Contester en Espagne Crise démocratique et mouvements sociaux

Alicia Garcia Fernandez et Mathieu Petithomme (dir.)

DOI : 10.4000/books.demopolis.1862 Éditeur : Demopolis Année d'édition : 2016 Date de mise en ligne : 26 octobre 2020 Collection : Quaero ISBN électronique : 9782354571528

http://books.openedition.org

Édition imprimée ISBN : 9782354570903 Nombre de pages : 332

Référence électronique GARCIA FERNANDEZ, Alicia (dir.) ; PETITHOMME, Mathieu (dir.). Contester en Espagne : Crise démocratique et mouvements sociaux. Nouvelle édition [en ligne]. Paris : Demopolis, 2016 (généré le 28 octobre 2020). Disponible sur Internet : . ISBN : 9782354571528. DOI : https://doi.org/10.4000/books.demopolis.1862.

© Demopolis, 2016 Conditions d’utilisation : http://www.openedition.org/6540 Sous la direction de Alicia Fernandez Garcia Mathieu Petithomme

CONTESTER EN ESPAGNE

CRISE DÉMOCRATIQUE ET MOUVEMENTS SOCIAUX

Cet ouvrage a été publié avec le soutien du Centre de recherches juridiques de Franche-Comté (EA 3225), de l’école doctorale Lettres, Langues et Spectacle, du Centre de recherches ibériques et ibéro-américaines (CRIIA/EA 369) et du Conseil Scientifique de l’université de Nanterre. CONTESTER EN ESPAGNE « QUAERO »

Collection dirigée par Jean-Christophe Tamisier

Dernières parutions : Emmanuel Ethis, Le cinéma près de la vie. Prises de vue sociologique sur le spectateur du XXIe siècle. Alexandre Fontaine, Aux heures suisses de l’école républicaine. Prix Louis Cros 2015 de l’Académie des sciences morales et politiques Christian Ghasarian, Rapa. Île du bout du monde, île dans le monde. Émilie Oléron Evans, Nikolaus Pevsner, arpenteur des arts. Pascale Rabault-Feuerhahn (dir.), Théories intercontinentales. Voyages du comparatisme postcolonial. Michèle-H. Salamagne et Patrick Thominet (dir.), Accompagner. Trente ans de soins palliatifs en .

Illustration de couverture : Marches de la dignité pour « le pain, un travail et un toit », Madrid, 22 mars 2014 (LD).

© Éditions Demopolis, 2015 4, rue Scipion 75 005 Paris www.demopolis.fr

ISBN : 978-2-35457-090-3 Sous la direction de ALICIA FERNÁNDEZ GARCÍA et MATHIEU PETITHOMME

CONTESTER EN ESPAGNE

CRISE DÉMOCRATIQUE ET MOUVEMENTS SOCIAUX

Les auteurs

Matilde Alonso Pérez est docteure en sciences économiques et profes- seure des universités en économie à l’université de Lyon 2.

Karine Bergès est maîtresse de conférences en civilisation espagnole à l’université de Cergy-Pontoise (UFR LEI) et chargée de mission « égalité femmes-hommes ».

Christel Birabent Camarasa est maîtresse de conférences associée à l’université de Lyon 3 et traductrice-interprète professionnelle.

Alicia Fernández García HVW SURIHVVHXUH FHUWLȴ«H GȇHVSDJQRO GRFWR- rante à l’université Paris Ouest Nanterre La Défense et ATER en civilisation hispanique à l’université de Paris-Est Marne-la-Vallée.

Elíes Furió Blasco est professeure des universités en civilisation espa- gnole à l’université de Lyon 3 et spécialiste en sciences économiques.

Sylvie Koller est maîtresse de conférences en études ibériques et ibé- URDP«ULFDLQHV ¢ OȇXQLYHUVLW« GH 5HQQHV  PHPEUH GX ODERUDWRLUH interdisciplinaire de recherches sur les Amériques.

Benoît Pellistrandi HVW KLVWRULHQ VS«FLDOLVWH GH OD YLH SROLWLTXH HW culturelle de l’Espagne des XIXe et XXeVLªFOHVDQFLHQGLUHFWHXUGHV études (époques moderne et contemporaine) de la Casa Velázquez 0DGULG  HW PHPEUH FRUUHVSRQGDQW GH OD 5HDO $FDGHPLD GH OD Historia (Madrid).

Mathieu Petithomme est maître de conférences en science politique à l’IUT de Besançon et chercheur au Centre de recherches juridiques de Franche-Comté.

Mercè Pujol Berché est professeure des universités en espagnol à l’université de Paris Ouest Nanterre La Défense et co-directrice du Centre de recherches ibériques et ibéro-américaines (EA 369 Etudes Romanes).

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AVANT-PROPOS

Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui. Le titre même de cet ouvrage est une invitation à l’analyse des causes et des effets des nombreuses mobilisations sociales et politiques qui ont bousculé le pays depuis 2008. Violence de la crise après l’éclatement de la bulle immobilière PDUTX«H SDU OȇDSSDXYULVVHPHQW GHV FODVVHV SRSXODLUHV OD KDXVVH GHV LQ«JDOLW«V HW OHV H[SXOVLRQV ORFDWLYHV SODQV GȇDXVW«ULW« GUDVWLTXHV HW FK¶PDJH DYRLVLQDQW OHV  UHQRXYHDX GH Oȇ«PLJUDWLRQ GHV MHXQHV HQWUD°QDQW XQ YLHLOOLVVHPHQW HW XQ G«FOLQ G«PRJUDSKLTXH PXOWLSOL- FDWLRQ GHV DIIDLUHV GH FRUUXSWLRQ WRXFKDQW MXVTXȇ¢ OD IDPLOOH UR\DOH UDGLFDOLVDWLRQGHOȇLQG«SHQGDQWLVPHHQ&DWDORJQHFULVHGXELSDUWLVPH les éléments « dramatiques » ne manquent pas dans le tableau de Oȇ(VSDJQH GȇDXMRXUGȇKXL /D FULVH «FRQRPLTXH VRFLDOH HW SROLWLTXH enclenchée depuis 2008 marquera toute une génération. Les années 2007-2015 seront présentées comme une « décennie perdue » dans les PDQXHOVGȇKLVWRLUHSXLVTXHOHQLYHDXGHYLHGHV(VSDJQROVHVWUHYHQX à ce qu’il était au début des années 2000. Les frais d’inscription à OȇXQLYHUVLW«RQWDXJPHQW«OHVSUHVWDWLRQVVRFLDOHVDX[IDPLOOHVRQW«W« réduites et les frais de santé seront désormais moins remboursés. Les sans-papiers ne peuvent plus avoir accès aux soins suite à la remise en cause de la couverture maladie universelle. Les exigences européennes et le soutien au dogme des plans d’austérité par les gouvernements du socialiste José Luis Rodríguez Zapatero (2004-2011) et du conservateur 0DULDQR 5DMR\   RQW IUDSS« Oȇ‹WDWSURYLGHQFH HVSDJQRO GH lourds coups de butoir. 0DLVDXGHO¢GXSHVVLPLVPHGHVGUDPHVKXPDLQVHWGHODU«VLJQD- WLRQFHOLYUHPRQWUHTXHFHWWHS«ULRGHWURXEO«HDDXVVL«W«PDUTX«HSDU le renouveau de l’action citoyenne et par l’essor de nouveaux mouve- ments sociaux : luttes contre les expulsions ; mouvement des indignés mobilisés à Madrid en 2011 pour dénoncer les limites de la démocratie représentative ; résistance syndicale aux plans d’austérité à travers WURLVJUªYHVJ«Q«UDOHVHQTXHOTXHVDQQ«HVGXMDPDLVYXGHSXLVODWUDQ- sition ; « marées » citoyennes contre les coupes budgétaires pratiquées

5 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

dans l’éducation et la santé ; mobilisations féministes contre le projet de ORLDQWLDYRUWHPHQWHWU«SXEOLFDLQHVHQIDYHXUGHOȇDEGLFDWLRQGH-XDQ Carlos Ier et d’un référendum sur la monarchie ; renouveau des groupes anarchistes et d’extrême gauche qui furent jusqu’à « faire le siège » du &RQJUªVGHVG«SXW«VUHJDLQGȇLQW«U¬WSRXUOHWK«¤WUHVRFLDOOHFLQ«PD HQJDJ« OH ȵDPHQFR PLOLWDQW HW OHV SUDWLTXHV DUWLVWLTXHV FULWLTXHV /D crise démocratique et l’indignation citoyenne ont peu à peu laissé place à une politisation nouvelle de la société espagnole pour la défense de VHV GURLWV IRQGDPHQWDX[ ORJHPHQW «GXFDWLRQ VDQW«  TXL VȇH[SULPH aussi par la critique de la corruption politique et du fonctionnement d’institutions issues de la constitution de 1978 et qui ont très peu évolué depuis lors. Il est d’ailleurs frappant de noter l’inscription résolument « progres- VLVWH}GHODFRQWHVWDWLRQGDQVXQSD\VTXLSRXUXQHUDLVRQKLVWRULTXH OL«H ¢ OȇK«ULWDJH GLFWDWRULDO IUDQTXLVWH GHPHXUH LPSHUP«DEOH ¢ OD poussée de l’extrême droite observée ailleurs en Europe. Les enquêtes GȇRSLQLRQPRQWUHQWDXVVLTXHPDOJU«ODFULVHOHV(VSDJQROVGHPHXUHQW assez pro-européens. En réunissant les travaux de neuf spécialistes issus de différentes GLVFLSOLQHVGHVVFLHQFHVVRFLDOHV «FRQRPLVWHVKLVSDQLVWHVSROLWRORJXH HW KLVWRULHQ  FH OLYUH RIIUH GHV DQDO\VHV GH OȇLQW«ULHXU VXU OHV SULQFL- paux mouvements sociaux qui ont fait l’actualité espagnole des der- QLªUHVDQQ«HV5«GLJ«HQHWHQLO«FODLUHDLQVLOHOHFWHXUVXU l’ensemble des phénomènes sociaux et politiques de l’histoire du temps présent : il explique les causes et les principaux effets postérieurs de OD FULVH GH  SU«VHQWH OH FRQWH[WH GH FULVH GH O«JLWLPLW« GHV SDUWLV GRPLQDQWVHWGHOȇLQVWLWXWLRQUR\DOHHWPRQWUHHQSDUDOOªOHOHFDUDFWªUH historiquement minoritaire du mouvement républicain en Espagne. Le livre permet aussi de comprendre le rôle et les revendications des fémi- QLVWHVHVSDJQROHVOȇLPSDFWGXUDEOHGDQVOHG«EDWGȇLG«HVGXPRXYHPHQW GHV LQGLJQ«V OD mWUDQVLWLRQ G«PRFUDWLTXH} GX QDWLRQDOLVPH EDVTXH UDGLFDOSDUODVRUWLHGHODYLROHQFHRXHQFRUHODUDGLFDOLVDWLRQGHOȇLQG«- SHQGDQWLVPH HQ &DWDORJQH XQ VXMHW GȇDFWXDOLW« EU½ODQW &HW RXYUDJH FROOHFWLIGHU«I«UHQFHPRQWUHHQȴQODWUDQVIRUPDWLRQGHOȇLQGLJQDWLRQ citoyenne par l’essor de nouvelles pratiques sociales et la prise de pou- YRLUSURJUHVVLYHHQSROLWLTXHGȇXQHQRXYHOOHJ«Q«UDWLRQR»OHVIHPPHV occupent un rôle majeur. L’émergence de nouvelles alternatives telles TXH&LWR\HQVDXFHQWUHGURLWHWTXH3RGHPRVTXLSURSRVHXQGLVFRXUV SOXV FULWLTXH HW WUDQVYHUVDO LOOXVWUH DLQVL FH G«VLU GH mU«J«Q«UDWLRQ} démocratique. Les élections européennes de 2014 puis les municipales

6 Avant-propos

HW U«JLRQDOHV GH  TXL RQW SHUPLV ¢ GHV OLVWHV FLWR\HQQHV «WDEOLHV DXWRXUGH3RGHPRVGHFRQTX«ULU0DGULG%DUFHORQH9DOHQFHPDLVDXVVL 6DUDJRVVHHW&DGL[RQWGRQQ«XQHLOOXVWUDWLRQGHSOXVGHODYRORQW«GH changement des Espagnols à la faveur du nouveau cycle politique et social qui s’annonce.

Alicia FERNÁNDEZ GARCÍA et Mathieu PETITHOMME 0DUQHOD9DOO«H%HVDQ©RQ 5 novembre 2015.

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La crise démocratique espagnole et le renouveau de la contestation sociale

Alicia FERNÁNDEZ GARCÍA et Mathieu PETITHOMME

Ceci n’est pas une crise, c’est un changement dans les règles du jeu, qui emmène le monde vers plus d’inégali- tés et un appauvrissement global. (Josep Fontana)

3«WUL GH OȇH[S«ULHQFH GH VHV  DQV OȇKLVWRULHQ -RVHS )RQWDQD SUR- IHVVHXU «P«ULWH ¢ OȇXQLYHUVLW« 3RPSHX )DEUD GH %DUFHORQH QȇD SDV OD ODQJXH GDQV VD SRFKH 1« HQ  DQQ«H GH OD SURFODPDWLRQ GH OD 6HFRQGH5«SXEOLTXHGLVFLSOHGH-DXPH9LFHQVL9LYHVH[SXOV«GHOȇXQL- versité de Barcelone avec Miquel Roca Junyent pour leur opposition au U«JLPH IUDQTXLVWH HQ  LO D G«GL« OȇHQVHPEOH GH VD YLH ¢ OȇKLVWRLUH FRQWHPSRUDLQH GDQV XQH SHUVSHFWLYH FULWLTXH 3RXU OXL OD FULVH HVSD- JQROHHVWDYDQWWRXWmXQHFULVHG«PRFUDWLTXHPDUTX«HSDUOHPDQTXH de contrôle des citoyens sur les décisions irresponsables des entités ȴQDQFLªUHVHWGHVUHVSRQVDEOHVSROLWLTXHV1 ». Les dernières années ont en effet été caractérisées en Espagne par des débats publics intenses FRQFHUQDQWOHVUHVSRQVDELOLW«VGXSHUVRQQHOSROLWLTXHGHVEDQTXHVHW GH OD VS«FXODWLRQ ȴQDQFLªUH GDQV Oȇ«PHUJHQFH GH OD FULVH 3HX ¢ SHX OH GLVFRXUV GRPLQDQW VXU OH mG«YHORSSHPHQW LQȴQL} TXH GHYDLHQW connaître les générations espagnoles futures s’est effondré. Les ruines LPPRELOLªUHV Oȇ«PLJUDWLRQ GHV MHXQHV HW OH UHWRXU GH QRPEUHX[ TXD- GUDJ«QDLUHVFKH]OHXUVSDUHQWV¢ODUHWUDLWHIDXWHGHUHYHQXVVXɚVDQWV ont substitué à l’imaginaire collectif du progrès futur l’amertume d’un quotidien marqué par le déclassement social.

šEntretien avec Josep FƵƴƹƧƴƧ, dans José Miguel MƵƴƿʭƴ connu comme « El Gran Wyoming »), No estamos solos. Un retrato de gente que está cambiando este país, Madrid, Planeta, 2014, p. 77.

9 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

/RLQGHVSURPHVVHV«OHFWRUDOHVGȇDXWUHVLPDJHVRQWIDLWODXQHGHOD SUHVVH«FULWHHWGHVMRXUQDX[W«O«YLV«VFHOOHVGHVGUDPHVKXPDLQVGHV expulsions locatives et des queues interminables de chômeurs devant les agences pour l’emploi ; celles aussi d’une classe politique volontiers donneuse de leçons relatives aux « efforts nécessaires » à fournir par les FLWR\HQVHXSK«PLVPHVFRPPRGHVSRXULPSRVHUGHVFRXSHVEXGJ«WDLUHV massives dans l’éducation et la santé. Mais les Espagnols ont aussi pris FRQVFLHQFH VFDQGDOH DSUªV VFDQGDOH GH OD IDFH FDFK«H GH QRPEUH GH OHXUV UHSU«VHQWDQWV SROLWLTXHV JUDQGV DGHSWHV GH Oȇ«YDVLRQ ȴVFDOH GH la surfacturation des marchés publics et de pratiques d’enrichissement LOOLFLWH&HWWHSHUFHSWLRQODUJHPHQWSDUWDJ«HHQWUHG«JUDGDWLRQVDQVSU«- F«GHQWGHVFRQGLWLRQVGHYLHHWKDXVVHGHVLQ«JDOLW«VSDUDOOªOHPHQWDX[ révélations hebdomadaires des fraudes massives commises par les élites GLULJHDQWHVDG«ERXFK«VXUXQUHQRXYHDXGHODFRQWHVWDWLRQVRFLDOH &RPPHQW H[SOLTXHU OD FULVH «FRQRPLTXH VRFLDOH HW SROLWLTXH TXH traverse l’Espagne d’aujourd’hui ? Comment les mouvements sociaux RQWLOVFRQWULEX«¢ODSROLWLVDWLRQGHQRXYHDX[HQMHX[DXFKDQJHPHQW social et à l’évolution des mentalités ? Ce chapitre d’introduction réca- pitule et analyse de façon critique les principales étapes de la crise «FRQRPLTXH VRFLDOH HW SROLWLTXH HVSDJQROH GHSXLV  ,O V\QWK«WLVH d’abord les aspects essentiels de l’éclatement de la « bulle immobilière » et de l’appauvrissement des classes moyennes et populaires. Il revient ensuite sur les politiques d’austérité menées tant par le PSOE que par le 33VXUOHXUSHUFHSWLRQSDUOHVFLWR\HQVDLQVLTXHVXUODFULVHGHODUHSU«- VHQWDWLRQ SROLWLTXH 3XLV LO SU«VHQWH OH UHQRXYHDX GH OD FRQWHVWDWLRQ HQ «YRTXDQW Oȇ«PHUJHQFH GȇXQH PXOWLSOLFLW« GH PRXYHPHQWV VRFLDX[ de résistances et de revendications citoyennes au cours des dernières années. La dernière section présente le plan et précise l’approche de OȇRXYUDJHTXLRIIUHDXOHFWHXUXQHYLVLRQV\QWK«WLTXHPDLVG«WDLOO«H¢ SDUWLUGȇDQDO\VHVGHVS«FLDOLVWHVGHVSULQFLSDX[ERXOHYHUVHPHQWVVRFLR- politiques de l’Espagne d’aujourd’hui.

DE LA RÉCESSION ÉCONOMIQUE À LA CRISE SOCIALE

L’éclatement de la « bulle immobilière »

Les effets du développement de la crise économique au sein des prin- FLSDX[SD\VLQGXVWULDOLV«V¢SDUWLUGHVXLWH¢ODIDLOOLWHGH/HKPDQ Brothers et à la crise des subprimesDX[‹WDWV8QLVIXUHQWUHQIRUF«VHQ Espagne par l’éclatement de la bulle immobilière en 2008 puis par la

10 La crise démocratique espagnole et le renouveau de la contestation sociale

FULVHEDQFDLUHGHTXLRQWHQJHQGU«XQHDXJPHQWDWLRQGXFK¶PDJH et une dégradation des conditions de vie des classes moyennes et popu- laires2. Certains analystes avaient pourtant critiqué depuis des années le FDUDFWªUHVXSHUȴFLHOGXmPLUDFOH«FRQRPLTXHHVSDJQRO}XQmPRGªOH} de développement soutenu de façon consensuelle par le Parti populaire 33 HWOH3DUWLVRFLDOLVWH 362( IRQG«VXUOHVVHFWHXUVGXE¤WLPHQWGX WRXULVPHOHVG«SHQVHVGHVP«QDJHVHWODFRQVRPPDWLRQLQW«ULHXUHJU¤FH à l’accès facile au crédit3 /HV G«ȴFLWV GHV DGPLQLVWUDWLRQV GH Oȇ‹WDW HW GHV FRPPXQDXW«V DXWRQRPHV OD UHVWULFWLRQ GHV FU«GLWV EDQFDLUHV DX[ entreprises et la hausse des prêts immobiliers impayés ont transformé la récession économique et la crise immobilière en un appauvrissement sans précédent de nombreux secteurs de la société. La crise immobilière s’explique par une hausse continue des mises en FKDQWLHUGXUDQWOHVDQQ«HVDORUVP¬PHTXHODG«PRJUDSKLH espagnole est déclinante et vieillissante et que de nombreux apparte- PHQWVHWPDLVRQVWUDQVPLVOHSOXVVRXYHQWSDUK«ULWDJHHWFRQVHUY«VDX VHLQGHODIDPLOOHVRQWYLGHVHWHQPDXYDLV«WDW/DKDXVVHGHOȇLPPLJUD- tion au début des années 2000 puis lors du premier mandat de José Luis 5RGU¯JXH]=DSDWHURDHQWUHWHQXOHIDQWDVPHGXG\QDPLVPH«FRQRPLTXH illimité. Mais le principal problème historique de l’Espagne est lié à ce TXH 6DPLU $PLQ DSSHODLW HQ VRQ WHPSV mOH G«YHORSSHPHQW LQ«JDO} ¢ VDYRLUOHIDLWTXHOHVIUXLWVGHODFURLVVDQFHUHVWHQWWUªVPDOU«SDUWLVHW que l’accès à l’éducation et à la formation est très inégal selon les classes VRFLDOHV/HVFODVVHVSRSXODLUHVSHXIRUP«HVVRQWWRXFK«HVGHSOHLQIRXHW en temps de crise4$XWRXUQDQWGHVDQQ«HVOȇ(VSDJQH«WDLWDUULY«H ¢XQHVLWXDWLRQR»OȇDSS¤WGXJDLQ¢FRXUWWHUPHGHSURPRWHXUVLPPREL- liers a conduit à la multiplication de « villes nouvelles » et à la construc- tion de quartiers parfois très éloignés des transports et des infrastruc- WXUHV SXEOLTXHV ¢ WUDYHUV OD mYHQWH} DX[ FODVVHV SRSXODLUHV GH OȇLG«DO d’un ascenseur social fondé sur l’accès à la propriété et le crédit facile.

šLa crise des « subprimes » trouve son origine dans les prêts immobiliers faciles et à risque concédés par des banques américaines aux particuliers et aux entreprises, sans respecter les garanties traditionnelles nécessaires. Ces prêts ont été surnommés « prêts Ninja » pour « No Income, No Jobs and Assets », sachant qu’ils furent parfois consentis à des gens sans revenus, sans travail et sans aucun type de propriétés ou de ressources. Cette spéculation financière déclencha des impayés en chaîne, des expulsions et des saisies immobilières, puis la chute des principales banques américaines et le tarissement du crédit. Cf. Paul JƵƷƯƵƴ, La crise. Des subprimes au séisme financier planétaire, Paris, Fayard, 2008. šVicenç NƧƻƧƷƷƵ, « El desastre économico actual era predecible », Público, 29 avril 2013. šSamir AƳƯƴ, LHG«YHORSSHPHQWLQ«JDO̰Essai sur les formations sociales du capitalisme périphé- rique, Paris, Éditions de Minuit, 1973.

11 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

Les banques ont ainsi multiplié les prêts immobiliers sur 25 ou DQVPDLVDXVVLVXUYRLUHP¬PHDQVGRQQDQW¢GHVSDUWLFXOLHUV l’illusion de l’enrichissement et du progrès social grâce à l’accès à la propriété… Mais la vérité est que des dizaines de milliers de citoyens RUGLQDLUHVDEXV«VSDUOHODQJDJHFRPPHUFLDOVHVRQWUHWURXY«VHQJDJ«V ¢YLHHQYHUVOHXUEDQTXH'ȇR»XQHU«GXFWLRQGHOHXUFDSDFLW«GHPREL- lité géographique pour trouver un travail en cas de chômage. Un facteur FXOWXUHOELHQPLVHQDYDQWSDU6DQGUD*DYLULDGDQVVHVWUDYDX[DDXVVL UHQIRUF«FHSURFHVVXVLQȵXHQF«HVSDUOHGLVFRXUVSROLWLTXHGRPLQDQWHW ODSUHVVLRQVRFLDOHOHVIDPLOOHVHVSDJQROHVRQWWRXMRXUVSHU©XQ«JDWLYH- PHQWODORFDWLRQFRPPHmGHOȇDUJHQWG«SHQV«E¬WHPHQW}HWRQWGRQF incité leurs enfants à accéder à la propriété dès leur obtention d’un travail5. Mais avec la stagnation de la démographie et l’émergence d’une J«Q«UDWLRQmQLQL}VDQVWUDYDLOQL«WXGHVODGHPDQGHGHORJHPHQWVHVW GHYHQXHEHDXFRXSSOXVIDLEOHTXHOȇRIIUHȵRULVVDQWH/HVSUL[GHOȇLPPR- bilier ont très fortement chuté (-20 % en moyenne) dans la veine de la G«ȵDWLRQHQUHJLVWU«HHQPDUV%HDXFRXSGȇ(VSDJQROVTXLDYDLHQW DFKHW«OHXUELHQORUVTXHOȇLQȵDWLRQGHVSUL[«WDLW¢VRQFRPEOHDYDQWOD FULVHGHGRLYHQWG«VRUPDLVSD\HUGHVFU«GLWVLPPRELOLHUVWUªVVRX- YHQW¢WDX[YDULDEOHVHWTXLVRQWVXUWRXWWUªVODUJHPHQWVXS«ULHXUVDX prix de vente estimé de leur maison ou appartement. Les crédits immo- ELOLHUVLPSD\«VRQWH[SORV«SDVVDQWGH¢GHSXLVGȇR»OD PXOWLSOLFDWLRQGHVH[SXOVLRQVGHSURSUL«WDLUHVPDLVDXVVLGHORFDWDLUHV l’éclatement de la bulle immobilière a notamment mis au chômage une part importante des ouvriers du bâtiment. Les ouvriers de plus de 40 DQVD\DQWVRXYHQWWUDYDLOO«WRXWHOHXUYLHGDQVFHVHFWHXU«SURXYHQW DXMRXUGȇKXL GH WUªV JUDQGHV GLɚFXOW«V ¢ VH UHFRQYHUWLU KDQGLFDS«V SDUOHXUPDQTXHGHIRUPDWLRQLQLWLDOHOHXU¤JHHWODFRQFXUUHQFHGHV ouvriers venus d’Amérique latine et des pays d’Europe de l’Est ; ils sont donc les premiers à être exposés au chômage de longue durée. $X QLYHDX ORFDO GXUDQW OHV DQQ«HV  OHV «OLWHV SROLWLTXHV RQW«W«ODUJHPHQWFRPSOLFHVGHVULVTXHVSULVSDUOHVHFWHXUEDQFDLUHHQ soutenant elles-mêmes des projets immobiliers peu viables dans leurs YLOOHV HW OHXUV U«JLRQV /D OLVWH HVW WUªV ORQJXH PDLV FLWRQV TXHOTXHV H[HPSOHVHPEO«PDWLTXHV/ȇD«URSRUWGH&DVWHOOµQGHOD3ODQDLQDXJXU« OHPDUVSDU&DUORV)DEUDDQFLHQSU«VLGHQWGHODG«SXWDWLRQSUR- YLQFLDOHGH&DVWHOOµQGH¢ODUJHPHQWLPSOLTX«GDQVOHU«VHDX

šSandra GƧƻƯƷƯƧ, Juventud y familia en Francia y en España, Madrid, Centro de Investigaciones Sociológicas, Centro de investigaciones sociológicas, 2007.

12 La crise démocratique espagnole et le renouveau de la contestation sociale

GH FRUUXSWLRQ m*¾UWHO} QȇD SDU H[HPSOH MDPDLV «W« PLV HQ VHUYLFH6. /DVFXOSWXUHGH-XDQ5LSROO«VmOȇKRPPHDYLRQ}LQVWDOO«H¢OȇHQWU«HGH OȇD«URSRUWV\PEROLVHODG«PHVXUHGHFHVLQYHVWLVVHPHQWVSXEOLFV,URQLH GHOȇKLVWRLUHQRPEUHX[VRQWFHX[TXLDVVRFLHQWG«VRUPDLVOȇmKRPPH DYLRQ} ¢ &DUORV )DEUD SU«VHQW« HQ  FRPPH mXQ FLWR\HQ HW XQ KRPPHSROLWLTXHH[HPSODLUH}SDU0DULDQR5DMR\DORUVFKHIGHOȇRSSR- VLWLRQP¬PHVLOȇDUWLVWHQLHRɚFLHOOHPHQWDYRLUYRXOXOHUHSU«VHQWHU7. /H FLUFXLW GH IRUPXOH  GH 9DOHQFH FRQVWUXLW VXU XQH DQFLHQQH ]RQH LQGXVWULHOOH¢ODS«ULSK«ULHGHODYLOOHGHUULªUHOHSRUWQȇDMDPDLVVHUYLHW WRPEHHQUXLQHV/DELEOLRWKªTXHPXQLFLSDOHGH/HJDQ«V 0DGULG TXLD FR½W«PLOOLRQVGȇHXURV¢ODYLOOHQȇDMDPDLV«W«RXYHUWHDXSXEOLF/H WUDPZD\GH-D«QGRQWOHVUDPHVHWOHVZDJRQVVRQWHQSODFHQȇDMDPDLV IRQFWLRQQ«HQUDLVRQGȇXQFR½WȴQDQFLHULPSRVVLEOH¢DVVXPHUSRXUOD municipalité andalouse.

Photo 1.1 « L’homme-avion », sculpture de Juan Ripollés, aéroport de Castellón de la Plana8

šCarlos Fabra fut condamné en 2013 à quatre années de prison pour plusieurs délits et une HTCWFGFGšGWTQUȃNŨCFOKPKUVTCVKQPHKUECNGCf. « Los FCDTCšCȓQUFGECEKSWKUOQGP Castellón », La Vanguardia, 15 juillet 2012. 7. « RCLQ[šūFabra es un ciudadano y un político ejemplar para el PP” », El País, 11 juillet 2008. šIOCIG NKDTG FG FTQKVU FŨCWVGWT =JVVREQOOQPUYKMKOGFKCQTIYKMKFKNGEl_hombre_avi%C3 %B3n.JPG].

13 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

D’autres exemples emblématiques peuvent encore être évoqués : OȇD«URSRUWDEDQGRQQ«GH&LXGDG5HDOOD&LW«GHOD/XPLªUHTXLDFR½W« 265 millions d’euros à la communauté valencienne et devait devenir un haut lieu de la production cinématographique espagnole ; le Centre FXOWXUHO LQWHUQDWLRQDO 2VFDU 1LHPH\HU ¢ $YLO«V RX HQFRUH OD &LW« GHV VFLHQFHV GH 9DOHQFH GHX[ Y«ULWDEOHV JRXIIUHV ȴQDQFLHUV /D PXOWLSOL- FDWLRQ GHV OLJQHV GH WUDLQ ¢ JUDQGH YLWHVVH VDQV UHQWDELOLW« VXɚVDQWH représente une illustration supplémentaire9. Cette « folie des gran- deurs » des élites locales durant les années du boom économique (1993- 2007) a engendré le surendettement de nombreuses communautés DXWRQRPHV3DUPLOHVSOXVPDXYDLV«OªYHVRQWURXYHOHVFRPPXQDXW«V GH 9DOHQFH GH 0XUFLH GH &DVWLOOH/D 0DQFKH HW GHV %DO«DUHV JRXYHU- Q«HVSDUOH33PDLVDXVVLOȇ$QGDORXVLHGLULJ«HSDUOH362(RXGHVFRP- munautés autonomes gouvernées pendant longtemps par des partis QDWLRQDOLVWHVFRPPHOD&DWDORJQH Convergència i Unió de 1980 à 2003) ou les îles Canaries (Coalition Canaries). La presse a de même révélé en 2012 que les communautés autonomes de Madrid et de Valence avaient HQUHJLVWU«GHVG«ȴFLWVSXEOLFVSOXVLPSRUWDQWVTXHSU«YXVGHHW PLOOLRQVGȇHXURVUHVSHFWLYHPHQWHQUDLVRQGHmG«ȴFLWVRFFXOWHV} FHTXLFRQWUDLJQLW¢U«YLVHU¢ODKDXVVHOHG«ȴFLWWRWDOGHOȇ‹WDWGH ¢10. La crise économique mondiale s’est donc conjuguée en Espagne avec des dépenses publiques et des projets d’investissement parfois très FRQWHVWDEOHV TXL RQW DJJUDY« Oȇ«WDW GHV ȴQDQFHV SXEOLTXHV $SUªV DYRLU « sauvé » les banques malgré le caractère très répréhensible de certaines GHOHXUVSUDWLTXHVGHVS«FXODWLRQVXUOHVPDUFK«VȴQDQFLHUVHWGȇRFWURL GH SU¬WV VDQV JDUDQWLHV VXɚVDQWHV Oȇ‹WDW VȇHVW HQGHWW« ¢ QRXYHDX SRXU «YLWHUODIDLOOLWHGHFHUWDLQHVFRPPXQDXW«VDXWRQRPHV$LQVLGHDX G«EXWKRUPLVGHX[WULPHVWUHVHQOȇ(VSDJQHQȇDFRQQXTXȇXQH U«FHVVLRQFRQWLQXHHWGHIRUWHDPSOHXU6LFRPPHRQYLHQWGHOHUDSSHOHU ODFULVHU«VXOWHODUJHPHQWGHODVS«FXODWLRQLPPRELOLªUHHWȴQDQFLªUHGHV «WDEOLVVHPHQWVEDQFDLUHVOȇDJJUDYDWLRQGHODU«FHVVLRQVȇH[SOLTXHDXVVL FRPPHHQ*UªFHSDUGHVIDFWHXUVH[WHUQHVOL«V¢ODȴQDQFLDULVDWLRQGH Oȇ«FRQRPLH OD mSHUWH GH FRQȴDQFH} GHV PDUFK«V HQYHUV Oȇ(VSDJQH D FRQWULEX«DXWULSOHPHQWGHODGHWWHSXEOLTXH GHGX3,%HQ ¢HQ HW¢XQHDXJPHQWDWLRQGHGHVDSULPHGHULVTXH

9. « El AVE no alcanza el umbral de rentabilidad por viajeros en ninguna línea », La Vanguardia, 26 avril 2012. 10. « Los déficits ocultos de las comunidades de Madrid y de VCNGPEKCšWPGUEȄPFCNQOȄUz El País, 15 septembre 2012.

14 La crise démocratique espagnole et le renouveau de la contestation sociale

Une dégradation sans précédent des conditions de vie

La crise économique a engendré un appauvrissement des classes PR\HQQHVHWSRSXODLUHV'H¢OHVOHVSOXVSDXYUHVGHOD SRSXODWLRQRQWYXOHXUVUHYHQXVGLPLQXHUGHOHVDODLUHPR\HQ HWOH3,%SDUKDELWDQWRQWEDLVV«DORUVTXHOHVVDODLUHVOHVSOXV«OHY«V ont continué à augmenter11. Le chômage a littéralement explosé : WRXFKDQWPLOOLRQGHSHUVRQQHVVRLWGHODSRSXODWLRQDFWLYH DXSULQWHPSVLODDWWHLQWOHPD[LPXPKLVWRULTXHGHPLOOLRQV GHSHUVRQQHV¢VDYRLUGHODSRSXODWLRQDFWLYHG«EXW12. De nombreuses familles ont réduit leur consommation alimentaire et des carences nutritives disparues sont réapparues chez de jeunes enfants issus de familles défavorisées. L’Espagne est ainsi devenue le deuxième pays le plus inégalitaire de l’Union européenne derrière la *UDQGH%UHWDJQH13 (Q QRYHPEUH OH VDODLUH PLQLPXP «WDLW GH HXURVQHWSDUPRLVOHQRPEUHGHFK¶PHXUVDWWHLJQDLWPLO- OLRQVGHSHUVRQQHVVRLWGHODSRSXODWLRQDFWLYHHWGHV MHXQHVPLOOLRQVGHFK¶PHXUVGHORQJXHGXU«HVHWURXYDLHQWGDQV FHWWHVLWXDWLRQGHSXLVSOXVGȇXQDQHWPLOOLRQGHIDPLOOHVDYDLHQW l’ensemble de leurs membres au chômage14. L’administration estimait TXHGHVVDODUL«VWRXFKDLHQWXQUHYHQXLQI«ULHXURX«TXLYDOHQW DXVDODLUHPLQLPXPIDLWLOOXVWUDQWXQHIRUWHSU«FDULVDWLRQGHODUJHV secteurs de la société15 (QȴQ VXU PLOOLRQV GH VDODUL«V  PLOOLRQV  «WDLHQW HPSOR\«V ¢ WHPSV SDUWLHO XQ SK«QRPªQH TXL s’est renforcé suite aux deux réformes du marché du travail de 2010 et 201216. &RQV«TXHQFHGHODFULVHODSRSXODWLRQDP¬PHGLPLQX«GH LQGLYLGXV GHSXLV  SRXU DWWHLQGUH OHV PLOOLRQV HQ   HQ raison d’un ralentissement très net du taux de fécondité et d’une aug- PHQWDWLRQGHOȇ«PLJUDWLRQTXLDWRXFK«SUªVGHSHUVRQQHVSRXU OD VHXOH DQQ«H  SULQFLSDOHPHQW GHV PLJUDQWV ODWLQRDP«ULFDLQV TXL RQW SU«I«U« UHWRXUQHU GDQV OHXU SD\V GȇRULJLQH PDLV DXVVL GHV

šJosé OƹƫƷƵ, « EURCȓCUWHTGNCETKUKUOȄUFGUKIWCNzEl País, 19 juin 2014. šEPSWȍVGFGRQRWNCVKQPCEVKXG EPA +PUVKVWVPCVKQPCNFGUVCVKUVKSWGU INE), premier trimestre 2013. šLuis DƵƴƩƫƲ, « PCTȄNKUKUGPNCGEQPQOȐCGURCȓQNCzEl País, 15 août 2008. šService public d’État de l’emploi, novembre 2014. šAgence d’État d’administration des impôts, novembre 2014. Voir aussi « Cobrar lo mínimo de lo mínimo », Alternativas Económicas, n° 17, septembre 2014, p. 25. šEPA, INE, Madrid, deuxième trimestre 2014.

15 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

nationaux des pays d’Europe de l’Est17 3OXV JUDYH HQFRUH XQH SDUWLH de cette nouvelle émigration concerne de jeunes Espagnols diplômés DX FK¶PDJH SDUWLV SRXU Oȇ$OOHPDJQH OH 5R\DXPH8QL HW OD )UDQFH SULQFLSDOHPHQWPDLVDXVVLSRXUGHVSD\V«PHUJHQWVGȇ$P«ULTXHODWLQH comme le Brésil et l’Argentine18/ȇ«PLJUDWLRQDDXJPHQW«GHGH ¢P¬PHVLOHFKLIIUHRɚFLHOGHG«SDUWVHVWODUJHPHQW sous-estimé en raison de la très grande quantité d’Espagnols qui ne s’enregistre pas auprès de leur consulat à l’étranger19(QȴQGHV emplois détruits entre 2008 et 2013 ont touché des jeunes de moins de  DQV XQ FKLIIUH TXL SDUOH GH OXLP¬PH20. Avec un taux de chômage GHSOXVGHFKH]OHVPRLQVGHDQVODFULVHDGRQFHQJHQGU«XQH radicalisation de la jeunesse21. Mais la crise espagnole n’est pas uniquement économique et sociale. &ȇHVW DXVVL XQH FULVH GX SROLWLTXH IDFH ¢ OȇLQFDSDFLW« GHV GLULJHDQWV à limiter les effets de la récession sur la population et à trouver des VROXWLRQVSRXU\UHP«GLHUFRPPHDXVVLHQUDLVRQGHOȇDPSOHXUGHOD corruption des élites et de pratiques clientélistes qui affaiblissent les IRQGHPHQWVGXV\VWªPHUHSU«VHQWDWLIEDV«HQWK«RULHVXUODFRQȴDQFH et la délégation du pouvoir22. La crise a mis en évidence l’écart immense HQWUH GȇXQH SDUW OHV FRXSHV EXGJ«WDLUHV HW OHV PHVXUHV GȇDXVW«ULW« LPSRV«HVDX[FLWR\HQVHWGȇDXWUHSDUWOȇHQULFKLVVHPHQWHWOHVSUDWLTXHV LOO«JDOHV HW LPPRUDOHV GH QRPEUHX[ GLULJHDQWV SROLWLTXHV HW ȴQDQ- FLHUV (Q  OD SOXV JUDQGH SDUW GHV «OLWHV SROLWLTXHV HVWLPDLW TXH l’on allait assister à un scénario similaire à celui de 1993 : la récession serait limitée dans le temps. Pas besoin donc de s’affoler. Ni même de PHQHUGHVSROLWLTXHVGHWUDLWHPHQWVRFLDOGXFK¶PDJHDȴQGHOLPLWHU OȇDPSOLȴFDWLRQGHODFULVHSDUH[HPSOH¢WUDYHUVGHVSURJUDPPHVHWGHV IRUPDWLRQVGHUHFRQYHUVLRQSRXUOHVVDODUL«VRXOHVRXWLHQDX[IDPLOOHV

17. « Evolución de la población en EURCȓCšzINE, 2014. 18. « La salida de inmigrantes reduce la población en EURCȓCRQTUGIWPFQCȓQzEl País, 30 juin 2014. 19. « Emigración en EURCȓCzINE, 2012. Voir aussi Soledad GƯƳʤƴƫƿ, « CCUKšGURCȓQNGU GOKITCTQPGPDWUECFGVTCDCLQFGUFGz=JVVRYYYRWDNKEQGU?LCPXKGT 20. « Destrucción de empleo en EURCȓCzEPA, 2013. šSur les trajectoires de cette génération, voir par exemple le livre de Benjamín Serra, origi naire de Valence, titulaire de deux masters et qui raconte comment il a été amené à s’expatrier à Londres et à travailler comme agent d’entretien. Cf. Benjamín SƫƷƷƧ, Sobradamente preparado para limpiar váteres en LRQGUHV̰La voz esperanzada de una juventud dispuesta a ganar la batalla del futuro, Madrid, Península, 2014. šPour des réflexions classiques sur le socle de la légitimité populaire dans les régimes représen tatifs, cf. Bernard MƧƴƯƴ, Principes du gouvernement représentatif, Paris, FNCOOCTKQPšPierre RƵƸƧƴƻƧƲƲƵƴ, La légitimité démocratique. Impartialité, réflexivité, proximité, Paris, Points, 2010.

16 La crise démocratique espagnole et le renouveau de la contestation sociale

HQYRLHGHSDXS«ULVDWLRQ8QHFXUHGUDVWLTXHGȇDXVW«ULW«VXɚUDLWSRXU FRQMXUHUOHVmH[FªV}GXSDVV«SHQVªUHQWHOOHV $SUªVWRXWOHV(VSDJQROVDYDLHQWY«FXTXLQ]HDQQ«HVGHFURLVVDQFH «FRQRPLTXH GH  ¢  ,OV Vȇ«WDLHQW HQULFKLV HW HPERXUJHRLV«V choisissant d’acheter des voitures et des appartements à leurs enfants grâce aux crédits immobiliers et à la consommation. Ils avaient incité ces derniers à vite trouver de l’« argent facile » et un travail dans le bâtiment plutôt qu’ils ne les avaient encouragés à étudier. Ils avaient PRELOLV« OHXUV UHODWLRQV SHUVRQQHOOHV DFWLRQQ« OHV menchufes » (pis- WRQV SRXUOHXUWURXYHUmXQHERQQHSODFH}VXUOHPDUFK«GXWUDYDLO %UHIOHV(VSDJQROVDYDLHQWY«FXDXGHVVXVGHOHXUVPR\HQVHWLOVSRX- vaient bien faire quelques efforts. Si on leur enlevait quelques avan- WDJHVFHQHVHUDLWSDVODȴQGXPRQGH(WWRXWUHSDUWLUDLWFRPPHDYDQW &HGLVFRXUVP¬PHDLQVLU«VXP«MXVTXȇ¢VDFDULFDWXUHQȇHVWSRXUWDQW SDVWUªV«ORLJQ«GHFHX[TXHOHV«OLWHVGHVSDUWLVGRPLQDQWV33HW362( HQW¬WHSXUHQWWHQLU¢SDUWLUGH,OFRQVWLWXDODWUDPHGHIRQGMXV- WLȴFDWLYHGHODYROWHIDFHOLE«UDOHHWGHVSROLWLTXHVGȇDXVW«ULW«PHQ«HV par José Luis Rodriguez Zapatero qui touchèrent d’abord les catégories SRSXODLUHVDORUVP¬PHTXȇLODYDLW«W««OXVXUXQSURJUDPPHGHU«GXF- WLRQGHVLQ«JDOLW«V0DLVOȇDPSOLȴFDWLRQGHVVFDQGDOHVGHFRUUXSWLRQHW GȇHQULFKLVVHPHQWGHVUHVSRQVDEOHVSXEOLFVODU«Y«ODWLRQGHSUDWLTXHV FOLHQW«OLVWHVHWGȇ«FKDQJHVGHIDYHXUVHQWUHOHV«OLWHVSROLWLTXHVHWȴQDQ- FLªUHVDORUVP¬PHTXHOHVFODVVHVSRSXODLUHVHWPR\HQQHVUHVVHQWDLHQW — et continuent de ressentir — très fortement les effets de la crise dans OHXUYLHTXRWLGLHQQHRQWG«ERXFK«VXUXQHFULVHWUªVIRUWHGHODUHSU«- sentation politique et une prise de conscience des limites du système institutionnel issu de la constitution de 1978.

DE LA CRISE ÉCONOMIQUE À LA DÉFIANCE POLITIQUE

La perception de l’échec du néolibéralisme et des politiques d’austérité

Après presque une décennie de crise économique et sociale écoulée GHSXLV OHV SU«PLFHV GH OD U«FHVVLRQ HQ  OH MXJHPHQW WUªV Q«JDWLI et critique des Espagnols à l’égard de leurs élites politiques est d’ins- SLUDWLRQ DYDQW WRXW U«WURVSHFWLYH WDQW OH 362( TXL D JRXYHUQ« GH ¢VRXVODGLUHFWLRQGH-RV«/XLV5RGU¯JXH]=DSDWHURTXHOH

17 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

gouvernement du PP de au pouvoir depuis lors ont été LQFDSDEOHV GH PRGLȴHU OHXUV SUDWLTXHV SROLWLTXHV HW OHV RULHQWDWLRQV traditionnelles de leurs politiques publiques pour enrayer la progres- sion du chômage et combattre la hausse des inégalités. Il convient donc de revenir brièvement sur les principales orientations des politiques publiques menées par le PSOE et par le PP au cours de la dernière G«FHQQLH GHSXLV SRXUFRPSUHQGUHOHIRQGHPHQWGHODG«ȴDQFH croissante des citoyens à leur égard. Jordi Sevilla a bien montré com- PHQW OH 362( D SHX ¢ SHX DɚUP« DX G«EXW GHV DQQ«HV  XQH V\QWKªVH LG«RORJLTXH HQWUH VRFLDOLVPH HW OLE«UDOLVPH VȇLQVSLUDQW GH OD mWURLVLªPHYRLH}VRFLDOHG«PRFUDWHWK«RULV«HSDU$QWKRQ\*LGGHQVHW mise en pratique par le travailliste Tony Blair (1997-2007)23. Le PSOE est progressivement devenu un parti « social-libéral » ne cherchant plus Y«ULWDEOHPHQW ¢ UHPHWWUH HQ FDXVH OHV H[FªV GH OD ȴQDQFLDULVDWLRQ GH l’économie. Sa cure d’opposition durant les gouvernements conserva- teurs de José María Aznar de 1996 à 2004 et la croissance économique GXSD\VGXUDQWFHVDQQ«HVU«HOOHPDLVIRQG«HVXUGHVEDVHVWUªVIUDJLOHV HW ODUJHPHQW DUWLȴFLHOOHV IDYRULVªUHQW OH UDOOLHPHQW GH VHV «OLWHV ¢ OD doxa néolibérale24. Cette évolution idéologique permet d’expliquer le fait que le bilan du PSOE sous les gouvernements de José Luis Rodríguez Zapatero est WUªV D[« VXU OHV «YROXWLRQV mVRFL«WDOHV} SOXV TXH VXU OD U«GXFWLRQ des inégalités sociales et l’émancipation des classes moyennes et SRSXODLUHV GHV REMHFWLIV SROLWLTXHV SRXUWDQW WUDGLWLRQQHOV GHV SDUWLV socialistes européens. Les principales lois approuvées par le PSOE ont SRUW« VXU OD YLROHQFH GRPHVWLTXH HW Oȇ«JDOLW« KRPPHVIHPPHV   le mariage pour les couples homosexuels et la « mémoire historique » de la guerre civile (2005)25. Le PSOE a adopté une ligne plus conciliante ¢ Oȇ«JDUG GHV UHYHQGLFDWLRQV QDWLRQDOLVWHV HQ UHFRQQDLVVDQW OH SOXUD- lisme identitaire et culturel de l’Espagne et en soutenant le nouveau statut d’autonomie de la Catalogne en 2005. Le journaliste Fernando Jáuregui put publier dès 2008 un livre intitulé La déception DQWLFL- pant l’amertume de l’électorat populaire vis-à-vis d’un gouvernement SOXVFHQWULVWHHWOLE«UDOD[«VXUOHVTXHVWLRQVGHGURLWVHWGHOLEHUW«V TXH IRQGDPHQWDOHPHQW GH JDXFKH HW YRXODQW PRGLȴHU OHV VWUXFWXUHV

šAnthony GƯƪƪƫƴƸ, La tercera vía. La renovación de la socialdemocracia, Madrid, Taurus, 2003. šJordi SƫƻƯƲƲƧ, De nuevo socialismo, Barcelona, Crítica, 2002, p. 8. šAntonio PƧǞƫƲƲ, Zapatero 2004-2008. La legislatura de la crispación, Madrid, Foca Ediciones, R

18 La crise démocratique espagnole et le renouveau de la contestation sociale

économiques et limiter les inégalités26. Le politologue Carlos Taibo parla même dès 2007 d’une « illusion d’optique » pour évaluer le bilan GX JRXYHUQHPHQW VRFLDOLVWH SRXU OXL VRQ DXJPHQWDWLRQ WUªV IDLEOH HW SXUHPHQW V\PEROLTXH GX VDODLUH PLQLPXP   VD G«FLVLRQ GH libéraliser le marché hypothécaire en facilitant l’accès au « crédit IDFLOH}SRXUOHVSDUWLFXOLHUV HQ VDP\RSLHIDFH¢ODmEXOOHGHOD EULTXH}HWVRQUHIXVGHPHQHUXQHY«ULWDEOHU«IRUPHȴVFDOHHQIDYHXU GHVFODVVHVSRSXODLUHV«WDLHQWDXWDQWGȇLOOXVWUDWLRQVGHVRQRUWKRGR[LH économique libérale et de son renoncement à défendre un véritable projet d’émancipation sociale27. 3RXUWDQW GDQV VRQ SURJUDPPH «OHFWRUDO GH  OH 362( SURPLW XQ mVDXW G«ȴQLWLI} YHUV OH SOHLQ HPSORL HW OȇDSSURIRQGLVVHPHQW GH Oȇ‹WDWSURYLGHQFHXQHG«GXFWLRQGȇLPS¶WGHHXURVSRXUOȇHQVHPEOH GHV FLWR\HQV ¢ DSSURXYHU SDU OH SUHPLHU &RQVHLO GHV PLQLVWUHV XQH augmentation du salaire minimum à 800 euros et la construction de PLOOLRQGHORJHPHQWVVRFLDX[VXUGL[DQVSRXUSHUPHWWUHDX[MHXQHV de s’émanciper en échange d’un loyer modeste de 210 euros28. Mais la campagne électorale de 2008 fut surtout marquée par une « lutte poli- tique » médiatisée et personnalisée entre José Luis Rodríguez Zapatero HW 0DULDQR 5DMR\ VHORQ OH VRFLRORJXH (QULTXH *LO &DOYR HW SDU mOȇDE- sence absolue d’idées politiques » pour le journaliste Josep Ramoneda29. Malgré les premiers signes évidents de dégradation économique HQUHJLVWU«VGHSXLVODȴQGHOȇDQQ«H-RV«/XLV5RGU¯JXH]=DSDWHUR

šFernando JƧƺƷƫƭƺƯ, La decepción. Crónica amarga y secreta de cuatro años de crispación, Barcelona, Debate, 2008. Cf. de même Félix OƻƫưƫƷƵ, « ¿Es de izquierdas la política del PSOEš!z El noticiero de las ideasPoRLes positions de Fernando Vallespin, professeur de science politique de l’Université autonome de Madrid et ancien directeur du Centre de recherches UQEKQNQIKSWGU CIS), furent très écoutées et influencèrent la campagne électorale du PSOE de 2004. Il critiqua la « troisième voie » et soutint qu’un socialisme rénové doit maintenir le rôle cen tral de l’État et se focaliser principalement sur l’investissement en capital humain par l’éducation, la formation des chômeurs et la réduction des inégalités. Avec le recul, force est de constater que le PSOE a surtout utilisé stratégiquement ses idées pour jouer son rôle d’opposition et accéder au pouvoir, mais n’a pas développé de politiques publiques novatrices qui puissent favoriser l’égalité sociale et la redistribution des richesses. Cf. Fernando ƻƧƲƲƫƸǞƯƴ, El futuro de la política, Madrid, 6CWTWU PQVCOOGPV R 8QKT CWUUK UGU CTVKENGU k5QEKCNKUOQ RQUVKFȌQNQIKEQz GV k.C izquierda posible » paru dans El País le 28 mai et le 13 juillet 2000. šCarlos TƧƯƨƵ, « ZCRCVGTQ~GPNCK\SWKGTFCš!zLa Vanguardia, 18 juin 2007. šJesús Caldera, le coordinateur du programme électoral du PSOE, soutint ainsi qu’« il est essentiel d’avoir une vision optimiste du futur du pays, parce que ceux qui pronostiquent la catastrophe développent une attitude contraire au plein emploi », cf. Jesús CƧƲƪƫƷƧ, déclara tion lors de la réunion du bureau exécutif du PSOE le 16 janvier 2007, cité dans Antonio PƧǞƫƲ, op. cit., 2008, p. 314 šEnrique GƯƲ CƧƲƻƵ, La lucha política a la española. Tragicomedia de la crispación, Madrid, TCWTWUšJosep RƧƳƵƴƫƪƧ, « Sin ideas políticas », El País, 6 mars 2008.

19 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

stigmatisa comme « antipatriotes » ceux qui selon lui « exagéraient la FULVH «FRQRPLTXH} SURPHWWDQW TXH Oȇ(VSDJQH VHUDLW SURFKDLQHPHQW « dans la Champions League de l’économie mondiale »30. Le programme électoral du PSOE fut d’ailleurs intitulé : « Pour le plein emploi : Raisons pour grandir »31. José Luis Rodríguez Zapatero nia pendant longtemps OD FULVH SU«I«UDQW SDUOHU GHV mIDLEOHVVHV} RX GȇXQ mUDOHQWLVVHPHQW} GH Oȇ«FRQRPLH HW FH MXVTXȇDX MXLOOHW  ORUVTXȇLO UHFRQQXW VRQ existence et utilisa pour la première fois le terme de « crise » lors d’un entretien à la chaîne Antena 332/DVHPDLQHVXLYDQWH0DUWLQVD)DGHVD OD SUHPLªUH HQWUHSULVH LPPRELOLªUH GX SD\V ȴW IDLOOLWH ODLVVDQW GHV centaines de chantiers à l’abandon et plusieurs milliers d’ouvriers au chômage. /ȇKLVWRLUHGRQQDGRQFUDLVRQ¢&DUORV7DLERGȇDXWDQWSOXVTXHVXLWH à l’éclatement de la bulle immobilière et à la faillite des principales EDQTXHV HVSDJQROHV OH 362( DSSOLTXD VDQV EURQFKHU OHV PHVXUHV GȇDXVW«ULW«SU¶Q«HVSDUODm7UR±ND} &RPPLVVLRQHXURS«HQQH%DQTXH FHQWUDOH HXURS«HQQH HW )RQGV PRQ«WDLUH LQWHUQDWLRQDO  VȇDOL«QDQW durablement le soutien des classes populaires les plus touchées par la FULVH(QDR½WOHJRXYHUQHPHQWVRFLDOLVWHHQWUHSULWGȇDSSOLTXHUXQ plan d’austérité drastique de 24 mesures en contradiction totale avec ses promesses électorales : réduction de 70 % des ouvertures de poste et de 5 % des salaires dans la fonction publique ; hausse de la TVA ; gel des pensions de retraite et augmentation de l’âge de départ à 67 ans (avec l’appui du PP à travers le « pacte de Tolède ») ; remise en cause des principales avancées sociales de la législature antérieure (« chèque E«E«}GHHXURVDSSURXY«HQMXLOOHWSRXUVRXWHQLUODQDWDOLW« et déduction de 400 euros sur l’impôt sur le revenu) ; de même qu’une réforme du travail en septembre 2010 qui réduisit les primes de licen- ciement de 33 à 25 jours d’indemnisation par année travaillée et débou- cha sur une grève générale33. /H 362( UHQRQ©D ¢ DXJPHQWHU ¢ HXURV OH VDODLUH PLQLPXP TXLUHVWDGRQFGHHXURVQHWSDUPRLVMXVTXȇ¢ODȴQGHVRQVHFRQG mandat en novembre 2011. Les dépenses publiques furent réduites de PLOOLRQVHQOHVLQYHVWLVVHPHQWVSXEOLFVGLPLQXªUHQWHWOHV

šJosé LƵƨƵ, « ZCRCVGTQXWGNXGCVCEJCTFGūCPVKRCVTKQVCUŨCSWKGPGUūGZCIGTCPŬNCETKUKUGEQPȕ mica », [Elconfidencial. com], 30 avril 2008, consulté le 14 janvier 2015. 31. « El PSOE presenta los motivos para crecer », Público, 3 mars 2008. šJosé LƵƨƵ, « NKETKUKUPKFGUCEGNGTCEKȕPšZCRCVGTQJCDNCCJQTCFGūFGDKNKFCFGUŬGEQPȕOK cas », [Elconfidencial. com], 14 mai 2008, consulté le 15 janvier 2015. šNatalia JƺƴƶƺƫƷƧ, « Las 10 grandes rectificaciones de Zapatero », El País, 24 août 2011.

20 La crise démocratique espagnole et le renouveau de la contestation sociale

communautés autonomes se livrèrent à des licenciements et des réduc- WLRQVGHVDODLUHVRXVODSUHVVLRQGHOȇ‹WDWFHQWUDOOXLP¬PHVRXPLVDX[ conditions et pressions de la Troïka et des créanciers européens de l’Es- SDJQH(QMXLQOHVSUL[GHOȇHVVHQFHHWGXWDEDFDXJPHQWªUHQWSRXU ODSUHPLªUHIRLVGHSXLV(QMDQYLHUFHIXWOHWRXUGHVSUL[GH Oȇ«OHFWULFLW«  HWGHVELOOHWVGHWUDLQV  $XerMDQYLHU OHV SUL[ GH Oȇ«OHFWULFLW«   GHV ELOOHWV GH WUDLQ HW GHV DXWRURXWHV augmentèrent de nouveau et les pensions de retraite furent gelées. Le WDX[GHFK¶PDJHDWWHLJQDLWDORUVHQ$QGDORXVLHGDQVOHV °OHV&DQDULHVHW¢0XUFLH34. Malgré ses critiques sur ce point à OȇHQFRQWUHGHVJRXYHUQHPHQWVGH-RV«0DU¯D$]QDU-RV«/XLV5RGU¯JXH] =DSDWHURQȇK«VLWDSDV¢SULYDWLVHU$HQDOȇHQWUHSULVHQDWLRQDOHTXLJ«UDLW MXVTXȇDORUV OHV D«URSRUWV HW OD QDYLJDWLRQ D«ULHQQH GH P¬PH TXȇXQH partie de la loterie nationale. L’approbation d’une réforme constitution- QHOOHDYHFOȇDSSXLGX33TXLLQVWDXUDXQHmUªJOHGȇRU}OLPLWDQWOHG«ȴFLW SXEOLFHQDR½WPRQWUDELHQODSULRULW«GRQQ«HDXUHPERXUVHPHQW de la dette et à la réduction des dépenses publiques. &HUWHV OH JRXYHUQHPHQW VRFLDOLVWH FKHUFKD ¢ UHODQFHU OȇLQYHVWLVVH- ment public à travers le « plan E » qui mobilisa 11 000 millions d’euros HWSHUPLWGHȴQDQFHUGHVSURMHWVDXVHLQGHVPXQLFLSDOLW«V$ORUVTXHOH gouvernement américain laissa les banques qui avaient trop de risques ȴQDQFLHUVIDLUHIDLOOLWHDSSOLTXDQWDLQVL¢ODOHWWUHODGRFWULQHOLE«UDOH FHTXLGHYDLWGȇDLOOHXUVVHU«Y«OHUE«Q«ȴTXHVXUOHORQJWHUPHOHV‹WDWV HXURS«HQVYLQUHQWDXFKHYHWGHVEDQTXHVFHTXLWUDQVIRUPDOHVGHWWHV EDQFDLUHV HQ GHWWHV SXEOLTXHV &HV SROLWLTXHV Q«ROLE«UDOHV R» Oȇ‹WDW D VDXY«GHVEDQTXHVSRXUWDQWUHVSRQVDEOHVGHODVS«FXODWLRQȴQDQFLªUH ont non seulement été menées sans contreparties quant à une plus IHUPH U«JXODWLRQ GHV DFWLYLW«V EDQFDLUHV HW GHV PDUFK«V ȴQDQFLHUV mais ont aussi déresponsabilisé les principaux acteurs à l’origine de la FULVH(Q(VSDJQHGHQRPEUHXVHVEDQTXHVRQWDLQVL«W«mVDXY«HV}SDU Oȇ‹WDW &DMD&DVWLOODOD0DQFKDHQPDUV&DMD6XUHQPDLSDU H[HPSOH  OH JRXYHUQHPHQW VRFLDOLVWH D\DQW G«ERXUV« PLOOLRQV GȇHXURV SRXU OȇDFKDW GȇDFWLIV ȴQDQFLHUV SDU OH 7U«VRU SXEOLF 0DLV OD IDLOOLWHGHVEDQTXHVHWOȇLQWHUYHQWLRQGHOȇ‹WDWRQWIDLWH[SORVHUODGHWWH SXEOLTXHHWOHVG«ȴFLWV3HX¢SHXOHVFRQGLWLRQVGHYLHGHV(VSDJQROV se sont largement dégradées. Le renoncement idéologique du PSOE et son choix de l’austérité débouchèrent sur sa plus large défaite depuis la transition lors des élections législatives du 29 novembre 2011 : Alfredo

šAlejandro BƵƲƧʫƵƸ, « Una crisis de 4,9 millones de parados », El País, 30 avril 2011.

21 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

3«UH]5XEDOFDEDREWLQWDORUVVHXOHPHQWGHVYRL[ FRQWUH HQ OH33UDȵDQWDXFRQWUDLUHODPDMRULW«DEVROXHDYHFGHV suffrages exprimés. Cette politique néolibérale et complaisante à l’égard des princi- paux responsables de la crise bancaire fut toutefois poursuivie par OH JRXYHUQHPHQW FRQVHUYDWHXU GH 0DULDQR 5DMR\ $LQVL ȴQ  OD Banque d’Espagne intervint pour sauver la Caisse d’épargne de la 0«GLWHUUDQ«HSXLVQDWLRQDOLVDOHVEDQTXHV&DWDOXQ\D&DL[D1RYDFDL[D *DOLFLDHW%DQFRGH9DOHQFLDSRXUXQPRQWDQWWRWDOGHPLOOLRQV GȇHXURVFHTXLȴWDXJPHQWHUGȇDXWDQWODGHWWHSXEOLTXHȃTXLDWWHLJQLW DORUVOHVGXSURGXLWLQW«ULHXUEUXW 3,% 3XLVHQOHJRXYHU- QHPHQWGX33SULWOHFRQWU¶OHGH%DQNLDHQWLW«ȴQDQFLªUHFRQWU¶ODQW GH QRPEUHXVHV EDQTXHV HW FDLVVHV Gȇ«SDUJQH &DMD 0DGULG %DQFDMD &DMD&DQDULDV&DL[D/DLHWDQD&DMD5LRMD&DVDƒYLODHW&DMD6HJRYLD  HW GRQW OH SU«VLGHQW 5RGULJR 5DWR UHVSRQVDEOH GȇXQH JHVWLRQ G«VDV- WUHXVH«WDLWXQPHPEUHLQȵXHQWGX3335)DFH¢GHVSHUWHVȴQDQFLªUHV «QRUPHVRQLQMHFWDPLOOLRQVGȇHXURVGȇDUJHQWSXEOLFSRXUVDX- YHU FHW «WDEOLVVHPHQW GDQV FH TXL GHYDLW GHYHQLU OH SOXV LPSRUWDQW plan de sauvetage de l’histoire de l’Espagne et l’un des principaux en (XURSH 0DLV FH SODQ QH IXW SDV VXɚVDQW /H PDL  XQ DSSRUW de 23 500 millions d’euros supplémentaires apparut nécessaire pour derechef « sauver » Bankia. 'HYDQW OȇDPSOHXU GHV SHUWHV OH JRXYHUQHPHQW VROOLFLWD OH VRXWLHQ de l’Union européenne à hauteur de cent milliards d’euros ; il l’obtint OHMXLQRɚFLHOOHPHQWSRXUmDVVDLQLUOHV\VWªPHȴQDQFLHUHVSD- gnol » en prêtant aux banques36/HVSHUWHVGHVEDQTXHVUHVSRQVDEOHV GHODVS«FXODWLRQȴQDQFLªUHHWLPPRELOLªUHSDUOȇRFWURLPDVVLIGHFU«GLWV ¢GHVSHUVRQQHVHW¢GHVHQWUHSULVHVVDQVJDUDQWLHVVXɚVDQWHVORUVGHV DQQ«HVGXmERRP}IXUHQWGRQFWUDQVIRUP«HVHQGHWWHSXEOLTXHGRQW OHUHPERXUVHPHQWHWOHVLQW«U¬WVSD\«VSDUOHFRQWULEXDEOHHVSDJQROQH GHYDLHQWSOXV¬WUHUHQGXV¢Oȇ‹WDWPDLVDX[FU«DQFLHUVH[W«ULHXUV/HV actions des gouvernements du PSOE et du PP furent dès lors très criti- TX«HVSDUOȇRSLQLRQSXEOLTXHG«VRUPDLVWUªVFRQVFLHQWHGXP«FDQLVPH pervers de la dette. Les banques ont été déresponsabilisées malgré leurs H[FªV VS«FXODWLIV HW OȇDPSOHXU GH OHXU «YDVLRQ ȴVFDOH HW Oȇ‹WDW GRQF OȇHQVHPEOH GHV FLWR\HQV GXW HW GHYUD ORQJWHPSV SD\HU OH SUL[ GȇXQH dette dont ces derniers ne sont que partiellement responsables. En

šIȓKIQDƫBƧƷƷʭƴ, « Rato dimite como presidente de BCPMKCzEl País, 7 mai 2012. šIȓKIQDƫBƧƷƷʭƴ, « El Estado nacionaliza el grupo de BCPMKCzEl País, 10 mai 2012.

22 La crise démocratique espagnole et le renouveau de la contestation sociale

«FKDQJHGHVHPSUXQWVFRQWUDFW«VSDUOȇ‹WDWSRXUDVVDLQLUOHVȴQDQFHV GHVEDQTXHVOHVFU«DQFLHUVH[W«ULHXUVRQWHQHIIHWH[LJ«XQHU«GXFWLRQ GHVG«ȴFLWVSXEOLFVTXLVHVRQWFUHXV«VGHID©RQP«FDQLTXHSDUOHVIDLO- OLWHVEDQFDLUHVHWODKDXVVHGHVWDX[GȇLQW«U¬WVXUOHVPDUFK«VȴQDQFLHUV 3RXUU«SRQGUHDX[FRQGLWLRQVHXURS«HQQHVOHSDLHPHQWGHODGHWWHHW la réduction des dépenses publiques sont devenus l’alpha et l’oméga de OȇHQVHPEOHGHVSROLWLTXHVJRXYHUQHPHQWDOHVGHSXLV¢OȇH[FOXVLRQ de tout autre projet économique alternatif. De nombreux Espagnols ont ainsi perdu tout espoir face aux discours de partis dominants n’offrant que l’austérité comme horizon politique. 'ªV VD SULVH GH SRXYRLU HW DYHF OȇDSSXL GH &L8 0DULDQR 5DMR\ G«FLGDSRXUFRPSHQVHUFHV«QRUPHVSHUWHVȴQDQFLªUHVGȇDXJPHQWHU OȇLPS¶W VXU OH UHYHQX GH U«GXLUH OH G«ȴFLW SXEOLF GH  PLOOLDUGV d’euros (la plus importante coupe budgétaire depuis 1978) à travers GHV SULYDWLVDWLRQV GHV OLFHQFLHPHQWV OD SRXUVXLWH GX JHO GX VDODLUH des fonctionnaires et une diminution de 40 % des investissements publics en 2012. Puis des coupes budgétaires à hauteur de 18 milliards d’euros furent imposées aux communautés autonomes. Comme le 362(DYDQWOXLOH33UHQLDVHVSURPHVVHV«OHFWRUDOHVHQPHQDQWXQH politique d’austérité : privatisation des entreprises publiques ; coupes budgétaires dans le secteur de la santé et de l’éducation ; nouvelle augmentation de la TVA de 18 % à 21 % en juillet 2012 ; suppression des paies extra de Noël des fonctionnaires et réduction du nombre de FRQJ«VHWF 4XL SOXV HVW FHV SROLWLTXHV QȇHXUHQW SDV GȇHIIHWV ¢ FRXUW WHUPH SXLVTXH Oȇ(VSDJQH HQWUD ¢ QRXYHDX HQ U«FHVVLRQ ȴQ  HW \ UHVWD MXVTXȇ¢ OD ȴQ  3HQGDQW FHWWH S«ULRGH  HPSORLV SXEOLFVIXUHQWVXSSULP«V(QSXLVHQGHQRXYHOOHVDXJPHQ- WDWLRQVGXSUL[GHOȇ«OHFWULFLW«IXUHQWG«FLG«HV HQGHX[DQV HWOH VDODLUHPLQLPXPGHPHXUDJHO«¢HXURVSDUPRLV0DLVODGHWWH extérieure espagnole n’en aura pas moins triplé en moins d’une décen- QLHDWWHLJQDQWOHVGX3,%HQ)LQOȇ(XURVWDWHVWLPD P¬PHOHUHYHQXSDUKDELWDQW¢GHODPR\HQQHHXURS«HQQHFH TXLVLJQLȴDLWXQHU«JUHVVLRQGXSD\V¢ODVLWXDWLRQTXL«WDLWODVLHQQH TXLQ]HDQVSOXVW¶WHQ Malgré le retour d’une — faible — croissance économique en 2014- OHGLVFRXUVRɚFLHOVXUODmVRUWLHGHFULVH}SHLQH¢FRQYDLQFUHOHV (VSDJQROV GHV FODVVHV PR\HQQHV HW SRSXODLUHV SRXU TXL OHV GHUQLªUHV années et le temps présent demeurent associés à la récession écono- PLTXH¢ODKDXVVHGHVLQ«JDOLW«VHW¢ODUHPLVHHQFDXVHGHQRPEUHX[ GURLWVVRFLDX[/HVIUXLWVGHFHWWHFURLVVDQFHQHE«Q«ȴFLHQWHQHIIHWSDV

23 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

¢WRXVORLQGHO¢/HVLQ«JDOLW«VVHVRQWGȇDLOOHXUVODUJHPHQWUHQIRUF«HV depuis 2008. Une situation perçue avec un sentiment partagé d’injus- WLFHGȇDXWDQWSOXVTXȇHOOHFR±QFLGHDYHFODPXOWLSOLFDWLRQGHVDIIDLUHVGH corruption. L’impact de la corruption sur la crise de la représentation politique

'DQVOȇ(VSDJQHGȇDXMRXUGȇKXLODPXOWLSOLFDWLRQGHVDIIDLUHVGHFRU- ruption politique est telle que cet enjeu constitue désormais la seconde SU«RFFXSDWLRQPDMHXUHGHVFLWR\HQVGHUULªUHODTXHVWLRQGXFK¶PDJH37. /ȇmDIIDLUH *¾UWHO} U«Y«O«H OH I«YULHU  SDU OȇHQTX¬WH GX MXJH %DOWDVDU *DU]µQ VXU OH ȴQDQFHPHQW LOO«JDO GX 33 GH OD FRPPXQDXW« valencienne est la plus emblématique. Ses membres ont détourné les fonds publics dédiés à la Feria de Valence et à la visite fastueuse du 3DSH %HQR°W;9, HQ  VXUIDFWXU« GHV FRQWUDWV GH WUDYDX[ SXEOLFV DYHF GHV HQWUHSULVHV WUDYDLOODQW DYHF OD *HQHUDOLWDW HW G«YHORSS« XQ U«VHDXGHȴQDQFHPHQWRFFXOWHGHVFDPSDJQHV«OHFWRUDOHVGHHWGH 200838. Mais bien d’autres cas de corruption ont éclaboussé les fédéra- tions régionales du PP depuis 2008. Les PP de la Rioja et de Biscaye sont VRXS©RQQ«VGȇDYRLUDFKHW«OHXUVLªJH SRXUOHSUHPLHU RXSD\«OȇK\SR- WKªTXHHWHIIHFWX«GHVWUDYDX[DXVHLQGHFHOXLFL SRXUOHVHFRQG JU¤FH à de l’argent issu de la « double comptabilité » du PP national. Le PP de &DQWDEULHHVWTXDQW¢OXLDFFXV«GȇDYRLUE«Q«ȴFL«GHGRQDWLRQVLOO«JDOHV Des municipalités qui ont été ou qui sont encore gouvernées par le PP VRQW DXVVL PLVHV HQ FDXVH 9DOHQFH 3RQWHYHGUD 7ROªGH %RDGLOOD GHO 0RQWH RX $UJDQGD GHO 5H\SRXU QȇHQ FLWHU TXH TXHOTXHVXQHV 0DU¯D 'RORUHVGH&RVSHGDOVHFU«WDLUHJ«Q«UDOGX33GHSXLVHWSU«VLGHQWH GH OD -XQWH GHV FRPPXQDXW«V GH &DVWLOOH/D 0DQFKH GHSXLV  D ainsi été indirectement mise en cause après la découverte du détour- nement de 200 000 euros octroyés à la compagnie Sacyr à Tolède pour OHWUDLWHPHQWGHVG«FKHWVXQHVRPPHTXLDXUDLWSHUPLVGHȴQDQFHUVD campagne électorale régionale de 200739. (Q PDUV GH QRPEUHXVHV DIIDLUHV PHQDFHQW HQFRUH OH 33 DX SRXYRLU HW SOXVLHXUV GH VHV I«G«UDWLRQV /H SDUWL HVW VRXS©RQQ« VXL- vant les « papiers de Bárcenas » révélés durant l’enquête sur le réseau

šSondage El PaísMetroscopia, 2 novembre 2014. šJosé Manuel RƵƳƫƷƵ, « Gürtel, la corrupción que colonizó el Partido Popular », El País, 16 janvier 2015. šJosé MƧƷʨƧIƷƺưƵ, « Un contrato de basuras bajo sospecha », El País, 20 juillet 2013.

24 La crise démocratique espagnole et le renouveau de la contestation sociale

*¾UWHOGȇDYRLUSD\«HQOLTXLGHHWVDQVG«FODUDWLRQVȴVFDOHVOHVWUDYDX[ GHVRQVLªJHSRXUXQPRQWDQWGHPLOOLRQGȇHXURVHWGȇDYRLUDFKHW« des actions du groupe Libertad Digital avec de l’argent illicite issu de sa « double comptabilité » (connue comme « la caisse b » du parti). Le MDQYLHUOHTXRWLGLHQEl MundoȴW«WDWGHG«FODUDWLRQVGH/XLV %£UFHQDVFRQȴDQWDYRLUGLVWULEX«FKDTXHPRLV¢GHVGLULJHDQWVGX33 SHQGDQW GH QRPEUHXVHV DQQ«HV GHV HQYHORSSHV FRQWHQDQW GH ¢ HXURV SURF«GDQW GȇHQWUHSULVHV GH V«FXULW« GX E¤WLPHQW RX GH donations non déclarées40'DQVOHFDGUHGHOȇmDIIDLUH%£UFHQDV}GRQW OHSULQFLSDOLQFXOS«HVWOȇDQFLHQWU«VRULHUGX33OHSDUWLHVWVRXS©RQQ« GȇDYRLUPLVHQSODFHXQV\VWªPHGHȴQDQFHPHQWRFFXOWHGH¢ TXLOXLDXUDLWQRWDPPHQWSHUPLVGHWLUHUSURȴWGHKXLWPLOOLRQVGȇHXURV de donations illégales41. Malgré la gravité des faits reprochés aux per- VRQQHVVRXS©RQQ«HVGHFRUUXSWLRQOHVHQWLPHQWODUJHPHQWSDUWDJ«SDU les Espagnols est que les peines sont très légères et que la justice n’est pas la même pour tous. ,O VXɚW SDU H[HPSOH GH FRQVWDWHU OH JUDQG «FDUW HQWUH OHV SHLQHV requises par les juges anticorruption et les durées effectives de déten- WLRQ GHV GHX[ SULQFLSDX[ mERXFV «PLVVDLUHV} GH OȇDIIDLUH *¾UWHO Francisco Correa et Luis Bárcenas. Les juges réclament cent vingt- FLQT DQQ«HV GH SULVRQ HW XQH DPHQGH GH PLOOLRQV GȇHXURV SRXU )UDQFLVFR&RUUHDDFFXV«GHFRUUXSWLRQWUDȴFGȇLQȵXHQFHEODQFKLPHQW GHFDSLWDX[IUDXGHȴVFDOH DVVRFLDWLRQLOOLFLWHHW IDOVLȴFDWLRQ GHGRFX- ments42. Ils réclament aussi quarante-deux années de prison pour Luis %£UFHQDV TXL VȇHVW HQULFKL JU¤FH ¢ GHV FRPPLVVLRQV SRXU VRQ WUDYDLO d’intermédiaire entre des entreprises obtenant des contrats publics et GHVGLULJHDQWVGX33REWHQDQWGHVU«WURFRPPLVVLRQVRFFXOWDQWPLO- OLRQV GȇHXURV ¢ OȇDGPLQLVWUDWLRQ ȴVFDOH VXU GHV FRPSWHV EDQFDLUHV HQ Suisse43. L’un n’a effectué que trois années de prison de 2009 à 2012 en G«WHQWLRQ SU«YHQWLYH REWHQDQW VD PLVH HQ OLEHUW« JU¤FH DX SDLHPHQW de 200 000 euros ; l’autre est resté dix-neuf mois en détention à la pri- son madrilène de Soto del Real pour les mêmes délits. Même s’il est SRVVLEOH TXȇLOV UHWRXUQHQW HQ SULVRQ ¢ OȇLVVX GH OHXU SURFªV LO HVW SHX SUREDEOHTXHFHODVRLWOHFDVHQUDLVRQGHVDP«QDJHPHQWVGHSHLQHVFH qui donne à la société l’image d’une impunité « des politiques » et « des

40. « Las revelaciones de BȄTEGPCUzEl Mundo, 18 janvier 2010. 41. « LQUGUEȄPFCNQUSWGCOGPC\CPGNPP », El País, 16 janvier 2015. šMaría FƧƨƷƧ, « BȄTEGPCU[CGUVȄGPNCECTEGNzEl País, 28 juin 2013. šJosé Manuel RƵƳƫƷƵ et Fernando PʤƷƫƿ, « El fiscal detalla la financiación ilegal del PP FWTCPVGCȓQUzEl País, 16 janvier 2015.

25 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

puissants44} 4XDUDQWH HW XQ DXWUHV SU«YHQXV GRLYHQW GȇDLOOHXUV ¬WUH MXJ«VGRQWOȇDQFLHQQHPLQLVWUHGHOD6DQW«$QD0DWRSRXUmSDUWLFLSD- WLRQ¢WLWUHOXFUDWLI}¢OȇDSSURSULDWLRQGHELHQVSXEOLFVRXHQFRUH3DEOR &UHVSRDQFLHQVHFU«WDLUHJ«Q«UDOGX33GH*DOLFHHWDPLSHUVRQQHOGH l’actuel chef du gouvernement Mariano Rajoy. Mais la prescription très UDSLGHGHVG«OLWVȴQDQFLHUVDSUªVVHXOHPHQWWURLVRXTXDWUHDQVGDQV OD SOXSDUW GHV FDV HW ¢ OȇLQYHUVH OHV G«ODLV WUªV ORQJV GHV SURF«GXUHV MXGLFLDLUHVSHUPHWWHQWOHSOXVVRXYHQWDX[SU«YHQXVGȇ«FKDSSHU¢GHV condamnations. La corruption politique mine le socle du lien représentatif et l’impu- nité renforce l’indignation citoyenne et la montée de l’antiparlemen- WDULVPH /D IUDXGH ȴVFDOH IXW DLQVL HVWLP«H ¢  PLOOLDUGV GȇHXURV HQ SDUOHPLQLVWªUHGHVȴQDQFHV450DLVOHVFRQWU¶OHVȴVFDX[FLEOHQW SULQFLSDOHPHQWOHVSURIHVVLRQVOLE«UDOHVOHVDXWRHQWUHSUHQHXUVOHVDUWL- VDQVHWOHVSHWLWVFRPPHU©DQWVP¬PHVLOHXUVIUDXGHVQHUHSU«VHQWHQW que 8 % du total. Les entreprises multinationales et les grandes fortunes VRQW OHV SULQFLSDX[ UHVSRQVDEOHV GH OD IUDXGH ȴVFDOH HQ (VSDJQH PDLV VRQW UDUHPHQW FRQGDPQ«HV FH TXL UHQIRUFH OH VHQWLPHQW TXH OD ORL HW la justice ne s’appliquent pas de la même manière pour les « citoyens ordinaires » et pour les « puissants46} /ȇDPQLVWLH ȴVFDOH G«FLG«H SDU OH 33 HQ PDUV D GRQQ« XQH LPDJH G«SORUDEOH (Q RXWUH HOOH QȇD débouché que sur une régularisation de 5 % des sommes estimées de Oȇ«YDVLRQȴVFDOH'ȇDXWUHVDUWLȴFHVO«JDX[SURYRTXHQWDXVVLOȇLQGLJQDWLRQ GHV FLWR\HQVSDU H[HPSOH OD SRVVLELOLW« GX JRXYHUQHPHQW GȇDFFRUGHU un « pardon » (indulto) en dépit d’un verdict judiciaire à certaines per- VRQQHVFRQGDPQ«HVRXHQFRUHOHIDLWTXHSHUVRQQHVE«Q«ȴFLHQW GȇXQHmLPPXQLW«}OL«H¢OHXUVUHVSRQVDELOLW«VSXEOLTXHVRXSROLWLTXHV SULQFLSDOHPHQWOHVMXJHVPDLVDXVVLSOXVGHGHX[PLOOHSROLWLFLHQV47. Le plus grave est que ces scandales touchent l’ensemble de la classe SROLWLTXH (Q  OH SURFXUHXU J«Q«UDO GH Oȇ‹WDW mȴVFDO JHQHUDO} 

šLorsque Luis BȄTEGPCU UQTVKV FG RTKUQP GP LCPXKGT KN FȌENCTCš kJ’ai été fort. Le PP n’a rien à craindre », un euphémisme pour dire que des condamnations de hauts dirigeants semblent improbables. SQPCXQECVGWVOȍOGNGEWNQVFGFȌENCTGTškMon client a payé pour les autres. Avoir 40 millions en Suisse, ce n’est pas un délit », cf. Fernando PʤƷƫƿ, « BȄTEGPCUUCNG FGRTKUKȕPškHe sido fuerte. El PP no tiene nada que temer », El País, 23 janvier 2015. 45. « El fraude fiscal alcanza en EURCȓC GN  FGN PIBz =JVVRšYYYRWDNKEQGU? HȌXTKGT 2013. 46. « Un estudio concluye que hay hasta 26 billones de euros ocultos en paraísos fiscales », =JVVRYYYGWTQRCRTGUU com], 17 juillet 2012. 47. « Quiénes son los aforados en EURCȓC[SWKȌPNQULW\ICzEl País, 2 septembre 2014.

26 La crise démocratique espagnole et le renouveau de la contestation sociale

&£QGLGR &RQGH3XPSLGR U«Y«OD TXH  HQTX¬WHV SRXU FRUUXSWLRQ «WDLHQW HQ FRXUV HW FRQFHUQDLHQW OȇHQVHPEOH GHV SDUWLV GRQQDQW XQH image lamentable d’impunité généralisée : 464 affaires concernaient GHVPHPEUHVGX362(HWGX33 UHVSHFWLYHPHQWHW VRLW GX WRWDO PDLV GH QRPEUHXVHV DXWUHV SURF«GXUHV48 impliquaient des PHPEUHVGHOD&RDOLWLRQ&DQDULHV SURF«GXUHV GH&L8  GXSDUWL DQGDORXFLVWH  GȇIzquierda Unida  GXJURXSHLQG«SHQGDQWOLE«UDO ¢&HXWD0HOLOODHW0DUEHOOD  GHOȇ8QLRQGH0DMRUTXH  GȇEsquerra Republicana de Catalunya  GX%ORFQDWLRQDOLVWHJDOLFLHQ %1* HW GX3DUWLQDWLRQDOLVWHEDVTXH 319 /RUVGHV«OHFWLRQVPXQLFLSDOHVGX PDL  SOXV GH FHQW UHVSRQVDEOHV SROLWLTXHV LPSOLTX«V GDQV GHV affaires de corruption n’hésitèrent pas à se présenter sur les listes élec- WRUDOHVOHXUU««OHFWLRQ«WDQWGȇDLOOHXUVVRXYHQWOHXUVHXOPR\HQGȇ«YLWHU GHVFRQGDPQDWLRQVHWGHPDLQWHQLUOHXUmLPPXQLW«}G«VRUPDLVV\QR- nyme d’impunité pour de nombreux citoyens49(QHQYLURQWURLV FHQWVKRPPHVHWIHPPHVSROLWLTXHVVRQWHQFRUHPLVHQFDXVHGRQWXQH trentaine de maires et une centaine d’anciens maires. Aucune institu- WLRQ QȇHVW «SDUJQ«H P¬PH OD PRQDUFKLH ¢ WUDYHUV OȇDIIDLUH 1µRV TXL LPSOLTXHOȇLQIDQWH&KULVWLQHGH%RXUERQȴOOHGH-XDQ&DUORV,erPDUL«H¢ ,³DNL8UGDQJDU¯QOHSULQFLSDOSU«YHQX/HVFLWR\HQVRQWDLQVLOȇLPSUHV- sion que tous les partis sont corrompus et que le système politique régi SDUODFRQVWLWXWLRQGHHVW¢ERXWGHVRXɛHQHSHUPHWWDQWSOXVGH OXWWHUHɚFDFHPHQWFRQWUHFHVG«ULYHV /H MXLOOHW  -RUGL 3XMRO OȇDQFLHQ mSU«VLGHQW WRXWSXLVVDQW} de la Generalitat de Catalogne de 1980 à 2003 a même avoué publi- TXHPHQWDYRLUFDFK«SHQGDQWWUHQWHTXDWUHDQVGHSXLVVXUGHV FRPSWHVHQ6XLVVHHWHQ$QGRUUHXQHIRUWXQHGHSOXVLHXUVGL]DLQHVGH millions d’euros supposée correspondre à l’héritage de son père50. De QRPEUHX[VRXS©RQVSªVHQWDXVVLVXUOHȴQDQFHPHQWLOO«JDOGHVRQSDUWL Convergència Democràtica de Catalunya (« Convergence démocratique GH&DWDORJQH}&'& HWVXUGHVSUDWLTXHVGHFRUUXSWLRQHWGHEODQFKL- PHQWGȇDUJHQWGDQVVRQHQWRXUDJHVHVȴOV-RUGL2OHJXHUHW2ULRO«WDQW eux-mêmes notamment soupçonnés de fraudes massives. Ce scandale a

šQuelques cas peuvent être cités parmi les plus emblématiques. Pour le PPš NGU CHHCKTGU BȄTEGPCUš Brugal et Fabra mettant en cause les anciens maires d’Alicante et de VCNGPEGš les cas FC[EȄPšGȜTVGNšPalma Arena etc. Pour le PSOEšCHHCKTGFGUERE d’Andalousie corres RQPFCPVȃFGUFȌVQWTPGOGPVUQWȃFGHCWUUGURTKOGUFGNKEGPEKGOGPVšCHHCKTGFKNGUCšFNKEMš Mercasevilla etc. Pour CiUšCHHCKTGPCNCWšPCNNGTQNUšBanca Catalana etc. šSoledad GƧƲƲƫƭƵDʨƧƿ« La opacidad corrompe », El País, 18 mars 2012. šL’expression est ici reprise de Félix MƧƷƹʨƴƫƿ et Jordi OƲƯƻƫƷƫƸ, Jordi PXMRO̰HQQRPEUHGH Cataluña, Barcelona, Editorial Debate, 2005, p. 12.

27 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

SDUWLFXOLªUHPHQWFKRTX«OHVRSLQLRQVSXEOLTXHVHVSDJQROHHWFDWDODQH WDQW LO LOOXVWUH OH F\QLVPH HW OHV SUDWLTXHV TXDVL PDȴHXVHV U«SDQGXHV SDUPLOHV«OLWHVGHVSDUWLVGRPLQDQWVHWP¬PHSDUPLOHVQDWLRQDOLVWHV FDWDODQVGRQWOHGLVFRXUVSROLWLTXHDSRXUWDQWWRXMRXUV«W«D[«VXUOHXU mH[HPSODULW«}OHXUPRGHUQLVPHHWOHXUmGLII«UHQFH}SDUUDSSRUWDX[ autres élites espagnoles51. /HFDVGHVmFDUWHVRSDTXHV}U«Y«O«SDUODSUHVVHHQVHSWHPEUH qui permirent à de nombreux dirigeants politiques d’utiliser pour leur E«Q«ȴFHSHUVRQQHOGHVFRPSWHVQRQG«FODU«V¢OD&DMD0DGULGHWFKH] %DQNLD ¢ KDXWHXU GH PLOOLRQV GȇHXURV  LOOXVWUD XQH IRLV HQFRUH OHV OLHQV GRXWHX[ GHV UHSU«VHQWDQWV SROLWLTXHV DYHF OHV EDQTXHV HW OHV SUDWLTXHVLOO«JDOHVGHQRPEUHXVHV«OLWHVSROLWLTXHVHWȴQDQFLªUHV52. Le fait que les directeurs et les conseillers des principales banques et des caisses d’épargne espagnoles soient souvent issus des partis politiques est un problème majeur qui favorise l’opacité et les échanges de faveur HQWUHGHVDFWHXUVTXLMRXHQWXQmGRXEOHMHX}HWGRQWOHVWUDMHFWRLUHV illustrent l’utilisation des positions de pouvoir dans le champ politique comme moteur de l’accumulation de richesses économiques53. En GHVSRVWHVGHVFRQVHLOVGȇDGPLQLVWUDWLRQGHOȇ,%(;TXL UHJURXSHOHVSULQFLSDOHVPXOWLQDWLRQDOHVHVSDJQROHV %DQFR6DQWDQGHU (QGHVD ,EHUGUROD 7HOHIµQLFD %DQNLDHWF  «WDLHQW RFFXS«V SDU GHV membres du PSOE et du PP (mais aussi six par des membres de CiU et un respectivement pour Izquierda UnidaHWOH319 TXLDYDLHQWH[HUF« ou qui exerçaient encore des responsabilités politiques en parallèle54. /ȇLQGLFH GH SHUFHSWLRQ GH OD FRUUXSWLRQ GH Oȇ21* Transparency International classa ainsi l’Espagne en treizième position parmi les pays GHOȇ8(HW¢ODWUHQWLªPHGDQVOHPRQGHHQGHUULªUHOȇ2XJDQGDHQ notant que le pays régresse d’année en année et qu’il s’agit du seul pays de l’UE qui ne s’est pas encore doté d’une véritable loi sur la transpa- rence en politique. Ce classement a suscité un tel débat que le chef du

šSur ce point, voir les déclarations du maire de Barcelone, Xavier TƷƯƧƸ, « La sombra del pujolismo se ha acabado y se abre una nueva etapa », La Vanguardia, 29 juillet 2014. 52. « Las tarjetas opacas de Caja Madrid al detalle », El País, 31 janvier 2015. šSWTNCPQVKQPFGkFQWDNGLGWzRQNKVKEQȌEQPQOKSWGFGUCEVGWTUGPVTGFKHHȌTGPVGUURJȋTGU GVQWCTȋPGUXQKTNGUVTCXCWZFŨYves DƫƿƧƲƧƾ et notamment avec Antonin CƵƮƫƴ et Dominique MƧƷƩƮƫƹƹƯ, « Esprits d’État, Entrepreneurs d’Europe », Actes de la recherche en sciences sociales, PoRDe même, cf. Yves DƫƿƧƲƧƾ, « The legal construction of a politics of notables. The double game of the patricians of the IPFKCPDCTQPVJGOCTMGVQHEKXKEXKTVWGz RetfaerdXQNPoR 54. « Transparencia International llama a frenar la corrupción para salir de la crisis », El País, 5 décembre 2013 Voir de même « EURCȓCPQGUUICPFC~QUȐš!», El Mundo, 13 juin 2012.

28 La crise démocratique espagnole et le renouveau de la contestation sociale

JRXYHUQHPHQW 0DULDQR 5DMR\ D G½ OXLP¬PH VH MXVWLȴHU HQ G«FODUDQW TXHmOȇ(VSDJQHFHQȇHVWSDVOȇ2XJDQGD}GDQVXQH[HUFLFHGHG«IHQVH de sa politique anti-corruption qui a plus fait rire que convaincu55. L’indignation citoyenne est d’autant plus forte que de nombreux com- mentateurs ont souligné à juste titre la médiocrité de la classe politique HVSDJQROH GRQW OH UHFUXWHPHQW G«SHQG DPSOHPHQW GH U«VHDX[ IDPL- OLDX[GHSDWURQDJHHWGHFRRSWDWLRQHWTXLVHFDUDFW«ULVHSDUOHPDQTXH d’expérience professionnelle et une faible maîtrise des langues étran- gères et des nouvelles technologies56. Au-delà des affaires, les limites du système institutionnel issu de la constitution de 1978

/D FULVH HVSDJQROH HVW DXVVL XQH FULVH LQVWLWXWLRQQHOOH GDQV OD PHVXUHR»LOH[LVWHXQVRXWLHQGHSOXVHQSOXVODUJHDXVHLQGHODVRFL«W« ¢OȇLG«HGȇXQHU«IRUPHGHODFRQVWLWXWLRQGHQRWDPPHQWHQFHTXL FRQFHUQH OȇLQG«SHQGDQFH GH OD MXVWLFH OD ORL «OHFWRUDOH HW OD TXHVWLRQ WHUULWRULDOH7RXWGȇDERUGLOVXEVLVWHXQSUREOªPHK«ULW«GHODS«ULRGH franquiste lié à la séparation encore imparfaite des pouvoirs exécutif et MXGLFLDLUH(QHIIHWOHVSULQFLSDX[GLULJHDQWVGXSRXYRLUMXGLFLDLUHOHV PHPEUHVGXPLQLVWªUHȴVFDOGȇ(VSDJQHGX&RQVHLOJ«Q«UDOGXSRXYRLU MXGLFLDLUHHWGX7ULEXQDOFRQVWLWXWLRQQHOVRQWQRPP«VSDUOHVSRXYRLUV exécutif et législatif. Le système électoral majoritaire permet ainsi au JRXYHUQHPHQW TXL VȇDSSXLH VXU XQH PDMRULW« UHODWLYH RX DEVROXH GH nommer des juges dont la philosophie est réputée proche de sa ten- GDQFHSROLWLTXH&HODSHXWDYRLUGHVHIIHWVG«WHUPLQDQWVVȇDJLVVDQWSDU exemple des décisions du Tribunal constitutionnel sur les recours des partis de l’opposition à l’égard d’une loi. La question de l’impartialité GHV MXJHV QRWDPPHQW GDQV OD SULVH HQ FRPSWH GH OD FRUUXSWLRQ TXL WRXFKHOHV«OLWHVPDLVDXVVLSOXVJ«Q«UDOHPHQWHVWDLQVLPLVHHQFDXVH On a particulièrement pu l’observer lorsque le juge constitutionnel )UDQFLVFR3«UH]GHORV&RERVTXLDPLOLW«GHORQJXHVDQQ«HVDXVHLQGX 33DUHMHW«HQOHVGHPDQGHVFDWDODQHVOL«HVDXVWDWXWGȇDXWRQRPLH GH  RX HQFRUH ORUVTXH OH PDJLVWUDW 3HGUR *RQ]£OH]7UHYLMDQR QRPP« SDU OH 33 VȇHVW SURQRQF« FRQWUH OH U«I«UHQGXP FDWDODQ GX QRYHPEUH'DQVOHVDIIDLUHVDQWLFRUUXSWLRQOHIDLWTXHOHPDQGDW

55. « Comparar EURCȓCEQPUganda le sale caro a RCLQ[z=JVVRYYYGNRNWTCNEQO?LWKP 2012, consulté le 1er février 2015. 56. « LQURQNȐVKEQUGURCȓQNGUšUKPKFKQOCUUKPGZRGTKGPEKCNCDQTCN[NGLQUFGNCUPWGXCUVGEPQ NQIȐCUz=JVVRYYY minutos. com], 15 juin 2014, consulté le 10 février 2015.

29 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

du juge instructeur expire au bout de deux ou trois ans permet souvent DXJRXYHUQHPHQWGHOHUHPSODFHUSDUXQPDJLVWUDWPRLQV]«O«FHTXL constitue une façon indirecte « d’enterrer » une affaire par la procrasti- nation et l’absence de volonté politique. /HVFLWR\HQVVRQWGHP¬PHGHSOXVHQSOXVFRQVFLHQWVGHVOLPLWHV du système électoral et de la loi sur les partis hérités de la transition. /HV\VWªPH«OHFWRUDOPDMRULWDLUHIDYRULVHXQELSDUWLVPHȴJ«HWOHVGHX[ SDUWLV GRPLQDQWV FRPPH DLOOHXUV HQ (XURSH VRQW FULWLTX«V SRXU OH manque de renouvellement de leur idéologie et de leur personnel poli- WLTXH/HV\VWªPHGHOLVWHVIHUP«HVTXLQHSHUPHWSDVDX[FLWR\HQVGH choisir directement leurs candidats préférés et les oblige à voter pour les candidats choisis par les partis est directement mis en cause par une nouvelle formation comme PodemosTXLYHXWLQFLWHUOHVFLWR\HQV à choisir eux-mêmes leurs candidats par des votes électroniques et des listes ouvertes. Mais la critique majeure de la loi électorale est surtout OL«H¢ODJUDQGHRSDFLW«GXȴQDQFHPHQWGHVSDUWLVGDQVXQFRQWH[WHR» les citoyens demandent plus de transparence pour lutter plus effective- ment contre la corruption. Seuls Unión Progreso y Democracia 83\'  ODIRUPDWLRQGH5RVD'LH]HWOHQRXYHDXSDUWLPodemos de Pablo Iglesias publient leurs comptes sur internet. /«JDOHPHQWOHVSDUWLVGRLYHQWSU«VHQWHUXQUDSSRUWDQQXHOVXUOȇ«WDW GHOHXUVȴQDQFHVDXTribunal de las CuentasOȇ«TXLYDOHQWHVSDJQROGH la Cour des comptes. L’organisme doit se prononcer sur la validité des FRPSWHVGDQVXQHS«ULRGHGHVL[PRLVPDLVFHG«ODLQȇHVWMDPDLVUHVSHF- W«3LUHOHGHUQLHUUDSSRUWFRPSWDEOHGDWHGHHWODORL«WDEOLWXQH SUHVFULSWLRQ MXGLFLDLUH DSUªV TXDWUH DQV SRXU OH G«OLW GH ȴQDQFHPHQW LOO«JDO$XWUHPHQWGLWOHPDQTXHGHPR\HQVGXV\VWªPHMXGLFLDLUHVD faible indépendance par rapport au pouvoir exécutif et l’intérêt partagé GHV SDUWLV GRPLQDQWV DX PDLQWLHQ GȇXQ V\VWªPH RSDTXH SHUPHWWHQW DX[ DFWHXUV GH PDLQWHQLU GHV SUDWLTXHV LOO«JDOHV QRWDPPHQW GDQV OH ȴQDQFHPHQWGHVFDPSDJQHVHWODSDVVDWLRQGHVPDUFK«VSXEOLFVVDQV trop de crainte des conséquences judiciaires57'HSOXVKRUPLVGDQVOH FDVR»XQHSURF«GXUHMXGLFLDLUHRXYHUWHDIIHFWHGLUHFWHPHQWXQSDUWL VHXOXQDFFRUGFRQVHQVXHOHQWUHOHVPHPEUHVGHOD&RXUGHVFRPSWHV

šSur une discussion des limites du rôle du Tribunal de las Cuentas en Espagne sur la trans parence du financement des partis, cf. Mathieu PƫƹƯƹƮƵƳƳƫ, Dépolitiser l’Europe. Comment les partis dominants évitent le conflit sur l’intégration européenne, Paris, L’Harmattan, 2015, notam ment le chapitre VIIRVoir aussi du meme auteur « Second order elections but also kNQYEQUVz ECORCKIPUš! National parties and campaign spending in EWTQRGCP GNGEVKQPUš A comparative analysis », Perspectives on European Politics and Society, XQNPoR 168.

30 La crise démocratique espagnole et le renouveau de la contestation sociale

TXL VRQW QRPP«V SDU OHV UHVSRQVDEOHV SROLWLTXHV SHUPHW GȇHQWDPHU GHVSURF«GXUHVHWGȇLPSRVHUGHVSHLQHVDFFRUGKDXWHPHQWLPSUREDEOH 'ȇDXWUHV SULYLOªJHV GHV PHPEUHV GH OD FODVVH SROLWLTXHV VRQW GLɚFLOH- PHQW MXVWLȴDEOHV DXMRXUGȇKXL OHV SDUOHPHQWDLUHV HVSDJQROV SHXYHQW DLQVLE«Q«ȴFLHUGȇXQHUHWUDLWH¢WDX[SOHLQDSUªVDYRLUVL«J«VHXOHPHQW sept années au Congrès des députés58. Une réforme constitutionnelle est aussi plébiscitée par les partis GH JDXFKH HW U«JLRQDOLVWHV FHOOH TXL «WDEOLUDLW G«ȴQLWLYHPHQW XQ ‹WDW fédéral en dépassant les limites du « fédéralisme asymétrique » propre ¢Oȇ‹WDWGHVDXWRQRPLHVHWHQU««YDOXDQWOHU¶OHGX6«QDW59/HȴQDQFH- PHQWGHVDXWRQRPLHV TXLDFFRUGHXQVWDWXWSDUWLFXOLHU¢OD&DWDORJQH OD*DOLFHHWDX3D\VEDVTXH SRVHSUREOªPHGDQVODPHVXUHR»LOHVWOH sujet de perpétuelles négociations entre les communautés autonomes HW Oȇ‹WDW FHQWUDO HQWUH GHPDQGHV GȇDXWRQRPLH DFFUXH HW SURMHWVGH recentralisation. Il alimente aussi des luttes de pouvoirs entre les communautés pour faire prévaloir leurs intérêts à la solidarité interré- JLRQDOHHWODI«G«UDOLVDWLRQRX¢OȇDXWRQRPLHȴVFDOHHWSROLWLTXH(QȴQ XQH U«IRUPH GX VWDWXW GH OD PRQDUFKLH HVW VRXYHQW PLVH HQ DYDQW notamment suite à l’affaire de corruption mettant en cause le gendre de Juan Carlos IerDȴQGHUHVWUHLQGUHOȇLPPXQLW«¢ODVHXOHSHUVRQQHGX URLHW¢VDIDPLOOHLPP«GLDWHHWQRQ¢OȇHQVHPEOHGHODIDPLOOHUR\DOH FRXVLQV HW QHYHX[ LQFOXV 0DLV VXU OȇHQVHPEOH GH FHV TXHVWLRQV DX GHO¢GHVHVG«FODUDWLRQVGȇLQWHQWLRQOH362(QȇDSDVIDLWSUHXYHGȇXQH grande volonté politique durant ses gouvernements de 2004 à 2011. Le PP cherche aujourd’hui à maintenir le statu quo, alors même que les sondages d’opinion montrent une forte attente des Espagnols à l’égard d’éventuelles réformes institutionnelles. Ils sont très critiques envers la passivité et l’immobilisme des partis dominants sur ces questions. Et ce d’autant plus que ces derniers ont collaboré pour réformer la consti- WXWLRQHQHWLQVWDXUHUXQHREOLJDWLRQO«JDOHGHQHSDVG«SDVVHU XQG«ȴFLWSXEOLFDQQXHOGHSOXVGHGX3,%8QHSUHXYHGHSOXVTXH réformer la constitution est possible.

šCette mesure fut mise en œuvre lors de la transition pour permettre aux élites politiques exilées durant la dictature franquiste d’avoir droit à une pension de retraite lors de leur retour en Espagne, mais elle a été maintenue jusqu’à nos jours, même s’il n’y a désormais plus aucune justification à un tel traitement de faveur, hormis celle de maintenir ce qui est perçu comme un « privilège » injuste par la société. šAlicia FƫƷƴʜƴƪƫƿ GƧƷƩʨƧ et Mathieu PƫƹƯƹƮƵƳƳƫ, « Structuration et trajectoires idéolo IKSWGUFGURCTVKUPCVKQPCNKUVGUECVCNCPUFGRWKUNCVTCPUKVKQPšERC, CiU et le PSC en perspective comparée », Cahiers de civilisation espagnole contemporaine, n° 11, 2014.

31 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

LE RENOUVEAU DE LA CONTESTATION DANS L’ESPAGNE CONTEMPORAINE Une multiplicité de manifestations anti-austérité

&RPPH DX 3RUWXJDO HQ *UªFH HQ ,WDOLH HW DLOOHXUV HQ (XURSH OHV Espagnols se sont activement mobilisés depuis 2008 pour contester les HIIHWVGHODFULVH«FRQRPLTXHHWSRXUG«QRQFHUOHVUHVSRQVDEOHVSROL- WLTXHVHWȴQDQFLHUVGHODU«FHVVLRQ/DPDQLIHVWDWLRQGHUXHHQWHQGXH comme toute « occupation momentanée par plusieurs personnes d’un lieu ouvert public ou privé et qui comporte directement ou indirecte- PHQWOȇH[SUHVVLRQGȇRSLQLRQVSROLWLTXHV}HVWUHYHQXHDYHFIRUFHVXUOH devant de la scène médiatique à travers de nombreuses mobilisations collectives60/HV(VSDJQROVVRQWGHVFHQGXVHQPDVVHGDQVODUXHDȴQGH VȇRSSRVHUDX[SODQVGȇDXVW«ULW«LPSRV«VSDUOH362(SXLVSDUOH33GDQV le contexte des pressions plus globales de la Troïka. Les principaux syn- GLFDWVComisiones Obreras (CC. OO) et Union générale des travailleurs 8*7 VȇRSSRVªUHQWDLQVLGªVOHG«FHPEUH¢ODmORL2PQLEXV} qui appliquait la directive Bolkestein61 à l’Espagne et engendra une privatisation du secteur des services. Les chauffeurs routiers le 8 juin  SXLV OHV FK¶PHXUV OHV «WXGLDQWV OHV SHUVRQQHOV GH Oȇ«GXFDWLRQ de la santé et les membres des fonctions publiques des communautés DXWRQRPHVWRXFK«VGHSOHLQIRXHWSDUOHVSROLWLTXHVGȇDXVW«ULW«HWOHV OLFHQFLHPHQWV VH PRELOLVªUHQW HQVXLWH ORUV GH QRPEUHXVHV PDQLIHVWD- tions et « marées62 ». Le refus par les citoyens des deux « réformes du travail » proposées SDU OH 362( OH VHSWHPEUH  SXLV SDU OH 33 HQ PDUV HW OHXU RSSRVLWLRQ SOXV J«Q«UDOH DX[ SROLWLTXHV GȇDXVW«ULW« RQW G«ERXFK« VXU TXDWUHJUªYHVJ«Q«UDOHVHQWURLVDQVOHSOXVVRXYHQWFRQYRTX«HVSDU&& 22HWOȇ8*7DORUVTXHVHSWJUªYHVJ«Q«UDOHVVHXOHPHQWDYDLHQW«W«HQUH- gistrées depuis l’approbation de la constitution en 197863. Ces grèves eurent lieu le 29 septembre 2010 puis le 27 janvier 2011 (principalement

šOlivier FƯƲƲƯƫƺƲƫ, Stratégies de la rue, Paris, Presses de SEKGPEGUPo, 1997, p. 44. šSur les résistances à la directive BQNMGUVGKPEHAmandine CƷƫƸǞƾ, Qui a peur de BRONHVWHLQ̰" Conflit, résistances et démocratie dans l’Union européenne, Paris, Economica, 2012. š.GUkOCTȌGUzEQTTGURQPFGPVCWVGTOGWVKNKUȌGP'URCIPGFGRWKURQWTSWCNKHKGTNC convergence de collectifs, d’associations et de syndicats divers vers un même mouvement social, en jouant sur l’image d’une déferlante de revendications citoyennes. Les « marées » ont FŨCKNNGWTUJCDKNGOGPVKPEKVȌNGUOCPKHGUVCPVUȃUGXȍVKTUWKXCPVWPEQFGEQWNGWTšOCTȌGkXGTVGz dans l’éducation, « blanche » dans la santé, « violette » pour les féministes etc. 63. « Las huelgas generales de la democracia », El País, 14 juin 2010.

32 La crise démocratique espagnole et le renouveau de la contestation sociale

HQ&DWDORJQHHQ*DOLFHDX3D\V%DVTXHHWHQ1DYDUUHVRXVODGLUHFWLRQ GHVV\QGLFDWV(/$679/$%&,*&*7HW&17 GHP¬PHTXHOHPDUV et le 14 novembre 201264. La fréquence de ces manifestations montra la PRELOLVDWLRQWUªVIRUWHGHVVDODUL«VSRXUODG«IHQVHGXVHFWHXUSXEOLF PDLV DXVVL FRQWUH OH FK¶PDJH OHV OLFHQFLHPHQWV HW OH UHFRXUV DFFUX DX[ FRQWUDWV SU«FDLUHV HW ¢ GXU«H G«WHUPLQ«H /H VHSWHPEUH  en aboutissement des mouvements de protestation enregistrés dans OȇHQVHPEOH GH Oȇ(VSDJQH OD mPDUFKH VXU 0DGULG} RX mPDUFKH GH OD GLJQLW«}FXOPLQDVXU OD3OD]D GH&ROµQ HQ RSSRVLWLRQDX[SROLWLTXHV d’austérité et aux coupes budgétaires65. Cette manifestation qui réunit

Photo 1.2 Tract de convocation de la grève générale du 29 septembre 2010

šELASTVš Eusko Langileen Alkartasuna, SQNKFCTKVȌ FGU VTCXCKNNGWTU DCUSWGUš LABš Langile Abertzaleen Batzordeak, CQOOKUUKQPUFGUQWXTKGTUCDGTV\CNGUšCIGšConfédération intersyndicale ICNKEKGPPGšCGTšCQPHȌFȌTCVKQPIȌPȌTCNGFWVTCXCKNšCNTšConfédération nationale du travail. šCes manifestations contre l’austérité se traduisirent aussi par des mobilisations autour du scandale des « preferentes », des placements sur des participations, présentés comme sans risques aux petits épargnants dans le cadre de pratiques commerciales agressives des banques, qui débouchèrent sur la ruine de ces particuliers et l’évaporation de leur épargne dans des actifs toxiques. Le 23 mars 2013, le gouvernement conservateur décida pourtant de convertir ces participations en actions des banques, ce qui supposa une réduction de leur valeur qui oscilla entre 10 % et 70 %, suscitant une large indignation citoyenne.

33 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

SOXVGHSHUVRQQHVVHȴW¢OȇDSSHOGX6RPPHWVRFLDOGLULJ«SDUOHV GHX[V\QGLFDWVPDMRULWDLUHVPDLVUHJURXSDDXVVLFROOHFWLIVGLVWLQFWV /HVPDQLIHVWDQWVU«FODPªUHQWmGXSDLQGXWUDYDLOHWGHODGLJQLW«}HW exigèrent un référendum sur les politiques d’austérité. Les manifestations anti-austérité touchèrent particulièrement les VHFWHXUV GH OD VDQW« HW GH Oȇ«GXFDWLRQ (Q  OH SURMHW GH SULYDWLVD- tion de nombreux hôpitaux de la communauté de Madrid déclencha XQH mPDU«H EODQFKH} GȇLQȴUPLHU ªUH  V HW GH P«GHFLQV JU«YLVWHV suivant une forme protestataire ensuite reprise par d’autres secteurs. (QDYULOGHQRPEUHX[FLWR\HQVVHPRELOLVªUHQWGHP¬PHFRQWUH OȇLQVWDXUDWLRQGXmFRSDLHPHQWSKDUPDFHXWLTXH}DX[WHUPHVGXTXHO les usagers payeront désormais une franchise de 10 % sur le prix des P«GLFDPHQWVXQHPHVXUHTXLWRXFKHSURSRUWLRQQHOOHPHQWGDYDQWDJH les classes populaires puisqu’elle ne tient pas compte du revenu du SDWLHQW(QȴQOHFKRL[GXJRXYHUQHPHQWFRQVHUYDWHXUGHPHWWUHȴQ¢ l’assistance sanitaire gratuite aux 910 000 immigrants illégaux ou qui QH FRWLVHQW SDV ¢ OD 6«FXULW« VRFLDOH G«FOHQFKD XQH FDPSDJQH m0RL 2XL6DQW«XQLYHUVHOOH} mYo Si, Sanidad Universal} TXLGRQQDOLHX¢ de nouvelles manifestations et à une campagne de désobéissance civile GHP«GHFLQVHWGHSHUVRQQHOVGHODVDQW«&HUWDLQVGȇHQWUHHX[FRPPH OH GRFWHXU -XDQ /XLV 5XL]*LP«QH] WUªV FRQQX HQ (VSDJQH UHIXVHQW d’appliquer la loi qu’ils jugent contraire aux principes éthiques de leur SURIHVVLRQ OȇmREOLJDWLRQ GH VRLQ HQYHUV OHV PDODGHV} «WDQW XQ SULQ- cipe cardinal66. D’autres manifestations eurent lieu en septembre 2012 contre la décision de la ministre de la Santé Ana Mato de ne plus faire rembourser 417 médicaments par la Sécurité sociale selon un proces- sus connu comme le « medicamentazo}(QȴQFRPPHOHPRQWUHELHQ .DULQH %HUJªV GDQV OH SU«VHQW RXYUDJH OHV (VSDJQROHV VH VRQW DFWLYH- PHQWPRELOLV«HVFRQWUHOHSURMHWGHU«IRUPHGHODORLVXUOȇDYRUWHPHQW IRU©DQWOHPLQLVWUHGHOD-XVWLFH$OEHUWR5XL]*DOODUGµQ¢G«PLVVLRQQHU 'DQV OH VHFWHXU GH Oȇ«GXFDWLRQ GHV PDQLIHVWDWLRQV PDVVLYHV Gȇ«WX- GLDQWV GH SHUVRQQHOV HW GȇDVVRFLDWLRQV GH SDUHQWV Gȇ«OªYHV VH VRQW G«URXO«HV ¢ SDUWLU GH OD ȴQ GH OȇDQQ«H  FRQWUH OD mORL RUJDQLTXH SRXUOȇDP«OLRUDWLRQGHODTXDOLW««GXFDWLYH} /20&( FRQQXHFRPPH ODmORL:HUW}GXQRPGHVRQSURPRWHXUHWSURPXOJX«HOHRFWREUH 201367&HWWHORLDPRGLȴ«SURIRQG«PHQWOHV\VWªPH«GXFDWLIHVSDJQRO

šJuan Luis RƺƯƿGƯƳʤƴƫƿ, « La insumisión en favor de la asistencia », dans José Miguel MƵƴƿʭƴ, op. cit., 2014, p. 77. 67. « El Congreso aprueba la reforma educativa Wert con los únicos votos del Partido Popular », El Mundo, 10 octobre 2013.

34 La crise démocratique espagnole et le renouveau de la contestation sociale

Elle a imposé d’augmenter le nombre d’heures de cours des professeurs à tous les niveaux ainsi que le nombre d’élèves par classe. Elle a limité OHVSRVVLELOLW«VGHUHGRXEOHPHQWLQVWDXU«XQHV«OHFWLRQSOXVSU«FRFHGHV élèves dotés de problèmes d’apprentissage en cherchant à les orienter YHUVOȇHQVHLJQHPHQWSURIHVVLRQQHOOXLP¬PHG«JUDG«SXLVTXȇLOIDXGUD désormais une année supplémentaire pour pouvoir entrer à l’univer- sité par cette voie. Cette loi a octroyé la possibilité aux centres scolaires « concertés » (semi-privés) d’effectuer une ségrégation des sexes68. Les directeurs des centres scolaires devront être élus à travers un concours VRXV OH FRQWU¶OH GH OȇDGPLQLVWUDWLRQ FHQWUDOH R» OD FRPPXQDXW« SUR- IHVVRUDOH GX FHQWUH «GXFDWLI DXUD PRLQV GH  GHV YRL[ DFWDQW XQH recentralisation de la compétence éducative. La possibilité a été donnée aux chefs d’établissements d’avoir recours à des sociétés privées pour assurer la sécurité de leur école. Alors que les langues régionales ont «W« UHO«JX«HV DX UDQJ GH PDWLªUHV GH mVS«FLDOLW«} OHV «OªYHV DXURQW désormais deux possibilités (et non une seule) de choix s’agissant de la matière « religion ». L’enseignement de l’économie a été aussi renforcé et une matière d’« initiation à l’entreprenariat » a été créée. $XQLYHDXXQLYHUVLWDLUHODORLDLQVWDXU«XQHGLPLQXWLRQGUDVWLTXH GHV ERXUVHV XQH TXDVLGLVSDULWLRQ GHV VXEYHQWLRQV DFFRUG«HV DX SUR- gramme d’échange Erasmus et une augmentation des frais d’inscrip- WLRQG«M¢WUªV«OHY«VSDUUDSSRUW¢GȇDXWUHVSD\VHXURS«HQV69. La radio Cadena Ser HVWLPD DLQVL TXH OH FR½W GHV «WXGHV HQ (VSDJQH VȇDY«UDLW cinq fois plus élevé qu’en France70. La plupart des dispositions de la loi ȴUHQWOȇREMHWGHIRUWHVRSSRVLWLRQV/HVPDQLIHVWDQWVG«QRQFªUHQWXQH mSULYDWLVDWLRQ}GHOȇHQVHLJQHPHQWVXS«ULHXUU«VHUY«DX[VHXOV«OªYHV dont les parents pourraient payer des frais d’inscription. Le fait que la ORLLQWURGXLVHXQHGLɚFXOW«VXSSO«PHQWDLUHGȇDFFªV¢OȇXQLYHUVLW«SRXU les élèves issus de l’enseignement professionnel donna l’impression de OȇLQVWDXUDWLRQGȇXQV\VWªPH¢GHX[YLWHVVHVTXLS«QDOLVHUDHQFRUHSOXV les enfants des classes moyennes et populaires. La recentralisation de OD FRPS«WHQFH «GXFDWLYH DX G«WULPHQW GHV FRPPXQDXW«V DXWRQRPHV

68. « Las cuatro mayores críticas a la polémica ley Wert », El País, 5 octobre 2013. šEn EURCIPGKNHCWVEQORVGTRCTGZGORNGGPVTGšGVšGWTQUFGHTCKUFŨKPUETKRVKQP RCTCPRQWTFGUȌVWFGUFGOȌFGEKPGUQKVGPVTGšGVšGWTQULWUSWŨȃNŨQDVGPVKQPFW droit d’exercer en tant que stagiaire médecin interne, auxquels il faut ajouter près de 500 et 700 euros annuels de frais pour l’achat de manuels spécialisés. Les frais d’inscription sont VTȋUXCTKCDNGUUWKXCPVNGUHKNKȋTGUGVNGUWPKXGTUKVȌUOCKUTCTGOGPVKPHȌTKGWTUȃšGWTQURCT année universitaire. šCf. « Estudiar la carrera en FTCPEKCGUEKPEQXGEGUOȄUDCTCVQSWGGPEURCȓCzCadena Ser, 9 janvier 2013.

35 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

l’accès mis sur la religion et l’économie et la relégation du statut des langues régionales provoquèrent un tollé. La « loi Wert » déboucha le 24 octobre 2013 sur une grève générale de tous les niveaux éducatifs SXEOLFV GH OD PDWHUQHOOH ¢ OȇXQLYHUVLW« GDQV OȇHQVHPEOH GHV FRPPX- nautés autonomes : ce fut la première grève unitaire de l’enseignement public de l’histoire de la démocratie espagnole. L’émergence du mouvement des indignés

/HV PDQLIHVWDWLRQV V\QGLFDOHV HW FLWR\HQQHV DQWLDXVW«ULW« OHV FUL- tiques grandissantes à l’égard de la classe politique et des banques et ODUHPLVHHQFDXVHGHOȇDYHQLUGHWRXWHXQHJ«Q«UDWLRQG«ERXFKªUHQW sur la création de collectifs tels que Juventud Sin Futuro (« Jeunes sans futur ») et Democracia Real Ya m'«PRFUDWLHU«HOOHPDLQWHQDQW} TXL appelèrent à manifester dans l’ensemble de l’Espagne le 15 mai 2011 pour dénoncer les responsables de la crise et demander l’instauration GȇXQH mG«PRFUDWLH U«HOOH} SOXV SDUWLFLSDWLYH HW KRUL]RQWDOH HW TXL mettrait réellement en œuvre les principes de justice et d’égalité. Ces manifestations massives furent suivies par des occupations de plusieurs SODFHVGRQWOHVSOXVP«GLDWLV«HVIXUHQWFHOOHVGHOD3OD©D&DWDOXQ\D¢ Barcelone et de la Puerta del Sol à Madrid. Ces protestations débou- FKªUHQWVXUODFU«DWLRQGXPRXYHPHQWGHVLQGLJQ«VG«QRPP«m0} GDQVOHFRQWH[WHHVSDJQROHQU«I«UHQFH¢VRQDFWLRQFROOHFWLYHLQLWLDOH En occupant ces lieux publics par des campements permanents HW HQ RUJDQLVDQW GHV DFWLRQV FROOHFWLYHV ¢ WUDYHUV GHV PDQLIHVWDWLRQV GHVDVVHPEO«HVHWSDUXQIRQFWLRQQHPHQWG«SHUVRQQDOLV«OHVLQGLJQ«V créèrent une nouvelle « structure d’opportunités politiques ». Charles Tilly a bien montré qu’il existe dans toute société des acteurs qui dis- SRVHQW GȇXQ DFFªV SULYLO«JL« DX[ DUªQHV LQVWLWXWLRQQHOOHV HW GȇDXWUHV acteurs plus ou moins dominés (« challengers}  TXL VRQW FRQWUDLQWV GȇDYRLUUHFRXUV¢ODPRELOLVDWLRQHW¢ODSURWHVWDWLRQDȴQGHG«IHQGUH OHXUV GURLWV HQ PRELOLVDQW OHV SHUVRQQHV GLUHFWHPHQW FRQFHUQ«HV HW en faisant plus largement appel au soutien de l’opinion publique71. (QFHVHQVSDUODFU«DWLRQGHFDPSHPHQWVSHUPDQHQWV¢0DGULGHW¢ %DUFHORQHQRWDPPHQWOHVLQGLJQ«VSURYRTXªUHQWGDQVODVRFL«W«HVSD-

šCharles TƯƲƲƾ, « Social movements and national politics », dans Charles BƷƯƭƮƹ et Susan HƧƷƪƯƴƭ FKT  SWDWHPDNLQJ DQG VRFLDO PRYHPHQWV̰ Essays in history and theory, Ann Arbor, University of Michigan Press, 1984, p. 306. Pour une critique de cette notion, cf. Olivier FƯƲƲƯƫƺƲƫ, « Requiem pour un concept. VKG GV OQTV FG NC PQVKQP FG ūUVTWEVWTG FGU KFGPVKVȌU politiques” », dans Gilles DƵƷƷƵƴƸƵƷƵ FKT La Turquie conteste, Paris, Éditions du CNRS, 2006, R

36 La crise démocratique espagnole et le renouveau de la contestation sociale

JQROH XQ mFKRF PRUDO} ODUJHPHQW UHOD\« SDU OD SUHVVH «FULWH HW OHV W«O«YLVLRQVTXLFU«DXQHIIHWGȇHQWUD°QHPHQWHWIDYRULVDODPRELOLVDWLRQ de secteurs sociaux dépourvus de tradition militante72. Par l’envahisse- PHQWOHEORFDJHHWOȇRFFXSDWLRQGHQRPEUHX[HVSDFHVSXEOLFVGHVPLO- liers d’Espagnols ont cherché à créer des espaces de débat qui puissent donner corps aux revendications des « sans voix ». D’autres indignés reprirent ensuite cette forme d’occupation média- WLV«HVXU OD SODFH 6\QWDJPD ¢ $WKªQHV OH ERXOHYDUG 5RWKVFKLOG ¢ 7HO Aviv à l’été 2011 ou à travers le mouvement Occupy Wall Street qui occupa le parc Zuccotti à New York. Cette forme d’occupation de lieux SXEOLFV QȇHVW WRXWHIRLV SDV HQWLªUHPHQW QRXYHOOH HW VH VLWXH GDQV OD lignée des campements et des villages alternatifs réunis par les mouve- ments altermondialistes dans les années 200073. L’idée sous-jacente est d’inscrire un mouvement social dans la durée et dans un espace social GRQQ«HQFKHUFKDQW¢DJLUmLFLHWPDLQWHQDQW}HWHQPDQLIHVWDQWSDU la non-violence une opposition au système néolibéral et au dévoiement de la démocratie représentative. Par l’occupation collective de la Puerta GHO6ROOHVPDQLIHVWDQWVRQWJ«Q«U«XQHIRUPHGȇH[SUHVVLYLW«HQDɚU- PDQWODYLVLELOLW«GȇXQJURXSHVRFLDOWRXWHQPHWWDQWVXUOHGHYDQWGH la scène publique des demandes sociales et politiques précises : dénon- FLDWLRQGHODFRUUXSWLRQGHV«OLWHVGHODUHVSRQVDELOLW«GHVEDQTXHVHW GHVHQWLW«VȴQDQFLªUHVGDQVODFULVHRSSRVLWLRQ¢ODȴQDQFLDULVDWLRQGH Oȇ«FRQRPLHOXWWHFRQWUHOHVH[SXOVLRQVORFDWLYHVOHVSROLWLTXHVGȇDXVW«- rité et les coupes budgétaires dans l’éducation et la santé ; critique des RUJDQLVDWLRQV SDUWLVDQHV WUDGLWLRQQHOOHV GH OD ORL VXU OHV SDUWLV HW GX système politique issu de la constitution de 197874. L’impact du 15-M va bien au-delà des occupations et doit être com- SULV¢XQQLYHDXSOXVJOREDOFHOXLGHODUHPLVHHQFDXVHGHVGLVFRXUV politiques dominants et de la prise de conscience de l’opinion publique espagnole. Les indignés ont contribué à questionner des « cadres d’interprétation » qui faisaient jusqu’alors consensus et ont proposé

šJames JƧƸǞƫƷ, The art of moral protest, Chicago, The University of Chicago PTGUUš Youssef EƲCƮƧƿƲƯ, « Sur les sentiers de la Révolution. Comment des ÉI[RVKGPUūFȌRQNKVKUȌUŬ UQPVKNUFGXGPWUTȌXQNWVKQPPCKTGUš!zRevue Française de Science PolitiqueXQNPo R šSur ce point, voir par exemple Éric AƭƷƯƱƵƲƯƧƴƸƱƾ, Olivier FƯƲƲƯƫƺƲƫ et Nonna MƧƾƫƷ, L’altermondialisme en France. Genèse et dynamique d’un mouvement social, Paris, Flammarion, 2005. šPour une revue de la littérature sur les mouvements des « indignés » et « Occupy », cf. Héloïse Nƫƿ, « Indignados and Occupiers », dans Guya AƩƩƵƷƴƫƷƵ et Olivier FƯƲƲƯƫƺƲƫ FKT  Social movements studies in EXURSH̰The state of the art, NGYYQTMBerghan BQQMUR 135.

37 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

des idéaux politiques alternatifs75. Ils se sont attachés à rompre le cercle YLFLHX[ GH OD FULVH GX G«VHVSRLU HW GH OD ODVVLWXGH HQ UHGRQQDQW GH l’espoir aux citoyens par l’action collective et en promouvant l’idée que m2XLFȇHVWSRVVLEOH} cSi se puede  GHFKDQJHUOHVFKRVHV/DVRFLROR- JLHGHVPRELOLVDWLRQVDELHQPRQWU«TXȇHQS«ULRGHGHURXWLQHSROLWLTXH ORUVTXȇXQ GRPDLQH GH SROLWLTXH SXEOLTXH IDLW OȇREMHW GȇXQ FRQVHQVXV une coalition dominante d’acteurs impose son monopole sur l’inter- SU«WDWLRQ GH OD U«DOLW« SROLWLTXH HW VRFLDOH /D SUHVVH OHV FDPSDJQHV «OHFWRUDOHVOHVP«GLDV QRWDPPHQWW«O«YLVXHOV VRQWDXWDQWGHOLHX[HW GHPRPHQWVR»FHUWDLQVFDGUHVGȇLQWHUSU«WDWLRQGRPLQHQWOHWUDLWHPHQW des problèmes publics76 3DU OȇDFWLRQ SURWHVWDWDLUH OHV LQGLJQ«V RQW promu de nouveaux slogans et arguments dans leurs manifestations et SULVHVGHSRVLWLRQGDQVOHVP«GLDVTXLRQWIRUJ«FHTXH:LOOLDP*DPVRQ dénomme des « contre-cadrages » de la réalité sociale et politique77. De nouvelles questions ont aussi été « mises sur l’agenda » (agenda setting) SROLWLTXHSDUH[HPSOHOȇLG«HGȇXQHU«IRUPHGHODFRQVWLWXWLRQODG«QRQ- FLDWLRQGHVLQ«JDOLW«VGXFOLHQW«OLVPHHWGXPDQTXHGȇLQG«SHQGDQFHGH la justice78. Le développement de nouveaux répertoires d’action

/D FULVH «FRQRPLTXH HW VRFLDOH D GH P¬PH G«WHUPLQ« OȇHVVRU GH QRXYHOOHVOXWWHVSDUH[HPSOHDXWRXUGXGURLWDXORJHPHQWHWGHODU«VLV- WDQFHDX[H[SXOVLRQVTXLRQWG«ERXFK«VXUOȇXWLOLVDWLRQGHU«SHUWRLUHV d’actions collectives traditionnellement peu employés dans la société HVSDJQROH(QQRYHPEUH¢/D%LVEDOGHO3HQªGHVHQ&DWDORJQHGHV militants et de simples citoyens se réunirent ainsi devant le logement GH /XLV XQ P«FDQLFLHQ DX FK¶PDJH GRQW OD EDQTXH &DWDOXQ\D&DL[D YRXODLW OȇH[SXOVHU (Q DOHUWDQW OHV MRXUQDOLVWHV HQ PDQLIHVWDQW GHYDQW VRQGRPLFLOHHQG«QRQ©DQWOHFRPSRUWHPHQWGHODEDQTXHHWHQSRU- WDQW DWWHLQWH ¢ VRQ mLPDJH GH PDUTXH} LOV U«XVVLUHQW ¢ HPS¬FKHU

šLa théorie des « cadres d’interprétation » a été formulée par David SPQYGVUGUEQNNȋIWGU cf. David SƴƵƼ, BWTMG RƵƩƮƬƵƷƪ, Steven WƵƷƪƫƴ et Robert BƫƴƬƵƷƪ, « Frame alignment processes, micromobilization and movement participation », American Sociological Review, Po  Rš David SƴƵƼ et Robert BƫƴƬƵƷƪ, « Ideology, frame resonance and participant mobilization », dans Bert KƲƧƴƪƫƷƳƧƴƸ, Hanspeter KƷƯƫƸƯ et Sidney TƧƷƷƵƼ FKT  FURPVWUXFWXUHWRDFWLRQ̰Comparing social movement research accross cultures, GTGGPYKEJJAI PTGUUR šDaniel CƫƬƧʪ, « La construction des problèmes publics. Définitions de situations dans des arènes publiques », RéseauxXQNPoR šWilliam GƧƳƸƵƴ, Talking Politics, Cambridge, Cambridge University Press, 1992. šPhilippe BƲƧƴƩƮƧƷƪ, « Agenda », dans Olivier FƯƲƲƯƫƺƲƫ, Lilian MƧƹƮƯƫƺ et Cécile PʣƩƮƺ FKT Dictionnaire des mouvements sociaux, Paris, Presses de Sciences Po, 2009, p. 24.

38 La crise démocratique espagnole et le renouveau de la contestation sociale

OȇH[SXOVLRQ GH /XLV ‚ 0DGULG OH MXLQ  FLQT FHQWV SHUVRQQHV se regroupèrent suivant le même procédé devant le domicile d’une IDPLOOHEXOJDUROLEDQDLVHGDQVOHTXDUWLHUGH7HWX£QVȇRSSRVªUHQWSK\- VLTXHPHQW ¢ OD SROLFH HW HPS¬FKªUHQW VRQ H[SXOVLRQ /ȇXVDJH U«ȵ«FKL de la désobéissance civile et la médiatisation de ces actions eurent GHVHIIHWVLPP«GLDWVFHTXLHQJHQGUDSHX¢SHXODVWUXFWXUDWLRQGHOD « Plateforme des affectés par l’hypothèque » (Plataforma de Afectados por la Hipoteca 3$+  GȇDERUG ¢ %DUFHORQH HW HQ &DWDORJQH VRXV OD GLUHFWLRQGȇ$GD&RODXHW$GUL¢$OHPDQ\SXLVGDQVOHUHVWHGHOȇ(VSDJQH Sa campagne « Stop Desahucios }HQSURWHVWDQWSDUGHVVLɛHWVHWGHV regroupements et en cherchant à s’interposer face aux forces de police pour empêcher les expulsions a eu des répercussions importantes.

Photo 1.3 Action du collectif Flo6x8 (« Flamenco et Activisme »), devant une banque BBVA, Séville, 2011.

Les mobilisations collectives sous la forme d’attroupements et de protestations qui se sont déployées sur le lieu même de l’injustice G«QRQF«H VHORQ XQ U«SHUWRLUH GȇDFWLRQ TXL UDSSHOOH OHV SURWHVWDWLRQV SD\VDQQHV YLOODJHRLVHV HW OHV mFKDULYDULV} GX PLOLHX GX XIXe siècle «WXGL«V SDU &KDUOHV 7LOO\ LOOXVWUHQW OH UHQRXYHDX GH PRGHV GȇDFWLRQ

39 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

anticonventionnels et de la désobéissance civile79. Cette tendance à la radicalisation des mouvements protestataires a été palpable lors des DIIURQWHPHQWVYLROHQWVOHPDLHQWUHOHVIRUFHVGHSROLFHHWOHV mineurs des Asturies et de Castille-et-León luttant contre le projet de fermeture de plusieurs mines et de réduction des aides au charbon. Mais il existe aussi beaucoup d’autres exemples illustrant l’essor de ces QRXYHDX[U«SHUWRLUHVGȇDFWLRQDLQVLRQSHXWFLWHUOHVFULVGȇLQWLPLGD- tion (« escraches}  VRXV OHV IHQ¬WUHV GȇKRPPHV SROLWLTXHV FRUURPSXV les affrontements violents avec les forces de police (35 mises en déten- WLRQEOHVV«VGRQWKRVSLWDOLVDWLRQV ORUVGXPRXYHPHQWm2FFXSH OH&RQJUªV}GXVHSWHPEUHRXHQFRUHOȇLQYDVLRQGX3DUOHPHQW DQGDORXHQMXLOOHWSDUOHFROOHFWLI)OR[XQJURXSHGȇDUWLVWHVTXL GDQVHFKDQWHHWUHSROLWLVHOHȵDPHQFRORUVGHSHUIRUPDQFHVH[«FXW«HV GDQVGHVEDQTXHVRXGHVOLHX[SXEOLFVHQG«QRQ©DQWHQFKDQVRQVOHV responsables de la crise80. &RPPH OȇDQDO\VH IRUW ELHQ OH VRFLRORJXH -«VXV &DVTXHWH OHV UDV- VHPEOHPHQWV GH PDVVH FRPPH OHV mPDU«HV} OHV PDQLIHVWDWLRQV GHV indignés et les appels à l’occupation de lieux publics n’ont pas simple- ment eu pour fonction de résister à des programmes d’austérité ou de SULYDWLVDWLRQVJRXYHUQHPHQWDX[RXORFDX[PDLVRQWDXVVLIRQFWLRQQ« comme « des opportunités de cimenter un groupe social »81. En faisant SDUWDJHU XQH FDXVH FRPPXQH DX[ SDUWLFLSDQWV FHV PRELOLVDWLRQV ont créé un sentiment d’« effervescence collective » comme le disait 'XUNKHLPFKH]GHQRPEUHX[FLWR\HQV82. La fréquence des manifesta- tions des dernières années a « renforcé la solidarité entre les groupes SURWHVWDWDLUHV} IRUJHDQW GHV ULWXHOV GȇDFWLRQ FROOHFWLYH HW HQJHQGUDQW mXQ HIIHW VRFLDOLVDWHXU SHUPHWWDQW OȇLGHQWLȴFDWLRQ HW OȇDGK«VLRQ} GX plus grand nombre à des luttes communes83'HSOXVOHVDFWLRQVSUR-

šCharles TƯƲƲƾLa France conteste de 1600 à nos jours, Paris, FC[CTFR šLe mouvement « Occupe le Congrès » fut renommé « Entoure le Congrès » suite aux polé miques qu’il suscita, certains conservateurs parlant même d’un « mouvement terroriste ». Suite aux violences policières du 25 septembre, de nouvelles concentrations eurent lieu sur la Plaza de Neptuno près du Congrès dans les jours qui suivirent. Cet épisode déclencha une réaction du gouvernement, et inspira d’ailleurs le vote d’une nouvelle loi sur « les libertés publiques », qui criminalise les mouvements sociaux spontanés et facilite notamment la détention de personnes filmant les forces de police. Quant à lui, le collectif Flo6x8 regroupe des activistes de Séville. Pour avoir une idée de leurs performances, voir les vidéos disponibles sur leur site KPVGTPGV=JVVRYYYHNQZEQO? šJésus CƧƸƶƺƫƹƫ, « TJG RQYGT QH FGOQPUVTCVKQPUz Social movement studies, vol. 5, n° 1, 2006, p. 48. šÉmile DƺƷƱƮƫƯƳ, Les formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, ANECPR šOlivier FƯƲƲƯƫƺƲƫ et Danielle TƧƷƹƧƱƵƼƸƱƾ, La manifestation, Paris, Presses de SEKGPEGUPo, R

40 La crise démocratique espagnole et le renouveau de la contestation sociale

WHVWDWDLUHVGHQRPEUHX[VHFWHXUVGHODVRFL«W«RQWSHUPLV¢WUDYHUVOD VHQVLELOLVDWLRQ HW OD PRELOLVDWLRQ GH OȇRSLQLRQ SXEOLTXH GH IRUFHU OHV arènes institutionnelles et d’obliger les acteurs politiques à s’ouvrir à la GLVFXVVLRQ(QUHYHQGLTXDQWGHUHSU«VHQWHUODmPDMRULW«VLOHQFLHXVH} OHVmFRQWUH}OHVPDQLIHVWDQWVRQWGRQQ«XQHUHSU«VHQWDWLRQ V\PEROLTXHDX[mFLWR\HQVGȇHQEDV}DXmSHXSOH}HW¢VHVLQW«U¬WVSU«- VHQW«VFRPPHPLV¢PDOSDUXQHFRDOLWLRQGȇ«OLWHVSROLWLFRȴQDQFLªUHV84. On peut donc parler d’une institutionnalisation de l’indignation dans Oȇ(VSDJQHFRQWHPSRUDLQHGȇXQFRPSRUWHPHQWPLQRULWDLUHSRUW«HVVHQ- tiellement par les syndicats et les mouvements de chômeurs à partir de SXLVSDUOHVMHXQHVLQGLJQ«VHQOȇLQGLJQDWLRQVȇHVWSHX¢SHX GLIIXV«H DX VHLQ GH OD VRFL«W« HVSDJQROH SRXU GHYHQLU PDMRULWDLUH DX sein des classes moyennes et populaires. Ces mouvements sociaux ont QRQVHXOHPHQWUHSROLWLV«ODVRFL«W«HVSDJQROHPDLVLOVRQWDXVVLRXYHUW la voie à l’émergence de nouvelles forces politiques et à une recomposi- tion des équilibres électoraux dans les années à venir.

COMPRENDRE LA CRISE DÉMOCRATIQUE ESPAGNOLE

'DQVOHFRQWH[WHGHOȇ(VSDJQHGȇDXMRXUGȇKXLOȇREMHFWLIGHFHWRXYUDJH collectif est donc de mieux comprendre les ressorts de la crise écono- PLTXHVRFLDOHHWSROLWLTXHGXSD\VHQVȇDSSX\DQWGDQVXQHSHUVSHFWLYH SOXULGLVFLSOLQDLUHVXUOHVUHJDUGVFURLV«VGȇ«FRQRPLVWHVGHSROLWRORJXHV d’historiens et d’hispanistes français et espagnols. Il s’agit à la fois d’étu- dier dans le détail les mécanismes et les effets de la crise sur la société HWOHVLQVWLWXWLRQVHVSDJQROHVPDLVDXVVLGHG«FHOHUOHVU«VLVWDQFHVHWOHV mouvements sociaux qui ont émergé au cours des dernières années. Un DFFHQWSDUWLFXOLHUHVWDLQVLPLVVXUOHXUVRULJLQHVOHXUVVWUXFWXUHVOHXUV revendications et leurs contributions respectives au changement social et à l’évolution des discours politiques et des mentalités. La première partie de l’ouvrage replace d’abord la problématique dans le contexte de la crise économique et du renouveau parallèle de la FRQWHVWDWLRQ‚SDUWLUGHOHXUUHJDUGGȇ«FRQRPLVWHV(O¯HV)XULµ%ODVFR 0DWLOGH$ORQVR3«UH]HW&KULVWHO%LUDEHQW&DPDUDVD«WXGLHQWFKLIIUHV¢ OȇDSSXLOHG«ȴGHODPRQW«HGXFK¶PDJHHQVȇLQW«UHVVDQW¢VHVIDFWHXUV H[SOLFDWLIV FRQMRQFWXUHOV HW VWUXFWXUHOV $QDO\VDQW DYHF SU«FLVLRQ OD

šSur cette question du travail symbolique de représentation politique, cf. Pierre BƵƺƷƪƯƫƺ, « La représentation politique. Éléments pour une théorie du champ politique », Actes de la recherche en sciences socialesPoR

41 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

réforme du marché du travail entreprise par le gouvernement conser- YDWHXUSULQFLSDOHU«SRQVH¢ODFULVHGHVSROLWLTXHVSXEOLTXHVJRXYHUQH- PHQWDOHVLOVPRQWUHQWDXVVLTXHVHVHIIHWVVRQWEHDXFRXSSOXVOLPLW«V que les conservateurs veulent bien le reconnaître. Alicia Fernández *DUF¯D VȇLQW«UHVVH HQVXLWH DX UHQRXYHDX GX PRXYHPHQW U«SXEOLFDLQ dans le contexte de l’abdication de Juan Carlos IerHQPRQWUDQW¢ODIRLV le caractère rassembleur de la revendication de l’instauration d’une m7URLVLªPH 5«SXEOLTXH} PDLV DXVVL OD IDLEOHVVH GX U«SXEOLFDQLVPH HQ(VSDJQHHWOHOLHQGHVPRELOLVDWLRQVU«FHQWHVDYHFODG«ȴDQFHFURLV- VDQWH¢Oȇ«JDUGGHV«OLWHVSROLWLTXHV$XPRPHQWP¬PHR»OHV(VSDJQROV étaient touchés de plein fouet par la montée du chômage et les pro- JUDPPHVGȇDXVW«ULW«ODFULVHGHO«JLWLPLW«GHODPRQDUFKLHDG«ERXFK« sur un renouveau des débats sociaux et politiques quant à l’apport potentiel du républicanisme au changement social. Déplaçant notre regard des questions économiques aux rapports de genre et aux enjeux VRFL«WDX[.DULQH%HUJªVRIIUHHQȴQXQHV\QWKªVH«UXGLWHGHOȇ«YROXWLRQ des revendications et de l’éventail très large des mouvements fémi- nistes dans l’Espagne d’aujourd’hui. La seconde partie du livre se focalise sur la radicalisation des reven- dications identitaires et l’essor de nouveaux mouvements sociaux. Mercè Pujol Berché s’intéresse à la trajectoire des mouvements indépendan- tistes catalans depuis la DiadaGHPDLVDXVVLGDQVOHFRQWH[WHKLV- WRULTXHSOXVODUJHGȇXQHFURLVVDQFHGHVGHPDQGHVGȇDXWRQRPLHHWGȇXQ retour de la question identitaire depuis le rejet des principales mesures de reconnaissance de la « nation » et de l’identité catalanes dans la ligne du statut d’autonomie de 2005. Mathieu Petithomme revient sur l’actualité du nationalisme basque radical dans le contexte de sortie de la lutte armée ouvert par le cessez-le-feu unilatéral de l’ETA en 2011. Il montre que ce secteur de la société basque s’articule autour d’un PRXYHPHQWVRFLDOWUªVDQFU«HWGLVSRVHGHQRPEUHX[UHODLVHWH[SRVH OD VWUXFWXUDWLRQ SURJUHVVLYH GȇXQ LQG«SHQGDQWLVPH G«PRFUDWLTXH TXL s’appuie sur des partis politiques et des collectifs qui s’insèrent de plus en plus dans le jeu politique institutionnel. Sylvie Koller revient quant à HOOHVXUOHPRXYHPHQWOHSOXVHPEO«PDWLTXHGHVGHUQLªUHVDQQ«HVFHOXL GHVLQGLJQ«VHWGX0HQSU«FLVDQWOHVORJLTXHVGHVDVWUXFWXUDWLRQ ses principales revendications et son impact plus général sur le débat d’idées dans la société espagnole. La dernière partie du livre déplace la focale des enjeux écono- PLTXHV HW VRFLDX[ YHUV OHV TXHVWLRQV SROLWLTXHV LQVWLWXWLRQQHOOHV HW démocratiques. Mathieu Petithomme dépeint la structuration de la

42 La crise démocratique espagnole et le renouveau de la contestation sociale

Plateforme des affectés par l’hypothèque (PAH) autour de la lutte contre OHV H[SXOVLRQV XQ SK«QRPªQH WRXW ¢ IDLW QRXYHDX GDQV OȇKLVWRLUH GH Oȇ(VSDJQHFRQWHPSRUDLQHHWSOHLQHPHQWOL«¢Oȇ«FODWHPHQWGHODmEXOOH} immobilière. Benoît Pellistrandi porte un regard d’historien sur la crise GHO«JLWLPLW«GHODPRQDUFKLHHVSDJQROHHQVHGHPDQGDQWGDQVTXHOOH mesure l’accession au trône de Philippe VI pourrait permettre à la PRQDUFKLHGHUHGRUHUVRQEODVRQDXSUªVGHOȇRSLQLRQSXEOLTXH(QȴQ le dernier chapitre empirique revient sur l’émergence d’une nouvelle DOWHUQDWLYH SROLWLTXH Podemos XQH IRUPDWLRQ WUªV FULWLTX«H SDU FHU- WDLQVTXLSU«WHQGRIIULUXQG«ERXFK«SROLWLTXH¢OȇLQGLJQDWLRQFLWR\HQQH et à la crise des partis traditionnels. La conclusion de l’ouvrage propose un regard d’ensemble sur la crise économique et politique espagnole : au-delà de la récession et des drames sociaux et humains des dernières DQQ«HVOȇ(VSDJQHQȇHVWHOOHSDV¢XQWRXUQDQWKLVWRULTXHPDUTX«SDU l’essor de nouvelles pratiques et alternatives politiques et par un renou- veau de l’engagement citoyen ?

43

PREMIÈRE PARTIE

DE LA CRISE ÉCONOMIQUE AU RENOUVEAU DE LA CONTESTATION SOCIALE

De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

2

Le défi de la montée du chômage et la réforme du marché du travail

Elíes FURIÓ BLASCO0DWLOGHALONSO PÉREZ et Christel BIRABENT CAMARASA

Lorsqu’il est fait référence aux causes du très fort taux de chômage espagnol, deux motifs sont habituellement mis en avant : tout d’abord la forte croissance des salaires, bien supérieure à celle compatible avec le plein- emploi du facteur travail dans un moment de crise […] et également la « rigidité » excessive institutionnelle de notre marché du travail1.

/DFLWDWLRQFLGHVVXVUHȵªWHODGRXEOHU«DOLW«DFWXHOOHGXPDUFK«GX WUDYDLOHVSDJQROXQHIRUWHFURLVVDQFHGXFK¶PDJHTXLWRXFKHHQYDOHXU DEVROXHVL[PLOOLRQVGHSHUVRQQHV6DQVFRQWHVWHOHSLUHSUREOªPHVRFLR «FRQRPLTXH GX SD\V /H GLDJQRVWLF RɚFLHO FRQVLGªUH OHV ULJLGLW«V GX marché du travail espagnol comme les causes principales du chômage. Ces rigidités empêcheraient une adéquation de l’emploi à la conjonc- WXUH«FRQRPLTXH&HSHQGDQWODFLWDWLRQPLVHLFLHQH[HUJXHQȇHVWSDV tirée d’un ouvrage traitant de la situation actuelle du marché du travail espagnol et du diagnostic qui en est fait. Il s’agit du premier paragraphe GHOȇLQWURGXFWLRQGXOLYUHGH/OX¯V)LQDHW/XLV7RKDULD&RUW«VLes causes du chômage en Espagne. Un point de vue structurelSXEOL«HQ/ȇ«WDW du marché du travail et le diagnostic sont toujours les mêmes. Nous apportons ici quelques éléments complémentaires en ce sens. (QHIIHWGHSXLVODm*UDQGH5«FHVVLRQ}DGHQRXYHDXG«PRQ- tré le caractère chronique du déséquilibre qui touche le marché du WUDYDLO HVSDJQRO /H WDX[ GH FK¶PDJH H[WU¬PHPHQW «OHY« HVW «JDOH- PHQWEHDXFRXSSOXVYRODWLOTXHFHOXLGȇDXWUHVSD\VHXURS«HQV2UQRWUH regard d’économistes nous mènera à démontrer ci-après que le taux de chômage élevé en Espagne n’est pas uniquement la conséquence de

šLluís FƯƴƧ et Luis TƵƮƧƷƯƧCƵƷƹʤƸ, Las causas del paro en España. Un punto de vista estructural, Madrid, Fundación IESA, 1987, p. 5.

