Melchior Rodiguis, peintre pyrénéen vers 1564 Les décors de Mont, Aranvielle, Cazaux-Fréchet, Ris, Garaison et Jézeau 1

Marc Salvan-Guillotin Docteur en histoire de l’art

La richesse du patrimoine religieux renaissant conservé dans les églises des hautes vallées pyrénéennes, qu’il s’agisse d’œuvres sculptées ou peintes, est un fait connu 2. Sa conservation s’explique en grande partie par le peu de dégâts qu’y commirent les huguenots dont les incursions, quoique parfois violentes, ne furent que très sporadiques et n’atteignirent pas les profondes vallées d’Aure et de Louron 3. Cependant, les préceptes tridentins eurent une influence directe sur les peintures murales, notamment à partir du milieu du XVII e siècle. En 1641 l’évêque Hugues de Labatut dénonçait par exemple les consuls et les fabriques de son diocèse de Comminges qui consacraient selon lui trop d’argent à la réalisation de « peintures plus tost ridicules qu’édifiantes »4. Quand celles-ci étaient anciennes, elles furent dissimulées par des badigeons qui rendirent les lieux de culte conformes aux

1 Cet article est paru dans Cultures et solidarités dans les Pyrénées centrales et occidentales , 56 e Congrès de la Fédération Historique de Midi-Pyrénées, , 17-19 juin 2005, p.509-537. 2 Consulter notamment les publications de la Direction des Affaires Culturelles de Midi-Pyrénées : Pierre-Yves Corbel, Hautes-Pyrénées – Vallée du Louron – Canton de Bordères-Louron , Toulouse, 1996 ; Hautes-Pyrénées – Vallée d’Aure I – Canton de Vielle-Aure , Indicateurs du Patrimoine, Toulouse, 1999 ; Hautes-Pyrénées – Vallée d’Aure II – Canton d’ , Toulouse, 2000 ; L’art des retables - Vallées d’Aure et du Louron - Hautes-Pyrénées , Toulouse, 1998 ; Peintures monumentales en Vallée d'Aure - Hautes-Pyrénées , Toulouse, 1995 ; Sylvie Decottignies, Peintures monumentales dans la Vallée du Louron - Hautes-Pyrénées , Toulouse, 1996. 3 Jean Contrasty, Histoire des évêques de Comminges , Toulouse, 1986, p. 303-311. Les lieux qui furent concernés de manière directe par les raids huguenots sont Saint-Gaudens (1569), (1570) et Saint-Bertrand-de-Comminges (1586 et 1593). 4 Cité par Serge Brunet, Les prêtres des montagnes – La vie, la mort, la foi dans les Pyrénées centrales sous l’Ancien Régime , Aspet, 2001, p. 55. 1 enseignements de la Réforme. Ce fut notamment le cas à Camors où l’évêque ordonna le 14 juillet 1664 que l’église Saint-Jacques soit « lambrissée et blanchie entièrement »5. Dans bon nombre d’endroits les retables qui n’étaient pas munis de l’indispensable tabernacle laissèrent la place à de nouvelles réalisations dont la mise en place dissimula les décors préexistants. Ces derniers, taxés d’inutilité et désormais privés de leur rôle pédagogique, entamèrent un long voyage qui les fit peu à peu tomber dans l’oubli. Ce rejet allait pourtant sauver ces décors, et leur permettre de renaître dans toute leur fraîcheur plus de trois cents ans plus tard grâce à des campagnes de sondages souvent suivies de dégagements minutieux. Restaurés pour la plupart, ils sont aujourd’hui l’objet de toute l’attention d’un public, spécialiste ou amateur, qui ne cesse de s’intéresser à ces survivants d’un passé pas si lointain.

Leur étude s’avère passionnante pour plusieurs raisons. Témoins de la piété montagnarde, ils présentent une iconographie qui permet de connaître les attentes, les peurs et les croyances des populations locales. Leur style fruste et pittoresque offre quant à lui un reflet des pratiques picturales alors en cours dans les ateliers pyrénéens. Même si les sources d’archives demeurent trop minces pour permettre une vision précise de l’activité artistique durant la seconde moitié du XVI e siècle, une analyse fine des quelques documents conservés peut nous amener à lever une part du voile. Ces différentes pistes permettent d’insérer l’étude des peintures monumentales dans une problématique plus large qui est celle de bon nombre de chercheurs qui, dans d’autres régions, s’intéressent eux aussi à l’art paroissial et aux productions qu’il a générées. Ce qualificatif ne doit surtout pas laisser croire à une activité seulement centrée sur la communauté villageoise et à envisager les productions pyrénéennes comme uniquement issues d’un microcosme local. La confrontation avec des gravures nées au sein de centres artistiques reconnus comme « prestigieux » permet pour la première fois d’établir un lien entre ceux-ci et ces décors montagnards parfois dépréciés et jugés avec une trop grande sévérité.

