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LANGUE FRANÇAISE PRESSE CINÉMA LE PÉCHÉ DE LAFABRIQUE MICHEL GOURMANDISE DE L INFO ONDRY ART CONTEMPORAIN ’ : G DE GUILLAUME LES GRANDES SENS DESSUS E ALAIS DE OKYO L P T GALLIENNE MUTATIONS DESSOUS AUCENTREDELA PLANÈTE CRÉATION P.2 à 7

CULTURECOMMUNICATION LE MAGAZINE DU MINISTÈRE DE LA CULTURE ET DE LA COMMUNICATION / AVRIL 2012 N°140200

CHRISTIAN MARCLAY, SEVEN WINDOWS (DÉTAIL), 2012, POUR UNE DES FENÊTRES DU TOKYO EAT, PALAIS DE TOKYO. COURTESY GALLERY KOYANAGI (TOKYO). maquette Culture Communication 200:Mise en page 1 02/04/2012 16:53 Page 2

LE POINT FORT ACTUALITÉS

A partir du 20 avril au Palais de Tokyo Une « intense proximité » à La Triennale

LE 20 AVRIL, LE PALAIS DE TOKYO VA ROUVRIR SES PORTES POUR ACCUEILLIR, EN MÊME TEMPS QUE

SEPT LIEUX À ET EN RÉGION PARISIENNE, LA TRIENNALE, UN ÉVÉNEMENT SUR LA CRÉATION

CONTEMPORAINE PROPOSÉ PAR LE MINISTÈRE DE LA CULTURE ET DE LA COMMUNICATION. CONFIÉE

À , SON COMMISSAIRE GÉNÉRAL, ELLE INTERROGE « LA PLACE DE L’AUTRE ».

À VOIR NE très longue série de tables va être alignée. Comme une immense ligne En plus du Palais de Tokyo, point de droite. Autour, des tabourets, des sièges, des espaces libres, distribués pêle-mêle, rassemblement de la manifestation, sept autres lieux vont collaborer à La Triennale : dans le désordre. Le long des tables, des batteries de cuisine sont destinées à Bétonsalon, Centre d’art et de recherche à préparer le repas qui sera proposé lors de cet événement artistique inédit. Paris, Centre d’art contemporain d’Ivry, le Avec Soup / No Soup, l’Argentin Rirkrit Tiravanija propose au Grand Palais Crédac, Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris, le Grand Palais, Instants leU 7 avril de midi à minuit, en pré-ouverture hors-les-murs de La Triennale, un banquet d’un Chavirés à Montreuil, les Laboratoires genre nouveau. Entre installation et performance (mais en fait ni l’un ni l’autre), Soup / No d’Aubervilliers, le Musée du Louvre. Soup se fonde sur une action : offrir – et partager – la soupe cuisinée directement par l’ar- À LIRE tiste et ses équipes à tous les visiteurs du site. A la fois minimale – quoi de plus humain que En ligne, le passionnant Journal de La de partager sa soupe ? – et gigantesque – comment quantifier les volumes d’ingrédients, Triennale fait le point chaque mois sur d’ustensiles, de préparation ? Selon Mélanie Bouteloup, l’une des quatre commissaires des sujets qui traversent la réflexion des commissaires. Déjà parus, le n° 1 associés de La Triennale, « l’idée de ce banquet repose sur un contraste : transformer un lieu « Désapprendre » dirigé par Claire Staebler prestigieux en un lieu convivial ». Les visiteurs deviendront acteurs de la performance et et le n° 2 « 4 têtes et une oreille » dirigé « une immense conversation morcelée, fondée sur l’échange et la rencontre, émergera de ce par Emilie Renard. Trois numéros sont encore à paraître jusqu’au 27 mai. banquet ». Du 11 avril au 26 août, La Triennale est une initiative du ministère de la Culture VEC Soup / No Soup en guise de prologue, La Triennale annonce la couleur. et de la Communication (Direction générale de la création artistique). Maître d’ouvrage Décentrée et ouverte, « Intense proximité » – c’est son titre – interroge à délégué : Centre national des arts plastiques partir du 20 avril « les relations entre le proche et le lointain ». « Qu’est-ce que (CNAP). Producteur : Palais de Tokyo l’Autre ? Qu’est ce que l’altérité ? Ce sont ces questions qu’il nous a semblé www.latriennale.org pertinent de sonder dans la d’aujourd’hui. Car La Triennale est réso- lumentA une exposition dans la scène française, qui interroge cette scène à partir d’elle-même et des relations qu’elle entretient avec les autres scènes dans une relation de distance et de proximité », soulignait Okwui Enwezor en novembre 2011 au cours de l’entretien qu’il nous avait accordé (voir n° 196). Pour le commissaire général d’ « Intense proximité », il en résulte une Triennale placée sous le signe de l’anthropologie française de la première moitié du XXe siècle, héritière directe des philosophes du Siècle des Lumières. « Les images de Claude Lévi-Strauss, Michel Leiris et Marcel Griaule opéraient déjà en leur temps un collage des distances », poursuivait Okwui Enwezor. Partant de ce travail capital, « Intense proximité » est ouverte à de multiples expériences, aux artistes de toutes générations et nationalités ; elle

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SOMMAIRE n° 200 - avril 2012

ACTUALITE Temps fort : Une « Intense proximité » à La Triennale p.2

Dossier : Le Palais de Tokyo au centre de la planète création p.4

Culture : Archéologie préventive : dix ans de découvertes p.8

© RIRKRIT TIRAVANIJA, COURTESY OF G. BROWNS’ ENTERPRISE, NY BROWNS’ ENTERPRISE, OF G. COURTESY TIRAVANIJA, © RIRKRIT Médias : Le journalisme de proximité se renforce p.10 Spécial n°200 : investit les espaces du Palais de Tokyo rénové (voir p. 4 Les meilleures « une » de votre magazine à 7) et – pour la première fois – est décentrée dans sept p.12 lieux à Paris ou dans la proche banlieue (voir encadré). Magazine : Focus : ’UN des principes de La Triennale, Comment se prépare la Nuit européenne observe Mélanie Bouteloup, c’est que des musées chaque artiste complexifie l’imaginaire p.14 du lieu ». C’est le cas de Rirkrit « Tiravanija, on l’a vu, qui réussit à trans- Grand angle : formerL le Grand Palais en un lieu « convivial », mais Plonger dans la fabrique de l’information aussi de Boris Achour qui transforme le Centre d’art p.16 contemporain, à Ivry-sur-Seine, en lieu de spectacle, de l’installation de Pauline Boudry et Renate Lorenz aux Rencontre : Laboratoires d’Aubervilliers ou d’El Anatsui qui pré- Le péché de gourmandise de Guillaume sente une œuvre monumentale sur la façade du musée Gallienne p.18 Galliera, à Paris. Au Palais de Tokyo, « nous avons voulu que le parcours soit plus organique que thématique, Décryptage : poursuit Mélanie Bouteloup. Et on a été attentifs à ce Un décor médiéval découvert dans la cathédrale que chaque artiste puisse jouer sa partition en fonction de Chartres des lieux du Palais où il est présenté. Les œuvres se p.20 répondent, s’opposent, se percutent, se font écho, selon des rythmes, des températures, des tempos différents ». Portrait : Des exemples ? « Buren a travaillé sur la frontière, en Michel Gondry sens dessus dessous plaçant ses bandes sur les grillages qui délimitent les p.22 espaces de circulation. Annette Messager a placé des poupées stéréotypées – le riche, le pauvre – devant un Directeur de la publication : Elodie Perthuisot Chef du département de l’information ventilateur dont le souffle d’air retire tous les signes ne et de la communication : Fabien Durand laissant plus apparaître qu’un squelette sans chair. Dans Chef de pôle éditions et publications : Anne Petitjean la salle de cinéma très particulière du Palais – elle date Rédacteur en chef : Paul-Henri Doro de sa création, soit 1937 – Chantal Ackerman proposera Comité de rédaction : Barreto, Emmanuel son film D’Est, un témoignage flottant, filmé caméra à Boutier, Manuel Candré, Pauline Décot, Stéphanie l’épaule, sur les anonymes russes à la fin du régime sovié- Guyard, Marie-Christine Hergott, Odile Lefranc, tique. Elle nous rappelle que l’Autre, ce n’est pas forcé- Ariane Nouvet. ment en Afrique qu’il faut le chercher ». A participé à ce numéro : Tristan Thérond Paul-Henri Doro Conception graphique / maquette : Emmanuel Boutier Impression : N° de commission paritaire : 1 290 AD, nouvelle série, imprimerie Léonce Deprez Tirage : 25 000 exemplaires, 0,30 s le numéro Abonnement sur demande écrite : LE POINT [email protected] FORT www.culturecommunication.gouv.fr

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D O S S I E R

Entre-ouverture les 12 et 13 avril Le Palais de Tokyo au cœur de la planète création © BERTRAND GUAY / AFP / GUAY © BERTRAND

AMBITION Président du Palais de Tokyo, Jean de Loisy veut faire entendre le pouls de la création contemporaine.

TRIPLEMENTDUVOLUMEDESESESPACES, MULTIPLICATION CONSIDÉRABLE DES ARTISTES PRÉSENTÉS,

AUGMENTATION SIGNIFICATIVE DU BUDGET, LE PALAIS DE TOKYO DEVIENT LE PLUS GRAND CENTRE

D’ART CONTEMPORAIN EN EUROPE ET AFFICHE UNE AMBITION : RECEVOIR 500 000 VISITEURS PAR AN.

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Jean de Loisy : « Je ne m’intéresse pas à l’art contemporain »

