ET LA à travers l'Histoire JUSTIFICATION DU TIRAGE :

DE CET OUVRAGE, COMPRENANT 64 PAGES IMPRIMÉES EN HÉLIOGRAVURE SUR PAPIER TYPÉLIO NAVARRE, IL A ÉTÉ TIRÉ 250 EXEMPLAIRES SUR PAPIER LUXE VÉLIN MADAGASCAR NAVARRE, NUMÉROTÉS DE 1 A 250, ET 2.500 EXEMPLAIRES SUR PAPIER BOUFFANT DES PAPETERIES L'ALFA FRANÇAIS, DONT 500 EXEM- PLAIRES RELIÉS, NUMÉROTÉS DE 251 A 750. VICTOR MIARD

LA MURE

ET LA MATHEYSINE à travers l'Histoire

Préface de ROBERT AVEZOU Du même auteur :

En collaboration avec René Reymond : Le chanoine Auguste Dussert (1872-1958), historien de La Mure et des Etats du Dauphiné; avec un Sonnet de Jules Bourron.

Sous le pseudonyme de Draim : Auguste Davin, statuaire, graveur en médailles ( 1866-1937) Préface de Paul Fabre.

En collaboration avec Georges Chapier : Les documents postaux de la guerre de 1939-1945. A TROIS OMBRES A MA COMPAGNE V. M.

« Tout le monde avoue que l'homme qui raconte doit dire la vérité clairement ».

STENDHAL.

VILLE DE LA MURE

PRÉFACE

Au long de près de cinquante chapitres qui fouillent jusque dans ses menus détails l'histoire de l'active capitale de la Mathey- sine et de son arrière-pays, un enfant de La Mure, après Auguste Fayolle, après le chanoine A. Dussert et d'autres devanciers tous animés d'un même culte de leur petite patrie, offre à son tour au public le résultat de patientes et minutieuses recherches qui font de son livre : La Mure et la Matheysine à travers l'Histoire, une des plus attachantes et complètes évocations inspirées de nos jours par le passé d'une ville dauphinoise. Victor Miard, ancien élève du collège de La Mure, de l'école de dessin et de sculpture de , puis des écoles nationales des arts décoratifs et des beaux-arts de Paris, a professé le dessin pendant plus de quarante ans dans l'établissement où il avait fait ses études secondaires. Correspondant local parti- culièrement efficace du Petit Dauphinois et du Dauphiné Libéré, dans l'édition muroise de ces journaux d'avant et d'après-guerre, dont les lecteurs pouvaient depuis longtemps apprécier ses qualités d'historien et d'artiste, comme ses connaissances profondes en philatélie, nul n'était plus hautement qualifié que lui pour cou- ronner par le substantiel ouvrage que j'ai l'honneur aujourd'hui de préfacer, l'œuvre de ses prédécesseurs. Depuis sa naissance, contemporaine de l'administration mémorable du maire Chion-Ducollet, « l'Empereur de la Mathey- sine », Victor Miard a vécu dans le décor quotidien de l'austère cité, offrant ses façades grises à l'âpre souffle du vent qui balaye le plateau des rives du grand lac de , illustre à jamais depuis la « Rencontre » du 7 mars 181 5, au rebord de la falaise dominant au sud le et la Bonne qu'enjambe sur le « Ponthaut » la route du Beaumont et du Champsaur. Entre ces pierres sévères chargées de souvenirs, et Victor Miard, le dialogue s'est poursuivi de l'enfance à la vieillesse; il aboutit aujourd'hui à cette somme étonnante de connaissances que nous apporte un livre dont chaque paragraphe témoigne de la sûreté d'information la plus rigoureuse, d'un souci d'exactitude ne négligeant aucun petit détail, sans toutefois que cette minutie se fasse pour autant excessive. Ainsi, dans le dédale des « ruellettes et impasses » des vieux quartiers où l'auteur nous promène de façon si savante et agréable à la fois, se découvriront maints aspects oubliés de la vie muroise, effacés par les transformations profondes que la ville a subies depuis le dernier quart du XIX siècle, et ce n'est pas une des moindres qualités de l'ouvrage que ce contraste qu'il fait ressortir entre l'archaïsme de l'habitat, la stagnation de l'équipement matériel, tels qu'on pouvait les déplorer encore au lendemain de la guerre de 1870, et l'épanouissement qui a suivi sur le plan municipal : ce « prodigieux essor de La Mure de 1886 à 1912 » que retrace si pleinement le chapitre XXXI, un des meilleurs de la partie moderne de l'ouvrage, des plus riches et aussi des plus savoureux, car l'humour matheysin donna sa bonne mesure au temps des Chionnards et des Ficelards... Si des bouffonneries du genre de l'affaire des Robes blanches mettent une note gaie, entre quelques autres, sur la trame des événements qui ont marqué, depuis sa timide entrée dans l'Histoire avec l'humble Mura des Ligures, vingt siècles de vie matheysine, force est de reconnaître que les plus dures épreuves, calamités et violences n'ont pas épargné, du XV au XVII siècle surtout, la ville natale du doux apôtre saint Pierre-Julien Eymard. Incendies, épidémies, brutalités et cruautés guerrières, manifestations inflexi- bles d'intolérance religieuse, se sont alors implacablement succédé à l'intérieur des murailles d'où les courageux Murois de 1580, que la Cotte-Rouge ait existé ou non, tinrent tête aux assiégeants catholiques conduits par Charles de Lorraine, duc de Mayenne. Victor Miard déroule avec une technique éprouvée ce film millénaire aux multiples épisodes ; ses lecteurs le suivront avec un intérêt croissant, de plus en plus attentifs au fur et à mesure qu'aux données assez confuses dont dipose l'historien jusqu'au XII siècle, se substitueront l'abondance et la précision des docu- ments d'archives, dont un des plus anciens et précieux témoignages, en matière économique, est ce chapitre murois du Probus, contem- porain du règne de Saint Louis, qui déjà parle des mines et métaux dont l'exploitation rationnelle, quatre et cinq siècles plus tard, orientera la petite ville, capitale de la Matheysine dès l'époque delphinale, vers sa fonction de centre du plus considérable bassin houiller des Alpes françaises. « Par horribleté du fue qui a esté en ycelle ville depuis dix jours encza ilz ont perdu plus de la tierce partie de leurs hostelz et maisons... », écrivait en 1447 à propos du sinistre qui venait de ravager La Mure, le dauphin Louis II, futur Louis XI ; ces lignes donnent une idée de la précarité de l'existence quotidienne il y a cinq siècles : toitures de chaume ou d'essandoles, pas d'eau pour circonscrire les incendies ; il est arrivé que la ville brûlât à quatre ans d'intervalle ! seuls restaient intacts les principaux édifices : l'église Notre-Dame, les trois châteaux dont un seul demeure aujourd'hui, celui de Beaumont, qui abrite le lycée mixte nationalisé, les demeures des notables, les remparts... Les destructions des guerres de Religion allaient faire à nouveau de La Mure, dont les plaies avaient été pansées, une ville souffrante ; le siège de 1580, l'incendie volontaire allumé alors par les fana- tiques défenseurs, accumulèrent les ruines ; pendant deux siècles encore, par suite de la destruction des fontaines, les Murois en resteraient réduits à l'eau des puits. Une fois terminé l'entracte de paix et de prospérité dû à l'action unificatrice d'Henri IV et à l'habile administration de Lesdiguières, le « vice-roi » du Dau- phiné, le retour à l'intolérance assombrissait derechef l'horizon matheysin; Victor Miard a remarquablement traduit dans son chapitre XVIII : Le Protestantisme à La Mure, l'affreux climat de suspicion, de vexation et de persécution dans lequel dut vivre la fière communauté réformée locale aux approches de la déplorable Révocation de 1685. Tout en gardant l'objectivité qui est l'astreinte de tout historien, l'auteur a laissé deviner, comme il se devait, les sentiments de tristesse que lui inspire cette déshonorante époque, où les dirigeants croyaient qu'une « terrible mission bottée », pouvait suffire à forcer les consciences. Toutes blessures se cicatrisant, avec le temps, la raison finissait par l'emporter et la différence de confession n'était plus, un grand siècle après, un obstacle de nature à rendre insuppor- tables les relations humaines. Peut-être les descendants murois des victimes des Dragonnades éprouvèrent-ils une réelle pitié pour Pie VI malheureux, véhiculé sans égards par les autorités du Directoire à travers les Alpes vers Valence où il allait mourir épuisé; après Richelieu et Louis XIII logeant en 1629 chez le châtelain Moïse Duport, seize ans avant Napoléon qui n'accor- derait qu'une halte de deux heures aux Mur ois ébaubis, un pape passait deux nuits dans la maison Genevois sommairement amé- nagée pour la circonstance, mais son auguste présence n'inspirait pas pour autant le respect à de jeunes garnements, inventeurs, dès l'arrivée du pontife harrassé, d'une mystification qui scanda- lisait fort les dévotes... Ce sont ces petits faits, narrés sobrement, étayés d'un robuste appareil de notes, qui donnent un cachet bien typique à cette nouvelle Histoire de La Mure et de la Matheysine. Le livre de Victor Miard en foisonne et rien n'est oublié, des séjours et de la mort en 1163 de la pieuse Marguerite, veuve de Guigues IV, dans le décor primitif du château delphinal, aux épisodes navrants de l'occupation allemande de 1944 dont le monument élevé à un pauvre enfant de quatorze ans, victime innocente de l'affolement des occupants, perpétue le lourd souvenir. Cette fresque d'histoire muroise et matheysine a été brossée sans préférence particulière accordée, en dépit des apparences, au facteur événementiel ; les courants économiques, la courbe de l'évolution sociale, les progrès de l'enseignement, de l'assistance publique, l'exercice du culte, le problème démographique, la transformation industrielle, de l'artisanat à l'ère des charbonnages et à celle des grands barrages dont le Drac voisin offre un chapelet caractéristique, y sont tour à tour étudiés ; ni la nature ni les hommes ne sont absents de cette exhaustive recension : tous les Murois qui, à un titre quelconque digne de mémoire, ont tenu une place dans la vie de leur cité, y font l'objet de notices précises (les Combourcier, les Duport, les Genevois, les Guillot, saint Pierre-Julien Eymard, Marcel Reymond, Henri Giroud, le médecin Tagnard, Henry Rousset... entre beaucoup d'autres qu'on ne peut tous citer) ; les sites matheysins les plus typiques et les monuments ou vestiges archéologiques qui les marquent y sont décrits avec ferveur (Ponthaut, Roche-Paviote, Ratier, Savel, église de Saint-Théoffrey, château de , pont et chapelle de Cognet, château de La Motte, etc.). Le double but de Victor Miard : faire mieux connaître et comprendre à ses concitoyens l'histoire de leur ville; inciter les gens pressés à accorder plus qu'un regard, sur la route du Midi, à La Mure et à ses environs, est pleinement atteint; son beau livre, si éclectiquement et artistement illustré, où l'art de la présentation s'ajoute à la science du conteur, constituera pour le pays matheysin la plus noblement qualifiée des propagandes.

