UNIVESITE D’ANTANANARIVO ------

FACULTE DE DROIT, D’ECONOMIE, DE GESTION ET DE SOCIOLOGIE

DEPARTEMENT DE SOCIOLOGIE

MEMOIRE DE MAITRISE

INSTRUMENTATION DE LA PRESSE : CAS DES PUBLICATIONS QUOTIDIENNES MALGACHES DEPUIS 2002

Présenté et soutenu publiquement le 28 mars 2006 par Rivonala Hévènerdèse Albin Razafison

Devant le jury composé de :

Président : Jean-Claude Ramandimbiarison, professeur titulaire

Rapporteur : Victorine Andrianaivo, maître de conférences

Juge : Guillaume Ranaivoarison

Année universitaire : 2004-2005

INSTRUMENTATION DE LA PRESSE : CAS DES PUBLICATIONS QUOTIDIENNES MALGACHES DEPUIS 2002

Les connaissances ne servent à rien si elles demeurent aveugles et ne sont pas employées à aider ceux qui se sont égarés à retrouver leur chemin et les captifs à être libres. […] A ceux d’entre nous qui sont privilégiés par l’éducation, la richesse et la sphère d’influence, je dis : « Utilisez votre pouvoir pour rendre les faibles forts ! »

Tony Meloto, économiste philippin à notre bien-aimé père Razafison (17 mars 1951-22 juin 1995)

SOMMAIRE

INTRODUCTION GENERALE

PREMIERE PARTIE : MISE EN PERSPECTIVE SOCIOLOGIQUE DE L’INSTRUMENTATION DE LA PRESSE

Chapitre I : Autour de l’« instrumentation »

Cadre général

Davantage d’éclaircissements

Principaux genres d’instruments

Mécanisme de contrôle

Chapitre II : Connaissances sociologiques proches de l’étude

Pierre Bourdieu et ses concepts majeurs

Approches par l’idéologie de la presse

Phénomène vécu et contesté à l’étranger

Chapitre III : les expériences historiques de l’époque coloniale à nos jours

De la presse d’opinion

De la presse d’opinion à la presse d’information générale

Fragilisation de la profession

DEUXIEME PARTIE : DYNAMIQUE D’INSTRUMENTATION DEPUIS 2002

Chapitre I : Géométrie de l’instrumentation : étude d’un cas récent

Approche synthétique de la méthode

Le cas à proprement parler

Equité discutable

Triple appréciation médiatique

Chapitre II : Effets de champ et effets de structure

Le champ journalistique malgache

Les contraintes vicieuses Déviance déontologie et éthique

Chapitre III : milieu urbain : la sensibilité sociale

Description de l’échantillon

Dictature douce : refus et hypostase

TROISIEME PARTIE : PROSPECTIVE D’UN DEFI DE L’AUTONOMISATION

Chapitre I : autonomisation et medias

Autonomisation à la « Banque mondiale »

Autonomisation et performance médiatique

Du bon usage de la violence symbolique

Chapitre II : autonomisation, TIC et socialisation secondaire

Etat des lieux

TIC et société malgache

La socialisation secondaire par les TIC

CONCLUSION GENERALE

BIBLIOGRAPHIE ET SITOGRAPHIE

TABLE DES MATIERES LISTE DES ABREVIATIONS

AARG : Apprentis agitateurs pour un réseau de résistance globale

ACORDS : Appui aux communes et organisations rurales pour le développement du Sud

ACP-UE : Afrique Caraïbes Pacifique-Union européenne

ACRIMED : Action critique médias

ADEN : Appui au développement numérique

AFD : Agence française de développement

APE : Accord de partenariat économique

AREMA : Action pour la renaissance de

ARTEC : Autorité de régulation des technologies de communication

ATTAC : Association pour la taxation des transactions et l’aide aux citoyens

BIANCO : Bureau indépendant anti-corruption

BNM : Bureau des normes de Madagascar

CAES : Comité d’appui aux e-stratégies

CDEG : Cellule de développement de l’e-gouvernance

CEB : Central Electricity Board

CERN : Conseil européen pour la recherche nucléaire

CFSI : Centre de formation des spécialistes de l’information

CINU : Centre d’information des Nations-unies

CITE : Centre d’information technique et économique

CNRS : Centre national de rech erche scientifique

COI : Commission de l’océan Indien

COMESA : Common Market for Southern Africa

CPAC : Chaîne pénale anti-corruption

CREM : Centre de recherche sur les médiations

CRN : Comité de réconciliation nationale

CSI : Comité pour la sauvegarde de l’intégrité CSLCC : Conseil supérieur de lutte contre la corruption

DCPE : Document-cadre de la politique économique

DDR : Direction de développement rural

DEGS : (Faculté) de droit, d’économie, de gestion et de sociologie

DSRP : Document de stratégie pour la réduction de la pauvreté

DTS : Data Telecom Service

EESGEGS : Etablissement supérieur de la faculté DEGS

EHESS : Ecole des hautes études en sciences sociales

ENMG : Ecole nationale de la magistrature et des greffes

ENPS : Ecole nationale de promotion sociale

EPIC : Etablissement public à caractère industriel et commercial

FAC : Fonds d’aide et de coopération

FASU : Fonds d’accès au service universel

FED : Fonds européen de développement

FJKM : Eglise de Jésus-Christ à Madagascar

GEPIM : Groupement des éditeurs de presse d’information de Madagascar

GRASS : Groupe d’analyse du social et de la sociabilité

GRT : Galana Raffinerie Terminal

GTM : Groupement des télécommunications à Madagascar

GSPM : Groupe de sociologie politique et morale

HCSI : Haut commissariat de la société de l’information

IEP : Institut d’études politiques

INA : Institut national de l’audiovisuel

INSEP : Institut national du sport et de l’éducation physique

INSTAT : Institut national de la statistique

KMMR : Comité de soutien à

LMS : London Missionary Society MBS : Malagasy Broadcasting System

MCA : Millennium Challenge Account

MCC : Millennium Challenge Corporation

MCSR : Mouvement des citoyens pour la sauvegarde de la République

MDRM : Mouvement démocratique pour la rénovation malgache

MEFB : Ministère de l’Economie, des Finances et du Budget

MFM : Mouvement pour le progrès de Madagascar

MOE-UE : Mission d’observation électorale de l’Union européenne

MTPC : Ministère des Télécommunications, des Postes et de la Communication

NEPAD : Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique

NIAG : Nouvelle imprimerie des arts graphiques

NIC-MG : Network Information Center Malagasy

NTIC : Nouvelles technologies de l’information et de la communication

NYT : New York Times

OBM : Observatoire bisontin des médias

OJM : Ordre des journalistes de Madagascar

OMAPI : Office malgache de la propriété intellectuelle

OMDA : Office malgache des droits d’auteur

OMH : Office malgache des hydrocarbures

OMS : Organisation mondiale de la santé

OMSI : Observatoire malgache de la société de l’information

ONU : Organisation des Nations-unies

ORTIC : Organe de régulation des TIC

OTME : Office des transmissions militaires de l’Etat

OUA : Organisation de l’Unité africaine

PADESM : Parti des déshérités de Madagascar

PDM : Parti démocratique malgache PMPS : Projet multisectoriel pour la prévention contre le SIDA

PNEG : Programme national e-gouvernance

PNUD : Programme des Nations-unies pour le développement

PPP : Partenariat public-privé

PSD : Parti social-démocrate

RDA : République démocratique allemande

RDB : Radio Don Bosco

RFN : Rassemblement des forces nationales

RNM : Radio Nasionaly Malagasy

RNNS : Réseau national numérique structurant

RTA : Radio Télévision Analamanga

RTM : Radio Televiziona Malagasy

SADC : Southern Africa Development Community

SAFE : South Africa and Far East

SMSI : Sommet mondial sur la société de l’information

SNEP : Société nationale des entreprises de presse

SNJ : Syndicat national des journalistes

SPDUN : Solidarité pour la défense de la démocratie et de l’unité nationale

TIC : Technologies de l’information et de la communication

TIM : Tiako i Madagasikara (parti politique)

TV PLUS : Toujours Vouloir Plus

TVM : Televiziona Malagasy

UQAM : Université de Québec à Montréal

URSS : Union des Républiques socialistes soviétiques

USAID : Agence américaine pour le développement international

VVS : Vy Vato Sakelika

VVSV : Vahoaka Vonona Sahy Vonona

LISTE DES TABLEAUX

Tableau I : Surfaces totales consacrées aux textes et images portés sur la une respective des journaux du 19 décembre 2005 sur les événements du 17 décembre 2005, unité en cm² (Sources : Analyses et synthèses personnelles)...... 71 Tableau II : Répartition des surfaces consacrées aux textes et images portés en une respective des journaux du 19 décembre 2005 à propos d’événements du 17 décembre 2005 (Sources : Analyses et synthèses personnelles)...... 71 Tableau III : Surfaces totales consacrées aux pages de l’intérieur, unité en cm² (Sources : Analyses et synthèses personnelles)...... 77 Tableau IV : Surfaces totales consacrées aux pages de l’intérieur, en pourcent (Sources : Analyses et synthèses personnelles)...... 78 Tableau V : Nombre de photos et d’articles parus dans chaque journal (Sources : Analyses et synthèses personnelles)...... 78 Tableau VI : Effectif réel de textes et photos sur le forfait du 17 décembre 2005 à Antananarivo (Sources : Analyses et synthèses personnelles)...... 85 Tableau VII : Répartition des journalistes [ayant rempli les questionnaires distribués] selon l’âge et le sexe. (Sources : Enquêtes et analyses personnelles) ...... 110 Tableau VIII : Répartition des personnes interrogées selon les variables sociologiques indépendantes et dépendantes et selon aussi le quadruple classe d’âges proposé (Sources : Enquêtes et analyses personnelles)...... 141 Tableau IX : Répartition du public consulté selon la variable indépendante âge et la catégorie socioprofessionnelle (Sources : Enquêtes et analyses personnelles) ...... 143 Tableau X : Répartition en pourcent du public consulté selon la catégorie socioprofessionnelle (Sources : Enquêtes et analyses personnelles)...... 144 Tableau XI : Répartition du public consulté selon les revenus mensuels, unité en millier de la monnaie nationale (Sources : Enquêtes et analyses personnelles)...... 144

LISTE DES ILLUSTRATIONS

Graphe I : Espaces consacrés aux textes portés sur la une des journaux (Sources : Analyses et synthèses personnelles). 72

Graphe II : Espaces consacrés aux photos portées sur la une des journaux (Sources : Analyses et synthèses personnelles). 72

Graphe III : Représentation graphique de la récapitulation générale des réactions en une (Sources : Analyse et synthèses personnelles). 76

Graphe IV : Représentation graphique des surfaces totales consacrées aux textes mis dans les pages de l’intérieur par chaque journal (Sources : Analyses et synthèses personnelles). 79

Graphe V : Représentation graphique des surfaces totales consacrées aux photos publiées aux pages de l’intérieur par chaque journal (Sources : Analyses et synthèses personnelles). 79

Graphe VI : Représentation graphique des surfaces totales consacrées aux textes et photos publiés aux pages de l’intérieur de chaque journal (Sources : Analyses et synthèses personnelles). 84

Graphe VII : Représentation graphique de la distribution numérique des éléments de conviction (Sources : Analyses et synthèses personnelles). 86

Photo I : L’image du jour parue en une du journal Les Nouvelles du 19 décembre 2005 (Sources : http://www.les-nouvelles.com). 87

Photo II : La page une du journal Les Nouvelles du 17 décembre 2005. 89

Graphe VIII : Répartition des journalistes de la presse écrite selon leurs salaires mensuels (Sources : Enquêtes et analyses personnelles). 106

Graphe IX : Répartition des journalistes selon l’âge (Sources : Enquêtes et analyses personnelles). 107

Graphe X : Niveau de formation des journalistes en exercice 108 (Sources : Enquêtes et analyses personnelles). 108

Photo III : Caricature montrant comment un politicien sait détourner une situation à son profit (Sources : L’Express de Madagascar du 6 février 2006, http://www.lexpressmada.com) 117

Graphe XI : Dans son for intérieur, un journaliste désire être à la place soit d’un député soit d’un conseiller (Sources : Enquêtes et analyses personnelles). 123

Photo IV : Combien une telle caricature exprime la soif citoyenne de contrôler l’action du président de la République à un moment donné de son emploi du temps journalier. (Sources : L’Express de Madagascar du 8 mars 2006, http://www.lexpressmada.com)154

Photo V : Caricature délibérément irrespectueuse à l’égard de la personne du o secrétaire général de l’ONU (Sources : http://www.les-nouvelles.com, Les Nouvelles n 0627 du 15 mars 2006, p. 2) 180

Croquis I : La liaison future de l’Est africain au câble sous-marin du haut débit dès 2007 (Sources : e-Africa Commission, 2007) 190

INTRODUCTION GENERALE 1

Le monde d’aujourd’hui semble pouvoir vivre et exister seulement par et pour les médias. Personne ne peut nier ni arrêter l’essor spectaculaire des technologies de l’information et de la communication (TIC). La sagesse chinoise de la dynastie de Han, représentée par Tong Tchong-chou (179-104 av. J.-C.), prédit l’avènement des réalités technologiques de la post-modernité et du tout numérique ou la digitalisation. Sans sortir de chez lui, un Sieoutsai peut savoir tout ce qui se passe sous le soleil1. Voilà la formule qui dit tout sur les possibilités offertes par l’Internet. Les interconnexions mondiales permettent l’accès à un potentiel d’informations universelles. Mais le contrôle de l’Internet et de ses composantes échappe à l’homme. Un parallélisme hâtif débouche sur Georg Simmel qui analyse le pouvoir de l’argent sur l’homme2. De toute évidence, l’humanité ne peut que s’émerveiller devant la subtilité du virtuel qui devient le point d’ancrage d’une communication aseptisée3. Notre époque a la particularité d’asseoir sur des bases solides la prééminence du tout électronique, tout informatique et tout numérique. Le nouvel ordre mondial est sur le point d’enlever aux supports traditionnels de la communication (presse écrite, radiodiffusion et télédiffusion) leur prestige d’antan. Force est alors pour eux de s’uniformiser à travers la mise en ligne respective de tous les organes d’information. Mais les bonnes choses ne résistent pas toujours à des contraintes vicieuses. L’actuel paysage médiatique mondial est chaotique. Que des informations, même les plus fallacieuses, peuvent être facilement trouvées sur le net. Il revient à chaque usager de savoir séparer le bon grain de l’ivraie. De leur côté, les organes de presse classiques tentent toujours de maintenir et d’affirmer leur sérieux par rapport au nouveau mode de communiquer à l’échelle planétaire. Les journaux, les radios et les télévisions en ligne ne se livreront jamais à des jeux peu enviables. Pour eux, la règle du jeu consiste à vendre les meilleurs produits. Toutefois, la réalité en marche peut nous révéler des surprises.

