ROSSIGNOL 18 en Afghanistan. Le Président multiplie les voyages en Arabie dans l’espoir que celle-ci puisse amadouer les Tâlebân. Il effectue au passage l’Oumra (pèleri- EN FRANCE nage privé) qui lui permet de bénéficier de l’aura du bon musulman. Et il fait L’Afghanistan présenté avec le voyage à Washington dans le cadre d’une amélio- à des élèves de l’Ile de France par Inès SCHMITT 22 ration très sensible des relations afghano-américaines. Il remercie les Anglais pour leur aide passée, il remercie les Américains. Grâce à tous ces gestes, il crée un climat très favorable à l’ouverture de négociations avec les Tâlebân. DERNIERES NOUVELLES Il faut dire que le moment est particulièrement favorable pour parvenir à un Chronologie, brèves, bibliographie 24 accord avec ceux-ci. L’apparition de l’Etat islamique (Daech) et son développe- ment fulgurant attire à lui tous les internationalistes et les éléments les plus vio- lents des Tâlebân. Le départ de 90 % des forces étrangères ôte aux disciples Le nouveau gouvernement afghan de Molla Omar l’argument et peut-être la motivation de l’occupation étrangère. par Etienne GILLE 32

La montée en puissance de l’Etat islamique peut les pousser au compromis car ils ne pourront guère surenchérir en termes de cruauté. Ils peuvent en- fin craindre de perdre le soutien au moins passif du Pakistan qui lui aussi se rapproche des Etats-Unis. Bref, l’heure semble venue de la négociation et un moment plus propice ne se retrouvera peut-être pas avant longtemps. Mais quelle négociation ? Les femmes craignent d’en faire les frais et que leurs droits soient passés à la moulinette. On verra dans ce numéro la montée en puissance des femmes dans la vie publique afghane. Jamais il n’y a eu en Afghanistan autant de professeures, d’étudiantes, de filles scolarisées. Jamais autant de députées. Il semble difficile d’imaginer qu’on les oblige à nouveau à se cacher. Achraf Ghani et Abdullah Abdullah se sont d’ailleurs engagés plu- Photo de couverture : Inauguration d’un sieurs fois à ne pas brader leurs droits. Peut-être les Tâlebân ont-ils mis de bâtiment pour le lycée de filles Nazou Ana l’eau dans leur vin depuis le siècle dernier ? à Djalalabad, septembre 2014 (voir l’ar- Il faut espérer que l’Afghanistan n’aura pas à choisir entre une guerre pro- ticle Scolarisation des filles, pp. 12-17). longée, qui fait de plus en plus de victimes, et la mise sous le boisseau des Photo Matthieu Barbary, droits humains. Etienne GILLE Les Nouvelles d’Afghanistan 25 mars 2015 bénéficient d’une aide financière de l’ambassade de France en Afghanistan Adresse E-mail [email protected]

Les Nouvelles d’Afghanistan Site internet: www.afrane.org 16, passage de la Main d’Or -75011 Paris

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Des formes de crédit dans le centre de l’Afghanistan par Aude J. PETELOT*

Vallée de Bâmyân. Photo Aude Petelot « Allah anéantit l’intérêt usuraire et fait fructifier les aumônes. Et Allah n’aime pas le mé- créant pécheur », Le Coran, II v. 276. « Nous passons toute notre vie à crédit. Nous empruntons à l’un pour en rembourser un autre et pour les dépenses du ménage ». Comme ailleurs dans le monde, la question du crédit est cruciale pour beau- coup d’Afghans, que ce soit dans la perspective de développer leurs ressources, de vivre les grands moments de la vie, voire tout simplement de survivre. En- cadré, théoriquement, par l’interdiction religieuse de l’usure, il a été un enjeu de la réforme agraire voulue, mais mal pensée, par les communistes. C’est dire qu’il s’agit d’un sujet vital et sensible. Description de ce qu’il en est à Bâmyân et à Ghor.

Pour ainsi dire sans exception, les villageois sont im- dettes à honorer, toujours gardées à l’esprit lorsque se produit pliqués dans l’une ou l’autre forme de relations à crédit, et une rentrée d’argent, se hiérarchisent selon les formes de cré- souvent beaucoup en même temps, à la fois en tant que prê- dits, les relations entre prêteur et emprunteur, les projets et teurs et emprunteurs. Ces relations font intimement partie de les situations du moment. l’ordre social, lequel inclut des règles de prêt, d’emprunt, des obligations de rendre et d’assister les membres du groupe, de recevoir l’aumône, parfois présentée comme un prêt qui n’attend pas de remboursement, de se mettre au service d’un Un phénomène omniprésent créancier (qu’on ne pourrait pas rembourser autrement), Dans les provinces de Ghor et de Bâmyân, l’omnipré- d’hypothéquer un terrain, voire de marier une fille pour sol- sence du crédit et la double préoccupation « pouvoir emprun- der une créance réclamée, de laisser partir un fils pour des ter, pouvoir rendre », accompagnée par une troisième qui se- mois ou des années en quête de travail en Iran ou au Pakistan. rait « pouvoir prêter et assister », indiquent que les échanges Le crédit est réellement banal, naturel, omniprésent, et gé- différés jouent un rôle central : les villageois afghans font néralement considéré comme un recours indispensable ; les fréquemment intervenir le crédit dans les prestations et les transactions qu’ils réalisent tout au long de l’année, et plus particulièrement lors des dépenses importantes, ou au cours * Ancienne chargée d’étude pour le GERES au Ladakh (Inde) et dans la pro- de l’hiver quand les réserves, de nourriture en particulier, vince de Bâmyân. Ce texte est issu d’une recherche présentée pour conclure viennent à manquer. Dans la plupart des échanges et des un master d’ethnologie et anthropologie sociale à l’EHESS. prestations (matrimoniales notamment), interviennent in-

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Après les moissons. «Les villageois font fréquemment intervenir le crédit particulièrement au cours de l’hiver quand les réserves, de nourriture en particulier, viennent à manquer.» Photo Simon Biney directement des soutiens à crédit. Le crédit rural, sous ses ligieuse une compensation supplémentaire à la contrepartie différents aspects, constitue un élément presque omniprésent directe de ce qu’il a prêté. des relations sociales, ainsi qu’un pivot de l’organisation de la production et de la reproduction. Ces transferts et prestations à contrepartie différée se dé- clinent selon une grande diversité de modalités établies, qui Avantages et risques varient dans la nature de ce qui est échangé, les délais habi- Pour un créancier, le risque de ne jamais être remboursé tuellement observés et leur flexibilité, les éventuels surcroîts est présent ; il est limité par l’ancrage géographique des vil- de contreparties versés au prêteur. Ces éléments diffèrent se- lageois et l’ampleur du déshonneur qu’impliquerait le fait de lon les relations entre les protagonistes, leurs situations res- ne pas s’acquitter d’une dette. Il est compensé par la considé- pectives et collectives, le montant, le contexte et le motif de ration, voire le prestige, dont bénéficie le prêteur qui « aide » l’emprunt. par ses prêts, même lorsque la situation de l’emprunteur est Des crédits « en bons termes », personnels, aux conditions difficile. En cas de difficulté, le créancier a le pouvoir de- re très souples peuvent avoir lieu dans le cadre de relations réci- mettre une dette ; le débiteur ne peut guère, quant à lui, que proques ; d’autres sont fortement marqués par la hiérarchie et différer – parfois pendant plusieurs dizaines d’années – son la sujétion. Les crédits monétaires à « usure » ou à « intérêt » remboursement. À défaut, il sera en situation d’insolvabilité, (soud) relèvent davantage de l’échange marchand, au sens où et réduit à solliciter la compassion du prêteur. Certains, donc, ils sont conçus pour être directement profitables au prêteur, dont les revenus sont assez réguliers pour assurer la subsis- et où les transactions ont principalement lieu en dehors de tance, préfèrent éviter d’emprunter. Qu’ils veuillent se pré- liens personnels étroits et réguliers. Entre ces deux extrêmes valoir de n’avoir pas besoin de recourir au crédit, ou qu’ils se situent quantité d’autres modalités de crédit. Et souvent le craignent la honte de se montrer incapables de rembourser prêteur obtient sous une forme économique, sociale ou re- lorsqu’un créancier pressé réclamera son dû. Les crédits ne sont jamais tout à fait imperson- «Garder de bonnes relations entre le prêteur et l’emprunteur est primordial,» Photo Aude Petelot nels : les relations sociales préexistent aux relations de crédit, les englobent, et parfois les caractérisent. Au point que certains débiteurs préfèrent ne pas in- terrompre leurs relations d’endettement avec leur prê- teur. Le système des crédits en Afghanistan fait inter- venir à la fois des registres de solidarité et de compé- tition, de confiance et de précaution, d’obligation et de calcul, des situations de soumission et des logiques de prestige. Pour qui emprunte se conjuguent dans le choix du prêt et des prêteurs des enjeux de bienséance et de dignité, et c’est selon ces critères qu’il sollicite un prêteur de confiance et qu’il juge les modalités de prêt et de remboursement. Le coût des différents crédits apparaît générale- ment connu ; cependant celui-ci semble relégué au second plan. Ce qui semble recherché sera son dé- roulement fluide, discret, et bien synchronisé avec ses revenus du foyer. Le prêt est d’abord considéré comme un service rendu, dont cependant, dans chaque

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ressources, voire une forme de dissimulation ou d’obs- truction lorsqu’il faut faire face à un créancier trop pressé. Les prêteurs répondent-ils à toutes les demandes de prêt, ou sélectionnent-ils leurs emprunteurs et res- treignent-ils les quantités accordées ? Le calcul et la précaution empreignent aujourd’hui l’ensemble des re- lations à crédit. Cela traduit-il davantage un recul des obligations d’assistance par le prêt, en lien avec l’évo- lution des modes de travail agricole, dont notamment le recul du métayage et des engagements de long terme ? ou encore cela manifeste-t-il d’une avancée de modes d’arbitrage plus individualistes et fondés sur l’intérêt, éventuellement liés aux impayés exceptionnels d’une période, avec des visées de plus court terme, soit un changement dans la façon dont se conçoivent les situa- tions d’emprunt ? «En général il s’agit d’un crédit en bons termes, aux conditions souples, et personnel». Photo Simon Biney Il faudrait parvenir à identifier les évolutions asso- ciées à une longue période marquée par l’insécurité, les blocus, les sécheresses et la pénurie, mais aussi les circulations transfrontalières et les présences étrangères tou- contexte, les contreparties sont dans une large mesure régies jours à l’œuvre. Il faudrait également étudier davantage les par des conventions et des normes. Garder de bonnes rela- échanges et prestations dont la contrepartie est généralement tions entre le prêteur et l’emprunteur est primordial, dans la différée : ces contributions qu’il faut apporter lorsque l’occa- plupart des cas. Rares sont ceux qui critiquent les différentes sion s’impose ou que c’est son tour, notamment lors de céré- modalités du prêt, même lorsqu’elles semblent contraires monies, de séances de travail collectives ou lorsqu’on mène aux préceptes de l’islam. les bêtes au pâturage, ou quand l’honneur oblige à héberger un parent ou un ami en visite. Les prêteurs ne se limitent pas aux consanguins, aux commerçants et aux patrons. Parents par alliance, amis, voi- Rendre mais plus sins, collègues, partenaires et intermédiaires commerciaux, On retrouve ainsi le schéma du don proposé par Marcel et même quelques figures locales d’usuriers, sont, depuis Mauss dans son « Essai sur le don », avec la triple obligation quelques années, rejoints par des organisations de microcré- de donner, recevoir et rendre. Mais « rendre » va au-delà de dit, financées par des fonds internationaux. Ces microcrédits seulement « restituer ». La réciprocité implique pour celui – dont les taux sont plus avantageux – semblaient, à une date qui reçoit un prêt l’obligation de rembourser, mais aussi da- récente à Bâmyân, prendre progressivement la place des vantage : il s’agit de rendre service lorsque le prêteur en ma- prêts à échéance fixe et au coût élevé pratiqués par certains nifestera le besoin et que le débiteur sera en mesure d’y ré- prêteurs aisés, dont certains sont désignés comme des usu- pondre. Il est manifeste que les obligations spécifiques à une riers. Ils rencontrent un réel succès, tout en contribuant très relation de crédit particulière sont englobées dans un tissu majoritairement à renouveler et parfois amplifier les moda- d’obligations et de légitimités réciproques qui les dépassent. lités des relations sociales qui leur préexistaient, sans modi- Cette conjonction de liberté – qu’elle soit réelle ou supposée fier radicalement les possibilités qui s’offrent aux différents – et de contraintes dans le système des crédits relève d’un foyers. vaste ensemble de prestations et de contre-prestations, tout à la fois volontaires et obligatoires, réalisé dans le cadre d’en- gagements et de relations de long terme, qui constituent un système de prestations totales. Les différentes formes Prêter constitue manifestement une forme d’obligation, notamment dans le cadre de relations de parenté, de patro- traditionnelles de prêt nage ou de voisinage. Certains se montrent cependant plus Les formes les plus répandues de crédit sont le qarz-e- que d’autres enclins à prêter, et on les sollicite plus souvent ; hassana (litt. prêt bon, prêt charitable) et ses variantes. Il il semble que ces prêts leur confèrent une considération géné- s’agit d’un crédit « en bons termes », aux conditions souples, rale, renforcée peut-être dans la mesure où ils sont considérés et personnel, généralement entre partenaires proches et en comme un soutien charitable qui est encouragé par l’islam. bonne relation. Les délais de remboursement sont parfois Cette valorisation semble pouvoir englober même la percep- convenus à l’avance, mais la flexibilité est de règle. Le prê- tion de contreparties supplémentaires, voire d’intérêts, qui teur peut venir demander son dû lorsqu’il en a besoin, mais sont pourtant contraires aux pratiques préconisées. Dans bien si le débiteur n’a alors pas de quoi rembourser, il devra at- des cas, la relation déjà nouée avec d’éventuels prêteurs et le tendre. La variante la plus explicitement flexible – désignée jugement général porté sur le demandeur apparaissent inter- par qarz-e-khodadad –permet de rembourser « lorsque Dieu venir davantage qu’une étude de la rentabilité de l’opération. le permet » ; elle est accordée ou bien entre très proches Les optimisations et les manipulations réalisées par les parents, ou bien à ceux dont on sait que les rentrées d’argent emprunteurs concernent surtout la répartition du crédit entre sont particulièrement incertaines. Le terme qarz-e-hassana les différents créanciers, le transfert et l’étalement de dettes en lui-même ne signifie pas que le remboursement n’offre pour parvenir à adapter le rythme du remboursement aux aucun profit au prêteur. On peut se référer aux multiples so-

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des prix, est généralisé ; il constitue sans doute la forme de crédit avec profit la plus répandue – et peut-être la mieux accep- tée. Les marchands du bazar ou du village constituent eux-mêmes ainsi dans une large mesure les stocks de leur boutique. Le crédit usuraire, qarz-e-sud, est gé- néralement condamné, sans pour autant toujours être évité. Cette forme d’em- prunt, à des taux atteignant 50 ou 100% sur un an, intervient alors qu’aucune autre forme de prêt n’est susceptible de mettre à disposition la somme nécessaire, notam- ment faute de garanties ou de réseau pré- établi. C’est souvent le cas au retour d’un exil prolongé, ou après une longue pé- riode de sécheresse et d’insécurité, alors que l’argent est rare au sein du réseau de parenté et qu’il faut néanmoins faire face à la nécessité d’assurer la subsistance d’un foyer ou relancer une activité écono- Fête de mariage. «Certains habitants ont aussi recours à un prêt dans un contexte plus ordinaire, pour financer un mariage mique. D’autres y ont aussi recours dans ou un projet agricole.» Photo Simon Biney un contexte plus ordinaire, pour financer un mariage ou un projet agricole. Il est arrivé relativement fréquemment par le lutions offertes par la finance islamique pour rétribuer dans passé qu’en période difficile, un villageois modeste s’endette les faits un service financier tout en évitant l’usure, considéré auprès d’un usurier, ne puisse pas le rembourser, et finisse comme interdite par l’islam. par devoir lui céder son terrain. Lorsque ce crédit souple et gratuit, qarz-e-hassana, n’est Le crédit peut ainsi contribuer à établir, consolider ou pas accessible, ou pas suffisant, une façon courante, pour maintenir une forme d’autonomie des revenus (par la consti- ceux qui sont propriétaires, d’obtenir un prêt en numéraire tution d’un foyer séparé, ou l’acquisition de moyens de sub- d’un montant important est désignée par gerawi. Cette tran- sistance), voire une position sociale. Pour les prêteurs, il saction consiste à céder temporairement l’usage d’un bien, le s’agit de rendre service selon ses affinités, ses intérêts et ses plus souvent productif (un terrain, un bâtiment, un véhicule) obligations, de mettre de côté ou à distance un excédent de à titre de garantie du prêt d’une somme d’argent (prêt à gage, ressources, d’obtenir un gain direct par le jeu des intérêts, le ou plus précisément dit à « antichrèse 1 »). L’usage du bien surplus rendu ou l’hypothèque, ou encore de garantir l’accès hypothéqué ne revient au propriétaire que lorsqu’il a restitué durable à une indispensable main d’œuvre fidèle, flexible et le montant emprunté, induisant un coût pour l’emprunteur à bas coût. et un profit pour le prêteur. L’échéance convenue s’étend généralement de un à trois ans. Lorsque l’emprunteur n’est Etude réalisée essentiellement à partir de données recueillies durablement pas en mesure de rembourser la somme due, le au travers d’enquêtes approfondies par l’Afghanistan Research & créancier est en droit de requérir l’achat du bien ; cependant, Evaluation Unit (AREU) portant sur les pratiques « informelles » de crédit, l’introduction du microcrédit et les questions foncières dans ces cas de vente forcée, décriés, se sont apparemment raré- les régions du centre de l’Afghanistan. L’auteure remercie Bernard fiés. Dupaigne pour ses conseils. Les fermiers, métayers, ou même employés à tout faire en situation difficile, ont par ailleurs fréquemment recours à Voici quelques références : la perception à l’avance de contreparties pour des prestations - Liz ALDEN WILY, Land relations in Bamyan province – Findings qu’ils n’ont pas encore fournies. Il peut s’agir d’avances sur from a 15 village case study. , Afghanistan Research and Eva- salaire ou sur parts de récolte, versées en monnaie ou en luation Unit, 2004. nature par un employeur régulier, ou encore, pour les culti- - Erna ANDERSEN, Paula KANTOR, et Amanda SIM, Microcre- vateurs, de vente à l’avance de la production anticipée à la dit, Informal Credit and Rural Livelihoods: A Village Case Study prochaine récolte, selon un prix au kg convenu, inférieur au in Bamyan Province. Kabul, Afghanistan Research and Evaluation cours du marché ; ces avances sont ainsi « remboursées » en Unit, 2008. nature. - Floortje KLIJN, Informal Credit Practices in Rural Afghanistan, Case Study 3: Ghor, Kabul, Afghanistan Research and Evaluation L’avance de céréales au cours de l’hiver ou du printemps Unit, 2007. exige elle aussi un remboursement à la moisson suivante cor- - Alessandro MONSUTTI, « Au-delà de l’ethnicité et de la parenté respondant à une quantité supérieure à celle empruntée. Ses en Afghanistan : une approche ethnographique des liens transver- conditions se rapprochent ainsi de l’avance sur production, saux de coopération », Cahiers d’Asie centrale, n° 19-20 : 155-173, et sont parfois critiquées, sans être pour autant présentées 2011. Document accessible en ligne sur http://asiecentrale.revues. comme de l’usure. Les artisans doivent souvent accepter le org paiement différé de leurs services ou prestations, sans sur- coût lié au délai de paiement. L’achat à crédit, ou paiement différé des marchandises 1- Cession d’un bien d’un débiteur à son créancier afin que les revenus de ce aux commerçants, généralement moyennant une majoration bien remboursent la dette.

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Développement du leadership des femmes afghanes

par Fahimeh ROBIOLLE*

Depuis le changement de régime en 2001, l’Afghanistan a connu des améliora- tions notables dans le domaine du droit des femmes. Renforcer la position des femmes afghanes, après des années de régime taliban, était une justification importante pour les forces alliées qui ont mené l’intervention en 2001. Une actrice de ce développement décrit les actions menées pour aider un certain nombre de femmes dirigeantes à jouer pleinement leur rôle.

