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Ciné-Bulles

Balade cool de Stéphane Defoy

Volume 23, Number 4, Fall 2005

URI: https://id.erudit.org/iderudit/33227ac

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Publisher(s) Association des cinémas parallèles du Québec

ISSN 0820-8921 (print) 1923-3221 (digital)

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Cite this review Defoy, S. (2005). Review of [Balade cool / Broken Flowers de Jim Jarmusch]. Ciné-Bulles, 23(4), 56–57.

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rendant l'entreprise hyper cool et tout à Coppola, rôle qui a donné un second souf­ Broken Flowers fait séduisante. L'attention particulière qu'il fle à sa carrière. Si Murray joue l'indiffé­ de Jim Jarmusch porte au choix de la musique pour chacun rence et la lassitude avec justesse, c'est • de ses films n'est pas étrangère à la douce tout de même Jeffrey Wright qui vole (pres­ satisfaction que procurent ses propositions que) la vedette dans le rôle de Winston, un Balade cool cinématographiques. Dans Down By Law, sympathique mécanicien mordu d'Internet. John Lurie (un des comédiens du film) STÉPHANE DEFOY offrait une languissante trame jazzy. Pour Donc, Don se la coule douce dans une , Neil Young balançait quelques maison trop grande pour lui où ses acti­ accords de guitare qui résonnaient long­ vités se résument à regarder la télé, dormir im Jarmusch possède cette grande temps dans nos têtes. De son côté, Ghost sur le sofa et répondre aux rares appels qualité de ne jamais décevoir d'un Dog misait sur une musique hip-hop en téléphoniques qu'il reçoit. Une lettre con­ J film à l'autre. Stranger than Para­ harmonie parfaite avec le personnage prin­ cise, sans signature, cachetée dans une enve­ dise, Down by Law, Night on Earth, cipal. Pour son plus récent film, Broken loppe rose viendra modifier le cours de Dead Man, Ghost Dog : chacune de ses Flowers, le réalisateur américain opte cette son existence, l'obligeant en quelque sorte œuvres parvient à nous accrocher à diffé­ fois pour des extraits musicaux d'un à partir à la recherche de la vérité sur les rents niveaux tout en faisant appel à notre artiste éthiopien, Mulatu Astatke, qui nous routes d'une Amérique désenchantée où intelligence. Dans ses films, l'intrigue n'est transportent d'un lieu à l'autre sans heurts vivote chacune des flammes de sa jeunesse jamais inutilement complexe et l'ensem­ et avec déférence. dans un environnement différent. ble baigne dans une atmosphère paisible où les relations humaines s'éloignent de la Il est vrai que rien n'est précipité dans ce Broken Flowers s'avère moins un road confrontation, où la présence des silences film qui coule comme l'eau d'un ruisseau : à movie conventionnel qu'un film à sket­ témoigne d'une ouverture à la parole de commencer par la vie peinarde et ennuyante ches, genre dont Jarmusch est passé maître l'autre. que mène Don Johnston interprété de façon (il suffit de revoir Night on Earth et Coffee magistrale par un Bill Murray qui reprend and Cigarettes pour s'en convaincre). Cha­ En fait, l'œuvre du réalisateur à l'éternelle un personnage similaire à celui qu'il incar­ que rencontre avec une ancienne maîtresse chevelure platine possède ce je-ne-sais-quoi nait dans Lost in Translation de Sofia représente un segment du film et pour