5 François Marsan, « Ordonnances épiscopales pour les églises Saint-Jacques de Camors et Saint-Félix d’Armenteule, vallée de Louron », Revue de Comminges – Pyrénées Centrales , tome XLIV, 1 e et 2 e trimestre 1930, p. 35. 2 L’atelier de Melchior Rodiguis et les peintures de Mont : de la minute notariale au décor

Parmi les nombreux ensembles produits durant la seconde moitié du XVI e siècle, soit quelques décennies avant que la Réforme ne soit appliquée aux décors des églises des Pyrénées, certains d’entre eux peuvent être évoqués conjointement car ils ont été réalisés par les mêmes artistes. Nous nous étions déjà penché sur l’étude des peintures qui, à l’extrême fin du XVI e siècle, avaient été produites par l’atelier de Ramond Sabatier ainsi que par des artistes qui avaient travaillé dans son sillage 6. Remontons dans le temps pour nous intéresser à présent à celles qui sont issues de la mouvance d’un autre peintre, prénommé Melchior Rodiguis. Ce dernier est connu par le biais d’un document qui fut d’abord publié par François Marsan 7 puis par Henri Gilles 8 (Annexe 1) . Il s’agit d’un prix-fait relatif à la commande des peintures de la nef de l’église de Mont-en-Louron contenu dans les minutes de Bertrand Bernyn concernant les années 1561-1570 9. Le notaire était à Mont le 12 mars 1564 afin de prendre acte de l’accord passé entre les marguilliers de l’église paroissiale et le peintre qui venait de Saint-Bertrand-de-Comminges. Le bail manque parfois de précision, notamment concernant les thèmes iconographiques choisis : autant certains d’entre eux sont bien mentionnés, surtout pour ceux qui sont destinés à orner la zone orientale du sanctuaire 10 , autant pour le reste de l’église les marguilliers semblent à première vue avoir laissé carte blanche à Rodiguis 11 . Il en va de même

6 Marc Salvan-Guillotin, « Le décor peint de l’église San-Juan-Bautista de San-Juan de Toledo de La Nata et ses équivalents pyrénéens », Montagnes sacrées d’Europe , actes du colloque Religion et montagnes , Tarbes 30 mai-2 juin 2002, Paris, 2005, p. 161-191 ; « Le mobilier en bois de la chapelle Saint- Etienne de Gouaux », Revue de Comminges , tome CXIX, 2003-4, p. 529-554 ; « Les peintures de l’église Notre-Dame de Sescas de (Hautes-Pyrénées), Mémoires de la Société Archéologique du Midi de la , tome LXII, 2002, p. 155-174 ; « Les peintures murales de l’église Saint-Martin de », Revue de Comminges , tome CXIX, 2003-2, p. 177-192. 7 François Marsan, « Les peintures murales des églises de Mont (Vallée de Louron) et de Gouaux (Vallée d'Aure), XVI e siècle », Revue des Hautes-Pyrénées , 1908, 3 e année, n°1, tome III, p. 73-79. 8 Henri Gilles, « A travers les minutes d'un notaire de Louron », Revue de Comminges , tome XCVI, 2 e trimestre 1983, p. 189-192. 9 Arch. dép. Haute-Garonne, Série 3E, 35 161 (non paginé). Précisons qu’Henri Gilles, que nous avons cité ci-dessus, indiquait que le document se trouvait dans les fonds de la Bibliothèque de la Société des Etudes du Comminges alors que nous l’avons pour notre part consulté aux Archives départementales de la Haute-Garonne. 10 « …dans la chapelle l’Arbre de Jessé et l’Asumption de Nostre Dame, ses apostres et la vie saint Bortomeu a deux histoires et, au chant la vote hors les aignnas, Diu le paire et quatre evangelistes… ». 11 L’on a par exemple employé le terme générique d’ « autres anticques » pour désigner les peintures de la première travée de la nef. Concernant la chapelle latérale et la paroi occidentale de la nef, le prix- fait n’indique pas les thèmes à représenter. 3 concernant la durée du chantier ainsi que le choix des matériaux à utiliser. Cette impression de liberté accordée au peintre doit cependant être nuancée, car il est quasiment certain que l’oralité joua un rôle important dans cette commande, non seulement en ce qui concernait le choix des sujets à représenter, mais aussi pour toutes les questions matérielles. Notons à ce propos que le travail de Melchior Rodiguis fut évalué à « trente sept escutz petitz » ce qui équivalait à peu près au XVI e siècle à cent onze livres. Cette somme lui fut versée en plusieurs fois, comme cela était d’usage dans la plupart des entreprises de ce type. Le premier versement (« vingt-ung » écus petits) fut plus important que les suivants ce qui s’explique par le fait que Rodiguis devait décorer l’église « a ses despens », ce qui signifie que l’achat du matériel était à sa charge. Le document stipule aussi que l’artiste devait être logé par les marguilliers, comme le montre l’expression « luy bailhant logid, feu et carbon et lict ». Hormis ses zones d’ombres, ce bail à besogne s’avère donc intéressant non seulement parce qu’il est le seul relatif à l’aire géographique et à l’époque qui nous intéressent connu à ce jour, mais aussi parce qu’il se réfère à des peintures encore en place, même si le décor n’est pas visible dans sa totalité.

En effet, un retable datant du XVII e siècle occupe aujourd’hui l’abside, ce qui nous prive des scènes qui doivent figurer sur le mur oriental de l’église : l’Assomption et les apôtres, l’Arbre de Jessé, ainsi que les scènes de la vie de saint Barthélemy mentionnées dans le contrat.