1 Cité par Mao Tsétoung dans Cinq essais philosophiques, éditions en langues étrangères, Pékin, 1976, p. 14. 2 Le livre intitulé Philosophie de l’argent est publié en 1900. Georg Simmel y parle du retournement de la situation au sujet de la dialectique argent/moral. Selon lui, l’humain crée l’argent pour ses besoins d’échanges économiques. En retour, l’argent finit par tenir le haut du pavé en contrôlant l’homme dans sa quotidienneté. 3 La communication aseptisée se caractérise par le fait de toucher les gens sans que ces derniers soient réellement présents. 2

Madagascar restera à jamais sous l’influence de la dynamique opérée au niveau mondial. Il n’est pas du tout de son intérêt d’aller à l’encontre de l’ordre universel, surtout dans le contexte actuel de la mondialisation et de la globalisation. L’héritage historique de la Grande Ile, parsemé d’innombrables péripéties événementielles, la maintient dans une position d’éternelle dépendance vis-à-vis des puissances mondiales. La dynamique politique interne n’a jamais été favorable à une expansion digne d’un pays aussi riche que le nôtre. Le règlement des choses politiques occupe toujours le devant de la scène, laissant ainsi bien des domaines vitaux à la traîne des priorités. Rien que nous en tenir aux événements de 1947, 1972, 1991, et de 2002 dernièrement, des faits contemporains peuvent nous en indiquer des exemples curieux. Ces quatre grandes dates historiques nous transportent vers des époques antérieures. La parution du journal Teny Soa hanalan’andro en janvier 1866, à l’initiative de la London Missionary Society (LMS), constitue un tournant majeur dans la 1 e conduite des affaires culturelles du royaume dans la seconde moitié du XIX siècle malgache. D’obédience confessionnelle, le journal est sans conteste perçu comme étant l’ancêtre de la presse malgache. Dès le début, la presse s’assigne le devoir sacré d’enrichir la culture et de jouer l’éducateur social. La presse est investie de fonction de socialisation politique de l’individu. L’examen du passé récent du pays doit nécessairement passer, même en partie, par l’étude historique de la presse. Son devenir est aussi celui d’un peuple soumis à la puissance coloniale. La reconquête de l’indépendance est héroïque et pathétique. Minimiser cet aspect serait commettre une erreur épistémologique monumentale. Des titres, à l’instar de Le journal malgache (1883) et de Le malgache (1887- 1893), ont aussi vu le jour pour emboîter le pas à Teny Soa hanalan’andro de 1866. La réplique de la puissance coloniale ne tarde pas à venir. Des journaux français ont paru

1 Voici comment Lucile Rabearimanana rapporte les citations du journal Teny Soa hanalan’andro, no 1 de janvier 1866 : « L’origine de cette création vient de ce que nous avons vu la situation des habitants. Ils n’ont pas beaucoup de lectures, à part l’Ecriture Sainte. Beaucoup de choses leur sont inconnues : le sens de l’Ecriture Sainte, le caractère des hommes et des lieux qui y sont mentionnés, les coutumes et les œuvres des habitants d’autres pays et d’autres connaissances. Aussi avons-nous pensé à créer ces menus papiers pour que les gens puissent passer le temps quand ils n’ont pas beaucoup d’occupations. Et nous les nommons Bonnes Paroles car nous y écrirons seulement ce que nous jugeons être utiles aux gens… » in La presse d’opinion à Madagascar de 1947 à 1956 : Contribution à l’histoire du nationalisme malgache du lendemain de l’insurrection à la veille de la loi-cadre, Librairie mixte, Antananarivo, 1980, p. 23. NB : Des modifications du point de vue ponctuation ont été apportées aux citations initiales.

3 pour concurrencer ceux contrôlés par les missionnaires londoniens1. L’année 2006, la presse malgache célébrera son 140e anniversaire. Au vu et au su de tous, la presse est toujours investie des missions qui peuvent dévier les objectifs initiaux du propriétaire au gré des circonstances et du contexte. Tel est le cas du premier journal et de sa suite2, et, plus tard, de leurs concurrents directs. Petit à petit, Teny Soa hanalan’andro a pris l’allure d’un instrument. Il a été un moyen par excellence pour exprimer ou défendre les valeurs et l’identité culturelles malgaches menacées par l’ethnocide3 mis en branle par la colonialisation. Une littérature engagée finit par émerger de façon subreptice à travers la presse écrite pour retrouver ce qui a été perdu. La tentative d’instrumenter la presse est une constante et est aussi vieille que la presse elle-même. L’évolution historique du statut juridique et politique du pays l’illustre. Au temps fort de la colonisation, le militantisme littéraire se double des luttes acharnées (VVS en 1916 et MDRM en 1947). La toute première grande marche pacifique sur les rues tananariviennes en date du 19 mai 19294 est vue comme l’envol du changement qualitatif de la résistance anticoloniale. La presse s’arrange pour appuyer ou pour désapprouver les mouvements en marche. En appréhendant la maturité et la force de frappe de la littérature journalistique malgache, l’administration coloniale s’est donné le luxe de créer ses propres organes de presse. Il en va ainsi l’existence, d’une part, de la presse nationaliste, et, d’autre part, de la presse loyaliste, après la tourmente de 1947. Toutes les deux rivalisent d’opinions, chacune de son côté. D’après le constat général, la presse malgache connaît un dynamisme exceptionnel après chaque coup dur subi par la nation. La réalité de l’après 1947 est un exemple à ne jamais ignorer. Les nationalistes déposent les armes contre les plumes pour faire pression sur les autorités françaises pour qu’elles consentent à restituer à

1 D’après Gil Dany Randriamasitiana, les Français ont édité une quarantaine de journaux entre 1896 et 1938 (cf. Aspects sociolinguistiques et de la francophonie et de l’indianocéanité à travers l’exemple malgache, 2003, p. 3). 2 Ce sont les journaux qui viennent juste après journal Teny Soa hanalan’andro. 3 L’ethnocide n’est pas le génocide. L’ethnocide est la destruction de la culture d’un peuple. (cf. Janine Bremond et Alain Gélédan, Dictionnaire économique et social, Paris, Hâtier, 4e édition augmentée, juin 1990, p. 170). Guy Rocher parle de la dépersonnalisation de la collectivité qui se vide de son identité propre dans Introduction à la sociologie générale, t. 3, Le Changement social, Paris, éd. HMH, coll. « Points », 1968, p. 236. 4 Ce jour, Jean Ralaimongo, Paul Dussac et consorts ont organisé une réunion dans les locaux du cinéma Excelsior à Andohan’Analakely, Antananarivo. Mais suite à un incident traitant les indigènes au rang encore plus bas que celui des races chenilles, une foule incontrôlée a pris la direction de la place d’Anjoma en scandant l’égalité de tous et surtout en réclamant l’indépendance nationale. 4

Madagascar sa personnalité qui lui a été otée de force. L’effort visant le rétablissement de l’indépendance nationale est devenu une pure activité intellectuelle privilégiant l’écriture. L’usage de forces est évité. Cette fois-ci, il n’est pas question de baisser pavillon. La promulgation de la loi-cadre le 23 juin 1956 n’est pas un motif valable pour lâcher prise. Les habitants ont besoin d’être éduqués à l’aube de l’indépendance. La maturité citoyenne est requise en vue de la gestion rationnelle et équitable des affaires publiques. Mais, petit à petit, le pur nationalisme cède la place à un égoïsme « dissimulé ». Presque tous les partis politiques s’e empressent, chacun à sa manière, à fonder leur propre organe de presse à l’approche des différentes élections. Quoi qu’il en soit, le néo-colonialisme de la Première République et le socialisme de la Deuxième République favorisent à peine l’émancipation de la presse nationale. Aux alentours de l’indépendance, quelque chose de louche se passe dans la dynamique des relations entre la France et l’Afrique. La Françafrique, pourfendue par François-Xavier Verschave (28 octobre 1945-29 juin 2005) dans Noir silence : Qui arrêtera la Françafrique ?1, prend son envol dès l’époque du général Charles de Gaulle où les réseaux Foccart commencent à manipuler habilement les médias en Afrique. Plus tard, les journalistes françafricains prendront le nom de « négrologues ». Ils développeront un talent formidable en matière de falsification de l’information et s’excelleront dans ce domaine. Le critique associera à la françafrique le concept de mafiafrique et la question suivante : « Les médias complices ?2 ». Dans les années 60 et 70, plus d’une douzaine de réseaux du même front sont apparus. Plus tard, Michel Maffessioli sera plus connu pour sa théorie de tribus : ses aspects positifs et ses aspects négatifs. Selon lui, l’espèce humaine n’est jamais ni tout blanche ni tout noire. Sous un autre angle, la liberté de la presse n’a pratiquement jamais existé. La censure pénalise lourdement les journaux en cas de dérapage. Les aspects techniques du journalisme d’alors n’attirent pas non plus l’intérêt des opérateurs. La famille Martin Andriambelo e eu beau s’aventurer sur le terrain miné en créant

1 Cf. François-Xavier Verschave, Noir silence. Qui arrêtera la Françafrique ?, Paris, éd. Les Arènes, avril 2000. 2 « Si les médias sont restés muets, ce n’est pas en vertu de la théorie du ‘mort kilomètre’, qui dissout l’intérêt dans l’éloignement », (François-Xavier Verschave, président de l’association Survie de 1995 à 2005).

5 le quotidien Midi Madagasikara1. Cinq ans plus tard, Rahaga Ramaholimihaso a fondé Madagascar Tribune. Avant eux, il y a eu Le Courrier de Madagascar et Madagascar Matin qui ont servi les intérêts de la communauté française basée à Antananarivo et dans les provinces en bute à la malgachisation dès 1972. Après les mouvements des Forces vives de 1990-1991, un nouveau quotidien, en l’espèce de L’Express de Madagascar, est arrivé sur le marché. En effet, la relative liberté de la presse, garantie par la loi no 92-0392 du 14 septembre 1992, a tant bien que mal sécurisé les investissements privés dans le domaine des médias malgaches. Par ailleurs, le propriétaire de nouveau journal, en la personne de Herizo Razafimahaleo, est un opérateur économique, deux fois successives candidats aux élections présidentielles (1996 et 2001). Le 7 avril 1998, Gazetiko est né pour consolider les acquis de son aîné Midi Madagasikara. Les industries de la presse malgaches ne sont plus désormais à la traîne du progrès technique et technologique. La répétition, l’opposition et l’adaptation des phénomènes, selon Gabriel Tarde3, se vérifient elles-mêmes avec le cas malgache. La remarquable éclosion de la presse écrite, seulement une année après la crise 2002, rappelle effectivement la réalité de l’après 1947 et 1972. La situation correspond à la conception marxiste de la négation de la négation4 ou encore à la destruction créatrice de Joseph Schumpeter. Mais la réalité est telle qu’elle doit évoluer sous l’effet de la mondialisation et de la globalisation. Le pays compte aujourd’hui une dizaine de publications quotidiennes1 contre quatre avant 2002. Elles prétendent toutes avoir une couverture nationale. Logiquement, chacune y va de sa propre manière de concevoir les réalités nationales ou internationales. La presse malgache continue d’être instrumentée. Les héritages

1 La première parution du journal date du 18 août 1983, en pleine période socialiste caractérisée par la censure de la presse nationale. 2 o Cf. Annexe XXI. Le texte cité en référence a pour effet l’abrogation tacite de l’ordonnance n 74-014 qui impose le régime de censure et les peines correspondantes en cas d’infractions. 3 Gabriel Tarde a publié en 1898 le livre intitulé Les lois sociales : Esquisse d’une sociologie comprenant trois grands chapitres : Répétition des phénomènes, Opposition des phénomènes et Adaptation des phénomènes. L’auteur est cité parmi Les classiques des sciences sociales dans le cadre de la collection développée en collaboration avec la bibliothèque Paul-Emile-Boulet de l’université du Québec à Chicoutimi. Les textes sont consultables et téléchargeables à partir de la page web dont l’adresse est la suivante : http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/classiques_des_sciences_sociales/index.html. 4 D’après Les lois universelles de Friedrich Engels, cf. Jacques Hermann, Langages de la sociologie, e Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 2 éd. mise à jour, novembre 1988, p. 29. Plus loin, l’auteur fournit encore davantage de précisions : « toute chose (fait, proposition, événement) a son opposé », « tout objet est contradictoire, constitué de composants opposés (unité des contraires) », « tout changement interne résulte des opposés », « le progrès a une allure de spirale dont chaque niveau contient et nie le précédent » (c’est la « négation de la négation », Yakhot, Qu’est-ce le matérialisme dialectique ? p. 147-166) et « tout changement quantitatif produit un changement qualitatif », op. cit., p. 34. 6 historiques pèsent lourd sur son devenir idéologique. Nous nous fixons sur le sujet « Instrumentation de la presse : cas des publications malgaches depuis 2002 » comme cadre de recherche en vue de l’obtention du diplôme de maîtrise en sociologie. La presse est toujours difficile à circonscrire dans sa totalité par fait qu’elle relève d’un univers infiniment instable, mouvant et changeant à l’infini. Nous sommes amené à nous exprimer sur les motifs du choix du sujet. Motifs du choix du sujet et du terrain L’exposé préalable sur la logique historique a été la première source d’inspiration personnelle. La répétition du phénomène est trop évidente pour éveiller la curiosité. Les critiques, les reproches, les invectives… et les réflexions d’ordre institutionnel voire même les productions littéraires abondent sur la presse écrite. Elle est stigmatisée et traitée sans aménité. Elle offre un thème de prédilection des débats politiques et publics. On lui reproche des actes perturbateurs et mystificateurs. On manifeste à son égard une volonté de la réduire à l’image d’un enfant à éduquer. Plus souvent, la presse est au cœur des débats publics tout comme elle l’est en haute sphère de l’administration. La presse est devenue un mal aimé par ceux qui ont peur de sa capacité de nuisance. Durant l’année 2005, la presse malgache a fait parler d’elle. Maintes discussions ont été engagées à son sujet. Faiseuse de vedettes, la presse se fait vedette elle-même. La critique sur les médias est devenue un produit apprécié par les médias eux-mêmes. Les critiques formulées à leur endroit sont toujours davantage virulentes et humiliantes. L’année 2005 n’a pas été peut-être celle de la presse. Le journalisme tend à perdre sa supériorité morale et la faveur du public. La cacophonie semble atteindre son paroxysme à quelques mois du grand jubilé du 140e anniversaire de la presse, à quelques mois du début des travaux d’installation du backbone national… et à l’intervalle d’une année avant la tenue de prochaines élections présidentielles. Mais tout cela relève d’un pur concours de circonstances qui n’a rien à voir avec la conviction intime de l’étudiant dès le mois de juillet 2004. Une expérience intérieurement vécue sous-tend le choix du thème. Voici l’histoire ! Dans la soirée de vendredi 9 juillet 2004, nous sommes rentré d’une mission effectuée à Antsirabe. En passant au niveau de la sortie nord de la ville d’Ambatolampy, les images autour de l’épidémie de choléra en 1988-1999 nous sont subitement revenues à la mémoire, comme par une sorte d’éblouissement, et, ont inspiré la question

1 Le courrier cesse de paraître dès le 1er mars 2006, à peine huit mois après sa première mise en vente.

7 suivante : « Les histoires de choléra auraient-elles eu la chance d’exister si la société malgache était mieux informée de la dangerosité de cette épidémie ? »

