RICHARD SCHITTLY

Izieu, l'innocence assassinée

Contribution à la mémoire des enfants juifs raflés le 6 avril 1944

Préface de Sabine Zeitoun

Editions Comp'Act , l'innocence assassinée 0 Éditions Comp'Act Tous droits réservés 1994

Diffusion : ÉDITIONS COMP'ACT 9 et 11, place de la République, 01420 Seyssel. Tél. 50 56 13 12 A Doun, mon frère

Préface

Depuis les temps bibliques, l'impératif de ne pas oublier son Histoire n'a cessé de résonner chez les Juifs. L'Histoire de sa mémoire est un sujet d'importance. Mais cette mémoire ne doit pas être essentielle seulement pour les Juifs, elle doit l'être pour toute l'Humanité. L'auteur de cet ouvrage, Richard Schittly, journaliste au Progrès à dans l', après avoir fait ses études en sciences politiques à Grenoble, n'a pas prétendu faire un travail d'historien. D'ailleurs il se pré- sente lui-même comme « un journaliste-citoyen ». Il a été fidèle à la vérité. A la base de sa recherche, l'auteur a voulu reconstituer par des docu- ments d'archives, mais surtout des témoignages et des photographies poi- gnantes, pleines de vie et de vérité, ce que fut l'insouciance de l'enfance dans cette «colonie d'enfants réfugiés de l'Hérault » à Izieu (Ain) avant qu'elle ne bascule dans le drame, en ce sinistre jour du 6 avril 1944. En écrivant ce livre, il a su retenir l'attention du lecteur et l'interroger à son tour. Les questions que Richard Schittly pose au sujet de la rafle d'lzieu nous interpellent et contribueront à élargir le champ historique. L'auteur s'interroge avec raison sur le fait que la colonie d'Izieu ait pu continuer son activité jusqu'au 6 avril 1944, alors que l'ensemble des mai- sons de YŒuvre de Secours aux Enfants (O.S.E.)', devenue officiellement la 3e Direction/Santé de l'Union Générale des Israélites de (U.G.I.F.), s'étaient sabordées et leurs enfants cachés dans des familles d'accueil, dans des couvents ou autres lieux susceptibles de les soustraire à la déportation. De plus, la direction centrale de l'O.S.E., installée à Chambéry, avait été victime d'une rafle deux mois auparavant, le 8 février 1944. Cette rafle avait définitivement mis fin à toute activité officielle de l'O.S.E. qui continuait néanmoins sa lutte dans la clandestinité. Depuis l'automne 1943, et selon toute vraisemblance, la n'ignorait pas ses activités de sauvetage clandestin. La rafle des enfants de la maison d'lzieu symbolise l'enfance juive persé- cutée et exterminée par les nazis, à laquelle la complicité active du gouver- nement de Vichy, voire ses initiatives, ont largement contribué. Cette rafle et ses suites sont un crime mais un crime d'une nature particulière. A cet égard, le procès , qui s'est tenu à en 1987, a incontestablement gravé dans les mémoires le sens aigu de ce que furent les crimes contre l'Humanité. Comment ne pas se souvenir de la voix grave et saisissante de Maître Serge Klarsfeld rappelant devant le tribunal les noms, les prénoms et les âges de ces enfants : «Sami Adelsheimer n'avait que 5 ans. Sa mère Laura avait été déportée le 20 novembre 1943, neuf convois avant le sien. Sam n'est pas revenu. Max Leiner avait 7 ans. Max n'est pas revenu (...) Egon Gamiel avait 8 ans. Ses parents ont été livrés aux S. S. par Vichy puis déportés le 17 août 1942. Egon n 'est pas revenu. Martha et Senta Spiegel avaient 10 et 9 ans. Père et mère déportés. Elles ne sont pas revenues. Sigmund Springer, 8 ans. Gazé avec les autres à Auschwitz. Majer Bulka, 13 ans. Père déporté, mère déportée. Son petit frère Albert dit Coco, 4 ans, est avec lui à Izieu. Le grand a la charge du petit. Majer et Coco ne sont pas revenus. Esther, Elie et Jacob Benassayag, 12, 10 et 8 ans. Pas revenus. Jacques, Richard, et Jean-Claude Benguigui, 12, 7 et 5 ans. Précipités dans la chambre à gaz d'Auschwitz alors que Fortunée, leur mère, tente de survivre derrière les mêmes barbelés. Ils ne sont pas revenus. Barouk-Raoul Bentitou, 12 ans. Pas revenu. (...) » Quarante-quatre enfants dont le destin a été brisé. Ma tâche, en tant que directeur du Centre d'Histoire de la Résistance et de la Déportation (C.H.R.D.)2, lieu d'histoire, d'étude et de mémoire, n'est pas seulement de perpétuer le souvenir, mais aussi d'aider à comprendre le passé pour mieux appréhender le futur. En un mot, former les consciences. La doctrine nazie a été mise en œuvre par le seul fait des hommes. Aussi, avec l'écrivain Primo Lévi, faut-il sans cesse nous rappeler et nous astreindre à une vigilance permanente car : «... lorsqu'Hitler et Mussolini parlaient en public, ils étaient crus, applaudis, admirés. Les idées qu'ils procla- maient étaient en général aberrantes, stupides, cruelles, et pourtant ils furent acclamés et suivis jusqu'à leur mort par des milliers de fidèles. Ces fidèles n'étaient pas des bourreaux-nés, mais des hommes quelconques, ordinaires, prêts à croire et à obéir sans discuter. Il faut donc nous méfier de ceux qui cherchent à nous convaincre par d'autres voix que celle de la raison. Dans la haine nazie, il n'y a rien de rationnel. Nous ne pouvons pas la comprendre, mais nous devons comprendre d'où elle est issue et nous tenir sur nos gardes. Si la comprendre est impossible, la connaître est nécessaire parce que ce qui est arrivé peut recommencer. »3 Au même titre que le C.H.R.D., ancien siège de la Gestapo à Lyon, le Musée-Mémorial d'Izieu doit être non seulement un lieu d'enseignement de l'Histoire mais également un vecteur de la Mémoire, notamment celle de l'enfance juive assassinée. Comme le dit Vladimir Jankélévitch : « Si nous cessions d'y penser, nous achèverions de les exterminer, ils seraient anéantis définitivement. Les morts dépendent de notre fidélité. »4 Cet événement nous concerne tous. Il appartient à la mémoire histo- rique de la France.