Broken Flowers

56 . VOLUME 23 NUMÉRO 4 CINE3Z/LZ.ES The Edukators chacun des adieux le même souhait refait meilleur film traitant d'un thème décidé­ surface : l'empressement de faire connais­ ment très en vogue : la paternité. Là où, The Edukators sance avec la suivante. Le dernier opus de par exemple, un Ricardo Trogi ne cesse de Hans Weingartner Jarmusch se savoure comme un repas exquis d'en remettre dans le surestimé et peu subtil en bonne compagnie, si bien qu'on aime­ Horloge biologique, Jarmusch, lui, s'em­ rait prolonger la soirée indéfiniment. ploie à retirer le superflu dans chacune Sur les traces des scènes et propose ainsi un récit lim­ Broken Flowers ne renferme aucune pide qui oscille entre humour raffiné et de l'engagement prouesse technique, le réalisateur ayant mélancolie. En l'occurrence, son bouquet choisi de se concentrer sur l'essentiel : la de fleurs brisées est comme ce petit cadeau STÉPHANE DEFOY mise en scène de ces rencontres impro­ discret qu'il fait toujours bon recevoir. • bables et passagères. Univers dépouillé, e réalisateur allemand Hans Wein­ cadrages fixes, plans frontaux, dialogues gartner ne s'en cache pas, il s'est Broken Flowers réduits au minimum mettant en valeur des L inspiré du militantisme qu'il a lui- répliques qui s'avèrent de véritables petits 35 mm / coul. /105 min / 2005 / fict. / États-Unis même pratiqué dans la vingtaine pour écrire bijoux d'humour aigre-doux, Jarmusch The Edukators. À l'image du scénariste- déploie ses nombreux talents avec intelli­ Réal. et scén. : Jim Jarmusch réalisateur, les trois protagonistes du film gence et délicatesse. Il a compris depuis Image : sont de jeunes contestataires qui s'insur­ Mus. : Mulatu Astatke longtemps que dosage et modération sont Mont. : Jay Rabinowitz gent contre l'ordre établi tout en n'adhé­ des atouts rehaussant son travail de réali­ Prod. : Focus Features rant à aucun mouvement politique. Ils sont sation. Par conséquent, le cinéaste rem­ Dist. : Vivafilm beaux, vigoureux, et surtout, idéalistes : la porte, bien avant ses rivaux, la palme du Int. : Bill Murray, Jeffrey Wright, Sharon Stone, Jessica Lange, Tilda Swinton, Frances Conroy jeunesse allemande en pleine ebullition qui

