MÉMOIRE JUIVE DE

Bulletin no 11 Mai 2003

L’ANTISÉMITISME À L’ORDRE DU JOUR Henry Bulawko

ier que le conflit Israélo-Palestinien et Arabes ont lieu, au niveau élevé. ait pu susciter des réactions antisé- Le CRIF y est associé depuis le départ. mites serait s’aveugler. Dans les deux communautés, on est Présenter le phénomène comme s’il conscient des effets négatifs que la multipli- avait été pleinement effacé avec la cation d’actes hostiles ne pourrait, finalement chute de l’Allemagne hitlérienne qu’être néfaste aux deux camps. serait faire preuve d’aveuglément. Certes, il peut y avoir des éléments incontrô- Prenez la Pologne, par exemple. lables. Les actes relevés, ici et là, sont incon- Il ne reste plus que quelques milliers testables et inadmissibles. de Juifs. Et pourtant, cela n’empêche D’autant que les esprits lucides ont conscien- Npas d’être un haut-lieu de pèlerinage. ce que ce n’est pas, ici, que se jouera le sort Le fait qu’on ait révélé que des Polonais aient d’un conflit que nous déplorons. participé à des massacres de Juifs, n’y a rien Nous n’entendons pas analyser les causes et changé. les effets d’un conflit qui ensanglante une Si vous prenez la liste des titulaires de « La terre abritant deux populations. Médaille des Justes » vous y trouverez des Ce n’est pas la première fois. Polonais en tête. Israël a triomphé. L’explication en est facile à définir: c’est là Il a créé un État et affermi son existence. qu’il y avait le plus grand nombre de Juifs, La contester serait irresponsable. c’est là que fonctionnèrent en priorité les Ceux qui prendraient le risque de transférer le camps d’extermination. conflit, notamment en feront un mau- Aussi est-il logique que les Polonais qui parti- vais calcul. cipèrent au sauvetage aient droit à une Malgré les incidents souvent dramatiques, reconnaissance exemplaire. qu’on nous signale — déplorables s’il en est Et pourtant, nous savons que, numérique- — il nous faut garder notre sang froid. ment, c’était en France occupée que l’on a Ce n’est pas facile quand on sait, au moment sauvé les plus grand nombre de Juifs pour- où ces lignes sont écrites, l’ampleur que pren- chassés par les nazis et leurs sbires français. dra cette guerre. Cependant, c’est là que certains relèvent des Réalistes, nous avons conscience des courants agressions anti-juives. dramatiques qui nous interpellent. Nul ne songe à le nier, mais on ne saurait, Et pourtant, malgré tout nous voulons garder non plus, ignorer que des contacts entre Juifs l’espoir. LA MORT D’HENRI KRASUCKI Deux ou trois choses que je savais de lui - Victor Zigelman

a paix des cimetières, celle que et démontré au Palais Berlitz. Aujour- confère la mort m’incite à la ré- d’hui encore, Kadhafi affirme: « Les flexion. Au Père-Lachaise, au “Protocoles“ sont peut-être un faux, printemps on se sent revivre. À mais il dit vrai ». J’étais dangereux, nos pieds ne s’étalent que des pourtant à me voir comme ça, on ne le Lvertus. La vanité même, inspire une in- croirait pas. dulgence souriante. Ainsi ce Félix de J’interroge Henri : « Qu’est-ce que Beaujour, hyper-mégalomane s’est fait c’est que la Franc-Maçonnerie ?» Là, ériger sur le ventre un obélisque phal- il a hésité: « Je te le dirai la semaine loïde de 16 mètres de haut, qu’on voit prochaine ». Effectivement, la semaine de Montmartre. Sacré Félix, il n’a ja- suivante, lors de notre réunion chez mais été aussi vivant. Et toutes les drô- Paulette, Henri m’a révélé que : « La leries, incroyables mais vraies, qu’on Franc-Maçonnerie, c’est la bourgeoisie découvre: l’urne de Pierre Dac, au co- organisée ». J’avoue avoir été un peu

lumbarium, voisine avec les cendres Copyright: D.R déçu par cette réponse plutôt vague et d’un monsieur Malcuit! L’Os à moelle après la Libération. succincte, mais bah, la Franc-Maçonne- peut reparaître. Enfin, Henri. On prononçait son nom à rie, en vérité, je m’en fichais. Pourquoi donc parler de cimetière au la Polonaise, Krasoutski. Il portait un On avait d’autres chats à fouetter. risque de vous attrister ? Parce que de pantalon de golf, il avait des cheveux À nos réunions, Henri faisait d’abord le plus en plus souvent j’apprends la mort (eh, oui) et une mèche rebelle qui re- point de la situation internationale, po- d’une amie, d’un copain. Notre géné- tombait sur le front. Je l’admirais, il litique et militaire. Puis un bref exposé ration est en première ligne et la était mon gourou au charisme indé- de théorie marxiste, où il résumait gé- « faucheuse » fait mouche à tous les niable. Par identification, j’allais jusqu’à néralement le texte d’une brochure coups. Notre bon maître La Fontaine imiter sa démarche caractéristique, des prédigérée. Déjà Krasucki perçait sous tentait de nous convaincre que « la grands pas, la tête en avant et les bras le jeune Henri. Par lui j’ai fait aussi mort ne surprend point le sage ». Sa- balancés. Curieux de tout, cultivé, connaissance de la mythologie: Antée ge, on l’est surtout pour les autres. convaincu et convaincant, il enseignait. était invincible tant qu’il restait en Pour soi c’est une autre histoire et bien Moi qui ne connaissais rien je ne de- contact avec sa mère, Gaïa la Terre. De que prévenu on n’en est pas moins mandais qu’à croire. Il ne laissait jamais même, le Parti se devait toujours de surpris. Il faut bien l’avouer, parler des une question sans réponse. Un jour, garder le contact avec la Classe Ouvriè- autres c’est surtout parler de soi. Mais saisi d’angoisse, je lui demande : re. C’était beau comme de l’Antique ! nos morts tant que l’on pense à eux ne « Et si Staline meurt ?» Il me répond Deux mois après la rafle du Vel d’Hiv, e sont pas tout à fait morts. aussi sec : « C’est Jdanov qui le rem- en septembre 1942, pour le 150 anni- C’est ainsi que, par un froid de canard, placera ». L’oracle venait de parler. versaire de Valmy, Henri avait organisé je me suis retrouvé, tout affligé, à l’en- Jdanov, je n’avais jamais entendu citer dans le détail un immense travail de e terrement d’Henri Krasucki. Je le savais ce nom. Rendez-vous compte, ce gar- propagande dans le XX arrondisse- malade, rongé par le crabe çon d’à peine 18 ans…ici à Paris…en ment. Toutes les équipes étaient sur le — Tu n’en parles pas, m’avait-il dit — 1942…Savait déjà qui allait remplacer pont. Ce qui amena les Allemands à Un bond de soixante ans en arrière et Staline. Mon gourou savait tout, j’étais décréter un couvre-feu à Paris à partir mes souvenirs de refaire surface. (Pour scié ! de 15 heures. On avait réussi ce jour-là la nécrologie officielle, voyez votre À cette époque pour me tenir informé un beau coup. Depuis le printemps 42 journal habituel). je lisais Je suis partout et Comœdia. une partie des copains rejoignait les Début 1941, je n’avais pas quinze ans, J’appris ainsi qu’issu d’une race dégé- FTP-MOI (de grâce, ne prononcez pas je rejoins les jeunes communistes juifs nérée je n’adorais que le veau d’or, que Moï, avec un tréma, ce n’est pas un e du XX arrondissement. Se retrouver je désirais réduire les Français en escla- peuple du Viet Nam, mais plutôt M.O.I entre Juifs n’était pas un choix mais vage, et qu’en plus d’être judéo, j’étais en séparant chaque lettre.) mais le une obligation, car nous avions des aussi bolchévo-ploutocrate et même manque d’armes se faisait cruellement problèmes particuliers tout à fait spéci- capitalo-Franc-maçon. Ma mère habile- sentir. Et nous n’avions pas vocation fiques. J’avais eu différents « respon- ment camouflée en finisseuse en de kamikaze. Au début, on cherchait sables » comme on disait: Roger Trug- confection, me l’ayant caché, je décou- par tous les moyens à saboter les ate- man, Henri Frydman, Renée Vilenski, vrais en passant que j’étais lié aux inté- liers allemands dans lesquels tra- pour qui j’avais dessiné sur stencil le rêts de la finance et de la juiverie inter- vaillaient beaucoup d’ouvriers fourreurs titre « En Avant » — avec des carac- nationale, celle qui déclenche toutes juifs. Loin d’être des « collabos » ils tères comme l’Huma, avait-elle précisé les guerres. Cela était clair et net dans —–. La pauvre petite s’est suicidée les « Protocoles des Sages de Sion » suite page 4