SABINE ZEITOUN

1. Certains enfants étaient sous la responsabilité de l'O.S.E., mais non la maison d'Izieu. 2. Centre d'Histoire de la Résistance et de la Déportation - 14 Avenue Berthelot, 69007 Lyon - Tél. 78.72.23.11. 3. Primo Lévi, « Comme si c'était un homme », Editions Julliard, Paris, 1987. 4. Vladimir Jankélévitch, « L'imprescriptible », Editions Le Seuil, Paris, 1986.

Avant-Propos

« Pour exprimer leur véritable sens, mémoire et piété se doivent de respecter la vérité des faits. »1 Cette phrase de Serge Klarsfeld résume l'état d'esprit qui anime la présente contribution à la mémoire des quarante-quatre enfants juifs et des sept adultes raflés le 6 avril 1944 à Izieu, dans l'Ain, par la Gestapo de Lyon et ses complices. Au-delà des sentiments confus de la douleur et de la révolte que peut légiti- mement inspirer la tragédie d'Izieu, une volonté de comprendre est à l'origine des pages qui vont suivre. Aborder les chapitres les plus sombres de la dernière guerre pose d'impor- tantes questions de fond, mais aussi de principe, en particulier au sujet de l'entreprise nazie d'extermination des Juifs et d'autres populations. Faire le récit du génocide, c'est l'inscrire dans la sphère de l'imaginable, c'est donc l'amener dans le champ des possibles, le rendre finalement « humain ». Garder le silence, c'est laisser le champ libre au discours négationiste, et donc aux bégaiements de l'Histoire.2 En 1994, au-delà des témoignages des survivants et des travaux disponibles des historiens, on a tendance à présenter la mémoire des victimes des atrocités nazies selon un mode émotionnel, voire spectaculaire, avec comme justification le désir d'enseigner aux jeunes générations des faits historiques afin qu'ils ne se reproduisent plus. Elargir la connaissance de cette façon est sans doute néces- saire, mais est-ce suffisant ? Sans vouloir résoudre cette question, le présent ouvrage souhaite simple- ment et modestement exposer le contexte et les circonstances, toutes les cir- constances - des plus infimes aux plus déterminantes, des plus dérisoires aux plus graves -, qui ont généré la tragédie d'Izieu, afin de participer à une mémoire active et préventive. Devenue un symbole considérable, à la fois d'une tragédie juive, d'un crime contre l'humanité et d'une douleur universelle, l'histoire d'Izieu permet de pré- server le souvenir du martyre des enfants, mais doit renvoyer à une réalité pré- cise, qui peut ressurgir sous d'autres formes, dans d'autres lieux, à d'autres époques, et face à laquelle il appartient à chacun de se déterminer. Cette réalité, c'est d'abord celle de pulsions criminelles, pour lesquelles l'enfance, l'innocence sacrée, la candeur, des vies sans défense, devaient finir broyées par une mort infâme. C'est aussi celle de la collaboration active des responsables du régime de Vichy, qui ont proposé de livrer les enfants à l'engrenage de la déportation. C'est enfin celle de l'indifférence du plus grand nombre. Menacés par la montée du mal absolu, entraînés par l'émigration massive des familles juives, et contraints de se séparer de leurs proches, extirpés des camps français, les enfants d'Izieu ont pu connaître quelques mois de répit, réfugiés dans un petit village de l'Ain, entourés de personnes dévouées, aidés par une solidarité locale. Un renseignement forcément transmis, l'arrivée de la Gestapo, la réquisi- tion d'un camion, l'enlèvement: tel est l'enchaînement fatal qui a