Des journalistes et des membres de l’ONG internationale Médecins sans frontières ont, en effet, alerté les autorités sanitaires au sujet des cas de choléra signalés du côté de la ville de Mahajanga. Mais ils n’ont pas eu l’oreille de l’administration publique d’alors. Au contraire, la vérité a été réduite au silence au grand dam des victimes innoncentes. L’ensemble de la société en a subi effectivement les conséquences. Par extrapolation, la constellation de titres doit suffire à mettre en garde l’ensemble des populations sur certaines pratiques à même de prendre en otage la vie publique et compromettre l’avenir commun. Initialement, nous avons songé au thème de La presse écrite en rapport avec l’éveil de l’intelligence sociale. En voulant persister dans cette voie, nous avons pris la peine de commander un exemplaire du livre de Jean-Michel Berthelot intitulé L’intelligence du social à Paris, et ce moyennant la somme de 30 euros, environ Ar 70 000. L’ouvrage n’est pas disponible chez nous. De surcroît, son contenu n’est pas d’un accès facile du tout. Sa lecture est donc réservée à un public spécifique. En dépit de travaux de recherche préliminaires, nous sommes contraint de changer de sujet à l’idée de traiter « La fonctionnarisation de la presse : cas des publications quotidiennes malgaches depuis 2002 ». Mais l’acception du terme fonctionnarisation est quelque peu ambivalente. Finalement, la recherche sur le net nous a suggéré le verbe « instrumenter ». Nous avons alors appris que le concept d’instrumentation a gagné ses lettres de noblesse dans les sciences sociales grâce à des travaux de synthèse d’inspiration nord- américaine. Mais ce qui nous intéresse, c’est de démonter les mécanismes par lesquels la presse écrite malgache est instrumentée. Les journaux à étudier sont tous implantés à Antananarivo. En termes de mobilité et de déplacement, le terrain offre plusieurs facilitations avantageuses (collecte d’informations, documentation et investigation). Le dernier motif du choix du thème, qui, d’ailleurs, n’est pas le moindre, est lié à l’activité professionnelle de l’étudiant qui a exercé le métier de journaliste tout en étant apprenti sociologue. Il s’agit de faire la sociologie du dehors et du dedans. Mais cela ne manque pas de poser quelques problèmes de distanciation par rapport au domaine choisi. A notre humble avis, la sociologie des médias semble être un domaine encore largement terra 8 incognita à Madagascar. Elle n’y est pas encore assez développée. Problématique La presse écrite ne peut pas se maintenir dans son statut de quatrième pouvoir compte tenu de la façon dont elle est instrumentée au fil des ans. Objectifs globaux Il n’est pas question de chercher à faire l’apologie du journalisme ou à le critiquer mais à en donner une vision élargie et objective. Le premier objectif visé est de contribuer au développement de la connaissance en sociologie des médias. C’est un domaine pas encore suffisamment exploré chez nous à notre humble avis. L’étude ne cherche pas à remettre en cause ni le professionnalisme ni les compétences du journaliste, qu’il soit débutant ou avancé. L’étude insiste toutefois sur des questions d’ordre déontologique et éthique, c’est-à-dire la manière d’être journaliste et d’exercer le journalisme, sans pour autant qu’elle se veuille être moralisatrice. Objectif spécifique La place de la presse écrite dans la dynamique actuelle des technologies de l’information et de la communication ( TIC ) mérite d’être débattue sociologiquement. D’ici peu, une grande révolution communicationnelle devra s’opérer comme cela a été le cas consécutivement à la réussite du Projet Leland en 1996 1. Les acquis de ce dernier seront bientôt consolidés par l’arrivée du backbone national 2. Hypothèses de recherche L’instrumentation de la presse a une origine historique et structurelle. Les patrons de presse y ont leur part de responsabilité. Généralement, la logique commerciale de leurs entreprises les préoccupe avant tout. Pour eux, il importe de bien gérer les marges

1 Le Projet Leland initié et financé à hauteur de 15 millions de dollars par le gouvernement américain prévoit la connexion de quelques pays africains, dont Madagascar, au réseau des réseaux (Internet). Les multiples accords signés à cet effet permettent à la Grande Ile de passer à une démocratisation certaine des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Initialement, le projet est réalisé par l’Agence des Etats-Unis pour le développement international ( USAID ) en partenariat avec le Programme des Nations unies pour le développement ( PNUD ). Par la suite, sa gestion sera confiée à la société TELMA qui sera l’actionnaire majoritaire de la société Data Telecom Service . Créée en 1995, la DTS est un des neuf prestataires de service Internet ( PSI ou providers en anglais) en activité en 1996. Jusqu’à maintenant, le couple TELMA /DTS reste le leader dans la prestation de services Internet à Madagascar. En 2002, DTS est reconnue comme l’utilisateur exclusif de la marque internationale Wanadoo chez nous. Son dernier exploit remonte à la mise en vente de la technologie ADSL (connexion à haut débit, 1 mégaoctet) dès le second semestre 2005 comme si la terre d’accueil de la fibre optique était déjà préparée à l’avance. A l’heure actuelle, on parle de la politique des TIC , côté institutionnel. En sociologie, le concept de socialisation secondaire , entre autres, serait en passe de susciter de très intéressants débats scientifiques. 2 En gestation depuis 1997, le projet backbone national de la fibre optique pourra enfin se réaliser dès 

9 bénéficiaires au détriment des conditions dans lesquelles évoluent leurs employés. L’actuelle instrumentation de la presse résulte du rajeunissement et de la féminisation progressifs du corps du journalisme. Ce serait le résultat de l’inadéquation de la formation à la réalité du marché du travail. Les jeunes diplômés ayant les compétences requises, généralement limitées à la connaissance des langues, renforcent les équipes rédactionnelles. L’instrumentation de la presse est toujours liée à une question d’éthique et de déontologie1. La profession s’est dotée des normes matérialisées par le Code de déontologie établie le 20 février 2001. Mais le journaliste semble incapable d’en respecter l’application. Durant l’année 2005, plus d’une dizaine de journalistes sont mis en examen pour cause de délits de presse. L’ordre institutionnel n’est pas non plus épargné. La presse malgache cherche à se libérer des contraintes juridiques, trop contraignantes à son égard, voilà déjà plus d’un siècle. Dès la promulgation du décret du 16 février 1901 instaurant la censure, le régime de l’autorisation préalable pour les journaux en langue malgache, le malaise se fait sentir. Dès lors, le chemin à parcourir sera long. L’instrumentation de la presse s’apparente à l’exercice de la dictature douce. Malgré leur statut de quatrième pouvoir, les médias se font porte-parole de la superstructure qui représente les idéologies dominantes. La presse véhicule un ordre de domination inconsciente vis-à-vis de l’infrastructure. Les entités constitutives de la superstructure deviennent dépendantes de la presse. Groupes politiques, économiques, religieux, scientifiques, militaires… ont chacun leur propre pool de journalistes. La grande famille de la presse malgache est territorialisée au profit des particularismes qui semblent tirer une nouvelle légitimité dans la représentation médiatique. L’instrumentation de la presse expose celle-ci à une éternelle remise en question. Depuis toujours, le problème de crédibilité est inhérent à la naissance d’un organe de presse. Son instrumentation ne lui apportera pas rien de bon sur le plan commercial.

janvier 2006 moyennant l’octroi de 20 millions de dollars par la Banque mondiale. 1 Le mot « déontologie » apparaît pour la première fois en 1825 en langue française, dans la traduction de l’ouvrage du philosophe utilitariste anglais Jeremy Bentham intitulée Essai sur la nomenclature et la classification des principales branches d’Art et Science. Il écrit : « L’éthique a reçu le nom plus expressif de déontologie ». 10

Brève présentation du terrain L’agglomération d’Antananarivo elle-même constitue le cadre géographique de notre étude. C’est la plus importante ville du pays. Elle est constituée par six districts (les anciens arrondissements administratifs de la commune urbaine d’Antananarivo) qui s’étendent sur un périmètre total de 81,6 km². Le nombre d’habitants est estimé à deux millions environ. La grande ville est caractérisée par l’hétérogénéité de la population montrant toutes les facettes culturelles de l’ensemble du territoire et par une forte concentration et activité médiatique (09 stations télévisions, 37 stations radio et plus de 80 quotidiens et périodiques). Desservie par des liaisons terrestres et aériennes, la ville d’Antananarivo a toujours joué des rôles historiques, politiques, économiques, administratifs, culturels, diplomatiques… très importants. Riches et pauvres, éduqués et non éduqués s’y côtoient en permanence. Méthodologie Concepts et instruments d’analyse L’étude de la presse écrite est capable d’une infinitude d’approches (diachronique, synchronique, institutionnelle, organisationnelle, économique, par l’idéologie…). Les pensées sociologiques correspondant à ces approches sont légion. Nous avons, par exemple, Antonio Gramsci, pour une approche par l’idéologie de la presse. Pour l’explication du concept d’instrumentation, nous allons faire appel au psychologue Jean Garneau de l’université de Montréal (1941-2005). e Une des figures emblématiques de la sociologie française du XX siècle, Pierre Bourdieu s’impose en tant qu’analyste pertinent et puissant des médias. Il est réputé pour l’intensité de ses critiques réelles à l’égard de la pratique journalistique. Ses expériences nées des rapports toujours houleux avec les médias s’avèrent incontournables pour toute étude sociologique de la presse. Devenu journaliste tout en étant sociologue à part entière, l’intellectuel énervé Pierre Bourdieu compte parmi les intellectuels les plus puissants au monde et dont l’influence a été toujours grandissante pour le milieu universitaire français. La plupart des études sur les médias s’inspirent des travaux développés par ce sociologue. Tel est le cas d’Erik Neveu, à qui revient la palme de la véritable étude sociologique du journalisme suivant la publication en 2001 de Sociologie du journalisme. Nous soulignons au passage que la sociologie française du journalisme s’amorce à 11 partir des années 1970, avec les travaux de J.-G. Padioleau, puis avec ceux de R. Rieffel et de J.-M. Charon. Elle connaît un essor significatif depuis le milieu des années 1990. La revue de Pierre Bourdieu, Actes de la recherche en sciences sociales, autour de P. Champagne et de D. Marchetti, et le Centre de recherches administratives et politiques de Rennes, dirigé par Erik Neveu, constituent les deux pôles de recherche dans le domaine. Ils sont intellectuellement liés. Pierre Bourdieu ne cesse de critiquer les journalistes et leur profession. Il leur associe d’ailleurs la qualification d’intellectuels les plus difficiles à contrôler. Les notions d’habitus, de champ, de capital ainsi que le constructivisme structuraliste nous obligent à accorder une importance particulière à l’optique bourdieusienne de la presse. Eventuellement, nous avons affaire à des auteurs dont les réflexions sur les médias sont publiées sur Internet. Nous ne pouvons ignorer en aucun cas les recherches historiques effectuées par le e professeur Lucile Rabearimanana sur la presse malgache. La thèse de III cycle soutenue à la Sorbonne en mai 1978, sous l’égide du professeur Henri Brunschvicg de l’Ecole des hautes études en sciences sociales, est riche en informations de qualité indéniable pour une approche dialectique de la présente étude. Outre les apports scientifiques des disciplines qui restent à jamais associées à la sociologie, les réflexions sur les TIC peuvent se constituer en instrument d’analyse incontournable parce que, désormais, TIC et presse deviennent indissociables. Documentations Pour la documentation, nous avons consulté les ouvrages disponibles auprès de bibliothèques du Centre culturel Albert Camus et de l’American Press Room du Centre culturel américain ainsi que ceux du Centre d’études et de recherche en sociologie. Nous avons aussi exploité notre petite bibliothèque que nous avons constituée depuis 1997 et où les livres sur les sciences sociales dominent en volume. Nous avons consulté les cahiers utilisés depuis la première année en 2000. En tant que journaliste en exercice, nous avons fouillé nos archives et avons réutilisé des documents nécessaires à la rédaction des articles. Leurs origines sont aussi variées que leur nature (pièces administratives, communiqués, rapports, drafts…). Nous avons beaucoup surfé pour le reste de documents dont nous avons besoin et que nous n’avons pas trouvés ailleurs. Nous avons ainsi téléchargé un volume non négligeable de documents 12

1 électroniques disponibles en format PDF, MS Word ou RTF , qui ont été réimprimés pour avoir des dossiers transportables et consultables à tout moment. Si nous avons un conseil à donner à des collègues, c’est d’aller visiter le site Internet de l’université de Québec à Montréal pour la recherche des textes des auteurs classiques2. Technique d’enquêtes Nous avons procédé de différentes manières : entretiens libres, utilisation de questionnaires, prises de notes lors des conférences et séminaires… Par souci d’honnêteté envers soi-même et au nom de la scientificité du savoir sociologique, nous avons envisagé d’enquêter trois catégories d’interlocuteurs. La première catégorie, pour laquelle nous avons conçu un questionnaire nommé Questionnaire grand public est de l’ordre d’un échantillonnage aléatoire. La cible ainsi atteinte est composée d’individus dont la disparité au point de vue des variables sociologiques (dépendantes ou indépendantes) est indiscutable. Les enquêtes ont été menées auprès de 120 habitants d’Antananarivo. La deuxième catégorie d’interlocuteurs relève d’un échantillonnage par choix raisonné. Par choix raisonné car les journalistes eux-mêmes sont des interlocuteurs par le biais de questionnaires remis aux rédactions suivantes : Le Quotidien3, Ny Vaovantsika, Les Nouvelles, Taratra et L’Express de Madagascar. Seuls dix-neuf sur les cinquante exemplaires distribués sont retournés. Pour les autres rédactions, les responsables sont contactés au préalable pour des entretiens libres. Les prévisions sont à moitié près réalisées. Il y a lieu de se garder d’abuser de la disponibilité des gens et de perturber leur emploi du temps quotidien. De toute manière, cette initiative touche la troisième catégorie d’interlocuteurs, qui sont des personnes censées avoir une vision plus élargie sur la pratique journalistique en raison de leurs expériences et de leurs responsabilités. Pour cela, nous avons dressé, vers mi-novembre 2005, la liste des personnes à consulter. Par pur hasard de calendrier, une série de rencontres en haut lieu organisées toutes à Antananarivo au mois de décembre 2005 nous ont facilité la tâche.

1 PDF (Portable Document File), Word et RTF (Rich Text Format) sont les trois formats fréquemment utilisés pour l’archivage électronique étant donné leur aspect pratique. 2 Lien conseillé : http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/classiques_des_sciences_sociales/index.html. C’est une véritable mine de textes produits par les auteurs classiques. L’accès est libre et gratuit. 3 Ce journal a des homologues à La Réunion, en Tunisie, au Québec, au Sénégal et au Luxembourg. Son nom rappelle aussi le journal français de l’entre deux-guerre, proche du Cartel des gauches en France, une coalition qui regroupe les radicaux.