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fait sa petite révolution. Jan, Jule et Peter sociale) et les coups d'épée dans l'eau (la Head On préfèrent combattre le système à leur façon confrontation des idées, la finale tirée par en créant leur propre cellule et en posant les cheveux). Toutefois, le sentiment de de Fatih Akin des actes (pénétrer dans des résidences révolte et le désir d'éveiller les cons­ cossues et virer tout à l'envers) afin d'avi­ ciences qui englobent l'ensemble de la ser les mieux nantis que « le temps des démarche conserve sa pertinence grâce au Leçon de mort vaches grasses est terminé ». Combattre le brio des trois jeunes comédiens. En plus système économique par des gestes flam­ d'insuffler une énergie contagieuse au film, ÉLISE DION boyants, et éduquer (d'où le titre du film) Stipe Erceg, Julia Jentsch et Daniel Briihl les privilégiés pour qu'ils cessent de s'enri­ (le seul qui soit connu, au Québec, grâce à e regard pénétrant de Cahit (Birol chir sur le dos des plus pauvres. sa prestation dans Good Bye, Lenin!) sont Unel). Sa gueule de dur à cuire, criants de vérité. Les trois acteurs endos­ son goût pour l'alcool et les lon­ The Edukators se divise en deux parties L sent avec un plaisir apparent les idéaux gues nuits d'excès. Le sourire candide de distinctes. Exception faite de la mise en con­ véhiculés par le réalisateur en ajoutant Sibel (Sibel Giiner). Ses fesses bombées, texte des personnages, la première moitié une touche personnelle à leur personnage, son nez cassé, sa manière de danser. du film, agitée, s'attarde aux actes de résis­ faisant en sorte que chacun assume son Histoire d'amour il y aura entre ces deux tance du trio subversif. La caméra est engagement social d'une manière parti­ écorchés du cœur, mais Head On n'est pas alerte — c'est filmé à la manière du célè­ culière. De plus, le choix de tourner le que cela. Si l'on a tôt fait d'être surpris, bre Dogme de Lars von Trier et Thomas film entièrement caméra à l'épaule avec puis séduit par cette coproduction turco- Vinterberg — et il y a plusieurs coupes au les éclairages naturels s'avère une déci­ allemande, c'est d'abord et avant tout parce montage qui offrent un rythme haletant et sion judicieuse qui confère un réalisme qu'il y est question d'apprendre à vivre en font monter la pression. On se promène social à l'ensemble du projet. narguant chaque jour la mort et qu'un tel d'une scène à l'autre, coincés comme les sujet exigeait son lot de scènes-chocs, ainsi protagonistes entre notre désir de trans­ que la démesure et le rythme insufflés par gresser les règles et notre obligation de se De par son sujet, The Edukators rappelle Fatih Akin. À grandes gorgées de bière et conformer aux exigences sociales. À mi- les partis pris du cinéaste Costa-Gavras de musique à tue-tête, le cinéaste nous pro­ parcours, Weingartner gagne son pari de (Z, Amen), sans toutefois égaler sa matu­ pose un film dont l'intensité n'a d'égale rendre le spectateur partie prenante des rité et sa finesse lorsqu'il est temps d'expo­ que l'ennui provoqué habituellement par combines de ces jeunes à la révolte gri­ ser les multiples enjeux politiques décou­ ce genre de production. sante. lant du thème traité et de cerner les motifs qui poussent ses protagonistes à agir sur Dès leur première rencontre, Sibel demande À la suite d'un coup foireux, les trois amis leur destin par le biais de l'activisme. à Cahit de l'épouser. À leur deuxième, Néanmoins, il faut féliciter le jeune réali­ se verront obligés de prendre en otage un Cahit lui file un truc pour ne pas rater sa sateur allemand pour avoir mis en image richissime homme d'affaires. Dorénavant, prochaine tentative de suicide. Il faut le récit s'articule autour de la confron­ les préoccupations altermondialistes. Une couper le long des veines et non pas au tation entre trois jeunes paumés contesta­ démarche légitime encore trop rare dans poignet. Alors qu'ils ont un troisième taires et un bourgeois gentilhomme qui, le domaine de la fiction cinématographi­ rendez-vous dans un bar bondé, elle réi­ naguère, pataugeait lui aussi dans le mili­ que. • tère sa demande en mariage et, lui, l'en­ tantisme de gauche; un businessman qui gueule. Elle brise une bouteille de bière, endosse aujourd'hui ce qu'il dénonçait The Edukators s'ouvre les veines avec le verre cassé, dans autrefois. C'est à ce moment que commence le bon sens cette fois. Maculés de sang, la seconde partie du film, confinée essen­ 35 mm / coul. /126 min / 2004 / fict. / les futurs époux rentrent à l'hôpital psy­ tiellement dans une modeste bicoque Allemagne-Autriche chiatrique où ils ont chacun été recueillis isolée au fond des bois. Le décor est apai­ après avoir tenté de se suicider. Cette intro­ sant, la vitesse de croisière s'est passa­ Réal. : Hans Weingartner Scén. : Hans Weingartner et Katharina Held duction frappe de plein fouet et le sang blement ralentie, les dialogues font suite à Image : Matthias Schellenberg et Daniela Knapp qui coule à flots participe d'une rhéto­ l'action du début et les intrigues amoureu­ Mus. : Andreas Wodraschke rique où se côtoient sans cesse la douleur ses peu captivantes trouvent leur finalité. Mont. : Dirk Oefelshoven et le plaisir, la mort et la vie. À défaut de Prod. : Y3 Film et Coop 99 Production Dist. : Vivafilm savoir comment vivre, l'un après la perte À vrai dire, The Edukators alterne entre Int. : Daniel Brûhl, Stipe Erceg, Julia Jentsch, d'un être cher, l'autre dans une famille l'efficacité (l'aspect thriller, la critique Burghart Klaussner