brisé leur destin. Les quarante-quatre enfants d'Izieu ont connu le sort de plus de dix mille autres enfants juifs, déportés depuis la France, lâchement assassinés. Nous qui n'avons pas connu cette terrible période, qu'aurions-nous fait concrètement pour sauver des enfants ou lutter contre des bourreaux, pour enrayer une machinerie monstrueuse? La vérité des faits peut nous aider à répondre. Les fleurs et les larmes ne suffisent pas. La guerre « Le Président Laval a proposé que, lors de l'évacuation de familles juives de la zone non occupée, les enfants de moins de 16 ans soient emmenés eux aussi. »' Cette phrase est rédigée le 6 juillet 1942 par Théo Dannecker, chef de la section anti-juive de la police nazie en France. Elle figure dans un télex envoyé à l'Office central de sécurité du Reich. Inscrite à jamais dans les chapitres les plus sombres de l'Histoire contemporaine, cette note révèle jusqu'où les plus hautes autorités françaises du régime de Vichy sont prêtes à aller dans la colla- boration, et démontre à quel point les enfants deviennent une cible délibéré- ment choisie dans la volonté de persécuter les Juifs. A aucun moment, les nazis ne sollicitent une telle démarche. Au contraire, les enfants étaient volontaire- ment écartés des premiers convois de déportation, non par esprit humanitaire, mais simplement parce que leur prise en charge risquait de retarder et pertur- ber l'implacable chaîne de l'extermination. Les nazis avaient assez à faire avec les adultes disponibles, internés ou raflés. Du coup, confrontés à cette « propo- sition » du gouvernement français, les policiers nazis demandent l'aval de leurs supérieurs. Dans son message du 6 juillet, Dannecker dit : «Je demande donc une décision urgente par télex pour savoir si, par exemple à partir du quinzième convoi de juifs partant de France, nous pouvons inclure éga- lement des enfants de moins de 16 ans. » Il insiste dans un télex du 10 juillet 1942. Son successeur Heinz Rôthke prend le relais, en évoquant à nouveau la proposition française dans un rapport du 18 juillet 1942 : « Les représentants de la police française ont exprimé à plusieurs reprises le souhait

de voir les convois à destination du Reich inclure également les enfants. »2 Dans un télex daté du même jour, Rôthke établit le bilan des rafles de juillet, et se fait plus pressant : «Au cours de cette action d'arrestation, beaucoup d'enfants ont été pris dans le lot et il en résultera pour l'hébergement à long terme des difficultés considérables : aussi nous prions une fois de plus de décider s'il sera possible d'évacuer les enfants dans les prochains convois. »3 La réponse tombe le 21 juillet 1942. , chargé des affaires juives au sein de la Gestapo du Reich, téléphone à Paris, comme l'indique cette note de Dannecker: « La question débattue avec le S. S. Obersturmbann-führer Eichmann a été celle du transport des enfants. Il a finalement été décidé que des transports d'enfants pour- ront être mis en route dès qu'il redeviendra possible d'acheminer des convois vers le "Gouvernement Général ". »4 Ainsi, le sort des enfants Juifs en France est scellé. Le convoi N° 19 du 14 août 1942 à destination d'Auschwitz compte quatre-vingt enfants de moins de 12 ans. Le suivant emmène plusieurs centaines d'enfants. En tout, plus de dix mille enfants juifs de moins de dix-huit ans sont déportés de France à desti- nation d'Auschwitz entre 1942 et 1944.5 L'ENGRENAGE FATAL