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Séminaire « Justice et médias » Il y a eu d’abord le séminaire intitulé Justice et médias1 qui s’est déroulé à l’hôtel Colbert à Antaninarenina les 5-8 décembre 2005 à l’instigation de l’Ecole nationale de la magistrature et des greffes (ENMG) en partenariat avec le PNUD et l’Institut de formation pour le secteur public de Paris. Comme les sujets débattus cadrent mieux avec notre thème d’étude, nous nous sommes arrangé pour assister à toutes les séances. Réunion des patrons de presse Ensuite, une semaine plus tard, exactement le 15 décembre 2005, les patrons de presse, membres du Groupement des éditeurs de presse d’information de Madagascar 2 (GEPIM) , se sont donnés rendez-vous avec des premiers responsables de la presse au 3 CITE Ambatonakanga. La pratique journalistique a été passée au crible à cette occasion .

Assemblée générale extraordinaire de l’OJM Dans la matinée du 17 décembre 2005, le nouveau bureau de l’Ordre des journalistes de Madagascar (OJM), six mois après l’assemblée générale élective dans la ville de Toamasina4, convoque une assemblée générale extraordinaire de tous les journalistes en exercice au siège de la Bibliothèque nationale à Anosy. Les conditions générales des journalistes constituent l’essentiel des axes débattus en tenant compte des recommandations des deux précédentes retrouvailles. A Antaninarenina comme à Ambatonakanga et à Anosy, les questions que nous avons prévues dans les trois types de questionnaires cités plus haut ont reçu des

1 L’échange a été le premier en son genre pour une meilleure compréhension mutuelle entre les fonctionnaires de l’appareil judiciaire et les professionnels des médias. Le public est composé des hommes de la loi (tous les procureurs généraux, tous les procureurs de la République, tous les présidents de cours ou chefs de juridictions, substituts du procureur et avocats) et de tous les responsables des organes de presse à Madagascar, notamment les directeurs de publication et les rédacteurs en chef. Citons les principaux intervenants à ce séminaire : Philippe Bilger, avocat général à la Cour d’assise de Paris en sa qualité d’expert des relations des médias et de la justice – auteur de Le droit de la presse (octobre 2003) –, Christian Regouby, formateur expert en communication, expert de la Communication sensible, Lucien Rakotoniaina, directeur des Etudes au ministère de la Justice et aussi formateur magistrat à l’ENMG, Jean-Eric Rakotoarisoa, chef de département de droit (DEGS), université d’Antananarivo et aussi journaliste, et, Brice Lejamble, directeur de la Communication et des Relations extérieures du CSLCC. Une note sur la complémentarité certaine entre la justice et la presse termine la conclusion finale du séminaire. 2 Le GEPIM est présidé par (feu) Rahaga Ramaholimihaso. 3 L’accent est surtout mis la mise en place dans les plus brefs délais d’un conseil de discipline où chacune des actuelles dix-sept associations de journalistes doit être représentée. Deux jours plus tard, cette idée sera exposée et discutée en réunion extraordinaire de l’OJM. Toujours le 15 décembre 2005, l’on aura aussi insisté sur l’élaboration d’un éventuel projet de loi relative au libre accès à l’information (à titre de mesure transitoire) en attendant la sortie du code de la communication. L’idée a été pour la première fois évoquée au cours du séminaire Justice et Médias à l’hôtel Colbert. NB : Le projet de loi portant Code de la communication comprend 8 titres répartis dans 32 chapitres d’un total de 306 articles. 4 Après la démission collective des membres du bureau constitué lors du vote en 2004, une assemblée générale s’est déroulée à l’hôtel Neptune Toamasina le 3 mai 2005 pour remplacer les démissionnaires.

14 réponses satisfaisantes dans la majorité des cas. Nous sommes tenté de conclure que toutes ces discussions tiennent lieu de focus group. Néanmoins, des entretiens libres avec des responsables des entités internationales comme la délégation de la Commission européenne ont pu avoir lieu entre-temps. Profil des journaux étudiés Midi Madagasikara Première parution 18 août 1983 Famille Martin Andriambelo, Fondateur et groupe d’appartenance Midi Madagasikara SA Adresse Rue Ravoninahitriniarivo Ankorondrano http://www.midi-madagasikara.mg Site Internet et e-mail [email protected] Tirage journalier et prix de vente 37 000 exemplaires, Ar 200 puis Ar 300 au numéro depuis décembre 2005 Volume de publication 24 pages (variable) Nombre de journalistes 21 (vingt et un) Langue(s) utilisée(s) Bilingue Tendance Journal d’information générale Lecteurs Toutes les catégories sociales Sources : Enquêtes personnelles en 2005-2006.

Madagascar Tribune Première parution 1988 Rahaga Ramaholimihaso, Société malgache Fondateur et groupe d’appartenance d’édition (SME) Adresse Rue Ravoninahitriniarivo Ankorondrano Site Internet et e-mail http://www.madagascar-tribune.com Tirage journalier et prix de vente 15 000 exemplaires, Ar 200 au numéro puis 400 Ar depuis 2005 Volume de publication 24 pages (variable) Nombre de journalistes 13 (treize) Langue(s) utilisée(s) Bilingue Tendance Plutôt une presse d’opinion Plutôt les gens de la classe politique et les Lecteurs cadres supérieurs Sources : Enquêtes personnelles en 2005-2006.

L’Express de Madagascar Première parution 21 février 1995 Herizo Razafimahaleo, rattaché au GROUPE Fondateur et groupe d’appartenance STEDIC jusqu’en 2002 puis vendu au Groupe PREY SA Adresse Route des Hydrocarbures, Ankorondrano http://www.lexpressmada.com Site Internet et e-mail [email protected] Tirage journalier et prix de vente 10 500 exemplaires, Ar 200

15 au numéro puis Ar 300 depuis mars 2006 Volume de publication 24 puis 32 pages depuis mars 2006 Nombre de journalistes 14 (quatorze) Langue(s) utilisée(s) Bilingue Tendance Journal d’information générale et d’analyse Lecteurs Toutes les catégories sociales Sources : Enquêtes personnelles en 2005-2006.

Gazetiko Première parution 7 avril 1998 Mamy Rakotoarivelo, Fondateur et groupe d’appartenance Midi Madagasikara SA Adresse Rue Ravoninahitriniarivo Ankorondrano www.gazetiko.mg Site Internet et e-mail [email protected] Tirage journalier et prix de vente 55 822 exemplaires, Ar 100 au numéro Volume de publication 8 pages Nombre de journalistes 8 (huit) Langue(s) utilisée(s) Malgache uniquement Tendance Faits divers (chiens écrasés) Les gens de la classe moyenne et les Lecteurs couches inférieures Sources : Enquêtes personnelles en 2005-2006.

La Gazette de la Grande Ile Première parution 8 mars 2003 Fondateur et groupe d’appartenance Lola Rasoamaharo, GROUPE MPE Lot II W 23 L Ankorahotra, Adresse route de l’université http://www.lagazette-dgi.com Site Internet et e-mail [email protected] Tirage journalier et vente au 25 250 exemplaires, Ar 200 numéro puis Ar 500 depuis 2004 Volume de publication 24 pages Nombre de journalistes 23 (vingt-trois) Langue(s) utilisée(s) Bilingue Tendance Journal d’information et d’analyse Lecteurs Les cadres supérieurs et les intellectuels Sources : Enquêtes personnelles en 2005-2006.

Le Quotidien Première parution 9 octobre 2003/14 janvier 2004 Marc Ravalomanana, MBS GROUP, Fondateur et groupe d’appartenance TIKO GROUP SA Adresse Enceinte MBS Anosipatrana http://www.lequotidien.mg Site Internet et e-mail [email protected]

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Tirage journalier et prix de vente 10 000 exemplaires, Ar 200 au numéro Volume de publication 16 puis 24 pages depuis septembre 2005 Nombre de journalistes 13 (treize) Bilingue, puis devenu journal d’expression Langue(s) utilisée(s) française depuis juillet 2004 Tendance Journal d’information générale Les gens de la classe moyenne et les cadres Lecteurs administratifs (à majorité féminine) Sources : Enquêtes personnelles en 2005-2006.

Les Nouvelles Première parution Mars 2004 Fondateur et groupe d’appartenance Naina Andriantsitohaina, ULTIMA MEDIA Adresse Rue Rainizanabololona Antanimena http://www.les-nouvelles.com Site Internet et e-mail [email protected] Tirage journalier et prix de vente 17 900 exemplaires, Ar 200 au numéro puis Ar 400 depuis 2005 Volume de publication 24 pages (variable) Nombre de journalistes 15 (quinze) Langue(s) utilisée(s) Français uniquement Tendance Journal d’information générale Les intellectuels et les gens de la classe Lecteurs moyenne Sources : Enquêtes personnelles en 2005-2006.

Taratra Première parution Mars 2004 Fondateur et groupe d’appartenance Naina Andriantsitohaina, UTIMA MEDIA Adresse Rue Rainizanabololona Antanimena http://www.taratramada.com Site Internet et e-mail [email protected] Tirage journalier et prix de vente 47 417 exemplaires, Ar 100 au numéro puis Ar 200 depuis 2005 Volume de publication 12 pages Nombre de journalistes 11 (onze) Langue(s) utilisée(s) Malgache uniquement Tendance Journal d’information générale Essentiellement les gens de la classe Lecteurs moyenne Sources : Enquêtes personnelles en 2005-2006.

Ny Vaovaontsika Première parution Novembre 2001 (puis juillet 2004) Marc Ravalomanana, MBS GROUP, Fondateur et groupe d’appartenance TIKO GROUP SA Adresse Enceinte MBS Anosipatrana

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www.lequotidien.mg Site Internet et e-mail [email protected] Tirage journalier et prix unitaire 15 000 exemplaires, Ar 100 Volume de publication 8 puis 12 pages depuis décembre 2004 Nombre de journalistes 10 (dix) Langue(s) utilisée(s) Malgache uniquement Tendance Journal d’information générale Les gens de la classe moyenne et ceux des Lecteurs couches défavorisées Sources : Enquêtes personnelles en 2005-2006.

Madagascar Laza Première parution 4 décembre 2004 Fondateur et groupe d’appartenance Fredy Rajaofera Andriambelo, MATV Adresse Rue Ravoninahitriniarivo Ankorondrano www.matv.mg Site Internet et e-mail [email protected] Tirage journalier et prix de vente 18 000 exemplaires, Ar 200 au numéro Volume de publication 16 pages (entièrement en quadrichromie) Nombre de journalistes 13 (treize) Langue(s) utilisée(s) Bilingue Tendance Journal d’information et de loisirs Généralement les gens de la classe Lecteurs moyenne Sources : Enquêtes personnelles en 2005-2006.

Ao Raha Première parution Juillet 2005 Fondateur et groupe d’appartenance Edgar Razafindravahy, Groupe PREY SA Adresse Route des Hydrocarbures, Ankorondrano www.lexpressmada.mg Site Internet et e-mail [email protected] Tirage journalier et prix de vente 15 000 exemplaires, Ar 100 au numéro Volume de publication 8 pages Nombre de journalistes 7 (sept) Langue(s) utilisée(s) Malgache uniquement Journal d’information générale Tendance et faits divers Les gens de la classe moyennes et ceux des Lecteurs couches défavorisées Sources : Enquêtes personnelles en 2005-2006.

Remarque : Quelle que soit l’affirmation, aucun organe de presse n’est sincère sur le volume de tirage journalier. Le chiffre mentionné dans l’ours est un artifice destiné à séduire les annonceurs.

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Les étapes de la recherche La pré-enquête : immersion et observation participante La connaissance de l’objet d’étude en sciences sociales implique toujours ce qu’il convient de désignent par le mot immersion. Monde infiniment mouvant, la presse écrite ne s’appréhende pas de façon aisée. Pour mieux le cerner, il est conseillé de procéder à l’observation participante dont la durée peut couvrir plusieurs mois. Dès 2004, nous avons commencé à suivre de très près le mécanisme par lequel s’exécute une espèce d’inféodation consciente ou inconsciente du journaliste. Déroulement des enquêtes Les enquêtes à proprement parler se sont déroulées durant les mois de novembre et décembre 2005 au niveau de la ville d’Antananarivo. Mais comme il s’avère relativement compliqué d’arranger l’emploi du temps partagé entre la vie familiale, l’activité professionnelle et la vie estudiantine, nous avons dû solliciter la collaboration d’un ami de la même filière et du même niveau pour qu’il vienne en aide. Problèmes rencontrés Dans l’ensemble, la collecte de données s’est bien déroulée. L’absence de statistiques à jour au sein du département ministériel en charge de l’Information et de la Régulation des médias serait la seule note négative. La période précédant les fêtes de fin d’année n’est pas non plus un moment idéal pour les entretiens individuels. Le cas suivant est à signaler concernant la gestion des questionnaires. Tous les exemplaires remis aux journalistes de L’Express de Madagascar ont disparu. Ils sont pourtant dûment remplis selon Fanja Saholiarisoa, la personne à qui nous avons confié le soin de s’en occuper. Des collègues lui ont joué de mauvais tours. La gestion du temps est somme toute toujours un gros problème. Plan du travail En théorie, un travail se subdivise en trois grandes parties. La première partie traitera la mise en perspective sociologique de l’instrumentation de la presse. Nous aurons à nous attarder un moment à l’explication du concept avant de faire appel à des connaissances sociologiques proches de l’étude et de rappeler les expériences historiques malgaches en matière de presse écrite. La deuxième partie sera l’occasion de disserter sur la dynamique d’instrumentation de la presse à Madagascar depuis 2002. Puisqu’il s’agit de phénomène géométriquement mesurable, l’examen d’un cas récent s’imposera tout

19 comme nous ne pourrons pas nous passer de la perception sociale du phénomène et des notes critiques à la fin. La troisième et dernière partie sera consacrée à l’autonomisation comme concept instillé par le DSRP et comme notion complémentaire de l’instrumentation. Nous décrirons alors dans un premier temps le lien plausible entre l’autonomisation et les médias, et, dans un second temps, la socialisation secondaire à la charnière de la dialectique autonomisation/TIC. Limites de l’étude Cette étude n’a l’ambition ni la prétention de pouvoir tout analyser sur la presse. Celle-ci étant aux frontières mouvantes, la rédaction se trouve dans l’obligation de confondre par moments l’usage de mots presse et médias. Le phénomène d’instrumentation touche non seulement les publications quotidiennes mais aussi en même temps les autres composantes des médias traditionnels. Il ne peut pas y avoir une étude exhaustive réalisable au sujet de l’instrumentation de la presse. Une année est insuffisante pour opérer une véritable exploration scientifique dans ce domaine. Il faut du temps pour s’y prendre avec plus de recul. La progression de l’étude a omis la dynamique interne de chaque organe de presse du point de vue de sa logique de fonctionnement habituel. Il convient de signaler au passage l’hésitation de la pratique journalistique malgache entre la médiacratie et la médiocratie1.