public sera partie prenante de l’invention de « Faire ce qui ne se fait pas. l’œuvre. Rester alternatif coûte que Une chose est sûre : nous serons très loin du coûte » cube blanc habituel et compartimenté. Les architectes Lacaton & Vassal ont conçu un Le Palais de Tokyo doit rester ce qu’il a tou- espace intégralement modulable, selon les jours été : un lieu alternatif. C’est primordial. envies et désirs de l’artiste. Aucune salle ne Ce qui sous-entend de laisser parfois carte sera donc pré-affectée. Au contraire, je sou- blanche aux artistes. Comment ? En invitant, haite que les expositions thématiques côtoient par exemple, l’événement B.Y.O.B (Bring Your © P.TOURNEBOEUF/TENDQNCE FLOUE/OPPIC © P.TOURNEBOEUF/TENDQNCE Palais de Tokyo, juin 2011 les monographies et les modules afin que les Own Beamer) dans nos murs. Le projet ars 2012. Le Palais de unes répondent aux autres. consiste à inviter une quarantaine d’artistes à Tokyo « entre ouvre » ses venir projeter librement leurs images dans les portes dans un mois – « L’ensemble des artistes endroits les plus inattendus du Palais. A eux les 12 et 13 avril – pour forment un ciel. J’ai la d’explorer le lieu comme ils l’entendent. 30 heures non-stop de responsabilité de le regarder » J’ai pour ambition de construire un Palais de concerts,M performances et installations, avant Tokyo aventureux qui propose une autre d’inaugurer le 19 avril La Triennale d’Okwui Renoir, Degas, Monet, Picasso, Duchamp, manière d’exposer l’art, en faisant « des Enwezor (voir p.2-3). Mais nous n’en sommes Picabia... étaient tous contemporains en 1915. choses qui ne se font pas ». Comme rapprocher pas encore là. Le chantier, commencé depuis L’ensemble des artistes forment un ciel. J’ai la l’art brut de l’art contemporain. Et pourquoi six mois, bat son plein : tractopelle à l’entrée, responsabilité de l’observer, dans sa totalité. pas ? Je pense que l’art – quelle que soit sa poussière, planches et barres métalliques aux Aujourd’hui, on a au même moment quatre nature – a toujours une authenticité indiscuta- issues... « Tout sera fin prêt ! », nous assure générations. Celles de François Morellet, ble. C’est une survie ! Présenter ensemble pour autant Jean de Loisy, à la tête depuis juin Christian Boltanski, Fabrice Hyber et Tatiana deux œuvres très différentes permet de mon- dernier de cette forteresse de 22 000 m2. Le Trouvé... Et, je ne perds pas de vue qu’il s’agit trer cette authenticité absolue. commissaire de la dernière édition de MONU- là d’un système solaire qui est entouré d’au- MENTA consacrée à Anish Kapoor, nous reçoit tres systèmes solaires. Il faut être attentif à « On présente les artistes dans ses bureaux, réfugiés sous verrière, au l’éclat de toutes les planètes que ce soit en comme des trésors. Je préfère les dernier étage du bâtiment. Moment propice France ou à l’international. D’où notre attention présenter comme des acteurs » pour nous détailler son projet concernant ce à l’explosion de la scène croate, par exemple. qui sera prochainement le plus grand centre On s’en aperçoit notamment en période de d’art contemporain d’Europe. « Le Palais de Tokyo : crise, les artistes sont la meilleure chance que un haut-parleur » nous ayons. La culture n’est en effet pas seu- « Faire déborder l’exposition » lement un loisir que l’on découvre entre amis... Dans le nouveau Palais, mon projet est de Le Palais de Tokyo doit être le haut-parleur de C’est beaucoup plus intéressant que ça ! L’art déborder le genre convenu de l’exposition. De ce qui se fait en région. Il me semble normal a quelque chose à dire sur ce que nous participer à la réinvention de ce langage. Par que les écoles et les centres d’art trouvent sommes et par sa capacité métamorphique, il exemple, en confiant l’intégralité du Palais à chez nous leur écho. Mais c’est nouveau, je nous donne les clés pour questionner et trans- des jeunes curateurs pour l’été 2013. Ce sont vous l’accorde ! On évolue. On cherche d’au- former le système. C’est pourquoi nous met- eux les porte-parole de la scène émergente. Ils tres façons de faire. C’est cela aussi déborder trons aussi à la disposition des artistes un pro- apporteront – j’en suis certain – leur talent, de de l’exposition. Par exemple, donner la parole à gramme – les « Alertes » – il leur permettra de nouveaux artistes, de nouvelles écritures. C’est des entreprises singulières, comme celle du réagir à tout moment, et en quelques heures, à ce que j’appelle enrichir l’écosystème de l’art. département de « La Consolation des objets » l’intérieur du Palais, au temps social, politique Déborder l’exposition, c’est aussi se donner la de l’Ecole supérieure d’art d’Avignon, qui s’in- ou émotionnel. Parce que l’art contemporain possibilité de mettre à disposition d’un seul téresse aux restaurations dites probléma- est, selon moi, un moyen de transformer le artiste les 22 000 m2 du Palais de Tokyo. Ou tiques. Prenons un tableau de Saint Ambroise réel. Je considère que l’artiste aujourd’hui fait encore travailler sur la construction même de qui est censé guérir au toucher les maladies de acte d’anthropologie avec des moyens particu- l’exposition. Thomas Hirschhorn – connu pour peau. Le restaurer reviendrait à annihiler ces liers parmi lesquels l’incertain et le confus font créer des installations à partir de matériaux du propriétés miraculeuses, mais ne rien faire partie de la méthode. Je partage cet intérêt quotidien (carton, aluminium) – sera un des condamne l’œuvre à disparaître. Dilemme, avec Okwui Enwezor, commissaire cette année premiers artistes invité selon ce format, le donc. Que faire ? ...

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DOSSIER ...

de la Triennale qui a lieu dans nos murs. Nous partageons ce goût poétique de l’anthropolo- gie, lui peut-être plus du côté du document et moi plus comme entrée dans la fiction. Nos deux visions – aussi différentes soient-elles – se conjuguent. L’art permet cela.

« Je ne m’intéresse pas à l’art contemporain »

Je ne m’intéresse pas à l’art contemporain mais à toutes les formes d’art. Les artistes se confrontent sans arrêt à la mobilité. Cette réa- lité – immémoriale, quant à elle – m’intéresse. Il n’existe pas de cloison entre les époques ni même les artistes. Je n’y crois pas et m’ef- force, au contraire, de dresser de nouvelles relations, d’être transgressif. Le Palais de Tokyo a lui-même abrité bien des projets depuis sa création en 1937 – Musée d’art moderne, Centre national de la photographie et Cinémathèque française – avant d’être aujour- d’hui dédié à la création contemporaine... Déborder l’exposition, c’est aussi décloisonner les genres en exposant des artistes non plas- tiques (danseur, cinéaste, poète) ; montrer ainsi la porosité des disciplines ; voir comment ces autres acteurs s’emparent du médium de l’exposition ; ce qu’ils apportent à un domaine TRIENNALE habitué à la présence et à la fixité. Première manifestation présentée au Palais de Tokyo, La Triennale manifeste un « goût poétique de l’anthropologie ». Ici, une oeuvre « L’œuvre doit gêner de Terry Adkins, Ulukuk (2011), impression notre activité » photographique à jet d’encre.

J’ai demandé à plusieurs artistes de travailler sur le bâtiment même. Car je suis convaincu que l’art doit transformer l’espace qu’il occupe CHEMIN INITIATIQUE – jusqu’à gêner notre activité. Une œuvre vous Julien Salaud, Constellation de la chevrette,

© COURTESY DE L’ARTISTE © COURTESY 2011, Courtesy Galerie Suzanne Tarasiève (Paris). oblige à dévier votre circulation ? Elle vous prive de lumière, d’espace ? Tant mieux ! De- puis l’extérieur du Palais de Tokyo grâce aux onomatopées de Christian Marclay collées aux « Sensualité » fenêtres de la façade, on pourra deviner la vie Le Palais de Tokyo, c’est aussi la sensualité qui résonne à l’intérieur. Une fois entré, on d’un site. J’emploie ce terme à dessein parce découvrira une gigantesque et vénéneuse qu’il s’agit d’un lieu de vie et de rencontres. sculpture signée Peter Buggenhout, puis une Faire le tour complet du bâtiment ne demande explosion de couleurs ; un rideau aux motifs ar- pas moins de 2h30 à nos architectes ; avec les lequin à même le sol d’Ulla von Brandenburg ; oeuvres, il sera donc possible pour le visiteur des animaux empaillés suspendus au plafond d’y passer la journée. Entre les espaces dédiés de Julien Salaud ; etc. Comme si on avait voulu aux expositions, sont installés des lieux de res- recréer un parcours symbolique – du type des tauration, des endroits de rencontre ainsi que Jardins de la Renaissance inspirés des textes quatre salles de projection. Des « Suites » – initiatiques. Avant de parvenir au bout du che- soit des conférences petit format, quasi intimes min, le promeneur doit en effet passer un cer- – viendront de plus créer des temps privilégiés tain nombre d’étapes : obscures, dangereuses entre le public et l’artiste. avant le répit, et un éventuel salut. La raison ne Propos recueillis par Paul-Henri Doro dit pas tout de la raison de l’homme. L’art est énigmatique. Je veux préserver cette énigme.

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Ce qu’il faut savoir du Palais de Tokyo

Expositions : le programme Le Palais de Tokyo prévoit d’organiser son programme annuel en trois saisons. Chacune est colorée par une grande exposition thématique. Selon Jean de Loisy « L’attention sera portée sur la création émergente, celle notamment de la scène française dans un contexte international ». Les « modules » consacrés à des artistes peu connus dureront deux mois et concerneront une dizaine d’artistes par saison. Des « monographies » permettront de découvrir les œuvres d’un jeune artiste français, d’un jeune artiste international mais aussi d’un artiste français confirmé (Fabrice Hyber commencera ce cycle). Des expositions plus vastes, dites « thématiques », donneront la tonalité de l’ensemble. Dès septembre 2012, un des curateurs du Palais de Tokyo, Julien Fronsacq consacrera sa première exposition aux « dérives de l’imaginaire » à l’origine de la création artis- tique. Mais, il arrivera également que la totalité du Palais soit laissé à un seul artiste ou encore que les FRAC et les écoles d’art s’expriment – en termes de création et de recherche – à travers le Palais de Tokyo. « Mes amis artistes, le Palais est à vous ! » « Le Palais de Tokyo est un lieu intense ». Avant la © PALAIS DE TOKYO 2012 DE © PALAIS réouverture, une entre ouverture viendra donner cette couleur en programmant son compteur pour 30 heures IN SITU de manifestations non-stop, du jeudi 12 avril à 18h Entre Sibylle et Cerbère, cette structure au surlendemain minuit, avec autant de concerts que invasive de Peter Buggenhout est suspendue de performances, de spectacles et de conférences. au-dessus de l’Escalier d’honneur du Palais de « 30 heures, c’est court ! relève Jean de Loisy. Il faut Tokyo. « L’œuvre d’art doit gêner notre activité » commente Jean de Loisy. Ici, une vue du en permanence que ce lieu soit habité, désiré. Sans montage de The Blind Leading the Blind silence. J’ai envie de dire aux artistes, allez-y, le Palais de Peter Buggenhout. est à vous ! Car il ne s’agit pas de regarder l’art, mais de l’éprouver. C’est le sens de ma vie et j’essaie de le faire partager. » Le site – hormis les espaces de La (TOKYO). KOYANAGI GALLERY © COURTESY Triennale en montage – sera donc, pendant ces deux CHRISTIAN MARCLAY longs jours, entièrement investi par les artistes qui Seven Windows, 2012, pour une des fenêtres du Tokyo Eat au Palais de Tokyo. dessineront « un parcours performatif inédit aussi riche que varié ». Ange Leccia fera réfléchir, par exemple, à l’aide d’un immense miroir, les courbes du Palais, nouveau programme de carte blanche. » Pour l’heure, Hajnal Nemeth démantèlera la carcasse d’une voiture du 11 avril au 21 mai, le Pavillon présente à l’invitation au rythme d’un opéra surréaliste, le mime Ivan Bacciocchi de la Fondation Ricard, à Paris, une présentation de interprétera dans le cadre du module de Maxime Rossi tous les artistes passés par le Pavillon : « Ça et là ». une série de sons anodins – d’une porte qui grince à un Une initiative confiée à l’artiste Claude Closky devenu bruit de canalisation, à un chien qui aboie –, François curateur le temps d’une exposition. Curlet viendra lire tous ses SMS envoyés depuis dix ans... On pourrait continuer comme ceci des lignes et « On s’autofinance des lignes tant la programmation est abondante. Jean à 50% » de Loisy n’a pas peur du « trop ». Au contraire, selon Le Palais de Tokyo doit trouver 50 % de son budget ses propres dires, « il n’y en a jamais assez ! » grâce à la billetterie, les privatisations ainsi que le mécénat et le partenariat. « Nombreux sont les mécènes Le Pavillon : qui souhaitent être au contact de l’actualité : être des nouveau départ acteurs du moment, appartenir à l’innovation en train de Le Pavillon fête cette année ses dix ans. Dix ans se faire. Le Palais de Tokyo, en tant qu’institution dédiée de laboratoire dévolus à la création plastique contempo- à la création contemporaine, est une présence vivifiante raine et internationale pensée sur un modèle pédago- pour eux. Aussi nos mécènes nous restent-ils le plus gique et expérimental. Il est dirigé par le plasticien Ange souvent fidèles et d’autres nous rejoignent comme Leccia et le critique Christian Merlhiot. « Nous allons Orange, J.T.I. et Swarovski. » renforcer la place de ses artistes, peu visibles jusqu’à www.palaisdetokyo.com présent. Ils pourront désormais venir s’exprimer plus