En 1944, année de la rafle d'Izieu, le contexte sera différent. Ayant subi plusieurs revers militaires, les forces allemandes sombreront dans une sauvage- rie totale, et mèneront seuls les ultimes rafles en France. Mais les proies les plus innocentes étaient depuis longtemps désignées, et depuis longtemps livrées à un piège prêt à se refermer à tout instant. La tragédie d'Izieu témoigne à la fois du comportement nazi et de l'attitude française, dont furent victimes les enfants durant l'Occupation. Les historiens avancent plusieurs explications pour tenter de cerner les choix des autorités françaises à l'égard des enfants. L'administration de l'époque reste obnubilée par un problème matériel, sans envisager un seul ins- tant l'aspect humain de la situation des enfants juifs en France. En se débarras- sant des enfants, Vichy veut d'abord éviter leur prise en charge.6 Bien sûr, les autorités n'évoquent à aucun moment cette raison, qui appa- raît pourtant dans les discussions franco-allemandes, mais préfèrent invoquer publiquement un autre argument. Pour elles, la séparation des familles consti- tue une mesure qui pourrait heurter l'opinion publique. Dans l'esprit du régime de Vichy, l'unité de la famille est sacrée, et la déportation des enfants relève donc d'un soi-disant souci purement humanitaire ! Incroyable justifica- tion, inscrite noir sur blanc dans un compte-rendu du Conseil des ministres du 10 juillet 1942 : « Dans une intention d'humanité, le Chef du Gouvernement a obtenu - contraire- ment aux premières propositions allemandes - que les enfants, y compris ceux de moins de 16 ans, soient autorisés à accompagner leurs parents. »7 Voilà comment les enfants sont voués à la déportation. «Accompagner leurs parents » signifie en réalité, derrière des principes moralisateurs, aller directe- ment à la mort, tout en étant le plus souvent séparés de leurs parents, déportés avant eux. Ce qui fut le cas de la très grande majorité des milliers d'enfants de la rafle du Vel' d'Hiv' de juillet 42. Par la suite, pour se défendre, les responsables du régime de Vichy tente- ront d'atténuer leur criminelle décision, en prétextant leur ignorance du sort final réservé aux populations déportées, en insistant sur les pressions des enva- hisseurs nazis, ou en évoquant une politique du moindre mal. Autant d'argu- ments largement démentis par les historiens. Par rapport aux enfants, la pression nazie n'intervient absolument pas, puisque leur déportation est une initiative française L'ignorance, même hypo- thétique, n'est-elle pas également coupable? Les fonctionnaires décident la déportation massive d'enfants à partir du sol français, sans se soucier un seul instant de leur sort. Les conditions de vie dans les camps français, les terribles conditions de transport dans des wagons plombés, ne sont-elles pas des raisons suffisantes pour refuser catégoriquement un tel choix ? Bien avant cette félonie morale, de multiples événements laissent entrevoir le destin des enfants Juifs. Les 10 et 11 novembre 1938, la «Nuit de cristal » dévoile la volonté meur- trière des nazis. Dans toute l'Allemagne, quatre-vingt-onze Juifs sont assassi- nés, trente mille sont internés. L'antisémitisme criminel est en marche. Dès 1941, les « », formations spéciales qui suivent les avancées de la Wehrmacht, expérimentent le massacre systématique, en mitraillant les victimes, puis en utilisant du gaz dans des fourgons motorisés. A Auschwitz, la première incinération d'un détenu a lieu le 15 août 1940, et le premier gazage homicide en décembre 1941. Ce sont les prémices de la Shoah, dont seront victimes les deux tiers de la population juive d'Europe, soient entre cinq et six millions de personnes, dans une guerre qui compte plus de cinquante millions de victimes.8 Les nazis définissent les modalités de leur politique d'extermination totale à l'issue de la conférence de Wannsee, qui a lieu le 20 janvier 1942 dans la ban- lieue de Berlin. Cette décision politique constitue un tournant irrémédiable. Elle résonne alors dans les discours d'Hitler sous la forme d'un inimaginable projet, qui se propage dans toute l'Europe, et s'insinue en France. Car le régime de Vichy prend très rapidement l'initiative de sa propre poli- tique anti-juive. Une tenace tradition antisémite prend la forme de multiples mesures gouvernementales, administratives, et policières. Lois d'exclusion, statut des Juifs, Commissariat Général aux Questions Juives, internements, participation aux rafles, le filet est déployé et se resserre. L'hydre nazie trouve en France un terrain soigneusement préparé. Les plus hauts fonctionnaires emboîtent le pas aux pires dignitaires nazis. Le premier convoi de déportation part de France le 27 mars 1942, à desti- nation d'Auschwitz. Entre 1942 et 1944, soixante-dix-neuf convois emmènent plus de soixante-quinze mille Juifs à la mort, à partir du sol français. Tels sont les rouages de l'engrenage fatal dans lequel sont précipités les enfants, au cours d'une guerre où l'on décida d'assassiner l'innocence.