La décennie passée a été le témoin d’efforts importants de employée dans le cadre de ce programme, puis les résultats la part du gouvernement afghan et de la communauté inter- obtenus avec deux groupes avec lesquels il a été conduit : nationale pour changer radicalement le statut des femmes et un groupe de femmes députées nouvellement élues (mars leur permettre de s’engager au centre de la vie politique, éco- 2011), et un groupe mixte de femmes membres des Conseils nomique et culturelle afghane, pour ainsi devenir des acteurs Provinciaux pour la Paix et de représentantes de la société indispensables dans la reconstruction du pays. Cependant, civile (octobre-décembre 2014). ces efforts et les résultats qui en découlent varient largement d’une province à l’autre, et entre les zones urbaines et les zones rurales. En quatorze années, les avancées des femmes au sein de la vie politique en particulier ont été remarquables, néanmoins, ces gains restent fragiles, en particulier au regard Méthodologie de la réduction drastique de la présence internationale et des On peut penser à juste titre qu’il appartient avant tout négociations en cours avec les Tâlebân. De nombreux défis auxLe programme est basé sur la conduite de séminaires in- sont encore à relever, et les obstacles à surmonter sont mul- teractifs qui emploient des simulations de négociation et de tiples. Un renforcement de leurs compétences, notamment médiation pour aider les participants à transformer la façon en matière de leadership, se révèle indispensable dans cette dont ils définissent leur propre intérêt, de sorte qu’ils puis- phase de transition. sent voir leur sécurité à long terme et leur bien-être comme Pour ce faire, un programme de développement et promo- étant non pas en opposition, mais directement liés à une plus tion du leadership des femmes afghanes a été mis en œuvre grande collectivité dont ils font partie. Ceci nécessite la com- depuis 2009. Adapté à la culture afghane et conduit en per- préhension de la notion « d’intérêt basé sur les négociations san, ce programme s’inspire des efforts conduits depuis 2004 », dans laquelle les décideurs distinguent leurs «positions» par l’équipe du Projet Leadership du Woodrow Wilson Inter- d’une part et leurs «intérêts» sous-jacents des besoins fon- national Center for Scholars qui a spécialement conçu et mis damentaux, de l’autre. Des accords durables sont beaucoup en œuvre une série de séminaires sur le leadership dans les plus susceptibles de résulter d’un processus décisionnel qui pays déchirés par la guerre : au Burundi, au Libéria, au Ti- est tourné non pas vers des tentatives d’imposer sa position mor oriental et dans la République Démocratique du Congo1. sur les autres, mais plutôt vers la recherche de moyens d’ac- Cet article présente tout d’abord brièvement la méthodologie commoder les intérêts prioritaires de tous. Un autre objectif majeur de la méthodologie de ce pro- gramme est de créer un climat de confiance mutuelle entre * Chargée de cours à l’ESSEC, elle anime des séminaires de négociation et les participants. Les accords durables entre les parties pre- gestion de conflits dans diverses institutions françaises et étrangères. Elle a nantes nécessitent non seulement une même vision de leurs dirigé l’adaptation en persan du livre « Méthode de Négociation ». Titulaire intérêts communs, mais aussi un ensemble de relations hu- d’un mastère en physique nucléaire, ancienne cadre de Atomic Energy Or- ganization of Iran, elle a occupé différents postes à responsabilité au sein du maines. Cela implique de considérer les uns et les autres en Commissariat à l’Energie Atomique français. tant qu’individus et non comme des membres de groupes

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des postes proposés. En effet, uniquement trois femmes ont été proposées, et ce à des ministères peu stratégiques.

Les quotas La Constitution afghane de 2004 a in- troduit un système de quotas pour assurer un niveau minimum de représentation des femmes au Parlement ainsi qu’au niveau des conseils provinciaux. Pour ces der- niers, le quota était initialement de 25% et a été réduit à 20% en 2013, malgré de fortes contestations. En dix ans, ce sys- tème de quotas a encouragé l’augmenta- tion du nombre de femmes candidates aux Les dix femmes députées associées au projet et leurs provinces. © Fahimeh et Tina Robiolle élections locales et législatives, ainsi que leur représentation au Parlement. Il est intéressant de noter la place de l’Afgha- hostiles et d’apprendre véritablement à «entendre» le point nistan dans le classement réalisé régulièrement par l’Union de vue de l’autre en se mettant à sa place. De ce fait, une Interparlementaire au niveau de la présence des femmes dans communication efficace est un axe majeur du séminaire. Les les parlements de 189 pays2. La dernière enquête publiée en participants apprennent le rôle que joue la communication 2014 place l’Afghanistan en 40ème position (27,7%), devant dans le développement ou la destruction de la confiance (ce la France (47ème), le Canada (52ème), la Grande Bretagne que les messages peuvent signifier dans un sens et comment (60ème), ou les Etats-Unis (75ème). ils peuvent être reçus dans un autre), le danger d’agir sur la Si le système de quotas s’est révélé un point d’entrée ef- base d’hypothèses non vérifiées et les façons dont la prise ficace pour les femmes en politique et un outil essentiel à la de décision peut affecter l’attitude de ceux qui sont concer- promotion de la participation des femmes à la vie politique, nés. La leçon importante tirée des simulations à laquelle les il n’a pas été néanmoins sans inconvénients. D’une part, les participants sont exposés est que des solutions durables aux règles électorales, telles qu’elles sont définies pour le mo- problèmes des conflits en cours ne peuvent être trouvées que ment, font du système de quotas un plafond plutôt qu’un par le biais de processus inclusifs et participatifs - processus plancher. D’autre part, les femmes élues dans le cadre d’un tel qui constituent le fondement de la démocratie. système, ne bénéficient souvent pas de la même légitimité et crédibilité que leurs homologues masculins, leur présence au Parlement est souvent admise comme une conséquence des quotas. De plus, il y a une tendance à considérer ces femmes Femmes parlementaires élues comme uniquement concernées par les questions re- L’espace politique en Afghanistan s’est considérablement latives aux droits des femmes. De ce fait, elles n’ont qu’un ouvert pour les femmes ces dernières années. Des enquêtes accès très limité aux postes clés au sein des commissions menées à l’échelle nationale ont montré que la population et groupes de travail parlementaires consacrés à d’autres afghane est favorable à la représentation des femmes dans sujets. Les députées se plaignent en effet d’être reléguées à les institutions. ‘’des questions de femmes» comme la violence alors que les Selon la Commission Indépendante Électorale, la par- hommes se réservent les questions considérées comme rele- ticipation des femmes en 2014 aux différents scrutins était vant du domaine masculin telles que l’économie, la sécurité nettement plus grande que celle de 2009, malgré les menaces ou la défense. Un exemple prometteur mérite toutefois d’être proférées par les Tâlebân et les attentats perpétrés. De nom- cité : Mme Homeira Ayoubi3, députée de Farah, a pris l’ini- breuses femmes politiques et activistes ont joué un rôle bien tiative de lancer un caucus parlementaire pour lutter contre la plus actif dans cette campagne présidentielle. Elles étaient corruption ; ce groupe, composé majoritairement de femmes, bien mieux organisées. Elles exigeaient systématiquement a défendu avec succès la loi sur l’accès à l’information pas- des engagements verbaux et écrits des candidats dans les sée en 2014. domaines de la santé, de l’éducation, de la sécurité, du déve- De nouvelles élections législatives sont prévues pour loppement économique et aussi du renforcement des droits 2015. La situation sécuritaire va certainement représenter un des femmes. Ces actions ont poussé les deux candidats à obstacle à nouveau, notamment pour les femmes. De plus, un s’engager à mettre en œuvre les mesures nécessaires dans autre défi nuit aux chances de réélection des femmes élues : ces domaines. le manque d’Etat de droit favorise un comportement assez Néanmoins, comme dans de nombreux pays, le pouvoir clientéliste chez les électeurs. En effet, ces derniers ont ten- en Afghanistan continue à être un domaine masculin. Les dance à voir leurs représentants élus, hommes ou femmes, postes clés au sein de chacune des deux équipes de campagne comme des fournisseurs de services qui peuvent les aider étaient occupés uniquement par des hommes. Dernièrement, notamment à pallier les dysfonctionnements administratifs la première proposition de composition du gouvernement n’a et judiciaires. De ce fait, ils basent leur choix de vote sur le pas reflété les promesses de campagne, que ce soit en termes niveau d’influence et les réseaux de ces représentants, ainsi de représentation des femmes, ou en termes d’importance que leur capacité à leur offrir des avantages. En raison du

8 Les Nouvelles d’Afghanistan n°148 HISTOIRE

FEMMES manque d’accès à des réseaux informels et du manque de plus forte cohésion entre elles, et d’autre part, d’une qualité ressources financières, cette situation a un impact sur les d’analyse de négociateurs et de communicants à travers un chances de réélection des femmes. apprentissage rapide, intensif et immédiatement mobilisable. Par exemple, en termes d’application concrète de ce type de compétences, certaines ont expliqué que dans les régions sous l’influence des Tâlebân, elles se déplacent pour discuter Séminaire à Paris avec les responsables de district et le clergé pour leur faire accepter de laisser aller à l’école les enfants, et notamment pour un groupe de députées les filles. D’autres ont exprimé leurs inquiétudes concernant De nombreuses femmes élues au Parlement manifestent cette période charnière où les alliés quittent l’Afghanistan, leur frustration de ne pas pouvoir remplir efficacement leur sur le fait que les pourparlers avec les Tâlebân ont commencé mission. Deux obstacles majeurs ont été soulevés : sans que le Parlement soit associé. • Un manque de compétences, notamment en leadership, dû M. Ebrahimi et M. Muslimyar, les deux présidents des en partie à la difficulté qu’elles ont rencontrée pour accéder chambres, ont exprimé leur soutien à la tenue d’une telle for- à l’éducation, même si plusieurs formations ont été réguliè- mation pour l’ensemble des femmes. rement organisées par les organisations internationales. Ces formations se heurtent à la barrière de la langue et des pro- blématiques interculturelles. • Un manque de cohésion entre elles. Les femmes En 2010, suite à une réunion avec Melanne Verveer, alors et le processus de Paix Ambassadeur auprès d’Hilary Clinton, un fonds a été alloué Une intégration accrue des femmes est indispensable au pour organiser un programme d’une semaine à Paris pour dix niveau du processus de paix et de réconciliation conduit en femmes députées nouvellement élues. En partenariat avec le Afghanistan ces dernières années, que ce soit au niveau du Ministère des Affaires Etrangère en France, l’Assemblée Na- contenu des négociations menées avec les insurgés, ou au ni- tionale, les Ambassades des Etats-Unis et de la République veau de la représentation des femmes dans les instances en Islamique d’Afghanistan à Paris, ainsi que l’ESSEC, le pro- charge de ce processus. gramme4 a inclus notamment un séminaire de trois jours de Le gouvernement afghan affirme officiellement que les renforcement des capacités en négociation, leadership et priorités et les intérêts des femmes doivent être pris en compte prise de décision collaborative, un jour au Parlement français dans les pourparlers. Néanmoins, des craintes existent quant et deux conférences qui ont rassemblé plus de 800 partici- au maintien des droits acquis par les femmes afghanes depuis pants. la chute du régime taliban. Quelques mois après la tenue de ce programme, des vi- Pour ce qui est de la participation des femmes au pro- sites au Parlement furent organisées à Kaboul afin de mesurer cessus de paix et réconciliation, des efforts ont été obser- l’impact des activités conduites à Paris. Des échanges avec vés au niveau de la représentation des femmes au sein du les députées et avec le Président du parlement, M. Ebrahimi, Haut Conseil de la Paix (HCP) et des Conseils Provinciaux ont confirmé l’intérêt de ce type d’initiative. Les -partici de la Paix (CPP). En effet, le HCP compte uniquement neuf pantes au programme conduit à Paris ont décrit les bénéfices femmes sur un total de 70 membres nommés par le Président des acquis en termes de communication, prise de décision et Karzaï en 2010. On compte parmi ces membres d’anciens notamment une augmentation de leur capacité de persuasion djihadistes, des religieux, et des représentants de la société lors des débats au Parlement. Les députées n’ayant pas parti- civile. Les CPP ont été notamment mis en place pour négo- cipé à ce programme ont témoigné des changements positifs cier avec les groupes armés au niveau local afin de les per- chez leurs collègues au niveau de leurs capacités d’écoute, suader de renoncer à la violence dans le cadre du programme d’organisation et de prise de parole lors des séances. En gé- de paix et réintégration. Malheureusement, les femmes y sont néral, les députées ont confirmé leur besoin d’une part d’une également sous-représentées (moins de 10%), et leur niveau d’influence varie selon le degré de conserva- Les 10 femmes députées lors de la conférence organisée à l’ESSEC. Photo Fahimeh et Tina Robiolle tisme dans chaque province. En effet, au-delà de ce manque de représentation des femmes au sein de ces instances, se pose le problème de l’impact de la présence de celles qui en font partie. Des voix se sont élevées afin que les femmes soient mieux représentées, qu’elles et la société civile puissent systéma- tiquement participer aux pourparlers de paix, et que ces pourparlers soient menés de ma- nière transparente. Des négociations au sein desquelles toutes les voix ne seraient pas représentées ne peuvent aboutir à une paix durable. En analysant les contacts depuis 2005 entre le gouvernement et/ou la commu- nauté internationale et les Tâlebân, Oxfam a constaté que les femmes en ont été pratique- ment exclues (elles n’étaient présentes que dans deux de ces contacts)5.

Les Nouvelles d’Afghanistan n°148 9 HISTOIREFEMMES

médecins). La logistique de ce genre de programme n’est Programme avec des femmes pas simple. Les femmes étaient venues accompagnées de des Conseils de la Paix membres de leur famille. Certaines avaient des enfants en bas âge dont les pères s’occupaient pendant les sessions de Provinciaux et de la société civile travail. Certaines femmes allaitent leur bébé. Il fallait donc Dans le cadre des objectifs du Millénaire pour le dévelop- adapter les sessions en conséquence. C’était nécessaire pour pement des Nations unies, le Programme des Nations Unies rendre possible l’accès à l’acquisition de compétences des pour le Développement (PNUD) d’Afghanistan a soutenu jeunes femmes. Afin de sensibiliser la famille à la nécessité l’organisation d’un programme pour renforcer la capacité en du renforcement des compétences des femmes, les soirées leadership des femmes afghanes d’octobre à décembre 2014 en partenariat avec le Ministère des Affaires des Femmes et le HCP. Les 32 bénéficiaires étaient des membres du CPP et des représentantes de la société civile. 16 provinces étaient représentées. Le programme a été structuré autour de quatre phases et a été conduit en persan à Kaboul : 1. Un séminaire de cinq jours de formation initiale conduit en octobre 2014. Les participantes ont tout d’abord fait des exercices interactifs qui leur ont permis d’acquérir des outils en termes de développement de stratégie de négo- ciation, de gestion des conflits, de médiation, de commu- nication et de prise de décision en mode collaboratif. Des séances d’application leur furent ensuite proposées sur le cas de l’Afghanistan grâce à des travaux en groupe. Enfin, les participantes se sont engagées à travailler sur des plans d’action qu’elles ont développés à la fin du séminaire au- tour de trois axes qu’elles ont sélectionnés : - la réduction à court terme et à long terme de la vio- lence à l’égard des femmes, - la gestion des conflits liés au partage de l’eau entre les villages, - l’expansion de leurs réseaux à d’autres femmes. 2. Une phase de mise en œuvre des plans d’action en no- vembre 2014 ; 3. Un séminaire de suivi de trois jours en décembre 2014 pour : - poursuivre le renforcement des capacités de lea- dership, - analyser la mise en œuvre des plans d’action, les ré- sultats obtenus, les obstacles rencontrés et élaborer des propositions pour les prochaines étapes, - préparer un symposium pour présenter à des person- nalités de haut niveau un communiqué issu de leurs travaux. 4. Un symposium en décembre 2014 sur le thème du déve- Programme de promotion du leadership des femmes membres des Conseils de la Paix loppement du rôle des femmes afghanes en matière de lea- provinciaux et de la société civile. Photos Fahimeh Robiolle dership. Ce symposium de haut niveau a été l’occasion de présenter ce programme de leadership des femmes en Afghanistan et les efforts de ses bénéficiaires à des orga- nisations nationales et inter- nationales, des organisations de la société civile et les mé- dias. Les participantes ont présenté leur communiqué.

Il est à préciser que les participantes constituaient un groupe hétérogène en termes d’âge (de 31 à 54 ans) et de niveau d’éducation (certaines étaient pratiquement anal- phabètes et d’autres étaient

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d’actions à proposer au gouverne- ment aux niveaux national et local, et à la communauté internationale sous forme d’un communiqué lors du sym- posium. Les axes majeurs de leurs propo- sitions ont été les suivants : • mettre en œuvre l’ensemble des dis- positifs prévus notamment au niveau des institutions et des lois, pour com- battre efficacement la violence contre les femmes ; • renforcer les compétences de la po- lice, des religieux et des femmes lea- ders, et sensibiliser les citoyens ; • faire face à l’insécurité et mettre en œuvre le processus de paix dans le- quel les femmes auront un rôle décisif grâce notamment à l’augmentation de Programme de promotion du leadership des femmes membres des Conseils de la Paix provinciaux et de la société civile : le symposium. Photo Anusha Ahmadi leur nombre au niveau de HCP ; • promouvoir la représentation des étaient organisées autour d’un dîner en groupe suivi de confé- femmes au niveau des chouras (conseils locaux) ; rences ou de projection de films/documentaires en présence • promouvoir l’autonomie économique de femmes ; dé- des familles. Les discussions avec les hommes ont permis de velopper l’entreprenariat des femmes et du système de les sensibiliser à toutes ces questions. micro-crédit ; • réhabiliter les digues et les cours d’eaux, sensibiliser les La phase de mise en œuvre des plans d’action et les résul- citoyens à la préservation des forêts et de l’environnement tats obtenus par les participantes furent très encourageants. et appliquer le droit d’accès à l’eau par la résolution paci- En effet, lors du séminaire de suivi, elles ont expliqué que fique des conflits ; les compétences acquises lors du séminaire initial leur ont • soutenir les programmes d’alphabétisation à grande permis de conduire des actions concrètes et efficaces sur le échelle avec une large couverture rurale. terrain. Le groupe dédié à la problématique de la violence à Les mois à venir nous diront si ce programme a eu l’im- l’égard des femmes, a rapporté les actions suivantes : pact escompté. Néanmoins, le développement d’un certain • des actions à court terme d’éradication des violences niveau de confiance a été constaté au sein de ce groupe qui contre les femmes grâce notamment à des évènements a pu ainsi développer un réseau collaboratif réparti sur seize organisées avec le soutien du Ministère des Affaires des provinces. Femmes et des médias et à des réunions préalables avec le Mener de tels projets et conduire de telles formations clergé pour relayer les messages dans les mosquées ; avec des participants soumis à un stress propre à une situation • des actions à moyen et à long terme au travers de pro- conflictuelle et à une sécurité précaire exige une écoute et grammes de sensibilisations dans les écoles, via les médias une réactivité constante de la part de l’équipe organisatrice et et des réunions organisées avec les parents d’élèves ou des une adaptation à la culture et au contexte du pays dans lequel représentants du Ministère de la Justice. les travaux sont menés. Ces deux groupes ont confirmé que Le groupe dédié au management des conflits liés au par- la conduite du programme dans la langue locale facilite la tage de l’eau entre les villages a rapporté que des solutions participation active de chaque individu, une meilleure com- aboutissant à la résolution de conflits locaux ont été trouvées munication et relation de travail au sein de chaque groupe. grâce à la conduite de réunions de médiation entre les parties Le courage de ces femmes et leurs efforts dans de telles prenantes. Les hommes qui s’attribuaient depuis toujours le conditions sont une vraie leçon pour nos sociétés et une rôle de médiateur étaient réticents au départ à voir une femme grande source de motivation pour la poursuite de ce type de intervenir. Ils ont fini non seulement par accepter l’interven- programme. tion de ces femmes, mais ont également demandé leur aide dans d’autres cas de conflits. Enfin, les participantes ont pu également étendre leur ré- 1- L’auteur base son analyse sur son expérience en Afghanistan depuis 2009 seau à 61 autres femmes dans les provinces qui ont accepté qui inclut des voyages réguliers sur le terrain, ses interventions dans le cadre d’aider à développer des projets autour de ces thèmes de fa- de conférences en Afghanistan et en France, son rôle d’observateur indépen- dant des élections législatives et présidentielles depuis 2010, et ses activités çon bénévole. de formation en leadership. Les participantes ont aussi indiqué les obstacles auxquels 2- Cf. le site de l’Union Interparlementaire à l’adresse suivante : http://www. elles ont été confrontées. Dans certaines situations, ces der- ipu.org/wmn-e/classif.htm niers les ont empêchées d’obtenir les résultats escomptés. Le 3- L’une des dix femmes députées alors nouvellement élues qui ont participé manque de sécurité ne leur a parfois pas permis l’accès à cer- au programme de formation organisé à Paris en 2011. taines zones pour conduire leurs actions. Lors de la réunion 4- VLe rapport de ce programme peut être consulté sur le site : http ://afgha- de suivi, elles ont été invitées à en analyser les causes au sein nistandixansapres.wordpress.com/ 5- Oxfam. Behind Closed Doors. Briefing Paper (24 Novembre 2014). Dis- de différents groupes de travail, et à faire des propositions ponible à l’adresse suivante : http://oxfam/Zknk