© GALERIE SUZANNE TARASIÈVE © GALERIE SUZANNE facilement à l’intérieur du Palais de Tokyo grâce à un

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Culture Médias

ARC HÉOLOGIE Dix ans de découvertes À noter

GONDOLE A Gondole (Puy de Dôme), 8 cavaliers inhumés ARCHÉOLOGIE préventive s’affiche MÉCÉNAT avec leurs chevaux, 1er siècle avant JC (mars 2003) ’tout au long de 2012, à l’occasion Un fonds de dotation L des dix ans de l’Institut national de pour le partage recherches archéologiques préventives culturel (Inrap). Entretien avec son président, Jean- Comme nous l’avions annoncé dans un précédent Paul Jacob, et son directeur général, Arnaud numéro (n°198, février 2012), un fonds de dotation Roffignon. pour le partage culturel vient d’être lancé le 14 mars Un long chemin. Aujourd’hui, l’Inrap est la sous l’égide du ministre de la Culture et de la Com- munication. INPACT – c’est son intitulé – œuvrera plus importante structure de recherche ar- à la reconnaissance de la culture comme facteur chéologique en Europe. Sur prescription de essentiel de cohésion sociale, d’égalité des chances l’Etat, il permet de préserver « par l’étude » et d’épanouissement personnel des individus. des vestiges menacés par l’aménagement Passerelle inédite entre acteurs privés et pouvoirs du territoire. Pour Jean-Paul Jacob, « il est publics, il a pour missions d’apporter son soutien à des actions d’intérêt général qui répondent à insupportable de voir disparaître les archives l’éloignement et à l’indifférence face à la culture ; du sol sans que l’on sache, au moins, ce qui d’exercer une activité de veille et de repérage d’ac- a été détruit ». Aujourd’hui, commente Arnaud tions innovantes et d’en établir une cartographie ; Roffignon, « les relations entre archéologues de favoriser la mise en relation et les effets d’essai- et aménageurs se sont normalisées, grâce à mage en faveur d’initiatives particulièrement remar- quables et efficientes. Sont associés à la création la montée en puissance du concept de déve- du fonds INPACT : la Banque Neuflize OBC, Crédit loppement durable. Le consentement à l’ar- Agricole SA, la Compagnie de Phalsbourg, le Groupe chéologie préventive demeure toutefois fra- Dassault, le Groupe Mazars, la Caisse des Dépôts gile ». Et les résultats en termes d’apport à la et Consignations, la Fondation d’entreprise La Poste, connaissance sont « immenses », poursuit la Fondation d’entreprise Crédit Coopératif, ainsi que Monsieur et Madame Philippe Journo, et Monsieur Jean-Paul Jacob : « Etroitement corrélés aux © ULYSSE CABEZUELO/INRAP © ULYSSE Frédéric Jousset. Le fonds bénéficie par ailleurs projets d’aménagement, nos diagnostics et du généreux soutien de la Fondation Bettencourt DES CHIFFRES... nos fouilles nous ont amenés sur des terrains jusque-là inconnus et Schueller. En 10 ans, les 2000 archéo- Contact : [email protected] logues de l’Inrap ont réalisé 16 978 à des échelles jamais atteintes ». La première grande « fouille de sauve- diagnostics sur 112 241 ha, et con- tage » date des années 1960 : c’est le centre Bourse à . De duit 2237 fouilles. Mais l’Inrap, c’est « l’archéologie de sauvetage » née à la fin de années 1970, à « l’archéo- aussi 700 portes ouvertes sur des MUSÉE chantiers, plus de 250 expositions, logie préventive » instaurée par la loi de 2001, ce fut un long chemin. plus de 600 conférences, 8 colloques Dix années à bride abattue. C’est l’Etat qui prescrit les diagnostics, Un stupéfiant trésor avec de grandes institutions cultu- puis les fouilles préventives. Ensuite, l’exploitation des résultats s’inscrit d’orfèvrerie à Ecouen relles et scientifiques, des publica- C’est la vedette de la nouvelle exposition du châ- tions, des films, un portail Internet dans le cadre d’une programmation scientifique pluriannuelle, qui teau d’Ecouen, « L’invention d’un trésor – Vaisselles avec espaces scientifiques et numé- définit des axes prioritaires. Des enquêtes nationales - sur « L’âge du précieuses de la Renaissance » (jusqu’au 2 juillet) : risation des rapports de fouille, et Bronze et le 1er âge du fer » et sur « Le 2e âge du fer » - permettent de plus de 1400 sites accessibles via une présentation de la vaisselle précieuse de la Archéozoom, une application de réunir un corpus de données émanant de plus de 1 700 sites. « L’ar- Renaissance. Un trésor qu’on dirait tombé du ciel, géolocalisation. chéologie s’arrête hier, avertit Jean-Paul Jacob. On fouille fréquemment s’il n’avait été découvert fortuitement, gisant dans des vestiges de la guerre de 1914-1918, ce qui nous apporte une vision une fosse, par deux habitants de Pouilly-sur-Meuse 10 ANS DE FOUILLES différente de celle de l’historiographie militaire ou des manuels sco- en Lorraine, Un trésor aussitôt classé... « Trésor ARCHEOLOGIQUES national » et acquis par le Musée Lorrain de Nancy. Un site de boucherie néanderta- laires ». L’archéologie des périodes moderne et contemporaine a ainsi Quand on sait que l’orfèvrerie de table a été massi- lien de Caours, des menhirs abattus permis de retrouver le jeu de Paume de Louis XIII dans le Grand Commun vement détruite depuis la Renaissance, on regarde à Belz, un sanctuaire de Mithra à Angers (voir n°182), des tombes du château de Versailles, des sépultures de catastrophe attestant de avec plus d’émotion encore ces 31 objets d’orfèvrerie e franques à Saint-Dizier, un cimetière grandes épidémies à Marseille ou Issoudun… Pourtant, « les archéolo- civile, tous en argent et ciselés, réalisés entre le XV e juif médiéval à Châteauroux, le gues ne peuvent pas tout fouiller. Sur cent aménagements signalés et le XVI siècle dans quatre foyers de production : château des comtes de Narbonne à Paris, Reims, Châlons-en-Champagne et Strasbourg. comme pouvant présenter un intérêt archéologique, il y aura six à huit Toulouse, des charniers des guerres Autour de cet exceptionnel trésor de Pouilly-sur- de Vendée au Mans, les statues diagnostics réalisés à la demande des services de l’Etat, et seulement Meuse, sont disposées de remarquables vaisselles colossales du pavillon soviétique de une ou deux fouilles prescrites », explique Arnaud Roffignon. Les fouilles d’argent, trouvées dans des circonstances similaires, l’Exposition internationale de 1937 dont l’usage est mis en lumière grâce à des tapisse- au Trocadéro retrouvées à Baillet-en- conduites depuis 2002 ont profondément renouvelé le champ de la ries, des peintures, des gravures et des miniatures. France… A signaler chez Gallimard recherche. Sans la vigilance des archéologues, toutes ces « archives du Encore une de ces merveilleuses leçons d’histoire l’ouvrage anniversaire : La France sol » ne seraient plus là pour nous raconter, à ciel ouvert, le génie racontée par les archéologues de dont le musée national de la Renaissance a le Cyril Marcigny et Daphné Bétard. humain. secret. www.inrap.fr Pauline Décot www.musee-renaissance.fr actuali8} Culture Communication n°200 - avril 2012 maquette Culture Communication 200:Mise en page 1 02/04/2012 16:54 Page 9

INTERNATIONAL Bustamante MÉMOIRE à la Villa Médicis Un artiste d’aujourd’hui invite un artiste du passé Il était une voix, à revisiter avec lui la Villa Medicis de Rome. Le premier tandem a réuni Ellsworth Kelly et Ingres en Jean Vilar 2010. L’exposition 2012, « Genius loci », le génie du lieu, réunit des oeuvres de l’artiste Jean-Marc Bustamante, né en 1952, et du peintre hollandais Pieter Saenredam (1597-1665). En résonance (autre écho magique) avec les murs ocres peints par Balthus dans le « grand salon » de la Villa. Résultat : les austères intérieurs d’églises de Saerendam côtoient les terrains vagues semés de rondins en béton de Bustamante, le spécialiste des sérigraphies géantes sur Plexiglas, pionnier des photographies couleur de grand format nées dans les années 70 qu’il appelle ses « tableaux ». Les lieux représentés ou plutôt sug- gérés par ces deux artistes sont des lieux vides de présence humaine, fermés sur eux-mêmes. Mention spéciale pour les quatre grandes sérigraphies sur plexiglas spécialement conçues par Bustamante pour s’insérer dans la Villa Médicis : leurs tons pâles se © ESTATE NEWTON © ESTATE