Mémoire Juive de Paris 2 Bulletin numéro 11 - Mai 2003 LE PRIX « YIDL KORMAN » à Gérard Frydman

Ce prix est décerné pour activités en faveur de la culture yiddish dans tous les domaines, Art, Littérature, Sculpture, Mu- sique, Histoire, Shoah, etc. depuis 1986. Il y a eu trente quatre lauréats à ce jour, parmi lesquels: Lili Berger, Slovès, Litvin, Waldman, Kerner, Bulawko, M.Szulstein, Dobzinski, Niborski (écrivains ou historiens) R.Chwoles, Bahelfer, Blu, Milberger, Muchka, Tuszinski, Rudnitski, Derczanski, Szpigelman, L.Fisher (peintres, sculpteurs et comédiens) puis les deux derniers, Henri Minczeles et Gérard Frydman. Gérard Frydman, membre du Secrétariat de la MJDP a prononcé une allocution bilingue (français et yiddish) le jour où lui fut remis ce Prix Yidl Korman. Vous trouverez ci-dessous cette allocution.

omme il est d’usage, je remercie Sans vous ennuyer avec l’énumération 1929, Le Théâtre de New York de le Comité de m’attribuer le Prix de toutes les célébrités qui se sont pro- Maurice Schwartz, . CYidl Korman. Permettez-moi de duites à Paris, je voudrais tout de mê- En 1938, quarante comédiens yiddish vous féliciter, à mon tour, d’avoir distin- me rappeler quelques dates majeures. vivaient à Paris. gué en moi l’un des derniers comédiens 1895 : la première troupe régulière dé- Ils ont même créé une section syndicale du théâtre yiddish. bute au théâtre Les Folies Voltaire et auprès de la CGT. Mais, comme sou- Je tiens à partager cet honneur avec les deux ou trois ans après émigre à la sal- vent, il leur fallait exercer, à côté, une quelques camarades encore présents le Lancry, qui deviendra l’adresse my- profession alimentaire. parmi nous et tous ceux qui nous ont thique du théâtre yiddish à Paris, jus- Notre théâtre est si intimement lié à précédés. qu’à sa dernière représentation. notre vie que, en 1941, à Pithiviers et à Parce que le théâtre est une affaire col- 1902, déjà une autre troupe apparaît, Beaune-la-Rolande, ces camps anti- lective, quelle que soit l’immensité du créée par des militants du Bund, arri- chambres de Drancy et Auschwitz, des talent de chaque comé- comédiens comme dien, n’oublions pas Kinman ou Gilbert, is- Je suis né à Varsovie. Le yiddish est ma langue maternelle. Et c’est ma qu’il dépend de tous les sus du Pyat, y ont créé mère, Pérélé, que beaucoup d’entre vous ont connue, qui m’a montré le autres : acteurs, techni- des spectacles. chemin. Jusqu’à son dernier souffle, elle s’est dévouée à notre culture. A ciens… jusque et y com- A la libération de Paris, elle, on peut attribuer cette expression française : « Le dernier qui part pris le public. l’activité culturelle et éteint la lumière » Nous vivons dans une théâtrale reprend par Avec elle, a cessé de paraître la Naïe Presse. ville qui a été le phare une première manifes- Pouvais-je suivre un autre chemin qu’elle ? de la Culture dans le tation importante, à la Alors, maintenant, nous, le dernier carré, transmettons le flambeau Monde. Il était donc na- salle de la Mutualité, aux Yiddishe Heften et à la Maison de la Culture Yiddish pour que turel que la nôtre s’y dès novembre 1944. brille toujours notre lumière. soit aussi établie. Le retour au grand jour A tous, courage et bonne chance… Gérard Frydman Notre histoire a com- des personnes cachées, mencé en 1863, lorsque des clandestins, des pri- Axenfeld y a fait jouer, en yiddish, vant de Lodz, et d’autres troupes, com- sonniers de guerre, des déportés et pour une seule représentation, Le pre- me toujours chez les Yidns : l’afflux des survivants de l’URSS ont mier conscrit juif. à commencer par Goldfaden et ses permis à notre théâtre de vivre encore A la fin des années 1880, apparaît une opéras bibliques et populaires, qui par- de belles années. première troupe. ticipaient également au mouvement En 1946, le Yikut a été fondé mais, La critique française de l’époque a bien sioniste naissant, une troupe anarchis- pour différentes raisons, son existence saisi l’originalité de ces spectacles ainsi te, une troupe révolutionnaire et, bien a été brève. que la spécificité du public, composé entendu, le théâtre commercial avec Et, cahin-caha, notre théâtre continue alors de pauvres travailleurs, de leurs ses opérettes légères. son bonhomme de chemin. femmes en cheveux, leurs enfants sur Même la première guerre mondiale n’a Dans les années cinquante, c’est Kole- les bras, d’artisans, brocanteurs et pas interrompu l’activité de notre shnikof qui poursuit la tradition au autres, et elle a su apprécier aussi l’im- théâtre qui atteint son apogée au mi- théâtre Lancry. portance qu’avait le théâtre dans leur lieu de l’entre-deux-guerres lorsque Dans les années 60, c’est Nussia Gold vie culturelle. Libéré du joug religieux, quatre troupes locales y jouaient simul- qui prend la relève en créant l’En- au milieu du XIXe siècle, chaque shtetl tanément. semble Théâtral Juif de Paris, avec le s’ouvre au Monde en créant son Nos plus fameuses troupes ont forte- soutien de l’UNION et du Farband, théâtre, sa chorale, sa bibliothèque, etc. ment impressionné la scène parisienne. dans lequel votre Yidl Korman s’est Nos « étoiles errantes » parties à la re- Ainsi : tant investi. cherche de la liberté, passent par Paris 1921, Habima , De cette troupe, nous sommes les der- ou y restent. Pour eux, leur théâtre 1922, Vilner truppé, , niers. Le rideau est tombé. dans la ville lumière les relie à leurs ra- 1926, Le Théâtre d’Art de Moscou, avec Les forces ne manquent pas mais… où cines. Michoels est le public ? G.F