58. VOLUME 23 NUMÉRO 4 CINF3ULZ.ES musulmane extrêmement stricte, ces deux table puisque c'est ici le parcours des pro­ près des personnages et de l'histoire racon­ immigrés allemands chercheront leur liberté tagonistes qui compte davantage que leur tée, s'inscrivant par là davantage du côté d'abord dans la mort, puis dans le sexe et destination. des drames sociaux, le cinéaste a aussi le la drogue, et enfin, dans l'amour. Liberté souci d'une mise en scène qui présente, qui se dérobe à eux au détour de nom­ Head On est aussi, et peut-être avant tout, sinon une bonne dose d'inventivité for­ breux obstacles et qu'ils ne vont acquérir un fort beau spectacle dans lequel musi­ melle, du moins une façon singulière et qu'à certains moments. Au terme d'un long que et mise en scène ont tôt fait de nous originale de montrer le mal de vivre, la parcours où suicide, bagarre mortelle, inter­ impressionner. Les premières images mon­ douleur d'aimer et les côtés obscurs de nement, viol et voyage les auront obligés trent un groupe de musique traditionnelle l'Homme. • à renaître chaque fois de leurs cendres, ils turque, filmé de manière frontale, enta­ trouveront enfin la sérénité, du moins pour mant une pièce qui viendra ponctuer les Head On quelques instants. épisodes du drame et offrir un contrepoint intéressant à l'histoire éclatée de ces deux 35 mm / coul. /121 min / 2004 / fict. / Allemagne-Turquie La logique instaurée par Akin est somme germano-turcs qui ne cessent de se débat­ toute assez simple : on doit mourir pour tre avec leurs origines et leurs émotions Réal. et scén. : Fatih Akin renaître, renaître pour mourir, et ainsi de tourmentées. Enrichissant le drame qui se Image : Rainer Klausmann Mont. : Andrew Bird suite, jusqu'à ce qu'on trouve une stabilité joue tout en permettant un certain recul Prod. : Stefan Shubert et Ralph Schwingel et un bonheur paisible. Et il importe peu sur les événements, ces intermèdes musi­ Dist. : Vivafilm que le spectateur soit d'accord ou non caux illustrent à quel point Akin n'a rien Int. : Birol Ùnel, Sibel Kekilli, Catrin Strlebeck, Guven Kirac, Meltem Cumbul, Zarah McKenzie, avec cette leçon de morale certes discu­ laissé au hasard. À la fois extrêmement Stefan Gebelhoff

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SM e and You and Everyone We Know de Miranda July