confondent presque avec les badigeons de Balthus © AGNÈS VARDA HELMUT NEWTON et les fissures du mur que l’on aperçoit par transpa- Walter Steiger, Monte Carlo 1983 ANNIVERSAIRE rence. « J’ai cherché non pas à décorer le lieu, mais Vilar à Sète par Agnès Varda voir comment il pouvait m’aider », explique l’artiste. Jusqu’au 6 mai. LES FEMMES SELON www.villamedici.it DEGAS, NEWTON L aurait cent ans cette année. C’est une commémoration ET WITKIN nationale majeure, mais c’est d’abord une affaire de famille Elles s’essuient après le bain, posent pour Sète, sa ville natale. Témoins l’exposition biographique avec une ostentation de dominatrice ou I PATRIMOINE sont transformées en étranges objets « Dans les pas de Jean Vilar », et bien d’autres manifestations Profession : baroques. Elles, ce sont les femmes, fortement « habitées », tout au long de 2012. inspiratrices majuscules de trois peintres L’hommage d’une ville. Avec pour curseur le 25 mars, jour de la restaurateur ou photographes exposés au printemps du patrimoine à Paris : « Degas et le nu » est présenté naissance de Vilar, l’année s’ouvre par une magnifique exposition jusqu’au 1er juillet, la rétrospective consa- jusqu’au 31 août au 13 rue Gambetta, à Sète lieu où Vilar naquit et Qui connaît vraiment ce métier, et la formation crée à Helmut Newton jusqu’au 17 juin vécut jusqu’à vingt ans, dans la petite boutique de son père. C’est qui y conduit ? Le sésame est un diplôme (trente au Grand Palais et « Joël-Peter Witkin, ans cette année) dispensé par l’Institut national du Enfer ou Ciel » jusqu’au 1er juillet à la d’ailleurs toute une semaine, du 20 au 25 mars, qui a ouvert cette patrimoine (INP) – un établissement d’enseignement Bibliothèque nationale de France (site Année Jean Vilar avec conférence, lectures par Christian Gonon, Richelieu). Naturellement, chacun a supérieur du ministère de la Culture et de la Com- projection de film (Jean Vilar, une belle vie de Jacques Rutman), munication. Devenu un Mastère en 2005, il confère sa propre vision du continent féminin, exposition de photos d’Agnès Varda, « Je me souviens de Vilar en l’habilitation à intervenir sur les collections des nourrie de son imaginaire ou de ses fantasmes. Et – surtout – aucun ne vise musées de France. Jusqu’au 8 mai dans les vitrines Avignon... » - prises lorsqu’elle était la photographe officielle du à la généralisation, à l’abstraction, au du Palais Royal, à Paris, une exposition présente des Théâtre National Populaire... Autant de témoignages, d’offrandes genre. Au contraire. Degas (1834-1917) travaux de fin d’études des élèves de l’INP – dépar- est fasciné par les attitudes les plus d’amour à celui qui aura gardé toute sa vie un lien charnel avec sa tement restauration (un autre département forme des prosaïques – femmes au tub, se lavant, ville, son Ile, « le plus beau théâtre du monde, offrande à l’imagi- conservateurs). Des élèves aujourd’hui restaurateurs s’essuyant, se peignant ; prostituées en nation » ! Au point d’affirmer : « Hors de Sète, un Sétois est tou- ou professeurs. La diversité des objets auxquels attente, assises sur un sofa, allongées s’applique le métier de restaurateur du patrimoine sur un lit, dévorées par l’ennui. Recrutées jours un enfant exilé ». Depuis 1971, il repose au Cimetière Marin, est étonnante. En témoignent une statue polychrome parmi la haute société ou les modèles lieu mythique chanté par Paul Valéry, un autre enfant du pays. glamourous, les femmes d’Helmut Newton de Saint Roch du XVIIe appartenant au musée des Arts L’héritage d’un homme. La richesse de cette Année Jean Vilar est sont du genre triomphant. Chez elles, tout Décoratifs, restaurée par Juliette Lévy – actuellement sert d’accessoire : cambrure insolente, à la mesure de l’héritage fondamental qu’il nous a transmis, au responsable de la spécialité « sculpture » à l’INP seins en avant, chevelure en cascade, travers de cette devise qu’il avait chevillée au corps : « assembler (diplôme de la promotion 1978-1982). Une maison talons aiguilles, bas en soie, attitude e pour unir ». Car celui qui créa le Festival d’Avignon et réinventa le de poupées du XIX appartenant au même musée, affranchie. Entre Ciel et Enfer, Witkin restaurée par Magali Bonnet (diplôme de la promo- recompose des fantasmagories tout droit TNP, avait ajouté un combat de citoyen à son activité d’auteur, tion 2006-2011). Le lustre Parigi (même proprié- sorties des estampes du XVIe siècle revues acteur et metteur en scène. « Le théâtre est une nourriture aussi et corrigées par la photographie. Sacré, taire), lustre monumental en verre signé Zecchin / indispensable à la vie que le pain et le vin... Le théâtre est donc, au Venini, début XXe, restauré par Mélanie Parmentier, profane, morbide, torturé, mais toujours premier chef, un service public. Tout comme le gaz, l’eau, l’électri- spécialiste des arts du feu. Une robe à la française poétique. On l’aura compris, chacune de ces expositions n’est ni mainstream ni de 1775 appartenant à la cité internationale de la cité », disait-il. C’étaient plus que des mots : il aimait les gens sim- politiquement correct. On ne saurait trop dentelle et de la mode de Calais. Objet phare de ples, avait longtemps connu les privations et voulait la culture s’en réjouir. l’exposition : une table des années 1940 appartenant www.musee-orsay.fr, décentralisée, accessible à tous, rendue à tous. « On dit que j’ai au musée d’Air France sur laquelle travaillait Saint- www.grandpalais.fr et www.bnf.fr un style, non : j’ai une morale ». Une morale et une voix. Et quelle Exupéry et où il grava l’un des premiers dessins voix ! du Petit Prince (chantier-école)... Là aussi, une étonnante connexion entre l’INP et Air France. Pauline Décot www.inp.fr et www.culturecommunication.gouv.fr www.centenairejeanvilar.fr ité avril 2012 - n°200 Culture Communication{9 maquette Culture Communication 200:Mise en page 1 02/04/2012 16:54 Page 10

Culture Médias

PRESSE Le journalisme de proximité À noter se renforce

INTERNET Culture Lycées, les œuvres du patrimoine Du Jeu de l’amour et du hasard aux Noces de Figaro, en passant par Le Lac des cygnes ou Claude Monet à Giverny, c’est un pan entier de notre culture Captation sonore d’une participante – littérature, opéra, théâtre, danse, peinture – qui est du workshop Décalages, réalisé en désormais accessible aux lycéens sur Internet. septembre 2011 en partenariat avec Conçue par France Télévisions sur le modèle de Ciné

© PIERRE-LAURENT CASSIÈRE « Strasbourg aime ses étudiants ». lycées, dont elle est le prolongement, la plateforme Culture Lycées lancée le 21 mars met à la disposition MÉDIAS DE ENUE d’une table ronde « Médias de quartiers » le 22 mars, des lycées une soixantaine de documentaires d’art QUARTIERS : bilan d’un dispositif expérimental bien engagé, création d’un et de captations de spectacles vivants, qui viennent UNE MOSAIQUE « Fonds Fanzines »… : le journalisme de proximité se renforce. s’ajouter aux longs métrages de patrimoine que D’ACTIONS T proposait Culture lycée. Elle propose en outre des En Alsace : avec les Dernières Explications. fiches, des articles, des dossiers pédagogiques qui Nouvelles d’Alsace, diffusion de Des fanzines aux médias de quartier. Nés aux Etats-Unis à l’aube des replacent les œuvres dans leur contexte. Enfin, l’hebdo « 7 à Neudorf » dans le années 1930 et adoptés en France dans les années 1970, les fanzines quartier de Neudorf et parrainage Culture Lycées est aussi un outil collaboratif. Les d’un jeune souhaitant poursuivre (contraction de fanatic magazine), prototypes du « journal libre » réalisé lycéens qui le souhaitent pourront préparer, en des études de journalisme (13 000 par des amateurs passionnés pour d’autres passionnés, ont considéra- étroite collaboration avec le professeur « référent euros)... Pour Alsatic TV, « Mon voi- blement évolué. Média fétiche du mouvement punk, féru de rock culture » de leur établissement, les séances et les sin cet inconnu » : réalisation d’une débats, en s’appuyant sur des ressources pédago- (Nineteen, Abus dangereux...) et d’arts graphiques (les « graff’zines » série de portraits d’habitants du giques créées en partenariat avec le Centre national quartier de Hautepierre à Strasbourg Bazooka, Le dernier cri...), le fanzine français est nettement engagé de documentation pédagogique et France Télévisions. (7 900 euros)... politiquement, comme en témoignent des titres comme On a faim, Les Les outils de travail proposés et les fonctionnalités En Ile de France : avec l’agence de réseau social de Culture lycée permettront aux Ressources urbaines, production héros du peuple... Aujourd’hui, le fanzine est multisupports et fait partie lycéens d’échanger, de préparer et de débattre sur d’un web documentaire sur l’histoire de la famille élargie des médias dits « citoyens » et « participatifs » : les films, les captations ou les documentaires qu’ils des cultures urbaines à travers le magazines radio, sites Internet, blogs, webzines. Vedette : le Bondy Grand Paris... Avec Dawa Bobigny, auront choisi de projeter. formation de jeunes, professionnali- Blog, média en ligne créé en novembre 2005 et hébergé par le site le www.culturelycee.fr sation, insertion (7400 euros)... site du quotidien gratuit 20 minutes, puis par Yahoo : une quinzaine de En Nord Pas-de-Calais : pour Télé jeunes journalistes-citoyens issus de l’immigration et résidant en Seine- Gohelle, réalisation de « Teen Mag » par des enfants ou des jeunes de 15 Saint-Denis. Leur credo : raconter la France de la diversité, être la voix PRESSE quartiers de la région : 15 numéros des quartiers dans les débats qui animent la société française. « L’élimination », de 13 minutes (10 000 euros)... Un dispositif opérationnel. On entre dans la phase 2 du dispositif déployé «Hipnoï ou Books d’oreille » : un prix Aujourd’hui 2012 en 2011 dans cinq régions pilotes : Alsace, Ile-de-France, Nord-Pas- travail photographique (numérique) La critique l’a salué comme un livre « admirable au sein de l’univers de la justice de-Calais, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Rhône-Alpes. Les questions et terrible ». Ecrit par le cinéaste Rithy Panh avec pour mineurs (10 000 euros)... posées sont, rappelons-le : comment inciter les médias traditionnels à l’écrivain Christophe Bataille, L’élimination retrace En Provence-Alpes-Côte d’Azur : de l’intérieur la tragédie du génocide cambodgien. « Webzine », un Web journal avec aller vers les quartiers ? Comment inciter les banlieues à aller vers L’auteur avait dix ans quand les Khmers rouges l’asssociation Med’In Marseille, une « vraie » pratique de médias ? Comment soutenir des médias entrèrent dans Phnom Penh, le 17 avril 1975. Le quartiers nord (13 400 euros)... « alternatifs » qui ne peuvent bénéficier des aides à la presse (imprimée En Rhône-Alpes : avec Clap TV début d’une tragédie, qui place le récit au même Villeurbanne, une Web-TV pour faire ou en ligne) ? Des réponses intéressantes sont apportées, à l’échelon niveau que Si c’est un homme, de Primo Levi, réagir les quartiers populaires sur territorial, par un dispositif opérationnel doublé d’un soutien financier, L’Espèce humaine, de Robert Antelme, ou La Nuit, les sujets de société (7500 euros)... confié aux Directions régionales des affaires culturelles (DRAC). En d’Elie Wiesel. Pour son cinquantième anniversaire, le www.culturecommunication.gouv.fr 2011, une enveloppe de 200 000 euros a permis de financer 23 projets prix Aujourd’hui a été décerné le 7 mars par Frédéric Mitterrand à Rithy Panh et Christophe Bataille pour sélectionnés, soit 8 700 euros par projet. Projets évalués et présentés L’élimination (Grasset). Créé en 1962 par une bande lors de la table ronde du 22 mars (voir notre information ci-contre). La de journalistes, autour de Jean Ferniot, André Frossard seconde phase du dispositif peut commencer, avec une dizaine de DRAC et Jacques Fauvet, le prix Aujourd’hui récompense concernées, une enveloppe de 300 000 euros, et de nouveaux partena- le meilleur essai historique ou politique de l’année. riats : les structures de l’éducation populaire, déjà actives dans le Le premier fut attribué à Gilles Perrault pour Les Parachutistes (Seuil). Lucien Bodard, Arthur London, domaine de l’expression radiophonique (collectif « Paroles partagées »), Raymond Aron, René Girard, Milan Kundera ou le secteur de l’économie sociale et solidaire. François Furet figurent au palmarès. Pauline Décot www.culturecommunication.gouv.fr actuali10} Culture Communication n°200 - avril 2012 maquette Culture Communication 200:Mise en page 1 02/04/2012 16:54 Page 11