47 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

OD FULVH «FRQRPLTXH 6DQV PLQLPLVHU OȇDPSOHXU GH FHWWH GHUQLªUH VD VS«FLȴFLW«HWVDODUJHLQFLGHQFHVXUOHPDUFK«GHOȇHPSORLLOHVWLPSRU- WDQWGHUDSSHOHUTXHOHFK¶PDJH«WDLWFHUWHVPRLQGUHPDLVG«M¢FRQV«- quent même en phase de croissance2  'HSOXVODVLWXDWLRQ aurait été la même dans les années 1960 si les presque deux millions d’Espagnols partis de chez eux en quête d’un emploi dans un autre pays européen avaient été comptabilisés. La croissance de l’emploi dans les années 1960 a été fort modeste eu égard à la croissance assez soute- QXH GH Oȇ«FRQRPLH HW Oȇ«PLJUDWLRQ D GLPLQX« GH ID©RQ P«FDQLTXH OHV chiffres du chômage. La persistance du chômage en Espagne n’est donc pas conjoncturelle et ses causes non plus. Le chômage est la préoccupation majeure des Espagnols ; il a un impact décisif eu égard à l’élaboration d’un projet de vie. Selon un son- dage du Centre de recherches sociologiques (CIS) de Madrid réalisé en RFWREUHLOUHSU«VHQWHOHSOXVJUDYHSUREOªPHGHODVRFL«W«HVSD- JQROHSRXUGHVJHQVDYDQWODFRUUXSWLRQ  3. L’évolution de OȇHPSORLHWGXFK¶PDJHWRXWFRPPHOHXUU«SDUWLWLRQRQWGȇ«QRUPHV U«SHUFXVVLRQV «FRQRPLTXHV VRFLDOHV HW SROLWLTXHV $LQVL OD G«JUDGD- tion du marché du travail pousse les électeurs à sanctionner le parti DXSRXYRLU6XUOHSODQVRFLR«FRQRPLTXHOȇDXJPHQWDWLRQGXFK¶PDJH avec la crise a mis un frein aux changements qui étaient en train de se produire dans la sphère familiale. Il y avait une plus grande émancipa- WLRQGHVMHXQHVOHVOLHQVIDPLOLDX[Vȇ«WDLHQWDIIDLEOLVHWOHQRPEUHGH divorces et de séparations avait augmenté. Toutes ces transformations RQW«W«SDUDO\V«HVVXLWH¢ODFULVH«FRQRPLTXH¢ODPRQW«HHQȵªFKH GXFK¶PDJH¢ODGLPLQXWLRQGXSRXYRLUGȇDFKDWHWOȇDXJPHQWDWLRQGH la pauvreté. L’augmentation des inégalités en Espagne fait partie des évolutions soulignées par Thomas Piketty dans ses études4. L’Espagne HVWUHGHYHQXHXQSD\VGȇ«PLJUDWLRQQHWWHSRXUPRWLIV«FRQRPLTXHV après de nombreuses années de croissance de l’immigration écono- mique5.

šPar exemple, lors de la crise de 1993, le chômage atteignait déjà 24,8 %. De 1994 à 2007, il a ensuite diminué continuellement, mais hormis de 2005 à 2007, il n’a jamais été inférieur à 10 %. Cf.ITCRJKSWGEKFGUUQWU šSondage réalisé du 1erCWQEVQDTGUWTWPȌEJCPVKNNQPFGšRGTUQPPGUTGRTȌUGPVCVKXGU FGNCRQRWNCVKQPGURCIPQNGȃVTCXGTUFGUGPVTGVKGPUGPHCEGȃHCEGCWFQOKEKNGFGUGPSWȍVȌU CIS, Madrid, 2014. šThomas PƯƱƫƹƹƾLe capital au xxie siècle, Paris, Éditions du Seuil, 2013. šMatilde AƲƵƴƸƵ, Elíes BƲƧƸƩƵ et Christel BƯƷƧƨƫƴƹ, Panorama de l’Espagne contemporaine, Ellipses, Paris, 2008, chapitre VIII.

48 De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

'DQV FH FKDSLWUH QRXV DQDO\VHURQV «JDOHPHQW OH FRQWHQX GH OD réforme du marché du travail mise en œuvre en 2012 par le gouverne- PHQWGH0DULDQR5DMR\GX3DUWLSRSXODLUH6HORQOHWH[WHGHODU«IRUPH OHVFDXVHVGXFK¶PDJHU«VLGHUDLHQWGDQVOHPDQTXHGHȵH[LELOLW«¢OȇHP- bauche et au licenciement ainsi que dans le manque de correspondance HQWUHOHVVDODLUHVOHVFRQGLWLRQVHWODVLWXDWLRQGHOȇHQWUHSULVH,OHVWELHQ HQWHQGXWURSW¶WSRXU«YDOXHUOȇHɚFDFLW«GHODU«IRUPHPDLVFHUWDLQV éléments démontrent ses limites. La réforme cherche à augmenter la ȵH[LELOLW« LQWHUQH GHV HQWUHSULVHV SRXU SHUPHWWUH XQH PHLOOHXUH DG«- TXDWLRQ DX[ ȵXFWXDWLRQV «FRQRPLTXHV (OOH SU«VHQWH FHSHQGDQW GHV carences importantes à la fois en matière de lutte contre la dualité du PDUFK«GXWUDYDLOGHSROLWLTXHVDFWLYHVGȇHPSORLGȇDP«OLRUDWLRQGHOD productivité et de garanties sociales. Nous présenterons d’abord l’ampleur du chômage et certaines de VHV FDUDFW«ULVWLTXHV SXLVQRXV DQDO\VHURQV VHV FDXVHV HQ SURIRQGHXU Nous comparerons ensuite la situation espagnole à celle des autres pays HXURS«HQV SXLV OH FRQWHQX GH OD U«IRUPH GX WUDYDLO VHUD SU«VHQW« HQ WURLVLªPHVHFWLRQ/HFKDSLWUHVHWHUPLQHUDHQȴQSDUXQHGLVFXVVLRQVXU les apports et les limites de cette réforme pour combattre le problème du chômage en Espagne.

LE PROBLÈME DU CHÔMAGE EN ESPAGNE ET SES EXPLICATIONS

Un enjeu ancien, revenu sur le devant de la scène depuis 2008

Le grand déséquilibre qui caractérise le marché du travail est l’un des problèmes les plus graves de l’Espagne. C’est le pays de l’Union euro- péenne dont le taux de chômage est le plus élevé. Au second trimestre VHORQOȇ(QTX¬WHGHSRSXODWLRQDFWLYHSXEOL«HSDUOȇLQVWLWXWQDWLRQDO GHVWDWLVWLTXHV ,1( RQG«QRPEUDLWSHUVRQQHVHQVLWXDWLRQGH FK¶PDJHFȇHVW¢GLUHGHODSRSXODWLRQDFWLYH,OHVW«YLGHQWTXH la gravité du chômage est intimement liée à la crise économique natio- QDOHHWLQWHUQDWLRQDOHDFWXHOOH&HSHQGDQWGHX[«O«PHQWVGRLYHQW¬WUH SULVHQFRPSWHORUVGHOȇH[DPHQGXFK¶PDJHHQ(VSDJQH7RXWGȇDERUG OH SUREOªPH GX FK¶PDJH HVW VWUXFWXUHO HW V\VW«PDWLTXH (QVXLWH LO convient de noter que d’autres pays dans la même situation obtiennent actuellement de meilleurs résultats dans la lutte contre le chômage.

49 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

5DSSHORQV TXHOTXHV FKLIIUHV HQ OLHQ DYHF OH SUHPLHU PRWLI DȴQ de mettre en évidence le caractère structurel du déséquilibre du PDUFK« GX WUDYDLO HVSDJQRO 3HQGDQW OHV DQQ«HV  XQ JUDQG QRPEUHGȇ(VSDJQROVRQW«PLJU«YHUVGȇDXWUHVSD\VHXURS«HQV )UDQFH Allemagne et Suisse notamment) à la recherche d’un emploi6. Cette émigration (plus d’un million et demi de personnes selon certaines HVWLPDWLRQV  D SHUPLV ¢ Oȇ(VSDJQH ORUV GX mERRP «FRQRPLTXH} GH ODȴQGHVDQQ«HVHWGXG«EXWGHVDQQ«HVGHFRQQD°WUHXQH situation de quasi plein emploi7. Sans cette émigration l’augmentation des postes de travail grâce à l’industrialisation et à l’essor du tertiaire QȇH½WSDVVXɚ$MRXWRQVTXHSHQGDQWWRXWHVFHVDQQ«HVODFURLVVDQFH G«PRJUDSKLTXH«WDLWLPSRUWDQWHPDLVODmQRXYHOOHSRSXODWLRQ}«WDLW encore trop jeune et ne faisait donc pas encore pression pour entrer sur le marché du travail. Le deuxième élément à prendre en compte pour démontrer le carac- tère structurel du chômage en Espagne est la situation de ce dernier pendant la récente période d’expansion économique. Entre le deuxième WULPHVWUHGHHWOHGHX[LªPHWULPHVWUHGHOȇ(VSDJQHDY«FX trimestres (15 ans) de croissance économique ininterrompue alors que OH FK¶PDJH QȇHVW SDV GHVFHQGX VRXV OH VHXLO GH  SUHPLHU WUL- mestre 1997). Le deuxième trimestre de 1993 correspond au début de la UHSULVHDSUªVODU«FHVVLRQGHȴQG«EXW/DU«FHVVLRQDFWXHOOH a débuté en Espagne au troisième trimestre de 2008. Pendant cette ORQJXH S«ULRGH GH FURLVVDQFH «FRQRPLTXH   OH PHLOOHXU résultat relatif au marché du travail espagnol a été bien plus mauvais TXH FHOXL GH FHUWDLQV SD\V HXURS«HQV DX SOXV IRUW GH OD m*UDQGH 5«FHVVLRQ} 3DU H[HPSOH VHORQ OȇRɚFH HXURS«HQ GH VWDWLVWLTXHV (XURVWDWHQDYULOOHFK¶PDJHHQ$OOHPDJQHRXHQ6ORYDTXLH«WDLW LQI«ULHXU¢(QFRPSDUDLVRQFRPPHOHPRQWUHOHJUDSKLTXH GXSUHPLHUWULPHVWUHGHDXSUHPLHUWULPHVWUHGHOHWDX[GH chômage espagnol a été supérieur à 10 %8. Pendant les douze trimestres

šOn estime qu’environ deux millions d’Espagnols sont partis travailler en Europe. Cf. Carmen GƵƴƿʜƲƫƿEƴƷʨƶƺƫƿ¿EPLJUDQORVHVSD³ROHV̰", ARI, Real Instituto Elcano, n° 39, 18 septembre 2013. šRappelons que pendant toute la décennie des années 1960, l’emploi a modestement aug menté de 0,6 % par an, alors que la croissance réelle moyenne du PIB était supérieure à 7,5 % et le taux d’accroissement naturel de la population de l’ordre de 1,2 %. Cf. Lluís FƯƴƧ, « El paro en EURCȓCšUWUECWUCU[NCTGURWGUVCFGNCRQNȐVKECGEQPȕOKECzFCPULluís FƯƴƧ et Luis TƵƮƧƷƯƧ CƵƷƹʤƸ, op. cit., Madrid, Fundación IESA, 1987, p. 23. šPour une réflexion sur les causes générales du chômage en période de croissance voir Alice MƵƺƭƲƯƴ, « CQOOGPVGZRNKSWGTNCRGTUKUVCPEGFWEJȖOCIGGPRȌTKQFGFGTGNCPEGš!zRegards croisés sur l’économiePoR

50 De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

FRQV«FXWLIVSRVW«ULHXUV¢FHWWHGHUQLªUHGDWHLOD«W«LQI«ULHXU¢ DYHFXQPLQLPXPGH‚SDUWLUGXGHX[LªPHWULPHVWUHGHLO DGHQRXYHDXG«SDVV«OHVHXLOGHSRXUVȇHQYROHUMXVTXȇ¢DX premier trimestre de 2013 et diminuer légèrement début 2014. Si l’on considère que le taux de chômage frictionnel9PRWLY«SDUODURWDWLRQHW ODUHFKHUFKHGȇHPSORLHVWGȇHQYLURQRQSHXWHQȴQQRWHUTXHGHSXLV OHSUHPLHUWULPHVWUHGHOHPDUFK«GXWUDYDLOHVSDJQROHVWWRXMRXUV au-dessus de ce taux. Il s’agit donc d’un chômage structurel aux causes multiples.

Graphique 2.1. L’évolution du chômage en Espagne, 1976-2013 (%) 30

25

20

15

10

5

0 2011 TI 2008 TI 2005 TI 2002 TI 1999 TI 1996 TI 1993 TI 1990 TI 1987 TI 1984 TI 1981 TI 1978 TI 2013 TII 2010 TII 2007 TII 2004 TII 2001 TII 1998 TII 1995 TII 1992 TII 1989 TII 1986 TII 1983 TII 1980 TII 1977 TII 2012 TIII 2009 TIII 2006 TIII 2003 TIII 2000 TIII 1997 TIII 1994 TIII 1991 TIII 1988 TIII 1985 TIII 1982 TIII 1979 TIII 1976 TIII 2011 TIV 2008 TIV 2005 TIV 2002 TIV 1999 TIV 1996 TIV 1993 TIV 1990 TIV 1987 TIV 1984 TIV 1981 TIV 1978 TIV

Élaboration personnelle des auteurs à partir de l’enquête de population active, +0'/CFTKF=YYYKPGGU?

Le tableau 2.2 ci-dessous montre le lien étroit qui existe entre l’âge et le chômage en Espagne. Le taux de chômage des personnes âgées de 16 à 34 ans dépasse largement la moyenne nationale. La situation est tout particulièrement préoccupante pour la population de 16 à 19 DQVTXLYRLWSOXVGHVGHX[WLHUVGHVDWUDQFKHGȇ¤JHDXFK¶PDJH&KH] OHVMHXQHVGH¢DQVXQHSHUVRQQHVXUGHX[HVW«JDOHPHQWDXFK¶- PDJH 2Q QRWHUD TXH SDUPL OD MHXQHVVH HVSDJQROH OD VLWXDWLRQ HVW XQ peu plus favorable aux femmes qu’aux hommes. Le niveau moyen de IRUPDWLRQGHVMHXQHVIHPPHVHVWVXS«ULHXU¢FHOXLGHVMHXQHVKRPPHV

šLe chômage frictionnel indique un chômage provoqué par le délai nécessaire à une personne pour trouver un autre emploi. Sont également causes de ce chômage les imperfections du OCTEJȌFWVTCXCKN CDUGPEGFGVTCPURCTGPEGOCWXCKUGFKHHWUKQPFGNŨKPHQTOCVKQPGVE Il est souvent présenté comme inévitable et peu compressible.

51 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

ce qui explique en partie cette situation plus positive des femmes. En UHYDQFKHDXIXUHW¢PHVXUHGHOȇDYDQFHPHQWGDQVOHVJURXSHVGȇ¤JH le taux de chômage général diminue et la situation des hommes devient PHLOOHXUH TXH FHOOH GHV IHPPHV &HSHQGDQW QRXV YHUURQV SDU ODVXLWH TXHGDQVODS«ULRGHGHFULVHDFWXHOOHFRQWUDLUHPHQWDX[FULVHVSDVV«HV la situation des femmes s’est proportionnellement moins dégradée que celle des hommes.

Tableau 2.2. Taux de chômage en Espagne par âge et par genre, 2006 et 2012 (%)

Général Hommes Femmes 2006 2012 2006 2012 2006 2012 16 à 19 ans 29,0 72,6 23,7 72,0 36,5 73,5 20 à 24 ans 14,8 49,1 12,3 50,5 17,8 47,6 25 à 29 ans 10,2 32,2 8,0 33,9 12,9 30,3 30 à 34 ans 8,0 25,3 5,8 25,9 10,9 24,6 35 à 39 ans 7,1 22,0 4,9 21,0 10,2 23,3 40 à 44 ans 6,9 22,0 4,6 20,6 9,9 23,6 45 à 49 ans 5,8 21,2 4,0 20,2 8,3 22,2 50 à 54 ans 6,1 19,8 4,0 19,5 9,5 20,0 55 à 59 ans 6,1 18,8 5,0 18,7 8,3 19,0 60 à 64 ans 4,9 16,0 4,5 16,3 5,5 15,5 65 à 69 ans 2,0 4,8 2,0 5,3 2,0 4,3 70 ans et plus 0,7 1,2 0,2 0,2 1,8 2,6 Total 8,5 25,0 6,3 24,7 11,5 25,4

Élaboration personnelle des auteurs à partir de l’enquête de population active, INE, /CFTKF=JVVRYYYKPGGU?2QWTWPGOGKNNGWTGNKUKDKNKVȌFWVCDNGCWNGUEJKHHTGU ont été arrondis à la décimale..

'HSOXVLOH[LVWHXQOLHQWUªVFODLUHQWUHOHQLYHDXGHIRUPDWLRQHWOH taux de chômage. Le chômage est plus élevé parmi les catégories dont OHQLYHDXGHIRUPDWLRQHVWOHSOXVEDVHWLOGLPLQXHSRXUOHVSHUVRQQHV GRQWOHQLYHDXGHIRUPDWLRQHVWSOXV«OHY«(QOHWDX[GHFK¶PDJH des personnes ayant achevé le cycle d’enseignement primaire — on parle ici des personnes qui n’ont pas réussi à terminer leur éducation VHFRQGDLUHREOLJDWRLUH DQVHQ(VSDJQHDQVHQ)UDQFH ȃ«WDLW GH  HQ PR\HQQH DQQXHOOH (Q UHYDQFKH FHWWH P¬PH DQQ«H pour la catégorie de personnes disposant d’une formation supérieure VDQVGRFWRUDW OHWDX[GHFK¶PDJH«WDLWGHELHQLQI«ULHXU¢OD

52 De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

PR\HQQHQDWLRQDOH3RXUOHVSHUVRQQHVWLWXODLUHVGȇXQGRFWRUDWOHWDX[ de chômage était même inférieur à 5 %10. 6LJQDORQV FHSHQGDQW TXȇHQ (VSDJQH GHX[ SUREOªPHV RSSRV«V FRH[LVWHQWOȇ«FKHFVFRODLUHHWODVXUTXDOLȴFDWLRQ/HSUHPLHUHVWSULQ- FLSDOHPHQW G½ ¢ OȇDEDQGRQ SU«PDWXU« GX V\VWªPH «GXFDWLI SDU GHV jeunes attirés par la forte demande de main-d’œuvre et les niveaux de salaires élevés du secteur du bâtiment pendant la phase d’expansion. /H SUREOªPH GH OD VXUTXDOLȴFDWLRQ WLHQW TXDQW ¢ OXL ¢ GHX[ UDLVRQV OȇRIIUHHWODGHPDQGHGHWUDYDLO(QPDWLªUHGȇRIIUHLOVȇDJLWGHOȇDUULY«H VXU OH PDUFK« GX WUDYDLO GH MHXQHV GLSO¶P«V GDQV GHV GRPDLQHV R» l’emploi n’est pas systématiquement au rendez-vous. C’est le cas de nombreux diplômés universitaires en sciences sociales et humaines DLQVLTXHGHFHUWDLQHVIRUPDWLRQVGȇLQJ«QLHXUV/DGHPDQGHHVWTXDQW ¢HOOHOL«H¢ODVWUXFWXUHSURGXFWLYHTXLQȇXWLOLVHSDVFHUWDLQHVDFWLYLW«V WHFKQRORJLTXHPHQWDYDQF«HVFHTXLQHSHUPHWSDV¢FHUWDLQVMHXQHV GLSO¶P«VGHWURXYHUXQHPSORLHQ(VSDJQH,OFRQYLHQWȴQDOHPHQWGH SU«FLVHUTXHSHQGDQWODS«ULRGHGȇH[SDQVLRQOHSD\VDFRQQXXQHIRUWH FURLVVDQFH «FRQRPLTXH PDLV GRXEO«H GȇXQH GHVWUXFWLRQ GȇHPSORLV dans certains secteurs particuliers. La sous-partie suivante revient sur ces questions. Offre et demande de travail

7RXWGȇDERUGOHVFK«PDFLDSUªVPRQWUHOHVYDULDEOHVG«WHUPL- nantes de la croissance démographique. Pendant la période de crois- VDQFH TXL D SU«F«G« OD m*UDQGH 5«FHVVLRQ} OD SRSXODWLRQ HVSDJQROH est passée d’une situation de quasi-stagnation à une forte croissance G«PRJUDSKLTXH GXH ¢ XQ VROGH PLJUDWRLUH WUªV IDYRUDEOH (Q  OH WDX[ GȇDFFURLVVHPHQW QDWXUHO ¢ VDYRLU OD GLII«UHQFH HQWUH OHV QDLV- VDQFHV HW OHV G«FªV «WDLW GH  SRXU KDELWDQWV &ȇHVW ¢ SDUWLU GH FH PRPHQWO¢ TXH VȇDPRU©D XQH GLPLQXWLRQ GUDVWLTXH GH FH WDX[ TXLFKXWHUD¢ȑHQ&HWWHWUªVIRUWHGLPLQXWLRQHVWODSUHXYH d’une stagnation de l’accroissement due à la forte chute de la fécondité HWGHODQDWDOLW«(QOȇ¤JHPR\HQGHODPDWHUQLW«GHVIHPPHV«WDLW GHDQVDORUVTXȇHQLO«WDLWSDVV«¢DQV/ȇDXJPHQWDWLRQ de l’âge des femmes lors de la naissance de leur premier enfant réduit OHV SRVVLELOLW«V GH QDLVVDQFH GȇXQ GHX[LªPH HW GȇXQ WURLVLªPH HQIDQW et va en conséquence de pair avec une diminution de la fécondité et GHODWDLOOHGHODFHOOXOHIDPLOLDOH(QOHWDX[GHI«FRQGLW«GȇXQH

šDonnées tirées de l’enquête de population active, INE, Madrid, 2012.

53 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

Schéma 2.3. Les facteurs de la croissance démographique

Croissance démographique

Accroissement Solde naturel migratoire

Naissances Décès Immigration Émigration (+) (–) (+) (–)

Rappatriement Émigration des Rappatriement Fécondité Étrangers de ressortissants ressortissants de l’immigration (+) (+) nationaux nationaux préalable (+) (–) (–)

Élaboration personnelle des auteurs.

(VSDJQROH GH  DQV «WDLW GH ȑ11 (Q  OD I«FRQGLW« GȇXQH IHPPHHVSDJQROHGHDQV«WDLWGHȑ Cette tendance à la diminution des naissances s’est accompagnée GȇXQHGLPLQXWLRQVLJQLȴFDWLYHGHODPRUWDOLW«'HIDLWSHQGDQWGHQRP- EUHXVHV DQQ«HV OH PDLQWLHQ GH OȇDFFURLVVHPHQW QDWXUHO D «W« G½ ¢ OD diminution des décès plus qu’à l’augmentation des naissances. Une telle tendance démographique ne favorise donc pas l’arrivée sur le marché GH OȇHPSORL GȇXQH SOXV LPSRUWDQWH mIRUFH GH WUDYDLO} PDLV HQJHQGUH SOXW¶W XQH DXJPHQWDWLRQ GHV SRSXODWLRQV G«SHQGDQWHV QRWDPPHQW FHOOHGHVSOXVGHDQVFRPPHOȇLOOXVWUHOHVFK«PDFLDSUªV La situation de croissance naturelle presque nulle et de stagnation de la force de travail a été compensée par une forte augmentation

šLGVCWZFGHȌEQPFKVȌGUVNGPQODTGFŨGPHCPVUPȌUXKXCPVURQWTšHGOOGUFGȃCPU EPHCPVUPȌUXKXCPVUFGOOGUFGȃCPU ZšIl est également calculé par groupes d’âge.

54 De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

Schéma 2.4. Population et offre de travail

Population

ImmigrationForce Population de travail(+) dépendante

PopulationÉtrangers Population Moins Plus active(+) inactive de 16 ans de 55 ans

Population Chômeurs active occupée

5QWTEGšȌNCDQTCVKQPRGTUQPPGNNG

GX VROGH PLJUDWRLUH 3HQGDQW OD S«ULRGH GH FURLVVDQFH «FRQRPLTXH l’Espagne est devenue pour la première fois un pays récepteur d’immi- JUDWLRQ(QFHWWHSRSXODWLRQUHSU«VHQWDLWGHODSRSXODWLRQ totale. Un pourcentage relativement bas par rapport aux 9 % de Oȇ$OOHPDJQHRXDX[GHOD)UDQFHHQ‚FHWWH«SRTXHXQH proportion importante des immigrants était des Européens retraités qui s’étaient installés de manière permanente sur le littoral ou dans OHV°OHVHVSDJQROHV(QUHYDQFKHOHG«EXWGXXXIe siècle a vu une arri- vée massive d’immigrants en Espagne pour des raisons économiques. Ils représentent désormais plus de 11 % de la population espagnole. L’importance quantitative de ces immigrants est bien supérieure à celle d’autres pays européens ayant une grande tradition d’accueil SRXU PRWLIV «FRQRPLTXHV FRPPH SHXYHQW Oȇ¬WUH Oȇ$OOHPDJQH OD France ou le Royaume Uni (tableau 2.5).

55 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

Tableau 2.5. Immigration en Europe (% de population immigrée par rapport à la population totale) -

Allemagne Irlande Espagne France Italie Royaume Uni

1998 9,0 3,0 1,5 - 1,7 3,6 1999 8,9 3,0 1,6 5,6 2,0 3,9 2 000 8,9 3,2 2,0 - 2,2 - 2001 8,8 3,9 2,9 - - 4,5 2002 8,9 7,1 3,8 - - - 2003 8,9 6,1 5,3 5,6 2,7 4,7 2004 8,9 5,3 6,5 - 3,4 5,0 2005 8,8 6,0 7,8 5,8 4,1 5,2 2006 8,8 10,9 9,1 5,6 4,5 5,7 2007 8,8 10,5 10,4 5,8 5,0 6,0 2008 8,8 12,6 11,6 5,8 5,8 6,6 2009 8,8 9,9 11,6 5,9 6,5 6,8 2010 8,7 8,6 11,6 5,8 7,0 7,0 2011 8,8 8,1 11,4 5,9 7,5 7,2 2012 9,1 10,6 11,2 5,9 7,9 7,6

5QWTEGšȌNCDQTCVKQPRGTUQPPGNNGȃRCTVKTFG =JVVRCRRUUQGWTQUVCVGEGWTQRCGWPWKUGVWR&QYPNQCFUFQ? 

,O VȇDJLVVDLW QRXV OȇDYRQV GLW GȇXQH LPPLJUDWLRQ «FRQRPLTXH TXL DOODLW IDYRULVHU QRQ VHXOHPHQW XQH FURLVVDQFH G«PRJUDSKLTXH PDLV également une forte augmentation de la population active et de la SRSXODWLRQ DFWLYH RFFXS«H VFK«PD   &ȇ«WDLW XQH SRSXODWLRQ MHXQH HQ¤JHGHWUDYDLOOHUTXLDDXJPHQW«ODIRUFHGHWUDYDLOHVSDJQROHHWTXL UHFKHUFKDLWDFWLYHPHQWXQHPSORLSHUPHWWDQWSDUO¢P¬PH¢ODSRSX- ODWLRQDFWLYHGHFUR°WUH7RXWFRPPHOȇLQGLTXHOHWDEOHDXHQHQ (VSDJQHRQG«QRPEUDLWPLOOLRQVGHSHUVRQQHVHQ¤JHGHWUDYDLOOHU HW PLOOLRQV HQ  (Q SURSRUWLRQ GH OD SRSXODWLRQ WRWDOH OȇDXJ- PHQWDWLRQ D «W« GȇXQ SHX SOXV GH GHX[ SRXU FHQW PDLV OD SRSXODWLRQ active de 2007 comptait sept millions de personnes de plus (plus d’un tiers) qu’en 1991. Ceci suppose une forte hausse de l’offre potentielle de travail sur le marché du travail espagnol. « Potentielle » car seule une partie de cette offre cherche activement un emploi. /DUHFKHUFKHGȇHPSORLDFU½SHQGDQWFHWWHS«ULRGHWRXWFRPPHOH G«PRQWUHOHWDX[GȇHPSORLTXLHVWSDVV«GȇXQSHXSOXVGHHQ à 59 % en 2007. C’est cette augmentation sensible de la population active

56 De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

qui nous permet d’expliquer l’ampleur de la croissance économique et la non-diminution du niveau de chômage. Notons que le taux d’emploi D«W«SDUWLFXOLªUHPHQW«OHY«SRXUOHVIHPPHVWRXWFRPPHSRXUODSRSX- lation immigrante. Le tableau 2.6 nous permet d’observer que la crise QȇDSDVHQWUD°Q«XQHGLPLQXWLRQLPSRUWDQWHGXWDX[GȇHPSORLFRQWUDL- UHPHQWDX[FULVHVSU«F«GHQWHV(QSUDWLTXHOȇHQVHPEOHGHOȇDXJPHQWD- tion de la force de travail est passé à la population active occupée. En RQG«QRPEUDLWPLOOLRQVGȇDFWLIVRFFXS«VHQ(VSDJQHHQ LOV«WDLHQWSOXVGHPLOOLRQVXQHKDXVVHGHSOXVGH(QGȇDXWUHV WHUPHVDORUVTXHODIRUFHGHWUDYDLODDXJPHQW«GȇXQWLHUVOȇHPSORLD DXJPHQW«GHPRLQVGHGHX[WLHUV/DGLII«UHQFHHQWUHOHVGHX[DVLJQLȴ« une diminution du chômage de 700 000 personnes. Pendant la période DOODQWGH¢KXLWPLOOLRQVGȇHPSORLVRQW«W«FU««VHQ(VSDJQH 0DLV SHQGDQW OHV FLQT DQQ«HV VXLYDQWHV HQWUH HW SOXV GH trois millions d’emplois ont été détruits.

Tableau 2.6. Force de travail, activité, population active occupée et chômage en Espagne

1991 1999 2007 2012

106 23,4 26,8 30,4 30,40 Force de travail % (population) 65,2 67,1 67,8 66,40 Total 50,8 52,5 58,9 59,98 Femmes 34,7 48,9 53,39 Taux d’activité Hommes 68,0 69,3 66,93 Immigrants 76,0 75,10

1991 1994 2007 2012

Population active occupée (106) 13,0 20,3 17,282 Chômeurs (106) 2,5 3,8 1,8 5,769 Taux de chômage (%) 16,3 24,1 8,3 25,030

5QWTEGšȌNCDQTCVKQPRTQRTGFGUCWVGWTUȃRCTVKTFGNŨ+0'=YYYKPGGU?

Cette augmentation importante de la force de travail et de l’emploi pendant la période de croissance économique est allée de pair avec la transformation de la structure productive et active de l’économie espa- gnole. Le graphique 2.7 ci-dessous reprend la transformation de la struc- ture de l’emploi en Espagne pendant la dernière étape de croissance et OD*UDQGH5«FHVVLRQ7URLVV«ULHVGHGRQQ«HVVRQWUHSU«VHQW«HVGH ¢GDQVOȇLQGXVWULHPDQXIDFWXULªUHOHVHFWHXUGXE¤WLPHQWHWGDQV

57 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

l’ensemble des secteurs économiques. La destruction des emplois qui a accompagné l’entrée dans la crise est clairement visible. Pour l’ensemble GHOȇ«FRQRPLHODGHVWUXFWLRQGHOȇHPSORLG«EXWHDXWURLVLªPHWULPHVWUH 'DQVOHVHFWHXUGXE¤WLPHQWFHOXLTXLDJ«Q«U«OHSOXVGȇHPSORLV HWa posterioriOHSOXVGHFK¶PDJHODGHVWUXFWLRQFRPPHQFHDXSUHPLHU WULPHVWUH  /H JUDSKLTXH  SHUPHW «JDOHPHQW GȇREVHUYHU TXH \ compris pendant les années de forte croissance économique et de créa- WLRQGȇHPSORLVGDQVOȇHQVHPEOHGHOȇ«FRQRPLHHVSDJQROHHWOHVHFWHXUGX E¤WLPHQWHQSDUWLFXOLHUOHVHFWHXULQGXVWULHOSHUGDLWGHVHPSORLV'HIDLW pendant la période de 28 trimestres qui vont du premier trimestre 2001 au premier trimestre 2008 (au cours duquel le secteur de la construction FRPPHQFH ¢ SHUGUH GHV HPSORLV  OȇDFWLYLW« LQGXVWULHOOH QȇD FRQQX TXH FLQTWULPHVWUHVGHFU«DWLRQGȇHPSORLGHX[DYHFXQHYDULDWLRQQXOOHHW trimestres de pertes. La différence entre la valeur maximale et la valeur minimale de l’emploi industriel est de 281 700 emplois perdus. Si on leur DMRXWH OHV HPSORLV SHUGXV SDU OH VHFWHXU GH OȇDJULFXOWXUH QRXV SDUYHQRQV ¢ HPSORLV TXL VȇLOV DYDLHQW «W« FRQVHUY«V DXUDLHQW SHUPLVGHVLWXHUOHWDX[GHFK¶PDJHDX[DOHQWRXUVGH$LQVLVDQVOD GHVWUXFWLRQGHOȇHPSORLLQGXVWULHOHWDJULFROHOHFK¶PDJHHVSDJQRODXUDLW eu un caractère conjoncturel et non pas structurel.

Graphique 2.7. L’emploi en Espagne

15

10

5

0

-5

-10

-15 Construction -20 Industrie manufacturière Total -25

-30 2001 TI 2002 TI 2003 TI 2004 TI 2005 TI 2006 TI 2007 TI 2008 TI 2009 TI 2010 TI 2011 TI 2012 TI 2013 TI 2013 TII 2001 TIII 2002 TIII 2003 TIII 2004 TIII 2005 TIII 2006 TIII 2007 TIII 2008 TIII 2009 TIII 2010 TIII 2011 TIII 2012 TIII

5QWTEGšȌNCDQTCVKQPȃRCTVKTFGNŨ+0'=YYYKPGGU?

58 De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

&HSHQGDQW OH PDUFK« GX WUDYDLO HVSDJQRO HVW FDUDFW«ULV« SDU XQH SURSRUWLRQVLJQLȴFDWLYHGHFK¶PDJHVWUXFWXUHO/HFK¶PDJHHVW«OHY« tant dans les périodes de crise grave (la phase actuelle) que dans celles d’expansion intense et continue (phase précédente). La période de crois- sance récente a été fondée sur l’expansion du secteur du bâtiment et le PDUFK«GRPHVWLTXH&HGHUQLHUQRXVOȇDYRQVYXGDQVOHVDQQ«HV HW HVW WURS U«GXLW SRXU IRXUQLU VXɚVDPPHQW GH FURLVVDQFH GH OȇHPSORLDXE«Q«ȴFHGHWRXWHODSRSXODWLRQHVSDJQROH6ȇLOHVWYUDLTXH Oȇ«FRQRPLH HW OHV HQWUHSULVHV VH VRQW LQWHUQDWLRQDOLV«HV QRWDPPHQW ¢ SDUWLUGHVDQQ«HVFHSK«QRPªQHQȇDSDVSHUPLVSRXUGLII«UHQWHV UDLVRQVGHFU«HUGHVHPSORLV(QUHYDQFKHGȇDXWUHVSD\VSOXVSHWLWVTXH l’Espagne ont su combiner le marché national et l’extérieur pour déve- ORSSHUXQHVWUXFWXUHGHSURGXFWLRQVXɚVDQW¢U«SRQGUHDX[EHVRLQVGH l’emploi national. Le marché du travail espagnol est atypique parmi les pays européens. Notons cependant que le marché du travail est forte- ment hétérogène en Europe et que les différents pays partagent peu de points communs. Avant d’étudier la réforme proposée par le gouverne- PHQWGH0DULDQR5DMR\HQSHQFKRQVQRXVGȇDERUGVXUOHVWUDLWV TXLG«ȴQLVVHQWOȇK«W«URJ«Q«LW«GXPDUFK«GXWUDYDLOHXURS«HQ

L’HÉTÉROGÉNÉITÉ DU MARCHÉ DU TRAVAIL EUROPÉEN FACE À LA CRISE

Les points communs de l’Espagne avec le chômage en Europe

$X SODQ HXURS«HQ PDOJU« FHUWDLQV SRLQWV FRPPXQV OH PDUFK« GX travail a réagi à la crise économique de façon très hétérogène selon les pays. Les points communs sont dus aux traits démographiques du chô- mage. Le chômage est plus élevé chez les travailleurs au faible niveau GHTXDOLȴFDWLRQFKH]OHVMHXQHVHWOHVSHUVRQQHVG«SHQGDQWGȇXQFRQWUDW GH WUDYDLO WHPSRUDLUH /ȇLQȵXHQFHGHV FRQWUDWV ¢ GXU«H G«WHUPLQ«H VXU l’augmentation du chômage est un mécanisme d’adaptation au cycle et à ODVDLVRQQDOLW«GHVHPSORLV(QFRQV«TXHQFHFȇHVWODSUHPLªUHFDW«JRULH touchée par le chômage lors d’un changement de phase de comporte- PHQW GH Oȇ«FRQRPLH &HSHQGDQW OH GHJU« GH SU«FDULW« GX PDUFK« GX WUDYDLOG½¢OȇDPSOHXUGHFHW\SHGHFRQWUDWQȇHVWSDVOHP¬PHGDQVWRXWH Oȇ(XURSH6RQLPSDFWTXDQWLWDWLIHVWGRQFGLII«UHQWVHORQOHVSD\VP¬PH s’il convient de reconnaître qu’il s’agit d’un secteur très vulnérable.

59 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

La situation des jeunes est très similaire. Malgré l’existence de JUDQGHVGLII«UHQFHVQDWLRQDOHVOHWDX[GHFK¶PDJHGDQVFHWWHFDW«JRULH HVWVXS«ULHXU¢ODPR\HQQHQDWLRQDOHGHFKDTXHSD\V(QOHVSD\V européens pour lesquels le chômage des jeunes était fort différent de la PR\HQQHJ«Q«UDOH«WDLHQWOD*UªFHOȇ(VSDJQHOD&URDWLHHWOȇ,WDOLH'DQV WRXVFHVSD\VODGLII«UHQFH«WDLWVXS«ULHXUH¢YLQJWSRLQWV$ORUVTXȇHQ $OOHPDJQH OD GLII«UHQFH «WDLW GH  SRLQWV HW DX[ 3D\V%DV GH  /D GLII«UHQFHPR\HQQHHXURS«HQQH 8( «WDLWGHSRLQWVSRXU la France. Le taux de chômage des jeunes des quatre premiers pays était VXS«ULHXU¢SRXUOȇ(VSDJQHHWOD*UªFHLOG«SDVVDLWHQ&URDWLH HW DYRLVLQDLW OHV  HQ ,WDOLH ‚ OȇRSSRV« OH FK¶PDJH GHV MHXQHV HQ $OOHPDJQH«WDLWGHHWGHDX[3D\V%DV(Q)UDQFHLOUHSU«- VHQWDLW  HW OD PR\HQQH HXURS«HQQH 8(   &HSHQGDQW VL l’on considère le ratio de chômage des jeunes plutôt que le taux de chô- PDJHGHVMHXQHVOHVU«VXOWDWVVRQWGHPHLOOHXUHTXDOLW«PDLVXQHIRUWH disparité persiste entre les pays12. 3RXUOHVFK¶PHXUVGHORQJXHGXU«H FK¶PDJHVXS«ULHXU¢PRLV  la tendance européenne a été celle d’une augmentation tout au long de ODFULVH«FRQRPLTXH\FRPSULVDYDQWFHOOHFL(QJ«Q«UDOWRXWFRPPH OȇLOOXVWUHOHJUDSKLTXHLOH[LVWHXQOLHQGLUHFWHQWUHOHG«V«TXLOLEUH général du marché du travail et le taux de chômage de longue durée. La Slovénie est le pays européen dans lequel le taux de chômage de longue GXU«HHVWOHSOXVLPSRUWDQWVXLYLGHOȇ(VSDJQHOD*UªFHOD/HWWRQLHHW Oȇ,UODQGH/HWDX[HVSDJQROGHFK¶PDJHGHORQJXHGXU«HHVWGHDORUV TXHODPR\HQQHGHOȇ8(HVWGHHWOHWDX[IUDQ©DLVGH (Q(VSDJQHVHORQOHVGRQQ«HVGHOȇ(QTX¬WHVXUODSRSXODWLRQDFWLYH (3$  GH Oȇ,1( SRXU OȇDQQ«H  OH FK¶PDJH GH ORQJXH GXU«H UHSU«- VHQWHHQYLURQODPRLWL«GXFK¶PDJHWRWDODORUVTXHOHVSHUVRQQHVTXL FKHUFKHQWOHXUSUHPLHUHPSORLUHSU«VHQWHQWGHVFK¶PHXUV$LQVL l’essentiel du problème du chômage espagnol est le chômage de longue GXU«H HQYLURQHQVHORQOȇ(3$ (QYLURQXQWLHUVGHVKRPPHV FK¶PHXUV GH ORQJXH GXU«H RQW PRLQV GH  DQV SRXU XQ TXDUW GHV femmes (graphique 2.9). Le problème du chômage de longue durée en Espagne ne peut être résolu avec des solutions telles que la retraite anti- FLS«HFDULOVȇDJLWGHSHUVRQQHVTXLRQWHQFRUHXQHYLHSURIHVVLRQQHOOH

šLGTCVKQFGEJȖOCIGFGULGWPGUGUVECNEWNȌUWTNCRQRWNCVKQPFŨWPITQWRGFŨȅIG ȃ ans) indépendamment de leur situation, alors que le taux de chômage des jeunes est calculé sur la population active dudit groupe d’âge. Par exemple, les étudiants sont comptabilisés dans le ratio du chômage des jeunes et ils ne le sont pas dans le taux de chômage des jeunes. C’est la raison pour laquelle le taux de chômage est supérieur au ratio.

60 De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

GHSOXVGHDQVGHYDQWHOOHVGHVKRPPHVFK¶PHXUVGHORQJXH GXU«HRQWPRLQVGHDQVVȇDJLVVDQWGHVIHPPHV

Graphique 2.8. Chômage de courte et de longue durée en Europe (%), 2011

25 Chômeurs de moins de 12 mois Taux de chômage de longue durée 20

15

10

5

0 Italie Grèce Malte Japon Suède UE-27 France Chypre Croatie Irlande Islande Estonie Turquie Hongrie Lettonie Pologne Bulgarie Slovénie Espagne Autriche Norvège Portugal Finlande Belgique Pays-Bas Lithuanie Slovaquie Zone euro Zone Roumanie États-Unis Danemark Allemagne Luxembourg Royaume-Uni République Tchèque

5QWTEGšȌNCDQTCVKQPȃRCTVKTFŨ'WTQUVCV=JVVRGRRGWTQUVCVGEGWTQRCGW? QEVQDTG 

Graphique 2.9. Le chômage de longue durée en Espagne, par âge et par genre (%), 2010

45 Hommes Femmes 40

35 30

25

20 15

10 5

0 Moins de 30 ans 30-45 ans Plus de 45 ans

5QWTEGš5CTC&G.C4KECk.QUFGUGORNGCFQUFGNCTICFWTCEKȕPGP'URCȓCVTCUNCETKUKUz =JVVRYYYHGFGCDNQIUPGVGEQPQOKC!R ?

61 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

6L OH FULWªUH GȇDQDO\VH HVW OH QLYHDX GH IRUPDWLRQ OH FK¶PDJH GH longue durée touche des personnes occupant des postes de travail QRQ PDQXHOV TXDOLȴ«V SURIHVVLRQQHOV WHFKQLFLHQV DGPLQLVWUDWLIV GHV JURXSHV$* GHOȇHQVHPEOHGHFHVFK¶PHXUVVHORQOHVGRQQ«HVGH Sara de la Ric). L’autre catégorie importante est composée de chômeurs TXLRFFXSDLHQWGHVSRVWHVGHWUDYDLOPDQXHOVQRQTXDOLȴ«V  (Q PR\HQQH  GX FK¶PDJH GH Oȇ8( FRUUHVSRQG ¢ XQ FK¶PDJH GH longue durée. Ce pourcentage prouve l’existence de causes structu- UHOOHVWHOOHVTXHOHVFDUHQFHVGHIRUPDWLRQHWGHFRPS«WHQFHVODQRQ correspondance entre la formation initiale et l’évolution des besoins GHVP«WLHUVDLQVLTXHOHPDQTXHGHIRUPDWLRQFRQWLQXHHWGȇDGDSWDWLRQ du capital humain aux besoins de l’économie. Le chômage de longue GXU«HDXQ«QRUPHFR½WVRFLDOHW«FRQRPLTXHSRXUXQSD\V&HSHQGDQW GDQVGHQRPEUHX[SD\VWHOVTXHOȇ(VSDJQHOȇDFWLRQJRXYHUQHPHQWDOHVH FRQFHQWUHVXUOHVFRQGLWLRQVGȇHPEDXFKHHWGHOLFHQFLHPHQWDLQVLTXH sur la diminution des prestations chômage en tant qu’instruments de promotion de la réinsertion professionnelle de cette catégorie ainsi que pour inciter les chômeurs à chercher et à accepter les emplois qui leur sont proposés. Le chômage européen

Le graphique 2.10 démontre que l’impact de la crise économique sur le marché du travail des pays européens a été très hétérogène : alors que GDQVODSOXSDUWGHVSD\VOHFK¶PDJHDDXJPHQW«HW¢GHVU\WKPHVGLII«- UHQWVFHUWDLQVSD\VRQWDɚFK«GHVEDLVVHV(QOHWDX[GHFK¶PDJH GHOD]RQHHXUR«WDLWGHHWGHHQ/HVSD\VHXURS«HQV dans lesquels le taux de chômage a augmenté le plus rapidement sont Oȇ,UODQGHOȇ(VSDJQHHWOD*UªFHGRQWOHVWDX[RQW«W«PXOWLSOL«VSDU YRLUHWULSO«VGDQVOHSLUHGHVFDV(QWUHHWOHWDX[GHFK¶PDJH HQ ,UODQGH HVW SDVV« GH  ¢  GH  ¢  HQ (VSDJQH HWGH¢HQ*UªFH(QUHYDQFKHOHFK¶PDJHDGLPLQX«HQ $OOHPDJQHLOHVWUHVW«VWDEOHHQ$XWULFKHHWDX[3D\V%DVHWLODO«JªUH- ment augmenté en France pendant la même période. Cette disparité ne peut être totalement attribuée aux conséquences différentes de la crise dans les économies européennes. La crise éco- nomique ne peut être la cause unique d’augmentation du chômage en (VSDJQH ,O H[LVWH GȇDXWUHV IDFWHXUV GRQW FHUWDLQV VRQW OL«V DX[ FDUDF- téristiques de la crise (et non à son ampleur) et d’autres à la réponse que les pays ont apportée à la diminution de la demande de travail. Cet ensemble de facteurs permet d’expliquer pourquoi un même niveau de

62 De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

contraction de l’économie entraîne plus de chômage en Espagne qu’en $OOHPDJQHSDUH[HPSOH7RXWGȇDERUGGHSXLVOHG«EXWGHODSU«VHQWH FULVHHXURS«HQQHLOVȇDYªUHTXHOHFK¶PDJHHVWSOXVLPSRUWDQWGDQVOHV SD\VTXLRQWIRQG«OHXUFURLVVDQFHVXUODGHPDQGHLQWHUQHFHTXLHVW OHFDVGHOȇ(VSDJQHTXHGDQVOHVSD\VGRQWOHPRWHXUGHFURLVVDQFHHVW OȇH[SRUWDWLRQFRPPHOȇ$OOHPDJQH/HVFDOFXOVSHUPHWWHQWGȇHVWLPHUXQH «ODVWLFLW«IRLVVXS«ULHXUHGDQVOHVSUHPLHUVSD\V¢FHTXȇHOOHHVWGDQV les seconds13.

Graphique 2.10. Impact de la crise sur le marché du travail européen (base 2007)

3,5 Irlande Autriche 3,0 France Italie Espagne Allemagne 2,5 Hollande Zone euro Grèce 2,0

1,5

1,0

0,5

0 2007 2008 2009 2010 2011

5QWTEGšȌNCDQTCVKQPRTQRTGFGUCWVGWTUȃRCTVKTFŨ'WTQUVCV=JVVRGRRGWTQUVCVGEGWTQRCGW? QEVQDTG 

'DQVXQGHX[LªPHWHPSVVHORQOHVSD\VOȇDG«TXDWLRQGHODGHPDQGH de travail aux moindres niveaux de production suite à la crise écono- mique a été faite en adaptant la force de travail ou en diminuant les KHXUHVGHWUDYDLO$LQVLHQ$OOHPDJQHHWHQ$XWULFKHODGLPLQXWLRQGX WHPSVGHWUDYDLODSHUPLVGȇDMXVWHUOȇHPSORL¢ODPDXYDLVHFRQMRQFWXUH alors qu’en Espagne c’est le nombre d’employés qui a été ajusté14. La conséquence est une plus grande augmentation du chômage dans le GHUQLHUFDV0DOJU«ODSRUW«HJOREDOHGHODFULVHVHVFRQV«TXHQFHVRQW été différentes selon les activités et elles ont été particulièrement graves

šCristina FƫƷƴʜƴƪƫƿ et Mario IƿƶƺƯƫƷƪƵ, « El ajuste de los mercados laborales europeos desde el inicio de la crisis », Boletín Mensual del Banco de EspañaQEVQDTGR šLe chômage a beaucoup augmenté aux États Unis et également en Suède pendant la crise. Cependant, cette augmentation est bien plus faible qu’en Espagne pendant la même période. Voir Christel GƯƲƲƫƸet JGCPPaul NƯƩƵƲƧƯkL’ajustement de l’emploi durant la crise dans huit grands pays industrialisés », Regards croisés sur l’économie, n° 13, ǂǀǁǃǁR

63 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

dans des secteurs tels que la construction et l’immobilier. Les secteurs WRXFK«VSDUODFULVHQȇRQWSDV«W«OHVP¬PHVVHORQOHVSD\VHXURS«HQVFH TXLH[SOLTXHOHVFRQV«TXHQFHVGLII«UHQWHVVXUOHFK¶PDJH(Q(VSDJQH le secteur de la construction était surdimensionné par rapport à sa taille GDQV OHV DXWUHV SD\V HXURS«HQV FH TXL H[SOLTXH OȇLPSDFW PDMHXU GH OD FULVH0DLVLOVHUD«JDOHPHQWSOXVGLɚFLOHGHFU«HUGHQRXYHDX[EDVVLQV GȇHPSORLFDUOȇ«FRQRPLHQ«FHVVLWHXQFKDQJHPHQWGHJUDQGHHQYHUJXUH (QRXWUHGDQVOHVSD\VFRPPHOȇ(VSDJQHR»ODSRSXODWLRQDSHU©X TXHODFULVH«WDLWSDUWLFXOLªUHPHQWJUDYHHWTXȇHOOHDOODLWSHUVLVWHUOȇDXJ- mentation du chômage a été plus importante. La perception d’une grave crise a transformé les habitudes de comportement social de la popula- tion. La consommation a eu tendance à se contracter et à provoquer XQHFKXWHSOXVLPSRUWDQWHGHOȇDFWLYLW«HWGHODGHPDQGHGHWUDYDLO6L¢ FHVFRQGLWLRQVG«IDYRUDEOHVQRXVDMRXWRQVXQIRUWGHJU«GȇHQGHWWHPHQW GHVIDPLOOHVHWGHVHQWUHSULVHVODFRQWUDFWLRQGHODFRQVRPPDWLRQHWGHV LQYHVWLVVHPHQWV¢GHVȴQVSU«YHQWLYHVHVWHQFRUHSOXVFRPSU«KHQVLEOH ‹WDQWGRQQ«ODU«SRQVHIRUWHPHQWGLVWLQFWHGXPDUFK«GXWUDYDLOHVSD- gnol face à la crise et à la persistance d’un fort composant de chômage VWUXFWXUHO LO FRQYLHQW ¢ SU«VHQW GȇDQDO\VHU OD SROLWLTXH «FRQRPLTXH appliquée par le gouvernement de Mariano Rajoy pour faire face MXVTXȇ¢ODȴQGH

LA RÉFORME DU MARCHÉ DU TRAVAIL EN ESPAGNE : UNE POLITIQUE EFFICACE DE LUTTE CONTRE LE CHÔMAGE ?

Politique économique générale et réforme du travail

'DQV XQ FRQWH[WH GH IRUWHV FRXSHV EXGJ«WDLUHV OH JRXYHUQHPHQW conservateur de Mariano Rajoy a envisagé la réforme du marché du WUDYDLOFRPPHODVHXOHDFWLRQSRVVLEOHDȴQGHUHP«GLHUDXJUDYHSUR- blème du chômage. Les restructurations budgétaires ont consisté en des diminutions des dépenses publiques et des augmentations d’impôts obérant le pouvoir d’achat des Espagnols. Ces derniers ont réduit leurs QLYHDX[ GH FRQVRPPDWLRQ HW GȇLQYHVWLVVHPHQW &HWWH VLWXDWLRQ XQLH ¢ ODGLPLQXWLRQGHVG«SHQVHVSXEOLTXHVDHQWUD°Q«XQHIRUWHFRQWUDFWLRQ de la demande intérieure. Le tarissement des crédits à destination des entreprises et des familles a encore accentué ce phénomène. Dans le VFK«PD GH SROLWLTXH «FRQRPLTXH FKRLVL SDU OH JRXYHUQHPHQW 5DMR\

64 De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

OȇREMHFWLI SULRULWDLUH DYRX« HVW OD GLPLQXWLRQ GX G«ȴFLW SXEOLF &HW objectif macroéconomique est prioritaire par rapport à toute autre considération de politique économique ou générale. Selon le raisonne- PHQWJRXYHUQHPHQWDOODU«GXFWLRQGXG«ȴFLWSXEOLFHVWXQHFRQGLWLRQ Q«FHVVDLUHSRXUTXHOHSD\VSXLVVHDWWHLQGUHGȇDXWUHVREMHFWLIVWHOVTXH SDUH[HPSOHODUHSULVHGHOȇDFWLYLW««FRQRPLTXHHWGHVHPSORLV'DQVOH GRPDLQHGHOȇHPSORLHWGHODOXWWHFRQWUHOHFK¶PDJHODU«IRUPHȴVFDOH semble être une étape préalable et nécessaire mais pas une condition VXɚVDQWH6HORQOHVSURMHWVGXJRXYHUQHPHQWXQHU«IRUPHVWUXFWXUHOOH du marché du travail espagnol est nécessaire. Cette nécessité peut GLɚFLOHPHQW¬WUHPLVHHQGRXWHVLQRXVWHQRQVFRPSWHGHODVLWXDWLRQ TXL YLHQW Gȇ¬WUH G«FULWH FLGHVVXV (Q UHYDQFKH OD QDWXUH P¬PH GH OD U«IRUPHHVWXQHTXHVWLRQELHQSOXVVXMHWWH¢G«EDWHW¢SRO«PLTXHWDQW sur le plan technique que politique. Il ne s’agit pas ici de lancer un débat FRQWUHIDFWXHOPDLVLOHVWQ«FHVVDLUHGHG«FULUHOHFRQWHQXGHODU«IRUPH du gouvernement Rajoy et d’évaluer ses conséquences sur le marché du travail pour établir dans quelle mesure elle est ou non une arme contre le chômage. Le contenu de la réforme du travail

Le décret-loi n° 3/2012 du 10 février 2012 prenant des mesures XUJHQWHV SRXU OD U«IRUPH GX PDUFK« GX WUDYDLO SXEOL« DX %XOOHWLQ RɚFLHO GH Oȇ‹WDW %2(  GX VDPHGL I«YULHU UHFRQQD°W RXYHUWHPHQW TXH OH PDUFK« GX WUDYDLO HVSDJQRO SU«VHQWH GH JUDYHV G«V«TXLOLEUHV notamment concernant les jeunes et les chômeurs de longue durée15. 3RXUOHJRXYHUQHPHQWODJUDYLW«GHODVLWXDWLRQGXFK¶PDJHHQ(VSDJQH exigeait une réforme urgente du marché du travail16. Le contenu de la réforme peut être schématisé en trois parties : une première partie rela- WLYH¢ODQ«JRFLDWLRQFROOHFWLYHXQHGHX[LªPHSRUWDQWVXUOHVFR½WVHW OHVSURF«GXUHVGHOLFHQFLHPHQWHWXQHWURLVLªPHUHODWLYHDX[PRGDOLW«V d’embauche (schéma 2.11).

šBoletín Oficial del Estado, 11 février 2012, n° 36, Sec. I. PȄI š =JVVRYYYDQGGU DQGFȐCURFHUBOEARFH? šLCHQTOGLWTKFKSWGFGNCTȌHQTOGGUVWPFȌETGVNQKCe type de texte, conformément au cadre juridique espagnol, est une norme ayant force de loi qui peut être dictée par l’exécutif en cas de nécessité extraordinaire ou d’urgence. LGUFȌETGVUNQKUQPVWPECTCEVȋTGRTQXKUQKTGšWPGHQKU dictés, ils devront être soumis au vote du CQPITȋUFGUFȌRWVȌUšEGFGTPKGTRQWTTCNGUXCNKFGTNGU abroger ou permettre leur examen en tant que loi ordinaire urgente. Le caractère d’urgence et de nécessité extraordinaire d’adoption de la réforme du travail ne provenait pas des difficultés du marché du travail, mais plutôt de la pression des marchés financiers et des autorités euro péennes, tels la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international.

65 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

Schéma 2.11. La réforme du Travail de 2012

Négociation collective

̽'«FHQWUDOLVDWLRQGHVFRQYHQWLRQV ̽)OH[LELOLW«GHO̵HQWUHSULVH ̽0RELOLW«J«RJUDSKLTXH ̽0RELOLW«LQWHUQH ̽$VVRXSOLVVHPHQWGHODQ«JRFLDWLRQ

Coûts et procédures de licenciement

̽0RWLIV«FRQRPLTXHVGHOLFHQFLHPHQW ̽,QGHPQLVDWLRQVSRXUOLFHQFLHPHQWDEXVLI ̽6XSSUHVVLRQGHO̵DXWRULVDWLRQDGPLQLVWUDWLYH ̽6XSSUHVVLRQGHO̵REOLJDWLRQGHSD\HPHQWMXVTX̵¢ODG«FLVLRQMXGLFLDLUH

Modalités d’embauche

̽(PEDXFKH ̽&RQWUDWG̵DLGH¢O̵HPSORL ̽&RQWUDWGHIRUPDWLRQHWG̵DSSUHQWLVVDJH ̽&RQWUDW¢WHPSVSDUWLHO ̽(QFKD°QHPHQWGHFRQWUDWVWHPSRUDLUHV ̽0«GLDWLRQ ̽$JHQFHVGHSODFHPHQW ̽(QWUHSULVHVGHWUDYDLOWHPSRUDLUH

(QPDWLªUHGHQ«JRFLDWLRQFROOHFWLYHODU«IRUPHSRXVVH¢XQJUDQG FKDQJHPHQWHWPRGLȴHOHOLHQHQWUHOHVIRUFHVHQSU«VHQFHHQGLPLQXDQW la capacité d’intervention des syndicats. Sont concernées les questions UHODWLYHVDXQLYHDXGHQ«JRFLDWLRQ¢ODȵH[LELOLW«LQWHUQHHW¢OȇDVVRX- plissement des négociations. La réforme est favorable à une décentra- lisation des domaines de négociation collective pour les rapprocher davantage de la situation des entreprises. Les conventions d’entreprise VHURQWSOXV¢P¬PHGȇLQW«JUHUODY«ULWDEOHVLWXDWLRQGHFHOOHVFLGȇDGDS- WHUOHVQLYHDX[GHVDODLUHGHEDVHHWOHVFRPSO«PHQWVODU«WULEXWLRQGHV heures supplémentaires et le temps de travail.

66 De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

(QPDWLªUHGHȵH[LELOLW«LQWHUQHLOHVWGDYDQWDJHORLVLEOHGHQHSDV appliquer les conditions adoptées dans les conventions. Les motifs pour lesquels l’entreprise peut imposer la mobilité géographique sont assouplis ; l’intervention de l’autorité de travail n’est plus nécessaire ; HQȴQHQDFFRUGDYHFOHVUHSU«VHQWDQWVV\QGLFDX[LOHVWSRVVLEOHGȇ«WD- blir des ordres de priorité pour certains collectifs (travailleurs ayant FKDUJHGHIDPLOOHG«SDVVDQWXQFHUWDLQ¤JHHWF (QPDWLªUHGHPREL- OLW« LQWHUQH OD PDLQGȇĕXYUH QȇHVW SOXV LQVFULWH GDQV XQH mFDW«JRULH SURIHVVLRQQHOOH} PDLV GDQV XQ mJURXSH SURIHVVLRQQHO} TXL HQJOREH OHVDSWLWXGHVSURIHVVLRQQHOOHVOHVGLSO¶PHVHWOHFRQWHQXJ«Q«UDOGHOD SUHVWDWLRQFHTXLVLJQLȴHXQ«ODUJLVVHPHQWGHVSRVVLELOLW«VGHPRELOLW« LQWHUQH/ȇDVVRXSOLVVHPHQWGHVFRQYHQWLRQVFROOHFWLYHVWLHQW¢PHWWUHȴQ ¢FHTXHOȇRQDSSHOOHmOȇXOWUDDFWLYLW«},OHVWPLVȴQDXUHQRXYHOOHPHQW automatique de la convention existante par manque d’accord lors des Q«JRFLDWLRQVGȇXQHQRXYHOOHFRQYHQWLRQ$SUªVODU«IRUPHFȇHVWFHOOHGH niveau supérieur qui s’appliquera. (QPDWLªUHGHFR½WVHWGHVLPSOLȴFDWLRQGHVSURF«GXUHVGHOLFHQFLH- PHQWODU«IRUPHFRQWLHQWXQHUHG«ȴQLWLRQGHVPRWLIVGHOLFHQFLHPHQW «FRQRPLTXH XQ QRXYHDX WUDLWHPHQW GHV LQGHPQLW«V GH OLFHQFLHPHQW ainsi que la suppression de l’autorisation administrative. En ce qui FRQFHUQHODU«YLVLRQGHVFDXVHVREMHFWLYHVGHOLFHQFLHPHQWOHWH[WHGX décret-loi entend par licenciement collectif la rupture des contrats de WUDYDLO IRQG«H VXU GHV PRWLIV «FRQRPLTXHV WHFKQLTXHV RUJDQLVDWLRQ- QHOVRXGHSURGXFWLRQORUVTXHVXUXQHS«ULRGHGHMRXUVODUXSWXUH FRQFHUQH DX PRLQVD  GL[ VDODUL«V GDQV OHV HQWUHSULVHV GH PRLQV GH cent employés ; b) 10 % des employés de l’entreprise dans le cas de celles de cent à trois cents employés ; et c) trente employés dans les HQWUHSULVHV GH SOXV GH WURLV FHQWV HPSOR\«V 'ȇXQH SDUW RQ FRQVLGªUH que divers motifs économiques sont réunis lorsqu’une situation écono- PLTXHQ«JDWLYHUHVVRUWGHVU«VXOWDWVGHOȇHQWUHSULVHHQFDVGȇH[LVWHQFH GHSHUWHVDFWXHOOHVRXSU«YXHVRXGHODGLPLQXWLRQSHUVLVWDQWHGHVRQ QLYHDXGHUHYHQXVRXGHVYHQWHV(QWRXW«WDWGHFDXVHRQFRQVLGªUHTXH la diminution est persistante si elle se poursuit pendant trois trimestres consécutifs. 'ȇDXWUHSDUWGHVPRWLIVWHFKQLTXHVVRQWU«XQLVORUVTXHGHVFKDQJH- PHQWVVHSURGXLVHQWHQWUHDXWUHVGDQVOHGRPDLQHGHVPR\HQVRXGHV outils de production ; les motifs organisationnels sont réunis lorsque GHVFKDQJHPHQWVVHSURGXLVHQWHQWUHDXWUHVGDQVOHGRPDLQHGHVV\V- tèmes et des méthodes de travail du personnel ou dans le mode d’orga- nisation de la production ; les motifs productifs sont réunis lorsque des

67 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

FKDQJHPHQWVVHSURGXLVHQWHQWUHDXWUHVGDQVODGHPDQGHGHSURGXLWV RX GH VHUYLFHV TXH OȇHQWUHSULVH SU«WHQG SODFHU VXU OH PDUFK« (QȴQ on considère également comme licenciement collectif la rupture des FRQWUDWVGHWUDYDLOTXLWRXFKHQWOȇHQVHPEOHGHVHIIHFWLIVGHOȇHQWUHSULVH ORUVTXH OH QRPEUH GH VDODUL«V HVW VXS«ULHXU ¢ FLQT VL OH OLFHQFLHPHQW se produit en conséquence de la cessation totale de l’activité de l’entre- prise fondée sur les mêmes motifs que précédemment (art. 51.1)17. En RXWUHODSRVVLELOLW«GHOLFHQFLHUSRXUPRWLIV«FRQRPLTXHVWHFKQLTXHV organisationnels et de production est étendue au personnel de service dépendant du secteur public. 6ȇDJLVVDQWGHVLQGHPQLW«VSRXUOLFHQFLHPHQWDEXVLIHOOHVSDVVHQWGH 45 jours par année travaillée avant la réforme à 33 jours après celle- FL/HQRPEUHPD[LPXPGHPHQVXDOLW«VSDVVHGH¢(QRXWUHOH besoin d’autorisation administrative pour les licenciements collectifs HVWVXSSULP«WRXWFRPPHOȇREOLJDWLRQGHOȇHQWUHSULVHGHSD\HUOHSU«D- YLVHQWUHOHPRPHQWGHQRWLȴFDWLRQGXOLFHQFLHPHQWHWFHOXLGHODU«VROX- tion judiciaire. Cette suppression des salaires de préavis ne se fera pas si l’employé est réembauché ou s’il s’agit d’un représentant du personnel. Une nouvelle modalité de licenciement collectif est également créée. (QPDWLªUHGHQRXYHOOHHPEDXFKHGLII«UHQWVFDVGHȴJXUHVRQWHQYL- VDJ«V/HSUHPLHUHVWFHOXLGXQRXYHDXFRQWUDWLQG«ȴQLGHVRXWLHQGȇDLGH à l’emploi. Cette solution peut être utilisée par les entreprises de moins GHHPSOR\«VOHFRQWUDWHVWGHW\SHLQG«ȴQL¢WHPSVFRPSOHWHWSU«- YRLWXQHS«ULRGHGȇHVVDLGȇXQDQ&HOOHFLE«Q«ȴFLHGHQRPEUHX[DYDQ- WDJHVȴVFDX[/ȇHPSOR\«SHXWSHUFHYRLUGHVSUHVWDWLRQVFK¶PDJHHQ plus de son salaire. Ce contrat doit être conservé pendant au moins trois DQV/DGHX[LªPHVROXWLRQHVWOHFRQWUDWGHIRUPDWLRQHWGȇDSSUHQWLVVDJH SRXU OHV PRLQV GH WUHQWH DQV ‚ OȇH[SLUDWLRQ GX FRQWUDW OȇHPSOR\« QH pourra être embauché sous cette forme par la même entreprise ou par une entreprise différente pour la même activité ou la même fonction REMHWGHODTXDOLȴFDWLRQSURIHVVLRQQHOOHDVVRFL«HDXFRQWUDW,OSRXUUDHQ revanche être embauché dans les mêmes conditions pour une formation différente. Le temps de travail ne pourra être supérieur à 75 % pendant la première année et à 85 % les deuxième et troisième années. Ce type de

šIl est obligatoire de verser une somme au Trésor public lorsque le licenciement collec tif touche plus de cinquante employés, que l’entreprise a plus de 500 employés, que des GORNQ[ȌUFGRNWUFGCPUUQPVVQWEJȌUGVSWGNŨGPVTGRTKUG QWITQWRGFŨGPVTGRTKUGUCWSWGN elle appartient) a dégagé des bénéfices lors des deux exercices précédant celui du plan social, cf. BOEAMinisterio de Trabajo e IPOKITCEKȕP=JVVRYYYDQGGUFKCTKQADQGVZV RJR!KF BOEA?

68 De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

FRQWUDWE«Q«ȴFLHGȇLPSRUWDQWHVU«GXFWLRQVSRXYDQWDOOHUMXVTXȇ¢ GHV FRWLVDWLRQV /D WURLVLªPH PRGLȴFDWLRQ GX FRQWUDW GH WUDYDLO WLHQW ¢ la possibilité de réaliser des heures supplémentaires en cas de contrat ¢ WHPSV SDUWLHO /D TXDWULªPH PRGLȴFDWLRQ FRQFHUQH OD SRVVLELOLW« d’enchaîner sans limite les contrats à durée déterminée. D’autres modi- ȴFDWLRQV¢GHVFRQWUDWVSU«H[LVWDQWVVRQW«JDOHPHQWSU«YXHV

LA RÉFORME DU TRAVAIL ET LE PROBLÈME DU CHÔMAGE : OBSERVATIONS FINALES

,O HVW GLɚFLOH DX PRPHQW R» QRXV U«GLJHRQV FHV OLJQHV Gȇ«YDOXHU la capacité de la réforme du travail à contribuer à la réduction du FK¶PDJH WRXW GȇDERUG SDUFH TXȇLO VȇHVW «FRXO« SHX GH WHPSV GHSXLV VD PLVH HQ ĕXYUH HW «JDOHPHQW SDUFH TXH Oȇ«FRQRPLH HVSDJQROH QH VȇHVWSDVHQFRUHUHPLVHGHODU«FHVVLRQ(QRXWUHOHG«FUHWORLFRPPH QRXVOȇDYRQVGLWPRGLȴHOHUDSSRUWGHIRUFHHQWUHOHVDJHQWVVRFLDX[HW GDQV XQ GRPDLQH VXMHW ¢ Q«JRFLDWLRQ LO HVW HQFRUH WURS W¶W SRXU YRLU FRPPHQWOHVXQVHWOHVDXWUHVHQWUHSULVHVHWV\QGLFDWVYRQWUHG«ȴQLU leurs stratégies de négociation. Notons également que certains aspects GHODORLSHXYHQWDYRLUGHVFRQV«TXHQFHVLQDWWHQGXHV3DUH[HPSOHOD VLPSOLȴFDWLRQ HW OD GLPLQXWLRQ GHV FR½WV GHV SURF«GXUHV GH OLFHQFLH- ment peuvent conduire à une nouvelle ou une plus forte judiciarisation GHVOLFHQFLHPHQWV(QHIIHWOȇ«OLPLQDWLRQGHVLQGHPQLW«VGHSU«DYLVHVW GLVVXDVLYH PDLV OD SRVVLELOLW« GH UHFHYRLU  MRXUV GȇLQGHPQLW«V SRXU OLFHQFLHPHQWDEXVLISOXW¶WTXHOHVMRXUVKDELWXHOVSHXWSHUPHWWUHGH compenser la perte de ces indemnités et conduire à une augmentation des cas portés devant les tribunaux. ,O H[LVWH GȇDXWUHV VRXUFHV GȇHIIHWV FROODW«UDX[ (Q HIIHW OD VLWXDWLRQ DFWXHOOHGHOȇ«FRQRPLHHVSDJQROHQHUHȵªWHSDVGHEDLVVHGXFK¶PDJH DORUVTXHOHVVDODLUHVHX[RQWGLPLQX«/DU«IRUPHGXWUDYDLOSHUPHW d’adapter les conditions de travail à la situation particulière des entre- prises et favorise selon le patronat un ajustement équilibré entre les VDODLUHV OȇHPSORL HW OD MRXUQ«H GH WUDYDLO /D U«IRUPH YD SOXV GDQV OH sens des revendications du patronat que de celles des salariés. Mais il en a résulté une diminution des emplois tant dans le secteur privé que dans le public. Les études empiriques en économie nous permettent de com- prendre les limites de l’approche présentée par la réforme. Depuis la ȴQGHVDQQ«HVOȇ«WXGHFODVVLTXHGH61LFNHOODSHUPLVGHPRQWUHU

69 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

TXȇLOQȇH[LVWHHQIDLWSDVGHUHODWLRQFDXVDOHGLUHFWHHQWUHOHVFR½WVGH licenciement et le taux de chômage moyen18 /RUVTXH OHV FR½WV VRQW U«GXLWV OHV HQWUHSULVHV OLFHQFLHQW DLV«PHQW HW DLQVL OH FR½W GH OȇHP- EDXFKHHVW«JDOHPHQWGLPLQX«SXLVTXHHQFDVGȇ«YHQWXHOOHUHVWUXFWX- UDWLRQ GHV HIIHFWLIV ¢ OȇDYHQLU OH SURFHVVXV VHUD PRLQV RQ«UHX[ &HWWH situation permet certes aux entreprises de commencer à réembaucher GªVTXȇHOOHVFRQVLGªUHQWTXHODUHSULVH«FRQRPLTXHHVWHQWDP«HPDLV DXVVL GH OLFHQFLHU DX SUHPLHU V\PSW¶PH GH FULVH (Q FRQV«TXHQFH OD fréquence d’entrée et de sortie des salariés du marché du travail risque GȇDXJPHQWHUPDLVLOQȇ\DWRXWHIRLVDXFXQHJDUDQWLHTXȇ¢PR\HQWHUPH le taux de chômage diminue. Le chômage de longue durée peut dimi- QXHUVLHWVHXOHPHQWVLFHWWHSRSXODWLRQQȇDSDVHQWUHWHPSVSHUGXXQH partie de ses compétences. Mais le même argument peut également agir dans le sens contraire. /RUVTXHOHVFR½WVGHOLFHQFLHPHQWVRQWSOXV«OHY«VOHVHQWUHSULVHVVRQW généralement plus réticentes à embaucher. Elles n’embauchent pas tant qu’elles ne sont pas totalement convaincues que la croissance de leur SRUWHIHXLOOHGHFRPPDQGHVVHUDGXUDEOHGDQVOHWHPSV&HSHQGDQWHOOHV ne licencient pas non plus dès la première manifestation d’un change- PHQWGHF\FOH(OOHVSU«IªUHQWVRXYHQWVWDELOLVHUOHXUVHIIHFWLIVSXLVTXH OȇHIIHWQHWVHUDXQHPSORLSOXVVWDEOH'DQVFHFDVLOHVWSOXVSUREDEOH que les entreprises cherchent à faire face à la chute de leur activité en ajustant les heures et les journées de travail de leurs salariés plutôt TXHOHVHPSORLV/HFK¶PDJHDXJPHQWHUDPRLQVHWHQUªJOHJ«Q«UDOH ODPDVVHVDODULDOHGLPLQXHUDPRLQVWRXWFRPPHODFRQVRPPDWLRQGHV P«QDJHV$LQVLOȇHIIHWPXOWLSOLFDWHXUGXFK¶PDJHVXUODGHPDQGHLQW«- ULHXUHHWOHQLYHDXGHSURGXFWLRQVHUDPRLQVLPSRUWDQW'DQVFHFDVR» OHVFR½WVGHOLFHQFLHPHQWVRQWSOXV«OHY«VLOHVWFHUWDLQTXHOHVHQWUH- prises embaucheront moins même pendant les phases de croissance. Elles seront cependant plus enclines à tenter d’augmenter la production par la productivité et l’amélioration technico-organisationnelle. &HUWDLQVDXWHXUVRQWG«PRQWU«TXHOHVHIIHWVGHVFR½WVGHOLFHQFLH- PHQW VXU OD FU«DWLRQ GȇHPSORL G«SHQGHQW GH OD WHFKQRORJLH GHV SHU- turbations économiques et des négociations entre les syndicats et les entreprises19,OD«JDOHPHQW«W«G«PRQWU«TXHOHVFR½WVGHOLFHQFLHPHQW

18. S. NƯƩƱƫƲƲ, « Fixed costs, employment and labour demand over the cycle », Economica, PoR šSamuel BƫƴƹƵƲƯƲƧ et Guiseppe BƫƷƹƵƲƧ « FKTKPIEQUVUCPFNCDQWTFGOCPFšHQYDCFKU EWTQUENGTQUKUš!zReview of Economic StudiesXQNPoRšLars LưƺƴƭƶƻƯƸƹ, « HQYFQNC[QHHEQUVUCHHGEVGORNQ[OGPVzEconomic JournalPoR

70 De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

GLVFULPLQHQW FHUWDLQV HPSOR\«V SDU UDSSRUW ¢ GȇDXWUHV TXȇLOV E«Q«ȴ- FLHQW¢FHUWDLQVHWSRUWHQWSU«MXGLFH¢GȇDXWUHV/DGLPLQXWLRQGHVFR½WV GHOLFHQFLHPHQWHWODVLPSOLȴFDWLRQGHODSURF«GXUHQHVHPEOHQWGRQF SDVODPHLOOHXUHID©RQGHJRPPHUODGXDOLW«GXPDUFK«GXWUDYDLODYHF son nombre élevé de contrats à durée déterminée. Mais la solution la SOXV UDSLGH DȴQ GH OLPLWHU OD WHPSRUDOLW« HVW GH U«GXLUH OD SRVVLELOLW« d’enchaîner lesdits contrats. L’absence de restrictions en la matière J«QªUHXQHGXDOLW«VXUOHPDUFK«GXWUDYDLOHVSDJQRO$LQVLSHQGDQWOD S«ULRGHGȇH[SDQVLRQXQSHXPRLQVGHVGHX[WLHUVGHVFRQWUDWVGHWUDYDLO étaient à durée indéterminée et un peu plus d’un tiers étaient à durée G«WHUPLQ«H&HUWDLQVDXWHXUVVRXWLHQQHQW¢SURSRVGHFHWWHGXDOLW«TXH ODU«GXFWLRQGHVFR½WVGHOLFHQFLHPHQWGHVFRQWUDWV¢GXU«HLQG«WHUPL- née permettra de réduire la dualité20. Mais la cause de cette dualité n’est pas le contrat à durée indé- WHUPLQ«H FȇHVW OȇHQFKD°QHPHQW GH FRQWUDWV ¢ GXU«H G«WHUPLQ«H SRXU des postes de travail et des employés qui ne sont pas temporaires. Il FRQYLHQGUDLWHQWRXWHORJLTXHGȇDJLUVXUODFDXVHSRXUGLPLQXHUODGXD- lité du marché du travail. Les contrats à durée déterminée sont et seront toujours le mécanisme le plus immédiat d’ajustement de l’entreprise à ODFRQMRQFWXUH«FRQRPLTXH&HSHQGDQWOHUHQRXYHOOHPHQWH[FHVVLIGHV HIIHFWLIV VXSSRVH XQ FR½W SRXU OȇHPSOR\« HW SRXU OȇHQWUHSULVH VXUWRXW ORUVTXHOHEXWUHFKHUFK«HVW¢PR\HQWHUPHOȇDXJPHQWDWLRQGHODSUR- ductivité et de la qualité de production. Remplacer les CDI et les CDD SDUXQFRQWUDWXQLTXHHVWOȇRSWLRQSURSRV«HSDU-HDQ7LUROHSUL[1REHO d’économie 201421. Ce contrat s’accompagnerait de plus de droits pour les salariés licenciés. L’idée d’un contrat unique est partagée par des économistes espagnols22$LQVLSHQVHQWLOVSRXUUDLHQW¬WUHFRQFLOL«HVOD ȵH[LELOLW« SRXU OHV HQWUHSULVHV TXL YHXOHQW U«DJLU DX[ ȵXFWXDWLRQV GH ODGHPDQGHHWDX[FKDQJHPHQWVGHWHFKQRORJLHHWODSURWHFWLRQSRXU les salariés.

šSamuel BƫƴƹƵƲƯƲƧ, Pierre CƧƮƺƩ, Juan DƵƲƧƪƵ et Thomas LƫBƧƷƨƧƴƩƮƵƴ, « Paro y empleo VGORQTCNFWTCPVGNCETKUKUšUna comparación entre Francia y EURCȓCzKPšVV. AA., La Crisis de la Economía Española. Análisis Económico de la Gran Recesión Madrid, FGFGCR šOlivier BƲƧƴƩƮƧƷƪet Jean TƯƷƵƲƫ, Protection de l’emploi et procédures de licenciement, La Documentation française, Paris, 2003. šPropuesta para la reactivación laboral en España  =JVVRYYYETKUKUGU RTQRWGUVC!RCIGAKF  5]. Voir également NCFCGUITCVKU GUš Luis GƧƷƯƩƧƴƵ, ¿EV FRQVWLWXFLRQDO HO FRQWUDWR ¼QLFR̰" HȌXTKGT  =JVVRPCFCGUITCVKUGU!R ?š José Ignacio CƵƴƪƫRƺƯƿ, La maraña FRQWUDFWXDODFWXDO̰NRVHU¯DWRGRP£VI£FLOFRQXQFRQWUDWR¼QLFR̰"OCK=JVVRPCFCGU ITCVKUGU!R ?

71 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

3DUDLOOHXUVLOH[LVWHXQFRQVHQVXVVHORQOHTXHOODU«IRUPHGXWUDYDLO actuelle devrait s’appliquer dans un contexte de croissance et non pas de grave récession231HSDVWHQLUFRPSWHGHFHFRQVHQVXVUHYLHQWSRXU 3DXO .UXJPDQ ¢ LJQRUHU OHV IRQGHPHQWV GH OD WK«RULH «FRQRPLTXH24. L’immédiate conséquence de ce type de réforme en pleine récession HVW TXȇHOOH HQWUD°QH FRPPH QRXV OȇDYRQV G«M¢ PHQWLRQQ« XQH FURLV- sance rapide du chômage. Si la réforme du travail s’accompagne d’un plan strict de restructuration macroéconomique caractérisé par de IRUWHVFRXSHVGDQVOHVG«SHQVHVSXEOLTXHVHWGHVKDXVVHVGȇLPS¶WVOD situation économique et sociale des familles et des individus ne pourra qu’empirer. Les conséquences malheureuses de la réforme aux plans économique et social restent associées à la conjoncture du moment de sa mise en œuvre. 'DQVXQFRQWH[WHGHU«FHVVLRQODU«IRUPHDIDYRULV«OHVUHVWUXFWXUD- WLRQVGHSHUVRQQHOHQGLPLQXDQWOHVFR½WVHWDIDFLOLW«XQHGLPLQXWLRQ GHVFR½WVGXWUDYDLO0¬PHVȇLOHVWGLɚFLOHGHVDYRLUGDQVTXHOOHPHVXUH FHWWHGLPLQXWLRQHVWGXH¢ODU«IRUPHRX¢ODFULVH,OHVWFHUWDLQTXH SHQGDQWODSUHPLªUHDQQ«HGHFULVH«FRQRPLTXHOHVVDODLUHVU«HOVRQW DXJPHQW«HQFRQV«TXHQFHGHOȇLQGH[DWLRQDXWRPDWLTXHFHTXLQȇDIDLW qu’empirer la situation de certaines entreprises. La réforme corrige cet HIIHWPDLVHOOHRXYUH«JDOHPHQWODSRUWHDX[DEXVGHODSDUWGHVHQWUH- prises qui mettent en avant la recherche de compétitivité pour dimi- nuer les salaires. Ceci peut faire dégénérer les relations sur le lieu de WUDYDLO'HIDLWOHG«EDWVXUOHVVDODLUHVSRXUUDLWSURȴWHUGHODFU«DWLRQ de mécanismes institutionnels à l’échelle nationale compatibles avec les conventions collectives principales de l’entreprise. 3DU DLOOHXUV OD U«IRUPH QȇLQFOXW SDV GH SROLWLTXHV GȇHPSORL 3DU H[HPSOH LO Qȇ\ D SDV HX SOXV GH PHVXUHV HQ IDYHXU GH OȇDFFRPSDJQH- ment des chômeurs à la recherche d’emploi. La seule mesure a été celle GȇDVVRFLHU XQH IRUPDWLRQ REOLJDWRLUH DȴQ TXH OHV FK¶PHXUV HQ ȴQ GH droits perçoivent une prestation compensatoire. Les actions en faveur GHODUHFKHUFKHGȇHPSORLVRQWDEVHQWHVGHODU«IRUPHWRXWFRPPHOHV P«FDQLVPHV GȇDGDSWDWLRQ GX SURȴO SURIHVVLRQQHO GHV SHUVRQQHV VDQV emploi aux nouveaux besoins du marché du travail. Le problème de Oȇ«FKHF VFRODLUH HW GH OD VXUTXDOLȴFDWLRQ GHV MHXQHV (VSDJQROV QȇD SDV non plus été résolu. Les chiffres du chômage de certaines catégories

šSamuel BƫƴƹƵƲƯƲƧ, et Marcel JƧƴƸƫƴ, « LCTGHQTOCNCDQTCNFGšWPCRTKOGTCGXCNWC ción ». Apuntes Fedea, 2012, 16. šPaul KƷƺƭƳƧƴ, Ignorar la teoría básica causa desastres, Blog Paul Krugman, El País, 20 mai 2013.

72 De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

de jeunes dépassent les 70 % et plus d’un tiers des chômeurs de longue durée sont des jeunes. Certains d’entre eux ont abandonné prématu- rément le système éducatif et il est important de mettre en œuvre des mécanismes de retour à l’enseignement traditionnel ou des mesures de formation. Le contrat d’apprentissage ne semble pas la solution perti- QHQWHSRXUOHVMHXQHVVDQVIRUPDWLRQFDULOVVRQWHQFRQFXUUHQFHDYHF GHVMHXQHVTXLVRQWG«M¢SDVV«VHWDYHFVXFFªVSDUOHPDUFK«GXWUDYDLO (QȴQGDQVOHGRPDLQHGHODVXUTXDOLȴFDWLRQODSROLWLTXHGXJRX- vernement ne corrige pas l’inadéquation d’une partie des formations et GHFHUWDLQVGLSO¶PHVPDLVWHQGSOXW¶W¢UHVWUHLQGUHODGHPDQGHGȇ«GX- cation. La politique d’éducation a consisté à diminuer les dépenses (y FRPSULVOHVERXUVHV HW¢DXJPHQWHUGHPDQLªUHVLJQLȴFDWLYHOHVIUDLV GȇLQVFULSWLRQFHTXLDHQWUD°Q«OȇH[SXOVLRQHWOȇ«YLFWLRQGȇXQHSDUWLHGHV étudiants de l’enseignement non obligatoire (essentiellement les études XQLYHUVLWDLUHV  &HUWDLQV RQW G½ DEDQGRQQHU OHV «WXGHV TXȇLOV DYDLHQW entamées suite à l’effet combiné de la perte d’emploi et de revenus de leurs familles et de l’augmentation des frais d’inscription. Dans la U«IRUPHGHVHQVHLJQHPHQWVFȇHVWXQHYLVLRQLG«RORJLTXHGHOȇ«GXFDWLRQ et non pas l’ambition de résoudre les problèmes du système éducatif et du pays qui a prévalu. +LHU FRPPH DXMRXUGȇKXL SRXU H[SOLTXHU OȇDXJPHQWDWLRQ GX FK¶- PDJHHQ(VSDJQHLOHVWGRQFQ«FHVVDLUHGHU««YDOXHUOHVFDXVHVGHOD perte des emplois et/ou du manque de création de ces derniers. Dans le FRQWH[WHDFWXHOWRXWFRPPHSHQGDQWOHVDQQ«HVOȇHVVRXɛHPHQW du modèle de croissance est la principale cause de perte des emplois. $LQVLGHQRPEUHX[IDFWHXUVSHXYHQWH[SOLTXHUODVLWXDWLRQWHOVTXHOD prépondérance du secteur du bâtiment et du marché intérieur dans OD FURLVVDQFH «FRQRPLTXH GH OD S«ULRGH  OD IDLEOH FRPS«WL- tivité internationale d’une grande partie de l’industrie et sa moindre orientation à l’exportation. Le problème du chômage en Espagne a un caractère structurel et sa résolution exige des actions aux conséquences importantes sur la sphère productive du pays.

73

De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

3

Le renouveau du mouvement républicain : de la nostalgie à la défiance citoyenne

Alicia FERNÁNDEZ GARCÍA

Marcheur, il n’y a pas de chemin. Le chemin se fait en marchant. $QWRQLR0DFKDGR

XFRXUVGHVGHUQLªUHVDQQ«HVOHVPDQLIHVWDWLRQVU«SXEOLFDLQHV DȴQ GH F«O«EUHU OD P«PRLUH GH OD 6HFRQGH 5«SXEOLTXH RX GH Arevendiquer l’instauration d’une « Troisième République » qui PHWWUDLW ȴQ DX[ G«ULYHV GX V\VWªPH SROLWLTXH DFWXHO RQW FRQQX XQ UHQRXYHDXFHUWDLQ'HVYRL[GHSOXVHQSOXVQRPEUHXVHVLVVXHVSULQ- FLSDOHPHQW GH OD VRFL«W« FLYLOH HW GHV PLOLHX[ LQWHOOHFWXHOV RQW DSSHO« ¢ XQH mVHFRQGH WUDQVLWLRQ} DȴQ GH G«SDVVHU OHV OLPLWHV GH OD FRQVWL- tution de 1978. Mais l’histoire moderne et contemporaine du républi- FDQLVPH HQ (VSDJQH GHPHXUH QRQ VHXOHPHQW OLPLW«H PDLV DXVVL WUªV FRQWURYHUV«H (OOH VH FRQFHQWUH HVVHQWLHOOHPHQW VXU GHX[ «SLVRGHV OD 3UHPLªUH5«SXEOLTXH I«YULHUG«FHPEUH WUªVEUªYHHW PDUTX«HSDUOȇLQVWDELOLW«SROLWLTXHHWOD6HFRQGH5«SXEOLTXH DYULO 1931-1erDYULO TXLJRXYHUQDHQSDL[SHQGDQWVHXOHPHQWFLQTDQV MXVTXȇDX FRXS Gȇ‹WDW GH MXLOOHW TXL G«FOHQFKD OD JXHUUH FLYLOH HW obligea le gouvernement républicain de Largo Caballero et le président socialiste Manuel Azaña à se réfugier à Valence puis à Barcelone de 1937 à 19391 'DQV OD P«PRLUH FROOHFWLYH GHV (VSDJQROV OD 6HFRQGH République suscite le plus d’interprétations opposées : symbole d’une

šLes travaux historiques sur ces deux périodes sont très nombreux et documentés. Citons seulement quelques travaux de référence réactualisés. Sur la Première République, cf. José María JƵƻƫƷ ZƧƳƵƷƧ, Realidad y mito de la Primera República, Pozuelo de Alarcón, EURCUC CCNRGšJosep FƵƴƹƧƴƧ, La época del liberalismo. Vol. 6 de la collection Historia de España, dirigée par Josep FƵƴƹƧƴƧ et Ramón VƯƲƲƧƷƫƸ, Barcelone, Marcial PQPUšJorge VƯƲƩƮƫƸ, Progreso y Libertad. El Partido Progresista en la Revolución Liberal Española, Madrid, Alianza Editorial, 2001.

75 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

tentative de modernisation inachevée pour certains face à la violence d’une partie de la classe dirigeante réactionnaire ; régime honni par les DXWUHVSRXUDYRLUH[DFHUE«OHVGLYLVLRQVLGHQWLWDLUHVHWOHVFRQȵLWVLG«R- logiques des années 1930 et conduit le pays à l’affrontement sanglant2. On comprend donc aisément que la république comme régime SROLWLTXHHWOHU«SXEOLFDQLVPHFRPPHLG«RORJLHQHIRQWSDVFRQVHQVXV ORLQGHO¢‚OȇLQYHUVHLOHVWDVVRFL«¢OȇLG«DOSROLWLTXHGHODJDXFKHHW GHPHXUHUHMHW«SDUODGURLWH$XMRXUGȇKXLOHU«SXEOLFDQLVPHHVWP¬PH XQLTXHPHQW UHYHQGLTX« SDU XQH FHUWDLQH IUDQJH GH OD JDXFKH PLQR- ULWDLUHDXQLYHDXGHVDSSDUHLOVSROLWLTXHV6HXOVGHX[SDUWLVIzquierda Unida (IU) et Esquerra Republicana de Catalunya (5& VHGLVHQWFODLUH- ment « républicains ». L’ERC prône cependant la république avant tout dans le contexte catalan. Le soutien au républicanisme est quoi qu’il en soit plus largement partagé par les bases militantes du PSOE et les (VSDJQROVGHJDXFKH$LQVLFRPPHQWH[SOLTXHUOHUHQRXYHDXGXPRX- vement républicain dans l’Espagne d’aujourd’hui ? La thèse de ce cha- SLWUHHVWTXHFHUHQRXYHDXGXU«SXEOLFDQLVPHTXLGHPHXUHWRXWHIRLV PLQRULWDLUHWUDGXLWXQHQRVWDOJLHLG«DOLV«HGHOD6HFRQGH5«SXEOLTXH PDLVGRLWVXUWRXW¬WUHFRPSULVFRPPHXQV\PEROHIRUWGHG«ȴDQFHSROL- tique et de volonté de changement des citoyens. En replaçant les mouvements sociaux récents dans le contexte de FULVH«FRQRPLTXHHWVRFLDOHGXSD\VGHSXLVFHFKDSLWUHFKHUFKH¢ déceler les raisons du renouveau de la sympathie à l’égard du régime U«SXEOLFDLQWRXWHQ«YDOXDQWODSRUW«HGHFHVPRELOLVDWLRQV,OVȇDJLUD de s’intéresser dans le détail aux principaux groupes et collectifs poli- tiques et sociaux qui se sont mobilisés lors des dernières années autour GH OȇHQMHX U«SXEOLFDLQ 3DU O¢ P¬PH QRXV FKHUFKHURQV ¢ PHWWUH HQ DYDQWOHXUVSULQFLSDOHVUHYHQGLFDWLRQVHW¢U«ȵ«FKLUSOXVJOREDOHPHQW VXUODFDSDFLW«GȇLQȵXHQFHGHFHVHFWHXUGȇRSLQLRQ(QVȇDSSX\DQWVXU GHV WUDYDX[ KLVWRULRJUDSKLTXHV OD SUHPLªUH SDUWLH UHWUDFH EULªYH- ment les principales réalisations et les dilemmes de la Première et de OD 6HFRQGH 5«SXEOLTXH SXLV LOOXVWUH ¢ WUDYHUV GHV H[HPSOHV U«FHQWV

š5WT NC 5GEQPFG 4ȌRWDNKSWG XQKT NŨȌVWFG ENCUUKSWG FG ,CXKGT 6ƺƸƫƲƲ, Las Constituyentes de XQDVHOHFFLRQHVGHWUDQVLFLµQ, Madrid, CIS, 1982. Pour une édition plus récente, voir Santos JƺƲƯƧ, La Constitución de 1931, Madrid, Iustel, 2009. Voir de même les études classiques de Stanley PƧƾƴƫ, La primera democracia española. La Segunda República, 1931-1936, Barcelona, Paidós, 1995, et El colapso de la República, Madrid, La Esfera de los Libros, 2005. Pour une XKUKQPU[PVJȌVKSWGFŨGPUGODNGXQKT,WNKȄP%ƧƸƧƴƵƻƧ, República y Guerra Civil. Vol. 8 de Historia de España, op. cit., 2007. Enfin, pour une étude plus récente sur la droite, voir Eduardo GƵƴƿʜƲƫƿ CƧƲƲƫưƧ Contrarrevolucionarios. Radicalización violenta de las derechas durante la Segunda República, Alianza Editorial, Madrid, 2011.

76 De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

comment la mémoire républicaine demeure intimement liée à la question des victimes de la guerre civile. La seconde partie porte sur OHV PRELOLVDWLRQV FRQWHPSRUDLQHV HQ PRQWUDQW FRPPHQW OH PRXYH- PHQW U«SXEOLFDLQ VH VLWXH ¢ OD FRQȵXHQFH GHV PRXYHPHQWV VRFLDX[ OD m7URLVLªPH5«SXEOLTXH} DJLVVDQW FRPPH XQ LG«DO UDVVHPEOHXU HW l’abdication du roi Juan Carlos Ier ayant joué le rôle d’un événement déclencheur d’une repolitisation de la question du régime politique de l’Espagne. La troisième partie étudie le lien entre la revendication républicaine et les mouvements indépendantistes et régionalistes en &DWDORJQHDX3D\VEDVTXHHWHQ*DOLFH(QȴQODFRQFOXVLRQSURSRVHXQH U«ȵH[LRQFULWLTXHVXUOHVPRELOLVDWLRQVGHVGHUQLªUHVDQQ«HVOȇLQȵXHQFH et les perspectives futures du républicanisme en Espagne.

LA MÉMOIRE HISTORIQUE RÉPUBLICAINE EN ESPAGNE

La Première République : l’image négative de la « République de 1873 »

La Première République fut le régime politique de l’Espagne du 11 février 1873 au 29 décembre 1874. Il s’inséra dans le cadre du sexen- QDW G«PRFUDWLTXH HQFOHQFK« SDU OD U«YROXWLRQ GH  TXL G«ERXFKD VXUOHUªJQHGȇ$PDGHR,HUSXLVVXUOD5«SXEOLTXHVXLWH¢OȇDEGLFDWLRQ OH I«YULHU  GH FH GHUQLHU DFFXO« SDU OD WURLVLªPH JXHUUH FDU- OLVWH OH FRQȵLW GH &XED OȇRSSRVLWLRQ GHV PRQDUFKLVWHV SDUWLVDQV GH OD UHVWDXUDWLRQGȇ$OIRQVHGH%RXUERQ ȴOVGȇ,VDEHO,, HWOHVLQVXUUHFWLRQV républicaines3 /D 3UHPLªUH 5«SXEOLTXH SULW ȴQ VXLWH DX FRXS Gȇ‹WDW du général Arsenio Martínez-Campos qui donna lieu à la restauration bourbonienne. Elle fut très brève et caractérisée par l’instabilité poli- WLTXHGXUDQWVHVRQ]HSUHPLHUVPRLVGȇH[LVWHQFHHOOHHQFKD°QDTXDWUH présidents issus du Parti républicain fédéral. Le premier gouvernement d’Estanislao Figueras dut faire face à une situation de crise économique HWVRFLDOHGDQVOHFRQWH[WHGHODFULVHPRQGLDOHGHPDUTX«HSDU OȇDXJPHQWDWLRQGXFK¶PDJHHWGHVJUªYHV¢U«S«WLWLRQ(Q$QGDORXVLHOD république était associée symboliquement à la réforme agraire par les paysans sans terre des latifundios GHV GRPDLQHV DJULFROHV LPPHQVHV

šStéphane MƯƩƮƵƴƴƫƧƺ, « Le Sexenio FȌOQETCVKSWG z FCPU Jordi CƧƴƧƲ FKT  Histoire de l’Espagne contemporaine de 1808 à nos jours GȌFKVKQP Paris, Armand Colin, 2014, chapitre IX.

77 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

propriétés le plus souvent de nobles hidalgos issus de l’aristocratie madrilène : les paysans demandèrent ainsi la parcellisation immédiate GHVWHUUHVHQWUD°QDQWGHQRPEUHX[FRQȵLWVORFDX[ /D 3UHPLªUH 5«SXEOLTXH SHLQD ¢ IDLUH UHVSHFWHU OȇRUGUH SXEOLF notamment en raison de la présence de « juntes révolutionnaires » qui G«ȴªUHQW OH SRXYRLU GH OȇDGPLQLVWUDWLRQ FHQWUDOH HW GHV PDLULHV /HV m9RORQWDLUHV GH OD 5«SXEOLTXH} XQH PLOLFH WRO«U«H SDU OH JRXYHUQH- PHQWVȇRSSRVªUHQW4DX[m9RORQWDLUHVGHOD/LEHUW«}ODPLOLFHPRQDU- chiste fondée durant le règne d’Amadeo Ier  /HV UDGLFDX[ TXL G«IHQ- GDLHQW OD U«SXEOLTXH XQLWDLUH VȇRSSRVDLHQW DX[ U«SXEOLFDLQV I«G«UD- OLVWHVFRPPHOȇLOOXVWUHODFDULFDWXUHGXTXRWLGLHQVDWLULTXHLa Flaca de HX[P¬PHVGLYLV«VHQWUHOHVI«G«UDOLVWHVmPRG«U«V}HWmLQWUDQ- sigeants5}3OXVLHXUVFRXSVGȇ‹WDWG«VWDELOLVªUHQWOHU«JLPHQRWDPPHQW FHX[GXUDGLFDOSU«VLGHQWGHOȇ$VVHPEO«HQDWLRQDOH&ULVWLQR0DUWRVOH I«YULHUSXLVOHPDUVHW¢QRXYHDXOHDYULODYHFOȇDSSXLGX général Pavia et du PDUWLFRQVWLWXWLRQQHOGȇRULHQWDWLRQFRQVHUYDWULFH6. /HVU«SXEOLFDLQVI«G«UDOLVWHVmLQWUDQVLJHDQWV}TXLGRPLQDLHQWODG«SX- WDWLRQGH%DUFHORQHSURFODPªUHQWGHP¬PHOȇ‹WDWFDWDODQHQPDUV

Photo 3.1. Caricature de la Ire République, revue satirique La Flaca, 3 mars 1873

šJorge VƯƲƩƮƫƸ, op. cit., 2001, p. 370. šJosep FƵƴƹƧƴƧop. cit.R šJorge VƯƲƩƮƫƸ, op. cit., 2001, p. 372.

78 De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

Les élections du 10 au 13 mai 1873 illustrèrent bien le manque de légitimité du régime : non seulement les carlistes (en guerre depuis 1972) et les monarchistes partisans d’Alfonse de Bourbon dirigés par &£QRYDVGHO&DVWLOORQHUHFRQQDLVVDLHQWSDVOD5«SXEOLTXHPDLVOHVUDGL- FDX[OHVPHPEUHVGXParti constitutionnel et même les organisations RXYULªUHVSURFKHVGHOȇ,QWHUQDWLRQDOHVRFLDOLVWHER\FRWWªUHQWOHVFUXWLQ de telle sorte qu’il n’y eut pas de véritable lutte électorale7. Avec 60 % GȇDEVWHQWLRQFHV«OHFWLRQVFRPSWHQWSDUPLOHVPRLQVPRELOLVDWULFHVGH OȇKLVWRLUHGHOȇ(VSDJQHHQ&DWDORJQHVHXOGHOȇ«OHFWRUDWVHUHQGLW DX[ XUQHV HW  ¢ 0DGULG HW FH PDOJU« OȇDEDLVVHPHQW GH Oȇ¤JH GX droit de vote de 25 à 21 ans8. Les Espagnols doutaient beaucoup de la U«SXEOLTXH /H FRXS Gȇ‹WDW GX J«Q«UDO 3DYLD OH DR½W UHPLW HQ FDXVH OH I«G«UDOLVPH HW LQVWDXUD XQH U«SXEOLTXH XQLWDLUH GLULJ«H SDU OHJ«Q«UDO6HUUDQRTXL«WDLWGȇDLOOHXUVGHYHQXOHQRXYHDXGLULJHDQWGX Parti constitutionnel. En parallèle avec l’instabilité gouvernementale et l’opposition entre partisans d’un régime fédéral ou unitaire et cen- WUDOLV« OD 3UHPLªUH 5«SXEOLTXH GXW IDLUH IDFH VLPXOWDQ«PHQW ¢ WURLV FRQȵLWVOD WURLVLªPH JXHUUH FDUOLVWH  9 OD U«YROXWLRQ FDQWR- nale10 HW OD JXHUUH GHV 'L[ $QV SUHPLªUH JXHUUH GȇLQG«SHQGDQFH GH Cuba (1868-1878).

šDCPUNGUSWGNSWGUFKUVTKEVUQșWPGEQORȌVKVKQPȌNGEVQTCNGGWVVQWVGHQKUNKGWEGNNGEKUŨQTIC nisa uniquement entre républicains fédéralistes « modérés » ou « intransigeants ». šJorge VƯƲƩƮƫƸ, op. cit., 2001, p. 381. šLC VTQKUKȋOG IWGTTG ECTNKUVG CXTKNHȌXTKGT  FȌUKIPG NŨCHHTQPVGOGPV SWK opposa, d’une part, les partisans de Charles VII de BQWTDQP  RTȌVGPFCPVECTNKUVG au trône d’EURCIPG GVCȑPȌFGUECRȌVKGPUGVEJGHFGNCOCKUQPFGFrance, considéré à ce titre par les légitimistes comme le roi de France « Charles XI »), et, d’autre part, les gouvernements d’Amadeo Ier, de la Première République et d’Alfonse XII. Sur le carlisme, voir Julio MƵƴƹƫƷƵ El Estado Carlista. Principios teóricos y práctica política (1872-1876), Madrid, Aportes XIXš Jordi CƧƴƧƲ, El Carlismo. Dos siglos de contrarrevolución en España, Madrid, Alianza Editorial, š5WTNGNKGPFG%JCTNGU8++ȃNCOCKUQPFG(TCPEGXQKT Jacques ƨƫƷƴƵƹ, /HVSULQFHVFDFK«V̰ Histoire des prétendants légitimistes, Paris, Lanore, 2014, p. 13. šLa révolution cantonale est un mouvement politique qui se fit jour en juillet 1873 par une grève révolutionnaire à Alcoy puis par l’insurrection de Carthagène le 12 juillet, et qui consista en une réorganisation d’une partie du territoire de l’Espagne en cantons, à savoir de fédérations de villes qui se regroupaient librement. Il entraîna la démission de Pi y Margall, le ministre de l’Intérieur. Le mouvement s’étendit ensuite dans les régions de Valence, de Murcie, de l’Anda lousie, en EUVTȌOCFWTG ȃCoria, HGTXȄUPlasencia) où fut créé le journal El Canton Extremeño, et dans la province de Salamanque. La majorité des cantons, dotés de milices d’autodéfense, UWRRTKOȋTGPVNGUOQPQRQNGUGVNGUKORȖVUUWTNCEQPUQOOCVKQP FTQKVUFŨQEVTQK VQWVGPTGEQP naissant le droit au travail et en instaurant la journée de huit heures. Les cantons d’Almansa, Loja, Séville, MȄNCICCadix, Tarifa et surtout CCTVJCIȋPGSWKHWVNGFGTPKGTȃTȌUKUVGT LWUSWŨCW 13 janvier1874) furent les plus actifs. Ce mouvement était partisan d’un fédéralisme radical et eut une grande influence sur le mouvement ouvrier et surtout sur l’anarchisme en Espagne. Voir José BƧƷʭƴFƫƷƴʜƴƪƫƿEl movimiento cantonal de 1873 (1ª República), La Corogne, Edicios do Castro, 1998, p. 214.

79 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

Lors de son discours d’investiture à la Real Academia de la Historia en OȇKLVWRULHQ-RV«0DU¯D-RYHU=DPRUDG«GLDVRQH[SRV«¢ODmU«DOLW« et aux mythes de la Première République ». Il montra combien la vision que l’on conserve de ce régime en Espagne reste stéréotypée et défor- mée. Il insista sur le caractère exagéré du parallèle parfois fait entre la U«YROXWLRQFDQWRQDOHWUªVORFDOLV«HHWGRQWOHVHIIHWVIXUHQWOLPLW«VHWOD &RPPXQHGH3DULVTXLHXW¢OȇLQYHUVHXQLPSDFWPRQGLDO6ȇLOUHFRQQXW ODUJHPHQW OȇLQVWDELOLW« GX U«JLPH HW VHV FULVHV LQWHUQHV =DPRUD PLW HQ évidence la tendance de l’historiographie postérieure et d’importants historiens comme Manuel de la Revilla ou Marcelino Menéndez y Pelayo à promouvoir une « image de la République de 1873 » trop détachée de sa situation historique de référence et déformée par une vision conserva- trice hostile stigmatisant le fédéralisme comme « absurde » et l’associant au « séparatisme »11$LQVLOHVG«ERLUHVGHOD3UHPLªUH5«SXEOLTXHPDLV aussi les interprétations dominantes formulées dans les années et les G«FHQQLHVTXLVXLYLUHQWG«FU«GLELOLVªUHQWGXUDEOHPHQWOHU«JLPHU«SX- EOLFDLQHQ(VSDJQHHQOȇDVVRFLDQW¢OȇmLQVWDELOLW«}DXmG«VRUGUH}¢OD mFULVHGȇDXWRULW«}¢ODmFROOHFWLYLVDWLRQ}DXmVRFLDOLVPH}HW¢OȇmXWR- pie »12. Autant de représentations sociales négatives qui contribuèrent ¢ FLPHQWHU OȇLPDJLQDLUH FROOHFWLI GHV (VSDJQROV GH OD ȴQ GX ;,;e et du début du XXeVLªFOH(QPDOJU«OHU«WDEOLVVHPHQWGHODG«PRFUDWLH le Dictionnaire de la langue espagnole de la Real Academia Española DVVRFLDLWHQFRUHODU«SXEOLTXH¢XQmOLHXR»UªJQHOHG«VRUGUHSRXUH[FªV de libertés13 ». La Seconde République : une image très clivée

Suite à la démission du général Miguel Primo de Rivera en jan- YLHUOHURL$OIRQVH;,,,QRPPDOHJ«Q«UDO'£PDVR%HUHQJXHUFKHI du gouvernement dans le dessein de revenir à la « normalité constitu- WLRQQHOOH} 0DLV OȇH[S«ULHQFH TXL QH GXUD TXH MXVTXȇHQ I«YULHU connue comme la « Dictablanda } OD mGLFWDWXUH GRXFH}  IXW SHX concluante. La monarchie et les anciens partis dynastiques étaient d’autant plus discrédités qu’ils avaient soutenu le régime de Primo de Rivera14. Les élections municipales du 12 avril 1931 ne furent pas un

šCe discours fut revu et corrigé, publié puis réédité par la suite. Cf. José María JƵƻƫƷ ZƧƳƵƷƧ, op. cit., 1991, p. 80. šIbid., p. 81. šIbid., p. 82. šGenoveva GƧƷƩʨƧ QƺƫƯǞƵ Dƫ LƲƧƴƵ El reinado de Alfonso XIII. La modernización fallida, Madrid, Historia 16, 1997, p. 130.

80 De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

WULRPSKHSRXUOHVU«SXEOLFDLQVQRWDPPHQWGDQVOHVFDPSDJQHV0DLV OHIDLWTXHOHYRWHUXUDODLW«W«FRPSOªWHPHQWG«IRUP«SDUOȇLQȵXHQFHHW les pressions sociales des « caciques} UHODLV ORFDX[ GHV «OLWHV FRQVHU- YDWULFHVHWPRQDUFKLVWHVG«O«JLWLPDFHOXLFLDORUVTXHOHVU«SXEOLFDLQV UHPSRUWªUHQW GH ODUJHV YLFWRLUHV GDQV  FDSLWDOHV GH SURYLQFH GRQW 0DGULG HW %DUFHORQH FH TXL OHV LQFLWD ¢ LQVWDXUHU LPP«GLDWHPHQW OD république15. La Seconde République fut ainsi le régime politique démocratique VRXVOHTXHOY«FXWOȇ(VSDJQHHQWUHOHDYULOGDWHGHVDSURFODPD- WLRQ HW OH erDYULO  GDWH GX G«EXW GH OD JXHUUH FLYLOH TXL G«ERX- cha sur la dictature franquiste (1939-1975). Après la mise en place du gouvernement provisoire (avril-décembre 1931) qui approuva la FRQVWLWXWLRQGHODS«ULRGHGXUDQWODTXHOOHOD6HFRQGH5«SXEOLTXH JRXYHUQDmHQSDL[}SHXW¬WUHGLYLV«HHQWURLVSKDVHV/DSUHPLªUHGH ¢SHUPLW¢ODFRDOLWLRQU«SXEOLFDLQHHWVRFLDOLVWHGLULJ«HSDU Manuel Azaña de mener à bien plusieurs réformes qui modernisèrent OHSD\V/DVHFRQGHGH¢FRQVLG«U«HSDUODJDXFKHFRPPH XQHS«ULRGHU«DFWLRQQDLUHSHUPLWDXJRXYHUQHPHQWGXSDUWLU«SXEOL- FDLQUDGLFDOGȇ$OHMDQGUR/HUURX[DYHFOȇDSSXLGHODGURLWHFDWKROLTXH OD&RQI«G«UDWLRQHVSDJQROHGHVGURLWHVDXWRQRPHV &('$ GHUHYHQLU sur une partie des réformes menées jusqu’alors. Durant cette période VHSURGXLVLWODU«YROXWLRQGHXQHU«YROWHSRSXODLUHTXLG«ERXFKD sur une véritable insurrection en Asturies et fut réprimée dans le sang par l’armée16. La troisième période fut marquée par la victoire du Front SRSXODLUH OD FRDOLWLRQ GHV JDXFKHV ORUV GHV «OHFWLRQV O«JLVODWLYHV GH OH)URQWQHSXWJRXYHUQHUTXHFLQTPRLVHQUDLVRQGXFRXSGȇ‹WDW des 17 et 18 juillet 1936 qui entraîna la guerre civile. 'XUDQWODJXHUUHGH¢WURLVJRXYHUQHPHQWVU«SXEOLFDLQV VHVXFF«GªUHQWGRQWDXFXQQHSDUYLQW¢IDLUHUHVSHFWHUOHPRQRSROHGH ODYLROHQFHGHOȇ‹WDWFHQWUDOHWODO«JDOLW«U«SXEOLFDLQHVXUVRQSURSUHWHU- ULWRLUH/HJRXYHUQHPHQWU«SXEOLFDLQGH-RV«*LUDOGXWDLQVLFRPSRVHU avec des centaines de comités républicains d’autodéfense formés suite à la révolution sociale de 1936. Le gouvernement du socialiste Francisco /DUJR &DEDOOHUR VHSWHPEUHPDL  H[GLULJHDQW GH Oȇ8QLRQ J«Q«UDOH GHV WUDYDLOOHXUV 8*7  IXW P¬PH REOLJ« GH FRPSRVHU DYHF la pression des anarchistes de la Confédération nationale du travail

šSantos JƺƲƯƧ, op. cit., 2009, p. 20. šSur ce point, voir Juan Pablo FƺƸƯ, « NCEKQPCNKUOQ[TGXQNWEKȕPšOctubre de 1934 en el País Vasco », dans Gabriel JƧƩƱƸƵƴ et al FKT Octubre 1934. Cincuenta años para la reflexión, Madrid, Siglo XXIR

81 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

&17 TXLDYDLHQWMRX«XQU¶OHFHQWUDOGDQVODU«YROXWLRQRUJDQLVªUHQW des grèves insurrectionnelles et des actions directes pour prendre le FRQWU¶OHGHVXVLQHVHWIRUPªUHQWGHQRPEUHXVHVPLOLFHVGȇDXWRG«IHQVH QRWDPPHQWHQ&DWDORJQH'HSXLV%DUFHORQHOHJRXYHUQHPHQWGXVRFLD- liste Juan Negrín (mars 1937-mars 1939) chercha à résister jusqu’au ERXW¢OȇDYDQF«HGHVWURXSHVmQDWLRQDOHV}DYDQWGHSUHQGUHODURXWH GHOȇH[LOVXLWHDXFRXSGȇ‹WDWGXJ«Q«UDO&DVDGR La Seconde République eut à son actif des avancées sociales HW SROLWLTXHV VDQV SU«F«GHQW 'DQV VHV SULQFLSHV IRQGDPHQWDX[ OD FRQVWLWXWLRQGHSURFODPDODV«SDUDWLRQGHOȇ‹JOLVHHWGHOȇ‹WDWOH caractère laïc des institutions nationales et le principe de l’élection des responsables publics. Elle supprima aussi la seconde chambre WURSDULVWRFUDWLTXHUHFRQQXWOHPDULDJHFLYLOHWOHGLYRUFHHWLPSRVD OHVXIIUDJHXQLYHUVHOGRQQDQWDLQVLDX[IHPPHVODSRVVLELOLW«GHYRWHU pour la première fois en 193317. Une réforme agraire fut mise en place HQGHP¬PHTXHGHQRXYHDX[VWDWXWVGȇDXWRQRPLHHQ&DWDORJQH DX 3D\V EDVTXH HW HQ *DOLFH 'H QRXYHDX[ GURLWV IXUHQW GRQQ«V DX[ WUDYDLOOHXUV &RPPH OH VRXOLJQH ELHQ 0HUFHGHV

2QWURXYHUDGLɚFLOHPHQWGDQVOȇKLVWRLUHGHOȇ(VSDJQHXQHS«ULRGHDXVVL FRQWURYHUV«HTXHFHOOHGHOD6HFRQGH5«SXEOLTXH3RXUOHVXQVHOOHUHSU«- sente une occasion unique de moderniser l’Espagne qui fut brutalement étouffée par ceux qui ne voulaient pas perdre leurs privilèges. Pour les DXWUHVFȇHVWODS«ULRGHTXLH[DFHUEDOHVGLYLVLRQVHWOHVFRQȵLWVTXLIUDF- WXUDLHQWODVRFL«W«HVSDJQROHMXVTXȇ¢ODIDLUH«FODWHUORUVGȇXQHVDQJODQWH JXHUUH FLYLOH GRQW OHV SROLWLFLHQV U«SXEOLFDLQV VHUDLHQW SDUWLHOOHPHQW VLQRQWRWDOHPHQWUHVSRQVDEOHV18.

&ȇHVW SRXUTXRL GDQV OD P«PRLUH FROOHFWLYH HVSDJQROH OD 6HFRQGH République demeure davantage jugée à partir des événements histo- ULTXHVTXLOXLVRQW SRVW«ULHXUV OD JXHUUH FLYLOH SXLVOD GLFWDWXUH IUDQ- TXLVWHSOXW¶WTXȇ¢SDUWLUGȇXQHDQDO\VHGXU«JLPHOXLP¬PHGHVHVVXF- cès et de ses limites. La Seconde République demeure plus associée au traumatisme de la guerre civile qu’à ses nombreuses avancées sociales et politiques et à sa contribution à la modernisation de l’Espagne. Pour

šSantos JƺƲƯƧ, op. cit.R šMercedes YƺƸƹƧ, « La Seconde République », dans Jordi CƧƴƧƲ FKT op. cit., 2014, p. 173.

82 De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

EHDXFRXS HOOH V\PEROLVH DXVVL OH SDVV« XQH H[S«ULHQFH FHUWHV QRYD- WULFHSRXUOȇ«SRTXHPDLVGRQWOHSUL[¢SD\HUD«W«WURSORXUGGDQVOH contexte espagnol. La propagande franquiste a d’ailleurs largement FRQWULEX«¢G«O«JLWLPHUFHU«JLPHVHPDQWOHGRXWHGDQVOHVP«PRLUHV FROOHFWLYHVHQIDOVLȴDQWDOO«JUHPHQWOȇKLVWRLUHHWHQOXLIDLVDQWSRUWHUOD responsabilité de la guerre civile. Républicanisme et victimes de la guerre civile

'H QRV MRXUV OȇLG«H GȇXQ UHWRXU ¢ OD U«SXEOLTXH V«GXLW GȇDERUG OHV GHVFHQGDQWV GHV U«SXEOLFDLQV HW GHV YLFWLPHV GH OD JXHUUH FLYLOH de même que les personnes qui ont personnellement vécu la répres- VLRQ IUDQTXLVWH 3RXU FHWWH IUDQJH GH OD VRFL«W« HVSDJQROH OD 6HFRQGH République se remémore avec nostalgie et symbolise l’idéal d’un U«JLPH G«PRFUDWLTXH HW U«SXEOLFDLQ VDQV SHUVRQQDOLVDWLRQ H[FHVVLYH GXSRXYRLU/DPRQDUFKLHHVWSHU©XHFRPPHmLOO«JLWLPH}VDFKDQWTXH Juan Carlos IerD«W«FKRLVLHWSURPXSDU)UDQFROXLP¬PHHQHW qu’elle aurait été imposée lors de la transition sans consultation des (VSDJQROV6ȇLOHVWFODLUFRPPHOHUDSSHOOH3DORPD$JXLODU)HUQ£QGH] GDQV VRQ ĕXYUH PDJLVWUDOH TXH OD UHVWDXUDWLRQ GH OD PRQDUFKLH D FRQVWLWX«XQ«O«PHQWFO«GXmFRPSURPLV}GHODWUDQVLWLRQSHUPHWWDQW de convaincre les élites de l’ancien régime franquiste et de la droite conservatrice d’accepter le nouveau système démocratique (ce qui VHPEOHUDLWFRQȴUPHUOȇDUJXPHQWGȇXQHmLPSRVLWLRQ}GHODPRQDUFKLH  il ne faut toutefois pas oublier que les Espagnols se sont prononcés par référendum et ont massivement approuvé la constitution de 197819. Il est vrai qu’un référendum qui aurait exclusivement porté sur la forme GHOȇ‹WDWSURSRVDQWOHFKRL[HQWUHU«SXEOLTXHHWPRQDUFKLHQȇDSDV«W« organisé. Une telle consultation aurait redonné corps au clivage issu de la guerre civile entre les républicains et les conservateurs que le pacte GHODWUDQVLWLRQFKHUFKDLWMXVWHPHQW¢HIIDFHU0DLVHQSO«ELVFLWDQWOD FRQVWLWXWLRQGHTXLSU«FLVHELHQGDQVVRQDUWLFOHTXHODIRUPH GHOȇ‹WDWHVWXQHPRQDUFKLHSDUOHPHQWDLUHOHV(VSDJQROVRQWU«LQVWDXU« ODPRQDUFKLHVXUGHQRXYHOOHVEDVHVG«PRFUDWLTXHVHWOXLRQWGRQQ«OD légitimité originelle qu’elle nécessitait.

šSur la question de la gestion de la « mémoire historique », l’ouvrage de Paloma Aguilar FGTPȄPFG\EQPUVKVWGUCPUCWEWPFQWVGWPGTȌHȌTGPEGRCTUQPFȌVCKNUQPȌTWFKVKQPGVUCRGTU pective comparée. Cf. Paloma AƭƺƯƲƧƷFƫƷƴʜƴƪƫƿPolíticas de la memoria y memorias de la polí- tica, Madrid, Alianza Editorial, 2008. Lors du référendum du 6 décembre 1978, sur 26,6 millions d’électeurs, 17,7 millions soit 67,1 % ont voté. Parmi les suffrages exprimés, 87,8 % des votants ont approuvé la nouvelle constitution démocratique.

83 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

Ce rappel des circonstances historiques qui ont présidé à la restau- ration de la monarchie lors de la transition permet de bien comprendre pourquoi la nostalgie de la Seconde République subsiste encore en (VSDJQH PDLV GHPHXUH XQ SK«QRPªQH VRFLDO DVVH] PLQRULWDLUH (OOH WRXFKH VXUWRXW XQH J«Q«UDWLRQ GH SHUVRQQHV SOXW¶W ¤J«HV LVVXHV GHV PLOLHX[FRPPXQLVWHVHWU«SXEOLFDLQVSRXUTXLODWUDQVLWLRQD«W«Y«FXH comme une évolution incomplète : elle n’a pas débouché sur une restau- UDWLRQGHODU«SXEOLTXHLG«DOLV«HFRPPHOHU«JLPHOHSOXVG«PRFUDWLTXH SRVVLEOH QL P¬PH SHUPLV GH SXQLU OHV FULPHV IUDQTXLVWHV &HUWHV OD loi sur la mémoire historique approuvée par le Congrès des députés le 31 octobre 2007 durant le premier mandat du socialiste José Luis 5RGULJXH]=DSDWHURDUHFRQQXV\PEROLTXHPHQWOHVVRXIIUDQFHVGHWRXWHV les victimes de la guerre civile et de la dictature franquiste. Mais cette ORL QH IDFLOLWH SDV OȇRXYHUWXUH GHV IRVVHV FRPPXQHV GDQV OHVTXHOOHV VH WURXYHQWOHVUHVWHVGHYLFWLPHVHWGHGLVSDUXVTXLHVWHIIHFWX«HSDUGHV associations locales privées le plus souvent. La loi n’a pas non plus impo- sé une remise en cause totale de la présence des symboles franquistes dans les espaces publics : de nombreuses rues des villes et des villages d’Espagne arborent encore les noms de militaires responsables du coup Gȇ‹WDW GH  HW GH GLJQLWDLUHV IUDQTXLVWHV 3RXU OHV GHVFHQGDQWV GHV SHUVRQQHVGLVSDUXHVODWUDQVLWLRQV\PEROLVHGRQFWRXMRXUVXQmSDFWHGH l’oubli » imposé au détriment des victimes et de la recherche de justice20. 4XHOTXHVH[HPSOHVWLU«VGHOȇDFWXDOLW«U«FHQWHSHUPHWWHQWGȇLOOXVWUHU WDQWODQRVWDOJLHOL«H¢ODUHYHQGLFDWLRQU«SXEOLFDLQHTXHVRQFDUDFWªUH PLQRULWDLUH‚0DGULGOHG«FHPEUHPLOOHSHUVRQQHVVHVRQWDLQVL réunies pour manifester et rendre hommage au dirigeant communiste -XOL£Q *ULPDX TXL PRXUXW HQ WRPEDQW GȇXQH IHQ¬WUH HQ FKHUFKDQW¢ échapper à la police franquiste21'HP¬PHGDQVOHFDGUHGHVSURWHVWD- WLRQVGHVLQGLJQ«VOHJURXSHGHVm,DLRȵDXWDV}DPRQWU«OȇLQFRUSRUDWLRQ de la revendication républicaine au sein de ce nouveau mouvement VRFLDOHQ GHPDQGDQW mY«ULW« MXVWLFH HW U«SDUDWLRQ} SRXU OHV YLFWLPHV GHODJXHUUHFLYLOHHWGXIUDQTXLVPHFHFROOHFWLIFRPSRV«GHSHUVRQQHV VRXYHQW¤J«HVGHSOXVGHVRL[DQWHGL[DQVDFKHUFK«¢PHWWUHHQ«YLGHQFH le caractère actuel de ses revendications. La dénonciation des crimes de ODJXHUUHFLYLOHHWGHOȇLPSXQLW«HVWXQ«O«PHQWFHQWUDOTXLDX[\HX[GH

šPour Sandrine Lefranc, spécialiste de la « justice transitionnelle », toute transition démocra tique se caractérise par ce dilemme moral lié à la conciliation d’objectifs distincts, d’une part, la réconciliation, la pacification et le pardon, et d’autre part, la nécessité de justice. VOIR Sandrine LƫƬƷƧƴƩ, Politiques du pardon, Paris, Presses universitaires de France, 2002. šJoaquín GƯƲ, « Hay que luchar por la III República », El País, 6 décembre 2011.

84 De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

FHVHFWHXUGHODVRFL«W«LOOXVWUHUDLWOHVOLPLWHVGXV\VWªPHSROLWLTXHDFWXHO LVVX GH OD WUDQVLWLRQ 3DU H[HPSOH HQ DYULO OD SODWHIRUPH Séville pour la RépubliqueHQSU«VHQFHGXFRRUGLQDWHXUGȇ,8SRXUOȇ$QGDORXVLH $QWRQLR 0D¯OOR D RUJDQLV« XQ KRPPDJH DX[ YLFWLPHV GX VRXOªYHPHQW militaire de juillet 1936 sur le lieu de la fosse commune du cimetière de San Fernando. 'DQV SOXVLHXUV YLOOHV HW YLOODJHV Gȇ(VSDJQH GHV GUDSHDX[ GH OD Seconde République sont hissés symboliquement par des maires répu- EOLFDLQV ORUV GH OD GDWH DQQLYHUVDLUH GH VD SURFODPDWLRQ OH DYULO GH FKDTXH DQQ«H (Q  ORUV GX e anniversaire de la Seconde 5«SXEOLTXH XQ GUDSHDX GH P GH ORQJ D «W« WLU« SDU OH 3&( VXU OD Puerta del Sol à Madrid22 (Q  FH IXW DXVVL OH FDV ¢ 3DORPDUHV GHO 5¯R GDQV OD SURYLQFH GH 6«YLOOH XQH SHWLWH YLOOH GLULJ«H SDU -XDQD Caballero à la tête d’une coalition entre IU et la Coalition andalouse. /HVDXWRULW«VGH9LOODYHUGHGHO5¯RXQHORFDOLW«JRXYHUQ«HSDUODP¬PH FRDOLWLRQ G«FLGªUHQW DXVVL GȇRUQHU OD PDLULH GX GUDSHDX U«SXEOLFDLQ SHQGDQWXQHVHPDLQH¢F¶W«GHVDXWUHVGUDSHDX[ GHOȇ8(GHOȇ(VSDJQH HWGHOȇ$QGDORXVLH DYDQWGȇ¬WUHFRQGDPQ«HV¢OHUHWLUHUSDUOHWULEXQDO administratif de Séville. /H DYULO  GHX[ PLOOH FLQT FHQWV SHUVRQQHV RQW ¢ QRXYHDX G«ȴO« ¢ 0DGULG GH OD 3OD]D GH &LEHOHV MXVTXȇ¢ OD 3XHUWD GHO 6RO HQ HPSUXQWDQWODUXH$OFDO£HQP«PRLUHGHODSURFODPDWLRQGHOD6HFRQGH République23. Même si l’aversion de ces personnes à l’égard de la monarchie se comprend assez aisément pour les raisons historiques et IDPLOLDOHVPHQWLRQQ«HVSU«F«GHPPHQWIRUFHHVWWRXWHIRLVGHFRQVWDWHU que l’idéalisation de la Seconde République n’est pas partagée par la PDMRULW« GHV (VSDJQROV SRXU TXL FH U«JLPH V\PEROLVH OH SDVV« HW VHV démons. La nostalgie de la Seconde République demeure minoritaire en ce qu’elle est associée symboliquement à un « retour en arrière ». Le propos d’un lecteur du quotidien El País de Majadahonda (Madrid) est parfaitement révélateur :

šJusqu’en 1931, les républicains espagnols célébraient l’anniversaire de la Première République le 11 février. Cette célébration a disparu par la suite, et fut remplacée par l’anniver saire de la proclamation de la Seconde République le 14 avril, qui fut d’ailleurs une « fête natio PCNGzFGȃ OȍOGUKFCPUNGUHCKVUUGWNGOGPVGPVGTTKVQKTGTȌRWDNKECKPȃRCTVKTFG 1936). Le 14 avril 1931, des milliers de personnes se sont réunies face à l’ancien ministère de l’intérieur, l’actuelle présidence du gouvernement de la communauté de Madrid, pour célébrer la fin du règne d’Alfonse XIII. Cf. « La bandera republicana regresa a la Puerta del Sol », El Mundo, 14 avril 2010. Sur l’utilisation symbolique par les municipalités du drapeau républicain ou des drapeaux catalan et basque, cf. Sebastian BƧƲƬƵƺƷ et Alejandro QƺƯƷƵƭƧEspaña reinventada. Nación e identidad desde la Transición, Barcelona, Ediciones Península, 2007. 23. « Miles de personas claman en Madrid por la III República », El País, 14 avril 2014.

85 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

-HUHVVHQVXQHJUDQGHV\PSDWKLHSRXUOHGUDSHDXWULFRORUHPDLVSOXW¶W TXHGHPRELOLVHUHQIDYHXUGHOD5«SXEOLTXHGXIXWXUMHSHQVHTXȇHOOH implique un frein pour beaucoup de gens. Ce drapeau symbolise une LG«HGHUHWRXUHQDUULªUHDYHFXQH«SRTXHTXHQRXVFKHUFKRQVWRXV¢ oublier. […] Si nous avons évacué de nos vies les symboles fascistes et DXWRULWDLUHVGXU«JLPHIUDQTXLVWHLOQȇ\DDXFXQVHQV¢UHYHQGLTXHUOH futur en enlevant la poussière sur des photos en noir et blanc. La Répu- EOLTXHFRPPHV\VWªPHSROLWLTXHPRGHUQHIRQG«VXUOȇ«JDOLW«GHYDQWOD ORLOHOLEUHFKRL[GHVUHSU«VHQWDQWVSXEOLFVODV«SDUDWLRQHWOHFRQWU¶OH GHVSRXYRLUVGHOȇ‹WDWHWODSUDWLTXHGXUHVSHFWHWGHODWRO«UDQFHHVWLQ«- YLWDEOHPHQWQRWUHIXWXU0DLVQRXVDYRQVEHVRLQGHQRXYHDX[V\PEROHV GHWRXWHVOHVFRXOHXUVHQKDXWHG«ȴQLWLRQHWVDQVFRQQRWDWLRQVQ«JDWLYHV pour personne. Le drapeau tricolore ne fut pas celui de la première 5«SXEOLTXHGHHWLOQȇ\DSDVGHUDLVRQSRXUTXȇLOVRLWFHOXLGHOD République espagnole du futur24.

LE MOUVEMENT RÉPUBLICAIN À LA CONFLUENCE DES MOUVEMENTS SOCIAUX

La « Troisième République », un concept rassembleur

La revendication d’une « Troisième République » est un concept rassembleur pour l’ensemble des mouvements sociaux très divers qui se situent dans l’opposition au gouvernement conservateur de Mariano 5DMR\/HVG«ULYHVGXELSDUWLVPHȴJ«LVVXGHODWUDQVLWLRQODFRUUXSWLRQ GHP¬PHTXHOHVSROLWLTXHVPHQ«HVFHVGHUQLªUHVDQQ«HVJXLG«HVSDU OȇDXVW«ULW«OHVFRXSHVEXGJ«WDLUHVHWODUHPLVHHQFDXVHGHQRPEUHX[ GURLWVVRFLDX[VRQWWUªVODUJHPHQWFULWLTX«HV&HVPXOWLSOHVJULHIVSHU- PHWWHQW GH PLHX[ LG«DOLVHU OHV DOOLDQFHV SROLWLTXHV OD UHFRQQDLVVDQFH GHVVS«FLȴFLW«VLGHQWLWDLUHVGHFHUWDLQHVU«JLRQVHVSDJQROHVHWOHVDYDQ- F«HVVRFLDOHVGHOD6HFRQGH5«SXEOLTXH'ȇXQHFHUWDLQHPDQLªUHLOHVW YUDL TXH OȇDOWHUQDQFH ȴJ«H HQWUH OH 33 HW OH 362( GRQQH OȇLPDJH GȇXQ V\VWªPH¢ERXWGHVRXɛHFHTXLVXVFLWHODFRPSDUDLVRQDYHFOHm turnis- mo}GXV\VWªPHSROLWLTXHFRQVHUYDWHXUGHOD5HVWDXUDWLRQ   lorsque le parti libéral de Práxedes Mateo Sagasta et le parti conserva- WHXU Gȇ$QWRQLR &£QRYDV GHO &DVWLOOR GHX[ RUJDQLVDWLRQV ROLJDUFKLTXHV IDYRUDEOHV¢ODPRQDUFKLHDOWHUQDLHQWDXSRXYRLUVDQVY«ULWDEOHPHQWVH

šCarlos OƲƯƻƧ, « La bandera de la República », Majadahonda, Cartas al lector, El País, 18 mai 2013.

86 De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

différencier25. Les critiques mettent en avant les nombreuses affaires de corruption qui ont éclaboussé les deux partis dominants ces dernières DQQ«HVHWOHXUPDQTXHGHYRORQW«FRPPXQHGHOXWWHUFRQWUHmOȇDIIDL- ULVPH} GH OHXUV «OLWHV SROLWLTXHV ORFDOHV HW QDWLRQDOHV GHV G«ULYHV qui constitueraient autant de réminiscences du clientélisme et des « caciques » des deux partis dynastiques de la Restauration26. Mais la Seconde République est aussi largement idéalisée : on oublie YLWH OȇLQVWDELOLW« OHV VDERWDJHV OHV DWWHQWDWV GHV JURXSHV DQDUFKRV\Q- GLFDOLVWHV HW OHV DIIURQWHPHQWV SROLWLTXHV VDQV FRQFHVVLRQ ¢ OȇRULJLQH du climat néfaste de luttes idéologiques exacerbées qui a mené à la JXHUUHFLYLOH,OHVWGȇDLOOHXUVWRXW¢IDLWVLJQLȴFDWLIGHQRWHUTXHSOXVTXH mFRQWUHODPRQDUFKLH}OHVSHUVRQQHVTXLVHVRQWPRELOLV«HVDXFRXUV des dernières années en faveur d’une IIIe5«SXEOLTXH RQW DYDQW WRXW PDQLIHVW« mFRQWUH OHV «OLWHV} HQ J«Q«UDO HW SULQFLSDOHPHQW FRQWUH OH ELODQSDVV«GX362(HWODJHVWLRQDFWXHOOHGX33/HSURSRVGH0DU¯DXQH MHXQH«WXGLDQWHFDWDODQHGHYLQJWGHX[DQVUDSSRUW«SDUOHTXRWLGLHQ El MundoORUVGHVPDQLIHVWDWLRQVGHMXLQHVWLFLDVVH]U«Y«ODWHXU

-HSHQVHTXHOHV\VWªPHSROLWLTXHGHQHPDUFKHSOXV&KDTXHMRXU nous voyons ses limites avec la multiplication des affaires de corruption qui touchent les élites. Mais les deux grands partis s’entendent pour ne ULHQ FKDQJHU SRXU PDLQWHQLU GHV ORLV TXL IDYRULVHQW OȇLPSXQLW« HW QH permettent pas la transparence. C’est pour cela que je suis en faveur du U«I«UHQGXP0¬PHVLMHVXLVFRQWUHODPRQDUFKLHMHVXLVSOXVFRQWUHQRV GLULJHDQWV-HFRPSUHQGVTXHFHODVHPEOHEL]DUUHPDLVFȇHVWDLQVL27.

2QYRLWELHQFRPPHQWP¬PHVLFHUWDLQVVHPRELOLVªUHQWWUªVFODL- UHPHQWFRQWUHOȇLQVWLWXWLRQPRQDUFKLTXHHOOHP¬PHGȇDXWUHVPDQLIHV- tèrent leur mécontentement plus général à l’égard du système politique GDQVVRQHQVHPEOHHW¢OȇHQFRQWUHGHVSDUWLVGRPLQDQWVHQSDUWLFXOLHU Le mouvement républicain doit donc être analysé comme un catalyseur des revendications plurielles des mouvements sociaux. (Q HIIHW LO SHUPHW GH U«XQLU DXWRXU GȇXQ FRQFHSW HW GȇXQ KRUL]RQ SROLWLTXHFRPPXQGHVSHUVRQQHVTXLVHVRQWPRELOLV«HVDXWRXUGȇHQMHX[

šLa principale différence était surtout liée au fait que le parti libéral soutenait un plus impor tant développement des libertés constitutionnelles établies, dans le but de rapprocher la consti tution conservatrice de 1876 de celle, plus démocratique, de 1869. Cf. Ignacio FƫƷƴʜƴƪƫƿ SƧƷƧƸƵƲƧ, Los partidos políticos en el pensamiento español. De la ilustración a nuestros días, Madrid, Marcial Pons, Ediciones de Historia, 2009, p. 179. šSur le système politique de la Restauration, cf. Jordi CƧƴƧƲ FKT  Histoire de l’Espagne contemporaine. De 1808 à nos jours, Paris, Armand CQNKPR šEl Mundo, 3 juin 2014, p. 3.

87 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

sociaux pourtant distincts depuis la crise de 2008 : « marée verte » contre les coupes budgétaires dans l’éducation ; « marée blanche » contre les privatisations et la remise en cause de l’assistance univer- selle dans le secteur de la santé ; syndicats contre la réforme du travail ; collectifs féministes voyant dans la République un régime plus à même GH IDYRULVHU Oȇ«JDOLW« KRPPHVIHPPHV MHXQHV FK¶PHXUV HW SU«FDLUHV SRXUTXLOHV\VWªPHSROLWLTXHGHQȇDSDVWHQXVHVSURPHVVHVHWF Le concept de « Troisième République » permet de rassembler des per- sonnes issues de mouvements sociaux distincts et aux revendications plurielles derrière une même matrice revendicative. Les mobilisations de juin 2014 illustrèrent d’une certaine manière l’essor de la « démocra- WLH GȇLPSXWDWLRQ} «YRTX«H SDU 3LHUUH 5RVDQYDOORQ FDUDFW«ULV«H VHORQ lui par la tendance avérée dans les sociétés contemporaines à se mobi- OLVHUmFRQWUH}WHORXWHOSURMHWGHID©RQU«DFWLYHPDOJU«ODGLɚFXOW«¢ mobiliser « en faveur » d’un projet de réforme ou d’une institution28. Le SURSRVGH/HDQGUR3XOOLGRXQG«O«JX«GXV\QGLFDWComisiones Obreras LOOXVWUHELHQFHWWHFRQȵXHQFHGHVPRXYHPHQWVVRFLDX[

Nous sommes ici dans cette manifestation républicaine car nous allons nous rendre à l’ensemble des manifestations convoquées par des mouve- PHQWVGHJDXFKH3DUFHTXHQRXVVRPPHVFRQWUHOHVH[SXOVLRQVFRQWUH OHVFRXSHVEXGJ«WDLUHVHWELHQV½UFRQWUHODU«IRUPHGXWUDYDLO5HYHQ- GLTXHUOD5«SXEOLTXHFȇHVWUHYHQGLTXHUXQDXWUHPRGªOHVRFLDOHWSROL- tique29.

/RUVGHFHVPRELOLVDWLRQVOHVGHVFHQGDQWVGHVYLFWLPHVU«SXEOLFDLQHV GHODJXHUUHFLYLOHOHVPLOLWDQWVGX3DUWLFRPPXQLVWHGȇ(VSDJQHHWGȇIz- quierda UnidaGHP¬PHTXHGHQRPEUHX[MHXQHVLVVXVQRWDPPHQWGX PRXYHPHQWGHVLQGLJQ«VRQWFRQVWLWX«OHVSULQFLSDX[FROOHFWLIVPRELOL- sés. Le collectif Junta Estatal Republicana a joué un rôle central dans la FRQYRFDWLRQGHFHVPDQLIHVWDWLRQVUHFXHLOODQWGHP¬PHXQHS«WLWLRQGH 100 000 signatures en faveur d’un référendum30. Lors de chaque mani- IHVWDWLRQU«SXEOLFDLQH¢0DGULGGHVPDQLIHVWDWLRQVFRQFRPLWDQWHVRQW HXOLHXGDQVOHVJUDQGHVYLOOHVGHVSURYLQFHVHVSDJQROHVQRWDPPHQWHQ $QGDORXVLHR»Izquierda UnidaOHSDUWLOHSOXVQHWWHPHQWU«SXEOLFDLQ

šPierre RƵƸƧƴƻƧƲƲƵƴ, La contre-démocratie. La politique à l’âge de la défiance, Paris, Le Seuil, 2014. 29. « Manifestaciones multitudinarias por la República », La Vanguardia, 5 juin 2014. šPour Francisco Pérez EUVGDCPNGRQTVGRCTQNGFGla Junta Estatal Republicana, qui est d’ail leurs aussi le responsable fédéral des droits de l’homme d’IU, il faudrait « ouvrir un processus constituant pour définir le droit à décider entre la monarchie ou la République », cf. « La junta Republicana manifiesta por la República », El Mundo, 14 avril 2014.

88 De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

DOHSOXVGȇLQȵXHQFH3RXUOHVMHXQHVHWOHV«WXGLDQWVTXLVRQWQ«VDSUªV ODWUDQVLWLRQODȴJXUHGXURL-XDQ&DUORVQȇHVWSDVDVVRFL«H¢VRQU¶OHGH médiateur lors de la transition ou à sa défense des institutions démocra- WLTXHVORUVGHODWHQWDWLYHGHFRXSGȇ‹WDWGXI«YULHU,OV\PEROLVH ¢OȇLQYHUVHXQU«JLPHYLHLOOLVVDQWPRQDUFKLTXHHWGRQFK«U«GLWDLUHTXL renvoie indirectement à l’endogamie et aux tendances oligarchiques TXLSU«YDOHQWGDQVODFODVVHSROLWLTXH/HSURSRVGH1LQR7RUUHOHGLUL- geant des Jeunesses socialistesGX362(PRQWUHELHQFHOD

Les Jeunesses socialistes sont républicaines pour des raisons idéolo- JLTXHV GH P«PRLUH HW GH SULQFLSHV «WKLTXHV /DG«IHQVH GH OD 5«SX- blique fait partie de son identité politique. Le régime monarchique est le résultat hérité d’une génération qui considère cette institution comme XQ«O«PHQWXQLȴFDWHXUHWGHVWDELOLW«PDLVFHQȇHVWSOXVYUDLPHQWOHFDV pour les jeunes d’aujourd’hui31.

3HQGDQW ORQJWHPSV OD SRVLWLRQ SOXV QHXWUH HW VXUSORPEDQWH GH OD PRQDUFKLH OXL D SHUPLV Gȇ«YLWHU OHV FULWLTXHV OH URL SHUVRQQDJH UHVSHFW«GDQVOHPRQGHSRXUVRQU¶OHKLVWRULTXHORUVGHODWUDQVLWLRQ représentait le prestige de l’Espagne et permettait d’appuyer la diplo- PDWLHGXSD\VVXUXQHȴJXUHGȇDXWRULW«,OMRXDLWDXVVLXQU¶OHGHUDV- VHPEOHXU GX PRQGH KLVSDQRSKRQH HW GH SURPRWLRQ GHV HQWUHSULVHV et des intérêts de l’Espagne à l’étranger. Mais les dernières années RQWWHUQLVRQLPDJHQRWDPPHQWVXLWHDXVFDQGDOHm8UGDQJDULQ}HW à son safari controversé à 30 000 euros au Botswana en pleine crise économique32. Izquierda Unida avec ses branches régionales est le seul parti qui PLOLWHWUªVFODLUHPHQWSRXUOȇLQVWDXUDWLRQGȇXQH7URLVLªPH5«SXEOLTXH HW SDU G«IDXW SRXU OȇRUJDQLVDWLRQ GȇXQ U«I«UHQGXP VXU OD IRUPH GH Oȇ‹WDW /H QRXYHDX GLULJHDQW Gȇ,8 $OEHUWR *DU]µQ SURSRVH DLQVL XQ mU«I«UHQGXPFRQVXOWDWLI}VDQVIRUF«PHQWTXȇLOVRLWGLUHFWHPHQWVXLYL GȇHIIHWVMXULGLTXHVDȴQGHSRXYRLUFRQVXOWHUOHVFLWR\HQVVXUODIRUPH GH Oȇ‹WDW HVSDJQRO SRXU OXL mP¬PH VL OHV FLWR\HQV FKRLVLVVDLHQW OD PRQDUFKLHFHVHUDLWXQHJUDQGHDYDQF«HGHOHVFRQVXOWHU}33. Dans son récent ouvrage La Troisième RépubliqueLOSODLGHSRXUmXQFKDQJHPHQW GHV UªJOHV GX MHX DȴQ GH VH GRWHU GH P«FDQLVPHV SRXU FRPEDWWUH OD

31. « Las JSE llevamos la apuesta por la República », Público, 29 avril 2012. 32. « Malaise en Espagne après l’accident de chasse du roi au BQVUYCPCzLe Monde, 16 avril 2012. šCarmen MƵƷʜƴ, « Entrevista con Alberto GCT\ȕPšAunque se eligiera Monarquía ya sería un gran avance el hecho de consultarlo », El País, 4 juin 2014.

89 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

corruption et faciliter la transparence en politique34 ». La république constituerait selon lui le « symbole de cette nouvelle politique35 ». Il évoque le fait que « la modernisation des institutions est beaucoup plus OHQWHHWLQVXɚVDQWHSDUUDSSRUWDX[GHPDQGHVGHVFLWR\HQVHQUDLVRQ des résistances et des intérêts des deux partis dominants à maintenir OHV\VWªPHHQSODFHQRWDPPHQWHQFHTXLFRQFHUQHOHȵRXDXWRXUGX ȴQDQFHPHQWGHVSDUWLVHWOHVHQWUDYHV¢OȇLQG«SHQGDQFHGHODMXVWLFH36 ». Il note de même l’émergence d’une « jeunesse républicaine » beaucoup SOXV FULWLTXH ¢ Oȇ«JDUG GH OD PRQDUFKLH TXH OD J«Q«UDWLRQ DQW«ULHXUH HVWLPDQW DLQVL TXH mOHV EDVHV GX 362( VRQW U«SXEOLFDLQHV PDLV TXH l’appareil du parti parle pour elles dans un sens contraire37 ». 0¬PHVLFHUWDLQVGHVFRQVWDWVGȇ$OEHUWR*DU]µQSHXYHQW¬WUHMXVWHV IRUFH HVW GH FRQVWDWHU TXH OȇLQȵXHQFH GH ,8 HVW G«FOLQDQWH &HUWHV OH SDUWLE«Q«ȴFL«GȇXQUHJDLQGHV\PSDWKLHHQWUHHWDXSOXVIRUW GHODFULVHDYHFQRWDPPHQWXQHKDXVVHGHVLQWHQWLRQVGHYRWHVHQVD IDYHXUGDQVOHVVRQGDJHVPDLVOȇDVFHQVLRQGHPodemos et des partis de la « nouvelle politique » semble jouer très en défaveur d’une formation qui demeure associée à la « vieille politique »38. Lors des manifestations U«SXEOLFDLQHVGHVGHUQLªUHVDQQ«HVELHQSHXIXUHQWFHX[TXLSRXYDLHQW QRPPHU OȇDFWXHO VHFU«WDLUH J«Q«UDO GX 3&( -RV« /XLV &HQWHOOD /RUV GȇXQHPDQLIHVWDWLRQ¢%DUFHORQHXQMHXQHPDQLIHVWDQWGHPDQGHGȇDLO- leurs à un journaliste de La Vanguardia : « Il existe encore le parti des FRPPXQLVWHV"} FH TXL PRQWUH ELHQ TXH SRXU OHV MHXQHV OD FRDOLWLRQ est associée à une époque révolue39. Même si le concept de « Troisième République » rassemble une part importante des mouvements sociaux TXL VȇRSSRVHQW DX[ SROLWLTXHV GȇDXVW«ULW« DX JRXYHUQHPHQW GX 33 HW TXLG«QRQFHQWODFRUUXSWLRQSDUPLOHVSDUWLVSROLWLTXHVVHXOV,8HWOHV partis régionalistes ou indépendantistes (EH Bildu(5&HW%1* SODLGHQW SRXUXQFKDQJHPHQWGHU«JLPH0DLVFRPPHQRXVOHYHUURQVFHVGHU- niers défendent plus une évolution du statut de leur communauté auto- QRPH UHVSHFWLYH TXȇLOV QH VȇLGHQWLȴHQW ¢ XQ FKDQJHPHQW GH OD IRUPH GH Oȇ‹WDW FHQWUDO (QȴQ OH 362( GHPHXUH IDYRUDEOH ¢ OD PRQDUFKLH et voit en Philippe VI le respect de la constitution et de la normalité

šAlberto GƧƷƿʭƴEƸǞƯƴƵƸƧ, La Tercera República, Madrid, Madrid Ediciones Atalaya, 2014, p. 12. šIbid., p. 15. šIbid., p. 17. šIbid., p. 34. šLe parti citoyens d’Albert Rivera, symbole de la « nouvelle politique » avec Podemos dirigé par Pablo Iglesias, est en faveur du maintien de la monarchie, mais demande plus de transparence. 39. « Manifestaciones republicanas en Catalunya », La Vanguardia, 3 juin 2014.