Robert AVEZOU. LIMINAIRE

C'est un hommage ému et fidèle qu'en ces lignes limi- naires nous avons à cœur de rendre tout d'abord à la mémoire de notre compatriote, le chanoine Auguste Dussert, historien de La Mure et des Etats du Dauphiné, décédé à le 15 novembre 1958. Dès 1902, l'abbé Dussert publia l'Essai historique sur La Mure et son mandement, ce monument — devenu rare — auquel il faut toujours revenir, et plus particulièrement pour l'étude du passé de la Matheysine jusqu'à cette grande date où s'inscrit la mort de Lesdiguières, marquant la fin des guerres religieuses et précédant de peu la « suspension » des Etats de la province et la perte de nos libertés communales. C'était sa première œuvre; elle était déjà excellente : celle d'un chercheur allant aux sources et les soumettant à un contrôle rigoureux, d'un historien épris de vérité, d'exactitude, de précision, de clarté, au demeurant sans aucune complaisance partisane, et d'un incontestable mérite littéraire. Au cours des entretiens si cordiaux qu'il nous accorda, des années durant, en période de vacances, dans son accueil- lante maison de famille du Villard-de-La Motte-d'Aveillans, nous avons largement profité des avis éclairés du maître sur certains points controversés (1).

(1) Cf. Victor Miard et René Reymond. Le chanoine Auguste Dussert ( 1872-1958), historien de La Mure et des Etats du Dauphiné; avec un Sonnet de Jules Bourron. Bourgoin, Cusin, 1959. Né à La Motte-d'Aveillans le 20 novembre 1872, Auguste Dussert, après avoir fait d'excellentes études au petit et au grand séminaire de Gre- noble, puis aux Facultés catholiques de Lyon, fut professeur au Rondeau (1893-1901) et ensuite à l'externat Notre-Dame (1903-1946). Pendant plus de vingt années, il enseigna en outre l'histoire du Moyen Age à la Faculté libre des Lettres de Lyon. En 1902, il consacra à son pays une thèse de doctorat ès lettres d'Univer- Notre profonde gratitude va à toutes les personnes qui nous ont aidé dans notre travail. A M. Robert Avezou, conservateur en chef, directeur des Services d'Archives du département de l'Isère, préfacier de ce livre, à l'érudition et à l'extrême obligeance de qui nous avons souvent fait appel et dont les encouragements, les témoignages de confiance et d'estime nous ont été si précieux. C'est grâce à un important dossier oublié, appartenant aux Archives départementales et relatif à l'érection de la statue de Napoléon I à Grenoble, mis entre nos mains par M. Avezou, que nous avons pu retracer pour la première fois, depuis ses origines, l'extraordinaire histoire de la figure équestre se dressant de nos jours au bord du Grand Lac de Laffrey. Ensuite, à : M. Henri Second, secrétaire général de la mairie de La Mure. Nos archives communales — les plus importantes du département après celles de Grenoble, Vienne, et Bourgoin — ne manquent pas d'être riches relativement à la période moderne. Malheureusement, leur dernier classement, qui remonte à 1875, n'a pas été effectué suivant les règles de la division par séries, déjà prescrite et toujours en usage. Le même numéro de répertoire renferme des documents sur les sujets les plus divers, que séparent parfois, dans le temps, quelque deux siècles ! D'autre part, l'inventaire ne donne aucune analyse, même sommaire, du contenu de chaque pièce. M. René Reymond, secrétaire de mairie à Pierre-Châtel, que rien de ce qui touche à la petite patrie ne laisse indifférent. La belle bibliothèque dauphinoise formée par cet amateur,