L'HORREUR DES CAMPS FRANÇAIS

L'itinéraire des enfants d'Izieu dépend dès le début de la guerre de la montée en puissance des persécutions à l'encontre des Juifs. En Europe, à partir de la prise de pouvoir des nazis, les persécutions provo- quent d'abord de grandes vagues d'émigration des populations juives. Des mil- liers de réfugiés parviennent ainsi en France. Mais les Français ne souhaitent pas garder des civils, pourtant sans défense. La défaite de la République espa- gnole, la débâcle, ont déjà jeté des milliers de personnes sur les routes d'un pays bouleversé. Dans une société en plein désarroi, affligée par la défaite mili- taire, frappée par la crise économique, recroquevillée sur un nationalisme étri- qué, le régime de Vichy trouve rapidement des limites à l'hospitalité française. Un transfert de Juifs dans la colonie française de l'île de Madagascar est même envisagé dans des discussions franco-allemandes. Mais c'est l'interne- ment massif que retiennent finalement les autorités vichystes comme « solution au problème juif », avant d'entrer de plein pied dans une politique de collabora- tion active, qu'elles poussent jusqu'à la mise en œuvre de la déportation, à partir de 1942, année où les nazis ont définitivement opté pour l'exter- mination. Entre 1940 et 1941, plus de cinquante mille juifs sont internés dans plus de trente camps répartis dans la zone non occupée. Les conditions de survie y sont atroces. Plus de trois mille personnes vont y trouver la mort. La fameuse «terre d'asile » devient terre de rétention administrative, avant d'être terre de déportation. La loi du 4 octobre 1940 donne aux préfets le pouvoir d'interner «des étrangers de race juive », celle du 2 juin 1941 élargit ces dispositions à « tous les Juifs ».9 Poussées par l'émigration, retenues par les mesures d'internement, les familles de la plupart des enfants d'Izieu se retrouvent au début de la guerre dans les camps français. Originaires de Belgique, d'Allemagne, d'Autriche, de Pologne, de Russie, ces familles subissent arrestations et déportations. Face à une telle situation, des organisations juives, en liaison avec certains organismes français, vont tenter de venir en aide aux populations internées. D'abord en apportant un soutien moral et une aide matérielle à l'intérieur des camps. A la base de cette action, Y Amérl"can Joint Distribution Committee (JOINT) va fournir des fonds pour assister environ soixante mille individus en zone sud. Concernant les enfants, un organisme joue un rôle tout particulier, et prépondérant. Il s'agit de l'Œuvre de Secours aux Enfants (O.S.E.), qui parti- cipe notamment au premier sauvetage des enfants qui trouveront par la suite un éphémère refuge à Izieu.

L'AIDE DE L'O.S.E.