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institutionnelle40. Sa base militante est toutefois plus partagée et les jeunesses du parti sont ouvertement républicaines41. Les manifestations républicaines lors de l’abdication de Juan Carlos

Les manifestations républicaines les plus importantes des dernières années eurent lieu lors de l’abdication de Juan Carlos Ier. Ces mobilisa- WLRQVFLWR\HQQHVIXUHQWHVVHQWLHOOHPHQWVSRQWDQ«HVHIIHFWX«HVODSOXSDUW GXWHPSVVDQVFRQYRFDWLRQSU«DODEOHQLGHPDQGHGȇDXWRULVDWLRQVXLWH¢ la propagation de la nouvelle sur les réseaux sociaux42/HMXLQ SHUVRQQHVVHU«XQLUHQWDLQVL¢9DOHQFHHWHQYLURQSHUVRQQHV UHVSHFWLYHPHQW¢&DVWHOOµQGHODSODQDHW¢$OLFDQWHUHSUHQDQWOHVORJDQ m3RXUOD5«SXEOLTXHOHVSURFHVVXVFRQVWLWXDQWVOHGURLW¢G«FLGHUHWOH référendum43 ». La revendication républicaine était ainsi mêlée à celle GXmGURLW¢G«FLGHU}FRQFHUQDQWWDQWODIRUPHGHOȇ‹WDWTXHOȇLQG«SHQ- GDQFH RX QRQ GHV m3D\V FDWDODQV} DX VHLQ GHVTXHOV OHV LQG«SHQGDQ- tistes incluent la communauté valencienne et son important groupe de locuteurs du catalan. Les mouvements de jeunesse Democracia Real Ya et Juventud Sin FuturoUHOD\ªUHQWDFWLYHPHQWOȇDSSHO¢PDQLIHVWHU4XDUDQWH RUJDQLVDWLRQVGHODFRPPXQDXW«YDOHQFLHQQHGHVV\QGLFDWVGHVSDUWLVHW des mouvements sociaux participèrent à ces manifestations44. 3DUPL FHV HQWLW«V ȴJXUDLHQW Compromís Esquerra Unida del País Valencia (839 PodemosOH3&(OHVV\QGLFDWV&&22HWIntersindical ValencianaGHP¬PHTXHGȇDXWUHVRUJDQLVDWLRQVFRPPHAcció Cultural OHV DVVHPEO«HV GX 0 OD 3$+ RX OH FROOHFWLI GH OD 0DUFKH SRXU OD dignité45. IU convoqua de même une grande manifestation à Madrid le samedi 7 juin 201446'DQVOȇHQVHPEOHOHVPDQLIHVWDWLRQVIXUHQWLPSRU- tantes lors de l’abdication de Juan Carlos IerSXLVG«FOLQªUHQWORUVGHOD

šL’ex dirigeant du PSOE, Alfredo Pérez Rubalcaba déclara ainsi que « la succession de Juan Carlos Ier et sa succession par Philippe VI ouvre un temps nouveau pour l’Espagne. La monarchie incarne le compromis pour la coexistence et le consensus que représente notre loi fondamentale ». Cf. El Mundo, 15 juin 2014. šLors des primaires du parti du 13 juillet 2014, José Antonio Pérez Tapias, représentant du courant « Gauche socialiste » demanda par exemple un référendum, le PSOE devant faire prévaloir sa « tradition républicaine » selon lui. šÀngels PƯʫƵƲ et Jesús SƫƷƻƺƲƵGƵƴƿʜƲƫƿ, « Miles de personas reclaman un referéndum sobre la Monarquía », El País, 2 juin 2014. šLe slogan exact en valencien était « Per la República, els processos constituents, el dret a decidir i per un referèndum ». 44. « Miles de personas piden en la calle un referéndum por la república », El Mundo, 7 juin 2014. šCristina Vʜƿƶƺƫƿ, « 40 entidades se unen para reivindicar la república », El País, 6 juin 2014. 46. « IU comunica al Gobierno una manifestación para pedir un referéndum », El País, 4 juin 2014.

91 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

SURFODPDWLRQGXQRXYHDXURL3KLOLSSH9,OHMXLQSUHXYHGXFDUDFWªUH U«DFWLIHWFRQMRQFWXUHOGHFHVPRELOLVDWLRQV$LQVLOHMXLQVHXOV sympathisants républicains se mobilisèrent dans la rue à Valence. À $OLFDQWH WURLV PDQLIHVWDWLRQV VXFFHVVLYHV U«XQLUHQW UHVSHFWLYHPHQW  SXLV SHUVRQQHV HQYLURQ /RUV GH OD SURFODPDWLRQ GX QRXYHDXURLLOQȇ\HXWSDVGHFRQWHVWDWLRQPDVVLYHPDLVSDVYUDLPHQW d’engouement non plus dans la plupart des villes espagnoles47. Comme OHQRWªUHQWGHQRPEUHX[MRXUQDOLVWHVHWREVHUYDWHXUVKRUPLVVXUOHWUD- MHWGXFRQYRLUR\DOSHXGHGUDSHDX[GHOȇ(VSDJQHȵRWWªUHQWDX[EDOFRQV le jour de l’intronisation de Philippe VI : le sentiment le plus partagé fut une certaine forme de résignation. L’étude des slogans les plus récurrents lors des manifestations per- met d’illustrer le discours politique et les principales revendications des groupes mobilisés. Lors des actions collectives dans les villes moyennes GH OD FRPPXQDXW« YDOHQFLHQQH ¢ *DQGLD '«QLD $OFRL HW (OFKH GHV lycéens et étudiants scandèrent des slogans en faveur d’un « référen- GXP UR\DO PDLQWHQDQW} DSSHODQW m/HV %RXUERQV DX[ «OHFWLRQV} RX LQYRTXDQW m/D SURFKDLQH H[SXOVLRQ ¢ OD =DU]XHOD} FRPPH OH ȴUHQW les jeunes d’Alicante48. Plutôt que de mettre en avant la légitimité « his- WRULTXH} GH OD PRQDUFKLH LOV FULWLTXDLHQW VRQ DEVHQFH GH mO«JLWLPLW« «OHFWRUDOH},OHVWFODLUTXHGDQVODWUDGLWLRQPRQDUFKLTXHHQ*UDQGH %UHWDJQHHQ%HOJLTXHRXDLOOHXUVHQ(XURSHOȇLQVWLWXWLRQUR\DOHQHVH VRXPHWSDVDXYRWHGHVFLWR\HQVORUVGȇ«OHFWLRQVU«JXOLªUHVSXLVTXȇHOOH se fonde justement sur le type de « légitimité traditionnelle » évoquée SDU0D[:HEHUWUDQVPLVHGHID©RQK«U«GLWDLUHHWIRQG«HVXUOHVFRX- tumes et la tradition49. Mais la « tradition » monarchique demeure FRQWHVW«H HQ (VSDJQH WDQW VRQ KLVWRLUH PRGHUQH HW FRQWHPSRUDLQH D été liée à des épisodes répétés de dérives autoritaires et de gestion sul- fureuse du pouvoir. Les autres slogans principaux des manifestants faisaient référence ¢GHVTXHVWLRQVGȇRUGUH«FRQRPLTXHm1RQDX[FRXSHVEXGJ«WDLUHV} m/HJHQGUHGX%RXUERQHQSULVRQSRXUYRO}m1RXVQHVRPPHVSDV GHV SD\VDQV QRXV VRPPHV GHV U«SXEOLFDLQV} m3RXU OH G«ȴFLW XQH réforme de la constitution est possible. Pour la monarchie aussi ». D’autres slogans appelaient à une « seconde transition » à travers XQHU«IRUPHGHVLQVWLWXWLRQVHWGHVSUDWLTXHVSROLWLTXHVDȴQGHOXWWHU

47. « Un día como cualquiera », El País, 19 juin 2014. 48. « Los republicanos exigen que los Borbones se sometan a una consulta », El País, 8 juin 2014. šMax WƫƨƫƷ, Économie et société, Paris, Flammarion, [1922] 2003, p. 219.

92 De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

Photo 3.2. Manifestation républicaine lors de l’abdication de Juan Carlos Ier, 3XHUWDGHO6RO0DGULGMXLQ

FRQWUHODFRUUXSWLRQHWGȇLQWURGXLUHOHUHVSHFWGHFHUWDLQVGURLWVVRFLDX[ FRPPHFHOXLDXORJHPHQWGDQVXQHQRXYHOOHORLIRQGDPHQWDOH(QFH VHQV RQ FRPSUHQG ELHQ TXH OHV PDQLIHVWDWLRQV U«SXEOLFDLQHV ORUV GH l’abdication de Juan Carlos doivent être analysées à partir du contexte VRFLDO GH Oȇ(VSDJQH GȇDXMRXUGȇKXL PDUTX«H SDU XQ VHQWLPHQW DVVH] répandu d’injustice. Une perception fondée sur un manque d’équité dans l’imposition de politiques d’austérité aux classes populaires tou- FK«HVGHSOHLQIRXHWSDUODFULVHVXUOHVLQ«JDOLW«VGHWUDLWHPHQWIDFH¢OD MXVWLFHHWOȇLPSXQLW«GHVmSXLVVDQWV}RXHQFRUHVXUODSULRULW«GRQQ«H au paiement de la dette publique au détriment d’autres objectifs poli- tiques et sociaux. /RUVGHODVXFFHVVLRQOHMXLQXQHF«U«PRQLHPDUTX«HSDU ODVREUL«W«VDQVLQYLWDWLRQGHFKHIVGȇ‹WDW«WUDQJHUVHWVDQVODSU«VHQFH de Juan Carlos Ier OȇLQWHUGLFWLRQ GHV GUDSHDX[ U«SXEOLFDLQV GXUDQW OH G«ȴO« VXVFLWD OD SRO«PLTXH50 /D SROLFH MXVWLȴD FHWWH PHVXUH HQ LQYR- quant la loi Corcuera de 1992 et une décision du tribunal supérieur de

šJesús DƺƻƧ, « LCRQNKEȐCKORGFKTȄGZJKDKTDCPFGTCUTGRWDNKECPCUFWTCPVGGNFGUHKNGzEl País, 18 juin 2014.

93 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

justice (TSJ) de Madrid motivée par le « risque d’affrontements »51. Le « risque réel » et « certain » d’échauffourées selon le TSJ prévalut sur la liberté d’expression pour interdire la manifestation « Revendiquer la République face à la proclamation du nouveau roi ». La police interdit OHV GUDSHDX[ U«SXEOLFDLQV VXU OH SDUFRXUV GH 3KLOLSSH9, P¬PH DX[ EDOFRQV DX PRWLI TXȇLOV SRXYDLHQW FRQVWLWXHU mGHV SURYRFDWLRQV SRXU OHV SHUVRQQHV TXL VXLYHQW OH G«ȴO«}52. Les drapeaux des récalcitrants IXUHQW FRQȴVTX«V 0DLV OH 76- UHFRQQXW TXȇLO Qȇ«WDLW SDV SRVVLEOH GH PHWWUH OHV SHUVRQQHV HQ G«WHQWLRQ VDXI GDQV OH FDV GH G«VRE«LVVDQFH aux agents et d’altercations. La coordination républicaine de Madrid VXVSHQGLWGRQFODPDQLIHVWDWLRQSU«YXHDSSHODQWWRXWHIRLVOHVFLWR\HQV ¢ mH[KLEHU SDFLȴTXHPHQW} OH GUDSHDX U«SXEOLFDLQ HQ V\PEROH GH « liberté inconditionnelle ». La loi espagnole n’interdit pourtant pas l’usage d’un drapeau (quel qu’il soit) dans l’espace public. Il ne peut pas y avoir de sanctions. Le TSJ de Madrid annula d’ailleurs récemment un DUU¬W«GXPDLUHGH7RUUHORGRQHVTXLFKHUFKDLW¢HPS¬FKHU,8GȇDUERUHU XQ GUDSHDX U«SXEOLFDLQ GXUDQW OHV I¬WHV GH OD YLOOH (GXDUGR 0DGLQD DORUV FDQGLGDW DX SRVWH GH VHFU«WDLUH J«Q«UDO GX 362( G«FODUD mQH SDVYRLUGHUDLVRQGȇLQWHUGLUHOHVGUDSHDX[U«SXEOLFDLQV}3RXUDXWDQW FHUWDLQVSROLFLHUVGLVWULEXDLHQWGHVGUDSHDX[HVSDJQROVORUVGXG«ȴO« VRUWDQW«YLGHPPHQWGHOHXUU¶OHVHORQXQHSUDWLTXHG«SRXUYXHGHQHX- tralité. Même s’il est clair qu’il s’agissait avant tout de donner au reste du monde une bonne image d’unité et d’une succession monarchique U«XVVLHLODSSDUXWDXVVLWRXWHIRLVGHID©RQ«YLGHQWHTXHOȇDUJXPHQWGH la sécurité fut utilisé politiquement par les juges madrilènes et par le JRXYHUQHPHQWFRQVHUYDWHXUDȴQGȇ«YLWHUXQH«YHQWXHOOHSROLWLVDWLRQGH la cérémonie de la succession.

šIl est de notoriété publique que la « neutralité » du Tribunal supérieur de justice de la com munauté autonome de Madrid peut parfois être mise en question, notamment sur les ques tions hautement politiques, telle que la succession par exemple. En effet, il faut tenir compte du fait qu’un tiers des sièges de la chambre civile et pénale sont réservés à des juristes reconnus, souvent anciens membres ou proches de partis politiques, nommés par le Conseil général du RQWXQKT LWFKEKCKTG CGPJ) sur proposition de l’assemblée législative de la communauté auto nome de MCFTKFFQOKPȌGUCPURCTVCIGHCWVKNNGTCRRGNGTRCTNGRCTVKRQRWNCKTGFGRWKU šLes directives policières consistèrent à inciter les agents à prendre note des appartements ornant des drapeaux républicains sur le passage du cortège, et de chercher ensuite à savoir, par un contrôle au domicile des personnes concernées, si l’intention était de provoquer. On imagine le type de conversations surréalistes entre policiers et occupants pour savoir si ces derniers cherchaient à « provoquer » ou à simplement « exercer leur liberté d’expression ». Pour éviter les drapeaux républicains aux balcons, les policiers effectuèrent des visites dans les jours qui précédèrent le défilé.

94 De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

RÉPUBLICANISME ET INDÉPENDANTISME

Le renouveau de la revendication républicaine est aussi allé de pair avec l’essor des mouvements indépendantistes et régionalistes HQ&DWDORJQHDX3D\VEDVTXHHWHQ*DOLFH(QHIIHWFHVFRPPXQDXW«V DXWRQRPHVRQWFRQQXSOXVLHXUVPDQLIHVWDWLRQVR»VHVRQWP¬O«VU«SX- EOLFDLQVHWLQG«SHQGDQWLVWHVLOOXVWUDQWXQHFHUWDLQHFRQYHUJHQFHHQWUH les revendications de ces courants politiques pourtant très distincts. La demande d’un référendum dans le contexte de la consultation catalane

(Q&DWDORJQHFLQTPLOOHSHUVRQQHVVRQWPRELOLV«HVVXUODSODFH6DQW Jaume à Barcelone en réponse à l’abdication du roi Juan Carlos53. Dans OHFDVFDWDODQOHVSDUWLVSROLWLTXHV(5&OD&DQGLGDWXUHGȇXQLW«SRSXODLUH (CUP) et la petite formation Solidarité catalane utilisèrent la manifesta- WLRQU«SXEOLFDLQHDȴQGHUHPRELOLVHUOHXUVV\PSDWKLVDQWVHQIDYHXUGH l’indépendance. Le député régional et porte-parole adjoint d’ERC Oriol $PRU´V HW OHV UHSU«VHQWDQWV GX SDUWL DX &RQJUªV GHV G«SXW«V $OIUHG %RVFKHW-RDQ7DUG¢ȴUHQWDFWHGHSU«VHQFH$XFRQWUDLUHConvergència i Unió (CiU) ne se prononça pas sur l’abdication et ne se mobilisa pas QRQ SOXV GDQV OD UXH DWWLWXGH PRQWUDQW ELHQ OH FRQVHUYDWLVPH GH OD formation et son acceptation implicite de la monarchie. Une illustration par ailleurs de l’absence de consensus des indépendantistes catalans VXUFHWWHTXHVWLRQFHUWDLQVSU«I«UDQWOHVLOHQFHHWOȇ«YLWHPHQWGȇDXWUHV la mobilisation et l’opposition. Comme ailleurs dans le reste de l’Es- SDJQHOHVPRELOLVDWLRQVIXUHQWSOXVQRPEUHXVHVHQU«DFWLRQVSRQWDQ«H à l’abdication de Juan Carlos Ier que lors de l’intronisation du nouveau URL3KLOLSSH9,OHMXLQVHXOHVVL[FHQWVSHUVRQQHVVHU«XQLUHQWDLQVL UHVSHFWLYHPHQW¢*«URQHHW/OHLGDHWFLQTFHQWVSHUVRQQHV¢7DUUDJRQH sur la Plaza de la Font. /ȇ$VVHPEO«H QDWLRQDOH FDWDODQH $1&  ¢ OȇRULJLQH GHV SOXV LPSRU- tantes manifestations enregistrées depuis la transition démocratique HQ&DWDORJQHQRWDPPHQWOHVHSWHPEUHGHFKDTXHDQQ«HGHSXLV lors de la Diada OH m-RXU GH OD &DWDORJQH} VH G«PDUTXD GH P¬PH des mobilisations. L’ANC souligna que les revendications en faveur d’un changement de monarque ou d’un nouveau régime en Espagne doivent être séparées de celles portant sur la tenue d’un référendum

šMaiol RƵƭƫƷ, « El independentismo se moviliza a medio gas a favor de la República », El País, 3 juin 2014.

95 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

VXU OȇLQG«SHQGDQFH GH OD &DWDORJQH 'DQV XQ FRPPXQLTX« XOW«ULHXU l’ANC déclara de même qu’elle ne soutient pas la revendication d’une U«SXEOLTXHHVSDJQROH«WDQWGRQQ«TXȇHOOHVHIRFDOLVHXQLTXHPHQWVXU OD SROLWLTXH FDWDODQH ¢ WUDYHUV OD SURFODPDWLRQ HW OD UHFRQQDLVVDQFH d’une république catalane indépendante54. Malgré cette position de OD GLUHFWLRQ GH Oȇ$1& GHV PHPEUHV GH VRQ PRXYHPHQW GH MHXQHVVH Oȇ$VVHPEO«H QDWLRQDOH GHV MHXQHV LQG«SHQGDQWLVWHV $1-,$1&  RQW SDUWLFLS«DX[PDQLIHVWDWLRQVSURU«SXEOLFDLQHVPDLVLOHVWYUDLHQEUDQ- GLVVDQW OH SOXV VRXYHQW GHV GUDSHDX[ FDWDODQV /H MXLQ ¢ %DUFHORQH deux grandes esteladesOHGUDSHDXFDWDODQIXUHQW«WHQGXHVVXUOHVRO DYHF OH VORJDQ mQRXV YRXORQV YRWHU 1 } DOOXVLRQ WUªV FODLUH ¢ la consultation souverainiste prévue pour le 9 novembre55. Dans une G\QDPLTXH VLPLODLUH ¢ FHOOH GH Oȇ$1-,$1& OHV -HXQHVVHV VRFLDOLVWHV du Partit dels Socialistes de Catalunya (PSC) et le député autonomique Ferran Pedret se démarquèrent des positions monarchistes du PSOE et GX36&PHWWDQWHQ«YLGHQFHOȇH[LVWHQFHGȇXQFOLYDJHJ«Q«UDWLRQQHOGDQV la perception de la légitimité de la monarchie au sein du socialisme et de la gauche en Espagne. /HV VRXYHUDLQLVWHV HW OHV U«SXEOLFDLQV RQW SURWHVW« DLQVL HQVHPEOH unis par leur rejet commun de la monarchie plus que par un projet poli- WLTXHSDUWDJ«&HUWDLQVRQWEUDQGLP¬PHGHX[GUDSHDX[OȇXQFDWDODQ OȇDXWUHU«SXEOLFDLQU«FODPDQWOHFKDQJHPHQWGHU«JLPHGȇXQ‹WDWTXȇLOV G«VLUHQW DEDQGRQQHU /HV VORJDQV U«SXEOLFDLQV WHOV TXH  m(VSDJQH GHPDLQ VHUD U«SXEOLFDLQ} m9HUV OD 7URLVLªPH 5«SXEOLTXH} RX m‚ EDV OD PRQDUFKLH ¢ EDV OȇK\SRFULVLH} VH VRQW SDUWDJ« OH WHUUDLQ DYHF GȇDXWUHV SOXV J«Q«UDX[ FRPPH  m(Q G«PRFUDWLH OH SHXSOH G«FLGH} m/H ELSDUWLVPH 3362( VȇHIIRQGUH FȇHVW QRWUH PRPHQW} RX GȇDXWUHV HQFRUHSOXVGLUHFWHPHQWOL«V¢ODTXHVWLRQFDWDODQH mOHV&DWDODQVQRXV n’avons pas de roi » ; ou le traditionnel « I-Inde-Independencia}U«S«W« à de nombreuses reprises ces dernières années). Les revendications des manifestants ont mis en avant non seulement la crise de légitimité de ODPRQDUFKLHPDLVDXVVLODSDUDO\VLHGXV\VWªPHSROLWLTXHEORTX«SDU OȇDOWHUQDQFHHQWUHOH33HWOH362(GHX[SDUWLVTXLRQWG«©XOHV«OHFWHXUV SDU OHXUV SURPHVVHV QRQ WHQXHV /D FULVH GH FRQȴDQFH GHV FLWR\HQV ¢ l’égard de leurs élites politiques a ainsi dominé ces actions collectives. 'HVVORJDQVWHOVTXHmOHV%RXUERQVVRQWGHVUHTXLQV}RXm8UGDQJDU¯Q

šRebeca CƧƷƧƴƩƵ, « ¡A por la RGRȚDNKECECVCNCPCšЏzEl País, 3 juin 2014. 55. « Miles de personas se concentran en Barcelona a favor de la República », El Mundo, 2 juin 2014.

96 De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

TXȇLO WUDYDLOOH DX %XUJHU .LQJ} PLUHQW HQ VFªQH HW G«QRQFªUHQW GH façon imagée les affaires de corruption qui touchèrent l’entourage du roi Juan Carlos Ier. Certains protestataires se sont déguisés en clowns ou HQDQLPDX[DYHFGHV«O«SKDQWVHQFDUWRQGHVW¬WHVRXGHVFRPELQDL- VRQVGHOLRQIDLVDQWDOOXVLRQDYHFKXPRXUDXPDOHQFRQWUHX[VDIDULGX URLDX%RWVZDQDTXLU«Y«ODWDQWVDOLDLVRQDGXOWªUHTXHVRQJR½WSRXU OHVDFWLYLW«VGHOX[HGDQVXQFRQWH[WHVRFLDOHW«FRQRPLTXHSDUWLFXOLª- UHPHQWGLɚFLOHSRXUOHV(VSDJQROV $XGHO¢ GHV PHPEUHV Gȇ(5& HW GH OD &83SDUPL OHV SHUVRQQDOLW«V SROLWLTXHV TXL VH MRLJQLUHQW ¢ FHV PDQLIHVWDWLRQV RQ QRWD VXUWRXW OD présence des dirigeants d’Esquerra Unida i Alternativa (8L$,&9 -RDQ Herrera et Dolors Camats56. EUiA est le parti politique catalan au posi- WLRQQHPHQWOHSOXVFRK«UHQWVXUODTXHVWLRQSXLVTXHGHVI«G«UDOLVWHVHW des indépendantistes coexistent en son sein : il est favorable à l’instau- ration d’une « république espagnole » via l’instauration parallèle d’un ‹WDW I«G«UDO DSSU«KHQG« FRPPH XQH I«G«UDWLRQ GȇHQWLW«V DXWRQRPHV qui inclurait donc potentiellement des éventuelles républiques catalane RXEDVTXH3RXU(8L$FRPPHSRXU$GD&RODXOȇH[SRUWHSDUROHGHOD 3$+RXSRXUOHVm,DLRȵDXWDV}ODTXHVWLRQG«PRFUDWLTXH¢WUDYHUVOD GHPDQGHGHOȇRUJDQLVDWLRQGHU«I«UHQGXPVTXHFHVRLWGDQVOHFRQWH[WH GXIXWXUVWDWXWGHOD&DWDORJQHRXVXUOHU«JLPHSROLWLTXHGHOȇ‹WDWHVSD- JQROMRXDXQU¶OHFHQWUDOGDQVFHVPRELOLVDWLRQV‚WLWUHGȇLOOXVWUDWLRQ RQ SHXW FLWHU LFL OH SURSRV GH 5DPµQ %DUED UDSSRUW« SDU El País XQ ,DLRȵDXWD de Barcelone de 59 ans :

J’espère qu’il y aura un référendum. La Couronne a été imposée dans la &RQVWLWXWLRQVDQVG«EDW/¢FȇHVWODP¬PHFKRVHOȇDEGLFDWLRQGXURLD«W« une surprise pour tout le monde. Ils veulent aller vite pour introniser le nouveau roi sans débat. C’est un déni de démocratie. C’est la même chose pour le référendum catalan. Ils s’opposent au 9-N et ne veulent pas lais- ser le droit au peuple de décider de son propre futur.

&HSURSRVU«VXPHELHQOHJULHISULQFLSDOGHVPDQLIHVWDQWV¢VDYRLU OȇLG«HGXPDQTXHGHFRQVXOWDWLRQGHVFLWR\HQVHWGHOȇLPSRVLWLRQWDQWGH ODIRUPHGHOȇ‹WDWHVSDJQROTXHGXVWDWXWGHOD&DWDORJQH¢WUDYHUVGHV pactes entre les élites dominantes (« ils ») des deux principales forces politiques.

šEUiAICV est une coalition de gauche alternative qui regroupe la branche catalane d’IU EUiA), la formation Iniciativa per Catalunya, et le parti écologiste Els Verds kNGUVerts »).

97 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

Au Pays basque : un enjeu mobilisateur pour les indépendantistes

$X 3D\V EDVTXH OHV PLOLWDQWV GH OD JDXFKH DEHUW]DOH VH VRQW MRLQWVDX[PDQLIHVWDWLRQVGHVJURXSHVU«SXEOLFDLQVGHVFRPPXQLVWHV et d’IU57 ‚%LOEDR OHV G«SXW«V GȇEH Bildu Oskar Matute et Maribi Ugarteburu et quelque 400 personnes seulement ont manifesté sur OD SODFH GX WK«¤WUH $UULDJD OH MXLQ  DUERUDQW GH QRPEUHXVHV ikurriñas en faveur de la « république basque libre » et de l’« indépen- GDQFH}'ªVOHG«SDUWOȇDEGLFDWLRQGXURLD«W«XWLOLV«HSROLWLTXHPHQW par les indépendantistes pour mettre en avant et remobiliser leurs sympathisants autour de l’enjeu de la création d’une « république basque » indépendante. EH Bildu a ainsi incité d’autres formations SROLWLTXHV HW FROOHFWLIV GH JDXFKH GH P¬PH TXH FHUWDLQHV RUJDQLVD- tions syndicales (notamment Podemos Ezker Anitza-IU Equo OHV MHXQHVVHVGX36(((HWOȇ8*7 58¢SDUWLFLSHU¢XQHPDQLIHVWDWLRQXQL- taire à Bilbao le 19 juin : mais alors que les manifestants « prorépubli- FDLQV}GHPDQGDLHQWXQU«I«UHQGXPVXUOHPRGªOHGȇ‹WDWGHOȇ(VSDJQH (à travers le slogan « Monarkiari ez, hirtarrek erabaki} m1RQ ¢ OD PRQDUFKLH OHV FLWR\HQV G«FLGHQW}  OHV LQG«SHQGDQWLVWHV SULUHQW OH soin de bien différencier leur cortège du reste des manifestants59. Ils DSSHODLHQW ¢ OD FU«DWLRQ GȇXQH mU«SXEOLTXH EDVTXH LQG«SHQGDQWH} en exigeant un processus démocratique qui permette « aux citoyens et DX[SHXSOHVGHOȇ‹WDWGHG«FLGHUGHOHXUIXWXU}60. &RQWUDLUHPHQWDXUHVWHGHOȇ(VSDJQHR»OHVDFWLRQVFROOHFWLYHVIXUHQW plus importantes lors de l’abdication de Juan Carlos Ier puis s’essouf- ȵªUHQWORUVGHOȇLQWURQLVDWLRQGXQRXYHDXURLOHUHWUDLWGXPRQDUTXH VXVFLWDLQLWLDOHPHQWSHXGHPDQLIHVWDWLRQVDYDQWTXHOHVLQG«SHQGDQ- tistes se saisissent de l’occasion pour remettre leurs revendications VXUOHGHYDQWGHODVFªQH/HMXLQPLOOHFLQTFHQWVSHUVRQQHV G«ȴOªUHQW¢9LWRULD*DVWHL]SXLVGHX[PLOOHSHUVRQQHVOHMRXUVXLYDQW¢ Bilbao. Ce jour était aussi la date anniversaire de la prise de la ville par OHVWURXSHVIUDQTXLVWHVOHMXLQSU«WH[WH¢ODPRELOLVDWLRQGHOD Plateforme basque contre les crimes du franquisme. Contrairement au

57. « Cientos de personas se echan a la calle en contra de la Monarquía », El País, 2 juin 2014. šD’autres collectifs moins nombreux et représentatifs participèrent aussi à la manifestation, notamment Iratzarri-EKI, Alternativa Republicana, Antikapitalistak, Círculo Republicano, Colectivo Republicano de Euskal Herria, Gazte Komunistak, GKB, Goldatu, Ikasle Ekintza et URE Orduña. 59. « Concentraciones para reivindicar la república vasca o un referéndum », El País, 19 juin 2014. 60. « Manifestación contra la Monarquía », El País, 18 juin 2014.

98 De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

FDVFDWDODQDX3D\VEDVTXHOHVFRUWªJHVGHVGLII«UHQWVFROOHFWLIVPRELOL- sés prirent toujours le soin de manifester séparément. EH Bildu revendi- quait ainsi « la reconnaissance et le respect du droit à décider d’Euskal +HUULD}DORUVTXȇEzker Anitza-IU axa ses slogans sur un changement GH U«JLPH m-DPDLV GHX[ VDQV WURLV 5«SXEOLTXH GH QRXYHDX} m/HV %RXUERQVDXVVL¢ODTXHXHGHOȇ,QHP61} ‚6DLQW6«EDVWLHQTXDWUHFRU- tèges distincts ont manifesté62. Des mobilisations minoritaires en Galice, symbole d’un régionalisme conservateur

(QȴQHQ*DOLFHWURLVPLOOHSHUVRQQHVVHVRQWPRELOLV«HV¢9LJROH 2 juin 2014 sur la rúa do Príncipe et devant le musée d’Art contempo- rain de la ville63 'ȇDXWUHV PDQLIHVWDWLRQV HXUHQW OLHX ¢ /D &RURJQH ¢ 2XUHQVH HW ¢ /XJR R» GHX[ FHQWV SHUVRQQHV ¢ SHLQH RQW G«ȴO«  /HV militants du Bloc nationaliste galicien (« Bloque Nacionalista Galego %1* HWGHOȇ$OWHUQDWLYHJDOLFLHQQHGHJDXFKH mAlternativa Galega de Esquerda$*( GHP¬PHTXHOHVPHPEUHVGHV-HXQHVVHVVRFLDOLVWHVGH *DOLFHDXURQW«W«OHVSULQFLSDX[LQLWLDWHXUVGHFHVDFWLRQVFROOHFWLYHV Des représentants de Podemos se sont joints aussi aux cortèges qui HQWRQQªUHQW GHV VORJDQV FRPPH m/D =DU]XHOD OD SURFKDLQH H[SXO- VLRQ} m5«I«UHQGXP} RX HQFRUH OH G«VRUPDLV F«OªEUH m2XL QRXV SRXYRQV}‚6DLQW-DFTXHVGH&RPSRVWHOOHODUHYHQGLFDWLRQLGHQWLWDLUH IXW SOXV PDUTX«H TXDWUH FHQWV SHUVRQQHV G«ȴOªUHQW HQ IDYHXU GH mOȇLQG«SHQGDQFH}HWGȇXQHU«SXEOLTXHGH*DOLFH&RPPHHQ&DWDORJQH OHVJURXSHVGHMHXQHVVHLQG«SHQGDQWLVWHVIXUHQWDVVH]PRELOLV«VFULDQW notamment « Dehors les Bourbons de notre nation » (« Fóra Borbóns da nosa nación} m1RWUHUXLQHFȇHVWOȇ(VSDJQH} mA nosa ruina, España é} RXHQFRUHm$YDQ©RQVVDQVUHO¤FKHYHUVODU«SXEOLTXHJDOLFLHQQH} (« Avante sen tregua á república galega »). Lors de l’intronisation de 3KLOLSSH9, VHXOV TXHOTXHV FHQWDLQHV GH PDQLIHVWDQWV VH PRELOLVªUHQW ¢QRXYHDXGDQVFHVYLOOHVSUHXYHGXFDUDFWªUHWUªVPLQRULWDLUHYRLUH

šL’Inem est l’Institut National de l’Emploi. À Bilbao, le groupe communiste appela à une « Troisième République » et entama le chant de l’internationale devant la mairie. À Pampelune, seule4 une centaine de personnes manifestèrent, et crièrent en basque « Dehors NC OQPCTEJKGšЏz GV kRépublique basque », illustrant bien la prédominance historique du conservatisme en Navarre et le caractère minoritaire des groupes républicains au sein de cette communauté autonome. šDepuis son élection en 2012 à SCKPVSébastien, le maire Juan Carlos Izagirre du parti indé pendantiste basque Bildu, dresse symboliquement un drapeau républicain depuis le balcon de la mairie le 14 avril de chaque année. 63. « Miles de gallegos salen a la calle para pedir la República », El País, 2 juin 2014.

99 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

U«VLGXHOGHFHPRXYHPHQWGDQVXQHU«JLRQR»XQFRQVHUYDWLVPHSROL- tique teinté de régionalisme domine64.

RENOUVEAU ET DÉCLIN DU RÉPUBLICANISME DANS L’ESPAGNE D’AUJOURD’HUI $LQVL DX ȴQDO FRPPHQW H[SOLTXHU OH UHQRXYHDX GX PRXYHPHQW U«SXEOLFDLQ GDQV Oȇ(VSDJQH GȇDXMRXUGȇKXL"(Q U«SRQVH ¢ FHWWH TXHVWLRQ nous avons montré dans ce chapitre que la récurrence des manifestations républicaines ces dernières années est intimement liée au contexte de FULVH «FRQRPLTXH VRFLDOH HW SROLWLTXH TXL FDUDFW«ULVH Oȇ(VSDJQH GHSXLV 2008. La crise a non seulement provoqué une paupérisation des classes PR\HQQHV HW SRSXODLUHV HW XQH DXJPHQWDWLRQ GHV LQ«JDOLW«V PDLV VȇHVW aussi traduite par une crise de légitimité des élites et du système politique issu de la transition et de la constitution de 1978. Cette situation de perte GH FRQȴDQFH ¢ Oȇ«JDUG GX SHUVRQQHO SROLWLTXH HW GHV SULQFLSDOHV LQVWLWX- tions espagnoles a amené un nombre croissant de citoyens à réévaluer de façon critique le « pacte » de la transition. Pour les communistes et les GHVFHQGDQWVGHVU«SXEOLFDLQVYLFWLPHVRXH[LO«VSHQGDQWODJXHUUHFLYLOH la monarchie espagnole a été imposée d’en-haut par les élites de l’ancien U«JLPHIUDQTXLVWHHWFRQVWLWXHGRQFOHGHUQLHUV\PEROHGȇXQHG«PRFUD- tisation inachevée. Pour ce secteur social qui demeure minoritaire dans Oȇ(VSDJQHGȇDXMRXUGȇKXLODWUDQVLWLRQDXUD«W«LQFRPSOªWHHWODU«SXEOLTXH LG«DOLV«H¢SDUWLUGXVRXYHQLUHWGȇXQHP«PRLUHP\WKLȴ«HHWTXHOTXHSHX G«IRUP«HGHOD6HFRQGH5«SXEOLTXHFRQVWLWXHUDLWODVROXWLRQ 0DLVFRPPHQRXVOȇDYRQVYXOȇKLVWRLUHFRQWHPSRUDLQHGXU«SXEOLFD- nisme en Espagne demeure très controversée et sujette à des interpréta- WLRQVRSSRV«HV3RXUODPDMHXUHSDUWLHGHODVRFL«W«HVSDJQROHODmU«SX- EOLTXH}QȇHVWSDVLQVWLQFWLYHPHQWDVVRFL«HDXIXWXU¢ODPRGHUQLW«¢OD FRH[LVWHQFH SDFLȴTXH HW DX SURJUªV VRFLDO 'DQV OD P«PRLUH FROOHFWLYH HOOHHVWSOXW¶WDFFRO«HDX[G«PRQVGXSDVV«¢ODGLYLVLRQHWDXFRQȵLWHW demeure très connotée idéologiquement en référence à l’idéal politique de ODJDXFKHSOXVTXȇHOOHQHV\PEROLVHXQU«JLPHSROLWLTXHFRQVHQVXHO&ȇHVW pourquoi la monarchie n’a pas échappé à la crise de légitimité qui touche l’ensemble des institutions espagnoles. Mais comme des témoignages de

šPour une étude synthétique de l’évolution des clivages politiques en Galice, voir Nieves LƧƭƧƷƫƸ, José Manuel RƯƻƫƷƧ et Ramón MƧƯƿ, « LG PCVKQPCNKUOG ICNKEKGPš FG NŨCEEȋU CW gouvernement à la crise électorale et organisationnelle », dans Alicia FƫƷƴʜƴƪƫƿ GƧƷƩʨƧ et Mathieu PƫƹƯƹƮƵƳƳƫ FKT  Les nationalismes dans l’Espagne contemporaine (1975-2011). Compétition politique et identités nationales, Paris, Armand CQNKPR

100 De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

PDQLIHVWDQWV RQW SHUPLV GH VRXOLJQHU HW FRPPH OH VXJJªUHQW OHV VRQ- GDJHVGȇRSLQLRQFHVRQWGȇDERUGOHVSDUWLVSROLWLTXHVWUDGLWLRQQHOVOHXUV élites et le gouvernement qui sont mis en cause. Les Espagnols continuent GHSO«ELVFLWHUPDMRULWDLUHPHQWODPRQDUFKLHHWODȴJXUHGXURL,OHVWYUDL WRXWHIRLVTXHOHFDV1µRVD\DQWPLVHQDYDQWOȇH[LVWHQFHGHSUDWLTXHVGH corruption dans l’entourage de Juan Carlos IerHWVRQVDIDULDX%RWVZDQD HQDORUVTXȇLODYDLWGHPDQG«DX[(VSDJQROVGHmIDLUHGHVHIIRUWV} assurant que « la justice est la même pour tous » dans son discours de 1R­OGXG«FHPEUHVȇHVWU«Y«O«SURIRQG«PHQWHQG«FDODJHDYHFOH Y«FXTXRWLGLHQGHVFLWR\HQVRUGLQDLUHV(QVHXOHPHQWTXHOTXHVVHPDLQHV Juan Carlos Ier a perdu une bonne partie du crédit historique qui était le VLHQSRXUDYRLUMRX«XQU¶OHPDMHXUGXUDQWODWUDQVLWLRQU«VLVW«¢ODWHQWD- WLYHGHFRXSGȇ‹WDWGXI«YULHUHWFRQWULEX«¢UHGRQQHU¢Oȇ(VSDJQH sa place dans le concert des nations européennes. 3RXUDXWDQWFRPPHQRXVOȇDYRQVPLVHQDYDQWOHVPDQLIHVWDWLRQV VXUYHQXHV ORUV GH VRQ DEGLFDWLRQ RQW «W« HVVHQWLHOOHPHQW VSRQWDQ«HV liées à l’effet de surprise et à l’euphorie du moment. Il ne s’est en rien agi d’un mouvement social massif d’opposition à la monarchie. 1RXV OȇDYRQV FRQVWDW« FHV PRELOLVDWLRQV RQW VXUWRXW «W« LPSRUWDQWHV HQ &DWDORJQH HW DX 3D\V EDVTXH ¢ VDYRLU DX VHLQ GH FRPPXQDXW«V DXWRQRPHV R» OHV PDQLIHVWDQWV QH VH PRELOLVªUHQW SDV WDQW FRQWUH OD monarchie qu’en faveur d’un nouveau statut politique pour leur terri- WRLUH,OHVWGȇDLOOHXUVU«Y«ODWHXUTXȇHQ*DOLFHR»FRH[LVWHQWU«JLRQDOLVPH LGHQWLWDLUH HW FRQVHUYDWLVPH SROLWLTXH OHV PDQLIHVWDWLRQV SURU«SXEOL- FDLQHVIXUHQWWUªVSHXVXLYLHV'DQVOȇHQVHPEOHGHOȇ(VSDJQHOȇLQWURQL- sation du nouveau roi Philippe VI a sonné le glas de ces mobilisations et attesté une forme de résignation des citoyens. Le républicanisme GHPHXUHGȇDXWDQWSOXVPLQRULWDLUHDXMRXUGȇKXLTXHOH362(TXLUHVWH¢ FHMRXUOHSULQFLSDOSDUWLGHODJDXFKHHVWDWWDFK«DXU«JLPHSROLWLTXHGH ODPRQDUFKLHSDUOHPHQWDLUHP¬PHVLOHVRSLQLRQVGHVDEDVHPLOLWDQWH et de ses électeurs demeurent plus nuancées. Conscient de la peur de l’inconnu et de l’image rassurante de sta- ELOLW«TXHWUDQVPHWODPRQDUFKLH¢EHDXFRXSGȇ(VSDJQROVOHQRXYHDX parti PodemosDGȇDLOOHXUVIDLW«YROXHUVDSRVLWLRQLQLWLDOHHQ«YRTXDQW la possibilité d’un référendum mais en ne mettant plus vraiment cette question au centre de ses préoccupations65. Le parti Citoyens d’Albert

šPour Pablo Iglesias, « l’abdication accélère la décomposition du régime de 1978 ». Podemos a dénoncé le pacte PSOEPP pour la réforme de la loi organique qui a ouvert la succession Cf. Anabel DƯƫƿ, « Las fuerzas de izquierda piden un referéndum sobre la monarquía », El País, 2 juin 2014.

101 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

5LYHUD TXL GHYUDLW FRQFXUUHQFHU OH 33 HQ DWWLUDQW XQH SDUWLH GH VRQ «OHFWRUDWOLE«UDOQHGHPDQGHSDVQRQSOXVXQFKDQJHPHQWGHU«JLPH Les manifestations républicaines de ces dernières années ont ainsi WUDGXLWOȇLQGLJQDWLRQODG«ȴDQFHSROLWLTXHJ«Q«UDOLV«HHWODYRORQW«GH FKDQJHPHQWGHVFLWR\HQVSOXVTXȇXQG«VLUGȇHQȴQLUDYHFODPRQDUFKLH L’abdication de Juan Carlos IerHWVRQUHPSODFHPHQWSDU3KLOLSSH9,TXL VȇDSSXLH VXU XQ FRXSOH UR\DO GRW« GȇXQH LPDJH PRGHUQH HW JODPRXU furent en ce sens une décision sage et stratégique de Juan Carlos IerDȴQ de « sortir par le haut » de la crise de légitimité dans laquelle il avait fait entrer la monarchie du fait d’une succession d’épisodes polémiques. 6HXOOȇDYHQLUGLUDVLOHQRXYHDXURLVDXUDU«DɚUPHUODO«JLWLPLW«GHOD monarchie66. Une institution dont le principal déterminant de légitimité populaire ne dépend pas tant de l’effet des mobilisations d’un mou- vement social républicain qui demeure minoritaire que de sa propre FDSDFLW«¢LQFDUQHUXQHDXWRULW«QHXWUHH[HPSODLUHHWUDVVHPEOHXVH

šConscient que la poussée du mouvement indépendantiste catalan constituera l’un des défis de son règne, le simple fait que Philippe VI propose le 26 juin 2014 à Gérone, lors de sa première visite en tant que chef de l’État en Catalogne, un discours d’apaisement, dont la moitié fut prononcé en catalan, illustre à cet égard une évolution qui peut paraître anecdotique, mais qui illustre bien une rupture avec le passé et avec la domination du castillan dans les discours de Juan Carlos Ier.

102 De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

4

Les féminismes dans l’Espagne d’aujourd’hui

Karine BERGÈS

Je m’obstine à penser que le féminisme n’est pas une politique que l’on peut appliquer sans les femmes, et à leur place, sans qu’elles-mêmes, collectivement et sin- gulièrement, d’une génération à l’autre, s’y impliquent activement. Ce n’est pas une religion du salut, une nou- velle Écriture Sainte. Il n’y a pas de Terre Promise, pas de Moïse, pas de petite ou de grande mère des peuples. Mais il y a une marche collective et singulière, avec ses divisions et ses errances. (Françoise Collin)

$SUªV WUHQWHVL[ DQQ«HV GH GLFWDWXUH OD PRUW GX J«Q«UDO )UDQFR OH QRYHPEUH  IHUPH OD ORQJXH SDUHQWKªVH GȇXQ U«JLPH SHU- VRQQDOLVWH DXWRULWDLUH HW U«SUHVVLI UHSRVDQW VXU OH VHXO SRXYRLU GX Généralissime1. Si tous les citoyens furent privés des libertés fonda- mentales et contraints de se plier aux injonctions d’un régime natio- QDOFDWKROLTXH OHV IHPPHV HQGRVVªUHQW XQ GRXEOH VWDWXW GH YLFWLPHV on leur refusa la jouissance des droits civils et politiques à l’instar des KRPPHV PDLV «JDOHPHQW OȇDFFªV ¢ OD VSKªUH SXEOLTXH DX QRP GȇXQ projet maternaliste et patriarcal consistant à « nationaliser » le corps des femmes au service des intérêts réputés fondamentaux du pays2. La propagande franquiste érigea l’image de la « gardienne du foyer » en DUFK«W\SH GH OD I«PLQLW« KLVSDQLTXH VRXPHWWDQW DLQVL OD PRLWL« GH OD SRSXODWLRQ¢XQHGRPHVWLFDWLRQGHVFRUSVHWGHVHVSULWV&HIDLVDQWOH

šPour faciliter la lecture du public français, la traduction de l’ensemble des textes en espagnol, ainsi que celle des noms des collectifs mentionnés, a été réalisée par les soins de l’auteure. šKarine BƫƷƭʣƸ, « La nacionalización del cuerpo femenino al servicio de la construcción de la identidad nacional en las culturas falangistas y franquistas », dans GHQUH VH[H HW QDWLRQ̰ représentations et pratiques politiques en Espagne (Њ΂Њ-ЊЊe siècles), Madrid, Mélanges de la Casa de VGNȄ\SWG\R

103 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

cantonnement des femmes dans la sphère intime s’accompagna d’une O«JLVODWLRQ GLVFULPLQDQWH GȇXQH VRFLDOLVDWLRQ GLII«UHQFL«H HW GȇXQH DVVLJQDWLRQVH[X«HGHVU¶OHV,OVȇDJLVVDLWSDUOȇLPSRVLWLRQGHSROLWLTXHV mGRPHVWLTXHV} GH JRPPHU OȇK«ULWDJH GH OD 6HFRQGH 5«SXEOLTXH   DX FRXUV GH ODTXHOOH XQ U«JLPH G«PRFUDWLTXH DYDLW SRV« OHVSUHPLHUVMDORQVGHOȇ«PDQFLSDWLRQI«PLQLQH1RQVDQVU«VLVWDQFHV une législation favorable à l’amélioration de la condition juridique des femmes fut en effet portée par les idéaux républicains : inscription du droit de vote et de l’égalité des sexes dans la constitution du 9 décembre O«JDOLVDWLRQGXGLYRUFHSDUODORLGXPDUVHWGXPDULDJH FLYLO SDU FHOOH GX MXLQ  6L FRPPH OH VRXOLJQH 'DQLªOH %XVV\ *HQHYRLV m/D 5«SXEOLTXH SRXU OHV (VSDJQROHV D VLJQLȴ« OȇDSSUHQWLV- VDJHGHODOHFWXUHGHOȇHQJDJHPHQWSROLWLTXHHWDYHFGLɚFXOW«OȇDSSUHQ- WLVVDJH GX VHQV GX YRWH} FH OHQW SURFHVVXV GH VRFLDOLVDWLRQ SROLWLTXH VȇHVWYXLQWHUURPSXSDUODYLFWRLUHGHVIRUFHVQDWLRQDOLVWHV¢ODȴQGH la guerre civile (1er avril 1939)3 : l’institutionnalisation du franquisme VRQQDOHUHWRXUGHVIHPPHVDXIR\HUOHUHQRQFHPHQW¢OHXUVHQJDJH- ments militants et/ou professionnels dans la sphère publique et leur VRXPLVVLRQ¢ODSROLWLTXHQDWDOLVWHGXU«JLPHVRXVODI«UXOHGHOȇ‹JOLVH HWGHODVHFWLRQI«PLQLQHGHOD3KDODQJHDSSDUHLOGHFRQWU¶OHK«J«PR- nique chargé de l’encadrement idéologique des femmes espagnoles tout au long de la dictature4. En dépit de quelques initiatives isolées au cours des années 19605 FHQȇHVWTXȇHQORUVGHOȇ$QQ«HLQWHUQDWLRQDOHGHODIHPPHG«FU«W«H

šDanièle BƺƸƸƾGƫƴƫƻƵƯƸ, « Citoyennes de la Seconde République », dans MCTKGAline BƧƷƷƧƩƮƯƴƧ, Danièle BƺƸƸƾGƫƴƫƻƵƯƸ et Mercedes YƺƸƹƧ FKT  FHPPHV HW G«PRFUDWLH̰ OHV Espagnoles dans l’espace public (1868-1978), Paris, Éditions du Temps, 2007, p. 145. Nous précisons, dans les notes à suivre, qu’il existe deux ouvrages du même nom mais dans deux maisons d’éditions différentes, l’un aux Éditions du Temps, l’autre chez Ellipse. šSur la Section féminine de la Phalange, voir. les études francophones de MCTKGAline BƧƷƷƧƩƮƯƴƧš FHPPHV HW G«PRFUDWLH̰ OHV Espagnoles dans l’espace public (1868-1978), Paris, SGFGUCNEDškLa Section féminine et ses paradoxes », dans MCTKGAline BƧƷƷƧƩƮƯƴƧ GV CN FKT  op. cit., Rš Christine LƧƻƧƯƲ, « Les femmes de la Section féminine de la PJCNCPIGš GPVTG GURCEG RTKXȌ GV GURCEG RWDNKEz FCPU Florence BƫƲƳƵƴƹƫ FKT  Femmes et G«PRFUDWLH̰OHVEspagnoles dans l’espace public (1868-1978), Paris, ENNKRUGU  Rš Karine BƫƷƭʣƸ « Récits et expériences de la Guerre civile espagnole à travers les écrits des HGOOGU RJCNCPIKUVGU  z FCPU Florence BƫƲƳƵƴƹƫ, Karim BƫƴƳƯƲƵƺƪ et Sylvie IƳǞƧƷƧƹƵ-PƷƯƫƺƷ FKT  Guerres dans le monde ibérique et ibéro-américain, Berne, Peter Lang, R šOn mentionnera la création de l’Association des femmes universitaires en 1953 et la fondation du Séminaire d’études sociologiques par María Laffite Campo Alange.

104 De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

SDU Oȇ218 TXH OH PRXYHPHQW I«PLQLVWH VH VWUXFWXUH HQ WDQW TXH WHO6. &RQYRTX«HVGDQVODVHPLFODQGHVWLQLW«SRXUOHV¢G«FHPEUHOHV SUHPLªUHV-RXUQ«HVGHOLE«UDWLRQGHODIHPPH¢OȇLQLWLDWLYHGHODSODWH- forme des organisations de femmes et du Mouvement démocratique des femmes7VRQWUHVW«HVGDQVOHVDQQDOHVFRPPHOȇDFWHIRQGDWHXUGXI«PL- nisme espagnol. Si cet événement traduisit la vitalité des revendications I«PLQLVWHV TXHOTXHV VHPDLQHV VHXOHPHQW DSUªV OD PRUW GX GLFWDWHXU LOIXW«JDOHPHQWOHU«Y«ODWHXUGHVFRQWURYHUVHVTXLWRXWDXORQJGHOD WUDQVLWLRQ G«PRFUDWLTXH   DOODLHQW ȴVVXUHU OH PRXYHPHQW DXWRXUGHGHX[WHQGDQFHVOHFRXUDQWGXmI«PLQLVPHUDGLFDO}UHSU«- VHQW« SDU OH 6«PLQDLUH FROOHFWLI I«PLQLVWH VRXFLHX[ GH SU«VHUYHU VRQ DXWRQRPLH¢Oȇ«JDUGGHVRUJDQLVDWLRQVSROLWLTXHVHWV\QGLFDOHVHWFHOXL GXmI«PLQLVPHOXWWHGHVFODVVHV}SDUWLVDQGȇLQVFULUHOHVUHYHQGLFDWLRQV I«PLQLVWHVDXVHLQGHUHYHQGLFDWLRQVSOXVJ«Q«UDOHVSDUOHWUXFKHPHQW GHVSDUWLVSROLWLTXHVDYHFFRPPHSULRULW«DEVROXHOȇLQVWDXUDWLRQGȇXQ régime démocratique8/HVI«PLQLVWHVGHODGRXEOHPLOLWDQFHELHQTXH conscientes de la structure et du fonctionnement androcentrés des SDUWLVSROLWLTXHVSRVWXODLHQWFRQWUHODGRXEOHH[SORLWDWLRQI«PLQLQHGH classe (et contre celle-ci luttaient les partis politiques de gauche) et d’un

šLe deuxième Congrès International de la Femme en juin 1970 avait dégagé un premier, bien que timide, espace de parole en faveur de l’émancipation des Espagnoles. Même si ce rassemblement, placé sous la tutelle de la Section féminine ne laissait que peu de place à de véritables changements idéologiques, il offrit une tribune à quelques voix réformatrices, à NŨKPUVCTFG/CTȐC6GNQ0ȚȓG\HQPFCVTKEGFGNŨ#UUQEKCVKQPGURCIPQNGFGUHGOOGULWTKUVGU   à qui l’on doit la réforme visant à éliminer l’autorisation maritale obligatoire pour la femme mariée. Sur les réformes juridiques défendues par les avocates Mercedes Fórmica, en 1953, et María Telo Núnez, en 1974, voir Rosario ƷƺƯƿƬƷƧƴƩƵ, (WHUQDVPHQRUHV̰"/DVPXMHUHVHQHO franquismo, Madrid, Biblioteca Nueva, 2007 -CTKPGƨƫƷƭʣƸk.C5GEVKQPHȌOKPKPG  š entre conservatisme et réformisme », dans Marie Claude ƩƮƧǞƺƹ, Christine ƲƧƻƧƯƲ FKT Sur le chemin de la citoyenneté, Femmes et Cultures Politiques. Espagne Њ΂Њe-ЊЊe siècles, Paris, université 2CTKU1WGUV0CPVGTTG.C&ȌHGPUGR šLe Mouvement démocratique des femmes a été fondé en 1965 sous la tutelle du Parti com muniste espagnol. Voir Mercedes CƵƳƧƨƫƲƲƧ, « Movimiento DGOQETȄVKEQFGMujeres », dans Carmen Martínez Tƫƴ, Purificación GƺƹƯʤƷƷƫƿ LʭǞƫƿ, Pilar GƵƴƿʜƲƫƿ RƺƯƿ FKT El movimiento feminista en España en los años 70, Madrid, CȄVGFTCR šPour une étude détaillée du féminisme espagnol pendant la transition, voir María Ángeles LƧƷƺƳƨƫ, Una inmensa minoría. Influencia y feminismo en la Transición, Saragosse, Prensas uni versitarias de ZCTCIQ\CšLas que dijeron no. Palabra y acción del feminismo en la Transición, Saragosse, Prensas universitarias de ZCTCIQ\CšEspañolas en la TUDQVLFLµQ̰GHH[FOXLGDVD protagonistas (1973-1982), V. A, Madrid, Biblioteca NWGXCššIsabel MƵƷƧƴƹ FKT Historia de las mujeres en España y América Latina. Del siglo XX a los umbrales del XXI, Vol. IV, Madrid, CȄVGFTC š Pilar FƵƲƭƺƫƷƧ FKT  El feminismo en España, dos siglos de Historia, Madrid, Ed Pablo IINGUKCUšOliva María RƺƨƯƵ et Isabel TƫưƫƪƧ FKT 100 años en femenino. Una historia de las mujeres en España, Madrid, Acción Cultural EURCȓQNC

105 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

V\VWªPHGȇRSSUHVVLRQGHVH[HOHSDWULDUFDW9. Pour la tendance héritière du féminisme radical étasunien des années 1970 et du féminisme maté- ULDOLVWHIUDQ©DLVGH&KULVWLQH'HOSK\LOQHIDLVDLWQXOGRXWHTXHODGRXEOH PLOLWDQFH«WDLWXQSLªJHGªVOȇDYRFDWH/LGLD)DOFµQDYDLWIRQG«OHV FROOHFWLIVI«PLQLVWHVXQHVSDFHGHPLOLWDQFHXQLTXHHWGHU«ȵH[LRQWK«R- ULTXHOHVTXHOVRQWSURF«G«¢XQHU««ODERUDWLRQGHOȇK«ULWDJHPDU[LVWH O«QLQLVWHGDQVXQHSHUVSHFWLYHI«PLQLVWHHWRQWIRUPXO«GHVSRVWXODWV novateurs sur les mécanismes d’exploitation économique et sexuelle des femmes et sur les modes de « production domestique ». Ce courant QȇDHXGHFHVVHGHG«IHQGUHODFRQVWLWXWLRQGȇXQPRXYHPHQWDXWRQRPH H[FOXVLYHPHQWI«PLQLQGRQWOHVSULQFLSHVLG«RORJLTXHVFRQVWLWXHURQWOD FOHIGHYR½WHGX3DUWLI«PLQLVWHGȇ(VSDJQHO«JDOLV«HQ10. (QWUH HW OH PRXYHPHQW I«PLQLVWH mFUR°W HQ TXDQWLW« HW HQTXDOLW«OHVWHQGDQFHVVHUHQIRUFHQWOHVG«EDWVHWOHVFRQIURQWDWLRQV LG«RORJLTXHV IRUWHV HW QRPEUHXVHV HQULFKLVVHQW OH PRXYHPHQW}11 HW VHVPRELOLVDWLRQVȵXFWXHQWDXJU«GHOȇDJHQGDSROLWLTXHGHODWUDQVLWLRQ ORLGHU«IRUPHSROLWLTXHGHSUHPLªUHV«OHFWLRQVOLEUHVGXMXLQ  U«GDFWLRQ GH OD FRQVWLWXWLRQ PDMRULWDLUHPHQW DSSURXY«H SDU OH U«I«UHQGXP GX G«FHPEUH  DXWDQW GȇRFFDVLRQV GH G«VDFFRUG entre les féministes radicales et celles du « féminisme socialiste »12. Les -RXUQ«HV I«PLQLVWHV GH *UHQDGH TXL PRELOLVªUHQW WURLV PLOOH SDUWLFL- SDQWHVHQPDLPLUHQW¢QXOHVOLJQHVGHIUDFWXUHVTXLFRQWLQXDLHQW GHGLYLVHUOHPRXYHPHQWDXWRXUGHODGRXEOHPLOLWDQFHPDLVGHQRX- velles divergences idéologiques vinrent se greffer aux clivages agissant GHSXLV TXDWUH DQV &RQWUH OHV I«PLQLVWHV UDGLFDOHV RX VRFLDOLVWHV SDU-

šCelia AƳƵƷʭƸ, « Debates ideológicos en el movimiento feminista durante la transición GURCȓQNCzFCPUCarmen MƧƷƹʨƴƫƿTƫƴet al FKT op. cit., 2009, p. 196. šSur les origines du Parti féministe en Espagne voir María ÁƴƭƫƲƫƸ LƧƷƺƳƨƫ, Una inmensa minoría. Influencia y feminismo en la Transición, Zaragoza, Prensas Universitarias de Zaragoza, 2002. šRosa PƧƷƪƵ, « El feminismo en EURCȓCBTGXGTGUWOGPzFCPUPilar FƵƲƭƺƫƷƧ FKT op. cit., 2007, p. 205. šLe texte final de la constitution, s’il levait les obstacles légaux à la participation politique des HGOOGUGVȌVCDNKUUCKVFCPUUQPCTVKENGNGRTKPEKRGFGNCkPQPFKUETKOKPCVKQPGPHQPEVKQPFW sexe », n’incluait aucune revendication sur les droits sexuels ou la légalisation de l’avortement. Ce refus du droit au contrôle de la natalité et à la libre disposition de leur corps par les femmes, renforça les clivages entre les deux tendances du féminisme espagnol, les plus radicales reje tant d’un seul bloc le texte constitutionnel alors que les féministes de la double militance, tout en critiquant ses faiblesses, soutenaient que seul un cadre juridique était à même d’accompa gner les réformes pour les droits des femmes. INGPHWVCKPUKCXGENCNQKFWFWOCK qui éliminait les articles 449 et 452 du CQFGRȌPCNTGNCVKHUȃNŨCFWNVȋTGGVCXGENCNQKFW 7 octobre qui dépénalisait la contraception. Pour la liste des lois réformistes à partir de 1978, voir Pilar FƵƲƭƺƫƷƧ, « Integrando el género en la agenda política. Feminismo, transición y democracia », dans Oliva María RƺƨƯƵ et Isabel TƫưƫƪƧ FKT op. cit., 2012, p. 105.

106 De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

tisanes d’une société dans laquelle les hommes et les femmes détien- GUDLHQWOHVP¬PHVGURLWVHWREOLJDWLRQVOHVI«PLQLVWHVGLII«UHQWLDOLVWHV défendaient les visions essentialistes de la différence des sexes en attri- buant des qualités ontologiques distinctes aux femmes et aux hommes. 6L FRPPH OH VXJJªUH 0DU¯D ƒQJHOHV /DUXPEH mGHSXLV VRQ RULJLQH notre féminisme s’est caractérisé par une fragmentation organisatrice DFFUXHHWGHVGLYHUJHQFHVWK«RULTXHVPDUTX«HV}ODG«S«QDOLVDWLRQGH OȇDYRUWHPHQWHWODO«JDOLVDWLRQGXGLYRUFHGHPHXUDLHQWHQFRUH¢ODȴQ GHVDQQ«HVGHVVXMHWVGHPRELOLVDWLRQFROOHFWLYHHWXQLWDLUH13. Pour OHPRXYHPHQWI«PLQLVWHGDQVVRQHQVHPEOHOȇREWHQWLRQGȇXQHORLVXUOH divorce (déjà accordée sous la Seconde République) devenait un enjeu crucial eu égard au texte constitutionnel qui établissait le principe de l’égalité de droit avec les hommes. À l’exception des secteurs les plus FRQVHUYDWHXUV HW GH Oȇ‹JOLVH FDWKROLTXH FHWWH GHPDQGH «WDLW VRXWHQXH SDUODJUDQGHPDMRULW«GHV(VSDJQROVGHVUHVSRQVDEOHVSROLWLTXHVGHV SURIHVVLRQQHOVGXGURLWHWGHVP«GLDVHWȴQLWSDU¬WUHO«JDOLV«HSDUOD loi du 7 juillet 198114 /D EDWDLOOH SRXU OȇDYRUWHPHQW HQ UHYDQFKH VH WURXYD ¬WUH mOD SOXV FRQȵLFWXHOOH TXH OH PRXYHPHQW I«PLQLVWH HXW ¢ PHQHU} HQ UDLVRQ GX PDQTXH GH FRQVHQVXV GDQV OD VRFL«W« FLYLOH15. 6RXVOHVORJDQmFRQWUDFHSWLRQSRXUQHSDVDYRUWHUDYRUWHPHQWSRXUQH SDVPRXULU}HOOHPRELOLVDOHVPLOLWDQWHVWRXWHQU«Y«ODQWODG«VXQLRQ des professionnels de santé ainsi que des clivages au sein même des SDUWLV SURJUHVVLVWHV 3UHXYH GH FHV U«VLVWDQFHV OD ORL WUªV UHVWULFWLYH GX MXLOOHW  VXU OH GURLW ¢ OȇLQWHUUXSWLRQ YRORQWDLUH GH JURVVHVVH DSSURXY«HVRXVODO«JLVODWXUHGXVRFLDOLVWH)HOLSH*RQ]£OH]OLPLWDLWOD G«S«QDOLVDWLRQGHOȇ,9*¢WURLVFDVGHȴJXUHVHXOHPHQWFRPPHQRXVOH verrons plus en amont. Pour clore cette mise en contexte du féminisme sous la transition G«PRFUDWLTXH QRXV UDSSHOOHURQV TXH OD FRQWHVWDWLRQ HW OȇDFWLYLVPH PLOLWDQWV FRPPHQFHQW ¢ PRQWUHU GHV VLJQHV GȇHVVRXɛHPHQW ¢ SDU- WLU GH  GDWH ¢ ODTXHOOH RQ DVVLVWH ¢ XQH GLVSHUVLRQ GX PRXYH- PHQW I«PLQLVWH UHYHQGLFDWLI GHYDQW OD SHUF«H GX I«PLQLVPH GLW

šMaría Ángeles LƧƷƺƳƨƫ, « Feminismo y TTCPUKEKȕP FGOQETȄVKECš NQITQU [ EWGPVCU RGP dientes », dans MCTKGAline BƧƷƷƧƩƮƯƴƧ, Danièle BƺƸƸƾGƫƴƫƻƵƯƸ et Mercedes YƺƸƹƧ FKT  FHPPHVHWG«PRFUDWLH̰OHVEspagnoles dans l’espace public (1868-1978), Paris, Éditions du Temps, 2007, p. 217. šLes médias qui appuyèrent le plus la légalisation du divorce furent la revue Triunfo, Cambio 16, El País, et bien sûr la revue féministe radicale Vindicación Feminista qui, durant son exis tence, de 1976 à 1979, avait défendu dans ses colonnes le divorce et l’avortement sans aucune restriction. šMaría Ángeles LƧƷƺƳƨƫ, op. cit., 2007, p. 225.

107 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

« académique » et « institutionnel ». Le développement du féminisme DFDG«PLTXH ¢ SDUWLU GHV DQQ«HV  VȇRS«UD ¢ OȇLQLWLDWLYH GȇLQWHO- OHFWXHOOHV TXL VRXV OD WUDQVLWLRQ DYDLHQW FRQFLOL« OHXUV DFWLYLW«V DFD- démiques avec la militance dans les partis ou mouvements sociaux. '«©XHV SDU OHV RUJDQLVDWLRQV SROLWLTXHV HOOHV IRQGªUHQW GHV FHQWUHV Gȇ«WXGHVVXUOHVIHPPHVGDQVOHVJUDQGHVXQLYHUVLW«VHVSDJQROHVDȴQ de récupérer l’héritage des demandes politiques et sociales des années DQW«ULHXUHV/HI«PLQLVPHDFDG«PLTXHHQWHQGXFRPPHmXQLQVWUX- ment de changement social qui se doit d’être au service des agents et acteurs sociaux16}MRXDXQU¶OHLPSRUWDQWGDQVOHVPRELOLVDWLRQV I«PLQLVWHV QRWDPPHQW SDU OH ELDLV GHV JURXSHV GȇDXWRFRQVFLHQFHHW GH Oȇ$VVHPEO«H GHV IHPPHV GH OD &RPSOXWHQVH OLHX GH VRFLDOLVDWLRQ féministe tout au long des années 1980174XDQWDXmI«PLQLVPHLQV- WLWXWLRQQHO}LOWURXYDVRQWHUUDLQGȇH[SUHVVLRQGDQVODIRQGDWLRQGH Oȇ,QVWLWXW GH OD IHPPH HQ RFWREUH UDWWDFK« DX PLQLVWªUH GH OD Culture18HWGLULJ«SDU&DUORWD%XVWHORVRXVOHSUHPLHUJRXYHUQHPHQW VRFLDOLVWH GH OD G«PRFUDWLH DYHF FRPPH PLVVLRQ GH mSURPRXYRLU et d’encourager les conditions qui favorisent l’égalité entre les deux VH[HVHWODSDUWLFLSDWLRQGHVIHPPHV¢ODYLHSROLWLTXHFXOWXUHOOH«FR- nomique et sociale19 ». Aussi absorba-t-il dans ses rangs des féministes DFWLYHVDXVHLQGX362(FHTXLQHPDQTXDSDVGHVRXOHYHUGHIRUWHV FRQWURYHUVHVGHODSDUWGXI«PLQLVPHUDGLFDOTXLFULWLTXDLWOȇDWRPLVD- tion de ses luttes au service des intérêts politiques et la dépolitisation GHVPRXYHPHQWVVRFLDX[YLG«VGHOHXUUDGLFDOLW«HWGHOHXUSRWHQWLD- lité transformatrice20. Cette institutionnalisation du féminisme s’est accompagnée d’une minoration du féminisme indépendant malgré les apports à son actif : s’il a « été décisif dans l’européisation de l’Espagne21} HQ G«IHQGDQW GHV U«IRUPHV TXL RQW PRGLȴ« OHV GURLWV

šPilar FƵƲƭƺƫƷƧ, « Voces del feminismo », dans Isabel MƵƷƧƴƹ FKT op. cit., 2006, p. 443. šBGIQȓC MƧƷƺƭʜƴ, María Jesús MƯƷƧƴƪƧ et Marta MƧƹƵ, « El poder de los géneros y los géneros del poder. Relatos de un feminismo encarnado en tres generaciones », Encrucijadas. Revista Crítica de Ciencias SocialesPo=JVVRGCTEJKXQWEOGUDKVUVTGCO JCPFNGOCTWICPARQFGTAENARFH!UGSWGPEG ?EQPUWNVȌGPQEVQDTG šPour un historique de l’Institut de la Femme, voir Celia VƧƲƯƫƴƹƫ FƫƷƴʜƴƪƫƿ, El feminismo de Estado en España. El Instituto de la Mujer (1983-2003), Valence, Institut Universitari d’Estudis de la Dona, 2006. šSite internet de l’Instituto de la Mujer =JVVRYYYKPOWLGTIQDGUJQOGJVO? EQPUWNVȌ GP novembre 2014. šPilar FƵƲƭƺƫƷƧ, « De la Transición política a la paridad », dans Pilar FƵƲƭƺƫƷƧ FKT op. cit, 2007, p. 179. šMónica TƮƷƫƲƬƧƲƲ, « El papel transformador del movimiento de mujeres en la transición RQNȐVKECGURCȓQNCzFCPUCarmen Martínez TƫƲƵ GVCN FKT op. cit., 2009, p. 44.

108 De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

SURIHVVLRQQHOVHWMXULGLTXHVGHVIHPPHVOHPRXYHPHQWI«PLQLVWHGH la transition a également eu un impact sur l’évolution des mentalités. $XU\WKPHGHVHVPRELOLVDWLRQVLOHVWSDUYHQX¢LQVWLOOHUXQHY«ULWDEOH conscience politique aux Espagnoles et à impulser un changement VRFLDO TXL VȇHVW WUDGXLW SDU OȇDYªQHPHQW GȇXQH J«Q«UDWLRQ TXL D IDLW sienne les combats historiques des années 1970 : accès à l’éducation VXS«ULHXUHLQG«SHQGDQFH«FRQRPLTXHHWSURIHVVLRQQHOOHDXWRQRPLH personnelle et liberté sexuelle. Si ce rappel historique concernant le féminisme espagnol démontre VDSRUW«HWUDQVIRUPDWULFHGHODVRFL«W«HVSDJQROHTXȇHQHVWLOGHVRQFKH- minement au cours des trois dernières décennies ? L’institutionnalisation GXI«PLQLVPH¢SDUWLUGHVDQQ«HVVȇHVWHOOHDFFRPSDJQ«HGȇXQH neutralisation des collectifs féministes les plus contestataires ? En (VSDJQHOHI«PLQLVPHDWLOU«XVVL¢VXUYLYUHDXmbacklash » des années  FH UHFXO DQWLI«PLQLVWH RFFLGHQWDO TXL D G«O«JLWLP« OH I«PLQLVPH en tant que mouvement social et politique22"&RPPHQWHQPDUJHGHV FDPSDJQHVSRUW«HVSDUOHI«PLQLVPHLQVWLWXWLRQQHOOHVI«PLQLVWHVGHV années 2000 sont-elles parvenues à reformuler d’anciennes questions ou à faire émerger des discours et des modes d’action novateurs ? De TXHOOH ID©RQ OD FXOWXUH GH OD FRQWHVWDWLRQ UHID©RQQ«H SDU OHV PRXYH- PHQWV FLWR\HQV FRQWHPSRUDLQV ¢ OȇLQVWDU GX PRXYHPHQW GHV LQGLJQ«V HQDWHOOHLPSDFW«OHI«PLQLVPHHVSDJQRO"'DQVTXHOOHPHVXUHOHV WK«RULHVI«PLQLVWHVVRQWHOOHVUHSHQV«HVVRXVOȇLQȵXHQFHGȇXQUHQRXYHDX générationnel et d’une multiplicité de courants autonomes qui se sont positionnés en marge du féminisme mainstream ? Autant de question- QHPHQWVTXȇLOVȇDJLUDGȇDSSURIRQGLUGDQVFHFKDSLWUHDȴQGȇHVTXLVVHUHQ ȴOLJUDQHXQHJ«Q«DORJLHGXI«PLQLVPHHVSDJQROORQJWHPSVUHVW«mXQ non-objet de l’histoire23}PDLVTXLQHSHXW¬WUHFRPSULVVDQVOȇDQDO\VH des espaces-temps dans lesquels il se déploie. Comme le fait remarquer )UDQ©RLVH7K«EDXGmOHVI«PLQLVWHVQȇKDELWHQWSDVGHV°ORWVGHVRQRULW«V SURW«J«V} FȇHVW SRXUTXRL QRXV LQWHUURJHURQV FHWWH KLVWRLUH GHV I«PL- QLVPHV HVSDJQROV ¢ OȇDXQH GHV PXWDWLRQV SROLWLTXHV «FRQRPLTXHV HW sociales de la société espagnole contemporaine24.

šSusan FƧƲƺƪƯ, BDFNODVK̰ OD JXHUUH IURLGH FRQWUH OHV IHPPHV, Paris, Editions des Femmes, 1993. šBrigitte SƹƺƪƫƷ et Françoise TƮʤƨƧƺƪ, « Entre histoire et mémoire », dans Eliane GƺƨƯƴ et. CN FKT Le siècle des Féminismes, Paris, Les éditions de l’Atelier, 2004, p. 28. šFrançoise TƮʤƨƧƺƪ, « Introduction au chapitre Féminismes et Politique », ibid., 2004, p. 223.

109 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

« NOSOTRAS, LAS MUJERES » : LES DÉBATS AUTOUR DE LA REDÉFINITION DU « SUJET DU FÉMINISME » 'DQVOȇ(VSDJQHGHVDQQ«HVOHI«PLQLVPHOHSOXVYLVLEOHFRQWLQXH d’être porté par l’Institut de la femme et par les organisations proches du Parti socialiste qui inscrivent les politiques de genre au cœur de l’agenda SROLWLTXH «JDOLW« SURIHVVLRQQHOOH O«JLVODWLRQ VXU OD SDULW« GDQV OHV VSKªUHVSROLWLTXHVOXWWHFRQWUHOHVYLROHQFHVIDLWHVDX[IHPPHVRXHQFRUH réglementation de la prostitution256LFHVSUREO«PDWLTXHVP«ULWHQWVDQV QXO GRXWH WRXWH OȇDWWHQWLRQ GHV LQVWLWXWLRQV «WDWLTXHV OD SRODULVDWLRQ autour de thèmes consensuels et médiatiques a eu pour conséquence d’étouffer les revendications les plus radicales émanant des féminismes DXWRQRPHV WUªV FULWLTXHV ¢ Oȇ«JDUG GȇXQ I«PLQLVPH mainstream accusé de tuer dans l’œuf le potentiel subversif du féminisme. Cette « décennie opaque26}TXLHQW«ULQHODSHUWHGȇXQLW«GXPRXYHPHQWVȇDFFRPSDJQH HQ PLURLU GȇXQH I«PLQLVDWLRQ FURLVVDQWH GH OD SDXYUHW« VRXV OȇHIIHW GX WRXUQDQWQ«ROLE«UDOGHVDQQ«HVFK¶PDJHPDVVLȴFDWLRQGHOȇHPSORL SU«FDLUHDFFURLVVHPHQWGXVHFWHXULQIRUPHOLQ«JDOLW«VVRFLDOHVHWUHFUX- descence des violences à l’encontre des femmes. Dans ce contexte de mondialisation néolibérale de nouveaux combats se font jour : la préca- ULW«OHVPLJUDWLRQVOHVLGDODGLYHUVLW«VH[XHOOHOHWUDȴFSURVWLWXWLRQQHO OD SRUQRJUDSKLH Oȇ«FRI«PLQLVPH27 ¢ OD IDYHXU GH QRXYHDX[ VXMHWV DX[ SURȴOVK«W«URJªQHVOHVELHQQHVWUDQVH[XHOOHVqueerokupas28PLJUDQWHV DQWLPLOLWDULVWHVDQWLIDVFLVWHV&HVI«PLQLVPHVGLVVLGHQWVFRPSRVHQWmXQH QRXYHOOH FDUWH GH JURXSHV G«FHQWUDOLV«V TXL «ODERUHQW GH PDQLªUH critique et frontale des questionnements qui en général n’étaient pas abordés par le féminisme traditionnel ou étaient traités de façon

šIl faudra malgré tout attendre la première législature du socialiste José Luis Rodríguez Zapatero pour que ces problématiques deviennent un enjeu politique de premier plan avec l’approbation, le 28 décembre 2004, de la loi organique relative aux mesures de protection intégrale contre la violence de genre. šMaría MƧƷƹʨƴƫƿGƵƴƿʜƲƫƿ, « LGUOQDKNKUCVKQPUHȌOKPKUVGUGVNGUF[PCOKSWGUKFGPVKVCKTGUš une étude du féminisme au Pays basque espagnol », Recherches féministes. LHI«PLQLVPH̰XQH question de valeur(s), n° 21, 2008. šLa tradition écoféministe remonte aux années 1970 avec les théories de la penseuse liber taire française Françoise d’ECWDQPPG  OCKUEGEQWTCPVCȌVȌTȌKPXGUVKFGRWKUNGU années 1990 jusqu’à aujourd’hui par les féministes. Pour une généalogie, cf. Alicia H. ǞƺƲƫƵ, Ecofeminismo. Para otro mundo posible/CFTKF%ȄVGFTC šLe mouvement Okupa, littéralement le mouvement des squats, puise ses racines dans les mouvements d’occupation allemand et italien des années 1970. En Espagne, il se consolide dans les années 1980 en réaction au desencanto de la fin de la transition démocratique, et rejette toutes les institutions au profit de l’action collective, de pratiques sociales, politiques GVȌEQPQOKSWGUCNVGTPCVKXGUFGUWVQRKGUEQPVGUVCVCKTGUGVFGNCEQPVTGEWNVWTGRWPMGVTQEM

110 De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

marginale29 ». Ils sont à l’origine de la formation d’une troisième vague féministe30 TXL HVW Q«H DX[ ‹WDWV8QLV DX PLOLHX GHV DQQ«HV  DYHF la mobilisation des femmes de couleur (Black Feminism GHVLPPLJU«HV latino-américaines (Chicanas) et des lesbiennes politiques31OHVTXHOOHVQH VȇLGHQWLȴHQWSDVDXI«PLQLVPHUDGLFDO«WDVXQLHQGHODGHX[LªPHYDJXH XQI«PLQLVPHLQWHOOHFWXHOEODQFHWK«W«URVH[XHOSRXUFHVFDW«JRULHVGH IHPPHVmOȇRSSUHVVLRQQHYDXWSRXUWRXWHVOHVIHPPHVHQWRXWWHPSVHQ tout lieu et en toute situation32 » et n’est pas seulement le fait de l’oppres- VLRQGHVH[HPDLVDXVVLGHFHOOHGHFODVVHHWRXGHUDFHFHTXLSODFHOH concept d’hybridité au cœur de la troisième vague. 0DOJU« OHV SRLQWV GH YXH FRQWUDVW«V DXWRXU GH FHV TXHVWLRQV LO semble acquis que le féminisme de la troisième vague travaille mieux l’approche intersectionnelle des luttes33UHMHWWHSOXVV\VW«PDWLTXHPHQW la bicatégorisation normative et s’efforce de dénaturaliser les iden- tités en reprenant à son compte les théories queer LQWURGXLWHV SDU OD philosophe américaine Judith Butler34 6HV U«ȵH[LRQV RQW LQFRQWHVWD- blement élargi l’horizon conceptuel des féminismes contemporains en

šSilvia GƯƲ, Nuevos feminismos. Sentidos comunes en la dispersión. Una historia de trayectorias y rupturas en el Estado español, Madrid, Traficantes de SWGȓQR šL’historiographie distingue deux vagues féministes. La première vague renvoie au mouvement suffragiste, qui est apparu à la fin du xixe siècle aux ÉVCVUUPKU  GVGPGrande Bretagne  EGPVTȌCWVQWTFGNCFGOCPFGFGNŨȌICNKVȌLWTKFKSWGEKXKNGGVRQNKVKSWGGPVTGNGUUGZGULa FGWZKȋOGXCIWG  CRQTVȌNGUTGXGPFKECVKQPUSWKRTȖPCKGPVNCNKDȌTCVKQPFGUHGOOGUFGU attaches et normes imposées par la société patriarcale. Ces revendications furent porteuses FŨWPTGPQWXGCWFWHȌOKPKUOGRCTNGDKCKUFGOQDKNKUCVKQPUTCFKECNGU Mouvement de libération des femmes) qui ont pointé la dimension politique de questions traditionnellement considérées EQOOGRTKXȌGU NGUXKQNGPEGUEQPLWICNGUNCUGZWCNKVȌGVE GVQPVRQRWNCTKUȌNGUNQICPGODNȌOC tique « le privé est politique ». Rappelons toutefois que ce découpage en vagues est loin de faire l’unanimité au sein de l’historiographie féministe, comme en témoignent, entre autres, les travaux de la philosophe française Geneviève FƷƧƯƸƸƫ, Les excès du genre, Paris, Lignes, 2014. šÉquivalent du « lesbianisme radical » qui se développe dans les années 1980 et pense l’hétérosexualité comme un « régime politique d’oppression » maintenant les femmes dans une position d’esclavagisme, d’où la nécessité de le renverser. Voir Monique WƯƹƹƯƭ, La pensée Straight GȌF Paris, BCNNCTF=?šChristine BƧƷƪ, « Le lesbianisme comme construc tion politique », dans Eliane GƺƨƯƴGVCN FKT op. citR šMélissa BƲƧƯƸ Laurence FƵƷƹƯƴPƫƲƲƫƷƯƴ Ève Marie LƧƳǞƷƵƴ Geneviève PƧƭʤ, « Pour ȌXKVGTFGUGPQ[GTFCPUNC VTQKUKȋOG XCIWGšTȌHNGZKQPUUWTNŨJKUVQKTGGVNŨCEVWCNKVȌFWHȌOKPKUOG radical », Recherches Féministes XQN  Po  =JVVRKFGTWFKVQTIKFGTWFKVCT? consulté le 31 mars 2015. šL’intersectionnalité « dénonce la prétention à l’universalité d’un féminisme qui ignore son point de vue et appelle à une réflexion sur la coconstruction des différents rapports de domination », cf. Christine BƧƷƪ, Le féminisme au-delà des idées reçues, Paris, Le cavalier bleu, 2012, p. 271. šJudith BƺƹƲƫƷ, Gender TURXEOH̰Feminism and the subversion of identity, London NGYYQTM Routledge, 1990. En Espagne, les études Queer doivent beaucoup à d’autres théoriciennes comme Donna HCTCYC[Teresa de Lauretis, Eve KQUQHUM[SGFIYKEMQWRNWUTȌEGOOGPVPaul B. Preciado et MCTKGHélène Bourcier.

111 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

formulant des critiques novatrices : critique de la contrainte de l’hétéro- VH[XDOLW«FULWLTXHGHODSHQV«HGLFKRWRPLTXH ELSDUWLWLRQGHOȇKXPDQLW« HQGHX[VH[HV FULWLTXHGHODORJLTXHFDW«JRULHOOHFRPPHP«FDQLVPHGH SRXYRLUUHPLVHHQFDXVHGXȴ[LVPHLGHQWLWDLUH PXWDELOLW«GHVVXMHWV 35. ‚OȇRULJLQHOHWHUPHqueerG«VLJQDLWHQDQJODLVFHTXLHVW«WUDQJHFH qui est inclassable et qui résiste aux normes de genre36. Utilisé depuis le XVIIIe siècle comme un stigmate pour répertorier sous un même YRFDEOHOȇDEMHFWHWRXOHG«YLDQWOHWHUPHD«W«UHVLJQLȴ«DXPLOLHXGHV DQQ«HV  SDU OHV FRPPXQDXW«V OHVELHQQHV JD\V WUDQVVH[XHOOHV pour revendiquer leur étrangeté et en signe de résistance politique aux normes hétérosexuelles : l’injure a alors « cessé d’être un instrument de répression sociale pour devenir un signe de résistance à la norma- OLVDWLRQ}QRXVGLWODSKLORVRSKHHVSDJQROHHWȴJXUHGHSURXHGHOȇDFWL- visme queer 3DXO % 3UHFLDGR37. Reprenant à son compte les travaux de Michel Foucault38HWOHVWK«RULHVGXG«FRQVWUXFWLRQQLVPHGHUULGLHQ ce mouvement prend la forme « d’un mouvement post-identitaire […] TXL QȇHVW SDV XQ PRXYHPHQW GȇKRPRVH[XHOV QL GH JD\V PDLV GH GLV- VLGHQWV GX JHQUH GH U«VLVWDQFH IDFH DX[ QRUPHV TXȇLPSRVH OD VRFL«W« hétérosexuelle dominante39} /D U«ȵH[LRQ queer oppose à la pensée binaire « une théorie du continuum et de la mutabilité40 ». Les posi- WLRQVVRQWYXHVFRPPHLQWHUFKDQJHDEOHVHWLOQȇ\DXUDLWSOXV¢FKRLVLU HQWUHWHOOHRXWHOOHFDW«JRULHHQWUHXQUHJLVWUHVH[XHORXXQDXWUHHQWUH OȇKRPRVH[XDOLW«RXOȇK«W«URVH[XDOLW«PDLV¢VȇLGHQWLȴHU¢SDUWLUGȇXQH PXOWLSOLFLW«GHSRVVLELOLW«VHQVRXPHWWDQWOHVFRUSV¢ODSHUIRUPDWLYLW« HWHQMRXDQWVXUmOHVJHQUHV}TXLVRQWHQYLVDJ«VGHPDQLªUHUHODWLRQ- nelle dès lors que « la circulation de la masculinité et de la féminité ne dépend plus du sexe biologique41 ».

šCes critiques ont été regroupées en quatre catégories par Diane LƧƳƵƺƷƫƺƖ, « La réflexion QueeršCRRQTVUGVNKOKVGUzFCPUMaria NƫƴƭƫƮMƫƴƸƧƮ FKT op. cit., 2005, p. 92. šPour une histoire politique du terme queer, voir Paul B. PƷƫƩƯƧƪƵ, « Queer. Historia de WPC RCNCDTCz  =JVVRRCTQNGFGSWGGTDNQIURQVHTRDGCVTK\RTGEKCFQJVON? EQPUWNVȌ NG 15 novembre 2014. šPaul B. PƷƫƩƯƧƪƵ CPEKGPPGOGPVBeatriz Preciado) est l’auteure de Manifeste contra-sexuel, Paris, BCNNCPFššTesto JXQNLH̰VH[HGURJXHHWELRSROLWLTXH, Paris, GTCUUGVšPornotopie, Paris, Climats, 2010. šHistoire de la Sexualité de Michel FƵƺƩƧƺƲƹ est parue en trois volumes entre 1976 et 1984 aux Éditions Gallimard. 1. La volonté de savoir 2. L’usage du plaisir 3. Le souci de soi. šPaul B. PƷƫƩƯƧƪƵ, op. cit., 2009. šDiane LƧƳƵƺƷƫƺƖ, op. cit., 2005, p. 92. šChristelle TƧƷƧƺƪ, Les féminismes en question. Éléments pour une cartographie, Paris, Éditions Amsterdam, 2005, p. 47. Entretien avec MCTKGHélène BƵƺƷƩƯƫƷ, théoricienne et acti viste queer de référence en France. Elle a notamment publié la trilogie qui fait autorité sur la SWGUVKQPšQueer Zones 1  Queer Zones 2  Queer Zones 3  

112 De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

Le questionnement sur le sujet même du féminisme se trouve au FĕXUGXI«PLQLVPHGHODWURLVLªPHJ«Q«UDWLRQ'DQVOHVDQQ«HV « le mouvement des femmes se fondait sur une identité-femme très discutée mais qui cernait en quelque sorte une condition commune aux femmes »42 QRXV GLW &KULVWLQH %DUG SRXU OH I«PLQLVPH IUDQ©DLV (Q(VSDJQHFȇHVWDXFRXUVGHV-RXUQ«HVI«PLQLVWHVGH0DGULGGH TXHODFULVHGXVXMHWGXI«PLQLVPHVHIDLWMRXU/RUVGHFHVUHQFRQWUHV l’identité-femme ou le sujet hégémonique du féminisme fut remise en TXHVWLRQVRXVOȇLQȵXHQFHGHMHXQHVFROOHFWLIVGHVI«PLQLVWHVOHVELHQQHV et de transsexuels rejetant « un sujet-femme unitaire pour dénoncer la situation de domination »43 /ȇKRPRJ«Q«LVDWLRQ GX VXMHWIHPPH HQ partant du postulat de départ selon lequel toutes les femmes subissent une expérience commune de la domination exercée par le système SDWULDUFDOHVWDLQVLVRXPLVH¢GHVG«EDWVYLUXOHQWVTXLVRQW¢OȇĕXYUH encore aujourd’hui au sein du mouvement féministe contemporain. 8QHSDUWLHGHVPLOLWDQWHVOHSOXVVRXYHQWOHVI«PLQLVWHVKLVWRULTXHVGHV DQQ«HVH[SULPHQWOHXUVU«WLFHQFHV¢DEDQGRQQHUmODȴFWLRQGȇXQ sujet mythique et universalisant du féminisme44}FRPPHVXEVWUDWGH OHXULGHQWLW«FROOHFWLYHDORUVTXHGDQVODSUDWLTXHODGLYHUVLW«GHVLGHQWL- tés culturelles politiques au sein des féminismes relève d’une mutation LQFRQWHVWDEOH‚OȇKHXUHDFWXHOOHOHVFULVSDWLRQVHWOHVIUDFWXUHVVHVRQW HQFRUHULJLGLȴ«HVDXVXMHWGHOȇLQW«JUDWLRQGHVWUDQVDXVHLQGHVHVSDFHV I«PLQLVWHVQRWDPPHQWORUVGHODF«O«EUDWLRQGHODMRXUQ«HGXPDUV et d’autres commémorations féministes45FHTXLG«PRQWUHTXHODSROL- tique des alliances qui est plébiscitée par les collectifs de la troisième génération ainsi que le souhait de voir converger les luttes demeurent OȇXQGHVG«ȴVPDMHXUVGXI«PLQLVPHGXXXIe siècle.

šChristine BƧƷƪ, Le féminisme au-delà des idées reçues, op. cit., p. 169. šMaría MƧƷƹʨƴƫƿ GƵƴƿʜƲƫƿ, Identidades feministas en proceso. Reiteraciones relacionales y activaciones emocionales en las movilizaciones feministas en el Estado español, Thèse de doctorat, Université du PC[UBasque, Bilbao, mars 2015, p. 341. šElena CƧƸƧƪƵAǞƧƷƯƩƯƵ, « A vueltas con el sujeto del feminismo », Política y sociedad, n° 30,  =JVVRTGXKUVCUWEOGUKPFGZRJRPOSOCTVKENGXKGYFKNGPOSO9999130073A? consulté le 31 mars 2015. De la même auteure, La construcción socio-cognitica de las identidades de género de las mujeres españolas (1975-1995), Thèse de doctorat, université Complutense, MCFTKF=JVVRDKDNKQVGECWEOGUVGUKUERUWEOVRFH?EQPUWNVȌNGOCTU šSelon les témoignages des activistes transféministes madrilènes que j’ai pu recueillir, cette SWGUVKQPCȌVȌNŨQDLGVFGHQTVGUFKUUGPUKQPUFCPUNCRGTURGEVKXGFWOCTUQșšWPEGTVCKP nombre de féministes historiques ou mainstream se sont opposées à la participation des col lectifs trans à cette manifestation.

113 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

D’UNE VAGUE À L’AUTRE : L’ÉMERGENCE DE NOUVEAUX COURANTS FÉMINISTES Ces féminismes de la troisième génération trouvent leur matéria- lisation dans des répertoires d’action qui conjuguent la performance DUWLVWLTXH PXVLTXH URFNSXQN SR«VLH OLWW«UDWXUH  OD VH[XDOLW« SRUQR- JUDSKLHVDGRPDVRFKLVPH OHVRXWLOVWHFKQRORJLTXHVHWODGLPHQVLRQSROL- tique pour déconstruire les contraintes imposées par un système nor- matif et hétéropatriarcal. Le « post-porn » est à ce titre l’une des mani- festations artistiques du courant queer LO «PHUJH DX[ ‹WDWV8QLV GDQV OHVDQQ«HVGDQVOH3RVW3RUQ0RGHUQLVW0DQLȴHVWR46SXLVGDQVOHV performances d’Annie Sprinkle47HWVHG«YHORSSHHQ(XURSHHWQRWDP- PHQWHQ(VSDJQHDXG«EXWGHVDQQ«HVGDQVOHVPLOLHX[DFWLYLVWHV pro-sexe48 et queer barcelonais493DXO%3UHFLDGRTXLDFRQWULEX«¢IDLUH connaître ce courant en Espagne50OHG«ȴQLWFRPPHmXQHVSDFHGȇDFWLRQ politique à travers lequel les femmes et les minorités sexuelles peuvent UHG«ȴQLUOHXUVFRUSVHWLQYHQWHUGHQRXYHOOHVIRUPHVGHSURGXFWLRQGH plaisir qui résistent à la normalisation pornographique dominante51 ». Il s’agit d’une stratégie politique visant à se réapproprier les technologies GHSURGXFWLRQHWGHUHSU«VHQWDWLRQGHODVH[XDOLW«HWGXJHQUHTXLORLQ

šSous l’impulsion de deux anciennes actrices pornographiques, Veronica Vera et Candida Royalle. šAncienne prostituée et actrice pornographique américaine, Annie SRTKPMNGGUVCWLQWTFŨJWK réalisatrice, éditrice, écrivaine et performeuse. šFȌOKPKUOG RTQUGZGš EQWTCPV FG RGPUȌG CRRCTW FCPU NGU CPPȌGU  GP QRRQUKVKQP aux féministes abolitionnistes. Il pose comme principe que la liberté sexuelle est un élément essentiel de la liberté des femmes. Toute relation sexuelle consentante ne peut dès lors qu’être enrichissante, David Courbet, Féminismes et pornographie, Paris, La Musardine, 2012, p. 270. šSur le « postporn », voir MCTKGHélène BƵƺƷƩƯƫƷ, Queer Zones. Politiques des identités sexuelles, des représentations et des savoirs, Paris, BCNNCPFškBKNFWPIUPQUVPQTPšNotes sur la provenance du PQUVPorn, un des futurs du féminisme de la désobéissance sexuelle », Rue DescartesPoRšRachele BƵƷƭƮƯ, « PQUVPorn », Rue Descartes PoRšMCTKGAnne PƧƻƫƧƺ, Le discours pornographique, Paris, La Musardine, 2014. Voir également le documentaire, réalisé entre les ÉVCVUUnis et l’Espagne par Virginie DƫƸǞƫƴƹƫƸ, Mutantes (Féminisme Porno Punk), 2009, commercialisé depuis 2010 en DVD sous le même nom, ainsi que l’essai de l’activiste et philosophe espagnole Marisol SƧƲƧƴƵƻƧ, Postpornografía, Murcie, Ed. Pictografía, 2012 et son blog, Filosofía del Postporno=JVVRHKNQUQHKCFGNRQUVRQTPQ DNQIURQVHT?EQPUWNVȌNGPQXGODTGPour les performances postporn et queer espa gnoles, voir les collectifs comme Post Op, Quimera Rosa ou OJKCȓC  =JVVRXKOGQ EQO?EQPUWNVȌNGLCPXKGT šPaul B. PƷƫƩƯƧƪƵ et MCTKGHélène BƵƺƷƩƯƫƷ sont à l’initiative du Maratón Postporno, un séminaire qui s’est tenu, les 6 et 7 juin 2003, au MACBA, musée d’Art contemporain de Barcelone et qui a proposé des conférences, discussions, tables rondes, performances autour FGUTGRTȌUGPVCVKQPURQNKVKEQGUVJȌVKSWGUFGNCRQUVRQTPQITCRJKGEQPVGORQTCKPG šPaul B. PƷƫƩƯƧƪƵ, « Postporno. EZEKVCEKȕPFKUKFGPVGz=JVVRRCTQNGFGSWGGTDNQIURQVHTR DGCVTK\RTGEKCFQJVON?EQPUWNVȌNGPQXGODTG

114 De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

GH FRQGDPQHU OD SRUQRJUDSKLH ¢ OȇLQVWDU GX FRXUDQW DEROLWLRQQLVWH recherche l’empowerment des femmes : de « corps-objets » au service de la pornographie hétérosexuelle masculine mainstream OHV SRUQRDFWL- vistes deviennent des « corps-sujets52}HQJDJ«HVGDQVmXQPRXYHPHQW de résistance au modèle pornographique traditionnel visant à réinventer ses codes dans une logique de déconstruction et de dénaturalisation de la sexualité en produisant des contenus alternatifs53 ». &HWWHDSSURFKHGHODSRUQRJUDSKLHUHYHQGLTXDQWXQXVDJHSROLWLTXH GXFRUSVHWGHVVH[XDOLW«VFRQVWLWXHOHFĕXUGHODPLOLWDQFHDUWLVWLFR féministe-queer de la performeuse madrilène Diana J. Torres qui a LQYHQW« XQ FRQFHSW GLVVLGHQW OH mSRUQRWHUURULVPH54} SHQV« FRPPH XQH FRQWUHRIIHQVLYH DUWLVWLTXH DQWLFRQIRUPLVWH HW UDGLFDOH FRQWUH OH poids des normes de genre et des dispositifs de contrôle de la sexualité. (Q U«DFWLRQ DX[ LQMRQFWLRQV PRUDOHV VRFLDOHV HW O«JDOHV GH Oȇ‹WDW GH Oȇ‹JOLVHHWGHODP«GHFLQH'LDQD-7RUUHVU«LQYHVWLWOȇHVSDFHSRUQRJUD- SKLTXHDȴQGȇ«ODERUHUXQHFDUWRJUDSKLHGHVVH[XDOLW«VGLVVLGHQWHVHWGH libérer sa rage via le monstrueux revendiqué et la violence consentie55. La performance devient ainsi un espace laboratoire de la dissidence VH[XHOOHXQHmFDWKDUVLVSHUPHWWDQWGȇ«YDFXHUSDUODSURGXFWLRQDUWLV- tique une fureur désespérée56 » et le pornoterrorisme une action poli- WLTXHmXQDFWHGHVXUYLVLELOLW«57 » et de réappropriation des corps dans l’espace public. Toutes ces formes de résistance aux normes de genre convergent DX VHLQ GȇXQ DXWUH FRXUDQW mOH WUDQVI«PLQLVPH} PRXYHPHQW GH

šComme le dit Annie SǞƷƯƴƱƲƫ dans son ouvrage Hardcore from the Heart   kLa réponse au mauvais porno n’est pas d’interdire le porno, mais de faire de meilleurs pornos. », cité et traduit par Virginie DƫƸǞƫƴƹƫƸ, King Kong Théorie, Paris, Grasset, 2006, p. 87. À ce titre, voir les productions pornographiques féministes indépendantes de la réalisatrice et RTQFWEVTKEGUWȌFQKUG'TKMCƲƺƸƹKPUVCNNȌGȃ$CTEGNQPGFGRWKUšHandcuffs  Cabaret Desire  Room 33  X Confessions  =JVVRGTKMCNWUVEQOHT?EQPUWNVȌ le 2 janvier 2015. šDavid CƵƺƷƨƫƹ, Féminismes et pornographie, op. cit., p. 270. šDiana J. TƵƷƷƫƸ, Pornoterrorismo, Tafalla, Editorial Txalaparta, 2011. L’ouvrage a une version en français, Pornoterrorisme, Bayonne, Ed. Gatuzain, 2012. šLŨGURCEGRQTPQITCRJKSWGGUVWPGkUVTCVȌIKGCTVKUVKEQRQNKVKSWGRQWTHCKTGFGPQUEQTRUNC meilleure arme », Diana J. TƵƷƷƫƸ, Manifiesto pornoterrorista  =JVVRRQTPQVGTTQTKUOQ EQONGGOCPKHKGUVQRQTPQVGTTQTKUVC?EQPUWNVȌNGPQXGODTG šClaire LƧƭƺƯƧƴ, « FWTGWTFȌ CON) structrice et « viscéranimalité » du désir saphique dans la poésie du xxie siècle en Espagne », conférence lors de la Journée d’Études internationales, « MLYDJLQDFODPDXQDYHQJDQ]D}̰IXUHXUHWG«VLUI«PLQLQVGDQVOHVOLWW«UDWXUHVFRQWHPSRUDLQHVGH langues romanes, université de Paris Est MCTPGLa VCNNȌGLCPXKGT ȃRCTCȑVTG  šArnaud AƲƫƸƸƧƴƪƷƯƴ, « Notes de lecture. Diana J. Torres. Pornoterrorisme », Cahiers du Genre  Po R =JVVRECJKGTUAFWAIGPTGRQWEJGVEPTUHTRFHNLCdG55.pdf], consulté en juin 2014.

115 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

G«FRQVWUXFWLRQGXV\VWªPHVH[HJHQUHGHOȇK«W«URSDWULDUFDWHWU«VROX- ment critique à l’égard des théories féministes classiques fondées sur une vision naturalisée du genre. Ce mouvement résulte de l’alliance HQWUH OHV PRXYHPHQWV WUDQV queer HW I«PLQLVWHV GDQV XQH DSSURFKH LQWHUVHFWLRQQHOOHDȴQGHPHQHUXQFRPEDWVXUSOXVLHXUVQLYHDX[HWGH déployer des stratégies basées sur une politique de la coalition plutôt que sur un groupe social identitaire58(Q(VSDJQHOHWUDQVI«PLQLVPH a commencé à gagner en visibilité à partir des Journées féministes de *UHQDGHHQPDLVLODVXUWRXWIDLWOȇREMHWGȇXQHWHQWDWLYHGHWK«RUL- sation lors des Journées transféministes de Barcelone en 201059. C’est à Diana J. Torres que l’on doit l’initiative de la rédaction du « Manifeste pour la révolution transféministe60}SXEOL«VXUVRQEORJOHer janvier HWVLJQ«¢ODIRLVSDUGHVFROOHFWLIVGHVDUWLVWHVRXGHVDFWLYLVWHV I«PLQLVWHV¢OȇLQVWDUGH3DXO%3UHFLDGRGHODMRXUQDOLVWHHWI«PLQLVWH EDVTXH ,W]LDU =LJD61 ou encore de l’essayiste queer 6D\DN 9DOHQFLD 5«GLJ« VHORQ XQH UK«WRULTXH JXHUULªUH FH SODLGR\HU HQ IDYHXU GȇXQ renouvellement de la pensée féministe se veut résolument avant- gardiste et dissident en proposant de « dynamiter le binôme genre et sexe comme pratique politique62} HW HQ DSSHODQW ¢ mOȇLQVXUUHFWLRQ ¢ l’occupation des rues […] à la désobéissance63} DXWDQW GH SUDWLTXHV

šVoir la définition du transféminisme par l’association OUTTCPU HQPFȌG GP  =JVVR QWVTCPUQTIKPHQUCTVKENGUVTCPUHGOKPKUOG?EQPUWNVȌNGPQXGODTGPrécisons toutefois que le transféminisme diffère selon les contextes culturels dans lesquels il est appréhendé. Le transféminisme en France semble encore être plutôt le « féminisme des trans » alors que le transféminisme, dans les pays hispanophones, se fonde plus sur une approche intersec VKQPPGNNGFGUNWVVGUšRCTGZGORNGCNNKCPEGCXGENGUHGOOGUSWKRQTVGPVNGXQKNGGVUQPVȃEG VKVTGFKUETKOKPȌGUGVQWNGUKOOKITȌGUGZRNQKVȌGUCf. Brigitte VƧƸƧƲƲƵ, Pornoburka, Cardedeu, Associació Cultural Colectivo Cautivo, 2013. Pour une étude documentée sur ces questions, voir Karine EƸǞƯƴƫƯƷƧ, Transidentités. Ordre & panique de genre, Paris, Éditions L’Harmattan, 2015. šPour une conceptualisation récente de ce courant en Espagne, voir Miriam SƵƲʜ et Elena UƷƱƵ FKT Transfeminismos. Epistemes, fricciones y flujos, Tafalla, Txalaparta, 2014. 60. « Nous sommes issues du féminisme radical, nous sommes les gouines, les putes, les trans, les immigrées, les noires, les hétérodissidents… nous sommes la rage de la révolution HȌOKPKUVGGVPQWUXQWNQPUOQPVTGTNGUETQEUšUQTVKTFGUQHHKEKPGUFWIGPTGGVFGURQNKVKSWGU EQTTGEVGUš SWG PQVTG FȌUKT PQWU IWKFG GP ȌVCPV RQNKVKSWGOGPV KPEQTTGEVGU GP FȌTCPIGCPV repensant et resignifiant nos mutations. Nous ne nous contentons plus d’être seulement des femmes. LGUWLGVRQNKVKSWGFWHȌOKPKUOGūHGOOGUŬPQWUGUVȌVTQKVKNGUVGZENWCPVGPUQKNCKU sant dehors les gouines, les trans, les putes, celles qui portent le voile, celles qui gagnent peu GVSWKPGXQPVRCUȃNCHCEEGNNGUSWKETKGPVEGNNGUUCPURCRKGTUGVNGURȌFȌUzkManifiesto para la RGXQNWEKȕP VTCPUHGOKPKUVCz GTLCPXKGT  =JVVROGFGCMDNQIURQVEQOGU OCPKHKGUVQRCTCNCKPUWTTGEEKQPJVON?EQPUWNVȌNGCXTKN šItziar ƿƯƭƧ, Devenir perra, Barcelone, MGNWUKPC š Un zulo propio, Barcelone, Melusina, š Sexual Herria, Tafalla, TZCNCRCTVC š Malditas. Una estirpe transfeminista, Tafalla, Txalaparta, 2014. 62. « Manifiesto para la Revolución transfeminista », op. cit. šIbid.

116 De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

qui réactualisent la potentialité subversive du féminisme de la deu- xième vague dans l’occupation de l’espace public et la politisation des questions sexuelles. Le transféminisme viendrait ainsi reformuler les WK«PDWLTXHV FKªUHV DX I«PLQLVPH YLROHQFHV LQ«JDOLW«V VH[XDOLW«V SURVWLWXWLRQSRUQRJUDSKLH LOVHUDLWP¬PHVHORQ'LDQD-7RUUHVmOȇDYH- nir du féminisme64}FHTXLQHYHXWSDVGLUHSRXUDXWDQWTXȇLOUHQLHOHV DSSRUWVHWOHVFRPEDWVGHVI«PLQLVWHVKLVWRULTXHVP¬PHVȇLOSUHQGVHV GLVWDQFHVYLV¢YLVGȇXQPRXYHPHQWVRFLDOTXȇLOMXJHWURSK«W«URFHQWU« WURSEODQFWURSLQWHOOHFWXHOLQFDSDEOHGHUHSHQVHUOHVQRXYHOOHVLQ«JD- lités produites par l’économie néolibérale et le capitalisme gore65. /HWUDQVI«PLQLVPHHQWDQWTXHG«SDVVHPHQWGXI«PLQLVPHLQFOXW OHV VXMHWV GHV PDUJHV OHV PLQRULW«V VH[XHOOHV RX PLQRULW«V HWKQLTXHV HW DUWLFXOH PLHX[ OHV GLII«UHQWV PRGHV GȇRSSUHVVLRQ VH[LVPH KRPR- SKRELHWUDQVSKRELHUDFLVPHFDSLWDOLVPH WRXWHQFRQVHUYDQWOHWHUPH mI«PLQLVPH}TXL¢OȇLQYHUVHGXYRFDEOHqueerDVVXPHOHVFRQQH[LRQV avec les discours et les pratiques politiques du féminisme historique. Espace transfrontière66 PDLV «JDOHPHQW FDLVVH GH U«VRQDQFH GX ORFDO de la « politique du vivant67} OH WUDQVI«PLQLVPH VH UHFHQWUH mVXU OD politisation du quotidien68 » et tisse des stratégies microsociologiques de résistance : il part des expériences des individus marginalisés pour questionner l’ordre économique néolibéral et les normes du système K«U«WRSDWULDUFDO QRXHU GH QRXYHOOHV FRDOLWLRQV HW VH U«DSSURSULHU OHV luttes qui ont divisé et continuent de diviser les féminismes69. S’il est DUGXGȇ«ODERUHUXQHG«ȴQLWLRQȴJ«HWDQWFHFRXUDQWU«VLVWHDX[FDW«JRUL- sations rigides en raison de son hétérogénéité et des identités multiples TXLOHFRPSRVHQWOHWUDQVI«PLQLVPHSHXW¢OȇLQVWDUGHV100 antithèses

šDiana J. TƵƷƷƫƸ, op. cit, 2012, p. 180. šNous reprenons ici le titre de l’ouvrage de SC[CM VƧƲƫƴƩƯƧ, Capitalismo gore, Barcelone, Melusina, 2010. šSilvia GƯƲš Amaia PʤƷƫƿ OƷƵƿƩƵ, « TTCPUHGOKPKUOQš ~UWLGVQU Q XKFC GP EQOȚPš!z Diagonalperiódico. net LWKNNGV  =JVVRUšYYYFKCIQPCNRGTKQFKEQPGVNCRNC\CVTCPUHGOK PKUOQUWLGVQUQXKFCEQOWPJVON?EQPUWNVȌNGPQXGODTG šCe concept de « politique du vivant » est défini par Silvia GƯƲ comme « la politique qui part de l’expérience et du quotidien, qui ne répond pas à un programme idéologique, ne représente pas un sujet identifiable, ni ne se base a priori sur aucune unité. C’est une politique du multiple, autonome, sans médiations ni représentations ». Il s’oppose à la politique institutionnelle et à sa représentation verticale et élitiste, cf. Silvia GƯƲ, op. cit, 2011, p. 70. šAmaia PʤƷƫƿ OƷƵƿƩƵ, Subversión feminista de la economía. Aportes para un debate sobre el conflicto capital-vida, Madrid, Traficantes de SWGȓQR šLGVTCPUHȌOKPKUOGHCKVCWUUKFȌDCVCWUGKPFGUHȌOKPKUOGUNCVKPQCOȌTKECKPUEHFlorencia GƵƲƪƸƳƧƴ, « PQNȌOKECU VTCPUš PWGXCU ECVGIQTȐCU RQNKVKECU GP NQU GPEWGPVTQU HGOKPKUVCUz Pikara Magazine FȌEGODTG  =JVVRYYYRKMCTCOCIC\KPGEQORQNGOKECU VTCPUPWGXCUECVGIQTKCURQNKVKECUGPNQUGPEWGPVTQUHGOKPKUVCU?EQPUWNVȌNGLCPXKGT

117 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

du cyberféminisme ¬WUH G«ȴQL SDU FH TXȇLO QȇHVW SDV70. C’est ainsi que Diana J. Torres propose une théorisation de ce courant à partir des DOOLDQFHVTXȇLOQHQRXHUDMDPDLVOHWUDQVI«PLQLVPHDVVXUHWHOOHmFH ne sera pas avec celles qui censurent la pornographie ; avec celles qui victimisent la prostitution et la confondent gravement avec l’esclavage ; avec celles qui crient ni pute ni soumise ; ni avec celles qui pensent que le sadomasochisme est aberrant et peu respectable ; ni avec celles qui s’offusquent de l’exubérance et de l’effronterie71 ». Laboratoire expé- ULPHQWDOHWSHUIRUPDWLIHVSDFHGHGLVFXVVLRQVHWGHG«EDWVOHIHVWLYDO Octubre TransTXLDOLHXGHSXLVTXDWUHDQVGDQVOHTXDUWLHUSRSXODLUH GH/DYDSL«V¢0DGULGPDLV«JDOHPHQW¢%DUFHORQHHWDX3D\V%DVTXH est emblématique de la vitalité de ce courant et de sa récente visibilité72. Il est organisé par plusieurs collectifs dont la Pandi Trans, un collectif GHSHUVRQQHVWUDQVIRQG«HQRFWREUHDYHFSRXUREMHFWLIGHJ«Q«UHU XQHU«ȵH[LRQDFWLRQDXWRXUGHVLGHQWLW«VHWGHVFRUSVmGDQVXQHSHUV- pective d’empowermentWUDQVI«PLQLVWHDXWRQRPHHWDQWLFDSLWDOLVWH73 ». La circulation de ces nouveaux courants a ouvert un horizon de SRVVLELOLW«V PDLV SDU ULFRFKHW XQH QRXYHOOH OLJQH GH IUDFWXUH DX VHLQ GXI«PLQLVPHHVSDJQROFRQWHPSRUDLQGȇXQF¶W«XQI«PLQLVPHK«J«- PRQLTXH mSURIHPPH} K«ULWLHU GHV SRVWXODWV GX I«PLQLVPH GH OD GHX[LªPHYDJXHFULWLTX«SRXU¬WUHXQmI«PLQLVPHDXWRU«I«UHQWLHOTXL VȇDGUHVVH ¢ HOOHVP¬PHV IHPPHV EODQFKHV RFFLGHQWDOHV HW GH FODVVH moyenne74}GHOȇDXWUHOHI«PLQLVPHGHODWURLVLªPHYDJXHTXLFRQVL- dère le sujet du féminisme comme multiple et entend croiser systémati- TXHPHQWOHVSURSRVLWLRQVI«PLQLVWHVDYHFODUDFHODFODVVHOHJHQUHHWOD sexualité. La mobilité de ces courants alternatifs témoigne d’un renou- vellement des théories et des pratiques féministes classiques depuis le milieu des années 1990 jusqu’à aujourd’hui : ils sont emblématiques GȇXQ mI«PLQLVPH DX WHPSV GX SRVW} QRXV GLW OD FKHUFKHXVH 0DU¯D

šLes 100 antithèses du cyberféminisme est un texte rédigé en 1997 par le collectif Old Boys Network lors de la première conférence internationale cyberféministe en Allemagne. Il s’agissait de refuser une définition fermée du cyberféminisme mais de définir, en 100 antithèses, ce qu’il n’était pas. šDiana J. TƵƷƷƫƸ, op. cit., 2012, p. 182 šLe festival en est à sa quatrième saison et, sous le slogan « Ce qui est incongru, ce n’est pas OQPEQTRUOCKUVQPTGICTFz La incongruencia no está en mi cuerpo, está en tu mirada), il pro RQUGWPOQKUFWTCPVWPGRTQITCOOCVKQPTKEJGJȌVȌTQENKVG=JVVRQEVWDTGVTCPUOCFTKF FTWRCNICTFGPUEQOEQPVGPVQVTQUQEVWDTGU?EQPUWNVȌNGPQXGODTG  =JVVRQEVWDTGVTCPUOCFTKFFTWRCNICTFGPUEQOEQPVGPVRCPFKVTCPU? EQPUWNVȌ NG 17 novembre 2014. šBeatriz GƯƳƫƴƵ, « ¿QWȌ HGOKPKUOQš!z Trasversales  Po =JVVRDGCVTK\IKOGPQ GUC2%BFSWGHGOKPKUOQ?EQPUWNVȌNGPQXGODTG

118 De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

0DUW¯QH]*RQ]£OH]SRXUODTXHOOHmLOVȇDJLWGȇXQI«PLQLVPHTXLQHUHQLH pas ses origines […] qui hérite des préoccupations de la deuxième vague mais les adaptent au temps présent75}XQI«PLQLVPHGHODVXEYHUVLRQ capable de brouiller les catégories et les normes et de questionner les subjectivités et les corporalités socialement construites.

« ¡LA REVOLUCIÓN SERÁ FEMINISTA O NO SERÁ ! » : LA « MARÉE VIOLETTE » AU SEIN DU MOUVEMENT DES INDIGNÉS 6L GHSXLV OD ȴQ GH OD WUDQVLWLRQ G«PRFUDWLTXH FH I«PLQLVPH GH OD VXEYHUVLRQVHPEOHVȇ¬WUHHVVRXɛ«LOQȇDSRXUWDQWMDPDLVFHVV«GȇH[LVWHU 6RXYHQW UHSOL«H DX FĕXU GHV TXDUWLHUV DYHF XQ FKDPS GȇDFWLRQ FHQWU« VXUOHORFDOODPLOLWDQFHGHFHVJURXSHVVȇHVWRS«U«HGHSXLVOHVPDUJHVHW les espaces underground&ȇHVWXQVRXOªYHPHQWGHJUDQGHDPSOLWXGHOD mU«YROXWLRQGHVLQGLJQ«V}TXLPDUTXHXQWRXUQDQWGDQVODUHFRQȴJX- UDWLRQ GH FH PLOLWDQWLVPH DXWRQRPH UDGLFDO HW FRQWHVWDWDLUH76. Dès son RFFXSDWLRQGHOD3XHUWDGHO6RO¢0DGULGOHPDL 0 OHPRX- vement des indignés a été le catalyseur d’une insurrection citoyenne sans SU«F«GHQWFRQWUHOHFDSLWDOLVPHODVS«FXODWLRQȴQDQFLªUHHWODFRUUXSWLRQ politique77 (QFRXUDJ«V SDU OHV «Y«QHPHQWV GX 3ULQWHPSV DUDEH OHV manifestant(e)s s’insurgent contre les conséquences sociales de la crise PRUDOHHWȴQDQFLªUHHQSURSRVDQWXQPRGªOHDOWHUQDWLIGHG«PRFUDWLH GLWH mU«HOOH} RX mSDUWLFLSDWLYH} ‚ FH WLWUH OHV DFWHXUV HW DFWULFHV GX 0DXVVLELHQGHVUHSU«VHQWDQW H VGHVPRXYHPHQWVVRFLDX[DOWHUQDWLIV TXHGHVMHXQHVLQGLJQ« H VVDQVSDVV«PLOLWDQWRQWG«YHORSS«GHVIRUPHV de protestations citoyennes marquées par l’absence de leadersOȇDXWRJHV- WLRQODSROLWLTXHSDUWLFLSDWLYHOȇRFFXSDWLRQHWODSROLWLVDWLRQGHOȇHVSDFH SXEOLF &HWWH mLQVXUUHFWLRQ GHV FRQVFLHQFHV} TXH OȇRQ D K¤WLYHPHQW présentée comme le fruit de la révolution d’une jeunesse précaire sans H[S«ULHQFH PLOLWDQWH DQW«ULHXUH HVW HQ IDLW XQ PRXYHPHQW K«W«URJªQH

šMaría MƧƷƹʨƴƫƿGƵƴƿʜƲƫƿ, « JȕXGPGU[HGOKPKUOQš~JCEKCWPHGOKPKUOQFGNCkUWDXGT UKȕPzš!zRevista vasca de sociología y ciencia políticaPoR š8QECDNG TGRTKU FG NŨQWXTCIG FG Stéphane HƫƸƸƫƲ, IQGLJQH]YRXV̰, Montpellier, Indigène éditions, 2011. šLes indignés se sont rassemblés sous le slogan fédérateur « « Nous ne sommes pas des marchandises aux mains des politiciens et des banquiers ». Nous avons privilégié ici les expériences des indignés madrilènes en raison du cadre restreint de ce chapitre, mais la mobilisation a été tout aussi massive à Barcelone et dans d’autres grandes villes espagnoles Valence, MȄNCICGVE 

119 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

traversé par des courants et des identités multiples78. Dans une perspec- WLYHGHJHQUHVȇ\F¶WRLHQWXQHJ«Q«UDWLRQGHMHXQHVI«PLQLVWHVSURFKHGH ODPRXYDQFHDQDUFKLVWHHWDQWLFDSLWDOLVWHGHVFROOHFWLIVWUDQVI«PLQLVWHV TXHQRXVDYRQV«YRTX«VSU«F«GHPPHQWPDLV«JDOHPHQWGHVI«PLQLVWHV FKHYURQQ«HV GHV mDXWRQRPHV} GHV DQQ«HV  TXL SURORQJHQW DLQVL des engagements militants de longue date. 7UDQVIRUP«HV HQ FDPSHPHQWV ¢ FLHO RXYHUW OHV SODFHV HW OHV UXHV RQWDFFXHLOOLOHIHUPHQWGHODFRQWHVWDWLRQVRFLDOHHWOD3XHUWDGHO6RO l’offensive des féministes rassemblées autour d’un espace militant : la &RPPLVVLRQGHVI«PLQLVPHVGH6ROTXLHVWGHYHQXHHQTXHOTXHVMRXUV le centre névralgique des féminismes madrilènes. La valeur symbolique GHVOLHX[SUHQGLFLWRXWVRQVHQVOȇRFFXSDWLRQGHODSODFHDXWUHPHQWGLW OD VXEYHUVLRQ GH OȇHVSDFH UHYLHQW ¢ VLJQLȴHU TXȇXQ DXWUH RUGUH VRFLDO HVW SRVVLEOH PHWWDQW ¢ PDO WRXWH OȇDUFKLWHFWXUH GX V\VWªPH SROLWLTXH UHSU«VHQWDWLI DX SURȴW GȇXQH G«PRFUDWLH GLUHFWH 'H IDLW OȇRFFXSDWLRQ GH OD SODFH UHGRQQH VHQV ¢ OȇHVSDFH HQ WDQW TXH OLHX RXYHUW SDUWLFL- SDWLI YLVLEOH HW GH U«VLVWDQFH HQ V\QWRQLH DYHF OȇLG«RORJLH P¬PH GX PRXYHPHQWGX03RXUOHVI«PLQLVWHVla carpa de la Puerta del Sol79 s’est muée en lieu de résonance de tous les féminismes non étatiques dans une volonté de dépassement des clivages idéologiques et de mise HQ ĕXYUH GȇXQH SROLWLTXH GHV DOOLDQFHV K«W«URVH[XHOOHV ELVH[XHOOHV OHVELHQQHV WUDQVI«PLQLVWHV SURVH[H queer SURVWLWX«HV WUDYDLOOHXVHV GRPHVWLTXHV PLJUDQWHV VDODUL«HV «WXGLDQWHVHWF &HWWH VRURULW« GDQV la diversité80 a constitué un tournant indéniable dans la consolidation

šNous empruntons cette expression à l’ouvrage D’Athènes à Wall Sreet, IQGLJQ«V̰«FKRVG̸XQH insurrection des consciences, Revue Contretemps FKT  Paris, La Découverte, 2012. Pour une biblio graphie sur le mouvement du 15.M cf., entre autres, Benjamín TƫưƫƷƯƴƧet Ignacia PƫƷƷƺƭƵƷʨƧ, « S[PEJTQPK\KPIKFGPVKVKGUšCrafting the space of mobilization in the spanish 15MzšNicholas P. PƫƹƷƵǞƵƺƲƵƸ et George O. TƸƵƨƧƴƵƭƲƵƺ GF The Debt Crisis in the EXUR]RQH̰Social Impacts, Cambridge Scholar Publishing, NGYECUVNG  Rš Luis RƺƯƿ AưƧ, FNQTKȄP Manuel PʤƷƫƿ, Teresa María GʭƳƫƿPƧƸƹƷƧƴƧ, El descontento social y la generación IN, Madrid, Editorial PQRWNCT š Manuel CƧƸƹƫƲƲƸ, Redes de indignación y esperanza, Madrid, Alianza Editorial, šCarlos TƧƯƨƵ, El 15-M. Una brevísima introducción, Galice, Editorial TTKHQNKWOšEl 15-M en sesenta preguntas, Madrid, CCVCTCVC š Que no se apague la luz. Un diario de campo del 15-M, Madrid, CCVCTCVCšLa rebelión de los indignados, Carlos TƧƯƨƵ, Josep Maria AƴƹƫƴƹƧƸ y Esther VƯƻƧƸ, Juan Pablo MƧƹƫƵ, Antoni DƵƳʣƴƫƩƮ, IXȄP GƯƳʤƴƫƿ CƮƺƫƩƧ, Juan Carlos MƵƴƫƪƫƷƵ GF  Madrid, Editorial PQRWNCT š Hablan los indignados, Juan TƵƷƷƫƸ LʭǞƫƿ, Alberto GƧƷƿʭƴ, Aitor RƵƳƫƷƵ OƷƹƫƭƧ, Joel SƫƷƧƬʨƴ ƧƲƳƫƴƧƷƧ, Marcos ƷƵƯƹƳƧƴ, Gerardo ƹƺƪƺƷƯ GF  /CFTKF 'FKVQTKCN 2QRWNCT š %TKUVKPC ƭƧƷƩʨƧƷƵƸƧƲƫƸ et Manuel ǞƫƴƫƲƲƧ ƮƫƲƲƫƷ, Palabras para indignados, Tarragona, Mandala Ediciones, 2011. šIl s’agit de la « tente féministe » installée sur la Puerta del Sol. šLe terme «sororité» est un héritage du féminisme de la deuxième vague, il est l’équivalent de la fraternité masculine et désigne le « lien politique et affectif établi entre femmes », Christine BƧƷƪ, op. cit., 2012, p. 276.

120 De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

d’une « marée violette81} DFFXHLOODQW GDQV VHV UDQJV GHV I«PLQLVPHV polymorphes mais soudés autour d’un projet commun : la subversion GH OȇRUGUH FDSLWDOLVWH SDWULDUFDO HW K«W«URQRUP«82. Faisant la jonction DYHF OH I«PLQLVPH GH OD WURLVLªPH YDJXH OHV I«PLQLVWHV LQGLJQ«HV revendiquent l’interrelation des multiples systèmes d’oppression et se sont efforcées d’intégrer toutes les commissions du 15-M pour rendre effective la transversalisation des propositions féministes. S’en est suivi XQLQWHQVHWUDYDLOGHS«GDJRJLHPDLV«JDOHPHQWGHG«EDWHWGHU«ȵH[LRQ théorique qui a abouti à la rédaction de plusieurs textes et manifestes. /HV WUHL]H SURSRVLWLRQV SXEOL«HV OH PDL  VRQW OȇHVVHQFH P¬PH GHV I«PLQLVPHV GX 0 HQ WDQW TXH PRXYHPHQW SOXULHO DOWHUQDWLI KRUL]RQWDODXWRQRPHSDFLȴTXHSURJUHVVLVWHOD±TXHHW«JDOLWDLUH83.

Photo 4.1. Pancarte féministe 15-M, Puerta del Sol, Madrid, mai 2011.

šCGU OCTȌGU XGTVG RQWT NŨȌFWECVKQP DNCPEJG RQWT NC UCPVȌ XKQNGVVG RQWT NG HȌOKPKUOG  sont « des mouvements ouverts qui cherchent à socialiser leurs revendications, qui en réalité, défendent des causes qui existaient déjà mais d’une façon radicalement nouvelle, qui sont complexes et sans possibilité d’être représentés de manière institutionnelle », cf. José Luis SʜƴƩƮƫƿ Las 10 mareas del cambio, Barcelone, Rocaeditorial, 2013, p. 14. šLGUNQICPHȌFȌTCVGWTCFQRVȌNQTUFGUOQDKNKUCVKQPUȌVCKVNGUWKXCPVškOPUGHCKVVQWUVQWVGU DCKUGTRCTNGU[UVȋOGRCVTKCTECNz El sistema patriarcal nos jode todxs) šCes propositions sont consultables dans Dossier de la Comisión de Feminismos de Sol, 2011, =JVVRWUVGCOWLGTQTIUKVGUFGHCWNVHKNGUFeminismos%20Sol.pdf], consulté en octobre 2014.

121 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

Les répertoires d’action de ces féminismes s’articulent autour « d’actions constructives et pédagogiques84 » et/ou « d’actions ludiques HWDUWLVWLTXHV}mDWHOLHUGHI«PLQLVPH V SRXUG«EXWDQWV}mMRXUQ«HV OXGLTXHV GHV I«PLQLVPHV} SXEOLFDWLRQ GȇXQH OLWW«UDWXUH ¢ FDUDFWªUH PLOLWDQWGȇXQHmOLVWHGȇDWWLWXGHVPLFURPDFKLVWHV}G«IHQVHGHOȇDYRUWH- ment libre et gratuit85JXLGHGHODQJDJHLQFOXVLI86 ou encore rédaction du manifeste Transmaricabollo87 pour défendre les droits des personnes /*%7HWOHWUDYDLOVH[XHO(QȴQ¢OȇLQW«ULHXUGHODWHQWHI«PLQLVWHGHSol une aide psychologique a été proposée à toutes les personnes victimes GȇDJUHVVLRQV VH[LVWHV KRPRSKREHV RX UDFLVWHV HQGHKRUV RX DX VHLQ P¬PH GX FDPSHPHQW 5DSSHORQV TXH OH PRXYHPHQW GX 0 JXLG« SDUGHVLG«DX[DQWLFDSLWDOLVWHVSURJUHVVLVWHVHWOLEHUWDLUHVQȇDSDV«W«¢ l’abri de la reproduction des logiques de domination à l’œuvre dans la société civile : généralisation des insultes chargées de machisme et d’ho- PRSKRELHUHIXVGȇLQFRUSRUHUOHVWKªPHVFHQWUDX[GXI«PLQLVPH DYRU- WHPHQWYLROHQFHVH[LVWHSROLWLTXHVGXcare88) dans le discours général du mouvement et résistances à la prise de parole féminine et féministe lors des assemblées générales89. Ces comportements ont été relevés dans la plupart des campements installés sur les places espagnoles et RQW GRQQ« OLHX ¢ GHV FRQWUHRIIHQVLYHV RULJLQDOHV ‚ 0DGULG IDFH ¢ OD EDQDOLVDWLRQGDQVOHVUDQJVGHVLQGLJQ«VGXVORJDQmSROLWLFLHQVȴOVGH SXWHV}GHVSURVWLWX«HVPDGULOªQHVRQWFRQIHFWLRQQ«GHVSDQFDUWHVVXU lesquelles on pouvait lire : « [Nous] les putes tenons à dire que les politi- ciens ne sont pas nos enfants90}UHSUHQDQWDLQVLOHVVORJDQVSRSXODULV«V

šNous empruntons ces différentes catégorisations des répertoires d’action à Benjamín TƫưƫƷƯƴƧ, La sociedad imaginada. Movimientos sociales y cambio cultural en España, Madrid, editorial TTQVVCR š8QKTNGVGZVGkDemocracia Real y derecho de las mujeres a decidir », ibid., 25 mai 2011. šL’utilisation de la lettre « x » fusionne le « a », marque du féminin et le « o », marque du mas culin pour neutraliser le genre. CGVGORNQKCȌVȌIȌPȌTCNKUȌFCPUNGUȌETKVUFWM. šL’équivalent français du « Manifeste transpédégouine ». Cf. « Manifiesto Transmaricabollo », Dossier de la Comisión de Feminismos de Sol, op. cit. Ce manifeste s’insurge contre les différentes oppressions dont sont victimes les trans, les femmes, les personnes homosexuelles et les OKITCPVGUš TCEKUOG UGZKUOG JQOQRJQDKG ECRKVCNKUOG TGNKIKQPU NQDD[U RJCTOCEGWVKSWGU médias et éducation véhiculant des principes sexistes ou homophobes. šBGIQȓCMƧƷƺƭʜƴ et. al., Op Cit, 2013, p. 26. šSur cette question, voir Karine BƫƷƭʣƸ, « Quand les féminismes s’indignent. Le mouvement FW M entre revendications égalitaires et reproduction des logiques patriarcales », Erich FƯƸƨƧƩƮ et Philippe RƧƨƧƹʤ FKT FCPUActes choisis du colloque de Strasbourg « crise(s) dans le monde ibérique et ibéro-américain », HispanismeS Po LWKNNGV =JVVRYYYJKURCPKUVGU QTIKOCIGUPDFHispanismeSHKURCPKUOGUAUJHJKURCPKUOGUDGTIGU MCTKPGRFH?EQPUWNVȌNGPQXGODTG šDossier de la Comisión de Feminismos de Sol, op. cit.

122 De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

par le mouvement global de la « Marche des salopes91 ». Le recours au GLDORJXHHW¢OȇKXPRXUOHUHWRXUQHPHQWGXVWLJPDWHHQVLJQHGHSURWHV- WDWLRQODG«FRQVWUXFWLRQGHVVW«U«RW\SHVDXWDQWGHVWUDW«JLHVXWLOLV«HV SRXUFRQMXUHUOHPDFKLVPHLQW«ULRULV«6HORQODWDLOOHGHVFDPSHPHQWV OHV U«VXOWDWV RQW «W« LQ«JDX[ ‚ 0DGULG RX %DUFHORQH HQ G«SLW GHV U«WLFHQFHV LQLWLDOHV OHV I«PLQLVWHV VRQW SDUYHQXHV ¢ IDLUH DGRSWHU XQ ODQJDJH QRQ VH[LVWH ¢ SURGXLUH GHV HVSDFHV I«PLQLVWHV DXWRQRPHV ¢ acquérir une légitimité et une visibilité inédites alors que dans d’autres YLOOHVOHVU«VXOWDWVRQW«W«PRLQVSUREDQWV ‚ WUDYHUV FHV H[HPSOHV LO HVW PDQLIHVWH TXȇHQ (VSDJQH GHSXLV OH G«EXWGHVDQQ«HVOHI«PLQLVPHHVWHQWU«GDQVXQHSKDVHGHPXWD- WLRQHWGHUHFRQȴJXUDWLRQGHOȇDYHXP¬PHGH-XVWD0RQWHURDFWLYLVWH KLVWRULTXHTXL«YRTXHmXQPRPHQWGHG«IHUODQWHVI«PLQLVWHVGHPRX- YHPHQWVWXPXOWXHX[YLIVFULWLTXHVUDGLFDX[HWFU«DWLIV92 ». Preuve de ODYLWDOLW«UHWURXY«HGHVI«PLQLVPHVHVSDJQROVOȇH[WUDRUGLQDLUHPRELOL- sation unitaire qu’a suscitée l’annonce du projet de réforme de la loi de OȇDYRUWHPHQWHQG«FHPEUHGRQWQRXVDOORQVUHQGUHFRPSWHGDQV le dernier volet de cette étude.

« EN NUESTROS ÚTEROS, NO SE LEGISLA » : LA (RE)MOBILISATION UNITAIRE AUTOUR DE LA QUESTION DE L’AVORTEMENT $ȴQ GH FRPSUHQGUH OD SRUW«H GH FHWWH PRELOLVDWLRQ LO FRQYLHQW de retracer brièvement la généalogie des trois lois sur l’avortement TXL RQW SU«YDOX GHSXLV OD ȴQ GH OD GLFWDWXUH GX J«Q«UDO )UDQFRHQ novembre 197593 &ȇHVW HQ  VRXV OD SUHPLªUH O«JLVODWXUH VRFLDOLVWH GHODG«PRFUDWLHTXHODORLRUJDQLTXHGXMXLOOHWD«W«DGRSW«H

šMouvement né au CCPCFCGPCXTKN Slut Walk) suite aux déclarations d’un policier de Toronto, Michael Sanguinetti, qui avait conseillé aux étudiantes de ne pas s’habiller « comme des traînées » si elles ne voulaient pas se faire agresser. Depuis lors, cette marche s’est étendue à toutes les grandes capitales du monde. Voir Nelly AƴƪƷƫ, « Les nouvelles formes de protes VCVKQPUQEKCNGšūNCOCTEJGFGUUCNQRGUŬGPAmérique latine », Chronique des Amériques, vol. 14, Po LWKP =JVVRYYYKGKOWSCOECIMGRFHEFCAXQNWOGAAPWOGTQAALWKPARFH? consulté en septembre 2014. šJusta MƵƴƹƫƷƵ, « Marejadas feministas », Diagonalperiodico. net, 1er avril 2014, =JVVRUšYYYFKCIQPCNRGTKQFKEQPGVNCRNC\COCTGLCFCUHGOKPKUVCUJVO? EQPUWNVȌ NG 10 novembre 2014. šPour un historique complet, nous renvoyons à l’étude très documentée de Silvia BƫƴƧƳʲ et Trinidad NƵƭƺƫƷƧ, L’interruption volontaire de grossesse en Espagne, Fondation JGCPJaurès, OCTU  =JVVRYYYLGCPLCWTGUQTIPWDNKECVKQPUNQVGULKPVGTTWRVKQPXQNQPVCKTGFG ITQUUGUUGGPEspagne], consulté en juin 2014.

123 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

(OOHU«JXODULVDLWODG«S«QDOLVDWLRQGHOȇ,9*GDQVWURLVFDVGHȴJXUHYLRO PDOIRUPDWLRQGXIĕWXVJUDYHGDQJHUSRXUODVDQW«SK\VLTXHRXPHQWDOH GHODPªUH,OVȇDJLVVDLWGRQFGȇXQHORLUHVWULFWLYHTXLQHVHUDLWPRGLȴ«H TXȇHQVRXVODO«JLVODWXUHVRFLDOLVWHGH-RV«/XLV5RGU¯JXH]=DSDWHUR soucieux de faire de l’Espagne une référence mondiale en matière de reconnaissance des droits des femmes. La loi organique du 3 mars SURF«GDLW GRQF ¢ OD G«S«QDOLVDWLRQ GH Oȇ,9* VDQV FRQGLWLRQV MXVTXȇ¢OD quatorzième semaine de gestation et remplaçait le régime dit des « cas GHȴJXUH}SDUXQV\VWªPHU«JLSDUmOHVG«ODLV}XQHPLVHHQKRPRJ«- néité avec les réglementations en vigueur de la plupart des démocraties HXURS«HQQHV/HFKDQJHPHQWGHPDMRULW«VXLWHDX[«OHFWLRQVO«JLVODWLYHV DQWLFLS«HVGHQRYHPEUHTXLRQWSRUW«DXSRXYRLUODGURLWHFRQVHU- YDWULFHGH0DULDQR5DMR\VȇHVWDFFRPSDJQ«GȇXQQRXYHDXSURMHWGHORL VXUOȇDYRUWHPHQWSODF«VRXVOȇDXWRULW«GXPLQLVWUHGHOD-XVWLFH$OEHUWR 5XL]*DOODUGµQ&KHUFKDQWVDO«JLWLPLW«GDQVGHVDUJXPHQWVGȇRUGUHMXUL- GLTXHFRPPHOHUHVSHFW¢ODmSURWHFWLRQGHODYLHGHOȇHQIDQW¢QD°WUH} ou la « non-discrimination des personnes handicapées94}OȇDYDQWSURMHW de loi envisageait de circonscrire l’accès à l’avortement à deux cas de ȴJXUHVHXOHPHQWOHYLROHWOHJUDYHGDQJHUSRXUODVDQW«SK\VLTXHRX SV\FKRORJLTXH GH OD IHPPH OD PDOIRUPDWLRQ GX IĕWXV QH FRQVWLWXDQW plus à elle seule un motif légal. Pour la première fois en trente-cinq ans GHG«PRFUDWLHOȇ(VSDJQHVXELVVDLWXQQHWUHFXOHQPDWLªUHGHGURLWVGHV IHPPHVHWIDLVDLWIDFH¢ODPLVHVRXVWXWHOOHGHOHXUFRUSVDXVHUYLFHGHV LQW«U¬WVSROLWLTXHVHWLG«RORJLTXHVGHOȇ‹WDWHVSDJQRO95. 'H IDLW OD PRGLȴFDWLRQ O«JLVODWLYH «WDLW GHVWLQ«H ¢ V«GXLUH OȇDLOH OD SOXV FRQVHUYDWULFH GX SDUWL DX SRXYRLU Oȇ«SLVFRSDW HVSDJQRO HW OHV JURXSHV mSURYLH} WUªV PRELOLV«V FRQWUH OD ORL GH  DORUV TXH toutes les enquêtes d’opinion ont exprimé le rejet massif de la réforme VRXWHQXH SDU $OEHUWR 5XL] *DOODUGµQ96. Ces enquêtes sont d’autant

šCf. IPVGTXKGY FG Mercedes YƺƸƹƧ, JOL Press LCPXKGT  =JVVRYYYLQNRTGUUEQO GURCIPGCXQTVGOGPVKXIOGTEGFGU[WUVCCTVKENGJVON?EQPUWNVȌNGPQXGODTG šCf. la tribune publiée par Paul B. PƷƫƩƯƧƪƵdans Libération qui appelle toutes les femmes espagnoles à faire « la grève des utérus » en signe de résistance « matriotique », Libération, « DȌENCTGTNCITȋXGFGUWVȌTWUzLCPXKGT=JVVRYYYNKDGTCVKQPHTUQEKGVG FGENCTGTNCITGXGFGUWVGTWUA?EQPUWNVȌNGPQXGODTG š FG NC RQRWNCVKQP UG FȌENCTG GP HCXGWT FW OCKPVKGP FG NC NQK FG   FGU Espagnols considèrent que toute femme enceinte doit pouvoir décider librement de mener ou non sa grossesse à terme et 65 % des électeurs du Parti populaire se déclarent à leur tour oppo sés à la loi GCNNCTFȕP =JVVRYYYGNOWPFQGUGURCPCECHGGFD DJVON? =JVVRRQNKVKECGNRCKUEQORQNKVKECCEVWCNKFCFA JVON? =JVVRGNRCKUEQOGNRCKUOGFKCAJVON? EQPUWNVȌU NG 18 novembre 2014.

124 De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

SOXV VLJQLȴFDWLYHV TXȇHOOHV IXUHQW FRQGXLWHV GDQV XQ FRQWH[WH GH FULVH économique et de durcissement des politiques d’austérité dont la mise en œuvre fragilisait d’autant plus les femmes des classes moyennes et SRSXODLUHV$XVVLQȇHVWLOJXªUHVXUSUHQDQWTXHOȇDQQRQFHGHFHSURMHW GHORLDLWVXVFLW«XQHPRELOLVDWLRQVDQVSU«F«GHQWGDQVODVRFL«W«FLYLOH confrontée à une précarisation généralisée et à la paupérisation crois- VDQWHGHODSRSXODWLRQI«PLQLQH'DQVOHVFHUFOHVI«PLQLVWHVOȇRIIHQVLYH a été orchestrée via la plateforme numérique Nosotras DecidimosIRQ- G«HHQSRXUFRQWUHUOHVDWWDTXHV¢ODVXLWHGHODG«S«QDOLVDWLRQGH l’avortement par le gouvernement Zapatero97. Aujourd’hui intégrée par RUJDQLVDWLRQVGHIHPPHVHOOHIDLWRɚFHGHSRUWHYRL[GHVUHYHQGLFD- WLRQVGHV(VSDJQROHVSRXUOȇDFFªV¢OȇDYRUWHPHQWOLEUHHWJUDWXLWHWI«GªUH la mobilisation au plan national et régional autour d’un large réseau GHVROLGDULW«SUHXYHHQHVWODFRQYRFDWLRQGHJUDQGHVPDQLIHVWDWLRQV FRPPHFHOOHVGXVHSWHPEUHGXer février et du 8 mars 201498.

Photo 4.2. Manifestation contre la loi de réforme de l’avortement, Madrid, 8 mars 2014.

Ces rassemblements citoyens et intergénérationnels ont constitué un IURQWXQLWDLUHFRQWUHODORL*DOODUGµQDXWRXUGXVORJDQm2QQHO«JLIªUH pas dans nos utérus » et sont parvenus à faire circuler l’avant-projet de ORLDXGHO¢GHVIURQWLªUHVQDWLRQDOHVG«PRQWUDQWDLQVLTXHOHVUHVVRXUFHV LQIRUPDWLRQQHOOHV U«VHDX[ VRFLDX[ VLWHV LQWHUQHWHWF  VȇLPSRVHQW

=JVVRPQUQVTCUFGEKFKOQUQTI?EQPUWNVȌNGPQXGODTG ššRGTUQPPGUCWTCKGPVFȌHKNȌNQTUFGNCOCPKHGUVCVKQPFWOCTU

125 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

Photo 4.3. Manifestation en soutien aux femmes espagnoles, Paris, 1er février 2014.

aujourd’hui comme une « nouvelle arme importante dans l’arsenal militant99}/ȇXVDJHSROLWLTXHGHVQRXYHOOHVWHFKQRORJLHVDXP¬PHWLWUH TXH OD mVSHFWDFXODULVDWLRQ} GHV DFWLRQV PLOLWDQWHV SDUWLFLSH GH FH renouvellement des répertoires d’action du féminisme contemporain. En W«PRLJQHODPLVHHQVFªQHGȇXQHDFWLRQV\PEROLTXHP«GLDWLTXHHWSROL- WLTXHmOHWUDLQGHODOLEHUW«100}ODQF«H¢OȇLQLWLDWLYHGH%HJR³D3L³HUR SRUWHSDUROHGHOȇDVVRFLDWLRQI«PLQLVWHGHV$VWXULHVLas ComadresDYHF

šFabien GƷƧƴưƵƴ, L’internet militant, Rennes, Apogée, 2001, cité par Pierre MƫƷƩƱƲʤ, Sociologie des réseaux sociaux, Paris, la découverte, 2011, p. 87. Pour plus de détails sur la mobilisation internationale autour de la loi de réforme de l’IVG en Espagne, voir Karine BƫƷƭʣƸ, « FGOOGUGPTȌUGCWZGVTȌUGCWZFGHGOOGUšNCVGEJPQNQIKGCWUGTXKEGFWOKNKVCPVKUOGzFCPU Féminismes du xxie siècle, Karine BƫƷƭʣƸ, Florence BƯƴƧƷƪ, Alexandrine GƺƾƧƷƪNƫƪƫƲƫƩ FKT  Rennes, PUR, collection « Archives du féminisme », 2015. šCette initiative a donné son nom au documentaire, Yo decido. El Tren de la libertad, 2014, =JVVRXKOGQEQO?