1 Le Sénégalais Loum Ndiaga est le premier à avoir utilisé ces deux mots.

PREMIERE PARTIE

MISE EN PERSPECTIVE SOCIOLOGIQUE DE L’INSTRUMENTATION DE LA PRESSE 20

Le journalisme devient le cheval de bataille du monde contemporain. On lui attribue la qualité de pilier essentiel de la démocratie. Mais les choses ne se passent pas ainsi souvent. La presse donne l’impression d’être transcendée par d’autres représentations sociales. Visiblement, elle manque d’objectivité dans sa démarche. Il n’y a rien d’étonnant si la démocratie naissante dépérit du jour au lendemain. Pour être utile, la sociologie se doit de découvrir et révéler la vérité sur le monde social. Pour Pierre Bourdieu (1er août 1930-23 janvier 2002), la tâche du sociologue n’a jamais consisté à s’occuper essentiellement de renifler le social mais à acquérir une connaissance réelle des mécanismes qui le gouvernent. Pour cela, il faut recourir à des connaissances qui ne sont pas seulement souhaitables, mais indispensables, pour pouvoir espérer réussir à le transformer. « La référence à l’universel est l’arme par excellence »1, insiste le sociologue.

CHAPITRE I : AUTOUR DE L’« INSTRUMENTATION »

L’instrumentation paraît une notion vide de sens pour le public profane. Cela peut être aussi le cas pour un sociologue habitué à un langage à la fois herméneutique et descriptif. I.1. Cadre général A l’heure actuelle, Google2 s’impose comme étant un des plus puissants moteurs de recherche sur Internet. Outil de mesure par excellence, il peut nous offrir des indications significatives quant à la fréquence de l’utilisation d’un mot. I.1.1. Fréquence et définition D’après Google, le mot « instrumenter » est 3 170 000 fois cité sur la toile mondiale3, toutes langues confondues. Sans doute, le même vocable peut-il révéler

1 Pierre Bourdieu, Raisons pratiques, Paris, Seuil, 1994, p. 242. 2 Depuis sa création en 1998, le moteur de recherche Google (google.com est un nom de domaine enregistré le 15 septembre 1997) a indexé un total de 24 milliards de pages jusqu’en novembre 2005. 3 Il s’agit d’expertise effectuée dans la matinée du 14 décembre 2005 aux alentours de 10 heures. Respectivement, le temps de recherche est de 0,73 seconde avec le web mondial, 0,28 seconde avec les pages francophones et 0,32 seconde avec les pages France. Parfois, il est jugé impératif de citer les indications temporelles en matière de recherche sur le web perçu comme un univers infiniment changeant. Les résultats peuvent être différents les uns des autres selon la date, l’heure et le lieu de l’opération. Il faut toutefois se méfier des résultats. La problématique du système d’indexation des sites web peut probablement induire en erreur. 21 plusieurs ambiguïtés suivant le pays. Il convient ainsi de restreindre le champ d’investigation. En sondant les « pages francophones », la récurrence du verbe « instrumenter » est de 32 700 fois contre 24 000 sur les pages « France ». La fouille sur la grande toile peut donc nous renseigner sur la popularité certaine du verbe instrumenter . Mais le nom dérivé jouit d’une notoriété encore beaucoup plus grande. En effet, avec la même technique de recherche, le mot « instrumentation » est 47 000 000 fois cité sur les sites web mondiaux, 2 050 000 fois sur les « pages francophones » et 1 980 000 fois sur les pages « France »1. Premièrement, instrumenter (verbe transitif), c’est procéder au choix des instruments de (une pièce musicale). Dans ce sens, il peut avoir comme synonyme « orchestrer » (instrumenter une symphonie). Deuxièmement, c’est doter (une installation ou une machine) d’un ensemble d’instruments ou d’appareils (instrumenter un télescope). Et troisièmement, instrumenter (verbe intransitif) a une connotation juridique (dresser un acte authentique). « Seul un officier public ou ministériel a le droit d’instrumenter »2. Le dictionnaire Hachette encyclopédique , édition 2001, donne à peu près les mêmes précisions mais avec une certaine nuance quant au premier sens du verbe transitif. Pour lui, instrumenter , c’est doter un système, un engin, d’une instrumentation (instrumenter un avion) . La notion d’instrumentation, dans ses acceptions les plus usuelles, nous renvoie presque toujours aux domaines technique, mécanique, de l’industrie… et rarement aux domaines proches des sciences sociales ou des sciences humaines. L’instrumentation appartient donc à un système de vocabulaire étranger au domaine sociologique. I.1.2. « Instrumentation » comme « idéal type » Pourquoi alors insister sur l’usage du mot « instrumentation » dans le cadre d’une étude sociologique de la presse ? Telle est, pour l’heure, la question qui devrait se poser en toute légitimité. Le terme d’instrumentation , rien qu’en l’entendant prononcer, nous suggère le concept d’idéal type de la méthodologie wébérienne. Un idéal type se comprend comme un moyen permettant de saisir par comparaison dans le champ social les formes causales de ces activités et de ces

1 Cette fois-ci, le temps de recherche est respectivement de 0,25 seconde, 0,8 seconde et 0,9 seconde. En principe, l’ensemble des manœuvres prend au maximum trois minutes à l’utilisateur expérimenté. 2 Autant de définitions tirées du dictionnaire électronique de la Collection Microsoft Encarta 2004 , un des produits parmi les plus célèbres de Microsoft Corporation (Etats-Unis).

22 relations 1. C’est « un concept génétique, une utopie rationnelle et une totalité signifiante pouvant servir de support ou de guide lors de l’élaboration d’hypothèses »2. Le mérite d’avoir pu intégrer le concept d’instrumentation dans le domaine des sciences sociales et sciences humaines revient au psychologue canadien Jean Garneau (1941-2005) 3. I.1.3. Notion relativement récente « L’auto-développement : une stratégie d’instrumentation » est paru pour la o première fois en 1984 dans la Revue québécoise de psychologie , vol. V, n 3, p. 47-59. Dans cet article, Jean Garneau précise la définition du concept d’instrumentation en mettant en relief la dimension pratique de ce dernier. Il y distingue les principaux types d’instruments à transmettre et explicite les caractéristiques nécessaires de chacun. Il termine en tentant de voir dans quelle mesure les psychologues d’écoles de pensées différentes s’entendent sur les instruments à transmettre 4. Parler d’instrumentation dans les domaines proches de la sociologie relève d’une attitude épistémologique relativement récente. Elle date seulement de près de deux décennies. A l’heure actuelle, la plupart des approches thérapeutiques intègrent des préoccupations d’instrumentation dans leur pratique. On se soucie de rendre plus directement utilisables les apprentissages réalisés en thérapie. On suggère fréquemment des applications dans la vie quotidienne. On propose de refaire chez soi des exercices jugés utiles en entrevue.

1 Max Weber : Economie et société. Les catégories de la sociologie , Paris, Plon/Agora, traduction de Julien Freund, p. 55-61 cité dans Textes de méthodologie en sciences sociales choisis et présentés par Bernard Dantier, docteur en sociologie de l’Ecole des hautes études en sciences sociales ( EHESS ), enseignant au Centre universitaire de formation et de recherches de Nîmes, le 24 août 2004, dans le cadre de la collection Les classiques des sciences sociales , dirigée et fondée par Jean-Marie Tremblay, professeur de sociologie au Collège d’éducation professionnelle et générale (CEPEG ), Chicoutimi Canada. 2 e Gilles Ferréol, Vocabulaire de la sociologie , Paris, PUF , coll. « Que sais-je ? », 2 éd. corrigée, mars 1997, p. 60. 3 Jean Garneau est docteur en psychologie clinique de l’université de Montréal. Il se considère chanceux d’y avoir été exposé à l’influence simultanée d’excellents représentants d’approches psychanalytiques et rogériennes et d’avoir côtoyé, pendant son internat, les formes les plus graves de maladie mentale. Au cours des années 1970, il formule, avec Michelle Larivey, une synthèse originale de systématisation débouchant sur la présentation de l’auto-développement comme approche thérapeutique et donne naissance au livre L’Auto-développement : psychothérapie dans la vie quotidienne (1979, 1983, 2002). Ses ouvrages auxquels il accorde le plus d’importance sont les programmes d’auto-développement Savoir Ressentir (1994, 2002) et Maîtriser l’expression efficace (2005), aboutissement de plus de 20 ans de travail et de recherche. Il est aussi l’éditeur de La lettre du Psy , un magazine électronique mensuel à l’intention du grand public. Chaque mois depuis 1997, la lettre du Psy ( http:// www.redpsy.com ) diffuse gratuitement des écrits originaux de qualité en psychologie humaniste. Le 9 septembre 2005, Garneau est subitement frappé par un malaise cardiaque qui a fini par lui oter la vie. 4 L’intégralité du texte est citée sur le site Internet http://www.redpsy.com . Ce qui suit sera l’adaptation ou la réflexion sur cet écrit.

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I.2. Davantage d’éclaircissements Le concept d’instrumentation rejoint une préoccupation partagée par un grand nombre de psychothérapeutes. Nous verrons dans quelle mesure les interactions qu’il désigne peuvent être considérées comme des faits sociaux1. I.2.1. Une façon d’intervenir Le cas est tel que le concept représente une réponse possible à la grave question du transfert d’apprentissage. Didacticiens et psychopédagogues en savent quelque chose. L’auto-développement est avant tout une option stratégique. Il peut s’appliquer en psychothérapie ou en éducation. Mais il impose au praticien de mettre toujours l’accent sur la transmission au client d’un certain nombre d’instruments. A leur tour, ceux-ci doivent pouvoir lui être utiles. Selon Jean Garneau, l’instrumentation est une façon d’intervenir, une stratégie d’intervention. C’est donc une intervention intelligente. Sa précision sur la définition pratique du concept porte sur la distinction entre les différents genres principaux d’instruments à transmettre. Il y a lieu aussi de préciser leurs caractéristiques nécessaires. I.2.2. Aptitude à s’instrumenter Le terme réfère au concept d’instrument et ne peut être défini sans lui. Un instrument est un outil dont la nature n’est pas nécessairement physique. Il peut s’agir d’un objet. Mais il est aussi tout à fait plausible d’utiliser des concepts2, des systèmes ou des procédés comme instruments. Le terme « instrument » recouvre les genres de moyens et objets physiques habituellement nommés outils. A l’instar de tous les autres genres d’outils, les instruments, ici entendus comme tels, supposent, pour être utiles, une action intentionnelle. Un instrument est défini en partie par le fait qu’il sert à obtenir un résultat, à faire quelque chose. Cette dimension implicite de la notion d’instrument est lourde de conséquences. Elle tend à déterminer la façon de concevoir la personne à qui transmettre les outils, la place à accorder à l’action volontaire et orientée dans la conception de la personne, ainsi que les genres d’instruments à transmettre.

1 « Est considéré comme un fait social toute manière de faire, fixée ou non, susceptible d’exercer sur chacun de nous une contrainte extérieure » in Les règles de la méthode sociologique (1895), cité par e Ferréol, Vocabulaire de la sociologie, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 2 éd. corrigée, mars 1997, p. 50. 2 En philosophie, un concept se définit comme une représentation abstraite et générale d’une chose ou d’un fait (cf. Collection Microsoft Encarta 2004). 24

Instrumenter ne consiste nécessairement pas à développer des automatismes ou des réflexes nouveaux. Il n’est pas non plus question de tenter de pourvoir des instruments à une personne considérée incapable de choisir ses actes ou d’orienter son action. Instrumenter devrait être défini par l’ensemble des actions permettant de fournir un instrument à un être capable d’en faire un usage adéquat. I.2.3. Optimiser la façon d’utiliser une habilité présente L’exposé de Jean Garneau sur l’instrumentation paraît long. Il insiste sur les acquis individuels antérieurs. Il y voit des instruments en possession par le client. Pour le psychologue, il faut les rendre utilisables. Il est alors opportun d’optimiser la façon d’utiliser une habilité présente. Il suffirait de bien s’expliquer sur les guides permettant d’exploiter une plus grande partie du potentiel. La finalité de l’action converge de fait vers les résultats plus clairs et plus puissants. Le fait d’instrumenter suppose l’existence d’au moins une personne en possession de connaissances et de façons de procéder. Sous cet angle, les instruments doivent être transmissibles avec un degré de qualité suffisant pour en assurer l’utilisation adéquate. Choisir d’instrumenter, c’est aussi définir un type de rapport avec son client. L’attitude conseillée est de savoir se situer comme possédant les instruments tout en étant non indispensable à leur utilisation. Il s’agit en quelque sorte d’un dirigisme à distance. Dans le domaine de la psychothérapie et de l’éducation, cette position est peu appréciée par les praticiens formalistes à l’égard de leur statut privilégié de personnes indispensables. I.3. Principaux genres d’instruments Choisir d’instrumenter, c’est avant tout développer le sens de responsabilité. Cette qualité aurait garanti le maniement des instruments avec intelligence et discernement. Connaissances, habiletés et attitudes vont ainsi de pair dans la liste de principaux genres d’instrumentsdu 2 au 4 juin 2005du 2 au 4 juin 2005. I.3.1. Des connaissances Il est du devoir de celui qui instrumente d’apporter des instruments de nature cognitive. Il s’agit à la fois de connaissances pratiques et de concepts servant de guides en vue de plus d’efficacité. Les instruments cognitifs sont de deux ordres. D’une part, il y a l’information sur les phénomènes pertinents au genre de changement désiré. La compréhension des réalités psychologiques est essentielle. 25

D’autre part, le client a besoin d’information plus précise sur lui-même : ses habiletés et ressources pertinentes actuelles, ses faiblesses et moyens d’évitement, les façons de procéder les plus utiles, les points aveugles capables de l’induire en erreur et les façons efficaces d’y remédier. Sans cette forme particulière de connaissance de soi, il serait illusoire de croire dans sa capacité de diriger soi-même sa marche. I.3.2. Des habiletés L’instrumenté aura à faire à des interventions importantes dans l’orientation et la concrétisation de chaque pas de son approche. Il faut lui transmettre un savoir-faire complexe et subtil. Une seule bonne méthode est largement insuffisante pour rendre le client apte à se charger de son cheminement, même sur un sujet limité. Cela, pour dire que l’intervention en psychologie ou en éducation est toujours compliquée. Les habiletés doivent avoir une utilité pratique clairement orientée. Il ne suffit pas d’avoir tout un arsenal d’objets efficaces. Il faut savoir détecter avec exactitude le moment psychologique1 de leur utilisation. Il faut savoir comment s’y prendre pour atteindre un but ou un genre de but donné. Cette dimension est indispensable. C’est l’aspect le plus cognitif des habiletés. Les habiletés doivent correspondre à une aisance dans l’application, à une forme d’habitude. Il ne suffit pas de savoir profiter du moment opportun pour l’action. Il faut également l’avoir déjà suffisamment pratiqué pour être capable de s’y prendre de façon adéquate. Certes, les moyens remis au client sont, pour la plupart, des instruments à utiliser dans des situations relativement difficiles. A ce dernier de faire preuve de discernement et de finesse d’adaptation. A l’expérience vécue et l’expérimentation active du client s’ajoute une autre exigence : la répétition. Elle permet d’atteindre un degré de maîtrise et d’automatisme suffisant pour conserver une efficacité enviable en situation difficile. L’habileté sera plutôt acquise lorsqu’il aura bien compris et utilisé une ou deux fois le moyen dans des situations plus difficiles et d’en automatiser l’utilisation dans une certaine mesure. I.3.3. Les attitudes De prime abord, les attitudes sont-elles des instruments ? A strictement parler, il s’agit sans doute d’un groupe d’instruments. Probablement du plus important de tous. Les attitudes de la personne détermineront, en effet, dans une large mesure, les façons