Les éléments visibles offrent cependant un bon reflet de ce qu’avaient commandé les marguilliers : la seconde travée a conservé la représentation des quatre évangélistes qui, agenouillés sur des nuages (fig.1) , entourent le Sauveur qui bénit au sommet de la voûte. Dans la première travée

fig. 1 (M.S.G) 4 ce dernier emplacement est occupé par une représentation d’Isaïe et de Paul qui, placés face à face sur des nuées, sont accompagnés au nord par le Portement de Croix (fig. 2) et au sud par la Comparution devant Pilate (fig. 3) .

fig. 2 (M.S.G) fig. 3 (M.S.G)

Le revers de la paroi occidentale accueille l’épisode qui rapporte comment Elie fut réconforté par un ange lors de sa fuite dans le désert (1 Rois 19, 4-7). D’autres fragments apparaissent ça et là sur les parois latérales, bien qu’encore en grande partie dissimulés sous des enduits : la zone méridionale du chœur a notamment conservé un ange placé en buste (au sommet de la baie) auquel fait face un évêque en pied sur le mur opposé. Plus vers l’ouest l’on devine une scène représentant un homme près d’une église. Ces traces laissent présager de belles découvertes qui viendront peut-être enrichir un jour nos connaissances relatives au travail de Melchior Rodiguis dans cette église. Les peintures de la voûte sont d’autant plus intéressantes qu’elles permettent aussi de savoir que les peintres pyrénéens utilisaient des cartons qu’ils retournaient quand ils souhaitaient faire figurer deux personnages face à face : l’on remarque en effet que les inscriptions placées dans les phylactères que tiennent Marc et Matthieu ont été écrites à l’envers (fig. 1) , ce qui prouve que les artistes ont eu recours à des modèles qu’ils ont utilisés à l’envers, en omettant cependant de remettre les inscriptions dans le bon sens. Cette technique n’est pas propre aux ateliers pyrénéens car elle a aussi été utilisée par l’atelier de Giotto dans la basilique Saint-François d’Assise 12 , par Piero della Francesca à San

12 Giovanna Ragionieri, « Elèves et disciples de l’atelier de Giotto », Ateliers de la Renaissance , Paris, 1998, p. 70, note 8. 5 Francesco d’Arezzo 13 , ou encore par Michel-Ange dans la Sixtine, entre autres exemples. Les peintres faisaient de même pour la peinture de chevalet, notamment l’atelier de Giovanni Bellini 14 ou des Carrache 15 où des trames identiques passaient d’un tableau à l’autre. Dans le cadre de grands projets ceci permettait de travailler beaucoup plus vite et d’effacer considérablement les particularités stylistiques des différents membres de l’atelier, ce qui autorisait un plus grand partage des tâches. L’on procédait d’ailleurs de même pour confectionner les grandes verrières, comme le prouvent celles de la cathédrale d’Auch, ou encore lorsque l’on réalisait une suite importante de tapisseries, la Dame à la licorne en fournissant une bonne illustration. Jacques Thirion a observé le même phénomène dans les meubles qu’il a étudiés 16 . Ceci montre que les artistes pyrénéens étaient au courant des pratiques attestées ailleurs et qu’ils savaient eux aussi y avoir recours dès qu’il s’agissait de faire preuve d’efficacité. Ceci peut par ailleurs expliquer l’aspect assez systématique du décor de Mont qui donne la part belle aux éléments décoratifs modernes tels que ces frises composées de masques feuillus qui, accompagnées de branches écôtées autour desquelles s’enroulent des rubans, encadrent de manière assez rigide toutes les scènes représentées. Ces éléments sont rares dans les décors pyrénéens du XVI e siècle, ce qui permet de voir en eux l’une des caractéristiques de l’atelier de Rodiguis.

Il est d’ailleurs possible que ce dernier ait directement puisé le motif du masque feuillu dans le répertoire décoratif utilisé par les artistes qui ont peint en 1539 le retable qui occupe la clôture occidentale du chœur des chanoines de Saint-Bertrand-de-Comminges17 (fig. 4), cité dont il était originaire et à proximité fig. 4 (M.S.G)

13 Steffi Roettgen, Fresques italiennes de la Renaissance , Paris, p. 228. 14 Jennifer Fletcher, « Les Bellini », Ateliers de la Renaissance , p. 145-146. 15 Fabrizio Lollini, « L’école des Carrache entre académie et atelier », Ateliers de la Renaissance , p. 314. 16 Jacques Thirion, « Meubles français des 16 e et 17 e à sujets sculptés d’après des motifs de Raphaël », Bulletin de la Société de l’Histoire de l’Art français , 1983, p. 19 : « les décorateurs de meubles travaillaient à l’aide de patrons que l’on employait tantôt dans un sens, tantôt dans un autre ». 17 Sylvie Augé, Nelly Pousthomis-Dalle, Michèle Pradalier-Schlumberger, Henri Pradalier, Saint- Bertrand-de-Comminges, le chœur Renaissance – Saint-Just de Valcabrère, l’église romane , Graulhet, 2000, p. 53. 6 de laquelle d’autres productions qui lui sont attribuables peuvent être évoquées.