126 De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

à son bord des féministes parties du nord de l’Espagne pour rejoindre 0DGULGOHerI«YULHUGDWHGHODJUDQGHMRXUQ«HLQWHUQDWLRQDOHGHPRELOL- VDWLRQHXURS«HQQHHQVRXWLHQ¢Oȇ,9*HWDX[IHPPHVHVSDJQROHV101. La résistance s’est également organisée sous la tutelle de l’Assem- blée féministe de Madrid qui depuis les années 1980 fédère les expé- riences des collectifs féministes madrilènes102. Particulièrement active DXFRXUVGHVGHUQLHUVPRLVHOOHDPRELOLV«GHVFROOHFWLIVI«PLQLVWHVGH différentes obédiences — des plus institutionnels aux plus autonomes ȃ¢WUDYHUVODFRQVROLGDWLRQGȇXQHm3ODWHIRUPHXQLWDLUHDYRUWHPHQW} OH G«ȴ «WDQW GȇRUJDQLVHU OD G«VRE«LVVDQFH FLYLOH ¢ WUDYHUV GHV PRGHV GH SURWHVWDWLRQ YLVLEOHV GDQV OȇHVSDFH SXEOLFSHUIRUPDQFHV sitting et escraches&HGHUQLHUWHUPHTXLQȇDSDVVRQ«TXLYDOHQWHQIUDQ©DLVD fait son apparition en Espagne à partir de 2013 : il renvoie à un mode de protestation qui s’est généralisé en Argentine en 1995 contre les personnes ayant soutenu ou participé à la dictature militaire de Jorge 5DIDHO 9LGHOD   'DQV OH FRQWH[WH GH OD FULVH HVSDJQROH LO prend la forme de « dénonciations citoyennes d’un type de personnes G«WHUPLQ«HV >SHUVRQQDOLW«V SROLWLTXHV HQWLW«V EDQFDLUHVHWF@ SDU OH ELDLVGHPDQLIHVWDWLRQVSDFLȴTXHVGHYDQWOHGRPLFLOHRXOLHXGHWUDYDLO de celles-ci103 ». Les activistes féministes ont repris à leur compte ces modes d’intervention dans l’espace public104HWRQWRUJDQLV«OHPDL  SOXVLHXUV escraches dans vingt-huit villes espagnoles105 : initia- lement promue par la campagne pour le droit à l’avortement libre et UUDWXLW GH &DWDORJQH FHWWH DFWLRQ D WURXY« XQ «FKR QDWLRQDO ¢ WUDYHUV OD&RRUGLQDWLRQGHVRUJDQLVDWLRQVI«PLQLVWHV&HMRXUO¢OHVPLOLWDQWHV

šLe même jour et à la même heure, des manifestations de solidarité se sont déroulées dans FGPQODTGWUGUXKNNGUGWTQRȌGPPGU GPBelgique, GTCPFGBretagne, Portugal, France). À Paris, la OCPKHGUVCVKQPCEQORVȌRNWUFGšOCPKHGUVCPVGU šLa Asamblea Feminista de Madrid se réunit depuis 1978 au sein de « Barquillo, 44 », lieu de référence du féminisme madrilène depuis la transition démocratique. Il a accueilli plus d’une centaine de collectifs et d’associations, devenant ainsi un espace de convergence et de dialogue entre tous les féminismes. En raison des coupes budgétaires, le local a fermé ses portes en octobre 2014 et a été transféré à « Bravo Murillo, 4 ». Cf. « Manifiesto sobre el cierre de BCTSWKNNQzQEVQDTG=JVVRYYYHGOKPKUVCUQTIOCFTKF!R ?EQPUWNVȌNG 18 novembre 2014. šLuis RƺƯƿ AưƧ, FNQTKȄPManuel PʤƷƫƿ, Teresa María GʭƳƫƿPƧƸƹƷƧƴƧ, El descontento social y la Generación IN, Madrid, Editorial Popular, 2013, p. 30. šEn Espagne, c’est la « PNCVGHQTOG FGU CHHGEVȌU FG NŨJ[RQVJȋSWGz Plataforma de los Afectados por la Hipoteca) qui a réalisé les premiers escraches pour protester contre les expul sions abusives sous l’effet de la crise économique et de la spéculation financière. šJoanna GƧƷƩʨƧ GƷƫƴƿƫƷ, Pikara Magazine OCK  =JVVRYYYRKMCTCOCIC\KPG EQOGUETCEJGHGOKPKUVCJCEKCNCFGUQDGFKGPEKCEKXKNCPVGNCEQPVTCTTGHQTOCFGNC NG[FGCDQTVQ?EQPUWNVȌNGPQXGODTG

127 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

s’étaient donné rendez-vous devant les sièges régionaux du Parti popu- ODLUHHWGHYDQWOHGRPLFLOHPDGULOªQHGXPLQLVWUHGHOD-XVWLFHDȴQGH manifester leur opposition au projet de réforme. « Vos rosaires hors GHQRVRYDLUHV/HVULFKHVSDLHQWOHVSDXYUHVPHXUHQW3RXUQRVGURLWV SRXU QRV FKRL[} DXWDQW GH VORJDQV KXPRULVWLTXHV GH SDQFDUWHV HW GH FKDQVRQV VXEYHUVLYHV TXL QH VRQW SDV VDQV UDSSHOHU OHV PRGDOLW«V GȇDFWLRQ GHV I«PLQLVWHV GH OD GHX[LªPH YDJXH QRWDPPHQW HQ )UDQFH pour défendre le droit à l’avortement dans les années 1970. Malgré le FDUDFWªUH SDFLȴVWH GHV UDVVHPEOHPHQWV FHX[ GH 0DGULG $OLFDQWH HW Valladolid ont été violemment réprimés par la police106 et se sont soldés par plusieurs arrestations assorties d’amendes107. Après un bras de fer de plusieurs mois et toute une gestion des crispations dans les rangs du 3DUWLSRSXODLUHFȇHVWOHFKHIGXJRXYHUQHPHQWOXLP¬PHTXLDDQQRQF« OHVHSWHPEUHOHUHWUDLWGHOȇDYDQWSURMHWGHORLDFF«O«UDQWDLQVL la démission annoncée de son ministre de la Justice108. Le manque de FRQVHQVXVDXVHLQP¬PHGHODGURLWHHVSDJQROHODSU«VHUYDWLRQGHVHV intérêts politiques et la pression massive des mobilisations nationales HW LQWHUQDWLRQDOHV FLWR\HQQHV HW I«PLQLVWHV RQW ȴQDOHPHQW HX UDLVRQ GȇXQSURMHWGHORLTXLDXERXWGXFRPSWHPHQD©DLWODFU«GLELOLW«GȇXQ gouvernement déjà très affaibli par la crise économique et la révélation GH QRPEUHX[ VFDQGDOHV GH FRUUXSWLRQ HW TXL Qȇ«WDLW SDV HQ SRVLWLRQ de force dans la perspective des différentes échéances électorales de l’année 2015. ***

Ces mobilisations massives démontrent le dynamisme du mili- WDQWLVPH I«PLQLVWH TXL D FRPPHQF« ¢ VH UHFRQȴJXUHU ¢ OD ȴQ GHV

šLes images de la charge de la police contre les manifestant.e.s, devant le domicile d’Al berto Ruiz Gallardón à MCFTKFUQPVFKURQPKDNGUUWTNGNKGPUWKXCPV=JVVRUšYYY[QWVWDGEQO YCVEJ!X [PDgb7N5D9g], consulté le 10 novembre 2014. šSQWNKIPQPU SWŨWP CXCPVRTQLGV FW OKPKUVȋTG FG NŨIntérieur sur la « nouvelle loi de sécu rité citoyenne » soulève depuis plusieurs mois de vives polémiques. Il prévoit notamment de renforcer les sanctions contre les escraches, référencés comme des infractions graves et, RWPKURCTFGUCOGPFGUGPVTGšGVšGWTQUDiario. esPQXGODTG=JVVR YYYRWDNKEQGUNCNG[FGUGIWTKFCFEKWFCFCPCWPCOQTFC\CRCTCNQUSWGRTQVGUVCP? consulté le 18 novembre 2014. šPlusieurs figures du Parti populaire ont manifesté publiquement leur opposition au projet FGNQKšCelia VKNNCNQDQU XKEGRTȌUKFGPVGFWCongrès et ancienne ministre de la Santé sous le gouvernement de José María Aznar), José Antonio MQPCIQ RTȌUKFGPV FG NC EQOOWPCWVȌ autonome d’Estrémadure), Alberto NȚȓG\FGKLQQ RTȌUKFGPVFGNCEQOOWPCWVȌCWVQPQOGFG Galice), Juan Vicente HGTTGTC RTȌUKFGPV FG NC EQOOWPCWVȌ CWVQPQOG FG Castille et Léon), Cristina CKHWGPVGU FȌNȌIWȌG FW IQWXGTPGOGPV ȃ Madrid), Rosa VCNFGȕP OCKTG FG Zamora), Borja SGORGT RTȌUKFGPVFWPP de Guipuscoa), etc.

128 De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

DQQ«HVHWTXLDWURXY«XQWHUUDLQGȇH[SUHVVLRQGȇDERUGGDQVOD mU«YROXWLRQFLWR\HQQH}GHSXLVDXWRXUGXSURMHWGHU«IRUPHVXU l’avortement. Depuis les luttes féministes pour l’obtention d’une loi VXU OH GLYRUFH HW VXU OȇDYRUWHPHQW DX G«EXW GHV DQQ«HV  OH SD\V n’avait pas connu une telle « unité dans l’action109 ». L’obstination Gȇ$OEHUWR5XL]*DOODUGµQGDQVVRQHQWUHSULVHGHPLVHVRXVWXWHOOHGHV IHPPHVHVSDJQROHVDIDLWRɚFHGHFDWDO\VHXUGHVIRUFHVI«PLQLVWHVTXL se sont rassemblées dans un grand mouvement intergénérationnel et FRQWHVWDWDLUHOHV PDQLIHVWDWLRQV RQW RIIHUW WRXU ¢ WRXU OȇRFFDVLRQ GH PDUTXHUXQHRSSRVLWLRQIHUPHDXSURMHWGHORLGHG«QRQFHUODG«JUD- GDWLRQGHVFRQGLWLRQVGHYLHGHVIDPLOOHVHWGHVIHPPHVOL«HDX[FRXSHV EXGJ«WDLUHV HQ PDWLªUH GH VDQW« GȇDLGHV VRFLDOHV GH JHO GHV VDODLUHV RXGHVȇLQVXUJHUFRQWUHOHSRLGVGHOȇRUGUHSDWULDUFDOK«W«URVH[LVWHHW FDSLWDOLVWH2QFRQVWDWHTXHOȇ(VSDJQHQHIDLWSDVȴJXUHGHFDVLVRO«FDU QRXV DVVLVWRQV GHSXLV OH G«EXW GHV DQQ«HV  DX UHQRXYHDX GH OD « culture de la contestation110} TXL VH WUDGXLW GDQV XQH SHUVSHFWLYH JHQU«HSDUXQHLQWHUQDWLRQDOLVDWLRQGHVVWUDW«JLHVGHOȇDFWLYLVPHI«PL- QLVWH UDGLFDO SDU OD FRQVROLGDWLRQ GH U«VHDX[ GH VROLGDULW« I«PLQLVWHV QDWLRQDX[ HW WUDQVQDWLRQDX[ HW SDU OD IRQGDWLRQ GH QRXYHDX[ FROOHF- WLIVTXLUHYHQGLTXHQWVXUGHVUHJLVWUHVGLYHUVXQUHQRXYHOOHPHQWGHV discours et des modalités d’action féministes. L’histoire du féminisme espagnol est marquée par la consolidation de ses luttes au cours des dernières années du franquisme (tardofranquismo  HW ELHQ TXH VD IUDJPHQWDWLRQ HQ FRXUDQWV SOXULHOV DLW «W« XQH FRQVWDQWH FHOD QH OȇD pas empêché de porter des combats de haut vol visant à l’obtention de nouveaux droits juridiques pour les femmes. L’institutionnalisation du I«PLQLVPH VRXV OHV JRXYHUQHPHQWV VRFLDOLVWHV D LQVFULW OHV SROLWLTXHV GH JHQUH ¢ OȇDJHQGD SROLWLTXH PDLV FH I«PLQLVPH GH VHUYLFH O«JLWLPH HWQ«FHVVDLUHDHXSRXUHIIHWGHUHO«JXHUOHI«PLQLVPHDXWRQRPHGDQV les interstices de la contestation minoritaire. Au tournant des années  VRXV OȇLQȵXHQFH GHV WK«RULHV SRVWPRGHUQHV SRVWVWUXFWXUDOLVWHV et queerOHVI«PLQLVPHVHVSDJQROVRQWSURF«G«¢XQHU«DFWXDOLVDWLRQGH OHXUVWK«RULHVSRVWXODQWSRXUODmVXEYHUVLRQGHOȇLGHQWLW«}HWODSHUIRU- mativité des corps111$XVVLGªVOHPLOLHXGHVDQQ«HVHWSOXVHQFRUH ¢SDUWLUGHVDQQ«HVOHVDFWLYLVWHVVHVRQWPRQWU« H VSHUP«DEOHV ¢GHQRXYHDX[FRXUDQWVUHPHWWDQWHQFDXVHODPDWULFHK«W«URVH[XHOOH

šNous empruntons cette expression à María MƧƷƹʨƴƫƿGƵƴƿʜƲƫƿ, op. cit., 2008. šIsabelle SƵƳƳƯƫƷ, Le renouveau des mouvements contestataires à l’heure de la mondialisation, Paris, Flammarion, 2003, p. 24. šNous reprenons ici le titre de l’ouvrage de référence de Judith BƺƹƲƫƷ, op. cit., 1990.

129 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

la catégorisation binaire de genre et le sujet même du féminisme. Les théories QueerOHWUDQVI«PLQLVPHOHSRVWSRUQOHSRUQRWHUURULVPHOHV PRXYHPHQWV SURVH[H DXWDQW GH QRXYHDX[ FRXUDQWV TXL RQW RXYHUW QRXV GLW OȇDFWLYLVWH %HDWUL] *LPHQR mXQ PRQGH GH SRVVLELOLW«V QRXV ont permis de chausser de nouvelles lunettes pour voir la réalité112} HQUHQGDQWYLVLEOHVGȇDXWUHVVXEMHFWLYLW«VGȇDXWUHVVXMHWVGHQRXYHOOHV LQ«JDOLW«VVRXVOȇHIIHWGHVSROLWLTXHVQ«ROLE«UDOHVHWGHOȇLPEULFDWLRQGH plusieurs systèmes d’oppression. 3RXU FRQFOXUH QRXV DMRXWHURQV TXH FHWWH mPDU«H YLROHWWH} TXL D G«IHUO« FHV GHX[ GHUQLªUHV DQQ«HV QH VȇHVW SDV WDULH FRPPH HQ témoigne la déclinaison politique des propositions féministes du 15-M dans la nouvelle formation politique Podemos113 'HSXLV PDUV OHV UHYHQGLFDWLRQV I«PLQLVWHV DX VHLQ GH FHWWH QRXYHOOH IRUFH PRQ- WDQWH VRQW SRUW«HV SDU OH FHUFOH Podemos féminismes114 XQ HVSDFH GHU«ȵH[LRQHWGHSDUWLFLSDWLRQFLWR\HQQHVXUOHVWK«PDWLTXHVHQOLHQ DYHF Oȇ«JDOLW« IHPPHVKRPPHV TXL YHLOOH ¢ UHQGUH HIIHFWLYH QRQ VDQV GLɚFXOW«VODWUDQVYHUVDOLVDWLRQDXVHLQGHVDXWUHVFHUFOHVWK«PDWLTXHV de l’organisation politique115. Malgré les critiques formulées par les autres formations politiques à l’égard de ce nouveau parti116PDOJU«OHV résistances encore perceptibles dans ses rangs à l’égard du féminisme et malgré l’institutionnalisation d’une mobilisation sociale qui pose TXHVWLRQLOQȇHQUHVWHSDVPRLQVTXHFHWWHQRXYHOOHIRUPDWLRQSROLWLTXH s’impose comme un laboratoire expérimental des propositions théo- ULTXHV WURS VRXYHQW FDQWRQQ«HV DX UDQJ GHV XWRSLHV XQH DOWHUQDWLYH à la représentation politique traditionnelle en mettant au cœur de son programme transformateur la participation citoyenne. « L’un des meil- leurs atouts de Podemos est le grand nombre de féministes qu’il compte dans ses rangs117} DVVXUH %HDWUL] *LPHQR TXL PLOLWH GDQV OH SDUWL HW

šBeatriz GƯƳƫƴƵ, op. cit., 2009. šPodemos, dirigé par l’eurodéputé Pablo Iglesias, s’est présenté aux élections européennes de mai 2014 et a obtenu 7,98 % des voix, ce qui le place au quatrième rang des forces politiques en Espagne.  =JVVRUšYYYHCEGDQQMEQORCIGUPQFGOQUFGOKPKUOQU!UM KPHQ? consulté le 24 novembre 2014. šIPVGTXKGYCírculo Podemos FeminismosOCTU=JVVRYYYGURCEKQCNVGTPCVKXQQTI URKRRJR!CTVKENG?EQPUWNVȌNGPQXGODTG šLes critiques les plus récurrentes sont la proximité idéologique entre Podemos, le popu lisme, le chavisme et le castrisme ainsi que l’antidémocratisme de l’équipe constituée autour de Pablo Iglesias. šBeatriz GƯƳƫƴƵ, « Ante las críticas al feminismo de Podemos », blog de Beatriz Gimeno, PQXGODTG  =JVVRDGCVTK\IKOGPQGUCPVGNCUETKVKECUCNHGOKPKUOQFG RQFGOQUOQTG?EQPUWNVȌNGPQXGODTG

130 De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

pour laquelle les mutations qui sont en train de s’opérer sont le fait de mMHXQHVI«PLQLVWHVELHQIRUP«HVWUªVHQJDJ«HVGDQVOHI«PLQLVPHDYHF les idées claires et un haut degré d’activisme féministe118 ». Ces nou- velles formes d’engagement s’efforcent de refaçonner l’agir féministe et ouvrent un horizon d’espoir quant à la progressive prise en compte WUDQVYHUVDOHGHVUHYHQGLFDWLRQVI«PLQLVWHVQRQSOXVWUDLW«HV¢ODPDUJH mais prises comme caisse de résonance des questions du temps présent. /HI«PLQLVPHK«J«PRQLTXHTXLHVWDXMRXUGȇKXLODFLEOHGHVDFWLYLVWHV GH OD WURLVLªPH YDJXH FH I«PLQLVPH mJULV QRUPDWLI HW SXULWDLQ119} GHOȇDYHXP¬PHGHVHVG«WUDFWHXUVULFHVHVWLOHQPHVXUHGHU«SRQGUH DX[G«ȴVFRQWHPSRUDLQVVDQVXQUHQRXYHOOHPHQWHQSURIRQGHXUGHVHV WK«RULHVGHVHVPRGHVGȇDFWLRQHWGHVRQYLYLHUPLOLWDQW"3DUYLHQGUDWLO ¢VHODLVVHUEDLJQHUSDUGHQRXYHOOHVPDU«HVU«J«Q«UDWULFHV¢VHODLVVHU VHFRXHUSDUODKRXOHWXPXOWXHXVHGXUHQRXYHDX¢VHODLVVHUSRUWHUSDU les remous des problématiques émergentes ? Il semble en tout cas en avoir les capacités structurelles et organisationnelles puisque le fémi- QLVPH VȇHVW WRXMRXUV G«ȴQL FRPPH mXQH SROLWLTXH GH OȇDFWLRQ SHUPD- nente120}XQPRXYHPHQWMDORQQ«GHȵX[HWGHUHȵX[GȇDYDQF«HVHWGH UHFXOVGHFRQȵLWVHWGHVRURULW«TXLDUHIRUPXO«U«LQYHQW«U«DGDSW« repensé inlassablement son corpus théorique et ses pratiques tout au long de sa longue histoire politique et sociale.

šIbid. šPaul B. PƷƫƩƯƧƪƵ, « MWLGTGUGPNQUOȄTIGPGUzElpais. com, 13 janvier 2007, =JVVRGNRCKUEQOFKCTKQDCDGNKCAJVON? EQPUWNVȌ NG 18 novembre 2014. šFrançoise CƵƲƲƯƴ et Irène KƧƺƬƫƷ, « PQUVScriptum. La Terre promise », op. cit., 2014, p. 32.

131

DEUXIÈME PARTIE

REVENDICATIONS IDENTITAIRES ET NOUVEAUX MOUVEMENTS SOCIAUX

Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

5

Mouvements de contestation en Catalogne : manifestations et consultation(s) sur l’indépendance

Mercè PUJOL BERCHÉ

Malgré le mauvais usage de la justice fait par les auto- rités du gouvernement espagnol, nous ferons réalité un rêve et ne permettrons pas que l’on nous l’abîme. 0XULHO&DVDOVSU«VLGHQWHGȇ”PQLXP&XOWXUDO *UDQ7HDWUHGHO/LFHX%DUFHORQHG«FHPEUH

/H QRYHPEUH   GHV «OHFWHXUV FDWDODQV XQ SHX SOXV GH deux millions de personnes) se sont rendus aux urnes pour répondre ¢FHVGHX[TXHVWLRQVm9RXOH]YRXVTXHOD&DWDORJQHVRLWXQ‹WDW"} HW m9RXOH]YRXV TXH FHW ‹WDW VRLW LQG«SHQGDQW"}  GHV SHU- sonnes qui se sont exprimées lors de cette consultation ont répondu m2XL}DX[GHX[TXHVWLRQVm2XL}¢Oȇ‹WDWPDLVm1RQ}¢XQ ‹WDW LQG«SHQGDQW HW HQȴQ  m1RQ} DX[ GHX[ TXHVWLRQV &HWWH FRQVXOWDWLRQYRXOXHSDUODVRFL«W«FLYLOHHWRUJDQLV«HSDUODGeneralitat n’était pas un référendum et n’était pas non plus légale. Elle fait par- WLHGȇXQHmORQJXHKLVWRLUH}GRQWRQSRXUUDLWVLWXHUOȇRULJLQHHQ ORUVTXHOD&DWDORJQHDLQVLTXHOHV°OHV%DO«DUHV9DOHQFHHWOȇ$UDJRQRQW subi l’abolition des Fors ORLV OȇLQWHUGLFWLRQGXFDWDODQHWOȇLQVWDXUDWLRQ des Bourbons en Espagne. Le renouveau du mouvement indépendantiste catalan doit être analysé dans le contexte des discussions sur la réforme du statut cata- lan (2004-2006). Il commença à prendre forme avec les consultations SRSXODLUHV LQLWL«HV HQ  SXLV FRQQXW XQ VXUVDXW TXDOLWDWLI ORUV GH la manifestation massive de juillet 2010 contre la décision du Tribunal constitutionnel sur le caractère anticonstitutionnel des articles les SOXV HPEO«PDWLTXHV GH FH VWDWXW QRWDPPHQW SDU UDSSRUW ¢ OD ODQJXH FDWDODQH ¢ OD ȴVFDOLW« HW ¢ OD UHFRQQDLVVDQFH GH OȇLGHQWLW« FDWDODQH HQ

135 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

tant que « nation » politique à part entière. Dans le contexte des crises «FRQRPLTXH HW G«PRFUDWLTXH OȇLQG«SHQGDQWLVPH FDWDODQ VȇHVW FULVWDO- OLV« SHWLW ¢ SHWLW ¢ OȇRFFDVLRQ GX VHSWHPEUH OH MRXU GH OD Diada OD I¬WH QDWLRQDOH FDWDODQH GHSXLV  8QH HQWLW« FXOWXUHOOH Òmnium Cultural HW Oȇ$VVHPEO«H QDWLRQDOH FDWDODQH FU««H HQ  GHX[ LQV- WDQFHV SU«VLG«HV SDU GHX[ IHPPHV 0XULHO &DVDOV HW &DUPH )RUFDGHOO UHVSHFWLYHPHQWRQWSULVHQFKDUJHOȇRUJDQLVDWLRQGHVPRXYHPHQWVGH FRQWHVWDWLRQHQIDLVDQWSUHVVLRQVXUOHVSROLWLTXHVHWHQPHQDQWOHG«EDW vers la société civile. Comment a ressurgi la vieille revendication de l’indépendance de OD&DWDORJQH"'DQVTXHOFRQWH[WHVRFLDOHVSDJQROVȇLQVªUHWHOOH"4XL organise le mouvement et pourquoi ? Ce sont les questions auxquelles OHSU«VHQWFKDSLWUHHVVDLHGHU«SRQGUH3RXUFHIDLUHQRXVFRPPHQFH- URQVSDUXQEUHIUDSSHOKLVWRULTXHDȴQGHGRQQHUTXHOTXHVSRLQWVGH UHSªUHVSHUPHWWDQWGHVLWXHUODGHPDQGHFRQWHPSRUDLQHGHV&DWDODQV ce qui nous permettra notamment de retracer la trajectoire du natio- nalisme catalan depuis la naissance de l’Espagne des autonomies. Puis l’« œuvre collective » qu’a constituée le statut d’autonomie de OD&DWDORJQHGHQRXVVHUYLUD¢m«FULUHXQHSDJHGHOȇKLVWRLUH} VHORQ OHV PRWV GH FHOXL TXL IXW OH SU«VLGHQW GH OD &DWDORJQH 3DVTXDO 0DUDJDOO 8QH KLVWRLUH GX WHPSV SU«VHQW R» OD ODQJXH FDWDODQH DLQVL que la « nation catalane » font partie d’un imaginaire collectif qui se sent attaqué et bafoué par le Tribunal constitutionnel et donc par le gouvernement espagnol. L’histoire des relations entre le gouver- nement de Madrid et celui de la Generalitat de Catalogne s’est donc ranimée. La voix du peuple s’est organisée et des protestations ont VXUJLGDQVXQH(VSDJQHHQFULVHR»OHV(VSDJQROVVRQWWUªVUHPRQW«V FRQWUH GHV SROLWLTXHV PHQ«HV DX G«WULPHQW GHV SHUVRQQHV FRQWUHOD corruption institutionnelle et l’incapacité des partis à donner des réponses à leurs demandes de démocratie et de mesures sociales. Nous WHUPLQHURQVHQUDSSHODQWTXȇXQVRQGDJHU«FHQWGȇDYULOPHWHQ évidence que 60 % des Catalans considèrent qu’aucun parti politique QHSHXWGRQQHUXQHU«SRQVHDG«TXDWH¢OHXUVSUREOªPHVSULQFLSDX[ OH FK¶PDJH HW OD SU«FDULW« GRQQ«H TXL LOOXVWUH XQ LPSRUWDQW G«VHQ- chantement démocratique.

136 Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

REPÈRES HISTORIQUES : LE NATIONALISME CATALAN EN PERSPECTIVE /HG«EDWDXWRXUGȇXQ‹WDWLQG«SHQGDQWSRXUOD&DWDORJQHQȇHVWSDV QRXYHDX(QHIIHWLOHVWOHIUXLWGȇXQHORQJXHKLVWRLUHTXLG«EXWHDYHF les décrets de Nova PlantaGH3KLOLSSH9DYHFOȇDEROLWLRQGHWRXWHVOHV LQVWLWXWLRQV FDWDODQHV HW OD PLVH DX EDQ GX FDWDODQ (Q HIIHW SHQGDQW OD S«ULRGH DOODQW GH ¢ OHV G«FUHWV VH WUDGXLVLUHQW FRQFUªWH- ment par l’abolition des Fors (lois) : d’abord en Aragon et à Valence  SXLVGDQVOHV°OHV%DO«DUHV  HWHQȴQHQ&DWDORJQH   L’espagnol ou castillan sera désormais la seule langue obligatoire de OȇDGPLQLVWUDWLRQGHODMXVWLFHHWGHOȇHQVHLJQHPHQW À partir de la seconde moitié du XIXeVLªFOHDSUªVXQHORQJXHS«ULRGH GHPLVHHQVLOHQFHHWGHUHO«JDWLRQGHODODQJXHFDWDODQHSUHQGFRUSV une conscience de la langue et de l’identité catalanes. L’avènement des Jocs Florals OLWW«UDOHPHQWGHVm-HX[)ORUDX[} GHVMRXWHVSR«WLTXHVHQ ODQJXHFDWDODQHPDUTXHXQH«WDSHLPSRUWDQWHGXUHQRXYHDXFXOWXUHO de la Renaixença m5HQDLVVDQFH} HWU«DQLPHODFDWDODQLW«VDQVUHMHWHU OȇHVSDJQROLW«GHOD&DWDORJQH$LQVLORUVGHOȇRXYHUWXUHGHVJocs Florals HQ  VRQ SU«VLGHQW $QWRQL GH %RIDUXOO SURQRQFH TXHOTXHV PRWV VXUOHSDVV«JORULHX[GHOD&DWDORJQHFRPSDWLEOHDYHFOȇHVSDJQROLW«GX présent1. Le XIXe siècle verra naître les nationalismes que l’on appelle mS«ULSK«ULTXHV}EDVTXH HWKQLTXH JDOLFLHQ SOXW¶WFXOWXUHO HWFDWD- ODQ OLWW«UDLUHFXOWXUHOHWSROLWLTXH ¢FDXVHHQWUHDXWUHVGHOȇLQFDSDFLW« GHVJRXYHUQHPHQWVFHQWUDX[GHPHQHUXQHSROLWLTXHGHSURJUªVVRFLDO d’adopter le libéralisme politique et d’affronter sereinement la perte des dernières colonies2. 'X SRLQW GH YXH SROLWLTXH OD Lliga Regionalista créée entre 1898 et 1901 sera au pouvoir jusqu’à la dictature de Primo de Rivera (1923)3. 6RQOHDGHU3UDWGHOD5LEDFRQGXLUDOHVG«EDWVVXUODQDWLRQHWOȇ‹WDWHW publiera La nacionalitat catalana  HQ«WDEOLVVDQWODGLVWLQFWLRQ¢ IDLUHVHORQOXLHQWUHOȇ‹WDWȃRUJDQLVDWLRQSROLWLTXHHWDUWLȴFLHOOHȃHWOD QDWLRQȃHQWLW«QDWXUHOOHDYHFXQHKLVWRLUHHWXQHFXOWXUHSDUWDJ«HVHW

šPere AƴƭƺƫƷƧ « Nacionalismo e historiografía en CCVCNWȓC Tres propuestas en debate », dans Carlos FƵƷƩƧƪƫƲƲ FKT Nacionalismo e historia, Zaragoza, Institución Fernando El Católico & CSICCR šJuan Luis DƫLƧGƷƧƴưƧ, Justo BƫƷƧƳƫƴƪƯ et Pere AƴƭƺƫƷƧ, La España de los nacionalis- mos y las autonomías, Madrid, Síntesis, 2001. šLa Lliga Regionalista fut créée par des groupes politiques catalans dans le but de faire pression sur le gouvernement de Madrid afin de revendiquer les particularités linguistique et culturelle catalanes. Sa presse était La veu de Catalunya  

137 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

dotée d’une langue propre qui a une importance centrale pour la créa- WLRQGȇXQVHQWLPHQWQDWLRQDO&ȇHVW¢SDUWLUGHO¢TXHODQDWLRQODODQJXH et l’identité prendront une forte valeur symbolique : on commence alors ¢FU«HUXQHFRPPXQDXW«LPDJLQDLUHEDV«HVXUWRXWVXUODODQJXHVXUOH passé historique4GHOD&DWDORJQHDLQVLTXHVXUVDOLWW«UDWXUH5. ‚SURSRVGHOȇLPSRUWDQFHGHODODQJXHFDWDODQHVLJQDORQVTXHOTXHV faits qui contribuèrent à la construction de cet imaginaire collectif : le Primer Congrés Internacional de la Llengua Catalana a lieu à Barcelone du 13 au 18 octobre 1906 et Joan Bardina demande que cette langue soit la seule enseignée6 ; l’Institut d’Estudis Catalans est créé le 18 juin 1907 SDU3UDWGHOD5LEDDORUVSU«VLGHQWGHODSURYLQFHGH%DUFHORQH3XLV Pompeu Fabra (1868-1948) élève la langue catalane du statut de langue ancestrale à celui de langue nationale de la Catalogne et des pays cata- ODQVHQPHQDQWXQWUDYDLOUHPDUTXDEOHHWGHJUDQGHSURIRQGHXUVXUOH corpus de la langue7 (tout ce qui est en rapport avec sa normativité : dic- WLRQQDLUHVJUDPPDLUHVHWF /D Mancomunitat catalanaFU««HHQ regroupe les quatre institutions provinciales catalanes (Diputacions de 7DUUDJRQHGH%DUFHORQHGH/OHLGDHWGH*«URQH IDYRULVHODG«FHQWUD- OLVDWLRQ DGPLQLVWUDWLYH HW OȇDXWRJRXYHUQDQFH HQ PDWLªUH «FRQRPLTXH WRXWHQĕXYUDQWFRQVLG«UDEOHPHQWHQIDYHXUGHODODQJXHGHVELEOLR- thèques et de la diffusion de la culture catalane. 3DU OD VXLWH SHQGDQW OHV DQQ«HV  FRPPH OȇD IDLW UHPDUTXHU 5LTXHUmFDWDODQLVHU}VȇRSSRVHUDHQTXHOTXHVRUWH¢mHVSDJQROLVHU} GDQV OD PHVXUH R» OH FDWDODQLVPH SROLWLTXH «PHUJHQW HQWUHUD GH SOXV en plus en confrontation avec le nationalisme espagnol. Ce sera ensuite grâce à la Seconde République que la Catalogne obtiendra son statut GȇDXWRQRPLH OH VHSWHPEUH 8. C’est là qu’il faut situer le début GHOȇ(VSDJQHGHVDXWRQRPLHVFDUSRXU0DQXHO$]D³D  SU«-

šLa première histoire écrite de la Catalogne est celle d’Antonio de Capmany, puis celle de Víctor BCNCIWGTGPHistoria de Cataluña y de la Corona de Aragón, cf. Pere AƴƭƺƫƷƧ 1998b. « El nacio PCNKUOQECVCNȄPFGUFGUWUQTȐIGPGUCzFCPUJGCPLouis GƺƫƷƫʫƧ FKT Les nationalismes dans l’Espagne contemporaine. Idéologies, mouvements, symboles, Paris, ÉFKVKQPUFWVGORUR La première histoire nationale est celle d’Antoni Aulèstia PKLQCPRWDNKȌGGPHistòria de Catalunya. šIl faut mentionner la publication Lo Verdader Català où l’on proclame que les Catalans sont des EURCIPQNUškL’Espagne est notre nation, mais la Catalogne est notre Patrie ». šSignalons que déjà, lors du congrès de pédagogie de 1888, on avait sollicité de la reine TȌIGPVG Marie Christine de HCDUDQWTILorena, épouse d’Alfonse XII), le droit de scolariser les GPHCPVUGPECVCNCPCWOQKPUEJG\NGUVQWVRGVKVU šSWT NŨCEVKQP RCPECVCNCPKUVG GV NG VTCXCKN FG RTQOQVKQP FG NC NCPIWG ECVCNCPG CW FȌDWV FW ƖƖe siècle, voir Isabel GƷƧʫƧƯZƧǞƧƹƧL̸DFFLµSDQFDWDODQLVWDLODOOHQJXD̰QRVWUDSDUOD  , Barcelone, Publicacions de l’Abadia de Montserrat, 1995. šRéférendum du 2 août 1932 avec 75,09 % de « Oui ».

138 Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

VLGHQWGHOD6HFRQGH5«SXEOLTXHGH¢Oȇ‹WDWFHQWUDO«WDLWDORUV devenu capable d’admettre la pluralité territoriale de l’Espagne9.

LA CONSTITUTION DE 1978 ET L’ESPAGNE DES AUTONOMIES Après la dictature de Franco (1939-1975) et l’approbation de la consti- WXWLRQGHOHVGL[VHSWQRXYHOOHVmFRPPXQDXW«VDXWRQRPHV}HWOHV deux « villes autonomes » (Ceuta et Melilla) rédigeront leurs statuts d’autonomie respectifs à partir de 1979. Ceux de la Catalogne et du Pays Basque furent ainsi votés par référendum le 25 octobre 1979 et celui GH OD *DOLFH OH G«FHPEUH  'ȇDSUªV FHUWDLQV DXWHXUV Oȇ(VSDJQH des autonomies présente les caractéristiques d’un « fédéralisme sans ‹WDW I«G«UDO10 » ou d’une « fédéralisation caractérisée par une compé- tence ethno-territoriale multiple11 ». D’autres estiment que la nouvelle VWUXFWXUHWHUULWRULDOHGHOȇ‹WDWGHVDXWRQRPLHVDHXFHWHIIHWTXHOȇm‹WDW devenait ainsi fédéralisable12 ». (Q HIIHW OȇXQ GHV EXWV GH OD PLVH HQ SODFH GHV FRPPXQDXW«V DXWR- nomes était d’établir une structure administrative et politique capable de dépasser les grands déséquilibres entre les régions observés et forgés pen- dant les XVIIIe et XIXeVLªFOHVTXHOȇLQGXVWULDOLVDWLRQGHVHXOHPHQWTXHOTXHV XQHV GȇHQWUH HOOHV QRWDPPHQW GH OD &DWDORJQH GX 3D\V %DVTXH SXLV GH 0DGULG  DYDLW FUHXV«HV ,O VȇDJLVVDLW GH P¬PH GH G«SDVVHU OHV EOHVVXUHV collectives du XXeVLªFOHHQUHFRQQDLVVDQWOHVSDUWLFXODULVPHVLGHQWLWDLUHV et en octroyant un statut distinct aux trois « nationalités historiques » GRW«HV GȇXQH ODQJXH SURSUH 2U ORUVTXH OȇRQ U«GLJHD OD &RQVWLWXWLRQ GH FHTXLD«W«G«VLJQ«FRPPHOHmcafé para todos} mFDI«SRXUWRXV}  c’est-à-dire le rejet d’une différence de traitement entre les « nationalités KLVWRULTXHV} HW OHV DXWUHV FRPPXQDXW«V DXWRQRPHV D HX SRXU FRQV«- quence que l’ensemble des communautés autonomes se sont dotées de

šIsidre MƵƲƧƸ, « Los nacionalismos durante la II República. Una perspectiva comparada », dans Justo BƫƷƧƳƫƴƪƯ et Ramón MʛƯƿ FKT Los nacionalismos en la España de la II República. Madrid, Siglo XXIR šAlicia FƫƷƴʜƴƪƫƿGƧƷƩʨƧet Mathieu PƫƹƯƹƮƵƳƳƫ, « Du nationalisme d’État aux nationa NKUOGUGURCIPQNUNCTȌKPXGPVKQPFGNCūPCVKQPŬGURCIPQNGFGRWKUNCVTCPUKVKQPFȌOQETCVKSWGz dans Alicia FƫƷƴʜƴƪƫƿGƧƷƩʨƧet Mathieu PƫƹƯƹƮƵƳƳƫ FKT Les nationalismes dans l’Espagne contemporaine (1975-2011). Compétition politique et identités nationales, Paris, Armand Colin, 2012, p. 9. šLuís MƵƷƫƴƵLa federalización de España. Poder político y territorio, Madrid, Siglo XXI, 2008. šEduardo GƧƷƩʨƧDƫEƴƹƫƷƷʨƧ, Estudios sobre autonomías territoriales, Madrid, S. L. Civitas ediciones, 1985.

139 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

leur propre statut d’autonomie et de leurs symboles. Certaines d’entre HOOHV QRQ KLVWRULTXHV  RQW G½ GH FH IDLW OHV FU«HU FRPPH 0XUFLH RX l’Estrémadure (dont l’hymne a été approuvé en 1985). La réforme des statuts d’autonomie concerna également toutes les communautés autonomes et pas seulement la Catalogne. Les partis de gauche ont donné une nouvelle impulsion à ces débats pendant le SUHPLHUPDQGDWGXVRFLDOLVWH-RV«/X¯V5RGU¯JXH]=DSDWHUR   même si tous les socialistes ne partageaient pas le même avis et si les contextes politique et social étaient très différents de ceux du début des années 1980 lorsque les premiers statuts furent rédigés et votés. Dans ce VHQV-RV«/X¯V5RGU¯JXH]=DSDWHURSU«VLGHQWGXJRXYHUQHPHQWFHQWUDO entre 2004 et 2011 a plaidé lors du débat sur l’état de la nation pour qu’une réforme des statuts puisse avoir lieu. L’un des grands détracteurs GȇXQWHOSURMHWIXW$OIRQVR*XHUUD13SU«VLGHQWGHODFRPPLVVLRQFRQVWLWX- tionnelle du Congrès des députés entre 2004 et 2011. 3RXU GRQQHU TXHOTXHV H[HPSOHV GHV PRPHQWV R» OHV U«IRUPHV GHV VWDWXWVGȇDXWRQRPLHRQWHXOLHXPHQWLRQQRQVFHOXLGHODFRPPXQDXW«GH 9DOHQFHD«W«YRW«HQHQRQW«W«YRW«VFHX[GHV°OHV%DO«DUHVGH Oȇ$QGDORXVLHGHOȇ$UDJRQHWGHOD&DVWLOOHHW/«RQHWHQFHOXLGHOȇ(VWU«- madure14. Les mots de « nation » et de « nationalité » ont à nouveau posé SUREOªPHP¬PHVLUDSSHORQVOHORUVGHODG«FODUDWLRQGH%DUFHORQHGX MXLOOHWOHVSDUWLV&L8 &RQYHUJHQFHHW8QLRQ15 319 3DUWLQDWLRQD- OLVWHEDVTXH HW%1* %ORFQDWLRQDOLVWHJDOLFLHQ RQWDSSHO«¢ODUHFRQQDLV- sance du caractère plurinational de l’Espagne et des identités plurielles TXȇHOOH LQFOXW HQ IRUJHDQW XQH FRH[LVWHQFH SRVLWLYH HQ UHFRQQDLVVDQW l’Espagne comme « nation de nations ». Ces termes ne sont pas exclusifs GHOD&DWDORJQHDLQVLOHVWDWXWGHOȇ$QGDORXVLHGHXWLOLVHWLOOHWHUPH GHmQDWLRQ}SRXUG«ȴQLUFHWWHFRPPXQDXW«DXWRQRPHOHV\QWDJPHGH « réalité nationale » est employé pour mettre en évidence sa construction politique16 2Q GLVFXWH HQFRUH HW WRXMRXUV DXWRXU GH Oȇ‹WDWQDWLRQ GHV

šINCXCKVȌVȌXKEGRTȌUKFGPV FWFȌEGODTGCWLCPXKGT FGUIQWXGTPGOGPVU de Felipe GQP\ȄNG\ GV CXCKV TGȊW GP  NG RTKZ FG NC HQPFCVKQP Abril Martorell pour « sa EQPVTKDWVKQPFȌEKUKXGCWūITCPFRCEVGŬFGNCTȌFCEVKQPFGNCEQPUVKVWVKQPFGzEHEl País, 3 décembre 2005. šLes premiers statuts pour ces mêmes communautés autonomes ont été votés comme UWKVšAragon et VCNGPEGšCastille et Léon, Estrémadure et Iles Baléares. šAfin de rendre plus lisible le texte, nous traduisons en français les noms des partis poli tiques. CiUGUVWPGEQCNKVKQPNKDȌTCNGGVFȌOQETCVGEJTȌVKGPPG šJulio PʤƷƫƿ SƫƷƷƧƴƵ, « Migraciones, identidad cultural y ciudadanía en la construcción de la CQOWPKFCF CWVȕPQOC CPFCNW\C  z FCPU MCTKGClaude CƮƧǞƺƹ, Géraldine GƧƲƫƵƹƫ, Maria LƲƵƳƨƧƷƹ, Mercè PƺưƵƲBƫƷƩƮʤ et Bruno TƺƷ FKT Migraciones e identidades en la España plural. Madrid, Biblioteca Nueva, 2015.

140 Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

QDWLRQDOLW«VHWGHOȇXQLW«GHOȇ(VSDJQH3RXUOȇLQVWDQWDXFXQGHVJRXYHU- nements centraux depuis Leopoldo Calvo-Sotelo jusqu’à Mariano Rajoy n’a accepté de revenir sur les acquis de la transition17 (notamment sur le mSDFWHGXVLOHQFH} GHUHYRLUOHPRGªOHGHOȇ‹WDW Oȇ(VSDJQHGHVDXWRQR- PLHVHWODPRQDUFKLHSDUOHPHQWDLUH HWHQȴQGHSRVHUFODLUHPHQWHWGH G«EDWWUHGHODSRVVLELOLW«GȇLQVWDXUHUXQY«ULWDEOH‹WDWI«G«UDO

LES STATUTS D’AUTONOMIE DE 1979 ET 2006 Le statut d’autonomie de la Catalogne fut voté par référendum par OHSHXSOHFDWDODQOHRFWREUH$YHFXQHSDUWLFLSDWLRQGHOD FRQVXOWDWLRQ GRQQD OHV U«VXOWDWV VXLYDQWV  GH mRXL}  GH mQRQ}HWGHYRWHVEODQFVHWQXOV/HQRXYHDXVWDWXWGHIXW YRW«OHMXLQDYHFXQHSDUWLFLSDWLRQGHVHXOHPHQWGHV«OHF- WHXUVHWDYHFOHVU«VXOWDWVVXLYDQWVGHmRXL}GHmQRQ} HWGHYRWHVEODQFVHWQXOV&RPPHWRXWSURFHVVXVG«PRFUDWLTXHOH nouveau statut d’autonomie avait d’abord été approuvé par le parlement FDWDODQ OH VHSWHPEUH  SDU  GHV YRL[  FRQWUH 18 SXLV DSUªVGHORQJXHVGLVFXVVLRQVHWDPHQGHPHQWVDGRSW«DX&RQJUªVHVSD- JQROOHPDUVDYHFYRL[SRXUFRQWUHHWDEVWHQWLRQV19 ; et HQȴQDX6«QDWVDQVPRGLȴFDWLRQOHPDLDYHFYRL[SRXUOH mRXL}SRXUOHmQRQ}HWDEVWHQWLRQV20. Nous y reviendrons. /RUV GHV «OHFWLRQV FDWDODQHV GH  OH &L8 REWLQW OH QRPEUH GH YRL[ OH SOXV LPSRUWDQW PDLV P¬PH DYHF OHV YRL[ GX 3DUWL SRSXODLUH il ne pouvait pas atteindre la majorité absolue. Ce fut donc la coalition « tripartite21} 36& (5& HW ,&9(8L$ TXL DFF«GD ¢ OD Generalitat DYHF FRPPHSU«VLGHQWOHVRFLDOLVWH3DVTXDO0DUDJDOO22/HG«FHPEUH

šVoir MCTKGClaude CƮƧǞƺƹ et Julio PʤƷƫƿ SƫƷƷƧƴƵ FKT  La transición española. Nuevos enfoques para un viejo debate, Madrid, Biblioteca Nueva, 2005. šOWKšRCTNGOGPVCKTGUšPSC Parti socialiste de Catalogne), ERC Gauche Républicaine de Catalogne), ICVEUiA Initiative pour la CCVCNQIPGVGTVUGauche unie et alternative) et CiUšPQPš 15 parlementaires du PPC Parti populaire de Catalogne). šLGUITQWRGURQNKVKSWGUUWKXCPVXQVȋTGPVGPHCXGWTFWUVCVWVFŨCWVQPQOKGšPSOE Parti socia liste ouvrier espagnol), CiU, PNV, BNG et CC Coalition Canaries). Les députés du PP et d’ERC UQKVTGRTȌUGPVCPVU UŨ[QRRQUȋTGPVEnfin, deux groupes choisirent l’abstention, EA Eusko Alkartasuna) et PAR Parti Aragonais). šEPHCXGWTšPS1'%K7208$0)GV%%š0QPš22GVCDUVGPVKQPUš'4%'#GV2#4 šCette coalition réunit le PSC, ERC, et ICVEUiA, domina le Parlament et le gouvernement de Catalogne de 2003 à 2006, puis à nouveau de 2006 à 2010. šIl sera président du 20 décembre 2003 au 28 novembre 2006. C’est aussi grâce à lui que, lorsqu’il était le maire de Barcelone, cette ville a organisé les Jeux olympiques de 1992 qui furent pour cette ville, et pour l’Espagne de 1992 un événement marquant.

141 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

OHmSDFWHGX7LQHOO}IXWVLJQ«DYHFSRXUYLV«HOȇDXWRJRXYHUQHPHQWXQH meilleure qualité démocratique et l’obtention d’un statut plus favorable SRXUOHFDWDODQ&HWWHFRDOLWLRQGHJDXFKHPLWȴQDX[YLQJWWURLVDQQ«HV GHJRXYHUQHPHQWGH-RUGL3XMROGXDYULODXG«FHPEUH /D FRDOLWLRQ WULSDUWLWH UHODQ©D OHV GLVFXVVLRQV HQ YXH GH OD PRGLȴFD- tion du statut d’autonomie de la Catalogne : il en résulta une nouvelle rédaction et une certaine reconnaissance (relative) de la pluralité de Oȇ(VSDJQH3RXUFHVWURLVSDUWLVGHJDXFKHDXSRXYRLULO«WDLWWUªVLPSRU- WDQWGHPHQHU¢ELHQOHSURMHWGXQRXYHDXVWDWXWFDUFHODLPSOLTXDLWGH donner une cohésion interne à leurs actions. 4XDQW ¢ -RV« /X¯V 5RGU¯JXH] =DSDWHUR LO DYDLW SURPLV SHQGDQW VD FDPSDJQH«OHFWRUDOHGHGHUHYRLUOHVVWDWXWVGȇDXWRQRPLHGHGRQ- QHUVRQVRXWLHQDXVRFLDOLVWH3DVTXDO0DUDJDOODLQVLTXHGȇDFFHSWHUOH statut que les Catalans auraient voté. Dans le contexte politique et insti- WXWLRQQHOGXJRXYHUQHPHQWFHQWUDOOH3DUWLSRSXODLUHVȇDIIURQWDLWFHUWHV aux socialistes en tant que principal parti de l’opposition. Mais dans le jeu politique de l’alternance (gauche-droite ; socialistes-populaires) HWGXELSDUWLVPHOHVHQMHX[GHVSDFWHVGHVXQVHWGHVDXWUHVMRXDLHQW XQ U¶OH QRQ Q«JOLJHDEOH VXUWRXW DYHF OHV SDUWLV mPLQRULWDLUHV} TXL servent de charnière lorsque le camp majoritaire ne dispose pas d’une majorité absolue. Le PP était farouchement opposé aux propositions QDWLRQDOLVWHV WULSDUWLWHV HW HQFRUH SOXV ¢ OD GHPDQGH GȇLQG«SHQGDQFH d’ERC. Rappelons néanmoins que Jordi Pujol23 (CiU) avait passé un pacte DYHF OH 3DUWL SRSXODLUH HQ  DȴQ TXH -RV« 0DU¯D $]QDU SU«VLGHQW entre 1996 et 2004) puisse être investi en tant que président du gouver- QHPHQWFHQWUDO0DLV¢FHWWH«SRTXHO¢OD&L8QȇDYDLWDXFXQHSU«WHQWLRQ indépendantiste. /H VWDWXW GH  IXW mXQH ĕXYUH FROOHFWLYH} FRPPH OȇLOOXVWUHQW FHVPRWV«FULWVSDU3DVTXDO0DUDJDOOWLU«VGHOȇLQWURGXFWLRQGXWH[WH « Nous avons démontré une fois encore que la Catalogne est forte lorsque nous les Catalans exprimons librement notre volonté. Nous avons écrit une page de notre histoire ». Malgré le vote du peuple cata- ODQOH3DUWLSRSXODLUHSU«VHQWDXQUHFRXUVGȇLQFRQVWLWXWLRQQDOLW«¢OȇHQ- contre du nouveau statut à propos de 114 articles et de 12 dispositions24.

šJordi Pujol avoua le 25 juillet 2014, après des fuites dans la presse qu’il ne pouvait plus cacher, qu’il avait fraudé le fisc au moins pendant 34 ans, concernant la prétendue fortune qu’il avait reçue de son père, qu’il avait transmise à ses sept enfants et gardée en Andorre. šRecours du Parti populaire présenté au Tribunal constitutionnel le 31 juillet 2006, admis le UGRVGODTGškRGEWTUQFGKPEQPUVKVWEKQPCNKFCFPyGPTGNCEKȕPEQPFKXGTUQU preceptos de la Ley OTIȄPKECFGFGLWNKQFGTGHQTOCFGNEstatuto de autonomía de CCVCNWȓCzBoletín Oficial del Estado, n° 241, 9 octobre 2006, Madrid.

142 Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

/HVRFLDOLVWH(QULTXH0¼JLFD+HU]RJG«IHQVHXUGXSHXSOH GXMXLQ DXMXLQ SU«VHQWDOXLDXVVLXQUHFRXUVDXSUªVGX7ULEXQDO constitutionnel concernant 109 articles et 4 dispositions25. Le Tribunal FRQVWLWXWLRQQHOSURQRQ©DVRQMXJHPHQWELHQSOXVWDUGOHMXLQ UHPHWWDQWHQFDXVHDUWLFOHVVHXOHPHQWPDLVOHVSOXVHPEO«PDWLTXHV ¢SURSRVGHODODQJXHGHODQRWLRQGHQDWLRQHWGXSDFWHȴVFDOHQWUH autres. C’est cette décision du Tribunal constitutionnel qui déclencha la grande manifestation du 10 juillet 2010 dont le slogan « Nous sommes XQHQDWLRQQRXVG«FLGRQV} (Som una nació, nosaltres decidim UHWHQ- tit dans les rues de Barcelone26. Des manifestations massives se sont répétées chaque année depuis lors à l’occasion de la fête nationale de la &DWDORJQHOD DiadaOHVHSWHPEUH Rappelons pour terminer que quelques mois après le vote du nou- YHDXVWDWXWGHV«OHFWLRQVU«JLRQDOHVDQWLFLS«HVRQWG½¬WUHRUJDQLV«HV pour légitimer à nouveau le gouvernement catalan dans le contexte de l’adoption du statut ; des élections qui furent remportée par le PSC. C’est ainsi que José Montilla27TXLDYDLW«W«PLQLVWUHGHOȇ,QGXVWULHGX Tourisme et du Commerce (du 18 avril 2004 au 8 septembre 2006) du SUHPLHU JRXYHUQHPHQW GH -RV« /X¯V 5RGU¯JXH] =DSDWHUR IXW «OX SU«- sident de la GeneralitatIRQFWLRQTXȇLODRFFXS«GXQRYHPEUHDX G«FHPEUH(QSU«YLVLRQGHV«OHFWLRQVDXWRQRPLTXHVFDWDODQHV José Luís Rodríguez Zapatero avait « demandé à Montilla de quitter le gouvernement pour se consacrer à ces élections qu’il a donc gagnées ».

LA LANGUE CATALANE COMME SYMBOLE D’IDENTITÉ ET DE COHÉSION SOCIALE Le nationalisme catalan s’est construit avec presque les mêmes SDUDPªWUHVTXHOHVQDWLRQDOLVPHVGȇ‹WDWWHUULWRLUHODQJXHHWLGHQWLW«,O DFRQVWUXLWFRPPHQRXVOȇDYRQVUDSSHO«XQLPDJLQDLUHFROOHFWLIDXWRXU

šRGEQWTU Po RTȌUGPVȌ NG UGRVGODTG GV CFOKU NG QEVQDTGš kRecursos de KPEQPUVKVWEKQPCNKFCF Py  GP TGNCEKȕP EQP FKXGTUQU RTGEGRVQU FG NC Ley OTIȄPKEC FGFGLWNKQFGTGHQTOCFGNEstatuto de autonomía de CCVCNWȓCzBoletín Oficial del Estado Po  Madrid. Voir sur les recours José Carlos HƫƷƷƫƷƧƸ, « Le statut des langues de l’EURCIPGFCPUNGUPQWXGCWZūUVCVWVUFŨCWVQPQOKGŬzLa linguistique, n°   šIl s’agit de la deuxième manifestation massive après celle de la transition en 1977 avec le slogan « Liberté, amnistie et Statut d’autonomie ». šMontilla, né à I\PȄLCTFCPUNCRTQXKPEGFGCordoue, a été maire de Cornellà, une ville près de Barcelone, dont la proportion de personnes nées en APFCNQWUKG OKITCVKQPKPVGTPGFGUCPPȌGU soixante) était très importante.

143 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

de ces trois éléments. La « question de la langue » est devenue un des symboles de l’identité catalane28. Rappelons que parmi les compétences des communautés autonomes se trouvent l’éducation et la politique OLQJXLVWLTXH6XUFHSRLQW¢QRXYHDXOD&DWDORJQHQȇHVWSDVGLII«UHQWH des autres communautés. Si l’on compare le statut d’autonomie de DYHFFHOXLGHLOQȇ\DHQHIIHWSDVGHJUDQGHGLII«UHQFHVLFH n’est la désignation retenue pour les langues autres que le castillan. En HIIHWOHWHUPHODUJHPHQWG«EDWWXGHmODQJXHSURSUH}IXWDFFHSW«HWOHV ODQJXHV GHV WURLV mQDWLRQDOLW«V KLVWRULTXHV} OH FDWDODQ OH EDVTXH HW OHJDOLFLHQVHYLUHQWDWWULEXHUOHVWDWXWGHODQJXHVFRRɚFLHOOHV6LOȇRQ FRPSDUHPDLQWHQDQWOHVWDWXWGȇDXWRQRPLHGHDYHFFHOXLGH on observe un traitement différencié du castillan et du catalan. Dans la FRQVWLWXWLRQGHRQSULYLO«JLHOHFDVWLOODQFDULOHVWODVHXOHODQJXH GHOȇ‹WDWHVSDJQRORɚFLHOOHVXUOȇHQVHPEOHGXWHUULWRLUH/HVWDWXWFDWD- ODQGHGDQVVRQDUWLFOHFRQVLGªUHOXLTXHODODQJXHFDWDODQH HVWODODQJXHGHVDGPLQLVWUDWLRQVSXEOLTXHVODODQJXHY«KLFXODLUHHWOD langue des apprentissages de l’enseignement en Catalogne. L’article 6.2 précise que les citoyens de la Catalogne ont le droit d’employer aussi ELHQ OH FDWDODQ TXH OH FDVWLOODQ HW OȇRQ QH SHXW SDV OHV GLVFULPLQHU ¢ cause de la langue. La politique dite de « normalisation linguistique » de la Generalitat ¢Oȇ«JDUGGHODODQJXHFDWDODQHVȇHVWPLVHHQSODFH¢SDUWLUGHDȴQ de normaliser l’usage de cette langue. L’action de normaliser consiste à mettre en place un ensemble de lois et de textes juridiques permettant GȇDVVXUHUODVWDELOLW«GȇXQHODQJXH8QERQH[HPSOHHQHVWOH4X«EHFR» OȇRQSDUOHGȇDP«QDJHPHQWOLQJXLVWLTXH(QGȇDXWUHVWHUPHVLOVȇDJLWGH U«RUJDQLVHUOHVIRQFWLRQVGȇXQHODQJXHPLQRULV«HHWPLQRU«HDȴQTXȇHOOH SXLVVH ¬WUH XWLOLV«H GDQV WRXV OHV GRPDLQHV /HV WHQVLRQV HQWUH Oȇ‹WDW central et les communautés autonomes peuvent être mises en évidence DXQLYHDXOLQJXLVWLTXHFRPPH1LQ\ROHVOȇDVRXOLJQ«29(QHIIHWOHVGLII«- rences deviennent politiques et peuvent coïncider avec d’autres lignes de tension. La langue ou la « question de la langue » est ainsi instrumen- WDOLV«H QRWDPPHQW SDU OHV SROLWLFLHQV ORUV GHV «OHFWLRQV FRPPH QRXV

šLe lecteur peut consulter Mercè PƺưƵƲBƫƷƩƮʤ, « PQNȐVKECNKPIȜȐUVKECšNGPIWCEWNVWTCGKFGP tidad. El ejemplo de CCVCNWȓCz Amnis. Revue de civilisation contemporaine Europe/Amériques, =JVVRCOPKUTGXWGUQTI?OKUGPNKIPG le 20 novembre 2013. šRafael NƯƴƾƵƲƫƸ, « EURCȓC EQOQ RCȐU RNWTKNKPIȜGš Líneas de futuro », dans Albert BƧƸƹƧƷƪƧƸ et Emili BƵƯƖ FKT ¿UQHVWDGRXQDOHQJXD̰"La organización política de la diversidad lingüística, Barcelone, OEVCGFTQR

144 Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

l’avons mis en évidence dans différents travaux30. La politique linguis- tique concerne aussi la relation entre langue et pouvoir31. On voit bien ces tensions : au XIXeVLªFOHDYHFOȇLQFDSDFLW«GHOȇ‹WDW¢PHWWUHHQSODFH XQSURMHWQDWLRQDOLQFOXVLISXLVSHQGDQWODU«GDFWLRQGHODFRQVWLWXWLRQ avec le « café pour tous » visant à ne pas introduire de traitement diffé- UHQFL«SDUPLOHVFRPPXQDXW«VDXWRQRPHVHQDYHFODU«IRUPHGHV statuts d’autonomie et actuellement avec le débat autour de la réforme de la constitution et de la demande d’indépendance de la Catalogne. 4XHOTXHV PRWV VXU OD SROLWLTXH OLQJXLVWLTXH GH OD Generalitat. 'ȇDSUªV,VLGRU0DU¯LOHVWSRVVLEOHGHGLVWLQJXHUTXDWUHS«ULRGHV32. La première est celle de la « normalisation » (depuis la transition jusqu’à ODȴQGHVDQQ«HV ODGHX[LªPHHVWFHOOHGHODSODQLȴFDWLRQDYHF OHmSODQJ«Q«UDOGHQRUPDOLVDWLRQOLQJXLVWLTXHGH} GHSXLVODȴQ GHV DQQ«HV  MXVTXȇDX[ DQQ«HV   OD WURLVLªPH HVW FHOOH GH OD PLVHHQSODFHGHODmQRXYHOOHORL}GH ȴQGHVDQQ«HVG«EXW   HQȴQ OD GHUQLªUH HVW FHOOH GH OD mVRXWHQDELOLW« OLQJXLVWLTXH} FDUDFW«ULV«HSDUODJHVWLRQGHODGLYHUVLW«$FWXHOOHPHQWODSROLWLTXH OLQJXLVWLTXH HVW RUJDQLV«H GH PDQLªUH WUDQVYHUVDOH HQ LQFOXDQWXQ WUDYDLOFRQMRLQWHQWUHOHVDGPLQLVWUDWLRQVHWOHVVHFWHXUVSULY«VHWOD représentation de la langue catalane et de la Catalogne au niveau européen et à l’Unesco. Pendant ces quarante ans de démocratie et de politique linguistique il y a une constante : indépendamment de la cou- OHXUSROLWLTXHGHVSDUWLVDXSRXYRLU¢ODODQJXHQȇDFHVV«Gȇ¬WUHOȇXQ GHVV\PEROHVGHOȇLGHQWLW«FDWDODQHGHP¬PHTXȇXQRXWLOGHFRK«VLRQ sociale et d’inclusion33.

šSur l’utilisation des langues à des fins politiques pendant les élections voir Mercè PƺưƵƲ BƫƷƩƮʤ, « UPG OCPKRWNCVKQP UWDVKNGš Les propositions concernant les langues pendant la campagne électorale espagnole », dans José Carlos DƫHƵƾƵƸ et MCTKGHélène PʣƷƫƴƴƫƩ FKT  Langue et manipulation, SCKPVÉtienne, Presses universitaires de SCKPVÉVKGPPG  R et Mercè PƺưƵƲBƫƷƩƮʤ, « LCEWGUVKȕPNKPIȜȐUVKECGPNCECORCȓCGNGEVQTCNGURCȓQNCFG y su transposición en los periódicos ABC y El País », dans Christian LƧƭƧƷƪƫ FKT Le discours sur les « langues d’Espagne »/El Discurso sobre las « lenguas españolas », (1978-2008), Perpignan, Presses universitaires de PGTRKIPCP  R Sur l’usage que les personnalités politiques font des termes sociolinguistiques, voir Mercè PƺưƵƲBƫƷƩƮʤ, « Langue, nation et PCVKQPCNKVȌUšUs et abus de notions sociolinguistiques par les politiques », dans Henri BƵƾƫƷ FKT  Colloque IQWHUQDWLRQDO̰ Pour une épistémologie de la sociolinguistique, Limoges, LCODGTV LWECUR šJosé Carlos MƵƷƫƴƵ CƧƨƷƫƷƧ, El nacionalismo lingüístico. Una ideología destructiva, Barcelone, Península, 2008. šIsidor MƧƷƯ, « DGNCPQTOCNKV\CEKȕCNCUQUVGPKDKNKVCVšGNUNȐOKVUFGNCRNCPKHKECEKȕFGNŨGUVC tus », Treballs de Sociolingüística catalana, PoR š+ORQUUKDNGFGPGRCUTCRRGNGTSWGNGPP veut des écoles séparées selon la langue, quelque chose qu’il demande sans cesse par exemple aux Îles Baléares où il a gouverné pendant des années.

145 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

/D&DWDORJQHDWRXMRXUV«W«XQHU«JLRQGȇDFFXHLOGHPLJUDQWVHWDWRX- jours veillé à leur insertion : il s’est agi d’abord de migrants originaires de 0XUFLH DXG«EXWGHOȇLQGXVWULDOLVDWLRQ SXLVHQSURYHQDQFHVXUWRXWGH Oȇ$QGDORXVLH GDQVOHVDQQ«HV HWHQȴQLVVXVGHODQRXYHOOHLPPL- gration internationale (depuis les années 1990). Pour illustrer le souci GȇLQFOXVLRQGHVQRXYHDX[YHQXVGDQVODSRSXODWLRQPHQWLRQQRQVOH3ODQ SRXUODODQJXHHWODFRK«VLRQVRFLDOHGHSXLVOH3DFWHQDWLRQDO SRXUOȇLPPLJUDWLRQHQR»OȇXQGHVSRLQWVUHFRQQXVOHVSOXVLPSRU- tants est la cohésion sociale et la participation de tous à la société34. Sur FHV FKDSLWUHV OHV SURSRVLWLRQV «PLVHV SDU 3DVTXDO 0DUDJDOO DYDQW TXȇLO devienne président de la Generalitat HQ  IXUHQW UHSULVHV ¢ VDYRLU TXHOD&DWDORJQHGHYDLWWUDYDLOOHUSRXUOȇLPPLJUDWLRQSRXUVDSODFHGDQV l’Union européenne et pour les droits civiques et sociaux de tous. Un travail à l’international que l’on constate aussi au sein du mouvement indépendantiste. Rappelons également que la Generalitat possède des G«O«JDWLRQVHQWUHDXWUHVSRXUOD)UDQFHHWOD6XLVVHGRQWOHVLªJHHVW¢ 3DULVDXSUªVGHOȇ8QLRQHXURS«HQQHOHVLªJH«WDQW¢%UX[HOOHVHWHQȴQ DX[‹WDWV8QLVGRQWOHVVLªJHVVRQW¢:DVKLQJWRQHW¢1HZ

LA PLACE DES CONTESTATIONS : LA VOIX DU PEUPLE S’il est vrai que le détonateur des contestations massives a été l’appréciation du Tribunal constitutionnel sur le caractère anti- FRQVWLWXWLRQQHO GH SOXVLHXUV DUWLFOHV GX VWDWXW GȇDXWRQRPLH GH  il me semble que le « malaise » a commencé à prendre corps lors des discussions à propos dudit statut. Nous avons égrené plus haut TXHOTXHV«O«PHQWVGHVGLVFXVVLRQVGHODFODVVHSROLWLTXHPDLVLOIDXW DXVVLSDUOHUGHVJHQV(QHIIHWFȇHVWHQTXHODSODWHIRUPHmGURLW ¢G«FLGHU}DYXOHMRXU(OOHD«W««WDEOLHSDUHQWLW«VPXQLFLSD- OLW«VHWSHUVRQQHVHQU«SRQVH¢ODQRQUHFRQQDLVVDQFHSDUOȇ‹WDW de la Generalitat FRPPH VXMHW MXULGLTXH (Q HIIHW DSUªV OH YRWH GX VWDWXWSDUOHSDUOHPHQWFDWDODQHQFHWH[WHHVWSDUWLDX&RQJUªV HW O¢ FRPPH QRXV OȇDYRQV PHQWLRQQ« SOXV KDXW XQH PXOWLWXGH GH PRGLȴFDWLRQV RQW «W« DSSRUW«HV 3RXU IDLUH «WDW GX P«FRQWHQWHPHQW

šNous avons écrit sur l’intégration sociolinguistique des migrants en Catalogne. Voir par exemple Mercè PƺưƵƲ BƫƷƩƮʤ, « Contribution de l’immigration à la richesse linguistique et culturelle de l’EURCIPGšTȌHNGZKQPUCWVQWTFGNŨKPVȌITCVKQPUQEKQNKPIWKUVKSWGzFCPUMCTKGClaude CƮƧǞƺƹ, María Luisa PƫʫƧƲƻƧ et Bruno TƺƷ FKT Regards, PoRGVMercè PƺưƵƲ BƫƷƩƮʤ, « Immigració i integració sociolingüística a Catalunya », Actes du Colloque international de l’Association rrançaise des catalanistes et de l’université Paris Ouest Nanterre La Défense, Limoges, LCODGTVLucas, 2015.

146 Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

SRSXODLUH OD SODWHIRUPH D FRQYRTX« XQH PDQLIHVWDWLRQ OH I«YULHU SXLVXQHDXWUHHQ2QSDVVHDORUVGHVIRUFHVSROLWLTXHV¢XQ PRXYHPHQW WUDQVYHUVDO GH OD VRFL«W« &ȇHVW O¢ QRXV VHPEOHWLO TXȇLO faut placer le « début du début » de toutes les manifestations qui vont suivre à cause de la décision du Tribunal constitutionnel adoptée en juillet 2010. La société civile va alors s’organiser : les consultations SRSXODLUHV YRQW FRPPHQFHU XQH HQWLW« FLYLTXH HW FXOWXUHOOH FRPPH Òmnium Cultural35 jouera un rôle important en tant qu’organisatrice GXPRXYHPHQWOȇ$VVHPEO«HQDWLRQDOHFDWDODQH $1& VHUDFU««HHWOD consultation du 9 novembre 2014 aura lieu. 6L WHO HVW OH FRQWH[WH FDWDODQ LO QH IDXW SDV RXEOLHU TXȇLO VȇLQVªUH GDQVOHFRQWH[WHHVSDJQROGHODEXOOHLPPRELOLªUHGHSURYRTXDQW ODFULVH«FRQRPLTXHTXL«FODWHDYHFIRUFHTXRLTXHQL«HSDU-RV«/X¯V Rodríguez Zapatero qui ne prend pas les mesures adéquates. La société civile continue de s’organiser : la « Plateforme des affectés par l’hypo- WKªTXH}YRLWOHMRXUHQDYHF$GD&RODX¢VDW¬WHm-HXQHVVHVDQV IXWXU} QD°W HQ I«YULHU OH m0RXYHPHQW GHV LQGLJQ«V} HQ PDL GH OD P¬PH DQQ«H SXLV WRXWHV OHV mPDU«HV} HW ELHQ V½U OH FROOHFWLI m'«PRFUDWLH U«HOOH PDLQWHQDQW} WRXMRXUV HQ  0DULDQR 5DMR\ arrivant au pouvoir en décembre 2011 prend une série de mesures GȇDXVW«ULW« FRPPH LO OȇDYDLW SURPLV SHQGDQW VD FDPSDJQH «OHFWRUDOH /HV FULVHV QH IRQW TXH VȇDJJUDYHU FULVH «FRQRPLTXH PDLV «JDOHPHQW FULVHG«PRFUDWLTXHFULVHGHOȇ‹WDWSURYLGHQFHHWFULVHGHOȇ‹WDWQDWLRQ Le début du mouvement actuel pour l’indépendance de la Catalogne commence à prendre forme lors de consultations populaires lancées à OȇLQLWLDWLYHGȇXQHIHPPH(OLVHQGD3DOX]L«¢$UHQ\VGH0XQWXQYLOODJH VLWX«DXQRUGGH%DUFHORQHOHVHSWHPEUH/RUVGȇXQHFRQVXOWD- WLRQV\PEROLTXHGHODSRSXODWLRQ¤J«HGHSOXVGHVHL]HDQVYRWH sur le futur de la Catalogne. La question posée : « Êtes-vous d’accord SRXU TXH OD QDWLRQ FDWDODQH GHYLHQQH XQ ‹WDW GH GURLW LQG«SHQGDQW G«PRFUDWLTXHHWVRFLDOLQW«JU«H¢Oȇ8QLRQHXURS«HQQH"}UH©RLW GHmRXL}HWGHmQRQ}&HWWHFRQVXOWDWLRQDHQVXLWH«W«UHSURGXLWH GDQVFRPPXQHVHQSXLVGȇDXWUHVPXQLFLSDOLW«VRQWRUJDQLV« OHP¬PHVFUXWLQHQSXLVHQȃ\FRPSULVGDQVGHVFRPPXQHV en dehors de la Catalogne comme ce fut le cas d’un village de locuteurs FDWDODQVGHOD6DUGDLJQH)LQDOHPHQWOHQRYHPEUHHXWOLHXXQH

šÒmnium Cultural GUV WPG GPVKVȌ ECVCNCPG ETȌG GP  EGPUWTȌG RCT Franco entre 1963 et 1967), qui œuvre pour la défense de la langue, la cohésion sociale, la culture, le modèle d’école catalane, de même qu’en faveur de la projection internationale de l’identité catalane.

147 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

grande consultation populaire organisé par la Generalitat dans l’en- semble de la Catalogne36TXLHXWFRPPHU«VXOWDWXQmRXL}VDQVDSSHO Nous y reviendrons. 0DLV OH Y«ULWDEOH «O«PHQW G«FOHQFKHXU IXW FRPPH QRXV OȇDYRQV LQGLTX« OH UHMHW SDU OH 7ULEXQDO FRQVWLWXWLRQQHO GH SOXVLHXUV DUWLFOHV du nouveau statut d’autonomie voté par le peuple catalan lors du référendum du 18 juin 2006. La réponse à cette décision fut donc la PDQLIHVWDWLRQTXLHXWOLHXOHMXLOOHW¢%DUFHORQHHWTXLIXWOȇDQWL- FKDPEUHGHFHOOHHQFRUHSOXVPDVVLYHGXVHSWHPEUH37. Sous le VORJDQm1RXVVRPPHVXQHQDWLRQ1RXVG«FLGRQV}FHWWHPDQLIHVWDWLRQ historique fut organisée par Òmnium Cultural. L’Assemblée nationale catalane (ANC) incita aussi les citoyens à se mobiliser dans la rue : deux millions de personnes selon les organisateurs participèrent à ce mouve- ment social sans précédent38,OVȇHVWDJLGȇXQDFWHFLWR\HQGȇDɚUPDWLRQ QDWLRQDOHU«FODPDQWOHUHVSHFWGHOȇLGHQWLW«FDWDODQHHWODFU«DWLRQGȇXQ QRXYHO ‹WDW WRXUQ« YHUV Oȇ(XURSH VRXV OHV VORJDQV m/D &DWDORJQH XQ QRXYHO‹WDWHXURS«HQ}m,QG«SHQGDQFH}HWm/ȇLQG«SHQGDQFHVROXWLRQ pour la Catalogne ». 3RXU FRPSUHQGUH FHW «ODQ LQG«SHQGDQWLVWH LO IDXW VȇDUU¬WHU VXU OD FU«DWLRQGHOȇ$1&OHPDUVVXUODEDVHGXWUDYDLODFFRPSOLSDU les assemblées territoriales39. Cette organisation eut pour embryon la &RQI«UHQFHQDWLRQDOHSRXUXQ‹WDWSURSUHU«XQLHDXSDODLVGHVFRQJUªV de Barcelone le 30 avril 2011 et marquée par l’élection d’un conseil per- PDQHQWLQFOXDQWLQWHOOHFWXHOV«FULYDLQVDUWLVWHVHWGHVSHUVRQQDOLW«VGH la société civile. L’ANC se considère comme une deuxième chambre du SHXSOHFDWDODQVRXYHUDLQHHWFRQVWLWX«HSDUODVRFL«W«FLYLOH40. Il s’agit

šLa présidence de la Generalitat via le Secrétariat aux Affaires étrangères et à l’Union euro péenne, a organisé l’inscription au « Registre des Catalanes et Catalans résidant à l’extérieur », et ces Catalans ont pu voter dans différentes capitales du monde. šIl est important de mentionner que depuis les manifestations massives de 2003 contre la guerre d’ITCM CXGENGParti populaire au pouvoir), on considère ces manifestations comme étant planétaires à cause du nombre de manifestants, du nombre de villes où elles ont eu lieu et du retentissement médiatique qu’elles ont reçu. šLes chiffres de manifestants sont toujours sujets à des controverses. La police estima CKPUKNGPQODTGFGOCPKHGUVCPVUȃššGVNGSWQVKFKGPEl PaísȃšMais la plupart des observateurs s’accordèrent pour dire que plus d’un million de personnes participèrent, un chiffre historique, cf. « ENKPFGRGPFGPVKUOQECVCNȄPNQITCWPCJKUVȕTKECGZJKDKEKȕPFGHWGT\Cz El País, 11 septembre 2012. šIl faut, à notre avis, situer l’ANC sur la même ligne que l’assemblée de Catalogne consti tuée à la fin du franquisme, le 7 novembre 1971, par des syndicats, organisations sociales et secteurs progressistes de l’église. Elle a été dissoute suite à la création de l’assemblée des parlementaires. šPQWTRNWUFŨKPHQTOCVKQPUXQKTUQPUKVGKPVGTPGV=JVVRCUUGODNGCECV?

148 Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

d’un mouvement citoyen (hommes et femmes libres avec des droits) et souverain (autorité suprême). Elle a été présentée à l’université auto- QRPH GH %DUFHORQH SDU 0´QLFD 7HUULEDV HW VRQ SªUH -DXPH 7HUULEDV ainsi que par Joan Manuel Tresserras41'HSXLVODUHOªYHP«GLDWLTXHD été constante. Une nouvelle étape commença le 7 mars 2013 lorsque Òmnium Cultural Oȇ$1& HW OȇAssociació de Municipis per la independència (Association des municipalités pour l’indépendance) avec onze autres organisations souverainistes créèrent le site El clauerYLVDQW¢IRXUQLUGHV arguments rassurants et positifs sur les conséquences de l’indépendance et chargé d’expliquer aux citoyens les perspectives possibles à propos GHV LQVWLWXWLRQV GH JRXYHUQHPHQW FRQFHUQDQW OH VWDWXW GH OD &DWDORJQH GDQVOHPRQGHOHVGURLWVHWODFLWR\HQQHW«ODJHVWLRQGHOȇDUJHQWSXEOLF l’immigration et un ensemble le plus large possible d’enjeux politiques et sociaux423XLVORUVGHODDiada VXLYDQWHOHVHSWHPEUHODPDQL- festation fut organisée autour de la « Via catalana » : une chaîne humaine de 400 km traversa symboliquement toute la communauté autonome. Via catalana IDLWDOOXVLRQ¢OȇH[SUHVVLRQm)HU9LD}m)HUOD9LD43 » tirée GȇXQ FODVVLTXH GH OD OLWW«UDWXUH FDWDODQH GX 0R\HQ „JH Tirant lo Blanc GH-RDQRW0DUWRUHOO,OVȇDJLVVDLWGHWLUHUXQȴOFRQGXFWHXUHQWUHOHSDVV« HWOHSU«VHQWGHFU«HUHWUHFU«HUOȇLPDJLQDLUHFROOHFWLIVRXVXQDQJOHKLV- torique et mémoriel. On attendait aussi de cette action très largement médiatisée une visibilité internationale accrue (avec des rassemblements FRQFRPLWDQWV ¢ 3DULV /RQGUHVHWF  GH OȇLG«H GȇXQH &DWDORJQH LQG«SHQ- GDQWH(QȴQODPDQLIHVWDWLRQGXVHSWHPEUHGRQWOȇREMHFWLI«WDLW GȇDWWLUHUHQFRUHSOXVGHPRQGHTXHOHVDQQ«HVSU«F«GHQWHVHQOLHQDYHF OHVHIIRUWVIRXUQLVSDU0XULHO&DVDOVHW&DUPH)RUFDGHOOOHVSU«VLGHQWHV respectives d’Òmnium culturelHWGHOȇ$1&SRXU«ODUJLUODPDMRULW«VRFLDOH

šMònica Terribas est une journaliste très connue en CCVCNQIPGšGNNGHWVNCFKTGEVTKEGIȌPȌTCNG de la télévision de CCVCNQIPG CXTKN  2TQHGUUGWTG ȃ NŨWPKXGTUKVȌ Pompeu Fabra de Barcelone, elle possède un doctorat de l’université de RGCFKPI Écosse), sa thèse ayant pour VKVTGšTHOHYLVLRQQDWLRQDOLGHQWLW\DQGWKHSXEOLFVSKHUH̰DFRPSDUDWLYHVWXG\RIScottish and Catalan discussion programmes. Jaume Terribas a fondé à Montserrat le parti Convergència Democràtica de Catalunya  GVJoan Manuel Tresseras fut conseiller pour la culture et la communication de la Generalitat de Catalogne à l’époque de Montilla. =JVVRYYYGNENCWGTECV?EQPUWNVȌNGOCTULGUQTICPKUCVKQPUUQPVšCercle català de negocis, l’associacionisme cultural català, Sobirania i Justícia, Associació catalana de profes- sionals, Ciemen, Fundació Catalunya Estat, Plataforma per la llengua, Sobirania i Progrès, Collectu Emma, la Fàbrica et Plataforma pro-Seleccions esportives catalanes. šDouble sens de l’expression. D’une part, le sens réel « fer via » signifie s’unir à la voie et, d’autre part, le sens figuré signifie se presser afin d’atteindre un objectif. On doit à Tirant lo Blanc « fer la via » dans le sens d’aller vers un but.

149 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

IXWRUJDQLV«HVRXVOHVLJQHGXm9}9GH9LFWRLUHPDLVDXVVL9GH9RWH en faisant directement allusion au référendum du 9 novembre 2014 sur OȇLQG«SHQGDQFHm9GH9RORQW«GȇXQSHXSOH¢G«FLGHU9GH9DOHXUVGȇXQ SHXSOH9GH9LHLOOHVUH9HQGLFDWLRQVTXLVRQWWRXMRXUV9LYHV}/DGDWHGX 11 septembre 2014 était de surcroît dotée d’une forte composante sym- EROLTXHSXLVTXHOȇRQFRPP«PRUDLWODG«IDLWHGH%DUFHORQHmDSUªV}OD SULVHGHODYLOOHSDUOHVSDUWLVDQVGH3KLOLSSHGȇ$QMRXORUVGHODJXHUUHGH 6XFFHVVLRQGȇ(VSDJQHOHVHSWHPEUHBȃFHWWHJXHUUHTXLLQVWDXUD le pouvoir monarchique des Bourbons. 7RXWHV FHV PDQLIHVWDWLRQV DLQVL TXH GȇDXWUHV DFWLRQV FROOHFWLYHV locales illustrent le renouveau des mouvements sociaux indépen- dantistes dans la Catalogne d’aujourd’hui44. Il s’agit de mouvements FLWR\HQVGHPDVVHUHPHWWDQWHQFDXVHODO«JLWLPLW«GHOȇ‹WDWFHQWUDOGDQV XQH U«JLRQ OD &DWDORJQH PDLV DYHF GHV U«SHUFXVVLRQV JOREDOHV SURȴ- tables à d’autres mouvements indépendantistes comme ceux d’Irlande RXGȇ‹FRVVHTXLRQWHX[P¬PHVGHVU«SHUFXVVLRQVVXUODFRQVWUXFWLRQ GH Oȇ8QLRQ HXURS«HQQH &RPPH OH VLJQDOH OȇKLVWRULHQ -RVHS )RQWDQD certains secteurs de la société catalane considèrent que le pacte de  HVW GHYHQX FDGXF HW TXH OD &DWDORJQH GHPHXUH SHU©XH par le gouvernement central comme une province de la couronne de Castille45‚QRWUHDYLVFȇHVW¢SDUWLUGHFHWWHLQWUDQVLJHDQFHGXJRXYHU- QHPHQWFHQWUDOFRPPHGXFRQWH[WHGHOȇ«PHUJHQFHGXPRXYHPHQWGHV LQGLJQ«V GX m0} GHSXLV  GHV m1RY¯VLPRV} RX GH OD Spanish Revolution46 TXȇLO IDXW FRQVLG«UHU HW DQDO\VHU OD GHPDQGH GȇLQG«SHQ- dance des Catalans47.

šLGNGEVGWTRGWVEQPUWNVGTWPGDKDNKQITCRJKGFȌLȃKORQTVCPVGUWTNGUOQWXGOGPVUUQEKCWZš Donatella DƫƲƲƧPƵƷƹƧ et Mario DƯƧƴƯSocial MRXYHPHQWV̰DQLQWURGXFWLRQ, Londres, BNCEMYGNN š Enric PƷƧƹ FKT  Els moviments socials a la Catalunya contemporània, Barcelone, Publicacions i edicions de la Universitat de BCTEGNQPCšBenjamín TƫưƫƷƯƴƧMƵƴƹƧʫƧ, LD VRFLHGDG LPDJLQDGD̰ PRYLPLHQWRV VRFLDOHV \ FDPELR FXOWXUDO HQ España. Madrid, Trotta, šManuel CƧƸƹƫƲƲƸ, RHGHVGHLQGLJQDFLµQ\HVSHUDQ]D̰ORVPRYLPLHQWRVVRFLDOHVHQODHUD de Internet, Madrid, ANKCP\CGFKVQTKCNšJosep FƵƴƹƧƴƧ, EOIXWXURHVXQSD¯VH[WUD³R̰XQD reflexión sobre la crisis social de comienzos del siglo XXI, Barcelone, Pasado & Presente, 2013. šJosep FƵƴƹƧƴƧ, op. cit., 2013. Voir de même Josep FƵƴƹƧƴƧ, « Espanya i CCVCNWP[Cš VTGUEGPVUCP[UFŨJKUVȔTKCzLeçon inaugurale du Simposi Espanya contra CDWDOXQ\D̰XQDPLUDGD histórica, Barcelone, Institut d’Estudis CCVCNCPUOKUGPNKIPGNGFȌEGODTG=JVVRYYY [QWVWDGEQOYCVEJ!X TYOHM4ysc], consulté le 23 de mars 2014. šFrancisco FƫƷƴʜƴƪƫƿMƵƷƫƴƵSpanish Revolution. Ensayo sobre los lenguajes indignados, Madrid, UnoyCero ediciones, 2013. šLa composition du Parlement catalan depuis les élections du 10 décembre qui ont porté Artur Mas à la présidence de la Generalitat de CCVCNQIPGGUVNCUWKXCPVGšUKȋIGURQWTCiU, 28 pour le PSC, 18 pour le PPC, 10 pour ERC, 10 pour ICVEUiA, 4 pour SI Solidarité catalane pour l’Indépendance) et 3 pour CŨU Citoyens).

150 Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

(QHIIHWLOHVWHVVHQWLHOGHVRXOLJQHUTXHFHVSURWHVWDWLRQVVXUJLVVHQW HQ (VSDJQH GDQV XQ FRQWH[WH R» OHV (VSDJQROV \ FRPSULV GRQF OHV Catalans) sont très mécontents des politiques menées par les différents SDUWLV SROLWLTXHV GHV VDXYHWDJHV ȴQDQFLHUV DFFRUG«V DX[ EDQTXHV DX G«WULPHQWGHVSHUVRQQHVGHVVFDQGDOHVGHFRUUXSWLRQLQVWLWXWLRQQHOOH qui touchent tous les partis politiques y compris la Couronne (la sœur GHOȇDFWXHOURL)HOLSH9,&ULVWLQDGH%RUEµQHVWWRXMRXUVLQFXOS«H /HV (VSDJQROVVHUHQGHQWFRPSWHTXHOHVSROLWLTXHVQHOHVUHSU«VHQWHQWSDV qu’il y a un abîme de plus en plus profond entre les gens et leurs repré- sentants. La démocratie est en crise. Comme Javier de Lucas le fait UHPDUTXHU¢MXVWHWLWUHOHSUREOªPHGHODVRFL«W«HVSDJQROHHVWQRQVHX- lement la crise économique (utilisée souvent aussi comme une excuse SRXU QH SDV DERUGHU GȇDXWUHV VXMHWV SUREDEOHPHQW SOXV LPSRUWDQWV  PDLVODFULVHGHODG«PRFUDWLHHWODP«ȴDQFHGHV(VSDJQROV¢Oȇ«JDUG GHVSROLWLTXHVTXLQȇRQWSDVVXSXRXYRXOXVȇDGDSWHUDXQRXYHOHVSDFH VRFLDO FXOWXUHO SROLWLTXH HW «FRQRPLTXH GH OD PRQGLDOLVDWLRQ48. Pour FHSURIHVVHXUGHGURLWFRQVWLWXWLRQQHOmOHPRGªOHGHFLWR\HQ FRQVRP- mateur de voix) du Parti populaire c’est la majorité silencieuse ». Face à une politique économique qui favorise les banques et qui paupérise GHSOXVHQSOXVOHVJHQVFHVPRXYHPHQWVVRFLDX[GHPDQGHQWGHVFKDQ- JHPHQWVSURIRQGV3RXUOD&DWDORJQHFHODVȇH[SULPHGDQVODPDQLªUH GRQWOȇ$1&SRXVVH¢SDUWLUGHODEDVHOHVSROLWLFLHQV¢DJLUSRXUTXȇLOV RUJDQLVHQW XQ U«I«UHQGXP m5HJDUGH] OH SHXSOH TXL HVW O¢ GHKRUV OXLLODIDLWXQSDVPDLQWHQDQWFȇHVWDXJRXYHUQHPHQWGHOHIDLUHHW TXȇLOVDLWTXHVȇLOOHIDLWQRXVVHURQV¢VRQF¶W«‹FRXWH]ODFODPHXUGX peuple49. » (Q U«VXP« OHV FRQWHVWDWLRQV VXUJLVVHQW GDQV XQ FRQWH[WH VRFLDO GHFULVHFULVH«FRQRPLTXH FK¶PDJHLQFDSDFLW«¢FU«HUGHOȇHPSORL  FULVH G«PRFUDWLTXH P«ȴDQFH GHV JHQV ¢ Oȇ«JDUG GH OHXUV «OXV  FRU- UXSWLRQ LQVWLWXWLRQQHOOH FULVHGHOȇ‹WDWSURYLGHQFH SULYDWLVDWLRQGH ODVDQW«HWGHOȇ«GXFDWLRQ¤JHGHODUHWUDLWHSOXVWDUGLI GHOȇ‹WDWGHV DXWRQRPLHV U«IRUPH GHV VWDWXWV U«IRUPH GH OD FRQVWLWXWLRQ  )DFH ¢ FHPDUDVPHVXUJLWODYRL[GHODFLWR\HQQHW«TXȇLQFDUQHQWOHVPRXYH- PHQWVVRFLDX[DYHFOHXUVUHYHQGLFDWLRQVOHXUVPRGHVGHIRQFWLRQQH- PHQWOHXUVVWUDW«JLHVGȇDFWLRQDOODQWGHOȇDFWLRQFROOHFWLYH¢ODFRQQHF- WLYLW«GDQVOHFRQWH[WHSOXVJOREDOGHODPRQGLDOLVDWLRQGXXXIe siècle

šJavier Dƫ LƺƩƧƸ « Crisis de la democracia, ciudadanía, desobediencia », conférence plénière prononcée dans le cadre du Congreso Internacional Nuestro Patrimonio CRP¼Q̰ Movimientos sociales, université de Cadix, 20 mai 2013. šActes du secrétariat national du 8 septembre 2012.

151 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

DYHFVHVFDUDFW«ULVWLTXHVODUDSLGLW«OHVQRXYHOOHVWHFKQRORJLHVHWOHV réseaux sociaux.

LE MOUVEMENT VERS L’INDÉPENDANCE ET LA CONSULTATION DU 9 NOVEMBRE 2014 Les deux collectifs qui ont pris en charge les actions vers l’indépen- dance sont Òmnium Cultural et l’ANC. Le premier est une entité culturelle TXL H[LVWH GHSXLV  WUDYDLOOH SRXU OD FXOWXUH FDWDODQH DX VHQV ODUJH GXWHUPHHWGHSXLVOȇDXWRPQHVHG«FODUHRXYHUWHPHQWSRXUOȇLQG«- SHQGDQFH/DP¬PHDQQ«HLODUH©XODP«GDLOOHGȇKRQQHXUGXSDUOHPHQW catalan pour l’œuvre réalisée pendant toutes ces années d’existence. /ȇHQWLW« PªQH GLII«UHQWHV DFWLRQV GDQV FH VHQV GRQW XQH LQWLWXO«H m8Q pays normal » SRXUIDLUHDOOXVLRQ¢ODQ«FHVVLW«Gȇ¬WUHXQ‹WDWGLII«UHQW GHFHOXLGHOȇ(VSDJQH&HUWDLQHVDFWLRQVVRQWHQUDSSRUWDYHFODmQDWLRQ} P¬PHFHOOHGHSHQGDQWODWUDQVLWLRQm$SSHO¢ODVROLGDULW«ODQJXH FXOWXUHHWQDWLRQVFDWDODQHV}  m)UHHGRPIRU&DWDORQLD}SHQGDQW OHVMHX[2O\PSLTXHVGH%DUFHORQH  m)UHH&DWDORQLD}SHQGDQWOH )RUXP GHV FXOWXUHV DSUªV OHV MHX[   m'LJQLW« QDWLRQDOH}   « Ensemble pour la Catalogne » après les recours déposés auprès du 7ULEXQDO FRQVWLWXWLRQQHO   m1RXV VRPPHV XQH QDWLRQ QRXV G«FL- GRQV} PDQLIHVWDWLRQ GH MXLOOHW   m&RQVWUXLVRQV WRXV XQ QRXYHO ‹WDWGȇ(XURSH}m)HXLOOHGHURXWH}  m/D6DQW-RUGLURVHOLYUHHW Ȋ(VWHODGDȋVXUOHVEDOFRQV}  m4XHVWLRQVGȇ‹WDWU«ȵH[LRQV¢SURSRV du pays du futur » (2014). 'H VRQ F¶W« Oȇ$1& VRXWLHQW XQ SURFHVVXV TXL FKHUFKH ¢ PHQHU ¢ l’indépendance à travers l’effort collectif. Ses membres et ses sympa- WKLVDQWVYHXOHQWIDLUHGHOD&DWDORJQHXQ‹WDWGHGURLW SDUWUDGLWLRQ  démocratique (faire face aux élus dont les gens ne sentent pas qu’ils OHVUHSU«VHQWHQW VRFLDO PHLOOHXUHU«SDUWLWLRQGHVULFKHVVHV HWLQFOX- sif (de tous ceux qui vivent en Catalogne). L’un de ses objectifs a été de faire pression sur les politiciens pour réclamer un référendum VXU OȇLQG«SHQGDQFH XQH FRQVXOWDWLRQ TXL D HX OLHX OH QRYHPEUH 2014. L’ANC a mené également différentes campagnes : « La marche vers l’indépendance » qui commença à la Seu d’Urgell (au pied des Pyrénées) et se termina à Barcelone ; l’« Estelada » (drapeau indépen- dantiste catalan) organisée par « Bagès independència ». Son carac- WªUHQRQSDUWLVDQHVWOȇXQHGHVHVFDUDFW«ULVWLTXHVFDULOVȇDJLWGȇXQH plateforme populaire qui souhaite s’appuyer sur la majorité sociale

152 Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

HW OȇXWLOLVHU FRPPH RXWLO SRXU IDLUH SUHVVLRQ (OOH VȇDXWRG«ȴQLW DXVVL FRPPHXQHRUJDQLVDWLRQLQFOXVLYHDȴQTXHWRXVOHVFLWR\HQVSXLVVHQW y adhérer. Ses promoteurs mettent toujours en avant la volonté col- OHFWLYH HQ VRXOLJQDQW TXH Oȇ$1& UHSU«VHQWH XQH RUJDQLVDWLRQ FLYLOH WUDQVYHUVDOH TXL VȇHVW FRQVWUXLWH GHSXLV OH EDV YHUV OH KDXW &RPPH GDQV OHV PRXYHPHQWV GȇDVVHPEO«H FHOOHFL G«FLGH OHV DFWLRQV TXH l’organisation doit entreprendre. Ses membres œuvrent à dans ce SURFHVVXV TXL GHPDQGH OH GURLW ¢ G«FLGHU GDQV OHV XUQHV GX IXWXU SROLWLTXH GH OD &DWDORJQH DȴQ TXȇHOOH SXLVVH DYRLU VRQ SURSUH ‹WDW 6LQRXVQRXVDWWDUGRQVPDLQWHQDQWVXUOHGLVFRXUVGHOȇ$1&RQSHXW observer qu’il se structure autour de trois axes thématiques : la société FLYLOHODG«PRFUDWLHHWOHPRXYHPHQW50. &RQFHUQDQWODVRFL«W«FLYLOHOȇ$1&«YRTXHXQHmYRORQW«FROOHFWLYH XQH RUJDQLVDWLRQ FLYLOH WUDQVYHUVDOH} HW OH IDLW TXH mFȇHVW WRXWH OD VRFL«W«FLYLOHVRXYHUDLQHTXLFRQYRTXHOHSURFHVVXVDXTXHOOHVSROL- WLFLHQVGRQQHURQWXQHIRUPHSROLWLTXHPDLVGHSXLVODVRFL«W«FLYLOH >HWTXH@QRXVQRXVVHQWRQVUHVSRQVDEOHVGȇDQLPHUOHG«EDW}4XDQW ¢ODG«PRFUDWLHLOVȇDJLWGHmIDLUHSUHVVLRQVXUOHVSDUWLVSRXUTXȇLOV RUJDQLVHQWODFRQVXOWDWLRQ}GHmSRUWHUOHVXUQHVGDQVODUXH}DȴQ de favoriser une « régénération démocratique » : « Nous sommes ici SRXU IDLUH FRQQD°WUH QRWUH FDXVH TXL HVW DXVVL FHOOH GH OD &DWDORJQH HWVXUWRXWODFDXVHGHODG«PRFUDWLHFHOOHGXSHXSOHHWGHODMXVWLFH} (QȴQVȇDJLVVDQWGXPRXYHPHQWm1RXVQHERXJHURQVSDVGȇLFLFȇHVW QRWUHFKHPLQPHWWUHHQPDUFKHGHVDFWLRQVVXLYUHOHSURFHVVXVGȇLQ- G«SHQGDQFH DȴQ GH VDXYHJDUGHU QRWUH LGHQWLW« HW Oȇ‹WDWSURYLGHQFH nous faisons du chemin vers notre souveraineté. » En phase avec cette G\QDPLTXH GX PRXYHPHQW OHV UHWRXUV VXU DYDQF«H VRQW IU«TXHQWV « Nous sommes en train d’initier le chemin de la construction natio- QDOH QRXV FRQWLQXHURQV QRXV WUDYDLOOHURQV WRXMRXUV QRXV VRPPHV HQWUDLQGHIDLUHXQHU«YROXWLRQ}(QȴQOȇ‹WDWFHQWUDOmOȇDXWUH}OXL FȇHVWmOȇ‹WDWHVSDJQROTXLQRXVVRXPHWDXJU«GȇXQHȊVLWXDWLRQVHPL coloniale” ». /DFRQVXOWDWLRQGXQRYHPEUHVRXVOȇ«JLGHGH&L8(5&,&9 et CUP51 a posé deux questions : « Voulez-vous que la Catalogne soit un ‹WDW"}m9RXOH]YRXVTXHFHW‹WDWVRLWLQG«SHQGDQW"}/HU«VXOWDWGH ce « processus participatif52 » avec une participation d’un peu plus de

šSQWTEGš=JVVRCUUGODNGCECV!S PQFG?EQPUWNVȌNGFGOCTU šCandidature d’UPKVȌRQRWNCKTGAlternatives de gauche. šC’est sous cette désignation qu’il a été nommé par les indépendantistes.

153 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

GHV«OHFWHXUVD«W«OHVXLYDQWGHmRXL}DX[GHX[TXHV- WLRQVGHmRXL}¢Oȇ‹WDWPDLVmQRQ}¢XQ‹WDWLQG«SHQGDQW  GH mQRQ} DX[ GHX[ TXHVWLRQV53 4XȇHVWFH TXȇRQ SHXW GLUH GH FHV U«VXOWDWV" 'ȇDERUG OD SUHPLªUH FRQVWDWDWLRQ LPSRUWDQWH HVW TXH la consultation a eu lieu grâce à la mobilisation des gens — la société FLYLOH ȃ HW TXH OȇRUJDQLVDWLRQ D «W« DVVXU«H SDU Òmnium Cultural Oȇ$1&DLQVLTXHJU¤FH¢ODGeneralitat elle-même (qui s’est chargée de OȇHQUHJLVWUHPHQWGHV«OHFWHXUV (QVXLWHLOIDXWQRWHUTXHOHV«OHFWHXUV se sont rendus aux urnes dans la bonne humeur et avec un esprit festif VDFKDQW TXH OH PRPHQW PDOJU« OH FDUDFWªUH QRQ SO«ELVFLWDLUH GHOD FRQVXOWDWLRQ «WDLW KLVWRULTXH (QȴQ ELHQ TXȇLO Qȇ\ DLW SDV HX GȇHQMHX politique (car il s’agissait d’une consultation et non d’un référendum RUJDQLV«GHPDQLªUHO«JDOH XQHERQQHSDUWLHGHV«OHFWHXUVTXLVHVRQW rendus aux urnes ont exprimé le souhait d’une gouvernance agissant GDQV XQH &DWDORJQH VRXYHUDLQH $SUªV FHWWH FRQVXOWDWLRQ OH 7ULEXQDO supérieur de justice de Catalogne a poursuivi trois personnes : le pré- sident de la Generalitat$UWXU0DVODYLFHSU«VLGHQWH-RDQD2UWHJDHWOD conseillère Irene Rigau. Même s’il s’agissait bien d’un processus entamé par la société FLYLOHLOIDXW«JDOHPHQWWHQLUFRPSWHGHODSUHVVLRQGHVRUJDQLVDWLRQV GHODVRFL«W«FLYLOHVXUOHVSDUWLVVDQVRXEOLHUOHV«FK«DQFHV«OHFWRUDOHV TXLFRPPHGDQVWRXW‹WDWG«PRFUDWLTXHRQWOLHXGHPDQLªUHS«ULR- GLTXHHWHQFHTXLFRQFHUQHOȇ(VSDJQHVRQWSU«YXHVSRXUG«FHPEUH  /H mMHX SROLWLTXH} QH IDLW TXH FRPPHQFHU PDLV FH TXH OȇRQ SHXW GȇRUHV HW G«M¢ GLUH FȇHVW TXH Oȇ$1& HW Òmnium Cultural par le ELDLVGHVHVGHX[SU«VLGHQWHVSURYRTXHQWHWVWLPXOHQWOHG«EDWSDUPL OHVFLWR\HQVDXVHLQP¬PHGHFKDFXQGHVSDUWLVSROLWLTXHVHWHQWUHOHV GLII«UHQWHV RUJDQLVDWLRQV 9R\RQV GRQF ȴQDOHPHQW FRPPHQW FKDTXH tête de liste se situe par rapport à ces élections. /HV«OHFWLRQVPXQLFLSDOHVGXPDLPDLVVXUWRXWOHVU«JLR- nales du 27 septembre 2015 ont montré le maintien dans les urnes GȇXQ IRUW LQG«SHQGDQWLVPH 4XDQW ¢ OD FODVVH SROLWLTXH HVSDJQROH 0DULDQR5DMR\ 33 UHVWHLPPXDEOHDORUVTXH3HGUR6£QFKH] 362(  pencherait plutôt pour essayer d’ouvrir un dialogue vers le fédéra- OLVPH(QFHTXLFRQFHUQHODFODVVHSROLWLTXHFDWDODQH$UWXU0DV &'&  HW 2ULRO -XQTXHUDV (5&  RQW VLJQ« OH PDUV  OD mIHXLOOH GH URXWH}FRQMRLQWHPHQWDYHFOȇ$1&Òmnium Cultural et l’AMI. Miquel

 =JVVRRTGOUCIGPECVECVRTGUAHUXRAppJCXCPQVCRTGOUCXYECQHEC VCNCPUJCXGVCMGPRCTVKPVJGRCTVKEKRCVKXGRTQEGUUFQ?EQPUWNVȌNGGTCXTKN

154 Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

Iceta (PSC) demande une nouvelle loi électorale qui prenne plus en FRPSWHODSURSRUWLRQQHOOHHWFRPPHOH362(XQG«EDWVXUODU«IRUPH de la constitution et le fédéralisme. Pour Alicia Sánchez Camacho 33& ODIHXLOOHGHURXWHQȇHVWTXȇXQmSDSLHUPRXLOO«} mpapel moja- do} ¢VDYRLUTXHVHORQHOOHm0DVHW-XQTXHUDVFRQWLQXHQWGHWURP- per les Catalans54 ». Joan Herrera (ICV) souhaite quant à lui un « pacte SRXUODG«PRFUDWLH}VDQVUHQRQFHU¢XQU«I«UHQGXPVXUOHIXWXUGH la Catalogne55(QȴQ$OEHUW5LYHUD &LWR\HQV IDURXFKHRSSRVDQWDX QDWLRQDOLVPH FDWDODQ FRQWLQXH VD FURLVVDQFH GDQV OHV LQWHQWLRQV GH vote au niveau national et pour promouvoir un air de changement (à Oȇ«JDUGGX33HWGX362( XWLOLVHOHYRFDEOHmPRXYHPHQW} WUªV¢OD PRGHLOHVWYUDL HQTXDOLȴDQWVDIRUPDWLRQGHmPRXYHPHQWFLWR\HQ} (« Movimiento ciudadano »).

LA CATALOGNE FACE AU RENOUVEAU INDÉPENDANTISTE

Òmnium Cultural Oȇ$1& HW Oȇ$0, $VVRFLDWLRQ GHV PXQLFLSDOLW«V SRXU Oȇ,QG«SHQGDQFH  SRXUVXLYHQW OHXUV DFWLRQV FHWWH IRLV DYHFOH VORJDQ m0DLQWHQDQW FȇHVW OȇKHXUH} HQ YXH GHV «OHFWLRQV GH VHS- tembre. Ils organisent un grand meeting au Palais des congrès de %DUFHORQH OH DYULO  HW PªQHQW XQH FDPSDJQH XQLWDLUH SRXU OHV «OHFWLRQV ORFDOHV GH PDL TXȇLOV YRXGUDLHQW SO«ELVFLWDLUHV DYHF OH VORJDQm5HYHQRQVDX[XUQHVUHYHQRQVGDQVODUXH}‚VL[PRLVGHV «OHFWLRQVDXSDUOHPHQWGH&DWDORJQHOHVWURLVHQWLW«VRQWRUJDQLV«OH PDUVSOXVGHFHQWDFWLRQVVRXVOHVORJDQm/¢R»WRXWFRPPHQFH} DȴQGHUHQGUHYLVLEOHmODIRUFHGHODVRFL«W«FLYLOH}6LConvergència de Catalunya-Groupement indépendantiste et ERC remportent ces élec- WLRQV Oȇ$1& LQWHUSU«WHUD FHUWDLQHPHQW FHV U«VXOWDWV HQ FRQVLG«UDQW que le peuple a décidé d’entamer le processus vers l’indépendance. Il semble important de souligner deux points majeurs de leur feuille GHURXWHODQ«FHVVLW«GȇXQ‹WDWVRFLDO VDQW««GXFDWLRQHWUHWUDLWHV HW la régénération démocratique. On retrouve bien ici les demandes de la société civile quant au renouveau de la démocratie et à la manière de faire face à la crise économique par d’autres biais que les coupes budgétaires (« recortes-retallades »).

 =JVVRYYYRRECVCNWP[CEQOUCPEJG\ECOCEJQECNKHKECFGRCRGNOQLCFQGNRTGCEWGTFQ FGJQLCFGTWVCKPFGRGPFGPVKUVC?EQPUWNVȌNGCXTKN =JVVRYYYKPKEKCVKXCECVKEXPGYU?EQPUWNVȌNGCXTKN

155 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

Les élections régionales de septembre 2015 ont ainsi encore eu OLHXVRXVOHVLJQHGHOȇLQG«SHQGDQFHDȴQGHGRQQHUXQHU«SRQVH¢OD VRFL«W«FLYLOHGHUHGRQQHUDXSHXSOHODG«PRFUDWLHSHUGXHHWGHUHYH- QLU¢Oȇ‹WDWSURYLGHQFH(QȴQGDQVODPHVXUHR»OHFRQWH[WHFDWDODQHVW LQV«U«GDQVOHFRQWH[WHHVSDJQROODIRUFHGXQRXYHDXSDUWLPodemos56 qui réclame également une nouvelle démocratie et l’effacement des « castes » peut changer la donne des futures élections législatives. Il HQHVWGHP¬PHGHODFULVSDWLRQGȇXQHSDUWLHGHODVRFL«W«HVSDJQROH FU««HSDUOH3DUWLSRSXODLUHORUVTXȇLOQLHWRXWG«EDWTXȇLOSRUWHVXUOD SRVVLELOLW« GȇXQ ‹WDW I«G«UDO SRXU Oȇ(VSDJQH RX VXU XQH SOXV JUDQGH autonomie des communautés « demandeuses » et non de toutes les FRPPXQDXW«VDXWRQRPHV¢ODPDQLªUHGXmFDI«SRXUWRXV}(QHIIHW OH SURFHVVXV VRXYHUDLQLVWH QȇHVW SDV HQYLVDJHDEOH FRPPH XQ SDFWH mais comme un choc à cause d’un manque total de dialogue entre le JRXYHUQHPHQWFHQWUDOHWOHJRXYHUQHPHQWGHOD*HQHUDOLWDW&HFLSDU UDSSRUWDX[SROLWLTXHVPDLVTXȇHQHVWLODXȴQDOHQFHTXLFRQFHUQHOD société civile ? /HGHUQLHUVRQGDJHHIIHFWX«DXSUªVGHGHX[PLOOHSHUVRQQHVSDU le CEO57 est riche de renseignements concernant les opinions des FLWR\HQV HVSDJQROV U«VLGDQW HQ &DWDORJQH VXU OD VLWXDWLRQ SROLWLTXH OD FRQȴDQFH ¢ Oȇ«JDUG GX SHUVRQQHO SROLWLTXH RX GH OD VLWXDWLRQ «FR- nomique. Arrêtons-nous sur quelques données qui vont nous servir à conclure ce chapitre. Près de la moitié des personnes interrogées  FRQVLGªUHQWTXHODVLWXDWLRQSROLWLTXHHQ&DWDORJQHHVWPDX- vaise tandis que plus de 90 % considère que la situation politique en (VSDJQH HVW WUªV PDXYDLVH   RX PDXYDLVH   3OXV GH OD PRLWL« GHV HQTX¬W«V   FRQVLGªUHQW TXȇDXFXQ SDUWL SROLWLTXH QH SHXW GRQQHU XQH U«SRQVH DG«TXDWH ¢ OHXUV SUREOªPHV GRQW OHV SULQFLSDX[ VRQW OH FK¶PDJH HW OD SU«FDULW«   /HV U«VXOWDWV en termes de sympathie à l’égard des partis sont les suivants : ERC   &L8   &83   36&   &ȇV   ,&9(8L$  33&  &HWWHHQTX¬WHVRFLRORJLTXHPRQWUHFODLUHPHQWOH

šLa progression de Podemos depuis les élections européennes de mai 2014, ainsi que l’appa rition de Citoyens FGRWKU NGU ȌNGEVKQPU ECVCNCPGU FG  Ciutadans/Ciudadanos, né en 2006, possède 9 sièges), peut remettre en cause le bipartisme, une perspective qui fait peur aux deux partis majoritaires et nationaux, le Parti populaire et le Parti socialiste ouvrier espagnol. Lors des dernières élections anticipées en Andalousie qui ont eu lieu le 22 mars 2015, les deux partis Citoyens et Nous Pouvons ont obtenu des sièges. EPGHHGVNCEQORQUKVKQPCEVWGNNGGUVNCUWKXCPVGš PSOEšUKȋIGUPPšPodemosšCiudadanosšIUVGTVUConvocation pour l’APFCNQWUKGš šCentre d’estudis d’Opinió, Baròmetre d’Opinió Política, 1ª onada de 2014, nº 746, Barcelone, Generalitat de Catalunya, 30 avril 2015.

156 Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

G«VHQFKDQWHPHQW GH OD VRFL«W« FLYLOH HQYHUV OHV «OLWHV SROLWLTXHV OHV partis et leurs promesses. Elle illustre bien la grande déception des LQG«SHQGDQWLVWHVPDLV«JDOHPHQWGXUHVWHGHODVRFL«W«FDWDODQHIDFH à l’absence totale de perspective.

157

Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

6 La « transition démocratique » du nationalisme basque radical : de la légitimation de la violence à l’indépendantisme démocratique ?

Mathieu PETITHOMME

La tolérance est le seul remède contre la diversité des opinions. (Charles Nodier)

(Q G«FU«WDQW XQLODW«UDOHPHQW OH RFWREUH  mOD ȴQ G«ȴQLWLYH GH OD OXWWH DUP«H} GDQV OH EXW VHORQ OȇRUJDQLVDWLRQ GH mGRQQHU XQH VROXWLRQ MXVWH HW G«PRFUDWLTXH DX FRQȵLW SROLWLTXH V«FXODLUH} Oȇ(7$ (Euskadi Ta Askatasunam3D\VEDVTXHHWOLEHUW«} HQW«ULQDODmWUDQ- VLWLRQG«PRFUDWLTXH}GXQDWLRQDOLVPHEDVTXHUDGLFDOPDUTX«HGHSXLV OHG«EXWGHVDQQ«HVSDUOHG«FOLQGHODO«JLWLPDWLRQGHODYLROHQFH et le choix de plus en plus marqué de ses sympathisants de privilégier la défense d’un indépendantisme démocratique au sein même des ins- WLWXWLRQV$SUªVDYRLUFDXV«GLUHFWHPHQWRXLQGLUHFWHPHQWODPRUWGȇDX PRLQVFLYLOVSROLFLHUVPLOLWDLUHVRXUHVSRQVDEOHVSXEOLFVGH¢ FHWWH«YROXWLRQWUDGXLVLWGHIDLWOHG«FOLQGHODFRPSRVDQWHPLOL- taire du nationalisme basque radical et son démantèlement progressif SDUOȇ‹WDWGHGURLW¢WUDYHUVODU«SUHVVLRQSROLFLªUH13RXUDXWDQWORUV de l’Aste Nagusia OD m*UDQGH 6HPDLQH} GH %LOEDR GH  ORUVTXH résonnait la chanson « Il n’y a pas de trêve » du groupe de rock navar- rais Barrikada au sein de certaines txoznas SDLOORWHVIHVWLYHV FHUWDLQV FULDLHQWHQFRUHKDXWHWIRUWm(7$(7$(7$}2.

šEn plus des 843 victimes mortelles de l’ETAGVFGITQWRGUU[ORCVJKUCPVUKNHCWVCLQWVGTš RGTUQPPGU DNGUUȌGU FQPV  UQWHHTGPV FŨWPG KPXCNKFKVȌ RCTVKGNNG QW VQVCNG RGTOCPGPVG  GV  UȌSWGUVTȌGU FQPVCUUCUUKPȌGUGVNKDȌTȌGUUWKVGȃFGUkVKTUFGEJȅVKOGPVzFCPUNGURKGFU RQWT des durées allant de un jour à 532 jours pour le fonctionnaire de prison José Antonio Ortega Lara. šAnecdote racontée par GCK\MCFƫƷƴʜƴƪƫƿSƵƲƪƫƻƯƲƲƧ et Raúl LʭǞƫƿLƵƳƵ Sangre, votos, PDQLIHVWDFLRQHV̰ETA y el nacionalismo vasco radical 1958-2011, Madrid, Tecnos, 2012, p. 35. Sur le lien entre nationalisme radical et musique alternative, cf. Christian LƧƮƺƸƫƴ, « The aesthetic QH TCFKECNKUOš VJG TGNCVKQPUJKR DGVYGGP RWPM CPF VJG RCVTKQVKE PCVKQPCNKUV OQXGOGPV QH VJG Basque country », Popular MusicPoR

159 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

&HFKDSLWUHDSRXUREMHFWLIGHPRQWUHUFRPPHQWDXGHO¢GHOȇ(7$3 de ses nombreuses organisations satellites et des formations politiques et différentes « marques » de la gauche abertzaleOHQDWLRQDOLVPHEDVTXH UDGLFDOFRQVWLWXHVXUWRXWXQSXLVVDQWPRXYHPHQWVRFLDOGRQWOHVIRQGH- ments sociologiques et l’ancrage dans l’espace public permettent d’expli- TXHUODSHUVLVWDQFHMXVTXȇ¢QRVMRXUV3DUPRXYHPHQWVRFLDOQRXVHQWHQ- dons les actions collectives d’une communauté politique qui partage un V\VWªPH GH YDOHXUV HW XQ VHQWLPHQW GȇDSSDUWHQDQFH WRXW HQ VH GRWDQW GȇXQHFDSDFLW«GHPRELOLVDWLRQGDQVOȇHVSDFHSXEOLFHWHQG«ȴQLVVDQWGHV UHYHQGLFDWLRQV GHV DGYHUVDLUHV HW XQ SURMHW SROLWLTXH HW VRFLDO4. Même VȇLO«YRTXHQ«FHVVDLUHPHQWOHU¶OHGHODOXWWHDUP«HGHOȇ(7$OHFKDSLWUH porte donc avant tout sur la « lutte de masse » du « mouvement basque de libération nationale » (MLNV) à travers le prisme de ses actions collec- WLYHV,OVȇDJLUDGȇ«WXGLHUOȇDFWXDOLW«GHFHWWHFRPPXQDXW«SROLWLTXHHQOD UHSOD©DQWGDQVVRQFRQWH[WHKLVWRULTXHHWVRFLDOHWHQSDUWDQWGXSRLQW GHYXHGHVPRELOLVDWLRQVGHVPDQLIHVWDWLRQVHWGHVPRXYHPHQWVVRFLDX[ contemporains qui donnent corps à ses revendications et les légitiment. 3DU QDWLRQDOLVPH EDVTXH UDGLFDO QRXV HQWHQGRQV OD YHUVLRQ OD SOXV LQWUDQVLJHDQWHGHOȇXOWUDQDWLRQDOLVPHEDVTXHTXLUHQYRLH¢OȇH[WU«PLVPH mais aussi aux racines de l’idéologie nationaliste de Sabino Arana (voir infra FHFRXUDQWVȇDXWRG«VLJQDQWFRPPHOHUHSU«VHQWDQWO«JLWLPHGHOD QDWLRQEDVTXHHQWHQGXHDXVHQVODUJH (XVNDGL3D\VEDVTXHIUDQ©DLVHW 1DYDUUH HWUHYHQGLTXDQWVRQGURLW¢OȇDXWRG«WHUPLQDWLRQ5. /HV SURWHVWDWLRQV OHV PDQLIHVWDWLRQV HW OHV PDUFKHV FRQVWLWXHQW en effet des répertoires d’action centraux de l’abertzalisme UDGLFDO des formes de « lutte » (borroka HQ EDVTXH  VL LPSRUWDQWHV SRXU OD

šPour les principaux travaux sur l’ETA, se référer à Miren AƲƩƫƪƵ, Militar en ETA. Historias de vida y muerte, San SGDCUVKȄPHCTCPDWTWšFlorencio DƵƳʨƴƭƺƫƿ, ETA̰HVWUDWHJLDRUJDQL]D- tiva y actuaciones, 1978-1992, Bilbao, Universidad del País VCUEQšCarmen GƺƷƷƺƩƮƧƭƧ, Los jefes de ETA, Madrid, La EUHGTCFGNQUNKDTQUšIgnacio SʜƴƩƮƫƿCƺƫƴƩƧ, ETA contra el Estado. Las estrategias del terrorismošFernando RƫƯƴƧƷƫƸ, Patriotas de la muerte. Quiénes han militado en ETA y por qué e édition), Madrid, TCWTWUšIȓKIQBƺƲƲƧƯƴ, Revolucionarismo patriótico. El Movimiento de Liberación Nacional Vasco. Origen, ideología, estrategia y organización, Madrid, Tecnos, 2011. Voir aussi en français Antonio EƲƵƷƿƧ et al., ETA une histoire, Paris, Denoël, 2002 et Jacques MƧƸƸƫƾ, ETA̰KLVWRLUHVHFUªWHG̸XQHJXHUUHGHFHQWDQV, Paris, 2010. šSur cette notion, cf. ÉTKM Nƫƻƫƺ, Sociologie des mouvements sociaux, Paris, La Découverte, šOlivier FƯƲƲƯƫƺƲƫ, Lilian MƧƹƮƯƫƺ et Cécile PƫƩƮƺ, Dictionnaire des mouvements sociaux, Paris, Presses de Sciences Po, 2009. šLe fait que le nationalisme radical se revendique comme le seul représentant légitime de la PCVKQPDCUSWGEQPUVKVWGWPGU[PGEFQSWG RTGPFTGWPGRCTVKGRQWTNGVQWV EQOOQFGSWKGZENWV une partie des citoyens basques, soit sur des critères d’exclusion notamment linguistiques, UQKVRQWTNGWTkGURCIPQNKUOGz NGWTUGPVKOGPVFŨCRRCTVGPCPEGȃNŨEspagne). Sur ce point, cf. Jesús CƧƸƶƺƫƹƫkLa religión de la patria », Claves de Razón PrácticaDPoR

160 Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

diffusion de ses revendications dans l’espace public que ses militants6 sont d’ailleurs dénommés les « borrokas ». Des années 1960 jusqu’à nos MRXUV OHV QDWLRQDOLVWHV UDGLFDX[ RQW RUJDQLV« GH QRPEUHXVHV DFWLRQV collectives en faveur de l’amnistie de ceux qu’ils considèrent comme des « prisonniers politiques ». Des cérémonies en l’honneur des « guda- ris} XQ WHUPH LQLWLDOHPHQW XWLOLV« SRXU G«VLJQHU OHV VROGDWV EDVTXHV et républicains qui luttèrent contre les troupes franquistes lors de la JXHUUHFLYLOHRQW«W«G«WRXUQ«HVDȴQGHUHQGUHKRPPDJHDX[mPDUW\UV GȇKLHUHWGȇDXMRXUGȇKXL}HQSU«VHQWDQWOHVFRPEDWWDQWVGHOȇ(7$FRPPH les héritiers historiques des soldats de la guerre civile7. Des cérémonies d’accueil triomphantes ont été organisées par les Gestoras pro-amnistia ORUVGHVVRUWLHVGHSULVRQGHVG«WHQXVGHOȇ(7$'XUDQWOHVDQQ«HV la « }ODOXWWHGHUXHIXWXWLOLV«HSDUGHVMHXQHVUDGLFDX[ GXVDPHGLVRLUTXLFRPELQDQWkalimotxoXQP«ODQJHGHYLQHWGHFRFD FRODW\SLTXHGXmERWHOOµQ}HVSDJQROSDVVHPRQWDJQHODQFHSLHUUHHW FRFNWDLOVPRORWRYFKHUFKªUHQW¢SURYRTXHUGHVDIIURQWHPHQWVYLROHQWV avec les forces de police8. Des troubles censés donner corps et représen- WHU OH mFRQȵLW} EDVTXH ORUV GȇDFWHV YLROHQWV ¢ YRFDWLRQ SHUIRUPDWLYH Les fêtes populaires du Gudari Eguna et de l’Albertia Eguna et des chants tels que l’Agur Jaunak ou la Marche funèbre Guernica ont été aussi récu- S«U«VSDUOHQDWLRQDOLVPHUDGLFDOHWXWLOLV«VSRXUMXVWLȴHUVHVREMHFWLIV OȇDXWRG«WHUPLQDWLRQOȇDPQLVWLHHWOȇH[SXOVLRQGHVIRUFHVDUP«HVGX3D\V EDVTXH¢WUDYHUVODOXWWHDUP«HOHVXUQHVHWOHVPDQLIHVWDWLRQV&HVEXWV n’ont pratiquement pas changé depuis 1958. Seuls les moyens mis en ĕXYUH RQW «YROX« ¢ WUDYHUV OD ȴQ G«ȴQLWLYH GH OD OXWWH DUP«H GHSXLV octobre 2011. La « lutte de masse » du nationalisme basque radical peut être appré- hendée à travers quatre phases distinctes : la phase de « résistance » au

šCe courant s’autodésigne comme « abertzale », à savoir « patriote » et de gauche, en réfé rence à ses liens historiques avec l’extrême gauche, même si le référentiel de gauche est avant tout instrumental et a toujours été secondaire, au contraire de la prédominance de l’ultranatio nalisme. Sur ce débat cf. Jesús CƧƸƶƺƫƹƫ« ADGTV\CNGUȐRGTQ~SWKȌPFKLQFGK\SWKGTFCš!zEl Viejo TopoPoR šMathieu PƫƹƯƹƮƵƳƳƫ kCQOOȌOQTGT NGU ūIWFCTKUŬ FŨJKGT RQWT NȌIKVKOGT NC XKQNGPEG FŨCWLQWTFŨJWKšWPGȌVWFGKEQPQITCRJKSWGFWFȌVQWTPGOGPVFWBK\MCTIKGVFGNŨAlbertia Eguna au Pays basque », Pôle Sud. Revue de science politique de l’Europe méridionale, n° 41, 2015. šLe « botellón » est une pratique des jeunes Espagnols, qui consiste à se rassembler dans la rue, les parcs et sur la voie publique pour consommer de l’alcool, fumer et écouter de la musique en minimisant les dépenses, souvent avant des sorties en discothèque. Plus que l’expression d’un simple divertissement, le botellón balise aussi d’une certaine manière un espace de protestation, à travers l’occupation spontanée de lieux publics, et le contournement de l’obligation commerciale de payer l’accès aux boissons alcoolisées au prix fort dans les bars et autres lieux réservés en théorie à cet effet.

161 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

régime franquiste (1958-1977) ; la monopolisation de l’espace public (1978-1994) ; le déclin de l’hégémonie mobilisatrice (1995-2011) et l’ins- titutionnalisation du nationalisme radical au sein du jeu démocratique et électoral depuis 2011. En nous appuyant notamment sur des archives GHSUHVVHHWXQHODUJHOLWW«UDWXUHVFLHQWLȴTXHLOVȇDJLUDGRQFGHFRQVLG«- UHUOHVSULQFLSDOHVFDUDFW«ULVWLTXHVGHFKDFXQHGHFHVS«ULRGHVHQUHYH- nant sur les mouvements sociaux qui illustrent le mieux la trajectoire contemporaine de ce courant politique au Pays basque espagnol.

LA « RÉSISTANCE » AU RÉGIME FRANQUISTE ET LA LÉGITIMITÉ ORIGINELLE DU NATIONALISME RADICAL (1958-1977)

La résistance antifranquiste et le procès de Burgos

&RQWUDLUHPHQW DX[ LG«HV UH©XHV Oȇ«PHUJHQFH GH Oȇabertzalisme radical est bien antérieure à la fondation de l’ETA en 1958. Elle trouve son origine historique dans une interprétation littérale des positions de 6DELQR$UDQDWK«RULFLHQGXQDWLRQDOLVPHEDVTXHGHODȴQGXXIXeVLªFOH sur les critères linguistiques et ethniques d’exclusion qui caractérise- raient selon lui la « race » basque9. Un groupe de nationalistes radicaux fut de même formé dès 1906 autour de Santi Meabe et de la publication d’Aberri (patrie)107RXMRXUVDXWRXUGȇXQHUHYXHQDWLRQDOLVWHHQOȇRFFXU- rence Jagi-Jagi OH JURXSH UDGLFDO GX P¬PH QRP IXW IRUP« HQ  SDU (OLDV *DOODVWHJXL HQ P¬ODQW DX QDWLRQDOLVPH EDVTXH UDGLFDO XQH référence anticapitaliste11/ȇDSSURFKHLG«RORJLTXHGHOȇ(7$TXLDGDSWD la rhétorique marxiste-léniniste et tiers-mondiste des mouvements de OLE«UDWLRQ QDWLRQDOH GHV DQQ«HV  QH IXW GRQF SDV LQ«GLWH12. Dans OHV DQQ«HV  Oȇ(7$ UHFHYDLW LQLWLDOHPHQW OȇDSSXL GȇXQH SDUWLH GH OȇRSLQLRQ HVSDJQROH TXL FRQVLG«UDLW OȇRUJDQLVDWLRQ FRPPH XQ JURXSH

šPour une présentation synthétique de la théorie et de l’apport de Sabino Arana au nationa lisme basque, cf. José Luis DƫLƧGƷƧƴưƧ, El siglo de Euskadi. El nacionalismo vasco en la España del siglo XX, Madrid, TGEPQURšXQKTCWUUKFWOȍOGCWVGWTkENCPVKOCMGVKUOQš La visión de Sabino Arana sobre EURCȓC[NQUGURCȓQNGUzNorbaXQNR šJavier CƵƷƩƺƫƷƧAƹƯƫƴƿƧ, OU¯JHQHVLGHRORJ¯D\RUJDQL]DFLµQGHOQDFLRQDOLVPRYDVFR̰ 1904, Madrid, Siglo XXIR šSur ce groupe nationaliste radical, antécédent historique de l’ETA, cf. Eduardo RƫƴƵƨƧƲƫƸ, Jagi-Jagi. Historia del independentismo vasco, Bilbao, AJC\VWCM šJosé Manuel MƧƹƧLƵǞƫƿ, El nacionalismo vasco radical. Discurso, organización y expresiones, Bilbao, Universidad del País VCUEQR

162 Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

GȇRSSRVLWLRQ DX IUDQTXLVPH HW FH GȇDXWDQW SOXV TXH OH JURXSH QH ȴW VHV SUHPLªUHV YLFWLPHV IUDSS«HV ¢ PRUW TXȇHQ  GL[ DQV DSUªV VD fondation. Les premières manifestations de rue lors de l’Aberri Eguna de 1966 symbolisèrent bien ce rôle d’opposition antifranquiste. Le 319FRQȵXDVLOHQFLHXVHPHQW¢9LWRULDHWVHVPHPEUHVVHGLVSHUVªUHQW DYDQWOȇDUULY«HGHVIRUFHVGHSROLFH/HVUDGLFDX[HX[DIIURQWªUHQWYLR- OHPPHQWODSROLFH¢,UXQ$X[QDWLRQDOLVWHVPRG«U«VODSDVVLYLW«DX[ UDGLFDX[OȇDFWLRQHWODU«VLVWDQFH/HVIXQ«UDLOOHVGHTxabi Etxebarrieta HQOHSUHPLHUmPDUW\U }GHOȇRUJDQLVDWLRQIXUHQWDFFRPSDJQ«HV d’incitation à suivre son chemin : ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les morts imputables à l’ETA se multiplièrent à partir de cette date. Durant ODGLFWDWXUHOHFRQWH[WHGȇDEVHQFHGHOLEHUW«GȇH[SUHVVLRQGHU«XQLRQHW GHPDQLIHVWDWLRQUHQIRUF«SDUOȇ«WDWGȇH[FHSWLRQHXWSRXUFRQV«TXHQFH que le nationalisme basque radical fut perçu comme l’avant-garde du PRXYHPHQWDQWLIUDQTXLVWH&HSHQGDQWFRPPHOȇDELHQPRQWU«5DIDHO 'XU£Q 0X³R] GDQV VD WKªVH FH IXW VXUWRXW OH PRXYHPHQW RXYULHU¢ WUDYHUVGHVJUªYHV¢U«S«WLWLRQTXLMRXDOHU¶OHSULQFLSDOGDQVODFRQWHV- WDWLRQ GX U«JLPH IUDQTXLVWH ¢ OD ȴQ GHV DQQ«HV  HW DX G«EXW GHV années 197013. $X3D\VEDVTXHOHSUHVWLJHVRFLDOGHOȇ(7$IXWWUªVODUJHPHQWUHQ- IRUF«VXLWHDXSURFªVGH%XUJRVGXG«FHPEUHTXLFRQGDPQD PHPEUHVGHOȇRUJDQLVDWLRQ¢GHVSHLQHVWUªVORXUGHVGRQWVL[FRQGDP- nations à mort. Les mobilisations populaires sans précédent au Pays EDVTXHHWGDQVOȇHQVHPEOHGHOȇ(VSDJQHDLQVLTXHOHVQRPEUHXVHVSUR- WHVWDWLRQVLQWHUQDWLRQDOHVREOLJªUHQWWRXWHIRLVOHU«JLPH¢WUDQVIRUPHU les peines de mort en des peines de prison. La médiatisation très forte GX SURFªV OHV PDQLIHVWDWLRQV GH UXH HW OHV JUªYHV TXL VH VXFF«GªUHQW pour demander l’amnistie des prisonniers contribuèrent à donner à l’ETA l’image d’une organisation de résistance. L’opération « Ogro » qui U«DOLVDOȇDVVDVVLQDWGH/XLV&DUUHUR%ODQFROHG«FHPEUHDFF«O«- ra la déliquescence du régime14. Lorsque Juan Paredes Manot (Txiki) et ‚QJHO2WDHJXLPLOLWDQWVGHOȇ(7$SPIXUHQWPLV¢PRUWOHVHSWHPEUH ORUVGHVGHUQLªUHVH[«FXWLRQVGXU«JLPHOHSUHVWLJHVRFLDOGHOȇ(7$ QH IDLVDLW SOXV DXFXQ GRXWH 3DUDGR[DOHPHQW FHV H[«FXWLRQV V\PEROL- sèrent la défaite idéologique du franquisme. L’organisation s’empressa

šRafael DƺƷʜƴMƺʫƵƿ, Contención y transgresión. Las movilizaciones sociales y el Estado en las transiciones española y portuguesa, Madrid, Centro de Estudios Políticos y Constitucionales, Estudios PQNȐVKEQUš šJavier TƺƸƫƲƲ, Carrero, eminencia gris del régimen de Franco, Madrid, Temas de Hoy, 1993, R

163 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

GHIDLUHGHVFRQGDPQ«VGHVmPDUW\UV}GHODOXWWHQDWLRQDOLVWHEDVTXH F«O«EUDQWFKDTXHDQQ«HOHXUP«PRLUHSRXUPLHX[MXVWLȴHUODO«JLWLPLW« de sa cause et la perpétuation de la lutte armée. (QOȇDFFURLVVHPHQWGHVDWWHQWDWVDERXWLW¢ODVFLVVLRQGHOȇ(7$ en deux branches : « l’ETA militaire » (ETA-m) qui privilégia la « lutte DUP«H}HWmOȇ(7$SROLWLFRPLOLWDLUH} (7$SP TXLDGRSWDODmOXWWHGH PDVVH}(QORUVGHVD9,,èmeDVVHPEO«HOȇ(7$SPSULYLO«JLDODYRLH SROLWLTXHFHTXLFRQGXLUDFHWWHEUDQFKH¢LQW«JUHUSOXVWDUGODFRDOLWLRQ nationaliste de gauche Euskadiko Ezkerra m*DXFKH Gȇ(XVNDGL} ((  'DQVOHPRXYHPHQWLQYHUVHHQVHVFRPPDQGRVVS«FLDX[ bere- ziak) rejoignirent l’ETA-m. À rebours de la condamnation de la violence GX319GªVOȇ(7$PLQWHQVLȴDFHOOHFL¢SDUWLUGHXQHIRLVOD G«PRFUDWLH U«LQVWDXU«H FH TXL OXL ȴW SHUGUH SURJUHVVLYHPHQW OȇDSSXL de l’opinion publique15. Le nationalisme radical chercha à disputer au nationalisme modéré du PNV la légitimité de la continuité de la lutte KLVWRULTXH GX QDWLRQDOLVPH EDVTXH (QWUH G«PRFUDWHV HW UDGLFDX[ OD rupture fut consommée à Saint-Sébastien le 8 septembre 1977 : lors GȇXQH PDQLIHVWDWLRQ XQLWDLUH SRXU OȇDPQLVWLH J«Q«UDOH GHV MHXQHV proches d’ETA-m s’en prirent au député José Antonio Maturana du PSE- 362(G«WUXLVLUHQWGHVSDQQHDX[HWFULªUHQWGHVVORJDQVWHOVTXHm(7$ le peuple est avec toi » ou « Dehors les espagnolistes » (« Espainolistak kanpora} UHG«ȴQLVVDQWODOLJQHGHIUDFWXUHLG«RORJLTXHTXLSU«YDODLW MXVTXȇDORUVHQWUHSDUWLVDQVGHODGLFWDWXUHHWG«PRFUDWHVDXSURȴWGȇXQH GLYLVLRQ SROLWLTXH HQWUH (VSDJQROV HW %DVTXHV HW SDUPL FHV GHUQLHUV entre patriotes et traîtres16). La transition illustra le rejet par le nationalisme basque radical de la démocratie représentative : il boycotta les élections législatives et auto- QRPLTXHVHWQLDWRXWHO«JLWLPLW«¢Oȇ‹WDWHVSDJQROHWDXVWDWXWGȇDXWRQR- mie de 1979 qui créa la communauté autonome du Pays basque espa- gnol et la dota d’un parlement. Suite à la mort de Franco en 1975 et à ODUHVWDXUDWLRQGHODPRQDUFKLHOHQDWLRQDOLVPHPRG«U«GX319GHYLQW majoritaire dans les urnes dès 1977. Il dut faire face aux pressions FHQWULIXJHV FURLVVDQWHV GHV UDGLFDX[ WDQW SDU OD OXWWH DUP«H GH Oȇ(7$ TXH GDQV OD UXH SXLVTXH FH FRXUDQW PLQRULWDLUH GH OD VRFL«W« EDVTXH opposait la légitimité « populaire » des mouvements sociaux proches de sa cause à la légitimité électorale exprimée à travers le vote libre des

šSantiago Dƫ PƧƨƲƵ, Documentos para la historia del nacionalismo vasco, Barcelona, Ariel Practicum, 1998. šGCK\MCFƫƷƴʜƴƪƫƿSƵƲƪƫƻƯƲƲƧ et Raúl LʭǞƫƿLƵƳƵ op. cit., 2012, p. 226.

164 Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

citoyens17. Un courant minoritaire issu d’ETA-pm forma le Parti pour la révolution basque (Euskal Iraultzarako Alderdia(,$ HQSXLV VHUHJURXSDDXWRXUGȇ((HQDGRSWDQWSHX¢SHXXQQDWLRQDOLVPH plus hétérodoxe et intégrateur18. Trois grandes mobilisations durant la transition illustrèrent cependant l’hégémonie du nationalisme radical VXU OȇH[SUHVVLRQ GHV UHYHQGLFDWLRQV LGHQWLWDLUHV QRWDPPHQW JU¤FH ¢ sa capacité de mobilisation et aux pressions et intimidations exercées sur ses adversaires : la marche pour la liberté de l’Euskadi durant l’été 1977 ; l’hommage en l’honneur de la libération du dernier prisonnier GHOȇ(7$)UDQFLVFR$OGDQRQGR Ondarru) le 9 décembre 1977 suite à la ORLGȇDPQLVWLHHWHQȴQODmFRQWUHPDQLIHVWDWLRQ}FRQYRTX«HSDUHerri HQRFWREUHHQRSSRVLWLRQ¢ODPDQLIHVWDWLRQSRXUODSDL[ organisée par le PNV. La marche pour la liberté du Pays basque

(QWUH OH MXLOOHW HW OH DR½W  OHV Gestoras Pro-Amnistía convoquèrent une « marche pour la liberté du Pays basque » avec l’objectif d’obtenir une amnistie pour les prisonniers de l’ETA mais DXVVL VHORQ OH PLOLWDQW -RNLQ $SDODWHJL mOD UHFRQQDLVVDQFH GH QRWUH LGHQWLW«QDWLRQDOHXQVWDWXWGȇDXWRQRPLHTXLUHFRQQD°WUDLWOȇDXWRG«WHU- PLQDWLRQGHOȇ(XVNDGLHWODGLVVROXWLRQGHVFRUSVU«SUHVVLIV}HQWHQGXV FRPPHOHVIRUFHVGHOD*DUGHFLYLOHDX3D\VEDVTXH19. Alors que l’en- semble des partis politiques et des organisations syndicales proches GXQDWLRQDOLVPHUDGLFDOHWGHOȇH[WU¬PHJDXFKHVRXWLQUHQWOȇLQLWLDWLYH OHVSDUWLVGHJDXFKH 36(362(3&((3. QDWLRQDOLVWHVEDVTXHV 319 (6(, HWGHGURLWH 8&'$3 LQW«JU«VGDQVOHSURFHVVXVGHWUDQVLWLRQHW UHSU«VHQW«VDX&RQJUªVGHVG«SXW«VGHSXLVOHV«OHFWLRQVGHMXLQ restèrent en marge20. Il s’agissait d’organiser une vaste marche autour

šSur ce point, voir notamment Fernando MƵƲƯƴƧkENPCEKQPCNKUOQGURCȓQN[NCūIWGTTCFGN NQTVGŬǡ», Historia del PresentePoR šCette évolution politique l’amènera finalement à s’émanciper du nationalisme radical et à intégrer le parti socialiste d’EWUMCFK SWK FGXKGPFTC FQPE NG PSEEE en 1993. Cf. José Luis Dƫ LƧ GƷƧƴưƧ « L’évolution des nationalismes hétérodoxes au Pays basque », dans Alicia FƫƷƴʜƴƪƫƿGƧƷƩʨƧet Mathieu PƫƹƯƹƮƵƳƳƫ FKT Les nationalismes dans l’Espagne contempo- raine (1975-2011). Compétition politique et identités nationales, Paris, Armand CQNKPR šGCK\MCFƫƷƴʜƴƪƫƿSƵƲƪƫƻƯƲƲƧ, « Agur a las armas. EIA, EWUMCFKMQE\MGTTC[NCFKUQNWEKȕP de ETARQNȐVKEQOKNKVCT  zSancho el SabioPoR šJQMKPAǞƧƲƧƹƫƭƯ FKT Marcha de la Libertad, ENMCTZarauz, 1978. šAndrea MƯƩƩƯƩƮƫ « La transizione in EWUMCFKš WP RTQEGUQ FK RCEKHKEC\KQPGš!z Spagna ContemporáneaPoRLe PSE désigne le parti socialiste d’EWUMCFKNGPCE le parti communiste d’EURCIPG GVUCDTCPEJGDCUSWG NGPNV le parti nationaliste basque, ESEI l’union des socialistes d’EWUMCFK Euskadiko Sozialistak Elkartze Indarra), UCD l’union du centre démocratique et AP l’alliance populaire.

165 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

GHTXDWUHFRORQQHVSDUWDQWGHSRLQWVGLII«UHQWVTXLGHYDLHQWFRQȵXHU dans la plaine d’Arazuri près de Pampelune. Symbolisant la marche GXSHXSOHEDVTXHHQPRXYHPHQWOȇ«Y«QHPHQWGXUDWRXWOȇ«W«OHVPDU- FKHXUVSDUFRXUDQWSOXVGHNLORPªWUHVHQ%LVFD\H¢*XLSXVFRD HQ$ODYDDX3D\VEDVTXHIUDQ©DLVHWHQ1DYDUUHWRXWHQRUJDQLVDQWGH QRPEUHX[PHHWLQJVFRQFHUWVHWEDOVSRSXODLUHVGDQVOHVYLOOHVHWOHV villages traversés21. La marche devait symboliser le mouvement déterminé du « peuple HQ PDUFKH} YHUV OD OLEHUW« HQ UXSWXUH DYHF OH SDVV« IUDQTXLVWH HQ traversant l’ensemble des territoires revendiqués de l’« Euskal Herria} une terminologie utilisée pour dépasser le cadre de la future commu- QDXW«DXWRQRPHGX3D\VEDVTXHHVSDJQRO Oȇ(XVNDGL HWLQFOXUHOȇIpar- raldeOHm3D\V%DVTXHQRUG}U«XQLVVDQWOHVWURLVmSD\V}IUDQ©DLVGX /DERXUGGHOD%DVVH1DYDUUHHWGHOD6RXOHDLQVLTXHOD1DYDUUH.HSD $XOHVWLDPLOLWDQWGȇ(7$SPSXLVVHFU«WDLUHJ«Q«UDOGȇEuskadiko Ezkerra GH  ¢  FRQVLG«UD GȇDLOOHXUV TXH OD SDUWLFLSDWLRQ ¢ OD PDUFKH constituait à certains égards une « profession de foi abertzale »22. Des anciens prisonniers de l’ETA condamnés par le conseil de guerre de %XUJRVSXLVUHPLVHQOLEHUW«HWH[SXOV«VSDUOHJRXYHUQHPHQWGȇ$GROIR 6X£UH]HQPDLWHOV0DULR2QDLQGLDHW(GXDUGR8ULDUWH Teo SUR- ȴWªUHQWGHODPDUFKHSRXUUHWRXUQHUHQ(VSDJQHGDQVODFODQGHVWLQLW« et furent accueillis en héros à Durango en juillet 197723. La plupart d’entre eux intégrèrent pourtant EIA en 1976 puis EE en 1977 (tel le V«QDWHXU-XDQ0DUL%DQGU«V ¢VDYRLUODEUDQFKHmSROLWLFRPLOLWDLUH} qui chercha à s’émanciper de l’ETA-m à partir de 1974 en se présentant aux élections et en s’insérant au sein du jeu démocratique. Lors de l’acte ȴQDOGHODPDUFKHOHDR½WOȇDSSDULWLRQGH7HOHVIRUR0RQ]µQ GLULJHDQW LQG«SHQGDQWLVWH SRªWH HW GUDPDWXUJH EDVTXH H[LO« ¢ 6DLQW -HDQGH/X]GXUDQWODGLFWDWXUHIXWPLQXWLHXVHPHQWPLVHHQVFªQHDX[ côtés des principaux dirigeants nationalistes radicaux24.

šGCK\MCFƫƷƴʜƴƪƫƿSƵƲƪƫƻƯƲƲƧ et Raúl LʭǞƫƿLƵƳƵ op. cit., 2012, p. 212. šKepa AƺƲƫƸƹƯƧ, HB. Crónica de un delirio, Madrid, Temas de HQ[R šGCK\MCFƫƷƴʜƴƪƫƿSƵƲƪƫƻƯƲƲƧ et Raúl LʭǞƫƿLƵƳƵ op. cit., 2012, p. 212. šNé le 1er décembre 1904 à Bergara et décédé le 9 mars 1981 à Bayonne, Telesforo Monzón dirigea le PNV durant la Seconde République puis s’exila à Caracas au Venezuela puis en France durant plus de quarante ans suite à la guerre civile. Figure de référence de l’indépen dantisme basque, qu’il prône dans ses poèmes et son œuvre théâtrale en langue basque, il contribua à fonder la coalition Herri Batasuna en 1978, tout en travaillant au développement de la culture basque. Ses références métaphoriques et allégoriques à la lutte et à la liberté du peuple basque ont souvent été utilisées politiquement par les nationalistes radicaux pour justifier leurs propres objectifs.

166 Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

/HV RUJDQLVDWHXUV «FKRXªUHQW WRXWHIRLV ¢ UDOOLHU 3DPSHOXQH GRQW OHV DFFªV UHVWªUHQW VRXV FRQWU¶OH GH OD SROLFH HW R» VH G«URXOD XQH contre-manifestation des autonomistes navarrais contre l’abertzalisme largement rejeté dans une terre historiquement plus conservatrice qui s’opposait à l’intégration du « Vieux Royaume » dans la future commu- nauté autonome basque. Les organisateurs de la marche interdirent OHV EDQQLªUHV GHV SDUWLV DȴQ GH WUDQVPHWWUH OȇLPDJH GȇXQ SHXSOH XQL derrière un objectif commun. Mais Florencio Domínguez put noter que OHVFULVHWOHVVORJDQVGHVRXWLHQ¢Oȇ(7$PIXUHQWQRPEUHX[ODPDUFKH ayant même permis à l’organisation de recruter des volontaires25. Pour 0LFKHO &DVWHOOV FRQWUDLUHPHQW ¢ OȇLPDJH YRXOXH GH mQHXWUDOLW«} GȇXQ PRXYHPHQWGLUHFWHPHQWLVVXGHODVRFL«W«FLYLOHOHVUDGLFDX[XWLOLVªUHQW OD PDUFKH SRXU IDLUH HQWHQGUH OHXUV UHYHQGLFDWLRQV FRPPH OD PLVH en liberté de Miguel Àngel Apalategi (Apala DFFXV«GHOȇDVVDVVLQDWGX garde civil Manuel Pérez à Ataun en 1974 et de diriger les commandos bereziak — formés à partir d’ETA-pm en 1977 et qui devaient rejoindre ensuite la branche militaire de l’organisation26. Les membres de l’Union GHVMHXQHVVHVPDR±VWHV 8-0 IXUHQWDXVVLVLɛ«VHWFRQVSX«VDX[FULVGH « Komunistak kanpora} m'HKRUVOHVFRPPXQLVWHV} VRXVOHSU«WH[WH qu’ils utilisaient une marche unitaire pour défendre une propagande minoritaire27. $LQVL VHORQ *DL]ND )HUQ£QGH] 6ROGHYLOOD HW 5D¼O /µSH] /RPR mLO «WDLWSRVVLEOHGHFULHUHQIDYHXUGȇXQHRUJDQLVDWLRQWHUURULVWHPDLVSDV GH PRQWUHU OH VLJOH GHV MHXQHVVHV GȇXQ SDUWL SROLWLTXH DQWLIUDQTXLVWH mais “espagnoliste”28} /H PHHWLQJ ȴQDO ¢ $UD]XUL IXW FHSHQGDQW XQH Y«ULWDEOHU«XVVLWH¢ODTXHOOHSDUWLFLSªUHQWSOXVGHFHQWPLOOHSHUVRQQHV qui supportèrent des contrôles policiers et l’interdiction de l’accès à Pampelune. Cette marche renforça les objectifs politiques maximalistes GHV QDWLRQDOLVWHV UDGLFDX[ WHOOH OȇREWHQWLRQ GȇXQH mDPQLVWLH WRWDOH} Cette action collective légitima le discours suivant lequel les conquêtes politiques du « peuple » basque ne pouvaient être obtenues que grâce à la lutte armée et aux manifestations de rue.

šFlorencio DƵƳʨƴƭƺƫƿ, Dentro de ETA̰ODYLGDGLDULDGHORVWHUURULVWDV, Madrid, Santillana, 2002, p. 151. šMiguel CƧƸƹƫƲƲƸ, Los procesos políticos. De la cárcel a la amnistía, Madrid, Fundamentos, RšRogelio AƲƵƴƸƵ et al., Vidas Rotas. Historia de los hombres, mujeres y niños víctimas de ETA, Madrid, Espasa, 2010, p. 38. šGCK\MCFƫƷƴʜƴƪƫƿSƵƲƪƫƻƯƲƲƧ et Raúl LʭǞƫƿLƵƳƵ op. cit., 2012, p. 214. šIbid., 2012, p. 215.

167 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

Le tournant de l’amnistie générale

Comme le suggéra José Luis Unzueta dans son article « Amnistie HWUHWRXUDXG«SDUW}OHYRWHFRQVHQVXHOGHODORLGȇDPQLVWLHJ«Q«UDOH du 15 octobre 1977 marqua un tournant29. Les sociétés basque et espa- gnole partageaient l’idée que la libération des prisonniers politiques était nécessaire pour la paix au Pays basque et la démocratisation en Espagne. Il fut choisi de privilégier le pardon et la réconciliation au G«WULPHQWGXG«VLUGHMXVWLFHGHVYLFWLPHVGXWHUURULVPHSXLVTXHP¬PH les prisonniers de l’ETA condamnés pour des « délits de sang » furent libérés30. Cette loi accrédita ainsi l’idée que les prisonniers de l’ETA SRXYDLHQWE«Q«ȴFLHUGȇXQSDUGRQSXLVTXHOHXUOXWWHVȇLQV«UDLWGDQVOD résistance plus globale au franquisme. En sortant des prisons tous les SULVRQQLHUV GH OȇRUJDQLVDWLRQ OȇDPQLVWLH LOOXVWUD OH FDUDFWªUH mG«PR- FUDWLTXH} GX QRXYHDX U«JLPH SDUGRQQDQW OHV HUUHPHQWV GX SDVV« HW de la lutte armée dans le contexte de la résistance au franquisme dans le but de parvenir à la paix et à la réconciliation. Mais pour un secteur GXQDWLRQDOLVPHUDGLFDOULHQQȇDYDLWFKDQJ«ODOXWWHDUP«HVLEHVRLQ GHYDLWFRQWLQXHUDȴQGHPHWWUHȴQ¢ODmU«SUHVVLRQGHOȇ‹WDWHVSDJQRO} HWDXmFRQȵLWEDVTXH}¢WUDYHUVODPLVHHQSODFHGHOȇDXWRG«WHUPLQD- WLRQ/HSURSRVGHOȇDQFLHQGLULJHDQWGHOȇ(7$.HSD3LNDEHDDXMRXUGȇKXL emprisonné pour plus d’une vingtaine d’assassinats et pour l’enlève- PHQWGȇ‚QJHO8UWHDJDQHQSXLVGH-XOLR,JOHVLDV=DPRUDHQ illustre bien le prestige social des militants de l’ETA à cette époque :

Être militant durant la répression franquiste revenait à être doté d’un grand prestige social. Lorsque les amnistiés rentraient dans leur village DSUªVODPRUWGH)UDQFRWRXWOHYLOODJHVRUWDLWSRXUOHVUHFHYRLU31.