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Scolarisation des filles

par Etienne GILLE

Un des marqueurs retenus par la communauté internationale pour évaluer l’évolution de la situation sociale en Afghanistan est la scolarisation des filles. On sait qu’en 2002 les filles ont pu à nouveau fréquenter les établissements scolaires. Nous allons essayer de cerner mieux cette nouvelle entrée des filles à l’école et à l’Université. Ceux que la présentation des données statistiques rebuterait pourront aller directement aux conclusions1…

Avant d’examiner la situation actuelle, il convient d’es- écoles ayant été transformées en madrassas. sayer de se faire une idée de ce qui s’est passé au 20ème Depuis 2002, non seulement les filles ont retrouvé le siècle. La première école de filles à ouvrir ses portes en chemin de l’école, mais leur taux de scolarisation a explosé. Afghanistan fut l’école Mastourât, en 1921. Elle ne se déve- Dès le départ des Tâlebân, un des phénomènes sociaux les loppa que lentement, après un temps d’arrêt avec l’abdication plus spectaculaires fut le rush des petites filles à l’école. Je d’Amânollâh en 1929, et ne prit son essor qu’avec la créa- me contenterai de deux chiffres ; en 2002 700 000 filles sur tion du lycée Malâlaï2. La possibilité pour les filles d’étudier 2.400 000 élèves (dans l’enseignement primaire et secon- en dehors de chez elles est donc un phénomène récent. Les daire, mais en réalité surtout dans les petites classes). Soit 29 statistiques montrent aussi que c’est resté longtemps un pri- % de filles. Mais ce 29 % de filles doit être bien compris : vilège. Il convient bien sûr d’être très prudent quand on lit comme on le verra dans un exemple, ces filles sont presque des statistiques car l’appareil statistique afghan est très peu toutes scolarisées en 1ère et 2ème année, alors que les gar- sûr. Cependant, des tendances apparaissent qui ne sont guère çons sont plus uniformément répartis sur l’ensemble du cycle sujettes à caution. primaire et secondaire. En 2012, on comptait 3 284 000 filles sur 8 643 000

Une école primaire dans le centre de l’Afghanistan. «Le taux de scolarisation des filles a L’explosion scolaire explosé». Photo Caroline Gutton En 1965, il n’y avait encore que 52000 filles dans l’en- seignement primaire (pour une population d’environ 15 mil- lions d’habitants) pour 358 000 élèves, soit 15% de l’effectif. La déperdition pour les filles entre la première année et la si- xième année était forte, puisque les 14 000 filles en première année n’étaient plus que 6 500 en sixième cinq ans après, soit 54% (mais pour les garçons, elle l’était presque autant puisqu’elle atteignait 47%). En 1984, c’est la période soviétique, les chiffres irréa- listes donnés au début de la « révolution » ont été révisés et on a 138 000 filles (trois fois plus) pour un effectif total de 447 000 élèves. Le pourcentage de filles a donc augmenté et atteint 31%. Je n’ai pas les chiffres correspondant à la période de guerre civile intermodjahedin (existent-ils ?), mais ils ne doi- vent pas être brillants. Durant la période Tâlebân, les écoles de filles furent fermées presque partout, et les chiffres habi- tuellement annoncés donnent un million d’élèves tous gar- çons, mais il n’est pas inutile de préciser qu’il ne s’agissait nullement d’un enseignement au sens moderne du terme, les

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élèves, soit 38%. On notera l’explosion scolaire que cela re- présente, à la fois pour les garçons et pour les filles. Il va sans dire que ces chiffres globaux masquent de grandes disparités géographiques. Déjà en 1970, un article d’Olivier Bertrand, expert de l’UNESCO, notait : « Les dif- férences entre provinces concernant la scolarisation des filles sont en corrélation à la fois avec le degré d’urbanisation et avec le type de population. Si l’on prend l’enseignement pri- maire en 1967, on constate que dans toutes les provinces de langue pachtoune, sauf Kandahar (12%), les filles représen- tent moins de 10 % des effectifs et parfois beaucoup moins (1,8% à Paktya, 2,9% au Logar, 1,1% à Wardak). Par contre on observe des pourcentages beaucoup plus élevés non seu- lement à Caboul ville (34,4%) et à Hérat 19%) mais aussi dans les provinces du Nord de langue dari, pourtant éloi- gnées de la capitale et parfois peu urbanisées (Faryâb 24,6%, Balkh 17,9%, Samangân 10,8%). » On voit que les deux éléments signalés en 1967, l’ur- banisation et le facteur ethnique, sont encore d’actualité en 2015, à ceci près que certaines campagnes, comme celles du Hazaradjat, bénéficient d’une bonne représentation des filles Ecolières se rendant à l’école dans une rue de Kaboul. «Une grande proportion des enfants d’âge primaire va à l’école.» Photo Quqnoos à l’école. On peut noter aussi que les trois provinces citées comme ayant le taux de mixité le plus faible, le Paktya, le deux grands bâtiments pour faire face à la montée des effec- Logar et le Wardak, sont trois hauts lieux de l’insurrection tifs. L’un a ouvert ses portes en 2007, l’autre en septembre tâlebân. 2014. Il y a quelques années, la directrice a parlé au prési- Résumons-nous par un tableau : dent d’AFRANE de la pression dont elle était l’objet pour Année Nombre d’élèves Pourcentage de filles inscrire des élèves malgré l’absence de place, y compris de la part d’anciens commandants du temps de la guerre anti- 1965 85 000 15% communiste. 1984 447 000 31% En 2013 299 élèves de cette promotion sont parvenues en 2002 2 400 000 29% Terminale. On peut voir les choses de deux manières. D’un 2012 8 600 000 38% côté on constate que seulement 29% des élèves sont parve- nues jusqu’au niveau du baccalauréat. Cela fait une érosion Compte tenu de l’absence de chiffres fiables sur la -po importante. Mais d’un autre côté, on peut comprendre la pulation de l’Afghanistan, il semble difficile de donner des fierté de la directrice quand elle a pu annoncer qu’elle avait taux de scolarisation. Tout juste peut-on penser que dans les maintenant six classes de Terminale. grandes villes, et notamment à Kaboul, et à présent dans cer- taines zones rurales comme le Hazaradjat, une grande pro- portion des enfants d’âge primaire va à l’école. Les effectifs globaux Si nous examinons l’évolution des effectifs depuis sa réouverture, nous constatons qu’entre 2002-2003 et 2013- Le cas 2014, les effectifs du lycée Nazou Ana sont passés de 2435 élèves à 47273. Ils ont donc approximativement doublé ce d’un lycée de Djalalabad qui correspond à une augmentation moyenne de 8% par an. Pour avoir une vision plus concrète de la situation, je Cette augmentation s’est faite de manière assez régulière, prendrai un exemple, le lycée de filles Nazou Ana de Dja- sauf en 2007. En 2014-15, on assiste à une stabilisation lalabad. (4751 élèves). Ce lycée a rouvert ses portes en septembre 2002 après Dans le même laps de temps, la « pyramide des classes » la chute du régime des Tâlebân (l’année scolaire à Djalala- s’est totalement modifiée. En 2002, près de 80 % de l’ef- bad, comme dans toutes les régions classées comme chaudes, fectif était concentré en 1ère et 2ème année. Ce pic d’ins- commence en septembre). Ce fut alors une ruée d’élèves. En cription s’est propagé les années suivantes en gagnant une septembre 2002, le lycée comptait 1018 élèves en 1ère année année à chaque fois, tout en s’atténuant du fait des abandons (CP) contre 51 élèves en 6ème et zéro élève au-delà. C’est scolaires. La promotion des 1018 élèves inscrits en 1ère en dire combien la pyramide des âges était déséquilibrée. Parmi 2002 a atteint le niveau du bac en 2014. ces élèves du CP, il y avait des filles plus âgées qui n’ayant En 2013-2014, les effectifs étaient répartis de manière pu être scolarisées durant la période des Tâlebân, durent beaucoup plus homogène. 3071 dans le primaire et 1656 commencer leurs études alors qu’elles étaient plus âgées. La dans le secondaire (en gros deux tiers un tiers). Comme on plupart de ces dernières n’a pas poursuivi jusqu’au bacca- peut le voir dans le graphique ci-dessous qui représente la lauréat. répartition des élèves dans les différentes classes. Le faire AFRANE a commencé son soutien à ce lycée dès cette chaque année aurait rendu le graphique illisible. Le choix de époque. C’est la même directrice qui le dirige depuis 2002. trois années a donc été fait : AFRANE a été amenée, entre autres actions, à construire 2002-2003, 2008-2009 t 2013-2014.

Les Nouvelles d’Afghanistan n°148 13 ÉDUCATION

dans le primaire (22% d’élèves en plus sur l’ensemble de l’établissement à la rentrée 2007). C’est pour cette dernière raison que plusieurs des remarques qui suivent ne seront faites qu’à partir des relevés de 2006-2007. Compte tenu des remarques que nous avons faites plus haut, et de la non prise en compte du flux positif d’inscriptions venant de l’extérieur en cours de cycle, les chiffres d’abandons que nous donnons ci-dessous sont sous-évalués. Nous faisons cependant l’hypothèse que les flux entrants ne sont pas très importants du fait du manque de place dans l’établissement. De plus cette sous- évaluation n’invalide pas les évolutions Répartition des élèves dans les classes comparées sur trois années 2002- que nous allons faire ressortir, sous la 2003, 2008-2009 et 2013-2014 réserve d’une relative constance dans le temps de ces flux entrants.

Un indicateur simple est le pourcentage d’élèves d’une La déperdition des effectifs génération donnée qui parvient jusqu’au baccalauréat. Nous devons ici donner quelques précisions sur les Cependant, seulement deux promotions ont fait toutes leurs données concernant les effectifs scolaires. Outre la difficulté études de la 1ère à la Terminale. C’est d’abord celle entrée de recueillir des données parfaitement fiables et homogènes, en 2002 et sortie en 2014. On est passé de 1018 élèves en CP une question importante se pose : c’est celle des inscriptions à 299 en Terminale douze ans plus tard, soit 29%. On peut en cours de scolarité d’élèves venues d’ailleurs. Nous considérer ce taux soit comme faible, si on le compare à un avons omis de demander chaque année le nombre d’élèves taux français, soit élevé, si on considère que les générations nouveaux qui s’inscrivaient en cours d’année. Or ce nombre précédentes n’ont pu bénéficier d’aucune instruction publique n’est pas négligeable. Il y a sans doute un petit flux d’élèves et sont probablement restées analphabètes. Nous avons de dont les parents déménagent en provenance d’une autre ville plus signalé plus haut qu’en 2002 avaient été inscrites en et viennent s’inscrire en cours de cycle. On peut penser que 1ère année des élèves plus âgées qui pouvaient difficilement ce flux d’entrées est compensé par un flux sortant à peu près poursuivre leurs études très longtemps. équivalent et peut donc être négligé statistiquement. Il y a Malheureusement les relevés pour la promotion suivante aussi des élèves en provenance d’écoles voisines qui ne vont ne sont pas fiables. pas jusqu’à la terminale. Il y a des redoublants dont nous ne tenons pas compte, car ils sont certainement en très petit De la même manière on peut établir un indicateur cycle nombre. Il y a des élèves qui peuvent venir en cours d’études, par cycle. attirés par la bonne réputation éventuelle de l’établissement Pour le cycle primaire, on peut calculer le pourcentage ou bien provenant d’écoles privées. Ceci pourrait expliquer d’élèves ayant accompli tout un cycle primaire. On obtient des inscriptions dans les grandes classes. Enfin, des le tableau suivant : événements particuliers peuvent être à l’origine d’inscriptions supplémentaires. C’est ainsi que la construction d’un nouveau Effectif Effectif Année 6/ bâtiment a entraîné de nombreuses nouvelles inscriptions année 1 année 6 année 1 De plus en plus de filles poursuivent leurs études jusqu’en Terminale Photo DR 2002’2007 1018 440 43% 2004-2009 545 190 35% 2005-2010 401 347 87% 2007-2012 418 338 81% 2008-2013 466 364 78% 2009-2014 496 420 85% Note : L’écriture 2008-2013 par exemple signifie ici cohorte des élèves qui étaient en 1ère année en 2008-2009 et sont parvenus en 6ème année en 2013-14

Nous ne prenons pas en considération l’année 2006 car l’année suivante a vu de nombreuses inscriptions extérieures. Nous constatons que le pourcentage d’élèves achevant le primaire est passé d’une moyenne de 39% pour les premières cohortes à une moyenne de 81% pour les trois dernières. Nous pouvons établir un tableau analogue pour les élèves

14 Les Nouvelles d’Afghanistan n°148 ÉDUCATION ayant effectué un second cycle (de 7ème à 12ème) complet.

Cohorte Effectif Effectif Année 12/ année 7 année1 2 année 7 2006-2011 186 122 66% 2007-2012 338 246 73% 2008-2013 406 299 74% 2009-2014 238 185 78%

Là aussi la tendance est à la hausse du pourcentage.

Conclusions 1- La structure des effectifs de l’école a considérablement changé entre 2002 et 2013. 2- 29 % des élèves inscrits en 1ère en 2002 sont parvenus jusqu’en Terminale. 3--Il semble que ce taux soit appelé à augmenter sensiblement. Ecole primaire de filles dans la banlieue de Kaboul. «L’éducation des filles est un un droit humain» Photo Afrane D’ores et déjà le taux de déperdition dans le primaire est voisin de ou supérieur à 80 % ces trois dernières années, alors que celui du secondaire semble lui aussi tendre vers 80 % de retours d’exil (souvent en Iran) et d’autre part du fait de Pour confirmer ces chiffres et ces tendances, il conviendrait l’exode rural. J’ai été très surpris de voir combien les élèves de connaître les flux entrants, nous nous y employons. étaient motivés à répondre par écrit à la question de savoir si elles connaissaient des camarades qui étaient avec elles à l’école l’année précédente et qui avaient depuis abandonné les études. Indépendamment des réponses données, il était Les raisons du décrochage frappant d’observer l’importance qu’elles ont donnée à cette question. De la part de petites filles de 11 ans, c’est à noter. Il de certains élèves m’a fallu insister pour qu’elles n’en mettent pas des tartines. Il ne nous est pas possible pour l’instant de généraliser Le dépouillement de leurs réponses fait apparaître deux les conclusions précédentes aux différentes écoles où nous sortes de freins à la scolarisation : travaillons. Si les départs de l’école en cours de scolarité - Les raisons économiques. Beaucoup d’enfants de semblent relativement limités, ils n’en existent pas moins et ce quartier (garçons comme filles) sont occupés au tissage touchent probablement davantage les filles que les garçons. de tapis. Certains abandonnent les études prématurément Nous avons mené plusieurs enquêtes sommaires auprès pour s’y consacrer à temps plein. Cependant comme les d’élèves pour essayer de comprendre les raisons qui mènent élèves ne vont à l’école que trois heures et demie par jour, certains d’entre eux à abandonner leurs études. cela leur laisse du temps pour travailler à la maison. Dans La première enquête a été un questionnement improvisé la classe étudiée, douze élèves de cinquième année sur une dans une classe de cinquième année (CM2) d’une école du quarantaine travaillaient au tissage après l’école. La solution quartier de Dacht-e Bartchi dans la banlieue sud de Kaboul. Il de ce problème ne peut être qu’à long terme et réside s’agit d’un quartier réputé pauvre et dont la population hazara dans l’évolution du niveau économique des familles. Une a crû très rapidement ces dernières années, d’une part du fait contrainte de l’Etat ne semble pas envisageable et une aide de l’Etat est sans doute hors de portée à court terme. Petites filles vendant quelques fruits. «Certains parents estiment qu’il n’est pas utile pour une fille d’étudier beaucoup» Photo Castelli - Les raisons sociales : Certains parents estiment qu’ « il n’est pas utile pour une fille d’étudier beaucoup ». Une réflexion avec les comités d’école pour modifier les comportements est sans doute envisageable. Le fait que des filles de cinquième année aient déjà une approche passionnée de la question montre qu’il s’agit d’un sujet social débattu. Une réflexion avec les chefs d’établissement permettrait sans doute de dégager des voies d’approche des familles réticentes. Sans doute faudrait-il être en mesure de montrer que l’éducation des filles est non seulement un droit humain – au demeurant en phase avec les enseignements religieux – mais qu’il peut être profitable, et ceci pas seulement dans un terme lointain qui ne serait accessible qu’au prix d’efforts financiers importants, mais aussi à plus court terme d’une manière qu’il faudrait pouvoir expliciter. La raison liée à l’éloignement de l’école (« l’école est trop loin) relève sans doute du même domaine. Il serait intéressant d’interroger les autorités sur la raison qui leur fait privilégier des écoles gigantesques (ici 9500 élèves) mais

Les Nouvelles d’Afghanistan n°148 15 ÉDUCATION

Disons que pour un certain nombre de familles l’objectif est que l’enfant sache lire et écrire. Je pense que pour beaucoup d’enfants d’Afghanistan l’objectif est rempli. Il est enfin à noter que plusieurs élèves indiquent que la poursuite de leurs études résulte d’un combat mené avec « courage ». « J’ai résisté » disent certaines d’entre elles.