NUMÉRISATION Les archives audiovi- suelles de Médecins sans frontières à l’Ina Créée en 1971, l’association humanitaire Médecins sans frontières (MSF), prix Nobel de la paix en 1999, intervient dans plus de trente pays connaissant des contextes de crises, conflits armés ou épidémies. Depuis 1977, elle réalise, conjointe- ment à ses interventions médicales d’urgence, tout © EGG BALL un travail audiovisuel visant à documenter ses actions et à informer le public. C’est l’intégralité de ces fonds – reportages, documentaires, captations, matériaux JEU VIDÉO

divers – qu’elle vient de confier à l’Institut national © LOUVRE de l’audiovisuel (INA) pour leur exploitation patrimo- MÉLANCOLIE Un secteur en niale et commerciale. Destiné à la sauvegarde, la Détail du célèbre tableau de Watteau, Gilles numérisation et la valorisation du fonds de MSF et pleine croissance Etat d’Urgence Productions (EUP), l’accord porte sur une collection de 300 « films montés » (en version ROJET de Cité du jeu vidéo, prix du jeu vidéo, fonds d’aide DVD : LA VIE CACHÉE française, anglaise ou internationale), de 5 000 spécifique… le jeu vidéo a le vent en poupe. Panorama. rushes enregistrés depuis 1977, d’un ensemble DES ŒUVRES, WATTEAU Pourquoi un air de mélancolie enve- Fonds d’aide. Près de deux tiers des Français déclarent de montages pour agences de presse et télévisions, loppe-t-il les sujets les plus badins dans P avoir joué à des jeux vidéo. Alors que la France compte des édi- d’une collection « journaux du mois » et de divers l’œuvre de Watteau (1684-1721) ? Un web documents. couple qui chuchote dans le Pèlerinage teurs d’envergure internationale, à l’image de Vivendi ou d’Ubisoft, www.ina.fr et www.msf.fr pour Cythère ? L’air énigmatique de dont le récent « Rayman Origins » s’est vendu à des millions Gilles ? Dans Les Deux cousines, une d’exemplaires à travers le monde, cette industrie culturelle emploie jeune femme glissant dans son corsage la rose que lui offre un galant ? Ou ce désormais plus de 2 800 salariés, essentiellement réparties à PUBLICATION couple élégant et pensif accoudé au travers 120 studios de développement, pour la plupart des PME comptoir de L’enseigne de Gersaint ? consacrées aux jeux accessibles en ligne sur Internet, pour les Dumayet : Dans une série documentaire disponible de la télévision chez Arte Editions à partir du 18 avril, réseaux sociaux ou en direction des téléphones mobiles et à la littérature « La vie cachée des œuvres », Juliette tablettes. Fort en France d’un chiffre d’affaires de trois milliards Garcias et Stan Neumann scrutent les d’euros, ce secteur est en pleine croissance grâce notamment au (et vice versa) dessous des tableaux. Quels secrets recèlent-ils ? Pour le savoir, ils confron- soutien du Fonds d’aide au jeu vidéo, qu’administre le Centre « Lire est le seul moyen de vivre plusieurs fois ». tent le point de vue de spécialistes de national du cinéma et de l’image animée. Doté d’un budget de trois En créant « Lecture pour tous » – une émission qui l’histoire de l’art. Dans le cas de Watteau, millions d’euros, et modernisé en 2010, il présente un premier connaîtra entre 1953 et 1968 une longévité excep- peintre de la renaissance des plaisirs tionnelle à la télévision – Pierre Dumayet (1923- sous la Régence, reconnu de son vivant, bilan des dispositifs dont il assure la gestion. En plus d’un fonds de 2011) avait sans aucun doute sa propre formule à beaucoup d’éléments – origine, significa- garantie « jeux vidéo », créé en 2011 pour stimuler l’investisse- l’esprit. Sauf qu’il allait révolutionner le petit écran tion, histoire – restent mystérieux, ambi- ment, depuis 2008 l’organisme permet aux entreprises de création en plaçant l’accès au livre et aux écrivains à la por- gus, réversibles. A l’image du peintre installées en France de déduire de leur impôt 20% des dépenses tée de tous. Céline, Mauriac, Duras, Aragon, Borges, lui-même ? Au sein des collections du Camus, Cocteau, Ionesco ou Roger Vailland, ils sont musée du Louvre, « La vie cachée des de production. Contribuant à la diversité de la création française, œuvres » a également scruté à la loupe tous venus faire entendre leur voix dans les studios un investissement de 285 millions d’euros a ainsi déjà été réalisé des chefs d’œuvre de Raphaël, Poussin, de l’ORTF. Mais se souvient-on que le producteur Rembrandt et Léonard de Vinci. A voir à travers plus de 80 jeux vidéos... pionnier des « Cinq colonnes à la une » était aussi comme des enquêtes policières. Prix du jeu vidéo. Soucieux de souligner cette dynamique et un précieux écrivain, auteur d’une œuvre oscillant www.arte.tv d’honorer ce rayonnement, le ministère de la Culture et de la « entre l’énigme, le conte baroque et l’autobiogra- phie » ? La très belle revue semestrielle Travioles Communication a remis les prix du jeu vidéo 2012 lors de la consacre à toutes ses facettes un numéro spécial. première édition qu’il vient de créer. Le 21 mars, le prix du jeu On y trouvera entre autres des textes inédits de vidéo produit en France est ainsi revenu au jeu de plate-forme Pierre Dumayet illustrés par ses amis peintres Pierre « Jazz: Trump’s Journey », conçu par le studio Egg Ball et édité par Alechinsky, Valerio Adami ou Louis Pons ainsi que Bulkypix, alors que le prix du créateur français était décerné au le script intégral de quelques grandes interviews, comme celle, passionnante, de Marguerite Duras studio Ankama. A cette occasion, Frédéric Mitterrand a par ailleurs au moment de la parution du Ravissement de Lol V. évoqué le projet de la Cité du jeu vidéo, conduit par l’établissement Stein. Une manière de se rappeler son époustouflante public Universcience. Soutenu par le ministère à hauteur d’un émission « Lire c’est vivre » où, dans les années million d’euros, l’ouverture de ce lieu de rencontres et de diffusion 1980, il s’obstinait à creuser toujours plus profondé- d’environ 1 000 m2 est prévue pour le second semestre 2013. ment des questions sans réponse. Pourquoi y a-t-il tant de mouches à viande dans Madame Bovary et Tristan Thérond aucune chez la comtesse de Ségur ? www.culturecommunication.gouv.fr ité avril 2012 - n°200 Culture Communication{11 maquette Culture Communication 200:Mise en page 1 02/04/2012 16:56 Page 12

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Spécial n°200 un parcours à travers nos « Une »

N 2006, le magazine du ministère de la Culture et de la Communication faisait sa « Une » sur une œuvre iconoclaste de Bertrand Lavier, La Bocca, qui rappro- chait un canapé en forme de bouche ardente d’un réfrigérateur. Elle présentait la première édition de La ForceE de l’Art, la manifestation triennale sur l’art contemporain. Pour saluer la grande exposition consacrée à Alfred Hitchcock par le en 2001, nous avions choisi un autre baiser, brûlant, cette fois-ci, celui que Cary Grant donne à Eva Marie-Saint dans La mort aux trousses. Et c’est avec une splendide mise en abyme de la photographie avec jeune femme, talons aiguilles, vernis à ongles et polaroïd signée Guy Bourdin que nous soulignions en 2004 la nouvelle orientation du Jeu de Paume. Entre ces trois cou- vertures, un seul mot d’ordre : le désir. Il nous semble essentiel pour un mensuel qui se veut un reflet de la politique culturelle de l’Etat. Paul-Henri Doro Sous sa forme actuelle, le premier numéro du magazine CultureCommunication sort le 15 janvier 1997. D’abord bimensuel, il devient à partir de février 2003 mensuel.

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F O C U S

Dylan et Picasso dans leurs œuvres Comment se prépare la nuit européenne des musées

CONCERTS, PROMENADES, DÉAMBULATIONS, DÉCOUVERTES, LECTURES… LA PROGRAMMATION

CULTURELLE DE LA NUIT EUROPÉENNE DES MUSÉES S’ENRICHIT CHAQUE ANNÉE DE NOUVELLES

ACTIVITÉS. DESTINÉE À ATTIRER UN NOUVEAU PUBLIC, CETTE NUIT PARTICULIÈRE AURA LIEU CETTE

ANNÉE LE SAMEDI 19 MAI.

Bob Dylan With Top Hat Pointing In Car © Daniel Kramer

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BOB DYLAN À LA CITÉ DE LA MUSIQUE / PARIS « Une incitation à pousser les portes du musée »