Mémoire Juive de Paris 3 Bulletin numéro 11 - Mai 2003 La mort d’Henri Krasucki - suite de la page 2 espéraient obtenir ainsi un « ausweis boit, il devait être un peu saoûl ! ». d’Honneur. Me voyant grossi, il s’était » qui leur éviterait l’internement pour Une autre fois, Honegger dirigeait la exclamé: « Mais, t’as pris des joues!». eux et leurs familles. Des actions mal Danse des morts et pendant que Jean- C’est vrai, et s’il n’y avait que les joues ! préparées par des militants novices, Louis Barrault scandait : « Homme, tu À deux reprises il est venu en famille vi- d’une part, des contremaîtres peut-être n’es que poussière, et tu retourneras siter notre exposition à la mairie du Xe trop zélés d’autre part, ont abouti à en poussière », j’ai fait rire Henri et et du XIXe . Sur le livre d’or, il a laissé des arrestations, notamment à l’atelier tous les copains autour de moi en quelques lignes élogieuses mais tou- Grundel, rue Martel. Cette erreur de mangeant de bon appétit (en atten- jours filtrées par « l’esprit de Parti » : jugement fut rapidement rectifiée et dant de retourner en poussière) mon « Est-ce que c’est bon pour nous?». l’armée allemande resta le seul objectif. quatre-heures que ma mère avait glissé Ne serait-ce pas cela qui provoquait Il faut se souvenir qu’il y a soixante ans dans ma poche. certaines hésitations dans son élocu- la résistance s’apprenait sur le tas. Il n’y Et les jours clandestins n’en finissaient tion ? À la télé, lors d’un discours il a avait pas de cours du soir ni de rattra- pas. La traque,la trouille, les planques, fait rire la France entière en se mélan- page! Et malgré les aléas, les mal- les faux papiers, les actions du militant geant les pinceaux entre les anciens adresses, l’Histoire s’en est tout de mê- de base. La chance n’était que quoti- francs, les nouveaux francs, les mil- me trouvée fécondée. Ce que je dis là dienne. On vivait à brève échéance. liards et les millions. Il s’en est très bien à propos des Juifs qui ne voulaient Adolescent naïf que j’étais, je me di- tiré par un grand éclat de rire, en ajou- qu’un « ausweis » risque de déplaire. sais, « Si je suis condamné à mort, il tant: « Je me suis trompé dans les Tant pis, la Vérité est la Vérité, les faits faut que le monde entier se lève pour chiffres ? c’est pas la première fois. On sont les faits. L’interprétation est libre. me sauver ». Rien que ça. Et le monde recommence.». La musique faisait partie de nos plai- s’est retrouvé avec plus de 60 millions À la remise des Victoires de la Mu- sirs. Un jour, en 1941, avec Pierre Be- de victimes. sique, tout le monde était décontracté kerman et Henri Kurchand, (j’aimerai J’ai une mémoire curieuse; j’arrive dans et beaucoup sans cravate, Krasu, lui, un jour vous parler d’eux), on était une ma cuisine et je ne sais plus ce que je arrive en smoking avec nœud pap. dizaine de copains réunis chez ma venais y chercher. Par contre, le 23 C’était aussi incongru que s’il était ve- grand-mère, rue Julien-Lacroix. Henri mars 1943 j’avais rendez-vous avec nu en bleu de travail. Etait-ce de l’hu- Krasucki est venu avec son phono à Paulette à l’angle de la rue de la Py et mour ou de la provoc ? Mon ex-gou- manivelle, qu’on remontait toutes les de la rue Martin Garat. Elle n’est pas rou devait avoir, là aussi une explica- trois minutes et une pile de disques (78 venue et pour cause. Ce jour-là, une tion; la musique, pas plus que le nœud tours). On a écouté émerveillés La Pas- quarantaine de copains avaient été ar- papillon n’étant du domaine exclusif torale, les Ouvertures d’Egmont et de rêtés après une longue filature. Henri d’une classe privilégiée. À la radio, Coriolan. Je me souviens encore de ses était parmi eux. Nous étions décimés. chez Jacques Chancel, ses faveurs al- paroles: « Les trois petits pincements Nous restions un petit nombre que Ro- laient comme autrefois vers Beethoven, de corde à la fin traduisent le vide dans bert Endewelt et Jean Kapkievicz ont Verdi, Berlioz, Ravel, Stravinsky. Pour le lequel se trouve Coriolan face à sa mè- repris en main. Reconstitués, les jazz, Grappelli, Gershwin et pour les re et à sa femme ». Une bonne analy- groupes se réactivèrent puis prirent prolos, Bernard Lavilliers. Un bon choix se d’un bon pédagogue. L’enchante- part à la Libération de Paris. classique et comme toujours assorti de ment musical se poursuivait les di- Durant un demi-siècle, « Krasu » et commentaires sur les tenants et abou- manches au concert de 17 heures au moi nous nous sommes rarement croi- tissants. Châtelet, le plus souvent, où se produi- sés. Quelquefois dans un cimetière. Henri Krasucki repose avec Léa sa mère saient les Concerts Pierné (Colonne Nos routes avaient divergé. et sa petite sœur Lili, non loin du Mur étant juif, on les avait aryanisés). On Pourtant, en 1945, à son retour de Bu- des Fédérés et des mémoriaux de la faisait la queue avenue Victoria et là on chenwald, on était côte à côte à une Déportation. croisait beaucoup de copains, au point fête au 120 boulevard de Belleville où Il ne voulait pas évoquer le retour de sa que c’était devenu presqu’un lieu de Hanna Taïtch chanta en yiddish Tschiri- mère et de son oncle de Pologne où ils «repêchage » d’un rendez-vous man- bim-bom. Je l’avais encore revu un soir étaient retournés « cons-truire » le so- qué. Henri arrivait après avoir été jouer chez les parents de Paulette, rue Faid- cialisme. La vague antisémite des an- au foot. Une fois, je me souviens, il dis- herbe. Il suivait alors un cours d’ajus- nées soixante les avait obligés à revenir cutait à la sortie avec un copain de teur en formation accélérée avenue en France. l’ex-Chorale Populaire de Paris (interdi- Philippe-Auguste. Passant par il Parler de tout cela n’était peut-être pas te, bien évidemment). Ils reprochaient à allait devenir l’homme politique, le ré- bon pour l’URSS et le Parti. Ça restait Jacques Thibaud d’avoir escamoté la volutionnaire professionnel, le perma- secondaire puisque « globalement po- cadence dans le Concerto pour violon nent que tout le monde connaissait et sitif », un accident de parcours par de Beethoven. Je les écoutais, pantois. qui n’avait rien à voir avec les guignols rapport à l’avenir merveilleux qu’on se Escamotée, je ne m’en étais même pas de la télé… aperçu. Et le copain, je le revois encore, Quelques décennies plus tard, il un grand maigre, d’ajouter: « Thibaud m’avait convié à sa remise de la Légion suite page 5 Mémoire Juive de Paris 4 Bulletin numéro 11 - Mai 2003 La mort d’Henri Krasucki JE M’ÉTAIS TOUJOURS PROMIS… - Véra Steinfeld suite de la page 4 e m’étais toujours promis de pren- te et valise; une conférence de Marc dre le premier train pour Paris, Jarblum y était annoncée. proposait d’édifier. Utopie quand tu après la Libération. Il arrivait de Suisse. La salle était nous tiens ! J Fin août 1944, nous avons vu arriver, comble. Avant tout, il était communiste, pur et dans notre petit « trou » de Saône-et- Jarblum de sa voix douce, lente, nous dur, mais au soir d’une vie que pensait- Loire, où je me cachais, des G.I noirs et raconta Auschwitz, chambres à gaz, il au fond de lui même ? Être d’origi- des Jeeps, au grand étonnement de la sélections, fours crématoires. ne juive ne lui avait jamais posé de pro- population. C’était la première fois que nous en- blème affirmait-il, d’autant moins que Annonçant alors à mes propriétaires tendions cela. sans le clamer, il n’en faisait pas mystè- que j’étais Juive et mariée, et pas fille- Dans la salle, gémissements, pleurs, re. C’est pourtant une composante im- mère, comme ils pensaient, et que cris, évanouissements. portante dans l’identité et les orienta- mon mari était déporté, ils me dirent: Nous venions de comprendre que les tions d’un individu. Né ailleurs dans un « Mais, vous n’avez pas d’accent ?» nôtres ne reviendraient plus autre milieu, nous ne serions pas ce Départ pour Lyon, avec bébé, pousset- J’ai pris le deuxième train pour Paris que nous sommes. Je me trouve d’ac- cord avec ce scientifique qui à la fa- meuse question sur les proportions de l’inné et de l’acquis, a répondu: « Cent pour cent pour l’inné et cent Lors de notre dernier Bulletin, un accident d’édition nous a pour cent pour l’acquis.» Je connais privé de l’article ci-dessous. Avec quelque retard, le voici. un bon nombre d’amis qui ont résolu le « problème juif »: les uns dans le sionisme, d’autres dans la religion, la ’est en regardant un document ouvrière, j’étais aux anges ! tradition, le stalinisme, le gauchisme, la télévisé dans lequel je témoigne, Ce qui conforte mon opinion par le sou- pétanque… d’autres encore en tro- Cqu’une personne a reconnu la venir cuisant de la « fameuse gifle » quant leur nom imprononçable, en Du- photo de mes parents que je présen- dont ma mère m’a gratifiée lors de l’ar- pont-Durand au risque d’un effet tais. restation dont nous fûmes victimes. « boomerang ». Faux problème peut- Le vif désir de me rencontrer a fait de C’est ainsi que la première gifle de ma être et à chacun sa solution. Connais- cette téléspectatrice une enquêteuse. vie d’enfant me sauva la vie ainsi que sez-vous l’histoire (drôle) de ce Juif qui C’est une amie commune qui lui a re- celle de ma sœur, puisque c’est grâce à se disait non seulement intégré mais mis mes coordonnées. elle que nous nous échappâmes de ce totalement assimilé, mais disait cela en J’ai pris rendez-vous chez Madeleine centre de rassemblement le 16 juillet yiddish ! Je propose qu’on le nomme Surgal où m’attendait une surprise. 1942. Mais cela est une autre histoi- Cardinal-Archevêque. Cette dame, était la fille d’amis intimes re… Je viens d‘évoquer pour vous quelques de mes parents qui se connaissaient Madeleine, ma nouvelle amie m’a re- images jaunies tirées de mon album depuis leur jeunesse à mis quelques photos personnel, les débuts faisant aussi par- Varsovie, en Pologne. dont une du mariage tie de la trajectoire, de la vie d’un hom- Madeleine, dont le père SOIXANTE ANS de mes parents. Qu’ils me public. Courageux, humaniste, a aussi été déporté, est APRÈS étaient beaux ! Henri était un « mensch ». mon aînée de dix ans; Quelle ne fut pas ma Salut, Henri de ma jeunesse elle se souvenait parfai- surprise, en retournant tement de ma mère et de mon père la photo de découvrir l’écriture de mon Victor Zigelman. dont je ne possède que de vagues sou- père. La dédicace, bien sûr écrite en venirs. Je n’avais que huit ans lorsqu’ils yiddish, était destinée aux parents de P.S .: Le 12 mars dernier, un hommage ont disparu. Madeleine; je connaissais enfin son lui fut rendu par le Parti Communiste Une indicible émotion m’a submergée écriture. Vous dire l’indicible bonheur Français. En trois heures de discours et au récit des souvenirs évoqués par Ma- d’avoir vécu à nouveau ma tendre en- de témoignages, certains fort émou- deleine. Ainsi, le caractère rieur de fance et d’avoir mieux connu mes vants, pas une seule fois le mot « juif » mon père, ses mille et une facéties, la chers parents. ne fut prononcé. De la famille de trico- douceur et la fermeté de ma mère, me En sortant de chez Madeleine, j’ai mar- teurs où l’on parlait yiddish, ni du mi- firent chaud au cœur. J’appris qu’en- ché sur un nuage. Merci Madeleine, lieu où il avait grandi et qui a forcé- semble ils organisaient des fêtes et re- merci mille fois de m’avoir aidée à ment compté dans sa formation, pas cevaient des amis. Cela fit surgir un ajouter quelques pages heureuses au un mot. Je vous laisse méditer. Et com- souvenir enfoui dans ma mémoire. maigre cahier de mes souvenirs me disait Pierre Bekerman, son meilleur J’étais juchée sur les épaules de mon ami de l’époque: « Je suis breton… père lors d’une grande manifestation Rachel Jedinak mais de Brest-Litovsk! »