sité, avec l' Essai historique sur La Mure et son mandement, depuis les origines jusqu'en 1626, ouvrage auquel s'ajoutèrent, l'année suivante, des Ephémérides jusqu'en 1903 (Paris, Alphonse Picard et fils, et Grenoble, Alexandre Gratier et Jules Rey; 2 édit., 1903). Entré, en 1904, à l'Académie delphinale, reçu, en 1907, membre titulaire de cette Académie, l'abbé Dussert soutint, en 1915, une seconde thèse : Les Etats du Dauphiné aux XIV et XV siècles. et une autre thèse complémentaire : Les séminaires de l'ancien diocèse de Grenoble. Origines et fondation (1656?-1717), pour le doctorat ès lettres d'Etat. Il poursuivit son étude sur les Etats dans un second volume : Les Etats du Dauphiné de la guerre de Cent Ans aux guerres de Religion (1457-1559), qui parut en 1923. Il entreprit enfin un volume final, dont il écrivit les premiers chapitres, sur Le baron des Adrets et Catherine de Médicis. Mais ses obligations professorales absorbant alors toute son activité, il ne put parfaire sa tâche. L'histoire des Etats du Dauphiné demeure l'œuvre maîtresse de l'abbé Dussert. Le premier volume obtint le Grand Prix Gobert de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, et le second volume, la Première médaille des Antiquités nationales de la même Académie. son importante collection de documents manuscrits, le fruit de ses recherches personnelles — notamment dans nos grands dépôts publics — mis à notre disposition avec une complai- sance qui ne s'est jamais démentie, ont été pour nous de très appréciables ressources. Nos remerciements vont également à : M. André Gauthier, conseiller général et député de l'Isère, M. le chanoine Albert Mougenez, curé-archiprêtre de La Mure, M. Marcel Piguet, ancien pasteur de La Mure, Me Maurice Arnaud, notaire, maire de Savel, président de l'Association des maires du canton de La Mure, Mme Yvonne Magnin, auteur, entre autres, d'une inté- ressante étude, Le dernier seigneur de Ratier, ayant fait l'objet d'une communication à l' Académie delphinale, Mme Emmanuel Perrin, Mme Antoine Barnola, M. Roger Mazauric, ingénieur-expert, M. Charles Guinet, ancien directeur général des Houillères du Bassin du Dauphiné, M. André Tagnard, président du Syndicat agricole de La Mure, administrateur de la Caisse de crédit de l'Isère, M. Fréjus Michon, président de la Fédération des syndicats agricoles de l'Isère, président de l' Union laitière muroise, conseiller économique, M. Jean Haudour, ingénieur géologue aux H. B. D., M. Jean Sarrot-Reynauld, maître de conférences à la Faculté des sciences de Grenoble, M. Jean Rousset, libraire, président de l' Union des pêcheurs de la Matheysine, M. le docteur Pierre Barnola, M. Pierre Reynier, professeur au Centre d'apprentissage des H. B. D., M. Pierre Vaillant, conservateur en chef de la Bibliothèque de Grenoble, M. Vital Chomel, conservateur des Archives de l'Isère, M. André Perret, directeur des Archives de la Savoie, Mlle Suzy Dauriac, artiste peintre, M. Maurice Drezet, spécialiste de photographie judi- ciaire, M. Jean Oliver, photographe, M. Jean Perrin, artiste E. F. I. A. P., M. René Dallevet, Et à quelques autres collaborateurs bénévoles, pour leur dévoué concours et les renseignements qu'ils nous ont apportés. A tous, nous offrons ici l'expression de notre reconnais- sance; qu'ils veuillent bien l'agréer. Victor MIARD. La Mure, le 25 août 1964. 1. ARMOIRIES DE LA MURE (Hôtel de Ville), par V. Miard.

2. LA MURE VERS 1885. Coll. V. Miard.

INTRODUCTION

Au cours des temps géologiques, le sol de notre région a connu bien des bouleversements. Il y a quelque trois cents millions d'années, à l'emplace- ment du plateau de la Matheysine se trouvait un très vaste lac, large d'une vingtaine de kilomètres, qui s'étendait, au nord, jusque dans le massif du Mont-Blanc, et, au sud, croit- on, jusqu'à Digne. Les rives de ce lac étaient dominées par de hautes mon- tagnes, contemporaines des Vosges et du Massif Central, que constituaient d'anciens terrains cristallins dont l'âge n'a pu être établi de façon précise (1) et généralement dits anté- houillers : schistes sériciteux, relativement tendres et altérables, soyeux au toucher, des séries cristallophylliennes acides, pouvant de nos jours être observés dans les bombements centraux — collines des Creys et colline de Bramefarine — que les géologues désignent sous le nom de « Dôme de La Mure » ; gneiss, amphibolites, caractéristiques des séries cristallophylliennes basiques et roches intrusives nombreuses, existant dans le chaînon oriental Grand-Serre-Tabor, où des massifs de gabbros et de péridotites se succèdent de la façon la plus capricieuse. Bordé au sud et à l'est par un liséré d'amphibolites, ce chaînon a une ossature faite de noirs et durs gabbros qui émergent à son sommet et se dressent sur son flanc en deux pitons remarquables, appelés « les Oreilles du Loup ». Quant aux péridotites, par altération de leur péridot,

(1) Ces terrains antéstéphaniens, entièrement métamorphisés, ne contiennent plus aucun débris organique, ce qui rend impossible leur classe- ment dans la chronologie géologique, établie d'après l'évolution des espèces. Les plus anciens fossiles que l'on ait jamais trouvés dans les Alpes françaises et suisses datent de l'époque houillère. elles sont devenues les célèbres « serpentines du Tabor », couronnant la partie nord de cette montagne et apparaissant sur tout le plateau du Grand-Serre et sur la crête de la Chinarde où on les exploita autrefois comme marbre vert des Alpes (1). C'est sur un tel ensemble que se sont déposés les sédi- ments du houiller, sables et argiles — origines des schistes et des grès — ainsi que couches d'anthracite, remarquablement développées et provenant de la décomposition d'une végétation puissante, faite de cryptogames vasculaires (fougères, calamites, sigillaires, lépidodendrons) et de gymnospermes (ptérido- spermées, cordaïtes), qui se répandit en d'immenses forêts marécageuses sur l'aire de l'ancien lac, comblé par les apports des torrents érodant les massifs en bordure (2). La présence d'empreintes de fougères de l'espèce Pecopteris lamurensis (de La Mure), et plus particulièrement de fossiles de faune limnique, tels que le mollusque bivalve Anthraconoia prolifera et les deux petits crustacés, Leaia Baentschi et Estheria ceben- nensis (des Cévennes) (3), permettent de situer ce terrain à la limite du Westphalien et du Stéphanien. En discordance sur son substratum, le houiller affleure largement de part et d'autre du Dôme de La Festinière pour disparaître sous la couverture mésozoïque. Les ultimes mouvements hercyniens se traduisent par un faisceau de plis aigus et serrés qui, du nord au sud, vont l'affecter de failles multiples. Pénéplané à son tour par une érosion intense, qui décape en grande partie le carbonifère et même, par endroits, entame le cristallin de base, le nouveau relief se recouvre de dépôts laguno-marins, qui deviendront les dolomies, cargneules (4) et anhydrites, typiques du trias des Alpes dauphinoises. Avec les mers du lias et du jurassique moyen tout est de nouveau submergé (5) et d'énormes masses sédimentaires