PRÈS Miles Davis, John Lennon, Georges Brassens ou Jimi Hendrix, la Cité de la Musique consacre pour la première A fois une exposition à un artiste vivant. A travers « Bob Dylan, l’explosion rock 61-66 », le parcours poursuit l’évolution de Robert Zimmerman, le jeune chanteur de folk des cafés new-yorkais devenu en cinq ans l’emblématique rock star internationale qui remplit les stades... Aux cotés des salles rappelant les influences de l’héritier d’Hank Williams et de Woody Guthrie, le public découvre à travers une soixantaine de © SUCCESSION PICASSO, PARIS, 2012 PARIS, © SUCCESSION PICASSO, photographies de l’ancien assistant de Diane Arbus, Daniel Kramer, PICASSO Trois nus au bord de la mer, 1921 l’intimité en noir et blanc d’une légende de la musique. Au naturel, léger Pastel sur papier, Stuttgart, Staatsgalerie, ou grave, dans les arbres ou en compagnie de Joan Baez, la mue d’un Graphische Sammlung, C 1959/914. Photo D. R. homme s’opère au cours de cette année où sa guitare en bandoulière devient électrique, choix alors aussi provocant que la subversion de UNE MODERNE ANTIQUITÉ AU MUSÉE PICASSO / ANTIBES ses textes. Il révolutionnera le folk et influencera le rock comme la pop, « Une façon surprenante éternellement rebelle parfois jusqu’à la provocation... d’appréhender les oeuvres » Aussi, le samedi 19 mai de 19h à minuit, les collections permanentes du Musée de la musique ainsi que l’exposition consacrée au chanteur ÂTI sur l’ancienne acropole d’Antipolis, le château Grimaldi est aux Ray-ban seront accessibles gratuitement... Si le directeur du Musée plus connu sous le nom de musée Picasso depuis 1966. Rénové de la musique, Eric de Visscher espère « plus particulièrement toucher le B en 2008, le musée y trône entouré d’une terrasse gardée par public jeune et celui qui habite dans les quartiers environnants de la Cité les sculptures de Germaine Richer. Au milieu de ces statues, un de la musique, un public de proximité qui ne fréquente pas nécessaire- « concert-promenade » débutera samedi 19 mai à 20h15, attirant les ment les grands musées du centre parisien », son objectif demeure avant visiteurs nocturnes à l’intérieur de l’établissement, à la découverte des tout de « désacraliser le musée, le rendre plus vivant et plus accessi- pièces de la collection permanente. Les élèves du conservatoire ble. » Ainsi, de 20h à 23h, des concerts seront organisés dans les col- d’Antibes y joueront en duo leur propre composition instrumentale, créée lections du Musée, autour des musiques ayant inspiré l’auteur de Like a à partir d’œuvres choisies, notamment celles d’Hans Hartung et de son rolling stone, en compagnie de Cory Seznec (guitare, banjo et chant) épouse Anna-Eva Bergman. Car comme l’indique Laure Lanteri, respon- et d’Adam McBride-Smith (guitare, chant). L’événement devient ainsi sable du service des Publics à la Direction des musées d’Antibes, « nous l’occasion de « relier ces deux visions de la musique, en faisant enten- axons chaque année les programmations de la Nuit des musées, autour dre les sources d’inspiration de Bob Dylan dans un lieu d’histoire, en du mariage des arts ». Habituée à ce public familial, jeune et décon- face notamment de vitrines dédiées à l’histoire de la guitare ». Mais la tracté, elle rappelle que « la gratuité, tout comme l’heure de visite invite Nuit des musées demeure aussi l’assurance d’« une ambiance particu- à une déambulation tranquille et ludique ». Ainsi son ambition a pour lière », parfois porteuse de surprise à l’image de l’intervention impromp- objectif de « leur permettre de vivre un moment culturel fondé sur la sur- tue en 2009 du claveciniste Christophe Rousset sur les clavecins histo- prise avec une façon surprenante d’appréhender les œuvres ». Aussi, riques de l’établissement. Enfin, gratuite et originale, elle devrait surtout autour des mythes antiques évoqués par les œuvres de l’exposition tem- apparaître comme « une incitation à pousser les portes des musées, sans poraire « Une moderne Antiquité : Picasso, De Chirico, Léger et Picabia a priori »... en présence de l’antique », quatre comédiens de la Compagnie Voix www.citedelamusique.fr Public déclameront leurs textes en déambulant dans cette manifestation Tristan Thérond théâtrale... Chaque année, la Nuit des musées se présente également comme l’occasion de « mettre en valeur l’ensemble des musées de la ville : le NUIT DES MUSÉES, MODE D’EMPLOI plus important comme les plus modestes, car une programmation globale Placée sous le triple patronage du Conseil de l’Europe, de l’UNESCO et invite le public à découvrir les lieux moins fréquentés ». En effet, des du Conseil international des musées, la huitième Nuit européenne des musées, lectures au musée Peynet et du dessin humoristique ainsi qu’au musée organisée par le ministère de la Culture et de la Communication, se déroulera samedi 19 mai, permettant aux visiteurs d’investir les établissements culturels d’archéologie inviteront à un trajet nocturne témoignant de la synergie participant jusque tard dans la nuit. En France lors de la précédente édition, culturelle qu’offre cette manifestation. Même les plus jeunes pourront 1 276 organismes avaient ainsi ouvert gratuitement leurs portes, entre soirées s’approprier ce moment privilégié grâce à une visite guidée pour thématiques, expositions, concerts, circuits et spectacles... Le soir du 14 mai 2011, deux millions de visiteurs s’étaient déjà pressés dans près de 3 700 institutions e enfants où se mêleront les dessins du XIX de Picasso, un miroir étrusque, reparties à travers 37 pays. Ce succès populaire démontre que l’événement jouit les peintures de De Chirico, des vases attiques ou la mécanisation d’une notoriété sans cesse grandissante en Europe depuis 2005. Cette année post-cubiste de l’antique selon Léger... S’il pourrait sembler exténuant à encore, à Barcelone, le Musée Européen d’Art Moderne permettra de rencontrer les artistes exposés autour d’un concert de blues, la National Gallery of Art de un médiateur d’expliquer l’archaïsme et la modernité de ces œuvres Londres proposera un atelier de dessin autour du Rain, Steam and Speed de étranges à un parterre de pré-adolescents un soir de printemps, Laure Turner alors qu’au musée militaire de Belgrade, la collection muséale des armes Lenteri rappelle pourtant que « l’atmosphère particulière, très positive, asiatiques s’enrichira d’une présentation d’arts martiaux... Plus près, pendant que les slameurs investiront le Musée Arthur Rimbaud de Charleville-Mézière, des de la Nuit des musées, offre également pour le personnel un moment jeux de pistes animeront les couloirs du Musée des Arts et Métiers à Paris, tandis enrichissant dans sa relation avec le public » ... qu’une enquête policière se déroulera dans les Jardins botaniques de Bordeaux... www.nuitdesmusees.culture.fr www.antibes-juanlespins.com

avril 2012 - n°200 Culture Communication{15 maquette Culture Communication 200:Mise en page 1 02/04/2012 16:58 Page 16

G R A N D A N G L E

2012, année de la presse à la BnF Plonger dans la fabrique de l’information

PLACÉE À UN MOMENT CHARNIÈRE DE SON HISTOIRE, LA PRESSE EST L’OBJET DE TOUTES LES MUTATIONS,

MAIS AUSSI DE TOUTES LES CONVOITISES ET DE TOUS LES ENJEUX. NOTAMMENT, L’ENJEU DÉMOCRATIQUE.

TOUTAULONGDEL’ANNÉE 2012, LA BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DE FRANCE LUI CONSACRE UNE SÉRIE

D’ÉVÉNEMENTS.

Wolinski, sniper à répétition

C’est un détail imperceptible, mais il donne le ton. Une jeune femme, grand sourire aux lèvres, est fermement accrochée à la branche d’un arbre. Au XVIIIe siècle, elle se serait balancée sur une escarpolette. Aujourd’hui – on est en 1973 – elle se balance directement sur l’arbre. Ce n’est pas normal, ironise le titre, inscrit d’un trait de feutre vigoureux. Mais c’est plus simple. Et aussi efficace. La fille – longs cheveux blonds, sourire de smiley, taille souple, jambes écartées, robe rouge qui ne cache pas grand chose – s’en fiche, d’ailleurs. Ce n’est pas son problème. Au sol, quelques brins d’herbe et trois fleurs bleues esquissés avec une attention de calligraphe chinois complètent le tableau. Un détail, donc. Mais malicieux : placés sous la robe, les pistils et étamines sont turgescents. Normal, c’est le printemps. Ce détail – entre mille autres présentés à partir du 29 juin – ravira les nombreux aficionados de l’humour vache du dessinateur de presse. Il permettra aussi de se rendre compte que derrière des dessins en apparence désinvoltes, se cache un travailleur acharné au trait déniaisé, qui croque depuis 50 ans ses contemporains – nous – comme il les aime : avec leurs défauts. Obsessions masculines, fantasmes sexuels féminins, bavardage social de tous : le tour d’horizon est sans concession. Mais pas sans drôlerie. Ni sans un bon sens bien charpenté qui permet à tous, quoi qu’on en dise, de vivre. On découvrira à la BnF tous les aspects de la production variée de Wolinski – dessins de jeunesse non publiés, dessins de presse, illustrations, scénarios, affiches publicitaires, carnets de croquis… –

issus du dépôt plus de 10 500 œuvres en 2011 réalisées par l’artiste qui © WOLINSKI a commencé à dessiner en 1961 dans Hara Kiri où il avait pour complices FLOWER POWER Reiser, Cavanna ou Siné, et continue aujourd’hui à produire des dessins Wolinsky, C’est pas normal, 1973 hebdomadaires pour Charlie Hebdo, Paris Match et le JDD.

Du 29 juin au 9 septembre / BnF / François-Mitterrand / Galerie François Ier

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Les rotatives La presse à la « une » du Journal en action Diversité des supports, évolutions juridiques ou technologiques... la presse écrite ne cesse de se transformer, de s’adapter, de se complexi- fier. « L’exposition organisée par la BnF intervient précisément à ce moment charnière, observe Bruno Racine, son président. L’institution patrimoniale qui conserve les journaux depuis leur origine, offre l’occa- sion de s’interroger, à l’aune des mutations passées, sur les bouleverse- ments que traverse aujourd’hui la presse écrite en France ». Pour com- prendre l’ensemble de ces mutations successives, quoi de mieux que de s’immerger dans l’histoire de la presse – et donc, celle de la démocratie ? A travers des exemplaires de journaux mais également des brouillons d’articles, des manuscrits d’écrivains-journalistes, des photographies, dessins ou peintures, plus de 500 pièces illustreront ce voyage à l’inté- rieur de la presse écrite. L’exposition mettra l’accent sur la manière dont l’information se rapporte et s’élabore, au gré des temps politiques, des évolutions sociales, structurelles et techniques, depuis la préhistoire des gazettes jusqu’à l’explosion des tweets. Car l’un des ressorts de la presse écrite est – bien entendu – le fonctionnement de la démocratie. Est-il besoin de rappeler quelques grandes « Une » qui ont marqué notre histoire pour s’en souvenir ? « J’accuse...! », « Jaurès assassiné », « Deux hommes ont foulé le sol de la lune », « Bal tragique à Colombey : un mort », « Un appel de 343 femmes », « Le jour le plus non ». Elles parlent d’elles-mêmes.

© DR/FONDS L’AURORE/BNF © BNF © Paul-Henri Doro Du 11 avril au 15 juillet / BnF / Grande galerie / Paris France-Algérie, je t’aime moi non plus

Vues à travers le prisme des dessinateurs de presse des deux pays, les

relations franco-algériennes contemporaines sont mi-figue, mi-raisin. © BNF Normal : les caricaturistes – c’est leur métier de repérer les petits travers du monde politique et social – s’en donnent à cœur joie, dans des des- sins tour à tour moqueurs, cruels, tendres, cyniques. Mais aussi chaleu- reux ou douloureux. Car les relations entre les deux pays méditerranéens restent marquées par les stigmates encore vives de la guerre d’Algérie. Alors que l’on vient de commémorer les 50 ans des Accords d’Evian, marquant l’indépendance algérienne, et que l’on se souvient que les caricaturistes de journaux comme El-Manchar, El-Sahhafa ou El-Barroub, furent la cible privilégiée des islamistes pendant la guerre civile dans les années 1990, les dessinateurs des deux pays ne perdent pas de vue leur horizon commun : une liberté toujours à gagner. A l’image de ce dessin de Coco présentant deux édifices emblématiques des deux sociétés – la Tour Eiffel et une mosquée – pour ainsi dire main dans la main. Son titre ? Les frangines. Jusqu’au 24 juin / BnF / François-Mitterrand / Allée Julien Cain / Paris

La « Une » de L’Aurore du 13 janvier 1898

PRESSE : UN FONDS UNIQUE À LA BNF Véritable conservatoire de la presse périodique, la BnF rassemble la quasi-totalité des journaux publiés en France (plus de 100 000 titres) et propose une offre importante de presse étrangère. De la Gazette de Théophraste Renaudot, réputée être le premier titre de la presse, jusqu’aux derniers sites d’informations en ligne, moissonnés par le Dépôt légal du web, la production de la presse aboutit à la BnF pour y être conservée, classée et communiquée au public. Depuis qu’un programme de numérisation a été mis sur pied en 2005, 27 titres sont disponibles sur Gallica, la bibliothèque numérique de la BnF, comme Le Journal des Débats, Le Temps, Le Petit Parisien, Le Figaro, L’Aurore, La Croix, etc. La BnF a publié en 2011 le guide Des sources pour l’histoire de la presse destiné à se repérer dans les collections (voir n°199). Enfin, la Bibliothèque va se doter en 2013 d’une nouvelle salle

© MÉDIAPART de la presse où, à côté des journaux et magazines consultables sur papier ou en format Médiapart, site numérique, le lecteur aura accès à des bases de données, à des archives radio et télévision d’information sur Internet (Ina) et à des chaînes d’information françaises et étrangères. www.bnf.fr

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R E N C O N T R E

Guillaume Gallienne prix Devos 2012

« Langue française, notre beau péché de gourmandise »