Mémoire Juive de Paris 5 Bulletin numéro 11 - Mai 2003 36 RUE AMELOT - Hanna Kamieniecki

’il est, dans l’histoire de Paris occu- aux arrestations, aider ceux qui de- c’est non. Il est juste. On avance, on pé un endroit qui mérite d’être dé- vaient se cacher, planquer les enfants est dans l’escalier de « La Mère et l’En- Ssigné comme étant un « Lieu de avec tout ce que cela impliquait pour y fant » même quand il n’y a pas de mè- Mémoire » au sens donné par l’histo- parvenir. re. Il y a aussi dans l’immeuble « La Co- rien Pierre Nora, c’est bien le « 36 de Henry Bulawko pour le « Comité Ame- lonie Scolaire »… Dans la file, je me la rue Amelot ». Là, dans quatre pièces lot », Henri Krasucki pour « Solidarité », suis fait une copine. Ma copine est ve- d’un appartement était, et se trouve deux figures exemplaires de la Résistan- nue avec sa mère, son père est prison- encore aujourd’hui, le siège de « La ce qui ont dès 1940 assuré la liaison nier de guerre. On entre dans une Colonie Scolaire ». Créée au sein de la entre leurs organisations. En janvier grande pièce. Il y a une femme derrière Fédération des Sociétés Juives de Fran- 1941, les autorités d’occupation impo- un bureau. Elle a des tampons, elle ce en 1926, « La Colonie Scolaire » sent l’institutionnalisation d’un Comité écrit et elle tamponne et elle donne un avait ouvert, avant-guerre, des crèches, de Coordination des Œuvres Juives de bon. C’est notre tour… Elle détache un des foyers pour les jeunes, des can- Bienfaisance. papier d’un carton numéroté et le tend tines, des vestiaires, apportant à la po- En mars, le SS Théo Danneker installe à grand-père : 200 francs, pour la rue pulation juive immigrée un soutien non au sein du Comité de Coordination Béranger. Le paradis ressemble à ce pa- seulement matériel mais également deux conseillers venus de Vienne afin pier. Dans la froidure, on sait où aller, moral. de mieux le contrôler. Le 14 mai, après la rue Béranger monte un peu; En 1939 à la déclaration de la guerre, la première grande rafle de masse qui quelques personnes font encore la son action s’est étendue aux femmes vit plus de 3000 hommes valides inter- queue; on entre dans la Tour de Babel, des soldats mobilisés ou déjà prison- nés dans les camps du Loiret, le « Co- une salle de vapeur, de fumée de ta- niers de guerre en Allemagne. Lorsque mité Amelot » quitte le Comité de Co- bac, de cliquetis de vaisselle et le brou- les troupes allemandes ont occupé Pa- ordination, poursuivant sous couvert de haha d’une foule… Une femme nous ris, la politique antisémite et collabora- « La Colonie Scolaire » et de son dis- indique une table… Une louche de tionniste du gouvernement de Vichy pensaire ses activités clandestines. Il soupe chaude… On reprend l’air et le laissant présager des temps difficiles, eut à subir de lourdes pertes, David Ra- froid de la rue. On trotte. On a quelques responsables d’œuvres so- poport et son épouse Esther, arrêtés en quelque chose au ventre. En rentrant ciales décidèrent de se regrouper en un juin 1943 sur dénonciation ne sont pas on se mettra au lit… comité qui tenait ses réunions dans le revenus des camps de la mort. local de « La Colonie Scolaire », d’où Grâce aux deux responsables ayant pu Extrait du témoignage de Rosette Ale- son nom de « Comité Amelot ». rester en liberté, Abraham Alperyn et zard, née Zylberstajn, alias Zilbertin, L’un des fondateurs en 1926 de « La Joseph Byl ainsi qu’au dévouement du âgée de huit ans au moment des faits. Colonie Scolaire », David Rapoport exi- personnel de « La Colonie Scolaire » gea que la direction du Comité restât et de son dispensaire « la Mère et l’En- « … Le 16 juillet 1942, au petit matin, ignorée du public et des autorités. fant », le Comité clandestin de la rue des policiers français ont frappé à notre C’est ainsi que, sous couvert de « La Amelot a fonctionné jusqu’à la libéra- porte et dit à ma mère de prendre Colonie Scolaire » et de son dispensai- tion de Paris, soulageant et sauvant quelques affaires ses bijoux et du lait, re « La Mère et l’Enfant » continuant des milliers d’hommes, de femmes et pour le petit. À quoi, ma mère a répon- de fonctionner légalement, le « Comi- d’enfants. du en nous montrant, que nous étions té Amelot » put développer une activi- ses seuls bijoux. té clandestine qui allait permettre de Extrait du livre: « Ne te retourne pas », Nous sommes partis escortés par les soutenir et de sauver les Juifs des mi- publié par Paul Delcampe qui retrace policiers vers le gymnase Japy, centre de lieux modestes, de favoriser leur passa- l’odyssée vécue par Edwige, âgée de rassemblement où se trouvait déjà une ge en zone libre et le moment, hélas sept ans au moment des faits. foule de gens de tous âges en état venu, d’organiser le sauvetage des en- d’arrestation. fants. D’obédience sioniste de gauche, « …j’ai faim, grand-père a faim… Là, un commissaire de police vient cette activité clandestine à laquelle par- …On est en février 1941. Il gèle. On annoncer que les femmes et les enfants ticipaient les jeunes du Hachomer Hat- s’en va pour la rue Amelot… La rue de prisonniers de guerre pouvaient ren- zaïr et du Dror a constitué l’un des Amelot, no 36, c’est notre planche de trer chez eux. Mon père, en tant noyaux de la résistance juive à Paris, salut, pas difficile à trouver. Quand on qu’étranger, engagé volontaire dans l’autre étant celui des jeunes du mou- arrive par la place de la Bastille, on voit l’armée française avait été fait prison- vement « Solidarité » d’obédience de loin la queue qui attend à la porte. nier de guerre… C’est ainsi que nous communiste. On s’ajoute aux autres. Des jeunes, des fût épargné le départ pour le Vel d’Hiv « Solidarité » pour des raisons idéolo- vieux entre deux âges, des femmes, et sa sinistre suite… Mais l’alerte avait giques ne faisait pas partie du « Comi- des enfants. On se regarde plus qu’on été chaude, et maman décida de nous té Amelot », mais poursuivait les se parle. On avance lentement. Il faut mettre à l’abri, mon petit frère et moi. mêmes objectifs: aider par tous les voir Monsieur Rapoport, avec lui les moyens les Juifs persécutés à échapper choses ne traînent pas: c’est oui ou Suite page 7