(1) C'est la marbrerie Escalle, de La Mure, qui, se chargeant de cette exploitation, exécuta, de 1892 à 1894, en serpentine du Tabor, les colonnes de la basilique de Fourvière à Lyon. (2) La période carbonifère (carbonifère inférieur ou dinantien et carbo- nifère supérieur ou houiller) s'étend sur environ 85 millions d'années. La période permienne (25 millions d'années) lui succède dans l'ère primaire (360 millions d'années). (3) Ce n'est guère qu'à partir de 1918 que des empreintes de phyllopodes ont été identifiées. (4) -Percée (altitude : 1 220 m), sur la pente finale sud du sixième sommet des colline des Creys, est un curieux lambeau de cargneule. (5) Sous des eaux agitées et de faible profondeur vivaient des oursins et surtout des crinoïdes ou encrines, échinodermes à la tête en forme de fleur portée par un pédoncule atteignant jusqu'à 15 mètres. Des cristaux s'accumulent. Le jurassique inférieur, ou lias, est le terrain prépondérant dans les deux chaînons parallèles Connex- Seneppi et Grand-Serre-Tabor. Derniers terrains secondaires que les érosions aient respecté en Matheysine, le bajocien et l'aalénien (jurassique moyen ou dogger), que caractérisent de grandes épaisseurs de calcaires marneux, constituent le Breydent et le Cimon (1). Sur les lieux des anciennes mers, les mouvements alpins, durant le tertiaire (2), donnent naissance à la chaîne de Belle- donne qui, se divisant au nord de la , devait former dans notre région, au cours de quelques millions d'années, deux rameaux cristallins. Au rameau externe, large anticlinal bosselé, tranquille, plongeant au midi entre Prunières et Saint-Arey, appartient le Dôme de La Mure; au rameau interne, la chaîne du Taillefer et de l'Armet, laquelle, s'inflé- chissant fortement au sud-est, s'éloigne du rameau externe et préfigure avec celui-ci le relief de l'auge matheysine. Au quaternaire, où de longues périodes de froid intense se produisent à diverses reprises et ont pour conséquence l'accumulation de la neige, bientôt changée en glaces d'épais- seurs considérables, vont se modeler, sous l'action des glaciers et des eaux, les dernières formes qui donneront à nos paysages leur physionomie d'aujourd'hui. Pendant la période interglaciaire Riss-Würm, le Drac creuse dans le jurassique calcaréo-schisteux une vallée presque aussi profonde que celle que nous lui connaissons, mais bien

de calcite, résultant de la fossilisation d'articles (ou entroques) d'encrines et de piquants d'oursins, ont formé en grande partie les calcaires bleuâtres, durs et à cassure miroitante, dits de Laffrey — caractéristiques du lias de la région de La Mure — qui sont de bons matériaux de construction (colonnes de la halle de La Mure, provenant des carrières de Laffrey; viaduc de la Roizonne, dont la pierre a été extraite à Versenat). Dans les mers, pullulaient des brachiopodes, des mollusques bivalves très variés, des ammonites, bélemnites, posidonies, et aussi des poissons, des batraciens et des reptiles nageurs. Les restes de ces dernières espèces sont extrêmement rares. (1) L'ère secondaire ou mésozoïque, qui comprend le trias, le jurassique et le crétacé, a duré quelque 135 millions d'années. (2) Au tertiaire ou néozoïque (durée : environ 54 millions d'années) le sol, dans nos pays, était recouvert d'une végétation luxuriante : pins, sapins, mélèzes, genévriers... bouleaux, hêtres, saules, platanes, tilleuls, érables, chênes, châtaigniers ... palmiers, grenadiers, camphriers, figuiers, lauriers, magnolias... Cette extrême variété d'espèces, se développant de nos jours sous des latitudes diverses, ne peut s'expliquer que par une largeur encore très grande de la zone équatoriale. On ne trouve pas de terrain tertiaire en Matheysine. Il faut aller plus au sud, dans le Dévoluy, pour rencontrer des dépôts de cette époque. L'Obiou porte à son sommet un mince placage de conglomérat nummulitique. plus large. Cette vallée est remplie par des alluvions caillou- teuses, souvent conglomérées en poudingues, qui seront abondamment recouvertes de matériaux morainiques argileux, eux-mêmes mêlés de cailloux striés et de blocs erratiques, lors de la seconde glaciation. A cette époque du développement des grands glaciers würmiens, la Matheysine est envahie à la fois, au nord, par un bras de celui de la Romanche, et, au midi, par un bras de celui du Drac, qui se soudent sur le plateau et s'écoulent par La Festinière et les Mottes actuelles. L'avancée du glacier oisanais barre à Champ la vallée du Drac. Le torrent, puis son glacier, sont de ce fait amenés à déposer, l'un ses alluvions, l'autre ses moraines, qui rem- blaient sur près de 400 mètres de hauteur, en s'étalant de plus en plus, le fond interglaciaire, et forment au sud, les vallums du Calvaire et de Péchot. Au nord, les décrues succes- sives laissent ces témoins prestigieux que sont nos lacs. Les glaciers ayant définitivement abandonné la région (1), le Drac établit un autre lit dont le tracé, alors, ne correspondra pas sur tout son parcours exactement au tracé du lit inter- glaciaire. Dans les secteurs où la nouvelle vallée se superpose à l'ancienne, il s'insinue et s'enfonce, en s'élargissant, parmi les sols alluvionnaires; dans ceux, au contraire, où elle s'en écarte, le torrent dévore les dures roches jurassiques et tria- siques qui lui font obstacle et il s'y engouffre en des gorges étroites et pittoresques, les fameuses gorges épigénétiques (2). Ainsi se trouvait à peu près façonné, après de gigantesques transformations, le cadre de la Matheysine. La période qui s'est écoulée depuis le retrait des glaciers est relativement (1) La durée de l'ère quaternaire ou pléistocène a été d'environ un million d'années. C'est surtout à partir du retrait des derniers glaciers que les animaux et l'homme ont dû occuper notre pays. Des hivers longs et rudes devaient cependant contribuer à rendre celui-ci longtemps peu favorable à l'habitat humain. Entre les espèces animales qui vécurent à cette époque, citons celles qui ont pu se développer chez nous, mais dont il n'a pas été retrouvé de traces : mammouth, rhinocéros laineux, élan, auroch ; celles que nos ancêtres connurent et maintenant disparues : ours, renne, loup; celles qui subsistent encore : chamois, renard, marmotte, lièvre. On a recueilli dans les grottes du Vercors de nombreux ossements d'ours des cavernes et des ossements de renne. Il existe d'ailleurs, dans cette région, des abris et stations magda- léniens et néolithiques. (2) Ces phénomènes, minutieusement étudiés par Pierre Lory, devaient poser de délicats problèmes aux ingénieurs hydrauliciens car, sur les bords de la gorge actuelle du Drac, parallèlement, existe le lit du torrent inter- glaciaire, générateur de perte d'eau. La gorge de Cognet est un exemple typique d'épigénie. COUPE OUEST-EST, PASSANT PAR LE VILLARET, ET MONTRANT LA STRUCTURE DES TERRAINS ENTRE LE DRAC ET L'AUGE MATHEYSINE. D'après J. Sarrot-Reynauld et J. Haudour. courte — guère plus d'une dizaine de milliers d'années — et les modifications topologiques qui lui correspondent, dues, les unes à l'érosion se poursuivant particulièrement active dans les montagnes, les autres, au défrichement agricole, à l'exploitation minière et à l'aménagement hydro-électrique, sont d'assez peu d'importance (1).