D’église en église : les traces du passage d’un atelier itinérant

La première d’entre elles est celle de Cazaux-Fréchet, même si la totalité du décor qui orne ses parois n’est pour l’instant pas encore totalement dégagée. Le seul fragment qui soit bien visible à l’heure actuelle occupe le sommet de la voûte de la chapelle septentrionale 18 : il s’agit d’une représentation du Tout-Puissant qui bénit tout en tenant le globe tripartite (fig. 5). L’on discerne dans cette figure le même style très linéaire que dans celles de Mont, ainsi que la présence des frises de mascarons évoquées plus haut. Une observation du reste de l’église fig. 5 (M.S.G) permet de déceler la présence d’autres scènes ou figures qui apparaissent en filigrane sous l’enduit postérieur. Dans la chapelle, le personnage que nous venons d’évoquer est encadré à l’est et à l’ouest par des évangélistes placés face à face, parmi lesquels saint Matthieu dont l’ange est bien visible sur la partie orientale de la voûte. La paroi septentrionale accueille une représentation de la Cène, tandis que des éléments de branchage figurent à l’est de la baie. D’autres détails se notent sur les parois latérales de la nef, notamment au sud où se voient des animaux ainsi que des frises de masques. Sur la paroi septentrionale, la portion qui fait face à la porte d’entrée montre des traces de peintures qui montent jusqu’à l’étage de la tribune. Parmi celles-ci figure une Cavalcade des péchés capitaux dont on discerne la partie avant : un diable, placé devant la gueule de Léviathan, tire un lion chevauché par un individu à l’aide d’une chaîne à gros maillons. Cet élément qui, comme à Bourisp par exemple, représente traditionnellement l’orgueil, vient compléter un corpus déjà

18 Sylvie Decottignies et Claire Péquignot, « L’église Saint-Calixte de Cazaux-Fréchet (Hautes- Pyrénées) : Son architecture et ses décors monumentaux », Les Hommes et leur Patrimoine en Comminges - Identités, Espaces, Cultures, Aménagement du territoire , actes du 52 e Congrès de la Fédération historique de Midi-Pyrénées, Saint-Gaudens, 25-27 juin 1999, Saint-Gaudens, 2000, p. 613-638. 7 important pour ces régions montagnardes 19 . Notons aussi la présence de fragments peints sur la même paroi, à l’est de l’arc d’entrée de la chapelle. Même si la totalité du décor ne peut être étudiée pour l’instant, il est intéressant de remarquer qu’à quelques kilomètres de Mont, l’église de Cazaux-Fréchet a elle aussi bénéficié du talent de l’atelier de Melchior Rodiguis.

Son passage se note également à Aranvielle (fig. 6). Ici, la découverte de peintures inédites dans l’église Saint- Martin eut lieu en 1999 lorsque l’on décida de remettre en valeur l’édifice 20 . Le décor se déploie sur la conque de l’abside, et présente bien des similitudes avec ceux de Mont et de Cazaux-Fréchet, surtout concernant le Christ Juge et les fig. 6 (M.S.G) évangélistes (dont les phylactères sont cette fois-ci dotés d’inscriptions écrites dans le bon sens) (fig. 7, 8, 9 & 10).

Un ange guerrier (peut-être saint Michel) apparaît sur la paroi méridionale de l’abside (fig. 11), l’autre côté montrant des fragments qui peuvent être interprétés comme faisant partie d’une Visitation (fig. 12), et qui sont plus fig. 7 (M.S.G) fig. 8 (M.S.G) récents que les peintures de la voûte. La retombée septentrionale de l’arc doubleau qui ouvre sur le chœur montre pour sa part un saint Christophe (fig. 13). Ces différents éléments permettent de penser que l’espace intérieur de l’église d’Aranvielle avait bénéficié de deux campagnes décoratives successives, l’atelier de

19 Marc Salvan-Guillotin, « Le thème de la Cavalcade des péchés capitaux dans la peinture murale des Pyrénées Centrales à la fin du Moyen Âge », Les Hommes et leur Patrimoine en Comminges , p. 651-668. 20 Les travaux de restauration des peintures eurent lieu en 2000 grâce à l’intervention de Madame Marijkebos qui céda par la suite le marché à Monsieur Jeannusz Sobalski. Ces restaurateurs se sont aussi chargés de la patine d’harmonisation du reste de l’édifice, se limitant pour les peintures qui nous intéressent à un nettoyage et à une fixation. Précisons que si les zones figuratives n’ont pas été retouchées, certaines frises ont pour leur part été restituées. 8 Melchior Rodiguis étant responsable de la première (décor de la voûte et du sud de l’abside).

fig. 9 (M.S.G) fig. 10 (M.S.G)

fig. 12 fig. 11 (M.S.G) (M.S.G) fig. 13 (M.S.G)

Autres exemples de l’activité de l’atelier, les peintures de la nef de Saint-Blaise de Ris furent découvertes durant l’hiver 1997-1998, au cours d’une restauration globale de l’édifice. Le dégagement de la baie sud qui avait été obstruée au XVIII e siècle permit la mise à jour d’une ardoise plaquée contre son ébrasement oriental. En ôtant cet élément l’on s’aperçut que, précautionneusement placé là au XVIII e siècle, il avait eu pour but de protéger une figure d’évêque peinte (fig. 14), maigre vestige de l’activité de Melchior Rodiguis et de ses compagnons (qui avaient aussi œuvré dans la

chapelle nord comme le montrent les frises qui y sont fig. 14 (M.S.G)

9 conservées de manière partielle) 21 .