À LA COMÉDIE-FRANÇAISE, SUR

FRANCE INTER, SUR CANAL+,

BIENTÔT AU CINÉMA, GUILLAUME

GALLIENNE EST COMÉDIEN,

CONTEUR, AUTEUR, ADAPTATEUR,

CHANTEUR... IL JONGLE AVEC TOUS

CES BEAUX MÉTIERS QUI FONT RIRE

ET RÊVER NOTRE LANGUE. UN

NOUVEAU RAYMOND DEVOS ? © GALA REVERDY

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E 8 mars, vous avez reçu le prix Raymond Dans un autre registre, vous avez arrêté les clowneries sur Devos de la langue française. Que repré- Canal+. C’était du pur divertissement ? sente ce prix pour vous ?...... Mais c’est génial, un divertissement ! Je ne m’intéresse pas C’est un grand honneur. J’admire Raymond à ce genre de frontière : elle ne sert qu’à rassurer les DRH. Devos pour sa poésie, son talent, son ludisme Devos était un artiste sans étiquette. J’aime l’Etiquette, je permanent.L Il donne toujours l’impression d’inventer dans déteste les étiquettes. Je refuse d’en coller à qui que ce soit, l’instant. Personne n’a mieux prouvé qu’on peut être éru- comme d’être enfermé moi-même dedans. J’ai arrêté Ca- dit sans se prendre au sérieux. nal+ au bout de deux ans et 216 sketches, quand j’ai senti que le serpent risquait de se mordre la queue. Je fais beau- Vous avez offert votre chèque à l’association d’Alexandre coup de comédies, mais j’adore la tragédie ! Alain Françon Jardin « Lire et faire lire ». Un beau soucis pédagogique ! vient de me donner le rôle de Guglielmo dans la Trilogie Je n’ai aucune prétention pédagogique. Ce chèque, il faut de la villégiature de Goldoni – un rôle tout en retenue. le donner à des gens qui font concrètement, activement, des choses pour la langue française. Pour donner le goût Vous servez la langue dans ses multiples facettes. Dans de la lecture à des jeunes, comme fait cette association : quelle direction la voyez-vous évoluer ? Faut-il l’aimer 13 000 bénévoles dans 5 départements, 350 000 jeunes jusque dans ses « dérives » ? touchés par an ! L’argent servira à payer les comédiens Je ne sais pas ce que ça veut dire. Je ne suis pas Acadé- qui forment ces bénévoles. Quand on parle de langue, micien, je n’ai aucune autorité pour me permettre d’être on ne peut pas ne pas parler des hommes ! Si ces jeunes intolérant. C’est le métier de certains, de défendre les ne savent pas s’exprimer, s’expliquer, ils recourent à la nouveautés que la langue française épouse, pas le mien. violence. Grâce à cette association, ils développent un Comme comédien ou comme conteur, je suis là pour vocabulaire, ça enlève les frustrations génératrices de transmettre la langue française. Je transmets l’univers d’un violence. auteur, vu par un metteur en scène. C’est un échange humain, ici et maintenant. À la Comédie-Française, on se N’est-ce pas, aussi, ce que vous faites dans votre émission doit de faire entrer au répertoire des pièces d’auteurs littéraire sur France Inter ? Donner le goût de lire ? Avec étrangers. Comme cette création de Naomi Wallace, fin d’excellents résultats au demeurant, au vu des courriers avril, Une puce, épargnez-la où je joue Snelgrave aux de lycéens et de parents ! côtés de Catherine Sauval. Je ne me donne pas une mission. J’aime lire, j’aime trans- mettre les textes qui me constituent, lus dans mon enfance Vous avez grandi dans la polyphonie des langues. et mon adolescence : Le grand Meaulnes, La montagne Qu’aimez-vous dans la nôtre ? magique... Les textes nouveaux qui me traversent, comme La liberté. Contrairement au russe et à l’allemand, l’ac- ceux d’Arthur Dreyfus ou Fabio Viscogliosi. C’est très cent tonique n’est pas défini. On le place où l’on veut. narcissique comme plaisir ! Le prix Raymond Devos est Pourtant, la langue française est loin d’être atone. Selon juste là pour me dire : Ton narcissisme va dans le bon sens, que vous dites « C’est inconvenant » ou « C’est inconve- tant mieux. On est des amuseurs, les comédiens, tout de nant », vous racontez autre chose. Elle donne une liberté même ! Et on peut aussi amuser sérieusement. On est là d’interprétation unique, mais elle est difficile à incarner. aussi pour parler de nos monstres... Comme ceux de Elle s’interprète plus qu’elle ne s’incarne. Elle demande à Virginia Woolf, à laquelle je vais consacrer deux émissions. l’acteur une voix mais aussi beaucoup de corps. La men- talité d’un pays est inscrite dans sa langue. En Allemagne, Comment préparez-vous vos émissions ? les gens ne se coupent pas la parole parce que le verbe est Je lis sans avoir rien relu avant, pour donner le sentiment, à la fin ! Dans une phrase comme « j’ai traversé la rivière la sensation du direct. France Inter est une antenne d’ins- à la nage », l’anglais donne la priorité à l’action, et le tantanéité, ce n’est pas la conclusion d’un travail déjà français au « comment ». Prenez le mot gourmandise. En digéré. C’est comme feuilleter un livre dans une biblio- anglais, c’est toujours un péché, jamais un compliment thèque : je plonge en direct. J’essaie de plonger au mieux, comme chez nous, la « gourmandise balzacienne » ! dans l’instant, et d’être le plus honnête possible. Je bouge Pauline Décot pendant que je lis : le corps m’aide à trouver le rythme.

Et le choix de vos invités ? GUILLAUME GALLIENNE Mes invités, c’est une intuition très auditive. Une voix Prochain rôle : Snelgrave dans Une puce, épargnez-la de Naomie Wallace, traduction de Dominique Hollier, mise en scène d’Anne-Laure Liégeois. Entrée au répertoire. m’évoque un paysage, un personnage de roman : Oh cette Représentations du 28 avril au 12 juin 2012 au Théâtre éphémère / Comédie-Française. voix-là... ! La voix n’est pas juste un timbre, une âme : elle Molière du second rôle en 2011 pour Un fil à la patte de Feydeau, mise en scène est ce qu’il y a de plus relié à l’inconscient. Quand j’écris de Jérôme Deschamps, reprise au Théâtre éphémère du 26 juin au 22 juillet 2012. Lecteur de grands textes littéraires dans l’émission hebdomadaire de France Inter aussi, ça passe par l’oralité. J’écris à voix haute, ou en « Ca peut pas faire mal » depuis septembre 2009 de 18h10 à 19h écoutant les mots dans ma tête. Je n’arrive pas à séparer les Livres-audio aux éditions Thélème depuis 2004 (Proust, Stendhal, Baudelaire, Agatha mots de leur musique. Ni le mouvement des mots, du Christie, Pérec) Auteur d’une pièce autobiographique « Les garçons et Guillaume, à table », 2008, qu’il rythme. Ecrire, ce n’est que la mise en mouvement des se prépare à adapter au cinéma (Molière de la révélation masculine 2010, Prix Béatrice mots, des phrases et de l’âme. Dussane du jeune théâtre de l’Académie française 2010).

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D E C R Y P T A G E

Le temps des cathédrales

Un décor médiéval découvert à Chartres

DANS UN ÉLAN DE FIÈVRE BÂTISSEUSE, L’HISTOIRE DÉCIDA DE DOTER LE « JARDINDELAFRANCE » –

LA VERDOYANTE RÉGION CENTRE ET SES SIX DÉPARTEMENTS – DE CINQ CATHÉDRALES. COMMENT LES

TRANSMETTRE ? LES VALORISER ? PAR UN AUTRE DÉFI : LE PLAN CATHÉDRALES EN RÉGION CENTRE

(2009-2014) LANCÉ PAR LA DIRECTION RÉGIONALE DES AFFAIRES CULTURELLES. REPORTAGE DEPUIS LE

CHANTIER DE NOTRE-DAME DE CHARTRES.

OUR les cathédrales de ment Le curé de Tours de Balzac). défi de titan, il fallait un plan adéquat. Bourges, Chartres, Tours, Ou encore l’anniversaire d’une dédi- Avec un budget : 36 Ms sur six an- Blois et Orléans apparte- cace : le 600e anniversaire de la nais- nées, soit une moyenne de 6 Ms par nant à l’Etat comme sance de Jeanne d’Arc à Orléans, à an (au lieu de 3 précédemment). Des d’ailleurs pour toutes les l’occasion duquel on fond une nou- objectifs sur cinq ans : 2009-2014, Pcathédrales dont la construction velle cloche, Jeanne (les cloches sont réalisables par phases. Des équipes s’étend sur plusieurs siècles, il s’agit baptisées et ont un prénom). Pour ce soudées par une même vision patri- bel et bien d’un défi – un défi aux moniale. Et c’est le 5 mars 2012, à outrages du temps. Car si nos cinq mi-parcours, que le Plan Cathédrales cathédrales n’ont pas souffert de la s’est fait connaître Urbi et Orbi lors guerre comme Reims ou du vanda- d’une très médiatique visite de lisme révolutionnaire comme chantier à Chartres. Notre-Dame de Paris, elles ont eu leur lot d’incendies, d’inon- L y avait là, au mi- dations et de restaurations lieu des échafau- « bien intentionnées ». A dages, les officiels cause de leur taille, de la et tous ceux qui tenue de leurs pierres ou de sont derrière le leur couverture, ce sont des Iplan : conservateurs régio- chantiers jamais finis et en naux des monuments his- éternel recommencement toriques (CRMH), maî- – comme Orléans qui est tres d’œuvre, restaurateurs en soins constants (l’une des – en particulier « l’équipe cathédrales les plus larges). des Italiens » chargée de Autre facette inattendue du retrouver l’enduit ocre d’ori- plan : la création de vitraux gine. Grâce à eux, Chartres contemporains par Gérard Colin n’est plus la si sale et sombre dans la cathédrale Saint Gatien de cathédrale qui plaisait tant au XIXe Tours (un lieu qui évoque irrésistible- siècle pour son côté romantique. Vue d’ensemble de la peinture murale. Mur Nord.

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NOTRE-DAME DE PARIS : 850 ANS EN 2013 Un jubilé marqué par des rénovations (6,5 Ms financés par des dons) et des festivités : * un nouvel ensemble campanaire permettra de retrouver le paysage sonore de la fin du XVIIIe siècle : 8 nouvelles cloches dans la Tour Nord et un deuxième petit bourdon dans la Tour Sud. la rénovation du grand orgue, dont plusieurs tuyaux datent de l’époque médiévale. une nouvelle muséographie du Trésor de Notre-Dame une saison de musique sacrée autour de « l’histoire musicale de Notre-Dame », avec pour apogée le 6 mai, « Jour mondial de l’orgue », 850 concerts à travers le monde entier. une création de Philippe Hersant en hommage à Monteverdi clôturera le jubilé.