La région de La Mure qui, géographiquement, fait partie de la chaîne de Belledonne dont elle constitue le rameau externe méridional, est bornée par de profondes vallées : celle de la Romanche au nord, celle du Drac à l'ouest et au sud, celles de la Bonne et de la Roizonne au sud-est et à l'est. Du côté du couchant, son relief est formé par les petites montagnes liasiques de Connex (1 359 m), du Signal de Notre-Dame-de-Vaulx (1 710 m) et de Seneppi (1 764 m), lesquelles étalent leurs pentes sur onze communes du canton. Vers le centre, une ligne de collines boisées : collines des Creys (1 273 m) et colline de Bramefarine (1 558 m) aux replis dessinant le coteau qui s'étend du Bois Noir au Villaret, centre d'extraction des Houillères du Bassin du Dauphiné — terrains anciens constituant le Dôme de La Mure — puis, le Breydent, le Cimon et le Combeyrand, bordent à l'ouest le plateau matheysin. Celui-ci est dominé, au levant, par les massifs aux lignes mollement ondulées et aux sommets chauves du Grand-Serre (2 140 m), liasique, et du Tabor (2 390 m), cristallin — point culminant de la région — touchant à l'Oisans et au , et séparés par la vallée de la Roi- zonne de la chaîne Taillefer (2 857 m) — L'Armet (2 792 m) — Quaro (2 606 m), principale terminaison sud de Belledonne. Un col peu élevé, le col de La Festinière (970 m), fait

(1) Cf. Pierre Lory. Quatre journées d'excursions au sud de Grenoble. Trav. Lab. Géol. Univ. Grenoble. T. 15, 1931 — Maurice Gignoux et Léon Moret. Géologie dauphinoise. 2 édit. Paris, Masson et Cie, 1952 — J. Haudour et J. Sarrot-Reynauld. Les assises supérieures du trias dans le Dôme de La Mure et les régions annexes. C.R. Som. S.G.F., n° 5-6, 1955 — Sur l'âge et l'extension des terrains houillers dans la terminaison sud de Belledonne. B. S. G. F. T. 6, fasc. 6, 1956 — Le Bassin houiller de La Mure. Ses minéraux. Trav. Lab. Géol. Univ. Grenoble. T. 32, 1956 — Manifestations de la tecto- nique antésénonienne dans le Dôme de La Mure (Isère). Trav. Lab. Géol. Univ. Grenoble T. 34, 1958 — Les phyllopodes du Bassin houiller de La Mure. Trav. Lab. Géol. Univ. Grenoble T. 35, 1959 — J. Sarrot-Reynauld. Sur la stratigraphie du Dôme de La Mure et des régions annexes. C. R. A. S. T. 224, 1957 — Relations tectoniques du Dôme de La Mure et des régions annexes. C. R. A. S. T. 244, 1957 — Etude géologique du Dôme de La Mure et des régions annexes. Trav. Lab. Géol. Fac. Sc. Grenoble. T. 1, 1961 — Simone Martin. Les pécopteridées du Bassin houiller de La Mure. Trav. Lab. Géol. Fac. Sc. Grenoble, 1960. communiquer le bassin de La Motte et le plateau qui, ouvert à tous les vents et à la bise — une des causes de son climat assez rude — s'étire, entre les villages de Laffrey et Ponsonnas, à une altitude moyenne de 900 mètres, sur une longueur de quelque 14 kilomètres et une largeur variant de 2 500 mètres au nord à 4 000 mètres au midi, et va finir avec les terrasses glaciaires du Drac moyen. Quatre beaux lacs disposés en chapelet, que ferment à l'aval des vallums morainiques transversaux correspondant à des stades du retrait, par le seuil de Laffrey, du glacier de la Romanche, occupent le fond de sa partie septentrionale et réfléchissent dans le pur cristal de leurs eaux de hautes et fières cimes, d'immenses pâturages, de vertes pelouses et de sombres forêts. C'est d'abord, de forme à peu près circulaire, le lac de Pierre-Châtel, le moins profond (11 m) et le plus élevé (934 m), qui alimente le marais de La Mure et le ruisseau de Jonche. Il figure sous la dénomination de Lac de Cordelieu ou de pierre Chatel sur la carte de Bourcet (1749-1754) et sous celles de Lac Cordelon et Lac Cordelier dans le parcellaire de Saint- Théoffrey de 1768 (1). Puis, le lac de Petichet (altitude : 923 m, profondeur : 19 m), qui porta les noms de Lac de Malleval (1309), Lac de Malaval ou Manavelle (1407), Lac Dauphin (XVI s.), Lac du Milieu (XVII s.), Lac de Maraval ou de Petit Chat (carte de Bourcet), Lac de La Fayolle (XVIII s.), Lac de Manivelle (plan cadastral de Saint-Théoffrey, 1831), et souvent encore appelé de nos jours par la population voisine : Lac du Milieu. Au centre de ce lac, se trouve un monticule, dont l'emplacement (1) L'abbé A. Dussert (Essai historique. PP. 74 et 75) cite une phrase du testament fait en 1228, au château de , par Béatrix, duchesse de Bourgogne et comtesse d'Albon, où, écrit-il, on lit d'après une traduction en français du fonds des Ayes (Arch. Isère. H. 624) : «... Item je reconnais au canonicat de Beaumont (le prieuré de Saint-Laurent-en-Beaumont avec ses chanoines) le droit d'avoir une saignée au lac Finent ». L'historien ajoute que ce lac est le « lac de Pierre-Châtel, dit aussi lacus Cordele ». Or, l'original sur parchemin du testament de Béatrix (Arch. Isère. Fonds du prieuré de Saint-Robert. 27. H. 161) porte exactement : « Canonicae de Bellomonte recognosco debere habere unam sagniam in lacu finem ». Aux chanoines de Beaumont, je reconnais le droit d'avoir une barque à la fin (à l'extré- mité) du lac. (Du Cange. T. VII, p. 272. Sagnia, f. pro Sagittia, Navigii species. Testam. Beatr. comit. Albon. ann. 1228. ex Cod. reg. 5456. fol. 46 v° : Canonicae de Bellomonte recognosco debere habere unam Sagniam in lacu, etc.). Rien ne prouve, du reste, dans le testament, qu'il s'agisse précisément du lac de Pierre-Châtel. Dans le Dictionnaire topographique de l'Isère de E. Pilot de Thorey (Romans, Impr. Jeanne d'Arc, 1921), on trouve : « Lacus Finenc, Finon, XIII s.; L. Finenchii, Finent, XIV s.; Lac de Petit-Chat, lac Ce St Théoffrey ». est aisément reconnaissable à une teinte de la masse liquide relativement claire. C'est ensuite, au sud du village du même nom, traversé par le 45 degré, à égale distance du pôle et de l'équateur, le lac de Laffrey ou Grand Lac (altitude : 911 m), dit autrefois Lac Fruenen (1396), Grand Lac de Fray (carte de Bourcet), d'une étendue de 127 hectares, et étant ainsi le deuxième des lacs naturels du Dauphiné et le huitième des lacs français. Sa longueur est de 2 km 800, sa largeur de 500 à 900 mètres et sa profondeur de 39 m 30. Creusé dans les schistes cris- tallins, ses eaux sont d'une grande limpidité (1). Enfin, à un kilomètre au nord du lac de Laffrey, en un vallon boisé, le Lac Mort (altitude : 930 m, profondeur : 24 m 50), le plus petit des quatre lacs (31 ha), qui, depuis 1933, sert de réservoir à une usine électrique (chute 620 m; 12 500 ch) établie sur la Romanche. Afin d'en maintenir le niveau, il a été pourvu à son alimentation par l'aménagement des torrents du Taillefer — torrents de et du Grand Rif et leurs affluents — dont les eaux sont amenées par une conduite métallique et par un tunnel. Aux confins de la Matheysine et du Trièves, un cinquième lac, le lac artificiel de (altitude 490 m), a été formé fin novembre 1962 par le barrage établi sur le Drac, en aval de l'ancienne usine d', les eaux du torrent et de son affluent, l'Ebron, étant destinées à alimenter une nouvelle centrale construite à l'intérieur de cet ouvrage. Noyant, sur quelque vingt kilomètres de longueur, plus de 500 hectares de sols cultivés, vignobles, friches, bois ou taillis, il est aujourd'hui, de beaucoup, le plus étendu des lacs que compte notre région. Drainées vers les gorges abruptes qui l'entourent, les eaux de la région sont emportées par le Drac, accouru, rapide, souvent violent, du fond de la montagne champsaurine, et qui, après un parcours de 115 kilomètres, se jettera dans l'Isère en aval de Grenoble, qu'à travers les siècles il a bien des fois inondée (2); le Drac — puissante source d'énergie — sur lequel ont été faites les installations hydro-électriques du Sautet, de Cordéac, de Saint-Pierre-Cognet, d'Avignonet, puis de Monteynard — de toutes la plus importante — de