La vie en rose

ÉLISE DION

scillant entre la comédie sur les revers du destin et le conte rose O bonbon, Me and You and Eve­ ryone We Know raconte le quotidien d'une poignée de gens esseulés vivant dans le même voisinage et entretenant des liens ambigus et irréguliers. Excellente dans la peau d'une femme quelque peu névrosée nommée Christine, la réalisatrice Miranda July incame une jeune artiste qui, toujours sur le point d'éclater de rire ou de fondre en larmes, partage son temps entre ses Me and You and Everyone We Know projets artistiques et son travail comme chauffeuse de taxi pour personnes âgées. libre que dans la rencontre fortuite et apai­ Christine qui amalgame vêtements démo­ C'est par le biais de ce métier qu'elle ren­ sante d'autrui, encore que celle-ci se fasse dés et accessoires hétéroclites et, d'autre contrera Richard, vendeur de chaussures rare. part, dans l'utilisation récurrente de la cou­ récemment séparé qui a du mal à gérer leur rose. cette soudaine solitude ainsi que sa rela­ Miranda July, à l'instar du personnage tion déstabilisante avec ses deux garçons. qu'elle interprète, s'intéresse à ce qui est Un rose kitsch donc, celui du fané et du révolu, car elle pose un regard magnifiant, flétri, celui de tout ce qui se décolore et Autant du point de vue esthétique que dra­ et certainement nostalgique, sur l'univers s'efface avec le temps, mais qui demeure matique, le passé s'inscrit au cœur du film. de l'enfance, qui n'est ici que fraîcheur, naï­ néanmoins indélébile. Un rose qui s'avère D'emblée, il s'avère la source principale veté et éclats de rire. Dépourvus de toute aussi et enfin celui d'un happy end à la de souffrance chez les personnages adul­ intention malsaine, les enfants qu'elle met sauce hollywoodienne, avec ses blessures tes. La mélancolie, la tristesse et la solitude en scène restent beaux et amusants même cicatrisées, son idylle qui s'amorce et sa sont ici reliées à une antériorité quelconque, lorsqu'ils jouent dans la cour des grands, bouffée d'espoir. Sans prétention aucune, à un jadis dont on a du mal à se détacher. qu'il s'agisse de pratiquer l'art de la fella­ le ton léger de Me and You and Everyone Omniprésent, le passé opère son charme tion ou de collectionner les électroména­ We Know ne tombe toutefois pas dans sur Richard, tentant d'aller de l'avant et gers en vue d'un mariage encore lointain. l'insipidité et la mièvrerie de ce qui aurait d'oublier sa défunte vie de couple. Même facilement pu devenir une autre histoire à chose pour Christine qui, en les commen­ Cette idéalisation de l'enfance participe l'eau de rose. • tant en voix off dans le cadre d'un projet d'une fascination pour le passé qui trans­ artistique, s'intéresse aux photographies pire dans la plupart des choix esthétiques Me and You and Everyone We Know comme autant de vestiges d'un passé qui de la réalisatrice et qui dépasse largement lui est étranger et qu'elle s'approprie. Elle la nostalgie de l'adulte envers son inno­ 35 mm / coul. / 91 min / 2005 / fict. / États-Unis se réfugie dans le passé d'autrui pour ou­ cence perdue. De fait, une certaine sensibi­ blier la vacuité de sa vie présente, de la lité kitsch apparaît d'abord dans la trame Réal. et scén. : Miranda July même façon qu'elle s'attache aux person­ sonore qui passe de ballades pop plutôt Image : Chuy Chavez Mus. : Michael Andrews nes âgées et à leurs multiples souvenirs. légères à des pièces électroniques plus Mont. : Andrew Dickler et Charles Ireland Entre la candeur de l'enfance et la sérénité élaborées. Aussi, les décors et les cos­ Prod. : Gina Kwon de la vieillesse, l'adulte de Me and You tumes indiquent un goût pour le baroque Dist. : Vivafilm Int. : John Hawkes, Miranda July, and Everyone We Know ne trouve l'équi- qui apparaît, d'une part, dans les tenues de Miles Thompson, Brandon Ratcliff