La situation dans une zone rurale AFRANE suit depuis 2010 douze écoles dans le district de Waras de la province de Bamyan. Il s’agit d’un district isolé avec un habitat très dispersé. Les écoles que nous suivons ont toutes une section garçons et une section filles, si bien qu’il est possible de comparer les effectifs de garçons et de filles. Les chiffres que nous avons recueillis conduisent au tableau suivant. % de filles 2012 2013 2014 Classe 1 à 3 53% 52% 55% Classe 4 à 6 45% 46% 48% Enseignement par posters dans une école de Waras (centre). «Pour un certain nombre de Classe 7 à 9 43% 45% 41% familles, l’objectif est que l’enfant sache lire et écrire.» Photo Etienne Gille Classe 6 à 12 28% 38% 40% Ensemble 43% 46% 47% rares à des écoles qui seraient plus petites mais plus proches de son public. La statistique porte sur 4000 élèves. On trouve une - L’argument de cherté est à prendre en considération. meilleure proportion de filles qu’à l’échelle nationale. Il Les frais signalés (stylo, cahier) sont minimes, mais pour n’est pas possible de savoir si c’est l’effet d’une meilleure une famille sans ressources, cela peut être rédhibitoire. prédisposition sociale, ou si l’action d’AFRANE dans la Il serait facile de chiffrer le coût de l’école pour un enfant région a joué un rôle. de l’enseignement primaire pour voir comment un système Nous ne connaissons pas le taux de scolarisation des d’entraide pourrait être envisagé. Il convient de noter que enfants de la région. Bien que les chefs d’établissement beaucoup de familles plus aisées mettent leurs enfants l’estiment très élevé, nos observations conduisent à un dans l’enseignement privé, ce qui a commencé à créer optimisme moindre. un enseignement à deux vitesses en Afghanistan. Ceci La scolarisation des filles et des garçons est sensiblement concerne aussi bien les garçons que les filles. Cependant, la même au niveau du primaire, avec une déperdition faible dans une famille comptant plusieurs enfants à scolariser, et mais régulière à chaque passage au niveau supérieur. La compte tenu de la moindre motivation des familles pour la déperdition est plus forte dans le secondaire. Mais il faut scolarisation des filles, cet élément peut jouer davantage pour ici aussi faire attention de ne pas se contenter d’une vision les filles que pour les garçons. statique des choses. L’observation de l’évolution entre 2012 montre que cette déperdition tend à s’atténuer au niveau du second cycle secondaire. Ceci est dû à deux phénomènes : En 2001 il y avait très peu de filles scolarisées5. Ce petit nombre Enquêtes en classes Terminales est parvenu en 12ème en 2012. Il n’est pas étonnant dès lors Nous avons aussi interrogé des jeunes filles de classe que le pourcentage de filles en Terminale en 2012 n’ait été Terminale à Tcharikar et Djalalabad dans l’optique d’analyser que de 21%. D’autre part, au fur et à mesure que les filles les obstacles qui se présentent à elles pour aller à l’Université. scolarisées en 2002 après la chute des Tâlebân montaient Les obstacles les plus cités sont ceux de la famille (qui de niveau, des classes et des écoles de filles ont été créées interdit l’école) et du mariage. L’interdiction semble d’ailleurs facilitant leur scolarisation. C’est ainsi que le pourcentage de très liée au mariage (interdiction car la fille va se marier, ou filles en Terminale a bondi en deux ans de 21% à 39%. s’est mariée et la belle-famille interdit la scolarisation). Le problème de l’argent est aussi assez fréquemment cité et bien sûr celui de l’insécurité. Il y a une contradiction entre les obstacles (l’interdiction L’accès à l’Université de la famille; le mariage) et les solutions proposées par les Nous ne pouvons pas terminer cet article sans évoquer ce élèves (principalement une intervention de l’Etat, quelle que qui se passe à l’Université. Celle-ci est de création récente en soit la forme, à Tcharikar surtout). Afghanistan. Par ailleurs, les obstacles cités pour le primaire et le En 1967-68, il n’y avait que 4264 étudiants en Afghanistan secondaire sont assez différent. Les obstacles dans le primaire dont 733 filles (17%) mais les effectifs étaient en croissance semblent plutôt de l’ordre de la pauvreté et semblent concerner rapide. peu de gens, alors que les obstacles dans le secondaire sont Dans les années 1980 à 2000 les effectifs ont chuté du fait plutôt de l’ordre des normes sociales (mariage, interdiction)4. de la guerre, de l’exil et aussi de services militaires très longs

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Kaboul, sortie de l’université. «Depuis 2002, on a une progression rapide des effectifs.» Photo DR pour les garçons qui n’y avaient pas échappé. De ce fait, la Cependant des actions peuvent être menées pour diminuer proportion de filles dans les années 80 s’est élevée mais par la difficulté pour une fille de s’inscrire en faculté. Certains absence de garçons. Ensuite du temps de la guerre civile les dirigeants afghans ont comme idée de créer une université études étaient quasiment impossibles et sous les Tâlebân féminine pour rassurer ceux que la mixité détourne des ce ne fut guère mieux. Depuis 2002, on a une progression études supérieures. Je ne sais pas si cette idée verra jamais rapide des effectifs, ainsi qu’une prolifération d’Universités le jour. Il serait sans doute mieux de chercher des voies plus (chaque province a la sienne) et d’instituts publics ou privés6. harmonieuses et de lutter contre les inégalités qui frappent Enseignement supérieur les filles. Nous avons dé-crit précédemment l’initiative prise par Garçons Filles Total % F/G AFRANE de construire un internat de filles à la faculté de 2002 27 000 5 936 31 200 19% pédagogie de Djalalabad, ce qui permettra à des jeunes filles 2004 24 500 6 200 30 700 20% admises au concours d’entrée à l’Université de pouvoir loger sur place. 2006 30 600 8 800 39 400 22% Un autre handicap qui limite les chances des filles au 2008 48 200 12 900 61 800 21% concours d’entrée à l’Université est leur moins bon accès à 2010 62 900 14 830 77 730 19% des cours privés. Ceux-ci ont lieu « au bazar » et les filles hésitent à s’y inscrire. Pour cela AFRANE a créé des cours de 1012 81 785 19 215 101 000 19% préparation au concours d’entrée à l’Université à Djalalabad, 2014 139 585 30 997 170 582 18% d’abord, et, devant leur succès, à Tcharikar. Enfin toute initiative visant à améliorer la qualité de Entre 2004 et 2012, les effectifs de l’Université ont ainsi l’enseignement dans les lycées de filles, en formant les augmenté de 16% par an, et ces deux dernières années de professeurs, améliorant les conditions matérielles, fournissant 30% par an. Peu de gens ont conscience de l’ampleur de ce des équipements pédagogiques (bibliothèques, salles de phénomène et des conséquences majeures que cela va avoir sciences, ordinateurs, accès à Internet), ne pourra qu’avoir pour l’évolution culturelle, sociale et économique du pays. un effet bénéfique. Pour ce qui concerne la place des filles, il est important de considérer que les filles entrées en CP en 2002 ne sont Article écrit avec la collaboration de l’équipe d’AFRANE de Kaboul entrées à l’Université qu’en 2014. C’est seulement à présent et de Véronique Gille qu’on risque de voir le pourcentage de filles à l’Université commencer à augmenter. Cela n’a cependant pas encore été 1- Voir notre précédent article sur le même sujet, «La scolarisation des le cas en 2014. Les filles ont certes profité de l’explosion filles»,Les Nouvelles d’Afghanistan, n°133 (2011). 2- Sur la naissance de l’enseignement féminin et l’histoire du lycée Malâ- des effectifs universitaires, mais à peu près dans la même laï, voir « L’éducation des filles à Malâlaï, Jeanne Laurent, Les Nouvelles proportion que les garçons. Il n’y a donc pas eu d’effet de d’Afghanistan, n°96 (2002). rattrapage. 3- Les années scolaires à Djalalabad vont de septembre à mai. Quand nous parlerons de l’année 2006 par exemple, ce sera l’année scolaire 2006-2007 que nous aurons en vue. 4- Cause du départ de l’école : mariage : cité 20 fois ; problèmes familiaux, interdiction : cité 30 fois ; problèmes économiques : cité 6 fois. Les actions possibles 5- Le district de Waras très isolé a pu scolariser un petit nombre de filles du Les obstacles à l’entrée à l’Université ont été analysés temps des Tâlebân. 7 6- Le tableau est extrait d’un article de Saïf R. Samady in Les Nouvelles dans un précédent numéro des Nouvelles d’Afghanistan d’Afghanistan n°144, complété par ses soins pour 2014. Pour une analysé de Le principal obstacle est culturel et l’évolution de la ka réussite des filles au Concours d’entrée à l’Université, voir notre article situation dépendra certainement de l’évolution de la société. « Quelques données statistiques concernant l’accès à l’Université » dans le L’insécurité joue bien sûr un rôle primordial car elle accentue n°141 des Nouvelles d’Afghanistan. 7-Voir «L’accès des filles à l’Université», par Pilar Martinez, Les Nouvelles les craintes des familles et des intéressées elles-mêmes. d’Afghanistan, n°141, juin 2013.

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La réouverture de la légation de France en 1945

par Gilles ROSSIGNOL*

La Légation de France dans les années 40. (Coll. Ceredaf) Poursuivant ses recherches dans les archives diplomatiques françaises, Gilles Rossignol s’est intéressé cette fois à la réouverture de la légation de France en Afghanistan en 1945. Le nouveau ministre, Jean Serres, arrive à Kaboul le a refusé de donner une décharge de la comptabilité, car celle- len¬demain de la capitulation allemande. Il a reçu pour ins- ci était tenue en turc et en dari, langues qu’il ne connaissait truction de réorganiser la légation, de reconstituer la mission pas. Serres approuve. archéo¬logique, de ranimer les relations culturelles, et d’éva- Dufayard signale en revanche que le prédécesseur de Ka- luer les possibilités de développement des relations commer- raoglou, Karabuda, qui a assuré l’essentiel de la gestion, a ciales. Il quittera ses fonctions sept mois plus tard. usé largement des automobiles de la légation, ainsi que de la Lors de la fermeture de la légation de France à Kaboul, en vaisselle, de la verrerie et même du mobilier. Il ajoute qu’il a 1942, les intérêts des Français et la garde de la légation, de trouvé le plus grand des deux coffres de la légation éventré. ses biens et de sa trésorerie, avaient été confiés à la légation Serres était déjà au courant de cette affaire car, en arrivant à de Turquie, État demeuré neutre dans le conflit mondial. Peshawar, il avait croisé Karaoglou qui l’avait informé des Au début de 1945, un vice-consul, Dufayard, avait été en- malversations et lui avait assuré que Karabuda avait été révo- voyé par le ministère des Affaires étrangères afin de rouvrir qué par le ministère turc des Affaires étrangères. la légation et préparer l’arrivée du nouveau ministre. Celui-ci Quant aux bâtiments de la légation – bureaux, résidence, prend ses fonctions de 11 mai. Il les quittera à la toute fin logements des agents – ils sont loués à l’État afghan. Laissés novembre 1. sans entretien pendant trois ans, ils se trouvent dans un état lamentable, qu’il s’agisse des toitures, des murs, des plan- chers, des systèmes électriques, des canalisations, etc. Dès le 17 mai, Serres envoie une note verbale au ministère afghan La légation des Affaires étrangères donnant la liste des travaux à effec- Dufayard a préparé une note à l’intention de Serres2. Il y tuer. Une seconde note verbale du 8 août constate que les tra- explique qu’à son arrivée, Karaoglou, secrétaire de la léga- vaux n’ont toujours pas commencé. Ils ont sans doute lieu fin tion de Turquie, lui a remis à la hâte (il est rappelé en Tur- août et courant septembre, mais, le 6 octobre, Serres proteste quie) un décompte des fonds laissés en banque, soit 180 027 car la remise en état des systèmes électriques n’a toujours pas francs suisses et 22 155,25 afghanis. Dufayard explique qu’il été réalisée. Parallèlement à ces problèmes techniques, Serres a dû *Ancien président d’AFRANE. pallier les vides laissés par le décès et le départ d’agents fran-

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çais recrutés locaux. Il semble y être parvenu, et signale qu’il à Londres avec son épouse souhaite augmenter le nombre d’heures du traducteur, qui Ria en 1940, avait en effet était payé jusque là sur la base d’une heure de travail par jour. péri en mer, le bateau qui les Une note verbale datée du 1er juin laisse supposer que ramenait en Orient ayant été le ravitaillement en denrées de première nécessité à Ka- torpillé le 24 février 19413. boul laisse à désirer. Serres demande en effet aux autorités À plusieurs reprises, Serres afghanes de délivrer des bons au personnel de la légation pour soulignera que les autorités l’obtention de sucre et d’allumettes. afghanes avaient conservé le À plusieurs reprises, Serres se plaindra auprès de son mi- meilleur souvenir de Hackin nistère de la lenteur d’acheminement du courrier diploma- et de sa mission. tique, puisqu’il s’effectue par bateau depuis Paris jusqu’à Ka- Deux candidats pou- rachi, en train jusqu’à Peshawar et en voiture jusqu’à Kaboul, vaient postuler à sa succes- et l’inverse. Il n’y a pas de liaison aérienne avec Téhéran et sion : Roman Ghirshman4, la seule escale accessible d’Air France sur la ligne Paris-Ex- spécialisé dans l’archéologie trême Orient semble celle de Calcutta. Certes, un service de de la Perse, qui avait effec- Daniel Schlumberger télégraphie est assuré entre Kaboul et Paris, mais, pour des tué, depuis la Perse, des raisons de coût et de chiffrage éventuel des messages, il n’est missions en Afghanistan avant d’assurer, à partir de 1941, utilisé que dans des cas urgents. l’intérim de directeur de la DAFA ; et Daniel Schlumberger2, inspecteur des antiquités au Levant depuis 1929, qui avait fait de nombreuses fouilles en Syrie, en particulier dans la région de Palmyre. Comme cela avait été envisagé à Paris, Ghirshman était La DAFA pressenti pour prendre la direction de la DAFA. Le 1er juin Parmi les instructions reçues par Serres figurait en priorité 1945, Serres se heurte pourtant à un refus catégorique de la la reconstitution de la Délégation archéologique française en part du ministère afghan des Affaires étrangères. Afghanistan. Joseph Hackin, qui avait rejoint la France libre La charge du directeur général des affaires politiques et

Louis Massignon en Afghanistan

Fin mai 1945, Louis Massignon, titulaire de la chaire de socio- Tribunal suprême ». Il traite notamment, écrit Serres, « du rôle logie et sociographie musulmanes au Collège de France, quitte de l’Afghanistan dans la diffusion de la pensée islamique ». Le Téhéran en voiture pour effectuer une visite officielle en Afgha- ministre ajoute que le conférencier a insisté sur « la part des nistan. Accompagné par un attaché de la légation de France à Afghans dans l’expansion de l’islam et de la langue persane Téhéran, il s’arrête à Hérat, où il passe une nuit en prière sur en Inde, [ce qui] cadre avec les tendances du gouvernement le tombeau d’Abdoullah Khwadjah Ansari*, puis à Kandahar. Il ». Ce discours a été traduit au public et à la radiodiffusion par arrive à Kaboul le 1er juin au soir. Nadjiboullah Khan. Massignon échange ensuite en arabe avec Jean Serres rend compte dans le détail du sé- un petit groupe de personnalités ; il parle len- jour de Massignon dans une dépêche du 10 juin tement pour bien se faire comprendre de ses 1945. interlocuteurs. Les autorités afghanes installent le célèbre Le 7, il se rend avec Nadjiboullah Khan à Gha- orientaliste dans la résidence des hôtes officiels, zni, où il « a donné aux épigraphistes locaux mettent une voiture à sa disposition, et le direc- des indications leur permettant de traduire une teur des affaires politiques et économiques du inscription funéraire ancienne » qui restait obs- ministère des Affaires étrangères, Nadjiboullah cure. Khan, ancien élève du lycée Esteqlal, sera un Le 8, Massignon part pour l’Inde d’où il rega- mentor attentif durant son séjour. gnera Le Caire en avion. Le 2, Massignon effectue diverses visites proto- Serres réserve le meilleur pour la fin. Après colaires. Les 3 et 4 juin, il se rend à Bamiyan. Le avoir souligné que cette visite avait « renforcé 5, il visite les lycées de Kaboul, et notamment le le prestige intellectuel de notre pays », il écrit en lycée Esteqlal où il est favorablement impression- effet: « Je souhaiterais simplement que, dans né par le niveau des élèves. Il est ensuite reçu à de telles circonstances, la légation de France déjeuner par le ministre de l’Instruction publique. ne soit pas tenue à l’écart : je n’ai pas été in- Dans la soirée, un dîner en son honneur est donné par l’Aca- formé de la décision de prolonger jusqu’à Kaboul la mission de démie afghane. M. Massignon. Je n’ai reçu qu’après son arrivée le télégramme Le 6, il est reçu en audience privée par le roi Mohammed annonçant son départ de Téhéran ». Zaher Chah. Le ministre de France offre un déjeuner auquel il convie quelques personnalités afghanes et tous les Français *Jean-Jacques Pérennès, Passion Kaboul. Le père Serge de Beaure- cueil, Cerf, 2014, p. 52. Massignon recommandera plus tard à Serge de Kaboul. Dans l’après midi, Massignon donne une confé- de Beaurecueil de consacrer ses recherches à ce mystique soufi : rence dans le cinéma de la ville en présence de hautes au- « N’hésitez pas ! Ansari est d’une importance capitale et personne ne torités, dont « le grand mufti de Kaboul » et « le président du l’a sérieusement étudié » (Id.).

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Le lycée Esteqlal de Kaboul (L’Illustration, 28 janvier 1928)

économiques, Nadjiboullah Khan, est rude comme le rap- préparé à y travailler, qui a eu la chance de plaire aux autori- porte Serres : « M. Ghirshman a cherché dans son activité tés afghanes ». Serres l’a emmené à Bamiyan, et Schlumber- l’appui de l’ambassade de Russie et des légations de Grande- ger a parcouru le pays. Il a préparé le budget pour 1946. La Bretagne et des États-Unis. Il a pris comme chauffeur un prestigieuse DAFA va renaître. Russe suspect à la police afghane. Il a déserté son chantier de Begram pour se mêler activement à la vie politique à Kaboul (…) Raison pour laquelle [le gouvernement afghan] a de- mandé le départ de M. Ghirshman et il estime que son retour n’est pas souhaitable ». Sans doute Ghirshman, de confes- L’enseignement sion juive, opposant déclaré au régime de Vichy, avait-il fait Portant un jugement général sur la coopération dans le preuve d’un zèle excessif ; peut-être même avait-il critiqué domaine de l’enseignement, Serres, dans son rapport de fin publiquement la position de neutralité afghane dans le conflit. de mission daté du 28 novembre, constate « la regrettable De plus, comme le signalera Serres, les relations de Ghirsh- baisse de la qualité d’une partie du corps enseignant fran- man avec le directeur du musée semblaient plutôt mauvaises. çais ». Il souligne que « des conflits – particulièrement aigus Ce veto ne compromet toutefois en rien les activités de du temps de M. Barbier7 – entre le personnel et la légation, la DAFA, bien au contraire, précise Nadjiboullah Khan. avaient fait baisser le niveau des études de français [au lycée Le gouvernement afghan souhaite en effet que les fouilles Esteqlal] tandis que plusieurs professeurs de faculté et le di- puissent reprendre au plus tôt à Begram, Hadda, Bamiyan, recteur français du lycée Esteqlal étaient éliminés sous divers dans le Seistan et ailleurs. La venue de Daniel Schlumberger, prétextes ». 6 déjà connu des Afghans , est souhaitée : « Il sera accueilli en Durant la guerre, quatre Français ont continué d’ensei- ami ». gner au lycée Esteqlal avec huit Afghans professeurs de fran- Peu de temps après, le ministre de l’Instruction pu- çais. À « l’école de filles », qui deviendra le lycée Malalaï, blique reçoit Serres et émet des réserves sur la nomination on compte deux professeurs françaises dont Mme Choukour de Schlumberger, car, explique-t-il, il est plus spécialiste des (une autre est en route fin 1945), deux afghanes et une étran- arts islamiques que de l’art gréco-bouddhique. L’entretien, gère enseignant le français. dont rend compte Serres dans une dépêche notée « confiden- Serres soutient les pressantes demandes afghanes pour tielle », a lieu en présence du directeur adjoint des affaires affecter un directeur français8 au lycée Esteqlal et des ensei- politiques (Abdulhamed Aziz, ancien élève du lycée Miche- gnants supplémentaires pour le secondaire. let et de l’École libre des sciences politiques), qui fait aussi Il appuie également le souhait des Afghans d’obtenir des office de traducteur et se montre sensible aux arguments de professeurs de médecine, destinés à remplacer les Turcs « in- Serres en faveur de Schlumberger. Deux jours plus tard, le suffisants », dont certains ont vu leurs contrats résiliés à la ministère donnera son agrément à la nomination de Schlum- demande de deux praticiens afghans de haut rang, dont l’un berger. Il apparaîtra que le plaidoyer en faveur de Ghirshman avait été formé à Montpellier puis à Strasbourg. Il ajoute qu’il avait été l’effet de manœuvres du chargé d’affaires- améri conviendrait que les praticiens français soient accompagnés cain, qui souhaitait s’en faire un obligé pour l’organisation de d’infirmières, en précisant toutefois qu’il serait souhaitable futures missions archéologiques américaines. qu’elles soient « d’âge mûr afin de ne pas troubler les jeunes Schlumberger arrive donc à Kaboul dans les meilleurs médecins afghans (…) qui ne sont pas habitués à travailler délais. Répondant à la suggestion des autorités afghanes, avec des femmes ». Jacques Meunié, qui avait participé aux fouilles de Hackin, Serres relaie enfin avec avis favorable d’autres demandes lui a été adjoint. Le 28 octobre, Serres décrit Schlumberger afghanes pour des enseignants à la faculté des sciences et à comme « un homme jeune, actif, intéressé par le pays, bien la faculté de droit.