Mémoire Juive de Paris 6 Bulletin numéro 11 - Mai 2003 36 RUE AMELOT DÉCRYPTER « Décryptage » - Marcel Apeloig Suite de la page 6 omme beaucoup d’entre nous j’ai que, arabe, et pourquoi pas papoue, vu le film Décryptage. Comme etc. C’est ainsi que nous fûmes placés dans Ctoutes ces œuvres, les auteurs se Même en yiddish: Les cahiers yiddish une maison d’enfant à la Varenne- sont appliqués à bien faire. C’est sé- du Cercle Bernard Lazare. Saint-Hilaire par l’intermédiaire du servi- rieux et démonstratif. On peut écouter: Radio J, Shalom ou ce social du dispensaire « La Mère et Mais c’est aussi de parti-pris. Communauté. Dans l’introduction, les auteurs pré- Il y a encore, La télé juive sur le câble. l’Enfant » du 36 rue Amelot. Notre viennent que c’est un point de vue et Radio « Beur » ou « Orient ». quiétude fut de courte durée. Un jour que ce ne peut pas être pris pour la vé- Chacun peut y trouver des points de on nous a dit: « les enfants, ce soir rité absolue. vue différents sur les événements mon- nous devons partir… » Les enfants Aussi ce film comme d’ailleurs l’émis- diaux. furent par la suite, après de nom- sion Arrêt sur image, sont des œuvres Et puis, quand nous sommes renseigné qui nécessiteraient que l’on s’arrête sur par toutes ces sources, nous avons aus- breuses tribulations, confiés à des leurs images. si quelque chose d’important: son familles d’accueil qui agissaient de la Vouloir montrer les erreurs des autres propre jugement, sa propre apprécia- façon la plus naturelle au mépris des conduit souvent à en commettre soi- tion des choses et des gens. risques encourus pour aider des enfants même. La désinformation prétendue conduit pourchassés. Notre séjour dans ces Le livre qui fustige le journal Le Monde en fait à n’être et à n’apparaître que relève de la même démarche. comme « un mouton suiveur ». Avez- conditions était le résultat de toute une Autour de moi, que n’ai-je entendu: vous entendu parler de : La pensée chaîne de solidarité… Il y eut heureuse- « La désinformation des médias…etc. » unique ? ment plusieurs organisations sociales et Mais enfin n’est désinformé qui veut Souvent, prétendre être « désinformé » de résistance juives qui aidèrent de leur bien ! c’est ne pas trouver dans l’information, Il y a tellement de sources. ce qu’on voudrait y voir. mieux les femmes et les enfants. La presse généraliste française, écrite, Soyons objectif, (est-ce possible ?) HK parlée et télévisuelle, bien sûr ! Mais En ce qui me concerne, je préfère me aussi la presse de langue anglaise, alle- tromper moi-même, qu’être trompé mande, italienne, espagnole, hébraï- par les autres!

Le « Comité Léon Goldberg » qui s’est donné pour mission d’apposer les plaques à la mémoire des enfants juifs assassinés qui fréquen- taient les écoles du XIXe arrondissement de Paris, a procédé aux cérémonies devenues maintenant traditionnelles, qui après la lecture des noms et les discours officiels, laisse ensuite aux enfants des écoles le soin de s’exprimer. Les enfants d’aujourd’hui, et bien présents, forment ainsi une chaîne avec les disparus. Parmi toutes les présentations, des chants des chorales, des textes écrits par les enfants, il m’a semblé intéressant de vous présenter ces deux poèmes écrits par la jeune Hélène Soldano, âgée de treize ans, élève de 4e C du Collège C.Chappe. La qualité de ces textes, l’émotion qui s’est dégagée lorsqu’elle les a dit, son talent, réfutent l’idée que toute commémoration se doit d’être seulement tragique. Maurice Kierszenbaum, Président du « Comité Léon Golberg » - Membre du bureau de MJDP C’est peut être fini, mais… On m‘a demandé Quand je demande comment C’est peut-être fini On m’a demandé : es-tu femme, es-tu On me répond : Mais ces familles ont été arrachées à leurs homme ? « C’est des histoires de grands » maisons Et moi, j’ai répondu : est-ce important, en Quand je pose des questions Pour être conduites à une mort assurée. somme ? On me répond: « C’est fini, de toute façon » Ils sont Juifs. C’est une raison Suffisante pour les tuer ? On m’a demandé : es-tu noir, chinois ou C’est peut-être fini Mais ces hommes, ces femmes, ces enfants blanc ? À qui on a enlevé la vie Les pères tremblent, les mères pleurent Et moi, j’ai répondu : est-ce donc si diffé- Parce qu’ils étaient différents Les enfants ne comprennent pas rent ? Ont vu leurs existences écrasées Les plus petits crient : « Maman, Par le poids d’une différence imposée j’ai peur ! » On m’a demandé : es-tu juif, chrétien, Et les parents répondent: musulman ou bien athée ? C’est peut-être fini « Ça va aller, tu verras ! » Et moi, j’ai répondu : cela fait-il de moi Mais ces adolescentes, qui étaient comme une infériorité ? moi C’est peut-être fini Ont grandi derrière des barreaux Mais ça s’est passé Tuées l’une après l’autre, elles ont vu On nous a donné un ciel, une terre, Je vous le garantis Leurs vies d’enfants noyées dans ces seaux Une mer. Alors pourquoi faire la guerre ? Et ça, il ne faut pas l’oublier. Qu’elles transportaient au camp C’est une question simple, non ? Sans relâche, travaillant. Et pourtant, personne ne me répond.

Hélène Soldano Hélène Soldano Mémoire Juive de Paris 7 Bulletin numéro 11 - Mai 2003 ÉCLATS DE MÉMOIRE - Frida Wattenberg

Échos sur la parution du livre « Organisation juive de combat - Résistance / Sauvetage 1940-1946 »

epuis la parution du livre auquel Un fils apprend par ce livre que son pè- près de la vérité. j’ai participé, « Organisation re était mort torturé sous les yeux de sa Une «enfant cachée» qui vit à Sydney DJuive de Combat. Résis- mère enceinte. en Australie, a reconnu le nom de celle tance / Sauvetage 1940-1945 » Celle-ci ne lui en avait jamais parlé qui l’avait fait s’échapper de Rivesaltes. nous recevons de très nombreux cour- « Quelle chape de plomb, ce silence » Elle nous a demandé les coordonnées riers et appels téléphoniques. Les appels écrit il. de celle qui l’avait sauvée alors qu’elle et les lettres d’enfants et de petits-en- Une autre lectrice « se réconcilie » avec n’était qu’une enfant. fants de personnes citées dans ce livre le souvenir de son père qui la faisait sor- Nous avons eu un échange très émou- me bouleversent au plus vant avec un grand chi- haut point. rurgien israélien de car- diologie enfantine, qui a J’imaginais bien en écri- découvert dans ce volu- vant ce volume qu’il al- me l’histoire de son lait réveiller tant de dou- jeune oncle résistant, ar- loureux souvenirs, mais rêté, déporté à Sobibor je ne m’attendais pas à sans retour à l’âge de 23 de tels « éclats de mé- ans. moire » À sa demande, nous lui avons communiqué les Ainsi la fille d’un héros copies de nos docu- dont l’histoire de son pè- ments, voici sa réponse: re figurant dans le livre « Ces lettres que je ne lui rappelle son enfance. connaissais pas sont Elle retrouve dans sa bio- pour moi d’une impor- graphie des noms qu’il tance capitale dans la évoquait devant elle lors- mesure où je n’ai pas qu’elle était petite. Ce connu cet oncle et que père avait voulu raconter ces lettres forment véri- ses combats à son en- tablement les dernières fant, près de 60 ans plus pièces de cette mémoire tard, elle les revit encore difficile à reconstituer ». une fois. De même cette autre femme tir dans la cour dès qu’il recevait un visi- Ces témoignages et beaucoup d’autres dont le père avait été déporté sans re- teur, alors qu’elle était une enfant. Elle me font oublier ce travail intense: plus tour alors qu’elle n’était qu’une enfant, vient d’apprendre que ce père était un de trois ans, et des centaines d’heures nous écrit qu’en lisant la vie de ce résis- comptable de l’organisation et remettait passées assise devant l’ordinateur. tant, elle a retrouvé une image totale- d’importantes sommes d’argent à ses Les lecteurs réalisent que ce livre était ment disparue de sa mémoire. Elle re- interlocuteurs pour subvenir aux be- nécessaire pour faire connaître ces com- voit tout à coup son père arrêté, emme- soins de personnes cachées battants de l’ombre si peu connus, et de né menottes aux poignets. En effet c’est Bien sûr il y a quelques erreurs: une fille plus pour ceux et celles de la seconde un résistant qui est arrêté, qui se décla- m’écrit que son père a été déporté à et troisième génération, c’est un mo- re Juif sous la torture. Il est envoyé à Bergen-Belsen et non à Auschwitz; ment de retour en arrière dont ils sont Drancy puis à Auschwitz. pourtant j’avais essayé d’être au plus fiers.