1 Le moment psychologique est l’instant ou période propices à l’action, instant décisif dans le processus en cours. 26 d’utiliser les instruments qui lui sont transmis et, partant, leur utilité réelle. Il serait naïf d’opter pour une stratégie d’instrumentation sans se soucier des attitudes et sans agir à leur niveau. Les attitudes agissent comme un contexte général. Elles sont le cadre de l’utilisation d’autres instruments. Elles déterminent en grande partie l’efficacité de cette utilisation. En outre, elles agissent à la façon d’un automatisme ou d’un réflexe, avec le degré élevé d’inconscience qui les caractérise. De ce point de vue, il faut se garder d’associer les attitudes à l’instrument. Elles relèvent plutôt d’un simple prérequis à l’utilisation adéquate de certains instruments. Il faut transmettre les instruments seulement aux individus qui ont déjà les attitudes nécessaires à leur utilisation efficace et pertinente. Dans ces conditions, il vaudrait mieux abandonner simplement toute stratégie d’instrumentation. L’apprivoisement des attitudes apparaît comme une condition sine qua non pour rendre les autres instruments utiles, riches, souples et mobiles grâce à la façon de se les approprier. Il n’est pas possible de transmettre une attitude en l’enseignant. Il n’est pas utile de la faire pratiquer comme il convient de le faire avec une technique d’intervention. La façon d’aborder le client et son expérience importe beaucoup. I.4. Mécanisme de contrôle Evidemment, des messages découlent du fait d’instrumenter ou de s’instrumenter. Ces messages sont sans équivoque et mettent en marche un mécanisme de contrôle. I.4.1. Finalité de l’instrumentation Les instruments à transmettre au client varient en fonction d’objectifs poursuivis. Ils varient également selon l’orientation théorique du professionnel. Ils sont développés à partir de celle-ci. Les connaissances, habiletés et attitudes à transmettre sont déterminées par l’objectif à atteindre et non par les caractéristiques du client. Cependant, ces dernières interviennent de deux façons. D’un côté, les instruments dont le client possède déjà des équivalents adéquats n’ont pas à être transmis. Ils n’ajouteraient rien à ses capacités réelles. D’un autre, les caractéristiques de la clientèle doivent être considérées soigneusement dans le choix de la méthode de transmission des instruments ainsi que du vocabulaire utilisé. Les instruments à transmettre doivent être sélectionnés de façon la plus précise possible. Leur utilité pratique plutôt que leur pertinence théorique ou historique doit servir de critère de choix. Les modèles qui ne servent qu’à plaire aux intellectuels ou à classer des phénomènes qui ne seront pas réutilisés ensuite, sont à éliminer. Ils ne font 27 qu’alourdir inutilement le travail et encombrer la mémoire du client en ajoutant des occasions inutiles de confusion. I.4.2. Grille diagnostique fonctionnelle Pour être maître de son propre cheminement, le client doit disposer d’une grille diagnostique fonctionnelle. Ce système doit lui permettre de percevoir avec précision les situations où il est opportun d’utiliser un instrument plutôt qu’un autre. Il doit également l’aider à identifier les dysfonctionnements qui surviennent en cours de cheminement, de les cerner avec une précision suffisante pour en comprendre les origines et causes. En auto-développement, on transmet surtout des procédures. Il s’agit de techniques d’intervention qui permettent d’atteindre des objectifs précis. Cependant, l’utilisation de ces techniques serait aveugle ou simpliste si le choix de l’instrument à utiliser ne s’appuie pas sur un modèle d’ensemble indiquant des orientations générales. Principalement, les techniques à transmettre sont de deux genres : celles visant à agir sur le processus à mettre en action et celles visant à résoudre des problèmes particuliers. Ces deux genres d’instruments peuvent se retrouver dans une même intervention. Mais en général, ils définissent deux genres d’instruments, c’est-à-dire deux approches distinctes d’instrumentation. Malgré cette distinction en deux courants, toute stratégie d’instrumentation devrait s’appuyer sur les deux genres de techniques et procédés. Le fait d’instrumenter le client à faciliter un processus n’a de sens que dans la mesure où ce processus est utile pour rendre possible la résolution de certains problèmes. Autrement, il ne s’agirait que d’un exercice gratuit inutile pour le client. I.4.3. Moyens d’évaluation appropriés Quant aux techniques axées sur la résolution d’un problème particulier, il est important d’en identifier clairement les zones de pertinence et d’utilité ainsi que de faire connaître avec précision les genres de résultats auxquels elles conduisent. Chaque mode de résolution de problème permet, en effet, un nombre limité de genres de solutions : ceux qui sont privilégiés par le processus déclenché. Il est important d’indiquer au client les directions inscrites dans l’instrument. Cela l’aidera à mieux se frayer le chemin de la solution. Il est judicieux de posséder de moyens d’évaluation appropriés pour un bon usage d’instruments fournis. Ceux-ci instruments permettront de faire les réajustements nécessaires en cours de route, à la 28 lumière de l’expérience du client. L’évaluation pertinente est celle qui permettra d’identifier la qualité du processus en marche et de suggérer les directions dans lesquelles agir pour l’améliorer si nécessaire. Il n’est pas toujours facile de reconnaître les éléments de l’approche. Pour instrumenter vraiment le client, on cherche à mettre entre les mains de ce dernier toutes les informations nécessaires. Il est important pour le client d’en comprendre clairement l’importance et la portée. Conclusion partielle Dans ses acceptions courantes, l’instrumentation appartient à un vocabulaire spécifique des domaines technique, mécanique, industriel... et judiciaire. Les premières tentatives de l’accommoder aux sciences proches de la sociologie ont germé dans le milieu universitaire nord-américain des années 80. Grâce au psychologue Garneau, la notion est admise et est vouée à se développer dans les domaines de la psychothérapie et de l’éducation. L’instrumentation se conceptualise car elle désigne une façon d’intervenir. Certes, nous avons évité de dénaturer la conviction de Garneau sur cette notion. La traduction de son message dans un autre langage pourrait en déformer le sens. En tout cas, il l’a fait passer de manière simple. A quoi bon alors rendre complexe ce qui est déjà simplifié même si rendre les choses difficiles est souvent bien plus facile que de les rendre faciles ? La dimension psychologique de l’instrumentation se lit facilement à travers les mots employés par le psychologue canadien tout au long de son exposé. Maintenant, la délimitation des frontières possibles entre cette nouvelle notion développée en psychologie et la pratique journalistique malgache nous préoccupe dans le cadre de la présente étude. Le mot « instrumentation » peut aussi être saisi dans le sens de propagande insidieuse, mystification voire manipulation . L’instrumentation de la presse désigne les différentes interactions qui entrent en jeu avec le champ journalistique. En tant que concept, elle n’est forcément pas mauvaise en soi. Ses portées axiomatiques dépendent seulement de toute une intentionnalité.

CHAPITRE II : CONNAISSANCES SOCIOLOGIQUES PROCHES DE L ’ETUDE

Le rôle social joué par la presse ressemble beaucoup à celui qui éventre la terre pour en tirer des éléments d’une grande utilité courante comme le fer. Aussitôt

29 transformé en dispositifs matériels tels la bêche ou… le bulldozer, le fer aide les hommes à modifier leur environnement. Nous en sommes arrivé ici au constructivisme structuraliste à l’aide de cette simple image. Les apports des sociologues comme Bourdieu (1930-2002) à l’étude de la presse sont d’une utilité capitale. II.1. Pierre Bourdieu et ses concepts majeurs Pierre Bourdieu connaît très bien le champ journalistique1. Il est invité à livrer sa conception du journalisme. Les Actes du colloque fondateur du centre de recherche de l’Ecole supérieure de journalisme (Lille)2 rapportent son optique. L’homme est un peu rabat-joie pour les journalistes comme s’il avait toujours des comptes à régler avec eux. II.1.1. Un champ de forces et de conflits La virulence de la critique bourdieusienne à l’égard des médias indigne pas mal de journalistes de son temps et continue d’alimenter des débats passionnés jusqu’à maintenant. Voici la position d’Henri Maler : (…) la sociologie de Pierre Bourdieu invite surtout à ‘rendre visible ce qui est caché’ en proposant une analyse complexe du champ journalistique – un champ de forces et de conflits – au sein duquel se distribuent et agissent des professionnels très divers : du soutien de l’information de la presse quotidienne régionale aux grands reporters3. En critiquant le champ journalistique, Bourdieu se fait mal comprendre par les journalistes eux-mêmes. A leur tour, ceux-ci s’en prennent à lui. Si Bourdieu pouvait se voir en première page d’un certain nombre de (…) journaux (…), il ne manquerait pas de se rappeler la façon dont il a été traité dans les dernières années et de trouver dans ce qui se passe depuis quelques jours une confirmation exemplaire de tout ce qu’il écrit à propos de l’amnésie journalistique, note Henri Maler. La disparition de Bourdieu le 23 janvier 2002 fait l’effet d’une bombe médiatique. Même le prestigieux magazine Sciences humaines4 a consacré une publication entière à la vie du sociologue, considéré comme une des figures majeures de la pensée

1 « Trois ans après sa mort, il nous a semblé utile de fournir quelques repères à ceux qui souhaiteraient explorer une pensée qui constitue une référence sociologique décisive de la critique des médias et du journalisme », souligne l’Association-Critique-Médias (ACRIMED) à son sujet dans une note publiée le vendredi le 18 février 2005. 2 Les cahiers du journalisme, juin 1996, no 01. 3 Dans l’article intitulé Avez-vous lu Pierre Bourdieu ? paru dans L’Humanité du 31 février 2001, Henri Maler, maître de conférences de l’université de Paris VIII et co-animateur de l’ACRIMED, se fait l’avocat de Bourdieu, appelé aussi celui qui dérange. Le texte est repris et reproduit par l’ACRIMED dans son site Internet http://www.acrimed.org le 3 février 2002, c’est-à-dire 11 jours après la mort de Bourdieu. 4 L’édition spéciale de la revue s’intitule L’œuvre de Pierre Bourdieu. Sociologie. Bilan Critique. Quel héritage ? 30 sociologique contemporaine. Le numéro disparaît vite de tous les rayons des librairies en France. Bourdieu a pu exercer une fascination, du moins, sur la classe intellectuelle française qui, en retour, l’a tant admiré. Quoi qu’il en soit, ses apports à la compréhension du journalisme ne se limitent pas aux textes qu’il a écrits à ce sujet. II.1.2. Constructivisme structuraliste1 Selon Bourdieu, la jonction de l’objectif et du subjectif est au cœur du constructivisme structuraliste. Par structuralisme ou structuraliste, je veux dire qu’il existe, dans le monde social lui-même, des structures objectives indépendantes de la conscience et de la volonté des agents, qui sont capables d’orienter ou de contraindre leurs pratiques ou leurs représentations. Par constructivisme, je veux dire qu’il y a une genèse sociale, d’une part, des schèmes de perception, de pensée et d’action qui sont constitutifs de ce que j’appelle habitus, et, d’autre part, des structures sociales, en particulier de ce que j’appelle champ. Dans cette double dimension, Bourdieu accorde une certaine primauté aux structures objectives. D’un côté, les structures objectives que construit le sociologue dans le moment objectiviste, en écartant les représentations subjectives des agents, sont le fondement des représentations subjectives et elles constituent les contraintes structures qui pèsent sur les interactions. D’un autre, ces représentations doivent aussi être retenues si l’on veut rendre compte notamment des luttes quotidiennes, individuelles et collectives, qui visent à transformer ou à conserver ces structures. Le constructivisme structuraliste de Bourdieu nous fait penser à des réalités pour le moins embarrassantes. Dans l’exercice de leur métier, les journalistes sont à jamais contraints de se référer à ces structures objectives tout en étant incapables de rompre avec leurs représentations subjectives. A ce titre, des apprentis sociologues sont allés jusqu’à demander la (les) différence(s) entre le métier de sociologue et la pratique journalistique perçue comme un espace très favorable à l’essor de la sociologie spontanée ou encore la sociologie profane parce que privilégiant le processus cumulatif du savoir du social. Les notions d’habitus et de champ livrent des réponses satisfaisantes à la question posée.

1 Les passages mis entre guillemets dans ce sous chapitre sont tirés d’une synthèse de documents citée sur le site Internet http://www.chez.com/sociol/socio/socionouv/consstru_bourdieu.htm. La fin du document porte la mention « Source : Les nouvelles sociologies, Philippe Corcuff, coll. 128, Nathan université ». 31

II.1.3. Deux notions : « habitus » et « champ » Bourdieu concentre son explication sur le double mouvement constructiviste d’intériorisation de l’extérieur et l’extériorisation de l’intérieur1. Dans la tradition aristotélicienne, le concept d’‘héxis’ (traduit par Albert le Grand et Thomas d’Aquin par ‘habitus’ à l’époque médiévale) désigne un ensemble de dispositions acquises et stables, d’ordre principalement éthique. En sociologie, la perspective développée par Bourdieu (…) attitre notre attention sur l’importance, au sein de la socialisation, de système de perceptions, d’appréciations et d’actions à la fois durables et transposables, servant de support à un travail d’inculcation et d’incorporation2. Selon Bourdieu, ce principe d’action historique ne réside ni dans la conscience ni dans les choses mais dans les relations entre deux états du social : histoires objectivées dans les choses, sous formes d’institutions, et, histoire incarnée dans les corps sous la forme de ce système de dispositions durables appelé habitus3. « (…) c’est donc la façon dont l’extériorité s’intériorise, c’est-à-dire la manière dont les structures sociales s’inscrivent dans les esprits et dans les corps des personnes »4. C’est le vécu interne confronté à l’activité sociale5 ou les expériences sociales. A son tour, l’intériorité s’extériorise et se cristallise au niveau des champs : espaces de la vie sociale qui deviennent relativement autonomes autour de relations, de ressources et d’enjeux qui leur sont propres6. Chez Bourdieu, chaque champ est caractérisé par des mécanismes spécifiques de capitalisation des ressources légitimes qui lui sont propres. D’où la pluralité de champs pour lui. On parlera ainsi de champ économique, champ scientifique ou champ politique, entre autres exemples. Comme nous le savons déjà, les concepts d’habitus et de champ poussent l’optique bourdieusienne vers les notions de capital et de violence symbolique. II.1.4. De la violence symbolique7 Les champs sont des espaces de concurrence et de lutte pour l’appropriation de ressources spécifiques et de différentes formes de capital. Les valeurs spécifiques des

1 Les nouvelles sociologies, cf. http://www.homme-moderne.org et http://www.acrimed.org. 2 Gilles Ferréol, op. cit., p. 59. 3 Cf. Les nouvelles sociologies. 4 Cf. Collection Microsoft Encarta 2004. 5 On entend par activité sociale l’activité qui se rapporte au comportement d’autrui et par rapport auquel s’oriente son déroulement in Max Weber, Economie et société, t. 1 : Les catégories de la sociologie, Paris, Plon/Agora, œuvre posthume, traduction de Julien Freund, 1922, p. 28. 6 D’après Collection Microsoft Encarta 2004. 7 Les nouvelles sociologies et Collection Microsoft Encarta 2004 en fournissent une version abordable.