L’inventaire doit être complété par des peintures qui se trouvent cette fois non plus dans les hautes vallées pyrénéennes, mais dans le piémont tout proche : il s’agit de celles de la nef et de la seconde chapelle méridionale de Notre- Dame de Garaison (fig. 15). La renommée de ce sanctuaire marial, ancêtre de celui de 22 , reposait au XVI e sur le pèlerinage que l’apparition de la Vierge à Anglèze de Sagazan 23 , jeune bergère du pays, y avait motivé. Ces peintures prouvent que ces artistes ne se fig. 15 (M.S.G) limitaient pas à travailler dans les vallées au sein d’églises proches les unes des autres, mais qu’ils faisaient parfois des incursions dans des endroits plus éloignés de leur zone d’activité habituelle 24 . Le décor de la nef est le plus original car il se compose de peintures ex-voto qui relatent les miracles de la Vierge afin d’illustrer et de prouver l’efficacité de son intercession, thème central dans les Pyrénées durant la seconde moitié du XVI e siècle. Certaines de ces scénettes

21 Les renseignements relatifs à cette découverte nous ont été fournis par Françoise Rigaldiès-Marcos, qui était alors Conservatrice des Antiquités et Objets d’Art des Hautes-Pyrénées. 22 Georges Costa, « La restauration de la chapelle Notre-Dame de Garaison », Les Monuments Historiques de la France , n°5, 1975, p. 17-27 ; Xavier Recroix, « Chronique commingeoise - La chapelle de Garaison », Revue de Comminges , tome LXXXVIII, 1 e trimestre 1975, p. 68 ; « L'église de Garaison », Bulletin de la Société Académique des Hautes-Pyrénées , années 1976-1977, p. 47-57 ; « La chapelle de Garaison », Bulletin de l'Amicale des Anciens élèves de Garaison , n°153-154, juillet et octobre 1974 ; Anglèze de Sagazan et la chapelle de Garaison , Pau, 1983 ; La chapelle de Garaison , Lourdes, 1974 ; « La construction de l'église de Monléon-Magnoac et de la chapelle de Garaison - La date des apparitions de Garaison », Bulletin de l'Amicale des Anciens élèves de Garaison , n°151, janvier 1974 ; « Les fresques du XVI e siècle de la chapelle de Garaison », Revue de Comminges , tome LXXXVI, 4 e trimestre 1973, p. 371-385. 23 Pierre Geoffroy, Les Merveilles de Nostre-Dame de Garason , Bordeaux, 1607 ; E. Molinier, Le Lis du Val de Garaison , 3 e éd., Toulouse, 1700. 24 Le même fait se reproduisit d’ailleurs quelques années plus tard quand un nouveau groupe de peintres, qui avait lui aussi surtout œuvré en Aure et Louron, vint compléter le travail de Rodiguis et de ses disciples, en décorant la première chapelle méridionale et la seconde chapelle nord du sanctuaire. Consulter Marc Salvan-Guillotin, « Le décor peint de l’église San-Juan-Bautista de San- Juan de Toledo de La Nata… » ; « Le mobilier en bois de la chapelle Saint-Etienne de Gouaux » et La piété en images – Entre Comminges et Aragon du nord, ateliers de peintres décorateurs d’églises de 1599 à 1607 , Mémoire de doctorat nouveau régime d’histoire de l’art, Université de Toulouse-Le Mirail, octobre 2000, 4 vol. 10 sont de beaux morceaux : c’est notamment le cas de celle qui narre un spectaculaire naufrage dans la première travée (fig. 16). Le décor de la seconde chapelle méridionale relate la vie de saint Jean-Baptiste pour l’évocation de laquelle l’on s’est inspiré de la Légende dorée afin de donner une ampleur considérable au cycle, en représentant tour à tour le Prêche, l’Arrestation, la Danse de Salomé (fig. 17) et la Remise du chef à Hérodiade, avant de conclure par l’Incinération des restes du saint. Ces évocations illustrent le succès remporté d’une part par un système narratif encore médiéval, car empreint de nombreux détails, mais également par une histoire dont la conclusion passait pour fig. 16 (M.S.G) s’être déroulée dans la région : l’on prétendait en effet de manière erronée qu’Hérode et sa famille avaient été exilés à Lugdunum Convenarum et que Salomé avait péri dans le lac de Barbazan.