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Bulletin conçu et réalisé avec le concours Tous les textes qui sont publiés dans ce Bulletin le sont sous de tous les membres du Secrétariat de MJDP la resposabilité exclusive de leurs auteurs. Mise page : Marcel Apeloig

Mémoire Juive de Paris 8 Bulletin numéro 11 - Mai 2003 NATHAN À PARIS - Marcel Apeloig à vos « marque-pages »

l y a quelques jours, j’entendis sur rible maladie d’alors, la tuberculose LE PENTATEUQUE une station de radio, un homme ex- pulmonaire. Soigné pendant deux ans ou « Les cinq livres d’Isaac » Ipliquer que, marié à une femme il connaîtra la misère; ne pas travailler, d’Angel Wagenstein étrangère, il avait fallu attendre trois c’est dans ces années-là, ne pas avoir (Éd. L’Esprit des péninsules) ans pour que celle-ci soit naturalisée d’argent à la maison. Entre temps il se- française. « Il faut que ce délai soit ré- ra père d’un jeune garçon qu’il ne de- — « Ah ça, j’en ai vu du pays! » duit, trois ans c’est trop long.» disait- vra pas approcher, la contagion étant s’exclame Isaac Blumenfeld, il. redoutable pour les nourrissons. Autriche, Hongrie, Pologne, Union- Cela me rappela l’histoire de Nathan, 1939, malgré son handicap de mauvai- Soviétique, Allemagne… arrivé en France en 1904, âgé de deux se santé, c’est l’engagement volontaire — « Ah bon? tu as visité tous ces ans, venant de sa Pologne natale. La dans l’Armée française, comme beau- coins? » s’étonne Mendel. famille s’installe rue des Immeubles In- coup de Juifs. Deux ou trois mois plus — « Pas du tout, je n’ai jamais quit- dustriels dans le XIe arrondissement de tard, ayant perdu 15 kilos, l’armée le té mon village! » Paris. Le petit Nathan va à l’école réforme. Voila qui illustre le destin du petit laïque, joue avec des copains du quar- La guerre est là, l’occupation alleman- tailleur de Galicie, balloté au gré des tier de la Nation. Il parle français et ar- de, les lois anti-juives de Vichy. Il de- vagues de l’Histoire. Une odyssée got. À la maison les parents parlent vient clandestin; il ne peut donc plus tragi-comique où tout l’humour juif yiddish. Plus tard, il fréquentera l’école suivre le traitement d’insufflation de et les bons vieux « witz » se ramas- Lucien de Hirsch puis l’École de Travail son pneumothorax. sent à la pelle. De quoi renouveller rue des Rosiers. Malgré cette fréquen- Il commence quelques activités de ré- votre stock! tation d’instituts juifs, il restera lié à sistance. La subsistance financière est Dans la même veine (et remarqua- des camaraderies non juives, les « po- assurée essentiellement par sa femme, blement traduit du Bulgare) vous tes » de la Nation. française et non-juive, petite employée placerez aussi dans votre biblio- Sa jeunesse, il va la vivre dans un envi- sans qualification. Ce n’est pas la ri- thèque son nouveau roman: « Abra- ronnement essentiellement français. chesse ! ham le poivrot » entre « Les Valeu- Il exercera des métiers divers, certains 1944, Nathan est passé à travers les reux » d’Albert Cohen, ayant beaucoup de rapport avec l’usi- mailles du filet, il est vivant. Son frère « Le brave soldat Chveik » de Jaro- nage du bois (tournage, sciage, décou- aîné n’a pas eu la même chance, il a slav Hasek et les romans de Isaac page, assemblage, etc.) et d’autres été arrêté puis déporté. Il ne reviendra Bachevis Singer. plus portés sur la mécanique. pas. Nathan milite au sein du Parti Si comme disait ma grand-mère, en Il sera pendant environ deux ans, mé- communiste, devient secrétaire de cel- yiddish: canicien dans la marine marchande et lule. « Y’a du monde aux balkans » naviguera entre le Dahomey et l’Argen- 1945, il se décide à demander sa natu- tine. ralisation française, convaincu que ce Victor Zigelman C’est un vrai « parigot » qui connaîtra ne sera qu’une formalité. une certaine insouciance dans la Pas du tout. Cette naturalisation lui est (1) confiance d’un pays hospitalier. Tou- refusée: un article de loi précise que HISTOIRE D’UN ADJECTIF jours Polonais, mais sans papier officiel. tout ressortissant qui, du fait de son de Michèle Manceaux (Éd. Stock) Bien que les Sergents de Ville des an- état de santé peut tomber à charge de nées 1918/1925 n’étaient pas des la communauté française, ne peut être Ce titre inspiré par les propos de mauvais bougres, il se fera arrêter deux naturalisé. Il tentera de se faire aider l’écrivain juif Isaac Babel, l’auteur se fois et risquera l’expulsion. Sur les par un ami connu dans la résistance, l’applique en pleine lumière, aujour- conseils d’un copain, il se rend au en passe de devenir Commissaire de d’hui. Consulat de Russie (l’ancienne, pas la Police qui lui dit: « Désolé, mon vieux, Michèle Manceaux écrivain (ou écri- nouvelle, l’URSS) et obtiendra, sans dif- contre cet article de loi, je suis impuis- vaine) et journaliste a publié une ficulté, un certificat de nationalité qui sant; tu aurais un petit casier, ça je vingtaine de livres. Celui-ci est parti- fera de lui un Russe, né à Varsovie. pourrai l’arranger, mais pour ce motif culier. Il ne doit pas être dévoilé, li- Le Consulat de la Russie dite « blanche » de refus je ne peux rien ». sez-le. Il vous interpellera. MA avait tout intérêt à faire état d’un Blessé à jamais dans sa dignité, Nathan grand nombre de réfugiés, victimes du vivra jusqu’à l’âge de 73 ans, avec une communisme. Avec ce document, il ac- carte d’identité d’étranger, ne parlant querera une carte d’étranger à 10 vo- que le Français et… l’argot. Rappel: par les temps qui courent, lets, qui sera par la suite transformée Trois ans, cela parait dérisoire, non? un livre redevient d’actualité: en passeport Nansen, car la Russie « Le dernier des Justes » de André blanche n’existera plus. (1) Article 70 de l’Ordonnance du 19 octobre Schwartz-Bart. Toute la tragédie jui- Puis les années passeront. 1945 portant Code de la nationalité. (J.O. du ve dans cet ouvrage unique et d’une En 1934, il sera atteint par cette ter- 20 octobre) beauté exceptionnelle. MA Mémoire Juive de Paris 9 Bulletin numéro 11 - Mai 2003 ET ENSUITE - Charles Tsyboula