LES DÉGRADATIONS DE CHARTRES la cathédrale romane brûle en 1194 elle est reconstruite en 1225 elle est consacrée en 1260 elle reçoit un boulet au siège d’Henri IV en 1794, les révolutionnaires font tomber les © FRANÇOIS LAUGINIE © FRANÇOIS LAUGINIE couvertures de plomb pour en faire des balles La peinture murale du roi David, la charpente et les couvertures brûlent en 1836 après intervention. Mur Sud. www.culturecommunication.gouv.fr/Regions/Drac-Centre

« Les gens aimaient l’ombre, l’ombre badigeon blanc ». Pourquoi ces le terme grec architectos » dit celui mystérieuse qui n’est jamais que la fausses roses peintes sur un faux fond qui a restauré les cathédrales d’Albi, trace de poussière noire générée par de vitrail ? « Il en existe peu d’exem- Lourdes, Auch, aussi bien que les la suie des cierges ! », prévient Patrice ples. L’objectif, à l’époque gothique, moulins ou les petits châteaux. Ne Calvel, maître d’œuvre. Patine oui, était de faire entrer la lumière par les demandez surtout pas à un conserva- crasse non ! Rien à faire, à chaque vitraux. Ceux-ci ont été peints au teur quel chantier il préfère. Il ré- époque les cathédrales fascinent – sommet d’une double travée aveugle, pondra comme Irène Jourd’heuil : voyez la pièce de T.S. Eliot, Meurtre pour simuler la présence de vitraux ». « Entre Chartres et Bourges, mon dans la cathédrale. Les chantiers Ils représentent des rois musiciens : cœur balance ». Même choix de aussi. Au point de susciter des voca- « Avec les yeux de la foi, on peut mê- Sophie pour la restauratrice Liliana tions à l’alpinisme, comme le raconte me apercevoir un visage angélique qui Zambon, fondatrice de l’entreprise Frédéric Aubanton, CRMH : « Les tient un violon... ». L’intervention sur Lithos (la pierre en grec) spécialisée échafaudages sont tentants pour ces peintures a été très légère : « On a dans les enduits anciens. Formée à découvrir l’édifice, c’est un sport con- fait le choix de travailler sur les l’école de Venise et des désastres na- templatif ». Qui ne voudrait pas, en contours, pour qu’on comprenne le turels de la péninsule (« alluvione di effet, se rapprocher des vitraux du dessin d’en bas. Les manques ont été Firenze » en 1966, séisme de l’Aquila XIIIe siècle, avec leur bleu flamboyant complétés à l’aquarelle ». en 2010), elle dit son admiration et puissant ? Chartres conserve le pour l’état de conservation exception- plus grand nombre de baies médié- E plan cathédrales va nel de Chartres : « On a pu conserver vales : plus de 90, dont la restaura- bon train. « On est sur à 90 % l’enduit d’origine. Quand on tion, finie en 2003, aura pris trente une lancée, l’objectif enlève les strates successives, on ans. Qui ne voudrait pas se rappro- étant qu’il n’y ait pas retrouve la fraîcheur des pâtes, les cher de ces quatre roses (rosaces) de rupture », déclare traces des pinceaux, on voit les gens peintes en trompe-l’œil, découvertes FrédéricL Aubanton. Le chœur sera qui ont travaillé, c’est émouvant par hasard sous les voûtes, en octobre fini pour Pâques, ensuite ce sera la comme une découverte archéolo- 2010 ? C’est le clou du chantier, un nef à l’automne, le déambulatoire à la gique ». Ne sont-ils pas ses prédéces- miracle du plan auquel ne s’attendait fin de l’année... Puis cet autre lourd seurs et ceux de ses jeunes équipiers : pas Irène Jourdheuil, chartiste, chantier du plan, pas encore financé : sept Italiens, une Californienne, un CRMH, dont c’est le premier poste. le trésor et la chapelle qui l’abritera. Roumain ? Demain, le vent les dis- « On est sur un décor figuré antérieur Car il reste à restaurer la moitié de persera. Liliana Zambon sera à à 1250. Des roses inatteignables, à la cathédrale de Chartres : « une très Rouen, sur un autre chantier, avec trente mètres du sol, et donc jamais longue dame de 130 m de long et d’autres champions du patrimoine. restaurées. Elles ont été visibles 35 m de haut », précise Patrice Calvel Pauline Décot quelques décennies seulement avant qui va passer le flambeau à Marie- d’être lavées par les pluies à la suite Suzanne de Ponthaud, la seule femme d’un incendie, puis masquées par un maître d’œuvre. « Je préfère de loin

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P O R T R A I T

Films, clips, pubs, animation... Michel Gondry sens dessus dessous

NOMMÉ LE 28 MARS CHEVALIER DANS L’ORDRE NATIONAL DU MÉRITE, MICHEL GONDRY EST UN

RÉALISATEUR ÉCLECTIQUE QUI POURSUIT UNE ŒUVRE SINGULIÈRE. IL PRÉPARE UNE ADAPTATION DE

L’ECUME DES JOURS (BORIS VIAN) AVEC OMAR SYETAUDREY TAUTOU AINSI QUE DU CÉLÈBRE ROMAN

DE SCIENCE-FICTION DE PHILIP K. DICK : UBIK.

HEVEUX en bataille, visage de figurant d’un une certaine admiration pour Charlie Chaplin, Tex Avery film de Ken Loach, vêtements d’étudiant ou Raymond Depardon. Au sujet de l’auteur de Délits surgi des 70’s, Michel Gondry a un style flagrants et de La vie moderne, il avoue que « c’est peut- improbable, à l’image de ses créations. Une être [s]on cinéaste préféré : l’éthique est essentielle dans ride du lion rappelle que l’artiste a vieilli ce qu’il fait, et il ne cède pas à un discours sophistiqué Csous le poids d’une profonde réflexion alors que son uni- alors que ses idées le sont ». Circonspect, il réfute égale- vers semblait surgir naïvement d’un inconscient enfantin. ment les cases dans lesquels les spécialistes souhaiteraient Un monde surréaliste et fragile en technicolor qui a le ranger. « Je suis contrarié par l’idée qu’on se fait de mon imprégné son look d’éternel ado. « Je me suis toujours style, surtout quand on le décline de façon publicitaire. senti plus intégré avec des couleurs vives qu’avec des cou- L’emballage des DVD de Soyez sympas... ou La Science leurs sombres, dit-il. Quand j’étais adolescent, ma mère des rêves joue sur le carton ondulé, le coton, le côté me tricotait des pulls new wave avec des triangles et des Monsieur Bricolage. Ce style supposé est devenu un cli- couleurs flashy. J’ai sans doute été marqué par ça. » Par ses ché que je n’ai pas envie de reproduire ». vêtements maternels donc, mais également par un aïeul aussi curieusement inventif que le réalisateur aux effets REF, le jeune Gondry n’aime rien faire spéciaux maintes fois célébrés : son grand-père, Constant comme les autres. Et s’achète très tôt une Martin, qui inventa un des tous premiers synthétiseurs, le caméra 16m-Bolex pour réaliser les clips de Clavioline, et fut un des pionniers de la vidéo en relief. son groupe. Déjà créatifs et inventifs, les D’un père pianiste et organiste amateur, il reçoit en plus musiciens y sont notamment transformés en le goût de la musique et vers ses 18 ans, le frêle Michel Binsectes dans d’étranges galeries pour le clip de Ma mai- tambourine sur la batterie du groupe Oui Oui. En bon son. « Il s’agissait davantage de fabriquer des petits objets apprenti rock star, il sèche alors allègrement les cours de que d’exprimer une philosophie. Je ne me voyais pas l’École des arts appliqués qui finira par « le virer ». Mais cinéaste, parce que le cinéma, en France, me paraissait celui qui se passionne pour les travaux sur l’hérédité et la très littéraire et que j’aimais mieux l’esprit scientifique. » génétique de Noam Chomsky souligne que « la part de Ainsi, encore aujourd’hui, l’un des réalisateurs fétiches l’héritage dans la création est très complexe ». Il n’a d’ail- d’Hollywood se rend très peu au cinéma et préfère les leurs pas non plus « le sentiment d’appartenir à une géné- musées scientifiques aux musées des beaux-arts. Au début ration » d’auteurs-cinéastes autour de Wes Anderson, des années 1990 sur MTV, Bjork remarque une de ses Spike Jonze ou Sofia Coppola... Sur ses références, ce vidéos musicales dont le style semble plus proche du court timide n’aime pas non plus trop s’étendre. Il préfère le métrage d’auteur que de l’univers souvent impersonnel et terme « inspiré » à « influencé », et concède malgré tout promotionnel du genre. « C’était une des premières à

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réagir à mon sens de l’humour un peu bizar- re... ». Grâce à leur collaboration, sa carrière devient rapidement internationale. Les Rolling Stones, Kylie Minogue, les White Stripes, Daft Punk ou Iam font ainsi ensuite appel à son univers excentrique et expéri- mental... « Quand j’ai réalisé le DVD de compilation de mes clips, j’ai été surpris de voir quelque chose d’assez cohérent se des- siner et que ce quelque chose, sûrement, c’était moi. » En parallèle, Michel Gondry œuvre également dans les domaines de la publicité où son style semble moins recon- naissable mais où son talent est tout aussi demandé. Il collabore avec Nespresso où il tourne avec George Clooney, mais aussi Nike, Air France, ou encore Levi’s... Un de ses clips réalisés pour la marque de jeans en 2001 demeure même un des films les plus primés de l’histoire de la publicité...

A même année – en 2001, donc – le réalisateur offre avec Human nature, une comédie dramatique décalée sur l’identité et la complexité des Lrelations humaines. Trois ans plus tard, Eternal Sunshine of the Spotless Mind avec Kate Winslet et Jim Carrey reçoit l’Oscar du meilleur scénario et le César du meilleur film étranger. Cet étrange voyage dans le passé amoureux d’un couple sou- haitant se séparer de ses souvenirs lui attire une reconnaissance grandissante de © AUTUMN WILDE la part du 7ème art mais aussi du public. Lorsque son inta- rissable créativité interpelle, il souligne qu’il « navigue marquée ». « J’ai longtemps été trop timide et trop com- dans une sorte de brouillard d’incertitude, je vois des plexé pour affronter un discours, un dialogue sur ce ter- formes apparaître, j’essaie de leur donner un sens. Et ce rain ». En 2011, « un peu plus musclé, un peu plus coura- faisant, je trouve des idées originales. » Après La science geux » et « prêt à affronter ses contradictions », il adapte des rêves (le rêve est un thème omniprésent de son avec succès la série des années 1960, Le frelon vert, à tra- œuvre), il « caricature sa façon de faire des films » dans vers la superproduction américaine The Green Hornet Soyez sympas, rembobinez, où les tenanciers d’un vidéo avec Cameron Diaz et le comique Seth Rogen. Aux club (re)-tournent les classiques du cinéma populaire. On détracteurs qui penseraient naïvement que le cinéaste a y retrouve la poésie et le bricolage qui sont la patte de perdu son âme auprès des studios américains, il rappelle celui qui développait lui-même ses négatifs dès l’adoles- simplement qu’il demeure « quelqu’un qui fait un film, cence. Si dans ce long métrage, le surréalisme apparaît qu’il ait trois bouts de ficelle ou 100 millions de dollars ». plus dans la folie douce des protagonistes que dans la Tristan Thérond figuration psychologique de ses premiers films, il explique que ce qui lui « appartient en propre est un peu plus pro- fond que le décorum. Mon style tient aussi je crois à mon SIX DATES rapport aux acteurs. Je les dirige très peu, je leur laisse 1963 : naissance à Versailles beaucoup d’air, je suis très discret sur un tournage. » Ainsi 2003 : réunit ses clips dans une anthologie en DVD dans l’émouvant documentaire L’Epine dans le cœur, il 2005 : réalise une installation vidéo avec Pierre Bismuth à la Cosmic Galerie (Paris) pose sa camera durant quatre ans aux cotés de sa tante 2008 : co-réalise avec Bong Joon-ho et Leos Carax un film Suzette, institutrice itinérante en milieu rural mais aussi à sketches : Tokyo ! mère de Jean-Yves, un homosexuel dépressif et marginal 2009 : publie Michel’s note from the trone, rouleau de papier toilette illustré qui vivote dans le grenier. Dans ces chemins pittoresques 2011 : parraine la 1ère nuit du court métrage, « Le jour le plus court » des Cévennes, le réalisateur démontre une nouvelle fois sa grande sensibilité mais aussi « une pensée sociale assez

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