$LQVL ORUV GH OD VRUWLH GH SULVRQ GX GHUQLHU PLOLWDQW GH Oȇ(7$ Francisco Aldanondo (Ondarru OHG«FHPEUH¢6DLQW6«EDVWLHQ

šJosé Luis UƴƿƺƫƹƧ, « EWUMCFKšCOPKUVȐC[XWGNVCCGORG\CTzFCPUSantos JƺƲƯƧ, Javier PƷƧƪƫƷƧ et Joaquín PƷƯƫƹƵ FKT Memoria de la transición, Madrid, TCWTWUR šPaloma AƭƺƯƲƧƷ, « LC COPGUKC [ NC OGOQTKCš NCU OQXKNK\CEKQPGU RQT NC COPKUVȐC GP NC Transición a la democracia », dans Rafael CƷƺƿ et Manuel PʤƷƫƿ LƫƪƫƸƳƧ FKT  Cultura y movilización en la España Contemporánea, Madrid, Alianza EFKVQTKCN  R Plus globalement, sur la thématique de la mémoire en Espagne, voir l’œuvre magistrale de la même auteure, Políticas de la memoria y memorias de la política. El caso español en perspectiva compa- rada, Madrid, Alianza Editorial, 2008. šEmprisonné en 1994 après son arrestation à Bayonne, Kepa PKMCDGCFGXKPVWPFKUUKFGPV de l’ETA après l’assassinat de Miguel Àngel Blanco. Il fit son autocritique, considérant que « la stratégie militaire a été inhumaine » et choisit la « voie Nanclares », suivant laquelle il condamna le terrorisme, cf. Monica CƫƨƫƷƯƵBƫƲƧƿƧ, « DQUEQPFGPCFQUūCNHKPCNFGNVȚPGNŬzEl País, 24 octobre 2011. Voir aussi, « De ídolo de ETA a traidor », El Mundo, 27 mars 2014.

168 Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

une foule de sympathisants proféra des cris en faveur d’une « amnistie WRWDOH} HW GH Oȇ(7$ m(7$ herria Zurekin} m(7$ OH SHXSOH HVW DYHF WRL}  P¬PH VȇLO Qȇ\ DYDLW DORUV SOXV DXFXQ SULVRQQLHU ¢ DPQLVWLHU HW que la lutte armée n’avait plus aucun sens dans le nouveau contexte démocratique32. Durant l’ensemble de la période des sorties de prison des membres GHOȇ(7$DPQLVWL«VOȇRUJDQLVDWLRQQHG«FODUDDXFXQHWU¬YHHWFRQWLQXD¢ FRPPHWWUHGHVDWWHQWDWVGL[YLFWLPHVPRXUXUHQWHQSXLVVRL[DQWH FLQT HQ  VRL[DQWHGL[QHXI HQ  HW TXDWUHYLQJWTXDWRU]H HQ  TXL PDUTXªUHQW mOH ]«QLWK GHV DQQ«HV GH SORPE} LOOXVWUDQW justement une escalade de la violence — après — le retour à la démo- cratie et l’amnistie générale33 $SUªV OȇDPQLVWLH FHUWDLQV JURXSHV WHOV que la Comisión Gestora GH *XLSXVFRD G«FLGªUHQW GH VȇDXWRGLVVRXGUH Ces collectifs considéraient que leur travail était désormais terminé. 0DLV GȇDXWUHV RUJDQLVDWLRQV GDQV OH VLOODJH Gȇ(7$P FRQWLQXªUHQW ¢ GHPDQGHUXQHDPQLVWLHDQWLFLSDQWODU«SUHVVLRQGHVDFWLRQVWHUURULVWHV ¢YHQLU/HIDLWTXHOȇ‹WDWHVSDJQROQȇDFFHSWHSDVOȇDXWRG«WHUPLQDWLRQGX 3D\VEDVTXHIXWFRQVLG«U«FRPPHXQSU«WH[WHVXɚVDQWSRXUSURFODPHU le caractère illégitime de ses institutions. Ce casus belli et cette posture GHYLFWLPLVDWLRQIXUHQWXWLOLV«VSRXUMXVWLȴHUODVWUDW«JLHmDFWLRQU«SUHV- VLRQDFWLRQ} YLVDQW ¢ XWLOLVHU OD YLROHQFH SRXU VXVFLWHU HQ UHWRXU XQH U«SUHVVLRQ SROLFLªUH GLVSURSRUWLRQQ«H HW G«YHORSSHU DLQVL OH VRXWLHQ VRFLDODXQDWLRQDOLVPHUDGLFDOWRXWHQREOLJHDQWOHJRXYHUQHPHQWHVSD- gnol à accepter ses conditions34. Le fait qu’entre 1978 et 1980 les différents commandos de l’ETA DVVDVVLQªUHQW  SHUVRQQHV DX PRPHQW P¬PH R» IXW DSSURXY«H OD FRQVWLWXWLRQGHOHVWDWXWGH*XHUQLFDGHHWIXUHQWLQVWLWX«V OH SDUOHPHQW GH 9LWRULD HW OH QRXYHDX JRXYHUQHPHQW EDVTXH DWWHV- tèrent de la volonté des radicaux du maintien d’une stratégie violente et antisystème malgré l’avènement de la démocratie. Il apparut alors clairement que l’ETA ne s’opposait pas simplement à Franco et à la dic- WDWXUHPDLVDXVVLHWVXUWRXW¢Oȇ‹WDWHVSDJQRO/ȇLQVWLWXWLRQQDOLVDWLRQGH la démocratie dans le reste de l’Espagne alla ainsi de pair avec l’intensi- ȴFDWLRQGHODYLROHQFHSROLWLTXHDX3D\V%DVTXH

šGCK\MCFƫƷƴʜƴƪƫƿSƵƲƪƫƻƯƲƲƧ et Raúl LʭǞƫƿLƵƳƵ op. cit., 2012, p. 216. šJosé Luis DƫLƧGƷƧƴưƧ, Santiago DƫPƧƨƲƵ et Coro RƺƨƯƵPƵƨƫƸ, Breve historia de Euskadi. De los fueros a la autonomía, Barcelona, Editorial Debate, 2011, p. 241. šFlorencio DƵƳʨƴƭƺƫƿ « El enfrentamiento de ETA con la democracia », dans Antonio EƲƵƷƿƧ FKT La Historia de ETA, Madrid, Temas de HQ[R

169 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

VIOLENCE POLITIQUE ET MONOPOLISATION DE L’ESPACE PUBLIC (1978-1994)

Légitimation de la violence politique et culte des « gudaris »

Ni les premières élections démocratiques en juin 1977 et l’amnistie J«Q«UDOHHQRFWREUHGHODP¬PHDQQ«HQLOȇDSSUREDWLRQGHODFRQVWLWX- WLRQHQHWGXVWDWXWGH*XHUQLFDHQQHSHUPLUHQWGHFRQWH- nir l’escalade de la violence. Il est vrai que lors du référendum sur la FRQVWLWXWLRQ XQH SURSRUWLRQ LPSRUWDQWH GH Oȇ«OHFWRUDW EDVTXH G«FLGD GHVȇDEVWHQLULOOXVWUDQWXQG«ȴFLWGHO«JLWLPLW«GHVLQVWLWXWLRQVGHOȇ‹WDW central auprès d’un secteur assez large de la société. Malgré l’avène- PHQWGHODG«PRFUDWLHOHQDWLRQDOLVPHUDGLFDOG«FLGDGHFRQWLQXHUVD OXWWHSDUOHVDUPHVHWOHVPDQLIHVWDWLRQVMXVTXȇ¢ODFRQV«FUDWLRQGHVHV objectifs contenus dans l’« Alternative KAS » (« Koordinadora Abertzale Sozialista}m&RRUGLQDWLRQVRFLDOLVWHSDWULRWH} ¢VDYRLUOȇDXWRG«WHUPL- nation pour un Pays basque incluant le « Pays basque nord » (français) HWOD1DYDUUHGHP¬PHTXHOȇH[SXOVLRQGHODSROLFHHWGHOȇDUP«H /D EUDQFKH EDVTXH GX SDUWL FRPPXQLVWH HVSDJQRO 3&((3.  SHX LPSODQW«GDQVODU«JLRQIXWODSUHPLªUH¢DGRSWHUXQHSRVWXUHGHUHMHW de la violence en convoquant une manifestation sous le slogan « Nous VRPPHVIDWLJX«VGHODYLROHQFHHWGHVDVVDVVLQDWV} SKRWR TXLHXW lieu le 28 juin 1978 à Portugalete suite à l’assassinat par ETA-m de José 0DU¯D3RUWHOOMRXUQDOLVWHHWGLUHFWHXUGHOȇKHEGRPDGDLUHHoja del Lunes de Bilbao35. D’autres manifestations convoquées par le parti furent de P¬PHRUJDQLV«HVHQRFWREUH¢(OJRLEDUHW*HW[RVRXVODEDQQLªUH m1RQDXWHUURULVPH2XL¢ODFRQVWLWXWLRQ}VXLWHDX[DVVDVVLQDWVGHSOX- sieurs gardes civils36. Il est intéressant de noter que lors de la première PDQLIHVWDWLRQFRQYRTX«HSDUOH319ODmPDUFKHSRXUXQ3D\VEDVTXH libre et en paix » qui réunit entre trente et soixante mille personnes TXL G«ȴOªUHQW HQ VLOHQFH OH RFWREUH  ¢ %LOEDR OH PRW GȇRUGUH des jetzales Qȇ«WDLWSDVmFRQWUHOHWHUURULVPH}RXmFRQWUH(7$}PDLV « contre la violence » en général. Les dirigeants du PNV comme Xabier $U]DOOX] FRQGDPQDLHQW OHV FULPHV GH Oȇ(7$ PDLV DWWULEXDLHQW ¢ Oȇ‹WDW HVSDJQROOȇRULJLQHGHODYLROHQFHSROLWLTXHDX3D\VEDVTXHFHTXLFRQWUL- bua à miner la légitimité du gouvernement auprès d’un secteur non

šGCK\MCFƫƷƴʜƴƪƫƿSƵƲƪƫƻƯƲƲƧ et Raúl LʭǞƫƿLƵƳƵ op. cit., 2012, p. 219. šRogelio AƲƵƴƸƵ et al., op. cit., 2010, p. 134.

170 Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

négligeable de la société basque. Il est d’ailleurs symptomatique que le PNV s’opposa à la participation de l’UCD d’Adolfo Suárez à la mani- IHVWDWLRQ VXJJ«UDQW GH ID©RQ LPSOLFLWH TXH OHV UHVSRQVDELOLW«V «WDLHQW partagées entre l’ETA et le pouvoir central37.

3KRWR  0DQLIHVWDWLRQ GX 3&((3. FRQWUH OD YLROHQFH 3RUWXJDOHWH MXLQ 1978

Herri BatasunaOHSDUWLIRUP«HQSDUOHVQDWLRQDOLVWHVUDGLFDX[ et les Gestoras Pro Amnistía LQWHUSU«WªUHQW FHWWH FRQYRFDWLRQ FRPPH un affront à l’ETA et organisèrent une contre-manifestation le même jour dans le centre historique de Bilbao sous le slogan « Pour les guda- ris d’hier et d’aujourd’hui »38. Ce slogan fut ensuite constamment repris SDUOHVUDGLFDX[MXVTXȇHQORUVGHOHXUVPHHWLQJVHWGHVSULQFLSDOHV fêtes du calendrier historique du nationalisme basque ; les radicaux «WDEOLUHQWDLQVL¢OHXUSURȴWXQSDUDOOªOHHQWUHOHVVROGDWVGX319HWGH Oȇ$19TXLFRPEDWWLUHQWHQORUVGHODJXHUUHFLYLOHHWOHVmPDUW\UV} GHOȇ(7$HQSU«VHQWDQWFHVGHUQLHUVFRPPHOHVFRQWLQXDWHXUVGHODmOXWWH V«FXODLUH} GHV %DVTXHV FRQWUH mOȇRSSUHVVLRQ GH Oȇ‹WDW HVSDJQRO} /D

šLe PSEPSOE, le PCEEPKNŨQTICPKUCVKQPTȌXQNWVKQPPCKTGFGUVTCXCKNNGWTU ORT), le parti du travail d’EURCIPG PTE), les syndicats CC. OO et UGT de même que le Conseil général basque, NŨQTICPGRTȌCWVQPQOKSWGETȌȌGPLCPXKGTUQWVKPTGPVNCOCPKHGUVCVKQP šLa coalition Herri BatasunaHWVHQTOȌGRCTSWCVTGRCTVKUšHerri Alderdi Sozialista Iraultzailea RCTVK socialiste révolutionnaire populaire, HASI), Langile Abertzaleen Iraultzarako Alderdia RCTVKTȌXQNWVKQP naire des travailleurs patriotes, LAIA), Euskal Sozialista Biltzarrea CUUGODNȌGUQEKCNKUVGDCUSWGESB) GV NŨCEVKQP PCVKQPCNKUVG DCUSWG ANV), un parti créé en 1930 sous la Seconde République et qui connut une dérive radicale suite à sa réémergence lors de la transition. Herri Batasuna utilisa notam ment sa « légitimité historique » en tant que parti issu de la guerre civile pour obtenir sa légalisation.

171 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

contre-manifestation des radicaux du 28 octobre 1978 débuta d’ailleurs près de la maison de Txabi(W[HEDUULHWDOHPHPEUHGHOȇ(7$TXLG«FOHQ- cha le premier assassinat (contre le garde civil José Pardines en 1968) et OHSUHPLHU¢PRXULUHQVXLWHGDQVXQDIIURQWHPHQWDYHFODSROLFHWRXWHQ VHWHUPLQDQWVXUOHPRQW$UW[DQGDOLHXGHODGHUQLªUHEDWDLOOHFRQWUHOHV troupes franquistes en 193739/DFRQWUHPDQLIHVWDWLRQQRQDXWRULV«HQH réunit que quelques centaines de participants et fut réprimée par la police. 3RXUOHVGLULJHDQWVGH+%7HOHVIRUR0RQ]µQHW)UDQFLVFR/HWDPHQGLDFH fut là une « preuve » de plus de « l’autoritarisme » du pouvoir central. Un « calendrier commémoratif » alternatif a peu à peu été institué SDU OHV QDWLRQDOLVWHV UDGLFDX[ DȴQ GȇLQW«JUHU OD F«O«EUDWLRQ GHV IXQ«- railles de certains « martyrs » historiques de l’ETA. Le Gudari Eguna mMRXUGXVROGDWEDVTXH} XQHI¬WHEDVTXHQDWLRQDOLVWHWUDGLWLRQQHOOH célébrant chaque 27 septembre les résistants antifranquistes de la JXHUUHFLYLOHD«W«G«WRXUQ«SDUOHVUDGLFDX[SRXUUHP«PRUHUOHVH[«FX- tions en 1975 de TxikiHWGȇ2WDHJLPHPEUHVGHOȇ(7$SDUOHU«JLPHIUDQ- quiste40. Des commémorations sont aussi organisées le 20 novembre et le 21 décembre pour remémorer les assassinats de Santiago Brouard et de Josu Muguruza d’Herri BatasunaSDUOHV*$/GDQVOHVDQQ«HV GHP¬PHTXHFHOXLGH-RV«0LJXHO%H³DUDQPHPEUHGHOȇ(7$HQ Les fêtes du Bizkargi Eguna en mai et de l’Albertia EgunaHQMXLOOHWRQW GHP¬PH«W«G«WRXUQ«HVDXSURȴWGHODF«O«EUDWLRQGHVmPDUW\UV}GH Oȇ(7$‚ODȴQGHVDQQ«HVHWGXUDQWODPDMHXUHSDUWLHGHVDQQ«HV  OHV QDWLRQDOLVWHV UDGLFDX[ QȇK«VLWDLHQW SDV ¢ O«JLWLPHU RXYHUWH- PHQW OD YLROHQFH F«O«EUDQW OHV PHPEUHV GH Oȇ(7$ FRPPH GHV mU«VLV- WDQWV}HWLQFLWDQWOHVMHXQHVORUVGHVUDVVHPEOHPHQWVGHUXH¢VȇHQJDJHU VLEHVRLQSDUOHVDUPHVSRXUG«IHQGUHOHXUFDXVH

De l’« Alternative KAS » au monopole de la rue

'XUDQW Oȇ«SRTXHFO« GH OD WUDQVLWLRQ OD VWUDW«JLH GH Oȇm$OWHUQDWLYH .$6}GX0/19IXWG«ȴQLH&RQ©XHFRPPHXQHmRUJDQLVDWLRQGȇRUJD- QLVDWLRQV} OȇDOWHUQDWLYH .$6 LQW«JUDLW (7$P SHUPHWWDLW ¢ +%GH graviter dans son orbite et cherchait à combiner une lutte sur trois fronts : la « lutte armée » de l’ETA-m ; la « lutte de masse » à travers les PDQLIHVWDWLRQVGHUXHHWODGRPLQDWLRQGHOȇHVSDFHSXEOLFHWHQȴQOD « lutte institutionnelle » à travers la participation d’HB aux élections. Même si les représentants d’HB boycottaient ensuite leurs sièges aux

šGCK\MCFƫƷƴʜƴƪƫƿSƵƲƪƫƻƯƲƲƧ et Raúl LʭǞƫƿLƵƳƵ op. cit., 2012, p. 221. šSur le calendrier mémoriel du nationalisme radical, cf. Mathieu PƫƹƯƹƮƵƳƳƫop. cit., 2015.

172 Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

LQVWLWXWLRQV QDWLRQDOHV HW U«JLRQDOHV LOV VH SU«VHQWDLHQW DX[ «OHFWLRQV notamment pour barrer la route à d’autres formations indépendan- tistes telles qu’EE. Les élus d’HB s’impliquaient toutefois au niveau PXQLFLSDOXQ«FKHORQSOXVHQDFFRUGDYHFOȇLG«RORJLHGXSDUWLSU¶QDQW OȇDXWRDɚUPDWLRQGXmSHXSOH}SDUOHEDVVRXVODIRUPHGȇXQmFRQWUH pouvoir local ». HB maintint cependant un lien ambivalent avec la lutte DUP«H )UDQFLVFR /HWDPHQGLD OH G«SXW« Gȇ+% «OX HQ  H[SOLTXD ainsi à l’époque que son parti « assum[ait] toutes les formes de lutte qui conduisent à la libération nationale et sociale de l’Euskadi »41(Q (7$P DVVDVVLQD SRXUWDQW VRL[DQWHFLQT SHUVRQQHV DORUV P¬PH TXH ETA-pm et les Commandos autonomes anticapitalistes (CAA) passèrent DXVVL ¢ OȇDFWLRQ IDLVDQW TXDWRU]H YLFWLPHV FHWWH DQQ«HO¢ SXLV HQFRUH TXLQ]H OȇDQQ«H VXLYDQWH  GRQW OHV PHPEUHV GH Oȇ8&' EDVTXH -RV« ,JQDFLR8VWDU£Q-DLPH$UUHVHHW5DPµQ%DJOLHWWR Le nationalisme basque radical s’organisa en cercles concentriques SRXU G«PXOWLSOLHU VRQ LQȵXHQFH VRFLDOH OH SDUWL VRFLDOLVWH U«YROXWLRQ- naire du peuple (Herriko Alderdi Sozialista Iraultzailea+$6, IXWIRUP« en 1977 pour représenter la classe ouvrière nationaliste ; la solidarité des travailleurs basques (Eusko Langileen Alkartasuna(/$679 HWOHVFRP- missions des ouvriers patriotes (Langile Abertzaleen Batzordeak /$%  pour impulser le mouvement syndical ; les CAA et les commandos bere- ziak GH¢ GHP¬PHTXH(7$PSRXUODOXWWHDUP«HHWHQȴQ HB comme parti d’« unité populaire » cherchant à offrir un débouché politique à la lutte armée. Le nationalisme radical obtint cent cinquante PLOOHYRL[XQG«SXW«HWGHX[V«QDWHXUVORUVGHV«OHFWLRQVO«JLVODWLYHVGH  SXLV GHYLQW OD VHFRQGH IRUFH SROLWLTXH GX 3D\V EDVTXH HVSDJQRO GHUULªUHOH319TXLJDUGDOHFRQWU¶OHGHVWURLVFDSLWDOHV9LWRULD%LOEDR HW 6DLQW6«EDVWLHQ PDLV GHYDQW OH 36(362( 'H OD ȴQ GHV DQQ«HV  MXVTXȇDX[DQQ«HVOHVPHPEUHVGH$3HWGHOȇ8&'QHE«Q«ȴFLªUHQW pas de la même liberté d’expression que les autres représentants poli- WLTXHV GX 3D\V EDVTXH GHYDQW VXELU OHV LQWLPLGDWLRQV HW OHV PHQDFHV en étant présentés comme des « fascistes » liés au franquisme. Mais le QDWLRQDOLVPHUDGLFDOSRXUTXLOHV«OHFWLRQV«WDLHQWDYDQWWRXWXQUHFRXUV LQVWUXPHQWDOGHPHXUDLWPLQRULWDLUHGDQVOHVXUQHVREWHQDQWDXPLHX[ entre 20 et 25 % des voix. Il chercha ainsi à compenser cette faiblesse à WUDYHUVOHPRQRSROHGHODUXHFDULOFRQVWLWXDLWGHORLQOHFRXUDQWSROL- tique qui montra la plus forte capacité de mobilisation lors des meetings de campagne et des rassemblements politiques.

41.. « Puntualizaciones de Letamendia », El País, 28 octobre 1979.

173 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

0DLVOHVQRPEUHXVHVPDQLIHVWDWLRQVGHUXHUHȵ«WDLHQWSOXVOHVSU«I«- UHQFHVSROLWLTXHVGȇXQJURXSHRUJDQLV«TXHFHOOHVGXmSHXSOH}EDVTXH au nom duquel les nationalistes radicaux disaient pourtant parler et qu’ils prétendaient incarner. Ils exercèrent en fait un chantage sur OHVLQVWLWXWLRQVG«PRFUDWLTXHVHQXWLOLVDQWODYLROHQFHSRXUREOLJHUOHV gouvernements basque et espagnol à accepter leurs conditions. Cette posture antisystème discréditant le système politique fut bien illustrée par la création de l’« Assemblée nationale du peuple basque » (Euskal Herriko Biltzarre Nazionala HQXQHDVVHPEO«HSDUDOOªOHTXLUDV- VHPEODLW HQ IDLW XQLTXHPHQW OHV PHPEUHV Gȇ+% TXHOTXHV FRQVHLOOHUV municipaux d’extrême gauche et des indépendants nationalistes. Pour OHV QDWLRQDOLVWHV UDGLFDX[ OD WUDQVLWLRQ QȇDYDLW ULHQ FKDQJ« FDU OHXUV REMHFWLIV ȃ mOȇDPQLVWLH WRWDOH} OȇDXWRG«WHUPLQDWLRQ HW OȇH[SXOVLRQ GHV forces de police et de l’armée — n’avaient pas été atteints. La tentative GHFRXSGȇ‹WDWUDW«HGXI«YULHUFRQȴUPDDX[\HX[GHFHVHFWHXU social « l’autoritarisme » latent du nouveau régime. Au début des années  OHV SHUVRQQHV V«TXHVWU«HV SDU Oȇ(7$ IXUHQW DLQVL PDLQWHQXHV HQ FDSWLYLW«DXQRPGHODOXWWHSRXUODmOLEHUW«}GXSHXSOHEDVTXHGDQVFH que l’organisation appelait des « prisons du peuple ». Les sigles de l’ETA et des slogans défendant le groupe armé étaient très clairement mis en avant lors des manifestations de rue. Le monopole de l’espace public du nationalisme radical était d’autant plus prononcé qu’il n’existait pas de véritable confrontation avec d’autres groupes. Cette communauté politique maintenait un quasi-monopole sur l’expression de l’identité territoriale basque. De nombreuses organisations s’institutionnalisèrent DXWRXU GX 0/19TXL UHSULW ¢ VRQ FRPSWH OȇH[SUHVVLRQ GHV SULQFLSDOHV revendications sociales du Pays basque en créant des organisations sym- pathisantes ou en faisant de l’entrisme puis en contrôlant de l’intérieur OHVPRXYHPHQWVVRFLDX[FHTXLIXWSDUWLFXOLªUHPHQWYUDLSRXUOHVPRX- YHPHQWVRXYULHUVI«PLQLVWHDQWLQXFO«DLUHHWDQWLU«SUHVVLRQ La monopolisation de l’espace public par le nationalisme radical fut largement la conséquence des attentats et des assassinats à répétition TXL LQVWDXUªUHQW XQ FOLPDW GH WHUUHXU FRQGDPQDQW OD VRFL«W« FLYLOH EDVTXH¢XQHmVSLUDOHGXVLOHQFH}HWLQFLWDQWOHVRSSRVDQWV¢QHSDV s’engager en politique de peur des représailles42(QSDUH[HPSOH selon une étude récente des historiens de l’institut Valentín de Foronda

šLe concept de « spirale du silence » a été proposé par Elisabeth NQGNNGNeumann. Pour une FKUEWUUKQPFGEGNWKEKFCPUNGEQPVGZVGGURCIPQNEH. Alejandro MƺʫƵƿAƲƵƴƸƵ, « La espiral del silencio en el País Vasco », Cuenta y RazónPoR

174 Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

GH OȇXQLYHUVLW« GX 3D\V EDVTXH ORUVTXH OHV YLFWLPHV «WDLHQW GHV SROL- FLHUVGHVPDQLIHVWDWLRQVGHUHMHWGHODYLROHQFHIXUHQWRUJDQLV«HVGDQV VHXOHPHQWGHVDVVDVVLQDWVXQWDX[TXLDWWHLJQLWDXFRQWUDLUH lorsque les victimes étaient des civils ou des membres de l’ETA assassi- nés par l’extrême droite438QHFXOWXUHUDGLFDOHVHVROLGLȴDTXLF«O«EUDLW RX DX PRLQV MXVWLȴDLW HW FRPSUHQDLW OȇDVVDVVLQDW GHV SROLFLHUV HW GHV PLOLWDLUHV WRXW HQ VDOXDQW OHV UHVSRQVDEOHV FRPPH GHV K«URV RX GHV martyrs44. Ce contexte d’indifférence à l’égard des victimes de l’ETA et de démobilisation eut pour conséquence que la réponse au terrorisme dans la rue fut pratiquement nulle et se nourrit uniquement d’initia- tives institutionnelles comme des minutes de silence. 82 % des assas- sinats de l’ETA durant les années 1980 n’engendrèrent en fait aucune réponse sociale à travers d’éventuelles manifestations de rejet45. À OȇLQYHUVHOȇHQVHPEOHGHVG«FªVGHPHPEUHVGHOȇ(7$G«ERXFKªUHQWVXU des répliques politiques sous la forme de grèves et de manifestations. /HV PHQDFHV HW OHV LQWLPLGDWLRQV SULUHQW DXVVL GȇDXWUHV IRUPHV notamment à travers l’extorsion et le paiement forcé de « l’impôt U«YROXWLRQQDLUH} 8QH «WXGH VFLHQWLȴTXH U«FHQWH GX &HQWUH Gȇ«WKLTXH appliquée de l’université de Deusto estime ainsi qu’environ neuf mille personnes ont été victimes d’extorsion de 1993 à 2008 et environ quinze PLOOH GHSXLV OHV DQQ«HV  SULQFLSDOHPHQW GHV SHWLWV FRPPHU©DQWV HWGHVSURIHVVLRQVOLE«UDOHVGDQVOHVYLOOHVHWOHVYLOODJHVR»ODSU«VHQFH des nationalistes radicaux était la plus forte46. Les entrepreneurs et les directeurs de grande entreprise pouvaient plus facilement résister HQ VȇDSSX\DQW VXU GHV «TXLSHV GH V«FXULW« $X FRQWUDLUH OH PDQTXH GHSURWHFWLRQGHVFLYLOVHWGHVSHWLWVHQWUHSUHQHXUVYLFWLPHVHXWSRXU

šContextos históricos del terrorismo y consideración social de las víctimas. 1968-2010, rapport de l’institut Valentín de Foronda, présenté devant la Commission des droits de l’homme du Parlement basque, Victoria, 26 février 2015. šSur cette question du processus de radicalisation, cf. Xavier CƷƫƹƹƯƫƿ, « High risk activismš comprendre le processus de radicalisation violente », Pôle sudPošJeff JƺƸƹƯƩƫ, « Of IWPU CPF DCNNQVUš AVVKVWFGU VQYCTFU WPEQPXGPVKQPCN CPF FGUVTWEVKXG RQNKVKECN RCTVKEKRCVKQP among Sinn Fein and Herri Batasuna supporters », Nationalism and Ethnic Politics, n° 11, 2005, R 45. « El 82 % de los asesinatos de ETA en los 80 no tuvieron respuesta social », El País, 26 février 2015. La comptabilité de Sokoa, arrêté en France en 1986 à Hendaye, prouva que plus de 7,2 millions d’euros de l’ETA provenaient directement de l’extorsion. À partir de 1993 et face à l’augmentation des arrestations policières, l’extorsion diminua peu à peu, puis reprit après l’assassinat de l’entrepreneur José María Korta, proche du PNV en août 2000, avant de décliner à nouveau suite à la détention en France de MKMGNAntza et Soledad Iparraguirre, qui contrôlaient l’appareil d’extorsion. De 2000 à 2004, on estime que l’extorsion représentait 2 millions d’euros par an. šLuis AƯƿǞƫƵƲƫƧ, « Los extorsionados por ETA toman la palabra », El País, 1er mars 2015.

175 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

HIIHWTXȇLOVSU«I«UDLHQWVRXYHQWSD\HUOHVGHPDQGHVGHUDQ©RQP¬PH si la « collaboration avec le terrorisme » constitue un délit suivant l’ar- ticle 576 du code pénal espagnol47. Le collectif Gesto Por la Paz m*HVWH pour la paix ») organisa la première manifestation contre la violence à l’initiative de la société civile le 26 novembre 1985. La violence avait DORUVG«M¢IDLWYLFWLPHVGHSXLV/HSURSRVGȇ$QD5RVD*µPH] 0RUDOPHPEUHGHGesto por la PazLOOXVWUHELHQOHVHQWLPHQWTXLSU«- valait à l’époque :

Nous avons tardé à réagir parce que nous venions d’une dictature et que GHQRPEUHX[%DVTXHVGHID©RQHUURQ«HQRXVMXVWLȴLRQVODU«EHOOLRQGH l’ETA contre l’oppression. Nous avons tardé à nous rendre compte que nous étions désormais en démocratie et que le terrorisme n’avait plus de MXVWLȴFDWLRQSRVVLEOH48.

Le déclin de l’hégémonie mobilisatrice (1995-2011)

‚SDUWLUGXG«EXWGHVDQQ«HVOHVRXWLHQVRFLDODXQDWLRQDOLVPH radical déclina. L’attentat à la voiture piégée de l’Hipercor de l’avenue 0HULGLDQD¢%DUFHORQHOHMXLQOHSOXVPHXUWULHUGHOȇ(7$PDU- TXDXQWRXUQDQWWXDQWYLQJWHWXQHSHUVRQQHVHWHQEOHVVDQWTXDUDQWH FLQT DXWUHV OD SOXSDUW GHV FLYLOV GRQW GHV IHPPHV HW GHV HQIDQWV49. Les manifestations de rejet furent sans précédent dans l’ensemble de Oȇ(VSDJQH/HMXLQSOXVLHXUVFHQWDLQHVGHPLOOLHUVGH%DUFHORQDLVVH U«XQLUHQWVLOHQFLHXVHPHQW¢6DQW$QGUHXSXLVRFFXSªUHQWOHSDVHRGH *U¢FLDOHMRXUVXLYDQWORUVGHODSOXVJUDQGHPDQLIHVWDWLRQGHSXLV en Catalogne50. Cinq minutes de silence furent décrétées dans toutes les LQVWLWXWLRQVHVSDJQROHVHWFDWDODQHV'L[MRXUVSOXVW¶WHerri Batasuna qui critiqua de façon confuse le déroulement de l’attentat sans le FRQGDPQHU DYDLW REWHQX SUHVTXH TXDUDQWH PLOOH YRL[ HQ &DWDORJQH lors des élections européennes51. Mais ETA-m continua son escalade de ODYLROHQFHHWVDQ«JDWLRQGHODU«DOLW«OHG«FHPEUHXQDWWHQWDW du commando Argala FRQWUHODFDVHUQHGHOD*DUGHFLYLOHGH6DUDJRVVH

šLes seules personnes poursuivies par l’Audience nationale, les sœurs BTWȓQHWTGPVFŨCKNNGWTU ensuite acquittées par le Tribunal suprême en juin 2012 au motif d’une « peur insoutenable ». šAna Rosa GʭƳƫƿ MƵƷƧƲ, cité dans Luis AƯƿǞƫƵƲƫƧ, « FKP FGN OQXKOKGPVQ CPVKETA », 22 février 2015. 49. « HKRGTEQTGNCVGPVCFQOȄUUCNXCLGzLa Vanguardia, 21 juillet 1987. 50. « Barcelona expresó su dolor en silencio », La Vanguardia, 23 juin 1987, p. 24. šLQTU FG EGU ȌNGEVKQPU NG RCTVK QDVKPV š XQKZ FCPU NŨGPUGODNG FG NŨEspagne, dont š CW Pays basque et en Navarre, faisant élire sa tête de liste Txema Montero au Parlement européen.

176 Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

ȴWRQ]HPRUWV GRQWFLQTMHXQHVȴOOHV HWTXDWUHYLQJWKXLWEOHVV«V/H G«FHPEUHGHX[FHQWFLQTXDQWHPLOOHSHUVRQQHVG«ȴOªUHQWVRXV OHVORJDQm6DUDJRVVHSRXUODSDL[HWFRQWUHOHWHUURULVPH}GDQVFHTXL restera la plus grande manifestation de l’histoire de la ville52. Lorsque Oȇ‹WDWIXWFRQGDPQ«HQSDUOȇ$XGLHQFHQDWLRQDOHSRXUmQ«JOLJHQFH SROLFLªUH} SRXU QH SDV DYRLU HPS¬FK« OȇHQWU«H GHV FOLHQWV HW G«FLG« l’évacuation du magasin suite à trois appels téléphoniques anonymes SU«YHQDQWGHOȇDWWHQWDWOHVUDGLFDX[\YLUHQWODFRQȴUPDWLRQGHOHXUV DUJXPHQWVHWODSUHXYHGHmODUHVSRQVDELOLW«GHOȇ‹WDWHVSDJQROGDQVOD violence53 ». La rupture de la spirale du silence : l’émergence de Gesto por la Paz

Les manifestations de Gesto por la Paz WUªV SHX QRPEUHXVHV MXVTXȇDORUV HW SULQFLSDOHPHQW VLOHQFLHXVHV SULUHQW XQH QRXYHOOH ampleur et débouchèrent sur « l’accord pour la normalisation et la SDFLȴFDWLRQGHOȇ(XVNDGL}FRQQXFRPPHOHSDFWHGȇ$MXULD(QHDVLJQ« le 12 janvier 1988 par tous les partis démocratiques nationalistes (PNV HW(( HWQRQQDWLRQDOLVWHV 36(362(&'6$3 SRXUOHUHVSHFWGHOȇ‹WDW GHGURLWODFRH[LVWHQFHSDFLȴTXHHWFRQWUHOHWHUURULVPH54. Les premiers slogans contre l’ETA apparurent et les mobilisations sociales du collectif jouèrent un rôle déterminant dans la signature du pacte. La première PDFURPRELOLVDWLRQFRQWUHOȇ(7$DX3D\VEDVTXHmSRXUODSDL[PDLQWH- QDQWHWSRXUWRXMRXUV}HXWOLHX¢%LOEDROHPDUV55. Avant cette GDWH OHV SOXV JUDQGHV PRELOLVDWLRQV DYDLHQW HX OLHX ¢ %LOEDR OH VHS- WHPEUHSRXUOȇDPQLVWLHSXLVOHRFWREUHORUVTXHFHQWPLOOH personnes protestèrent contre l’assassinat du capitaine Martín Barrios. Cet assassinat avait aussi mis un million et demi de personnes dans la UXHOHMRXUSU«F«GHQW¢0DGULGGXMDPDLVYXGHSXLVOHVSURWHVWDWLRQV FRQWUHOHFRXSGȇ‹WDWUDW«GXI«YULHU/DWUDMHFWRLUHGHFHVPRX- YHPHQWVVRFLDX[UHȵªWHDVVH]ELHQOȇ«YROXWLRQGHVDWWLWXGHVGHODVRFL«W« EDVTXH ¢ Oȇ«JDUG GX WHUURULVPH 3HX ¢ SHX PHQ«V SDU OHV IDPLOOHV des victimes du terrorisme et des citoyens de plus en plus nombreux

52. « Zaragoza condena el terrorismo y clama por la paz, en la mayor manifestación de toda su historia », La Vanguardia, 14 décembre 1987, p. 5. šAnna AƷƭƫƳƯ, « El Estado, condenado por negligencia policial en el atentado de Hipercor », El País, 21 mai 1994. šJosé Luis DƫLƧGƷƧƴưƧ, El siglo de Euskadi. El nacionalismo vasco en la España del siglo XX, Madrid, TGEPQUR 55. « LCOCPKHGUVCEKȕPOȄUEQPEWTTKFCGPGNPaís Vasco », El País, 19 mars 1989.

177 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

commencèrent à rompre le monopole de l’espace public et la spirale du silence imposés par le nationalisme radical. Alors que l’appareil militaire d’ETA-m se retrouva soumis à une SUHVVLRQ SROLFLªUH FURLVVDQWH HW ¢ GHV DUUHVWDWLRQV HQ FKD°QH QRWDP- ment suite au démantèlement de son groupe dirigeant à Bidart en 1992 SXLVGHVFRPPDQGRV$ODYD$QGDORXVLHHW%LVFD\HHQOHG«FOLQGX QDWLRQDOLVPHUDGLFDOVHȴWDXVVLVHQWLUGDQVOHVXUQHV'HVYRL[ obtenues par Herri BatasunaORUVGHV«OHFWLRQVO«JLVODWLYHVGHSXLV HQLOQȇHQUHVWDLWSOXVTXHHQ DORUVP¬PHTXH l’électorat était désormais beaucoup plus important). Entre les euro- S«HQQHVGH YRL[ HWFHOOHVGH  VHVVRXWLHQV électoraux se réduisirent de moitié. La même tendance est observable lors des élections autonomiques et municipales56. La séquestration de OȇHQWUHSUHQHXU-XOLR,JOHVLDV=DPRUDHQSXLVFHOOHVGH-RV«0DU¯D $OGD\D &RVPH 'HOFODX[ HW GX JDUGLHQ GH SULVRQ -RV« $QWRQLR 2UWHJD /DUDPDUTXªUHQWXQQRXYHDXWRXUQDQW57. Le nationalisme radical cher- cha à compenser cet ostracisme croissant par un plus grand contrôle social : la déclaration Oldartzen en 1994 acta ainsi le choix d’une stra- W«JLHGHmVRFLDOLVDWLRQGHODVRXIIUDQFH}¢WUDYHUVOȇDXJPHQWDWLRQGHV persécutions contre les intellectuels et les opposants non-nationalistes du PP et du PSE-PSOE58. Cette période coïncida aussi avec la radicali- sation des jeunes activistes violents à travers le développement de la « kale borroka »59. Entre le 5 mai 1995 et le 1erMXLOOHW  PDOJU« OHV LQWLPLGDWLRQV HW OHV PHQDFHV Gesto por la Paz organisa des manifestations hebdo- PDGDLUHVDUERUDQWXQHPEO«PDWLTXHmODFHWEOHX}SRXUGHPDQGHUOD libération des personnes séquestrées. La manifestation de condamna- tion de l’enlèvement de Miguel Àngel Blanco en juillet 1997 à Bilbao fut massive. Des contre-manifestations furent cependant organisées par

šOPQDUGTXGWPkRKEzNQTUFGUCPPȌGURWKUWPFȌENKPCWFȌDWVFGUCPPȌGU Pour les élections autonomiques, Herri Batasuna QDVKPV š XQKZ   GP  RWKU š XQKZ   GP  GV š   GP  Lors des élections municipales, NGRCTVKȌXQNWCFGšXQKZGP EQPUGKNNGTUOWPKEKRCWZ ȃšGP  EQPUGKNNGTU RWKUšGP  GVšGP  SQWTEGUšMinistère de l’inté rieur et Gouvernement du Pays basque. šMaría Jesús FƺƴƫƸRƯƻƧƸ, La salida del silencio. Movilizaciones por la paz en Euskadi 1986- 1998, Madrid, AMCN 58. « UPCGUVTCVGIKCFGRTGUKȕPFKUGȓCFCCTCȐ\FGNCRQPGPEKCūOldartzen” del 94 », El Diario Vasco, 8 juillet 2007. šHanspeter VƧƴ DƫƷ BƷƵƫƱ, « Borroka. The legitimation of street violence in the political discourse of radical basque nationalists », Terrorism and Political Violence, vol. 16, n° 2, 2004, R

178 Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

les radicaux sous le slogan « Euskal Herria Askatu » (« Libérez Euskal +HUULD}  GXUDQW OHVTXHOOHV GH QRPEUHXVHV LQVXOWHV «WDLHQW SURI«U«HV FRQWUH OHV FLWR\HQV SRUWDQW OH ODFHW EOHX WUDLW«V GH mIDVFLVWHV} HW GH mIUDQTXLVWHV}0DLVOHGLVFRXUVH[DOWDQWOHFRQȵLWDYHFmOȇ(VSDJQH}HW mOȇ‹WDWHVSDJQRO}«WDLWHQSURLH¢XQHFULVHGHO«JLWLPLW«6XLWH¢OȇDVVDV- VLQDW GH 0LJXHO ‚QJHO %ODQFR GHV PRXYHPHQWV SOXV DFWLYLVWHV ȴUHQW OHXU DSSDULWLRQ WHOV TXH ¡Basta Ya ! m‰D VXɚW}  TXL UHYHQGLTXDLW clairement l’identité « basco-espagnole » et s’opposait au « nationalisme obligatoire ». 72 % des Basques considéraient d’ailleurs qu’il s’ouvrait une nouvelle étape contre l’ETA60. De la fracture à la dissolution des mouvements antiviolence

0DLVHQODVRFL«W«EDVTXHVHGLYLVDHQGHX[EORFVOHVQDWLRQD- listes modérés et radicaux s’allièrent à travers le pacte de Lizarra pour OȇREWHQWLRQGHOȇLQG«SHQGDQFH¢OȇLQYHUVHOHVQRQQDWLRQDOLVWHVFRQYHU- gèrent dans la critique du manque de détermination de ce front souve- rainiste pour condamner la violence de l’ETA. Les mouvements sociaux antiviolence se scindèrent suivant la même ligne de fracture : Elkarri SU«WHQGDLW REWHQLU OD ȴQ GH OD YLROHQFH ¢ WUDYHUV OD FRQGDPQDWLRQ GH tous les types de violence et l’exercice du droit à l’autodétermination ; GȇDXWUHVFROOHFWLIVGRQWOHSOXVHPEO«PDWLTXHIXWcBasta Ya PHWWDLHQW d’abord en avant le respect de l’unité de l’Espagne et la condamnation de la violence de l’ETA. La posture plus rassembleuse de Gesto por la Paz devint alors dépassée et obsolète face à la radicalisation des deux camps. -RV« 0DU¯D &DOOHMD OȇXQ GHV SURPRWHXUV GH cBasta Ya  «YRTXH ELHQ OD posture plus militante promue par ce groupe dans le sillage du forum d’Ermua : « Basta Ya chercha à rassembler l’ensemble des Basques TXLUHMHWDLHQWOHWHUURULVPHDYHFOȇREMHFWLIGHPHWWUHȴQ¢ODSHXUHWGH reprendre la rue aux membres de l’ETA et à leurs sympathisants »61. /H JURXSH RUJDQLVD GȇLPSRUWDQWHV PRELOLVDWLRQV HQWUH HW ¢ XQPRPHQWR»Oȇ(7$G«SOR\DLWVDVWUDW«JLHGHmVRFLDOLVDWLRQGHODVRXI- france » à travers la répétition d’attaques contre des civils non-nationa- OLVWHVQRWDPPHQWGHVLQWHOOHFWXHOVGHVMRXUQDOLVWHVHWGHVKRPPHVSROL- tiques connus pour leur condamnation de la violence. Deux activistes du PRXYHPHQW-RV«/XLV/µSH]/DFDOOHHW-RVHED3DJD]DXUWXQGXDIXUHQW d’ailleurs assassinés pour prix de leur résistance non-violente.

šCarlos MƧƷƹʨƴƫƿGƵƷƷƯƧƷʜƴ, « El discurso del medio. Retóricas comprensivas del terroris mo en el País Vasco », dans Kepa AƺƲƫƸƹƯƧ et al., RD]RQHVFRQWUDODYLROHQFLD̰SRUODFRQYLYHQFLD democrática en el País Vasco, Bilbao, BCMGC\XQNR šCité dans ¡Basta YD̰ЏEuskadi, del sueño a la vergüenza, Madrid, Ediciones B, 2005, p. 74.

179 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

$X G«EXW GHV DQQ«HV  OD U«SUHVVLRQ VȇLQWHQVLȴD FRQWUH OHV groupes politiques et sociaux accusés de servir de « couverture » à l’ETA : les partis Herri Batasuna puis Batasuna et Euskal Herritarrok les Gestoras Pro Amnistía et les organisations de jeunesse et Ekin furent successivement interdits. De nombreuses « herriko tabernas} ces bars qui rassemblaient les nationalistes radicaux dans le quar- WLHUKLVWRULTXHGH%LOEDRHWDLOOHXUVDX3D\VEDVTXHHWGRQWOHVPXUV étaient souvent recouverts de portraits des « martyrs » de l’ETA et des SULVRQQLHUV GH OȇRUJDQLVDWLRQ IXUHQW IHUP«V /HV PDUFKHV GHV UDGL- caux furent de plus en plus souvent interdites et les condamnations pour « apologie du terrorisme » se multiplièrent. La mobilisation des mouvements sociaux antiviolence diminua entre 2003 et 2011 paral- lèlement à la réduction drastique des victimes de l’ETA (douze depuis ODGHUQLªUHHQ /ȇHQVHPEOHGHFHV«YROXWLRQVLOOXVWUªUHQWOD IDWLJXHGHOȇRSLQLRQSXEOLTXHEDVTXHHWVRQG«VLUGHȴQGHODYLROHQFH HWGHSDFLȴFDWLRQ3HX¢SHXDXVHLQGHODFRPPXQDXW«QDWLRQDOLVWH UDGLFDOH FHUWDLQV DFWHXUV FRPPHQFªUHQW ¢ SUHQGUH FRQVFLHQFH TXH OD ȴQ GH OD YLROHQFH Qȇ«WDLW SDV Q«JRFLDEOH FRQWUH GHV FRQWUHSDUWLHV SROLWLTXHV HW GHYDLW ¬WUH G«FLG«H XQLODW«UDOHPHQW SDU OȇRUJDQLVDWLRQ armée. 'DQVODYHLQHGXFHVVH]OHIHXGHOHFKDQJHPHQWHWODSDFLȴ- FDWLRQ VRQW DXMRXUGȇKXL WUªV QHWWHPHQW SHUFHSWLEOHV DX 3D\V EDVTXH notamment à travers l’autodissolution des mouvements sociaux anti- ETA. Lokarri OH GHUQLHU PRXYHPHQW VRFLDO HQ DFWLYLW« FU«« HQ  dans la continuité de ElkarriQ«HQDYHFOȇREMHFWLIGHPHWWUHȴQ DX WHUURULVPH VȇHVW DLQVL GLVVRXV HQ PDUV 6RQ FRRUGLQDWHXU 3DXO5¯RVMXVWLȴDHQHIIHWFHWWHG«FLVLRQSDUOHIDLWTXHmODȴQGHOD violence est désormais irréversible »62. Lokarri a servi de mouve- ment social médiateur dans le processus de légalisation de la gauche abertzaleHQI«YULHUGHP¬PHTXHORUVGHODG«FODUDWLRQGȇ$LHWH GȇRFWREUH TXL PLW ȴQ ¢ OD OXWWH DUP«H $YDQW OXL HQ MXLQ ce fut Gesto por la Paz TXL DQQRQ©D VD GLVVROXWLRQ DSUªV cBasta Ya  HQGRQWOHVSULQFLSDX[UHVSRQVDEOHVVHVRQWGHSXLVHQJDJ«VHQ SROLWLTXHQRWDPPHQWDXVHLQGXSDUWL8QLRQSURJUªVHWG«PRFUDWLH 83\' &HUWDLQHVTXHVWLRQVUHVWHQWFHSHQGDQWHQVXVSHQVQRWDPPHQW OHG«VDUPHPHQWODU«LQW«JUDWLRQVRFLDOHGHVSULVRQQLHUVHWODFRH[LV- WHQFHSDFLȴTXH

62. « La disolución de LQMCTTKzEl Mundo, 10 mars 2015.

180 Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

Photo 6.2. Manifestation de dénonciation de la politique pénitentiaire (2011)

INSTITUTIONNALISATION ET « TRANSITION DÉMOCRATIQUE » DU NATIONALISME BASQUE RADICAL (DEPUIS 2011) 'HSXLV OH mFHVVH]OHIHX G«ȴQLWLI GH OȇDFWLYLW« DUP«H} GH Oȇ(7$ OH RFWREUHLOHVWGRQFSRVVLEOHGHGLUHTXHOȇRQDVVLVWH¢ODmWUDQ- VLWLRQ G«PRFUDWLTXH} GX QDWLRQDOLVPH EDVTXH UDGLFDO FDUDFW«ULV«H par un rejet formel de la violence et un début d’autocritique sur les dérives des années de lutte armée633HQGDQWOHVDQQ«HVOHQDWLR- QDOLVPHUDGLFDOO«JLWLPDLWRXYHUWHPHQWODYLROHQFHSXLVLOVȇHPSOR\D¢ formuler de nombreux euphémismes pour ne pas la condamner durant les années 1990. Ses partisans présentèrent ses postulats comme non- Q«JRFLDEOHV ȃ OȇDXWRG«WHUPLQDWLRQ OȇDSSDUWHQDQFH GX 3D\V EDVTXH IUDQ©DLVGHOD1DYDUUHHWGHOȇ(XVNDGL¢ODP¬PHQDWLRQOHUHWUDLWGHV IRUFHV GH SROLFH HW GH OȇDUP«H GX 3D\V EDVTXH ȃ OHXU SHUPHWWDQW GH MXVWLȴHU GHYDQW OD QRQU«DOLVDWLRQ GH FHV FRQGLWLRQV OȇH[HUFLFH GȇXQH violence présentée comme « défensive » contre une autre violence MXJ«HDQW«ULHXUHGHmOȇ‹WDWHVSDJQRO}FRQWUHOHmSHXSOH}EDVTXH/D

63. « ETA anuncia el cese definitivo de su actividad armada », Gara, 20 octobre 2011.

181 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

sacralisation de ces postulats hautement contestables créa une « reli- JLRQSROLWLTXH}O«JLWLPDQWQRQVHXOHPHQWODG«VRE«LVVDQFHFLYLOHPDLV exerçant surtout la violence en niant à l’autre la liberté d’expression que l’on revendiquait pour soi64. /D SRVWXUH DQWLV\VWªPH OH SRSXOLVPH ȃ HQ SU«WHQGDQW FRQVWDP- PHQWDJLUDXQRPGXmSHXSOH}EDVTXHȃHWODWHQGDQFH¢ODYLFWLPLVD- tion du nationalisme radical n’ont pas fondamentalement changé. Pas plus que le recours très fréquent aux manifestations de rue. Ce courant D ȴG«OLV« XQH EDVH PLOLWDQWH G«WHUPLQ«H HW WUªV LPSOLTX«H SROLWLTXH- PHQW 0DLV LO HVW HQ SDVVH GH VȇLQV«UHU G«ȴQLWLYHPHQW DX VHLQ GX MHX G«PRFUDWLTXHHWFȇHVWWDQWPLHX[&HUWHVODUK«WRULTXHGHODmYLROHQFH GH Oȇ‹WDW HVSDJQRO} HVW WRXMRXUV GH PLVH 0DLV OH FKRL[ DɚUP« GH OD continuation de la lutte pour l’indépendance par la rue et les urnes en «FDUWDQW G«ȴQLWLYHPHQW OD YLROHQFH SROLWLTXH FRQVWLWXH XQH DYDQF«H majeure dans la démocratisation de ce courant politique. Comme nous le verrons ci-dessous en retraçant des événements symptomatiques GH OȇDFWXDOLW« EDVTXH GHSXLV  FH SURFHVVXV HQ FRXUV HVW WRXWHIRLV incomplet et sujet à des tensions importantes au sein même de la com- munauté nationaliste radicale. 8QHUXSWXUHDYHFOHSDVV«ȴQGHODYLROHQFH UHQRXYHDXGHOȇLQG«SHQGDQWLVPHHWSDFLȴFDWLRQ

(Q RFWREUH SOXVLHXUV DQFLHQV UHVSRQVDEOHV GH Batasuna dont son ex-dirigeant en prison depuis 2009 pour une FROODERUDWLRQ SU«VXP«H DYHF Oȇ(7$ RQW LQFLW« OȇRUJDQLVDWLRQ DUP«H ¢ proclamer un cessez-le-feu unilatéral et inconditionnel de la violence sans exiger de conditions préalables au gouvernement espagnol. La gauche abertzale a donc accueilli comme une « évolution sans précé- GHQW}HW¢ODSRUW«HmKLVWRULTXH}OHFRPPXQLTX«SRVW«ULHXUGHOȇ(7$ d’octobre 201165. Le nationalisme radical a parallèlement effectué un retour important sur la scène électorale : avec vingt et un représentants VXUVRL[DQWHTXLQ]H VXLWH¢OȇREWHQWLRQGHGHVYRL[ Euskal Herria Bildu m5«XQLUOȇ(XVNDO+HUULD}EH Bildu TXLLQWªJUHOHVSDUWLVSortu (XVNR $ONDUWDVXQD $UDODU HW $OWHUQDWLED FRQVWLWXH G«VRUPDLV OD GHX- xième formation politique derrière le PNV (vingt-sept représentants) au Parlement du Pays basque depuis 2012. Bildu compte aussi onze

šL’expression de « religion politique » est ici reprise de Jesús CƧƸƶƺƫƹƫ, En el nombre de Euskal Herria. La religión política del nacionalismo vasco radical, Madrid, Tecnos, 2009. 65. « Batasuna considera el comunicado de ETAWPCūFGEKUKȕPUKPRTGEGFGPVGUŬEQPWPCNECPEG ūJKUVȕTKEQŬzEl País, 10 janvier 2011.

182 Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

représentants (sur cinquante) au Parlement de Navarre et Amairur a envoyé sept parlementaires au Congrès des députés et obtenu quatre sénateurs66 /RUV GHV «OHFWLRQV PXQLFLSDOHV GH PDL Bildu (sans $UDODU  D REWHQX  GHV YRL[   GHUULªUH OH 319   P¬PHVLVRQYRWHSOXVWHUULWRULDOHPHQWFRQFHQWU«GDQVFHUWDLQHV]RQHV *XLSXVFRD QRWDPPHQW  OXL D SHUPLV GȇREWHQLU  FRQVHLOOHUV PXQL- cipaux contre 873 pour le PNV67. La coalition a aussi conquis la ville GH 6DLQW6«EDVWLHQ GRQW -XDQ &DUORV ,]DJLUUH HVW GHYHQX PDLUH Bildu XQHFRDOLWLRQLQLWLDOHPHQWIRUP«HOHDYULOVȇHVWWUDQVIRUP«HHQ juin 2012 pour devenir EH Bildu. Il est aussi intéressant de noter que *XLSXVFRDFRQVWLWXHWRXMRXUVOHmȴHI}GXQDWLRQDOLVPHUDGLFDO Bildu- EA\REWHQDQWGHVYRL[HWFRQVHLOOHUVFRQWUHVHXOHPHQW SRXU OH 319  DORUV TXH OD %LVFD\H HVW WRXMRXUV GRPLQ«H SDU OH 319 FRQWUHSRXUBildu) et que le PP est désormais majoritaire HQ$ODYD FRQWUHSRXUOH319HWSRXUBildu-EA)68. Dix ans après la condamnation de Batasuna et après avoir présenté KXLW mPDUTXHV} «OHFWRUDOHV GLVWLQFWHV OH mFRQJUªV FRQVWLWXDQW} GH Sortu¢3DPSHOXQHOHI«YULHUPDUTXDOHG«EXWGȇXQHQRXYHOOH ère dans le respect de la légalité pour le nationalisme basque radical. Le parti appela à « rompre les chaînes avec la France et l’Espagne et à participer à la vague en faveur de l’indépendance »69. Sortu et EH Bildu cherchent à convaincre le PNV de parvenir à un accord sur « le droit ¢ G«FLGHU} WRXW HQ DSSHODQW OD EDVH VRFLDOH GX 319 ¢ VH MRLQGUH DX[ manifestations et au mouvement social indépendantiste70 ‚ ,UXQ OH MDQYLHU  Sortu SURSRVD OD FRQVWUXFWLRQ GȇXQ ‹WDW EDVTXH LQG«- SHQGDQW /H PDUV VXLYDQW DX Bilbao Exhibition Centre de Barakaldo %LVFD\H  GL[ PLOOH PLOLWDQWV «FRXWªUHQW VD SURSRVLWLRQ VRXYHUDLQLVWH VXUQRPP«HODmYRLHEDVTXH}SU«VHQW«HIDFH¢ODmSDVVLYLW«GX319} HW ¢ mOȇLPPRELOLVPH GH Oȇ‹WDW} /HV GLULJHDQWV GX SDUWL LQFLWªUHQW OHV FLWR\HQVEDVTXHV¢XQHmLQVXERUGLQDWLRQG«PRFUDWLTXH}DȴQGȇDYDQFHU

šLors des élections européennes de 2014, la coalition a aussi envoyé un représentant, Josu Juaristi, au Parlement de Strasbourg. šNotons que ce résultat lui permet d’être loin devant le PSEEEPSOE CXGE  GV š XQKZ  GV SWŨWPG CWVTG HQTOCVKQP KPFȌRGPFCPVKUVG ATCNCT C CWUUK QDVGPW  CXGE š XQKZ  Cf. « Elecciones municipales 2011 en EWUMCFKz Archives des résultats électo raux, GQWXGTPGOGPVDCUSWGFȌRCTVGOGPVFGNCUȌEWTKVȌ=JVVRYYYGWUMCFKPGV?EQPUWNVȌNG 12 mars 2015. šIbid. šMKMGNOƷƳƧƿƧƨƧƲ, « Sortu aguarda su refundación », El País, 22 février 2014. 70. « EH Bildu muestra al PNV su voluntad de acuerdos sobre el derecho a decidir », El País, 4 janvier 2015.

183 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

dans un processus « unilatéral et désobéissant » qui puisse déboucher sur une « constitution de la République basque »71. Le parti cherche à DPSOLȴHUODEDVHVRFLDOHGHOȇLQG«SHQGDQWLVPHHQPXOWLSOLDQWOHVRUJDQL- VDWLRQVSROLWLTXHVV\QGLFDOHVHWFXOWXUHOOHVSDUWHQDLUHV6RQREMHFWLIHVW de « créer des majorités sociales et politiques pour utiliser les institu- WLRQVH[LVWDQWHVDXVHUYLFHGHODVRXYHUDLQHW«}SXLVGHUHG«ȴQLUSDUOH EDVOHVPRGªOHVMXULGLFRSROLWLTXHVGHOȇ(XVNDGLGX3D\VEDVTXHIUDQ©DLV HW GH OD 1DYDUUH VXLYDQW WURLV SURFHVVXV GLVWLQFWV DYHF GHV U\WKPHV GLII«UHQWVPDLVVXLYDQWOHP¬PHREMHFWLIGHFRQVWUXLUHXQ‹WDWEDVTXH indépendant72. Le porte-parole d’EH Bildu+DVLHU$UUDL]DSSHOOHDLQVL¢ une « rupture démocratique » unilatérale avec l’Espagne et à un « pro- FHVVXVFRQVWLWXDQWHQ(XVNDO+HUULD}SXLVTXHVHORQOXLmOȇ‹WDWHVSDJQRO ne reconnaîtra jamais le droit à décider du peuple basque »73. Même si le discours a changé et que Sortu rejette désormais claire- PHQWODOXWWHDUP«HGDQVVHVVWDWXWVOHVDQFLHQVPHPEUHVGHBatasuna 5Xȴ (W[HEDUULD -RVHED 3HUPDFK HW -XDQ -RV« 3HWULNRUHQD GRPLQHQW VRQFRQVHLOQDWLRQDOLOOXVWUDQWXQHFHUWDLQHFRQWLQXLW«GHVȴJXUHVGLUL- geantes. Arnaldo Otegi a joué un rôle central dans l’évolution de la stra- W«JLHGHVLQG«SHQGDQWLVWHVHQVRXWHQDQWGHSXLVVDSULVRQGH/RJUR³ROD mFRQVWUXFWLRQGȇXQHPDMRULW«VRFLDOH}QRWDPPHQW¢WUDYHUVXQmIURQW souverainiste » avec le PNV74. La manifestation commune de la gauche abertzale avec le PNV en janvier 2014 sembla illustrer ce rapproche- ment. La « lutte idéologique » et la « confrontation démocratique » dans la rue et dans les urnes constituent toujours les piliers de sa stratégie politique. Mais le fait que les militants de Sortu choisirent Otegi pour RFFXSHU OH SRVWH GH VHFU«WDLUH J«Q«UDO ODLVV« YDFDQW HQ VRQ DEVHQFH LOOXVWUHELHQTXHSRXUHX[ODmQRUPDOLVDWLRQ}GXFRQȵLWQȇDXUDU«HO- lement lieu qu’une fois que les prisonniers de l’ETA seront libérés et que cesseront les emprisonnements de dirigeants abertzales. Devant HQYLURQGHX[PLOOHPLOLWDQWV¢,UXQHQMDQYLHUOHSRUWHSDUROHGX &RQVHLO1DWLRQDO3HUQDQGR%DUUHQDG«FODUDDLQVLTXHmODSROLWLTXHGH U«SUHVVLRQGHOȇ‹WDWHVSDJQROQȇHVWSDVHQFRUHWHUPLQ«H}FHTXLVHUDLW attesté par « ses menaces » et « sa politique pénitentiaire criminelle ».

71. « EH Bildu pide a los vascos que se pongan en pie como en CCVCNWȓCzEl País, 21 février 2015. 72. « EH Bildu propone un proceso en tres fases hasta una Constitución vasca », El País, 24 janvier 2015. 73. « ATTCK\CRGNCCNCūTWRVWTCFGOQETȄVKECŬEQPEURCȓCzEl País, 25 septembre 2014. šJavier DƵƷƯƧ, « Sortu llama a una alianza soberanista en su constitución », El Mundo, 24 février 2013.

184 Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

6XUOHSODQRUJDQLVDWLRQQHOOHQDWLRQDOLVPHEDVTXHUDGLFDODPDLQ- tenu la tradition de la création d’une multiplicité de groupes politiques s’organisant en cercles concentriques autour d’un noyau central. Cela SHUPHWGHPXOWLSOLHUOHVDFWHXUVHWOHVQLYHDX[GHGLVFRXUVWRXWHQG«YH- loppant son impact social : AmairurHVWSU«VHQWDX&RQJUªVGHVG«SXW«V EH Bildu DX VHLQ GHV LQVWLWXWLRQV EDVTXHV HW Sortu G«ȴQLW OD VWUDW«JLH d’ensemble. L’utilisation de plusieurs organisations offre la possibilité à SortuGȇDGRSWHUXQHSRVWXUHPRLQVUDGLFDOHHWSOXVVXUSORPEDQWHWRXW en laissant à des organisations proches le soin de prendre des postures plus critiques et anticonventionnelles. Mais la démocratisation interne du parti qui dit opter pour la « démocratie participative » demeure OLPLW«H&HUWHVSOXVGHVL[PLOOHSHUVRQQHVRQWSDUWLFLS«¢VRQFRQJUªV FRQVWLWXDQW PDLV VHXOHV FHUWDLQHV FDQGLGDWXUHV IXUHQW RXYHUWHV DX SOXUDOLVPHOHVPLOLWDQWVGHYDQWUDWLȴHUOHVFDQGLGDWVXQLTXHVSURSRV«V SRXU OD GLUHFWLRQ +DVLHU $UUDL] IXW QRPP« SU«VLGHQW ,GRLD $LDVWXL UHVSRQVDEOHGHOȇRUJDQLVDWLRQLQWHUQH-XDQ-R[H3HWULNRUHQDGHODFRP- PXQLFDWLRQ0DULVD$OHMDQGURGHVȴQDQFHV0DLWH8ELULDGHVUHODWLRQV internationales et Arnaldo Otegi fut nommé secrétaire général malgré son incarcération suite à l’affaire Bateragune75. /H UHVSRQVDEOH GH OD mOXWWH LG«RORJLTXH} ,RVX /L]DUUDOGH IXW GH P¬PHLPSRV«GȇHQKDXW&RPPHSRXUOHFRQVHLOQDWLRQDOOHVPLOLWDQWV SXUHQWXQLTXHPHQWUDWLȴHUHQEORFOHVFRRUGLQDWHXUVWHUULWRULDX[SUR- SRV«VSDUODGLUHFWLRQ0DULEL8JDUWHEXUXHQ%LVFD\H7[XV0DUWLQH]HQ $ODYD-R[HDQ$JLUUHHQ*XLSXVFRD-XDQ.UX]$OGDVRURHQ1DYDUUHHW Jean-François Lefort pour le Pays basque français. Les bases militantes SXUHQWHQIDLWVHXOHPHQWFKRLVLUWURLVSRUWHSDUROH $PDLD,]NR;DEL /DUUDOGHHW3HUQDQGR%DUUHQD VXUFLQTSURSRV«VGHP¬PHTXȇXQUHV- SRQVDEOHGHODmOXWWHGHPDVVH}HQRSWDQWSRXU0DULMH)XOODRQGRHW XQUHVSRQVDEOHGHODmOXWWHLQVWLWXWLRQQHOOH} -RVHED3HUPDFK SDUPL WURLVFDQGLGDWV¢FKDTXHIRLV3RXUODmU«VROXWLRQGXFRQȵLW}LOVFKRL- VLUHQW5Xȴ(W[HEHUULD DQFLHQPHPEUHGHOȇ(7$PMXVTXȇHQSXLV GH+%(+SXLVBatasuna SDUPLWURLVFDQGLGDWXUHVGHP¬PHTXHFLQT personnes sur dix proposées par le conseil national pour les représen- ter à l’international. Suite à un sondage récent annonçant Podemos devant la gauche abertzale +DVLHU $UUDL] SODLGD SRXU XQH U«RUJD- nisation au-delà de la coalition de partis et une « nouvelle culture de participation » qui devrait permettre aux militants de « décider

75. « SQTVW FGLCTȄ XCECPVG NC UGETGVCTKC IGPGTCN OKGPVTCU Arnaldo Otegi siga en prisión », El País, 14 février 2013.

185 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

eux-mêmes »76 (Q SOXV GH VD IUDJPHQWDWLRQ IRUFH HVW WRXWHIRLV GH constater que le nationalisme basque radical demeure structuré en LQWHUQH SDU XQH FHUWDLQH YHUWLFDOH GX SRXYRLU HW SDU XQH FXOWXUH GX FRQȵLWGDQVVDVWUDW«JLHGHFRPS«WLWLRQ

Une transition inachevée

D’autres événements indiquent toutefois que la transition en cours GHPHXUH LQDFKHY«H /H VHSWHPEUH  OH m&ROOHFWLI GHV SULVRQ- niers et des prisonnières politiques basques » (EPPK) qui regroupe 732 SULVRQQLHUVGHOȇ(7$¢VDYRLUODTXDVLWRWDOLW«GHVG«WHQXVGHOȇRUJDQL- VDWLRQ«PLWXQFRPPXQLTX«VRXWHQXSDUGHVHVPHPEUHVGDQV OHTXHOLODSSURXYDLWOȇDFFRUGGH*XHUQLFDGXVHSWHPEUHVXUOD ȴQGHODYLROHQFHHWVȇHQJDJHDLW¢mDYDQFHUGDQVOHSURFHVVXVG«PRFUD- WLTXH}VDQVSRXUDXWDQWVROOLFLWHUFODLUHPHQWODȴQGHVDFWLRQVGHOȇ(7$ et en plaidant pour un processus de négociation entre l’organisation et le gouvernement77. Les détenus considérés comme « dissidents » par OȇRUJDQLVDWLRQ OD SOXSDUW HQ RQW «W« H[SXOV«V  UHJURXS«V DXWRXU GX « Collectif des prisonniers impliqués avec le processus de paix irréver- VLEOH}«PLUHQWXQDXWUHFRPPXQLTX«OHP¬PHMRXUDSSX\DQWOȇDFFRUG GH*XHUQLFDPDLVDSSHODQWDXVVLm¢ODUHFRQQDLVVDQFHGHVVRXIIUDQFHV LQȵLJ«HV DX[ YLFWLPHV HW ¢ OD U«FRQFLOLDWLRQ VRFLDOH78} (Q  VHXOV une trentaine de prisonniers avaient choisi la voie Nanclares qui faci- lite les remises de peine pour les prisonniers qui rejettent la violence et assument de façon critique leur passé. Ceci illustre bien le fait que PDOJU«ODȴQGHODYLROHQFHODUHFRQQDLVVDQFHGHVVRXIIUDQFHVLQȵLJ«HV aux victimes et la réconciliation demeurent encore des enjeux problé- matiques. Le jugement de la Cour européenne des droits de l’homme de juil- OHWTXLGRQQDUDLVRQ¢OȇH[PHPEUHGHOȇ(7$,Q«VGHO5LR3UDGD PLWȴQ¢ODdoctrine ParotSHUPLWODOLE«UDWLRQGHVRL[DQWHHWRQ]HSUL- sonniers de l’ETA et posa encore plus clairement sur l’agenda politique

šSelon l’EWUMQDCTȕOGVTQ FG PQXGODTG ȃ NC SWGUVKQP kUK FGU ȌNGEVKQPU CXCKGPV NKGW RTQEJCKPGOGPVRQWTSWKXQVGTKG\XQWUš!zFGUGPSWȍVȌUFGNCEQOOWPCWVȌCWVQPQOG d’EWUMCFK FȌENCTȋTGPV QRVGT RQWT NG PNV, 25,6 % pour Podemos et seulement 19,7 % pour EH Bildu. Cf. « Estimación de voto en el País Vasco », Encuesta electoral Euskobarómetro, novembre 2014. 77. « Los presos de ETA apoyan el acuerdo de GGTPKMCSWGCUWOGGNHKPFGNCXKQNGPEKCzEl País, 24 septembre 2011. 78. « Los presos disidentes de ETA urgen a abordar la reparación de las víctimas », El País, 23 septembre 2011.

186 Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

la question de leur réinsertion sociale79. Le Forum social créé en février 2013 par Lokarri HWGLULJ«SDU3DXO5¯RVGHP¬PHTXHOHFROOHFWLI Bake Bidea GLULJ« SDU 3HLR 'XIDX HVWLPH TXH OHV SULVRQQLHUV GRLYHQW MRXHU XQ U¶OH LPSRUWDQW GDQV OH QRXYHDX VF«QDULR SROLWLTXH HW VRQW soutenus dans leur démarche par EH Bildu et le PNV80. Le Forum social FKHUFKH ¢ REWHQLU OD ȴQ GH OD SROLWLTXH GH GLVSHUVLRQ TXL HQJHQGUH l’incarcération des prisonniers de l’ETA dans différentes prisons d’Es- pagne et de France) et la libération des prisonniers. Il demande aussi la liberté conditionnelle des prisonniers malades et de ceux âgés de plus de soixante-dix ans. Les prisonniers et leurs associations de défense constituent des groupes de pression centraux dans le processus de paci- ȴFDWLRQ3DUH[HPSOHVXLWH¢ODFRQYRFDWLRQGȇEH Bildu et des syndicats (/$HW/$%SOXVGHGL[PLOOHSHUVRQQHVRQWPDQLIHVW«OHVDPHGLMDQ- vier 2015 dans le centre-ville de Saint-Sébastien pour protester contre l’opération MateGHOD*DUGHFLYLOHPHQ«H¢OȇHQFRQWUHGHVDYRFDWVGHV SULVRQQLHUV GH Oȇ(7$ VXLYDQW OH VORJDQ m'URLWV GH OȇKRPPH 6ROXWLRQ Paix » (« Giza Eskubideak. Konponbidea. Bakea}  OH P¬PH TXH FHOXL utilisé lors de la manifestation de Bilbao en janvier 2014 à laquelle par- ticipa le PNV81/HI«YULHU,³LJR8UNXOOXHVWGHP¬PHGHYHQXOH premier lehendakari (président de la communauté autonome) du Pays EDVTXH HVSDJQRO ¢ UHFHYRLU GH ID©RQ RɚFLHOOH GHV IDPLOOHV GH SULVRQ- QLHUVGHOȇ(7$ORUVGȇXQHU«XQLRQDYHF0DLGHU$OXVWL]DODSRUWHSDUROH d’EtxeratOȇDVVRFLDWLRQTXLOHVUHSU«VHQWH82. 'HSOXVOHGLVFRXUVGHFHFRXUDQWSROLWLTXHGHPHXUHWRXMRXUVDXVVL mUDGLFDO}ȵLUWDQWSDUIRLVDYHFmOȇDSRORJLHGXWHUURULVPH}FHTXLFU«H un climat tendu avec les autres formations politiques et engendre une multiplication des poursuites et des condamnations à répétition de ses GLULJHDQWV (Q RFWREUH +DVLHU $UUDL] WUDLWD DLQVL GH mIDVFLVWH}

šLCūFQEVTKPGParot” correspondait à une jurisprudence du Tribunal suprême qui permettait de maintenir en détention des prisonniers pourtant libérables. Condamnée en juillet 1987, Inés del Rio devait être remise en liberté en 2008 après vingt ans de réclusion. Mais le 2 juillet 2008, l’AWFKGPEG PCVKQPCNG FȌEKFC FG TGRQWUUGT EGNNGEK LWUSWŨCW LWKP  WPG FȌEKUKQP qui fut considérée comme abusive par la Cour européenne en 2012. La Cour considéra que l’Espagne avait violé les articles 5 et 7 de la Convention européenne des droits de l’homme, ce qui fit jurisprudence et engendra la remise en liberté de nombreux prisonniers de l’ETA. Cf. « La Cour de Strasbourg condamne l’EURCIPGRQWTNCūFQEVTKPGParot” », [EiTb. eu], 10 juillet 2012, consulté le 11 mars 2015. 80. « El Foro Social pide al Parlamento una interlocución con los presos de ETA », El País, 15 mars 2015. šInés CƮƧƻƧƷƷƯ, « Miles de personas defienden en la calle a los abogados de presos de ETA », El País, 17 janvier 2015. 82. « UTMWNNWGNRTKOGTNGJGPFCMCTKCTGEKDKTRTGUQUFGETA », La Vanguardia, 22 février 2015.

187 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

Photo 6.3. Manifestation en faveur des prisonniers de l’ETA, Saint-Sébastien (2015)

%RUMD 6«PSHU OH SRUWHSDUROH GX 33 DX 3D\V EDVTXH /H G«FHPEUH ORUVGȇXQKRPPDJHDX[GLULJHDQWVGHHerri Batasuna assassinés SDU OHV *$/ 6DQWLDJR %URXDUG HQ  HW -RVX 0XJXUX]D HQ  LO G«FODUD TXH mOD VHXOH YLROHQFH HVW FHOOH GH Oȇ‹WDW WHUURULVWH GH OD *DUGH FLYLOH HW GHV FRUSV U«SUHVVLIV} UHYHQGLTXDQW OD WUDMHFWRLUH GX parti malgré sa dépendance passée à l’égard de l’organisation armée83. Convoqué par le Tribunal suprême de justice du Pays basque pour un délit présumé d’apologie du terrorisme et d’humiliation des victimes VXLWH ¢ XQH SODLQWH GH OȇDVVRFLDWLRQ 'LJQLW« HW -XVWLFH LO G«FODUD DYRLU défendu la stratégie de la gauche abertzale des trente-cinq dernières DQQ«HVYLVDQW¢mURPSUHDYHFOȇ(VSDJQH}HWQRQODmOXWWHDUP«HGH Oȇ(7$} DYDQW Gȇ¬WUH ȴQDOHPHQW DFTXLWW«84 3RXU OXL VD FRQYRFDWLRQ illustrerait le « manque de liberté d’expression des militants indépen- dantistes » et leur répression. L’utilisation politique par Sortu de la manifestation conjointe avec le PNV en faveur des droits de l’homme HQTXLVHWHUPLQDSDUGHVFULVHQIDYHXUGHOȇ(7$FRQVWLWXHXQH autre illustration du chemin qui reste à parcourir. Même si les statuts de Sortu FRQGDPQHQW OD YLROHQFH OHV GLVFRXUV GHV QDWLRQDOLVWHV UDGLFDX[ GHPHXUHQWSDUIRLVDPELJXVHWODFRQGDPQDWLRQH[SOLFLWHGHVDQQ«HVGH lutte armée de l’ETA demeure encore un tabou pour ce secteur social.

83. « El presidente de Sortu pide a la Guardia Civil que se vaya de EWUMCFKzEl País, 14 janvier 2015. 84. « Arraiz declara que defendió romper con el EUVCFQ[PQNCūNWEJCCTOCFCŬFGETA », El País, 2 avril 2014.

188 Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

* * *

3RXU FRQFOXUH OH QDWLRQDOLVPH EDVTXH UDGLFDO HVW DXMRXUGȇKXL ¢ XQWRXUQDQWFHTXLGRQQHOLHX¢GHQRPEUHXVHVGLYLVLRQVHQVRQVHLQ 'ȇXQHSDUWLOFRQGDPQHGHSOXVHQSOXVODOXWWHDUP«HSDVV«HHWP¬PH la « kale borroka} FHUWDLQV GLULJHDQWV D\DQW FRQGDPQ« GHV «SLVRGHV récents de violence de rue. Le dirigeant de Sortu -RVHED 3HUPDFK D ainsi déclaré son « rejet le plus absolu » de l’attaque contre le quar- WLHU J«Q«UDO GX 33 ¢ %DUDNDOGR HQ QRYHPEUH DSSHODQW VHV V\P- pathisants à défendre les droits des prisonniers de l’ETA « avec des P«WKRGHVSDFLȴTXHV85 ». Des dirigeants de Bildu ont de même participé à l’hommage rendu aux parlementaires socialistes Fernando Buesa et (QULTXH&DVDVHQW«PRLJQDQWGXG«EXWGȇXQHUHFRQQDLVVDQFHGHV souffrances engendrées par la lutte armée. Le choix d’une ligne dure d’opposition au gouvernement régional dirigé par Urkullu n’est pas par- WDJ«SDUWRXVFRPPHOȇDWWHVWHSDUH[HPSOHODG«PLVVLRQGHODSDUOHPHQ- taire d’EH Bildu/DXUD0LQWHJLHQVHSWHPEUHHWVRQUHPSODFHPHQW SDU,NHU&DVDQRYDG«WHQXHQHWFRQGDPQ«HQSDUOȇ$XGLHQFH nationale comme responsable du mouvement de jeunesse Ekin86. 'ȇDXWUHSDUWOȇDXWRFULWLTXHTXDQW¢OȇXVDJHGXWHUURULVPHGHPHXUH HQFRUHODUJHPHQWWDERXHFRPPHHQDWWHVWHODYRORQW«GHPHWWUHmOȇHQ- VHPEOH GHV YLFWLPHV} DIIHFW«HV SDU OH WHUURULVPH VXU OH P¬PH SODQ sous-entendant que les membres de l’ETA tués par les forces de l’ordre GRLYHQWWRXWDXWDQW¬WUHUHP«PRU«VTXHOHVYLFWLPHVFLYLOHVSROLFLªUHV et militaires de l’organisation87 $LQVL SDU H[HPSOH Bildu refusa de

85. « Ataque con artefactos incendiarios contra la sede del PP de BCTCMCNFQz ABC, 25 novembre 2013. 86.. « Mintegi se va ajena a la oposición dura de Bildu y a su papel diluido », El País, 25 juillet 2014. šAu contraire, pour la droite conservatrice, comme en relève le maire de Vitoria Javier Maroto PP), « seules les victimes de l’ETA méritent une reconnaissance spécifique », considérant qu’il n’y a pas eu de « guerre » entre deux parties au Pays basque, mais plutôt une violence unilaté rale de l’ETA. Cf. « MCTQVQTGRTQEJCCNIQDKGTPGSWGūOG\ENGŬCVQFCUNCUXȐEVKOCUzEl Mundo, 9 février 2015. Ce positionnement est défendu avec ardeur par le PP et les associations de victimes du terrorisme. La position la plus partagée au sein de la société basque est cependant de reconnaître qu’il y a eu des victimes des deux côtés, tout en considérant toutefois que les victimes de l’ETA ont été beaucoup plus nombreuses que celles du « terrorisme d’État » des GAL. Pour la plupart des Basques, le « conflit » avec l’État espagnol évoqué par les nationa listes radicaux n’a existé que jusqu’à la fin du franquisme. Le choix du maintien de l’utilisation de la violence par l’ETA malgré l’instauration du cadre démocratique définitivement ancré après 1982, relevant plutôt d’une violence unilatérale. C’est d’ailleurs la conclusion à laquelle parvinrent les historiens Raúl López Romo, Luis Castells, Antonio Ribera et José Antonio Pérez dans un rapport sur la « mémoire historique au PC[UDCUSWGzTGPFWTȌEGOOGPV au gouvernement de VKVQTKCGasteiz. PQWTWPEQORVGTGPFWFWTCRRQTVEH. Luis AƯƿǞƫƵƲƫƧ, « No hubo conflicto vasco, sino totalitarismo de ETA », El País, 11 mars 2015.

189 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

participer en 2013 à l’hommage aux victimes soutenu par l’ensemble GHV SDUWLV F«O«EU« ¢ *HW[R FKDTXH DQQ«H GHSXLV  ORUV GX m-RXU GH OD P«PRLUH} /RUV GH OD FRPP«PRUDWLRQ OH PDLUH ,PDQRO /DQGD LVVXGX319G«FODUDSRXUWDQWGDQVXQHYRORQW«GHUDVVHPEOHPHQWTXH mGDQV FHWWH YLOOH QRXV DYRQV HX GHV YLFWLPHV GX WHUURULVPH GH Oȇ(7$ HWGHV*$/‚WUDYHUVFHWWHPLQXWHGHVLOHQFHQRXVYRXORQVKRQRUHUOD mémoire de toutes les victimes88 ». Force est toutefois de constater que la démocratisation de ce cou- UDQWSROLWLTXHHVWHQPDUFKH1RWRQVDXVVLTXHVLOȇRQGHPDQGH¢MXVWH titre aux indépendantistes de condamner le maintien de la lutte armée DSUªVODWUDQVLWLRQSHXQRPEUHX[VRQWFHX[TXLSDUPLOHVFRQVHUYD- WHXUVIRQWOȇHIIRUWGȇDGPHWWUHOHWHUURULVPHGȇ‹WDWGHV*$/HWGHUHQGUH hommage à ses victimes. Dans les villes moyennes et les villages ruraux GX3D\VEDVTXHOHVGHVFHQGDQWVGHYLFWLPHVGHOȇ(7$F¶WRLHQWVRXYHQW au quotidien d’anciens membres de l’organisation sortis de prison. Ils VHKD±VVHQWVRXYHQWVȇ«YLWHQWJ«Q«UDOHPHQWPDLVVHSDUOHQWGHSOXVHQ plus. Des forums de rencontre et des lieux de parole se créent. La même G\QDPLTXH HVW ¢ OȇĕXYUH GDQV OHV FRQVHLOV PXQLFLSDX[ R» OHV UHSU«- sentants d’EH Bildu prennent part aux décisions politiques locales. Des confrontations naissent ici ou là. Les indépendantistes n’hésitent pas à hisser des drapeaux basques et à retirer parfois les drapeaux espagnols des frontons des mairies. Ils prennent parfois des décisions ou émettent des communiqués qui illustrent des pratiques de désobéissance civile. Mais ils se plient aussi aux nécessités de la « gestion » municipale et au EHVRLQGHVDWLVIDLUHOHXUV«OHFWHXUVSDVWRXMRXUVLQG«SHQGDQWLVWHV&HX[ qui vivent au Pays basque espagnol s’accordent pour dire que les choses ont changé depuis 2011. Le climat est plus serein. La paix se construit MRXU DSUªV MRXU 3HWLW ¢ SHWLW FKDFXQ DFFHSWH OH MHX GH OD G«PRFUDWLH HW GH OD U«FRQFLOLDWLRQ UHFRQQDLVVDQW OD Q«FHVVLW« GX GLDORJXH HW GX FRPSURPLVGDQVXQHVRFL«W«EDVTXHSOXUDOLVWHXQHFDUDFW«ULVWLTXHTXL GHPHXUHLQFKDQJ«HGHSXLVDXPRLQVODȴQGXXIXe siècle.

88. « LC K\SWKGTFC ūCDGTV\CNGŬ TGEJC\C NC ūMCNG DQTTQMCŬ RGTQ GXKVC TGEQTFCT C NCU XȐEVKOCUz El País, 29 novembre 2013. Les GAL correspondent aux groupes antiterroristes de libération, groupes d’extrême droite qui assassinèrent des membres de l’ETA lors des années de plomb.

190 Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

7

Le mouvement des indignés : la création du 15-M et sa postérité

Sylvie KOLLER

Ils ne nous représentent pas. Ce n’est pas une crise, c’est une escroquerie. Nous ne sommes pas contre le système, c’est le système qui est contre nous. (Slogans des indignés de Madrid)

(Q PDL OȇDVVHPEO«H GH 0DGULG GH FH TXL HVW G«VRUPDLV dénommé le 15-M a célébré le troisième anniversaire de la création du mouvement des indignés1. Les formes mêmes de cet anniversaire VȇLQVFULYHQW GDQV OD FRQWLQXLW« GH Oȇ«ODQ SUHPLHU PDLV Oȇ«Y«QHPHQW n’a pas fédéré plus de quelques centaines de personnes et a eu peu de U«SHUFXVVLRQVP«GLDWLTXHVP¬PHGDQVODSUHVVHV\PSDWKLVDQWH(VWFH ¢GLUHTXHOȇHVVRXɛHPHQWGXPRXYHPHQWDQQRQF«GªVMXLOOHWVH FRQȴUPH" /D U«SRQVH DSSHOOH GHV QXDQFHV &HUWHV OHV PRELOLVDWLRQV GH PDVVH FRQYRTX«HV GLUHFWHPHQW SDU OHV GLII«UHQWHV UDPLȴFDWLRQV visibles du 15-M (Democracia Real YaJuventud sin FuturoAssemblée de MadridDVVHPEO«HVORFDOHV QHVHVRQWSDVUHSURGXLWHVDSUªVODJUDQGH manifestation unitaire du 15 octobre 2011. Mais si le mouvement des LQGLJQ«V QH VH S«UHQQLVH SDV GDQV VD IRUPH LQLWLDOH VHV QRPEUHXVHV mutations en gardent l’empreinte originelle. Certains répertoires d’ac- tion et formes d’organisation demeurèrent bien présents lors du troi- sième anniversaire : tenue d’une assemblée ouverte sur la Puerta del 6RO WUDYDLO «FKHORQQ« VXU SOXVLHXUV MRXUQ«HV DX VHLQ GȇDWHOLHUV HW GH FRPPLVVLRQV WK«PDWLTXHV GDQV XQ HVSDFH SXEOLF UHSU«VHQWDWLI GH OD

šLGUKINGMTGPXQKGȃNCFCVGFWOCKEŨGUVȃFKTGȃWPGOCPKHGUVCVKQPQTICPKUȌGȃ Madrid contre l’ordre économique et politique. Refusant de se disperser, quelques participants à la manifestation passèrent la nuit sur la Puerta del Sol, marquant le début symbolique de l’occupation de la place. Cette date inaugurale est le coup d’envoi du mouvement social des Indignés. Il est habituel en Espagne de cristalliser les dates pour évoquer des événements marquants.

191 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

contre-culture : el Campo de la CebadaGDQVOH0DGULGKLVWRULTXH/HV indignés ont aussi organisé une célébration alternative de la fête votive GH6DQ,VLGURSDWURQGH0DGULGHWDSSHO«¢PDQLIHVWHUHQGLUHFWLRQGH OD3XHUWDGHO6RO'HWRXVFHV«Y«QHPHQWVOHMRXUQDOGHOȇDVVHPEO«HGH Madrid s’est fait largement écho2. Les revendications soutenues lors du troisième anniversaire illus- trèrent une lutte axée sur deux points centraux : la critique du modèle «FRQRPLTXH HW ȴQDQFLHU HVSDJQRO HW OH UHIXV GX V\VWªPH SROLWLTXH HQ SODFHXQGRXEOHȴOFRQGXFWHXUSU«VHQWGHSXLVOHG«EXWGXPRXYHPHQW La démocratie participative était encore à l’ordre du jour. Mais par DLOOHXUVODSURFODPDWLRQGȇXQHVSULWGHU«VLVWDQFH¢GLYHUVHVIRUPHVGH U«SUHVVLRQPLQXWLHXVHPHQWUHFHQV«HVWUDGXLVLWXQHIRUPHGȇDXWRJORUL- ȴFDWLRQFRPSHQVDWULFHSURSUHDX[JURXSHVPLOLWDQWVHQSHUWHGHYLWHVVH Le paysage social du mouvement est donc aujourd’hui contrasté : perte GȇDXGLHQFHGLUHFWHDWRPLVDWLRQGHVJURXSHVWHQGDQFHDXUHVVDVVHPHQW GHVHVUHYHQGLFDWLRQVHWGHVHVPRGHVGȇDFWLRQPDLVDXVVLSHUVLVWDQFH d’un idéal incarné dans des espaces de débat public. Il faut ajouter que la perméabilité est grande entre le 15-M et d’autres mouvements VRFLDX[YRLUHSROLWLTXHVHWTXHOHVIRUPHVGȇHQJDJHPHQWVRQWPXOWLSOHV HW YDULDEOHV GDQV OH FRQWH[WH HVSDJQRO FRQWHPSRUDLQ FDUDFW«ULV« SDU une crise économique et sociale sans précédent. Le 15-M lui-même peut GRQFSDUD°WUHHQVRPPHLORXHQUHFXOWDQGLVTXHOHVDFWHXUVGXPRX- vement des indignés choisissent en fait de s’investir dans des collectifs FLWR\HQV GHV SODWHIRUPHV GHV FRPLW«V GH TXDUWLHU HW GHV H[S«ULHQFHV d’économie alternative. Comment s’est structuré le mouvement des indignés en Espagne GHSXLVVHVRULJLQHV"4XHOVDXWUHVPRXYHPHQWVVRFLDX[RQW«PHUJ«GDQV VRQVLOODJH"'DQVFHFKDSLWUHQRXVPRQWUHURQVGȇDERUGTXHOȇLQȵXHQFH du mouvement des indignés survit actuellement sous des formes GLYHUVHVLUULJXDQWOHPRXYHPHQWVRFLDOGHSXLVVDQVTXȇLOVRLWSRV- VLEOHGȇDWWULEXHUDX[LQGLJQ«VODSDWHUQLW«GHVSURWHVWDWLRQVV\QGLFDOHV des manifestations de rue ou de l’émergence de formations politiques. 3RXU H[SOLTXHU FH UD\RQQHPHQW GLIIXV QRXV QRXV DWWDFKHURQV DX[ IRUPHVLQLWLDOHVGHODPRELOLVDWLRQGRQWODSRUW«HV\PEROLTXHDSX«FOLS- ser le contenu même des aspirations qu’elle portait. Nous montrerons TXHODGLPHQVLRQGHUDVVHPEOHPHQWIXVLRQQHOQȇ«WDLWSDVOHVHXOHQMHX mais que les revendications exprimées dès le début s’articulaient à un GLDJQRVWLF SRUW« VXU Oȇ«FRQRPLH HW OD SROLWLTXH ¢ XQ PRPHQW FULWLTXH

2. « Especial APKXGTUCTKQM », Madrid 15-M, periódico de Asambleas de Madrid, nº 25, mai 2014.

192 Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

de l’histoire de l’Espagne. Puis nous décrirons les actions militantes des acteurs sociaux organisés qui se spécialisent sur certaines revendica- WLRQVWRXWHQVȇLQVSLUDQWGHVHQVHLJQHPHQWVGX0DȴQGȇHQWUHWHQLU XQHG\QDPLTXHGHUDVVHPEOHPHQW(QȴQQRXVRXYULURQVXQTXHVWLRQ- nement sur la prolongation politique possible du 15-M.

UN ANNIVERSAIRE PEUT EN CACHER UN AUTRE ,OIDXW«ODUJLUQRWUHFKDPSGHYLVLRQSRXUGLVWLQJXHUDXSULQWHPSV GHX[«Y«QHPHQWVTXLGRLYHQWEHDXFRXS¢ODEUªFKHGHVSRVVLEOHV ouverte par les indignés dans le jeu social et politique espagnol depuis 2011. Deux événements préparés par des forces sociales et politiques TXLVHU«FODPHQWGHOȇHVSULWGX0GDQVODPHVXUHR»LOVU«FXVHQWmOH V\VWªPH}PDLVTXLRQWDXVVLGHVLQW«U¬WVSURSUHV&HV«Y«QHPHQWVQH GHYDLHQWULHQ¢OȇHIIHWGHVXUSULVHHW¢ODVSRQWDQ«LW«HWWRXW¢ODSU«SD- ration. /H VDPHGL PDUV  0DGULG D YX FRQYHUJHU OHV mPDUFKHV GH ODGLJQLW«}SDUWLHVGHGLII«UHQWVSRLQWVGHOȇ(VSDJQHRUJDQLV«HVHQKXLW FRORQQHV DFFXHLOOLHV K«EHUJ«HV QRXUULHV HW I¬W«HV SDU OHV 0DGULOªQHV qui ont voulu manifester avec les marcheurs. Celles-ci ont été initiées par le Syndicat andalou des travailleurs (SAT) et rejointes par de QRPEUHXVHV FRPSRVDQWHVFROOHFWLIV V\QGLFDWV DVVHPEO«HV ORFDOHV /H WULSOHPRWGȇRUGUHGHVPDUFKHV«WDLWm'XSDLQXQWRLWGXWUDYDLO}(Q FRQWUDGLFWLRQDYHFOȇHVSULWFLWR\HQHWQRQSDUWLVDQGȇRULJLQHGX0OHV drapeaux de syndicats et de partis nationalistes et républicains étaient YLVLEOHV1RQYLROHQWHODPDQLIHVWDWLRQQȇDG«J«Q«U«HQDIIURQWHPHQWV DYHFODSROLFHTXHORUVGHVDGLVVROXWLRQDYHFGHVKHXUWVTXLIXUHQWVXL- vis d’interpellations. Ce répertoire d’action rappela en fait les marches organisées dans toute l’Espagne par les indignés entre le 19 juin et le MXLOOHW  DYHF GHV KDOWHV GDQV OHV SHWLWHV YLOOHV HW XQH DUULY«H « triomphale » à Madrid. Ces marches de la dignité représentèrent un effort porté par des militants et de simples citoyens en vue de fédérer les différentes formes de protestation sociale des dernières années contre OD SROLWLTXH GX JRXYHUQHPHQW GX 3DUWL SRSXODLUH FDUDFW«ULV«H SDU OD régression des droits sociaux et l’austérité budgétaire. Bien que l’on soit ORLQGHOȇDQRQ\PDWIXVLRQQHOGHVG«EXWVFHVPDUFKHVSHUPLUHQWDXVVL de revivre ce que le 15-M avait de plus convivial : le partage d’espaces SXEOLFVOHUHODLVHQWUHJ«Q«UDWLRQVOHERQKHXUGHIDLUHQRPEUHOHVRX- tien des sympathisants.

193 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

Le résultat du vote aux élections européennes du 25 mai constitua OȇDXWUH «Y«QHPHQW GX SULQWHPSV  ‚ OD VXUSULVH J«Q«UDOH OH QRX- veau parti Podemos DSUªV VHXOHPHQW TXDWUH PRLV GȇH[LVWHQFH O«JDOH récolta 1 245 000 voix et remporta cinq sièges au Parlement européen. /D ȴJXUH P«GLDWLTXH GH VRQ OHDGHU 3DEOR ,JOHVLDV WUªV ERQ FRPPX- nicant et participant actif de plusieurs tertuliasGHVG«EDWVSROLWLTXHV W«O«YLV«V KHEGRPDGDLUHV IXW DLQVL FRQVDFU«H 7DQGLV TXH OH SDUWL IXW immédiatement dénigré et calomnié par l’« establishment » politique et OHVP«GLDVGHGURLWHGDQVODPRXYDQFHGX0OHVU«DFWLRQVYDULªUHQW GHOȇLQGLII«UHQFHDɚFK«H¢ODU«ȵH[LRQW¤WRQQDQWHVXUOȇRXYHUWXUHGȇXQH mIHQ¬WUH GȇRSSRUWXQLW«} G«PRFUDWLTXH HQ SDVVDQW SDU OD FULWLTXH GH l’opportunisme des dirigeants de Podemos'HIDLWHQPDLDSUªV G«M¢ SOXV GH VL[ DQQ«HV GH FULVH «FRQRPLTXH OHV FLUFRQVWDQFHV RQW FKDQJ«/DFULVHVRFLDOHSHUVLVWHOHVPRELOLVDWLRQVVRFLDOHVU«S«W«HVGHV GHUQLªUHVDQQ«HVQȇRQWGRQQ«TXHSHXGHU«VXOWDWVFRQFUHWVOHSRXYRLU donne des signes de raidissement et prépare une contre-attaque juri- dique et judiciaire musclée contre les activistes sociaux. Mais dans le P¬PHWHPSVOHVVLJQHVYLVLEOHVGȇXQHFULVHGHU«JLPHHWODG«VDɚOLD- tion politique croissante des Espagnols envers les partis traditionnels illustrent la fragilité du pouvoir. C’est ce moment propice que choisirent les militants de Podemos pour faire lever le grain de la contestation semé par le 15-M. 'XPRXYHPHQWLOVUHSULUHQWXQVORJDQFHQWUDOSi, Podemos m2XL QRXVSRXYRQV} OXLP¬PHG«ULY«GXF«OªEUHmYes, we can » popularisé par Barack Obama lors de la présidentielle américaine de 2008. Mais VXUWRXWPodemos a emprunté au 15-M certaines règles de fonctionne- PHQW FRPPH XQ PRGH GȇDɚOLDWLRQ VRXSOH VDQV FRWLVDWLRQ H[LJ«H  HW des formes de cyberactivisme : délibérations et forums de participation VXU LQWHUQHW 'H SOXV OH QRXYHDX SDUWL VȇLQVSLUH GHV SURSRVLWLRQV GX mouvement sur le contrôle démocratique : primaires ouvertes pour désigner les candidats aux élections ou à certaines fonctions ; possibi- lité de révoquer les élus ; limitation à deux mille euros des indemnités SDUOHPHQWDLUHVm/HSDUWLFȇHVWODP«WKRGH}DG«FODU«3DEOR,JOHVLDV Podemos invite ainsi ses sympathisants à constituer des cercles sur une EDVHORFDOHSURIHVVLRQQHOOHRXWK«PDWLTXHGHID©RQOLEUHHWDXWRQRPH ce qui rappelle l’organisation du 15-M. Il est encore trop tôt pour ana- O\VHUOHVIRUPHVGHG«O«JDWLRQGHFHUWLȴFDWLRQHWGHFRQWU¶OHGLULJHDQW que le parti va peut-être mettre en place pour limiter l’horizontalité et ODG«PRFUDWLHGLUHFWHHWDȴQGHUHQIRUFHUVHVSRVLWLRQVGDQVODFRQFXU- rence politique. Toujours est-il que suite aux élections européennes de

194 Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

PDLXQSDVPDMHXUIXWIUDQFKLYHUVXQHWUDQVIRUPDWLRQGHOȇLQGL- gnation sociale en un nouveau capital politique. 5HYHQLU¢SU«VHQWVXUODID©RQGRQWHVWQ«OHPRXYHPHQWGXPDL VXUVHVDFWHXUVVXUOHVIRUPHVTXȇLODDGRSW«HVHWVXUVHVSURSRVLWLRQV SHUPHWGHFRPSUHQGUHOȇLQȵXHQFHTXȇLODH[HUF«HHQWDQWTXHYHFWHXU d’insurrection morale. Peu susceptible de se perpétuer dans son état ini- WLDOFHWWHLQGLJQDWLRQDFRQQXGHVPXWDWLRQVWRXWSDUWLFXOLªUHPHQWHQ évoluant vers des formes d’indignation plus sélectives et spécialisées. Elle a servi de carburant à des acteurs sociaux différenciés qui se sont mobilisés pour défendre leurs objectifs propres. Elle a aussi changé de ODQJDJHHQ«SRXVDQWGȇDXWUHVUK«WRULTXHV6RQK«ULWDJHFHSHQGDQWHVW DXMRXUGȇKXLELHQSDOSDEOHHWQHVHODLVVHSDVIDFLOHPHQWHQIHUPHUGDQV GHV G«ȴQLWLRQV FDULFDWXUDOHV SRSXOLVPH DQWL«OLWLVPH VSRQWDQ«LVPH  ni même réduire à des slogans politiques (démocratie directe et parti- FLSDWLYH ‚UHERXUVGHFHVSU«VXSSRV«VLOLQFDUQHVXUWRXWXQHSKLORVR- phie de l’engagement social et de l’action politique3.

LA TOILE ET LA PLACE 6L OȇH[SORVLRQ GX 0 LQFDUQ«H SDU XQ PRLV GH FDPSHPHQW VXU OD 3XHUWD GHO 6RO HQ PDL D SULV GH FRXUW OȇRSLQLRQ SXEOLTXH HW OHV P«GLDV HOOH Qȇ«WDLW SDV H[DFWHPHQW XQH PªFKH TXL SUHQG IHX SDU accident. L’étape de gestation du mouvement montre un mélange d’actions dans l’espace public et d’organisation sur la Toile. Sur les U«VHDX[VRFLDX[RQSURWHVWDLWG«M¢FRQWUHODORL6LQGH «TXLYDOHQWGHOD loi Hadopi). Un groupe de militants s’organisait depuis décembre 2010 sous le nom de Democracia Real YaGDQVOHEXWH[SOLFLWHGHFDWDO\VHU l’énergie des mécontents. Il s’agissait d’une plateforme virtuelle regrou- pant par adhésion volontaire de petits groupes d’acteurs sociaux sans DɚOLDWLRQ SDUWLVDQH TXL VȇRUJDQLVDLHQW VXU GHV SRLQWV GH FRQWHVWDWLRQ du système économique et politique. L’interconnaissance et le mode WUDGLWLRQQHO GH OD U«XQLRQ \ MRXDLHQW DXVVL XQ U¶OH /H DYULO  un autre mouvement alors peu connu, Juventud Sin futuro, appelait à une manifestation de rue dans toute l’Espagne pour dénoncer les FRQGLWLRQVGHYLHGHODMHXQHVVH6DQVG«SDVVHUXQVXFFªVGȇHVWLPHFHV jeunes furent remarqués car leur manifestation prenait la suite d’une mobilisation analogue de la jeunesse au Portugal. Les réseaux créateurs de ces mouvements étaient principalement constitués de personnes de

šSylvie KƵƲƲƫƷ, « EURCIPGšNGUOCKPUHTCIKNGUFGUKPFKIPȌUzÉtudesHȌXTKGTR

195 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

YLQJW ¢ WUHQWH DQV D\DQW XQ KDXW QLYHDX Gȇ«WXGHV UHSU«VHQWDWLYHV GH ODJ«Q«UDWLRQTXHOȇRQGLWODPLHX[IRUP«HGHWRXVOHVWHPSVWRXWHQOD TXDOLȴDQWGHmJ«Q«UDWLRQSHUGXH}8QHQWUHVRLVROLGHPHQWWLVV«HWGHV OHDGHUVSRXUOȇKHXUHDQRQ\PHVQHFRQVWLWXDLHQWSDVXQOHYLHUVXɚVDQW Il fallait y ajouter les circonstances : la proximité des élections munici- SDOHVHWDXWRQRPLTXHVGXPDLSURSLFHV¢ODG«QRQFLDWLRQGHODFULVH des institutions démocratiques. Contexte électoral défavorable à une réaction répressive de la part des autorités. Un campement, des campements

La forme symbolique adoptée par ce premier cercle de manifestants VȇHVWDY«U«HODSOXVSURGXFWLYHFHOOHGXFDPSHPHQW¢FLHORXYHUWVXU XQHSODFHHPEO«PDWLTXHGHODYLHPDGULOªQHR»VHWURXYHOHVLªJHGH la communauté autonome4. Délogés une première fois après deux nuits GHFDPSHPHQWOHVPDQLIHVWDQWVFDPSHXUVRQWPRQWU«OHXUDSWLWXGH¢ U«RFFXSHUSDFLȴTXHPHQWODSODFHHQDFFURLVVDQWOHQRPEUHGHSDUWLFL- pants. La non-violence trouvait là à s’illustrer avec éclat. La deuxième SKDVHSOXVVSRQWDQ«HHWY«ULWDEOHPHQWVXUSUHQDQWHDFRQVLVW«¢FU«HU VXU OD SODFH XQ HVSDFH GH FRQȴDQFH UDVVHPEODQW GHV FDPSHXUV SHU- PDQHQWVHWGHVYLVLWHXUVGHVPLOLWDQWVH[S«ULPHQW«VHWGHVQRYLFHVHQ SROLWLTXHGHVV\PSDWKLVDQWVHWGHVFXULHX[ 4XH FHWWH SKDVH GX FDPSHPHQW VXU OD 3XHUWD GHO 6RO DLW SX GXUHU XQPRLVHQWLHUQHVHG«JUDGDQWTXHYHUVODȴQ¢FDXVHGHODSU«VHQFH GHPDUJLQDX[HWGȇHVFDUPRXFKHVDYHFODSROLFHIXWOHSULQFLSDOVXFFªV des indignés. Un succès qui reposait sur une philosophie de l’action inventée au fur et à mesure de l’occupation de la place : non-violence DɚUP«H RUJDQLVDWLRQ GȇXQH YLH PDW«ULHOOH GLJQH FU«DWLRQ GȇHVSDFHV SXEOLFV GH G«OLE«UDWLRQ SULVH GH G«FLVLRQ HQ DVVHPEO«HV WUDYDLO VS«- FLDOLV«HQFRPPLVVLRQV/DFU«DWLRQGȇXQHELEOLRWKªTXHGȇXQHJDUGHULH GHSRLQWVGHVHFRXUVODU«FHSWLRQHWOHSDUWDJHGȇDOLPHQWVOHQHWWR\DJH U«JXOLHU GH OD SODFH OD PLVH HQ SODFH GH PR\HQV GH FRPPXQLFDWLRQ SURSUHV RQW EHDXFRXS FRQWULEX« ¢ OD SRSXODULW« GX 0 ,O QȇHVW SDV excessif de dire que ces expérimentations relevaient de l’autogestion et GHODG«PRFUDWLHGLUHFWHDXVHLQP¬PHGXPRXYHPHQWHWTXȇHOOHVRQW permis de conserver un capital de sympathie et d’attirer de nouveaux SDUWLFLSDQWVDXGHO¢P¬PHGHVIURQWLªUHVHVSDJQROHV&HUWDLQVG«WDLOV

šNacima BƧƷƵƴ YƫƲƲʣƸ, « Puerta del Sol versus les indignés. Une lecture de la crise espa gnole au prisme de l’espace public », UrbanitésPoPQXGODTG=JVVRYYYTGXWGWTDC PKVGUHT!U Puerta + del + Sol].

196 Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

comme l’usage d’un langage gestuel dans les assemblées au lieu des tra- GLWLRQQHOVP«JDSKRQHVȴUHQWPRXFKHHWGHPHXUHQWGDQVOȇLPDJLQDLUH GHFHPRLVGȇRFFXSDWLRQGHODSODFH'HP¬PHHQFKRLVLVVDQWGHSU«- VHQWHUGHVSRUWHSDUROHVWRXUQDQWVDX[P«GLDVOHVLQGLJQ«VRQWVLJQLȴ« concrètement leur refus du leadership et de la notoriété médiatique.

Photo 7.1. La Puerta del Sol, le 20 mai 2011

Deux événements ont donné une grande résonance médiatique au mouvement pendant la phase du campement et en ont renforcé la FRK«VLRQ7RXWGȇDERUGOHVLQGLJQ«VRQWUHIXV«GHVHSOLHUDX[FRQVLJQHV de l’organisme électoral qui demandait que soit strictement respectée ODMRXUQ«HGHU«ȵH[LRQODYHLOOHGXVFUXWLQPXQLFLSDOGXPDL,OVRQW incarné cette désobéissance civile en restant sur les places du vendredi au samedi. Le grand rassemblement le soir du samedi 21 mai sur la 3XHUWD GHO 6RO OD PLQXWH GH VLOHQFH ¢ PLQXLW OHV ERXFKHV FRXVXHV GH VSDUDGUDSRQWFU««XQHY«ULWDEOHLFRQRJUDSKLHGX08QHVHPDLQH SOXV WDUG OHV LQGLJQ«V GH %DUFHORQH «WDLHQW FKDVV«V GH OD 3ODFH GH &DWDORJQHSDUODSROLFH/HVLPDJHVGHFHWWH«YLFWLRQSDUODIRUFHȴUHQW le tour de l’Espagne et suscitèrent immédiatement des manifestations GHVROLGDULW«SXLVXQHU«RFFXSDWLRQGHOD3ODFHGH&DWDORJQH$XGHO¢ GHVS«ULS«WLHVSURSUHVDX[PRXYHPHQWVGHUXHFHW«Y«QHPHQWVRXOLJQH

197 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

le fait que le 15-M commençait à transcender les clivages nationalistes et territoriaux. Le socle intergénérationnel du mouvement des indignés

'HP¬PHTXȇLOWUDQVFHQGDLWOHVFOLYDJHVWHUULWRULDX[OH0G«SDV- VDLW OHV FOLYDJHV J«Q«UDWLRQQHOV ‚ FH VWDGH SOXVLHXUV J«Q«UDWLRQV VH trouvèrent rassemblées. Il ne s’agissait pas seulement du soutien des DGXOWHV¢XQHJ«Q«UDWLRQPDUTX«HSDUODSU«FDULW«HWOHFK¶PDJHPDLV d’une inscription dans l’histoire contemporaine des générations. Ces jeunes de vingt à trente ans qui campaient et délibéraient sur la Puerta del Sol étaient les enfants des Espagnols qui s’étaient mobilisés pour ins- WDXUHUGHVHVSDFHVG«PRFUDWLTXHV¢ODȴQGXIUDQTXLVPHHWSHQGDQWOD période de la transition démocratique (1975-1982). La crise de la démo- FUDWLHHVSDJQROHG«FHYDLW OHV XQVHW OHV DXWUHV WDQGLVTXHOH VRXYHQLU des luttes passées se trouvait ravivé. La présence d’une « Commission 9«W«UDQV}VXUODSODFHGªVOHVSUHPLHUVMRXUVGXPRXYHPHQWSU«ȴJXUD GȇDLOOHXUVODFRQVWLWXWLRQGȇXQHEUDQFKHSDUWLFXOLªUHGHVD°Q«VGX0 celle des ,DLRȵDXWDVTXL«PHUJHDGȇDERUG¢%DUFHORQHHQRFWREUH SXLV HVVDLPHUD DLOOHXUV HQ &DWDORJQH HW DYHF PRLQV GH IRUFH GDQV d’autres villes espagnoles5. L’une des rubriques du manifeste fondateur des ,DLRȵDXWDV met en «YLGHQFHXQHIIHWJ«Q«UDWLRQQHOWUªVFODLUSDUODU«I«UHQFHH[SOLFLWHDX[ luttes contre la dictature franquiste6(QUHYHQGLTXDQWmY«ULW«MXVWLFH HWU«SDUDWLRQ}SRXUOHVYLFWLPHVGHODJXHUUHFLYLOHHWGXIUDQTXLVPH FHVPLOLWDQWV¤J«VGHSOXVGHVRL[DQWHGL[DQVLVVXVSRXUODSOXSDUWGH V\QGLFDWVHWGHSDUWLVGHJDXFKHPHWWDLHQWOHGRLJWVXUOHVIDLOOHVHWOHV RXEOLVGXmSDFWHGXVLOHQFH}GHODWUDQVLWLRQOȇDPQLVWLHD\DQW«W«DFFRU- dée aux anciens dignitaires franquistes en échange de leur acceptation GHODG«PRFUDWLH‚OHXUPDQLªUHSDUOHXUVGHPDQGHVGHU«SDUDWLRQHW GHMXVWLFHLOVH[SULPDLHQWXQHUHPLVHHQFDXVHGHFHSDFWHGHODWUDQVL- WLRQG«PRFUDWLTXHHWGXPRGªOHFRQVWLWXWLRQQHOOXLP¬PHTXHSRUWDLW G«VRUPDLVOHPRXYHPHQWFRQWHVWDWDLUH/HPRXYHPHQWGX0HQVH VDLVLVVDQWGHVGURLWVIRQGDPHQWDX[LQVFULWVGDQVODFRQVWLWXWLRQGHO exprima aussi une critique du modèle démocratique incarné par cette constitution.

šCe terme retourne un stigmate attaché au mot « Perroflautas », une façon péjorative de désigner les marginaux urbains. šIaioflautas, « EN PQUVTG OCPKHGUVz QEVQDTG  =JVVRYYYKCKQHNCWVCUQTIGNPQUVTG OCPKHGUVECUVG llano] consulté en août 2014.

198 Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

Comment s’organiser ? Occupations, assemblées et extension du mouvement

Une autre dimension de cette philosophie de l’action fut l’essaimage presque immédiat du 15-M dans d’autres villes et sa déconcentration en assemblées de quartiers à partir du 28 mai. Des groupes constitués ont pu continuer à se rassembler après l’étape du campement de la Puerta GHO 6RO HW HQWUHWHQLU OD ȵDPPH SHQGDQW WRXW Oȇ«W« $LQVL RQWLOV PDQL- festé contre la tenue à Madrid des Journées mondiales de la jeunesse RUJDQLV«HVSDUOȇ‹JOLVHFDWKROLTXHG«QRQ©DQWOȇXVDJHGHOȇDUJHQWSXEOLF DXSURȴWGHFHW«Y«QHPHQW/HVIRUPHVGHSDUWLFLSDWLRQFROOHFWLYHKRUL- zontales trouvèrent bien entendu en elles-mêmes leurs limites : épuise- ment en discussions interminables ; empilement des propositions sans hiérarchie ; temps passé dans des navettes entre les différentes assem- EO«HVGLɚFXOW«¢SUHQGUHGHVG«FLVLRQVSDUFRQVHQVXVRX¢PHWWUHDX point un autre mécanisme de décision juste. Ce bouillonnement confus rappelle ainsi les formes dites horizontales du cyber-activisme : chats IRUXPVZLNLV«FULWXUHFROOHFWLYHVXUGHVWDEOHWWHVHWF/HWHPSVLQYHVWL GDQVODG«ȴQLWLRQGHUªJOHVGHG«OLE«UDWLRQHWGHPRGHVGȇRUJDQLVDWLRQ a pu sembler stérile pour certains observateurs. Il fut au contraire IRQGDPHQWDOFRPPHLQLWLDWLRQSROLWLTXHDXVHLQGȇXQPRXYHPHQWTXL récusait par principe la démocratie représentative7. /DU«VRUSWLRQGHFHWWHG\QDPLTXHmDVVHPEO«LVWH}HWQRQYLROHQWH SURSUH¢UDVVHPEOHUOHV(VSDJQROVDXWRXUGXPRXYHPHQWDXSURȴWGH JURXSHVGHPLOLWDQWVSOXVVS«FLDOLV«VSRUWHXUVGHODFXOWXUHSROLWLTXHHW GHVSUDWLTXHVGHODJDXFKHUDGLFDOHDUHSU«VHQW«XQHPXWDWLRQHWXQH mutilation8. De l’étape fondatrice du premier mois émerge cependant une sorte d’« organigramme idéal » ainsi formalisé de façon simple GDQVVDYHUVLRQPDGULOªQHVRXVIRUPHGHPRGHGȇHPSORL — l’assemblée symbolisée par le campement de Sol essaime en assemblées de quartier tenues sur des places ou d’autres espaces ouverts ; — chaque assemblée de quartier crée librement en son sein des groupes de travail et de discussion et occupe son propre lieu ;

šL’épuisement de telles formes de mobilisation, et leur incapacité à proposer une rénovation du système politique sont pointés comme un échec prévisible par JGCPJacques KƵƺƷƲƯƧƴƸƱƾ, « Espagne, Brésil, des indignations évanescentes », Revue internationale et stratégique, nº 93, RCe chercheur souligne aussi l’absence d’horizons communs aux partici pants. šJQUȌLuis MƵƷƫƴƵPƫƸƹƧʫƧ, « Vie et mort des assemblées », La vie des Idées, 25 mars 2013 =JVVRYYYNCXKGFGUKFGGUHTVKGGVOQTVFGUCUUGODNGGUJVO?EQPUWNVȌGPCQțV

199 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

— les délibérations de l’assemblée Sol se nourrissent du travail des FRPPLVVLRQVWK«PDWLTXHV «FRQRPLHI«PLQLVPHJUªYHJ«Q«UDOHȐ  — le mouvement met sur pied des groupes de travail spécialisés G«IHQVHO«JDOHFRPPXQLFDWLRQSU«SDUDWLRQGȇ«Y«QHPHQWV SRXUDVVX- rer la longévité et la protection du mouvement9. /ȇDUWLFXODWLRQ WHUULWRULDOH GX PRXYHPHQW GRQW OH S«ULPªWUH «WDLW ODLVV«¢OȇLQLWLDWLYHGHVFLWR\HQVVHGRXEODLWGRQFGȇXQHVS«FLDOLVDWLRQ L’avantage de cette spécialisation fut de permettre la participation de JURXSHV VRFLDX[ WUªV GLYHUV FRQVWLWX«V VXU OD EDVH GȇXQ LQW«U¬W FRP- PXQTXHFHWLQW«U¬WVRLWOHJR½WSRXUGHVIRUPHVGȇDFWLRQRXFHOXLGHV idées. L’inconvénient de ce mode d’organisation fut la prolifération de groupes rassemblés autour de causes très hétéroclites : la défense de la 3DOHVWLQHODOXWWHFRQWUHOHVH[SXOVLRQVORFDWLYHVODUHPLVHHQFDXVHGH ODGHWWHSXEOLTXHODOXWWHSRXUODOD±FLW«ODUHYHQGLFDWLRQGHODP«PRLUH historique et bien d’autres sujets d’indignation et de mobilisation. Le résultat fut aussi l’inévitable raréfaction d’une ressource capitale : le temps investi. Il va en effet de soi qu’une telle organisation dépend «WURLWHPHQWGHODGLVSRQLELOLW«GȇHVSDFHVSXEOLFVR»OHVPLOLWDQWVVHURQW WRO«U«VPDLVDXVVLGȇXQWUDYDLOGHFRRUGLQDWLRQ¢SOXVLHXUV«WDJHVLQV- WDOO«VXUODORQJXHGXU«HHWGHOȇXWLOLVDWLRQGȇRXWLOVGHFRPPXQLFDWLRQ DGDSW«V6XUOHSODQGHODFRRUGLQDWLRQLOHVWSHUPLVGHFRQVLG«UHUTXH OHV LQGLJQ«V VH VRQW TXHOTXH SHX mFDVV« OHV GHQWV} 7RXWHIRLV LOV VH VRQWPRQWU«VSUROLȴTXHVGDQVODPLVHHQOLJQHGHGRFXPHQWVGHU«I«- rence destinés à leurs sympathisants et dans l’utilisation des réseaux sociaux. La radio locale du mouvement a elle aussi joué un rôle dans la PRELOLVDWLRQ GȇDXWDQW SOXV TXH OHV P«GLDV GLWV WUDGLWLRQQHOV VXVFLWHQW ODP«ȴDQFHGHVLQGLJQ«V/ȇDJHQGDDFWXHOGHVPLOLWDQWVG«PRQWUHDXVVL TXHODWHQXHGȇDVVHPEO«HVGDQVGHVOLHX[SXEOLFVSHUGXUHVXUGHVSODFHV mais aussi dans des parcs ou des lieux déclarés ouverts par occupation spontanée. Une autre dimension de cette étape initiale est désormais bien DQFU«HODSXEOLFLW«GHVG«EDWVVRXVIRUPHGȇRUGUHGXMRXUSXEOLFVHW de comptes-rendus de réunions mis en ligne. On peut ainsi suivre dans la durée les hauts et les bas des différentes « marques franchisées » du 0 OHV HQTX¬WHV TXȇHOOHV ODQFHQW DXSUªV GHV DVVHPEO«HV ORFDOHV RX DXSUªVGHVSHUVRQQHVLQVFULWHVVXUOHXUVU«VHDX[VRFLDX[WRXWHQOLVDQW les commentaires postés sur leurs sites. L’ensemble de ces documents

9. « Especial APKXGTUCTKQM », op. cit., mai 2014, p. 22. L’article rappelle la méthode d’orga nisation instaurée en mai 2011.

200 Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

GRQQHFRUSVHQTXHOTXHVRUWHDX[DUFKLYHVYLUWXHOOHVGXPRXYHPHQW FHUWHV WUªV «FODW«HV VRXYHQW DIIHFW«HV GH GLVFRQWLQXLW« HW WUXII«HV GH liens hypertexte vers d’autres sites de mouvements sociaux ou d’orga- nisations connexes. Cette façon de procéder est à mettre en relation DYHFOȇLPS«UDWLIGHWUDQVSDUHQFHPDLQWHVIRLVDɚUP«FRPPHKRUL]RQ G«PRFUDWLTXH TXH OȇRQ WHQWH GH VȇDSSOLTXHU ¢ VRLP¬PH10. Comme l’ont montré par la suite les autres mouvements qui s’ancrèrent aussi symboliquement sur différentes places du monde (Place de la perle ¢ 0DQDPD DX %DKUH±Q 7DKULU HQ ‹J\SWH 6\QWDJPD HQ *UªFHHWF  OHV RXWLOV QXP«ULTXHV VȇDYªUHQW SOXV HɚFDFHV SRXU FRQYRTXHU GHV manifestations réelles et pour échanger entre sympathisants que pour DUWLFXOHUXQGLVFRXUVDXGLEOHSDUOȇHQVHPEOHGHODVRFL«W«/DGLIIXVLRQ l’appropriation et même la transformation des idées et des propositions H[SULP«HVSDUOH0GDQVODSKDVHLQLWLDOHVXUOD7RLOHHWVXUOD3ODFH HVWXQSK«QRPªQHGLɚFLOH¢FHUQHU4XHOOHTXHVRLWOȇDSSU«FLDWLRQTXH OȇRQSRUWHVXUFHVLG«HVLOIDXWWRXMRXUVOHVPHWWUHHQUDSSRUWDYHFGHV formes d’action dans le monde réel. L’importance de l’expérimentation sociale

Lorsque fut retombé l’effet euphorisant des rassemblements de IRXOHV OHV LQGLJQ«V VȇLQW«UHVVªUHQW ¢ GȇDXWUHV PRXYHPHQWV VRFLDX[ organisés autour d’objectifs concrets. Ils furent ainsi partie prenante de ODOXWWHFRQWUHOHVH[SXOVLRQVORFDWLYHVGDQVXQFRQWH[WHR»OHVEDQTXHV n’hésitent pas à chasser de leur logement de nombreuses familles IUDSS«HVSDUOHFK¶PDJHTXLQHSHXYHQWSOXVIDLUHIDFHDXSDLHPHQW de leurs emprunts immobiliers. Le 15-M a aussi débouché sur de nom- EUHXVHVH[S«ULHQFHVFROOHFWLYHVWHOOHVTXHOHVmEDQTXHVGXWHPSV}OHV FRRS«UDWLYHVGHFRQVRPPDWLRQOHVMDUGLQVFRPPXQDXWDLUHVOHWURFRX encore l’occupation de locaux collectifs11. Cette seconde phase allait de SDLUDYHFXQFHUWDLQHVVRXɛHPHQWGHVIRUPHVLQLWLDOHVGHODPRELOLVD- WLRQGHYHQXHVSOXVLQWHUPLWWHQWHVHWPRLQVVSHFWDFXODLUHV8QFHUWDLQ HVSULWGHPHXUDLWKRUL]RQWDOHWFRRS«UDWLIWHOTXȇRQOȇDYDLWYX¢OȇĕXYUH pendant l’étape des campements sur les places. Bien que le mot ne ȴJXUHSDVH[SOLFLWHPHQW¢FHWWH«SRTXHGDQVOHVGRFXPHQWVPLOLWDQWVLO s’agit d’une forme d’empowerment¢OȇHVSDJQROHFHUWHVQRQWK«RULV«H

šCGVVGTȋINGUQWHHTGFGUGZEGRVKQPUšDemocracia Real YaPGFKHHWUGRCUNGUEQORVGUTGPFWU de ses discussions internes à ses membres. šLes banques du temps sont des systèmes d’échange locaux, de services et des compé tences dans un esprit de coopération. Il s’agit d’une forme élaborée de troc de services non marchands, géré par des associations ou des collectivités locales.

201 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

PDLVYLVDQWFODLUHPHQW¢OȇDXWRRUJDQLVDWLRQ*DJQHUGHVHVSDFHVGȇDXWR- nomie et s’organiser en dehors des circuits marchands peut donner à des petits groupes de personnes le sentiment de prendre leur vie FROOHFWLYH HQ PDLQ DORUV TXH OH ȴQDQFHPHQW GHV DVVRFLDWLRQV VRFLDOHV et culturelles se réduit comme peau de chagrin. Il ne s’agit cependant SDV GH VH VXEVWLWXHU DX[ G«IDLOODQFHV GH Oȇ‹WDWSURYLGHQFH OHV P¬PHV individus se trouvant engagés dans ces formes d’organisation autocen- trées et dans la défense publique de droits collectifs comme l’accès à la culture12&ȇHVWGDQVFHWWHPXWDWLRQFU«DWLYHGHVPRELOLVDWLRQVLQLWLDOHV dont la force intrinsèque demeure comme moteur de la protestation PDLVVXUWRXWGHOȇHQJDJHPHQWTXHVHMRXHODSRVW«ULW«GX0(QFH VHQV OH PRXYHPHQW «FKDSSH DX[ FDW«JRULVDWLRQV WUDGLWLRQQHOOHV FDU VRQLQG«ȴQLWLRQSROLWLTXHQHOȇDSDVVW«ULOLV«VRFLDOHPHQW(OOHOXLDDX contraire permis de durer dans l’imaginaire collectif et de porter des WKªPHVGHPRELOLVDWLRQTXHOHFKHUFKHXU-«U¶PH)HUUHWW«PRLQHWDQD- O\VWHGHWRXWHFHWWHS«ULRGHDSSHOOHGHVmXQLYHUVHOVGDQVOHFRQFUHW} TXLDVVRFLHQWOHUHJLVWUHSURWHVWDWDLUHDX[UHJLVWUHV«FRQRPLTXHVDVVR- ciatifs et caritatifs13. ‚0DGULGOH0VȇHVWGHP¬PHGRW«GªVOHVSUHPLHUVMRXUVGȇXQ outil culturel et militant qui porte l’emblème du Soleil (Sol) et accom- pagne ses actions : le chœur et l’orchestre Solfónica14. Des musiciens ont d’abord joué le quatrième mouvement de la Neuvième Symphonie de Beethoven sur la place de Neptune. Cette performance s’est répétée lors des grandes manifestations du 19 juin et du 15 octobre 2011. Les musi- FLHQV HWFKRULVWHVYRORQWDLUHV VHG«ȴQLVVHQW FRPPHmOHEUDVV\PSKR- nique des marées et manifestations citoyennes ». La Solfónica est consti- WX«H GȇXQH EDVH GH GHX[ FHQWV PXVLFLHQV DPDWHXUV HW SURIHVVLRQQHOV VDQVGLVWLQFWLRQ/ȇHQVHPEOHHVW¢J«RP«WULHYDULDEOHU«XQLVVDQWYLQJW¢ TXDUDQWHSHUVRQQHVSRXUFHUWDLQVFRQFHUWVSDUIRLVGDYDQWDJHSRXUOHV JUDQGV«Y«QHPHQWV,OMRXHDXVVLELHQGDQVGHVI¬WHVGHTXDUWLHUORUV Gȇ«Y«QHPHQWVFRPPHOH)RUXPVRFLDOPRQGLDOTXȇ¢ODȴQGHPDQLIHVWD- tions de rue dont le concert est le point d’orgue. Chacun peut téléchar- ger les paroles des chansons et les partitions pour se familiariser avec le répertoire et chacun peut faire partie de la SolfónicaTXHOTXHVRLW

šCf. Joan SƺƨƯƷƧƹƸ, Otra Sociedad, ¿OWUDSRO¯WLFD̰"De « no nos representan » a la democracia común, Barcelona, Icaria, 2011, 104 p. Joan Subirats, professeur de sciences politiques, est l’un FGURQTVGRCTQNGFGNCRNCVGHQTOGGuanyem Barcelona. šJérôme FƫƷƷƫƹ, « Des avenirs minoritaires. Retour sur l’expérience politique des indignés espagnols », MouvementsPyR šChœur Solfónica, [SQNHQPKECYQTFRTGUUEQO?EQPUWNVȌGPUGRVGODTG

202 Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

VRQQLYHDXPXVLFDO/DPR\HQQHGȇ¤JHGHVFKRULVWHVHVWDVVH]«OHY«HFH TXLSHXWVȇH[SOLTXHUSDUOHU«SHUWRLUHOXLP¬PHSHXVXVFHSWLEOHGȇDWWL- rer des jeunes. Ce répertoire reprend de célèbres chansons engagées comme L’Estaca GH /XLV /ODFK Grandola Vila Morena GH -RV« $IRQVR GHVYHUVLRQVUHQRXYHO«HVGHFKDQWVGHODJXHUUHGȇ(VSDJQHGHVFKDQWV populaires et des pièces de circonstance créées par et pour la Solfónica. Le clou de l’année 2013 fut la mise en scène d’un opéra-bouffe donné plusieurs fois à guichets fermés à la Tabacalera : El crepúsculo del ladril- loOHmFU«SXVFXOHGHODEULTXH}HQU«I«UHQFH¢ODEXOOHLPPRELOLªUHHW ¢ODFULVHGXE¤WLPHQWVXUXQOLYUHWGH-RV«0DQXHO1DUHGRGDWDQWGHV DQQ«HVHWXQHPXVLTXHGH'DYLG$OHJUHOHGLUHFWHXUGXFKĕXUHW de l’orchestre. La vie sociale de la Solfónica repose sur ses représenta- tions mais aussi sur les répétitions et sur des ateliers d’initiation aux nouvelles technologies. Cet orchestre et ce chœur sont l’exemple le plus YLVLEOH GH OD VXUYLH GX 0 ¢ 0DGULG ¢ WUDYHUV OD SHUS«WXDWLRQ GȇXQ collectif de musiciens amateurs et professionnels engagés.

DE L’INSURRECTION MORALE AUX PROPOSITIONS DE CHANGEMENT m1LIDFH$QLIDFH%RQYHXWFKDQJHUGHGLVTXH}m1RXVQHVRPPHV SDV FRQWUH OH V\VWªPH FȇHVW OH V\VWªPH TXL HVW FRQWUH QRXV} m&H QȇHVWSDVXQHFULVHFȇHVWXQHHVFURTXHULH}m+DXWOHVPDLQVFȇHVWXQ FRQWUDW}m5HEHOOHVVDQVWRLW}m0HVU¬YHVVRQWWURSJUDQGVSRXUWHV XUQHV}m6LYRXVQHQRXVODLVVH]SDVU¬YHUQRXVQHYRXVODLVVHURQVSDV GRUPLU}4XHOTXHVXQVGHVVORJDQVGHPDLQȇ«WDLHQWSDVSROLWLTXHV DXVHQVVWULFWGXWHUPH/HXUSRUW«H«WDLWSOXVODUJHHWSOXVLQG«ȴQLH 3DU OD VXLWH OȇDWWHQWLRQ P«GLDWLTXH VȇHVW SRUW«H VXU OHV SURWHVWDWLRQV DQWLFDSLWDOLVWHVVHU«FODPDQWGHVLQGLJQ«VHWVXUOHVORJDQGXPRXYH- ment Occupy Wall Streetm1RXVVRPPHVLOVVRQW}0DLVHQ (VSDJQHOȇXQGHVVORJDQVOHVSOXVUHSULVIXWmNo nos representan » (« Ils QH QRXV UHSU«VHQWHQW SDV}  FH TXL PHWWDLW GDYDQWDJH OȇDFFHQW VXU OH manque de représentativité démocratique du personnel politique que VXUOHUHMHWGHOȇROLJDUFKLHȴQDQFLªUHPRQGLDOH'LJQLW«GXSHXSOHLQGL- JQLW«GHVSROLWLTXHV(X[HWQRXVPDLVTXHOQRXV"9RLFLFHTXȇ«QRQ©DLW le début du premier manifeste adopté par consensus pour inaugurer le campement de la Puerta del Sol :

4XLVRPPHVQRXV"'HVSHUVRQQHVYHQXHVLFLGHQRWUHSOHLQJU«TXLRQW décidé de nous réunir après la manifestation pour continuer à revendi-

203 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

quer la dignité et la conscience politique et sociale. Nous ne représentons DXFXQSDUWLDXFXQHDVVRFLDWLRQ&HTXLQRXVUDVVHPEOHFȇHVWOȇDSSHODX changement. Nous sommes ici en signe de dignité et de solidarité avec ceux qui ne peuvent pas être ici15.

$LQVL VȇH[SULPDLHQW DORUV OHV LQGLJQ«V RSSRVDQW XQ mQRXV} PRUDO ¢ FHW mDXWUH} OD FODVVH SROLWLTXH 6ȇDJLWLO SRXU DXWDQW GȇXQ FHUWDLQ « populisme » ? On peut en douter. Le rejet n’était pas seulement un rejet viscéral de principe. Il prenait clairement pour cible des dysfonctionne- PHQWVSU«FLVGHODYLHG«PRFUDWLTXHHVSDJQROHFRPPHRQOHYRLWGDQV le second manifeste adopté par l’assemblée le 20 mai 201116. Parmi les VHL]H SURSRVLWLRQV ȴJXUDLW HQ SUHPLHU SRLQW OD PRGLȴFDWLRQ GH OD ORL «OHFWRUDOHDȴQGȇLQVWDXUHUXQHFLUFRQVFULSWLRQXQLTXHGDQVWRXWOHSD\V des listes ouvertes et un système proportionnel. Le point 6 demandait de même que la loi électorale obligeât les partis à présenter des listes mSURSUHV} R» QH ȴJXUHUDLHQW SDV GH SHUVRQQHV PLVHV HQ H[DPHQ RX condamnées pour corruption. Le point 5 proposait « une réforme des conditions de travail de la classe politique » et prévoyait de supprimer OHVmVDODLUHVYHUV«V¢YLH}DX[SDUOHPHQWDLUHVHQFRQVRQDQFHDYHFOD perception populaire d’un personnel politique formant une caste de privilégiés. Le point 13 portait sur une séparation effective des pouvoirs H[«FXWLIO«JLVODWLIHWMXGLFLDLUH/DPRUDOLVDWLRQGHODYLHSXEOLTXHVȇH[- SULPDLWDXSRLQWSDUOȇH[LJHQFHGHWUDQVSDUHQFHGDQVOHVFRPSWHVGHV SDUWLVHWGHOHXUȴQDQFHPHQWDȴQGHOXWWHUFRQWUHODFRUUXSWLRQ 'ȇDXWUHV SURSRVLWLRQV RQW GH P¬PH «W« IRUPXO«HV VXU OD 7RLOH comme celle d’incarner les votes blancs et nuls par des sièges vides au Parlement. Le 15-M n’est donc pas un mouvement apolitique comme on a pu le dire. Il n’a pas renoncé aux idéaux démocratiques. Il a plutôt tenté d’incarner ces idéaux dans les formes de la démocratie délibé- UDWLYH DORUV P¬PH TXH OHV SDUWLV SROLWLTXHV H[LVWDQWV RQW «W« U«FXV«V comme incapables de faire vivre ces idéaux démocratiques17. Nombre GȇREVHUYDWHXUVVHFRQVLG«UDQWFRPPHTXDOLȴ«VHQWDQWTXHVS«FLDOLVWHV de sciences politiques ou en tant qu’élus n’ont pas manqué de souli- gner les impasses de la démocratie directe et participative prônée par le 15-M. Mais la plupart ont reconnu un malaise dans la démocratie

šTraduction de l’auteur, pour cet extrait et tous les extraits suivants. šToma la Plaza RTQRQUKVKQPU FW OCK  =JVVROCFTKFVQOCNCRNC\CPGV RTQRWGUVCUOC[Q?EQPUWNVȌGPUGRVGODTG šEduardo RƵƳƧƴƵƸ, « Les indignés et la démocratie des mouvements sociaux », La vie des idées PQXGODTG  =JVVRYYYNCXKGFGUKFGGUHTLGUIPFKIPGUGVNCFGOQETCVKGFGU JVON!NCPI HT?

204 Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

représentative et un fossé grandissant entre les élus et la population18. /D IDLEOHVVH SROLWLTXH YRORQWDLUH GX 0 DORUV ELHQ LQFDSDEOH GȇDUWL- FXOHUXQSURJUDPPHDFRQVLVW«¢UHQYR\HUGRV¢GRVWRXVOHVSDUWLVHW à ne donner aucune consigne de vote pour les élections législatives de QRYHPEUH&HSHQGDQWHQWDQWTXHWHOOHVOHVDVSLUDWLRQVGXPRX- vement n’ont pas été délégitimées. Elles se retrouvent en 2014 dans le SURJUDPPHGHVSDUWLVTXLVHU«FODPHQWGHQRXYHDX[PRGªOHVHWGDQV les tentatives d’aggiornamiento de partis de gauche plus classiques. L’appel au changement s’est également incarné dans des propo- sitions portant sur le respect des droits économiques et sociaux ins- FULWV GDQV OD FRQVWLWXWLRQ GH  GURLW DX ORJHPHQW ¢ XQ V\VWªPH GH VDQW« JUDWXLW HW XQLYHUVHO SURWHFWLRQ GHV FRQGLWLRQV GH WUDYDLO SDU OD ORL )UDJLOLV«V SDU OD FULVH «FRQRPLTXH FHV GURLWV VHPEODLHQW G«M¢ remis en cause par les mesures prises par le gouvernement de José /XLV =DSDWHUR $SUªV OHV «OHFWLRQV O«JLVODWLYHV GH QRYHPEUH OHV mobilisations incessantes contre les mesures économiques et sociales SULVHV SDU OH JRXYHUQHPHQW GX 3DUWL SRSXODLUH RQW DPSOLȴ« Oȇ«FKR GH ces revendications premières. D’une autre nature sont les propositions GHU«IRUPHUOȇRUGUH«FRQRPLTXHH[LVWDQWWDQWVXUOHSODQQDWLRQDOTXH sur le plan international. Le catalogue des propositions adoptées le 20 mai 2011 convergeait avec l’agenda de la gauche radicale et avec les PRXYHPHQWVDOWHUPRQGLDOLVWHVLPSODQWDWLRQGHODWD[H7RELQVXSSUHV- VLRQGHVSDUDGLVȴVFDX[OLPLWDWLRQGXSRXYRLUGX)0,HWGHOD%DQTXH centrale européenne. D’autres propositions ont du sens par rapport à la crise économique HVSDJQROHUHSULVH GHV HQWUHSULVHV SXEOLTXHV SULYDWLV«HV QDWLRQDOLVD- WLRQGHVEDQTXHVUHQȵRX«HVSDUOȇ‹WDW/HVPDUFK«VOHVHFWHXUEDQFDLUH HWODWUR±ND %&(8()0, RQW«W«YRX«VDX[J«PRQLHVDXIXUHW¢PHVXUH que les décisions du gouvernement du Parti populaire se faisaient plus durement sentir. Les militants du Forum social mondial de Madrid se sont d’ailleurs intéressés au 15-M. Lors de la cinquième édition du )RUXPHQPDLOHVDVVHPEO«HVSRSXODLUHVGH0DGULGHWSOXVLHXUV commissions de travail du 15-M étaient invitées en tant que telles à par- ticiper à des ateliers-débats. Ce rapprochement est à mettre en rapport avec la volonté d’internationaliser la Spanish Revolution à l’automne  VXU GHV EDVHV SOXV ODUJHV TXH OHV VHXOHV FDXVHV GH OȇLQGLJQDWLRQ en Espagne. La grande manifestation du 15 octobre 2011 se voulait une manifestation mondiale.

18. « Difícil democracia sin líderes », El País, 28 juin 2011.

205 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

Le mouvement des indignés ne constitue donc pas un mouvement de UXSWXUHDXVHQVU«YROXWLRQQDLUHGXWHUPH/DG«ȴQLWLRQTXȇHQDGRQQ«H .LNH&DVWHOOµFRIRQGDWHXUGHODSODWHIRUPHDemocracia Real YaVHPEOH SOXVSHUWLQHQWHTXRLTXȇHOOHGHPHXUHDVVH]YDJXHFHOOHGȇXQOREE\GH citoyens19. Le plus intéressant est le fait que bien des Espagnols se UHFRQQDLVVDLHQWGDQVFHOREE\GHFLWR\HQVFRPPHOȇDWWHVWHQWOHVU«VXO- tats du sondage Metroscopia publiés en juillet 2011 : 64 % des personnes interrogées déclaraient avoir plutôt de la sympathie pour le 15-M ; 79 % déclaraient que les motifs de mobilisation du mouvement étaient IRQG«V OȇLGHQWLȴDLHQW FRPPH XQ PRXYHPHQW SDFLȴTXH YLVDQW¢ U«J«Q«UHU OD G«PRFUDWLH 4XDWUH SURSRVLWLRQV DYDQF«HV SDU OH  0 recueillaient entre 86 % et 89 % de réponses favorables : le caractère LPSUHVFULSWLEOH GHV G«OLWV GH FRUUXSWLRQ OȇLQWHUGLFWLRQ GHV OLFHQFLH- PHQWVFROOHFWLIVORUVTXȇXQHHQWUHSULVHU«DOLVHGHVE«Q«ȴFHVODUHVWLWX- tion de l’argent public prêté aux banques et aux caisses d’épargne en GLɚFXOW«HWODSRVVLELOLW«GHVROGHUXQSU¬WK\SRWK«FDLUHHQUHPHWWDQW VRQELHQ¢OȇRUJDQLVPHSU¬WHXU6XUOHSODQSROLWLTXHGHVVRQG«V DɚUPDLHQWTXHOH0QȇDYDLWSDVGHWHQGDQFHSROLWLTXHDɚUP«HFH qui peut être corrélé à la sympathie qu’il suscitait.

LE DUR DÉSIR DE DURER : QUE S’EST-IL PASSÉ DEPUIS LE 15 MAI 2011 ? ‹WDEOLU XQH ȴOLDWLRQ HQWUH OHV IRUPHV GH PRELOLVDWLRQ LQLWLDOHV GH 2011 et les formes de mobilisation ultérieures n’est pas une tâche facile. Cette généalogie reste à faire en écrivant une histoire documentée des PRXYHPHQWVVRFLDX[¢SDUWLUGȇDUFKLYHVHWGȇHQWUHWLHQV&RQFOXRQV¢XQ K«ULWDJHSURYLVRLUHFDUOHGHUQLHUPRWQȇHVWSDVHQFRUHGLW&HWK«ULWDJH se manifeste par la permanence de formes qui relèvent de la philo- VRSKLHGHOȇDFWLRQ,O VH OLWDXVVLSOXVGLɚFLOHPHQWGDQVOȇDUWLFXODWLRQ entre des revendications sociales et des initiatives politiques20. L’appropriation de l’espace public : assemblées, manifestations, marées, marches

La continuité la plus visible entre ce mois de mai inaugural et la suite des événements est la réappropriation de l’espace public par les

19. « A relaxing cup of democracia », Tinta LibrePyLWKNNGVCQțVR šPour une analyse des suites du mouvement, consulter « Rebelión a bordo », Tinta Libre, nº OCTURGVNGPWOȌTQURȌEKCNkRebelión ciudadana contra las élites », Tinta Libre, PyLWKNNGVCQțV

206 Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

(VSDJQROV/HFDPSHPHQWE¬WHQRLUHGHVDXWRULW«VUHVVXUJLWVRXYHQW échouant presque toujours. Mais l’assemblée en plein air demeure. 3ODFHV FRLQV GH UXH SDUFV ȴJXUHQW VXU OHV DJHQGDV GH U«XQLRQV ‚ OȇDXWRPQHGHVHQVHLJQDQWVHWGHV«WXGLDQWVSURWHVWDQWFRQWUHOȇDV- SK\[LHEXGJ«WDLUHRQWGRQQ«GHVFRXUVGDQVODUXHRXYHUWVDXSXEOLF 'HVOLHX[GHVXEVWLWXWLRQVRQWUHFKHUFK«VSRXUXQHRFFXSDWLRQSDFLȴTXH «SLVRGLTXHRXSHUPDQHQWHSHUPHWWDQWGȇDVVRFLHUGHVWHPSVGHG«OLE«- ration à la préparation d’actions et d’organiser des manifestations FXOWXUHOOHV‚0DGULGOȇ«GLȴFHG«VDIIHFW«GHODTabacaleraXQHDQFLHQQH PDQXIDFWXUHGHVWDEDFVHWOȇHVSDFHDSSHO«Patio MaravillasXQHVRUWH GH PDLVRQ GH TXDUWLHU DXWRJ«U«H VRQW UHSU«VHQWDWLIV GH WHOV HVSDFHV Mais il faut sans cesse renégocier leur disponibilité avec les autorités ORFDOHVRXOHVSURSUL«WDLUHVSULY«VFHTXLOHVIUDJLOLVH(QRXWUHLOVVRQW PRLQVQHXWUHVTXHOȇHVSDFHSXEOLFRXYHUW¢WRXV/DFDYHUQHSURWHFWULFH l’antre des militants n’est pas la place ouverte aux passants. 'LYHUVLȴFDWLRQHWFRQYHUJHQFHGHVPDQLIHVWDWLRQV

La manifestation demeure au centre du répertoire d’action du mou- YHPHQW TXȇHOOH U«XQLVVH GHV FHQWDLQHV GHV PLOOLHUV RX GHV FHQWDLQHV de milliers de personnes. L’idéal-type de la manifestation héritière du 15-M est une manifestation transversale aux différents mouvements VRFLDX[TXLHQWHQGSRUWHUXQHSURWHVWDWLRQJOREDOHFRQWUHOHV\VWªPH politique en place et le modèle économique néolibéral. Les manifes- tations anniversaires du 15-M et les manifestations convoquées sur des mots d’ordre large de refus des mesures gouvernementales cor- respondent à cet idéal-type. La démission du gouvernement du Parti populaire a été un mot d’ordre souvent entendu. À partir de l’automne 2012 se sont enchaînées des manifestations qui se situaient sur un axe FRQWLQXHQWUHOHVG«ȴO«VV\QGLFDX[HWOHVUDVVHPEOHPHQWVSRSXODLUHV OHV mPDU«HV} /D mPDU«H EODQFKH} DXUD «W« XQH SODWHIRUPH XQ FROOHFWLI GH V\QGLFDWV GȇDVVRFLDWLRQV GȇXVDJHUV GH VDQW« GH FRPLW«V de quartier et d’assemblées et de commissions du 15-M. Dans la com- PXQDXW« DXWRQRPH GH 0DGULG OD PDU«H EODQFKH VH PRELOLVD FRQWUH la privatisation annoncée de six hôpitaux et la fermeture de services hospitaliers. L’assemblée du 15-M de Madrid déclare s’y être systémati- TXHPHQWDVVRFL«H‚SDUWLUGHOȇDXWRPQHHWSHQGDQWWRXWHOȇDQQ«H OHVPRELOLVDWLRQVOHVJUªYHVOHVUDVVHPEOHPHQWVHWOHVPDQLIHV- WDWLRQVVHVRQWPXOWLSOL«V/HEODQFFRXOHXUGHVXQLIRUPHVGHWUDYDLO est aussi celui des draps que suspendirent les Madrilènes au balcon en solidarité avec ce mouvement.

207 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

Ce distinctif par couleurs a été utilisé par d’autres mouvements et collectifs à géométrie variable : « marée verte » des travailleurs et XVDJHUVGHOȇ‹GXFDWLRQmPDU«HYLROHWWH}GHVPRXYHPHQWVI«PLQLVWHV « marée grenat » des Espagnols ayant émigré pour chercher du travail ; mPDU«HMDXQH}SRXUG«IHQGUHOHVELEOLRWKªTXHVSXEOLTXHVHWF0¬PH les ,DRȵDXWDV VH VRQW UDSLGHPHQW LQYHQW« XQ XQLIRUPH SRUWDQW GHV JLOHWVMDXQHȵXRORUVGHWRXWHVOHXUVDFWLRQVSXEOLTXHV3HQGDQWOȇ«WDSH GHSU«SDUDWLRQGHVPDUFKHVGHODGLJQLW«GHPDUVXQHSODWHIRUPH QXP«ULTXH LQWLWXO«H mPDU«H FLWR\HQQH} D YX OH MRXU SRXU WHQWHU d’organiser la convergence de toutes ces marées sur l’ensemble du ter- ritoire21 0DLV TXH VLJQLȴH U«HOOHPHQW OH IDLW TXH SOXV GȇXQH WUHQWDLQH d’assemblées du 15-M aient « adhéré » à cette plateforme virtuelle ? Une petite centaine de personnes seulement a pris la peine de répondre à XQHHQTX¬WHHQOLJQHVXUODSODWHIRUPH¢SURSRVGHOHXUVDWWHQWHVGHV SULRULW«V ¢ G«JDJHU HW GHV UDLVRQV GH OȇHVVRXɛHPHQW GX PRXYHPHQW social. Ce qu’il faut retenir de ces tentatives de fédérer des initiatives G«M¢ SOXUDOLVWHV SDU QDWXUH FȇHVW OD QRVWDOJLH GH OȇLQVWDQW IRQGDWHXU du creuset de Sol. Il est permis de se demander si cette aspiration à la fusion des mouvements de protestation et à leur débouché « total » ne YLHQWSDVSDOOLHUODGLɚFXOW«¢DUWLFXOHUXQSURMHWGHQDWXUHSROLWLTXH Mais certaines formes de mobilisation sont plus directement politiques car elles s’en prennent aux symboles du pouvoir. Occupations, obstructions

$SUªV OHV «OHFWLRQV PXQLFLSDOHV GH PDL GHV PLOLWDQWV VH réclamant du 15-M se sont réunis devant les mairies pour perturber l’installation de nouveaux conseils municipaux. D’autres ont cherché à y pénétrer pour dire leur fait aux élus : « Ils ne nous représentent pas ». Suivre les ordres du jour de certaines assemblées du 15-M per- met de voir que ces actions ont évolué vers un « contrôle citoyen » plus SDFLȴTXH GHV FRQVHLOV PXQLFLSDX[ 7RXW VLPSOHPHQW OHV SHUVRQQHV intéressées utilisent leur droit d’assister au conseil municipal pour FRQQD°WUHVHVG«FLVLRQVHWG«OLE«UDWLRQV&HVOLHX[GHODUHSU«VHQWDWLRQ DSUªVDYRLU«W«FRQVSX«VDWWLUHQWDLQVLXQHSDUWLHGHVK«ULWLHUVGX0 comme autant de lieux d’expérimentation politique. « Prendre d’assaut OHVLQVWLWXWLRQV}VORJDQHQVRLYLGHGHVHQVGHYLHQWHQXQVORJDQ plus ouvert sur un projet politique. En sera-t-il de même du Congrès ? Certains groupes militants avaient inauguré cette forme d’action en

šAppel de la marée citoyenne, [Mareaciudadana. blogspot. fr], consulté en août 2014.