Née au début du siècle en Russie, I' OEuvre de Secours aux Enfants se déve- loppe au gré des persécutions et des pogroms qui éclatent à travers l'Europe. En 1917, l'organisation compte mille trois cents enfants sous sa tutelle, et trente-quatre annexes en Russie. Après avoir transféré son siège à Berlin, l'O.S.E. s'installe à Paris en 1933.10 En France, elle ouvre sa première colonie à La Varenne, dans la Seine, en juin 1934. Fin 1939, peu avant l'occupation de Paris, l'O.S.E. décide d'évacuer les enfants dont elle a la charge vers le sud, plus particulièrement dans la Creuse. Son action s'intensifie dans la zone non occupée. Le bureau de la direction centrale s'installe à Montpellier, après un bref passage à Vichy. Le département de l'Hérault est un peu le centre de l'activité de l'O.S.E., d'abord en raison de la proximité géographique de nombreux camps, mais aussi parce que plusieurs fonctionnaires de la préfecture adoptent une attitude bienveillante à l'égard des populations en danger, et délivrent de nombreux certificats d'hébergement, nécessaires au sauvetage des enfants. M. Benedetti, le préfet régional, Camille Ernst, le secrétaire général de la préfecture, et M. Fridrici, chef de division, tirent des avantages d'une machinerie administrative par ailleurs bien compro- mise. L'O.S.E. met en place des centres médico-sociaux, où peuvent travailler des médecins juifs déchus de leur fonction par le régime de Vichy. En tout, vingt et un centres de ce type fonctionnent en zone sud. C'est surtout dans les camps d'internement que l'O.S.E. mobilise ses efforts, afin d'extraire le plus possible d'enfants. Forte de son expérience histo- rique, de la lucidité de ses responsables, et du courage de son personnel, l'O.S.E. parvient à sauver plus de cinq mille enfants durant toute la guerre. L'Œuvre est présente dans bon nombre des camps du sud, surtout dans ceux qui comptent une forte population enfantine, comme Récébédou, Agde, les Milles, Rivesaltes, ou Gurs.

AGDE, RIVESALTES, GURS, LES MILLES, VÉNISSIEUX...

Dans l'Hérault, le camp d'Agde, édifié en 1939 pour héberger des républi- cains espagnols, devient en 1940 camp d'internement pour Juifs, Tziganes et étrangers, et compte jusqu'à cinq mille personnes. Le , construit durant la première guerre pour le transit des troupes coloniales, compte plus de cinq mille enfants en 1941, placés dans des conditions d'insa- lubrité atroces, exposés au manque d'eau, aux moustiques, au vent, à la cha- leur en été et au froid en hiver, aux maladies." Grâce à la préfecture de l'Hérault, l'O.S.E. parvient à sauver plusieurs cen- taines d'enfants d'Agde et de Rivesaltes. Parmi ceux-ci, Rénate et Liane Krochmal, Sigmund Springer, Emile Zuckerberg, dont les parents réfugiés autrichiens ou polonais, seront tous déportés en septembre 1942. Otto Wertheimer sera quant à lui extirpé du camp de Gurs, d'où ses parents, réfu- giés allemands, seront déportés.12 D'autres enfants sont libérés du , situé dans la banlieue d'Aix-en-Provence. Quatre mille quatre cents personnes y sont internées en 1942. L'O.S.E. sauve soixante-dix enfants le 10 août 1942, au moment de l'embarquement de leurs parents pour la déportation, au prix de scènes déchi- rantes." Parmi les enfants recueillis par l'O.S.E. aux Milles, Egon-Heinrich Gamiel, 8 ans, qui sera lui aussi à Izieu quelques mois plus tard, alors que ses parents sont déportés à Auschwitz le 20 août 1942, par le convoi n°20. L'O.S.E. intervient dans le camp de Vénissieux, près de Lyon, où dans la nuit du 26 août 1942, environ mille deux cents hommes femmes et enfants sont amenés, après leur arrestation chez eux ou dans la rue. En cette circonstance, l'O.S.E. parvient à pénétrer dans le camp sous couvert de l' Amitié Chrétienne,

CET OUVRAGE

A ÉTÉ CONÇU ET RÉALISÉ PAR LES ÉDITIONS COMP'ACT

EN LEUR ATELIER DE SEYSSEL-SUR-RHÔNE (AIN). ACHEVÉ D'IMPRIMER EN AVRIL 1994 PAR L'IMPRIMERIE CHIRAT

À SAINT-JUST-LA-PENDUE (LOIRE).

Dépôt légal: Deuxième trimestre 1994 ISBN 2-87661-098-1