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récupéré un « excellent appareil de projection de 35mm » (il compte projeter à Kaboul des films français), une petite Les légations voiture et de la vaisselle. Pour la légation du Japon, les choses seront plus simples. d’Allemagne et du Japon Dès le 27 août, les représentants des cinq puissances concer- Deux autres affaires vont marquer la mission de Jean nées (s’y ajoutait en effet la Chine) se concertent. Dans Serres : le sort des légations d’Allemagne et de Japon après l’après midi, ils se rendent à la légation du Japon. Beaucoup les capitulations de leurs États respectifs le 8 mai et le 2 sep- d’archives ont été manifestement détruites, et les sommes tembre. conservées sont loin d’atteindre le niveau de celles de la lé- À la demande de l’ambassade de l’URSS, des légations gation d’Allemagne. Le 10 septembre, le chargé d’affaires des États-Unis et de Grande-Bretagne, les autorités afghanes japonais, qui « semblait appréhender particulièrement que ont fait poser des scellés sur la légation allemande. Par la le retour par la Russie lui fût imposé », écrit Serres, quitte suite, Serres sera associé aux discussions sur le sort des Kaboul pour l’Inde sous la responsabilité des Britanniques. quatre diplomates allemands, et sur le devenir des archives et des fonds. Après de longues tergiversations, il est décidé que Les sept mois de la mission de Jean Serres, furent donc les diplomates seront conduits par les Afghans à Termez pour bien remplis. Il avait posé, avec les autorités afghanes, les ja- être remis aux autorités soviétiques, qui se sont engagées à lons d’une coopération qui allait culminer durant la décennie les acheminer en Allemagne… démocratique, entre 1964 et 1974. De la même façon, les archives de la légation seront re- mises à l’ambassade d’URSS, qui les restituera à ses trois collègues après qu’elles auront été étudiées à Moscou. Il 1- Nos sources proviennent du Centre des archives diplomatiques de Nantes, apparaît en tout cas lors du premier inventaire que le gou- cartons 296 P0/B/2 et 3. vernement afghan devait des sommes considérables à des so- 2- Jean-Charles Serres (1893-1968), docteur es-lettres, fut ambassadeur en ciétés allemandes, en particulier 250 000 £ pour la fourniture Syrie (1946-1950) puis au Pakistan (1955-56). Il est l’auteur d’un Manuel pratique de protocole à l’usage des postes diplomatiques et consulaires, d’armes et de munitions par la firme Rheinmetall-Borsig AG. 1948, réédité à de nombreuses reprises jusqu’en 2010. Une surprise attend les « vainqueurs ». Ils découvrent 3- Joseph Hackin et son épouse s’étaient ralliés à la France libre par télé- dans le coffre de la légation des sommes considérables en gramme le 6 juillet 1940. Ils arriveront à Londres en octobre. Ils furent faits dollars, en roupies, et surtout 2500 souverains d’or9, soit un Compagnons de la Libération par le général De Gaulle en mai 1941. poids total de 20 kg ! Quant aux dollars, qui proviennent de 4- Roman Girshman (1895- 1979) a fui la Russie en 1917 pour s’installer à Paris. Il s’est spécialisé dans l’archéologie de la Perse antique, membre libre banques japonaises, le représentant des États-Unis souhaite de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. qu’ils soient préalablement examinés par le Trésor améri- 5- Daniel Schlumberger (1904-1972). Directeur de la DAFA de 1945 à cain car il estime qu’une bonne partie de ces dollars risquent 1964, membre libre de l’Académie des inscriptions et Belles-Lettres. d’être des faux. En outre, les « Alliés » ont mis la main sur « 6- Le gouvernement d’Alger avait déjà proposé son agrément comme simple chargé de mission en 1944. Mais le gouvernement afghan, soucieux du papier administratif afghan à en-tête estampé, qui servait de sa neutralité (le gouvernement de Vichy demeurait le gouvernement lé- aux Allemands à écrire de fausses lettres du Premier ministre gal), avait refusé. à des chefs de la frontière indo-afghane, et en particulier au 7- Jean-Baptiste Barbier avait été ministre de France à Kaboul de 1937 à fakir d’Ipi10 »… 1940. Dans l’immédiat, conformément aux Accords de Pots- 8- Ce sera Auguste Momal, qui avait déjà été proviseur entre 1938 et 1940 et qui devait laisser (tout comme André Laurent plus tard) un grand souvenir à dam, qui prévoient que l’URSS renonce à toute réparation leurs élèves et aux autorités afghanes. autre que sur le territoire du Reich, les liquidités et l’or seront 9- La pièce d’or britannique dite « souverain » pèse 7,988 grammes. répartis entre les représentants des trois autres puissances. 10- Le fakir d’Ipi (v.1897-1960) fut l’un des principaux instigateurs des in- Il en ira de même pour les biens meubles : Serres a ainsi surrections contre les Britanniques dans le Nord Waziristan de 1936 à 1947.

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L’Afghanistan présenté à des élèves d’Ile de France

par Inès SCHMITT*

Une des missions du volontaire en service civique d’AFRANE consiste à orga- niser et participer à des actions de sensibilisation à l’accès à l’éducation dans un pays tel que l’Afghanistan.

Ces actions ont été mises en place par AFRANE depuis deux ans, dans des collèges et lycées parisiens et d’Ile-de- France, suite à un financement de la ville de Paris (premier prix du Label Paris Co-développement Sud 2012). Ces inter- ventions se sont poursuivies parce qu’elles se sont révélées être intéressantes et enrichissantes aussi bien pour les élèves, que pour l’équipe pédagogique et les intervenants. Ce sont toujours des moments de partage et de convivialité. Depuis mon arrivée à AFRANE en octobre dernier, j’ai déjà fait sept interventions de ce type, dont cinq au collège Apollinaire (Paris 15e), une au collège d’Orry-la-Ville (60) et une au lycée de Bezons (95). Suite à l’aide de Mme Nouis, mère du conseiller pédagogique d’AFRANE à Kaboul et Directrice de l’école Estienne, j’ai pu avoir le contact d’une enseignante au Collège Apollinaire qui s’est montrée très en- thousiaste à l’idée de ces interventions, d’autant plus qu’elles Intervention au Collège Apollinaire (avec Abdulmalik). Photo Inès Schmitt s’inscrivaient dans le cadre d’un projet d’école solidaire au- quel participaient les élèves de cinquième du collège depuis leur pays et mettent de l’énergie au cours des présentations à la rentrée. Pour les autres interventions, deux enseignantes défendre cette cause. et proches de membres d’AFRANE m’ont contactée direc- Afin d’amener les élèves à réfléchir autour de l’utilité et tement. A chaque fois, j’étais accompagnée d’un intervenant la nécessité d’aller à l’école, nous leur diffusons un docu- afghan (Abdul Majeed, Abdulmalik, Hassan ou Kader) ayant mentaire court, « Une journée de Rahela » de Dil Afroz Zee- suivi des cours de Français auprès de Français Langue d’Ac- rak (2006 – 27 min). Ce documentaire illustre la vie d’une cueil (notre partenaire dans le cadre de l’action prévue pour fillette afghane de 13 ans qui, après l’école, effectue toutes le Label Paris Co-développement Sud) et qui ont des histoires les tâches ménagères du foyer et doit travailler pour aider son sensiblement similaires. Une enseignante bénévole (Marie- père handicapé et subvenir aux besoins de sa famille. Nous France André-Brault) et la volontaire en Service civique demandons ensuite aux élèves de remplir un questionnaire (Charline Marie-Barda) de cette association se sont égale- ment jointes à nous à plusieurs reprises. Bertille Ortmans L’objectif de ces interventions est avant tout de sensibili- Ancienne volontaire en Service civique à AFRANE ser les élèves à l’importance de l’éducation et d’encourager leur ouverture d’esprit et une prise de conscience des diver- « J’ai réalisé six interventions devant des classes SEGPA et ça a sités culturelles en échangeant avec l’intervenant afghan. J’ai été une très bonne expérience à chaque fois. Les élèves étaient intéressés par les conditions de vie très différentes des enfants été agréablement surprise de voir à quel point les intervenants afghans et la précarité dans laquelle ils vivent. Par contre, il était afghans étaient prêts à prendre sur leur temps libre pour par- frappant de constater leur ignorance quasi-totale de l’Afghanistan ticiper à ces présentations. Ils ont beaucoup d’intérêt pour les (situation géographique, capitale…). Leur vision globale se rap- actions menées par AFRANE en faveur de l’éducation dans porte à ce qu’ils voient sur Internet et à la télévision : la guerre et les Talibans. Les interventions sont donc intéressantes à réa- liser mais je ne sais pas vraiment quel impact elles ont sur les *En service civique au sein d’AFRANE où elle est chargée de la commu- élèves… » nication.

22 Les Nouvelles d’Afghanistan n°148 EN FRANCE

C’est toujours satisfaisant de voir les élèves attentifs et réceptifs au récit de l’intervenant afghan. Photo Inès Schmitt

cité, Internet, quelle est la monnaie, quelle est la nourriture Abdulmalik Faizi afghane, ils posent des questions sur l’islam, sur les Tâli- Intervenant afghan qui a écrit un livre sur son parcours, « Je peux bân… Ils ont toujours un mélange d’étonnement et d’émer- écrire mon histoire ». veillement. Ils questionnent également beaucoup l’interve- « Pour les interventions, je dirais que ça c’est très bien passé dans nant afghan sur lui-même, les raisons qui l’ont poussé à fuir l’ensemble, même si les élèves étaient parfois un peu bruyants. l’Afghanistan, son parcours jusqu’en France et sa vie actuelle Ils ont mieux joué le jeu quand ils avaient été mis au courant de à Paris. Dans certaines classes où des élèves sont primo ar- notre intervention. Je pense que notre présentation a permis aux élèves de mesurer leur chance d’avoir un établissement propre rivants, le récit du migrant afghan les renvoie parfois à leur avec des laboratoires, des professeurs suffisamment diplômés, propre vécu (dans une moindre mesure). Les parcours des des classes équipées et des fournitures scolaires. » Afghans font d’eux de véritables héros aux yeux des enfants. En ce qui me concerne, ces actions de sensibilisation à visant à comparer leur quotidien à celui de Rahela dans le l’accès à l’éducation dans des collèges et lycées d’Ile-de-de- film. A ce moment de la présentation, ils réalisent alors la France auront été une bonne expérience. J’ai préféré avant plupart du temps qu’ils sont chanceux d’avoir accès à l’édu- tout le côté humain de ces interventions ; j’ai passé de bons cation et d’apprendre dans ces conditions, à savoir qu’ils ont des classes aménagées, des professeurs formés et sont en nombre raisonnable par classe. Nous essayons qu’ils se Abdulmalik Faizi rendent compte de l’avantage qu’ils ont d’avoir cours toute « Je suis parti d’Afghanistan en juin 2008 parce que j’ai été mena- la journée (plutôt que quelques heures par jour comme en cé, j’ai mis 8 mois à venir en France car j’ai traversé tous les pays Afghanistan) et de pouvoir pratiquer des loisirs qui leur plai- sur mon chemin illégalement (l’Iran, la Turquie, la Grèce, l’Italie et sent après l’école. Généralement, ils sont conscients qu’aller la France), à l’aide de passeurs. Je suis arrivé en Alsace un peu par hasard, maintenant je suis à Paris grâce au soutien financier à l’école est important pour l’avenir et leur permettra d’exer- de la Croix de Malte et de l’Ordre de Saint Jean. Les interventions cer le métier qu’ils auront choisi, contrairement à la fillette ont bien évidemment plein d’avantages pour moi, déjà cela me du film qui ne sera sans doute pas autorisée à travailler plus permet d’exercer mon français mais aussi d’avoir des contacts tard par sa famille ou son mari. avec des lecteurs potentiels et très jeunes de mon livre. Chaque intervention était très riche en émotions et en rencontres. Quand Par ailleurs, la présence d’un Afghan donne plus de réali- je voyais que les élèves me voyaient presque comme un héros et té à notre présentation et les élèves sont toujours très curieux me disaient bonne chance, j’avais envie de pleurer.» de rencontrer une personne d’origine étrangère. En effet, il s’agit souvent pour eux d’une découverte de l’Afghanistan, peu savent situer le pays avant la présentation ou bien n’en moments avec les intervenants afghans et de Français Langue ont qu’une image de guerre. Pour les intervenants afghans, d’Accueil. J’ai beaucoup appris sur la culture et les coutumes ces actions sont l’occasion d’exercer leur Français et de ra- afghanes au contact des intervenants. De plus, nous avons conter leurs parcours atypiques. été chaleureusement accueillis dans les différents établisse- C’est toujours satisfaisant de voir les élèves attentifs ments où nous sommes intervenus et c’était un vrai plaisir de et réceptifs au récit de l’intervenant afghan. Leur prise de constater à quel point les équipes enseignantes étaient moti- conscience des disparités culturelles avec l’Afghanistan vées par les actions menées par AFRANE. J’ai été touchée entraîne immanquablement un flux de questions sur la vie par la curiosité et l’intérêt des élèves pour nos présentations. quotidienne dans ce pays : ils veulent savoir s’il y a l’électri- Malgré les quelques imprévus et aléas, je renouvellerai l’ex- périence avec grand plaisir. Au final, ces interventions dans les écoles, suggérées au Abdul Majeed Intervenant afghan qui était professeur d’anglais en Afghanistan départ par la nécessité de répondre à une contrainte imposée par le financement de notre projet en Afghanistan, se sont Abdul Majeed avait ouvert un institut pour donner des cours d’an- révélés des moments très féconds. Que ce soit les équipes glais avec son frère à Kaboul, mais a dû quitter le pays. Il s’est dit pédagogiques des établissements scolaires, les élèves et les très satisfait d’avoir participé à ces actions de sensibilisation à intervenants afghans, tous ont exprimé leur satisfaction. Et l’éducation dans les collèges et lycées parce que cela lui a donné l’occasion de rencontrer d’autres personnes et des professeurs. pour les accompagnateurs d’AFRANE l’expérience s’est Cette expérience lui a donné envie de recommencer son travail également révélée très instructive. Action à poursuivre donc de professeur. car elle développe vraiment l’amitié franco-afghane.

Les Nouvelles d’Afghanistan n°148 23 Dernières nouvelles

La Wolesi Djirga (assemblée nationale) Chronologie rejette le projet de budget. - Le 25 : L’OTAN indique que la nouvelle mission de l’OTAN «Soutien résolu», qui commencera le 1er janvier 2015, réunira 12 000 hommes. Les Etats-Unis seront à la Décembre 2014 contre une école de l’armée au Pakistan fait tête de la mission de formation dans le sud 126 morts, pour la plupart des élèves. et l’est de l’Afghanistan, l’Allemagne dans - Le 10 : Les Etats-Unis ont fermé le - Le 17 : Deux dirigeants d’un groupe le nord, l’Italie dans l’ouest et la Turquie à centre de détention de Bagram et ne détien- d’insurgés sont tués lors d’affrontements Kaboul. nent plus personne en territoire afghan. avec des villageois à Dangam (Kounar). L’Observatoire syrien pour les droits - Le 11 : Un attentat-suicide dans le cen- Cinq personnes sont tuées et 20 autres de l’homme, basé à Londres, confirme la tre culturel français de Kaboul, en pleine blessées par quatre kamikazes dans une présence de combattants afghans en Syrie représentation d’une pièce de théâtre, fait banque de Lachkargâh (Helmand). aux côtés des soldats iraniens et des forces deux morts, dont un ressortissant allemand, La police saisit à Kaboul environ 1300 d’Assad. et 15 à 20 blessés. L’attentat est revendi- litres d’anhydride acétique, entrant dans la - Le 27 : Achraf Ghani, accompagné se qué par les Tâlebân, car la pièce de théâtre fabrication de l’héroïne. rend à Hérat pour évaluer la récente flam- en question représentait «de la propagande Rahmatullah Nabil, directeur par intérim bée d’insécurité. Il limoge trente fonction- contre le djehad» (voir notre précédent nu- de la Direction nationale de la sécurité, dé- naires civils et militaires de la province et méro). clare au Parlement que le pays est «tombé les fera juger. Sept des 16 personnes enlevées il y a deux dans un vide technologique», «conséquence - Le 28 : Barak Obama salue la fin de la semaines à Cher Khan, sur l’Amou Darya, naturelle» du retrait de l’OTAN. Plus de mission de combat de l’OTAN en Afghanis- sont libérées. Six nouveaux employés se- 120 cellules terroristes et 300 groupes ar- tan : «Grâce à l’extraordinaire sacrifice de ront libérés le 20 et deux autres le 28. més seraient présents dans la capitale. nos hommes et femmes en uniforme, notre - Le 12 : Le Conseil de sécurité de Les villageois du district de Qarqin mission de combat se termine et la plus l’OTAN adopte à l’unanimité le texte (Djaozdjân) accusent le Turkménistan de longue guerre dans l’histoire des États- créant une mission de l’OTAN en Afgha- leur voler leurs terres agricoles et menacent Unis s’achève de manière responsable», nistan dès le 1er janvier 2015 avec un rôle d’attaquer les gardes-frontières turkmènes. déclare-t-il. Mais il souligne que «l’Afgha- de formation, d’assistance et de conseil. - Le 18 : La Commission juridique de nistan reste un endroit dangereux». Les Tâ- Des Tâlebân prennent le district de Kha- l’Assemblée nationale rend ses recomman- lebân afghans qualifient la fin de la mission myâb (Djaozjdân), près du Turkménistan. dations pour la révision de la loi électorale. de combat de l’OTAN de «défaite» et de - Le 13 : Dans la province du Helmand, Un kamikaze de 13 ans est arrêté à Kaboul, «déception» pour la coalition. « des Tâlebân tuent 12 démineurs. A Kaboul, avant qu’il ne mène une attaque. Suite à l’attaque de Peshawar du 16 dé- un bus de l’armée afghane est la cible d’un - Le 21 : Le chef de la police de la pro- cembre Les forces de sécurité pakistanaises attentat-suicide tuant six militaires. vince de Kandahar ordonne aux forces arrêtent 41 ressortissants afghans qu’elles La ministre allemande de la Défense, en afghanes de riposter à toute attaque des in- soupçonnent d’avoir fourni des informa- visite en Afghanistan, se prononce contre surgés depuis le Pakistan. tions aux terroristes. une «fin abrupte» du déploiement de Selon des habitants de la province de Sar- - Le 31 : Une roquette tirée lors de com- troupes internationales. En 2015, environ e-Pol, dix femmes ouzbèkes aideraient les bats entre les forces gouvernementales et 850 soldats allemands resteront pour de la insurgés à fabriquer des bombes. des insurgés dans le district de Sangin (Hel- formation. Le chef du Tehrik-e-Taliban Pakistan, mand) tombe sur une fête de mariage, fai- Deux soldats de l’OTAN sont tués dans le mollah Fazlullah, responsable du carnage sant 15 morts et 45 blessés. Quatre soldats district de Bagram. de l’école militaire de Peshawar du 16 dé- sont arrêtés pour être interrogés. - Le 14 : Achraf Ghani avertit que si un cembre, aurait été tué dans une frappe aé- La mission Pamir des forces françaises officier de l’armée se trouve impliqué en rienne en Afghanistan. en Afghanistan, qui rassemble encore 150 politique il sera expulsé de l’armée. La Roumanie enverra 450 soldats en soldats français à l’aéroport de Kaboul, - Le 15 : Le premier ministre russe et Afghanistan l’an prochain comme instruc- passe le relais aux forces turques. Au total, Abdullah Abdullah ont des entretiens au teurs, en plus des 200 déjà annoncés,. 70 000 soldats français ont servi en Afgha- Kazakhstan. - Le 22 : Le Pentagone déclare qu’après nistan depuis 2001. Cinq soldats afghans, enlevés il y a quatre 2014 les Etats-Unis ne cibleront plus le jours, sont retrouvés morts dans la province dirigeant des Tâlebân afghans, mollah de Ghazni. Omar et d’autres insurgés tâlebân afghans Janvier 2015 Les forces de sécurité arrêtent 69 per- à moins qu’ils ne constituent une menace - Le 1 : Le vice-président Rachid Dos- sonnes accusées de s’être approprié des ter- directe pour les Etats-Unis. tum dit avoir mis sur pied une force de 20 rains de l’Etat dans le Nangarhâr. - Le 23 : Le ministère de la Défense dé- 000 combattants pour éliminer les Tâlebân - Le 16 : L’Union européenne publie clare qu’un soutien aérien de l’ISAF a aidé d’Afghanistan. Il lance un appel aux Tâle- son rapport final sur les élections -prési les forces afghanes à repousser les Tâlebân bân pour qu’ils adhérent au processus de dentielles, préconisant des réformes pour dans le district de Dangam (Kounar). Les paix plutôt que d’être tués. empêcher les fraudes lors des élections combats sont entrés dans leur onzième jour. Abdul Ahad Wahed est nommé maire de futures. Un quart des suffrages exprimés - Le 24 : Achraf Ghani renvoie le gou- Kaboul. Il promet d’agir contre les accapa- seraient entachés d’irrégularités. verneur de la province de Hérat suite à une reurs de terres et la corruption. Une attaque des Tâlebân pakistanais vague de violence dans la région. - Le 2 : On apprend qu’une délégation