60 . VOLUME 23 NUMÉRO 4 CWE3ULLES Bien que le premier tiers du film s'étire en la caméra répond aux situations stagnan­ Whisky raison d'une série de scènes répétitives illus­ tes sur lesquelles repose le film. Le ton de Juan Pablo Rebella et Pablo Stoll trant le train-train assommant de Jacobo, absurde et le burlesque mélancolique qui le patron taciturne, et de Marta, l'employée se dégagent de Whisky ne sont pas sans soumise, Whisky prend littéralement son rappeler le cinéma d'Aki Kaurismàki Gorgées envol avec l'arrivée du dynamique Her­ (L'Homme sans passé). Comme dans les man. L'approche de Rebella et Stoll repose films du sympathique Finlandais, les pres­ de mélancolie sur une sobriété formelle qui s'articule, tations musicales au goût douteux trou­ entre autres, autour de multiples plans d'in­ vent leur place dans la mise en scène. Ainsi, STÉPHANE DEFOY sertion des objets qui entourent les prota­ le passage où Herman monte sur scène gonistes, venant ainsi renforcer les parti­ pour interpréter une chanson d'amour évo­ hisky : équivalence en espagnol cularités de chacun. De plus, les cinéastes que les mythiques Leningrad Cowboys de du fameux cheese utilisé par le ont réalisé un coup de maître en campant Kaurismàki. Là ne s'arrête pas les compa­ W photographe pour immortali­ la seconde partie du récit dans un hôtel raisons : comme dans les œuvres du cinéaste ser les sourires postiches. Whisky : c'est archaïque où l'aménagement des espaces finlandais, les dialogues sont réduits au d'une bonne rasade qu'aurait besoin le per­ semble tout droit sorti du début des années strict minimum et les situations sont sou­ sonnage principal du film, Jacobo (Andres 1980. Du grand kitsch. On conservera long­ vent saugrenues. Mais, derrière l'humour Pazos), afin d'égayer son existence sans temps en mémoire cette séquence où les absurde qui se dégage de l'ensemble de la remous. Une vie sans aucun chambarde­ deux frères entament une ronflante partie démarche émerge le portrait de person­ ment à laquelle il s'adonne avec complai­ de hockey sur coussin d'air avec comme nages qui, malgré la morosité de leur exis­ sance, avant l'arrivée de son frère Herman spectatrice Marta, vêtue de son manteau tence, finissent par nous toucher profondé­ ment. C'est ainsi que, par petites gorgées. (Jorge Bolani), de passage pour assister rose délavé. En arrière-plan, une patinoire Whisky produit l'effet d'une douce eupho­ aux cérémonies commémorant la mort de la défraîchie où une adolescente affublée rie teintée de mélancolie. • mère défunte. Dès cet instant, Jacobo doit, d'un horrible costume jaune canari se dan­ au même titre que ces couples arborant dine en patins à roulettes. Ajoutez au por­ sur les clichés des rires forcés, camoufler trait la mauvaise musique disco que cra­ Whisky sa triste réalité de vieux garçon au profit chotent des haut-parleurs bon marché et d'une relation de couple factice. C'est Marta vous avez droit à une scène totalement sur­ 35 mm / coul. / 94 min / 2004 / fict. / Uruguay (Mirella Pascual), une employée de Jacobo réaliste. à son usine de confection de chaussettes, Réal. : Juan Pablo Rebella et Pablo Stoll qui assumera avec brio le rôle de la fausse Scén. : Juan Pablo Rebella, Pablo Stoll Par ailleurs, les réalisateurs ont opté pour et Gonzalo Delgado Galiana épouse. Image : Barbara Alvarez des plans fixes jamais trop appuyés qui Mus. : Pequena Orquestra s'intègrent à merveille dans l'univers tris­ Mont. : Fernando Epstein Le deuxième film (leur première réalisa­ tounet de ces individus qui se complaisent Prod. : Control-Z Films tion s'intitulait 25 Watts) des cinéastes Dist. : Christal Films dans leur routine. Ainsi, l'immobilisme de uruguayens Juan Pablo Rebella et Pablo Int. : Andres Pazos, Mirella Pascual, Jorge Bolani Stoll s'inscrit tout d'abord à l'intérieur d'un concept maintes fois revisité au cinéma : cacher la vérité à un visiteur de passage pour laisser croire la situation contraire. Cependant, les réalisateurs se détachent rapidement des prémisses du récit pour se concentrer sur les interactions de trois per­ sonnages centraux aux motivations con­ traires. Whisky s'attarde essentiellement sur les caractéristiques qui opposent cha­ cun des membres de ce trio attachant. À commencer par les disproportions physi­ ques (Jacobo, interminablement grand, con­ trairement à Marta, très petite) en passant par de multiples traits de caractère. Whisky

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