Et ensuite ? Prof C : Prof C : La scène se passe dans un couloir… Ensuite, opération du genou, des mains (la Un an après, je revois ce jeune homme. Sam Suffhi, journaliste émérite célèbre maladie de Dupuytren) vous Douleur dans la poitrine. Investigations: rencontre le Professeur de médecine connaissez? résultat, vésicule biliaire complètement Csibèlé, multipraticien instable. Sam Suffhi : nécrosée. Bien sûr Prof, je sais tout ça sur le bout Sam Suffhi : Sam Suffhi des doigts. Et ensuite? Et ensuite? Professeur Csibélé bonjour, nous avons Prof C : Prof C : appris à la rédaction du Bulletin de MJDP Comme vous le savez, je ne manque pas J’me fais pas de bile, plus tôt je jubile: que vous alliez procéder à une interven- d’estomac. c’était un cas rare. Enfin… maintenant le tion sur un poumon. Je me suis fait (c’est une façon de parler) poumon. C’est une nouveauté ? un ulcère du duodénum. Sam Suffhi : Prof. C : Sam Suffhi : Vous ne manquez pas d’air ! En effet, je change de spécialité. Tenez, je Et ensuite? Prof C : me souviens en 1956, pendant l’affaire de Prof C : Lui non plus, après il pourra, comme Suez, j’étais en plein dans une opération Récemment, je découvre chez un jeune Figaro, chanter : du ménisque d’un jeune homme au nom vieillard de 72 ans un polype énorme sur « Ah, laissez- moi respirer ! » bizarre, Charles? Charles, hum ! le rectum. J’interviens immédiatement. Sam Suffhi Sam Suffhi : Sam Suffhi : Ouf, merci Prof. Et ensuite ? Et ensuite? Au revoir et… à bientôt !

SHOAH ET TRANSMISSION VISUELLE - Frida Wattenberg

ors d’un séminaire sur ce sujet le 28 néastes américains et soviétiques ont Allemands », puis de leur montrer ces février dernier, je crois utile de rap- enregistré des images des camps qu’ils images. « Vous êtes tous responsables !», Lpeler quelques événements icono- découvraient et libéraient. c’est le début de la dénazification. graphiques qui ont tenté d’évoquer et Parmi ces américains, Georges Stevens, Les Soviétiques, eux filment la « libéra- de représenter la Shoah. qui avait reçu les instructions de l’autori- tion des camps » où l’on voit les dépor- Le plus connu en France est le film té militaire de réaliser des documents tés accourir vers les barbelés et acclamer d’Alain Resnais, Nuit et brouillard qui destinés à servir de preuve pour les pro- leurs libérateurs. On sait aujourd’hui que date de 1954. Il y eut aussi La dernière cès à venir, celui de Nuremberg notam- ces images sont des reconstitutions. Des étape, film dont la deuxième partie est ment. Ces cinéastes et photographes films travaillés pour une information diri- une forme d’hymne de propagande So- devaient toujours rechercher la présence gée. La glorieuse armée soviétique de- viétiques. de témoins afin que l’authenticité soit vait être magnifiée! Plus récemment on put voir le téléfilm incontestée. C’est d’autant plus absurde que nul au- américain à épisodes, Holocauste et le Les images des camps que l’on connaît jourd’hui ne nie que les soldats et parti- film de Steven Spielberg, La liste de sont souvent étranges, les déportés sans russes furent exemplaires et coura- Schindler. Ces deux derniers ont touché, n’ont pas l’air si malades que ça. geux à l’extrême, même si on exècre le donc informé, une couche de popula- Étonnement. système soviétique. tion généralement inculte en ce domai- Mais ce que les armées découvrent sou- Un immense travail de projection de ces ne. vent, ce sont des camps vidés de leurs documents « preuve » fut organisé au Le film, très long-métrage de Claude occupants par les nazis qui les évacuè- cours du procès de Nuremberg. Lanzmann, Shoah fut l’œuvre par excel- rent en une « longue marche de la mort », Et l’on installa même, au-dessus des ac- lence. En même temps que ce docu- les transférant de camp en camp. Les cusés, un éclairage qui permettait de ment informait, il posait une forme déportés qui reçoivent leurs libérateurs voir leurs réactions à la vision de ces d’éthique que défend l’auteur, disant et sont des nouveaux, ou quelques anciens horribles images. martelant ses dires, qu’il ne faut pas qui ont réussi à se cacher pour ne pas Enfin, la première œuvre cinématogra- montrer l’indicible et l’horrible. participer à cette marche mortelle. Ces phique de fiction sur ce qui a été fait Dire, décrire et rappeler, encore et enco- opérateurs travaillent souvent sous dans les camps fut le film d’Orson re, mais sans montrer et encore moins l’émotion de ce qu’ils découvrent. Ils ré- Welles, Le criminel. reconstituer. C’est son point de vue, il pugnent à filmer les survivants, mais On n’a pas terminé d’étudier, de dissé- est respectable et parfaitement compré- construisent des montagnes de cadavres quer, de critiquer, et de débattre sur les hensible, mais ce ne doit pas être un qu’ils filment ou photographient. images qui ont été faites depuis 1945 et dogme. Le 25 avril 1945 le Ministère de la guer- qui se feront dans les années à venir. C’est ainsi que le film de Roberto Bégni- re américain demande aux opérateurs Reste une grande question: ni, La vie est belle fut contesté par cer- de faire des images de « tout ce qui a « Peut-on montrer ces documents aux tains et encensé par d’autres. pu être infligé dans les camps aux sol- jeunes ? Les images ne sont-elles pas Mais déjà dès 1944 et 1945, des ci- dats américains fait prisonniers par les trop violentes? »

Mémoire Juive de Paris 10 Bulletin numéro 11 - Mai 2003 À PARIS Commémoration de l’insurrection du Ghetto de Varsovie Une cérémonie importante s’est déroulée le 14 avril dernier dans les salons de la mairie du IVe arrondissement de Paris sous la présidence de Madame Dominique Bertinotti, Maire de l’arrondissement et en présence de nombreuses personnalités parmi lesquelles Mesdames Simone Veil et Stéfa Skurnik, ainsi que Monsieur Hen- ry Bulawko. Madame Dominique Bertinotti dans sa courte allocution à dit notamment: «… notre République ne cesse de traverser des épreuves redoutables. Cette recru- descence d’actes xénophobes et antisémites est intolérable, elle doit être condam- né avec la plus grande fermeté (…) cette cérémonie, ce soir, souvenir douloureux et courageux à la fois de ces hommes et de ces femmes qui ont été poussés aux confins de la condition humaine, est une réponse à cette confusion résultante de l’ignorance, de l’extrémisme et de l’intolérance ». Madame Bertinotti affirma en conclusion: « Ce travail de mémoire indispensable est lié à la défense des valeurs qui font la force de notre République. Plus que ja- mais, rappelons que l’enjeu est bien le pacte républicain et ses valeurs: l’égalité,

Photo: Ida Apeloig l’universalité et la laïcité, qui se fonde à la fois sur le respect des différences et le Cette photo représente le Monument aux Héros du rejet des particularismes. Je suis persuadée que la République peut, au-delà des Ghetto de Varsovie. Il se trouve sur le site de l’ancien clivages qui la minent, regagner la confiance de ceux qui la délaissent ou de ceux quartier juif de Varsovie. qui aujourd’hui en doutent. Le pari est ambitieux, mais pas hors de portée…»