2424 LesLes Nouvelles Nouvelles d’Afghanistan d’Afghanistan n°148n°148 Brèves économiques Chronologie

DEFIS ? On ne sait trop si cet article du Figaro liste les défis ou dresse les constats d’échec. La conférence de Londres début décembre semble s’être terminée sans achèvement tan- gible ni promesses chiffrées. Au-delà des besoins d’investissement, l’entretien des réalisa- trois ministères (Affaires religieuses, Dé- tions existantes poserait aussi problème ; l’argent viendrait ainsi à manquer y compris pour veloppement rural et Affaires frontalières) le budget d’entretien du Salang. Régis Lefèvre ont été proposés à d’anciens dirigeants tâ- lebân (Wakil Muttawakil, mollah Zaif et Défis Ghairat Bahir). Les sept défis de la reconstruction de l’Afghanistan - Le 10 : Huit démineurs enlevés la veille Dans un rapport publié le 10 décembre, l’inspecteur général spécial américain pour la reconstruction par des insurgés, sont libérés dans la pro- liste les grands risques auxquels va devoir faire face l’Afghanistan après le retrait des troupes internatio- nales. John Sopko liste ainsi les sept grands risques identifiés: vince du Logar. 1/ La corruption : L’une des plus grandes menaces pour l’Afghanistan. La stratégie américaine initiale Un juge de la Cour anti-corruption de a favorisé un climat propice à ce problème. L’injection massive de l’aide a en effet submergé le gouver- Djalâlâbâd est tué. nement afghan, qui n’avait pas la capacité de l’absorber. Les Tâlebân auraient refusé l’offre de 2/ La «soutenabilité» du budget afghan : La majeure partie des plus de 104 milliards de postes gouvernementaux faite par Kaboul. dollars que les Américains ont dépensés depuis fin 2001 pour la reconstruction du pays pourrait être Il y aurait eu également des négociations perdue «parce que les Afghans ne sont pas en mesure d’entretenir cet investissement sans la poursuite sur la nomination de gouverneurs tâlebân d’un soutien massif des donateurs». Sans les contributions de ces derniers, le gouvernement afghan ne pour les provinces du Nimrouz, de Kanda- sera pas capable de répondre à la plupart de ses dépenses de fonctionnement ou de développement - le har et du Helmand. financement des forces armées et de secteurs cruciaux comme celui de l’énergie et de la santé. 3/ La vulnérabilité des forces nationales de sécurité : Quelque 62 milliards de dollars L’Inde promet de donner 100 millions de ont été investis par Washington pour mettre sur pied l’armée et la police du pays. Mais sans le maintien dollars pour des petits projets de dévelop- d’une mission de formation et d’entraînement, cet investissement pourrait partir en fumée. pement. 4/ La difficile gestion de l’assistance financière directe : Depuis 2010, les États-Unis et d’autres - Le 11 : Abdullah Abdullah déclare que donateurs étrangers ont décidé de remplacer au moins la moitié des contrats et des prêts faits à des la promotion des capacités des femmes sociétés privées par une aide directe à Kaboul. Or l’incapacité du gouvernement à gérer ces fonds a déjà dans les domaines du leadership, de la gou- été pointée du doigt par le passé, et le Sigar redoute que le problème perdure. vernance et des affaires est une priorité du 5/ Le trafic de drogue :La récolte de pavot en Afghanistan a atteint un niveau record en 2013. L’Office gouvernement. des Nations unies contre la drogue et le crime estime que le marché du pavot à opium et de ses dérivés - Le 12 : Le gouvernement publie la liste représentait l’an dernier 3 milliards de dollars, soit l’équivalent de 15% du PIB de l’Afghanistan 6/ La gestion des contractuels : Les autorités civiles et militaires américaines ont travaillé en Afgha- des ministres proposés. Elle comprend 25 nistan avec des sociétés privées dans de nombreux secteurs d’activités. Mais personne aux États-Unis ministres ainsi que le gouverneur de la ne connaît le nombre de ces contractuels et ne sait précisément combien a été dépensé, car le gou- Banque centrale et le directeur général des vernement fédéral n’a pas centralisé les données à ce sujet. Les agences américaines auraient passé services de renseignements. pour environ 37 milliards de dollars de contrats de cette manière entre 2002 et 2013, sans assurer une - Le 14 : Une série de suicides coordon- gestion cohérente du suivi. D’où un gaspillage colossal. nés est déjouée par les forces de sécurité 7/ Le manque de stratégie de reconstruction : Les projets de reconstruction ont proliféré à travers le afghanes à Kaboul. pays, mais un fossé s’est creusé entre des stratégies théoriques de reconstruction et la mise en œuvre - Le 15 : Ismaël Khân demande aux effective de ces projets. Absence d’objectif, ou risque de programmes «contraires aux objectifs»... Le Afghans, et spécialement aux anciens mo- manque de coordination est flagrant, et l’argent gâché. (Le Figaro 11/12/2014) djahedin et aux représentants tribaux, de s’unir contre les nouveaux groupes d’in- TAPI surgés. Il critique Abdullah Abdullah de - Le 21 janvier, le Turkménistan, riche en hydrocarbures, a indiqué que la construction du gazoduc TAPI, ne pas avoir proposé un représentant de destiné à fournir l’Inde et le Pakistan en gaz turkmène en passant par l’Afghanistan, débutera cette la province de Hérat dans la liste des mi- année et devrait finir en trois ans et demi ou quatre ans. nistres. Nous sommes prêts à travailler avec le Turkménistan non seulement pour la réalisation du gazoduc, Les Tâlebân afghans condamnent la pu- mais également à la construction d’une voie ferrée Turkménistan-Afghanistan-Tadjikistan et de lignes blication de nouvelles caricatures de Ma- électriques, a pour sa part déclaré le président afghan Achraf Ghani, en visite à Achkhabad. (AFP 21/01) homet par Charlie Hebdo et saluent les Le 14 février, le ministre afghan des Mines a déclaré que trois compagnies étrangères (Total, une com- pagnie chinoise et une compagnie russe) ont exprimé leur intérêt dans le projet Trans-Afghanistan auteurs de l’attentat de la semaine dernière Pipeline (TAPI)1 qui vise à transférer du gaz naturel du Turkménistan vers le Pakistan et l’Inde via contre le journal. l’Afghanistan. Le choix final devra être fait dans les deux mois. Les travaux devraient être achevés en Suite à une visite d’Achraf Ghani aux 2017. (Tolo News 14/02 ; Khaama Press 15/02) Émirats arabes unis, l’Afghanistan et les 1- Voir notre numéro 145 « Les vicissitudes d’un oléoduc ». Émirats arabes unis signent un accord re- latif au soutien au processus de paix entre Note : ces Brèves économiques sont extraites du Bulletin du CEREDAF. les parties afghanes, à l’amélioration de la sécurité et à la lutte contre le terrorisme. - Le 16 : L’administration Obama ac- cueille favorablement l’engagement du de deux Tâlebân afghans s’est rendue en Les Tâlebân revendiquent un attentat Pakistan à interdire le réseau Haqqani et novembre en Chine où ils ont tenu de lon- contre la mission européenne de police en d’autres groupes extrémistes violents. gues négociations avec des responsables Afghanistan. - Le 17 : Ismaël Khân critique le fait que chinois. Cette visite a eu lieu après celle - Le 6 : Selon un sondage la popularité les institutions d’Etat relatives à la sécu- d’Achraf Ghani à Pékin. d’Achraf Ghani a fortement diminué, pas- rité aient été confiées à des anciens com- - Le 4 : Des militants de la société civile sant de 59,9% au cours de son premier munistes ayant participé au coup d’Etat de menacent d’appeler à manifester si le gou- mois de présidence à 27,5% après 100 1973. Il rappelle qu’ils sont responsables vernement n’est pas formé d’ici deux jours. jours de fonction. des quatorze années de guerre civile qui - Le 5 : Achraf Ghani souhaite le report - Le 7 : La Wolesi Djirga adopte une de ont forcé plus de 5 millions de personnes à du départ des troupes de l’OTAN du fait loi interdisant les mariages très onéreux et fuir le pays, et causé la mort de 2 millions des menaces du groupe Etat islamique. de tradition «non islamique.» de personnes. Environ 80% du district de Dangam - Le 8 : L’Afghanistan et le Pakistan Achraf Ghani s’élève contre la publica- (Kounar) seraient à présent sous contrôle condamnent fermement l’attaque terroriste tion d’une nouvelle caricature de Mahomet gouvernemental. Les combats ont forcé des contre Charlie Hebdo. dans Charlie Hebdo qu’il qualifie «d’in- milliers d’habitants à évacuer la zone. - Le 9 : La Présidence afghane nie que sulte à la religion sacrée de l’islam et au

Les Nouvelles d’Afghanistand’Afghanistan n°148 n°148 25 Chronologie Brèves économiques

Aide monde musulman». Pour lui la liberté d’ex- - Les 3 et 4 décembre, une conférence internationale, essentiellement consacrée au montant de pression devrait promouvoir la coexistence l’aide civile à l’Afghanistan, s’est tenue à Londres réunissant une cinquantaine de pays et une quin- pacifique entre les religions. zaine d’organisations internationales. Le ministère de l’Intérieur confirme que On ne sait pas encore combien d’argent la communauté internationale va promettre cette année à des Tâlebân ont lancé des opérations au l’Afghanistan. Pour John Kerry, cette région - l’Inde, l’Afghanistan, le Pakistan - a en effet un énorme nom de l’Etat islamique dans certaines par- potentiel économique. En aidant le gouvernement afghan, l’avenir de toute la région peut-être différent. ties de l’Afghanistan en particulier dans les (RFI 04/12/2014) provinces de Farâh et du Helmand. - L’Afghanistan a demandé aux bailleurs une aide financière, le budget pour les salaires de l’Etat Au cours des deux dernières semaines, étant épuisé, et le gouvernement est incapable de payer en décembre les salaires des enseignants, des fonctionnaires et autres agents de l’Etat. (Khaama Press 11/12/2014) les forces de sécurité ont arrêté 174 terro- - L’Australie a promis le 26 janvier pour les deux prochaines années une aide civile supplémentaire ristes à Kaboul. de 300 millions de dollars. - Le 18 : Le candidat au poste de ministre La Chine a indiqué le 10 février qu’elle apporterait son soutien à des initiatives visant à « renforcer les de l’Agriculture, de l’Irrigation et de l’Ele- connexions autoroutières et de voie ferrée, l’inter-connectivité et les interactions économiques entre le vage, Mohammad Yaqoub Haïdari, est Pakistan et l’Afghanistan », dont le projet de barrage pakistanais sur la rivière Kunar. Les infrastructures sur la liste des personnes recherchées par de transport concernées seraient une autoroute Peshawar-Kaboul et un chemin de fer entre Chaman Interpol pour évasion fiscale et fraude en (Pakistan) et Kandahar. Estonie. Il devrait 50 000 dollars d’impôts. - Le 2 décembre, le ministère afghan de l’Énergie et de l’Eau a déclaré que la construction de cinq L’intéressé clame son innocence, assurant grands barrages dans différentes parties du pays ne verrait pas le jour en raison d’un manque de financement suffisant. Sont concernés les barrages de Châh Aros (province de Kaboul), de Pachdan que quelqu’un a racheté en son nom une et d’Almar (province de Hérat), de Kamal Khân (province du Nimrouz) et de Machalgho (province du entreprise faisant affaire avec l’Estonie, et Paktia). (Tolo News 02/12/2014) qu’il est victime d’une conspiration. Il est - Le 4 janvier, le ministères des Travaux publics s’est plit que 30 projets routiers non achevés ont retiré de la liste des ministres proposés. été exclus du budget, lcomme l’entretien du tunnel du Salang, par manque de rentrées financières - Le 19 : Suite à l’attaque meurtrière (Tolo News 14/01) sur une école de l’armée à Peshawar.137 Afghans sont arrêtés par la police pakista- Divers naise et reçoivent l’ordre de quitter le Pa- Grands travaux : Le gouvernement compte reprendre la réalisation de 27 grands chantiers dont kistan dans les trois jours. les barrages de Machalgho, de Châh wa Arus, d’Almar, de Kamal Khan et de Pachdan, l’axe routier érat-Tchaghtcharân, l’énergie éolienne de Kadjakaï, la nouvelle ligne électrique Nord-Sud, la route Qai- A Djalâlâbâd, des manifestants en colère sar-Laman, les transports à Kaboul, et l’axe routier Kaboul-Bâmiyân. (Tolo News 16/02) contre Charlie Hebdo exigent la ferme- - Le 6 décembre, la Commission européenne a annoncé l’octroi d’une aide supplémentaire de ture de l’ambassade française à Kaboul et 1,4 milliard d’euros sur la période 2014-2020 pour le développement de l’Afghanistan. (Les Échos le lendemain des centaines de personnes 10/12/2014) manifestent de même dans la province du Wardak. Note : ces Brèves économiques sont extraites du Bulletin du CEREDAF. Achraf Ghani renvoie le gouverneur de la province de Farâh, le chef de la police, le chef de la Direction nationale de la sécu- rité, le chef des douanes et le commissaire tanaise du Pendjab. La police de la province de Kandahar aux frontières pour corruption. Ils sont in- Le gouvernement afghan se prépare au saisit 52 sacs d’explosifs en provenance du terdits de sortir du pays. retour de 1,6 million de réfugiés enregistrés Pakistan. Le nombre de soldats turcs en Afghanis- au Pakistan. Un accord signé par l’Afgha- - Le 28 : Des Tâlebân enlèvent mollah tan passera de 700 à 1100 hommes, dans le nistan, le Pakistan et le HCR prévoit un re- Khadim, rallié à l’Etat islamique, et 45 de cadre de la formation de l’armée. tour volontaire, digne et progressif de ces ses partisans dans le district de Kadjakaï Le général Mourad Ali Mourad, com- réfugiés. (Helmand). mandant de l’armée afghane, rejette le pro- Sayed Mansour Sadat Naderi (Travail), La Wolesi Djirga approuve le budget ré- jet du général Dostom de créer une milice Nouruhaq Ulumi (Intérieur) et Salahuddin visé (436 milliards d’afghanis) pour l’exer- de 20 000 combattants pour combattre les Rabbani (Affaires étrangères) renoncent à cice en cours. Tâlebân. leur autre nationalité. Les Forces de sécurité repoussent les in- Mahmoud Saiqal refuse le poste de mi- Achraf Ghani se rend en Arabie saoudite surgés du district de Tchak (Wardak) après nistre de l’Énergie et de l’Eau. Il est rem- pour présenter ses condoléances suite au 13 ans sous le contrôle des Tâlebân. placé par Abdul Rahman Salahi. décès du roi Abdullah. La Wolesi Djirga vote la confiance à sept - Le 21 : Achraf Ghani se rend à Achga- - Le 25 : Après avoir été enlevée, une des 25 ministres présentés et au respon- bat, capitale du Turkménistan. fillette de 10 ans est forcée à porter un car- sable des services de sécurité. La Wolesi Djirga rejette les candidatures table rempli d’explosifs pour commettre un - Le 29 : De nombreux conseils provin- des ministres ayant la double nationalité. attentat dans Lachkargâh. ciaux décident de fermer leurs bureaux une - Le 22 : L’Inde offre l’accès en franchise - Le 26 : Un nouveau groupe se faisant ap- semaine pour protester contre la décision de droits aux produits afghans. peler «Marg» (mort) se déclare au Conseil de la Wolesi Djirga leur interdisant de su- Plus de 825 familles afghanes sont ex- provincial de Balkh. Son objectif est de perviser les services locaux. pulsées de différentes villes du Cachemire combattre le groupe de l’Etat islamique et Trois civils américains participant à un sous contrôle pakistanais. les Tâlebân en Afghanistan. Marg affirme programme d’entraînement de l’armée - Le 23 : A Kaboul, des centaines de mani- avoir plus de 5 000 sympathisants. de l’air afghane sont tués à l’aéroport de festants scandent «à bas Charlie». A Hérat, - Le 27 : Achraf Ghani présente de nou- Kaboul apparemment par un membre des près de 20 000 manifestants brûlent le dra- veaux candidats en remplacement de ceux forces de sécurité afghanes. peau français et demandent des excuses de ayant une double nationalité. 300 sacs contenant 15 tonnes de chlorure la France. Manifestations aussi à Farâh et L’OTAN remet l’aéroport de Kandahar d’ammonium pour la fabrication d’explo- Zâbol le 25. aux Forces de sécurité afghanes. sifs sont saisis au Paktiya. - Le 24 : Depuis le 16 décembre 4935 res- Les Tâlebân afghans confirmentqu’ils se Abdullah Abdullah nomme trois con- sortissants afghans déclarés illégaux ont été sont rendus en Chine en novembre pour la eillers dont Mahmoud Saiqal, ancien am- arrêtés par la police dans la province pakis- reprise de discussions de paix. bassadeur. La semaine dernière, Habiba

2626 LesLes Nouvelles Nouvelles d’Afghanistan d’Afghanistan n°148n°148 Brèves Chronologie

Centre culturel à Bâmyân : Un cabinet d’architectes argentins a été sélectionné par l’Unesco et le d’une formation aux États-Unis pour éviter ministère afghan de l’Information et de la Culture, parmi 1070 candidats de 117 pays pour la conception de retourner en Afghanistan se voit refuser du Centre culturel de Bâmiyân. Ce centre sera financé par la Corée. (Khaama Press 21/02) l’asile par un juge américain de l’immigra- Drogue : Les surfaces de pavot en Afghanistan ont augmenté de 7% durant l’année écoulée, avec tion, 224.000 hectares en 2014. Les campagnes d’éradication des cultures de pavot menées à travers le - Le 31 : 24 personnes sont blessées au pays ont diminué de 63% sur la période. Avec une valeur ajoutée de 3 milliards de dollars, l’économie cours d’une manifestation d’environ 500 narcotique représentait en 2013 autour de 15 % du PIB et employait 410 000 fermiers (5 % de la popu- personnes dans la périphérie de Kaboul lation active). (Pajhwok Afghan News 30/12/2014 et Tolo News 31/12/2014) contre la publication de caricatures de Ma- Baron : Un baron de la drogue notoire Hadji Lal Djân Ishaqzaï est illégalement sorti de prison après homet par Charlie Hebdo, la police ayant avoir payé un pot de vin d’un montant de 14 millions de dollars. (Tolo News 08/01) répliqué à des jets de pierres. et le directeur à la sé- Ciment : Des entreprises pakistanaises de ciment, soutenues par l’armée pakistanaise, ont établi un Les sept ministres monopole sur l’industrie du ciment dans les pays voisins comme l’Afghanistan. Plus de quatorze en- curité qui ont reçu le vote de confiance treprises pakistanaises importent en Afghanistan la grande majorité du ciment dont le pays a besoin. de l’Assemble nationale prêtent serment Les cimentiers afghans critiquent leur gouvernement de ne pas avoir développé un marché de ciment devant Achraf Ghani. Il s’agit de : Eklil domestique fort au cours de la dernière décennie, qui a connu un plus important développement en Hakimi, ministre des Finances, Ferozuddin infrastructures et en constructions que toute autre période de l’histoire de ce pays. Plus d’un million de Feroz, ministre de la Santé publique, Noor- tonnes de ciment sont importées par l’Afghanistan chaque année. Avec l’abondance des gisements de ul-Haq Ulomi, ministre de l’Intérieur, Sa- charbon domestique, le pays pourrait devenir autonome dans la production de ciment et même devenir lahuddin Rabbani, ministre des Affaires exportateur. (Tolo News 06/02) étrangères, Sayed Hussain Alemi Balkhi, ministre des Réfugiés et du Rapatriement, Eau : L’Afghanistan a l’une des plus grandes réserves d’eau douce de la région, grâce à ses massifs montagneux. Le flux annuel de l’eau à travers l’Afghanistan est estimé à 57 milliards de mètres cubes, Daoud Châh Saba, ministre des Mines et dont 18 milliards de mètres cubes d’eau souterraine. Seuls 21 millions de mètres cubes d’eau de surface du Pétrole, Nassir Durrani, ministre de la sont utilisés à des fins agricoles, tandis que 36% s’écoulent vers les pays voisins. Selon des experts, réhabilitation et du Développement rural, l’Afghanistan a la capacité d’irriguer sept millions d’hectares de terre, mais seuls deux millions le sont Faïz Mohammad Osmani, ministre des Af- en réalité. (Tolo News 24/02) faires religieuses et du Hadj.