208 Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

entourant le parlement de Catalogne le 15 juin 2011 pour empêcher les G«SXW«VGȇ\S«Q«WUHUFHTXLHQWUD°QDODPLVHHQH[DPHQHWOHSURFªVGH SOXVLHXUVSHUVRQQHV‚SDUWLUGHVHSWHPEUHGHVDFWLRQVU«S«W«HV YLVDQW¢mHQWRXUHUOH&RQJUªVGHVG«SXW«V}VHVRQWG«URXO«HV¢0DGULG vite bloquées par les forces de l’ordre. Ce lieu est devenu un abcès de ȴ[DWLRQ ¢ FRQTX«ULU SRXU OHV PDQLIHVWDQWV TXL SURWHVWHQW FRQWUH OHV projets de loi à défendre du gouvernement. Les alentours du Congrès furent maintenus sous haute surveillance et plusieurs affrontements VHSURGXLVLUHQW¢SUR[LPLW«‚G«IDXWGHVȇ\IDLUHUHSU«VHQWHUOHVRSSR- sants extra-parlementaires ont perturbé ce symbole de la démocratie SDUOHPHQWDLUH‚FRXUWGȇDUJXPHQWVSRXUODG«IHQGUHHWODU«QRYHUOHV tenants du pouvoir l’ont protégé manu militari. 'ȇDXWUHVOLHX[UHSU«VHQWDWLIVGXSRXYRLU«FRQRPLTXHHWGHODIDLO- OLWHGHVIDPLOOHVHWGHVLQGLYLGXVRQW«W«RFFXS«VSDUGHSHWLWVJURXSHV FRQVWLWX«V GDQV FHW REMHFWLI GHV EDQTXHV QRWDPPHQW OHV EDQTXHV UHQȵRX«HV SDU Oȇ‹WDW GRQW OHV SHUWHV RQW «W« VRFLDOLV«HV PDLV DXVVL WRXWHV OHV EDQTXHV D\DQW YHQGX GHV DFWLIV GRXWHX[ HW FDXV« OD UXLQH GH QRPEUHX[ SHWLWV «SDUJQDQWV FRPPH FHOOHV TXL RQW SDUWLFLS« DX scandale des Preferentes (QWUHU GDQV XQH DJHQFH EDQFDLUH Vȇ\ PDLQ- WHQLU SDFLȴTXHPHQW SHQGDQW XQ PRPHQW FKDQWHU GHV VORJDQV HW GHV FKDQVRQVȴOPHUOȇRS«UDWLRQFȇHVWXQHIRUPHGȇDFWLRQU«FXUUHQWHTXHVH sont appropriés les ,DLRȵDXWDV pour dénoncer la spoliation des retraités dont l’épargne s’est volatilisée à cause de pratiques bancaires fraudu- OHXVHV&HVDFWLRQVFRPPHFHOOHVTXLRQW«W«LQYHQW«HVSDUODPlataforma de Afectados por la Hipoteca et son collectif d’action Stop Desahucios (« Stop aux expulsions ») ont frisé l’illégalité tout en se voulant non-vio- OHQWHV&HWWHOLPLWHHQWUHO«JDOLW«LOO«JDOLW«HWO«JLWLPLW«HVW«ODERU«HHW MXVWLȴ«HSDUGHVSHUVRQQHVDSSDUWHQDQWDX[PRXYHPHQWVVRFLDX[SDU GHVEORJXHXUVHWSOXVJ«Q«UDOHPHQWSDUODQWSDUOHVP«GLDVDOWHUQDWLIV en réponse au pouvoir ou aux médias hostiles à de telles actions. Il s’agit d’opposer la justice sociale incarnée au droit positif. Le slogan du 15-M : « Nous ne sommes pas contre le système : c’est le système qui est contre QRXV}DDLQVLFRQQXGHQRPEUHX[DYDWDUVWDQGLVTXHOHPRWGȇRUGUH GXJURXSHPLOLWDQWm'«VRE«LVVDQFHFLYLOH}IDLWG«VRUPDLVȵRUªVGDQV les documents militants d’autres organisations. Défense des libertés fondamentales

3RXUELHQFRPSUHQGUHODSRVW«ULW«GX0HWVHVPXWDWLRQVLOIDXW ELHQDYRLU¢OȇHVSULWODFRQMRQFWXUHSROLWLTXHHQQRYHPEUHOȇ«OHF- tion d’un gouvernement de droite qui a mené une politique économique

209 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

GXUHUHPLWHQFDXVHOHVGURLWVVRFLDX[HWRS«U«GHVFRXSHVFODLUHVGDQV les budgets publics. Au fur et à mesure que ce gouvernement s’est vu FRQWHVW«GDQVODUXHLODFRQWUHDWWDTX«HQHVVD\DQWGHG«FU«GLELOLVHU son opposition extra-parlementaire. Il a eu de plus en plus fréquem- PHQW UHFRXUV DX[ FKDUJHV SROLFLªUHV DX[ FRXSV GH PDWUDTXH DX[ JD] ODFU\PRJªQHV ¢ OD YLG«RVXUYHLOODQFH DX[ LQWHUSHOODWLRQV HW DX[ LQFXOSDWLRQV'HFHIDLWXQHQRXYHOOHFDXVHGHPRELOLVDWLRQD«PHUJ« celle de la dénonciation des violences policières et de la criminalisation du mouvement social. Les militants se sont organisés pour assurer la défense légale des personnes mises en examen et pour payer collecti- YHPHQWOHVDPHQGHVLQȵLJ«HV/HGXUFLVVHPHQWDQQRQF«GXFRGHS«QDO et le projet de loi sur la « sécurité des citoyens » ont fait naître le mot d’ordre et la plateforme « Nous ne sommes pas un délit »22. Les liber- tés fondamentales sont jugées menacées. Cette escalade n’a pas donné lieu à un changement de tactique de la part des mouvements organisés s’exprimant dans la rue. Le credo non-violent du 15-M n’a pas été altéré. &HSHQGDQWORUVTXHGHVJURXSHVRUJDQLV«VYLROHQWVVDLVLVVHQWGHVRFFD- sions d’affrontement délibéré en venant se greffer sur les mouvements SDFLȴTXHV FRPPH FHOD DUULYH TXHOTXHIRLV OH ULVTXH GȇDPDOJDPH HVW grand. Le spectre de la mouvance de l’ETA ou celui de mouvements manipulés de l’extérieur par le Venezuela chaviste sont faciles à bran- GLU SDU OD GURLWH FRQVHUYDWULFH FRPPH FHOXL GȇXQH FHUWDLQH MHXQHVVH YLROHQWHHWLQFRQWU¶ODEOH$LQVLDXSULQWHPSVDORUVTXHODSU«SD- ration des marches de la dignité et les marches elles-mêmes n’avaient SDVIDLWOȇREMHWGȇXQHFRXYHUWXUHLPSRUWDQWHSDUOHVJUDQGVP«GLDVFHV mêmes médias ont amplement répercuté le dénouement violent de la manifestation organisée en point d’orgue à ces marches. Le rôle de Juventud Sin futuro

Tous les motifs de protestation qui ont poussé les jeunes de Juventud Sin Futuro¢GHVFHQGUHGDQVODUXHOHDYULOGHPHXUHQW&K¶PDJH SU«FDULW«G«TXDOLȴFDWLRQIDLEOHVUHYHQXVGLɚFXOW«VGHORJHPHQWVRQW toujours le lot d’une grande partie de la jeunesse espagnole. Un rapport U«FHQW GX &RQVHLO GH OD MHXQHVVH Gȇ(VSDJQH XQ RUJDQLVPH FRQVXOWDWLI FU«« SDU OHV SRXYRLUV SXEOLFV D «W« PLV HQ YDOHXU SDU Juventud Sin Futuro23. Il dépeint le sort des jeunes de 16 à 29 ans à partir de leur

22. « Nous ne sommes pas un délit », [nosomosdelito. net], consulté en septembre 2014. šFélix TƧƨƫƷƴƧ et Luis CƧƳǞƵƸ, Informe sobre calidad, empleo joven, becarios y prácticas, Consejo de la Juventud de EURCȓCR=JVVRYYYELGQTIFGUECTICUELGRFH?

210 Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

situation vis-à-vis de l’emploi. Les statistiques mettent l’accent sur des conditions d’emploi dégradées aussi bien du point de vue du statut et du contrat que de la rémunération. Les conclusions sont sans appel : les jeunes sont le groupe d’âge qui a le plus souffert des répercussions de la crise sur l’emploi. Beaucoup d’emplois occupés par les jeunes ont été G«WUXLWVOHV FRQWUDWV ¢ WHPSV SDUWLHO RQW DXJPHQW« GHV MHXQHV déclarent même travailler sans contrat. L’enquête révèle que sept MHXQHVVXUGL[RFFXSDQWXQHPSORLYLYHQWHQFRUHFKH]OHXUVSDUHQWVHW que 54 % d’entre eux déclarent ne pas pouvoir s’émanciper grâce aux UHYHQXVGHOHXUWUDYDLO3DUDLOOHXUVGȇHQWUHHX[U«SRQGHQWTXȇLOV s’attendent à devoir émigrer pour trouver un emploi24. Les réponses concernant la qualité des emplois occupés par rapport au niveau d’études mettent l’accent sur une insertion très insatisfai- sante des jeunes diplômés et sur un véritable gaspillage de ressources humaines et de talents. Le mouvement Juventud Sin Futuro propose des explications à cette situation. Il y voit l’effet des arbitrages effectués en WHPSVGHFULVHG«IDYRUDEOHVDX[MHXQHV$LQVLOHVSRVVLELOLW«VGȇDFFªV aux études universitaires et les conditions d’études se sont-elles dégra- G«HVHQ(VSDJQHDORUVTXȇXQHIRUWHSURSRUWLRQGHMHXQHVYHXWFRQWLQXHU ¢VHIRUPHUSRXUDP«OLRUHUVHVFKDQFHV6DQVVXUSULVHODUHVSRQVDELOLW« de cet avenir bouché est rejetée sur le gouvernement et sur la classe SROLWLTXH HQ J«Q«UDO PDLV DXVVL VXU mOHV ROLJDUFKLHV «FRQRPLTXHV HW ȴQDQFLªUHV} /H GLVFRXUV HVW DYDQW WRXW XQ GLVFRXUV GH G«QRQFLDWLRQ JOREDOLVDQWTXLQ«JOLJHOHVGLVWLQFWLRQVHQWUHGLII«UHQWHVFDW«JRULHVGHOD jeunesse et les causes structurelles du chômage des jeunes. Mais quelles sont les formes d’action du mouvement ? Le mouvement a pris par surprise les médias qui se sont intéressés à son apparition initiale dans les rues des villes espagnoles le 7 avril 2011. (QHIIHWODMHXQHVVHHVSDJQROH«WDLWSOXW¶WMXJ«HFRQIRUPLVWHYRLUHU«VL- JQ«H HQ WRXW FDV DFFXOWXU«H ¢ OȇLQGLYLGXDOLVPH %LHQ YLWH «FOLSV« SDU OH 0GRQWLOIXWOȇXQGHVLQLWLDWHXUVFHPRXYHPHQWQȇDSDVGLVSDUXSRXU autant. Il resurgit régulièrement dans l’espace public en lançant des cam- SDJQHVTXLU«DɚUPHQWOHVHQVGHVRQPRWGȇRUGUHm6DQVWRLWVDQVERXORW sans peur ». Celle qui a eu le plus d’impact sur les jeunes et sur l’opinion

šSandra Gaviria étudie les politiques de la jeunesse et du logement en Espagne sur le long terme. Elle souligne que la crise a bloqué l’accès à la propriété pour les jeunes Espagnols, modèle le plus acceptable culturellement, alors même que les aides au logement locatif sont insignifiantes. Le retard à l’émancipation, qui d’après elle n’est pas imputable principalement à des facteurs économiques, se trouve de fait aggravé par la dégradation de la situation écono mique. Cf. Sandra GƧƻƯƷƯƧ, « Politique de logement et autonomie résidentielle de la jeunesse en Espagne », Informations socialesPyššR

211 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

publique a marqué le deuxième anniversaire du mouvement. Au prin- WHPSVJuventud Sin Futuro a appelé les jeunes Espagnols ayant émi- JU«SRXUWURXYHUXQHPSORL¢W«PRLJQHUHQWDQWTXȇH[LO«VHQLQVLVWDQWVXU FHWHUPHGȇH[LOm1RXVQHSDUWRQVSDVLOVQRXVMHWWHQW}WHO«WDLWOHVORJDQ GHFHWWHFDPSDJQH(QGHX[PRLVW«PRLJQDJHVRQW«W«UHFXHLOOLVHW le site de la campagne a mis en ligne une carte détaillant la présence de FHVMHXQHVH[LO«VGDQVOHPRQGH/HSRLQWGȇRUJXHGHODFDPSDJQHFRRU- GRQQ«H VXU OHV U«VHDX[ VRFLDX[ IXW XQ HQVHPEOH GH PDQLIHVWDWLRQV HW GHUDVVHPEOHPHQWVRUJDQLV«VOHDYULOQRQVHXOHPHQWHQ(VSDJQH PDLV GDQV GȇDXWUHV YLOOHV HXURS«HQQHV HW P¬PH DXGHO¢ /D JDOHULH GH SKRWRV GH MHXQHV DUERUDQW GHV SDQFDUWHV SRVW«H VXU OH VLWH GH OD FDP- SDJQH LOOXVWUH ELHQ OH UHIXV GH FRQVLG«UHU Oȇ«PLJUDWLRQ FRPPH OH FKRL[ GHODPRELOLW«SURIHVVLRQQHOOHXQHLQWHUSU«WDWLRQDYDQF«H¢ODO«JªUHSDU FHUWDLQV UHVSRQVDEOHV SROLWLTXHV ‚ OȇDXWRPQH  Juventud Sin Futuro s’associe à une campagne lancée par le Conseil de la jeunesse d’Espagne : « Jeunesse migrante. Regardons du côté de chez nous ». Il s’agit à nouveau de réunir des témoignages de jeunes exilés pour la date du 8 novembre  mMRXU GH OD MHXQHVVH HXURS«HQQH} &H OLHQ QRX« DYHF GH MHXQHV FRPSDWULRWHV¢Oȇ«WUDQJHUFRPPHODUHFRQQDLVVDQFHGȇXQHFRPPXQDXW« de destin avec d’autres mouvements de jeunes précaires au Portugal et en )UDQFHFRQVWLWXHSHXW¬WUHOȇHPEU\RQGHQRXYHOOHVIRUPHVGȇRUJDQLVDWLRQ de la jeunesse européenne. L’espace de socialisation perdu ou fermé dans le monde du travail serait en partie compensé par des formes inédites de sociabilité générationnelle protestataire. /DOLJQHGXPRXYHPHQWQȇHVWSDVDUU¬W«HVDXIFHOOHGȇXQHLQG«SHQ- dance revendiquée par rapport aux partis de gauche représentés au Parlement. Est-ce à dire que ce mouvement serait l’expression d’un noyau de jeunes militants refusant toute forme d’engagement poli- tique ? Les longs entretiens qu’ils donnent à des médias sympathisants tendent à le démentir25. Reconnaissant que leurs rangs comptent des militants venus de partis de gauche et de mouvements sociaux « tradi- WLRQQHOV} LOV H[SULPHQW SRXUWDQW OHXU G«ȴDQFH YLV¢YLV GȇXQH SDUROH GRJPDWLTXH HW VXUSORPEDQWH GHV G«WHQWHXUV GH Y«ULW« HW GHV DYDQW gardes politiques. L’acquis du 15-M est rappelé : partage entre généra- WLRQVSOXUDOLVPHIRUPHV ODELOHVGHPRELOLVDWLRQIRUPHV QRXYHOOHV GH dynamisation collective. La possibilité de construire une alternative à

25. « No nos vamos, nos echan. Entrevista a Juventud Sin Futuro », Relaciones Internacionales, nº 24, GERIUniversidad Autónoma de MCFTKF QEVQDTGLCPXKGT FKURQPKDNG ȃ NŨCFTGUUG =JVVRYYY CECFGOKC GFWANoNosVamosNosEchan_Entrevista_a_ Juventud_Sin_Futuro].

212 Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

partir du bloc des mécontents s’exprime aussi bien plus nettement que la volonté de tourner le dos à la société : Juventud Sin Futuro ne joue pas sur la connotation nihiliste de son nom. L’avenir politique du 15-M

Il est indéniable que le succès électoral de Podemos a changé la donne politique en Espagne. Les partis politiques ont été obligés de se UHSRVLWLRQQHUSDUUDSSRUW¢FHQRXYHDXYHQXTXȇLOVVRLHQWHQSRVLWLRQ GRPLQDQWHRXPLQRULWDLUH3DUDLOOHXUVFHVXFFªVDDJLFRPPHXQU«YXO- sif sur les personnes et les groupes qui se reconnaissent dans les idéaux du 15-M. Une partie des électeurs de Podemos se sont remobilisés et VRQW UHGHYHQXV GHV PLOLWDQWV IDLVDQW GH QRXYHDX IUXFWLȴHU OHXU FDSL- WDOVRFLDO4XHO«WDLWOHXUKRUL]RQ¢Oȇ«W«",OVSRXYDLHQWUHMRLQGUH les cercles de Podemos et préparer l’Assemblée citoyenne prévue à OȇDXWRPQHVRXVOȇ«JLGHGHOȇ«TXLSHGHWUDYDLO«OXHSDUXQP«FDQLVPHGH participation citoyenne (55 882 votes exprimés en ligne pour désigner 26 responsables). Ils s’investiraient alors dans la construction d’un nou- YHDXSDUWLSROLWLTXH&HUWHVFHSDUWLDɚFKDLWVRQLQWHQWLRQGHIDLUHGHOD SROLWLTXHmDXWUHPHQW}PDLVLOVHGLVWLQJXDLWIRUWHPHQWGHVLG«DX[GX 0VXUSOXVLHXUVSRLQWVHVVHQWLHOVXQOHDGHUVKLSSHUVRQQHODVVXP« FHOXLGH3DEOR,JOHVLDVHQWRXU«GHSHUVRQQDOLW«VG«M¢SU«VHQWHVORUVGH la campagne pour les élections européennes ; une stratégie médiatique décomplexée ; un grand appétit pour les échéances électorales. Du 0PodemosUHSUHQGFHUWDLQVLG«DX[G«PRFUDWLTXHV WUDQVSDUHQFH FRQWU¶OH GHV «OXV PRUDOLVDWLRQ GH OD YLH SROLWLTXH  PDLV VRQ ODQJDJH politique est beaucoup plus musclé. Le document politique soumis à la discussion des sympathisants et ouvert aux amendements (comme le GRFXPHQWSRUWDQWVXUOȇ«WKLTXHHWFHOXLSRUWDQWVXUOȇRUJDQLVDWLRQ HVW WUªVFRUVHW«SDUOȇHVSULWGHODJDXFKHUDGLFDOHGHUXSWXUHWRXWHQIDLVDQW montre d’un opportunisme politique manifeste. Le document se place en surplomb par rapport au 15-M et à la période consécutive :

/H0DGRQQ«XQFRXSGHYLHX[DX[«OLWHVHWDX[U«FLWVRɚFLHOVG«- YRLODQWOȇ«SXLVHPHQWGHOHXUVFRQVHQVXVGHOHXUVFHUWLWXGHVGHVFDGUHV servant à distribuer les positions et à expliquer le rôle de chacun dans le FRQWUDWVRFLDORX¢FDQDOLVHUOHVGHPDQGHVGHVFLWR\HQV0DLVFHWWHDFFX- mulation de petites transformations culturelles n’a pas touché tout le pays HWQȇDSDVPRGLȴ«Oȇ«TXLOLEUHGHVIRUFHV«OHFWRUDOHVHWLQVWLWXWLRQQHOOHV26.

šPodemos, « PTGBorrador político. La crisis del régimen de 1978, Podemos y la posibilidad de cambio político en EURCȓCz=Podemos. info], 5p., consulté en septembre 2014.

213 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

L’analyse du moment historique est beaucoup plus centrée sur le rapport de forces politiques que sur les aspirations des mouvements sociaux. Le parti se place en « challenger » et en « outsider » placé désormais au centre du jeu. Il entend construire un « appareil discur- VLISROLWLTXHHW«OHFWRUDO}HQ«ODUJLVVDQWVDEDVHDȴQGHSURȴWHUGHOD fenêtre d’opportunité que représente la crise du régime hérité de 1978. Il ne s’arrête pas aux élections municipales mais s’inscrit dans le long terme pour construire une autre majorité. Un tel positionnement doit WUªV SHX DX 0 'ȇDLOOHXUV OH U«VHDX GHV XQLYHUVLWDLUHV HQJDJ«V GH l’université Complutense de Madrid aura joué un rôle plus important dans la gestation du parti que l’expérience du 15-M. La composition de ODOLVWHGHFDQGLGDWVSRXUOHV«OHFWLRQVHXURS«HQQHVSXLVGHODOLVWHGH l’équipe de travail présente toutefois un mélange de personnalités qua- OLȴ«HVSDUOHXUQRWRUL«W«XQLYHUVLWDLUHHWRXP«GLDWLTXHGHPLOLWDQWVGH Juventud Sin Futuro et de nouveaux-venus en politique. L’avènement du « municipalisme »

8QH DXWUH G\QDPLTXH VȇHVW RXYHUWH ¢ Oȇ«W«  GRQW Oȇ«WLTXHWDJH est le terme de « municipalisme ». Des plateformes citoyennes se sont FRQVWLWX«HVHQYXHGHV«OHFWLRQVPXQLFLSDOHVGHPDLSRXUHQWUHU GDQVODFRPS«WLWLRQ«OHFWRUDOH*DJQRQV%DUFHORQH0DGULGOD&RURJQH 9DOODGROLG 0XUFLHHWF /HV GLII«UHQWV PDQLIHVWHV TXL SU«VLGHQW ¢ FHV initiatives sont assez voisins et ressemblent bien davantage aux textes produits par la mouvance du 15-M qu’à ceux de Podemos. Il s’agit GȇLQFDUQHUOHVLG«DX[GXUHQRXYHDXG«PRFUDWLTXHGDQVOȇHVSDFHORFDO en rassemblant des citoyens organisés et d’autres inorganisés pour leur « rendre la ville ». La conversion à la stratégie politique ne s’est pas IDLWHVDQVPDOFRPPHOHPRQWUHQWOHVSUHPLHUVPDQLIHVWHVPXQLFLSD- listes de Madrid qui ont débouché sur la constitution de la plateforme Ganemos Madrid. On y sent une véritable hésitation sur le sens donné à GHVH[SUHVVLRQVFRPPHmSUHQGUHGȇDVVDXWOHVLQVWLWXWLRQV}HWXQPRX- vement de recul devant la démocratie représentative :

/HG«ȴFRQVLVWH¢UHSUHQGUHOHSURMHWGHG«PRFUDWLHWHUULWRULDOHGX0 les élections ne représentant qu’une ressource parmi d’autres de ce SRXYRLUG«PRFUDWLTXH(QG«ȴQLWLYHQRXVFRPSUHQRQVODSROLWLTXHLQV- WLWXWLRQQHOOHFRPPHXQHVSDFHGHFRQȵLWSDUPLGȇDXWUHVHWGHPLVHHQ lumière des tensions qui traversent nos villes27.

šManifeste Municipalia, juin 2014 [municipalia. tumblr. com].

214 Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

0¬PHDSUªVOHODQFHPHQWGHODSODWHIRUPHDORUVTXHOHSURJUDPPH de gouvernance municipale est déjà dans une phase avancée d’élabora- WLRQHWTXHOHVFRQWDFWVVHQRXHQWDYHFGȇDXWUHVIRUPDWLRQVSROLWLTXHVOH groupe de travail intitulé « mouvement municipaliste » reste dans une certaine ambivalence :

7URSVRXYHQWLO\DHXFRQIXVLRQHQWUHOȇLPDJLQDLUHGHOȇDVVDXWLQVWLWX- WLRQQHO>Ȑ@HWODSULVHSXUHHWVLPSOHGXSRXYRLU/RLQGHFHWWHLPDJH tout mouvement municipaliste qui entend avoir une présence institu- tionnelle doit concevoir son rôle de façon inverse. Il faut comprendre le municipalisme comme une façon d’ôter le pouvoir aux institutions et de le rendre aux mouvements28.

8QHH[SUHVVLRQVHSURSDJHGDQVOHVHQWUHWLHQVOHVG«FODUDWLRQVOHV textes à propos de ces plateformes. On se réclame de « l’ADN du 15-M ». 4XHVLJQLȴHXQHWHOOHH[SUHVVLRQ"4XHOHVV\PSDWKLVDQWVHWPLOLWDQWVVH GRQQHQWUHQGH]YRXVVXUOHVSODFHV"4XHVHUHIRUPHQWGHVJURXSHVGH WUDYDLOHWGHVFRPPLVVLRQVFKDUJ«VGHODORJLVWLTXHGHODFRPPXQLFD- WLRQGHODP«WKRGRORJLH"4XHOHVGRFXPHQWVGHWUDYDLOHWOHVSURFªVYHU- EDX[GHU«XQLRQVVRQWGLVSRQLEOHVVXUOD7RLOH"4XHOHVSODWHIRUPHVVH U«FODPHQWGHVFROOHFWLIVPDU«HVPDUFKHVDVVRFLDWLRQVORFDOHVHWmGHV JHQVFRPPHWRLHWPRL}"4XHOȇRQUHWURXYHH[SULP«HODP¬PHDYHUVLRQ SRXUOHVSDUWLVSROLWLTXHVGRPLQDQWVOHVSROLWLFLHQVY«UHX[OȇDXWRULWD- ULVPH"4XȇRQ\SURFODPHOHP¬PHDPRXUGHVELHQVSXEOLFVGHVELHQV FRPPXQV GH Oȇ«JDOLW« HQWUH FLWR\HQV"4XȇXQH G\QDPLTXH Gȇempower- ment désormais explicitement reconnue et revendiquée est à l’œuvre ? 6DQVGRXWHPDLVLO\DDXVVLGHVJURXSHVGHWUDYDLOmFDQGLGDWXUHV} HWOHWUDYDLOGHUDSSURFKHPHQWDYHFOHVSDUWLVGȇDOWHUQDQFH\FRPSULV Izquierda Unida HVW HQJDJ« /HV SRUWHSDUROH GH FHV SODWHIRUPHV TXL UHVWHQWDXWRQRPHVOHVXQHVSDUUDSSRUWDX[DXWUHVUHFRQQDLVVHQWYRX- loir surfer sur l’effet PodemosHWHQDWWLUHUOHVPLOLWDQWVFDUOHSDUWLD décidé de ne pas se présenter directement aux élections municipales pour ne pas altérer son capital politique national. C’est dans le discours du rassemblement que se lit le mieux l’héritage du 15-M. La délibération est investie comme forme démocratique nécessairement productive SROLWLTXHPHQW&HSHQGDQWODFRQVWUXFWLRQGȇXQHSURSRVLWLRQSROLWLTXH demande d’autres ressources et oblige à choisir ses alliés. Le mot de mPDUTXH EODQFKH} XWLOLV« SRXU G«ȴQLU FHV SODWHIRUPHV FLWR\HQQHV qui refusent le modèle de la coalition multipartite est un élément de

šDocument du groupe de travail « Municipalisme, version 3.0 », [ganemosmadrid. info], consulté en septembre 2014.

215 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

PDUNHWLQJ SROLWLTXH ,O G«VLJQH DXVVL OH GHUQLHU PRPHQW R» OȇLOOXVLRQ GȇXQHOLPLWHQHWWHHQWUHmHX[HWQRXV}SHUVLVWHODEODQFKHXUUHQYR\DQW ¢XQHIRUPHGȇLQQRFHQFHm7RXWFRPPHQFHHQP\VWLTXHHWȴQLWHQSROL- WLTXH}GLVDLW&KDUOHV3«JX\29.

šCharles Pʤƭƺƾ, Notre jeunesse, Paris, Gallimard, 1910 [1993].

216 TROISIÈME PARTIE

DE LA CRISE SOCIALE À LA CRISE INSTITUTIONNELLE ET POLITIQUE

De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

8

Le droit au logement et la lutte contre les expulsions : la Plataforma de Afectados por la Hipoteca

Mathieu PETITHOMME 05DMR\LOQȇHVWMDPDLVWURSWDUGSRXUUHFWLȴHU 1ȇD\H]SDVSHXUGHVVLɛHWVQȇD\H]SDVSHXUGHODSRSXODWLRQ Descendez dans la rue et parlez avec les gens. Faites justice et arrêtez les expulsions. Il y a des vies en jeu qui ne peuvent plus attendre. […] Nous, les gens, les citoyens d’en bas, nous n’avons pas les mêmes moyens pour faire valoir nos droits. Mais nous avons l’arme la plus puissante de toutes. Contre le jeu sale du système, la force de la raison et du cœur. (Ada Colau et Adrià Alemany1)

Carmen Martínez Ayuso est âgée de 85 ans et vit seule dans son DSSDUWHPHQWDYHFVDSHWLWHUHWUDLWHGHHXURVSDUPRLVDXQXP«UR de la rue Sierra de Palomares dans le quartier populaire de Vallecas à 0DGULG)HPPHGHP«QDJHGXUDQWWRXWHVDYLHHOOHDSHUGXVRQPDUL GȇXQFDQFHUGHODJRUJHLO\DVHSWDQV0DLVOHQRYHPEUHHOOH a été expulsée de son logement car elle s’était déclarée garante avant la FULVHGXSU¬WGHHXURVGHVRQȴOVXQLTXHTXLVȇ«WDLWHQGHWW«DXSUªV d’un particulier pour créer un commerce2. Ce dernier est depuis au chô- mage et sans possibilité de rembourser sa dette qui atteint désormais 77 000 euros en raison des taux d’intérêt et des frais d’impayés. Le par- WLFXOLHUVȇHVWGRQFUHWRXUQ«FRQWUHODJDUDQWHVDPªUHGHDQVHWVXLWH ¢ OȇDFFRUG GH OD MXVWLFH OD SROLFH OȇD H[SXOV«H GH VRQ ORJHPHQW GRQW OD YDOHXUHVWHVWLP«H¢HXURV*U¤FH¢ODPRELOLVDWLRQGHVHVYRLVLQV et à l’intervention militante des membres de la Plataforma de Afectados por la Hipoteca m3ODWHIRUPHGHVDIIHFW«VSDUOȇK\SRWKªTXH}3$+ HOOH

šAda CƵƲƧƺ et Adrià AƲƫƳƧƴƾ, ¡SLVHSXHGH̰, Barcelona, Ediciones Destino, 2013, p. 5. šLuis Javier GƵƴƿʜƲƫƿ, « UPCCPEKCPCFGCȓQUFGUCJWEKCFCRQTCXCNCTWPRTȌUVCOQFGUW hijo », El País, 21 novembre 2014, p. 12.

219 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

a été relogée depuis lors. De généreux voisins et donateurs ont accepté GHOȇDLGHU¢SD\HUVRQOR\HUOHVIRRWEDOOHXUVGXRayo VallecanoFOXEORFDO GHOD/LJDRQWDSSRUW«XQHDLGHȴQDQFLªUHHWIDFH¢OȇLQGLJQDWLRQFU««H SDU VRQ H[SXOVLRQ OD PDLULH GH 0DGULG D G«FLG« GH WUDLWHU VRQ FDV GH façon prioritaire pour lui permettre rapidement d’obtenir un logement VRFLDO0DLVGHSXLVWRXVOHV(VSDJQROVQȇRQWSDVHXFHWWHFKDQFH3. Pour s’opposer à ce type de drames individuels et venir en aide DX[ SHUVRQQHV PHQDF«HV GȇH[SXOVLRQ OH mFROOHFWLI 9} GH Vivienda mORJHPHQW} IXWFU««HQPDLSXLVG«ERXFKDVXUODIRUPDWLRQHQ I«YULHUGXPRXYHPHQWFLWR\HQGHOD3$+LPSXOV«SDU$GD&RODX HW$GUL¢$OHPDQ\¢%DUFHORQH'HSXLVORUVFHFROOHFWLIDFU««GHQRP- breuses antennes dans les villes moyennes et les grandes métropoles d’Espagne. Ses militants ont paralysé plus de 1 135 expulsions et relogé HQYLURQSHUVRQQHVGDQVGHVORJHPHQWVRFFXS«VDYDQWGȇREWHQLU parfois la légalisation de ces occupations en échange du paiement d’un « loyer social » aux banques4. La PAH dénonce la loi hypothécaire espa- JQROH GȇmLQVSLUDWLRQ P«GL«YDOH} VHORQ FHUWDLQV TXLSURWªJH WUªV SHX OHVDFKHWHXUVHWPLOLWHSRXUODVXSSUHVVLRQGHVFODXVHVDEXVLYHVGDQVOHV contrats de prêts immobiliers5'H¢OD3$+DUHFHQV«SOXVGH 500 000 procédures d’expulsions en Espagne6'DQVXQSD\VR»OHFK¶- PDJH WRXFKH SUHVTXH PLOOLRQV GH SHUVRQQHV PLOOLRQ GH IDPLOOHV survivent avec l’ensemble de leurs membres sans emploi7. 0DLVLOH[LVWHSRXUWDQWHQYLURQPLOOLRQVGHORJHPHQWVYLGHVVXU l’ensemble du territoire. Dans un tel contexte de crise économique et de SDXS«ULVDWLRQOD3$+OXWWHSRXUOHGURLWDXORJHPHQWGDQVXQSD\VR» il n’y a jamais eu autant d’expulsions. Au-delà de ses actions d’interpo- VLWLRQSRXUSDUDO\VHUOHVH[SXOVLRQVOD3$+UHQ«JRFLHGHVFHQWDLQHVGH SU¬WVLPPRELOLHUVIUDXGXOHX[DYHFOHVEDQTXHVG«SRVHGHVSODLQWHVHW GHVUHFRXUVGHYDQWOHVWULEXQDX[IDLWSUHVVLRQVXUOHVSRXYRLUVSXEOLFV HWPLOLWHSRXUOHG«YHORSSHPHQWGXORJHPHQWVRFLDOWUªVSHX«WHQGXHQ Espagne. Par leurs actions concrètes et profondément ancrées dans leur TXDUWLHUOHVPLOLWDQWVGHOD3$+OXWWHQWSRXUODMXVWLFHVRFLDOH&RPPH

šAna Pérez BƧƷƷƫƪƵ, « El desahucio de Carmen desata un red de solidaridad dentro y fuera del barrio », El País, 25 novembre 2014, p. 7. šCes chiffres sont fournis par la PAH sur son site internet, cf.=JVVRCHGEVCFQURQTNCJKRQVGEC EQOUVQRFGUCNQLQU?EQPUWNVȌNGPQXGODTG šExpression employée lors d’un entretien par Jordi, 34 ans, chômeur et militant du collectif de Barcelone, 7 novembre 2014. šEntretien avec Ada colau, Regards, 15 avril 2014. šSelon les données de la Fondation FƵƫƸƸƧ NKȌG ȃ NŨCUUQEKCVKQP EJTȌVKGPPG Caritas), VII Informe sobre exclusión y desarrollo social en España, Madrid, 2014, p. 2.

220 De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

Oȇ«QRQFH$OIRQVRXQPLOLWDQWGH%DUFHORQHm/D3$+G«QRQFHOHVDEXV HWOHVPDQLSXODWLRQVGHVEDQTXHVHWGHVHQWLW«VȴQDQFLªUHV1RWUHREMHF- WLIHVWGȇLQVWDXUHUXQHȊG«PRFUDWLHU«HOOHȋSDUOHEDVR»OHGURLWDXORJH- PHQWSRXUWDQWLQVFULWGDQVQRWUHFRQVWLWXWLRQVHUDLWHQȴQUHVSHFW«8. » &RPPHQWOD3$+¢WUDYHUVOHPRXYHPHQWVRFLDOTXLVȇHVWRUJDQLV« GDQV VRQ VLOODJH FRQWULEXHWHOOH ¢ OD G«IHQVH GHV FLWR\HQV HW DX SUR- grès social ? Ce chapitre se fonde sur une enquête de terrain menée en novembre 2014 au sein des collectifs de la PAH de Barcelone et de l’Hospitalet de Llobregat. En assistant à plusieurs assemblées hebdo- PDGDLUHV¢GHVDFWLRQVGȇRFFXSDWLRQHWHQPȇHQWUHWHQDQWGLUHFWHPHQW DYHFSOXVGȇXQHYLQJWDLQHGHPLOLWDQWVMȇDLFKHUFK«¢DSSU«KHQGHUGH OȇLQW«ULHXUODVWUXFWXUDWLRQOHIRQFWLRQQHPHQWOHVSULQFLSDOHVUHYHQGL- FDWLRQVHWODVRFLRORJLHGHFHVFROOHFWLIV&HFKDSLWUHPRQWUHFRPPHQW OD 3$+ WRXW HQ SROLWLVDQW OHV HQMHX[ GX GURLW DX ORJHPHQW HW GH OD UHVSRQVDELOLW« GHV EDQTXHV GDQV OD FULVH VȇLQVFULW SOHLQHPHQW GDQV OH mouvement social anti-austérité et a contribué à sensibiliser l’opinion publique et à mettre ces questions sur le devant de la scène politique. Le chapitre se structure en quatre temps. À travers la trajectoire ELRJUDSKLTXHGH0DQXHOXQPHPEUHGXFROOHFWLIGXTXDUWLHUNou Barris PHQDF«GȇH[SXOVLRQODSUHPLªUHSDUWLHH[HPSOLȴHSXLVV\QWK«WLVHODVSL- UDOHGHODSDXS«ULVDWLRQY«FXHSDUGHQRPEUHXVHVIDPLOOHVHQ(VSDJQH GHSXLVHQLQVLVWDQWVXUOȇ«FRQRPLHSROLWLTXHGHVSU¬WVEDQFDLUHV/D deuxième partie s’intéresse plus en détail à la structuration territoriale HWDXIRQFWLRQQHPHQWTXRWLGLHQGHOD3$+GHP¬PHTXȇ¢VRQLQVHUWLRQ dans le mouvement social anti-austérité. La troisième partie présente VHVSULQFLSDOHVUHYHQGLFDWLRQVSXLVODTXDWULªPHVHVVWUDW«JLHVGȇDFWLRQ FROOHFWLYHTXLXVHQWKDELOHPHQWGXGURLWHWGHODIRUFHGXQRPEUH(QȴQ ODFRQFOXVLRQSURSRVHXQHU«ȵH[LRQV\QWK«WLTXHVXUODFRQWULEXWLRQGX mouvement à la défense des droits des citoyens et au progrès social.

CRISE DU DROIT AU LOGEMENT ET LUTTES COLLECTIVES

« Dernier toit avant liquidation »

0DUGL QRYHPEUH  VXU OȇDYHQLGD 5DPEOD ¢ %DUFHORQH XQ militant de la PAH brandit une pancarte avec une photographie de son

šAlfonso, 42 ans, professeur d’espagnol dans le secondaire et militant de la PAH, local du mouvement, Barcelone, 12 novembre 2014.

221 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

appartement et ce slogan : « Dernier toit avant liquidation ». Il s’appelle 0DQXHO9LFHQWHUR‹TXDWRULHQGȇRULJLQH,ODDQVXQHIHPPHHWGHX[ HQIDQWVHWYLWGHSXLV¢Nou BarrisXQTXDUWLHUSRSXODLUHS«ULSK«- ULTXHGHODYLOOH'HSXLVGHX[PRLVLOHVWPHQDF«GȇH[SXOVLRQ6RQFDVHVW HQDSSHOGHYDQWOHVWULEXQDX[m&KDTXHMRXUHQRXYUDQWPDER°WHDX[ OHWWUHVMȇDLSHXUSRXUPDIDPLOOH}PHGLWLO9. Maçon depuis son arrivée HQ(VSDJQHLOWUDYDLOODLWFLQTMRXUVSDUVHPDLQHGHKHXUHV¢KHXUHV plus une à deux heures de transport aller-retour en moyenne pour HXURVSDUPRLV(QVHVHQIDQWVHWVDIHPPHTXLDWRXWGHVXLWH WURXY« XQ HPSORL FRPPH DJHQW GȇHQWUHWLHQ RQW SX TXLWWHU Oȇ‹TXDWHXU SRXUOHUHMRLQGUH(QLOVRQWDFKHW«XQSHWLWWURLVSLªFHVGHP2 ORUVTXȇHVWQ«H/LQGDOHXUȴOOH(QLOVRQW«W«QDWXUDOLV«VHVSDJQROV grâce à la loi facilitant l’acquisition de la nationalité pour les ressortis- sants des pays hispanophones. Puis Jaime est né en 2008. Une trajectoire H[HPSODLUHGȇLQW«JUDWLRQ0DLVVXLWH¢ODQDLVVDQFHGHOHXUȴOVVDIHPPH n’a pas retrouvé de travail. La récession était passée par là. Les employeurs ont gelé les embauches. Dans l’entreprise familiale R»LOWUDYDLOODLWGHVGL[HPSOR\«VGȇDYDQWODFULVHLOQHUHVWDLWSOXVTXH OXLVRQSDWURQHWVRQȴOV,ODG½DFFHSWHUXQHGLPLQXWLRQGHVDODLUH 700 euros par mois en travaillant de 8 heures à 14 heures le samedi HQSOXV0DLVOȇHQWUHSULVHDTXDQGP¬PHȴQLSDUPHWWUHODFO«VRXVOD SRUWHHQMXLQ3HQGDQWGHX[DQVLOHVWUHVW«DXFK¶PDJH,OWRXFKH désormais « la ayuda} OȇDLGH «TXLYDOHQWH DX 50, IUDQ©DLVHXURV SOXV HXURV SDU HQIDQW VRLW HXURV SRXU IDLUH YLYUH XQH IDPLOOH GH TXDWUH SHUVRQQHV GRQW XQH ȴOOH GH QHXI DQV HW XQ ȴOV GH VL[ DQV Sa femme ramène jusqu’à 200 euros par mois en s’occupant d’une SHUVRQQH¤J«HDXQRLUPDLVVHVUHYHQXVQHVRQWSDVȴ[HV'HSXLVMXLO- OHWLOQHSHXWSOXVSD\HUOHVHXURVPHQVXHOVGHVRQSU¬WLPPR- bilier. Il a pourtant tout fait pour : se serrer drastiquement la ceinture ; utiliser ses économies patiemment constituées depuis son arrivée en Espagne en 2002 ; vendre certains meubles. Il a tenté de renégocier son prêt pour allonger sa durée en échange d’une réduction de sa mensua- lité. Mais sa banque n’a rien voulu savoir et a entamé une action en justice et une procédure d’expulsion contre lui. &RPPH 0DQXHO LOV VRQW SOXVLHXUV GL]DLQHV ¢ RFFXSHU OȇDJHQFH GH Bankia depuis 8 h 45 en cette matinée d’automne. Personnes menacées

šLŨGPUGODNG FGU KPHQTOCVKQPU EKFGUUQWU UQPV KUUWGU FG EGV GPVTGVKGP CXGE Manuel Vicentero, 42 ans, Équatorien nationalisé espagnol, membre de la PAH, 11 novembre 2014, Barcelone, puis de l’observation participante de la manifestation de la PAH, le même jour, contre l’agence BCPMKC

222 De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

GȇH[SXOVLRQVPLOLWDQWVRXV\PSDWKLVDQWVGHOD3$+(VSDJQROVSRXUOD SOXSDUWLPPLJU«VSRXUFHUWDLQVLOVFKHUFKHQW¢UHQFRQWUHUOHGLUHFWHXU GH OȇDJHQFH EDQFDLUH DȴQ GȇRXYULU XQ SURFHVVXV GH Q«JRFLDWLRQ SRXU obtenir l’allongement des dettes des personnes affectées ou le solde de celles-ci en échange du don de leur bien à la banque. Vêtus de tee- VKLUWVYHUWVDYHFOHORJRGXFROOHFWLILOVIRQWGXEUXLWDYHFGHVFDVVHUROHV HW HQWRQQHQW GHV VORJDQV m6WRS DX[ H[SXOVLRQV} m%DQNLD YROHXUV 5HQGH]QRXV QRWUH DUJHQW} m&HWWH EDQTXH PHW GHV JHQV ¢ OD UXH} « Ton taux d’intérêt m’a tué ». Face à l’absence de réponse des dirigeants ¢OHXUVQRPEUHXVHVOHWWUHVGHGHPDQGHGHGLDORJXHLOVRQWFKRLVLGHSRU- ter atteinte à « l’image de marque » de la banque. D’autres distribuent des tracts et ont monté un stand devant l’agence sur l’une des avenues les plus touristiques de Barcelone. Les passants et les touristes curieux VRQWGHSOXVHQSOXVQRPEUHX[‚KHXUHVSRXU«YLWHUOHVFDQGDOHOH directeur délégué de l’agence accepte de discuter avec un représentant GHOD3$+HQ«FKDQJHGHODȴQGHOȇRFFXSDWLRQ/DSUHPLªUHEDWDLOOHHVW JDJQ«H 0DLV OHV Q«JRFLDWLRQV TXL GXUHQW VRXYHQW GHV VHPDLQHV VRQW loin d’avoir abouti. Après la force dissuasive de l’occupation et de la G«QRQFLDWLRQLOIDXGUDIDLUHYDORLUOHSRLGVGHVDUJXPHQWV

La spirale de la paupérisation : « de la précarité à l’expulsion, il n’y a qu’un pas »

'HSXLVDORUVP¬PHTXHOȇ(VSDJQHHVWOHSD\VHXURS«HQR»OHV LQ«JDOLW«V VRFLDOHV RQW OH SOXV SURJUHVV« SOXV GH FLQT FHQW PLOOH SHU- VRQQHVORFDWDLUHVRXSURSUL«WDLUHVRQW«W«H[SXOV«HVGHOHXUORJHPHQW la plupart du temps sans proposition alternative de relogement par les pouvoirs publics et les mairies10. Cinq millions de personnes vivent aujourd’hui en « situation sévère d’exclusion » et 728 300 familles ne reçoivent aucun argent ni prestation sociale113DUDOOªOHPHQWOHQRPEUH de millionnaires (465 000 en 2014) a augmenté de 24 % en seulement GHX[ DQV GHSXLV  HW OHV UHYHQXV GHV  OHV SOXV ULFKHV QȇRQW SDVFKDQJ«GHSXLVDORUVTXHFHX[GHVOHVSOXVSDXYUHVRQW diminué de 14 %12'DQVFHFRQWH[WHODORLK\SRWK«FDLUHHVSDJQROHTXL GDWHGHHVWOȇXQHGHVSOXVG«IDYRUDEOHVDX[DFKHWHXUVHQ(XURSH

šL’Espagne est ainsi le pays de l’Union européenne où le coefficient de Gini, qui mesure le VCWZFŨKPȌICNKVȌUGUVNGRNWUHQTV  EH. BTCPMQMƯƲƧƴƵƻƯƩ, Los que tienen y los que no tienen. Una breve y singular historia de la desigualdad global, Madrid, Alianza Editorial, 2012, p. 28. šFondation FƵƫƸƸƧ, op. cit., 2014, p. 2. šMiguel Ángel GƧƷƩʨƧVƫƭƧ« ENPGIQEKQGUVȄGPNQUGZVTGOQUzEl País, 9 novembre 2014, p. 13.

223 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

inspirée des intérêts de la noblesse et de la bourgeoisie mercantile de OD ȴQ GX XIXeVLªFOH HOOH HQWUD°QH XQH UHODWLRQ GH SRXYRLU LQ«JDOLWDLUH HQWUHOHVSDUWLHVDXSURȴWGHVHQWLW«VȴQDQFLªUHV13. Il est ainsi quasiment impossible d’acheter un bien sans signer une hypothèque sur celui-ci. 3RXU DXWDQW OH SU¬W LPPRELOLHU UHSRVH VXU XQH SHUVRQQH SK\VLTXH HW non sur le bien lui-même. Un prêt ne peut pas être soldé en donnant GLUHFWHPHQWOHELHQ¢ODEDQTXHXQHUHYHQGLFDWLRQDFWLYHPHQWVRXWH- nue par la PAH et l’opinion publique espagnole. Dès qu’un particulier RPHW GH SD\HU XQH PHQVXDOLW« GH VRQ SU¬W OD EDQTXH SHXW SRUWHU SODLQWH HW XQ SURFHVVXV G«OLFWXHX[ HVW DXWRPDWLTXHPHQW HQFOHQFK« VDQV «YDOXDWLRQ LQLWLDOH GX MXJH TXL SHXW HQWUD°QHU XQH H[SXOVLRQ ¢ PR\HQWHUPH6LWURSGȇLPSD\«VVȇDFFXPXOHQWODEDQTXHVȇDSSURSULHOH bien pour 60 % de sa valeur au moment de l’expropriation. 'HSOXVGDQVXQSD\VR»GHOȇ«SDUJQHGHVIDPLOOHVHVWFRQVWLWX«H SDU OHV ELHQV LPPRELOLHUV OD YDOHXU GH FHV DFWLIV D GLPLQX« GȇHQYLURQ 30 % depuis 200814. Des personnes qui auraient donc pu intégralement rembourser leur banque avant la crise immobilière grâce à la vente de OHXUDSSDUWHPHQWVHYRLHQWGRQFQRQVHXOHPHQWH[SURSUL«HVHWH[SXO- V«HVPDLVGRLYHQWHQFRUHVȇDFTXLWWHUGXPRQWDQWGHODGHWWHUHVWDQWHVL WHOHVWOHFDV/HVFR½WVȴQDQFLHUVGXSURFHVVXVO«JDOGȇH[SXOVLRQHWOHV intérêts des retards de paiement restent aussi à payer par les expulsés. De nombreuses familles se retrouvent ainsi sans appartement et avec XQH GHWWH TXL FRQWLQXH GȇDXJPHQWHU SXLVTXH OHV LQW«U¬WV GHV LPSD\«V et des pénalités de retard ne cessent de croître. Les banques peuvent aussi saisir la justice pour obtenir un prélèvement automatique sur les VDODLUHVGHVG«ELWHXUVTXLVHYRLHQWGRQFFRQWUDLQWV¢WUDYDLOOHUDXQRLU pour continuer à nourrir leurs enfants. Contrairement aux délits de cor- ruption ou de détournement de fonds publics qui sont prescrits après VHXOHPHQWTXHOTXHVDQQ«HVSHUPHWWDQWVRXYHQWDX[«OLWHVGȇ«FKDSSHU ¢ OD MXVWLFH OHV GHWWHV GHV FLWR\HQV RUGLQDLUHV HOOHV QH VH SUHVFULYHQW pas156LOHVSDUHQWVOHVEHDX[SDUHQWVRXOHVIUªUHVHWVĕXUVVHVRQWSRU- W«VJDUDQWVFRPPHOHGHPDQGDLHQWVRXYHQWOHVEDQTXHVDYDQWODFULVH SRXUOHVMHXQHVWUDYDLOOHXUVRXOHVGRVVLHUVm¢ULVTXH}FHVGHUQLªUHVVH

šEnrique GƯƲCƧƲƻƵ, Los poderes opacos. Austeridad y resistencia, Madrid, Alianza Editorial, 2013, p. 36. šRamón GƧƷƩʨƧ, « CCFC GURCȓQN JC RGTFKFQ šGWTQU FG TKSWG\C RQT NC ETKUKU GEQPȕ OKECz=JVVRYYYKPXGTVKCEQO?LWKNNGV šC’est aussi pour ces raisons que certains analystes considèrent qu’une bonne partie des dettes publiques en Europe du Sud sont « illégitimes », puisque des proportions importantes FGEGNNGUEKEQTTGURQPFGPVWPKSWGOGPVȃNŨCWIOGPVCVKQPVTȋUHQTVGFGUVCWZFŨKPVȌTȍVGVFGNC spéculation depuis 2008. Cf. par exemple, Damien MƯƲƲƫƹ et Éric TƵƺƸƸƧƯƴƹ, La dette ou la vie, Bruxelles, Éditions Aden, 2011.

224 De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

WRXUQHQWDXVVLYHUVHX[HWOHXUU«FODPHQWOHVVRPPHVGXHV(QȴQGHSXLV ODORLGHMXLQYRW«HSDUOH33OHVSHUVRQQHVFRQFHUQ«HVVRQWȴFK«HV au « registre public des défaillants pour impayés » : elles ne peuvent SOXVMDPDLVDFKHWHUGHELHQVDYRLUXQHOLJQHW«O«SKRQLTXHRXREWHQLUXQ FU«GLWHWIRQWIDFH¢Gȇ«QRUPHVGLɚFXOW«VSRXUWURXYHUXQHORFDWLRQSHU- cevoir certaines prestations sociales ou renouveler leur carte bancaire16. 'DQVFHFRQWH[WHGHFK¶PDJHGHPDVVHHWGHKDXVVHGHVLQ«JDOLW«V OD3$+VHPRELOLVHDFWLYHPHQWGHSXLVSRXUU«VLVWHUDX[H[SXOVLRQV dénoncer la responsabilité de banques aux pratiques commerciales douteuses et maintenir le droit fondamental de tout être humain au ORJHPHQWm'HODSU«FDULW«¢OȇH[SXOVLRQLOQȇ\DTXȇXQSDV}PHGLUD XQMRXU

UN MOUVEMENT DÉCENTRALISÉ ET TRANSVERSAL Autonomie et coopération des collectifs locaux

0¬PH VL HOOH HVW GȇDERUG Q«H HQ &DWDORJQH R» HOOH GLVSRVH HQFRUH GX SOXV JUDQG QRPEUH GH FROOHFWLIV OD 3$+ VȇHVW SURJUHVVLYHPHQW

šBoletín Oficial del EUVCFQ BOE), Ley de medidas de flexibilización y fomento del mercado del alquiler de viviendas, Titulo 3, « Creación de un registro público de morosos por impago del alquiler », BOELWKP šEntretien avec Yolanda, 62 ans, retraitée, L’Hospitalet de Llobregat, 6 novembre 2014. šSur ce point, cf. Ada CƵƲƧƺ et Adrià AƲƫƳƧƴƾ, Vidas hipotecadas. De la burbuja inmobiliaria al derecho a la vivienda, CWCFTKNȄVGTQFGNKDTQUBarcelona, 2012, p. 92.

225 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

structurée à travers la création de collectifs locaux dans l’ensemble des capitales de province et la plupart des villes moyennes espagnoles. En OD3$+VȇDSSXLHVXUXQU«VHDXGHJURXSHVORFDX[&KDTXHFRO- OHFWLIRUJDQLVHVDSURSUHDVVHPEO«HKHEGRPDGDLUHG«EDWHWVȇRUJDQLVH autour des expulsions et de l’aide juridique à apporter aux personnes DIIHFW«HVDXVHLQGHVRQTXDUWLHURXGHVRQWHUULWRLUH(QLQWHUQHFKDTXH SODWHIRUPH VȇRUJDQLVH HQ FRPPLVVLRQV WK«PDWLTXHV HQ UHSUHQDQW JOREDOHPHQWODP¬PHVWUXFWXUHDXWRXUGHFLQTRXVL[FRPPLVVLRQV19 : mMXULGLTXH} mVXLYL GHV FDV} mYLG«R} mFRPPXQLFDWLRQ} mDFFRP- SDJQHPHQW} HW mDFWLRQV} 'XUDQW OD VHPDLQH FKDTXH FRPPLVVLRQ WUDYDLOOH VHORQ VRQ SURSUH DJHQGD SXLV OHV G«FLVLRQV ¢ SUHQGUH HW OHV actions à mener sont débattues durant l’assemblée hebdomadaire. Une SHUPDQHQFH HVW DVVXU«H FKDTXH VRLU GH WHOOH VRUWH TXH OD SODWHIRUPH MRXHDXVVLHQIDLWOHU¶OHGȇDFFRPSDJQHPHQWHWGHFRQVHLOTXLHVWQRU- malement celui des travailleurs sociaux. (Q REVHUYDQW OH WUDYDLO GX FROOHFWLI GH %DUFHORQH MȇDL HQ HIIHW SX constater que le local de la PAH joue bien souvent ce rôle de « centre GȇDFFXHLO} SRXU GHV SHUVRQQHV G«VHVS«U«HV IUDJLOHV SV\FKRORJLTXH- PHQWHWHQUHFKHUFKHGHVRXWLHQ$LQVL(GXUQHYLHQWFKDTXHVRLU¢OD SHUPDQHQFHR»HOOHWURXYHGXU«FRQIRUWHWDOȇLPSUHVVLRQTXȇRQOȇDLGH concrètement :

'HSXLVTXHMȇDLUH©XXQFRXUULHUGHPHQDFHGHPDEDQTXHMHVXLVWUªV anxieuse. Je vois seulement mon assistante sociale deux fois par mois. &ȇHVW WURS ORQJ (Q YHQDQW LFL DX PRLQV MȇDL OȇLPSUHVVLRQ TXH MȇDYDQFH je m’informe de mes droits. On m’aide pour écrire à ma banque et me défendre. C’est concret20.

)HUQDQGRXQRXYULHU«TXDWRULHQGHDQVDXFK¶PDJHUHQFRQWU« DXORFDOGHOD3$+GH/ȇ+RVSLWDOHWGH/OREUHJDWQHGLWSDVDXWUHFKRVH

$YHFOHFK¶PDJHMHPHVXLVLVRO«8QFRPSDWULRWHPȇDSDUO«GHODSODWH- forme et je suis venu avec lui la première fois. J’avais honte de parler de PDVLWXDWLRQ0DLVTXDQGMȇDLYXTXHMHQȇ«WDLVSDVVHXO©DPȇDUDVVXU«HW DXMRXUGȇKXLMHYDLVPLHX[P¬PHVLMHVXLVWRXMRXUVPHQDF«GȇH[SXOVLRQ21.

Au-delà de la résistance concrète aux expulsions grâce aux interpo- VLWLRQVIDFHDX[IRUFHVGHOȇRUGUH¢OȇDLGHMXULGLTXHHW¢ODP«GLDWLVDWLRQ

šCette information m’a été fournie par Andrés, un étudiant en sociologie de 24 ans, qui se dit « très actif » au sein du collectif de Barcelone, avenida Rambla, 11 novembre 2014. šEntretien avec Edurne, sans emploi, 47 ans, local de la PAH, Barcelone, 12 novembre 2014. šEntretien avec Fernando, 51 ans, ouvrier au chômage, L’Hospitalet de Llobregat, 6 novembre 2014.

226 De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

GHOHXUVDFWLRQVOHVSODWHIRUPHVMRXHQWDXVVLXQU¶OHVRFLDOGHSUR[LPL- W«HQFU«DQWGHVOLHX[RXOHVSHUVRQQHVDIIHFW«HVSHXYHQW¬WUH«FRXW«HV et peuvent échanger sur leurs expériences. Être ancré dans le territoire à travers les collectifs locaux constitue l’élément-clé qui permet de PRELOLVHUVXɚVDPPHQWGHSHUVRQQHVORUVGHVDFWLRQVGHPDQLIHVWDWLRQ RXGHU«DJLUUDSLGHPHQWDX[H[SXOVLRQVTXLRQWVRXYHQWOLHXWUªVW¶W OHPDWLQRX¢GHVKHXUHVLPSU«YXHVHQFU«DQWGHVV\VWªPHVFROOHFWLIV d’alerte et en utilisant habilement les réseaux sociaux. Les assemblées hebdomadaires permettent à l’information de se répandre et favorisent OȇLPSOLFDWLRQ GHV JHQV 'HSXLV  GHV VWUDW«JLHV RQW GȇDLOOHXUV «W« PLVHV HQ SODFH DȴQ GH IDFLOLWHU OHV «FKDQJHV GȇLQIRUPDWLRQV HQWUH OHV collectifs locaux pour aider les nouvelles plateformes à s’organiser22. À IRUFHGHVXLYUHOHVQRPEUHX[FDVGȇH[SXOVLRQVOHVPHPEUHVGHOD3$+ RQWFRQWULEX«¢mODSURGXFWLRQGȇXQVDYRLUPLOLWDQW}IRQG«VXUOȇH[S«- ULHQFHGHVUHFRXUVMXULGLTXHVHWOHVPRELOLVDWLRQVVRFLDOHVSDVV«HVTXȇLO s’agit de transmettre aux nouveaux groupes locaux23. Mais l’évolution la SOXVQRWDEOHHVWFHUWDLQHPHQWTXHGHSXLVQRYHPEUHIDFH¢OȇDXJ- mentation importante du nombre de procédures d’expulsion qui rend SOXVGLɚFLOHOHVXLYLFDVSDUFDVOHVGLULJHDQWVGHOD3$+SULYLO«JLHQW de plus en plus des négociations générales avec les banques au nom de l’ensemble des personnes affectées. Un mouvement social citoyen

'HSOXVOȇREVHUYDWLRQSDUWLFLSDQWHGXTXRWLGLHQGHVFROOHFWLIVORFDX[ SHUPHWGHVRXOLJQHUTXHP¬PHVLOHVRFOHGHOD3$+HVWDQLP«SDUGHV PLOLWDQWV DVVRFLDWLIV WUDGLWLRQQHOV VHV DFWLRQV VȇLQVªUHQW GDQV XQ PRX- vement citoyen plus large et transversal. Hormis en ce qui concerne OD GLUHFWLRQ QDWLRQDOH HW OHV TXHOTXHV SURIHVVLRQQHOV GH OȇRUJDQLVDWLRQ et au-delà même des bénévoles qui constituent la quasi-totalité des PHPEUHVGHVPLOOLHUVGHFLWR\HQVSDUWLFLSHQWHQIDLWGHSUªVRXGHORLQ aux activités de la PAH. Lors des actions d’interposition pour éviter les H[SXOVLRQVORUVGHVRFFXSDWLRQVGHVDJHQFHVEDQFDLUHVRXGHVPDQLIHV- WDWLRQVGHUXHVGHQRPEUHXVHVSHUVRQQHVVHMRLJQHQWVSRQWDQ«PHQWGH ID©RQWHPSRUDLUHRXU«FXUUHQWHDX[FDPSDJQHVGHOD3$+/RUVGHFHV PRELOLVDWLRQV OD IURQWLªUH HQWUH mOȇH[SHUW} GH OȇHQJDJHPHQW DVVRFLDWLI et « le profane » indigné par les expulsions et l’exclusion sociale tend

šAda CƵƲƧƺ et Adrià AƲƫƳƧƴƾ, op. cit., 2012, p. 53. šYves LƵƩƮƧƷƪ et Maud SƯƳƵƴƫƹ, « Les experts associatifs, entre savoirs profanes, militants et professionnels », dans Didier DƫƳƧƿƯʣƷƫ et Charles GƧƪʣƧ FKT Sociologie des groupes pro- fessionnels. Acquis récents et nouveaux défis, Paris, La DȌEQWXGTVGR

227 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

ainsi à disparaître24&ȇHVWHQFHODTXHFRXYUDQWSOXVTXȇXQHVLPSOHRUJD- QLVDWLRQ DVVRFLDWLYH PLOLWDQWH OD 3$+ G\QDPLVH XQ PRXYHPHQW VRFLDO FLWR\HQSOXVODUJHHQWHQGXFRPPHmXQHQVHPEOHGHU«VHDX[LQIRUPHOV GȇRUJDQLVDWLRQVHWGȇDFWHXUVLVRO«VFRQVWUXLWVXUGHVYDOHXUVSDUWDJ«HVHW XQHVROLGDULW«HQWUHOHXUVPHPEUHVTXLVHPRELOLVHQWDXVXMHWGȇHQMHX[ FRQȵLFWXHOVHQD\DQWUHFRXUV¢GLII«UHQWHVIRUPHVGHSURWHVWDWLRQ25 ». (QHIIHWORUVGHVPDQLIHVWDWLRQVGHUXHVGHOD3$+¢WLWUHLQGLYLGXHO RX DX QRP GȇXQ JURXSH ORFDO GHV RUJDQLVDWLRQV «WXGLDQWHV GHV PRX- vements de jeunes comme Juventud Sin FuturoGHVPLOLWDQWVGHSDUWLV issus notamment d’Izquierda Unida ou de la formation Candidatura d’Unitat Popular &83  HQ &DWDORJQH GHV V\QGLFDOLVWHV GHV Comisiones Obreras &&22  RX GH Oȇ8*7 HW GHV DUWLVWHV VH MRLJQHQW DX[ FRUWªJHV par solidarité26. Même si les personnes affectées par les expulsions FRQVWLWXHQW OH VRFOH GH EDVH GHV PRELOLVDWLRQV HW VL OH GLVFRXUV GH OD PAH se situe plus dans la lignée du mouvement des indignés et des U«I«UHQFHVDX[FDW«JRULHVSROLWLTXHVGHODJDXFKH «JDOLW«GURLWDXORJH- PHQW OXWWH FRQWUH OH FDSLWDOLVPH ȴQDQFLDULV« OHV LQMXVWLFHV HW OȇH[FOX- VLRQ VRFLDOHHWF  OD SODWHIRUPH VH UHYHQGLTXH FRPPH XQ PRXYHPHQW non-partisan et transversal. Ses dirigeants critiquent d’ailleurs tant la politique du PP que celle du PSOE en matière de logement et de régu- lation des banques. En discutant avec les manifestants à Barcelone le QRYHPEUHMȇDLSXFRQVWDWHUTXHGHV«OHFWHXUVGHWRXVOHVSDUWLV étaient représentés. Mais on trouve surtout de nombreux « abstention- QLVWHVGDQVOHMHX}GHVG«©XVGHODSROLWLTXHTXLQHFURLHQWSOXVDX[ SURPHVVHV «OHFWRUDOHV HW GLVHQW VHXOHPHQW YRWHU GH ID©RQ VSRUDGLTXH PDLV TXL GHPHXUHQW FHSHQGDQW VXɚVDPPHQW LQGLJQ«V HW FRQVFLHQWV des enjeux pour être prêts à signer un tract ou à participer à une mani- festation27/HVLPPLJUDQWVOHVSUHPLHUVWRXFK«VSDUODFULVHTXLVRQW SOXV LVRO«V HW QH SHXYHQW SDV VȇDSSX\HU VXU OHXUV U«VHDX[ IDPLOLDX[

šThomas FƷƵƳƫƴƹƯƴ et Stéphanie WƵưƩƯƱ, Le profane en politique. Compétences et engage- ments du citoyen, Paris, L’HCTOCVVCPR šDonatella DƫƲƲƧPƵƷƹƧ et Mario DƯƧƴƯ, Social MRYHPHQWV̰An Introduction.QPFTGU9KNG[ $NCEMYGNNR šLa candidature d’unité populaire est un mouvement d’assemblée, d’extrême gauche et indépendantiste catalan fondé le 7 mars 1991, successeur du Moviment d’Esquerra Nacionalista kMouvement de gauche nationaliste », MEN) qui regroupa en 1987 les mouvements nationa listes et d’extrême gauche de Catalogne fondés dans le sillage de la mort de Franco. La CUP est actuellement dirigée par David FGTPȄPFG\GVFKURQUGFGVTQKUFȌRWVȌUCWParlament de Catalogne. Cf. Ivanna Vallespín, « CUPšKPFGRGPFGPVKUVCU[CPVKECRKVCNKUVCUzPQXGODTG šAnne MƺƖƫƲ, « La poussée des abstentions. Protestation, malaise, sanction », dans Pascal PƫƷƷƯƴƫƧƺ et Colette YƸƳƧƲ FKT  Le vote de tous les refus. Les élections présidentielle et législa- tive de 2002, Paris, Presses de Sciences Po, 2003, p. 153.

228 De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

VRQW DVVH] UHSU«VHQW«V PDLV OHV FLWR\HQV HVSDJQROV GRPLQHQW MHXQHV RXYLHX[GHFODVVHSRSXODLUHRXGHFODVVHPR\HQQHHQYRLHGHSDXS«- ULVDWLRQHWGHG«FODVVHPHQW/HFDUDFWªUHLQWHUFODVVLVWHGXPRXYHPHQW OHIDLWTXHSUªVGȇXQHIDPLOOHVXUGHX[HVWWRXFK«HSDUOHFK¶PDJHTXL DWWHLJQDLW  GH OD SRSXODWLRQ DFWLYH HQ DR½W HW OD SHXU GH QRPEUHX[FLWR\HQVGHVXELUOHP¬PHVRUWTXHOHVH[SXOV«VH[SOLTXHOH large appui social que la plateforme connaît dans l’opinion.

DES REVENDICATIONS SOCIALES CONCRÈTES L’objectif principal de la PAH est de lutter contre les expulsions et d’œuvrer pour le droit au logement en incitant les pouvoirs publics QDWLRQDX[ HW ORFDX[ ¢ U«DJLU WRXW HQ G«IHQGDQW OHV PLOOLHUV GH SHU- sonnes affectées par des prêts immobiliers assortis de clauses dou- teuses ou dans l’incapacité temporaire ou durable de les payer à cause du chômage. Le collectif dénonce l’inaction des gouvernants face à OȇH[FOXVLRQVRFLDOHHWU«VLGHQWLHOOHHWOHVDEXVGHVHQWLW«VȴQDQFLªUHV,O cherche à replacer l’humain au centre des préoccupations politiques en s’appuyant sur l’indignation citoyenne et en dénonçant les excès du FDSLWDOLVPHȴQDQFLDULV«HWGHODVS«FXODWLRQLPPRELOLªUH/D3$+DDLQVL largement dénoncé les pressions exercées avant la crise par les banques HWOHVJURXSHVȴQDQFLHUVVXUOHVJRXYHUQHPHQWVFRQVHUYDWHXUHWVRFLD- OLVWH SRXU G«U«JXOHU OH PDUFK« LPPRELOLHU VRXV OH SU«WH[WH GH ȵH[L- biliser le crédit et de faciliter l’accès au logement28. Les pratiques des banques sont elles-mêmes mises en cause. Des systèmes d’incitation et de primes récompensaient en effet les commerciaux qui « vendaient » OHSOXVGHSU¬WVLQFLWDQWOHVFOLHQWV¢VȇHQGHWWHUSDUIRLVWUªVODUJHPHQW au-delà des 33 % d’endettement maximal normalement requis. /ȇDEXVGXODQJDJHFRPPHUFLDOSHUPHWWDLWGHODUJHPHQWFRQYDLQFUH voire même de manipuler les particuliers. Les conseillers s’appuyaient VXUXQDUJXPHQWDLUHELHQURG«mLOHVWE¬WHGHSD\HUXQOR\HUDORUVTXH SRXUOHP¬PHSUL[YRXVSRXYH]DFKHWHU}mDXSLUHYRXVSRXYH]WRX- MRXUVYHQGUH}mGHWRXWHID©RQOHVSUL[QHEDLVVHQWMDPDLV}mOHVWDX[ d’intérêt sont à un niveau historiquement très bas » ; « c’est vraiment XQH FKDQFH}HWF29. Les banques utilisèrent allègrement leurs « rela-

šPour de nombreux exemples, voir le documentaire La ley del Ladrillo kLa loi de la brique »), réalisé par Glòria Matamala en 2007, juste avant l’éclatement de la bulle immobilière, et dont le script a été rédigé par Ada Colau. šCe type d’arguments m’a été transmis par Irene, une avocate trentenaire qui collabore au sein du groupe de travail juridique de L’Hospitalet de Llobregat, le 6 novembre 2014.

229 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

WLRQVGHFRQȴDQFH}DYHFOHXUVFOLHQWVSRXUOHXUIDLUHVLJQHUGHVFODXVHV DEXVLYHVFRPPHODmFODXVHVRO}VXLYDQWODTXHOOHOHSDUWLFXOLHUVȇHQJDJH sans le savoir à payer un taux minimum d’intérêt (bien supérieur à celui SU«VHQW«SDUOHFRPPHUFLDO HWTXLSHXWDWWHLQGUHGHVVRPPHWVHQUDL- VRQGHVȵXFWXDWLRQVGȇXQWDX[YDULDEOH30. Les conséquences des impayés QȇDSSDUDLVVDLHQWVRXYHQWSDVGLUHFWHPHQWVXUOHVFRQWUDWVOHVEDQTXHV VHUHSRVDQWVXUODORLTXLOHXU«WDLWIDYRUDEOH(QȴQGHQRPEUHX[SU¬WV RQW«W«VLJQ«VSRXUGHVGXU«HVDOODQWMXVTXȇ¢YRLUHP¬PHDQV au mépris complet de l’intérêt économique des particuliers. Le langage dominant du « tous propriétaires » a monopolisé l’espace public et politique et les banques ont vanté l’accès au crédit « pas cher » à grands coups de publicité mensongère. Durant les années de FURLVVDQFH «FRQRPLTXH   LQW«ULRULVDQW FH GLVFRXUV «OLWLVWH DXTXHOHOOHVRQWFUXDYRLUXQLQW«U¬WSDUWDJ«OHVFODVVHVSRSXODLUHVHW moyennes ont incité leurs enfants à s’endetter et à accéder à la proprié- W« GªV TXȇLOV REWHQDLHQW XQ WUDYDLOHQ   GHV IDPLOOHV «WDLHQW DLQVLSURSUL«WDLUHVHQ(VSDJQHOHWDX[OHSOXV«OHY«HQ(XURSHFRQWUH seulement 50 % en 195031. Mais l’ensemble du château de cartes s’est effondré avec l’éclatement de la bulle de la spéculation immobilière. En GHODSRSXODWLRQDFWLYHWUDYDLOODLWGDQVOHE¤WLPHQWFHTXL UHSU«VHQWDLW  GX 3,% YRLUH  VL OȇRQ WLHQW FRPSWH GHV IRXUQLV- seurs et des activités indirectes. Des centaines de milliers d’ouvriers se VRQWUHWURXY«VDXFK¶PDJHSXLVDFFXO«VSDUOHVEDQTXHV¢SD\HUOHXU SU¬WHWPHQDF«VGȇH[SXOVLRQGDQVXQSD\VTXLLURQLHGHOȇKLVWRLUHQȇD jamais connu autant de logements vacants et de chantiers d’immeubles DEDQGRQQ«V'DQVFHFRQWH[WHOD3$+DPLVWURLVGHPDQGHVSULQFLSDOHV sur le devant de la scène depuis 2009 : 1) la donation pour paiement rétractif ; 2) un moratoire sur les expulsions ; 3) la location sociale des ORJHPHQWVYDFDQWVG«WHQXVSDUOHVHQWLW«VȴQDQFLªUHV

šLa banque d’Espagne estime qu’un tiers de l’ensemble des contrats de prêt immobilier contient des « clauses sol » abusives, soit environ 3,5 millions de particuliers et d’entreprises. Mais à ce jour, seul 5 % des personnes concernées ont poursuivi leur banque en justice. Le collectif d’avocats Denuncias Colectivas et l’ADICAE, l’association des usagers des banques et des caisses d’épargne, cherchent à favoriser les actions collectives en justice, comme la plainte en cours à Madrid contre BCPMKCGVUGUGPVKVȌUHKPCPEKȋTGU Caja Madrid, Bancaja, Caixa LCKGVCPCGVE  SWK KORNKSWG š RCTVKEWNKGTU Cf. ADICAE, « MȄU FG š RTGHGTGPVKUVCU UG suman finalmente a la demanda colectiva de ADICAE contra BCPMKCzLWKP šSur ce point, voir par exemple l’excellente étude de la sociologue Sandra GƧƻƯƷƯƧJuventud y familia en Francia y en España, Madrid, Centro de Investigaciones Sociológicas, 2007, dans laquelle elle explique bien les différentes trajectoires de vies des jeunes et les discours distincts des parents à l’égard de la location au sein des deux pays.

230 De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

Instaurer une donation pour paiement

La « donation pour paiement rétroactif » est l’idée qu’un particulier puisse solder intégralement une dette en donnant son logement à sa EDQTXH 'DQV OD PHVXUH R» OD GHWWH HVW OL«H DX SUL[ GȇDFKDW GX ELHQ FHWWH SURSRVLWLRQ IDLW VHQV GȇDXWDQW SOXV TXH GH QRPEUHX[ SDUWLFX- liers ont souvent payé leur dette et ses intérêts durant de nombreuses années mais se font quand même expulser après seulement quelques PRLVGȇLPSD\«V&HUWHVSRXUOHVSU¬WVVLJQ«VU«FHPPHQWOHVEDQTXHV SHUGUDLHQW OHXUV LQW«U¬WV PDLV VȇDJLVVDQW GHV SHUVRQQHV TXL RQW G«M¢ remboursé plus de 70 % de leur prêt (puisque les intérêts représentent HQPR\HQQHDXPRLQVGXPRQWDQWJOREDOVXUDQV HOOHVVHUDLHQW JDJQDQWHVȴQDQFLªUHPHQW&HWWHUHYHQGLFDWLRQYLVH¢U«DɚUPHUOHGURLW IRQGDPHQWDOGHFKDFXQ¢XQHVHFRQGHFKDQFHHQSHUPHWWDQW¢GHVFK¶- PHXUVGHVROGHUOHXUVGHWWHVGȇ«YLWHUOȇH[SXOVLRQGHSRXYRLUUHWURXYHU un logement en tant que locataires et de se relancer dans la vie. 8QHWHOOHPHVXUHSHUPHWWUDLWHQȴQGHOXWWHUFRQWUHODVS«FXODWLRQ alors qu’elles sont elles-mêmes largement responsables des excès du mFU«GLW IDFLOH} GHV FKDQWLHUV ¢WRXWYD DXMRXUGȇKXL HQ UXLQHV D«UR- SRUWV HW mQRXYHOOHVYLOOHV} IDQW¶PHVHWF  HW GH OD EXOOH LPPRELOLªUH les banques continuent à s’enrichir en s’adjugeant des biens sur le dos des expulsés pour 60 % de leur valeur de marché (qui a elle-même ODUJHPHQW GLPLQX«  SXLV HQ OHV UHYHQGDQW HQ HIIHFWXDQW DX SDVVDJH GH MXWHXVHV SOXVYDOXHV &HUWHV OD U«WURDFWLYLW« UHYHQGLTX«H SRXU OHV familles déjà affectées et qui ont encore une dette jugée « illégitime » par la PAH peut poser question. Mais le principe du don pour paiement existe et s’applique déjà pour certaines entreprises immobilières en fail- OLWHTXLU«GXLVHQWRXVROGHQWOHXUVGHWWHVHQGRQQDQWOHXUVLPPHXEOHV inachevés aux banques. La rétroactivité d’une loi est aussi assez rare HQGURLWPDLVSDVLQH[LVWDQWHORUVTXȇLOH[LVWHXQHYRORQW«SROLWLTXHOD réforme du travail de 2012 a ainsi réduit le nombre de jours par années WUDYDLOO«HVORUVGXFDOFXOGHVLQGHPQLW«VGHOLFHQFLHPHQWFHTXLOLPLWHUD les indemnités des chômeurs pour l’ensemble des périodes travaillées DSUªV  PDLV DXVVL U«WURDFWLYHPHQW SRXU OHV S«ULRGHV WUDYDLOO«HV avant cette date. Militer pour un moratoire sur les expulsions

La PAH milite aussi pour la mise en place d’un moratoire sur les H[SXOVLRQV DX E«Q«ȴFH QRWDPHQW GHV IDPLOOHV GRQW OȇHQVHPEOH GHV membres est au chômage et de celles qui s’avèrent en grande précarité

231 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

sociale. Cette revendication est soutenue de longue date par les collec- tifs de sans-abri et par une association de solidarité chrétienne comme Caritas3RXUOHVPLOLWDQWVGHOD3$+LOVȇDJLWGȇXQHTXHVWLRQGȇXUJHQFH VRFLDOHPDLVDXVVLGȇXQHQMHXG«PRFUDWLTXHFRPPHOHG«IHQG-RUJH

Une démocratie qui remet en cause le droit fondamental à avoir un toit QȇHVWSDVXQHG«PRFUDWLHP¬PHVLOȇRQYRWHWRXVOHVTXDWUHDQV/DG«PR- cratie c’est lorsque l’on prend d’abord en compte l’intérêt général des FLWR\HQVHWQRQFHOXLGHVPDUFK«VȴQDQFLHUV32.

0¬PHVLOHVSRXYRLUVSXEOLFVQDWLRQDX[VRQWUHVW«VLQȵH[LEOHVWDQW VRXVOHJRXYHUQHPHQWGX362(TXHGXUDQWFHOXLGX33OHVDFWLRQVGHV FROOHFWLIVGHOD3$+OHXUSXEOLFLW«HWODPLVHVXUOȇDJHQGDSXEOLFGHOHXUV revendications ont débouché sur des évolutions politiques dans l’espace ORFDO$XQLYHDXPXQLFLSDOODYLOOHGH6DQW$GUL¢GHO%HV´VHQ&DWDORJQH a approuvé en décembre 2010 à l’unanimité la première motion GȇDSSXL¢OD3$+'HSXLVORUVTXDWUHFHQWVPXQLFLSDOLW«VRQWDGK«U«¢ VHVFDPSDJQHV‚%DUFHORQH7HUUDVD*«URQH*HWDIH/RJUR³RHW9LJR des commissions mixtes associant des représentants de la PAH et des PXQLFLSDOLW«V RQW «W« IRUP«HV DȴQ GH WURXYHU GHV VROXWLRQV FRQFUªWHV de relogement ou pour éviter des expulsions. Le gouvernement régional andalou dirigé par la coalition PSOE-IU a de même décidé un moratoire WHPSRUDLUHHQ0¬PHVLXQPRUDWRLUHQDWLRQDOQȇDSDV«W«G«FU«W« les mobilisations collectives de la PAH ont ainsi contribué à politiser ORFDOHPHQWOȇHQMHXGXORJHPHQWHW¢IDLUHSDUIRLV«YROXHUOHVSROLWLTXHV des municipalités. Développer le logement social

(QȴQODWURLVLªPHUHYHQGLFDWLRQGHOD3$+HVWGHPHWWUHGHVORJH- PHQWV YDFDQWV G«WHQXV SDU OHV HQWLW«V ȴQDQFLªUHV ¢ OD GLVSRVLWLRQ GHV H[SXOV«VGȇDERUGHQOHVRFFXSDQWSXLVHQFKHUFKDQW¢O«JDOLVHUODVLWXD- tion en négociant avec les banques l’arrêt de la procédure d’expulsion HQ«FKDQJHGXSDLHPHQWGȇXQmOR\HUVRFLDO}&HWWHFDPSDJQHODEHOOLV«H FRPPHmOȇĕXYUHVRFLDOHGHOD3$+}YLVH¢DLGHUOHVSHUVRQQHVH[SXO- V«HVWUªVVRXYHQWVDQVVROXWLRQGHUHORJHPHQWQLDLGHLQVWLWXWLRQQHOOH HQ PHQDQW GHV DFWLRQV GH G«VRE«LVVDQFH FLYLOH -DLPH XQ WUDYDLOOHXU VRFLDODFWLIDXVHLQGXFROOHFWLIGH/ȇ+RVSLWDOHWG«IHQGODO«JLWLPLW«GH ces actions pour pallier l’inexistence d’une politique de logement social :

šEntretien avec Jorge, 37 ans, membre du groupe « communication » de la plateforme de L’Hospitalet de Llobregat, 6 novembre 2014.

232 De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

,OHVWLQDFFHSWDEOHTXHOȇ(VSDJQHVRLWOHSD\VHXURS«HQR»LO\DOHSOXV GȇH[SXOVLRQV DORUV TXH FȇHVW DXVVL FHOXL R» LO \ D OH SOXV GH ORJHPHQWV YLGHV &RPPH LO QȇH[LVWH SDV XQ SDUF GH ORJHPHQWV SXEOLFV R» UHORJHU OHV JHQV LO VHPEOH O«JLWLPH GH U«FXS«UHU FHV ORJHPHQWV YLGHV HW GH OHV occuper33.

Les militants de la PAH aident ainsi la famille à rentrer dans OȇDSSDUWHPHQWP¬PHGȇR»HOOHD«W«H[SXOV«HP¬PHVȇLOHVWPDLQWHQDQW O«JDOHPHQWSURSUL«W«GHODEDQTXH6LFHODQȇHVWSDVSRVVLEOHLOVLQFLWHQW les familles à occuper un appartement vide dans un immeuble racheté par une banque en raison de la faillite d’une entreprise immobilière. Il existe aujourd’hui sept blocs de logements en régime d’« œuvre VRFLDOH} GHX[ ¢ 7HUUDVVD HW ¢ 6DEDGHOO HW XQ UHVSHFWLYHPHQW¢ &HUGDQ\ROD5XE\HW*«URQH Le fait que l’ensemble de ces occupations aient eu lieu uniquement HQ &DWDORJQH VRXOLJQH ELHQ OD GLɚFXOW« GX SURFHVVXV HW OH U¶OH G«WHU- PLQDQWGHPLOLWDQWVGHEDVHVXɚVDPPHQWLPSOLTX«VHWSROLWLV«VSRXU ne pas être effrayés par les conséquences légales de leurs actions. Mais WDQWGDQVOHSURFHVVXVLQGLYLGXHOTXHGDQVOHFROOHFWLIOD3$+FKHUFKH ¢Q«JRFLHUDYHFOHVEDQTXHVSRXUmO«JDOLVHU}ODVLWXDWLRQ¢WUDYHUVOD VLJQDWXUHGȇXQFRQWUDWHWOHSDLHPHQWGȇXQOR\HUVRFLDOSDUOHVIDPLOOHV qui ne peut dépasser 30 % de leurs revenus. En s’appuyant aussi bien VXU OHV DFWLRQV GH G«VRE«LVVDQFH FLYLOH TXH VRQW OHV RFFXSDWLRQV TXH VXUGHVQ«JRFLDWLRQVMXULGLTXHVIRUPDOLV«HVOD3$+FKHUFKH¢U«SRQGUH à l’inaction des banques et des pouvoirs publics. Ces occupations constituent un instrument de pression politique sur les banques peu scrupuleuses qui ont fourni des prêts immobiliers associés à des projets GRXWHX[WRXWHQVS«FXODQWHWHQDFKHWDQWGHVDFWLIVSRXUWDQWFRQVLG«U«V FRPPHmWR[LTXHV}VXUOHVPDUFK«VȴQDQFLHUV/HEXWHVWDXVVLGHIDLUH pression sur les institutions et les municipalités pour saisir l’oppor- tunité historique de construire un parc de logements sociaux publics quasiment inexistant en Espagne. Il est intéressant de noter que les revendications centrales de la 3$+ E«Q«ȴFLHQW GȇXQ ODUJH VRXWLHQ GH OȇRSLQLRQ SXEOLTXH VHORQ GHV sondages de Metroscopia publiés par El País HQ   GHV (VSDJQROVVHGLVDLHQWDLQVLIDYRUDEOHV¢ODGRQDWLRQSRXUSDLHPHQWHW 94 % à un moratoire sur les expulsions des personnes au chômage34. ,OOXVWUDQWELHQODIRUWHG«ȴDQFH¢Oȇ«JDUGGHVLQVWLWXWLRQVHWGXSHUVRQQHO

šJaime, travailleur social et militant de la PAH, L’Hospitalet de Llobregat, 6 novembre 2014. šSondage MGVTQUEQRKCEl País, 4 novembre 2012.

233 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

SROLWLTXHGHVSHUVRQQHVLQWHUURJ«HVIDLVDLHQWFRQȴDQFH¢OD3$+ SRXUU«VRXGUHOHSUREOªPHGHVH[SXOVLRQVFRQWUH VHXOHPHQWDX JRXYHUQHPHQWDX362(HWDX[DXWUHVSDUWLVGHOȇRSSRVLWLRQ35. Même les électeurs du PP ne sont pas convaincus de la capacité ou de la volonté politique du gouvernement conservateur de trouver des solu- tions au problème36.

DES STRATÉGIES D’ACTION COLLECTIVE DIVERSIFIÉES

Lutter par le droit : judiciarisation et débat public

/DOXWWHGHOD3$+UHY¬WGȇDERUGXQDVSHFWO«JDOHQVȇDSSX\DQWVXU ses militants et son expertise de la législation acquise au fur et à mesure GXWHPSVDȴQGHG«IHQGUHOHVSHUVRQQHVDIIHFW«HVSDUOHVSURF«GXUHV d’expulsion devant les tribunaux. À force de défendre les expulsés ou FHX[TXLVRQWPHQDF«VGHOȇ¬WUHOHVPLOLWDQWVGHVFROOHFWLIVDFTXLªUHQW XQHFRQQDLVVDQFHGHVSURF«GXUHVMXULGLTXHVGHVUHFRXUVHWGHVU«FOD- PDWLRQVSRVVLEOHV$XVHLQGHFKDTXHFROOHFWLIOHVPHPEUHVGHODmFRP- mission juridique » s’occupent de ce travail procédurier de veille et de G«IHQVHMXULGLTXHLOVU«GLJHQWGHVFRXUULHUVFRQWDFWHQWHWFRRUGRQQHQW OHXUVDFWLYLW«VDYHFGHVDYRFDWVSU«SDUHQWOHVDXGLHQFHV,OVWHQWHQWQRQ seulement d’éviter les expulsions en utilisant toutes les voies de recours HW HQ FRQWHVWDQW OHXU YDOLGLW« PDLV LOV «SOXFKHQW DXVVL OHV FRQWUDWV GH SU¬WVEDQFDLUHVGHVDIIHFW«VHQFKHUFKDQW¢G«FHOHUOHVFODXVHVRXOHV SUDWLTXHVDEXVLYHVHQ«FULYDQWGHVFRXUULHUVDX[EDQTXHVSRXUWURXYHU GHV VROXWLRQV ¢ OȇDPLDEOH RX HQ VDLVLVVDQW OD MXVWLFH $X ȴO GX WHPSV OH WUDYDLO MXULGLTXH GH OD 3$+ VXU FHV GHX[ YROHWV OD FRQWHVWDWLRQ GHV H[SXOVLRQVHWODUHQ«JRFLDWLRQGHVSU¬WVDYHFOHVEDQTXHVOXLDSHUPLV GHG«YHORSSHUXQHY«ULWDEOHH[SHUWLVHVXUFHVTXHVWLRQVFHTXLH[SOLTXH TXH OHV (VSDJQROV OXL IDVVHQW SOXV FRQȴDQFH TXȇDX[ SRXYRLUV SXEOLFV pour répondre concrètement à ces problèmes qui touchent l’ensemble GHODVRFL«W«

7X VDLV OD YLROHQFH GH OD SU«GDWLRQ GHV EDQTXHV QȇDIIHFWH SDV TXH OHV expulsés mais l’ensemble des citoyens. C’est un problème qui affecte tout

šSondage MGVTQUEQRKCEl País, 12 juin 2013. šIbid.

234 De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

OHPRQGHOHVMHXQHVOHVYLHX[OHVVDODUL«VOHVHQWUHSUHQHXUVHQFULVH &KDFXQFRQQD°WGHVYRLVLQVGHVDPLVRXDHQWHQGXSDUOHUGȇH[SXOVLRQV à la télévision. Ces situations sont des drames individuels et familiaux et les gens sont touchés par ces expulsions car cela peut arriver à n’importe TXL$YHFODFULVHEHDXFRXSGHJHQVVHVHQWHQWYXOQ«UDEOHV0¬PHVLWX QȇDVSDVGHSU¬WWXHVDIIHFW«SDUOHVFRXSHVEXGJ«WDLUHV/HVH[SXOVLRQV c’est la goutte d’eau qui déborde du vase37.

$X VHLQ GHV FROOHFWLIV OH WUDYDLO GH OD mFRPPLVVLRQ MXULGLTXH} HVW très respecté et perçu comme celui « des sages et des intellos. Mais GHV LQWHOORV TXL QRXV DLGHQW YUDLPHQW} SRXU UHSUHQGUH OȇH[SUHVVLRQ GH7ULQLGDGXQHDIIHFW«HGHNou Barris38. On y trouve surtout des étu- GLDQWVHQGURLWGHVLQVWLWXWULFHVHWGHVSURIHVVHXUVDLQVLTXHGHVUHWUDL- tés. Ces personnes ont en commun d’être plus diplômées que le reste des militants. On peut d’ailleurs remarquer une tendance à la spéciali- VDWLRQGHVSURȴOVPLOLWDQWV&HX[TXLSU«IªUHQWOȇDFWLRQGLUHFWHHWVRQW SOXVSROLWLV«VVȇHQJDJHQWSOXVVRXYHQWGDQVOHVFRPPLVVLRQVmYLG«R} mFRPPXQLFDWLRQ} RX mDFWLRQ} DX VHLQ GHVTXHOOHV LOV GLVFXWHQW GHV stratégies et des modes d’action pour alerter l’opinion et les pouvoirs publics. Les militants les plus jeunes se retrouvent généralement dans FHVFRPPLVVLRQVLOVLQFDUQHQWOHVIRUFHVYLYHVGHVFROOHFWLIVVRQWPRLQV SU«VHQWV TXRWLGLHQQHPHQW GDQV OHV ORFDX[ PDLV ¢ OȇDYDQWJDUGH GHV interpositions face aux forces de l’ordre. Les membres des commissions « accompagnement » et « suivi des FDV} FRQVWLWXHQW mOHV SHWLWHV PDLQV} GHV FROOHFWLIV FHX[ TXL RQW XQH présence la plus régulière dans les locaux de quartier et qui rassemblent VRXYHQW OHV ȴJXUHV OHV SOXV FRQQXHV 3OXV SU«VHQWV DX TXRWLGLHQ FHV JHQVMRXHQWOHU¶OHGHSHUVRQQHVG«YRX«HVHW¢Oȇ«FRXWHOHVSUHPLªUHV ¢ DFFXHLOOLU ¢ DFFRPSDJQHU HW ¢ VXLYUH GDQV OH WHPSV OHV SHUVRQQHV DIIHFW«HV ,OV FRPSOªWHQW OȇDFWLRQGHV WUDYDLOOHXUV VRFLDX[ YRLUH P¬PH se substituent dans les faits à ces derniers. J’ai pu aussi constater une GLPHQVLRQJHQU«HGHOȇHQJDJHPHQWGDQVOHVFRPPLVVLRQVOHVKRPPHV étant plus nombreux dans celles qui sont axées sur les stratégies d’ac- WLRQFROOHFWLYHHWOHVIHPPHVSOXVUHSU«VHQW«HVGDQVFHOOHVTXLVRQWOL«HV DX VXLYL GHV SHUVRQQHV (QȴQ OHV PHPEUHV GH OD mFRPPLVVLRQ MXUL- GLTXH}RQWVRXYHQWXQVWDWXW¢SDUWPRLQVQRPEUHX[OHXUHQJDJHPHQW DOWHUQHHQWUHGHVU«XQLRQVGHJURXSHVGHVFRQVXOWDWLRQVLQGLYLGXDOLV«HV

šEntretien avec Yolanda, op. cit., L’Hospitalet de Llobregat, 6 novembre 2014. šEntretien avec Trinidad, 34 ans, Colombienne au chômage, local de la PAH, Barcelone, 11 novembre 2014.

235 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

avec les affectés et du travail de rédaction et de recherche solitaire. /RUVGHVDVVHPEO«HVO¢R»ODSDUROHGHVPHPEUHVGHVFRPPLVVLRQVGH suivi et d’accompagnement est appréciée pour la connaissance des per- VRQQHVHWGHVWUDMHFWRLUHVVRFLDOHVLQGLYLGXHOOHVGRQWHOOHW«PRLJQHFHOOH des membres de la commission juridique constitue la référence quant DX VXLYL GHV SURF«GXUHV /ȇLQȵXHQFHGH FHV GHUQLHUV HVW GȇDXWDQW SOXV PDUTX«H TXH SOXV XQH SURF«GXUH SURJUHVVH SOXV OȇH[SXOVLRQ GHYLHQW imminente et plus les stratégies de résistance des commissions orien- tées vers l’action doivent être réactivées. La PAH cherche aussi à obliger les banques à renégocier les FRQWUDWV GH SU¬W GHV SHUVRQQHV DIIHFW«HV HQ G«QRQ©DQW OHV FODXVHV DEXVLYHV OH PDQTXH GȇLQIRUPDWLRQ VXU GHV WDX[ GȇLQW«U¬W YDULDEOHV et les nombreuses manipulations ayant amené certains particuliers à s’endetter pour quarante ans sans en mesurer les conséquences. La première négociation collective eut lieu avec la Caixa Catalunya le 5 novembre 2012 à Barcelone : trois cents militants et sympathisants GHOD3$+RFFXSªUHQWOHTXDUWLHUJ«Q«UDOGHODEDQTXHVLWX«GDQVXQ immeuble moderniste de la via Laietana, près de la cathédrale39. Ils VROOLFLWªUHQWXQUHQGH]YRXVDYHF$GROI7RGROH3'*GXJURXSHDȴQ de paralyser les expulsions et de renégocier les prêts bancaires. Cette RFFXSDWLRQ«WDQWȴOP«HHWGLIIXV«HSDUHX[HQGLUHFWVXUOHVU«VHDX[ VRFLDX[ OHV LQWHUQDXWHV IXUHQW W«PRLQV GHV ERXVFXODGHV DYHF OHV agents de sécurité puis de la tentative de la direction de faire sortir les militants en augmentant très fortement le chauffage. Mais leur REVWLQDWLRQ DERXWLW ȴQDOHPHQW ¢ FH TXȇXQH G«O«JDWLRQ SXLVVH UHQ- FRQWUHU -RDQ 5¢IROV VHFU«WDLUH GX FRQVHLO GȇDGPLQLVWUDWLRQ HW ,JQDVL )HUQ£QGH]UHVSRQVDEOHGHVVHUYLFHVMXULGLTXHV/HOHQGHPDLQSDUXQ FRPPXQLTX« SXEOLF OD &DL[D VȇHQJDJHDLW ¢ SDUDO\VHU OHV H[SXOVLRQV SURJUDPP«HV6XLWH¢FHWWHDFWLRQXQmUHSU«VHQWDQWGHOD3$+}IXW nommé au sein de chaque collectif de Barcelone et chargé de négocier avec chaque banque concernée au nom de l’ensemble des personnes DIIHFW«HV GH VRQ FROOHFWLI 6L OHV Q«JRFLDWLRQV SL«WLQHQW GH QRXYHOOHV DFWLRQV VRQW HQWUHSULVHV &HWWH VWUDW«JLH GȇDFWLRQ FROOHFWLYH DOWHUQDQW HQWUHGHVRFFXSDWLRQVGHVDWWHLQWHV¢OȇLPDJHGHPDUTXHGHVEDQTXHV HWGHVQ«JRFLDWLRQVMXULGLTXHVD«W«GHSXLV«WHQGXH¢GȇDXWUHVVRFL«W«V EDQFDLUHVSHUPHWWDQWOHVVLJQDWXUHVGHSOXVLHXUVGL]DLQHVGHmGRQD- tions pour paiement » et de locations sociales.

39. « Movilización de la PAH en contra de la Caixa », El Mundo, 5 novembre 2012.

236 De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

La PAH cherche aussi à faire pression sur les institutions politiques QDWLRQDOHV HW HXURS«HQQHV DȴQ GH IDLUH «YROXHU OD ORL K\SRWK«FDLUH espagnole. L’utilisation des voies légales passe d’abord par la volonté d’agir sur les parlementaires pour qu’ils relaient ses revendications. (Q MXLQ OH G«SXW« -RDQ +HUUHUD GȇIniciativa per Catalunya-Verds m,QLWLDWLYH SRXU OD &DWDORJQH9HUWV} ,&9,8  SURSRVD DX &RQJUªV GHV G«SXW«V XQH PRWLRQ GH VRXWLHQ ¢ OD GRQDWLRQ SRXU SDLHPHQW TXL IXWUHMHW«HSDUOH362(IDLWTXLVRXOLJQHELHQOHG«SKDVDJHGȇXQSDUWL ODEHOOLV«mGHJDXFKH}PDLVGHSOXVHQSOXVOLE«UDODYHFVRQ«OHFWRUDW SRSXODLUHHWGHFODVVHPR\HQQHTXLVRXWLQWPDVVLYHPHQWFHWWHLQLWLDWLYH comme le montrent les sondages d’opinion40. Opportuniste et voulant GRQQHUOȇLPDJHGȇXQSRXYRLUDWWHQWLIDX[SU«RFFXSDWLRQVFLWR\HQQHVOH gouvernement de José Luis Rodriguez Zapatero ouvrit une commission d’étude sur le logement au Congrès suite à la demande du député Joan Ridao d’Esquerra Republicana de Catalunya m*DXFKH U«SXEOLFDLQH GH&DWDORJQH}(5& FHTXLSHUPLW¢OD3$+GHW«PRLJQHUOHMXLOOHW 2011410DLVFHWWHFRPSDUXWLRQHQSOHLQHVYDFDQFHVHVWLYDOHVIXWSHX reprise par les médias et ne servit à rien puisque le gouvernement du 362( GHYHQX H[WU¬PHPHQW LPSRSXODLUH HQ UDLVRQ GH OȇH[SORVLRQ GX FK¶PDJHGHORUVGHVDSULVHGHSRXYRLUOHPDUV¢ HQ MXLOOHW PLW ȴQ DX[ WUDYDX[ GH OD FRPPLVVLRQ DYDQW P¬PH OD U«GDFWLRQGHVHVFRQFOXVLRQVVXLWH¢VRQFKRL[GȇRUJDQLVHUGHV«OHFWLRQV anticipées42. 0DOJU« OHV GLɚFXOW«V HW OȇRSSRVLWLRQ GHV SDUWLV GRPLQDQWV OD 3$+ continue de dénoncer la responsabilité des banques lors de la crise et à alerter sur la problématique du logement. Ada Colau a ainsi témoigné devant la commission d’économie du Congrès des députés le 5 février  GDQV OH FDGUH GX SURMHW GH ORL VXU OHV PHVXUHV XUJHQWHV SRXU renforcer la protection des endettés hypothécaires. Mais le dédain des conservateurs au pouvoir à l’égard du collectif et l’ordre de passage des intervenants en dit long sur le rapport de force très défavorable : elle ne fut invitée à parler qu’après les représentants des assureurs et -DYLHU 5RGULJXH] 3HOOLWHUR SRUWHSDUROH GH OȇDVVRFLDWLRQ HVSDJQROH GH

šLa seule initiative du gouvernement du PSOE de 2004 à 2008, fut d’augmenter le prix d’évaluation d’un immeuble lors de sa saisie par les entités financières de 50 % à 60 % de sa valeur estimée, cf. Antonio Papell, Zapatero 2004-2008. La legislatura de la crispación, Madrid, Foca Ediciones, 2008, p. 207. 41. « La PAH en el Congreso de los diputados », El País, 11 juillet 2011. šÉvolution du taux de chômage en Espagne, données Eurostat, Commission Européenne, 2014.

237 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

OD EDQTXH OH SDWURQDW GX VHFWHXU TXL ORXD mOH FRPSRUWHPHQW H[HP- plaire des banques » et leur « implication sociale » puisqu’elles « font WRXWFHTXȇHOOHVSHXYHQWSRXU«YLWHUOHVH[SXOVLRQV}WRXWHQTXDOLȴDQW d’« excellente » (« estupenda}  OD ORL K\SRWK«FDLUH HVSDJQROH mOȇXQH des meilleures en Europe » selon lui43. Dans une intervention très suivie VXUOHVU«VHDX[VRFLDX[$GD&RODXOXLU«SRQGLWGHID©RQFLQJODQWH

,O Qȇ\ D ULHQ GH SOXV F\QLTXH TXH GH TXDOLȴHU FHWWH ORL GȇȊH[FHOOHQWHȋ alors que de nombreuses personnes se suicident à cause d’elle. Je n’ai SDVHQYR\«GHFKDXVVXUH¢FH0RQVLHXUSDUUHVSHFWPDLVMHSHQVHTXH vous êtes un criminel et un menteur. Vous dites que le comportement GHVEDQTXHVD«W«ȊH[HPSODLUHȋDORUVP¬PHTXHOHVSU¬WVIUDXGXOHX[OH scandale des “preferentes” et les clauses abusives ont causé la ruine de milliers de personnes44.

0DLVGHYDQWOȇLQDFWLRQGXSRXYRLUSROLWLTXHODOXWWHVȇHVWMXGLFLDUL- V«H/HMXJH*XLOOHP6ROHUV\PSDWKLVDQWGXPRXYHPHQWDG«SRV«XQ UHFRXUVGHYDQWOH7ULEXQDOFRQVWLWXWLRQQHOHQVHSWHPEUHDXPRWLI que la procédure d’expulsion existante dans la loi espagnole remet en FDXVH OHV GURLWV GH OD G«IHQVH OD WXWHOOH MXGLFLDLUH QH VȇH[HU©DQW SDV GH ID©RQ HIIHFWLYH FH TXL QH SHUPHW SDV DX[ SHUVRQQHV DIIHFW«HV GH se défendre correctement. Le juge José Maria Fernández Seijò a aussi effectué une dénonciation de l’Espagne devant la Cour de justice de l’Union européenne au motif que la loi hypothécaire remettrait en FDXVHODQRUPHHXURS«HQQHHQPDWLªUHGHGURLWVGXFRQVRPPDWHXUTXL prévoit un minimum de protection et d’information contre les clauses DEXVLYHV ORUV GH OD VLJQDWXUH GH SU¬WV EDQFDLUHVOH PDUV  OH WULEXQDOOXLDȴQDOHPHQWGRQQ«UDLVRQHQMRLJQDQWOHSRXYRLUSROLWLTXH ¢PRGLȴHUODORLSRXUUHQIRUFHUOHVGURLWVGHVSDUWLFXOLHUV45. De 2007 à OHVWULEXQDX[HVSDJQROVDXURQWGRQFDSSOLTX«XQHORLTXLSRUWH atteinte à certains droits fondamentaux… (QȴQOD3$+DXWLOLV«DYHFVXFFªVOȇXQHGHVSRVVLELOLW«VMXULGLTXHV permises par la loi espagnole : une initiative législative populaire (ILP) peut en effet être débattue au Congrès des députés suite à une pétition rassemblant les signatures de cinq cent mille citoyens. Même si c’est la majorité parlementaire (et non un éventuel référendum) qui décide HQVXLWHVLXQG«EDWGRLWRXQRQDYRLUOLHXSXLVTXLYRWHOȇDSSUREDWLRQRX

43. « Rodriguez Pellitero defiende los bancos en el Congreso », El País, 5 février 2013. šIntervention citée par Ada Colau et Adrià Alemany dans leur ouvrage, op. cit., 2013, p. 26. 45. « El Tribunal de JWUVKEKCGWTQRGQEQPUKFGTCCDWUKXCNCNG[GURCȓQNCUQDTGFGUCJWEKQUzEl País, 14 mars 2013.

238 De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

OHUHMHWGHOȇ,/3FHWWHSURF«GXUHSHUPHWGHODQFHUXQYUDLG«EDWSXEOLF DXWRXUGȇXQHLQLWLDWLYHFLWR\HQQH(QRFWREUHOD3$+VȇHVWDVVRFL«H DYHFOHVV\QGLFDWV&&22HW8*7ODFRQI«G«UDWLRQGHVDVVRFLDWLRQVGH YRLVLQVGH&DWDORJQH &21)$9& OȇREVHUYDWRLUH'(6&HWODTaula del ter- cer Sector m7DEOHGXWURLVLªPHVHFWHXU} SRXUPHWWUHHQĕXYUHXQH ,/3DXWRXUGHGHX[UHYHQGLFDWLRQVXQPRUDWRLUHVXUOHVH[SXOVLRQVHW la donation pour paiement. ,OQȇH[LVWDLWDORUVTXȇXQHGRX]DLQHGHSODWHIRUPHVGHOD3$+ODSOX- SDUWGDQVODSURYLQFHGH%DUFHORQH/HPRXYHPHQWGHVLQGLJQ«VTXLVH G«YHORSSDDSUªVODJUDQGHPDQLIHVWDWLRQGXPDLQȇ«WDLWHQFRUH qu’embryonnaire. Cette initiative de rassemblement d’organisations V\QGLFDOHV GH FROOHFWLIV HW GȇDVVRFLDWLRQV GH OD VRFL«W« FLYLOH DXWRXU d’un même objectif permit à la PAH de faire connaître son combat. 0DLV OȇLPSOLFDWLRQ GH QRPEUHX[ PLOLWDQWV GDQV OHV PDQLIHVWDWLRQV les occupations et les assemblées de rue des indignés au printemps  ¢ %DUFHORQH 7DUUDJRQH *«URQH HQ &DWDORJQH HW GDQV OHV DXWUHV JUDQGHV YLOOHV Gȇ(VSDJQH SXLV OH UHFHQWUDJH GX G«EDW SXEOLF VXU OHV «OHFWLRQV O«JLVODWLYHV DQWLFLS«HV GX QRYHPEUH  UHWDUGªUHQW OH SURFHVVXV/HDYULOODSUHPLªUHWDEOHIXWLQVWDOO«HGDQVODUXH¢ %DUFHORQH3RXU-DYLHUXQ«WXGLDQWHQSKLORVRSKLHPHPEUHGXFROOHFWLI de Barcelone depuis trois ans et ayant participé à ce processus : « cette FDPSDJQH SHUPLW GH PRELOLVHU OHV JHQV FRQWUH OHV H[SXOVLRQV HW GH UHQIRUFHUOHVRXWLHQSRSXODLUH¢QRWUHFDXVH/ȇXQDPHQDLWGHVVLªJHV OȇDXWUHOHVVDQGZLFKVODS«WLWLRQG«YHORSSDOHVVROLGDULW«V46}*U¤FH¢FH YDVWHPRXYHPHQWGȇ«GXFDWLRQHWGȇHQJDJHPHQWSRSXODLUHODS«WLWLRQIXW VLJQ«HHQTXHOTXHVPRLVSDUPLOOLRQGHFLWR\HQV

Lutter par le nombre : manifestations, occupations et résistances citoyennes

La PAH cherche également à faire pression sur les municipalités et les pouvoirs publics grâce à des actions collectives de masse : des PDQLIHVWDWLRQVGHUXHGHYDQWOH&RQJUªVGHVG«SXW«VHWOHVDVVHPEO«HV des communautés autonomes ; des occupations de sociétés bancaires et ȴQDQFLªUHV HW GH ORJHPHQWV YDFDQWVGHV DFWLRQV GȇLQWHUSRVLWLRQ HW GH résistance aux expulsions face aux forces de l’ordre. Pour l’ensemble GHFHVDFWLRQVOHEXWSRXUVXLYLHVWQRQVHXOHPHQWGȇDJLUFRQFUªWHPHQW SRXUVȇRSSRVHURXG«QRQFHUXQHVLWXDWLRQGRQQ«HPDLVDXVVLGȇDWWLUHU l’attention des médias et du public sur la cause du droit au logement

šJavier, 25 ans, étudiant en philosophie, Barcelone, 11 novembre 2014.

239 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

et les pratiques commerciales frauduleuses des banques. Les logiques médiatiques peuvent en effet « transformer la carrière des mouve- ments sociaux en contribuant à leur ascension ou en les discréditant47 ». Les manifestations de rue de la PAH permettent d’occuper l’espace public et comportent « directement ou indirectement l’expression d’opi- nions politiques48 ». La campagne Stop Desahucios (« Stop aux expulsions ») est de loin FHOOHTXLDREWHQXOHSOXVGHU«SHUFXVVLRQVP«GLDWLTXHV¢WUDYHUVGHV UDVVHPEOHPHQWVGHPLOLWDQWVGHOD3$+HWGHYRLVLQVȴOP«VHWGLIIXV«V HQGLUHFWVXUOHVU«VHDX[VRFLDX[TXLRQWVRXYHQWUHSRUW«RXSDUDO\V« GHVH[SXOVLRQV/RUVGHFHVFRQFHQWUDWLRQVDXGHO¢GHOȇREMHFWLIFRQFUHW GHG«IHQVHGHVSHUVRQQHVPHQDF«HVGȇH[SXOVLRQVmOȇH[SUHVVLYLW«}MRXH XQ U¶OH FHQWUDOHOOH SHUPHW DX[ PDQLIHVWDQWV GȇDɚUPHU OD YLVLELOLW« de leur groupe et de leurs demandes sociales49. La foule revêt par elle- même un caractère performatif : elle « fait exister » les citoyens d’en bas ; elle met en scène la lutte des citoyens ordinaires menacés par la crise et leur position de dominés face aux pouvoirs publics et aux policiers50. Mais la PAH utilise aussi un autre répertoire d’action directement issu du mouvement des indignés : les escrachesTXLSHXYHQW¬WUHG«ȴQLV comme des manifestations devant une institution publique ou privée RXOHGRPLFLOHGȇXQSDUWLFXOLHUYLVDQW¢G«QRQFHUSDUOȇLQWLPLGDWLRQOHV FULVOHVVLɛHWVHWOHVVORJDQVOHVDJLVVHPHQWVFRQVLG«U«VFRPPHKRQ- teux d’entités publiques ou de personnes privées. Ada Colau et Adrià Alemany rappellent que ces pratiques apparurent en Argentine lors des protestations populaires consécutives à l’adoption de la « loi du point ȴQDO}OHG«FHPEUHSXLVGHODmORLGXGHYRLUGȇRE«LVVDQFH}GX 4 juin 1987 sous la présidence de Raúl Alfonsín ; ces lois connues comme les « lois de l’impunité » accordaient une prescription et disculpaient les responsables des atrocités de la dictature de Jorge Rafael Videla (1976-1983)51. Ce répertoire d’action fut réactivé en Argentine lors des

šOlivier FƯƲƲƯƫƺƲƫ FKT Sociologie de la protestation, Paris, L’Harmattan, 1993, p. 3. šOlivier FƯƲƲƯƫƺƲƫStratégies de la rue, Paris, Presses de Sciences Po, 1997, p. 44. šOlivier FƯƲƲƯƫƺƲƫ et Danielle TƧƷƹƧƱƵƼƸƱƾ La manifestation G ȌF , Paris, Presses de Sciences Po, 2013, p. 16. šJohn LƧƴƭƸƮƧƼAƺƸƹƯƴ, Quand dire, c’est faire, Paris, Le Seuil, 1991. šAda CƵƲƧƺ et Adrià AƲƫƳƧƴƾ, op. cit., 2013, p. 76. Face à l’indignation populaire persis tante, ces lois furent d’ailleurs déclarées nulle part le Congrès national en 2003, puis incons titutionnelles par la Cour suprême de justice le 14 juin 2005. Sur ces questions, cf. Diana QƺƧƹƹƷƵƩƩƮƯWƵƯƸƸƵƴ dir.), Argentine. Enjeux et racines d’une société en crise, Paris, Tiempo Éditions, 2003.

240 De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

manifestations massives du « cacerolazo » du 19 et 20 décembre 2001 contre les banques et le « corralito » décidé par le gouvernement de Fernando de la Rúa ; une répression sans précédent entraîna la mort de 28 manifestants52. Mais l’étude magistrale de Charles Tilly nous rappelle cependant que ce type de manifestations d’intimidation existe depuis le Moyen Âge53. (Q(VSDJQHOD3$+DXWLOLV«OHVVLɛHWVHWOHVFDVVHUROHV¢GHQRP- EUHXVHV UHSULVHV FRQWUH OHV EDQTXHV HW OHV UHVSRQVDEOHV SXEOLFV DȴQ « d’interpeller directement le politique54 ». Sa campagne « Cette banque WURPSHHVFURTXHHWPHWOHVJHQV¢ODUXH}YLVH¢LQWLPLGHUHW¢UHQGUH GLUHFWHPHQW UHVSRQVDEOH OHV EDQTXHV HQ RFFXSDQW HQ PRQWUDQW GX GRLJWHQLQIRUPDQWOHVFOLHQWVHWHQDWWLUDQWOȇDWWHQWLRQP«GLDWLTXHVXU OHVDJHQFHVR»OHVSHUVRQQHVDIIHFW«HVSDUOHVH[SXOVLRQVSRVVªGHQWGHV crédits. Sur La RamblaGH%DUFHORQHOHMXLOOHWVHVPLOLWDQWVVLI- ȵªUHQWFROOHFWLYHPHQWFROOªUHQWGHVDXWRFROODQWVVXUOȇDJHQFHGXBanco Popular HW FULªUHQW m&HWWH EDQTXH H[SXOVH} m&HWWH EDQTXH QRXV YROH}HQLQIRUPDQWOHVSDVVDQWV'HX[PDQLIHVWDQWVFRLII«VGHEDOORQV J«DQWVHQIRUPHGHFKRUL]RVVXUODW¬WHWHQDLHQWGHVSDQFDUWHVR»OȇRQ SRXYDLWOLUHm%DQTXLHUVFKRUL]RV}XQPRWDVVLPLO«S«MRUDWLYHPHQW¢ celui de « voleurs » dans la langue de Cervantès. Les quelques passants LQWHUURJ«VMXJªUHQWFHVDFWLRQVmQRUPDOHV}HWmQ«FHVVDLUHV}DUJXDQW « de la souffrance des gens face à la crise » et de l’indignation face « aux banquiers et aux politiques qui se gavent alors que de nombreuses familles n’ont même pas de quoi manger55 ». /H I«YULHU  OHV VLɛHWV HW OHV VORJDQV GHV PDQLIHVWDQWV TXL HQFHUFODLHQW OH &RQJUªV MRXªUHQW XQ U¶OH GH SUHVVLRQ G«FLVLI GDQV l’acceptation par les députés du débat parlementaire sur l’ILP proposé SDUOD3$+/DSDUWLH«WDLWSRXUWDQWORLQGȇ¬WUHJDJQ«HHQMDQYLHU OH 33 TXL GLVSRVDLW GȇXQH PDMRULW« DEVROXH DX &RQJUªV QȇDYDLW P¬PH pas accepté que la proposition fut discutée ; il ne se ravisa que face aux

šLe « corralito » désigne la limitation des retraits bancaires des épargnants à 250 pesos par semaine et l’interdiction d’envoi de fonds à l’extérieur pour tenter de répondre à la fuite des capitaux et à la crise de liquidité. Mais la conversion forcée des comptes en dollar en peso dévalué, fit perdre une grosse partie de leur épargne aux Argentins des classes moyennes et populaires, qui protestèrent par des sifflets, des bruits de casseroles et des manifestations parfois violentes contre les banques et les institutions. Cf. François CƮƫƸƴƧƯƸet JGCPPhilippe DƯƻʣƸ¡QXHVHYD\DQWRGRV̰Le peuple d’Argentine se soulève, Paris, Éditions Nautilus, 2002. šCharles TƯƲƲƾ, La France conteste. De 100 à nos jours, Paris, FC[CTFR šOlivier FƯƲƲƯƫƺƲƫet Danielle TƧƷƹƧƱƵƼƸƱƾop. cit., 2013, p. 79. šPropos et observations recueillis auprès de passants et de manifestants lors d’un terrain, avenue Rambla, Barcelone, 9 juillet 2013.

241 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

pressions de l’opinion publique (plus d’un million de courriers furent ainsi envoyés aux députés du PP en trois jours). L’attente médiatique «WDLW«QRUPHGȇDXWDQWSOXVTXHOȇ,/3VXUODGRQDWLRQSRXUSDLHPHQWHWOH moratoire sur les expulsions devaient être débattus parallèlement à une autre ILP sur la proclamation de la tauromachie comme « bien d’intérêt FXOWXUHO}TXLDYDLWUHFXHLOOLVLJQDWXUHVHWGRQWRQVDYDLWTXȇHOOH serait soutenue par le parti au pouvoir56. Des membres de la PAH vêtus GHVWHHVKLUWVYHUWVV\PEROHGXFROOHFWLIFULªUHQWm6LFȇHVWSRVVLEOH}HW IXUHQWH[SXOV«VGHVJUDGLQVGX&RQJUªV3XLVORUVGHODSU«VHQWDWLRQGH Oȇ,/3ODG«SXW«H8[XH%DUNRVGXSDUWLNafarroa Bai renforça la dramati- sation de l’atmosphère en annonçant qu’un couple de retraités de 67 et DQVGH&DOYL¢GDQVODSURYLQFHGH0DMRUTXHYHQDLHQWOHMRXUP¬PH de se jeter de leur balcon après avoir reçu leur ordre d’expulsion. Ce MRXUO¢ODSUHVVLRQGHODUXHHWOHVFULVGHODIRXOHGH0DGULGU«VRQQªUHQW jusque dans l’enceinte du Congrès ; on les perçoit sur les reportages dif- fusés de l’intérieur par les chaînes de télévision. Le principe d’un débat XOW«ULHXU VXU Oȇ,/3 IXW ȴQDOHPHQW DSSURXY« SDU OHV G«SXW«V FRQVHUYD- WHXUVTXLVȇHPSUHVVªUHQWGHMRXHUODFDUWHGHODU«FXS«UDWLRQSROLWLTXH GHYDQW OHV P«GLDV WHO OH G«SXW« 7HRGRUR *DUF¯D TXL RVD G«FODUHU TXH mOD3$+HWOH33WUDYDLOO>DL@HQWGDQVOHP¬PHVHQV}DORUVP¬PHTXH son parti s’était opposé à toutes les initiatives du collectif depuis 2008. 0DLVDXGHO¢GHOȇHIIHWFRQMRQFWXUHOGHODSUHVVLRQSRSXODLUHOȇKLVWRLUH retiendra surtout que le PP enterra ensuite discrètement l’ILP durant les vacances estivales de 2013.

LA LUTTE NÉCESSAIRE ET LES VICTOIRES CONCRÈTES DU COLLECTIF &RPPHQWOD3$+¢WUDYHUVOHPRXYHPHQWVRFLDOTXLVȇHVWRUJDQLV« GDQVVRQVLOODJHFRQWULEXHWHOOH¢ODG«IHQVHGHVFLWR\HQVHWDXSURJUªV VRFLDO"'HSXLVHOOHDUHPSOLSOXVLHXUVIRQFWLRQVPDMHXUHVDXVHLQ de la société espagnole. Elle a d’abord joué une fonction socialeFUXFLDOH DVVLPLODEOH¢FHOOHGHVWUDYDLOOHXUVVRFLDX[HQFU«DQWJU¤FH¢FHVFROOHF- WLIVORFDX[GHVOLHX[Gȇ«FRXWHGHU«FRQIRUWHWGȇHQWUDLGHTXLRQWSHUPLV ¢GHVPLOOLHUVGHFLWR\HQVDSSDXYULVSDUODFULVHHWOLYU«VDXG«VHVSRLU GHUHWURXYHUXQHGLJQLW«GHVHVHQWLUPRLQVVHXOVIDFH¢ODSDXYUHW«HWOD précarité et de s’appuyer sur les expériences des autres pour défendre leurs droits. Les psychologues sociaux savent combien les événements

56. « El PPFKTȄPQCNCFCEKȕPGPRCIQ[UȐCNQUVQTQUz=El diario. es], 7 février 2013.

242 De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

dramatiques de la vie comme l’exposition durable à la pauvreté ou une H[SXOVLRQ SHXYHQW HQJHQGUHU XQ mWUDXPDWLVPH SV\FKLTXH} G«WUXL- VDQWOHVLG«HVUH©XHVGHOȇLQGLYLGXVXUODMXVWLFHHWOHVGURLWVGHOȇKRPPH et entraînant un état de confusion extrême et d’insécurité qui peut l’amener à intérioriser son statut d’infériorité sociale. Par l’apport d’un VRXWLHQ «PRWLRQQHO G«VLQW«UHVV« DX[ SHUVRQQHV DIIHFW«HV OD 3$+ SHU- PHWGHWUDLWHUOHXUmYXOQ«UDELOLW«SV\FKRORJLTXH}HQU«SRQGDQW¢OHXUV sentiments de honte et d’injustice et à la dégradation morale de leur HVWLPH GH VRL HW HQ WUDQVIRUPDQW FHV VHQWLPHQWV HQ GHV SURSRVLWLRQV constructives et des actes de dénonciation. Au-delà de la lutte pour le GURLWDXORJHPHQWFRPPHGȇDXWUHVDVVRFLDWLRQVHWFROOHFWLIVVROLGDLUHV la PAH permet aux citoyens en proie au « déclassement » de se recons- WUXLUH LQGLYLGXHOOHPHQW GH UHSUHQGUH FRQȴDQFH HQ HX[P¬PHV HW HQ OHVDXWUHVHWGHURPSUHDYHFODVSLUDOHGHODmGLVTXDOLȴFDWLRQVRFLDOH} et de l’exclusion57. 'H SOXV OD 3$+ D DXVVL MRX« OHV IRQFWLRQV GH mise sur l’agenda politique de certains enjeux sociaux et de reformulation des cadrages dominants de ces enjeux. En interpellant personnellement les députés par lettre avant sa comparution devant la commission d’économie du &RQJUªVGXI«YULHUHQU«GLJHDQWGHVWULEXQHVGDQVOHVMRXUQDX[ HQLQWHUYHQDQWORUVGHVG«EDWVGHVRFL«W«VXUOHVFKD°QHVGHW«O«YLVLRQ HQPDQLIHVWDQWHQRFFXSDQWGHVEDQTXHVHWHQVȇLQWHUSRVDQWIDFHDX[ IRUFHV GH OȇRUGUH SRXU SDUDO\VHU OHV H[SXOVLRQV OH FROOHFWLI D MRX« OD IRQFWLRQGHmODQFHXUGȇDOHUWH}HQDWWLUDQWOȇDWWHQWLRQGHVP«GLDVHWGHV citoyens sur la problématique du droit au logement et la responsabilité GHVHQWLW«VȴQDQFLªUHVGDQVODFULVH(QIRUPXODQWGHQRXYHDX[mFDGUHV GȇLQWHUSU«WDWLRQ}GHVFDXVHVHWGHVVROXWLRQV¢GRQQHU¢FHVHQMHX[OD PAH a permis de « répandre de nouvelles valeurs opposées à l’idéologie dominante58 ». En structurant un « discours d’injustice » sur le carac- WªUHPRUDOHPHQWLQDFFHSWDEOHGHVH[SXOVLRQVGHVIUDXGHVEDQFDLUHVHW GHODVS«FXODWLRQLPPRELOLªUHOD3$+DFRQWULEX«¢mGRQQHUXQVHQV DX[«Y«QHPHQWV¢RUJDQLVHUOȇH[S«ULHQFHHWJXLGHUOȇDFWLRQLQGLYLGXHOOH et collective59 ». Son discours alliant dénonciation des causes et des

šSerge PƧƺƭƧƳ, La disqualification sociale, Paris, Presses universitaires de FTCPEG š Camille Pƫƺƭƴƾ, Le déclassement, Paris, Grasset, 2009. šWilliam Gamson parle de « frame transformation » pour caractériser cette requalification du discours dominant. Cf. William GƧƳƸƵƴ, Talking Politics, Cambridge, Cambridge University Press, 1992. šDavid SƴƵƼ et. al., « Frame alignment processes, micromobilization and movement partici pation », American Sociological ReviewXQNPoR

243 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

responsables de la crise et la proposition de solutions alternatives a SHUPLVGȇmLQȵXHQFHUODU«DOLW«SHU©XHHWODSHUVXDVLRQGHVLQGLYLGXV} qui constituent eux-mêmes « des déterminants clés de la participation à un mouvement social60 ». (QȴQ¢WUDYHUVVHVDFWLRQVQDWLRQDOHVHWOHVOXWWHVORFDOLV«HVGHVHV FROOHFWLIV DX VHLQ GHV TXDUWLHUV HW GHV PXQLFLSDOLW«V OD 3$+ D MRX« OD fonction d’un groupe de pression en défense de l’intérêt général. Même si ces luttes collectives n’ont pas débouché sur un changement politique PDMHXU IDFH DX G«GDLQ GX 362( SXLV GX 33HOOHV RQW HX XQ LPSDFW ¢ GLII«UHQWV QLYHDX[ 'ȇDERUG VHV UHYHQGLFDWLRQV VRQW G«VRUPDLV WUªV FRQQXHVHWREWLHQQHQWOHVRXWLHQPDMRULWDLUHGHODSRSXODWLRQFRPPH OHPRQWUHQWOHVVRQGDJHVGȇRSLQLRQGHID©RQU«FXUUHQWH$XWUHPHQWGLW la PAH est en train de marquer des points dans la bataille des idées : FH QȇHVW SDV XQ KDVDUG VL OD SOXV SXLVVDQWH I«G«UDWLRQ GX 362( FHOOH Gȇ$QGDORXVLH DX SRXYRLU DYHF ,8 D DSSOLTX« HQ  XQ PRUDWRLUH sur les expulsions et qu’Izquierda Unida mais surtout la nouvelle for- mation montante Podemos soutiennent fortement ses revendications. /HV PXQLFLSDOLW«V GH 0DGULG %DUFHORQH 9DOHQFH &DGL[ HW 6DUDJRVVH conquises par le parti de Pablo Iglesias lors des municipales de mai  RQW DLQVL G«FU«W« GHV PRUDWRLUHV VXU OHV H[SXOVLRQV GHSXLV ORUV 'ȇDXWUHSDUWHQWRXFKDQWOȇLPDJHGHPDUTXHGHVEDQTXHVLPSOLTX«HV dans la spéculation immobilière et les prêts immobiliers frauduleux et HQOHVSRXUVXLYDQWHQMXVWLFHOD3$+DDLG«GHVPLOOLHUVGHSHWLWV«SDU- gnants à éponger leurs dettes et à les renégocier avec leur banque61. Elle a alerté sur l’exclusion sociale croissante et la possibilité d’y remédier FRQFUªWHPHQWHQPDQLDQWOHGURLWODIRUFHGXQRPEUHHWODG«VRE«LV- VDQFH FLYLTXH /D 3$+ D FRQWULEX« ¢ SROLWLVHU GH QRXYHDX[ HQMHX[ MXVTXȇDORUVDEVHQWVGXG«EDWSROLWLTXHHQ(VSDJQHFRPPHOHPDQTXH d’un parc public de logements sociaux. /DmORLGHVHFRQGHFKDQFH}G«FLG«HSDUOH33HQI«YULHUHQ SOHLQHDQQ«H«OHFWRUDOHDȴQGHGRQQHUXQHLPDJHSOXVmVRFLDOH}¢VRQ

šBert KƲƧƴƪƫƷƳƧƴƸ, « MQDKNK\CVKQP CPF RCTVKEKRCVKQPš UQEKCN RU[EJQNQIKECN GZRCPUKQPU QH resource mobilization theory », American Sociological Review, vol. 49, n° 4, 1984, p. 584. šSuite à une plainte en 2011 de plusieurs associations et collectifs dont la PAH et l’ADICAE, l’association des usagers des banques et des caisses d’épargne, le Tribunal Suprême a ainsi condamné les banques BBVA, Cajamar et Nova Galicia en mai 2013, considérant les « clauses sol » comme illégales. Depuis lors, les particuliers gagnent 90 % de leurs procès contre les banques s’ils ont signé un contrat contenant une telle clause. Ces dernières préfèrent donc négocier avec les clients pour perdre moins de temps et d’argent, éviter les atteintes à leur réputation et « l’effet d’appel » des victoires judiciaires. Cf.+ȓKIQFG$CTTȕPk.CDCPECFGLCFG TGEWTTKTNCUENȄWUWNCUUWGNQFGJKRQVGECU[CEGRVCPGIQEKCTzEl País, 16 novembre 2014, p. 27.

244 De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

ELODQ SURSRVH GȇDSSOLTXHU OD mGRQDWLRQ SRXU SDLHPHQW} DX[ HQWUH- SUHQHXUVHWDX[IDPLOOHVPDLVGHID©RQEHDXFRXSSOXVUHVWULFWLYH62. En GRQQDQWOHXUVELHQVOHVSDUWLFXOLHUVSRXUURQWVHXOHPHQWSD\HUGH leurs dettes sur cinq ans et 80 % sur dix ans. La loi facilitera la « rené- JRFLDWLRQGHVGHWWHV}HQWUHOHVEDQTXHVHWOHVSDUWLFXOLHUVDFWDQWXQH procédure que la PAH a de fait déjà imposée à de nombreuses banques. &HUWHVXQHORLELHQPHLOOHXUHDXUDLWSX¬WUHYRW«H/DOXWWHSRXUOHGURLW au logement ne s’arrête pas là. Mais cette récupération par le pouvoir FRQVHUYDWHXU FHUWHV SOHLQH GȇDUULªUHSHQV«HV «OHFWRUDOLVWHV HW GRQW OHV HIIHWVVHURQWOLPLW«VGHFHUWDLQHVUHYHQGLFDWLRQVGXPRXYHPHQWVRFLDO montre que les lignes commencent à bouger au sein même de l’idéolo- gie dominante et que les luttes des dernières années n’auront pas été vaines.

62. « El Gobierno habla de dación en pago para emprendedores pero se olvida de las familias », [La Sexta. com], 26 février 2015, consulté le 5 avril.

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De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

9

La monarchie espagnole entre crises et restaurations (1808-2015)

Benoît PELLISTRANDI

En Juan Carlos, nous disons notre gratitude à l’égard d’une génération de citoyens qui a ouvert la voie à la démocratie et à l’entente entre les Espagnols. 3KLOLSSH9,MXLQ

/ȇDEGLFDWLRQGXURL-XDQ&DUORVDQQRQF«HOHMXLQGȇDERUGSDU le chef du gouvernement Mariano Rajoy puis expliquée par le roi lui- P¬PH DX FRXUV GȇXQH LQWHUYHQWLRQ W«O«YLV«H mLQVWLWXWLRQQHOOH} QȇHVW pas apparue comme un geste volontaire mais bien comme le résultat quasiment obligé d’une détérioration de l’image du roi dans l’opinion SXEOLTXHG«W«ULRUDWLRQTXLHQWUD°QDLWDYHFHOOHODUHPLVHHQFDXVHGX V\VWªPH PRQDUFKLTXH /H SURFHVVXV FRQVWLWXWLRQQHO H[LJHDLW TXH I½W alors votée une loi organique prenant acte de l’abdication de Juan Carlos ; c’est lorsqu’il signerait la loi que son abdication deviendrait effective. L’acte solennel eut lieu le mercredi 18 juin 2014 au Palais 5R\DO¢0DGULG/HOHQGHPDLQOHV&RUWªVSURF«GDLHQW¢ODSURFODPDWLRQ GXQRXYHDXURL3KLOLSSH9, La séquence politique fut donc extraordinairement rapide : en dix- KXLW MRXUV OD &RXURQQH DYDLW FKDQJ« GH WLWXODLUH HW OD PDJLVWUDWXUH VXSU¬PH GH Oȇ‹WDW IDLVDLW OD G«PRQVWUDWLRQ TXȇHOOH IRQFWLRQQDLW SDUIDL- tement dans le cadre prévu et instauré par la constitution de 1978. Les PDQLIHVWDWLRQVGHU«SXEOLFDLQVGHPDQGDQWTXȇXQU«I«UHQGXPI½WRUJD- nisé pour décider de la continuité ou non de la forme monarchique de ODW¬WHGHOȇ‹WDWIXUHQWUDSLGHPHQWQR\«HVVRXVOHȵRWGHVFRPPHQWDLUHV VRXYHQW«ORJLHX[TXLDFFRPSDJQªUHQWODG«FLVLRQGH-XDQ&DUORV&HOOH FLPHWWDQWȴQ¢XQUªJQHGHSUHVTXHWUHQWHQHXIDQVRQQHSRXYDLWSDV QHSDVSURSRVHUXQELODQ(W¢FHW«JDUGOȇDFWLIODWUDQVLWLRQG«PRFUD- WLTXH OD FDSDFLW« ¢ DFFRPSDJQHU OD P«WDPRUSKRVH GH Oȇ(VSDJQH HW ¢ UHSU«VHQWHUFHSD\VTXLUHWURXYDLWODVFªQHLQWHUQDWLRQDOHOȇHPSRUWDLW

247 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

largement sur le passif constitué par les scandales de corruption qui ont entaché la réputation de la famille royale et le comportement de l’homme privé Juan Carlos. $XMRXUGȇKXL OH QRXYHDX URL 3KLOLSSH9, MRXLW GȇXQ FU«GLW FRQVLG«- UDEOHHQ I«YULHU XQ VRQGDJH SXEOL« SDU OH TXRWLGLHQ El País lui accordait une cote de popularité de 71 % de satisfaits contre 19 % de P«FRQWHQWVVRLWXQVROGHSRVLWLIGHSRLQWV‚WLWUHGHFRPSDUDLVRQ OHVOHDGHUVSROLWLTXHV0DULDQR5DMR\ 33FKHIGXJRXYHUQHPHQW 3HGUR Sánchez (PSOE) et Pablo Iglesias (Podemos  QH UHFXHLOOHQW UHVSHFWLYH- PHQWTXHHWGȇRSLQLRQVIDYRUDEOHV'DQVOHFRQWH[WHGH G«VDIIHFWLRQJ«Q«UDOLV«HTXLPDUTXHOHPRQGHSROLWLTXHOD&RXURQQH UHQRXYHO«H HQ VRQ WLWXODLUH D UHWURXY« OȇDSSXL HW OD FRQȴDQFH GHV citoyens1. Ce résultat semble effacer en partie la chute vertigineuse de la popularité de Juan Carlos au cours des dernières années. Selon les sondages du quotidien El Mundo élaborés par l’entreprise Sigma Dos HQ MDQYLHU  GHV SHUVRQQHV LQWHUURJ«HV DYDLHQW XQH très bonne ou une bonne opinion du bilan du règne de Juan Carlos. 8QDQSOXVWDUGOHFKLIIUHWRPEDLW¢HW¢HQMDQYLHU /DFRQV«TXHQFH«WDLWTXHGHVLQWHUURJ«VFRQWUH HW VDQVRSLQLRQ VRXWHQDLHQWODPRQDUFKLHFRPPHIRUPHGHOȇ‹WDW FRQWUH  HQ MDQYLHU  /H VHXO SRLQW SRVLWLI GH FH VRQGDJH FDWDVWUR- SKLTXH«WDLWTXHGHV(VSDJQROVHVWLPDLHQWTXHOHSULQFH3KLOLSSH serait à même de restaurer le prestige de la monarchie. Bien que très VHQVLEOHV ¢ OD FRQMRQFWXUH LPP«GLDWH OHV VRQGDJHV U«YªOHQW DXVVL GHV tendances de fond de l’opinion publique. La popularité actuelle du roi Philippe VI trouve ses fondements dans l’image qu’il s’était construite HQWDQWTXHSULQFHGHV$VWXULHV)DLWQRWDEOHOHVDPHGLMDQYLHU ORUVGXPHHWLQJTXLFRQFOXDLWODmPDUFKHGXFKDQJHPHQW}OHOHDGHU GHODQRXYHOOHIRUPDWLRQUDGLFDOHGHJDXFKH3DEOR,JOHVLDVQȇ«YRTXDLW pas de changement de régime alors qu’il est ouvertement républicain. ,OIDXWYRLUO¢¢ODIRLVGHODSUXGHQFHWDFWLTXHPDLVDXVVLSHXW¬WUHOD UHO«JDWLRQSHXW¬WUHSURYLVRLUHGHODTXHVWLRQPRQDUFKLTXHDXVHFRQG plan de l’agenda politique. 3RXUDXWDQWODFULVHTXHODPRQDUFKLHHVSDJQROHDWUDYHUV«HGH à 2014 est-elle seulement conjoncturelle ? Faut-il n’y lire que le crépus- cule d’un règne qui aurait été trop long ? Les erreurs d’appréciation de Juan Carlos seraient-elles les seules raisons de cette crise ou ne faut-il

1. « Encuesta de MGVTQUEQRKCš GN ENKOC RQNȐVKEQ [ UQEKCN GP EURCȓCz El País, dimanche 8 février 2015.

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pas l’inscrire dans un faisceau de crises2 ? La monarchie n’aurait-elle pas été pendant trois ans le paratonnerre qui attirait la colère populaire «FĕXU«HGHG«FRXYULUOȇDPSOHXUGHODFRUUXSWLRQGHVHV«OLWHVWDQW«FR- QRPLTXHV HW ȴQDQFLªUHV TXH SROLWLTXHV HW V\QGLFDOHV"/ȇ«EUDQOHPHQW GȇXQH GHV FOHIV GH YR½WH GX SDFWH FRQVWLWXWLRQQHO GH  GRLW ¬WUH lu dans sa conjoncture courte mais aussi depuis une perspective his- torique. Si la monarchie en Espagne reste marquée par un héritage KLVWRULTXH TXL OD IUDJLOLVH OȇDFWLRQ SROLWLTXH GH -XDQ &DUORV D SHUPLV de nouer un pacte entre elle et la démocratie. La validité de ce pacte VXɚWHOOH ¢ DVVXUHU OȇDYHQLU GH OD PRQDUFKLH RX OȇHQWU«H HQ FULVH GHV fondements du consensus démocratique ne peut-elle pas emporter cette réalité politique ? Ces questions politiques ne peuvent se comprendre sans une mise en perspective historique. La monarchie espagnole est une institution que l’histoire a fragilisée et la société espagnole en garde ODP«PRLUH$SUªVDYRLUG«FULW¢JUDQGVWUDLWVFHWK«ULWDJHQRXVPRQ- WUHURQVFRPPHQWJU¤FHDXSDFWHQRX«DYHFODG«PRFUDWLH-XDQ&DUORV HWG«VRUPDLVVRQVXFFHVVHXU3KLOLSSH9,RQWIDLWGHODPRQDUFKLHXQH institution d’équilibre et d’incarnation. Cette démarche permettra ainsi d’exposer l’une des caractéristiques de la culture politique espagnole dont la juste appréhension est indispensable à la compréhension des enjeux actuels de l’Espagne.

LA MONARCHIE, UN HÉRITAGE FRAGILISÉ PAR L’HISTOIRE L’histoire des Bourbons en Espagne est une histoire complexe dans ODTXHOOH OHV VFDQGDOHV OHV FULVHV IDPLOLDOHV OHV DEGLFDWLRQV OHV H[LOV les restaurations scandent une saga dynastique et politique haute- ment colorée. Il y eut d’abord la guerre de Succession et la manœuvre SROLWLTXHGH/RXLV;,9SHWLWȴOVGH3KLOLSSH,,, URLGȇ(VSDJQHGH à 1621) et neveu et gendre de Philippe IV (roi de 1621 à 1665). Bien qu’il ait renoncé à la succession d’Espagne pour sa descendance lors de VRQPDULDJHDYHFOȇLQIDQWH0DULH7K«UªVH/RXLV;,9DFFHSWHUDHQ OD FRXURQQH Gȇ(VSDJQH SRXU VRQ SHWLWȴOV OH GXF Gȇ$QMRX (QWUH HW OD OXWWH HQWUH OHV SDUWLVDQV GH 3KLOLSSH9 HW FHX[ GX SU«WHQ- GDQW &KDUOHV GH +DEVERXUJ G«FKLUD Oȇ(VSDJQH (Q &DWDORJQH QRWDP- PHQWR»OHV%DUFHORQDLVTXLHQVȇ«WDLHQWWRXUQ«VYHUV/RXLV;,,,

šTelle est la raison d’un article consacré à la monarchie dans ce livre étudiant la crise démo cratique espagnole.

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FRQWUH3KLOLSSH,9YRLHQWG«VRUPDLVHQ&KDUOHVGH+DEVERXUJOHPHLO- leur défenseur des libertés catalanes3. Il convient de ne pas tomber dans l’anachronisme et de ne pas relire le XVIIIe siècle espagnol à la lumière des historiens catalans du XIXe siècle. La vision misérabiliste d’une Catalogne opprimée est fausse : Pierre Vilar l’a magistralement G«PRQWU«GDQVVDF«OªEUHWKªVHLa Catalogne dans l’Espagne moderne. Recherches sur les fondements économiques des structures nationales (1962). Retenons cependant l’idée d’une nouvelle étape dans l’histoire QDWLRQDOH PDUTX«H ¢ OD IRLV SDU OȇLPSODQWDWLRQ GHV %RXUERQV HW SDU OȇDEROLWLRQGHVMXULGLFWLRQVGHVGLII«UHQWHVFRXURQQHV $UDJRQ9DOHQFH &DWDORJQH%DO«DUHV DXSURȴWGXV\VWªPHMXGLFLDLUHFDVWLOODQ'ȇXQF¶W« XQQRXYHODOLJQHPHQWGH0DGULGVXUOD)UDQFHGHOȇDXWUHOȇH[S«ULHQFH d’une rationalisation administrative. L’Espagne du XVIIIe siècle avec ses quatre rois — Philippe V (1700-  /RXLV,er (1724)4)HUGLQDQG9,  &KDUOHV,,,   — est une puissance européenne qui compte et qui se modernise. Charles IV (1788-1808) va se trouver confronté à l’épreuve de la Révolution IUDQ©DLVHFHTXLH[SOLTXHVHVUDLGLVVHPHQWVLQWHOOHFWXHOVHWLG«RORJLTXHV 4XRLTXȇHQJDJ« GDQV OHV JXHUUHV DQWLIUDQ©DLVHV Oȇ(VSDJQH UHWURXYH WUªV YLWHVRQDOOLDQFHDYHFOD)UDQFH WUDLW«GH6DQ,OGHIRQVRHQTXLIDL- VDQWVXLWH¢ODSDL[GH%¤OHOLHOHVLQW«U¬WVHVSDJQROV¢FHX[GHOD)UDQFHȐ et explique l’alliance maritime qui vaudra à l’Espagne la perte de ses navires lors de la bataille de Trafalgar en 1805). La présence de troupes françaises sur son sol dès 1807 — elles se dirigent vers le Portugal — se transformera en occupation militaire en avril 1808 lorsque la crise fami- liale et politique de la dynastie des Bourbons conduit Napoléon à la dépos- V«GHUGXWU¶QH&KDUOHV,9GRLWHQHIIHWIDLUHIDFH¢OȇRSSRVLWLRQGHVRQȴOV )HUGLQDQGSULQFHGHV$VWXULHV&KRTX«SDUOȇDWWLWXGHGHVDPªUHODUHLQH 0DULH/RXLVH SURWHFWULFH GH OȇDVFHQVLRQ LQG«FHQWH GH 0DQXHO *RGR\ HW FRQVWHUQ« SDU OD IDLEOHVVH GH VRQ SªUH &KDUOHV ,9 )HUGLQDQG HVW VDQV aucun doute impliqué dans la préparation du soulèvement d’Aranjuez. ([SORVLRQ GH YLROHQFH SRSXODLUH FHWWH «PHXWH D GȇLPPHQVHV FRQV«- quences politiques entre le 17 et le 19 mars 1808 : Charles IV abdique et )HUGLQDQG9,,HVWSURFODP«URL'HX[MRXUVDSUªVOHYLHX[URLUHSUHQGVD

šPour une interprétation globale de ce moment dans l’histoire catalane, voir José Enrique RƺƯƿDƵƳʣƩƫƩ, Catalunya-España. Encuentros y desencuentros, Barcelone, La Vanguardia 2010 et Henry KƧƳƫƴ, España y Cataluña, Madrid, La Esfera de los libros, 2014. Pour un point plus détaillé sur la guerre de Succession, voir Joaquim AƲƨƧƷƫƪƧSƧƲƻƧƪʭ, La guerra de Sucesión en España (1700-1714), Barcelone, Crítica, 2011. šPhilippe V abdiqua en janvier 1724 et son fils Louis lui succéda. Il mourut prématurément en août 1724 forçant son père à remonter sur le trône.

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décision prétextant qu’elle lui a été arrachée sous la contrainte… Pendant FHWHPSV0XUDWHVWHQWU«GDQV0DGULG/ȇHPSHUHXUIUDQ©DLVYDMRXHUOHV P«GLDWHXUVFRQYRTXDQWHWOHSªUHHWOHȴOV¢%D\RQQHLOREWLHQWGȇHX[ OHXUDEGLFDWLRQUHVSHFWLYH-RVHSK%RQDSDUWHGHYLHQWURLGȇ(VSDJQH Les tensions familiales ont pesé plus lourd que l’intérêt national. /ȇH[SUHVVLRQSHXWG«VRUPDLV¬WUHXWLOLV«HSXLVTXHGXPDLDYHF le soulèvement de Madrid et de la déclaration du maire de Mostoles on peut dater l’avènement de la notion de souveraineté nationale et populaire en Espagne5'«VRUPDLVODG\QDVWLHDDIIDLUHDYHFXQQRXYHO DFWHXUSROLWLTXHOHSHXSOHODQDWLRQ/HV&RUWªVGH&DGL[TXLGRQQHQW DX SD\V VD SUHPLªUH FRQVWLWXWLRQ OH PDUV  IRUPDOLVHQW FHWWH QRXYHOOH FRQȴJXUDWLRQ SROLWLTXH (OOH HVW U«YROXWLRQQDLUH /ȇ$QFLHQ 5«JLPHHVSDJQROHVWPRUWȐ0DLVSDUDGR[DOHPHQWOHURL)HUGLQDQG9,, représente un élément clef de la mobilisation populaire. C’est au nom GHm)HUGLQDQGOH'«VLU«}TXHOXWWHQWGHVEDQGHVDUP«HVTXLJU¤FH¢ OȇDLGHDQJODLVHVXSHUYLV«HSDU:HOOLQJWRQPHWWHQWHQ«FKHFOHVDUP«HV HWOHVJ«Q«UDX[QDSRO«RQLHQV/HPDUV)HUGLQDQG9,,SDVVHOD IURQWLªUH¢)LJXHUDV,OHVWDFFXHLOOLWULRPSKDOHPHQW¢6DUDJRVVHSXLV¢ 9DOHQFH/HPDLDYDQWGȇHQWUHU¢0DGULGLOG«QRQFHODFRQVWLWXWLRQGH &DGL[mQXOOHHWQRQDYHQXH}/ȇ$QFLHQ5«JLPHYLHQWGHUHQD°WUHȐHW DYHFOXLOȇ,QTXLVLWLRQTXH1DSRO«RQGDQVVRQ«ODQPRGHUQLVDWHXUDYDLW supprimée. 'H ¢ )HUGLQDQG9,, JRXYHUQHUD VHORQ OHV UªJOHV GX SRXYRLU DEVROXWLVWH (QWUH HW LO DXUD G½ FRPSRVHU DYHF XQ gouvernement issu d’un pronunciamiento qui avait permis le rétablis- sement de la constitution de 18126. Mais Ferdinand VII est rétabli dans ses prérogatives absolues grâce à l’intervention militaire française des m&HQWPLOOHȴOVGHVDLQW/RXLV}GRQW&KDWHDXEULDQGVHYDQWHUDGDQV ses Mémoires d’outre-tombe. La répression qui suivra sera féroce et les historiens ont coutume d’appeler la période 1823-1833 « la décen- nie odieuse7} 5RL DEVROX )HUGLQDQG9,, QȇHQ GHPHXUH SDV PRLQV XQ URLIUDJLOH‚Oȇ«WUDQJHUOHVOLE«UDX[HQH[LOQRLUFLVVHQWVDU«SXWDWLRQ ‚ OD FRXU LO GRLW DIIURQWHU OHV DPELWLRQV WURS YLVLEOHV GH VRQ IUªUH

šMiguel AƷƹƵƲƧ, La monarquía de España, Madrid, Alianza Editorial, 1999. šIl s’agit d’un manifeste politique qui est proclamé par une partie de l’armée qui se soulève au nom des principes exposés. Le pronunciamiento peut aboutir à un changement de gouverne ment ou pas. Il n’est pas un coup d’ÉVCVšKNGUVWPGKPXKVCVKQPȃEJCPIGTNGIQWXGTPGOGPVGVUC ligne politique. En vérité, il est la première étape du coup d’ÉVCVšЏ šBenito PʣƷƫƸGƧƲƪƵƸ  CEQPUVTWKVWPGITCPFGHTGUSWGTQOCPGUSWGUWTNŨJKUVQKTG contemporaine de l’Espagne rassemblée sous le nom Épisodes nationaux VKVTGUšЏ L’un des TQOCPUUŨKPVKVWNGšLa terreur de 1824.