Un dernier exemple des productions de l’atelier de Melchior Rodiguis se trouve dans l’église de Jézeau 25 au sein d’un lambris peint qui couronne la nef et l’abside. L’observation de cette œuvre magistrale montre qu’ici l’atelier a collaboré avec d’autres praticiens qui ont su

insuffler à cette production un aspect plus fig. 17 (M.S.G)

25 Les éléments du décor de l’église de Jézeau ont déjà été publiés par d’autres chercheurs. Consulter par exemple Robert Gavelle, « Sur l'église de Jézeau - A propos d'une publication récente », Revue de Comminges , tome XCVIII, 3e trimestre 1985, p. 377-380 ; Robert Mesuret, « Le décor peint des menuiseries en Languedoc du XIII e au XVI e siècle », Bulletin de la Société de l'Histoire de l’Art Français , 1965, p. 15 ; Robert Mesuret, « Les Primitifs du Languedoc - Essai de catalogue », Gazette des Beaux- Arts , tome LXV, janvier 1965, p. 27 ; Lucienne Michou, L'église Notre-Dame de Jézeau, classée en totalité Monument Historique en 1971 , Tarbes, 1984 ; Lucienne Michou, « Pour une lecture neuve des peintures de Jézeau », Bulletin de la Société Académique des Hautes-Pyrénées , 1980-1981, p. 135-138 ; Lucienne Michou, « Visite imaginaire de l'église de Jézeau en vallée d'Aure », Bulletin de la Société Ramond , 1986, p. 105-112. 11 maniériste que dans les ensembles précédents. La maestria avec laquelle sont par exemple rendus les nus et les costumes montre une certaine emprise de l’italianisme et notamment de l’école bellifontaine. Les scènes ne se déploient que dans la partie orientale de l’église, le reste étant orné d’un faux parement de briques. La première travée comporte le Martyre de Blaise (fig. 18) et celui de Sébastien (saint antipesteux dont la représentation est liée à l’épidémie qui frappa le village

fig. 18 (M.S.G) après 1534) 26 (fig. 19), ainsi qu’une Assomption de la Vierge fortement repeinte à une date inconnue 27 . Sont rassemblés près de l’autel les thèmes à connotation eucharistique que sont le Repas chez Simon (fig. 20), la Cène (fig. 21), ainsi que six anges portant les

instruments de la Passion. fig. 19 (M.S.G)

fig. 20 (M.S.G) fig. 21 (M.S.G)

26 François Marsan, « Peste et incendie à Jézeau au milieu du XVI e siècle », Bulletin de la Société Académique des Hautes-Pyrénées , 76 e année, 1929, p. 25-26. 27 Le décor a été restauré en 1952-1953 par l’atelier Malesset. Des clichés anciens montrent qu’avant cette date la voûte avait été grandement retouchée et l’on peut penser que l’Assomption garde la trace de ces repeints qui ont été supprimés partout ailleurs par le restaurateur. Voir Marie-Christine Chavoin, Les peintures murales de l'ancien diocèse de Comminges, 1500-1600, étude iconographique , Mémoire de Maîtrise d'Histoire de l'Art, UTM, 1970, non paginé. 12

fig. 22 (M.S.G) fig. 23 (M.S.G) Hormis ces différentes évocations dont la qualité plastique est époustouflante eu égard aux productions contemporaines conservées dans cette aire géographique, le lambris comporte une évocation grandiloquente du Jugement dernier au sein duquel figure l’entrée du Paradis (fig. 22), le combat entre les anges et les démons (fig. 23), ainsi qu’une évocation précise et savoureuse de l’Enfer (fig. 24). Ce dernier lieu a été traité avec une attention toute particulière, son iconographie se montrant parfaitement en accord avec le message culpabilisateur que l’on voulait alors délivrer aux fidèles : l’accent est mis sur les supplices qui y sont infligés, principalement à des personnages féminins 28 (fig. 35).

Cet ensemble exceptionnel vient clore ce bref inventaire des décors attribuables à cet atelier commingeois du dernier tiers du XVI e siècle que l’on peut donc suivre d’église en église grâce à la confrontation stylistique. Tentons à présent de mettre ces peintures en relation avec les œuvres dont les peintres se sont inspirés.

fig. 24 (M.S.G)

28 Marc Salvan-Guillotin, « D’Eve à Marie : représentations féminines dans les décors monumentaux des Pyrénées au XVI e siècle (titre provisoire) », à paraître dans Les sujets féminins et leurs représentations , Traverses (E.A.), Université de Paris 8, 9-11 juin 2005. 13 Les peintures et leurs sources gravées

L’on sait que les ateliers de peintres et de sculpteurs du XVI e siècle constituaient et conservaient des fonds d’estampes dont ils tiraient parti tout aussi bien au moment de la commande que durant la réalisation des décors, celles-ci leur servant de sources d’inspiration. Cette approche des décors peints pyrénéens n’a jamais été tentée jusqu’à présent, c’est pourquoi il nous parait important d’en présenter rapidement les balbutiements, par le biais de quelques exemples particulièrement révélateurs.