EN POLOGNE 60 ans après le soulèvement du Ghetto de Varsovie - Marcel Apeloig

l’initiative de l’Union des Engagés humains qui, avec le temps ont grison- te où pénétraient les trains. Ce bâti- volontaires juifs (1) un groupe de nés. ment à la symétrie parfaite, photogra- Àvingt personnes s’est rendu en Cette disposition et ces installations de- phiée par les plus grands artistes du Pologne pour participer à la cérémonie vant lesquelles se succèdent des monde, mais aussi par les « jetables » qui commémore le soulèvement des groupes de visiteurs qui écoutent leurs des visiteurs de toutes sortes, perd sa Juifs dans le Ghetto de Varsovie. guides avec plus ou moins d’attention. symbolique lorsqu’on est au pied de Au cours de ce voyage, le groupe est allé On entend parler de nombreuses cette construction. visiter aussi les Camps d’Auschwitz 1 et langues. Et là, agréable surprise, la Il en va autrement de cette voie ferrée de Birkenau. Participant à ce voyage, langue la plus entendue est le Polonais. qui se partage en deux, encadrant une je livre ici mes impressions et un récit de La majorité des personnes qui visitent immense espla- ce voyage qui n’engage que moi. sont des Polonais. Beaucoup de jeunes. nade longitudi- Le Camp d’Auschwitz 1 La vitesse avec laquelle les groupes se nale très connue J’ai vu tellement de photos, de films et succèdent ne permet pas d’échanges de sous le nom de lu tant d’articles et de livres sur ce camp points de vue. Nous nous regardons « rampe ». que me retrouver sur ces lieux ne m’a sans plus. Je me suis im- pas ému plus que cela. En ce qui me concerne, le seul moment mobilisé au mi- Il faut dire que le Camp Auschwitz 1 est où l’émotion me vient, c’est lorsque lieu de celle-ci intact. Les bâtiments en briques rouges, dans les amoncellements d’objets appa- et j’ai fermé les (anciennes bâtisses d’une caserne mili- raissent quelques souliers et vêtements yeux. Ce que j’y taire) sont telles qu’elles étaient lors de d’enfants. Je ne peux m’empêcher ai vu alors, est leur utilisation comme lieu de détention d’imaginer mes petits-enfants ici… tellement ter- Photo: Ida Apeloig des prisonniers et internés. Les poteaux Ce qui s’est passé dans ces lieux fut rible que je ne peux le décrire. Quand en ciment avec leurs fils de fer barbelés horrible, inacceptable, révoltant et im- j’ai rouvert les yeux, j’ai ressenti une im- sont soigneusement entretenus et res- pensable, mais présenté de cette façon, mense sensation d’impuissance. Que taurés. c’est maintenant enfoui dans l’histoire faire pour que des êtres humains ne Ce qui s’est passé ici est évoqué par du monde, péripétie humaine parmi puissent encore imaginer et mettre en une présentation muséographique ri- d’autres. pratique de tels comportements ? Cela goureuse. C’est organisé et arrangé. Birkenau, c’est autre chose fut, et nous savons, même si nous ne Nous passons du bloc où s’entassent Tout d’abord, ce qui frappe, qui saisit, l’acceptons pas vraiment, que cela exis- des milliers de souliers, aux blocs où des c’est l’immensité du site qui apparaît. te encore. montagnes de vêtements, de gamelles, Derrière les fils de fer barbelés, à perte Des humains exterminent d’autres hu- de peignes, de lunettes nous sont pré- de vue des « arbres en briques » per- sentées derrière des vitres; également dus dans un espace plat qui semble ne cet énorme amoncellement de cheveux jamais finir. Nous entrons par cette por- Suite page 12 Mémoire Juive de Paris 11 Bulletin numéro 11 - Mai 2003 EN POLOGNE… belés fuyant au loin, tout cela contribue guides, dans les dis- à la méditation sur les capacités de cours officiels, les suite de la page 11 l’homme à être le prédateur le plus fé- Juifs sont réintégrés mains simplement parce qu’ils sont ce roce que la nature ait créé. dans l’histoire de la qu’ils sont. Je suis aujourd’hui persuadé Après cette visite, le groupe s’est rendu Pologne. Leur rôle que les Juifs ne furent pas une excep- à Varsovie par la route. La campagne social, culturel et tion. Leur calvaire si terrible, fut un, par- polonaise n’a plus rien à voir avec celle économique est re- mi d’autres, avant et après Birkenau. qu’elle était il y a encore une dizaine connu. Cela est Ces monstrueux barbares savaient que d’années. Même si les parcelles sont nouveau, et même nettement plus petites que celles de la si ce n’est pas par-

campagne française, la mécanisation fait, que le souvenir Photo: Ida Apeloig s’est imposée. Sur près de 300 kilo- des atrocités com- Stèle d’une tombe dans le vieux cimetiè- mètres nous n’avons vu que deux tom- mises par des Polo- re juif de Varsovie bereaux tirés par des chevaux et un seul nais envers les Juifs cultivateur qui hersait un champ avec est encore bien vivant, leur démarche un cheval. Les maisons sont toutes actuelle mérite d’être reconnue et en- Photo: Ida Apeloig construites en briques ou en ciment. Il couragée. Lors d’une très courte visite La route de la mort. Le sélectionné l’em- reste encore beaucoup de maisonnettes dans Kazimiers, le quartier de Cracovie pruntait jusqu’à sa destruction dans la chambre à gaz. Route de la mort annoncée. en bois, mais elles sont peintes de cou- où vivaient les Juifs pauvres et où, pen- leurs vives, gaies, fleuries. dant la guerre, les Allemands parquè- ce qu’ils faisaient était mal, qu’ils L’arrivée à Varsovie se fait par une ban- rent les tous les Juifs de la ville, nous n’étaient pas investis d’une quelconque lieue où l’on trouve des centres com- avons pu constater l’entretien des lieux. mission de bienfaisance, ils étaient merciaux avec des enseignes comme Deux synagogues dont l’une fût restau- conscients de leur forfaiture. C’est pour- Carrefour, Leroy-Merlin, Ikéa ou Au- rée et transformée en musée, l’autre quoi ils détruisirent partiellement les ou- chan. étant encore en activité pour les quel- tils de leurs méfaits. Les ruines des La ville détruite à 60% a été reconstrui- ques Juifs qui restent. Un vieux cimetiè- quatre crématoriums sont là pour mon- te avec une intelligence certaine. Bien re entretenu et dont les vestiges des trer leur duplicité. S’ils avaient laissé les que les architectes soviétiques aient im- vieilles stèles cassées ont été scellés sur installations intactes, c’eût été moins posé leurs vues, les Polonais ont su un mur. Tout cela témoigne de l’effort émotionnel. Leur tentative inachevée de conserver les leurs. Les grandes avenues de conservation dont font preuve au- ne pas laisser de traces les rend encore ont été triplées dans leur lar- jourd’hui les Polonais. plus affreux, effrayants et odieux. Même geur et bordées d’immeubles La cérémonie de com- chose pour les centaines de baraques assez standardisés mais là où mémoration du 60e an- qu’ils ont incendiés ne laissant comme une ruine était récupérable niversaire de la révolte trace de l’existence de celles-ci que ces elle a été restaurée. Aussi les du Ghetto fut solennel- cheminées en briques rouges qui émer- grands et tristes immeubles le à souhait. On peut gent du sol comme des arbres, témoins sont mélangés avec de regretter la faible parti- muets, mais inexorables de l’horreur qui vieilles bâtisses typiquement cipation des déléga- fut installée ici. polonaises et l’ensemble est tions. À peine un millier À Birkenau, l’ordre muséographique assez réussi. Là ou les Polo- de personnes. Le soir, nais ont été « géniaux » un concertfut donné au c’est dans la reconstruction Théâtre Vielki où les de la vieille ville. Ils ont tout deux présidents, celui refait à l’identique. Du vieux d’Israël et la Pologne neuf! À l’époque de leur échangèrent des propos

choix, quelques esprits cha- Photo: Ida Apeloig aimables et de qualité. grins ont du crier « au char- Paul Felenbok, rescapé du Ghet- Belle soirée! ron », on ne refait pas du to de Varsovie dépose au pied du Il est probable que le Monument aux Héros du Ghetto vieux! e la gerbe de l’UEVACJEA 70 anniversaire se fera Photo: Ida Apeloig Ce même discours a été tenu sans la présence des té- La gerbe que notre délégation a dépo- ici en France lors de la reconstruction de moins, nous serons entré alors dans la « sée sur la plaque en langue française Saint-Malo intra-muros. mémoire de la mémoire » Aujourd’hui, dans ces deux cas, Varsovie règne également, des baraques ont été et Saint-Malo, la patine du temps a ap- MA entretenues pour présenter les châlits et porté la retouche nécessaire pour faire les tinettes, mais le site lui, échappe à oublier les querelles d’autrefois. (1) L’Union des Engagés Volontaires et La vieille ville de Varsovie est une mer- cette organisation. Cette platitude héris- Anciens Combattants Juifs 1939-1945 sée de vestiges, ce petit-bois dans le veille. Je pense que si les habitants du leurs Enfants et Amis (UEVACJEA) 26 fond où les Allemands envisageaient début du XXe siècle revenaient, ils se e d’agrandir encore le camp, cette rampe sentiraient certainement chez eux. rue du Renard à Paris IV , association encadrée par les voies ferrées, ces bar- Enfin, pour terminer, dans les récits des dynamique aux nombreuses activités.

Mémoire Juive de Paris 12 Bulletin numéro 11 - Mai 2003