32 capitaux de chaque champ s’affrontent dans un espace plus général, appelé champ du pouvoir par Bourdieu. La dissymétrie de ressources entre individus et groupes est à l’origine de rapports de domination et il faut en tenir compte de la dimension symbolique. C’est là qu’intervient la notion de violence symbolique produisant, chez le dominé, l’adhésion à l’ordre dominant. Cette adhésion est typiquement définie par un double processus de reconnaissance de la légitimité de l’ordre dominant et de méconnaissance des mécanismes qui font de cet ordre un mode de domination. En un mot, la violence symbolique est reconnue comme la légitimation des diverses formes de domination. La justice, c’est l’égalité (…) mais seulement pour des égaux et l’inégalité (…) est juste (…) pour des individus inégaux1. Une des représentations majeures de la praxéologie, la sociologie de Bourdieu s’affiche parfois comme une sorte de socioanalyse, équivalent social de la prise de conscience ou de l’objectivation de rapports de force cachés ou refoulés. Dans quelle(s) mesure(s) toute cette perspective pourrait-elle servir à observer le phénomène d’instrumentation de la presse ? Malgré la subtilité de sa pensée, Bourdieu construit une sociologie plus terre-à-terre du métier de journaliste à travers ses nombreuses critiques2, reprises à bâtons rompus par d’autres analystes. Par ailleurs, il a eu tout le loisir de se familiariser avec la presse même si celle-ci semble desservir cet intellectuel d’une notoriété certaine. Nous aurons l’occasion de revenir sur lui au fur et à mesure de notre cheminement. Mais que dit l’approche par l’idéologie de la presse dans le concert de la stratification sociale ? II.2. Approches par l’idéologie de la presse Dans L’être et le néant (1943), l’auteur prolifique, écrivain et philosophe français Jean-Paul Charles Aymard Léon Eugène Sartre (1905-1995) désigne l’idéologie par un ensemble des superstructures, des systèmes d’auto-interprétation et de la conscience réflexive où l’acteur est en même temps objet et sujet. II.2.1. Un peu de sociologie des intellectuels Le chimiste et métallurgiste congolais Joseph M. Kyalangilwa explique de

1 Aristote, La Politique, III, 9, 1280a, cité par Gilles Ferréol, Vocabulaire de la sociologie, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 2e éd. corrigée, mars 1997, p. 68. 2 Son intervention lors des Actes de colloque fondateur du centre de recherche de l’Ecole supérieure de journalisme (Lille) en est sans doute le résumé le plus pertinent. L’intégralité de cette intervention est citée sur le site Internet http://www.homme-moderne.org/societe/socio/bourdieu/index.html sous le titre de  33 manière succincte dans l’article Le rôle de l’intellectuel dans la société publié dans Horizons et débats no 26, juin 2004. L’auteur de l’article définit ce que c’est intellectuel avant de faire le distinguo entre le bon intellectuel et le mauvais intellectuel. Selon l’auteur, « on entend par intellectuel (du latin intellectus, de intellegere, comprendre) toute personne, homme ou femme, qui met son intelligence au service de la communauté. Le bon intellectuel doit être un phare, oeuvrer de manière à ce que les composantes de sa communauté vivent en paix entre elles et ce, par un dialogue franc, permanent qui respecte la dignité de chacun en toutes circonstances ». Pour Kyalangilwa, il est erroné de faire croire que seules les personnes qui ont fait l’université ou ont une autre formation supérieure sont des intellectuels. « (...) l’intellectuel est un modèle humble mais clairvoyant et par conséquent, il guide sa communauté dans la lutte contre toutes les anti-valeurs. Les bons intellectuels ont des armes invincibles : la vérité, la justice et le dialogue, fondements solides d’une paix durable. » Kyalangilwa saisit l’occasion pour rappeler qu’« il existe dans toutes les sociétés des intellectuels qui exploitent, par intérêt égoïste, l’ignorance des populations et les manipulent. Corrompus, ils détestent le dialogue et ne supportent pas la contradiction. Pour eux, tous les moyens sont bons pour s’enrichir. » « Il en résulte une propension à l’anarchie chronique, aux dictatures voilées dans les pays développés, et aux dictatures ouvertes et sanglantes dans les pays en voie de développement, malheureusement et paradoxalement soutenues par les gouvernements occidentaux. Comme on peut facilement le remarquer, ces intellectuels ont peur du peuple dont ils s’arrogent le pouvoir. Ils ont une arme diabolique : le mensonge, qu’ils répandent à la vitesse de l’éclair. Mais le mensonge finit toujours par avoir des conséquences néfastes. » Six noms sont associés à la réflexion produite sur la sociologie des intellectuels durant les dernières décennies en France. Le philosophe français Paul Nizan se dresse contre la complicité et le silence des « chiens de garde » face à l’urgence du moment. « L’écart entre leur pensée et l’univers en proie aux catastrophes grandit chaque semaine, chaque jour, et ils (n.d.l.r. les intellectuels) ne sont pas alertés »1. Dans Dits et écrits II (1976-1988), le psychanalyste français Michel Foucault

Journalisme et Ethique. L’intégralité du texte sera annexée à ce travail de recherche (cf. Annexe XIV). 1 Ces passages sont tirés de l’article « Le rôle de l’intellectuel : extraits », Le Monde diplomatique, mai 2006, p. 24, 25 et 26 (cf. http://www.monde-diplomatique.fr/2006/05/A/13489). 34 distingue l’« intellectuel spécifique » de l’« intellectuel universel ». « Les intellectuels ont pris l’habitude de travailler non pas dans l’universel, l’exemplaire, le juste-et-le- vrai-pour-tous, mais dans des secteurs déterminés, en des points précis où les situaient soit leurs conditions de travail, soit leurs conditions de vie (le logement, l’hôpital, l’asile, le laboratoire, l’université, les rapports familiaux ou sexuels). » Dans Contre-feux 2 (2001), Bourdieu invente la formule « intellectuel collectif ». Ce dernnier peut remplir des fonctions négatives et positives. « Cet intellectuel collectif peut et doit remplir d’abord des fonctions négatives, critiques, en travaillant à produir e et à disséminer des instruments de défense contre la domination symbolique qui s’arme aujourd’hui, le plus souvent, de l’autorité de la science (…). Mais il peut aussi remplir une fonction positive, en contribuant à un travail collectif d’invention politique. » Parfois, les intellectuels paraissent trop gênants. Aux yeux de Bourdieu, il existe des « menaces qui pèsent sur la liberté collective des intellectuels, celles qui viennent des pouvoirs politiques, mais aussi celles qui s’exercent à travers les médias ». C’est ce qui arrive justement durant les troubles et les conflits armés qui poussent les intellectuels à se réfugier ailleurs pour fuir par prudence l’effet de force. Néanmoins, Bourdieu « pense que les intellectuels peuvent et doivent se constituer en contre- pouvoir collectif et critique »1. Par définition, un coutre-pouvoir est un pouvoir qui s’organise face à une autorité établie. Dans l’optique bourdieusienne, l’intellectuel serait le dernier rempart de la liberté d’expression. Il doit militer pour elle. « Parmi les fonctions que les intellectuels peuvent remplir, et qu’ils ont souvent mal remplies dans le passé (…), il en est une que les sociologues peuvent remplir (…), celle qui consiste à donner la parole à ceux qui, pour toutes sortes de raisons, en sont dépossédés. » Sartre est taxé d’« intellectuel bourgeois ». Pour le philosophe, la plupart des intellectuels, en effet, sont nés de bourgeois qui leur ont inculqué la culture bourgeoise. A un certain moment donné, il décide d’en découdre avec la bourgeoisie. « (…) il est des intellectuels – j’en suis un – qui, depuis 1968, ne veulent plus dialoguer avec la bourgeoisie » car « (…) tout intellectuel a ce qu’on appelle des intérêts idéologiques. » Gilles Deleuze se penche sur l’utilité de la théorie élaborée par l’intellectuel et la nécessité d’en créer d’autres. « C’est ça, une théorie, c’est exactement comme une boîte

1 D’après les propos receuillis par Philippe Petit, « Pierre Bourdieu. Il faut que l’intellectuel donne la parole à ceux qui ne l’ont pas ! », L’Evénement du jeudi, 10-16 septembre, 1992, p. 114-116. 35

à outils. Il faut que ça serve, il faut que ça fonctionne. Et pas pour soi-même. S’il n’y a pas des gens pour s’en servir, à commencer par le théoricien lui-même qui cesse alors d’être théoricien, c’est qu’elle ne vaut rien ou que le moment n’est pas venu. On ne revient pas sur une théorie, on en fait d’autres, on en a d’autres à faire. » Edward Said concentre sa vision sur l’impossibilité d’échapper à la la politique qui est partout. « Les intellectuels sont de leur temps, dans le troupeau des hommes menés par la politique de représentation de masse qu’incarne l’industrie de l’information ou des médias ; ils ne peuvent lui résister qu’en contestant les images, les comptes rendus officiels ainsi que les justifications émanant du pouvoir et mises en circulation par des médias de plus en plus puissants – et pas seulement par des médias, mais par des courants entiers de pensée qui entretiennent et maintiennent le consensus sur l’actualité au sein d’une perspective acceptable. » Edward Said demande à l’intellectuel de faire des sacrifices. « L’intellectuel doit, pour y parvenir, fournir ce que Wright Mills appelle des démasquages ou encore des versions de rechange, à travers lesquel les il s’efforcera, au mieux de ses capacités, de dire la vérité. (…). L’intellectuel (…) n’est ni un pacificateur ni un bâtisseur de consensus, mais quelqu’un qui engage et qui risque tout son être sur la base d’un sens constamment critique, quelqu’un qui refuse quel qu’en soit le prix les formules faciles, les idées toutes faites, les confirmations complaisantes des propos et des actions des gens de pouvoir et autres esprits conventionnels. » Pour Said, l’intellectuel doit faire un examen de conscience face à un dilemne. « Le choix majeur auquel l’intellectuel est confronté est le suivant : soit s’allier à la stabilité des vainqueurs et des dominateurs, soit – et c’est le chemin le plus difficile – considérer cette stabilité comme alarmante, une situation qui menace les faibles et les perdants de totale extinction, et prendre en compte l’expérience de leur subordination ainsi que le souvenir des voix et personnes oubliées. » Dans son livre Sociologie des intellectuels, combien Gérard Leclerc1 met en garde contre l’usage abusif du mot « intellectuel ». Selon lui, l’intellectuel est une figure connue, très visible dans la société (française). Le monde de la culture et des médias estime avoir été mandaté pour peser dans le débat public. Les intellectuels sont diserts, faiseurs de discours en tous genres. (…) Ils sont les professionnels de la parole et de

1 Gérard Leclerc est professeur à l’université Paris VIII – Saint-Denis et aussi chercheur au GRASS (CRNS). Le livre Sociologie des intellectuels figure bel et bien dans liste d’ouvrages consultés dans le cadre de cette étude. 36 l’écriture, de l’introspection, de l’analyse, de l’exercice de l’intelligence1. Fonction de conservation, fonction de critique et fonction de médiation sont les propres des intellectuels. Ils se distinguent ainsi des scientifiques purs éternellement absorbés par les recherches en laboratoire. Du point de vue historique, selon Gérard Leclerc, la première apparition des intellectuels français est liée au rôle joué par les médias au moment de l’éclatement de l’« affaire Dreyfus » et surtout quand le célèbre écrivain Emile Zola a recouru aux bons offices des journalistes2. Depuis, les rôles des intellectuels sont inséparables de la vie de la presse et des médias. Gérard Leclerc détaille son argumentaire dans les pages 79, 80 et 81 de son livre à ce propos. La visibilité médiatique des intellectuels ne doit toutefois pas être confondue avec le fayotage3. De toutes les façons, les intellectuels bien servis par la presse et les médias ne sont pas les homo cathodicus qui vivent essentiellement par et pour les contacts visuels et auditifs entretenus par les médias. Les stars du cinéma, entre autres, font partie intégrante de ce groupe. La notoriété des intellectuels est justifiée par leur poids croissant dans l’intelligentsia qui doit jouir, de façon légitime, de son bon droit pour soi ou du self-righteousness, selon les Anglo-saxons. Mais le rôle de développer une culture politique démocratique revient toujours aux médias. Il faut reconnaître aux catégories spécifiques telles qu’enseignants-chercheurs et académiciens leur place dominante au sein de la haute intelligentsia. II.2.2. Conception du bloc historique selon Gramsci Les intellectuels occupent une place particulière au sein de l’espace public contemporain, caractérisé à la fois par l’existence d’une opinion publique et les technologies de l’information et de la communication de plus en plus performantes4. Plus souvent, les intellectuels sont aussi jugés témoins et responsables des événements historiques majeurs. Sous cet angle, la conception du bloc historique d’Antonio Gramsci5 (Ales Gagliari 1891-Rome 1937) est essentielle à plus d’un titre. Député, Antonio Gramsci est arrêté en 1926 pour son opposition au régime

1 re Gérard Leclerc, Sociologie des intellectuels, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1 éd., mai 2003, p. 6. 2 Dans son édition du 13 janvier 1898, le journal L’Aurore consacre son une avec la célèbre lettre ouverte d’Emile Zola au président français Félix Faure, J’accuse. 3 C’est un mot familier du point de vue registre de langue. 4 D’après les théories mathématiques à la base du savoir informatique (loi de Moore), les ordinateurs doublent systématiquement de performance tous les dix-huit mois. 5 Cet héritier de Karl Marx devient journaliste et adhère au parti socialiste italien en 1913. Dès 1917, il 