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GRQ&DUORV (Q HIIHW )HUGLQDQG9,, QȇD SDV GȇK«ULWLHU 6D TXDWULªPH «SRXVH0DULH&KULVWLQHGH%RXUERQ«SRXV«HHQOXLGRQQHGHX[ ȴOOHV,VDEHOOHQ«HHQHW/RXLVH)HUQDQGHQ«HHQ/HDYULO  DYDQW OD QDLVVDQFH GH OD SULQFHVVH HVW SXEOL«H GDQV La Gaceta la pragmatique sanction qu’en 1789 le roi Charles IV avait décidée mais pas fait sanctionner et qui abolissait la loi salique introduite en (VSDJQH SDU OH SUHPLHU GHV %RXUERQV 3KLOLSSH9 /D QDLVVDQFH Gȇ,VD- belle en septembre 1830 la convertissait dès lors en princesse héritière : GRQ&DUORV«WDLWG«SODF«HWUHO«JX«(QVHSWHPEUH)HUGLQDQG9,, YLFWLPHGȇXQHDWWDTXHGHJRXWWHHVWDXSOXVPDO/HFODQGHVSDUWLVDQV de don Carlos lui arrache l’annulation de la décision de 1830 et le réta- EOLVVHPHQWGHODORLVDOLTXH0DLVFRQWUHWRXWSURQRVWLF)HUGLQDQG9,, se releva de cette alerte et annula la décision qu’on lui avait arrachée. À VDPRUWOHVHSWHPEUHODFRXUHVWQRWRLUHPHQWGLYLV«HHQWUHOHV « cristinos » — partisans de la régence par la reine Marie-Christine — et les « carlistas » — les appuis de don Carlos. L’histoire du règne de Ferdinand VII nous révèle la matrice de l’his- toire de la dynastie des Bourbons. Elle est faite de divisions familiales TXL VRQW GHV GLYLVLRQV SROLWLTXHV GȇH[LOV GH UHYDQFKHV GH IUDJLOLW«V GH U«JHQFHVȐ (QWUH HW OH SD\V FRQQD°W VD SUHPLªUH JXHUUH FLYLOHHQWUHFDUOLVWHVHWOLE«UDX[(OOHUDYDJHOH1RUGQRWDPPHQWOH3D\V basque et la Navarre. C’est plus qu’une division : on peut presque parler GHVFKLVPH3RXUVDXYHUOHWU¶QHGHVDȴOOH0DULH&KULVWLQHIDLWDOOLDQFH DYHFOHVOLE«UDX[(QHOOHRFWURLHXQHFKDUWH Estatuto Real SXLV en 1837 elle accepte une constitution tandis que don Carlos continue de plaider pour l’absolutisme et fait de sa foi catholique sa marque de fabrique. Avec le carlisme naît toute une tradition politique qui irriguera progressivement tout le volet intégriste du catholicisme espa- gnol. La fracture des droites trouve là une de ses origines. Pour tracer XQSDUDOOªOHDYHFOD)UDQFHHQDGRSWDQWODW\SRORJLHGH5HQ«5«PRQG don Carlos incarne l’ultracisme tandis que Marie-Christine aurait une pratique orléaniste8. /D SDL[ GH 9HUJDUD HQ  PHW ȴQ ¢ OD JXHUUH FLYLOH (OOH SODFH au premier rang politique le général Espartero qui a mené les troupes LVDE«OLQHV¢ODYLFWRLUH(QLOHVW¢OȇRULJLQHGȇXQpronunciamiento. ,O GHYLHQW P¬PH U«JHQW IRU©DQW 0DULH&KULVWLQH ¢ OȇH[LO /D UHLQH QH dispose pas d’une grande force politique. Son comportement personnel — elle s’est remariée en secret à l’un de ses gardes du corps dont elle

šRené RʣƳƵƴƪ, Les droites en France, Paris, AWDKGTMontaigne, 1982.

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DKXLWHQIDQWVWRXVHQYR\«VHQ)UDQFHSRXUFDFKHUOHVFDQGDOHȃOD fragilise. Ses tergiversations — elle n’est libérale que pour sauver son WU¶QHȃSXLVSOXVWDUGVHVPDOYHUVDWLRQVȴQDQFLªUHVDXURQWPLQ«OH chemin qui devait conduire la jeune Isabelle sur le trône9 -RV« *¾HOO avait proposé en 1858 un parallèle entre Isabelle II et la grande Isabelle OD FDWKROLTXH ,O VȇDJLVVDLW ELHQ GH G«IHQGUH OD ȴJXUH GȇXQH WUªV MHXQH IHPPHTXLRFFXSDLWXQWU¶QHFRQWHVW«SDUOHVFDUOLVWHVHWGȇ\YRLUODSUR- messe d’un grand règne10. Cet essai restera infructueux et la réputation d’Isabelle II sera toujours sulfureuse. Cela commença par la question hautement politique de son mariage. )UXLW GȇXQH ORQJXH Q«JRFLDWLRQ GLSORPDWLTXH GRQW *XL]RW D ODLVV« le récit11 OH PDULDJH Gȇ,VDEHOOH VHUD HVSDJQROHOOH «SRXVH VRQ FRXVLQ JHUPDLQ)UDQ©RLVȴOVGXȴOVFDGHWGH&KDUOHV,9XQDXWUH)UDQ©RLV/D VĕXU FDGHWWH GH OD UHLQH OȇLQIDQWH /RXLVH)HUQDQGH «SRXVH OH GXF GH 0RQWSHQVLHU XQ GHV ȴOV GH /RXLV3KLOLSSH /H PDULDJH UR\DO F«O«EU« HQIXWLPP«GLDWHPHQWREMHWGHVFDQGDOH1RQVHXOHPHQWLOQȇ«WDLW SDVFRQVRPP«PDLVLOVHPEOHTXHODMHXQHUHLQH HOOHDHQWUHVHL]HHW dix-sept ans) s’attache à d’autres hommes. Il faudra l’intervention du pape Pie IX pour forcer la reine et son époux à vivre ensemble. Si des HQIDQWV QDTXLUHQW GH FHWWH XQLRQ OHV DSS«WLWV VH[XHOV WDQW Gȇ,VDEHOOH TXHGH)UDQ©RLVȃRQOHVXUQRPPDLWm3DTXLWD}GLPLQXWLII«PLQLQGH )UDQ©RLVȃHXUHQWW¶WIDLWGȇDOLPHQWHUWRXWHVVRUWHVGHUXPHXUVHWGȇLQ- sinuations. La chose ne serait qu’anecdotique si elle n’avait eu des effets SROLWLTXHV7RXWU«FHPPHQW,VDEHO%XUGLHO¢TXLOȇRQGRLWODPHLOOHXUH biographie d’Isabelle12DSU«IDF«ODU««GLWLRQGȇXQRXYUDJHVFDQGDOHX[ du XIXe siècle : Los Borbones en pelota OLWW«UDOHPHQW Les Bourbons à poil13. Les images satiriques du pamphlet sont d’une violence inouïe : on y voit la reine offrant son sexe à ses courtisans dont le pénis est en YLROHQWH«UHFWLRQ/HFRQIHVVHXUGHODUHLQHOHSªUH&ODUHWVDFRQVHLOOªUH VSLULWXHOOH6ĕXU3DWURFLQLRVRQWWRXWDXVVLREV«G«VVH[XHOVHWG«QXG«VȐ &LUFXODQWVRXVOHPDQWHDXFHVLPDJHVRQWIDLWSOXVTXȇDE°PHUODȴJXUH de la reine : elles minaient l’institution monarchique en discréditant la

šIsabelle est proclamée majeure à ses treize ans en 1843. Mérimée dans sa correspondance insinue que la reine mère, Marie Christine, qu’il appelle « la vieille coquine », avait tenté de vendre des toiles originales du Prado et de les remplacer par des copies… le tout à son profit GZENWUKHšЏ šUne deuxième guerre carliste a eu lieu entre 1854 et 1856. šFrançois GƺƯƿƵƹ, Mémoires pour servir à l’histoire de mon temps, Paris, 1874. šIsabel BƺƷƪƯƫƲ, Isabel II, Madrid, Taurus, 2010. šIsabel BƺƷƪƯƫƲ FKT Los Borbones en pelota, Saragosse, Institución Fernando el Católico, 2012.

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G\QDVWLH0«ULP«HGªVLQIRUPH1DSRO«RQ,,,GXP«SULVGRQWHOOH fait l’objet14. (QOȇ«PHXWHGLWHGHODVDLQW'DQLHOQ«HGHODG«FLVLRQGXJRX- YHUQHPHQWGHVXVSHQGUHOHUHFWHXUGHOȇXQLYHUVLW«GH0DGULGSORQJHHQ U«DOLW«VHVUDFLQHVGDQVXQHQRXYHOOHLQFDUWDGHSROLWLTXHHWȴQDQFLªUH de la reine Isabelle. Celle-ci avait décidé de céder une partie de son SDWULPRLQH¢Oȇ‹WDWDȴQTXHFHOXLFLSXLVVH¢VRQWRXUOHYHQGUHHWHQ WLUHUGHVUHFHWWHVTXLU«GXLUDLHQWOHG«ȴFLW&HSHQGDQWGXSURGXLW GHODYHQWH«WDLWDIIHFW«¢Oȇ‹WDWWDQGLVTXHOHVUHVWDQWDOLPHQWDLHQW ODFDLVVHSHUVRQQHOOHGHODPRQDUTXH/HVDɚG«VYLUHQWGDQVFHJHVWHOD répétition du geste généreux d’Isabelle la Catholique vendant ses bijoux SRXU ȴQDQFHU OȇH[S«GLWLRQ GH &KULVWRSKH &RORPE 0DLV OȇRSSRVLWLRQ libérale et démocrate y vit la spoliation pure et simple d’un patrimoine QDWLRQDO 3RXU (PLOLR &DVWHODU SURIHVVHXU ¢ OȇXQLYHUVLW« GH 0DGULG HW OHDGHU G«PRFUDWH OD UHLQH YRODLW OHV (VSDJQROV /ȇ«PHXWH SURYRTXD QHXIPRUWVOHWU¶QHHQUHVWDWRXW¢IDLWYDFLOODQW7URLVDQVSOXVWDUG la « Gloriosa } FȇHVWOHQRPGRQQ«¢ODU«YROXWLRQTXLHVWGȇDERUGXQH FRQMXUDWLRQGHWRXWHVOHVRSSRVLWLRQV PHWȴQDXUªJQHGȇ,VDEHOOH(OOH part en exil en France et connaît dès lors un « triste destin15 ». Isabelle a échoué comme reine constitutionnelle et la fragilité morale de ses comportements a convaincu les élites espagnoles de l’abandonner. ,QFDSDEOHGHVȇHQWHQLUDXU¶OHTXHOXLȴ[DLHQWOHVWH[WHVFRQVWLWXWLRQ- nels (essentiellement celui de 1845 puisque la constitution progressiste GH  QH IXW SDV DSSOLTX«H  ,VDEHOOH D G«PRQWU« TXH VD SUDWLTXH perturbait l’équilibre des pouvoirs. La solution passe donc par son renversement. /HQRXYHDXSRXYRLU¢0DGULGDSUªVTXHOHV&RUWHVFRQVWLWXWLRQQHOV RQWU«GLJ«XQWH[WH  FKHUFKHXQURL3DUPLOHVFDQGLGDWVOHGXF GH0RQWSHQVLHUEHDXIUªUHGHODUHLQHG«FKXHTXLVHYDQWHGȇDSSDUWH- nir à la famille d’Orléans : c’est une manière de dire son libéralisme. On sonde un prince Hohenzollern (ce qui provoquera la guerre entre la France et la Prusse). On écarte l’hypothèse d’un roi choisi parmi les SUHVWLJLHX[ J«Q«UDX[ HVSDJQROV $X ȴQDO FȇHVW OH ȴOV FDGHW GH 9LFWRU Emmanuel II roi de Piémont qui est élu. Amédée de Savoie arrivera à Madrid en décembre 1871 et quittera l’Espagne en février 1873. Son bref règne ne fait que traduire l’instabilité dans laquelle s’enfonce le

14. « J’ai dit textuellement à Leurs Majestés que la haine qu’elle inspirait n’était tempérée que par le mépris », Lettre 2082, au général L.A. Callier, 2 janvier 1854, CG, t. VII, p. 244. šL’expression est de PƫƷƫƿGƧƲƪƵƸ, La de los tristes destinos, Madrid, Pelardo y PGNȄG\

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SD\V $SUªV FHWWH SDUHQWKªVH LWDOLHQQH GH OD FRXURQQH HVSDJQROH OD République est proclamée. 3HQGDQWFHWHPSVDXWRXUGȇ$QWRQLR&DQµYDVGHO&DVWLOOROHVSDUWL- sans d’une restauration de la monarchie et des Bourbons s’activent. Ils REWLHQQHQWXQHUHQRQFLDWLRQDXWU¶QHGHODUHLQH,VDEHOOH,,DXSURȴWGH VRQȴOVD°Q«OHMHXQHSULQFH$OSKRQVHGRQWOȇ«GXFDWLRQVHSRXUVXLW¢ Paris puis à l’académie militaire britannique de Sandhurst. Publiant un manifeste le 1er décembre 187416OHMHXQHSULQFHVȇRIIUHSRXUXQHUHV- tauration qui reprendrait la forme d’une monarchie constitutionnelle. 3«UH]*DOGRVWURXYHUDODIRUPXOHTXLGLWODV\QWKªVHSURSRV«HLOVȇDJLW d’unir dans un même corps l’esprit de Pie IX et celui d’Espartero. Début  $OSKRQVH IDLW VRQ HQWU«H ¢ 0DGULG HW GHYLHQW URL VRXV OH QRP d’Alphonse XII. Une constitution mettant en place un système bicaméral et faisant du roi l’un des détenteurs de la souveraineté est votée en 1876. Le suffrage est redevenu censitaire. La pensée politique de Cánovas emprunte au libéralisme anglais et au libéralisme doctrinaire17. Il rêve d’un système bipartisan : à un grand parti conservateur s’oppose un JUDQGSDUWLOLE«UDOOHVGHX[«WDQWXQLVVXUODIRUPHGHOȇ‹WDW&HWLG«DO est mis en forme à partir de 1876. Il surmontera trois grandes épreuves : la mort prématurée d’Alphonse XII en 1885 et la mise en place d’une U«JHQFHVRXVOȇDXWRULW«GHODUHLQH0DULH&KULVWLQHGH+DEVERXUJOȇLQV- tauration du suffrage universel en 1890 par le gouvernement libéral de 0DWHR3UD[HGHV6DJDVWDHWHQȴQODJUDQGHFULVHGHFRQVFLHQFHQDWLRQDOH GHFRQV«FXWLYH¢ODSHUWHGHVFRORQLHVFXEDLQHHWSKLOLSSLQHDUUD- FK«HVSDUOHV‹WDWV8QLVDXWHUPHGHFRPEDWVUDSLGHVHWKXPLOLDQWV (Q  OH MHXQH $OSKRQVH HVW SURFODP« URL VRXV OH QRP Gȇ$O- SKRQVH;,,,,ODWRXWMXVWHVHL]HDQV1«DSUªVODPRUWGHVRQSªUHLOHVW l’enfant du miracle mais aussi roi dès sa naissance. Dès son plus jeune ¤JHLOUHFHYUDOHVPDUTXHVGȇKRPPDJHHWGHU«Y«UHQFHDX[TXHOOHVVRQ VWDWXWOXLGRQQHGURLW3V\FKRORJLTXHPHQWFHODQHIXWSDVVDQVFRQV«- quence : le jeune homme n’a jamais fait l’expérience d’une résistance… (QWRXU«GȇKRPPHVSROLWLTXHV¤J«VLOVHVHQWEHDXFRXSSOXV¢OȇDLVHGDQV XQHDPELDQFHPLOLWDLUHR»VHVWDOHQWVHWVRQ«QHUJLHVHOLEªUHQW&RPPH URLLOGRLWIDLUHIDFHDXOHQWG«UªJOHPHQWGXV\VWªPHGHVSDUWLVOLE«UDX[ et conservateurs continuent d’alterner au pouvoir mais des dissidences SXUHPHQWSHUVRQQHOOHVFRPSOLTXHQWODVWDELOLW«GHVJURXSHV‚0DGULG ¢ %DUFHORQH OH VRFLDOLVPH FRPPHQFH ¢ VH PDQLIHVWHU «OHFWRUDOHPHQW

šCe document est connu sous le nom de Manifeste de Sandhurst. šLuis DƯƫƿDƫƲCƵƷƷƧƲ, El liberalismo doctrinario, Madrid, 1955.

255 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

(Q &DWDORJQH HW DX 3D\V EDVTXH GHV PRXYHPHQWV U«JLRQDOLVWHV VDQV UHPHWWUHHQFDXVHOHXUDOO«JHDQFH¢OD&RXURQQHG«YHORSSHQWGHQRX- velles perspectives pour l’Espagne. /H PDL  ORUV GX PDULDJH GX URL DYHF OD SULQFHVVH DQJODLVH 9LFWRLUH(XJ«QLH GH %DWWHQEHUJ XQ DWWHQWDW IDLW YLQJWWURLV PRUWV VXU le passage du convoi nuptial. La chance du roi aurait pu être un signe IDYRUDEOH PDLV OD SRXUVXLWH GHV IHVWLYLW«V PDOJU« OH GUDPH KHXUWH OȇRSLQLRQSXEOLTXH3UHPLªUHJUDYHIDXWHGHFRPPXQLFDWLRQHOOHVHUD VXLYLHGȇDXWUHVHUUHXUVVHPEODEOHV4XLQ]HDQVSOXVWDUGDORUVTXHOHV troupes espagnoles au Maroc ont subi à Annual un véritable massacre RQ SDUOH GH GL[ PLOOH PRUWV  OH URL F«OªEUH ¢ %XUJRV OH UDSDWULHPHQW GHVFHQGUHVGX&LGFDPSHDGRU/ȇ«FDUWHVWG«FLG«PHQWWURSPDQLIHVWH entre une élite enfermée dans ses codes et ses symboles et un pays qui ploie sous les épreuves et les revers. La violence politique qui se déve- loppe à partir de la grève générale de 1917 accentue cette impression de crise désormais ouverte et non plus larvée. Les contemporains ont conscience de cette crise. Les historiens ont d’ailleurs appelé ce temps mOD FULVH GH OD 5HVWDXUDWLRQ} VRXVHQWHQGDQW Oȇ«SXLVHPHQW GH OD IRU- mule historique de 1876. 2QVDLWFRPPHQWFHODVHU«JODHQVHSWHPEUHOHFRPPDQGDQW PLOLWDLUH GH &DWDORJQH OH J«Q«UDO 0LJXHO 3ULPR GH 5LYHUD UHQYHUVH le gouvernement civil et s’installe à la tête d’un directoire militaire. $OSKRQVH;,,,HQW«ULQHOHFRXSGȇ‹WDW3ULPRGH5LYHUDDYDLWSURPLVXQ gouvernement provisoire de 90 jours : il présidera le gouvernement MXVTXȇHQ/DFRQVWLWXWLRQGHHVWVXVSHQGXHVDQVSRXUDXWDQW que soit institutionnalisée la dictature sous la forme d’un régime poli- tique réglé par des lois fondamentales. Alphonse XIII a beau voir en 3ULPR GH 5LYHUD mVRQ 0XVVROLQL} Oȇ(VSDJQH QȇHVW SDV IDVFLVWH18. Elle QȇHVW SOXV OLE«UDOH 4XDQG OHV RSSRVLWLRQV VXUPRQWDQW QRQ VDQV PDO leurs divisions se rassemblent — c’est le Pacte de Saint-Sébastien de Oȇ«W«ȃHOOHVVȇDFFRUGHQWVXUOȇLG«HTXHIRUPXOHUDDYHFDXGDFH-RV« 2UWHJD\*DVVHWmDelenda est Monarchia19 ». Incriminant directement $OSKRQVH;,,,LOOȇDFFXVHGHYRXORLUIDLUHmFRPPHVȇLOQȇ\DYDLWSDVHX GH GLFWDWXUH} FRPPH mVL ULHQ QH Vȇ«WDLW SDVV«} HW TXȇXQ UHWRXU ¢ OD normale était possible.

šLes deux tantes du roi, les infantes, Eulalie et Paz, disent leur admiration pour Mussolini dans leurs mémoires. Voir María VKEVQTKȄLʭǞƫƿCƵƷƪʭƴ, La casa de BorbónXQNš Madrid, Alianza Editorial, 2000, p. 676. šLa formule conclut l’article donné par le philosophe le 15 novembre 1930 et passé à la posté rité. « Espagnols, écrit Ortega, votre État n’existe pas. RGEQPUVTWKUG\NGšЏDelenda est Monarchia ».

256 De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

/H DYULO  GHV «OHFWLRQV PXQLFLSDOHV RQW OLHX GDQV WRXWH l’Espagne. Elles sont le prélude à la reprise d’une vie politique selon les règles de la constitution de 1876. L’opposition républicaine l’emporte dans 45 des 50 capitales de province. Et même si ses conseillers tentent de faire croire à Alphonse XIII que le rapport de forces numériques est favorable aux monarchistes (en comptabilisant tous les conseillers PXQLFLSDX[RUSUªVGHYLQJWGHX[PLOOHDYDLHQW«W««OXVVDQVFRPS«WL- teurs aux termes de la loi électorale qui prévoyait l’absence de vote en FDVGHFDQGLGDWXUHXQLTXH OHURLQHFªGHSDV¢ODWHQWDWLRQGHFHWWHOHF- ture biaisée. Il abdique et le 14 avril 1931 la République est proclamée. Arrêtons-nous un instant pour faire un bilan de cette monarchie du XIXe et du début du XXe siècle. Ferdinand VII et Alphonse XII sont PRUWVURLVGȇ(VSDJQH,VDEHOOH,,HW$OSKRQVH;,,,PRXUURQWHQH[LOHQ  ¢ 3DULV SRXU OD SUHPLªUH ¢ 5RPH HQ  SRXU OH VHFRQG 7RXV DXURQW FRQQX OȇH[LO)HUGLQDQG9,, GH ¢ ,VDEHOOH,, GH ¢$OSKRQVH;,,FRPPHMHXQHSULQFHGH¢$OSKRQVH;,,, GH  ¢  7RXV ¢ OȇH[FHSWLRQ Gȇ$OSKRQVH;,, GRQW OH UªJQH IXW EUHI XQH GL]DLQH GȇDQQ«HV  RQW G½ JRXYHUQHU DYHF GHV DGYHUVDLUHV politiques. Ils n’y ont jamais vraiment consenti et ont toujours voulu reprendre la main. Ils n’ont pas joué le jeu de la constitution qui leur DVVLJQDLWXQHIRQFWLRQSU«FLVHGDQVOȇ‹WDW/HXU«GXFDWLRQOHSOXVVRX- YHQWQ«JOLJ«HFRQWLQXDLWGHOHVFRQYDLQFUHTXȇLOVLQFDUQDLHQWOȇ(VSDJQH HWTXHOȇ‹WDWVHFRQIRQGDLWDYHFOHXUYRORQW« Ce bilan politique et historique explique la fragilité de la monarchie. ‹FODERXVV«HSOXVTXȇLOQHIDXWSDUGHVFRPSRUWHPHQWVRXWUDJHXVHPHQW VFDQGDOHX[ TXDQG LO VȇDJLVVDLW GH PDOYHUVDWLRQV ȴQDQFLªUHV OD UHLQH 0DULH&KULVWLQH GH %RXUERQ ,VDEHOOH,,  RX JULYRLVHPHQW FRPLTXHV FRQFHUQDQW ,VDEHOOH,, HW $OSKRQVH;,,, JUDQG FROOHFWLRQQHXU GH SKR- WRV«URWLTXHV ODPRQDUFKLHDVRXIIHUWSDUHWGHVHVLQFDUQDWLRQVVXF- cessives. Le principe qu’incarne l’homme ou la femme qui règne n’a jamais vraiment percé devant des comportements qui trahissaient une trop grande complaisance à l’égard de pulsions privées. On ne compte pas les libelles et les articles qui dénonçaient les Bourbons. Un siècle GHFULWLTXHVGHEODJXHVI«URFHVHWGHP«SULVPLQHOHUHVSHFWSULQFLSH essentiel sur lequel reposent le pouvoir royal et sa symbolique. Il faut avoir présent à l’esprit ces réalités qui sont entrées dans la FXOWXUH SROLWLTXH HVSDJQROH (OOHV \ VRQW GHPHXU«HV HW VL HOOHV RQW XQ WHPSV«W«PDVTX«HVSDUODSRSXODULW«GH-XDQ&DUORVRQDSXYRLUDYHF quelle intensité elles sont revenues au premier plan lors de la crise de l’institution monarchique ces dernières années. Les images négatives

257 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

que l’on peut avoir des Bourbons ne sont pas que des effets d’opinion : GXUDEOHPHQWDQFU«HVGDQVOȇHVSULWSXEOLFHOOHVIRQWSDUWLHGȇXQHFXOWXUH GHODSURWHVWDWLRQHW¢FHWLWUHHOOHVSHXYHQW¬WUHU«DFWLY«HVGªVORUVTXH des similitudes entre le présent et le passé semblent apparaître.

LA MONARCHIE ET LE PACTE DÉMOCRATIQUE 3RXU DXWDQW QH YRLU OȇLQVWLWXWLRQ PRQDUFKLTXH TXH SDU OH SULVPH de l’héritage historique négatif ne permet pas de comprendre la place TXȇHOOH D RFFXS«H ¢ SDUWLU GH  TXDQG -XDQ &DUORV VXFF«GDQW¢ )UDQFR GHYLQW OH mSLORWH GX FKDQJHPHQW} SRXU UHSUHQGUH OȇH[SUHV- sion de l’historien Charles Powell20. Mais pour que Juan Carlos puisse GHYHQLUFHSLORWHLODYDLWIDOOXTXHOȇRSWLRQPRQDUFKLVWHUHSU«VHQWHXQH alternative possible. Reprenons donc rapidement l’histoire des hommes qui font la monarchie pour comprendre l’héritage politique et familial dont Juan Carlos était lesté. Nous avons laissé Alphonse XIII en exil. Sa famille se déchire : il YLW V«SDU« GH VRQ «SRXVH OD UHLQH 9LFWRLUH(XJ«QLH 6RQ SUHPLHU ȴOV $OSKRQVH SULQFH GHV $VWXULHV UHQRQFH ¢ VHV GURLWV G\QDVWLTXHV OH MXLQ  SRXU SRXYRLU «SRXVHU XQH &XEDLQH ULFKH SHXW¬WUH PDLV SDVGHVDQJUR\DO/HVWHPSVQHVRQWSDVP½UVSRXUXQPDULDJHPRU- JDQDWLTXH RX SOXW¶W OHV PHQWDOLW«V UR\DOHV QH VRQW SDV SU¬WHV ¢ FHOD 'RQ $OSKRQVH PHXUW GDQV XQ DFFLGHQW GH YRLWXUH ¢ 0LDPL HQ  /HVHFRQGȴOVGRQ-DLPHHVWFRQWUDLQWGHUHQRQFHU¢VHVGURLWVG\QDV- WLTXHVVRXUGHWPXHWRQHVWLPHTXȇLOHVWLQFDSDEOHGȇ¬WUHURL21. Marié ¢(PPDQXHOOHGH'DPSLHUUHLODXUDXQȴOV$OSKRQVHGXFGH&DGL[HW GXFGȇ$QMRXTXLHQ«SRXVHUDODSHWLWHȴOOHGH)UDQFR22. C’est donc DXWURLVLªPHȴOVGRQ-XDQTXȇ«FKRLHQWOHVGURLWVG\QDVWLTXHV(QLO devient le chef de la famille royale et le prétendant au trône d’Espagne quand son père Alphonse XIII abdique quelques mois avant sa mort en G«VLJQDQWVRQȴOVFRPPHVRQVXFFHVVHXU Sa vie politique s’organisera désormais autour de sa volonté de UHVWDXUDWLRQGHV%RXUERQV&HFRPEDWHVWGRXEOHSRXUGRQ-XDQLOHVW un combat dynastique et historique mais aussi un combat politique

šCharles T. PƵƼƫƲƲ, El piloto del cambio. El rey, la monarquía y. la transición a la democracia, Barcelone, Editorial Planeta, 1991. šLes monarchistes légitimistes français ne reconnaissent pas cette renonciation et tiennent cette branche pour la branche légitime. C’est ainsi que l’actuel duc d’Anjou, Louis est Louis XX pour les légitimistes. šLouis d’APLQWGUVFQPENŨCTTKȋTGRGVKVHKNUFŨAlphonse XIII et de FTCPEQšЏ

258 De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

et il saura faire évoluer le sens de la monarchie pour lui redonner toutes ses chances dans le débat espagnol. Le manifeste de Lausanne de mars 1945 en est la première étape : le comte de Barcelone entend SURȴWHUGXFRXUDQWTXLHPSRUWHWRXVOHVU«JLPHVWRWDOLWDLUHVHQ(XURSH et présente la monarchie comme la solution. Ce sera une « monarchie U«FRQFLOLDWULFH MXVWH HW WRO«UDQWH} HQFDGU«H SDU XQH FRQVWLWXWLRQ TXL reconnaîtra « les droits inhérents à la personne humaine et les libertés SROLWLTXHV} «WDEOLUD XQH mDVVHPEO«H O«JLVODWLYH «OXH SDU OD QDWLRQ} qui reconnaîtra les diversités régionales de l’Espagne et qui approuvera une « large amnistie politique ». Il n’hésite pas à exprimer son opposi- tion frontale aux principes du franquisme23. &RPPHWRXWFRPEDWSROLWLTXHLOHVWG«SHQGDQWGHVFLUFRQVWDQFHV(Q )UDQFRIDLWUDWLȴHUSDUU«I«UHQGXPODORLGHVXFFHVVLRQTXL«WDEOLW HQVRQSUHPLHUDUWLFOHTXHmOȇ(VSDJQHHVWXQUR\DXPH}HQVRQDUWLFOH TXH )UDQFR HVW OH FKHI GH Oȇ‹WDW HW HQ VRQ DUWLFOH TXH m)UDQFR SHXW proposer aux Cortes la personne qui sera appelée à lui succéder comme roi ou régent »24. Don Juan proteste contre cet arbitraire qui donnait à Franco toute latitude pour restaurer la monarchie des Bourbons ou DXFRQWUDLUHLQVWDXUHUXQHQRXYHOOHG\QDVWLH0DLVHQLODFFHSWH GHUHQFRQWUHU)UDQFRHWGHOXLFRQȴHUVRQȴOV-XDQ&DUORVSRXUTXHFH prince espagnol soit éduqué en Espagne. L’épisode est essentiel parce TXȇLO DSSDUD°W SRXU OȇRSSRVLWLRQ DQWLIUDQTXLVWH SOXV TXH FRPPH XQ FRPSURPLVFRPPHXQHFRPSURPLVVLRQHQWUHGRQ-XDQHWOHGLFWDWHXU $SUªVOȇDYRLUSXEOLTXHPHQWG«QRQF«YRLO¢TXHGRQ-XDQVHSODFHVRXV VD I«UXOH HQ OXL DEDQGRQQDQW VRQ ȴOV 3RXU OHV IUDQTXLVWHV FȇHVW XQH Y«ULWDEOH mSULVH GH JXHUUH} HW )UDQFR MRXHUD OH ȴOV FRQWUH OH SªUHȐ 4XDQW ¢ -XDQ &DUORV DORUV ¤J« GH GL[ DQV LO HVW Q« OH MDQYLHU  ¢ 5RPH  FȇHVW XQ DUUDFKHPHQW DX FDGUH IDPLOLDO HW XQH SORQJ«H GDQV l’inconnu. Le jeune prince sera de fait éduqué par Franco dans l’Espagne de )UDQFR ,O \ IHUD XQH FDUULªUH PLOLWDLUH UHQRXDQW DYHF OD SU«SDUDWLRQ au trône que l’on avait donnée à Alphonse XII qui lui aussi fut le

23. « Dès que j’ai assumé les devoirs et les droits de la Couronne d’Espagne, j’ai montré mon insatisfaction à l’égard de la politique intérieure et extérieure suivie par le général Franco. […] Je ne lève aucune étendard de sédition, je n’incite personne à se soulever, mais je veux rappeler à ceux qui soutiennent le régime l’immense responsabilité qu’ils assument en prolongeant ainsi une situation qui est en train de mener le pays vers une irrémédiable catastrophe », Manifeste de Lausanne, 19 mars 1945. šPour une approche détaillée voir Gonzalo RƫƪƵƴƪƵ, Política, cultura y sociedad en la España de Franco (1939-1975)VšLa configuración del Estado español, nacional y católico (1939-1947), Pampelune, EUNSAR

259 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

UHVWDXUDWHXUGHV%RXUERQV-XVTXȇHQODȴJXUHGH-XDQ&DUORVHVW GLVFUªWH6RQPDULDJHDYHF6RSKLHGH*UªFHHVWXQ«Y«QHPHQWGHODYLH mondaine. L’installation du nouveau couple à Madrid reste discrète. La QDLVVDQFHGHOHXUVWURLVHQIDQWVȃ+«OªQHHQ&KULVWLQHHQ 3KLOLSSHHQȃUHVWHXQ«Y«QHPHQWSULY«P¬PHVLOHEDSW¬PHGH 3KLOLSSHSHUPHW¢ODUHLQH9LFWRLUH(XJ«QLHODYHXYHGȇ$OSKRQVH;,,,GH revenir en Espagne pour la première fois depuis 1931. Il faut attendre juillet 1969 pour que Juan Carlos devienne une personnalité politique. Franco le désigne en effet comme son successeur. Cette décision pro- voque une crise familiale : le comte de Barcelone est furieux de consta- WHUTXHVRQȴOVDFFHSWHODVXFFHVVLRQGH)UDQFRVDQVOHFRQVXOWHUHWHQ YLRODWLRQȵDJUDQWHGHVUªJOHVVXFFHVVRUDOHVHWG\QDVWLTXHV25. Juan Carlos prendra d’ailleurs le titre de « prince d’Espagne » et non le titre tradi- tionnel des héritiers de la couronne à savoir « prince des Asturies ». Ce IDLVDQWLOFKHUFKDLW¢P«QDJHUVRQSªUHHW¢QHSDVYLROHUSURWRFRODLUH- ment les règles de la famille royale. (Q)UDQFRHVWFKHIGHOȇ‹WDWGHSXLVSOXVGHWUHQWHDQV,OYLHLOOLW et les cercles politiques bruissent des spéculations que génèrent ce que OȇRQDSSHOOHSXGLTXHPHQWmOHIDLWELRORJLTXH}FȇHVW¢GLUHODPRUWGX vieux général. Juan Carlos est idéalement placé pour recueillir cette succession… si l’ordre franquiste survit à son fondateur. Le prince VHUDDLG«SDUOȇDFWLRQGXGLUHFWHXUJ«Q«UDOGHOD7«O«YLVLRQHVSDJQROH un certain Adolfo Suárez26 3HQGDQW VL[ DQV OH SULQFH VȇHVW GRQQ« ¢ FRQQD°WUH HW ORUVTXH )UDQFR PHXUW OH QRYHPEUH  LO QȇHVW SOXV un inconnu. Il demeure cependant une énigme tant il s’est habilement enfermé dans le silence. On sait désormais que cette attitude était le fruit d’une prudence absolue. Juan Carlos sait qu’il possède peu GȇDWRXWVG«VLJQ« SDU )UDQFR FRQWUH VRQ SªUH LO QȇD SDV OD O«JLWLPLW« PRQDUFKLTXH SXUHK«ULWLHU GX GLFWDWHXU LO DSSDUD°W FRPPH OH FRQWL- QXDWHXUGXU«JLPHKRQQLSDUVHVDGYHUVDLUHV(QȴQLOQHMRXLWSDVGHOD FRQȴDQFHGHVFHUFOHVIUDQTXLVWHV/HSU«VLGHQWGXFRQVHLO&DUORV$ULDV Navarro le méprise ouvertement et Juan Carlos déclarera publiquement ORUVGHVRQYR\DJHRɚFLHODX[‹WDWV8QLVHQPDLTXHVRQ3UHPLHU PLQLVWUH mHVW XQ G«VDVWUH}&H QȇHVW TXȇHQ MXLOOHW GH OD P¬PH DQQ«H que le jeune roi abat sa première carte : il nomme Adolfo Suárez chef GXJRXYHUQHPHQW3DUXQHIIHWGȇDQDFKURQLVPHRQHVWDPHQ«¢SHQVHU

šCGRQKPVGUVKORQTVCPVšNCFȌUKIPCVKQPFGJuan Carlos n’est pas le résultat d’un accord au sein de la famille royale comme l’avait été, par exemple, la renonciation au trône d’Isabelle II en faveur de son fils Alphonse XII. šVoir Juan FƷƧƴƩƯƸƩƵFƺƫƴƹƫƸ, Adolfo Suárez. Una biografía política, Barcelone, Planeta, 2011.

260 De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

que la nomination suscita l’approbation générale. Tant s’en faut. Dans ODSUHVVHXQHVVD\LVWH5LFDUGRGH/D&LHUYDWHQWHUDGHGHYHQLUOȇ2UWHJD \ *DVVHW GH VD J«Q«UDWLRQ HQ G«QRQ©DQW mOȇHUUHXU 6X£UH]27 ». Suárez vient du courant phalangiste du régime : il a été ministre du Mouvement (c’est-à-dire secrétaire général du parti unique). Il n’a que sa jeunesse (il est de 1932) pour lui et son sens de la communication. Tout cela procède bien d’un pari politique fait par Juan Carlos qui a vu dans cet homme la personnalité idoine pour démanteler de l’intérieur le franquisme. 'ªV OȇDXWRPQH  OD ORL GH U«IRUPH SROLWLTXH HVW YRW«H SDU OHV Cortes franquistes dans un acte d’auto-immolation politique étonnant. Le pari légaliste de Juan Carlos est en route. Des élections générales sont convoquées pour le 15 juin 197728. Elles seront des élections pleinement libres et régulières. Le Parti communiste espagnol peut y concourir après avoir été légalisé le samedi saint de cette année 1977. 6DQWLDJR &DUULOOR VRQ OHDGHU GRQQH LPP«GLDWHPHQW XQH FRQI«UHQFH GHSUHVVHDYHFGHUULªUHOXLOHGUDSHDXPRQDUFKLVWHHWQRQOHGUDSHDX U«SXEOLFDLQ/HPDLOHFRPWHGH%DUFHORQHUHQRQFH¢VHVGURLWV G\QDVWLTXHVHWUHFRQQD°W-XDQ&DUORVVRQȴOVFRPPHOHURLGȇ(VSDJQH,O WHUPLQHVRQGLVFRXUVHQVHWRXUQDQWYHUVVRQȴOVHWHQGLVDQWm0DMHVW« SRXUOȇ(VSDJQHWRXWSRXUOȇ(VSDJQHYLYHOȇ(VSDJQHYLYHOH5RL}$LQVL DXPDWLQGXMXLQ-XDQ&DUORVSHXWHVWLPHUTXȇLODPHQ«ODSUH- mière phase de la transition démocratique sans heurts et qu’il a libéré l’expression démocratique des opinions politiques des Espagnols. /D GHX[LªPH SKDVH GȇXQH FHUWDLQH ID©RQ QH OXL DSSDUWLHQW SOXV /ȇDVVHPEO«H«OXHHVWGHIDLWXQHDVVHPEO«HFRQVWLWXWLRQQHOOH/HWH[WH élaboré par une commission de sept membres sera approuvé par réfé- rendum le 6 décembre 1978 par plus de 88 % de oui et une participation GHSOXVGH'DQVFHWH[WHOȇDOLQ«DGHOȇDUWLFOHer désigne la forme SROLWLTXHGHOȇ‹WDWXQHPRQDUFKLHSDUOHPHQWDLUH/HWLWUH,,SRUWHVXU la Couronne (articles 56 à 65) et établit les fonctions du roi et les règles de son action. Il y aura une troisième phase qui ne pouvait être prévue. Le I«YULHUXQHWHQWDWLYHGHFRXSGȇ‹WDWDOLHXDXPRPHQWR»OȇHQ- semble des forces politiques est rassemblé au Parlement pour la séance GȇLQYHVWLWXUH GH /HRSROGR &DOYR 6RWHOR G«VLJQ« FRPPH SU«VLGHQW GX gouvernement à la suite de la démission d’Adolfo Suárez. Alors que les

šOrtega y Gasset avait en 1930 dénoncé « l’erreur Berenguer », nom du général nommé à la tête du gouvernement par Alphonse XIII après la démission de Primo de Rivera. šÀ cause du souvenir d’avril 1931, on a choisi d’aller directement aux élections générales et de retarder les élections municipales. De fait, il faudra attendre avril 1979

261 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

LQVWLWXWLRQVSROLWLTXHVVRQWDLQVLSULVHVHQRWDJHVHXOOHURLHQWRXU«GH TXHOTXHV VHFU«WDLUHV Gȇ‹WDW HVW ¢ P¬PH GȇDVVXUHU OH IRQFWLRQQHPHQW U«JXOLHUGHVLQVWLWXWLRQV'DQVODQXLW¢KGXPDWLQ-XDQ&DUORVHQ XQLIRUPHGHFDSLWDLQHJ«Q«UDOLQWHUYLHQW¢ODW«O«YLVLRQ6RQGLVFRXUV est centré sur la défense de la Constitution et il agit comme l’un de ses organes en incarnant la « Couronne ». Il a ordonné aux autorités civiles et militaires de « maintenir l’ordre institutionnel dans la législation en vigueur » et rappelle que « la Couronne ne peut tolérer l’action de personnes qui prétendraient interrompre par la force le processus démocratique que la Constitution votée par le peuple espagnol lors GȇXQU«I«UHQGXPG«WHUPLQDQW}'DQVOȇ«PRWLRQGXPRPHQWRQDWURS peu prêté attention au calibrage extrême de ce très bref message d’une PLQXWHHWGHPLH/HURLQȇDFHVV«GHVHSODFHUGDQVOHFDGUHFRQVWLWX- tionnel. Il a sauvé la démocratie et la constitution de 1978 en jouant le rôle que celle-ci lui avait dévolu. Il a agi comme pouvoir constitutionnel démontrant que la Couronne était parfaitement compatible avec la démocratie. Il est le premier roi d’Espagne à faire cette démonstration. ,PP«GLDWHPHQWOHVHQWLPHQWTXHOHURLYLHQWGHJDJQHUXQHSDUWLH décisive se répand non seulement parmi les Espagnols mais dans l’opi- nion publique mondiale. Si certains pouvaient douter de la légitimité GX URL VXFFHVVHXU GH )UDQFR -XDQ &DUORV YLHQW HQ DJLVVDQW FRQVWLWX- WLRQQHOOHPHQWGHJDJQHUVDO«JLWLPLW«KLVWRULTXHHWSROLWLTXH(OOHVHUD longtemps la base de l’immense respect qu’il inspirait. Fort de cette WUDQVLWLRQG«PRFUDWLTXHU«XVVLH-XDQ&DUORVYDGHYHQLUOȇDPEDVVDGHXU de la nouvelle Espagne démocratique. La signature de l’adhésion de Oȇ(VSDJQH¢OD&((HQMXLQOȇDFFXHLOGHODFRQI«UHQFHSRXUODSDL[ DX 0R\HQ2ULHQW ȴQ  OHV -HX[ RO\PSLTXHV GH %DUFHORQH HQ  sont autant de moments fastes du règne de Juan Carlos. L’alternance démocratique — de 1982 à 1996 ont gouverné les socialistes de Felipe *RQ]£OH]GH¢OHVFRQVHUYDWHXUVGH-RV«0DU¯D$]QDUSXLV GH¢¢QRXYHDXOHVVRFLDOLVWHVȃODSURVS«ULW«GXSD\VHWVD modernisation accréditent l’idée d’un succès espagnol. Juan Carlos est célébré comme le promoteur de la période la plus brillante de l’histoire contemporaine de l’Espagne29. Le contraste est saisissant en effet entre ce règne qui voit fonc- tionner une constitution libérale et démocratique et les expériences antérieures qui avaient vu les rois être en eux-mêmes une partie

šVoir par exemple, Real Academia de la Historia, 25 años de reinado de S. M. D. Juan Carlos I, Madrid, Espasa Calpe, 2002.

262 De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

des obstacles à la démocratisation du pays. Juan Carlos apportait un démenti à l’histoire passée de la dynastie des Bourbons en inscrivant celle-ci dans un système de monarchie parlementaire. Mais à ce pre- PLHU YROHW LO HQ DMRXWDLW XQ DXWUHLO FRQMXUDLW OȇKLVWRLUH GH Oȇ(VSDJQH avec laquelle se confond celle de sa famille et il en écrivait une autre GRQWOHV(VSDJQROVSRXYDLHQW¬WUHȴHUV

UNE MONARCHIE DÉMOCRATIQUE Il est temps de conclure car nous avons peut-être là la clef de la crise qui affecta l’institution monarchique dans le courant des années 2000. /ȇ(VSDJQH «WDLW GHYHQX XQ SD\V QRUPDO 'DQV OȇKLVWRULRJUDSKLH RQ pouvait mesurer cela dans les ouvrages qui désormais insistaient sur la non-exception espagnole30. Un vertige de succès s’empara de la société HVSDJQROHLOGHYDLWFRQGXLUH¢GHVH[FªVGHWRXWHVRUWH4XDQGODFULVH économique éclata et révéla brutalement les fragilités du modèle espa- JQROOȇHIIHWQHIXWSDVTXHPDW«ULHO,OIXWDXVVLPRUDO&ȇHVWXQGRXWH TXL SURJUHVVLYHPHQW JDQJUHQD OD VRFL«W« /ȇHIIRQGUHPHQWGX PDUFK« LPPRELOLHUOȇH[SORVLRQGXFK¶PDJHOHUHWRXUGHOȇ«PLJUDWLRQGHVMHXQHV pour trouver un emploi : le pays douta de lui-même et du récit que l’on avait donné de sa prospérité. Pire encore : l’ampleur de la corruption des élites se révéla supérieure à ce que les Cassandre avaient pu déjà G«QRQFHU/DU«Y«ODWLRQGHVDIIDLUHVWURXEOHVGXJHQGUHGH-XDQ&DUORV ,³DNL 8UGDQJDULQ PDUL GH OȇLQIDQWH &KULVWLQH DOODLW O«]DUGHU OȇLPDJH jusque-là épargnée du roi et de sa famille. Urdangarin fut accusé de G«WRXUQHPHQWGHIRQGVSXEOLFVHWVDIHPPHHVWGHIUDXGHȴVFDOH0DLV LO\DSOXVOȇDFFLGHQWGXURLDX%RVWZDQDR»LO«WDLWSDUWLHQDYULO SRXUXQVDIDULDOODLWPHWWUHVXUOHGHYDQWGHODVFªQHVDOLDLVLRQDYHFOD SULQFHVVH&RULQQH]X6D\Q:LWWJHQVWHLQ(QȴQOHVSUREOªPHVGHVDQW« GRQQDLHQWGH-XDQ&DUORVOȇLPDJHGȇXQKRPPHIDWLJX«HWXV«7UªVYLWH OȇRSLQLRQGHYLQWGȇXQHH[WU¬PHV«Y«ULW«(QDYULOOȇXQGHVMRXUQD- OLVWHVOHVSOXVHQYXH,³DNL*DELORQGRVLJQDLWVXUEl Pais. com un édito- ULDOTXLVHFRQFOXDLWDLQVLm0DMHVW«GLYRUFH]RXDEGLTXH]} Depuis Juan Carlos a abdiqué. La fragilisation de sa position dans l’opinion publique était réelle. Elle posait un problème politique. 3RXUTXRL-XDQ&DUORVDWLOFHSHQGDQWF«G«DORUVTXȇHQORUVGHVHV YĕX[DX[(VSDJQROVLODYDLWFODLUHPHQWIDLWVDYRLUTXHmOHVHUYLFHGH

šL’un des premiers titres à représenter ce courant est Juan Pablo FƺƸƯ, Jordi PƧƲƧƬƵƖ, España. El desafio de la modernidad, Madrid, Espasa Calpe, 1998.

263 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

l’Espagne était sa passion et sa mission » ? La presse avait dès le len- demain titré sur le rejet de l’hypothèse de l’abdication. Les pressions politiques et familiales ont été nombreuses. La bonne image du prince K«ULWLHU UHQGDLW IDFLOH OD VXFFHVVLRQ (QVXLWH OD PRUW HQ PDUV d’Adolfo Suárez avait d’un coup ramené à la mémoire des citoyens cette page glorieuse du début du règne. Juan Carlos intervint à la télévision pour rendre hommage à son ancien Premier ministre31. Ce message est un premier testament politique. Il y revendique « un des épisodes les plus brillants de l’histoire de l’Espagne contemporaine : la Transition TXL SRUW«H SDU OH SHXSOH HVSDJQRO IXW LPSXOV«H SDU $GROIR HW >OXL@} )RUWGHFHUHJDLQGHSRSXODULW«TXLHVWGȇDERUGOHIUXLWGȇXQHQRVWDOJLH -XDQ &DUORV D DFFHSW« GH VH VDFULȴHU SRXU VDXYHU OȇLQVWLWXWLRQ PRQDU- FKLTXH2QSHXW¬WUHV½UTXHGDQVFHFKRL[DSHV«OȇH[HPSOHGHVRQSªUH GRQ-XDQFRPWHGH%DUFHORQH-XDQ&DUORVORUVGȇXQHQWUHWLHQW«O«YLV« U«DOLV«¢OȇRFFDVLRQGHVHVVRL[DQWHTXLQ]HDQV HQMDQYLHU DYDLW rappelé que son père fut son mentor politique et que c’est de lui qu’il avait appris que la monarchie était au service des Espagnols. La relève désormais est assurée d’une main ferme et rigoureuse. Cette étape est essentielle dans la consolidation du modèle de la monarchie parlementaire et rappelle que la couronne est réglée par la Constitution. Mais si ce pacte de la Couronne avec la démocratie est YLYDQW HW VROLGH OȇKLVWRLUH UDSSHOOH TXH OD IUDJLOLW« GȇXQH PRQDUFKLH WLHQWPRLQV¢VHVSULQFLSHVTXȇ¢VHVLQFDUQDWLRQV&ȇHVWWRXWOHG«ȴTXL HVW SRV« ¢ 3KLOLSSH9, TXH GH FRQWLQXHU ¢ E«Q«ȴFLHU GX VRXWLHQ GH l’opinion alors même qu’il est exonéré de toute compétition électorale. /ȇRSLQLRQSXEOLTXHMRXHGDQVODFRQȴUPDWLRQGHODPRQDUFKLHXQU¶OH plus éminent qu’on ne l’a cru. La monarchie espagnole est bien démo- FUDWLTXHFȇHVWSDUGHO¢VDVRXPLVVLRQ¢OȇHVSULWSXEOLFVDIRUFH

šLe roi n’intervient que pour son message de Noël le 24 décembre à 21 heures Par quatre HQKUKNGUVKPVGTXGPWGZEGRVKQPPGNNGOGPVšFCPUNCPWKVFWCWHȌXTKGTRQWTGORȍEJGT le coup d’État, le 11 mars 2004 au soir des attentats de Madrid qui avaient coûté la vie à 192 personnes, le 23 mars 2014 à l’annonce de la mort d’Adolfo SWȄTG\NGLWKPRQWT expliquer son abdication.

264 De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

10

La crise de la représentation et l’ascension de Podemos : L’émancipation citoyenne « au cœur » de l’échiquier politique ?

Mathieu PETITHOMME

« Les démocraties contemporaines sont issues d’une forme de gouvernement que ses fondateurs opposaient à la démocratie ». (Bernard Manin)

'DQV VRQ RXYUDJH FODVVLTXH %HUQDUG 0DQLQ UDSSHOOH TXH OȇXVDJH QRPPHmG«PRFUDWLHVUHSU«VHQWDWLYHV}SDURSSRVLWLRQ¢ODG«PRFUDWLH GLUHFWH OHV U«JLPHV G«PRFUDWLTXHV DFWXHOV TXL WURXYHQW OHXUV RULJLQHV GDQVOHVWURLVU«YROXWLRQVPRGHUQHV DQJODLVHDP«ULFDLQHHWIUDQ©DLVH  DORUV P¬PH TXH mFHV LQVWLWXWLRQV QȇRQW QXOOHPHQW «W« SHU©XHV ¢ OHXUV G«EXWV FRPPH XQH YDUL«W« GH OD G«PRFUDWLH RX XQH IRUPH GH JRXYHU- nement par le peuple1 ». De nombreuses démocraties font aujourd’hui IDFH¢XQHmFULVHGHODUHSU«VHQWDWLRQ}GDQVOHVHQVR»OHVJRXYHUQDQWV ¢ OȇKHXUH GH OD PRQGLDOLVDWLRQ HW GH OD FRQGLWLRQQDOLW« HXURS«HQQH WLHQQHQWUDUHPHQWOHXUVSURPHVVHV«OHFWRUDOHVYRLUHP¬PHJRXYHUQHQW en reniant complètement leurs engagements. Les citoyens ordinaires s’en trouvent d’autant plus frustrés qu’ils ont le sentiment que le principe de Oȇ«OHFWLRQIRQGHPHQWP¬PHGHODG«PRFUDWLHGHYLHQWDORUVYLGHGHVHQV /ȇ(VSDJQHQHIDLWSDVH[FHSWLRQ¢FHWWHWHQGDQFH(OOHDYX«PHUJHUHQ U«SRQVHXQPRXYHPHQWFLWR\HQIRQG«HQMDQYLHUPodemos (« Nous SRXYRQV} TXLDIDLWXQHHQWU«HIUDFDVVDQWHVXUODVFªQHSROLWLTXHORUV des élections européennes du 25 mai 2014. (Q DWWLUDQW OHV YRL[ GH SOXV GH PLOOLRQ Gȇ«OHFWHXUV LO D REWHQX GHVVXIIUDJHVH[SULP«VHWHQYR\«FLQTHXURG«SXW«VDXSDUOHPHQW GH6WUDVERXUJ'HSXLVORUVOȇmHIIHW}Podemos recompose jour après jour

šBernard MƧƴƯƴ, Principes du gouvernement représentatif, Paris, Flammarion, [1995] 2012, p. 6.

265 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

le débat politique espagnol et fait pressentir des mutations plus pro- fondes qui pourraient avoir lieu lors des prochaines élections législatives GHG«FHPEUHVXUIRQGGȇXQHFULVH«FRQRPLTXHJUDYHHWGXUDEOH OH WDX[GHFK¶PDJHHVWWRXMRXUVGHHQDYULOHWWRXFKHPLO- OLRQV GH SHUVRQQHV  GH VFDQGDOHV U«FXUUHQWV GH FRUUXSWLRQ DIIDLUH %£UFHQDVFDV*¾UWHOSRXUOH33VFDQGDOHGHV(5(SRXUOH362(HWF HW du discrédit de la classe politique. Les sondages d’opinion ne cessent de montrer que « la mayonnaise semble prendre » suivant l’expression Gȇ,³LJR(UUHMµQVHFU«WDLUHSROLWLTXHGXPRXYHPHQWOHVLWXDQWDXPRLQV HQWURLVLªPHSRVLWLRQ(QDR½WEl Mundo plaçait Podemos¢ GHVLQWHQWLRQVGHYRWHVXUOHVWDORQVGX362(SURQRVWLTX«¢GHV suffrages2. Le sondage le plus pessimiste pour la nouvelle force poli- WLTXHFHOXLGXMRXUQDOWUªVFRQVHUYDWHXULa RazónOHSOD©DLW¢HQ VHSWHPEUHVRLWOHGRXEOHGHVRQU«VXOWDWGHVHXURS«HQQHVGHUULªUH OH 362(   HW OH 33 HQ W¬WH  3 0DLV HQ QRYHPEUH OH SOXVRSWLPLVWHOHSOD©DLWG«VRUPDLVHQSUHPLªUHSRVLWLRQDYHFGHV LQWHQWLRQVGHYRWHFRQWUHSRXUOH362(HWSRXUOH334. Même s’il faut prendre ces enquêtes avec précaution en raison de « l’abstention différentielle » des électeurs du PP et des appels certains du PSOE au « vote utile » qui pourront remobiliser leurs sympathisants OH PRPHQW YHQX OD SHUF«H GH Podemos dans l’opinion n’en est pas moins spectaculaire5$LQVLGHV(VSDJQROVSRXUTXLOHFK¶PDJH la corruption et la situation économique constituent les trois enjeux SULQFLSDX[ FRQVLGªUHQW mOHV SURSRVLWLRQV GH 3DEOR ,JOHVLDV FRPPH positives6 ». Sa montée en puissance s’effectue d’abord au détriment d’Izquierda Unida m*DXFKH XQLH} ,8  OD FRDOLWLRQ GRPLQ«H SDU OH 3DUWL FRPPXQLVWH Gȇ(VSDJQH UHSU«VHQWDQW WUDGLWLRQQHO GH OD JDXFKH DOWHUQDWLYH TXL DSUªV DYRLU SURJUHVV« GHSXLV  HQ VH IDLVDQW OH SRUWHSDUROHGHOȇRSSRVLWLRQ¢OȇDXVW«ULW«HWREWHQXGHVYRL[HWVL[ HXURG«SXW«VHQPDLQȇDWWLUHSOXVTXHGHVLQWHQWLRQVGHYRWH

šSondage El MundoSigma Dos, 31 août 2014. šSondage La RazónNC Report, 1er septembre 2014. šSondage El PaísMetroscopia, 2 novembre 2014. šL’« abstention différentielle » est un phénomène bien connu en sociologie électorale, qui KORNKSWGSWGNQTUFGUȌNGEVKQPUkKPVGTOȌFKCKTGUz TȌIKQPCNGUOWPKEKRCNGUGWTQRȌGPPGUGVE  GPVTGFGWZȌNGEVKQPUOCLGWTGU RTȌUKFGPVKGNNGUGVNȌIKUNCVKXGU NGUȌNGEVGWTUFWRCTVKCWRQWXQKT ont tendance à plus s’abstenir que ceux de l’opposition, qui profitent de ces scrutins pour mar quer leur défiance à l’égard du gouvernement. Cf. Raul MƧƭƴƯBƫƷƹƵƴ, « Pourquoi les partis IQWXGTPGOGPVCWZRGTFGPVKNUFCPUNGUȌNGEVKQPUKPVGTOȌFKCKTGUš!Enquête Eurobaromètre 2004 et élections européennes », Revue française de science politiqueXQNPoR šBarómetro La Sexta, 7 décembre 2014.

266 De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

Mais Podemos cherche surtout à disputer le statut de principal parti de l’opposition au PSOE : 49 % des sympathisants socialistes considèrent d’ailleurs que PodemosSHXWGRPLQHUODJDXFKH'DQVXQFRQWH[WHR» GHV(VSDJQROVSHQVHQWTXHOHSD\VQȇHVWSDVVRUWLGHODFULVHHWR» 70 % évaluent négativement l’action du gouvernement conservateur GH 0DULDQR 5DMR\ OH PRXYHPHQW VȇHVW FRQVWLWX« HQ SDUWL SROLWLTXH ORUV GH VRQ mDVVHPEO«H FLWR\HQQH} GH 0DGULG HQ RFWREUH HW cherche désormais à occuper « la centralité de l’échiquier politique » en « replaçant l’émancipation citoyenne au cœur du débat » suivant Pablo ,JOHVLDVVRQGLULJHDQWHWKDELOHFRPPXQLFDQW7. /RUVGHV«OHFWLRQVU«JLRQDOHVGHPDUVHQ$QGDORXVLHPodemos D REWHQX YRL[ VRLW  GHV VXIIUDJHV H[SULP«V OXL SHUPHW- tant d’envoyer quinze députés au parlement régional. Le parti a donc FRQȴUP«VRQVWDWXWGHWURLVLªPHIRUFHSROLWLTXHGHYHQDQWXQmRXWVLGHU} potentiellement déterminant dans la formation d’une majorité. Mais son U«VXOWDWIXWDXVVLSOXVIDLEOHTXȇHVS«U«SDUVDGLUHFWLRQQDWLRQDOHIDFHDX PDLQWLHQGX362( PLOOLRQGHYRL[HWVLªJHV GDQVOȇXQGHV « bastions » historiques du socialisme espagnol. Pour PodemosFHVFUX- tin illustra toutefois la transformation de l’essai des européennes et la S«Q«WUDWLRQGXSDUWLGDQVOHVLQVWLWXWLRQV,OFRQȴUPDDXVVLXQH«YROXWLRQ locale qui pourrait être prémonitoire de mutations futures plus larges au QLYHDXQDWLRQDO¢WUDYHUVODIUDJPHQWDWLRQFURLVVDQWHGXSD\VDJH«OHF- WRUDOGHP¬PHTXHOHG«FOLQGHVGHX[SDUWLVGRPLQDQWVWUDGLWLRQQHOV8. En alliant des critiques radicales à l’égard du « système » et de « la FDVWH3362(}WRXWHQDGRSWDQWXQmSURJUDPPH«FRQRPLTXHSRXUOHV gens » teinté de références sociales-démocrates et en se disant disposé à GHVDOOLDQFHVPodemos cherche à incarner le changement et une alter- native de gouvernement en jouant le même rôle que le PSOE durant la transition démocratique9 4XHOV VRQW OHV UHVVRUWV GH FHWWH QRXYHOOH mobilisation politique ? En s’appuyant sur une enquête de terrain PHQ«H DX VHLQ GH GHX[ mFHUFOHV} GX SDUWL HQ I«YULHU DX FĕXU historique de Podemos dans son local du quartier populaire de Lavapiés

šPablo Manuel Iglesias Turrión est né le 17 octobre 1978 dans le quartier populaire de Vallecas à Madrid. AWVGWTGPFŨWPGVJȋUGUWTNŨCEVKQPEQNNGEVKXGRQUVPCVKQPCNGKNGUVFGXG nu la même année maître de conférences en sciences politiques à l’université Complutense. šEn effet, le PSOE  GVNGPP  CVVKTGPVFGOQKPUGPOQKPUFŨȌNGEVGWTUÀ l’inverse, les partis de la « nouvelle politique », Podemos, mais aussi le parti Citoyens représenté en Andalousie par Juan Marin LQ\CPQSWKQDVKPVšXQKZFGUUWHHTCIGUGZRTKOȌUGVUKȋIGUHKTGPVNGWT GPVTȌGUWTNCUEȋPGRQNKVKSWGNQECNG FGXCPVIUCA, qui obtint 6,89 % des voix et seulement 5 sièges). šJacobo RƯƻƫƷƵ, Conversación con Pablo Iglesias. Podemos, de la calle a Bruselas G GF  Madrid, Ediciones Turpial, 2014, p. 12.

267 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

HW GDQV OH FHUFOH GX TXDUWLHU SOXV KXSS« GH 6DODPDQFD ¢ 0DGULG FH chapitre explique les raisons de l’ascension fulgurante du nouveau parti. Il revient d’abord sur le contexte de crise de la représentation en Espagne et sur la structure d’opportunité politique favorable à l’émer- gence d’une formation qui entend fournir un débouché politique aux mouvements sociaux des indignés. La seconde partie étudie la structu- ration organisationnelle de Podemos¢SDUWLUGHVPLOLWDQWVKLVWRULTXHV de Lavapiés et d’Izquierda Anticapitalista m*DXFKH DQWLFDSLWDOLVWH} ,$  HQ VȇDSSX\DQW VXU XQH I«G«UDWLRQ GȇDVVHPEO«HV HW GH FROOHFWLIV autonomes et en utilisant largement les nouvelles technologies et les U«VHDX[ VRFLDX[ /D WURLVLªPH SDUWLH UHYLHQW HQȴQ VXU OH OHDGHUVKLS le discours politique et la stratégie de compétition de PodemosDYDQW Gȇ«YRTXHUSRXUFRQFOXUHOHVHIIHWVTXHVRQ«FORVLRQSRXUUDLWSRWHQWLHO- lement engendrer sur le système partisan espagnol.

AUSTÉRITÉ ET CORRUPTION : TOILES DE FOND DE LA CRISE DE LA REPRÉSENTATION POLITIQUE

Le discrédit du « système PPSOE »

La crise de la représentation entraîne une rupture politique et éco- nomique profonde des élites des partis dominants avec les aspirations citoyennes : responsables de la spéculation bancaire et immobilière des DQQ«HV GX mERRP}   GRW«V GȇDSSDUHLOV FRUURPSXV HW D\DQW WRXU ¢ WRXU VRXWHQX OHV SROLWLTXHV GȇDXVW«ULW« OH 362( GH  ¢  SXLVOH33GHSXLVORUVIHUDLHQWSDUWLHGXSUREOªPHHWQRQGHODVROXWLRQ Il est vrai que l’exaspération des jeunes et des classes populaires est à son FRPEOHIDFH¢ODSHUVLVWDQFHGȇXQFK¶PDJHGHPDVVH¢ODVXFFHVVLRQGHV H[SXOVLRQVORFDWLYHV¢OȇDSSDXYULVVHPHQWGHODUJHVVHFWHXUVGHODVRFL«W« et à la hausse des inégalités qui fait désormais de l’Espagne le pays le SOXVLQ«JDOLWDLUHGȇ(XURSHGHYDQWOD*UªFH)DFH¢FHWWHG«JUDGDWLRQGHOD VLWXDWLRQVRFLDOHSHU©XHSDUWRXVSXLVTXȇXQHIDPLOOHVXUGHX[D«W«WRX- FK«HSDUOHFK¶PDJHGHSXLVHWTXHPLOOLRQGHIDPLOOHVVXUYLYHQW DYHFOȇHQVHPEOHGHOHXUVPHPEUHVVDQVHPSORLOHJRXYHUQHPHQWHWOH33 VHU«MRXLVVHQWGXmUHWRXUGHODFURLVVDQFH}HWGHODmVRUWLHGHFULVH}HQ déphasage complet avec le ressenti des citoyens ordinaires10.

šFondation FƵƫƸƸƧ NKȌG ȃ NŨCUUQEKCVKQP EJTȌVKGPPG Caritas), VII Informe sobre exclusión y desarrollo social en España, Madrid, 2014, p. 2. Sur l’optimisme macroéconomique du gouver nement, cf. Soraya SʛƫƴƿƪƫSƧƴƹƧƳƧƷʨƧkLa recuperación empieza a llegar a las familias », ABC, 11 décembre 2014.

268 De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

‹FODERXVV«VSDUOHVVFDQGDOHVGHIDXVVHVIDFWXUHVGHG«SHQVHVH[FHV- VLYHV GHV G«SXW«V GH G«WRXUQHPHQW GH IRQGV Gȇ«YDVLRQ ȴVFDOH HW GH marchés publics surfacturés par des élites locales à des grandes entre- SULVHVGXE¤WLPHQWTXLVRQWU«Y«O«VTXRWLGLHQQHPHQWSDUODSUHVVHOHV membres des deux grands partis sont plus que jamais perçus comme une ROLJDUFKLHXQmFDUWHO}GHSHUVRQQDOLW«VTXLSDUWDJHQWOHVP¬PHVLQW«- rêts au maintien du système politique actuel et de ce qu’un nombre crois- sant de citoyens perçoit comme des « privilèges » indus11. Les Espagnols VRQWIUXVWU«VGHOȇDOWHUQDQFHȴJ«HDXSRXYRLUMXJ«HLQHɚFDFHHQWUHOH33 HWOH362(&HWWHVWUXFWXUHGȇRSSRUWXQLW«SROLWLTXHODEHOOLV«HSDUPodemos FRPPHOHm3362(} TXLUDSSHOOHOHm8036}GX)1HQ)UDQFH FDUDFW«- ULV«HSDUOHGLVFU«GLWGHVGHX[JUDQGVSDUWLVWUDGLWLRQQHOVGXELSDUWLVPH HWGXmV\VWªPH}TXȇLOVRQWPLVHQSODFHORUVGHODWUDQVLWLRQQRWDPPHQW OH V\VWªPH «OHFWRUDO OD G«VLJQDWLRQ GHV FDQGLGDWV SDU OLVWHV IHUP«HV HW la politisation de la justice et des grandes entreprises au sein desquelles Oȇ‹WDW SRVVªGH GHV SDUWV HQWUH HQ U«VRQDQFH DYHF OHV DVSLUDWLRQV GHV citoyens au changement. ,PSU«JQ« GH OȇLQW«U¬W FRPPXQ GHV GHX[ JURXSHV GRPLQDQWV OHV élites de « l’ancien régime » franquiste qui se recyclèrent dans les rangs de l’Union du centre démocratique (UCD) d’Adolfo Suarez puis du Parti SRSXODLUH ¢ SDUWLU GH  HW OHV mQRXYHDX[ G«PRFUDWHV} LQFDUQ«V SDU OH 362( GH )HOLSH *RQ]£OH] HW Gȇ$OIRQVR *XHUUD OH mSDFWH GH OD transition » explique le choix en 1978 d’instaurer un système électo- ral proportionnel en théorie mais majoritaire dans les faits et surtout WUªV LQ«JDOLWDLUH TXL IDYRULVH VWUXFWXUHOOHPHQW OHV JUDQGV SDUWLV DX détriment des plus petites formations12. Face à ce qui est perçu comme XQIUHLQDXFKDQJHPHQWGHQRPEUHX[LQWHOOHFWXHOVHWPHPEUHVGHOD

šSur la théorie de la cartelisation et ses critiques, cf. Peter MƧƯƷ, « Changing models of party QTICPK\CVKQPCPFRCTV[FGOQETCE[šVJGGOGTIGPEGQHVJGECTVGNRCTV[zParty Politics, vol. 1, PoRšYohann AƺƩƧƴƹƫ et Alexandre Dʤƿƫ FKT Les systèmes de partis dans les démocraties occidentales. Le modèle du parti cartel en question, Paris, Presses de Sciences Po, 2008. šPour l’élection des 350 membres du Congrès des députés tous les quatre ans, chacune des EKTEQPUETKRVKQPU NGURTQXKPEGURNWUNGUkXKNNGUCWVQPQOGUzFGCeuta et Melilla) se voit attribuer un nombre de sièges proportionnel à leur population, avec un minimum de deux. La RNWRCTVFGUEKTEQPUETKRVKQPUTWTCNGUGVRGWRGWRNȌGUPŨGPCRRQTVGPVSWŨWPPQODTGVTȋUNKOKVȌš le pourcentage de voix nécessaires pour obtenir un siège est si élevé que les petits partis ne peuvent espérer être représentés que dans les grandes circonscriptions. En 2008, par exemple, le Parti socialiste a obtenu 169 sièges avec 11 millions de voix, alors qu’IU n’a obtenu que deux sièges avec un million de voix. Pour le Parti socialiste, chaque siège au Congrès correspondait ȃšXQKZCNQTUSWŨKNGPHCNNCKVšRQWTSWŨIU obtienne un même siège. Sur le pacte de la transition, cf. Álvaro SƵƹƵ, Transición y cambio en España 1975-1996, Madrid, Alianza Editorial, R

269 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

société civile demandent désormais une « seconde transition » à travers XQHU«IRUPHGHODFRQVWLWXWLRQHWGHODORL«OHFWRUDOHGHTXHQLOH PP ni le PSOE ne sont prêts à soutenir puisque cela remettrait en cause leur hégémonie13. Le « système » semble d’autant plus bloqué qu’une réforme requiert une majorité des trois cinquièmes tant au Congrès des G«SXW«VTXȇDX6«QDWGLVSRVLWLRQTXLUHQGTXDVLPHQWLPSUHVFULSWLEOHXQ accord entre le PP et le PSOE14. Mais les citoyens ne sont pas dupes. Ils savent aussi que l’indépen- dance assez partielle de la justice explique que peu de responsables politiques soient condamnés malgré le nombre très élevé de mises en examen : ce sont en effet les partis dominants qui nomment les vingt et XQPHPEUHVGX&RQVHLOJ«Q«UDOGXSRXYRLUMXGLFLDLUH &*3- HWFHX[GX 7ULEXQDOFRQVWLWXWLRQQHOFHTXLH[SOLTXHOHVLQWHUI«UHQFHVFRQVWDQWHVGH la classe politique dans les affaires judiciaires. Les mairies et les exécu- tifs des communautés autonomes peuvent aussi nommer un tiers (2 087 sur 6 000) des conseillers généraux des quarante-sept caisses d’épargne QDWLRQDOHV FH TXL IDYRULVH OHV «FKDQJHV GH IDYHXU HW OȇHQULFKLVVHPHQW LOOLFLWH GHV GLULJHDQWV DORUV P¬PH TXH GH QRPEUHXVHV HQWLW«V ȴQDQ- cières expulsent des particuliers de leur logement en se fondant sur une loi hypothécaire très défavorable aux acheteurs. Mais des partis en situation dominante cherchent rarement à transformer un système qui leur a permis de maintenir leur hégémonie. %LHQ ORLQ GX mSRSXOLVPH} GH OD mG«PDJRJLH} RX GȇXQH SRVWXUH mGȇH[WU¬PHJDXFKH}DXWDQWGHFDW«JRULHVDX[TXHOOHVVHVDGYHUVDLUHV YHXOHQW U«GXLUH OH PRXYHPHQW FȇHVW OȇRIIUH SROLWLTXH UHQRXYHO«H GH Podemos qui séduit les électeurs. Le parti se dirige très clairement aux FLWR\HQVGȇHQEDVDX[YLFWLPHVGHODFULVHHWGHOȇLQMXVWLFHVRFLDOHHQDFWL- vant le clivage contre les responsables de la crise politico-économique GXSD\VOH33OH362(OHVEDQTXHVHWOHVSXLVVDQWVTXLVHVRQWHQULFKLV depuis 2008 sans répondre au désarroi de la jeunesse et des classes PR\HQQHV HW SRSXODLUHV 'HSXLV WUHQWH DQV OH 362( VȇHVW DSSX\« VXU un système politique favorisant structurellement le bipartisme : s’étant HPERXUJHRLV«LOVȇHVWFRXS«GHVFODVVHVSRSXODLUHVVȇHVWFRQYHUWLHQXQ parti « électoral professionnel » sachant mieux faire campagne et user de la communication politique que gouverner pour les générations

šSur le débat sur la « seconde transition », cf. notamment Sebastian BƧƲƬƵƺƷ et Alejandro QƺƯƷƵƭƧ, España reinventada. Nación e identidad desde la Transición, Madrid, Peninsula, 2007, R šFrédéric VƫƷƨƫƱƫ, « En Espagne, le bipartisme rend les élections moins démocratiques », EiTB, 11 septembre 2011.

270 De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

IXWXUHVWRXWHQGHYHQDQWWUªVmOLE«UDO}VXUOHSODQ«FRQRPLTXHHWHQ perdant de vue tout objectif d’émancipation sociale15. La formule de base qui permet à Podemos de percer dans l’opinion est en fait assez simple mais très puissante. Elle se fonde sur une repo- litisation des thèmes traditionnels de la gauche délaissés par le PSOE : GHPDQGH Gȇ«JDOLW« KRPPHVIHPPHV G«QRQFLDWLRQ GHV VDODLUHV LQG«- FHQWVGHV«OLWHVSROLWLTXHVHWȴQDQFLªUHVGHODKDXVVHGHVLQ«JDOLW«VGX VFDQGDOH GHV H[SXOVLRQV GX FR½W FURLVVDQW GHV «WXGHV QH SHUPHWWDQW SDVDX[FODVVHVSRSXODLUHVGȇDFF«GHU¢OȇXQLYHUVLW«GHODSULYDWLVDWLRQ GHV K¶SLWDX[HWF /ȇDXVW«ULW« OD FRUUXSWLRQ SROLWLTXH OD KDXVVH GHV inégalités et surtout l’incapacité des élites politiques traditionnelles à formuler un discours crédible proposant des solutions alternatives à FHVSUREOªPHVTXLWRXFKHQWOȇHQVHPEOHGHODVRFL«W«H[SOLTXHQWODIRUWH réceptivité des citoyens à l’égard du discours de PodemosTXLLQFDUQH une nouvelle offre politique et une organisation ex novoFU««HGHWRXWHV SLªFHVHWVDQVOLHQVV\PEROLTXHVDYHFOHSDVV«OHVYLHLOOHVLG«RORJLHVHW les anciens appareils partisans. Transformer l’indignation citoyenne en une nouvelle alternative politique

Podemos D«W«RɚFLHOOHPHQWFU««OHMDQYLHUSRXUGRQQHUXQ débouché politique aux revendications des « indignés » qui ont occupé OD 3XHUWD GHO 6RO ¢ 0DGULG OH PDL  3DEOR ,JOHVLDV -XDQ &DUORV Monedero et les autres fondateurs du mouvement issus du département GH VFLHQFHV SROLWLTXHV GH OȇXQLYHUVLW« &RPSOXWHQVH FRQ©RLYHQW OHXU doctrine politique comme une réponse à l’indignation populaire et au slogan « Ils ne nous représentent pas16}'DQVXQHWULEXQHSXEOL«HSDU El País-XDQ&DUORV0RQHGHURHW-HV¼V0RQWHURPHPEUHGXJURXSHGH WUDYDLO FKDUJ« GH OȇRUJDQLVDWLRQ «WDEOLVVHQW DYHF LURQLH OH FRQVWDW TXL MXVWLȴHVHORQHX[ODFU«DWLRQGHPodemos :

L’Espagne ressemble aujourd’hui à un reality show R» OHV SDUWLFLSDQWV ont laissé leur carte de citoyens à l’entrée de l’enceinte. Un million de MHXQHVRQWFKRLVLOȇ«PLJUDWLRQSUHVTXHH[SXOVLRQVTXRWLGLHQQHVSUªV GHPLOOLRQVGHFK¶PHXUVXQ(VSDJQROVXUTXDWUHHQULVTXHGȇH[FOXVLRQ VRFLDOHGHVFRXSHVEXGJ«WDLUHVGDQVOHVVHFWHXUVGHODVDQW«HWGHOȇ«GXFD- WLRQODIHUPHWXUHGHOȇXQLYHUVLW«DX[VHFWHXUVDSSDXYULVGHODVRFL«W«HW

šSur la notion de « parti électoral professionnel », cf. Angelo PƧƴƫƨƯƧƴƩƵ Political parties. Organization and Power, Cambridge, Cambridge University Press, 1988. šPablo IƭƲƫƸƯƧƸTƺƷƷƯʭƴ et Juan Carlos MƵƴƫƪƫƷƵ, ¡Que no nos representan ! : El debate sobre el sistema electoral español, Madrid, Editorial Popular, 2011.

271 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

le président du patronat madrilène qui utilise sa “carte B” de Caja Madrid pour multiplier illégalement ses notes de frais payées par le contri- EXDEOHWRXWHQGXUFLVVDQWODORLVXUOHVPDQLIHVWDWLRQVHWHQDXJPHQWDQW les frais de santé à la charge des patients. […] Le vote pour Podemos est OHU«VXOWDWGHOȇLQGLJQDWLRQVRFLDOHGHVSODFHVGHVUHYHQGLFDWLRQVGHVPD- U«HVHWGHVPDUFKHVFRQWUHȊOȇ‹WDWU«HOGHODQDWLRQȋPDLVDXVVLGXG«VLU GHFKDQJHPHQWDȴQGHU«FXS«UHUODG«PRFUDWLHHVSDJQROHG«PRUDOLV«H HWGLVFU«GLW«H,OIDXWUHFRQVWUXLUHOȇHVSRLUSHUGXHQODSROLWLTXHTXLD«W« trop longtemps abandonné et déléguée aux élites. À travers un processus SRSXODLUHSDUWLFLSDWLIPodemosYLVH¢PRUDOLVHUODYLHSXEOLTXHG«PR- cratiser le pouvoir et retrouver le bonheur17.

0LJXHO8UE£QDQFLHQQHW¬WHGHOLVWHGȇIzquierda Anticapitalista lors des «OHFWLRQVGHUHFRQQD°WOXLP¬PHTXȇLOIDOODLWmURPSUHDYHFOHVSDUWLV SROLWLTXHVWUDGLWLRQQHOVHWLQFDUQHUXQGLVFRXUVQRQSDVLG«RORJLVDQWPDLV FRQFUHWTXLSDUOHDX[JHQV18 ». Podemos se fonde ainsi sur cette volonté de proposer un débouché politique aux revendications sociales exprimées SDUOHVLQGLJQ«V/HQRPGXSDUWLPodemos m1RXVSRXYRQV} SURSRV« par Miguel Urbán lors du retour d’un diner en voiture dans la banlieue de 5LYDVDYHF3DEOR,JOHVLDVHWOȇ«FULYDLQ-RUJH0RUXQRHQWHQGGȇDLOOHXUVDOOHU au-delà du slogan « Sí se puede » (« Si c’est possible ») des manifestations des indignés. Ces origines « mouvementistes » de PodemosDQFU«GDQVOHV OXWWHVVRFLDOHVGHVGHUQLªUHVDQQ«HVVRQWELHQ«YRTX«HVSDU3DEOR2UWHJD «WXGLDQWHQFRPPXQLFDWLRQGHYLQJWTXDWUHDQVDFWLYLVWHGHJuventud Sin Futuro et désormais militant de Podemos :

PodemosHVWQ«GHODFRQVFLHQFHGHODȴQGȇXQF\FOHDXVHLQGXPRXYH- ment des indignés. Même si nous étions et nous restons profondément G«ȴDQWV ¢ Oȇ«JDUG GHV SDUWLV OH PRXYHPHQW D FRQQX XQ UHȵX[ GHSXLV un an. Nous avons touché un “plafond de verre”. Les assemblées ont débouché sur de nombreuses initiatives locales dans les quartiers : des DVVRFLDWLRQVFXOWXUHOOHVDUWLVWLTXHVGHVFROOHFWLIVGHG«IHQVHGHVVDQVSD- SLHUVGHVJURXSHVTXLVHVRQWRUJDQLV«VFRQWUHOȇDXVW«ULW«RXODORLFRQWUH OHGURLWGHPDQLIHVWHU0DLVDXQLYHDXQDWLRQDOULHQQȇDFKDQJ«/H33HVW toujours au pouvoir et la classe politique est toujours corrompue. C’est ce FRQVWDWTXLH[SOLTXHTXHPDOJU«OHXURSSRVLWLRQDX[SDUWLVOHVLQGLJQ«V ont massivement investi Podemos qui propose un discours de change- ment social et redonne du sens à l’action politique19.

šJuan Carlos MƵƴƫƪƫƷƵ et Jesús MƵƴƹƫƷƵ, « Claro que Podemos », tribune dans le quoti dien El País, 17 octobre 2014. šMiguel UƷƨʜƴ, cité dans Patricia OƷƹƫƭƧDƵƲƿ, « Las cuatro esquinas de Podemos », El País, 12 novembre 2014, p. 27. šEntretien avec Pablo Ortega, Lavapiés, 27 février 2015.

272 De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

Cette volonté d’entrer dans l’arène politique pour répondre aux luttes sociales qui se sont succédé depuis 2008 est évoquée par Juan Carlos Monedero : « Nous avons formé Podemos pour que dans quelques DQQ«HV VL TXHOTXȇXQ QRXV GHPDQGH Ȋ(W WRL TXȇHVWFH TXH WX DV IDLW"ȋ nous puissions lui répondre : « Nous avons fait revenir la politique aux JHQVHWQRXVDYRQVUHQGXSRVVLEOHOȇHVSRLUHQSROLWLTXH20. » Il s’agirait VHORQ 3DEOR ,JOHVLDV GH mWUDQVIRUPHU OD PDMRULW« VRFLDOH HQ XQH QRX- YHOOHPDMRULW«SROLWLTXH}'«SDVVHUOȇDSDWKLHODU«VLJQDWLRQSDVVLYHGHV citoyens en incitant à l’engagement par une « pédagogie participative » est l’un des objectifs de Podemos. Le parti contribue à la repolitisation de secteurs de la société qui Vȇ«WDLHQWODUJHPHQW«ORLJQ«VGHODSROLWLTXHQRWDPPHQWOHVMHXQHVOHV précaires et les abstentionnistes. « Nous naviguons et nous construi- VRQVOHSDUWLHQP¬PHWHPSV}G«FODUH/XLV3RUWHODXQDYRFDWORUVGH OȇDVVHPEO«HGXMHXGLGXTXDUWLHUKXSS«GH6DODPDQFDTXLU«XQLVVDLWFH jour-là une cinquantaine de personnes21. En discutant avec les membres GHOȇDVVHPEO«HMHPHVXLVUHQGXFRPSWHTXHVHXOVTXHOTXHVXQV«WDLHQW directement issus du mouvement des indignés. La plupart avaient été GHV mLQGLJQ«V SDU W«O«YLVLRQ LQWHUSRV«H} FRPPH PH GLW &ODUD XQH LQȴUPLªUH GH TXDUDQWH DQV GH OȇK¶SLWDO /D3D]22. Lors de rencontres KHEGRPDGDLUHV DX VHLQ GH ORFDX[ SU¬W«V RX ORX«V VH IRUPHQW GHV JURXSHV GH WUDYDLO HW GHV FRPPLVVLRQV mPXQLFLSDOH} mH[WHQVLRQ} mȴQDQFH}HWF IRUP«HVSDUGHVFLWR\HQVLVVXVGHSURIHVVLRQVGLYHUVHV HWGȇ¤JHVWUªVGLVSDUDWHVDOODQWGHGL[QHXI¢VRL[DQWHFLQTDQVHQFHTXL concerne mon enquête. J’ai rencontré des personnes issues des milieux DLV«V HW GHV FODVVHV PR\HQQHV SURIHVVHXUV GȇXQLYHUVLW« MRXUQDOLVWHV DYRFDWVPDLVDXVVLGHVHPSOR\«VGHEDQTXHHWGHODFRPPXQDXW«GH 0DGULG XQ LQVWLWXWHXU HW TXHOTXHV FRPPHU©DQWV  GDQV OH TXDUWLHU GH 6DODPDQFD HW GHV FLWR\HQV SOXV PDMRULWDLUHPHQW LVVXV GHV FODVVHV moyennes et populaires dans le quartier de Lavapiés (travailleurs VRFLDX[DUWLVWHV«WXGLDQWVHWFK¶PHXUVQRWDPPHQW  Le point commun entre ces individus issus de milieux sociaux très divers est leur volonté de changement et leur indignation face à la corruption politique et la hausse des inégalités. Favorable à la sépa- UDWLRQ GH Oȇ‹JOLVH HW GH Oȇ‹WDW PDLV VXUWRXW SUDJPDWLTXH Podemos se réapproprie des pratiques issues de la charité chrétienne : au sein des

šJuan Carlos MƵƴƫƪƫƷƵ, cité dans « ¿Hacia dónde camina PQFGOQUš!zEl Mundo, 15 sep tembre 2014, p. 15. šEntretien avec Luis Portela, quartier Salamanca, 26 février 2015. šEntretien avec Clara, quartier Salamanca, 26 février 2015.

273 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

FHUFOHVGH6DODPDQFDHWGH/DYDSL«VFKDTXHDVVHPEO«HVHWHUPLQHSDU XQH mTX¬WH} GDQV GHV ER°WHV HQ SODVWLTXH VXUQRPP«HV mEDODLV} HQ U«I«UHQFHDXVRXWLHQȴQDQFLHUDXPRXYHPHQWSHUPHWWDQWGHmEDOD\HU ODFODVVHSROLWLTXH}HQSODFH/DFDUWHGH0DGULGGXORFDOGH/DYDSL«V FROO«HDXPXUGHUULªUHXQYLHX[WDEOHDXHVWXQHP«WDSKRUHGXG«ERU- dement : les membres collaient initialement des petites pastilles de cou- OHXUSRXUVLWXHUFKDTXHQRXYHDXmFHUFOH}PDLVIDFH¢ODFU«DWLRQGH QRXYHOOHVDVVHPEO«HVFKDTXHVHPDLQHSDUWRXWHQ(VSDJQHOHVPLOLWDQWV n’ont plus le temps ni l’espace pour mettre la carte à jour. En s’appuyant VXU OH VRFOH GX PRXYHPHQW GHV LQGLJQ«V Podemos attire des citoyens G«©XVGHVSDUWLVWUDGLWLRQQHOVHWLVVXVGHGLII«UHQWVPLOLHX[HWFKHUFKH désormais à s’adresser à l’ensemble des Espagnols.

LA CRÉATION RAPIDE D’UNE ORGANISATION PARTISANE MODERNE

Izquierda Anticapitalista et le tissu militant de Lavapiés

Choisie dès la réunion fondatrice du 17 janvier 2014 tenue au sein GX WK«¤WUH GH /DYDSL«V OD P«WKRGH SDUWLFLSDWLYH GH Podemos s’est diffusée à travers les réseaux sociaux en s’appuyant sur le tissu social construit par les indignés suite au « 15-M » de mai 2011. Les membres les plus impliqués de Podemos ont l’impression d’être sans cesse « débordés » par le succès populaire de leur initiative et la création hebdomadaire de nouveaux cercles locaux. Ils disent « travailler contre ODPRQWUH}SRXUVWUXFWXUHUOHXUSDUWLGDQVOȇXUJHQFHPDLVRQWHQIDLW SHX GH SULVH VXU OD FU«DWLRQ OD VWUXFWXUDWLRQ HW OHV LQLWLDWLYHV SULVHV SDU OHV FHUFOHV ORFDX[mFH TXL V«GXLW OHV JHQV FȇHVW TXH OHV EDVHV GX SDUWL IRQFWLRQQHQW GH ID©RQ DXWRJ«U«H} PH GLW 3DEOR XQ «WXGLDQW GH 24 ans23. Mais au-delà de l’image d’un « parti d’assemblées » décentra- OLV«HVTXLSURSRVHQWHWTXLYRWHQWOHVJUDQGHVRULHQWDWLRQVQDWLRQDOHV Podemos se fonde sur un cercle dirigeant restreint issu de professeurs GHODIDFXOW«GHVFLHQFHVSROLWLTXHVGHOȇXQLYHUVLW«&RPSOXWHQVHVXUOHV militants historiques d’Izquierda Anticapitalista et sur le tissu de mou- vements sociaux et de collectifs qui ont foisonné au sein du quartier de /DYDSL«V¢0DGULGGHSXLV3DEOR,JOHVLDV-XDQ&DUORV0RQHGHUR ³LJR (UUHMµQ &DUROLQD %HVFDQVD HW /XLV $OHJUH VRQW WRXV GRFWHXUV HW

šEntretien avec Pablo, 24 ans, Lavapiés, 27 février 2015.

274 De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

professeurs issus du département de sciences politiques et de sociologie GH OD &RPSOXWHQVH /RLQ Gȇ¬WUH XQ PRXYHPHQW mVSRQWDQ«} Podemos HVWGRPLQ«DXFRQWUDLUHSDUGHVSROLWRORJXHVVRFLRORJXHVHWSKLORVRSKHV spécialistes de la communication politique24. Illustrant l’engouement SRSXODLUH SRXU OD SHQV«H SROLWLTXH GH FHV mFLQT IRQGDWHXUV} OH livre Cours urgent de politique pour les gens honnêtes de Juan Carlos 0RQHGHURDXWKHQWLTXHEHVWVHOOHUHQHVW¢VDQHXYLªPH«GLWLRQ Podemos se fonde aussi sur la structure et les six cents militants d’Iz- quierda Anticapitalista et sa branche catalane Revolta Global (« Révolte JOREDOH} XQSDUWLGȇH[WU¬PHJDXFKHIRQG«HQSDUOȇRUJDQLVDWLRQ Espacio Alternativo m(VSDFHDOWHUQDWLI} TXLUHJURXSDLWOHVPLOLWDQWV HVSDJQROV PHPEUHV GH OD 4XDWULªPH ,QWHUQDWLRQDOH TXL DYDLHQW IDLW partie de la coalition Izquierda Unida25. Certains membres de Podemos ont animé la revue Corriente Alterna Gȇ,$ WHOV OȇHXURG«SXW«H 7HUHVD 5RGU¯JXH] QXP«UR GHX[ VXU OD OLVWH GH Podemos aux européennes et G«VRUPDLVG«SXW«HU«JLRQDOHHWGLULJHDQWHGXSDUWLHQ$QGDORXVLHRX 0LJXHO 8UE£Q IXUHQW PHPEUHV Gȇ,$ MXVTXȇ¢ VD GLVVROXWLRQ U«FHQWH26. /H SªUH Gȇ³LJR (UUHMµQ -RV« $QWRQLR (UUHMµQ 9LOODFLHURV HVW XQ KDXW fonctionnaire de l’administration espagnole et un militant d’Izquierda Anticapitalista favorable à l’abolition de la monarchie27. Dans le projet de « principes éthiques » adopté par 80 % des voix lors du congrès IRQGDWHXU GX QRYHPEUH  LO D «W« G«FLG« TXH OHV PHPEUHV GHV DXWUHVSDUWLVWRXWHQSRXYDQWPLOLWHUDXVHLQGHPodemosQHSRXUUDLHQW SDV¬WUH«OXVDXmFRQVHLOFLWR\HQ}GHODIRUPDWLRQGLVSRVLWLRQUHVWUHL- gnant le « double militantisme » et empêchant une prise de pouvoir «YHQWXHOOH GHV PLOLWDQWV Gȇ,$ ¢ OȇHQFRQWUH GHV VRXKDLWV GH IXVLRQ GH Pablo Echenique et de Teresa Rodríguez28. Face à la perte de pouvoir de ses membres au sein de Podemos ,$ D G«FLG« GDQV XQ GRFXPHQW LQWHUQH GȇDYDQFHU VRQ GHUQLHU FRQJUªV DX DX I«YULHU  SRXU G«EDWWUHGHVDVWUDW«JLHGHVRQDGDSWDWLRQHWGHVRQU¶OHSDUUDSSRUW¢

šPour justifier leur engagement, Juan Carlos Monedero évoque sur ce point la « responsa bilité sociale » des professeurs de science politique de faire surgir une politique utile pour les Espagnols. Cf. Juan Carlos MƵƴƫƪƫƷƵ, Curso urgente de política para gente decente G ȌF  Madrid, Seix Barral, 2014, p. 15. 25. « Espacio Alternativo becomes Izquierda Anticapitalista and decides to stand in European elections », International Viewpoint, 24 novembre 2008. šSegundo SƧƴƿ, « Quién es quién en Izquierda Anticapitalista, el partido que mueve los hilos dentro de Podemos », Vozpópuli, 16 juin 2014. šSegundo SƧƴƿ, « El padre de ETTGLȕP Podemos) acusa a CGDTKȄPFGKORWNUCTWPCūQRGTC ción” para salvar la Corona », Vozpópuli, 19 juin 2014. 28. « Pablo Iglesias deja a Izquierda Anticapitalista fuera de Podemos », El Confidencial Digital, 21 octobre 2014.

275 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

Podemos : ce congrès a débouché sur la dissolution d’IA pour permettre à ses membres de pleinement militer et d’accéder à des positions de pouvoir au sein de Podemos297HUHVD5RGU¯JXH]QRWDPPHQWTXLDYDLW initialement renoncé à faire partie de l’exécutif de PodemosDMRX«XQ U¶OHFHQWUDOGDQVODGLVVROXWLRQGȇ,$SRXUSRXYRLUFRQWLQXHU¢LQȵXHQ- cer PodemosGHOȇLQW«ULHXUHWSHUPHWWUH¢VHVPLOLWDQWVTXLFRQVWLWXHQW OȇRVVDWXUHGHQRPEUHX[JURXSHVORFDX[GHODIRUPDWLRQGHVHSU«VHQWHU à des responsabilités internes30. 3DEOR ,JOHVLDV TXL SRUWH OH P¬PH QRP TXH OH IRQGDWHXU KLVWR- ULTXHGX362(ȴOVGH/XLVD7XUULµQDYRFDWHGHComisiones Obreras HW GH -DYLHU ,JOHVLDV LQVSHFWHXU GX WUDYDLO HW SURIHVVHXU GȇKLVWRLUH ¢ OD UHWUDLWH IXW OXLP¬PH PHPEUH GH Oȇ8QLRQ GHV MHXQHVVHV FRP- PXQLVWHV Gȇ(VSDJQH GH TXDWRU]H ¢ YLQJW HW XQ DQV   HW conseiller d’Izquierda Unida lors des législatives de 2011. Il conseilla ensuite Alternativa Galega de Esquerda $*(  ORUV GHV U«JLRQDOHV GH  HQ *DOLFH SHUPHWWDQW ¢ OD FRDOLWLRQ GȇREWHQLU QHXI G«SXW«V HW de devenir la troisième force régionale avec 14 % des voix31GHYDQ- çant le Bloque Nacionalista Galego (« Bloc nationaliste galicien »). Ces élections constituèrent en quelque sorte le « laboratoire électoral » de Podemos32. Mais la nouvelle formation entretient aussi des liens personnels et politiques avec Izquierda Unida XQ SDUWL DYHF OHTXHO Podemos est en concurrence directe : Juan Carlos Monedero a par H[HPSOH «W« FRQVHLOOHU GH *DVSDU /ODPD]DUHV OH VHFU«WDLUH J«Q«UDO Gȇ,8GH¢HW3DEOR,JOHVLDVHVWHQFRXSOHDYHF7DQLD6£QFKH] 0HOHURG«SXW«HGXSDUWL¢OȇDVVHPEO«HGH0DGULG (QȴQ Oȇ«PHUJHQFH GH Podemos ne peut être comprise sans tenir compte de son ancrage sociologique au sein du tissu militant du quar- WLHUGH/DYDSL«V¢0DGULG/HORFDOGXSDUWLGH/DYDSL«VDXUXH=XULWD HW¢OȇDQJOHGHODUXH7RUUHFLOODGH/HDOIXWGȇDLOOHXUVODOLEUDLULHFRRS«- rative MarabuntaGH0LJXHO8UE£QTXȇLOWUDQVIRUPDHQTXDUWLHUJ«Q«UDO de la nouvelle organisation. Lavapiés est non seulement le quartier OH SOXV PXOWLFXOWXUHO GH 0DGULG SHXSO« Gȇ,QGLHQV GH 3DNLVWDQDLV

šIzquierda Anticapitalista, « El papel y tareas de IA ante la crisis del régimen surgido en 1978. Adecuación organizativa del activismo anticapitalista ante las nuevas responsabilidades », document de travail interne, 24 novembre 2014. šAitor RƯƻƫƷƵ, « Izquierda Anticapitalista busca la forma de que sus militantes puedan aspi rar a cargos en Podemos », [Eldiario. es], 15 novembre 2014. 31. « Anova e IU UG RTGUGPVCTȄP EQOQ Alternativa Galega de Esquerda », El Mundo, 11 sep tembre 2012. šDavid LƵƳƨƧƵ, « Galicia fue el laboratorio electoral de Podemos », [Eldiario. es], 10 octobre 2014.

276 De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

Gȇ‹TXDWRULHQVGH6«Q«JDODLVHWGHQRPEUHX[DXWUHVSHXSOHVGXPRQGH PDLVDXVVLOHSOXVSROLWLV«GDQVODSOXSDUWGHVEDUVORFDX[RXFHQWUHV VRFLDX[ GHV U«XQLRQV VRQW RUJDQLV«HV HW GHV PRXYHPHQWV VRFLDX[ emblématiques de l’Espagne d’aujourd’hui comme Juventud Sin Futuro ou Espacio Alternativo s’y sont structurés. Podemos s’est par exemple appuyé sur les sympathisants du Teatro del Barrio¢OȇDQJOHGHODUXH IRQG«SDUOȇDFWHXU$OEHUWR6DQ-X£QTXLHVWXQSURMHWWK«¤WUDOFRRS«UD- WLIPHWWDQWHQVFªQHGHVSLªFHVHWGHVSHUIRUPDQFHVFULWLTXHVHWGRQ- nant un espace de libre expression à de nombreux artistes réalistes et à des collectifs politiques qui dénoncent et s’inscrivent pleinement dans la réalité sociale de la crise espagnole. Le noyau fondateur de Podemos VHVLWXHGRQF¢ODFRQȵXHQFHGȇLQWHOOHFWXHOVGHPLOLWDQWVGHODJDXFKH anticapitaliste et d’activistes du mouvement social des indignés ancrés dans un territoire urbain. Des assemblées citoyennes au parti politique

8QHDQHFGRWHTXHUDFRQWH0LJXHO8UE£QWUHQWHTXDWUHDQVSURFKH du cercle des fondateurs de Podemos et ami intime de Pablo Iglesias GHSXLVVDMHXQHVVH«WXGLDQWHLOOXVWUHELHQOȇDVFHQVLRQIXOJXUDQWHGHFH parti de nouvelle génération33. Lors de la première réunion publique GXPRXYHPHQWLOUDFRQWHFRPPHQWXQTXLGDPOXLGHPDQGDm7XHV de Podemos Saragosse ? ». Miguel pensa alors : « Comment puis-je lui expliquer que Podemos n’existe pas avant que nous réunissions cin- TXDQWHPLOOHVLJQDWXUHVTXHQRXVSU«VHQWLRQVOȇLQLWLDWLYHHWTXHOHVJHQV FKRLVLVVHQWGHIRUPHUXQJURXSHSROLWLTXH"},OOXLU«SRQGLWm1RQMH VXLVGH0DGULG}(WOȇKRPPHOXLGLWm$KHQFKDQW«-HVXLVGHPodemos Catalogne ». PodemosQȇH[LVWDLWSDVHQFRUHSRXU0LJXHOSRXUWDQWUHV- SRQVDEOH GH OȇRUJDQLVDWLRQ HW GH VRQ H[WHQVLRQ PDLV OH PRXYHPHQW DYDLWG«M¢XQHYLHORFDOHSURSUH¢ODPDUJHGHOȇ«TXLSHQDWLRQDOHGLUL- JHDQWH &HWWH SHWLWH KLVWRLUH SHUPHW GH FRPSUHQGUH FRPPHQW DYDQW P¬PH GH VH WUDQVIRUPHU HQ SDUWL Podemos s’est cristallisé en une mP«WKRGHSDUWLFLSDWLYH}LQFLWDQWOHVFLWR\HQV¢FU«HUHX[P¬PHVGHV DVVHPEO«HVHWGHVFHUFOHVORFDX[DXVHLQGHVTXHOVLOVVȇDXWRRUJDQLVHQW G«EDWWHQW U«DJLVVHQW ¢ OȇDFWXDOLW« HW IRUPXOHQW GHV LQLWLDWLYHV &RPPH OHG«FODUH-DLPHTXLPLOLWHHQVHUHQGDQWDXVHLQGXORFDOIRQGDWHXUGX SDUWLGDQVOHTXDUWLHUSRSXODLUHGH/DYDSL«V¢0DGULG

De nouvelles personnes passent la porte tous les jours. Ils viennent de WRXVOHVKRUL]RQVPDLVFHTXLDWWLUHFHVJHQVFȇHVWODP«WKRGH/HG«EDW

šCette anecdote est citée par Patricia OƷƹƫƭƧDƵƲƿ, op. cit., 12 novembre 2014, p. 27.

277 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

GȇLG«HV RXYHUW OD SRVVLELOLW« GH VH IDLUH HQWHQGUH GH GLUH FH TXH OȇRQ SHQVHHWGȇ¬WUH«FRXW«GHSDUWLFLSHU'DQVOHVDXWUHVSDUWLVOHVFLWR\HQV GRLYHQW«FRXWHUOHVGLULJHDQWVLOVQȇRQWSDVGHIRUXPVSRXUVȇH[SULPHU ,OVQHVRQWSDVYUDLPHQWFRQVXOW«V,FLLOVVHVHQWHQWYDORULV«VLOVRQWOH sentiment d’être utiles et d’avoir un réel pouvoir. En renversant la pyra- PLGHKL«UDUFKLTXHOHVJHQVVHVHQWHQWSOXVFRQFHUQ«VHWLOVVȇHQJDJHQW C’est la clé du succès de Podemos : remettre l’engagement des citoyens au centre et leur redonner du pouvoir34.

Le parti veut montrer qu’il est possible de « diriger en obéissant » VXLYDQWOȇH[SUHVVLRQGH-XDQ&DUORV0RQHGHURHQVHVWUXFWXUDQWHQXQH I«G«UDWLRQGȇDVVHPEO«HVDXWRQRPHVR»OHVJURXSHVORFDX[FKRLVLVVHQW eux-mêmes leurs représentants. Traditionnellement utilisé par les par- WLV HQ (VSDJQH OH V\VWªPH GH OLVWHV IHUP«HV IDYRULVH OD UHSURGXFWLRQ VRFLDOHOȇHQGRJDPLHHWODV«OHFWLRQGHVFDQGLGDWVVXUODEDVHGHOHXUDOO«- geance aux appareils partisans plutôt qu’en fonction de leur implication ORFDOHGHOHXUVVRXWLHQVFLWR\HQVHWGHOHXUVFRPS«WHQFHV/DSU«VHQWD- WLRQ V\VW«PDWLTXH SDU OHV SDUWLV GH WHOOHV OLVWHV GRQW OHV FDQGLGDWXUHV VRQW G«VLJQ«HV mGȇHQ KDXW} SDU OHV GLULJHDQWV HVW DLQVL GLUHFWHPHQW responsable de la clôture du champ politique. En favorisant la constitu- tion d’assemblées et de plateformes citoyennes pour les élections muni- FLSDOHV GH  QRWDPPHQW DYHF OD SHWLWH IRUPDWLRQ «FRORJLVWH Equo RXIRQG«HVVXUGHVFROOHFWLIVFLWR\HQVPodemos cherche à rompre avec FHVFK«PDHQSULYLO«JLDQWGHVOLVWHVRXYHUWHVFHTXLVXVFLWHXQHQJRXH- ment populaire. Cela contredit la thèse d’un déclin de la participation FLWR\HQQHHQPRLQVGȇXQDQHQYLURQPLOOHmDVVHPEO«HVFLWR\HQQHV} RQW«W«FRQVWLWX«HVVXUOȇHQVHPEOHGXWHUULWRLUHFU«DQWGHWRXWHVSLªFHV un réseau de 260 000 sympathisants356HUJLR3DVFXDOVHFU«WDLUHGHOȇRU- JDQLVDWLRQFKHUFKH¢FHTXHFHVFHUFOHVIRUPHQWHWGLULJHQWHX[P¬PHV « des candidatures d’unité populaire » lors des élections municipales HWU«JLRQDOHVGHVDQVXWLOLVHUSRXUDXWDQWODmPDUTXH}QDWLRQDOH Podemos36. Des plateformes telles que Ganemos Madrid ou Ganemos

šEntretien avec Jaime, 29 ans, militant de Madrid, Lavapiés, 25 février 2014. šCherchant à s’appuyer sur une large base sociale, le parti remet en cause la division VTCFKVKQPPGNNG GPVTG NGU kOKNKVCPVUz SWK RCKGPV PQTOCNGOGPV WPG EQVKUCVKQP  GV NGU kU[ORC thisants ». Il se structure de fait comme un parti d’électeurs où le militantisme est plus fluide. Pour être considéré comme « sympathisant » de Podemos EGSWKKORNKSWGUWKXCPVUGURTQRTGU critères, faire partie de l’organisation), il suffit de s’affilier à l’un de ses cercles locaux ou d’enre gistrer son inscription sur le site internet du parti. Aucune cotisation n’est exigée, mais les dons sont encouragés. šSergio PƧƸƩƺƧƲ, « Debemos alentar candidaturas de unidad popular en las municipales », El Mundo, 10 décembre 2014.

278 De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

Barcelona GLULJ«H SDU $GD &RODX GH OD 3$+ VRQW DLQVL HQ WUDLQ GH VH former dans cet esprit au sein de différentes villes d’Espagne. PodemosDHQWDP«XQSURFHVVXVFRQVWLWXDQWHQVHSWHPEUHTXL déboucha sur une assemblée préparatoire au sein de la Plaza de Toros GH 9LVWDOHJUH OHV  HW RFWREUH HW HQW«ULQD OH FKRL[ GH VD WUDQVIRU- mation en parti politique. Mille personnes organisées en 164 équipes RQW IRUPXO«  SURSRVLWLRQV GRQW FHOOHV TXL RQW UHFXHLOOL OH SOXV GH YRL[RQWSHUPLVGHG«ȴQLUOHVSULQFLSHVGHEDVHGXSDUWL3XLVORUVGH son assemblée constituante du 15 novembre 2014 au théâtre Nuevo Apolo GH 0DGULG OH SDUWL VȇHVW GRW« GȇXQ mFRQVHLO FLWR\HQ} FRPSRV« GH  PHPEUHV VXU SOXV GH PLOOH FDQGLGDWV  FKRLVLV SDU OȇHQVHPEOH GHV V\PSDWKLVDQWV Vȇ«WDQW H[SULP«V SOXV GL[VHSW UHSU«VHQWDQWV GHV communautés autonomes et un membre élu par les sympathisants résidant à l’étranger. Pablo Iglesias a été élu secrétaire général en REWHQDQW  GHVYRWHV«OHFWURQLTXHV«PLVVXLYDQWXQ processus en ligne géré par la compagnie Agora Voting. Le fait que le second meilleur candidat sur les soixante-deux personnes qui se sont SU«VHQW«HV DX SRVWH GH VHFU«WDLUH J«Q«UDO QȇDLW REWHQX TXH  YRL[ illustre bien la très forte personnalisation de Podemos autour de Pablo Iglesias. Seuls 41 % des sympathisants du parti (environ 260 000) ont cependant voté. Les votants furent les sympathisants inscrits sur le site internet de PodemosTXLSXUHQWSDUWLFLSHUVDQVDYRLUEHVRLQGHSD\HU une adhésion. Le « conseil citoyen » du parti se divise en aires de travail (organi- VDWLRQ «FRQRPLH FRPPXQLFDWLRQ «JDOLW« U«VHDX[HWF  HW FRQVWLWXH en quelque sorte le parlement de la formation. L’autre organe natio- QDOHVWXQmFRQVHLOGHFRRUGLQDWLRQ}SOXVUHVWUHLQWTXL«TXLYDXWDX mFRPLW«GHGLUHFWLRQ}DXVHLQGȇDXWUHVSDUWLVHWTXLHVWFRPSRV«GH dix à quinze personnes élues par le conseil citoyen sur proposition du VHFU«WDLUHJ«Q«UDO‚FHMRXUHQSOXVGHVFLQTIRQGDWHXUVLOU«XQLWOȇHX- URG«SXW«H7DQLD*RQ]£OH]OȇDQFLHQMXJHDQWLFRUUXSWLRQ&DUORV-LP«QH] 9LOODUHMR OȇDYRFDW GH OD 3$+ 5DID 0D\RUDO Oȇ«FRQRPLVWH $OEHUWR 0RQWHURGHOȇXQLYHUVLW«GH0£ODJDOȇ«GLWHXU-RUJH/DJRGHODPDLVRQ d’édition Lengua de Trapo et quelques membres de l’équipe technique FKDUJ«H GȇRUJDQLVHU OȇDVVHPEO«H GX SDUWL GRQW 0LJXHO 8UE£Q (QȴQ XQmFRPLW«GHJDUDQWLHVG«PRFUDWLTXHV}FRPSRV«GHGL[SHUVRQQHV GRQW*ORULD(OL]RUHVSRQVDEOHGHOȇ«TXLSHMXULGLTXHGHPodemos et de ODUHSU«VHQWDWLRQGHODSDUWLHFLYLOHGDQVOȇDIIDLUH2OHJXHU3XMROHWOH SURIHVVHXUGHGURLWS«QDO0DQXHO0DURWRDSRXUU¶OHGȇ¬WUHOHMXJHGH la démocratie interne. Suite à l’approbation des structures centrales

279 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

GX SDUWL GHV UHSU«VHQWDQWV RQW «W« «OXV DX VHLQ GH FKDTXH FRPPX- nauté autonome. Même si Podemos s’appuie sur des procédures visant à créer une mG«PRFUDWLHU«HOOH}VXUOHSODQLQWHUQHLOVHUDLWWURPSHXUGHOHTXDOL- ȴHUGHmSDUWLGȇDVVHPEO«H}&HUWHV¢WUDYHUVODI«G«UDWLRQGȇDVVHPEO«HV ORFDOHVODFRQVXOWDWLRQSDUYRWHGHVPLOLWDQWVVXUOHVJUDQGHVRULHQWD- tions du parti et la revendication de « transparence » en publiant ses FRPSWHVVXULQWHUQHWPodemos cherche à mettre en application les prin- cipes de la démocratie participative et directe37. Mais la ligne politique adoptée lors du congrès fondateur a intronisé un secrétaire général XQLTXHHWOȇHQVHPEOHGXSRXYRLULQWHUQHD«W«FRQȴ«DX[JURXSHVGHV fondateurs38/HSDUWLHVWFHUWHVGRW«GȇXQmFRQVHLOFLWR\HQ}PDLVDXVVL GȇXQH[«FXWLIGLULJHDQWGȇXQHKL«UDUFKLHHWGȇXQHGLVFLSOLQHFRPPXQH DX[SDUWLVWUDGLWLRQQHOVHW¢ODmORLGȇDLUDLQGHOȇROLJDUFKLH}G«ȴQLHSDU Robert Michels39)«G«UDWLRQGȇDVVHPEO«HVORFDOHVDXWRJ«U«HVGRQWOHV G«FLVLRQVVRQWVRXPLVHV¢OȇDSSUREDWLRQGHVEDVHVPodemos est aussi un parti au leadership très marqué. La marginalisation des courants internes favorables au maintien d’un mouvement d’assemblées et critiques de la ligne des fondateurs l’illustre bien. Représentant le courant interne « Sumando Podemos » DYHFOHVHXURG«SXW«HV7HUHVD5RGU¯JXH]HW/ROD6£QFKH]OHVPLOLWDQWV 9LFWRU *DUF¯D HW %HDWUL] *LPHQR HW OH mFHUFOH GHV LQȴUPLªUHV} GH PodemosOȇHXURG«SXW«3DEOR(FKHQLTXHUHWLUDVDFDQGLGDWXUHDXVHFU«- WDULDW J«Q«UDO DSUªV DYRLU PLV HQ FDXVH OD P«WKRGH GH YRWH HVWLPDQW qu’une compétition interne avec l’équipe de Pablo Iglesias était impos- sible40. Le courant « Construyendo Podemos » dirigé par Clara Marañòn HW&DUROLQD+XHOPRTXLU«XQLWXQHGL]DLQHGHFHUFOHVWUªVDFWLIV GRQW FHX[GH0DGULG6«YLOOH0XUFLH&LXGDG5HDO$OLFDQWHHW*XLSXVFRD ȴW DXVVLGHVG«FODUDWLRQVFULWLTXHV‹O«PHQWSUREO«PDWLTXHOHVV\PSDWKL- sants devaient soit voter en bloc pour la liste fermée proposée par les IRQGDWHXUVVRLWFKRLVLUXQ¢XQOHVVRL[DQWHGHX[FDQGLGDWVDXmFRQVHLO FLWR\HQ}'DQVXQWHOV\VWªPHOHFKRL[SRVVLEOHGHVFDQGLGDWVVXUXQH base individuelle ne pouvait être qu’en compétition inégale avec la liste

šFrancesco MƧƴƫƹƹƵ, « Podemos corona a Pablo Iglesias para liderar la pugna al biparti dismo », El País, 14 novembre 2014, p. 22. šFrancesco MƧƴƫƹƹƵ, « IINGUKCUšLas dificultades comienzan ahora », El País, 15 novembre 2014, p. 1. šRobert MƯƩƮƫƲƸ, Les partis politiques. Essais sur les tendances oligarchiques des démocraties, Bruxelles, Éditions de l’université de Bruxelles, [1914], 2009. 40. « Las renuncias de Echenique », El Periódico de Catalunya, 24 octobre 2014, p. 5.

280 De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

GH3DEOR,JOHVLDVHQUDLVRQGXG«ȴFLWGHQRWRUL«W«GHODSOXSDUWGHVFDQ- GLGDWV/HFHUFOHGHVLQȴUPLªUHVGHPodemosOHSOXVFULWLTXHHQYLQW¢ DFFXVHURXYHUWHPHQW,JOHVLDVGHGRQQHUFRUSVDX[mSUHPLHUVU«ȵH[HV GH FDVWH} DX VHLQ GX PRXYHPHQW PRQWUDQW Oȇ«YROXWLRQ UDSLGH GH Podemos vers une organisation dotée d’une discipline partisane autour d’une direction verticale et hiérarchisée41. Une révolution « technopolitique »

Dimanche 19 octobre 2014 dans la soirée. Les 26 membres de l’équipe technique chargés d’organiser l’assemblée constituante de Podemos se connectent tous sur Telegram pour leur « rendez-vous vir- WXHO} ‚ WUDYHUV FHWWH DSSOLFDWLRQ GH W«O«SKRQH SRUWDEOH LOV G«EDWWHQW et votent sur la méthode de choix des documents fondateurs du futur parti. Cet épisode est une bonne illustration du fait que la maîtrise de l’internet et des nouvelles technologiques constitue l’une des pierres angulaires de l’organisation interne de la formation42. Dès son lance- PHQWOHMDQYLHU7ZLWWHUDG½VXVSHQGUHGHX[IRLVOHFRPSWHGH Podemos devant l’avalanche de tweets des suiveurs. Depuis les élections HXURS«HQQHV JU¤FH DX[ ȴQDQFHPHQWV IRXUQLV SDU OH 3DUOHPHQW HXUR- S«HQSRXUOȇRUJDQLVDWLRQGXWUDYDLOGHVHXURG«SXW«VPodemos occupe un local au septième étage d’un immeuble près de la Plaza de España à 0DGULGR»WUDYDLOOHOHJURXSHVS«FLDOLV«GDQVOHVQRXYHOOHVWHFKQRORJLHV OȇLQWHUQHWOHVU«VHDX[VRFLDX[HWOHVDSSOLFDWLRQVSRXUVPDUWSKRQHV&H groupe se fonde notamment sur des militants de Juventud Sin Futuro qui ont acquis des compétences en matière de partage numérique des informations dans le cadre du mouvement des indignés et du 15-M. m5«VHDX[ VRFLDX[} mSDUWLFLSDWLRQ} HW mWHFKQRORJLHV} FRQVWLWXHQW OHVWURLVSLOLHUVGHOȇRUJDQLVDWLRQQXP«ULTXHGXSDUWLTXLYHXW¬WUH¢OD SRLQWHGDQVFHGRPDLQHDȴQGȇLPSOLTXHUOHSOXVGHV\PSDWKLVDQWVSRV- sible et de renouveler les façons de faire de la politique. Eduardo Rubiño gère le groupe « réseaux sociaux » et coordonne une «TXLSHGHTXLQ]H¢YLQJWYRORQWDLUHVTXLVHUHODLHQWTXRWLGLHQQHPHQW

šLe caractère décentralisé du parti constitue sa plus grande force mais aussi sa plus grande HCKDNGUUGšEGNCRGTOGVFŨKPUVCWTGTWPGFȌOQETCVKGKPVGTPGRCTVKEKRCVKXGOCKURGWVFQPPGTWPG image d’incohérence de son positionnement idéologique. La question de la maîtrise des prises de parole commence à se poser. Preuve en est par exemple, la polémique sur la proposition de Fonsi Loaiza, membre du « cercle des sports », de limiter le salaire maximum des sportifs, une proposition ensuite désavouée par ÍȓKIQErrejón. Cf. « Podemos no propone futbolistas con GUVWFKQUQUCNCTKQOȄZKOQz, El País, 9 décembre 2014, p. 19. šGuiomar DƫƲSƫƷ, « La infraestructura de Podemos vive en internet », El País, 15 novembre 2014.

281 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

de 10 heures à 23 heures et diffusent du contenu sur la Toile. Ce travail d’organisation et de diffusion de contenus numériques porte d’ores et déjà ses fruits. Podemos est la formation politique la plus suivie sur Twitter (428 000 suiveurs contre 181 000 pour le PSOE et 177 000 pour OH 33  HW GRPLQH HQFRUH SOXV VHV FRQFXUUHQWV VXU )DFHERRN  suiveurs contre 77 000 pour le PP et 73 000 pour le PSOE). La jeunesse de nombreux militants du parti constitue un atout majeur face à ses concurrents pour réinventer des pratiques internes de vote et de SDUWDJH GH OȇLQIRUPDWLRQ &RPPH OH G«FODUH )HUQDQGR XQ PLOLWDQW GH /DYDSL«V GH WUHQWHWURLV DQV TXL VH GLW mMRXUQDOLVWH SU«FDLUH} HW mK\SHUFRQQHFW«}VXU7ZLWWHU)DFHERRNHW,QVWDJUDP

Nous avons un coup d’avance sur les autres partis. Nous sommes mieux organisés qu’eux sur les réseaux sociaux et internet. Il y a un vrai travail d’organisation. Je pense que cela va payer et faire la différence. On voit d’ailleurs les dirigeants du PP qui commencent à dire qu’ils doivent réagir et être plus actifs. On est en train de créer des brèches dans les partis tra- GLWLRQQHOV/ȇLG«HHVWGȇDWWLUHUOHVIRUFHVYLYHVGHIDLUHWUDYDLOOHUOHVMHXQHV FU«DWHXUV GH VȇHQWRXUHU GȇLQJ«QLHXUV HW GH SURIHVVLRQQHOV GH OȇLQWHUQHW PodemosHVWXQHVRUWHGHȊVWDUWXSȋSROLWLTXHR»VHUHWURXYHQWFHX[TXL veulent mettre l’innovation au service du changement politique43.

Pablo Iglesias est désormais suivi par 663 000 personnes sur Twitter FRQWUHSRXU0DULDQR5DMR\HWWUªVORLQGHYDQW3HGUR6£QFKH]   ‚ FHOD LO IDXW DMRXWHU OHV GL]DLQHV GH FRPSWHV VHFWRULHOV HW régionaux promus par les cercles et les assemblées territoriales de PodemosPDLVDXVVLFHX[DQLP«VSDUOHV(VSDJQROV¢Oȇ«WUDQJHU(QXWL- OLVDQWOȇDSSOLFDWLRQ7HOHJUDP FRQFXUUHQWHUXVVHGH:KDWV$SS OHSDUWL a aussi entrepris de recenser l’ensemble des comptes et des applications V\PSDWKLVDQWHVDȴQGȇ«YLWHUOHVLPSRVWXUHVHWGȇDP«OLRUHUODFDSDFLW« GH U«DFWLRQ FROOHFWLYH SDU UDSSRUW ¢ OȇDFWXDOLW« *U¤FH ¢ 7HOHJUDP GHV débats en temps réel pouvant inclure simultanément des représen- tants de près de 250 cercles distincts ont lieu lors des grandes réunions publiques. La progression des adhésions sur les réseaux sociaux ne FHVVH GH VȇDPSOLȴHU GHSXLVOHV «OHFWLRQV HXURS«HQQHV TXLRQW PDUTX« XQSRLQWGȇLQȵH[LRQ ‚QJHO XQ «WXGLDQW GH YLQJWFLQT DQV LPSOLTX« DX VHLQ GX JURXSH mSDUWLFLSDWLRQ}GLULJ«SDU0LJXHO$UGDQX\PȇDH[SOLTX«TXHOHSDUWL XWLOLVH OȇDSSOLFDWLRQ GH YRWH $SSJUHH GLVSRQLEOH VXU OHV W«O«SKRQHV SRUWDEOHVTXLSHUPHWGHV«OHFWLRQQHU¢SDUWLUGHFULWªUHVV«PDQWLTXHV

šEntretien avec Fernando, Lavapiés, 25 février 2015.

282 De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

HW QXP«ULTXHV SDUPL OHV FHQWDLQHV GȇRSLQLRQV HW GH SURSRVLWLRQV GHV XWLOLVDWHXUVVXUXQVXMHWGRQQ«FHOOHVTXLSU«VHQWHQWOHVSOXVIRUWVWDX[ GȇLQWHUDFWLRQ GH SRSXODULW« HW GH UHGRQGDQFH 3RXU OXL LO VȇDJLW GȇXQ « exemple d’intelligence collective » permettant de travailler en temps U«HOHWGHIDLUHUHPRQWHUYHUVODGLUHFWLRQGXSDUWLOHVSRVLWLRQVOHVSOXV appréciées par les sympathisants de base44&HODSHUPHWDXVVLJU¤FH¢ OD WHFKQRORJLH GH WLUHU SURȴW HW GH VWUXFWXUHU OH WUDYDLO GH SURFHVVXV d’assemblées qui ont montré leurs limites organisationnelles suite au 15-M. L’application Appgree a ainsi été utilisée lors de l’assemblée citoyenne d’octobre 2014 pour sélectionner cinquante questions (sur  «PDQDQW GHV FHUFOHV GH EDVH GX SDUWL ¢ WUDYHUV  YRWHV qui furent ensuite posées aux porte-parole de chaque aire thématique. Podemos utilise aussi le système de vote créé grâce à l’algorithme des HQWLW«VLQG«SHQGDQWHV2SHQ.UDWLRHW$JRUD9RWLQJTXLH[LVWHG«M¢HQ 6XLVVHHWHQ1RUYªJHHWTXLSHUPHWIDFLOHPHQWGȇRUJDQLVHUGHVYRWHVHQ DOOLDQWUHVSHFWGHODYLHSULY«HDQRQ\PDWHWJDUDQWLHVGHV«FXULW«HWGH ȴDELOLW« L’idée de la direction de Podemos est d’instaurer la possibilité de révocation interne des élus de la formation si 25 % des votants en G«FLGHQW DLQVL HW GH IDYRULVHU GHV G«EDWV LQWHUQHV VXU OHV LQLWLDWLYHV programmatiques citoyennes qui obtiennent le soutien d’au moins GHVYRWDQWV(QȴQHQXWLOLVDQWODWHFKQRORJLHDP«ULFDLQH5HGGLW la formation a créé Plaza Podemos XQ VLWH LQWHUQHW GȇDJU«JDWLRQ HW GȇLQWHUDFWLRQHQWUHXWLOLVDWHXUVTXLSHUPHWGHIDLUHYLYUHHQVHPEOHOHV FULWLTXHV GH FHUWDLQV VHFWHXUV OHV SURSRVLWLRQV HW OHV G«EDWV 2Q YRLW donc bien comment l’essor de PodemosQȇHVWSDVOHIUXLWGXKDVDUGHWVH fonde notamment sur sa rénovation des pratiques politiques au service de la démocratie partisane interne et de la communication politique à l’heure de l’internet et des réseaux sociaux. Les nouvelles techno- logies sont activement utilisées par Podemos comme des instruments GHPRELOLVDWLRQHWGȇLQYLWDWLRQDXG«EDWFHTXLSHUPHWGHUHOD\HUSOXV HIIHFWLYHPHQWOHVSULVHVGHSRVLWLRQSXEOLTXHVGHVSRUWHSDUROHGXSDUWL et de mener une « campagne 2.0 » plus effective que ses concurrents. Cela rappelle l’innovation technologique utilisée de façon déterminante au service de la campagne présidentielle de Barack Obama en 200845.

šEntretien avec Àngel, siège « numérique » de Podemos, Plaza de EURCȓCHȌXTKGT šSur ce point, cf. notamment François HƫƾƴƪƫƷƯƩƱƖ, « ODCOCNŨKPHNGZKQPPWOȌTKSWGz HermèsPoRšMaria MƫƷƩƧƴƹƯGƺƫƷƯƴ, « FCEGDQQMWPPQWXGNQWVKNFGECO RCIPGšAPCN[UGFGUTȌUGCWZUQEKCWZGVOCTMGVKPIRQNKVKSWGzLa Revue des sciences de gestion, PoRšPatrice FƲƯƩƮƾ, « La démocratie 2.0 », ÉtudesPoR

283 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

RENOUVELLEMENT IDÉOLOGIQUE ET STRATÉGIES POLITIQUES

Un leader médiatique

PodemosSRXUOHJUDQGSXEOLFFȇHVWDYDQWWRXWOHYHUEHDVVH]UHV- pectueux de ses adversaires et la parole critique étayée d’exemples GH3DEOR,JOHVLDV(QFHGHUQLHUODQ©DHWSU«VHQWDLa Tuerka sur Público TVXQH«PLVVLRQGHG«EDWVSROLWLTXHVTXȇLODFU««HVXUOȇLQWHUQHW DYHF TXHOTXHV FROOªJXHV HW DPLV GRQW -XDQ &DUORV 0RQHGHUR GHSXLV OHG«EXWGHVDQQ«HV3XLVOHW\SHGHGLVFRXUVTXHSURSRVHG«VRU- mais Podemos fut testé lors d’une émission hebdomadaire diffusée sur XQHFKD°QHW«O«YLV«HORFDOHGXTXDUWLHUPDGULOªQHGH9DOOHFDVGȇR»HVW RULJLQDLUH 3DEOR ,JOHVLDV 'HYDQW OH VXFFªV UHQFRQWU« SDU OȇLQLWLDWLYH les plateaux télévisés et radios l’invitèrent peu à peu. Ces analyses minutieusement travaillées commencèrent à créer la polémique sur les réseaux sociaux et à faire monter l’audience des chaînes de télévi- VLRQ(QDR½WLOG«EXWDXQHFROODERUDWLRQSOXVJ«Q«UDOHDYHFFHWWH FKD°QHHWHQQRYHPEUHLOGHYLQWDQDO\VWHDXVHLQGXSURJUDPPH La Sexta Columna de la chaîne Sexta. 6DSUHPLªUHDQDO\VHLQWLWXO«Hm5DMR\DQ,/DU«DOLW«Fȇ«WDLW©D} TXL FULWLTXDLW OD SUHPLªUH DQQ«H GX JRXYHUQHPHQW FRQVHUYDWHXU ȴWOHmEX]]}VXUOȇLQWHUQHWHWOHVU«VHDX[VRFLDX[46. À partir de jan- YLHU LO FU«D HW SU«VHQWD OH SURJUDPPH Fort Apache U«DOLV« SDU les productions CMI et émis par la chaîne de télévision publique internationale iranienne Hispan TV GHVWLQ«H DX PRQGH KLVSDQLTXH /HDYULOLOIXWHQVXLWHLQYLW«¢Oȇ«PLVVLRQWUªVVXLYLHEl Gato al Agua sur la chaîne IntereconomíaSRXUU«DJLU¢OȇDSSHOGXFROOHFWLI 25-S de tenter d’occuper le Congrès des députés le 25 avril jusqu’à obtenir la démission du gouvernement47. Ayant milité au sein du PRXYHPHQW DOWHUPRQGLDOLVWH HQ  3DEOR ,JOHVLDV G«IHQG OD G«VR- E«LVVDQFH FLYLOH FRPPH PR\HQ GH OXWWH /RUV GH FHWWH LQWHUYHQWLRQ WRXW HQ FRQGDPQDQW OȇXVDJH GH OD YLROHQFH LO MXVWLȴH OHV PDQLIHVWD- tions populaires en cherchant à montrer le manque de légitimité du JRXYHUQHPHQW GH VHV SROLWLTXHV GȇDXVW«ULW« HW SOXV J«Q«UDOHPHQW OD crise du système politique issu de la constitution de 1978. Ses prises de

šPablo IƭƲƫƸƯƧƸ, « RCLQ[CȓQIšLa realidad era esto », [atresplayer. com], 16 novembre 2012. šMiguel HƫƷƴʜƴƪƫƿ, « El 25SNNCOCCūCUGFKCTŬGNCongreso el 25 de abril y a no abandonar hasta que dimita el Gobierno », La Razón, 31 mars 2013.

284 De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

SRVLWLRQWUªVKDELOHVHWDSSX\«HVGHGRQQ«HVFRQFUªWHVOXLRQWSHUPLV de se faire connaître du grand public et ont suscité un large débat sur internet et dans la presse écrite48. Il est dès lors devenu peu à peu un analyste et un collaborateur habituel invité à différentes « Tertulias políticas} El Gato al Agua et El Cascabel al Gato  79  La SextaNoche /D 6H[WD  Las Mañanas de Cuatro (Cuatro) et La noche en 24 horas présenté par Sergio Martin (24 horas)49. La principale nouveauté du discours qu’il propose et sa percée à l’écran s’expliquent par le fait que le format télévisuel des « Tertulias} GHV G«EDWV VXU OȇDFWXDOLW« SROLWLTXH HQWUH VXSSRV«V mVS«- FLDOLVWHV}MRXUQDOLVWHVHWLQYLW«VD«W«ODUJHPHQWmYDPSLULV«}SDUGHV pseudo-experts au cours des dernières années. Ces « spécialistes du ciel HWGHODWHUUH}SRXUUHSUHQGUHOȇH[SUHVVLRQGȇ,JOHVLDVRQWSULVOȇKDEL- tude d’opiner sur tous les sujets et de se dire compétents sur toutes les WK«PDWLTXHVHQUHVVDVVDQWOHVP¬PHVSRLQWVGHYXHHWLG«HVUH©XHV(Q préparant au contraire très sérieusement en amont ses interventions W«O«YLV«HVHQU«GLJHDQWGHVQRWHVGHVDUJXPHQWDLUHVHWHQ«WD\DQWVRQ SURSRVGHQRPEUHX[H[HPSOHV3DEOR,JOHVLDVDVRXGDLQHPHQWPRQWU« OH IDLEOH QLYHDX LQWHOOHFWXHO GH QRPEUHX[ G«EDWV SUHQDQW VRXYHQW OH dessus sur ses interlocuteurs grâce à un vrai travail méthodique d’argu- mentation et de contre-argumentation. 6HVLQWHUYHQWLRQVWUªVFULWLTXHVPDLVLQWHOOLJHQWHVHWWUªVGRFXPHQ- W«HVG«VWDELOLVHQWDLQVLVRXYHQWOHVDXWUHVPHPEUHVGXSODWHDXHQPHW- tant le doigt sur les questions qui fâchent50. Avant même la création de PodemosHQMDQYLHUHOOHVOXLRQWSHUPLVGHȴG«OLVHUXQSXEOLFHWGH diffuser ses prises de position à des heures de grande écoute. Depuis la IRUPDWLRQGXPRXYHPHQW3DEOR,JOHVLDVHVWGHYHQXXQYUDLSK«QRPªQH P«GLDWLTXH LQYLW« HQ  DX VHLQ GH QRPEUHXVHV DXWUHV «PLVVLRQV comme La LupaVia VAl Rojo vivoEl ObjetivoViajando con ChesterUn tiempo nuevo et Salvados. L’émergence de Podemos doit ainsi beaucoup DXFKDULVPHDXWUDYDLOFULWLTXHVXUOHFRQWHQXHW¢ODFRPPXQLFDWLRQ politique de Pablo Iglesias. L’essor de la formation est donc intimement lié à la diffusion de nouveaux cadres d’interprétation et d’un discours critique renouvelé au sein même des médias de masse traditionnels.

šMario LʭǞƫƿ, « Pablo Iglesias y la conquista de la inteligencia », Diario Siglo XXI, 4 juillet 2013. šIl a aussi participé à l’émission Te vas a enterar en 2013. šEn octobre 2013, il a d’ailleurs obtenu un prix journalistique octroyé par le département de journalisme de l’université Carlos III de Madrid, puis le prix « Enfocados » de journalisme de l’ONG Coordinadora para el desarrollo, pour sa contribution au changement social.

285 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

Un discours transversal s’adressant à tous

Une autre clé du succès de Podemos réside dans la volonté de ses dirigeants de se démarquer des étiquettes politiques traditionnelles et du clivage gauche-droite. En refusant d’être « étiqueté » comme un SDUWL mGH JDXFKH} Podemos se place dans une posture visant à arti- FXOHU XQ GLVFRXUV WUDQVYHUVDO VȇDGUHVVDQW ¢ WRXV XQH FDUDFW«ULVWLTXH GHV SDUWLV mDWWUDSHWRXW} SOXV D[«V VXU OD FRQTX¬WH GX SRXYRLU HW OD volonté de convaincre une majorité des citoyens que sur la défense acharnée d’une idéologie51. La présence de l’eurodéputée Maria Matìas du Bloco de EsquerdaSRUWXJDLVHWGȇ$OH[LV7VLSUDVGLULJHDQWGHSyriza FRDOLWLRQGHJDXFKHUDGLFDOHJUHFTXHORUVGHVRQFRQJUªVIRQGDWHXUHW l’insertion de Podemos dans le groupe de la gauche unitaire européenne DX3DUOHPHQWHXURS«HQQHODLVVHQWFHSHQGDQWDXFXQGRXWHVXUVRQDɚ- liation politique52. Mais contrairement à SyrizaTXLQȇDMDPDLVFKHUFK« ¢RFFXOWHUVRQLG«RORJLHK«ULW«HGHOȇHXURFRPPXQLVPHPodemos refuse OHODEHOmJDXFKHUDGLFDOH}MXJ«WURSS«MRUDWLIHWSU«IªUHVHSU«VHQWHU comme un « mouvement citoyen » ou « un processus populaire partici- patif53}3HU©XVDQVDPELJX±W«FRPPHmGHJDXFKH}SDUOHVFLWR\HQVVD SRVWXUHOXLSHUPHWGHGLVSXWHUOȇHVSDFHSROLWLTXHWUDGLWLRQQHOGX362( tout en étant en phase avec la radicalisation de l’électorat de gauche et en cherchant à attirer un électorat plus vaste : sur une échelle de 0 à OHV(VSDJQROVVLWXHQWPodemos¢VRLWDXFĕXUGHODJDXFKHYRLUH P¬PHSOXV¢SUR[LPLW«GHODmGHX[LªPHJDXFKH}HWPHWWHQWOH362( ¢¢VDYRLUSOXVDXFHQWUHJDXFKH54. Cela explique l’accent mis par le parti sur la volonté de représenter « les gens » et « le peuple » face à « la caste » des partis traditionnels qui coopèreraient pour maintenir

šSWT NC PQVKQP FG kRCTVK CVVTCRGVQWVz EH NŨCTVKENG ENCUUKSWG FG Otto KƯƷƩƮƫƯƳƫƷ, « The transformation of the West European party systems », dans Joseph LƧPƧƲƵƳƨƧƷƧ et Myron WƫƯƴƫƷ FKT Political Parties and Political Development, Princeton, Princeton University Press, R šFrancesco MƧƴƫƹƹƵ, « TUKRTCUCTTQRCTȄCPablo Iglesias en la clausura de la asamblea de Podemos », El País PQXGODTG  Rš María Antonia SʛƴƩƮƫƿVƧƲƲƫưƵ, « El espejo griego de Syriza », El País, 23 novembre 2014. šLes expressions sont ici reprises de Juan Carlos MƵƴƫƪƫƷƵ et Jesús MƵƴƹƫƷƵ, op. cit., 17 octobre 2014. De 3 % lors des européennes de 2004, Syriza est devenu le premier parti de NŨQRRQUKVKQPNQTUFGUNȌIKUNCVKXGUFGGPXQ[CPVFȌRWVȌU UWT CWParlement grec, RWKUNGRTGOKGTRCTVKITGENGRNWUXQVȌ  NQTUFGUGWTQRȌGPPGUFGPas à pas, Syriza s’est transformé en un parti de gouvernement cherchant à rassurer ses partenaires européens, ce qui a débouché sur sa conquête du pouvoir lors des élections législatives du 25 janvier 2015. Cf. Lamprini RƵƷƯet Elias DƯƴƧƸkLGUȌNGEVKQPUNȌIKUNCVKXGUITGESWGUFGšFGUȌNGEVKQPUȃ haut risque », Pôle sud. Revue de science politique de l’Europe méridionalePoR šSondage El PaísMetroscopia, 2 novembre 2014.

286 De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

l’immobilisme du système politique malgré les fortes demandes de changement social55. '«SRXUYXIDFH¢OȇDVFHQVLRQIXOJXUDQWHGXSDUWLOH362(OHTXDOLȴD GȇDERUGGHmSRSXOLVWH}PDLVGHYDQWOȇLQHɚFDFLW«GȇXQHWHOOHVWUDW«JLH LOFKHUFKHG«VRUPDLVVHORQXQGRFXPHQWLQWHUQH¢mG«YRLOHUDXSXEOLF le mouvement comme une organisation d’extrême gauche56 ». Comme OHQRWH3DWULFN&KDUDXGHDXOHmSRSXOLVPH}FRQVLVWHm¢VHU«FODPHUGX peuple et de ses aspirations profondes » mais « en manipulant la réa- lité politique et en la dramatisant à l’extrême57}1«DQPRLQVPodemos ne manipule pas plus la réalité politique en sa faveur que les autres partis. Il propose un discours simple mais pas simpliste. Pablo Iglesias YHXW mSDUOHU YUDL} HQ U«Y«ODQW OHV LQMXVWLFHV WRXW HQ HPSOR\DQW XQ ton mesuré face à ses adversaires. Derrière chacune de ses interven- WLRQV SXEOLTXHV HW W«O«YLV«HV LO \ D XQ LQWHQVH WUDYDLO GH SU«SDUDWLRQ GH UHFKHUFKH GH GRQQ«HV FKLIIU«HV GH SHWLWHV IRUPXOHV HW GH VORJDQV qui sont repris par les grands médias et qui entrent en écho avec les attentes des citoyens. Ses adversaires sont souvent déstabilisés parce TXȇHQ SURIHVVLRQQHOV FRQȴUP«V GH OD SROLWLTXH LOV VH VRQW KDELWX«V ¢ OD mODQJXH GH ERLV} HW ¢ LPSURYLVHU FH TXL QȇHVW SDV VXɚVDQW IDFH ¢ VHVTXHVWLRQVWUªVSU«FLVHV0¬PHVȇLOSURSRVHGHVVROXWLRQVGHJDXFKH le discours de PodemosHVWDYDQWWRXWFRQFUHWHWFKHUFKH¢PHWWUHHQ avant des problèmes qui concernent « tout le monde ». C’est donc un discours qui s’adresse à la majorité et qui est différent de celui de la JDXFKHWUDGLWLRQQHOOHFRPPHOȇH[SOLTXH3DEOR,JOHVLDV

J’ai vu que ce discours fonctionnait et qu’il plaisait. Les gens m’arrêtait GDQVODUXHHWPHGLVDLWm-HVDLVTXHWXHVGHJDXFKHHWMHQHOHVXLVSDV mais je suis d’accord avec ce que tu dis58 ».

Dans son discours d’investiture en tant que nouveau secrétaire J«Q«UDO GX SDUWL OH QRYHPEUH  3DEOR ,JOHVLDV D VRXWHQX TXH « Podemos>Qȇ«WDLWSDV@XQHH[S«ULPHQWDWLRQSROLWLTXHPDLVOHU«VXOWDW de l’échec d’un régime ». Sa formation serait « un balai pour balayer la société de la corruption ». Il a cherché à répondre à la « peur » que ses

šPablo Machuca, « Entrevista a Pablo IINGUKCUšūNo es izquierda o derecha, es dictadura o democracia” », El Huffington Post, 26 février 2014. 56. « Documento estratégico », PSOE, 25 novembre 2014, cité dans Anabel DƯƫƿ, « El PSOE VTCVCTȄFGUKVWCTCPodemos en la extrema izquierda », El País, 30 novembre 2014, p. 21. šPCVTKEMCƮƧƷƧƺƪƫƧƺ, « Réflexions pour l’analyse du discours populiste », Mots. Les langages du politiquePoR šPablo IƭƲƫƸƯƧƸ, cité dans « ¿Hacia dónde camina PQFGOQUš!z El Mundo, 15 septembre 2014, p. 15.

287 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

DGYHUVDLUHVHVVDLHQWGHU«SDQGUH¢Oȇ«JDUGGHVDIRUPDWLRQHQGLVDQW que « ce qui fait réellement peur aujourd’hui en Espagne est que pen- dant que le nombre de citoyens riches a augmenté de 24 % l’année der- QLªUHGHVSHUVRQQHVHQULVTXHGHSDXYUHW«QHVRUWHQWSDVGHFHOOH ci lorsqu’elles trouvent un travail59 ». Il s’est principalement focalisé sur la lutte contre la corruption et la nécessité de « changer de régime » pour résoudre le problème au-delà des nombreuses affaires indivi- duelles qui ne seraient que « la pointe de l’iceberg ». Critique des excès GXQ«ROLE«UDOLVPHOHGLVFRXUVSROLWLTXHGHPodemos donne une impor- tance centrale aux aspects les plus concrets de la vie des gens : le droit à XQHDOLPHQWDWLRQVDLQHHW¢OȇHDXSRXUWRXVDX[OLEHUW«VGHGLVSRVHUGH son corps et de s’exprimer (contre les réformes du PP anti-avortement HWUHVWUHLJQDQWOHGURLWGHPDQLIHVWHU HWDX[GURLWVIRQGDPHQWDX[GH se loger et d’accéder à l’éducation60. Comme le collectif de la PAH depuis Podemos prône l’utilisation des logements vides possédés par les banques et un moratoire sur les expulsions. (Q PDWLªUH «FRQRPLTXH OD SRVLWLRQ GH Podemos a d’ores et déjà «YROX« QRWDPPHQW VXU OȇHXUR HW OD GHWWH SXEOLTXH HQ FKHUFKDQW VXU- tout à rassurer61. Les économistes Bibiana Medialdea et les professeurs $OEHUWR 0RQWHUR HW 1DFKR ƒOYDUH] G«IHQGHQW G«VRUPDLV XQ SODQ GH UHVWUXFWXUDWLRQ SDUWLHOOH HW FRQFHUW«H GH OD GHWWH QRWDPPHQW SRXU répondre aux critiques à l’égard de son projet initial lors des euro- S«HQQHVTXLG«IHQGDLWOHQRQSDLHPHQWGHVSDUWLHVmLOO«JLWLPHV}GHOD dette62. Iglesias cherche aussi à rassurer en défendant qu’il ne s’agira de sortir ni de l’euro ni de l’UE. Son « Programme économique pour les JHQV}VȇLQVSLUHGHVUHFRPPDQGDWLRQVGHV«FRQRPLVWHV-XDQ7RUUHVHW 9LFHQ©1DYDUURTXLSURSRVHQWQRWDPPHQWXQmSODQGHG«YHORSSHPHQW

šPablo IƭƲƫƸƯƧƸ, discours d’investiture, Madrid, 15 novembre 2014. šCJGTEJCPVȃTGVQWTPGTNGUVKIOCVGFGUOQWXGOGPVUCPVKCXQTVGOGPVSWKUGFKUGPVkFȌHGPUGWTU de la vie », Iglesias a par exemple défendu que « défendre la vie, c’est défendre le droit des femmes à décider lorsqu’elles veulent un enfant ». Cf. Discours d’investiture, op. cit., 15 novembre 2014. šCritiqué pour les liens supposés du parti avec le Venezuela, dans un entretien au quotidien El País, ÍȓKIQErrejón a bien précisé que Podemos n’a pas l’intention de s’inspirer des politiques menées par Hugo CJȄXG\ GV NKEQNȄU Maduro, un pays « qui n’est pas un modèle pour l’Es pagne » selon lui. Cf. Entretien numérique avec ÍȓKIQErrejón, El País, 13 novembre 2014, p. 15. Cette polémique se fonde notamment sur le fait que Juan Carlos Monedero a été conseiller du gouvernement vénézuélien dirigé par Hugo CJȄXG\ GPVTG GV VCPV FKTGEVGOGPV avec le président de la république bolivarienne, qu’au sein du ministère de la Planification ou du Centre international Miranda où il fut responsable de formation. šL’économiste Carlos Díez, particulièrement critique envers la formation, estime par exemple que « Podemos a choisi un programme utopique, en vendant des promesses aux gens qu’ils ne vont pas pouvoir réaliser ». Selon lui, « ils sont partis vers la Voie lactée et sont toujours sur Mars ». Cf. Carlos Dʨƫƿ, « Podemos en el país de Nunca JCOȄUzEl País, 27 novembre 2014, p. 36.