Prenons pour commencer la scène de naufrage qui figure dans la nef de Notre-Dame de Garaison (fig. 16) et qui est très proche d’une estampe de Jean Cousin représentant l’emblème de Fortuna naufraga 29 (fig. 25). Même si la position de l’embarcation n’est pas exactement la même, la ressemblance entre les deux figures est troublante. Dans la seconde chapelle sud, l’on trouve aussi l’influence d’œuvres gravées chez les musiciens qui, sur les parois fig. 25 méridionales et occidentales, accompagnent Salomé dans sa danse (fig. 17). On peut les mettre en relation avec les innombrables représentations de lansquenets ou de musiciens qui virent le jour tout au long du XVI e siècle au sein des gravures issues des ateliers allemands (fig. 26). Ces derniers étaient représentés soit en figures isolées soit en duos et arboraient hallebardes, tambours ou fifres 30 .

fig. 26

29 Actes du colloque international sur l’art de Fontainebleau , Fontainebleau et Paris, 18-20 octobre 1972, Paris, Editions du CNRS, 1975, fig.8, p. 132. 30 Voir par exemple pour les lansquenets Adam von Bartsch (dir.), The illustrated Bartsch , 13-2, German masters of the 16th century , New York, 1984, fig. 211C1 p. 385, fig.215 p. 392. Pour les musiciens, consulter Adam von Bartsch (dir.), Id. , 14, fig. 51 p. 59 (Le tambour, 1510), Adam von Bartsch (dir.), Id ., 16, fig. 71 p. 52 (Le fifre), ou fig. 144 p. 203 (Deux musiciens debout, 1538). 14

Les peintures de la voûte de l’église de Jézeau ont-elles aussi bénéficié de l’apport des œuvres gravées. Le Christ du Repas chez Simon (fig. 20) est par exemple issu d’une gravure de Georg Pencz évoquant les Sept œuvres de miséricorde (fig. 27), où le pauvre adopte la même position 31 . Il est possible que les artistes aient aussi tiré parti d’une gravure de Virgil Solis évoquant le Repas fig. 27 chez Simon afin de représenter les convives attablés 32 (fig. 28). Le Dernier Repas qui se trouve juste en face (fig. 21) est quant à lui issu d’une gravure célèbre de Marcantonio Raimondi datée des années 1515-1516 et reproduisant peut-être un dessin de Raphaël conservé à Windsor 33 (fig. 29). fig. 28 (M.S.G)

fig. 29

31 Adam von Bartsch (dir.), Id. , 16, fig. 59 p. 102. 32 Adam von Bartsch (dir), Id. , 19 (part 1), fig.1.184 p. 376. 33 Adam von Bartsch (dir), Id. , 26-27, fig. 26 p. 41 ; Raphaël dans les collections françaises , catalogue d’exposition, Paris, Grand Palais, 15 novembre 1983 – 13 février 1984, Paris, 1983, fig. 13, p. 336. Notons que le succès de cette composition est illustré par le fait qu’elle servit aussi de modèle au Greco pour un tableau datant des années 1570-1575 (Bologne, Pinacoteca Nazionale), et qu’on la retrouve utilisée pour une majolique datée des environs de 1525 et conservée au Louvre. Pour ces deux exemples, consulter Cène , Paris, 2000, respectivement p. 132 et 110. 15 Même si les artistes ont en grande partie copié la source qui leur servait de base, ils y ont néanmoins apporté quelques modifications, notamment dans les positions de Jean et de Judas, ainsi que dans le décor de la scène. D’autres influences italianisantes se devinent au sein de la femme qui, placée de face et vêtue à l’antique, est à l’entrée du Paradis (fig. 22) : elle trouve presque son équivalent dans celle qui figure dans La Jeunesse perpétuelle perdue par les hommes de la galerie François I er de Fontainebleau 34 .

Au-dessus, les anges qui disputent les âmes aux démons (fig. 30) rappellent certains putti ou angelots qui apparaissent dans les productions du même foyer, notamment celui qui, dans la galerie de Fontainebleau, occupe le quart supérieur droit de la scène qui relate la Mort d’Adonis 35 . De l’autre côté de l’abside, l’Enfer a lui fig. 30 (M.S.G) aussi bénéficié d’une influence extérieure : pour preuve, le centaure qui, doté d’une trompe, porte sur son dos une pécheresse dénudée (fig. 24). On peut lui trouver des équivalents dans la cathédrale de Saint-Bertrand- de-Comminges, sur une miséricorde du chœur qui est décorée d’un

ichtyocentaure chevauché par une fig. 31 femme 36 (fig. 31).

34 Henri Zerner, L’art de la Renaissance en France – L’invention du classicisme , Paris, 1996, fig. 73, p. 74. Voir aussi Albert Châtelet, La peinture française – XV e et XVI e siècles , Genève, 1992, p. 82 et 84. 35 La galerie François I er au château de Fontainebleau , numéro spécial de la Revue de l’art , 1972, n°16-17, Paris, 1972, fig. 163, p. 113. 36 Sylvie Augé, Nelly Pousthomis-Dalle, Michèle Pradalier-Schlumberger, Henri Pradalier, Id ., p. 88. 16 C’est sur le buffet d’orgue (fig. 32) que se rencontre cependant la représentation la plus proche de celle de nos peintures : en effet, au sein du panneau sculpté qui évoque l’ Enlèvement de Déjanire par Nessus (fig. 33), les artistes ont représenté dans la partie haute la fuite du centaure qui porte sur sa croupe l’infortunée épouse d’Hercule 37 . Ce panneau a, comme d’autres épisodes rassemblés sur le buffet de l’orgue, été copié sur une gravure de Gian Jacopo Caraglio, réalisée aux alentours de 1524, et elle-même issue d’un dessin fig. 32 disparu du Rosso 38 (fig. 34).