(1) Le lac de Laffrey est poissonneux. On y pêche le gardon, la perche, la truite, le goujon, le brochet, la tanche et l'omble chevalier. (2) En 1674, le Drac, pour confluer avec l'Isère, passait à Grenoble devant la porte Créqui, qui s'élevait entre la justice de paix et le pont de la porte de . Champ-sur-Drac, de Drac-Romanche et du Rondeau, en attendant la réalisation prochaine de celles du Motty et de Saint-Georges-de-Commiers. Son principal affluent, la Bonne, provient des glaciers de la chaîne cristalline Olan-Muzelle, ainsi que d'une belle source située au-dessus du Désert de . Après s'être accrue de la Roizonne — qui prend naissance en Vaunoire, en dessous du col de Chantelouve, et que gros- sissent les torrents de l'Espalier et de Rif-Bruyant — un peu en amont de Ponthaut, et de la Nantette, à Ponthaut même, la Bonne limite le territoire de La Mure sur quelque 3 kilo- mètres, avant de confluer avec le Drac, en contrebas du village de Ponsonnas. La Jonche, paisible ruisseau, descend du col de l'Ollière, dans le thalweg qui sépare le Grand-Serre du Tabor. Elle recueille les eaux d'écoulement du lac de Pierre-Châtel formant le Grand Banc et, passé le village, celles des canaux de dessè- chement du marais de La Mure, puis celles de la Mouche ou ruisseau de Combalberte. Elle longe ensuite la cité mathey- sine au pied du Cimon, reçoit encore le ruisseau des Rioux, qui a son origine au Pré Claret, et s'enfonce dans sa gorge terminale pour enfin aboutir au Drac, au pont de Cognet. Toujours vers le torrent vont, au sud, le ruisseau de Mayres, qui s'achève, en période de grosses eaux, en une assez belle cascade, et, à l'ouest, les ruisseaux de Savel, de Roac, de Vaulx et de Loulla. Ces deux derniers, réunis au-dessus du Vivier et grossis du Rif-Montey, se précipitent d'une hauteur de 130 mètres, près des anciennes sources thermales de La Motte-les-Bains. Au nord, dans la Romanche, se déversent les eaux du Grand Lac — dans lequel s'écoule le trop-plein du lac de Petichet — qui alimentent deux usines (500 et 2 200 ch), ainsi que celles, nous l'avons dit, du Lac Mort. Sous un ciel où les aubes sont claires et les couchers de soleil flamboyants, prés et champs, en Matheysine, composent, avec lacs et montagnes, une nature ravissante. Çà et là, quelque- fois cachés par des arbres, s'émiettent en hameaux d'humbles villages et apparaissent des installations minières. Au midi, La Mure, petite capitale de 6 600 âmes, concentre toute l'activité du plateau (1).

(1) Cf. Raoul Blanchard. Les Alpes françaises. Paris, Colin, 1934.

I

LE MOT MATHEYSINE VIENDRAIT DU CELTE

Le vocable Matheysine a une origine fort reculée. Certains ont cru le découvrir dans Matascence (in pago Matascence) et Matanatis (in Matanatis), deux noms que l'on rencontre dans un document célèbre, le testament, en date de 739, d'Abbon — peut-être haut dignitaire, peut-être patrice, en tous cas grand propriétaire — dont le texte nous a été transmis par Saint-Hugues, abbé de Cluny (1). Mais après examen du contexte, Matascence ne serait en somme qu'une graphie grossière du mot Matisconense, qui a servi à désigner plus tard le Mâconnais. Quant à Matanatis, la phrase où il se trouve, plus loin, ne contient aucun autre nom de lieu qui aide à le situer. Ce qui est sûr, c'est qu'il s'agit bien de ce dit vocable avec Maltaisana (in pago Gratianopolitano... in locum qui dicitur Maltaisana), figurant dans une donation de ses biens sur le plateau, faite, en 942, par un certain Rostagnus, posses- seur de nombreux fiefs, à l'abbaye de Cluny, et renfermée elle-même dans le Cartulaire de cette abbaye. Il a, par la suite, bien souvent changé de forme avec, successivement Mathaysana, qui apparaît en 1055 — et d'où vient, semble-t-il, son orthographe la plus usuelle de nos jours — Matesiana (1058), Matasina (XI S.), Mataisinie (vers 1183), Mattaisina (XII s.), Matacina (1221), Matacena (1236), Mathacena (1244), Mataysina (1266), Mactassena (1318), Mathasena, Matheysina (1329), Matascene (1335), Mathascena (1339), Mathésine (1400), Matassena (1409), Mathézine (1462),

(1) Arch. Isère. Cartulaires de l'église cathédrale de Grenoble, dits cartu- laires de Saint-Hugues, publiés par Jules Marion. Paris, Impr. Impériale, 1869. PP. 37, 38 et 47. Mattassena (1489), Mathassena (1497), Matésine (1557) (1), Mataisine (1675), et, finalement, Matheysine, tous noms dont l'étymologie est évidemment identique. Quelle en est l'origine ? Nous devons, ici, faire la part de la tradition, sans accorder à cette dernière plus d'intérêt qu'elle ne mérite. En septembre 1219, la digue naturelle du lac Saint- Laurent — lequel, formé par les eaux de la Romanche après l'écroulement du rocher de la Farre, en 1191, occupait les plaines du Bourg-d'Oisans et d'Allemont — se rompit sou- dainement, et les flots, emportant sur leur passage l'ancien pont du Drac, près de Claix, et couvrant rapidement la cam- pagne, se précipitèrent, la nuit, sur Grenoble, qu'elles submer- gèrent. Bien après Chorier, qui a raconté ce catastrophique événement, en donnant crédit à ce qui ne fut sans doute, quant à quelques-unes de ses conséquences, qu'une légende (2), voici ce que J.-J.-A. Pilot écrivit, en 1829, dans son Histoire de Grenoble : « Les registres publics furent perdus dans ce désastre, ce qui donna lieu à certaines communautés de contester certaines tailles... Les habitants de La Mure et des environs y mirent le plus d'opi- niâtreté, c'est pourquoi on les appela des matois, et leur territoire reçut à cette occasion le nom de Matésine ». Explication ingénieuse, certes ! Mais qui ne peut avoir un réel intérêt que si elle repose sur des faits authentiques. Or, il n'a jamais été prouvé — Louis Royer, l'érudit biblio- thécaire de la ville de Grenoble s'est montré lui-même fort sceptique sur ce point — que les archives delphinales aient disparu lors de l'inondation de 1219. Par contre, on n'ignore pas, qu'ainsi que nous l'avons