Rocade : Le ministère des Travaux publics a annoncé que les travaux préparatoires de la rocade autour de Kaboul sont achevés et que la phase de construction commencera bientôt. Longue de 95 km, elle Février passera par Tchaharasyâb, Arzan Qimat, Mahipar, New Kaboul à Deh Sabz, Qalaye Murad Beg dans le une en- nord de Kaboul, puis Paghmân. (Tolo News 26/01) - Le 1 : Achraf Ghani ordonne quête immédiate sur les allégations de Enseignement des filles : Les responsables de l’Éducation de la province du Paktika, ont annoncé le fraude concernant un achat de carburant recrutement d’enseignantes pour les écoles de filles, en leur proposant un salaire mensuel de 8 à 1 000 pour le Ministère de la Défense, portant sur dollars, soit quatre fois le salaire normal. Il n’y a eu l’an dernier, dans cette province instable, que 7 filles une somme de 215 millions de dollars. à avoir le diplôme de fin du secondaire. (Khaama Press 28/02) - Le 2 : Selon le chef administratif du district de Tcharkh (Logar) des éléments Violence de l’Etat islamique ont tué un commandant Mines : Si le nombre de victimes des mines et autres restes explosifs en Afghanistan a diminué au cours tâleb et ordonné aux habitants d’arrêter de de la dernière décennie, passant de 100 morts par mois en moyenne à la fin des années 1990 à 39 regarder les programmes de télévision. aujourd’hui, selon le MACCA, il reste parmi les plus élevés au monde. (AFP 06/01) Rançon : Le diplomate afghan détenu par Al Qaida pendant deux ans a été libéré en 2010 contre une Barack Obama propose 1 milliard de rançon de 5 millions de dollars, dont un million provenant de fonds fournis par la CIA. (New York Times, dollars de soutien économique à l’Afgha- 14 mars). nistan. Victimes civiles : Le conflit afghan a continué à faire de plus en plus de victimes civiles en 2014 selon - Le 3 : Achraf Ghani demande aux res- l’ONU, avec une forte hausse de 22% due à l’intensification des combats au sol alors que l’OTAN se ponsables des Conseils provinciaux de préparait à retirer ses troupes. Comme en 2013, l’ONU estime que près de trois quarts des civils tués ou mettre fin à leur protestation et de rouvrir blessés en 2014 ont été victimes des «forces antigouvernementales», loin devant les forces progouver- leurs bureaux. Les membres des Conseils nementales (14%). Les Tâlebân, qui contestent le calcul de l’ONU, ont plusieurs fois affirmé leur volonté provinciaux auraient rejeté sa demande. de limiter les pertes civiles. (AFP 18/02) Des dizaines de militantes manifestent à Note: principales sources : le Bulletin du CEREDAF Kaboul contre l’absence de femmes dans le nouveau gouvernement. - Le 4 : La Chine propose d’accueillir des négociations de paix entre le gouvernement Sarabi a été nommée conseillère aux af- - Le 30 : 14 personnes enlevées depuis afghan et les Tâlebân. faires féminines et à la jeunesse. quatre jours dans le district de Bakwa (Fa- - Le 5 : Des civils tuent trois ravisseurs et Les Etats-Unis déclarent que les Tâlebân râh) sont libérées. pendent leurs corps sur un panneau publi- afghans sont une insurrection armée alors Le gouvernement afghan proteste contre citaire dans le Nimrouz. que le groupe Etat islamique est un groupe le projet du gouvernement norvégien d’ex- - Le 6 : Achraf Ghani se rend en Alle- terroriste. pulser des demandeurs d’asile afghans, magne afin d’assister à la conférence sur la Le chef du groupe Etat islamique al- menaçant de graves conséquences sur les sécurité à Munich. Baghdadi qualifie le chef des Tâlebân relations entre les deux nations. Pour la première fois, six soldats afghans afghans, mollah Omar, d’imbécile et de Selon un sondage de l’Afghan Center for se rendent au Pakistan pour une formation chef de guerre analphabète. Selon lui, mol- Socio-Economic and Opinion Research militaire de niveau officiers. lah Omar n’a aucune crédibilité spirituelle réalisé avant la fin officielle de la mission - Le 7 : Après trois semaines d’opéra- ou politique. de combat américaine 77% des sondés sont tions, les forces afghanes libèrent la région Une enseignante à Mazar-e Charif a pour une présence des troupes américaines. de Band-e Timor (province de Kandahar), vendu sa fille d’un mois pour 25 000 afgha- 46% des Afghans veulent en 2015 un plus un bastion des Tâlebân et centre de la pro- nis. Son mari l’ayant quittée, son salaire de grand engagement américain que celui pré- duction du pavot. 6000 afghanis ne lui suffit plus pour faire vu, et 29% un engagement moindre. 12 policiers sont arrêtés pour notamment vivre ses cinq enfants. Un officier afghan qui avait disparu lors soutien à des insurgés et des ravisseurs,

Les Nouvelles d’Afghanistand’Afghanistan n°148 n°148 27 Chronologie Brèves

dans la province de Koundouz. Musharraf : Le 4 décembre, l’ancien président pakistanais Pervez Musharraf a déclaré que la recon- Le Procureur général refuse de fournir naissance du régime des Tâlebân en Afghanistan a été une erreur de la part du Pakistan. Mais il a au palais présidentiel la liste de ses fonc- reproché à l’Occident et aux Etats-Unis d’être à l’origine de la formation d’Al-Qaïda et des Tâlebân et tionnaires corrompus. Le 28 janvier, quatre d’avoir lâché le Pakistan après le retrait soviétique d’Afghanistan. (Afghanistan News.Net 04/12/2014) représentants du gouvernement et quatre Migrants afghans : Une étude menée par l’Afghan Research and Evaluation Unit (AREU) et le HCR avocats ont été arrêtés pour corruption, montre que 44% des migrants clandestins dans le monde en 2014 étaient des citoyens afghans. La mais leurs noms n’ont pas été révélés. Par plupart de ces Afghans sont âgés de 13 à 17 ans et migrent principalement vers l’Europe via l’Iran et ailleurs, les cas de corruption concernant la Turquie. En 2013, 3 595 jeunes Afghans ont déposé des demandes de migration vers 44 pays euro- sept anciens ministres ont été présentés à la péens. (Tolo News 03/02) Cour suprême. Retours : Plus de 30 000 Afghans du Pakistan devenus indésirables après l’attentat dans une école de Un trafiquant est arrêté avec 288 kg Peshawar en décembre sont rentrés dans leur pays depuis le début de l’année. Ce chiffre dépasse déjà d’opium sur la route Kaboul-Kandahar, les 25 000 Afghans rentrés au cours de l’année 2014 entière. (AFP 08/02) dans la province de Ghazni. Santé - Le 8 : Des insurgés libèrent sept per- Mortalité maternelle : Selon le ministère de la Santé publique, le taux de mortalité maternelle en Afgha- sonnes, dont cinq élèves kidnappés la se- nistan demeure très élevé, avec 327 décès pour 100 000 naissances, malgré les efforts pour accroître maine dernière dans la province de Farâh. l’accès aux sages-femmes et aux soins médicaux à travers le pays. Il y a dix ans, on comptait 1 600 - Le 9 : Des insurgés brûlent une école décès de mères pour 100 000 naissances. Le 16 décembre, la Première dame, Rula Ghani, a souligné dans le district de Momand Dara (Nanga- le manque de femmes médecins, en particulier de gynécologues, dans de nombreuses régions du pays. rhâr), 3ème incident de même nature dans Actuellement, on compte seulement 373 gynécologues, dont 249 travaillent à Kaboul. (Tolo News 10/12 l’est en moins de 15 jours. /2014et 16/12/2014) Des hauts fonctionnaires du Pakistan et Santé : Selon le ministre de la Santé publique, Ferozuddin Feroz, 21% des aides internationales sont de la Chine se réunissent à Kaboul pour le destinés aux salaires des 450 conseillers du ministère. (Tolo News 12/02) MSF : Médecins Sans Frontières vient de créer une nouvelle maternité au sein de l’hôpital du quartier premier tour d’un dialogue trilatéral avec de Dacht-e-Barchi (Kaboul ouest). (MSF 01/12/2014) leurs homologues afghans afin de promou- SIDA : Selon le ministère de la Santé publique, le taux d’infection par le VIH a augmenté de 26% en voir la paix et la stabilité en Afghanistan. 2013. On enregistre 19 cas chaque mois, pour la plupart à Kaboul, à Hérat, dans le Nangarhâr et à Selon Ismaêl Khan, il n’y aura pas de Kandahar. (Tolo News 01/12)/2014 sécurité dans le pays si les ex-dirigeants modjahed restent marginalisés dans le nou- Torture : Les tortures et mauvais traitements envers les détenus liés au conflit afghan sont en baisse veau gouvernement. en 2013-2014 par rapport aux deux années précédentes, a indiqué l’ONU dans un rapport publié le 25 Mollah Abdul Rauf Khadim et quatre février. Sur 790 détenus rencontrés par l’ONU, 35% ont dit avoir subi des tortures ou des mauvais traite- autres hommes qui se déplaçaient en voi- ments de la part des forces de sécurité afghanes, une baisse de 14 points de pourcentage, qui peut être «partiellement attribuée» aux efforts pour minimiser ces pratiques (installation de caméras dans certains ture dans le district de Kadjakaï (Helmand) centres de détention). (AFP 25/02) sont la cible d’un bombardement. Mollah Khadim avait annoncé son allégeance à Baad pas mort : Dans la province de Balkh, une fillette de 10 ans a été forcée d’épouser un garçon, l’Etat Islamique. Selon une source rebelle en règlement d’une affaire familiale, décision prise par les chefs tribaux dans le cadre d’une ancienne pakistanaise, il «était le principal organisa- tradition appelée «Baad» . Des chefs religieux ont dénoncé cet acte. Une étude menée par l’Initiative teur de l’unification des factions dissidentes civile et libérale pour la paix fait cependant ressortir que cette tradition afghane a énormément diminué des Tâlebân ralliées à l’EI» en Afghanistan depuis 2001. Cette tradition vise à «donner une jeune fille ou une femme en mariage comme prix du et au Pakistan. sang pour régler un conflit ou un assassinat d’honneur » commis par un membre masculin de la famille. - Le 10 : Achraf Ghani suspend la de- En théorie, les familles qui pratiquent ladite tradition pensent que c’est un moyen pacifique de rétablir la paix et l’ordre entre les parties en conflit. (Tolo News 01/12/2014 et 15/02) mande faite à l’Inde par H. Karzaï de four- nir des armes lourdes à l’Afghanistan. Inventeurs : Mustafa Mohammadi, un jeune Afghan de talent, a construit une moto solaire, à deux - Le 11 : Deux écoles sont incendiées dans places, initiative qui vise à réduire la pollution de l’air dans le pays. Des panneaux solaires installés sur la province du Nangarhâr. le toit de la moto (une cellule carrossée) autorisent une vitesse de 40 km/h. Un autre jeune homme du 600 Tâlebân se manifestent dans la pro- district de Gerechek (Helmand) a construit un hélicoptère pour une personne, à partir de vieilles pièces vince de Djaozdjân en brandissant les dra- de moto, y compris le moteur. (Tolo News 24/12/2014 et 05/02) peaux noirs de Daesh. Selon le ministère de l’Intérieur ce sont les mêmes insurgés tâle- Sens civique : Le 5 décembre, environ 150 bénévoles de Kaboul se sont rassemblés pour nettoyer le bân avec de nouveaux symboles. Qol-e-Hachmat Khân, zone humide à la périphérie sud-est de la ville, pour sauver les espèces mena- cées. Cette zone est envahie d’ateliers de réparation automobile et diverses autres activités mettant en - Le 12 : 64 camions transportant du lapis- danger les espèces d’oiseaux et de poissons qui la peuplaient. (Tolo News 05/12/2014) lazuli extrait illégalement sont saisis dans la province du Badakhchân. Karate féminin : Le 19 décembre, pour la première fois, le comité olympique Ghazni a décerné la Des hommes non identifiés égorgent un ceinture jaune à 24 jeunes femmes karatéka. (Pajhwok Afghan News 19/12/2014) érudit religieux dans la province d’Orouz- gân. Bravo Haris : Tel est le titre d’une notule du Bulletin de l’Institut Supérieur d’agriculture de Lille qui Un membre du Haut conseil pour la paix donne des nouvelles d’un jeune ancien élève, Mohammad Haris (Hâres) Sherzad, diplômé du Master est tué alors qu’il prie dans une mosquée, Environnementaliste de cette école. Il collabore à présent avec le Programme des Nations unies pour à Kandahar. l’Environnement en tant que spécialiste de l’adaptation au changement climatique pour l’Afghanistan. Il travaille aussi avec l’ambassade de France à la préparation d’une conférence à Kaboul sur le thème « La Chine est prête à jouer les intermé- Changement climatiques et Territoire urbain » en vue de la Conférence de Paris sur le climat. (Isa Actu, diaires entre les Tâlebân et Kaboul, an- 16/03). nonce au Pakistan le ministre des affaires étrangères chinois. Note: principales sources : le Bulletin du CEREDAF - Le 13 : L’ancien président pakistanais Pervez Mucharraf admet que le gouver- nement du Pakistan a cherché à saper le nistan et déclare que le moment est venu versaire du retrait soviétique, M. Sayyaf gouvernement Karzaï qui selon lui montait de «coopérer totalement» avec le nouveau critique le gouvernement qui écarte les l’Inde contre le Pakistan. Il appelle à en fi- gouvernement d’Afghanistan. ex-modjahedin du pouvoir politique. «Les nir avec le soutien aux insurgés en Afgha- - Le 15 : A l’occasion du 26ème anni- modjahedin ne sont pas des criminels de

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guerre, comme l’étaient les dirigeants com- tiens avec Abdullah Abdullah. cricket bat l’Ecosse durant la Coupe du munistes,» estime Sayyaf [dont il reste à - Le 18 : Dans la province de Koundouz, monde de cricket et espère atteindre les prouver qu’il n’a pas commis de crimes de plus de 2 000 familles déplacées suite à de quarts de finale. A Djalâlâbâd ou à Kanda- guerre]. Il affirme que les modjahedin- se violents combatss demandent au gouverne- har des centaines de fans défilent en arbo- ront prêts à contrer Daesh de la même façon ment de leur garantir un retour immédiat rant le drapeau tricolore afghan. dont ils se sont battus contre ceux qui ont sécurisé vers leurs maisons. Un attentat suicide des Tâlebân visant un envahi l’Afghanistan. Selon lui, Daesh est - Le 19 : Washington dément la rumeur convoi diplomatique turc appartenant à la l’ennemi de l’Islam ; Pour sa part, Mullah d’une rencontre avec les Tâlebân à Doha. mission de l’OTAN fait deux morts à Ka- Agha Djân Mutasim, ex-ministre des Fi- Le secrétaire d’État américain, John Kerry, boul, un Turc et un passant afghan. nances des Tâlebân, estime que le retrait déclare qu’il y a eu ces derniers mois un La récente décision d’interdire l’entrée des troupes américaines et de l’OTAN est niveau de coopération entre Kaboul et Isla- des camions de fret dans la ville de Kaboul une excellente occasion d’établir la paix mabad sans précédent. pour des raisons de sécurité provoque une dans le pays. - Le 20 : L’Afghanistan a arrêté plusieurs flambée des prix des marchandises. - Le 16 : Une étrangère, travaillant pour insurgés musulmans ouïghours de l’ouest - Le 27 ; Trois personnes sont tuées et l’ONG Save the Children, est libérée dans de la Chine. treize autres blessées lors de l’attaque du la province de Faryâb, après avoir été enle- Les Tâlebân auraient donné, pour la pre- convoi d’un parlementaire à Djalâlâbâd. vée deux semaines plutôt. mière fois, un signal positif pour entamer Des Tâlebân libèrent trois employés Une femme politique meurt à l’hôpital des négociations de paix sans conditions d’une ONG en échange de trois femmes de blessures subies dans un attentat contre avec le gouvernement afghan. Le Pakistan ouzbèkes, parentes d’insurgés. son véhicule la semaine dernière. Angiza est prêt à jouer le rôle de «facilitateur» dans Une série d’avalanches frappe le nord Shinwari était membre du Conseil de la les négociations. de l’Afghanistan, faisant près de 300 morts province du Nangarhâr. Elle défendait les - Le 21 : Des hommes armés, se disant dans plusieurs provinces où d’abondantes droits des femmes et leur éducation. membres de l’État islamique, incendient un chutes de neige se sont abattues ces der- - Le 17 : L’attaque par des Tâlebân d’un sanctuaire, prennent d’assaut des maisons niers jours. Dans la province du Pandjchir, poste de police de Pol-e Alam, capitale du de civils et détruisent leurs postes de télé- plus de 180 personnes périssent. Les pro- Logar, coûte la vie à 26 agents. vision dans le district de Tcharkh (Logar). vinces du Laghman, du Nangarhâr et de Le Chef de l’armée pakistanaise et le Le secrétaire américain à la Défense, en Bâmiyân sont aussi atteintes. Achraf Ghani directeur général de l’Inter-Services Intel- visite à Kaboul, évoque la possibilité d’un annonce un deuil national de trois jours. ligence se rendent à Kaboul pour des entre- retrait américain plus lent que prévu. Le 28 la route menant au col du Salang est - Le 22 : Le Père Alexis Prem Kumar, rouverte à la circulation. Le Pakistan dé- directeur indien du Service jésuite des ré- pêche deux avions de secours. fugiés (JRS) en Afghanistan, est libéré. Il avait été enlevé il y a huit mois dans la pro- vince de Hérat. Il travaillait depuis près de quatre ans en Afghanistan. Enquête auprès - Le 23 : Abdullah Abdullah laisse en- de nos lecteurs tendre que des pourparlers de paix avec les Tâlebân commenceront bientôt. Mais les Nous avions joint au n°146 des Nou- Tâlebân démentent. velles d’Afghanistan, 422 questionnaires - Le 24 : Dans la province de Zâbol des portant sur la revue, à retourner par voie postale. L’analyse de la cinquantaine de hommes en uniforme de l’armée afghane questionnaires retournés (taux de réponse enlèvent 30 membres de l’ethnie hazara, très satisfaisant) montre qu’un lecteur type revenant d’Iran en bus. L’un d’entre eux du magazine serait âgé de plus de 60 ans, est libéré le lendemain. A la recherche de survivants. Photo DR à la retraite et membre d’AFRANE. Il le lirait - Le 25 : Deux kamikazes vêtus de vête- depuis plus de dix ans et souvent dans son ments féminins sont arrêtés dans le district - Le 28 : Six passeurs de migrants, dont intégralité. de Guzara (Hérat). une femme, sont arrêtés à Mazar-e Charif. Les personnes ayant répondu semblent Achraf Ghani et une délégation d’Azer- Une adolescente s’enfuit et se réfugie au- satisfaites et affirment trouver les articles baïdjan conviennent de signer un protocole près de l’armée après que des insurgés l’ont de la revue accessibles, intéressants et forcée à rejoindre leurs rangs dans la pro- variés. Par ailleurs, nous vous avions de- d’entente sur le renforcement de la coopé- mandé de sélectionner, parmi une liste de ration économique entre les deux pays. vince du Nouristan. sujets traités dans les Nouvelles d’Afgha- Les autorités pakistanaises décident Mohammad Azad ramène en Afghanis- nistan, ceux pour lesquels vous avez le plus l’expulsion de 294 religieux afghans de la tan une médaille d’or gagnée à la qua- et le moins d’intérêt. S’il apparaît que les province de Khyber Pakhtunkhwa. trième Coupe du monde de zourkhaneh qui lecteurs ayant répondu sont généralement - Le 26 : L’équipe nationale afghane de s’est tenue à Douchanbé, au Tadjikistan. intéressés par la géopolitique afghane et L’équipe afghane de zourkhaneh a rem- les actions d’AFRANE, il est cependant dif- L’équipe afghane de cricket lors de la Coupe du Monde en porté une médaille d’or et huit médailles de Australie. Photo DR ficile d’établir des généralités à partir des bronze. réponses obtenues tant elles varient d’une personne à l’autre. Nous prendrons en considération les Mars suggestions qui ont été faites pour amé- - Le 2 : Onze ambassadeurs sont démis liorer la présentation et la diffusion de la de leurs fonctions dont les ambassadeurs revue et les remarques nous encourageant à en poursuivre la publication. Merci aux d’Afghanistan en France et auprès de lecteurs nous ayant indiqué des personnes l’UNESCO. susceptibles d’être intéressés. La diffusion - Le 3 : Les forces afghanes lancent une des Nouvelles est l’affaire de tous. opération d’envergure dans la province de La rédaction Zâbol pour obtenir la libération des 30 pas-