fig. 33 fig. 34

37 Ibid ., fig. p. 269. 38 La gravure fait partie d’une série de six, dont les sculpteurs commingeois se sont en partie inspirés pour les autres panneaux. Elles sont conservées à l’Istituto Nazionale per la Grafica (cabinets des dessins et estampes). Voir Il Rosso e volterra , catalogue d’exposition, Volterra, Pinacoteca comunale, 15 Iuglio-20 ottobre 1994, Venezia, 1994, fig. 6, p. 153. D’après Bartsch cette série est due à une collaboration entre les deux hommes destinée à l’éditeur Baviera. Voir Adam von Bartsch (dir), The illustrated Bartsch , 28, Italian masters of the 16 th century , New York, 1985, p. 165. Consulter en dernier lieu Marc Salvan-Guillotin, « Hercule en Comminges : le décor du buffet d’orgue de la cathédrale de Saint-Bertrand-de-Comminges et ses sources iconographiques », (article à paraître). Noter que la clôture du chœur de Saint-Bertrand-de-Comminges a elle aussi reçu l’influence de sources gravées. Voir Jean-Pierre Suau, « Les voies de la création iconographique profane en Comminges : les pseudo- Preux de douze médaillons de marqueterie de la clôture sud du chœur de Saint-Bertrand-de- Comminges (vers 1535), Les hommes et leur patrimoine en Comminges – Identités, espaces, cultures, aménagement du territoire , actes du 52 e congrès de la Fédération historique de Midi-Pyrénées, Saint- Gaudens, 25-27 juin 1999, Saint-Gaudens, 2000, p. 669-712. 17

Le thème est suffisamment rare dans le contexte pyrénéen pour envisager sérieusement une source commune à la peinture de Jézeau et aux sculptures de la cité épiscopale (la commande du chœur et de l’orgue émane de Jean de Mauléon, évêque de 1523 à 1551, et cette dernière œuvre est tenue pour terminée en 1550). Cette représentation illustre bien l’influence qu’a exercée l’italianisme sur les peintures de la petite église. Il est par ailleurs fort intéressant de noter qu’à l’arrière de cette scène l’esprit n’est plus fig. 35 méridional mais flamand (fig. 35): en effet, les diablotins qui harcèlent les malheureuses damnées font plutôt souffler sur ce décor un esprit flamand, montrant qu’au sein d’une seule et même scène peuvent se manifester deux influences a priori antinomiques, dues aux sources diverses auxquelles puisaient les artistes.

Cette étude, qui se doit hélas d’être trop brève comparée à la matière qu’elle aborde, permet d’illustrer plusieurs faits. L’existence du prix-fait relatif à l’exécution des peintures de la nef de Saint-Barthélemy de Mont représente une source précieuse et unique qui permet d’obtenir des renseignements relatifs non seulement à l’identité du maître de l’atelier, mais aussi au déroulement d’une commande de peintures dans le milieu pyrénéen durant la seconde partie du XVI e siècle. L’attribution de ces nombreux ensembles à un même atelier repose sur des comparaisons stylistiques qui prouvent de manière irréfutable que les artistes se déplaçaient d’église en église, réitérant très souvent les mêmes schémas, et s’aventurant parfois dans le piémont pyrénéen, comme le montrent les peintures de la chapelle Notre-Dame de Garaison. Hormis ces faits, la comparaison de certaines parties de ces ensembles avec des sources étrangères illustre totalement le fait que les artistes, souvent auteurs d’œuvres assez frustes, disposaient de modèles souvent prestigieux qui servaient de

18 base à leur travail. Ainsi, même si cet art est habituellement qualifié de « paroissial » et de « pyrénéen », force est de constater que ses sources peuvent parfois être trouvées ailleurs, au sein de foyers éloignés dont il s’est fait l’écho montagnard.

Crédits photographiques

Tous les clichés ont été réalisés par l’auteur hormis les suivants : - fig. 25 d’ap. Actes du colloque international sur l’art de Fontainebleau , Paris, 1975. - fig. 26 & 27 d’ap. Bartsch, The illustrated Bartsch , 16, New York, 1980. - fig. 28 d’ap. Bartsch, The illustrated Bartsch , 19 (part 1), New York, 1987. - fig. 29 d’ap. Raphaël dans les collections françaises , Paris, 1983. - fig. 31, 32 & 33 d’ap. Sylvie Augé, Nelly Pousthomis-Dalle, Michèle Pradalier- Schlumberger, Henri Pradalier, Saint-Bertrand-de-Comminges, le chœur Renaissance – Saint-Just de Valcabrère, l’église romane , 2000 (photographies Michel Escourbiac). - fig. 34 d’ap. Bartsch, The illustrated Bartsch , 28, New York, 1985. - fig. 35 d’ap. Peintures monumentales en Vallée d'Aure - Hautes-Pyrénées , 1995.

19 ANNEXE 1 – Accord entre Melchior Rodiguis et les habitants de Mont-en-Louron pour la réalisation des peintures de la nef de Saint-Barthélémy (12 mars 1564) ADHG 3E 35 161

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