(1) Essai historique. PP. 19 et 20. A ces noms donnés par l'abbé Dussert, ajoutons : Matazena (1297), Mathazena (XIII s.) Matexina (1497), Matassene (XV s.). (2) « Les papiers terriers, qui regardaient le domaine du dauphin dans les pays d'Oisans et dans La Mure, furent tellement offensés qu'il fallut les renou- veler. On ne put que suivre les déclarations des emphytéotes, toute autre preuve cessant. Tous ne furent pas également faciles. Ceux de La Mure préférèrent la liberté à la vérité et nièrent tout ; ils ne consentirent aux droits qui leur étaient demandés qu'où des preuves suffisantes les y condamnèrent. Ceux de l'Ois ans, au contraire, avouèrent tout, et furent eux-mêmes leurs témoins et leurs juges. De là, ceux de La Mure ont eu l'éloge de chats (proverbe : cati de Mura) et ceux d'Oisans, de preudes (probi de Oysenci). L'un signifie avisé, souple et adroit, etc. ». Nicolas Chorier. Histoire générale de Dauphiné. Grenoble, Philippes Charvys, 1661, I vol.; Histoire générale de Dauphiné depuis l'an M de N. S. jusques à nos jours. P. Charvys, 1672, 2 vol. Réédités à Valence par Chenevier et Chavet, 1869, 1878, 1879, 2 vol. T. II, p. 100. signalé plus haut, le mot Maltaisana est mentionné dans la donation de 942, à Cluny (Moi Rostagnus..., je donne des biens de mon héritage situé dans le pagus de Grenoble, quatre manses (1) situés dans le lieu appelé « Maltaisana »). L'origine de l'appellation Matheysine, il faut peut-être- même la rechercher bien au-delà de cet ancien document. Et, avec l'abbé Dussert, penser qu'elle peut se trouver dans le nom d'un de ces hommes arrivés chez nous en conquérants au temps des Ligures (2). Ajoutons qu'il existe en Savoie, sur le territoire communal du Bourget-du-Lac, un hameau appelé Matassinaz, mot dont les formes latines étaient, au Moyen Age, Maltacena, Maltacina. Voici ce qu'écrit l'abbé Gros, auteur, en 1935, du Dic- tionnaire étymologique des noms de lieux de la Savoie : « Malta- cina est une forme défectueuse et doit être corrigé en Matacina. Matacina, ou plutôt Matacenna, est un nom d'homme celtique, signifiant « le fils de l'ours ». Or, Matacina et Matacena ont été également des appellations de l'actuelle Matheysine.

(1) Il s'agissait de manses tributaires, concédés à des tenanciers, qui, avec les manses seigneuriaux ou domaniaux, directement exploités par le maître, s'étaient à l'époque franque substitués aux villae, les vastes domaines de l'époque gallo-romaine. (2) « Peut-être... Mattacenus; d'où Mattacena terra, la terre de Matta- cenus. Ce nom n'a pas été signalé; mais on trouve des noms celtiques de même racine : Matta (nom de femme) ; Mattaius, Mattatus (noms d'homme) ; Matteia (nom de femme) ; Mattius, Matto, Mattonius (noms d'homme). Quel est le sens de la racine matt, dont sont formés tous ces noms de per- sonne ? C'est la même racine, d'après M. d'Arbois de Jubainville, que l'ancien irlandais mait (correspondant à un primitif matta, qui veut dire : cochon, sanglier). On a le choix ». A, Dussert. Essai historique. PP. 21 et 22.

II

FONDÉE PAR LES LIGURES, C'EST A L'ANCIEN NOM DU MARAIS, « MURA », QUE LA MURE DEVRAIT SON APPELLATION

Dans les vieux textes, le mot Mure ne se montre que bien après le mot Matheysine. C'est seulement en 1050, en effet, que dans une donation de Guigues le Vieux, comte d'Albon, fondateur de la race originelle des Dauphins, figure pour la première fois l'appella- tion Mura (1). On la retrouve, un demi-siècle plus tard, dans le Cartu- laire de Saint-André-le-Bas, puis, de plus en plus fréquem- ment, dans les écrits se rapportant à la région. A partir du XI siècle, diverses variantes de Mure, et ce mot lui-même, sont souvent liés aux vieilles formes de Mathey- sine. On a, tour à tour, in Matasina ad Muram (XI S.), Mura (1137), Mura Matacena (1236), La Mure (1343), La Meure (1404), La Mure Mathézine (1462), La Meure Mathezine (1466), La Mure (1515), La Meure (1580), enfin, de nouveau et définitivement, La Mure (2). Des étymologistes ont remarqué, qu'ainsi que le substantif latin murus (mur), Mura se rattache au sanscrit mura, qui a le même sens, et dont la racine est mur (entourer, environner), et ils ont cru devoir attribuer au nom de Mura la signification de lieu fortifié. On lit dans l'Histoire ecclésiastique de Socrate le Scolas- tique, laquelle, faisant suite à celle d'Eusèbe de Césarée, contient le récit des événements de l'an 306 à l'an 439, que l'usurpateur Magnence, après avoir été battu par Constance II à Mursa, en Pannonie, se retira en Italie. Mais que chassé

(1) « Ecclesia sancti Joannis Baptiste sancti quoque Mauricii cum legione Thebœrum martyrum in vico vulgari vocabulo Mura vocitato. » B. Hauréau. Gallia christiana, t. XVI. Instrumenta ecclesie Viennensis, n° XXVII, p. 22. (2) A. Dussert. Essai historique. P. 19. de la péninsule, il voulut s'établir dans les Alpes, où il essuya une nouvelle défaite près de de Mursa, se repliant ensuite vers ses remparts pour y chercher refuge. C'est alors que définitivement vaincu à Mons Seleucus (La Bâtie-Mont- Saléon, Hautes-Alpes) il aurait été abandonné par ses soldats et se serait enfui seul à Lyon, éloigné seulement de trois jours de marche de Mursa. Adrien de Valois voit, dans ce dernier lieu, que l'on ne saurait identifier, dit-il, avec la Mursa de Pannonie, notre ville de La Mure en Dauphiné, et Auguste Fayolle (1) signale que dans l'Almanach général et historique du Dauphiné de 1788, se trouve cette indication : « La Mure, ville au XVe siècle, fortifiée au V, que l'historien Socrate nomme Murza (sic) ». Il y a lieu de noter à ce sujet que l'examen attentif des textes des six auteurs anciens qui ont parlé de la bataille de Mons Seleucus a montré que ceux-ci se sont copiés les uns les autres, tout en se contredisant parfois, et qu'ils se trompent sur les lieux où les rencontres se sont produites. Qu'en parti- culier, Socrate, situant sa forteresse de Mursa en Gaule, a commis une erreur. Il existe, en France, vingt et un La Mure, six Lamure, trois Mure, un Mûres, neuf Les Mures, deux La Muraz, et toutes ces localités se trouvent dans le bassin du Rhône. Les noms de Mure et La Mure se rencontrent également en Italie, en Suisse... A propos des La Mure de Savoie (communes de Thyl et Traize), Les Mures (communes de Gerbaix, Les Marches, Nances), La Muraz (commune du canton de Reignier, Haute- Savoie), l'abbé Gros émet l'idée suivante : « Mura, pluriel de murum (mur), passé au féminin singulier... désigne une habitation rustique, mais supérieure à une simple cabane, parce qu'elle est murée...». D'autre part, écrivant en 1855 au curé Cat de La Mure, J.-J.-A. Pilot observait fort judicieusement que la Matheysine est voisine du Ratier et que « dans ces deux pays tout est chat ou rat (2) », et il se demandait si la dénomination La Mure ne viendrait pas du latin mus, muris (rat).