Les Nouvelles d’Afghanistand’Afghanistan n°148 n°148 29 Chronologie

sagers hazaras pris en otages. Elle fait plu- chologiques. Son corps est ensuite brûlé. Les services de renseignement auraient sieurs dizaines de morts parmi les insurgés. Ce meurtre dont une vidéo circule sur In- déjoué un pojet d’attentat contre Rachid Deux responsables de groupes religieux pa- ternet crée une grande émotion à Kaboul. Dostam durant un match de Bouzkachi kistanais apportent leur soutien au proces- Quelques personnes ayant participé sont dans le nord. sus de paix entre le gouvernement afghan arrêtés ainsi que des policiers qui ne sont Le vice-ministre de l’information, un sé- et les Tâlebân. pas intervenus. nateur et un porte-parole de la police au- - Le 5 : Une dizaine d’hommes portant le - Le 21 : Une liste de 16 nouveaux noms raient justifié le meurtre de Farkhunda. tchâderi (burqa) protestent à Kaboul contre est publiée pour pourvoir les postes va- les violences faites aux femmes. cants du gouvernement. Le Parlement aura - Le 7 : Des hommes avec des armes équi- encore à ratifier chacun des ministres pro- pées de silencieux attaquent une khanaqah posés. (Source principale : Bulletin du CEREDAF) soufie et tuent plusieurs fidèles. - Le 9 : L’Afghanistan et le Pakistan s’ac- cordent pour une légalisation du séjour au Pakistan de nombreux Afghans. - Le 11 : Trois responsables provinciaux de la commission électorale indépendante Hommage sont limogés pour fraude. Ce ont les res- ponsables des provinces de Faryab, Khost and Paktika. Suite aux avalanches de fin février qui ont renversé des pylônes du côté du Sâlang, Charles M. KIEFFER l’électricité est très réduite à Kaboul. Il fau- dra plusieurs semaines pour la rétablir. Charles M. Kieffer est décédé le 4 fé- de Charles Kieffer sur son vaste terrain - Le 12 : Chahla Atta, députée, est retrou- vrier 2015 à Cernay (Alsace), à l’âge de 91 d’investigation linguistique. Nous conser- vée morte chez elle. Selon sa famille elle ans. Spécialiste de linguistique, il avait de- vons le souvenir de moments brillants aurait été assassinée. puis 1961 collaboré à l’Atlas linguistique passés avec lui, dont était cause la familia- – Le 13 : Une femme de Ghor accuse de l’Afghanistan, dirigé par le professeur rité de ses relations avec ses savants amis un député d’avoir soudoyé des juges de Georges Redard aux universités de Berne de passage qu’il nous faisait volontiers Kaboul pour que les assassins de son fils, et de Neuchâtel. connaître. Cela a donné lieu à des moments condamnés en appel à 18 ans de prison Dans son adolescence, il avait quitté restés mémorables vécus avec lui. soient libérés et menace de s’immoler par son Alsace natale en 1939 pour ne pas être Un jour se trouvèrent réunis pour dé- le feu. incorporé de force dans l’armée allemande. jeuner chez nous, avec lui, Ravan Farhadi - Le 14 : Achraf Ghani effectue une nou- Après ses années de lycée, à Nîmes, puis et Viktor Debetz, anthropologue russe, velle visite en Arabie saoudite où, à côté de à Lyon, il participe à diverses actions de membre de l’Académie des Sciences sovié- rencontres officielles, il effectue l’Oumra Résistance dans le cadre du groupe Com- tique. Une discussion s’était ouverte sur ce (pèlerinage à la Mecque). bat, tout en préparant l’École normale su- qu’on pouvait savoir de l’origine des Haza- périeure (pour la philosophie), avant de ras. Nous posions la question en ignorants s’engager, le 3 septembre 1944, dans le que nous étions. Charles s’intéressait, lui, 1er régiment d’artillerie de la 1re Division aux particularités du farsi hazaragi, dia- française libre. Il sera décoré de la Croix lecte nourri de mots venant du turc. Vik- de guerre1. tor Debetz pensait que les Hazaras avaient Il enseigne ensuite le français durant sans doute traversé l’Amour Daria dans un sept ans au Caire (1950-1956), puis au processus migratoire assez long, par petits lycée franco-afghan de Kaboul. C’est là groupes, loin de toute idée conquérante. qu’il s’intéresse aux langues orales, en Il leur fallait donc s’adapter, ce qui les a voie de disparition, de ce pays. Embauché conduits à perdre l’usage de leur langue. Achraf Ghani effectuant l’Oumra à La Mecque. Photo DR au CNRS, il étudie l’ôrmuri, alors encore Pour soutenir cette opinion il évoquait les parlé à Baraki-Barak, dans le Logar, et le pauvres sépultures rencontrées dans plu- - Le 16 : La décision aurait été prise par parâtchi de Nedjrâb, en Kâpisâ. Il a écrit sieurs lieux de la Transoxiane, estimant les Américains de ne pas diminuer les ef- également sur la langue arabe parlée en- qu’ils pouvaient bien ponctuer les trajets fectifs de l’armée américaine en Afghanis- core dans cinq villages de semi-nomades de leur migration. Ainsi était écartée l’hy- tan en 2015 comme il avait été initialement d’Afghanistan, installés là probablement pothèse d’une origine mongole des Haza- prévue. depuis Tamerlan. ras. Ravan Farhadi abondait dans ce sens, - Le 18 : Le chef de la police de la pro- Il a pu voir la parution, en 2011, de nous disant qu’il existait en revanche dans vince d’Orouzgân trouve la mort dans un son excellent ouvrage Tabous, interdits et la région de Hérat un ensemble de villages attentat à Kaboul. obligations de langage en Afghanistan. dont les habitants se disent descendants des - Le 19 : Atta Mohammad, gouverneur de Éléments du vocabulaire de la vie privée Mongols venus avec Tamerlan. Il s’y parle- la province de Balkh, et ancien chef mo- en terre d’Islam, Wiensbaden, Dr Ludwig rait encore un mongol rudimentaire2. djahed ayant lutté contre les Tâlebân, ne Reichert Verlag, « Beiträge zur Iranistik », Nous avons aussi fait la connaissance s’oppose pas à l’éventuelle nomination de 192 p. par Charles du linguiste norvégien Georg quelques Tâlebân au gouvernement. Bernard DUPAIGNE Morgenstierne. Une anecdote qu’il nous a En plein centre de Kaboul (près de la racontée l’avait particulièrement ravi. Venu mosquée Chah Do Chamchira) une foule pour la première fois en Afghanistan en en colère, composée de jeunes hommes, 1926 pour travailler sur les langues du Pa- tue une femme du nom de Farkhanda, ac- Témoignage mir, Georg Morgenstierne passa suffisam- cusée d’avoir brûlé un Coran. Sa famille Chaque année nous réjouissait le retour ment de temps parmi ses locuteurs du munji affirme qu’elle souffrait de troubles psy-

3030 LesLes Nouvelles Nouvelles d’Afghanistan d’Afghanistan n°148n°148 et du yidgha pour que son séjour ait pu à ce du XVe siècle: étude des manuscrits cora- - Ultime khan du toit du monde, de Rémy point marquer les esprits que, revenu les vi- niques de l’institut d’orientalisme Abu Rai- Dor, Michel de Maule (février 2015), 94p. siter quarante années plus tard, il découvrit han Biruni, de Marie Efthymiou, Brill Aca- Les dates de parution des livres ne sont don- qu’on avait fait de lui un héros légendaire. demic Publishers (décembre 2014), 210p. nées qu’à titre indicatif. S’informer auprès des Alain et Christiane THIOLLIER - Combats asymétriques en Afghanistan, de éditeurs. Pour une bibliographie plus complète, Gilles Haberey, éd Nuvis (décembre 2014) consulter le Bulletin du CEREDAF 1- Voir sur cet aspect de sa vie « Charles le té- méraire », Les Dernières Nouvelles d’Alsace, 2/11/14. Note de lecture 2- Voir Les Hazâras en Afghanistan, : origine et témoignage linguistique, par Dr A. G. Ravân Farhâdi. Le retour de Châh Chodja qui sombra bientôt dans l’anarchie. C’est au cours de cette période que s’accéléra la Le livre « Le retour d’un roi », qui se transformation du pays : jadis centre so- présente comme un roman, n’est-il pas plu- phistiqué du savoir et des arts, considéré BIBLIOGRAPHIE tôt un livre d’histoire ? Aucun personnage par certains des grands Moghols comme n’est inventé, ni aucune situation. Une beaucoup plus cultivé et élégant que l’Inde, grande partie du texte est directement pui- il allait inexorablement devenir ce trou sée dans les documents d’époque ; l’auteur perdu, divisé et déchiré par les guerres, que Articles procède souvent par longues citations de nous a montré la plus grande partie de son lettres, de biographies, de journaux intimes, histoire récente » (p 57) - « Les sept défis de la reconstruction de de mémoires, souvent trouvés dans les ar- On a parfois l’impression d’une lecture l’Afghanistan », par Anne-Laure Frémont, chives du Bengale, à Lahore, ou extraits rétrospective de l’histoire : le roi Chodja, Le Figaro 11/12 des collections tantôt manipulé par les Anglais, tantôt - « Afghanistan : Difficile de recruter des indiennes et jouant la carte de l’indépendance, y paraît travailleuses humanitaires », IRIN 16/12 orientales comme une première incarnation (en beau- - «L’épouse du président afghan Rula Gha- de la British coup plus violent) d’Ahmed Karzaï. ni, première dame courage», par Constance Librairy ou Il est vrai qu’une violence extrême de Bonnaventure, Paris-Match 18/12 encore des ar- règne d’un bout à l’autre du récit. Massacres - « La lutte contre l’opium, cuisant échec chives natio- de masse et tortures diverses, trahisons international », par Frédéric Bobin, Le nales de l’Inde. multiples et vengeances inexpiables. On se Monde 27/12 Ces textes demande si la violence a augmenté ou s’est - « Afghanistan: ce qu’il reste des 13 ans de d’époque sont réduite, et si ce pays a connu quelque répit mission de l’OTAN », par Catherine Gouë- toujours pas- dans l’histoire : en tout cas pas dans la pre- set, L’Express 30/12 sionnants. mière moitié du dix-neuvième siècle. - « L’Afghanistan à l’heure de la tentation William Da- Si, par la précision et même l’érudition chinoise », par Frédéric Bobin, Le Monde, lrymple a pris de la documentation, il s’agit d’un ouvrage 06/01 soin d’équilibrer ses sources et de laisser historique, le livre reste un roman en raison - « Kaboul face au mirage des mines souvent la parole aux textes écrits en per- du rôle qu’y jouent les personnalités, en afghanes », par Frédéric Bobin, Le Monde san ou en ourdou. particulier les agents secrets britanniques 05/01 Il s’agit de la première guerre anglo- (et russes, en nombre bien moindre). Les - « Afghanistan : Le vélo vecteur d’éman- afghane, en 1839, qui se termina par la agents plus ou moins secrets semblent être cipation pour les femmes » in Voxstadium retraite catastrophique du corps expédi- les seuls à avoir, à l’époque, une certaine 25/01 tionnaire britannique. L’auteur, pour bien connaissance de l’Afghanistan. L’adminis- - « Au Pakistan, l’EI s’appuie sur des dissi- mettre son ouvrage en perspective, traite tration britannique semble absolument dé- dents de la galaxie insurgée », par Jacques de la situation au début du 19ème, depuis munie, entièrement soumise aux impératifs Follorou, Le Monde 11/02 les guerres napoléoniennes, de la crainte économiques de la Compagnie des Indes, qu’éprouvaient les Britanniques de voir pour laquelle l’Afghanistan était de peu l’empire russe s’emparer de l’Afghanistan. d’intérêt, et très incompétente sur le plan Le début de ce que Kipling a par la suite militaire : opposant une stratégie napoléo- Revues appelé « le grand jeu ». nienne de l’offensive en masse à la guérilla des tribus. - Afghanistan Nytt, n°4, 2014, en suédois, Dans la « note de l’auteur » qui termine A noter aussi la place accordée aux ré- publié par le Comité suédois pour l’Afgha- le livre, Dalrymple ne cache pas sa fasci- cits des femmes, sœurs ou épouses d’offi- nistan. nation pour l’idée selon laquelle l’histoire est une série de répétitions. Tous ceux qui ciers britanniques. Du côté afghan, l’auteur ont voulu conquérir l’Afghanistan ont dû accorde une juste attention au rôle de la bé- y renoncer, plus ou moins piteusement. Le gum Wa’fa, épouse de Chah Chodja, véri- Livres plus souvent, très piteusement. Mais les table chef politique, dans ce jeu de bascule grandes divisions qui opposent les Afghans entre la soumission à l’occupant et les vio- - Afghanistan: Identity, Society and Politics lences des rares moments d’indépendance. Since 1980, de Micheline Centlivres-De- sont déjà présentes. Dès le premier chapitre, intitulé, par mont, I.B.Tauris Pub. (janvier 2015), 304p. Michel TOURNEUX - The Hellenistic Far East - Archaeology, « understatement », « un pays difficile à gouverner » l’auteur explique ce qui Language, and Identity in Greek Central - Le retour d’un roi, de William Dalrymple, Asia, de Rachel Mairs, University of Cali- va servir de fil directeur à son ouvrage : éditions Noir sur blanc. Traduit de l’anglais par fornia Press (décembre 2014), 228p. « Cette guerre civile fratricide précipita Bruno Boudard. Paru en français en avril 2014. - L’art du livre en Asie centrale de la fin l’éclatement de l’Afghanistan des Durrani,

Les Nouvelles d’Afghanistand’Afghanistan n°148 n°148 31 Le nouveau gouvernement afghan

Peu de gouvernements auront eu autant de mal à voir le jour. Nous ne retracerons ici que très brièvement les diffé- rentes péripéties qui ont présidé et continuent de présider à sa constitution. Il y a eu d’abord une très longue attente, qui a duré trois mois. Les causes n’en ont pas été précisées. Volonté d’Achraf Ghani de garder les mains libres ? Mais Abdullah Abdullah n’a pas protesté. Projet de débaucher quelques Tâlebân dans le cadre d’une négociation secrète. C’est bien possible. On a parlé de l’éventualité que trois mi- Les ministres du premier gouvernement proposé par Achraf Ghani et Abdullah Abdullah. nistères soient confié à des Tâlebân. Toujours est-il qu’une Photo DR fois publiée, la liste s’est vue tout de suite contestée. Un ministre faisait l’objet de poursuites en Estonie. Un autre, nationalité (certains ayant entre temps renoncé à celle-ci) le Mahmoud Saikal s’est dit l’objet de demandes de pots de vin Parlement a procédé à un vote individuel qui s’est traduit par pour obtenir un vote favorable des députés, ce que voyant il le rejet de dix candidats sur 18. Il y avait 243 votants et il fal- a démissionné. D’autres avaient une double nationalité alors lait donc 122 voix pour être ratifié. Dans l’ordre du nombre que le Parlement avait voté l’obligation pour un député de de voix obtenus, sont sortis vainqueurs de l’épreuve : Fero- n’avoir qu’une nationalité (le Parlement avait-il autorité pour zoddin Feroz, Ministre de la santé (originaire du Pandjchir; décider d’une telle condition ?). Une femme, enfin avait un 170 voix), Faiz Mohammad Osmani, ministre du Pèlerinage CV qui n’était pas clair : son âge ou ses diplômes ont été et des Affaires religieuses (160 voix), contestés. Pour un gouvernement longuement mûri, tout ministre des Affaires étrangères (151), Daoud Chah Sabah, cela fait désordre ! Ce fut ensuite le passage devant le Par- ministre des Mines (146), Nasir Dourani (Ministre du Dé- lement, puisque la Constitution comporte cette disposition veloppement rural (145 voix), Sayed Hussain Alemi Balkhi, étrange que chaque ministre individuellement doit obtenir la Ministre des Réfugiés (134), Nurulhaq Oloumi (131), Eklil confiance, ce qui interdit la possibilité pour le gouvernement Hakimi, Ministre des Finances (128), A ce stade, aucune de définir une politique générale que chaque ministre serait femme n’a donc passé les différents obstacles. chargé d’appliquer. Nous ne connaissons pas le passé politique des uns et Dès l’origine cette disposition avait été critiquée par Guy des autres, et il n’est donc pas possible de dégager une ten- Carcassonne, le constitutionaliste français qui avait partici- dance idéologique, mais sans doute chacun a-t-il justement pé à la réflexion sur la rédaction de la constitution actuelle. été choisi par un des deux leaders pour être acceptable par Il écrivait en particulier dans le Point du 9 janvier 2004 : l’autre et donc pour sa compétence plus que pour son profil « Inspiré du modèle des Etats-Unis, le système suppose la militant. Cependant l’un des ministres, N. Oloumi, parti- coopération entre l’exécutif et le législatif, faute de quoi il cipa jadis aux organes dirigeants du régime communiste et conduit à des blocages insurmontables. (…) S’ajoute encore sa présence dans le gouvernement au poste clé de ministre de un mécanisme étrange de responsabilité individuelle des mi- l’Intérieur interroge. On peut noter par ailleurs que les mi- nistres devant le Parlement qui ne fera qu’accroître tensions nistres choisis par Ghani ont obtenu en moyenne 108 voix, et instabilité. » et ceux de Abdullah Abdullah 125. Est-ce l’indice d’un léger Le gouvernement sur lequel Achraf Ghani et Abdullah penchant du Parlement en faveur du second ? Abdullah s’étaient finalement mis d’accord devait être com- Il a fallu à nouveau plusieurs mois pour que la liste com- posé de personnes particulièrement qualifiées indépendam- plémentaire soit annoncée. C’est le 21 mars, au lendemain ment de toute préférence ethnique ou partisane. De fait, de la fête de Noarouz qu’elle a été publiée. Elle comporte les l’absence d’anciens chefs de la résistance anticommuniste a noms de : été remarquée et d’ailleurs vivement critiquée par des gens 1. Abdul Bari Jahani (Information et Culture); 2. Assa- comme MM Sayyaf ou Ismael Khân. Les concepteurs de la dullah Zamir (Agriculture, Irrigation et Elevage); 3. Mo- liste ont veillé cependant à un certain équilibre ethnique : hammad Gulab Mangal (Frontières et Affaires tribales); Achraf Ghani ayant privilégié les Pachotuns (7 parmi les 15 4. Eng. Mahmood Baligh (Travaux publics) 5. Abdul ministres qu’il présentait) et Abdullah Abdullah les Tadjiks Satar Murad (Economie); 6. Dr. Mohammadullah Ba- (6 sur 12). Au final la liste comportait : 8 Pachtouns, 7 Ta- tash (Transport et Aviation) ; 7. Sadat Mansour Naderi djiks, 4 Ouzbeks (qui sont donc surreprésentés), 3 Hazâras, (Développement urbain); 8. Dr. Abdul Basir Anwar (Jus- 2 Sayyeds (ces descendants du Prophètes considérés comme tice); 9. Abdul Razaq Wahidi (Information et Télécom- hors ethnie, même s’ils sont proches de l’une ou de l’autre), munication); 10. Dilbar Nazari (Affaires féminines); 11. 1 Turkmène. Pour ce qui est de la représentation féminine Salat Azimi (Lutte contre la drogue); 12. Farid Momand elle se limite à trois personnes. Enfin, côté qualification, tous (Enseignement supérieur); 13. Nasrin Oryakhel (Travail, ont fait état de diplômes universitaires, allant de la licence Affaires sociales, martyrs et Invalides); 14. Ali Ahmad au doctorat. Ce côté compétence se traduit par une tenue Osmani (Eau et Energie); 15. Homayoun Rasa (Com- vestimentaire occidentale : costume cravate et tête nue pour merce); 16. Asadullah Hanif Balkhi (Education). presque tous les hommes. Reste à ceux-ci de passer devant le Parlement. Après la disqualification des candidats ayant la double E. GILLE

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