288 De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

LQW«JUDO} SRXU GLYHUVLȴHU Oȇ«FRQRPLH HVSDJQROH WURS G«SHQGDQWH GHV secteurs du bâtiment et du tourisme. Podemos propose de revenir sur ODU«IRUPHGXPDUFK«GXWUDYDLOGX33GHGLPLQXHUOHWHPSVGHWUDYDLO HWGȇDP«OLRUHUODSURWHFWLRQGHVVDODUL«V,OYHXWPHWWUHȴQDX[FRXSHV budgétaires et favoriser l’investissement public pour créer de l’emploi GDQV OHV VHFWHXUV GH OD G«SHQGDQFH GH OD UHFKHUFKH HW GHV «QHUJLHV UHQRXYHODEOHV/HSDUWLSU¶QHHQȴQXQmFKDQJHPHQWGXPRGªOHSUR- ductif » qui soutiendra les PME et facilitera l’accès des entreprises au crédit. En s’entourant d’intellectuels et en leur demandant de proposer GHVDOWHUQDWLYHVHWGHVVROXWLRQVPodemos cherche à se faire le porte- parole de nouvelles idées et donne l’image d’un parti qui pense et qui veut se doter d’un projet positif et progressiste pour le futur. Le parti entreprend en fait le renouvellement du discours de gauche et des pra- tiques politiques que le PSOE n’a pas su réaliser. Prenant en compte les critiques à l’égard de la monarchie qui ont poussé Juan Carlos Ier à abdiquer au nom de sa volonté même de pré- VHUYHU HW GH UHQRXYHOHU OȇLQVWLWXWLRQ Podemos propose un référendum HW VH GLW IDYRUDEOH ¢ OȇLQVWDXUDWLRQ GȇXQH U«SXEOLTXH /H MXLQ  7HUHVD5RGU¯JXH]QRXYHOOHHXURG«SXW«HGHODIRUPDWLRQSDUWLFLSD¢XQH manifestation à Bruxelles d’Espagnols en faveur d’un référendum sur ODPRQDUFKLH$\DQWPDLQWHQXXQSURȴOEDVORUVGXU«I«UHQGXPV\PER- OLTXHVXUOȇLQG«SHQGDQFHGHOD&DWDORJQHOHQRYHPEUHOHSDUWLVRXWLHQW mOH GURLW ¢ G«FLGHU} GHV &DWDODQV ORUV GȇXQ U«I«UHQGXP mFRPPH OHV ‹FRVVDLV} VHORQ ³LJR (UUHMµQ63. Il cherche à replacer la question terri- WRULDOHGDQVOHFDGUHGHOȇHVVRXɛHPHQWGHODFRQVWLWXWLRQGHHWGH ODQ«FHVVLW«GHVDU«IRUPHSRXU«YROXHUYHUVXQmSD\VGHSD\VXQSD\V de nations ». Mais l’ensemble des membres de Podemos ne sont pas sur ODP¬PHORQJXHXUGȇRQGHFRPPHOHSURXYHQWOHVFULWLTXHVGHOȇH[MXJH DQWLFRUUXSWLRQ&DUORV-LP«QH]9LOODUHMRTXLFDUDFW«ULVDGȇmDQWLG«PRFUD- WLTXH}HWGȇmLOO«JDOH}ODFRQVXOWDWLRQFDWDODQH/DSRVLWLRQRɚFLHOOHGX SDUWLHVWFHSHQGDQWGHVRXWHQLUXQU«I«UHQGXPWRXWHQGLVDQWmQRQ}¢ OȇLQG«SHQGDQFHGHOD&DWDORJQHPDLVmRXL}DXGURLW¢OȇDXWRG«WHUPLQD- WLRQGHODQDWLRQFDWDODQHGDQVOHFDGUHGȇXQ‹WDWSOXULQDWLRQDO

Une stratégie électorale de conquête du pouvoir

Pablo Iglesias et les dirigeants du parti ne cachent pas leurs ambitions et le répètent à chaque intervention publique : leur but est

šElsa GƧƷƩʨƧDƫBƲƧƸ, « ETTGLȕPšūLos catalanes tienen derecho a decidir como los esco ceses” », El País, 13 novembre 2014, p. 19.

289 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

d’attirer « la majorité sociale » et d’« occuper la centralité de l’échi- TXLHUSROLWLTXH}GHVH[SUHVVLRQVTXLRQWIDLWPRXFKHHWVRQWUHSULVHV par les journalistes et les médias. Devant sept mille militants lors de OȇDVVHPEO«H GH 9LVWDOHJUH 3DEOR ,JOHVLDV G«FODUD FODLUHPHQW YRXORLU conquérir le pouvoir en incarnant l’opposition au PP et l’alternative DX 362(m/HV YUDLHV GLɚFXOW«V FRPPHQFHQW PDLQWHQDQW HW ORUVTXH QRXV JDJQHURQV OHV «OHFWLRQV HQ G«FHPEUH GH OȇDQ SURFKDLQ G«EXWH- URQW OHV GLɚFXOW«V SRXU GH YUDL64} -RV« 3DEOR )HUU£QGL] VRFLRORJXH HW YLFHSU«VLGHQW GH OȇLQVWLWXW GH VRQGDJH 0HWURVFRSLD DQDO\VH DLQVL FHWWH VWUDW«JLH m,OV VDYHQW TXH FȇHVW O¢ R» VH WURXYHQW OHV FLWR\HQV /HXUREMHFWLIȴQDOHVWGȇRFFXSHUDXVHLQGHODVRFL«W«ODSRVLWLRQTXȇD occupé le PSOE dans les années qui suivirent la transition démocra- tique65}/DUDGLFDOLW«SHUPHWGHmIDLUHOHEX]]}GȇDWWLUHUOȇDWWHQWLRQ P«GLDWLTXHPDLVQȇHVWSDVXQHȴQHQVRL,OVȇDJLWDYDQWWRXWGȇXQLQV- trument de communication politique au service d’un programme qui apparaîtra « radical » à la droite conservatrice et que le PSOE s’efforce ¢SU«VHQWHUFRPPHmH[WU«PLVWH}PDLVTXLHVWHQIDLWDVVH]ORLQGȇXQH LG«RORJLHGȇH[WU¬PHJDXFKHWUDGLWLRQQHOOHHVWEHDXFRXSSOXVPRG«U«HW progressiste. Le document fondateur de Podemos«ODERU«SDU,JOHVLDV 0RQHGHUR³LJR(UUHMµQ&DUROLQD%HVFDQVDHW/XLV$OHJUHUHFRQQD°W GȇDLOOHXUVXQFHUWDLQP«ULWH¢Oȇ«WDSHGXVRFLDOLVPHGH)HOLSH*RQ]£OH] HW Gȇ$OIRQVR *XHUUD TXL LQFDUQªUHQW XQH UXSWXUH J«Q«UDWLRQQHOOH HW progressiste avec le passé :

/H SDUWL VRFLDOLVWH D «W« VXLWH DX U¶OH LQLWLDO GX 3&( HW GHV && 22  OȇDUWLVDQGHOȇLQW«JUDWLRQGHVFODVVHVVXEDOWHUQHV¢Oȇ‹WDWHQHWSDU FRQV«TXHQWGHVFRQTX¬WHVVRFLDOHVDXVHLQGHFHOXLFLDYDQWGHGHYHQLU XQHSLªFHFO«GHOȇLQFRUSRUDWLRQGHOȇ‹WDWDXSDFWHVRFLDOQ«ROLE«UDO&ȇHVW lui qui ferme l’espace politique de la gauche et c’est sa crise qui ouvre les opportunités politiques pour une nouvelle majorité. En récupérant le SUHVWLJHSHUGXHQPHWWDQWȴQDX[SUREOªPHVLQWHUQHVHWHQSURPRXYDQW XQQRXYHDXGLULJHDQWGRW«GHSHXGHOLHQVV\PEROLTXHVDYHFOHSDVV«LO devrait être possible de récupérer une partie de l’espace politique perdu HWGHUHQIRUFHUOHVRSWLRQVGȇXQHIRUFHGHUXSWXUHG«PRFUDWLTXHUHODWLYH- ment transversale au sein d’un discours d’unité populaire et citoyenne66.

šPablo IƭƲƫƸƯƧƸ, discours de l’assemblée de Vistalegre, 8 octobre 2014. šJosé Pablo FƫƷƷʜƴƪƯƿ, cité dans « Pablo Iglesias, del ajedrez a la batalla política », El País, 22 septembre 2014, p. 22. šPodemos, « Claro que podemos », document fondateur de l’assemblée de Madrid, 15 novembre 2014.

290 De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

Photo 10.1. La « Marche du changement » de Podemos0DGULGMDQYLHU

Cette quête du pouvoir à laquelle aspirent les dirigeants de Podemos explique la recherche d’un discours transversal et rassembleur au- delà du clivage gauche-droite traditionnel. Contrairement au Front de gauche en France et au Bloco de EsquerdaDX3RUWXJDOTXLVȇDSSXLHQW sur des coalitions de partis et de mouvements dominées en termes orga- QLVDWLRQQHOVSDUOHVSDUWLVFRPPXQLVWHVIUDQ©DLVHWSRUWXJDLVPodemos cherche à ne pas apparaître comme un cartel d’organisations et à dépas- ser les partis traditionnels67. Cela différencie le parti du positionnement clairement axé et revendiqué à gauche d’Izquierda Unida qui se divise HQGHX[VHFWHXUVIDFH¢VRQDVFHQVLRQ/ȇH[FRRUGLQDWHXUJ«Q«UDOGȇ,8 &D\R/DUDVȇRSSRVH¢XQHDOOLDQFHVDQVDFFRUGVXUXQSURJUDPPHFRP- PXQ ‚ 0DGULG SDU H[HPSOH OH UHSU«VHQWDQW GX SDUWL (GG\ 6£QFKH] vainqueur en 2012 avec 51 % des voix des primaires pour les élections U«JLRQDOHV IDFH ¢ 7DQLD 6£QFKH] 0HOHUR GLULJH OH FRXUDQW PDMRULWDLUH « Somos IU } HW QH YHXW SDV mSHUGUH VRQ LGHQWLW« GDQV Ganemos68 ». 0DLV OH MHXQH G«SXW« $OEHUWR *DU]µQ DFWXHO FRRUGLQDWHXU J«Q«UDO GX parti et candidat favori à la primaire de la coalition pour les législatives GHSHQVHTXHmOHVJHQVQHFRPSUHQGUDLHQWSDVTXH,8HWPodemos ne s’allient pas pour faire face au bipartisme69 ».

šLoïc LƫCƲƫƷƩ, « Pourquoi Podemos progresse quand le Front de gauche patine », Marianne, 6 septembre 2014. šGregorio ÀƲƻƧƷƫƿ, « IU se divide ante el ascenso de Podemos », El País, 7 novembre 2014. šAlberto GƧƷƿƵƴ, conférence de presse publique, Madrid, 25 octobre 2014.

291 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

Des brèches s’ouvrent aussi au sein du parti socialiste : José Antonio 3«UH]7DSLDVGLULJHDQWGXFRXUDQWm*DXFKHVRFLDOLVWH}GX362(TXLD REWHQXGHVYRL[ORUVGHODSULPDLUHGHDTXDOLȴ«Podemos GHmUHQRXYHDX}SRXUODYLHSROLWLTXHHWLQYLW«VHVGLULJHDQWV¢SRXU- suivre leur évolution avec en vue de possibles connexions. Il a assisté à l’assemblée de Podemos du 15 novembre avec le socialiste madrilène (QULTXHGHO2OPRFDQGLGDWYDLQFXSDU0LJXHO$QWRQLR&DUPRQDORUVGH la primaire du PSOE pour la mairie de Madrid. La dirigeante du PSOE Gȇ$QGDORXVLH6XVDQD'¯D]VȇHVWDXVVLG«FODU«HIDYRUDEOH¢XQHDOOLDQFH avec PodemosVLFHOXLFLVȇ«ORLJQHGHOȇDQWLFDSLWDOLVWHGȇ,$PDLVOHQRX- veau parti semble désormais exclure cette option suite à la victoire élec- torale du PSOE en Andalousie et à son peu de volonté de négocier sur les politiques qui seront menées par le nouveau gouvernement. 'HSOXVPodemos n’absorbe pas seulement IU et une bonne partie des électeurs socialistes : son discours attire aussi une frange minori- WDLUH GHV RXYULHUV HW GHV «OHFWHXUV GRQW OȇLGHQWLȴFDWLRQ ¢ XQ SDUWL HVW OD SOXV IDLEOH HW TXL RQW YRW« SRXU OH 33 RX SRXU 83\' HQ  SRXU sanctionner et « voter contre » le PSOE et sa gestion désastreuse de la crise. Podemos attire ainsi une partie des électeurs du parti de Rosa '¯H]TXLFKHUFKHGHSXLV¢LQFDUQHUXQHDOWHUQDWLYHGHFHQWUHGURLW DXELSDUWLVPHPDLVVHKHXUWHDXV\VWªPH«OHFWRUDOHW¢ODFRQFXUUHQFH du PP. Il y a de même fort à croire que les partis nationalistes catalans (CiU et ERC) et basques (PNV et Bildu) se verront affectés par l’essor de PodemosORUVGHVO«JLVODWLYHVGHGȇDXWDQWSOXVORUVTXHOȇRQFRQQD°W OHFRPSRUWHPHQW«OHFWRUDOGXDOGHOHXUV«OHFWHXUVTXLRQWSOXVWHQGDQFH à voter pour des partis « nationaux » lors des législatives que lors des régionales70. &HWWH VWUDW«JLH DɚUP«H GH FRQTX¬WH GX SRXYRLU DX QLYHDX QDWLR- nal explique le choix de se focaliser sur l’échéance des législatives de décembre 2015 et de ne pas engager directement Podemos dans les élec- WLRQVPXQLFLSDOHVHWU«JLRQDOHVP¬PHVLOHSDUWLVRXWLHQWOȇDXWRRUJDQL- sation de candidatures d’unité populaire et se dit ouvert à des alliances ORFDOHV ¢ J«RP«WULH YDULDEOH 3RXU OH PRPHQW DX QLYHDX QDWLRQDO OD VWUDW«JLHGXSDUWLHVWGHUHIXVHUOHVDOOLDQFHVSU««OHFWRUDOHVWRXWHQVH disant « ouvert » au dialogue avec les autres formations politiques pour PHWWUHHQSODFHXQHU«IRUPHȴVFDOHODȴQGHVH[SXOVLRQVHWODUHPLVH

šFrancesc PƧƲƲƧƷʣƸ et Michael KƫƧƹƯƴƭ, « Les élections autonomiques et les systèmes par VKUCPUTȌIKQPCWZšNŨGUUQTFŨWPGEQORȌVKVKQPȌNGEVQTCNGOWNVKPKXGCWZzFCPUAlicia FƫƷƴʜƴƪƫƿ GƧƷƩƯƧ et Mathieu PƫƹƯƹƮƵƳƳƫ FKT  Les nationalismes dans l’Espagne contemporaine. Compétition politique et identités nationales, Paris, Armand CQNKPR

292 De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

en cause de la réforme du travail votée par le PP. Mais ses dirigeants pensent que « le PSOE devrait adopter un tournant à 180 degrés pour IDLUHSDUWLHGHODVROXWLRQHWQRQGXSUREOªPH}HWVRQWWUªVVFHSWLTXHV sur la possibilité d’un tel tournant71. Podemos se concentre donc sur deux actions : s’organiser et développer ses assemblées citoyennes sur OȇHQVHPEOH GX WHUULWRLUH HW FRQVWUXLUH XQ VROLGH GLVFRXUV SROLWLTXH DX QLYHDX QDWLRQDO TXL G«WHUPLQHUD VRQ SURJUDPPH «OHFWRUDO VXLYDQW OȇREMHFWLIDɚUP«GHGHYHQLUODSUHPLªUHIRUFHSROLWLTXHGHJDXFKHYRLUH même d’Espagne72.

2015, LA FIN DU BIPARTISME IMPARFAIT ? $XȴQDOFRPPHQWSHXWRQH[SOLTXHUOȇHVVRUGHPodemos ? L’ascension GX QRXYHDX SDUWL VH IRQGH VXU SOXVLHXUV «O«PHQWVFO«V 'ȇDERUG LO VH structure comme une « méthode participative » plus que comme un parti traditionnel. Il illustre la volonté de construire un parti hétéro- GR[H PRGHUQH VȇDSSX\DQW VXU OHV PRXYHPHQWV FLWR\HQV HW VRFLDX[ HQDWWLUDQWOHVPLOLWDQWVDVVRFLDWLIVOHVDEVWHQWLRQQLVWHVHWOHVFLWR\HQV G«©XV GHV SDUWLV WUDGLWLRQQHOV HW DOOLH XQH I«G«UDWLRQ GȇDVVHPEO«HV locales à un exécutif national dominant en s’appuyant sur des procé- GXUHVQXP«ULTXHVGHG«PRFUDWLHLQWHUQH(QVXLWHLOIRUPXOHXQHSUR- position politique positive qui redonne de l’espoir aux citoyens et qui QȇHVW SDV mDQWLSROLWLTXH} RX DQWLV\VWªPH HQ FKHUFKDQW ¢ FRQYDLQFUH que chacun peut être acteur de la politique et du changement social. 7URLVLªPHPHQWPodemos repose sur la communication politique média- WLV«HGHVRQGLULJHDQW3DEOR,JOHVLDVTXLOXLDRXYHUWOȇHVSDFHSXEOLFGH PDVVH HQ VH IRQGDQW VXU VRQ H[S«ULHQFH GHV MRXWHV RUDWRLUHV HW SROL- tiques au sein de La TuerkaODFKD°QHGHG«EDWVW«O«YLV«VHQOLJQHTXȇLO a créé il y a déjà une dizaine d’années. 4XDWULªPHPHQWOHVU«VHDX[VRFLDX[HWODEDVHPLOLWDQWHGȇIzquierda Anticapitalista ont joué un rôle majeur pour activer des structures de base et diffuser les prises de position du cercle dirigeant à un large SXEOLF(QȴQVRQUHIXVGȇ¬WUHFDW«JRULV«FRPPHXQSDUWLmGHJDXFKH} et sa recherche d’un discours plus transversal s’adressant et cherchant ¢UHSU«VHQWHUmOHSHXSOH}GDQVVRQHQVHPEOHWD[«¢WRUW¢PRQVHQV GHmSRSXOLVWH}SDUVHVDGYHUVDLUHVHVWQ«DQPRLQVFDUDFW«ULVWLTXHGȇXQ

šDéclaration publique de ÍȓKIQEƷƷƫưʬƴ, Madrid, 12 décembre 2014. šFrancesco MƧƴƫƹƹƵ, « Podemos aparta de su agenda el debate sobre pactos para las gene rales », El País, 2 décembre 2014, p. 12.

293 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

parti « attrape-tout » et « électoral-professionnel » clairement axé sur la conquête du pouvoir. L’essor de Podemos se fonde sur sa volonté de dominer le tempo politique en formulant un discours interclassiste qui recentre le débat autour des grandes questions transversales qui FRQFHUQHQW OD PDMRULW« GHV FLWR\HQV SODQV GH ULJXHXU FRUUXSWLRQ HPSORLORJHPHQWHWF REOLJHDQWSDUO¢P¬PHOȇHQVHPEOHGHVIRUFHVSROL- WLTXHVGHGURLWHFRPPHGHJDXFKH¢VHMXVWLȴHURX¢VHUHVLWXHUSDUUDS- port à ses propositions. L’ascension de PodemosUHVWH¢FRQȴUPHUGDQV les urnes et dépendra de nombreux facteurs économiques et politiques tant internes qu’européens. Mais les élections municipales et régionales de mai 2015 ont d’ores et déjà illustré une restructuration inédite du sys- tème partisan espagnol à travers un déclin du « bipartisme imparfait » LQFDUQ«SDUOH33HWOH362(HWDXFRQWUDLUHXQHSOXVJUDQGHIUDJPHQ- tation avec l’essor de nouveaux partis comme Citoyens et Podemos73. 3RXUWHUPLQHULOHVWSRVVLEOHGȇ«YRTXHUOHVVF«QDULRVSROLWLTXHVOHV plus plausibles en vue des législatives de décembre 2015. L’hypothèse stratégique du PP est de se dire que la fragmentation de la gauche lui permettra de maintenir sa position de parti dominant. Il s’agirait alors GHJRXYHUQHUVDQVPDMRULW«DEVROXHHQUHFKHUFKDQWVRLWOȇDSSXLGH&L8 FRPPHHQVRXVOHJRXYHUQHPHQWGH-RV«0DU¯D$]QDUVRLWFHOXL GX362(RXFHOXLGXQRXYHDXSDUWLGHFHQWUHGURLW&LWR\HQV8QSDFWH SRWHQWLHODYHF&L8VHPEOHWRXWHIRLVDXMRXUGȇKXLWUªVLPSUREDEOHP¬PH GDQVOHFDVGHFRQFHVVLRQVȴVFDOHVFDUDXYXGHODSRXVV«HLQG«SHQGDQ- WLVWH &L8 FRQGLWLRQQHUDLW XQ WHO DFFRUG ¢ OȇRUJDQLVDWLRQ GȇXQ U«I«UHQ- GXP3DUODYRL[GHVDVHFU«WDLUHJ«Q«UDOH'RORUHVGH&RVSHGDOOH33 Qȇ«FDUWHGRQFSOXVOȇK\SRWKªVHGȇXQHmJUDQGHFRDOLWLRQ}DYHFOH362( même s’il s’agit plus d’une posture de communication qu’une volonté réelle743HGUR6£QFKH]UHIXVHFDW«JRULTXHPHQWFHWWHSHUVSHFWLYHPDLV QHVȇRSSRVHSDVWRXWHIRLV¢ODSRVVLELOLW«GȇDFFRUGVSRQFWXHOVDYHFOH33 SDU H[HPSOH VXU OH G«EDW WHUULWRULDO RX OD U«IRUPH GH OD FRQVWLWXWLRQ TXH OH SDUWL SURSRVH SRXU LQVWDXUHU XQ ‹WDW I«G«UDO HW U«SRQGUH DX[ aspirations autonomistes catalanes75. En l’absence de majorité abso- OXHOHVGLULJHDQWVGX33SU«I«UHUDLHQWGRPLQHUXQH[«FXWLIFHUWHVVDQV

šSur cette notion, cf. Gérard GƷƺƴƨƫƷƭ et Florence HƧƫƭƫƲLa FUDQFHYHUVOHELSDUWLVPH̰"La présidentialisation du PS et de l’UMP, Paris, Presses de Sciences Po, 2007. šCarlos Cƺʤ, « Dolores de CQURGFCNPQFGUECTVCWPCūITCPEQCNKEKȕPŬUKPQQDVKGPGNCOC[QTȐC absoluta », El País, FȌEGODTGRšXQKTFWOȍOGCWVGWTkEl PP flirtea con un posible pacto con el PSOE, que lo niega rotundamente », El País, 2 décembre 2014, p. 18. šFrancesco MƧƴƫƹƹƵk5ȄPEJG\PQFGUECTVCCEWGTFQURCTNCOGPVCTKQUEQPQVTCUHWGT\CUz El País, 1er décembre 2014, p. 15.

294 De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

PDMRULW« SDUOHPHQWDLUH PDLV SRXYDQW JRXYHUQHU HQ PLQRULW« VL XQ pacte est passé avec le PSOE pour qu’il s’abstienne. De tels pactes ont de fait déjà eu lieu depuis la transition démocratique76. L’argument utilisé SDU OH 33 HVW TXH VȇLO PDLQWLHQW VD SRVLWLRQ GH SUHPLHU SDUWL LO VHUDLW « antidémocratique » qu’il ne puisse pas gouverner. Mais l’émergence GXSDUWL&LWR\HQVGȇ$OEHUW5LYHUDDQFLHQPHPEUHGX33HWFDWDODQQRQ QDWLRQDOLVWH FRPSOLTXH OD W¤FKH GX SDUWL FRQVHUYDWHXU HW UHQIRUFH OD FRQFXUUHQFH ¢ GURLWH 6XLWH DX[ «OHFWLRQV DQGDORXVHV GH PDUV LO apparaît de plus en plus que Citoyens exerce une certaine attraction chez les libéraux et les jeunes conservateurs. 0¬PH VȇLO VȇDJLW GH mSROLWLTXHȴFWLRQ} GHX[ DXWUHV FRQȴJXUD- WLRQV SHXYHQW «PHUJHU /D SUHPLªUH DVVH] LPSUREDEOH ¢ PRQ VHQV DXMRXUGȇKXL VHUDLW FHOOH GȇXQH JUDQGH DOOLDQFH YLFWRULHXVH GHV WURLV FRPSRVDQWHVGHODJDXFKHOH362(Podemos et Izquierda Unida. Si l’on se fonde sur les récentes enquêtes d’opinion sur les intentions de vote UHVSHFWLYHVGX362( GHPodemos  HWGȇ,8  XQH « grande coalition » de gauche aurait de grande chance de l’emporter. Mais une telle perspective est quasiment impossible pour une raison VLPSOH¢ FDXVH GX PRGH GH VFUXWLQ PDMRULWDLUH ¢ XQ WRXU LO IDXGUDLW que ces trois forces politiques se mettent d’accord en amont sur un SURJUDPPH SROLWLTXH SDUWDJ« PDLV DXVVL VXU XQH OLVWH FRPPXQH GH candidats. Cela impliquerait des négociations ardues entre les appareils SROLWLTXHV PDLV VXUWRXW OH UHWUDLW GH QRPEUHX[ mEDURQV} ORFDX[ GX 362( DX SURȴW GH FDQGLGDWXUHV LVVXHV GH Podemos et d’IU. Ce serait LQWHOOLJHQWSRXUFRQTX«ULUOHSRXYRLUPDLVVRQQHUDLWOHJODVGHVDPEL- WLRQV GH QRPEUHX[ UHVSRQVDEOHV ORFDX[ GX 362( GȇDXWDQW SOXV TXH ce dernier devrait ensuite trouver des compromis avec deux autres IRUFHV SROLWLTXHV SRXU JRXYHUQHU DORUV P¬PH TXȇLO HVW SURIRQG«PHQW empreint d’une culture de parti dominant. Mais le principal obstacle est VXUWRXWLG«RORJLTXHSRXUOH362(VȇDOOLHUDYHFPodemos serait s’avouer YDLQFX DYDQW P¬PH GȇDYRLU FRPEDWWX SRXU ,8 XQH DOOLDQFH DYHF OH PSOE serait contradictoire avec sa forte opposition aux mesures d’aus- W«ULW«SU¶Q«HVSDU-RV«/XLV5RGULJXH]=DSDWHURGH¢HQȴQ pour PodemosXQHWHOOHDOOLDQFHVHUDLWDXVVLWRWDOHPHQWFRQWUDGLFWRLUH avec son objectif politique de devenir le nouveau parti dominant de la gauche et d’incarner le renouveau en opposition à la « caste PPSOE ».

šSur ce point, la secrétaire d’analyse politique et sociale Carolina Bescansa juge « plausible » WPRCEVGRQUVȌNGEVQTCNGPVTGNGPP et le PSOE, ce qui serait certainement désastreux pour ce FGTPKGT GP CEVCPV UQP FȌENKP GV TKUSWGTCKV FŨGPVTCȑPGT UC SWCUKFKURCTKVKQP EQOOG NG PASOK grec.

295 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

Tant PodemosSRXUFRQȴUPHUVRQDQFUDJH«OHFWRUDOTXHOH362(SRXU ne pas le voir disparaître n’ont donc aucun intérêt stratégique à former une alliance préélectorale. Mais au vu de l’évolution idéologique rapide de PodemosYHUVODVRFLDOG«PRFUDWLHXQHFRQYHUJHQFHSRVW«OHFWRUDOH VRXVODIRUPHGȇXQDFFRUGGHJRXYHUQHPHQWSHXW¬WUHSRVVLEOHFRPPH ce fut le cas dans de nombreuses municipalités. Mais il faudrait pour FHOD TXH OHV GHX[ IRUFHV REWLHQQHQW VXɚVDPPHQW GH VRXWLHQV «OHFWR- raux pour pouvoir constituer une majorité ensemble. Il faudrait aussi que le PSOE préfère s’allier avec Podemos SOXW¶W TXȇDYHF &LWR\HQV puisqu’un tel pacte est aussi possible. /DVHFRQGHFRQȴJXUDWLRQVHUDLWFHOOHGȇXQHDOOLDQFHDOWHUQDWLYHHQWUH IU et Podemos$SUªVWRXW3DEOR,JOHVLDVDOXLP¬PHFROODERU«DYHF,8 dans le passé et de nombreux membres du cercle dirigeant du parti VRQWLVVXVGHVUDQJVGȇ,80DLV¢FHMRXUPodemos dépasse quasiment FRQVWDPPHQWOHVGȇLQWHQWLRQVGHYRWHVDQV,8HQ«WDQWDQQRQF« DXPLHX[FRPPHODSUHPLªUHDXSLUHFRPPHODWURLVLªPHIRUFHSROL- tique. L’intérêt d’une telle alliance semble donc limité pour Podemos et ses dirigeants optent plutôt pour préserver leur indépendance et absorber de fait l’électorat d’IU sans avoir besoin d’accords partisans. Il semble clair qu’un affrontement entre le PSOE et PodemosVHSURȴOH pour le leadership de la gauche. La stratégie du PSOE est de « rappe- ler aux gens que la majorité des dirigeants de Podemos sont issus de Izquierda Anticapitalista} HQ mG«YRLODQW OD FRQWUDGLFWLRQ HQWUH OHXUV paroles modérées d’aujourd’hui et leur discours radical de toujours77 ». On estime qu’environ un tiers des électeurs de Podemos lors des euro- péennes du 25 mai 2014 ont au moins voté une fois pour le PSOE dans OHSDVV«FHTXLW«PRLJQHGHOȇH[LVWHQFHGȇXQ«OHFWRUDWmȵRWWDQW}TXHOHV VRFLDOLVWHV HVSªUHQW U«FXS«UHU 0DLV OD W¤FKH VHPEOH GLɚFLOH SXLVTXH cela risque de stigmatiser comme « extrémistes » des électeurs qui ne se UHVVHQWHQWSDVFRPPHWHOVHWGȇDFFUR°WUHHQFRUHOȇDWWUDLWGHPodemos au PRPHQWR»LOHQWUHSUHQGmXQUDSLGHYR\DJHLG«RORJLTXHYHUVODVRFLDO démocratie78 ». Le PSOE reconnaît d’ailleurs lui-même que « les élec- teurs de Podemos sont majoritairement des personnes progressistes qui expriment leur indignation face au fonctionnement du système et qui ne trouvent pas aujourd’hui au sein du PSOE la réponse adéquate79 ». Mais les dirigeants socialistes ne comprennent pas la montée en

šPSOE, Documento estratégico, novembre 2014. šFrancesco MƧƴƫƹƹƵ, « PQFGOQUšGNTȄRKFQXKCLGKFGQNȕIKEQJCUVCNCUQEKCNFGOQETCEKCzEl País, 30 novembre 2014. šPSOE, Documento estratégico, novembre 2014.

296 De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

SXLVVDQFHGXPRXYHPHQWHPS¬WU«VTXȇLOVVRQWGDQVXQHYLVLRQU«GXF- trice du parti comme « une scission de la gauche d’Izquierda Unida } alors que la vraie question est celle de la radicalisation de l’électorat GHJDXFKHSURJUHVVLVWHIDFHDXPDLQWLHQGȇXQFK¶PDJHGHPDVVH¢OD hausse des inégalités et à la corruption politique80. Dans un contexte général de fragmentation et de multiplication des organisations parti- VDQHVOHVF«QDULRGȇXQHWULSDUWLWLRQYRLUHP¬PHGȇXQHTXDGULSDUWLWLRQ (Podemos-PSOE-Citoyens-PP) de l’espace politique semble donc le plus SUREDEOHDYHFSRXULQFRQQXHVOHSRLGVUHODWLIGHFKDFXQHGHFHVTXDWUH composantes principales et leurs stratégies d’alliances respectives.

šCarlos CƧƷƴƯƩƫƷƵ, « El PSOE frente a Podemos », El Periódico, 8 novembre 2014.

297

De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

11

Un tournant historique en Espagne ? Nouvelles alternatives et renouveau de l’engagement citoyen

Alicia FERNÁNDEZ GARCÍA

Le futur a été créé pour être changé » (Paulo Coelho)

La séquence historique qui s’est ouverte en 2008 est sans précé- dent dans l’histoire de l’Espagne contemporaine à plus d’un titre : le pays a connu une récession économique majeure aux effets réels et GXUDEOHVVXUODVRFL«W«ODMHXQHVVHOHVWUDYDLOOHXUVSHXTXDOLȴ«VHWOHV SOXVYXOQ«UDEOHV/DKDXVVHGHVLQ«JDOLW«VGHODSU«FDULW«HWOHG«YH- loppement des bas salaires donnent corps à un paysage social plus IUDJPHQW«R»OHVPRQGHVTXLV«SDUHQWFODVVHVVRFLDOHVSRSXODLUHVHW aisées tendent à se différencier de plus en plus. Mais loin d’être atone HW PDOJU« OH G«FRXUDJHPHQW OH G«VHVSRLU HW OD SHXU GH OȇDYHQLU TXL touchent de nombreuses familles à travers la dégradation de leurs FRQGLWLRQV GH YLHV OD VRFL«W« HVSDJQROH VȇHVW UHPLVH HQ PRXYHPHQW descendant massivement dans les rues pour exprimer son méconten- WHPHQWHWVRQLQGLJQDWLRQ¢Oȇ«JDUGGHV«OLWHVSROLWLTXHVGHVEDQTXHV et de l’austérité. 3RXUFORUHFHWRXYUDJHFROOHFWLIQRXVG«JDJHURQVTXHOTXHVSLVWHVGH U«ȵH[LRQVXUOHVH[SOLFDWLRQVGHODFULVH«FRQRPLTXHVRFLDOHHWSROLWLTXH qu’a traversée l’Espagne d’aujourd’hui. Mais loin du pessimisme qui se dégage si l’on s’intéresse à la situation sociale des classes moyennes et SRSXODLUHV¢OHXUVFRQGLWLRQVGHYLHHWGHWUDYDLOQRXVWHQRQV¢VRXOL- gner toutefois la vitalité des mouvements sociaux qui ont émergé au FRXUVGHVGHUQLªUHVDQQ«HVHWOHXUFRQWULEXWLRQDXFKDQJHPHQWVRFLDO et à l’évolution des mentalités. Les crises multiples auxquelles le pays DG½IDLUHIDFHRQWDXPRLQVHXSRXUHIIHWSRVLWLIGHFRQWULEXHU¢XQH

299 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

UHSROLWLVDWLRQGHODVRFL«W«HVSDJQROHHQUHPHWWDQWGHVHQMHX[VRFLDX[ majeurs sur le devant de la scène publique et médiatique. La défense GHVGURLWVIRQGDPHQWDX[DXWUDYDLODXORJHPHQW¢ODVDQW«HW¢Oȇ«GXFD- tion a engendré un renouveau de l’engagement citoyen. Il semble ainsi désormais que l’Espagne soit à un tournant de son histoire contem- SRUDLQH PDUTX« SDU OȇHVVRU GH QRXYHOOHV GHPDQGHV FLWR\HQQHV TXL déboucheront très certainement sur des alternatives et des pratiques politiques et sociales renouvelées.

UNE CRISE AUX ORIGINES ET AUX EFFETS MULTIPLES

8QmPLURLUJURVVLVVDQW}GHVG«ULYHVSROLWLFRȴQDQFLªUHV

'DQV FHW RXYUDJH FROOHFWLI OHV DXWHXUV RQW PLV HQ DYDQW GHV GLD- gnostics assez proches en ce qui concerne les principales causes du déclenchement de la crise économique. La responsabilité des élites SROLWLTXHV GȇDERUG ODUJHPHQW FRXSDEOHV GH OȇHQGHWWHPHQW H[FHVVLI des communautés autonomes par des investissements publics déme- VXU«VTXLRQWSDUIRLVHQJHQGU«GHY«ULWDEOHVJRXIIUHVȴQDQFLHUV/HV gouvernements successifs depuis les années 1990 ont aussi très sou- YHQWIHUP«OHV\HX[VXUOHVSUDWLTXHVGRXWHXVHV HPSUXQWVWR[LTXHV FODXVHVDEXVLYHVGHSU¬WHWF GHV«WDEOLVVHPHQWVEDQFDLUHV/HVLQW«- U¬WVGHQRPEUHXVHV«OLWHVSROLWLTXHVPHPEUHVGHVFRQVHLOVGȇDGPLQLV- WUDWLRQGHVEDQTXHVGHVFDLVVHVGȇ«SDUJQHRXHQFRUHGHVSULQFLSDOHV PXOWLQDWLRQDOHV HVSDJQROHV RQW «YLGHPPHQW UHQIRUF« OH PDQTXH GH FRQWU¶OHHWGHWUDQVSDUHQFHWDQWGDQVOȇXWLOLVDWLRQGHVGHQLHUVSXEOLFV que dans les prêts consentis aux particuliers. Les échanges de faveur HQWUHPHPEUHVGHOȇ«OLWHSROLWLFRȴQDQFLªUHVRQWDXVVLGLUHFWHPHQWPLV HQFDXVH/HVFRQȵLWVGȇLQW«U¬WVODVXUIDFWXUDWLRQGHVPDUFK«VSXEOLFV HWOHȴQDQFHPHQWLOO«JDOGHVSDUWLVSROLWLTXHVVRQWDXWDQWGHSUDWLTXHV qui ont été mises en lumière et qui ont suscité l’indignation générale des citoyens. Une deuxième raison qui permet d’expliquer pourquoi l’impact social de la crise a été plus important en Espagne qu’ailleurs en Europe est liée aux limites du modèle économique espagnol et à ses déséqui- OLEUHV VWUXFWXUHOV (Q HIIHW OHV JRXYHUQHPHQWV VXFFHVVLIV GX 33 HW GX PSOE ont plébiscité depuis les années 1980 un modèle de croissance «FRQRPLTXHDVVH]DUWLȴFLHOHWSHXYLDEOH¢ORQJWHUPHIRQG«SULQFLSD- lement sur les secteurs du bâtiment et du tourisme. Les limites de ce

300 De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

PRGªOHH[SOLTXHQWOȇHIIRQGUHPHQWGHODmEXOOHLPPRELOLªUH}OȇH[SOR- VLRQ HW OH PDLQWLHQ GȇXQ IRUW WDX[ GH FK¶PDJH GH P¬PH TXH OȇDJJUD- YDWLRQGHVLQ«JDOLW«V‚FHW«JDUG(O®HV)XUL´%ODVFR0DWKLOGH$ORQVR Pérez et Christel Birabent Camarasa ont bien exposé comment la per- sistance d’un fort taux de chômage en Espagne « n’est pas uniquement ODFRQV«TXHQFHGHODFULVH«FRQRPLTXH}PDLVU«VXOWHSOXW¶WGHIDFWHXUV VWUXFWXUHOV Oȇ«FKHF VFRODLUH OD SURSRUWLRQ LPSRUWDQWH GH WUDYDLOOHXUV DX IDLEOH QLYHDX GH TXDOLȴFDWLRQ OȇLPSRUWDQFH VXUGLPHQVLRQQ«H GX VHFWHXUGXE¤WLPHQWRXHQFRUHODG«SHQGDQFHWUªVIRUWHGHOȇ«FRQRPLH ¢Oȇ«JDUGGHODGHPDQGHLQW«ULHXUH&HVG«V«TXLOLEUHVFRQQXVGHORQJXH GDWH QȇRQW SDV «W« FRUULJ«V SDU OHV GLII«UHQWV JRXYHUQHPHQWV TXL RQW dirigé le pays au cours des deux dernières décennies. Les élites poli- WLTXHVHVSDJQROHVGHJDXFKHFRPPHGHGURLWHVHVRQWDFFRPPRG«HV¢ l’idée que la forte croissance des années d’expansion (1993-2008) serait durable sur ces bases pourtant fragiles. Le fait que l’Espagne a été plus touchée que d’autres pays européens VXLWH ¢ OD JUDYH U«FHVVLRQ PRQGLDOH TXL G«EXWD HQ  VȇH[SOLTXH donc par une conjonction de facteurs : les nombreux risques inconsi- dérés pris par le secteur bancaire ; le fort endettement des familles et GHVHQWUHSULVHVODVRXVTXDOLȴFDWLRQGHQRPEUHX[WUDYDLOOHXUVSHX¢ même de se reconvertir suite à la perte de leur emploi dans les secteurs GXE¤WLPHQWHWGHOȇK¶WHOOHULHUHVWDXUDWLRQQRWDPPHQWRXDXFRQWUDLUH OD VXUTXDOLȴFDWLRQ GH QRPEUHX[ MHXQHV GDQV GHV ȴOLªUHV TXL RQW YX leurs perspectives d’avenir remises en cause par la crise. Parmi les jeunes Espagnols évoqués par Sylvie Koller qui s’organisèrent autour de Juventud Sin FuturoGHDemocracia Real Ya et du mouvement des indi- JQ«V¢SDUWLUGHRQWURXYHFHUWHVGHMHXQHVSU«FDLUHVSHXTXDOLȴ«V PDLV DXVVL HW VXUWRXW GHV GLSO¶P«V XQLYHUVLWDLUHV ELHQ SOXV TXDOLȴ«V TXHOHXUVSDUHQWVPDLVTXLSHLQHQW¢WURXYHUXQHSODFHVXUXQPDUFK« GXWUDYDLOSHXȵXLGHHWGRPLQ«SDUOHORFDOLVPHHWOHU«JLRQDOLVPH/HV perspectives d’embauche de toute une génération se sont progressive- ment assombries et le règne des enchufes (« pistons ») à travers l’utilisa- WLRQGHVU«VHDX[IDPLOLDX[HWDPLFDX[TXLFRPPHQ©DLW¢¬WUHUHPLVHQ FDXVHDEUXVTXHPHQWUHSULVOHGHVVXVVXUFHOXLGXP«ULWHFRPSOLTXDQW l’accès des jeunes au marché du travail et poussant nombre d’entre eux à partir à l’étranger. L’Espagne a ainsi connu une longue phase de crise sociale pendant DX PRLQV FLQT DQV VL FH QȇHVW SOXV GHSXLV  &HUWDLQV HVWLPHQW P¬PHTXHODFULVHHVWORLQGȇ¬WUHWHUPLQ«HHWTXHPDOJU«ODUHSULVHGH ODFURLVVDQFH«FRQRPLTXHGHSXLVVHVHIIHWVVXUODVRFL«W«VHURQW

301 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

EHDXFRXS SOXV GXUDEOHV /HV SROLWLTXHV GȇDXVW«ULW« OD GLPLQXWLRQ GHV G«SHQVHVSXEOLTXHVHWOHVDXJPHQWDWLRQVGȇLPS¶WGHP¬PHTXHmOȇRE- MHFWLISULRULWDLUHGHGLPLQXWLRQGXG«ȴFLWSXEOLF}FRPPHOHVRXOLJQHQW (O®HV)XUL´%ODVFRHWVHVFRDXWHXUVRQWODUJHPHQWFRQWULEX«¢UHQIRUFHU l’impact social de la crise. L’effet collatéral des dernières années est que les choix des gouvernements du PSOE et du PP ont largement été per- çus par les citoyens comme faisant partie du problème plus que de la VROXWLRQHQWUD°QDQWXQHFULVHGHO«JLWLPLW«VDQVSU«F«GHQWGHFHVSDUWLV dominants. &HUWHV DYHF OH UHWRXU GH OD FURLVVDQFH ODUJHPHQW G½ GȇDLOOHXUV ¢ la baisse des taux d’intérêt et à la mise sur le marché de nombreuses OLTXLGLW«VSDUOD%DQTXHFHQWUDOHHXURS«HQQHOHJRXYHUQHPHQWFRQVHU- vateur soutient désormais avec force que les « efforts » des Espagnols et ses choix de politiques publiques commencent à porter leurs fruits. Le fait que le discours des institutions de la Troïka loue la politique du gou- YHUQHPHQWHVSDJQROGRQWODSULRULW«GHPHXUHODU«GXFWLRQGHVG«ȴFLWV SXEOLFVUHQIRUFHODO«JLWLPLW«GHVHVFKRL[SROLWLTXHVIDFH¢VHVDGYHU- saires internes. L’entrée dans une phase de précampagne électorale en YXHGHVO«JLVODWLYHVTXLVHWLHQGURQW¢ODȴQGHOȇDQQ«HODLVVHDXJX- rer que ce discours de la « récupération » constituera l’axe dominant de la campagne du parti conservateur. D’autant plus qu’il doit désormais faire face à l’émergence de nouvelles alternatives politiques. Il est très probable que Mariano Rajoy cherchera donc à agiter le chiffon rouge de « l’instabilité » et à s’octroyer les mérites du retour de la croissance pour tenter de convaincre les électeurs. /HVFRQVHUYDWHXUVE«Q«ȴFLHURQWGRQFSHXW¬WUHGHOȇHIIHWGHVmF\FOHV «FRQRPLTXHV}GDQVOHVHQVR»ODFULVHG«M¢WUªVORQJXHQHSHXWSDV GXUHU«WHUQHOOHPHQW0DLVSRXUOHVFODVVHVPR\HQQHVHWSRSXODLUHVVHV effets sociaux se font encore largement sentir. L’Espagne d’aujourd’hui est plus inégalitaire que celle de 2008 : si certains Espagnols vivent aussi ELHQHQODSOXSDUWYLYHQWPRLQVELHQ8QHGXDOLW«WUªVIRUWHVȇHVW LQVWDOO«H VXU OH PDUFK« GX WUDYDLO DYHF XQH PLQRULW« GH WUDYDLOOHXUV E«Q«ȴFLDQW GH ERQQHV FRQGLWLRQV GH WUDYDLO HW GH FRQWUDWV ¢ GXU«H LQG«WHUPLQ«H HW XQH PDMRULW« GHYDQW HQFKD°QHU OHV FRQWUDWV ¢ GXU«H déterminée et les emplois précaires. Il est de même important de noter que la plupart des emplois créés depuis le renouveau de la croissance «FRQRPLTXH HQ  VRQW GHV HPSORLV SU«FDLUHV HW SHX TXDOLȴ«V /HV employeurs utilisent désormais la réserve de travailleurs pour tirer les FRQGLWLRQVGHWUDYDLOHWOHVVDODLUHVYHUVOHEDVFHTXLWRXFKHGȇDERUGOHV FODVVHVSRSXODLUHVHWOHVVDODUL«VSHXTXDOLȴ«V

302 De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

$XWUHFRQV«TXHQFHGHODFULVHOHWUDYDLODXQRLUDDXVVLODUJHPHQW UHIDLWVXUIDFHSHUPHWWDQWGHOLPLWHUOȇLPSDFWVRFLDOGHODFULVHHQGRQ- QDQWGHVUHYHQXVGȇDSSRLQWDX[IDPLOOHVPDLVREOLJHDQWDXVVLGHQRP- breuses personnes à travailler sans cotisations retraites ni protection sociale. Le chômage reste très élevé et touche fortement les jeunes pour qui les perspectives d’avenir ne sont plus les mêmes. Elìes Furiò Blasco et ses coauteurs ont bien mis en avant le fait que la hausse des frais d’inscription à l’université décidée par le gouvernement conservateur LOOXVWUHmXQHYLVLRQLG«RORJLTXHGHOȇ«GXFDWLRQ}TXLULVTXHGHSULYHU toute une génération de jeunes issus des classes populaires de l’accès à OȇHQVHLJQHPHQW VXS«ULHXU OHV H[SRVDQW GȇDXWDQW SOXV DX FK¶PDJH VXU le long terme et accroissant la fracture entre les classes sociales. La U«IRUPHGXPDUFK«GXWUDYDLOGHIDFLOLWHOHVOLFHQFLHPHQWVP¬PH VLOHV«WXGHV«FRQRPLTXHVRQWPRQWU«VHORQHX[mTXȇLOQȇH[LVWHHQIDLW SDVGHUHODWLRQFDXVDOHGLUHFWHHQWUHOHVFR½WVGHOLFHQFLHPHQWHWOHWDX[ de chômage moyen ». La diminution de la capacité d’action collective GHV V\QGLFDWV ULVTXH DXVVL GH PRGLȴHU GXUDEOHPHQW mOH UDSSRUW GH IRUFHHQWUHOHVDJHQWVVRFLDX[}&HUWHVODVLWXDWLRQSHXW«YROXHUGDQV les années à venir avec des changements possibles de majorité à l’éche- lon local ou au niveau national. Mais il sera impossible de compenser OHVVRXIIUDQFHVSDVV«HVGHUHQGUHOHXUDUJHQWDX[«SDUJQDQWVȵRX«VHW leur appartement aux personnes expulsées durant la crise. Une crise de légitimité des institutions

$XGHO¢GHODFULVH «FRQRPLTXHHWVRFLDOH Oȇ(VSDJQH GȇDXMRXUGȇKXL a aussi connu une crise de légitimité des élites et du système politique issu de la transition et de la constitution de 1978. En étudiant les mani- IHVWDWLRQVU«SXEOLFDLQHVQRXVDYRQVPRQWU«FRPPHQWOHXUUHQRXYHDX a été intimement lié au contexte des crises multiformes depuis 2008. &HWWH VLWXDWLRQ QRXYHOOH VȇHVW WUDGXLWH SDU XQH SHUWH GH FRQȴDQFH HQYHUV OHV «OLWHV HW OHV SULQFLSDOHV LQVWLWXWLRQV FH TXL mD DPHQ« XQ nombre croissant de citoyens à réévaluer de façon critique le “pacte” GHODWUDQVLWLRQ}G«VRUPDLVSHU©XFRPPHOHV\PEROHGȇXQHG«PRFUD- tisation inachevée. La récession économique a déclenché une crise du SROLWLTXH UHPHWWDQW HQ FDXVH OHV SULQFLSDX[ SLOLHUV GX FRPSURPLV GH ODWUDQVLWLRQG«PRFUDWLTXH/HV\VWªPH«OHFWRUDOPDMRULWDLUHODORLVXU OHVSDUWLVOHPDQTXHGHWUDQVSDUHQFHGHODYLHSROLWLTXHOHV«FKDQJHV GHIDYHXUVHWODFLUFXODWLRQGHV«OLWHVSROLWLTXHVHWȴQDQFLªUHVHQWUHOHV VSKªUHVSXEOLTXHVHWSULY«HVRXHQFRUHOHPDQTXHGȇLQG«SHQGDQFHGH ODMXVWLFHVRQWG«QRQF«VSDUOHVFLWR\HQVFRPPHDXWDQWGHOLPLWHVGX

303 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

V\VWªPH G«PRFUDWLTXH DFWXHO /D SHUVLVWDQFH GH FHUWDLQHV SUDWLTXHV FRPPHOȇDPSOHXUGHODFRUUXSWLRQSROLWLTXHWHQG¢GRQQHUOȇLPDJHGȇXQ SD\V HXURS«HQ HQ UHWDUG R» OH FOLHQW«OLVPH UªJQH HQFRUH HQ PD°WUH Mais cette image ne constitue qu’un versant de la réalité : la révélation GH QRPEUHXVHV DIIDLUHV HVW DXVVL MXVWHPHQW OL«H ¢ OD G«PRFUDWLVDWLRQ au travail des juges et aux condamnations de plus en plus récurrentes de pratiques qui passaient inaperçues dans les années 1980 et 1990. 'ȇDXWUH SDUW OHV FLWR\HQV HVSDJQROV GX XXIe siècle sont devenus plus H[LJHDQWVHWSOXVFULWLTXHVFHTXLG«ERXFKHVXUGHQRXYHOOHVGHPDQGHV sociales et sur un contrôle accru des pratiques politiques. 6XU OD IRUPH GH Oȇ‹WDW OD U«VXUJHQFH GX U«SXEOLFDQLVPH QȇD WRXWH- IRLVSDVWUDGXLWXQPRXYHPHQWVRFLDOPDVVLIGȇRSSRVLWLRQFDUFRPPH OHUDSSHOOH%HQR°W3HOOLVWUDQGLODPRQDUFKLHFHUWHVmPDUTX«HSDUXQ K«ULWDJH KLVWRULTXH TXL OD IUDJLOLVH} GHPHXUH SHU©XH FRPPH mXQH institution d’équilibre et d’incarnation ». Les manifestations lors de l’abdication de Juan Carlos IerPDUTX«HVSDUOHXUFDUDFWªUHVSRQWDQ«HW SULQFLSDOHPHQWmOL«HV¢OȇHIIHWGHVXUSULVHHW¢OȇHXSKRULHGXPRPHQW} LOOXVWUªUHQW mOD G«ȴDQFH J«Q«UDOLV«H} HW mOD YRORQW« GH FKDQJHPHQW GHVFLWR\HQV}SOXW¶WTXȇXQG«VLUGȇHQȴQLUDYHFODPRQDUFKLH(Q«WX- GLDQWODP«PRLUHKLVWRULTXHU«SXEOLFDLQHQRXVDYRQVUDSSHO«OHIDLEOH VRXWLHQDXU«SXEOLFDQLVPHHQ(VSDJQHG«O«JLWLP«SDUOHVH[S«ULHQFHV WUªVFRXUWHGHOD3UHPLªUH5«SXEOLTXHHWSOXVFRQWURYHUV«HHWWUDXPD- WLTXHGHOD6HFRQGH5«SXEOLTXH,OHVWYUDLTXHSRXUFHUWDLQVVHFWHXUV QRWDPPHQWSRXUOHVGHVFHQGDQWVGHVU«SXEOLFDLQVU«SULP«VH[LO«VRX YLFWLPHV GH OD JXHUUH FLYLOH HW GX IUDQTXLVPH OD WUDQVLWLRQ GHPHXUH le symbole d’un « pacte de l’oubli » qui n’a pas permis d’obtenir jus- WLFH Y«ULW« HW U«SDUDWLRQ SRXU OHV FULPHV FRPPLV 'H P¬PH GDQV XQ contexte marqué par l’austérité et la radicalisation des revendications LQG«SHQGDQWLVWHVOD6HFRQGH5«SXEOLTXHODUJHPHQWLG«DOLV«HGHPHXUH XQU«I«UHQWLHOLQFRQVFLHQWSRXUODJDXFKHDVVRFL«DXSURJUªVVRFLDOHW¢ l’autonomie régionale. Mathieu Petithomme et Mercè Pujol s’accordent d’ailleurs à dire que le renouveau de l’indépendantisme tant au Pays EDVTXHTXȇHQ&DWDORJQHHVWLQWLPHPHQWOL«¢OȇDWWLWXGHGRJPDWLTXHGX JRXYHUQHPHQW FRQVHUYDWHXU TXL UHIXVH Gȇ«YRTXHU XQH U«IRUPH GH OD VWUXFWXUHWHUULWRULDOHGHOȇ‹WDWYHUVSOXVGȇDXWRQRPLHHWGHI«G«UDOLVPH %HQR°W3HOOLVWUDQGLDGȇDLOOHXUVVXJJ«U«¢MXVWHWLWUHTXHODG«ȴDQFH que les Espagnols ont exprimée à de nombreuses reprises lors des PDQLIHVWDWLRQVU«SXEOLFDLQHVDOODLWSOXV¢OȇHQFRQWUHGHVUHVSRQVDEOHV SROLWLTXHV HW GHV «OLWHV ȴQDQFLªUHV TXH GH OD PRQDUFKLH HOOHP¬PH 'HYDQWODSHXUGHOȇLQFRQQXOHV(VSDJQROVGHPHXUHQWPDMRULWDLUHPHQW

304 De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

attachés à l’image rassurante de stabilité que transmet la monarchie1. La tourmente dans laquelle Juan Carlos Ier a plongé l’institution monar- chique par ses frasques personnelles n’a donc pas débouché sur un mouvement massif favorable à un changement de régime : « à l’heure GXELODQOȇDFWLIODWUDQVLWLRQG«PRFUDWLTXHODFDSDFLW«¢DFFRPSDJQHU la métamorphose de l’Espagne et à représenter le pays sur la scène LQWHUQDWLRQDOH OȇHPSRUWDLW ODUJHPHQW VXU OH SDVVLI FRQVWLWX« SDU OHV scandales de corruption ». Ce ne fut pas un hasard si les manifestations les plus importantes lors de l’abdication eurent lieu en Catalogne et DX 3D\V EDVTXH R» OHV UHYHQGLFDWLRQV U«SXEOLFDLQHV VH P¬OHQW DX[ demandes d’indépendance. Mais il est vrai que le clivage à l’égard de la PRQDUFKLHHWGHODȴJXUHGH-XDQ&DUORV,er demeure avant tout généra- WLRQQHO&ȇHVWFHG«ȴVXVFLWHUOȇHQWKRXVLDVPHRXSDUG«IDXWDXPRLQV OHUHVSHFWGHVMHXQHVSRXUTXLODPRQDUFKLHQHYDSOXVIRUF«PHQWGH VRLTXLHVWDXFĕXUGHODQRXYHOOHPLVVLRQGH3KLOLSSH9,GRQWOȇDFFHV- sion au trône incarne d’une certaine manière en elle-même une forme GH UHQRXYHOOHPHQW (Q HIIHW VXLYDQW %HQR°W 3HOOLVWUDQGL mOD IUDJLOLW« d’une monarchie tient moins à ses principes qu’à ses incarnations ». La résorption de la crise de légitimité de l’institution monarchique dépendra essentiellement de la capacité du nouveau roi à incarner une DXWRULW«QHXWUHH[HPSODLUHHWUDVVHPEOHXVH

LA CONTRIBUTION DES MOUVEMENTS SOCIAUX AU CHANGEMENT

8QHGLYHUVLȴFDWLRQGHVIRUPHVGHFRQWHVWDWLRQ

(QVHPRELOLVDQWHQPDQLIHVWDQWHQVLJQDQWGHVS«WLWLRQV2HQFKHU- FKDQW¢HQWRXUHUOH&RQJUªVGHVG«SXW«VHQXWLOLVDQWOȇKXPRXUODG«VR- béissance civile (des médecins par exemple dans la défense de la santé

šComme le note Benoît Pellistrandi, malgré que Juan Carlos Ier fût « éduqué par Franco dans l’Espagne de Franco », ce qui apparaît pour l’opposition antifranquiste comme « une compro mission avec le dictateur », le fait qu’il devint le « pilote du changement démocratique », et qu’il incarne la légitimité et la défense de la Constitution lors du coup d’État raté du 23 février 1981, contribua à asseoir sa légitimité auprès des Espagnols de la génération de la transition. Voir aussi Charles T. PƵƼƫƲƲ El piloto del cambio, op. cit., 1991. Sur l’importance historique du coup d’État de 1981, on peut se référer à l’essai historique primé, sous la forme d’un roman, de Javier CƫƷƩƧƸ, Anatomía de un instante, Madrid, Editorial Mondadori, 2009. šOn peut citer la pétition de l’ILP pour un moratoire sur les expulsions à l’initiative de la PAH, mais aussi suite aux révélations d’El Mundo sur la « comptabilité B » du PP le 31 janvier 2013, la pétition lancée le 1er février sur le site internet change. org, demandant la démission de Mariano Rajoy, qui recueillit un million de signatures en une semaine seulement.

305 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

XQLYHUVHOOH  RX GHV DFWLRQV DQWLFRQYHQWLRQQHOOHV OHV (VSDJQROV RQW fait advenir un renouveau de nombreuses pratiques de contestation. &RQWUDLUHPHQW DX[ DQQ«HV HW OHV FLWR\HQV VRQW GHVFHQGXV massivement dans les rues depuis 2008 lors d’actions collectives qui UHVWHURQW GDQV OȇKLVWRLUH TXDWUH JUªYHV J«Q«UDOHV FRQWUH OȇDXVW«ULW« OHFK¶PDJHHWODSU«FDULW«RQWDLQVL«W«RUJDQLV«HVHQWUHHW du jamais vu depuis la transition ; des dizaines de milliers de jeunes ont protesté puis occupé la Puerta del Sol à Madrid le 11 mai 2011 ; plus d’un million de Catalans ont manifesté pour l’indépendance le VHSWHPEUHSXLVSOXVGHGHX[PLOOLRQVVHVRQWPRELOLV«VORUVGH la consultation symbolique sur le futur de la Catalogne le 9 novembre  /HV (VSDJQROV RQW SURWHVW« FRQWUH OD FODVVH SROLWLTXH OD FRUUXS- WLRQOȇLPSXQLW«GHV«OLWHVOHELSDUWLVPHOHVEDQTXHVOHQ«ROLE«UDOLVPH FRQWUH OHV H[SXOVLRQV OD PRQDUFKLH OHV YLROHQFHV GH JHQUH HW SRXU OH droit à l’avortement. Des pratiques traditionnelles des mouvements VRFLDX[VRQWDLQVLUHYHQXHVVXUOHGHYDQWGHODVFªQHG«ȴO«VPDVVLIVGH manifestants ; signature de pétitions (comme lors de l’initiative législa- tive populaire contre les expulsions à l’initiative de la PAH) ; sitting de protestation devant des gouvernements de communautés autonomes et OH&RQJUªVGHVG«SXW«VRXHQFRUHXVDJHVGHVLɛHWVHWGHFDVVHUROHVSDU les militants indépendantistes catalans. /HVUHVVRXUFHVLQIRUPDWLRQQHOOHVQRWDPPHQWOȇXWLOLVDWLRQGHVU«VHDX[ VRFLDX[HWGHOȇLQWHUQHWVHVRQWLPSRV«HVFRPPHGHQRXYHOOHVDUPHVGDQV l’arsenal militant3. Karine Bergès estime en ce sens que « l’usage politique des nouvelles technologies » a participé au « renouvellement des réper- toires d’action du féminisme contemporain ». Dans une « démocratie GX SXEOLF} SRXU UHSUHQGUH OȇH[SUHVVLRQ GH %HUQDUG 0DQLQ DX VHLQ GH ODTXHOOH OHV P«GLDV MRXHQW XQ U¶OH FHQWUDO OD mVSHFWDFXODULVDWLRQ GHV DFWLRQVPLOLWDQWHV}DSHUPLVGȇDWWLUHUOȇDWWHQWLRQGHVP«GLDVFRPPHFH fut par exemple le cas pour les initiatives et les « performances » des militantes féministes4. Patrick Champagne parle sur ce point de « mani- IHVWDWLRQVGHSDSLHU}GDQVOHVHQVR»OHVPRXYHPHQWVVRFLDX[FRQWHP- porains se jouent certes sur le terrain à travers la force du nombre de PDQLIHVWDQWVPDLVDXVVLGDQVOHVLQWHUSU«WDWLRQVTXHOHVP«GLDVGRQQHQW de ces mobilisations5 /H U¶OH GHV «PRWLRQV GDQV OD GUDPDWLVDWLRQ GHV DFWLRQVGHU«VLVWDQFHDX[H[SXOVLRQVORFDWLYHVGLIIXV«HV¢ODW«O«YLVLRQD

šPierre MƫƷƩƱƲƫSociologie des réseaux sociaux, Paris, La Découverte, 2011, p. 87. šBernard MƧƴƯƴ, Principes du gouvernement représentatif, Paris, Flammarion, [1995] 2012, p. 6. šPCVTKEMCƮƧƳǞƧƭƴƫ, Faire l’opinion, Paris, Éditions de Minuit, 1990.

306 De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

permis à des acteurs faiblement dotés de ressources de toucher l’opinion publique6. Olivier Fillieule et Danielle Tartakowsky ont en effet démon- tré que l’immense majorité des manifestations n’obtient pas de couver- ture médiatique (2 à 5 %)7. Les événements routiniers n’intéressent pas OHVP«GLDVGHWHOOHVRUWHTXHOHVPRXYHPHQWVVRFLDX[GRLYHQWVRXYHQW avoir recours au spectaculaire pour attirer leur attention8. 'ȇDXWUHVU«SHUWRLUHVGȇDFWLRQMXVTXȇDORUVSHXXWLOLV«VHQ(VSDJQHVH sont développés. Mercè Pujol a rappelé comment les indépendantistes catalans ont mis en place une chaîne humaine massive (la Via Catalana) OHVHSWHPEUHRXHQFRUHRQWIRUP«XQGUDSHDXFDWDODQKXPDLQ gigantesque dans les rues de Barcelone en 2014. Le phénomène des mPDU«HV} YHUWH MDXQH JUHQDW YLROHWWHHWF  D G«YRLO« OD YRORQW« GH FRQȵXHQFH GH GLII«UHQWV PRXYHPHQWV VRFLDX[ «WXGLDQWV HW SHU- VRQQHOV GH Oȇ«GXFDWLRQ GH OD VDQW« IRQFWLRQQDLUHV GHV FRPPXQDXW«V DXWRQRPHVI«PLQLVWHVHWF OHXUDSSURSULDWLRQGȇXQFRGHFRXOHXUHWOH WUDQVIHUW GH FHUWDLQHV SUDWLTXHV HQWUH OHV JURXSHV PRELOLV«V 'H SOXV des pratiques artistiques de contestation ont illustré une repolitisation GHODFXOWXUHGXFLQ«PDOHUHWRXUGXmWK«¤WUHVRFLDO}DXWRXUGXTeatro del BarrioHWGȇ$OEHUWR6DQ-XDQ¢0DGULGRXHQFRUHOHUHQRXYHDXGHOD YHLQHFRQWHVWDWDLUHGXȵDPHQFR )OR[ /HVDUWLVWHVRQWVRXYHQWMRX« un rôle direct dans le mouvement social en s’associant à d’autres collec- WLIV3DUH[HPSOH)OR[HWGHVPHPEUHVGHOD3$+VHVRQWDVVRFL«VDX[ étudiants de l’université Pablo de Olavide en 2013 lors de la venue d’un UHSU«VHQWDQWGHOD%DQTXH6DQWDQGHUVXUOHFDPSXVSRXUFRQWHVWHUOHV SURȴWVG«PHVXU«VGHVHVDFWLRQQDLUHVHWVHVDFWLRQVGȇH[SXOVLRQFRQWUH certains de ses épargnants. Cette action collective illustra bien la syn- WKªVHHQWUHDUWLVWHV«WXGLDQWVMHXQHVSU«FDLUHVPRELOLV«VHWPLOLWDQWVGH la PAH pour dénoncer les pratiques d’une entité jugée comme respon- VDEOHGHODEXOOHLPPRELOLªUHGHODFULVH«FRQRPLTXHHWGHQRPEUHXVHV expulsions locatives. /HV I«PLQLVWHV FRPPH OHV LQGLJQ«V HW GȇDXWUHV FROOHFWLIV RQW GH même utilisé les escrachesXQHSUDWLTXHDQFLHQQHORQJWHPSVWRPE«H HQ G«VX«WXGH 3RXU 0DWKLHX 3HWLWKRPPH LO VȇDJLW GH mPDQLIHVWDWLRQV

šSur les émotions en politique, Christophe TƷƧƯƴƯ FKT , Émotions… mobilisations, Paris, Presses de SEKGPEGUPo, 2009. Voir aussi Dominique WƯƸƲƫƷ, « La couverture médiatique de l’action pro testataire, étude à partir du cas suisse », Revue française de sociologiePoR šOlivier FƯƲƲƯƫƺƲƫ et Danielle TƧƷƹƧƱƵƼƸƱƾ, La manifestation, Paris, Presses de SEKGPEGUPo, 2013, p. 145. šÉTKMNƫƻƫƺ, « Médias, mouvements sociaux, espaces publics », Réseaux, vol. 17, n° 98, 1999, R

307 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

devant une institution publique ou privée ou le domicile d’un particu- OLHUTXLYLVHQW¢G«QRQFHUSDUOȇLQWLPLGDWLRQOHVFULVOHVVLɛHWVHWOHV VORJDQVOHVDJLVVHPHQWVFRQVLG«U«VFRPPHKRQWHX[GȇHQWLW«VSXEOLTXHV ou de personnes privées ». Ces pratiques donnant lieu à des rassemble- ments populaires et à des intimidations existaient déjà au Moyen Âge sous la forme de ce que l’on appelait alors les « charivaris ». Le retour GHFHU«SHUWRLUHGȇDFWLRQQȇHVWSDVDQRGLQGDQVOHVHQVR»LOLOOXVWUHXQH forme de rage et de colère populaire à l’égard de certaines déviances et de personnes jugées responsables de pratiques délictueuses ou hon- teuses. Ces réactions populaires peuvent mener à des dérives liées à FHWWHmHIIHUYHVFHQFHFROOHFWLYH}«YRTX«HSDU*XVWDYHOH%RQGDQVLa psychologie des foules9. Les intimidations peuvent déboucher sur une YLROHQFH SK\VLTXH U«HOOH GHV PHQDFHV TXH OHV SHUVRQQHV FRQFHUQ«HV n’hésitent pas à exagérer pour substituer au débat sur leurs pratiques un autre sur la violence « inacceptable » des manifestants. Elles peuvent conduire à incriminer une personne lors d’un jugement média- WLTXHVDQVUHVSHFWHUODSU«VRPSWLRQGȇLQQRFHQFH0DLVOHVH[HPSOHVGHV dernières années montrent que les personnes qui ont subi ces protesta- tions d’indignation avaient souvent des faits lourds à se reprocher. Les escraches ont toujours eu lieu après la révélation par la presse ou les médias de pratiques frauduleuses ou répréhensibles. Le renouveau de ce type d’intimidation révèle donc surtout les frustrations populaires ODWHQWHVOHUHWRXUGȇXQHIRUPHGHUHIRXO«IDFH¢GHVLQMXVWLFHV¢OȇLPSX- QLW« HW ¢ GHV SUDWLTXHV MXJ«HV QRQ VHXOHPHQW FRPPH KRQWHXVHV PDLV aussi comme intolérables et nocives pour la démocratie. 'HSOXVOHVRFFXSDWLRQVSRSXODULV«HVGDQVOHVDQQ«HVSDUOH mouvement Okupas VRQW GHYHQXHV SOXV V\VW«PDWLTXHV 6\OYLH .ROOHU a rappelé comment la forme du campement ouvert sur des places et GHV OLHX[ SXEOLFV ELHQ DGDSW«H DX WLVVX XUEDLQ ¢ OD ORFDOLVDWLRQ HW ¢ OȇDQFUDJHWHUULWRULDOGHVOXWWHVDMRX«XQU¶OHFHQWUDOGDQVODP«GLDWLVD- tion du mouvement des indignés et la diffusion de ses revendications. Il est d’ailleurs intéressant de noter que l’essor d’une nouvelle formation comme Podemos doit beaucoup à l’adoption d’une structure organisa- tionnelle décentralisée autour de « cercles » et d’« assemblées » locales DQFU«HV GDQV XQ WHUULWRLUH HW XQ TXDUWLHU TXL GRQQHQW OH VHQWLPHQW aux citoyens d’agir concrètement dans un espace physique familier. Mathieu Petithomme a expliqué comment les occupations ont été utili- V«HVGHID©RQU«FXUUHQWHSDUOHVFROOHFWLIVGHOD3$+DȴQGȇRFFXSHUGHV

šGustave LƫBƵƴ, La Psychologie des foules, Paris, Flammarion, 2003 [1895].

308 De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

VRFL«W«VEDQFDLUHVGHSRUWHUDWWHLQWH¢OȇLPDJHGHPDUTXHGHVEDQTXHV et de les forcer à ouvrir une négociation avec les particuliers pour éviter des expulsions et renégocier des prêts bancaires. La Coordination 25-S a de même appelé à « entourer le Congrès » OHVHSWHPEUHSXLV¢mDVVL«JHUOH&RQJUªV}OHDYULOHQ estimant que les députés ne représentent pas les aspirations du peuple espagnol10. Autour de la Coordination 25-S mais aussi d’autres organisa- WLRQVSURFKHVGHVPLOLHX[GȇH[WU¬PHJDXFKHHWDQDUFKLVWHVQRWDPPHQW HQ &DWDORJQH OD YLROHQFH GH UXH D IDLW VRQ UHWRXU &HUWHV GXUDQW OHV DQQ«HVHOOHMRXDLWG«M¢XQU¶OHFHQWUDOSRXUFHUWDLQVPRXYHPHQWV VRFLDX[ FRPPH DXWRXU GH OD Kale borroka utilisée politiquement par le nationalisme basque radical pour monopoliser l’espace public et intimider ses adversaires. Mais les affrontements avec la police lors des DFWLRQVGȇLQWHUSRVLWLRQGHVFLWR\HQVSRXU«YLWHUOHVH[SXOVLRQVRXOȇLQȴO- tration de radicaux violents lors des manifestations contre les banques HWOȇDXVW«ULW«VȇH[SOLTXHQWDXVVLSDUOȇLQGLJQDWLRQJ«Q«UDOHGHODVRFL«W« et la radicalisation d’une certaine frange de la jeunesse11. Ils traduisent XQHIRUWHG«ȴDQFHYLV¢YLVGHODFULPLQDOLVDWLRQHWGHODS«QDOLVDWLRQ croissante des mouvements sociaux par la récente loi sur la sécurité intérieure12. Le « moment manifestant » selon l’expression de Pierre )DYUHDDLQVLSDUIRLVFRQWULEX«¢G«O«JLWLPHUOHVSRXYRLUVSXEOLFVVXLWH à l’usage disproportionné de la répression par les forces de l’ordre13.

šLuz SʜƴƩƮƫƿMƫƲƧƪƵ, « LQUKPFKIPCFQUOȄUHWTKDWPFQUzEl País, 25 septembre 2013. šSur ce point, la récente loi sur la sécurité a d’ailleurs été votée par le gouvernement conser vateur en réponse aux affrontements et aux arrestations massives qui eurent lieu en sep tembre 2012. Plutôt que de voir la radicalisation violente d’une partie de la jeunesse comme la conséquence directe de l’inaction des pouvoirs publics à l’égard d’une jeunesse condamnée au EJȖOCIGFGOCUUG WPLGWPGUWTFGWZGUVCWEJȖOCIG NGIQWXGTPGOGPVCRTȌHȌTȌkUWTXGKNNGT et punir » pour reprendre l’expression de Michel Foucault, cf. Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975. šLC PQWXGNNG NQK KPVTQFWKV WP EJCPIGOGPV FG NC FQEVTKPG FG OCKPVKGP FG NŨQTFTGš KN UŨCIKTC désormais de « prévenir » les troubles à l’ordre public plutôt que de simplement les encadrer, de contrôler les personnes suspectées comme « déviantes », bref pour reprendre l’expression d’Éric Fassin, « d’institutionnaliser la surveillance ». Ceci implique des atteintes croissantes aux libertés individuelles, une pratique plus courante des arrestations de masse et du fichage poli cier, de même que des actions « préventives ». L’interdiction des manifestations républicaines lors de l’abdication de Juan Carlos Ier, symbolisèrent par exemple la primauté des considéra tions sécuritaires sur la liberté d’expression. Cf. Èric FƧƸƸƯƴ, La force de l’ordre. Une anthropologie de la police des quartiers, Paris, Le Seuil, 2011. šCe fut notamment le cas lors des manifestations étudiantes de 2013 ou de la tentative d’occupation du CQPITȋUFGUFȌRWVȌUšNCFKHHWUKQPFGNCTȌRTGUUKQPRQNKEKȋTGȃNCVȌNȌXKUKQPC développé une certaine solidarité émotionnelle de nombreux Espagnols avec les protestataires. Cf. Pierre FƧƻƷƫ, « Le moment manifestant », dans Pierre FƧƻƷƫ FKT La manifestation, Paris, Presses de SEKGPEGUPo, 1990, p. 20.

309 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

La politisation de nouveaux enjeux

Les mouvements sociaux espagnols ont également contribué à mettre de nouveaux enjeux au cœur de l’agenda politique. L’une des caractéristiques essentielles des manifestations de rue est liée à « la nature politique de la démonstration » : elles « doivent se traduire par ou déboucher sur l’expression de revendications de nature politique ou sociale14} m/ȇDUªQHGHV FRQȵLWV VRFLDX[} TXL VH VRQW H[SULP«V GHSXLV DGRQFIRQFWLRQQ«VXLYDQWOȇH[SUHVVLRQGȇ‹ULN1HYHXmFRPPHXQ espace d’appel au double sens d’expression d’une demande de réponse à XQSUREOªPHHWDXVHQVMXGLFLDLUHGHUHFRXUV15}3DUOHXUVVORJDQVOHXUV SDQFDUWHVHWOHXUVFKDQWVWUDQVPLVVXUOHVU«VHDX[VRFLDX[GHP¬PHTXH ȴOP«V SXLV GLIIXV«V SDU OHV FKD°QHV GH W«O«YLVLRQ OHV (VSDJQROV TXL VH VRQWPRELOLV«VHQPDVVHGHSXLVOHG«EXWGHODFULVHRQWGRQQ«XQHYLVL- ELOLW«SXEOLTXH¢GHVLQMXVWLFHVHW¢GHVSUREOªPHVVRFLDX[HWSROLWLTXHV en demandant des réponses et des solutions aux responsables publics. ‚ WUDYHUV XQH IRUPH GȇmLQVXUUHFWLRQ PRUDOH} OH PRXYHPHQW GHV indignés a ainsi contribué à diffuser au sein de la société espagnole la demande d’instauration d’une démocratie plus participative et d’une moralisation de la vie publique. Il a dénoncé les limites de la person- QDOLVDWLRQH[FHVVLYHGXSRXYRLUOHVFRPSRUWHPHQWVU«SU«KHQVLEOHVOHV salaires et les avantages parfois démesurés des élites politiques. Sylvie Koller a bien noté que les principales revendications du mouvement sont de fait soutenues par une large majorité des Espagnols. Il en va ainsi de la volonté d’imposer le « caractère imprescriptible des délits GHFRUUXSWLRQ}mOȇLQWHUGLFWLRQGHVOLFHQFLHPHQWVFROOHFWLIVORUVTXȇXQH HQWUHSULVH U«DOLVH GHV E«Q«ȴFHV} mOD UHVWLWXWLRQ GH OȇDUJHQW SXEOLF SU¬W« DX[ EDQTXHV HW DX[ FDLVVHV Gȇ«SDUJQH HQ GLɚFXOW«} RX HQFRUH d’obtenir « la possibilité de solder un prêt hypothécaire en remet- tant son bien à l’organisme prêteur ». Cette sympathie montrée par OȇHQVHPEOHGHVHQTX¬WHVGȇRSLQLRQGHVHSW(VSDJQROVVXUGL[¢Oȇ«JDUG GHV LQGLJQ«V HW GH OHXUV UHYHQGLFDWLRQV PRQWUH ELHQ OH U¶OH FHQWUDO qu’a joué le mouvement dans la politisation de nouveaux enjeux et la diffusion de leurs propositions de réformes et de changement au sein de la société16.

šOlivier FƯƲƲƯƫƺƲƫ et Danielle TƧƷƹƧƱƵƼƸƱƾ, La manifestation, Paris, Presses de SEKGPEGUPo, 2013, p. 17. šÉTKMNƫƻƫƺSociologie des mouvements sociaux, Paris, La Découverte, 2000, p. 35. 16. « SKGVGFGECFCFKG\GURCȓQNGUUKORCVK\CPEQPGNOQXKOKGPVQM », El Mundo, 20 sep tembre 2013.

310 De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

/D TXHVWLRQ GH OD FRUUXSWLRQ SROLWLTXH TXL QȇHVW SDV QRXYHOOH HQ (VSDJQH WDQW FHV SUDWLTXHV «WDLHQW G«M¢ FRXUDQWHV GXUDQW OHV DQQ«HV HVWG«VRUPDLVDSSU«KHQG«HGLII«UHPPHQWSDUODVRFL«W«FRPPH XQ ȵ«DX PDMHXU ¢ WUDLWHU $XSDUDYDQW OD FRUUXSWLRQ «WDLW SHU©XH FRPPH XQ SK«QRPªQH U«VLGXHO FRPPH OD U«VXOWDQWH GHV FRQGXLWHV déviantes de certains individus. Elle est désormais associée à un « sys- WªPH}SOXVJ«Q«UDOTXLSHLQH¢FRPEDWWUHFHWWHWDUHFHTXLDPªQH¢ SRVHUODTXHVWLRQGHU«IRUPHVSURIRQGHVDXGHO¢GHVFDVLQGLYLGXHOV nécessité de remédier au manque de transparence dans la gestion des IRQGV SXEOLFV PLVH HQ FDXVH GX FXPXO GHV PDQGDWV GH OȇRSDFLW« GX ȴQDQFHPHQWGHVSDUWLVRXHQFRUHGHOȇLPSXQLW«GHV«OLWHVTXLWLUHQWSUR- ȴWGȇXQV\VWªPHMXGLFLDLUHTXLPDQTXHGȇLQG«SHQGDQFH0¬PHVȇLOUHVWH HQFRUHEHDXFRXSGHFKHPLQ¢SDUFRXULUOHVSDUWLVSROLWLTXHVHWOHXUV acteurs commencent à prendre conscience que la corruption mine leur LPDJHHWG«WRXUQHOHV«OHFWHXUVGHVIRUPDWLRQVTXLQȇH[FOXHQWSDVOHV personnes soupçonnées de corruption ou qui présentent une attitude jugée trop reprochable. Tant à travers l’essor de nouveaux partis qui PHWWHQW FODLUHPHQW FHW HQMHX DX FHQWUH GH OHXUV SU«RFFXSDWLRQV TXH JU¤FH¢Oȇ«YROXWLRQSURJUHVVLYHGHVSUDWLTXHVGHVSDUWLVWUDGLWLRQQHOVLO est possible d’espérer que des mesures plus coercitives pour combattre ces dérives et que de nouvelles pratiques seront adoptées au cours de la prochaine décennie. D’autres enjeux ont aussi ressurgi grâce aux mouvements sociaux : la réforme du système électoral et de la loi sur les partis demandée par OHVLQGLJQ«VODU«IRUPHGHOȇ‹WDWGHVDXWRQRPLHVYRXOXHSDUOHVLQG«- pendantistes basques et catalans ; la dénonciation de l’austérité par les mPDU«HV}FLWR\HQQHVRXHQFRUHFHOOHGHODȴQDQFLDULVDWLRQGHOȇ«FRQR- mie et des pratiques frauduleuses des banques par la mobilisation des SHWLWV«SDUJQDQWVQRWDPPHQWDXWRXUGXVFDQGDOHGHVpreferentesFHV placements à risque autour d’actifs toxiques vendus sans informations VXɚVDQWHV TXL RQW FDXV« OD UXLQH GH QRPEUHX[ SDUWLFXOLHUV 0DWKLHX 3HWLWKRPPH D GH P¬PH ELHQ PRQWU« FRPELHQ OD 3$+ D FRQWULEX« ¢ G«QRQFHU OD ORL K\SRWK«FDLUH HVSDJQROH OHV FODXVHV DEXVLYHV GDQV OHV contrats de prêts immobiliers et le scandale des expulsions. Par ses DFWLRQVGȇLQWHUSRVLWLRQVHVSODLQWHVHWVHVUHFRXUVGHYDQWOHVWULEXQDX[ FHFROOHFWLIDIDLWSUHVVLRQVXUOHVSRXYRLUVSXEOLFV*U¤FH¢VHVDFWLRQV les Espagnols ont pris conscience de la responsabilité des banques dans le déclenchement de la bulle immobilière. Si l’actuel gouverne- PHQWFRQVHUYDWHXUDG«FLG«HQPDUVDYDQWWRXWSRXUGHVUDLVRQV «OHFWRUDOLVWHVGHIDLUHYRWHUXQHIXWXUHORLIDFLOLWDQWOHVUHQ«JRFLDWLRQV

311 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

entre les particuliers et les banques et instaurant une forme limitée de mGRQDWLRQ SRXU SDLHPHQW} FȇHVW SDUFH TXH OȇHQMHX GX GURLW DX ORJH- ment politisé par la PAH depuis 2008 fait désormais consensus dans la VRFL«W«,OVȇDJLWGȇXQH[HPSOHFRQFUHWGȇLQȵXHQFHGXPRXYHPHQWVRFLDO tant sur des situations locales et personnelles que sur une réforme législative. Karine Bergès a aussi mis en avant le rôle majeur des femmes dans les mobilisations sociales du temps présent. Elles se sont mobilisées VXUOHVTXHVWLRQVGHJHQUHQRWDPPHQWGDQVOHFDGUHGXmPRXYHPHQW intergénérationnel et contestataire » contre le projet de réforme sur OȇDYRUWHPHQWGHIRU©DQWOHJRXYHUQHPHQW¢IDLUHPDUFKHDUULªUH (Q SUHPLªUH OLJQH GX PRXYHPHQW GHV LQGLJQ«V VȇLQVXUJHDQW mFRQWUH OH SRLGV GH OȇRUGUH SDWULDUFDO K«W«URVH[LVWH HW FDSLWDOLVWH} HOOHV RQW plus généralement dénoncé « la dégradation des conditions de vie des IDPLOOHVHWGHVIHPPHVOL«HDX[FRXSHVEXGJ«WDLUHVHQPDWLªUHGHVDQW« GȇDLGHVVRFLDOHVHWGHJHOGHVVDODLUHV}&RPPHOHQRWH.DULQH%HUJªV mOȇLQVWLWXWLRQQDOLVDWLRQ GX I«PLQLVPH VRXV OHV JRXYHUQDQFHV VRFLD- OLVWHV}DFHUWHVmLQVFULWOHVSROLWLTXHVGHJHQUH¢OȇDJHQGDSROLWLTXH} &HSHQGDQWFHmI«PLQLVPHGHVHUYLFHO«JLWLPHHWQ«FHVVDLUHDHXSRXU effet de reléguer le féminisme autonome dans les interstices de la FRQWHVWDWLRQPLQRULWDLUH}'HSXLVRQSHXWREVHUYHUXQHQRXYHOOH SKDVHPDUTX«HSDUXQFHUWDLQUHQRXYHDXGXI«PLQLVPHFRQWHVWDWDLUH et par l’insertion croissante des revendications féministes au sein de luttes transversales et à l’avant-garde du mouvement social : Sylvie Koller a évoqué le rôle de la « marée violette » au sein du 15-M ; Karine %HUJªV FHOXL GHV mI«PLQLVPHV DOWHUQDWLIV} GH OD mWURLVLªPH YDJXH I«PLQLVWH}PDLVDXVVLGXFHUFOHI«PLQLVWHDXVHLQGHPodemos ; Mercè 3XMRO OȇLQȵXHQFH G«FLVLYH GH 0XULHO &DVDOV HW GH &DUPH )RUFDGHOO OHV présidentes respectives d’Òmnium Cultural et de l’Assemblée nationale FDWDODQHVXUOHPRXYHPHQWLQG«SHQGDQWLVWH0DWKLHX3HWLWKRPPHOH charisme d’Ada Colau dans la création de la Plateforme des affectés SDU OȇK\SRWKªTXH &HWWH FHQWUDOLW« GHV IHPPHV GDQV OHV OXWWHV D QRQ seulement permis d’inclure « les sujets des marges » et de politiser les TXHVWLRQVVH[XHOOHVHWGXTXRWLGLHQPDLVDXVVLVHORQ.DULQH%HUJªVGH mFURLVHUV\VW«PDWLTXHPHQWOHVSURSRVLWLRQVI«PLQLVWHVDYHFODUDFHOD FODVVHOHJHQUHHWODVH[XDOLW«}/HVHQMHX[I«PLQLVWHVVRQWGHYHQXVSOXV WUDQVYHUVDX[¢WUDYHUVGHQRPEUHXVHVG«FOLQDLVRQVHWHQS«Q«WUDQWOH corpus des revendications d’autres mouvements. (QȴQOHVDFWLRQVFROOHFWLYHVQRPEUHXVHVHWSOXULHOOHVTXLRQW«PHU- J«GHSXLVRQWFRQWULEX«¢TXHVWLRQQHUHW¢UHPHWWUHHQFDXVHOHV

312 De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

GLVFRXUVGRPLQDQWVHQSURSRVDQWGHQRXYHDX[U«FLWVHWmFDGUHVGȇLQ- terprétation » pour expliquer le réel et l’histoire espagnole du temps SU«VHQW/HV«OLWHVSROLWLTXHVFRPPHOȇDELHQPRQWU«OHFRPSRUWHPHQW GH-RV«/X¯V5RGU¯JXH]=DSDWHURRQWGȇDERUGQL«OȇH[LVWHQFHGHODFULVH pour ensuite minimiser son impact et ses effets. La repolitisation de la société espagnole est en ce sens intimement liée au manque d’empa- thie et à la déconnexion du réel de la classe politique. Les pensions de UHWUDLWHJ«Q«UHXVHVGHVG«SXW«VOHVmSDUDFKXWHVGRU«V}GHVGLULJHDQWV GH PXOWLQDWLRQDOH TXL OLFHQFLHQW VDQV «WDW Gȇ¤PH OHV U«PXQ«UDWLRQV démesurées des actionnaires de banques au bord de la faillite sont devenues intolérables pour les citoyens et le symbole même des limites du système politique issu de la transition et de l’ordre économique néolibéral. Face à des acteurs politiques dominants qui partageaient JOREDOHPHQW OH P¬PH GLVFRXUV OD P¬PH Y«Q«UDWLRQ GX OLEUH«FKDQJH et le même maniement de la langue de bois pour éviter toute réforme VWUXFWXUHOOHGXV\VWªPHGHGXPRGªOH«FRQRPLTXHHVSDJQROHWGH OHXUVSUDWLTXHVOHVFLWR\HQVSDUOHXUVPRELOLVDWLRQVRQWMRX«OHU¶OHGH mODQFHXUVGȇDOHUWH}G«QRQ©DQWOHVLQMXVWLFHVHWSURSRVDQWGHQRXYHOOHV DOWHUQDWLYHV (Q DWWLUDQW OȇDWWHQWLRQ VXU GH QRXYHDX[ HQMHX[ HQ «YR- TXDQWGHVFDXVHVHQG«QRQ©DQWGHVUHVSRQVDEOHVHWHQSURSRVDQWGHV VROXWLRQVOHVPRXYHPHQWVVRFLDX[RQWUHGRQQ«GXVHQV¢OȇHQJDJHPHQW rompant avec le cercle vicieux de la lassitude et redonnant de l’espoir DX[ FLWR\HQV /D WUDQVIRUPDWLRQ GX VORJDQ m2XL FȇHVW SRVVLEOH} GHV LQGLJQ«V HQ FHOXL GH Podemos m%LHQ V½U TXH RXL QRXV SRXYRQV} RX HQFRUHOȇDSSHOODWLRQP¬PHGXQRXYHDXSDUWLm&LWR\HQV}V\PEROLVHQW bien cette volonté de remettre la citoyenneté et son engagement au cœur de l’action politique. Activisme citoyen et nouvelles pratiques

Le mouvement des indignés espagnols a eu un retentissement pla- Q«WDLUH LOOXVWUDQW OD G«ȴDQFH GȇXQH J«Q«UDWLRQ HQWLªUH ¢ Oȇ«JDUG GHV «OLWHVSROLWLTXHVHWGXV\VWªPH«FRQRPLTXHQ«ROLE«UDO7RXWHIRLV6\OYLH .ROOHU D ELHQ PRQWU« FRPPHQW DSUªV TXHOTXHV PRLV GȇHIIHUYHVFHQFH FROOHFWLYHOHPRXYHPHQWVȇHVWSHX¢SHXHVWRPS«IDFH¢OȇmDWRPLVDWLRQ des groupes » et à la « tendance au ressassement de ses revendica- WLRQV}/HVG\QDPLTXHVKRUL]RQWDOHVOHUHIXVGHSRUWHSDUROHHWGHGLUL- JHDQWVHWOHFKRL[GHPRGHVGHIRQFWLRQQHPHQWIRQG«VVXUOȇDXWRJHVWLRQ les dynamiques consensuelles et la démocratie directe ont conduit le mouvement à l’« épuisement en discussions interminables » de même qu’à l’« empilement des propositions sans hiérarchie ». Mais au-delà de

313 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

OȇLPDJHGȇXQHPLVHHQVRPPHLOGX0OHVDFWHXUVGHFHPRXYHPHQW VHVRQWSHX¢SHXLQYHVWLVmGDQVGHVFROOHFWLIVFLWR\HQVGHVSODWHIRUPHV GHV FRPLW«V GH TXDUWLHU HW GHV H[S«ULHQFHV Gȇ«FRQRPLH DOWHUQDWLYH} diffusant en fait de nouvelles pratiques citoyennes au sein d’arènes et de lieux publics distincts. Cette « contre-culture » de la protestation a débouché sur des initiatives telles que la création de jardins commu- QDXWDLUHV GH FRRS«UDWLYHV GH WURF Gȇ«OHFWULFLW« GHV FHQWUHV VRFLDX[ DOWHUQDWLIV GHV RFFXSDWLRQV GȇLPPHXEOHV DEDQGRQQ«V SDU GHV SURPR- WHXUVLPPRELOLHUVHQIDLOOLWHRXHQFRUHGHVYLOODJHVUXUDX[DXWRJ«U«V (Q FH VHQV OȇmHVSULW FLWR\HQ HW QRQSDUWLVDQ GȇRULJLQH GX 0} a eu un impact plus global sur la société espagnole. Il explique par H[HPSOH OȇHVVRU GX mPXQLFLSDOLVPH} ¢ VDYRLU GH QRXYHOOHV SODWH- formes citoyennes présentées dans le contexte des élections municipales (Ganemos Barcelona SDU H[HPSOH  6HORQ 6\OYLH .ROOHU HQ LQFLWDQW VHV V\PSDWKLVDQWVm¢FRQVWLWXHUGHVFHUFOHVVXUXQHEDVHORFDOHSURIHVVLRQ- QHOOHRXWK«PDWLTXHGHID©RQOLEUHHWDXWRQRPH}Podemos a suscité un large engouement citoyen. Cette dynamique montre l’attachement d’une frange importante des citoyens à l’auto-organisation et à la territoria- lisation des luttes dans leur quartier et leur municipalité. L’activisme GX PRXYHPHQW GHV LQGLJQ«V OHV QRPEUHX[ PRXYHPHQWV VRFLDX[ TXL VRQW GHVFHQGXV GDQV OD UXH GHSXLV  GH P¬PH TXH Podemos dans OHXUVLOODJHSDUODIRUPXODWLRQGȇXQHQRXYHOOHSODWHIRUPHSROLWLTXHRQW contribué à une repolitisation de la société espagnole par le bas. Les limites de la dynamique d’assemblée du mouvement des indi- JQ«VQRWDPPHQWOHVGLɚFXOW«V¢SUHQGUHGHVG«FLVLRQVSDUFRQVHQVXV¢ KL«UDUFKLVHUOHVUHYHQGLFDWLRQVHW¢G«ȴQLUXQHVWUDW«JLHSROLWLTXHFRK«- UHQWHRQWORJLTXHPHQWG«ERXFK«VXUXQHYRORQW«GHWUDQVIRUPHUOȇLQGL- gnation sociale et citoyenne en de nouvelles alternatives politiques. $LQVL VHORQ 6\OYLH .ROOHU OH QRXYHDX SDUWL Podemos « a emprunté au 0FHUWDLQHVUªJOHVGHIRQFWLRQQHPHQWFRPPHXQPRGHGȇDɚOLDWLRQ souple (sans cotisation exigée et des formes de cyberactivisme : délibé- rations et forums de participation sur l’internet ». Il s’inspire de même des propositions du mouvement sur la question du contrôle démocra- tique à travers « des primaires ouvertes pour désigner les candidats DX[«OHFWLRQVRX¢FHUWDLQHVIRQFWLRQV}mODSRVVLELOLW«GHU«YRTXHUOHV «OXV}HWmODOLPLWDWLRQ¢HXURVGHVLQGHPQLW«VSDUOHPHQWDLUHV} 0DLVFRPPHOȇDVRXOLJQ«0DWKLHX3HWLWKRPPHPodemos est certes mXQH I«G«UDWLRQ GȇDVVHPEO«HV ORFDOHV DXWRJ«U«HV GRQW OHV G«FLVLRQV VRQW VRXPLVHV ¢ OȇDSSUREDWLRQ GHV EDVHV} PDLV DXVVL mXQ SDUWL DX leadership très marqué ». La centralisation du parti autour d’un noyau

314 De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

GLULJHDQW LVVX GHV IRQGDWHXUV OH PDQTXH GH QRWRUL«W« GH QRPEUHX[ FDQGLGDWVTXLDG«ERXFK«VXUXQHFRPS«WLWLRQDVVH]LQ«JDOHHQWUHOHV différentes listes dans l’élection de son « conseil citoyen » et de son VHFU«WDLUHJ«Q«UDOVRQWDXWDQWGȇH[HPSOHVPRQWUDQWOHVOLPLWHVGXSUR- FHVVXVGHG«O«JDWLRQGHSRXYRLU‚FHMRXUOHIRQFWLRQQHPHQWLQWHUQH de Podemos illustre cependant une tentative de créer une organisation SDUWLVDQH VXU GHV EDVHV QRXYHOOHV DOOLDQW XQH FHQWUDOLVDWLRQ HW XQH autonomie du cercle dirigeant avec la décentralisation et l’autogestion GHVDVVHPEO«HVORFDOHV'ȇXQHFHUWDLQHPDQLªUHPodemos incarne une IRUPHGHmODERUDWRLUHSROLWLTXH}XQHH[S«ULHQFH¢PLFKHPLQHQWUHOD verticale du pouvoir des partis traditionnels hiérarchisés et la mise en œuvre de nouvelles pratiques de démocratie participative directement issues du mouvement des indignés. De par la nécessité d’adopter une stratégie politique claire pour FRQYDLQFUHOHV«OHFWHXUVHWSDUYHQLUDXVXFFªV«OHFWRUDOGHQRPEUHX[ événements de l’actualité incitent à penser que la centralisation des G«FLVLRQVGHVSULVHVGHSDUROHHWGHODVWUDW«JLHQDWLRQDOHGXSDUWLWHQG ¢VHUHQIRUFHU0DLVFHTXLHVWLPSRUWDQWHVWOHSURFHVVXVOXLP¬PHHW ce que feront les acteurs de cette organisation de cette expérience de mQRXYHOOHSROLWLTXH}‚FHW«JDUGOHV«OHFWLRQVU«JLRQDOHVDQGDORXVHV qui ont permis au parti d’obtenir quinze représentants au parlement U«JLRQDO RQW LOOXVWU« WDQW OȇDFFªV ¢ OD IRQFWLRQ SROLWLTXH GH QRXYHOOHV «OLWHVTXHODG«IHQVHGHOHXUQRXYHOOHDXWRQRPLHSROLWLTXHOHVFRQȵLWV HQWUH 7HUHVD 5RGULJXH] HXURG«SXW«H HW GLULJHDQWH GX JURXSH SDUOH- PHQWDLUH DQGDORX HW OD GLUHFWLRQ QDWLRQDOH VXU OD VWUDW«JLH ¢ DGRSWHU à l’égard du gouvernement régional du PSOE mettent ainsi à l’épreuve le principe d’autonomie des groupes locaux. L’élection de l’eurodéputé 3DEOR (FKHQLTXH DX SDUOHPHQW U«JLRQDO Gȇ$UDJRQ XQH SHUVRQQDOLW« DVVH] FULWLTXH GX PDQTXH GH G«O«JDWLRQ GH SRXYRLU GH OD GLUHFWLRQ laisse augurer de futures négociations internes entre les acteurs du SDUWLDȴQGHU«HOOHPHQWDSSOLTXHUOHVSUDWLTXHVG«PRFUDWLTXHVUHYHQ- diquées par Podemos6XUFHSRLQW.DULQH%HUJªVOȇDGHP¬PHVRXOLJQ« « à travers le grand nombre de féministes qu’il compte dans ses rangs » qui se regroupent dans le cercle Podemos)«PLQLVPHVGRQWXQHȴJXUH HPEO«PDWLTXHFRPPH%HDWUL]*LPHQROHQRXYHDXSDUWLVȇLPSRVHDLQVL comme un « laboratoire expérimental » de la mise en œuvre transver- VDOHGHOȇ«JDOLW«IHPPHVKRPPHV$XGHO¢GHVG«FODUDWLRQVGȇLQWHQWLRQ ce sera ainsi la pratique politique des acteurs locaux et nationaux de PodemosTXLSHUPHWWUDGHGLUHVLGHQRXYHOOHVSUDWLTXHVGHG«PRFUDWLH LQWHUQHSDUWLFLSDWLYHHWGȇ«JDOLW«VȇLPSRVHURQW

315 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

'ȇDXWUHV WHQGDQFHV U«FHQWHV FRQV«TXHQFHV GLUHFWHV GH OȇDFWLYLVPH HWGHOȇ«YROXWLRQGHVSU«I«UHQFHVGHVFLWR\HQVLQGLTXHQWGHV«YROXWLRQV ,O HQ YD DLQVL SRXU OH V\VWªPH GH OLVWHV RXYHUWHV FKRLVL SDU Podemos SRXUODG«VLJQDWLRQGHVHVFDQGLGDWVORFDX[OȇXWLOLVDWLRQGHYRWHV«OHF- WURQLTXHVRXHQFRUHODSXEOLFDWLRQGHVFRPSWHVGHFHSDUWLHWGHFHX[ d’UPyD sur internet. Une autre tendance intéressante est celle du choix GH SRVLWLRQQHPHQWV WUDQVYHUVDX[ DX PRLQV DX QLYHDX GX GLVFRXUV  mis en avant par Podemos et le parti Citoyens. Ces deux nouvelles IRUPDWLRQVTXLLQFDUQHQWODmQRXYHOOHSROLWLTXH}UHIXVHQWGȇXQHFHU- taine manière le clivage gauche-droite et tentent de se démarquer des «WLTXHWWHV mJDXFKH} HW mGURLWH} 3RXU EHDXFRXS GH JHQV FH FOLYDJH politique est perçu comme dépassé : un nombre croissant d’entre eux SO«ELVFLWH OH UHWRXU ¢ GHV SROLWLTXHV FRQFUªWHV VLPSOHV VRXWHQXHV GH ID©RQ DVVH] FRQVHQVXHOOHV HW DX[ HIIHWV LPP«GLDWV HQ IDYHXU GX SOXV grand nombre17. Les mouvements sociaux les plus emblématiques des années de crise ont directement contribué à ce changement de paradigme et à ce recentrage sur l’humain. Sylvie Koller a par exemple montré le soutien quasiment consensuel (proche de 90 %) de l’opinion publique espa- JQROHDX[SULQFLSDOHVUHYHQGLFDWLRQVGHVLQGLJQ«V¢VDYRLUmOHFDUDF- WªUHLPSUHVFULSWLEOHGHVG«OLWVGHFRUUXSWLRQOȇLQWHUGLFWLRQGHVOLFHQFLH- PHQWVFROOHFWLIVORUVTXȇXQHHQWUHSULVHU«DOLVHGHVE«Q«ȴFHVODUHVWLWX- tion de l’argent public prêté aux banques et aux caisses d’épargne en GLɚFXOW«HWODSRVVLELOLW«GHVROGHUXQSU¬WK\SRWK«FDLUHHQUHPHWWDQW VRQ ELHQ ¢ OȇRUJDQLVPH SU¬WHXU} 6HORQ 0DWKLHX 3HWLWKRPPH LO HVW possible de dire la même chose au sujet du soutien des Espagnols aux GHPDQGHVGHOD3$+LOVVRXWLHQQHQWWUªVODUJHPHQWVRQLG«H«YRTX«H SU«F«GHPPHQWGȇLQVWDXUHUXQHGRQDWLRQSRXUSDLHPHQWPDLVDXVVLVD GHPDQGHGȇXQPRUDWRLUHVXUOHVH[SXOVLRQVHWOHVLG«HVGHG«YHORSSHU le logement social et de mieux contrôler les pratiques abusives et frau- duleuses des banques.

šAWPKXGCWNQECNEGVVGVGPFCPEGCWFȌRCUUGOGPVFWENKXCIGICWEJGFTQKVGGVCWTGEGPVTCIG sur des « coalitions de projet » a par exemple débouché sur le soutien inédit d’Izquierda Unida au PP en EUVTȌOCFWTGGPVTGGV ȃVTCXGTUUQPCDUVGPVKQPRQWTHCEKNKVGTNGIQWXGTPGOGPV du PP avec une majorité simple), une entente qui semblait d’autant plus improbable vu la dis tance idéologique qui sépare les partis, et le caractère quasiment impossible d’une telle alliance au niveau national. Mais le PP régional, sans majorité absolue, devait absolument trouver un partenaire, et a su convaincre IU en faisant des concessions programmatiques concrètes OCKPVGPKTNŨKORȖVUWTNGUUWEEGUUKQPUPQVCOOGPVEQPVTCKTGOGPVȃNCRQUKVKQPFWPP national), qui donna à la majorité régionale un programme globalement de droite mais teinté de certaines mesures de gauche. Cf. « Rajoy autoriza a Monago a mantener el impuesto de sucesiones para atraer a IUz=JVVRYYYRWDNKEQGU?LWKPEQPUWNVȌNGCXTKN

316 De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

'DQV OD PHVXUH R» OHV MHXQHV OHV SOXV WRXFK«V SDU OD FULVH HW OH FK¶PDJH RQW «W« HQ SUHPLªUH OLJQH GHV PDQLIHVWDWLRQV HW GHV DFWLRQV FROOHFWLYHVOHmF\FOHSURWHVWDWDLUH}HQWDP«GHSXLVDG«ERXFK«VXU de fortes demandes en faveur d’un renouvellement idéologique mais aussi générationnel des organisations politiques18. Dans les mouvements SURWHVWDWDLUHV GHV FRQȵXHQFHV HQWUH J«Q«UDWLRQV RQW «W« REVHUY«HV SDU6\OYLH.ROOHU¢SURSRVGX0SDUPRLP¬PHDXVXMHWGXPRXYH- PHQWU«SXEOLFDLQRXHQFRUHSDU.DULQH%HUJªVGDQVOHFURLVHPHQWGH plusieurs générations de militantes féministes. L’activisme des jeunes dans le cadre de Juventud Sin Futuro Democracia Real Ya GX 0 GHVPRXYHPHQWV«WXGLDQWVGHVPRELOLVDWLRQVGHOD3$+RXGHVDFWLRQV collectives lors de l’abdication de Juan Carlos IerSHUPHWGHQXDQFHUOD thèse d’un déclin de l’engagement19. Les partis traditionnels connaissent XQG«FOLQGXPLOLWDQWLVPHPDLVXQHIRUPDWLRQFRPPHPodemos plaît DX[MHXQHVHW¢GHQRPEUHX[FLWR\HQVHWVXVFLWHXQHQJRXHPHQWPLOL- WDQW &HUWHV OH PLOLWDQWLVPH HVW DXMRXUGȇKXL SOXV GLIIXV PRLQV VWDEOH GDQVOHWHPSVSOXVU«DFWLIHWVSRQWDQ«HWLQWLPHPHQWOL«DX[QRXYHDX[ moyens de diffusion de l’information que constituent les réseaux sociaux. Militer aujourd’hui ne veut plus vraiment dire la même chose que du temps des partis de masse. Mais l’exemple espagnol montre que ORUVTXH OH MHX HQ YDXW OD SHLQH OHV FLWR\HQV VȇHQJDJHQW VH PRELOLVHQW dans des collectifs formés sur de nouvelles bases et font valoir leurs droits sociaux et politiques. ‚ FH MRXU KRUPLV OH 3DUWL SRSXODLUH DX SRXYRLU HW &L8 OȇHQVHPEOH des autres partis politiques ont renouvelé leurs dirigeants en faveur GHUHVSRQVDEOHVSOXVMHXQHV$OEHUWR*DU]´Q DQV DUHPSODF«&D\R Lara à la tête d’Izquierda Unida ; Pedro Sánchez (43 ans) a remporté la primaire socialiste de juillet 2014 ; Oriol Junqueras (46 ans) est devenu OHGLULJHDQWGȇ(5&HWFKHIGHOȇRSSRVLWLRQHQ&DWDORJQH3DEOR,JOHVLDV le nouveau leader de PodemosHVW¤J«GHDQVHW$OEHUW5LYHUDFHOXL GH&LWR\HQVGHDQV0¬PHVȇLOQȇH[LVWHSDVGHOLHQGLUHFWHQWUHOȇ¤JH HWOHVSROLWLTXHVSXEOLTXHVVRXWHQXHVSXLVTXHSDUH[HPSOHXQHIUDQJH importante de la jeunesse présente des attitudes tout à fait conserva- WULFHV SDUIRLV P¬PH SOXV TXH OHXUV SURSUHV SDUHQWV IRUFH HVW WRXWH- fois de constater que la crise a débouché sur un renouvellement sans SU«F«GHQWGHVGLULJHDQWVSROLWLTXHVQDWLRQDX[DXSURȴWGȇXQHQRXYHOOH

18. « LQULȕXGPGUEQPFGPCPCNQURCTVKFQUENȄUKEQUCWPHWVWTQRTGECTKQzEl País, 6 avril 2015. šJacques IƵƴ, LDILQGHVPLOLWDQWV̰", BGNNGEQODGCPBauges, Éditions de l’AVGNKGTšXQKTFG même Olivier FƯƲƲƯƫƺƲƫ, Le désengagement militant, Paris, Editions Belin, 2005.

317 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

génération de trentenaires et de quadragénaires. Il reste à savoir si ce PRXYHPHQWDXGHO¢GHVRQHIIHWFRVP«WLTXHVHSRXUVXLYUDDXQLYHDX local et dans les structures de base des partis. Mais les évolutions U«FHQWHVVHPEOHQWDOOHUGDQVOHERQVHQVFHOXLGHODYRORQW«GHFKDQJH- PHQWHWGHUHQRXYHOOHPHQWGHVFLWR\HQVHQIDLVDQWHQWUHUXQHQRXYHOOH J«Q«UDWLRQDYHFXQDXWUHY«FXHWSRWHQWLHOOHPHQWGȇDXWUHVPDQLªUHVGH voir les choses.

NOUVELLES ALTERNATIVES ET RECOMPOSITION DU PAYSAGE POLITIQUE

Un jeu électoral plus ouvert

(QȴQOHVPRXYHPHQWVVRFLDX[TXLVHVRQWG«YHORSS«VGHSXLV ont directement contribué à faire émerger de nouvelles alternatives électorales et déboucheront vraisemblablement sur une recomposition du paysage politique, notamment à travers un affaiblissement des partis dominants. Il est possible d’établir un parallèle entre « l’épuisement GHODIRUPXOHKLVWRULTXHGH}«YRTX«HSDU%HQR°W3HOOLVWUDQGLHW ODFULVHLQVWLWXWLRQQHOOHHWG«PRFUDWLTXHDFWXHOOH(QHIIHWODFRQVWLWX- tion de l’époque faisait du roi l’un des détenteurs de la souveraineté et avait mis en place un système bicaméral et bipartisan organisé autour GH GHX[ SDUWLV OȇXQ FRQVHUYDWHXU OȇDXWUH OLE«UDO WRXWHIRLV XQLV VXU OD IRUPH GH Oȇ‹WDW TXL DOWHUQDLHQW DX SRXYRLU VDQV Y«ULWDEOH DOWHUQDWLYH conduisant peu à peu à un « dérèglement du système des partis » qui se transforma en une sorte de « cartel politique » marqué par l’entente entre les deux partis oligarchiques20. Benoît Pellistrandi note d’ailleurs à propos du système politique du début du XXeVLªFOHTXHmOȇ«FDUW}«WDLW « décidément trop manifeste entre une élite enfermée dans ses codes et ses symboles et un pays qui ployait sous les épreuves et les revers ». De nombreux points communs peuvent être mis en avant avec cette

šLa notion de « parti de cartel » a été proposée en science politique par Peter Mair pour évoquer la tendance des partis dominants dans les démocraties occidentales à dépendre de plus en plus des ressources de l’ÉVCV PQVCOOGPVFWHKPCPEGOGPVRWDNKE GVȃȍVTGFGOQKPUGP OQKPUCPETȌUFCPUNCUQEKȌVȌ ȃVTCXGTUWPFȌENKPFWOKNKVCPVKUOG La survie des grands partis serait donc de plus en plus liée à leur capacité à sauvegarder leurs positions de pouvoir au sein du système institutionnel et à maintenir des règles en leur faveur, plutôt que directement liée à leurs soutiens dans la société, qui tendent à décliner. Pour une discussion de cette théorie, voir l’ouvrage de référence en français, Yohann AƺƩƧƴƹƫ et Alexandre Dʤƿƫ FKT Les systèmes de partis dans les démocraties occidentales. Le modèle du parti cartel en question, Paris, Presses de Sciences Po, 2008.

318 De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

période que les historiens ont appelée la « crise de la Restauration ». 'HSXLV  OD FULVH «FRQRPLTXH HW VRFLDOH D GXUHPHQW WRXFK« OHV (VSDJQROV/DFRQVWLWXWLRQGHODIRUPHGHOȇ‹WDWOHV\VWªPHSROL- tique et la légitimité des deux principaux partis ont été mis en cause. /HV «OLWHV HQIHUP«HV GDQV OHXUV FDOFXOV SROLWLFLHQV HW SHUVRQQHOV HW OHXUVYLHX[VFK«PDVQȇRQWSDVYXPRQWHUODG«ȴDQFHFLWR\HQQHHWOHXU volonté de changement. C’est ce contexte qui explique la sympathie retranscrite par les VRQGDJHV HW H[SULP«H GDQV OHV XUQHV ORUV GHV PXQLFLSDOHV GH  à l’égard des nouvelles formations Podemos et Citoyens (devenu le principal parti de l’opposition en Catalogne suite aux régionales du 27 septembre 2015). Mathieu Petithomme a bien illustré les raisons de la percée dans l’opinion du discours du nouveau parti de Pablo Iglesias depuis janvier 2014 : un retour aux fondamentaux des « marqueurs » GHODJDXFKH GURLWVGHVWUDYDLOOHXUVGURLWV¢Oȇ«GXFDWLRQ¢ODVDQW«DX ORJHPHQWHWF  XQ WUDYDLO VXU OH FRQWHQX SRXU SURSRVHU XQ mFRQWUH discours » opposé au discours conservateur et néolibéral dominant ; une mise en application des principes de la démocratie participative TXLV«GXLWOHVFLWR\HQVHWXQHXWLOLVDWLRQU«ȵ«FKLHGHVU«VHDX[VRFLDX[ HW GHV RXWLOV PRGHUQHV GH OD FRPPXQLFDWLRQ SROLWLTXH 'H P¬PH &LWR\HQVIRQG«OHer juin 2006 et qui se présente comme « le parti de la FLWR\HQQHW«}RIIUHXQSURȴO¢ODIRLVSURFKHGHODGURLWHVXUOHVTXHV- tions économiques (libéralisme et proximité au monde des affaires) PDLVSURFKHGHODJDXFKHVXUOHVYDOHXUV GURLW¢OȇDYRUWHPHQWPDULDJH homosexuel). Il est centriste sur le soutien au fédéralisme européen. Il SU¶QHOȇDXWRQRPLHU«JLRQDOHPDLVUHIXVHOHmQDWLRQDOLVPHREOLJDWRLUH} DGRSWDQWXQHSRVWXUHSOXVFRQVHUYDWULFHVXUODTXHVWLRQLGHQWLWDLUHHQ G«FDODJHDYHFODPDMRULW«GHV&DWDODQVPDLVHQSKDVHDYHFOȇ«OHFWRUDWGX parti conservateur dans le reste de l’Espagne. Initialement localisé en &DWDORJQH&LWR\HQVVȇDSSXLHG«VRUPDLVVXUXQU«VHDXGȇHQYLURQ PLOLWDQWVGHP¬PHTXHVXUG«SXW«VDXWRQRPLTXHVFRQVHLOOHUV municipaux et deux eurodéputés21. Comme Podemos&LWR\HQVFKHUFKH ¢G«SDVVHUOHFOLYDJHJDXFKHGURLWHHQDFFHSWDQWVHXOHPHQWOHTXDOLȴFD- tif de « libéral ». Il occupe l’espace politique du centre laissé vacant par OH33FDXVHOȇK«PRUUDJLHGȇ83\'HWGLVSXWH¢Podemos le monopole de la « nouvelle politique ». 3RXU 6\OYLH .ROOHU RQ DVVLVWH DLQVL DXMRXUGȇKXL ¢ mXQH WUDQVIRU- mation de l’indignation sociale en un nouveau capital politique ».

21. « Cidudadanos, un parti centrista y liberal », El Mundo, 12 juin 2014.

319 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

L’application de mesures d’austérité et de coupes budgétaires mas- VLYHVSDUOHVJRXYHUQHPHQWVVRFLDOLVWHHWFRQVHUYDWHXUVDQVY«ULWDEOHV réformes du système politique et institutionnel ni des pratiques des DFWHXUVSROLWLTXHVGRQQHOȇLPSUHVVLRQ¢GHQRPEUHX[(VSDJQROVTXHOH système ne peut pas être réformé de l’intérieur par les mêmes acteurs qu’hier. 74 % des citoyens considèrent en effet que les mesures du gouvernement conservateur ont engendré plus d’inégalités22. Ils sont ¢QHSDVFURLUHDXGLVFRXUVGHODmU«FXS«UDWLRQ«FRQRPLTXH}HW 63 % ne mettent pas l’amélioration récenteau crédit du gouvernement. ‚OȇKHXUH GX WULRPSKH GHV U«VHDX[ VRFLDX[ OHV FLWR\HQV PLHX[ LQIRU- P«VQHFURLHQWSOXVDX[DUWLȴFHVGHODFRPPXQLFDWLRQSROLWLTXH&ȇHVW cette perception qui explique la crise de légitimité des deux grands par- WLVOH33HWOH362(HWOHG«VLUGHYRLU«PHUJHUGHQRXYHOOHVIRUPDWLRQV HWGHQRXYHOOHV«OLWHV,OHVWWRXW¢IDLWVLJQLȴFDWLITXHGHVFLWR\HQV ne veulent plus que le PP ou le PSOE décident seuls du futur du pays grâce à des majorités absolues23. Cela témoigne d’une forte volonté de changement et du désir que l’émergence de nouveaux partis et de leur « capacité de chantage » et « potentiel de coalition » oblige les partis tra- ditionnels à évoluer24. Seuls 26 % des citoyens souhaitent une « grande FRDOLWLRQ} HQWUH OH 33 HW OH 362( LQGLFDWLRQ a contrario du soutien SRVVLEOH¢XQJRXYHUQHPHQWTXLVHUDLWVRLWGHJDXFKHRXGHGURLWHPDLV s’appuierait surtout sur une coalition entre plusieurs acteurs. De l’indignation citoyenne au changement politique

3RXU FRPSUHQGUH HW DQWLFLSHU Oȇ(VSDJQH GH GHPDLQ LO IDXW FHUWHV tenir compte du sentiment d’indignation de nombreux citoyens. Mais il est encore trop tôt pour savoir si les Espagnols plébisciteront un chan- JHPHQWUDGLFDOGXV\VWªPH¢WUDYHUVOȇDFFHVVLRQDXSRXYRLUDXQLYHDX U«JLRQDORXQDWLRQDOGHQRXYHDX[SDUWLVWHOVTXH&LWR\HQVRXPodemos. Il faut aussi tenir compte d’un certain conservatisme qui imprègne

šMême parmi les sympathisants du parti conservateur, 44 % pensent la même chose. Cf. « Clima político en EURCȓCzUQPFCIGMetroscopia pour El País, 10 avril 2015. 23. « PP y socialistas repuntan ligeramente aunque el 77 % quiere que dejen de ser predomi nantes », El País, 13 avril 2015. šDans son ouvrage classique sur les systèmes de partis, Giovanni Sartori évoque ces notions de « capacité de chantage » et de « potentiel de coalition » afin de caractériser le rôle important que peuvent jouer des organisations politiques certes mineures, mais qui dans un système fragmenté, ont un rôle central dans la formation des coalitions gouvernementales, ce qui leur permet d’exercer une influence, soit sur la stratégie et le programme des autres partis, soit sur les politiques publiques adoptées par un gouvernement. Cf. Giovanni SƧƷƹƵƷƯ, Partis et systèmes de partis. Un cadre d’analyse, Bruxelles, Éditions de l’université de Bruxelles, 2011 [1976].

320 De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

OD VRFL«W« WDQW GDQV OHV PLOLHX[ FDWKROLTXHV TXH SDUPL OHV FODVVHV PR\HQQHVTXLSRXUUDLWUHQGUHSOXVGLɚFLOHSRXUPodemos ou Citoyens le fait de devenir de vrai partis de gouvernement et pas seulement des partenaires minoritaires de coalition. Le refus de l’extrémisme et du radicalisme est désormais largement ancré dans une société espagnole SDFLȴTXHTXLGHPHXUHODUJHPHQWLQȵXHQF«HSDUOHVYDOHXUVG«PRFUD- WLTXHVLVVXHVGHODWUDQVLWLRQGXFRQVHQVXVHWGHODQ«JRFLDWLRQ6XUFH SRLQWFȇHVWGRQFSOXW¶WODFRQIURQWDWLRQSROLWLFLHQQHVW«ULOHHWOHVDIIURQ- tements partisans sur fond de stratégies électorales lors des alternances HQWUHOH33HWOH362(FHWWHmOXWWHSROLWLTXH¢OȇHVSDJQROH}«YRTX«HSDU (QULTXH*LO&DOYRTXLVHPEOHHQG«SKDVDJHDYHFOHG«VLUGHFRPSURPLV des Espagnols et le retour d’une « culture de la négociation25 ». Pour EHDXFRXSGHFLWR\HQVFHWWHYRORQW«GȇHQWHQWHGDQVXQEXWFRPPXQGH PRGHUQLVDWLRQSROLWLTXHHWVRFLDOHTXLSHUPLWOHVSULQFLSDOHVU«XVVLWHV GHODWUDQVLWLRQDSURJUHVVLYHPHQWGLVSDUXDXSURȴWGHVFRQVLG«UDWLRQV politiciennes. Les enquêtes sociologiques ont également bien montré que la VRFL«W«HVSDJQROHHVWGHP¬PHPRLQVFULWLTXH¢Oȇ«JDUGGHV«WUDQJHUV SOXV WRO«UDQWH RXYHUWH HW SURHXURS«HQQH TXH GH QRPEUHXVHV DXWUHV sociétés européennes26$XVVL«YLGHQWVRLWLOOȇXQGHVPHLOOHXUVLQGLFD- WHXUVGHPHXUHWRXWHIRLVTXHFRQWUDLUHPHQW¢OD*UªFHHW¢Oȇ,WDOLHSRXU Oȇ(XURSHGXVXGPDLVDXVVL¢OD)UDQFH¢OD%HOJLTXHDX[3D\V%DVDX 'DQHPDUNHW¢GȇDXWUHVSD\VHXURS«HQVODFULVHSRXUWDQWSOXVLPSRU- WDQWH HQ (VSDJQH TXȇDLOOHXUV QȇD SDV G«ERXFK« VXU Oȇ«PHUJHQFH GȇXQ SDUWLSRSXOLVWH[«QRSKREHHWDQWLHXURS«HQ&HWWHH[FHSWLRQHVSDJQROH P«ULWH UHVSHFW WDQW HOOH VH VLWXH ¢ FRQWUHFRXUDQW GX UHSOL LGHQWLWDLUH et du retour de valeurs réactionnaires qui touche la plupart des pays européens. 3RXUOȇHQVHPEOHGHFHVUDLVRQVOHVF«QDULROHSOXVSUREDEOHGDQVOHV années à venir ne semble donc pas celui d’un renversement complet GHOȇ«FKLTXLHUSROLWLTXHHWLQVWLWXWLRQQHO3OXW¶W¢OȇLPDJHGHV«OHFWLRQV U«JLRQDOHV DQGDORXVHV LO HVW SUREDEOH TXH Oȇ(VSDJQH FRQQDLVVH XQH forme de rééquilibrage politique à travers l’entrée de nouveaux acteurs comme Podemos &LWR\HQV PDLV DXVVL (5& TXL SRXUUDLW VȇLPSRVHU HQ &DWDORJQH HQWUD°QDQW XQ DIIDLEOLVVHPHQW GHV GHX[ SDUWLV GRPLQDQWV

šEnrique GƯƲ CƧƲƻƵ, La lucha política a la española. Tragicomedia de la crispación, Madrid, Taurus, 2007. šSur ce point, voir les nombreux travaux de Juan DƯƫƿNƯƩƵƲƧƸ, par exemple, « Opinión Pública y Políticas de Inmigración », dans Ricard ZƧǞƧƹƧBƧƷƷƫƷƵ FKT Políticas y Gobernabilidad de la Inmigración en España, Ariel, BCTEGNQPCR

321 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

33HW362( HWXQHFULVHRXXQHTXDVLGLVSDULWLRQGHFHUWDLQHVRSWLRQV 83\'Izquierda Unida ou encore le PSC en Catalogne). Le paysage poli- WLTXH¢OȇLPDJHGHODVRFL«W«GHYLHQGUDFHUWDLQHPHQWSOXVIUDJPHQW« DYHFXQHIRUPHGȇLQVWDELOLW«¢FRXUWWHUPHTXLREOLJHUD¢PR\HQWHUPH OHVDFWHXUV¢FRRS«UHU¢WURXYHUGHQRXYHOOHVDOOLDQFHVHW¢VȇDGDSWHU¢ ODQRXYHOOHGRQQH,OHVWGLɚFLOHGHSU«GLUHOHV«YROXWLRQVIXWXUHVWDQW HOOHVVHURQWG«SHQGDQWHVGHIDFWHXUVLQWHUQHV WDX[GHFK¶PDJHUHSULVH «FRQRPLTXHHWF  HW H[WHUQHV FRQWH[WH LQWHUQDWLRQDO SROLWLTXH PRQ«- WDLUHHXURS«HQQHWHUURULVPHHWF  La très forte volatilité électorale observée dans les intentions de YRWHTXL«YROXHQWFKDTXHPRLVGDQVXQVHQVRXGDQVXQDXWUHPRQWUH TXH mOH MHX HVW G«VRUPDLV SOXV RXYHUW} SRXU UHSUHQGUH OȇH[SUHVVLRQ du journaliste Ignacio Urquizu27. Face à la concurrence de PodemosOH 362(YDGHYRLUU«RULHQWHUVRQGLVFRXUVSOXV¢JDXFKH'HP¬PHIDFH ¢ Oȇ«PHUJHQFH GH &LWR\HQV DX SRVLWLRQQHPHQW SOXV OLE«UDO HW PRLQV WUDGLWLRQQDOLVWHVXUOHVTXHVWLRQVGHVRFL«W«OH33YDGHYRLUPRGHUQLVHU son discours et son image. L’ordre d’arrivée et la hiérarchisation des IRUFHV SROLWLTXHV SDU OHV «OHFWHXUV MRXHURQW XQ U¶OH FHQWUDO SXLVTXȇHQ Oȇ«WDW OH V\VWªPH «OHFWRUDO PDMRULWDLUH E«Q«ȴFLH DX SDUWL TXL UHFXHLOOH OHSOXVGHYRWHVHWGDQVXQHPRLQGUHPHVXUH¢ODVHFRQGHIRUPDWLRQ tout en pénalisant largement les organisations qui terminent troisième RXTXDWULªPH0DLVFHTXLHVWFODLUFȇHVWTXHOȇ(VSDJQHHVWDXMRXUGȇKXL m¢XQWRXUQDQW}&HUWHVSRXUOHVVFHSWLTXHVODS«ULRGHKLVWRULTXHTXL VȇRXYUHLQFDUQHSHXW¬WUHXQHSKDVHGȇLQFHUWLWXGHHWGȇLQVWDELOLW«PDLV les optimistes verront dans la redistribution possible des cartes le sym- bole même de changements démocratiques possibles. Comme le disait $QWRQLR0DFKDGROHFKHPLQVHIDLWHQPDUFKDQW

šIgnacio UƷƶƺƯƿƺ« UPGUEGPCTKQOȄUCDKGTVQzEl País, 11 avril 2015.

322 Liste des sigles employés

$*( Alternativa Galega de Esquerda (Alternative galicienne de gauche) AMI Associació de Municipis per la independència (Association des municipalités pour l’indépendance) ANC Assemblea Nacional Catalana (Assemblée nationale cata- lane) ANV Acción Nacionalista Vasca (Action nationaliste basque) AP Alianza Popular (Alliance populaire) %1* Bloque Nacionalista Gallego %1* CAA Comandos Autónomos Anticapitalistas (Commandos auto- nomes anticapitalistes) CC Coalición Canaria (Coalition Canaries) CCOO Comisiones Obreras (Commissions ouvrières) CDC Convergència Democrática de Catalunya (Convergence démocratique de Catalogne) CDS Centro Democrático y Social (Centre démocratique et social) CEDA Confederación española de las derechas autónomas (Confédération espagnole des droites autonomes) &*3- Consejo Superior del Poder Judicial (Conseil supérieur du pouvoir judiciaire) &*7 Confederación General del Trabajo (Confédération générale du Travail) &,* Confederación Intersindical Galega (Confédération inter- syndicale galicienne) CiU Convergència i Unió (Convergence et union) CNT Confederación Nacional del Trabajo (Confédération natio- nale du Travail) C’s Ciutadans de Catalunya (Citoyens de Catalogne)

323 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

CUP Candidatura d’Unitat Popular (Candidature d’unité popu- laire) EA Eusko Alkatasuna (Solidarité Basque) EE Euskadiko Ezkerra *DXFKHGX3D\V%DVTXH EH Euskal Herritarok (Pays Basque Populaire) EH Bildu Euskal Herria Bildu (Réunir le Pays basque) EIA Euskal Iraultzarako Alderdia (Parti pour la révolution Basque) ELA-STV Eusko Langileen Alkartasuna (Solidarité des travailleurs basques) EPK Euskadiko Partidu Komunista (Parti communiste du Pays Basque) EPPK Euskal Preso Politikoen Kolektiboa (Collectif des prison- niers et des prisonnières politiques basques) ERC Esquerra Republicana de Catalunya *DXFKH U«SXEOLFDLQH de Catalogne) ERE Expediente de Regulación de Empleo (Dossier de régulation de l’emploi) ESEI Euskadiko Sozialistak Elkartze Indarra 8QLȴFDWLRQ GHV socialistes du Pays Basque) ETA Euskadi Ta Askatasuna (Pays Basque et Liberté) ETAm ETA militar (ETA militaire) ETApm ETA político-militar (ETA político-militaire) EUPV Esquerra Unida del País Valencia *DXFKH 8QLH GX 3D\V valencien) *$/ Grupos Antiterroristas de Liberación *URXSHV Antiterroristes de Liberation) HASI Herriko Alderdi Sozializta Iraultzailea (Parti socialiste révo- lutionnaire du peuple) HB Herri Batasuna (Unité populaire) IA Izquierda Anticapitalista *DXFKHDQWLFDSLWDOLVWH ICV-EUiA Iniciativa per Catalunya-Esquerra Unida i Alternativa 8QLWLDWLYHSRXUOD&DWDORJQH*DXFKHXQLHHWDOWHUQDWLYH ILP Iniciativa Legislativa Popular (Initiative législative popu- laire)

324 Liste des sigles employés

IU Izquierda Unida *DXFKHXQLH KAS Koordinadora Abertzale Sozialista (Coordination patriote socialiste) LAB Langile Abertzaleen Batzordeak (Commissions d’ouvriers patriotes) /*%7 Lesbianas, Gais, Bisexuales y Transexuales /HVELHQQHV JD\VELVH[XHOVHWWUDQVJHQUHV MLNV Movimiento de Liberación Nacional Vasco (Mouvement de libération national basque) PAH Plataforma de Afectados por la Hipoteca (Plateforme des affectés par l’hypothèque) PCE Partido Comunista de España (Parti communiste d’Espagne) PCTV-EHAK Partido Comunista de las Tierras Vascas-Euskal Herrialdeetako Alderdi Komunista (Parti communiste des Terres Basques) PNV Partido Nacionalista Vasco (Partinationaliste basque) PP Partido Popular (Parti populaire) PSC Partit dels Socialistes de Catalunya (Parti des socialistes de Catalogne) PSE-EE Partido Socialista de Euskadi-Euskadiko Ezkerra (Parti VRFLDOLVWHGX3D\V%DVTXH*DXFKHGX3D\V%DVTXH PSOE Partido Socialista Obrero Español (Parti socialiste ouvrier espagnol) TSJ Tribunal Superior de Justicia (Tribunal supérieur de Justice) UCD Unión de Centro Democrático (Union du centre démocra- tique) 8*7 Unión General de los Trabajadores (Union générale des tra- vailleurs) UJM Unión de Juventudes Maoístas (Union des jeunesses maoïstes) UPyD Unidad, Progreso y Democracia 8QLW«SURJUªVHWG«PRFUD- tie)

325 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

Liste des tableaux, graphiques et schémas

*UDSKLTXH/ȇ«YROXWLRQGXFK¶PDJHHQ(VSDJQH  ... 51

*UDSKLTXH/ȇHPSORLHQ(VSDJQH ...... 58 *UDSKLTXH&K¶PDJHGHFRXUWHHWGHORQJXHGXU«HHQ(XURSH

  ...... 61 *UDSKLTXH/HFK¶PDJHGHORQJXHGXU«HHQ(VSDJQH

SDU¤JHHWSDUJHQUH   ...... 61 *UDSKLTXH  ,PSDFW GH OD FULVH VXU OH PDUFK« GX WUDYDLO

européen (base 2007) ...... 63

*UDSKLTXH/DU«IRUPHGXWUDYDLOGH ...... 66

7DEOHDX7DX[GHFK¶PDJHHQ(VSDJQHSDU¤JHHWSDUJHQUH

2006 et 2012 (%) ...... 52 Tableau 2.5. Immigration en Europe (% de population immigrée par rapport à la population totale) ...... 56 7DEOHDX)RUFHGHWUDYDLODFWLYLW«SRSXODWLRQDFWLYHRFFXS«H

et chômage en Espagne ...... 57

Schéma 2.3. Les facteurs de la croissance démographique ...... 54

Schéma 2.4. Population et offre de travail ...... 55

Schéma 2.11. Réforme du travail de 2012 ...... 52

326 Liste des photographies

Liste des photographies

3KRWRm/ȇKRPPHDYLRQ}VFXOSWXUHGH-XDQ5LSROO«V

aéroport de Castellón de la Plana ...... 13 Photo 1.2. Tract de convocation de la grève générale du 29 septembre 2010 ...... 33 3KRWR$FWLRQGXFROOHFWLI)OR[ m)ODPHQFRHW$FWLYLVPH} 

GHYDQWXQHEDQTXH%%9$6«YLOOH ...... 39 Photo 3.1. Caricature de la Ire5«SXEOLTXHUHYXHVDWLULTXH La FlacaPDUV ...... 78 Photo 3.2. Manifestation républicaine lors de l’abdication de er Juan Carlos I 3XHUWDGHO6RO0DGULGMXLQ ...... 93 3KRWR3DQFDUWHI«PLQLVWH0Puerta del Sol0DGULG mai 2011 ...... 121 Photo 4.2. Manifestation contre la loi de réforme de OȇDYRUWHPHQW0DGULGPDUV ...... 125 3KRWR0DQLIHVWDWLRQHQVRXWLHQDX[IHPPHVHVSDJQROHV er 3DULV février 2014 ...... 126 3KRWR0DQLIHVWDWLRQGX3&((3.FRQWUHODYLROHQFH

3RUWXJDOHWHMXLQ...... 171 Photo 6.2. Manifestation de dénonciation de la politique pénitentiaire (2011 ...... 181 3KRWR0DQLIHVWDWLRQHQIDYHXUGHVSULVRQQLHUVGHOȇ(7$

Saint-Sébastien (2015) ...... 188

3KRWR/D3XHUWDGHO6ROOHPDL ...... 197 Photo 10.1. La « Marche du changement » de Podemos0DGULG 31 janvier 2015...... 291

327

Table des matières

Les auteurs ...... 3 Avant-propos ...... 5 1. La crise démocratique espagnole et le renouveau de la contestation sociale ...... 9 De la récession économique à la crise sociale ...... 10 L’éclatement de la « bulle immobilière » ...... 10 Une dégradation sans précédent des conditions de vie ...... 15 'HODFULVH«FRQRPLTXH¢ODG«ͤDQFHSROLWLTXH ...... 17 La perception de l’échec du néolibéralisme et des politiques d’austérité .....17 L’impact de la corruption sur la crise de la représentation politique ...... 24 #WFGNȃFGUCHHCKTGUNGUNKOKVGUFWU[UVȋOGKPUVKVWVKQPPGNKUUWFGNC constitution de 1978 ...... 29 Le renouveau de la contestation dans l’Espagne contemporaine ...... 32 7PGOWNVKRNKEKVȌFGOCPKHGUVCVKQPUCPVKCWUVȌTKVȌ...... 32 L’émergence du mouvement des indignés ...... 36 Le développement de nouveaux répertoires d’action ...... 38 Comprendre la crise démocratique espagnole ...... 41

Première partie : De la crise économique au renouveau de la contestation sociale ...... 45 /HG«ͤGHODPRQW«HGXFK¶PDJHHWODU«IRUPHGXPDUFK«GXWUDYDLO. . . . . 47 Le problème du chômage en Espagne et ses explications ...... 49 Un enjeu ancien, revenu sur le devant de la scène depuis 2008 ...... 49 Offre et demande de travail ...... 53 L’hétérogénéité du marché du travail européen face à la crise ...... 59 Les points communs de l’Espagne avec le chômage en Europe ...... 59 Le chômage européen ...... 62 /DU«IRUPHGXPDUFK«GXWUDYDLOHQ(VSDJQHXQHSROLWLTXHHͦFDFHGH lutte contre le chômage ? ...... 64 Politique économique générale et réforme du travail ...... 64 Le contenu de la réforme du travail ...... 65 /DU«IRUPHGXWUDYDLOHWOHSUREOªPHGXFK¶PDJHREVHUYDWLRQVͤQDOHV .....69 3. Le renouveau du mouvement républicain : GHODQRVWDOJLH¢ODG«ͤDQFHFLWR\HQQH ...... 75 La mémoire historique républicaine en Espagne ...... 77 .C2TGOKȋTG4ȌRWDNKSWGšNŨKOCIGPȌICVKXGFGNCk4ȌRWDNKSWGFGz ....77 .C5GEQPFG4ȌRWDNKSWGšWPGKOCIGVTȋUENKXȌG ...... 80

329 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

Républicanisme et victimes de la guerre civile ...... 83 /HPRXYHPHQWU«SXEOLFDLQ¢ODFRQͥXHQFHGHVPRXYHPHQWVVRFLDX[ ...... 86 La « Troisième République », un concept rassembleur ...... 86 Les manifestations républicaines lors de l’abdication de Juan Carlos ...... 91 Républicanisme et indépendantisme ...... 95 La demande d’un référendum dans le contexte de la consultation catalane 95 #W2C[UDCUSWGšWPGPLGWOQDKNKUCVGWTRQWTNGUKPFȌRGPFCPVKUVGU ...... 98 Des mobilisations minoritaires en Galice, symbole d’un régionalisme conservateur ...... 99 5HQRXYHDXHWG«FOLQGXU«SXEOLFDQLVPHGDQVO̵(VSDJQHG̵DXMRXUG̵KXL .....100 /HVI«PLQLVPHVGDQVO̵(VSDJQHG̵DXMRXUG̵KXL ...... 103 « Nosotras, las mujeres}OHVG«EDWVDXWRXUGHODUHG«ͤQLWLRQGXmVXMHWGX féminisme » ...... 110 D’une vague à l’autre : l’émergence de nouveaux courants féministes ..... 114 « a.CTGXQNWEKȕPUGTȄHGOKPKUVCQPQUGTȄšЏ » : ...... 119 la « marée violette » au sein du Mouvement des indignés ...... 119 « En nuestros úteros, no se legisla » : ...... 123 la (re)mobilisation unitaire autour de la question de l’avortement ...... 123

Deuxième partie Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux ...... 133 5. Mouvements de contestation en Catalogne : manifestations et consultation(s) sur l’indépendance ...... 135 Repères historiques : le nationalisme catalan en perspective ...... 137 La constitution de 1978 et l’Espagne des autonomies ...... 139 Les statuts d’autonomie de 1979 et 2006 ...... 141 /DODQJXHFDWDODQHFRPPHV\PEROHG̵LGHQWLW«HWGHFRK«VLRQVRFLDOH .... 143 La place des contestations : la voix du peuple ...... 146 Le mouvement vers l’indépendance et la consultation du 9 novembre 2014 152 La Catalogne face au renouveau indépendantiste ...... 155 6. La « transition démocratique » du nationalisme basque radical : de la légitimation de la violence à l’indépendantisme démocratique ? ...... 159 La « résistance » au régime franquiste et la légitimité originelle du nationalisme radical (1958-1977) ...... 162 La résistance antifranquiste et le procès de Burgos ...... 162 La marche pour la liberté du Pays basque ...... 165 Le tournant de l’amnistie générale ...... 168 Violence politique et monopolisation de l’espace public (1978-1994) ...... 170 Légitimation de la violence politique et culte des « gudaris » ...... 170 De l’« Alternative KAS » au monopole de la rue ...... 172 .GFȌENKPFGNŨJȌIȌOQPKGOQDKNKUCVTKEG  ...... 176 .CTWRVWTGFGNCURKTCNGFWUKNGPEGšNŨȌOGTIGPEGFGGesto por la Paz ...... 177 De la fracture à la dissolution des mouvements antiviolence ...... 179

330 Table des matières

Institutionnalisation et « transition démocratique » du nationalisme basque radical (depuis 2011) ...... 181 7PGTWRVWTGCXGENGRCUUȌšƒPFGNCXKQNGPEGTGPQWXGCWFG NŨKPFȌRGPFCPVKUOGGVRCEKƒECVKQP ...... 182 Une transition inachevée ...... 186 7. Le mouvement des indignés : la création du 15-M et sa postérité ...... 191 Un anniversaire peut en cacher un autre ...... 193 La Toile et la Place ...... 195 Un campement, des campements ...... 196 Le socle intergénérationnel du mouvement des indignés ...... 198 %QOOGPVUŨQTICPKUGTš!1EEWRCVKQPUCUUGODNȌGUGVGZVGPUKQPFW mouvement ...... 199 L’importance de l’expérimentation sociale ...... 201 De l’insurrection morale aux propositions de changement ...... 203 Le dur désir de durer : que s’est-il passé depuis le 15 mai 2011 ?...... 206 .ŨCRRTQRTKCVKQPFGNŨGURCEGRWDNKEšCUUGODNȌGUOCPKHGUVCVKQPUOCTȌGU marches ...... 206 &KXGTUKƒECVKQPGVEQPXGTIGPEGFGUOCPKHGUVCVKQPU ...... 207 Occupations, obstructions ...... 208 Défense des libertés fondamentales ...... 209 Le rôle de Juventud Sin futuro ...... 210 .ŨCXGPKTRQNKVKSWGFW/ ...... 213 L’avènement du « municipalisme » ...... 214

Troisième partie : De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique ...... 217 8. Le droit au logement et la lutte contre les expulsions : la Plataforma de Afectados por la Hipoteca ...... 219 Crise du droit au logement et luttes collectives ...... 221 « Dernier toit avant liquidation » ...... 221 .CURKTCNGFGNCRCWRȌTKUCVKQPškFGNCRTȌECTKVȌȃNŨGZRWNUKQPKNPŨ[C qu’un pas » ...... 223 Un mouvement décentralisé et transversal ...... 225 Autonomie et coopération des collectifs locaux ...... 225 Un mouvement social citoyen ...... 227 Des revendications sociales concrètes ...... 229 Instaurer une donation pour paiement ...... 231 Militer pour un moratoire sur les expulsions ...... 231 Développer le logement social ...... 232 'HVVWUDW«JLHVG̵DFWLRQFROOHFWLYHGLYHUVLͤ«HV ...... 234 .WVVGTRCTNGFTQKVšLWFKEKCTKUCVKQPGVFȌDCVRWDNKE ...... 234 .WVVGTRCTNGPQODTGšOCPKHGUVCVKQPUQEEWRCVKQPUGVTȌUKUVCPEGU citoyennes...... 239 La lutte nécessaire et les victoires concrètes du collectif ...... 242

331 Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

9. La monarchie espagnole entre crises et restaurations (1808-2015) .... 247 La monarchie, un héritage fragilisé par l’histoire ...... 249 La monarchie et le pacte démocratique ...... 258 Une monarchie démocratique ...... 263 10. La crise de la représentation et l’ascension de Podemos : /̵«PDQFLSDWLRQFLWR\HQQHmDXFĕXU}GHO̵«FKLTXLHUSROLWLTXH" ...... 265 Austérité et corruption : toiles de fond de la crise de la représentation politique ...... 268 Le discrédit du « système PPSOE » ...... 268 Transformer l’indignation citoyenne en une nouvelle alternative politique . 271 La création rapide d’une organisation partisane moderne ...... 274 Izquierda Anticapitalista et le tissu militant de Lavapiés ...... 274 Des assemblées citoyennes au parti politique ...... 277 Une révolution « technopolitique » ...... 281 Renouvellement idéologique et stratégies politiques ...... 284 Un leader médiatique ...... 284 Un discours transversal s’adressant à tous ...... 286 Une stratégie électorale de conquête du pouvoir ...... 289 ODͤQGXELSDUWLVPHLPSDUIDLW" ...... 293 11. Un tournant historique en Espagne ? Nouvelles alternatives et UHQRXYHDXGHO̵HQJDJHPHQWFLWR\HQ ...... 299 Une crise aux origines et aux effets multiples ...... 300 7PkOKTQKTITQUUKUUCPVzFGUFȌTKXGURQNKVKEQƒPCPEKȋTGU ...... 300 Une crise de légitimité des institutions ...... 303 La contribution des mouvements sociaux au changement ...... 305 7PGFKXGTUKƒECVKQPFGUHQTOGUFGEQPVGUVCVKQP ...... 305 La politisation de nouveaux enjeux ...... 310 Activisme citoyen et nouvelles pratiques ...... 313 1RXYHOOHVDOWHUQDWLYHVHWUHFRPSRVLWLRQGXSD\VDJHSROLWLTXH ...... 318 Un jeu électoral plus ouvert ...... 318 De l’indignation citoyenne au changement politique ...... 320 /LVWHGHVVLJOHVHPSOR\«V ...... 323 Liste des tableaux, graphiques et schémas ...... 326 Liste des photographies ...... 327

332

Déjà parus aux éditions DEMOPOLIS

Brossat, Alain .KDOGL(GG\ Abécédaire Foucault ABC de la Laïcité Boltanski, Luc .KDOGL(GG\̰)LWRXVVL0XULHO Rendre la réalité inacceptable Main basse sur l’École publique Bourdieu, Pierre – Boltanski, Luc La République contre son école La Production de l’idéologie Kalfon, Pierre dominante Chroniques chiliennes Césaire, Aimé – Malcolm X Kamata, Satoshi, Black revolution 6Q[QVCšNŨWUKPGFWFȌUGURQKT Clover, Charles Mamdani, Mahmoud Surpêche La CIA et la fabrique Da Lage, Olivier (sous la dir. de) du terrorisme islamique 3CVCTšNGUPQWXGCWZOCȑVTGUFWLGW Labat, Séverine Denord, François .GUKUNCOKUVGUVWPKUKGPUŤGPVTG Néo-libéralisme, version française l’État et la mosquée Duclert, Vincent Latour, Bruno — Lippman, Walter Occupy Gezi Le public fantôme Durpaire, François – Lénine Richomme, Olivier Petit manuel pour rompre avec le L’Amérique de Barack Obama capitalisme Obama face à la crise 1914, repenser le nationalisme et la guerre *DXODUG0\OªQH -CTN/CZȃ2ȌMKPŤ.GUTCEKPGUFGNC Marx, Karl crise en Chine capitaliste 3WŨGUVEGSWGNGECRKVCNKUOGš! Les Crises du capitalisme Garo, Isabelle .G%CRKVCNƒPCPEKGT (QWECWNV&GNGW\G#NVJWUUGTGV/CTZ Mordillat, Gérard – Hobsbawm, Éric Prieur, Jérôme /CTZGVNŨJKUVQKTG &GNCETWEKƒZKQPEQPUKFȌTȌG Hroub, Khaled comme un accident du travail Le Hamas Nsar, Vali Jaurès, Jean Le renouveau chiite Le socialisme et la Révolution Pivert, Marceau française L’Église et l’École Jennar, Raoul Marc Khieu Samphan Prochasson, Christophe & les Khmers rouges .Ũ'ORKTGFGUȌOQVKQPUš les historiens dans la mêlée Collection « QUAERO » Rebérioux, Madeleine Vive la République &DVVLQ%DUEDUDHW:RVQ\'DQLªOH Rodinson, Maxime (dir.) Islam et capitalisme Les intraduisibles du patrimoine en Afrique subsaharienne Sassen, Saskia Critique de l’État Dawod, Hosham (dir.) La constante « Tribu », variations Saurin, Patrick arabo-musulmanes .GURTȍVUVQZKSWGUšWPGCHHCKTGFŨÉtat Shah, Sonia Ehrenfreund, Christian et Schreiber, %QDC[GUJWOCKPUšNGITCPFUGETGV Jean-Philippe (dir.) des essais pharmaceutiques Les marranismes. De la religiosité cachée à la société ouverte Uchitelle, Louis Le salarié jetable Emmanuel Ethis, Le cinéma près de la vie. Prises de Wallerstein, Immanuel vue sociologique sur le spectateur .Ũ7PKXGTUCNKUOGGWTQRȌGPš du ƖƖƯe siècle de la colonisation au droit d’ingérence Fontaine, Alexandre #WZJGWTGUUWKUUGUFGNŨȌEQNGTȌRW- Wilkinson, Richard blicaine L’égalité, c’est la santé Ghasarian, Christian 4CRCǶNGFWDQWVFWOQPFGȑNGFCPU le monde +RDL-XRQJ$XEHUW1JX\HQHW Michel Magne (dir.) Le Vietnam, une histoire de transferts culturels Niveleau, Charles-Édouard (dir.) 8GTUWPGRJKNQUQRJKGUEKGPVKƒSWGŤ.G programme de Brentano Émilie Oléron Evans, Nikolaus Pevsner, arpenteur des arts Rabault-Feuerhahn, Pascale (dir.) 6JȌQTKGKPVGTEQPVKPGPVCNGUŤ Voyages du comparatisme postcolonial Achevé d’imprimer en France en 2015 dans les ateliers de Dupli-print à Domont (95) N° d’impression : Dépôt légal : janvier 2016 CONTESTER EN ESPAGNE. CRISE DÉMOCRATIQUE ET MOUVEMENTS SOCIAUX tiques telles que Podemos Citoyens. telles tiques et à l’émergence poli- denouvelles alternatives citoyenne del’indignation tique espagnole, poli- et del’actualitéde l’intérieur sociale analyses des offrent spécialistes tiques. Neuf cri- renouveau pratiques des artistiques mobilisations féministes et républicaines, budgétaires l’éducation dans et la santé, coupes les » citoyennes contre marées « rité, tances syndicales contre les plans d’austé- en2011, à Madrid mobilisés résis- indignés mouvement des expulsions, les contre luttes l’essoret denouveaux mouvements sociaux : lerenouveau par marquée delacontestation troublée aaussi été période quemontre cette livre ce quera Mais génération. toute une mar- 2008 depuis politique enclenchée et d’aujourd’hui. sociale économique, crise La letableau del’Espagne dans manquent pas vateur, éléments « les dramatiques bipartisme et conser- socialiste et» ne des partis du crise enCatalogne, l’indépendantisme de jusqu’à royale, radicalisation lafamille touchant decorruption affaires des plication renouveau multi- del’émigration jeunes, des 25 les chômage avoisinant et %, drastiques d’austérité plans immobilière, de labulle après l’éclatement populaires classes les payée par fort auViolence delacrise prix SN: 978-2-35457-090-3ISBN : OI 7235630 SODIS : gnole www.demopolis.fr 32 Illustration ©AP dez García, doctorante àl’université doctorante dez García, L’ouvrage Fernán- Alicia par dirigé aété à l’IUT de Besançon et chercheur au chercheur et deBesançon à l’IUT politique enscience de conférences Vallée maître Petithomme, Mathieu ; et Nanterre et ATER en civilisation CRJFC € à l’université Paris Est Marne La La Marne àl’université Est Paris de l’université de Besançon. de l’université de espa-

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