(1) La Mure et la Matésine, d'après les notes de M. Auguste Fayolle. Grenoble, Baratier et Dardelet, 1876. P. 32. (2) « Gros miron de la Mura et de la Mateysina, Que chassié tou lou rat din la terra veisina; ». Pastorale et tragicomédie de Janin, représentée dans la ville de Grenoble. Grenoble, R. Cocson, 1633. C'est la pièce du poète Jean Millet la plus connue et vulgairement appelée La Lhauda — Grenoblo malhérou et mono- logue de Janin. Grenoble, Xavier Drevet. s. d. P. 30. 3. LE PLATEAU MATHEYSIN ET SES LACS. Au loin, la majestueuse silhouette de l'Obiou. 4. LA MURE, VUE DU CIMON. 5. L'ANCIENNE VOIE ROMAINE AU SER DE LA MURE.

6. FRAGMENT DE STRATUM AUX « RAMPES ». 7. LE VIADUC DE LA ROIZONNE ET LE « MOLARD » DE RATIER.

8. RUINE DU CHÂTEAU DE ROCHE-PAVIOTE. Dessin de Em. Desmoulins (1890). Coll. V. Miard.

9. RUINE DU DONJON DE RATIER. Dessin de V. Miard (1935). On peut, en effet, se poser la question. Mais n'est-il pas plus raisonnable de se ranger à l'opinion du celtisant d'Arbois de Jubainville, qui professa, comme on sait, au Collège de France, et pour qui le terme mura aurait été en usage chez ces mêmes Ligures déjà cités, établis il y a bien des siècles sur le sol matheysin ? Mura remonterait, dans ce cas, aux temps les plus loin- tains de l'histoire. Sa racine, meu, mu (mouiller, laver...), prendrait ici, de toute évidence, le sens de lieu humide.

Sans doute, à l'époque néolithique, des hommes vécurent- ils sur les élévations qui bordent notre plateau. Les objets divers, rares il est vrai, hachettes en silex (1), casse-tête en calcaire poli, terminé d'un côté en forme de marteau et de l'autre en forme de hache, racloir ou pierre tranchante en verte serpentine (2), trouvés de-ci de-là, viennent à l'appui de cette thèse. Sans doute aussi, à la même époque, comme paraissent en témoigner les énormes pièces de bois mises au jour, il y a quelque quatre-vingt-quinze ans, au lac de Pierre-Châtel, et, vers 1909, au lac de Petichet, des hommes établirent-ils, à la surface paisible de nos belles nappes d'eau, des habitations lacustres. Etaient-ils apparentés aux Lybiens et aux Berbères — c'est l'opinion la plus commune — et étaient-ils venus chez nous par le détroit de Gibraltar et l'Espagne, les Ibères, le plus ancien des peuples dont l'histoire constate la présence sur notre sol ? Des savants prétendent que ce sont des autochtones, qui tiendraient leur nom du fleuve Ebre, dans la vallée duquel ils se trouvaient primitivement groupés. D'autres savants les rattachent aux peuplades du Caucase, d'où ils auraient émigré en formant l'avant-garde des hordes indo-européennes. La théorie traditionnelle, soutenue par G. de Humboldt, affirme qu'au XV siècle avant J.-C. les Ibères dominaient toute l'Europe méridionale; mais selon C. Jullian leur invasion de l'Aquitaine serait postérieure à son occupation par les Celtes. Au VI siècle avant notre ère — âge du bronze — les Ligures, arrivés du nord de l'Italie, coupèrent en deux l'Empire (1) Deux hachettes proviennent de Prunières, une autre de Roche- Paviote. (2) Appartint à Me Maurice-Ennemond Arnaud, notaire. ibérique. Les Ibères d'Italie furent ainsi séparés des Ibères d'Espagne, dont le Rhône constitua la limite orientale. Pour les Celtes (1), notre pays ne fut d'abord, semble-t-il, en ces temps lointains, qu'un lieu de passage. On y rencon- trait surtout des tribus ligures, attachées à des terres dont elles s'étaient rendues maîtresses, et ce sont probablement ces tribus qui donnèrent au marais — lequel, après le retrait des glaciers, occupait la plus grande partie de la Matheysine — le nom de mura. De toute vraisemblance, on appela plus tard Mura l'en- semble de cabanes ou de huttes qui se forma à son extrémité sud, s'étendant au pied du Cimon (2), près du ruisseau de Jonche, et même la colline sur laquelle devait s'établir le bourg. A cet habitat agricole ligure devait se joindre, plus tard, un groupement celte, autrement dit gaulois. Rejetés des riches plaines du Danube, après les avoir occupées pendant un millénaire, les Celtes, en Europe occidentale, s'imposèrent partout en conquérants parmi les populations sédentaires. Avec eux, ils apportaient un précieux métal, le fer, dont, en particulier, ils faisaient des armes. On les vit s'implanter à Nantizon (3), au Crey, au mas Briançon, à Tors, à Sersigaud (4), sur les bords des lacs... Quelque 300 ans avant J.-C., la vieille population ligure paraît définitivement refoulée vers les hautes vallées par l'invasion celtique. Il n'est plus question désormais, dans notre région alpine, que d'Allobroges, de Voconces, de Cavares, de Tricorii. Peuplade celte puissante et organisée, les Allo- broges se sont fixés entre le Rhône et l'Isère, depuis Vienne, dont ils ont fait leur capitale, jusqu'à Genève; les Voconces, dans le Diois et les Baronnies ; les Cavares, sur la rive gauche du Rhône, entre l'Isère et la Durance; les Tricorii dans les haute et moyenne vallées du Drac, ainsi que dans celles de la Séveraisse et de la Souloise. Ce sont eux que l'on trouve sur le plateau de la Matheysine.

(1) Plusieurs pierres de fronde fusiformes celtiques ont été trouvées dans la région. Nous en conservons une. (2) C'est à tort qu'on écrit quelquefois Simon. On trouve, dans de vieux papiers : Cymont (Mont d'ici). Mais la véritable étymologie de Cimon n'aurait-elle pas plutôt le sens de petite cime ? (3) Nantizon : Anthissone. (4) Mas Briançon : Mansus Brianczonis; Tors : Taorz; Sersigaud : Serrum Sigaudi.