37 fasciste et est condamné, deux ans plus tard, à vingt ans de prison. De 1929 à 1937, il écrit en prison trente-deux Cahiers qui constitueront l’ossature de ses œuvres. Dans ses Cahiers, Antonio Gramsci définit la nature du bloc historique : « L’infrastructure et la superstructure forment un ‘bloc historique’, autrement dit l’ensemble complexe, contradictoire et discordant de la superstructure est le reflet de l’ensemble des rapports sociaux de production »1. La conception marxiste du rapport de production basé sur l’interdépendance étroite entre la superstructure et l’infrastructure connaît une dimension nouvelle avec Antonio Gramsci. A l’instar de Pierre Bourdieu, il insiste plus particulièrement sur les problèmes des intellectuels et les rapports de domination. A la place de la violence symbolique de ce dernier, l’Italien a anticipé le concept d’« hégémonie ». En effet, « l’hégémonie se présente comme l’aptitude nouvelle de la classe dirigeante montante à gérer l’ensemble des problèmes de la réalité nationale et à en indiquer les solutions concrètes (infrastructurelles) »1. II.2.3. Transposition idéologique au modèle malgache Selon la perspective gramscienne, la superstructure se caractérise par sa division en société politique et société civile. « L’Etat serait la société politique et représenterait le moment de la force et de la coercition tandis que la ‘société civile’ serait le réseau complexe des fonctions éducatives et idéologiques, ce par quoi la société est non seulement commandée mais encore dirigée ». La presse procède de ces fonctions éducatives et idéologiques. De la sorte, la presse se drape l’image d’un appareil idéologique à part entière à l’instar de l’école, de l’église, de l’armée… et de la justice. La société civile a les intellectuels organiques. Ils sont liés à la classe dominante. Ils sont les organisateurs de la société civile. Ils sont les fonctionnaires de la superstructure. Ils illustrent les liens autour d’une vision du monde. Une simple transposition sur le contexte malgache d’avant 1947 nous indique qu’ils ont été ceux qui ont utilisé la presse comme moyen d’expression de l’identité culturelle. Il en est de même entre 1948 et 1956 quand les armes sont abandonnées au profit des plumes. Bref, les intellectuels organiques changent de figure suivant le contexte. Du temps du capitalisme, ils sont les ingénieurs, les technocrates, les universitaires, etc. A l’heure de la mondialisation, ils sont les opérateurs économiques… La société civile devient l’un des chefs de son aile gauche et fonde un journal, l’Ordine nuovo (Nouvel ordre) en 1919. 1 Maria Antonietta Macciocchi, Pour Gramsci, Paris, éd. du Seuil, 1974, p. 162. 38 peut déranger beaucoup la société. Elle critique. Elle est là pour critiquer la structure politique et le pouvoir2. La presse malgache ne faillit pas à cette règle quand elle exige plus de transparence sur la gestion des affaires de l’Etat, plus d’équité sur les motivations de certaines manœuvres juridico-administratives entreprises à l’encontre des opposants… A l’inverse, une partie de la presse s’emploie à masquer, maquiller ou à passer sous silence les failles gouvernementales en ne louant que sa soi-disant performance. La notion d’instrumentation intervient de façon indirecte ou directe à ce niveau là. Antonio Gramsci n’aurait pas eu l’occasion de discourir directement sur le journalisme à cause des difficultés personnelles. Les problèmes politiques de son époque devraient le préoccuper par-dessus tout. En revanche, la portée pratique de ses pensées est loin d’être indifférente aux réalités journalistiques. Il est temps maintenant d’évoquer les autres avis ou expériences s’inscrivant dans la perspective de la sociologie du journalisme. II.3. Phénomène vécu et contesté à l’étranger Partout dans le monde, il est impossible de passer sous silence les débats autour et sur le journalisme. Des réseaux mondiaux d’associations ou de groupes de réflexion se créent. Leur nombre croît tel qu’il est irréaliste de vouloir les consulter tous. Puisque la pratique malgache hérite des traditions britannique et française en matière de presse, il nous est naturel de considérer un exemple vivant en France incarné par l’Association-

Critique-Médias (ACRIMED).

II.3.1. Action-Critique-Médias ou ACRIMED

3 L’ACRIMED est une association née du mouvement social de 1995 . Dans la foulée de l’appel à la solidarité avec les grévistes, elle s’est constituée pour remplir les fonctions d’un observatoire des médias. Elle est vue comme une association-carrefour depuis sa création en 1996.

L’ACRIMED réunit des journalistes et salariés des médias, des chercheurs et universitaires, des acteurs du mouvement social et des usagers des médias. Elle cherche à mettre en commun savoirs professionnels, savoirs théoriques et savoirs militants au service d’une critique indépendante, radicale et intransigeante.

1 Op. cit., p. 163 2 Leçon de sociologie politique du maître de conférences André Rasolo, année universitaire 2002-2003. 3 Le mouvement a été initié par les entités syndicales de la gauche française pour manifester leurs  39

L’ensemble de productions de l’ACRIMED s’offre, à nos eux, comme un réservoir de notes, de débats, de critiques, de conseils, de réflexions commentaires…, tous sur l’univers médiatique. Pour cela, l’association gère le site Internet www.acrimed.org, qui lui sert d’interface avec tous les auditeurs éparpillés dans le monde. Le site est bien présenté, bien structuré et très sérieux. Son contenu est infiniment diversifié et richement documenté en concepts, théories et analyses critiques. A travers lui, l’association se montre sensible à toutes les éventualités concernant les médias. En conséquence, il n’est pas question pour l’association de minimiser ou négliger la mise à jour des données publiées en ligne qui, d’ailleurs, se fait de façon permanente. Le journalisme et les journalistes y occupent une place particulière et, une fois de plus, Pierre Bourdieu, que le site qualifie de légende médiatique, y trouve un accueil plus que favorable. De surcroît, l’association s’identifie à une entité plutôt proche des partis socialistes et communistes, donc de la gauche non seulement française mais aussi européenne, à voir les listes des personnalités, des mouvements et syndicats et autres entités de connivence avec elle. Les idéaux qu’elle défend aussi le démontrent. II.3.2. Uniformité dans la médiocrité et programmation fédérative L’expression instrumentation de la presse ne figure nulle part sur le site Internet de l’ACRIMED. Probablement, le phénomène qu’elle désigne est réellement vécu dans des pays réputés être un modèle de démocratie réussie. Mais le message se lit facilement. L’explosion médiatique et le désengagement de l’Etat donnent l’impression d’un extraordinaire pluralisme de l’information et d’une liberté sans frein... Impression souvent contredite par les sentiments d’uniformité dans la médiocrité, d’ennui, voire de manipulation qui sourdent des grands médias (…)1. Voilà une remarque qui sonne le glas à ce propos. « La pluralité des titres de presse, des stations de radio, des chaînes de télévision n’implique pas mécaniquement la diversité des contenus. Bien au contraire, la confusion entre pluralité et diversité permet d’entretenir l’illusion du pluralisme quand celui-ci ne cesse de se restreindre », renchérit Henri Maler dans le même texte avant d’attaquer ce qu’il appelle une « programmation fédérative ». En revanche, « (…) le seul moyen de

insatisfactions compte tenu de la médiocrité, entre autres, des services publics. 1 Le texte d’Henri Maler s’intitule Critique des médias, critique de la domination paru dans Critique communiste, no 168, Printemps 2003. 40 neutraliser les effets des journaux est d’en multiplier le nombre »1. La logique strictement commerciale est tout de même prise en considération. La tendance s’efforce, non de satisfaire des besoins ou des aspirations différenciés, mais d’agglomérer des consommateurs, en dissuadant le moins grand nombre possible de ceux qui se présentent sur le marché. Dans l’optique d’Henri Maler, l’instrumentation de la presse est pointée du doigt par le public même s’il ne l’avoue pas directement. Des médias concentrés et financiarisés de plus en plus dépendants de leurs actionnaires et des publicitaires. Des journalismes fragilisés, minés par les effets de la précarité, dépendants de la communication institutionnelle et mercantile. Des informations prostituées, assujetties à la concurrence, à l’audience commerciale et au mélange des genres qui noie l’information sous le divertissement. Telles sont quelques-unes des tendances les plus lourdes et les plus menaçantes. Certes, elles ne s’imposent pas uniformément. Et elles ne renvoient pas à un improbable âge d’or où les médias auraient été délivrés de toute tutelle politique ou économique2. Ces détails pas très exaltés à l’encontre de la pratique en disent long. Un appel à une politique de la dépolitisation des médias aurait pris corps en

France dès 2004. L’initiative est vite relayée par des éléments fervents de l’ACRIMED et se matérialise à l’heure actuelle par le soutien absolu à la tenue d’Etats Généraux3 sur les médias prévus se dérouler dans le courant de l’année 2006. II.3.3. A propos des Etats Généraux sur les médias Plusieurs entités sont à l’origine de décision baptisée Pour une information et médias pluralistes. Symboliquement, les co-organisateurs4 ont forgé l’expression de nécessaire critique de la bastille médiatique pour mieux séduire l’opinion générale. Dans l’appel y afférent, rendu public le lundi 3 octobre 2005, ils se montrent d’une concision convaincante en procurant des éléments de réflexion sur le pourquoi et le

1 Alexis de Tocqueville (1935), De la démocratie en Amérique I (deuxième partie). Chapittre III : De la liberté de la presse aux Etats-Unis, p. 18. 2 C’est une tribune publiée dans L’Humanité du 11 mai 2004, mise en ligne le 28 mai 2004. Le texte est vu comme une amplification de celui cité précédemment à propos de la critique des médias et de la critique de la domination. 3 Employée avec majuscule, cette locution nominale désigne l’Assemblée de 1789, à la veille de la prise de la Bastille. 4 Nous avons comme co-organisateurs de cet événement : Apprentis agitateurs pour un réseau de résistance globale (AARRG), Association pour la taxation des transactions et l’aide aux citoyens (ATTAC), Charivari (créée en 2001, elle se veut être un outil de compréhension, d’analyse et de critique des dysfonctionnements du monde), Observatoire Bisontin des Médias (OBM), Radio Sud Besançon et  41 comment de la contingence1. D’une manière très brève, les initiateurs des Etats Généraux en perspective ont une ferme volonté de soustraire les médias à l’emprise directe des pouvoirs économiques et politiques pour qu’ils puissent remplir pleinement leur fonction démocratique. En effet, la campagne de sensibilisation bat son plein, entre autres, sur la toile. Par exemple, le site de l’ACRIMED http://www.acrimed.org se charge d’orienter les intéressés – individus ou personnes morales – vers l’adresse http://www.etats-generaux- medias.org pour toute éventuelle adhésion au mouvement. Un public composite a répondu à l’appel et a déjà procédé à son inscription. La promptitude des personnalités politiques des partis socialistes et communistes français et aussi européens y est très remarquable. Il en est de même de l’enthousiasme des écologistes et des alter mondialistes. Les intéressés semblent unir leurs voix pour rappeler que l’information est un bien commun. De la sorte, ils veulent en finir avec la domination des pouvoirs politiques et économiques tendant à embastiller les journalistes. Jusqu’en décembre 2005, les co-organisateurs n’ont pas précisé ni les dates ni les lieux des rassemblements. Pourtant, la tenue de ces assises en France constituera la première session nationale des Etats Généraux pour des médias et une information pluralistes, quel qu’en soit le résultat. Pour le cas malgache, le genre de mobilisation d’une telle envergure a eu lieu à l’hôtel L’Astauria Antanimena les 26, 27 et 28 juillet 2000. Les débats sont alors axés sur la communication à Madagascar. II.3.4. Sur Erik Neveu Comme annoncé plus haut, la sociologie du journalisme à proprement parler est synthétisée par Erik Neveu1 dans le livre du même titre. En effet, Sociologie du journalisme est paru pour la première fois à Paris, aux éditions La Découverte, coll. « Repères », en 2001 et est réédité en 2004. Dans un document dense de 122 pages, le professeur de sciences politiques à l’IEP de Rennes pavient à conquérir le cœur des critiques des médias même les plus perspicaces tels qu’Henri Maler de l’ACRIMED. Beaucoup sont ceux qui ont émis des notes positives sur l’œuvre d’Erik Neveu. Commentaire d’Henri Maler : « (…) Erik Neveu explore, avec clarté et précision, les ‘galaxies’ d’une profession diversifiée et les relations constitutives du champ

Syndicat national des journalistes (SNJ, créé en 1918). 1 L’intégralité du texte est disponible en annexe (cf. Annexe X). 42 journalistique, le travail des journalistes et les contraintes qui pèsent sur lui, les formes de l’écriture journalistique et, pour finir, les ‘pouvoirs’, les crises et les renouvellements du journalisme. En dépit ou à cause de la diversité des approches (largement prise en compte), cette sociologie expose un savoir rigoureux et cumulatif. Il faut le souligner au moment où certains des représentants de la discipline jouent aux astrologues du monde social ou se mêlent d’astrologie. » 2 Jacques Walter , du CREM de l’université de Metz, est allé jusqu’à souligner dans son résumé l’apport de Bourdieu comme une quantité non négligeable pour l’ouvrage d’Erik Neveu. « Ainsi, classiquement, le lecteur pourra-t-il faire le point sur l’histoire de la profession. L’auteur éclaire le propos à l’aide d’une confrontation avec le modèle anglo-américain. Cette démarche contrastive permet de mettre en lumière la permanence française de l’attachement au discours brillant et au métadiscours, par opposition au news-gathering »3. Cyril Lemieux 4 en a fait autant en citant nommément dans son résumé Pierre Bourdieu et la notion de champ journalistique présentée comme la meilleure façon de rendre compte des études sociogénétiques sur la profession et de l’examen de sa morphologie actuelle. Quant à nous, le hasard du surf nous a révélé l’existence de ce livre d’une lecture facile, pourtant non disponible chez nous. Une commande passée en France en vue d’en avoir à disposition un exemplaire reste sans résultat. Nous avons dû ainsi nous contenter des critiques mises en ligne espérant l’apparition d’un deus ex machina . Un exemplaire est, enfin, repéré chez l’American Press Room 5 du Centre culturel américain à Antaninarenina au début du mois de mars 2006. Bien que tardives, ces retrouvailles nous ont été d’une aide précieuse. Conclusion partielle L’apport de Bourdieu est universellement admis comme un cadre de référence théorique essentiel pour toute étude sociologique du journalisme. Il en est de même de l’examen des superstructures entrepris par Antonio Gramsci même si l’Italien semble

1 Né en 1952, Erik Neveu est professeur de science politique à l’Institut d’études politiques de Rennes. 2 Sociologue et professeur en sciences de l’information et de la communication, Jacques Walter dirige le Centre de recherche sur les médiations (Equipe d’accueil 3476) de l’université Paul Verlaine-Metz. 3 Cette formule, qui signifie « collecte d’informations », fait partie intégrante du jargon journalistique. 44 Né en 1967, Cyril Lemieux est chercheur au laboratoire de sociologie de l’ INSEP et membre du GSPM (EHESS -CNRS ). Il enseigne la sociologie des médias à l’ IEP de Paris. 5 L’ American Press Room est un espace de rencontre, de liaison, de documentation et de formation (en langue anglaise notamment) que l’ambassade américaine met au service des médias. Richement équipée en documents et en matériels performants, elle est ouverte à tous ceux dont le métier touche les rivages de l’information et de la communication. L’accès y est gratuit sous réserve que tout soit clair sur l’intéressé.

43 faire taire ses voix sur les médias. Les hommes ayant une affinité certaine avec la tradition marxiste – comme Bourdieu – seraient prompts à énoncer des critiques réelles et efficaces sur les médias en général. Ils ont une vision plus élargie de ce champ et ont une influence importante sur toute étude sociologique de la presse. Le philosophe français Raymond Aron (1905-1983) aussi aurait failli nous servir à grand-chose. Mais les critiques sont parcimonieux à l’égard de ses expériences en journalisme tant il est vrai que le penseur lui-même a pris le soin de formuler, de façon sporadique dans ses Mémoires de 50 ans de réflexion politique1, la préciosité de la pratique journalistique. (…) l’activité des professeurs se compare à celle des journalistes ; en tout cas, c’est une activité intellectuelle qui ne peut être appréciée que par des juges compétents2. Les gens des partis de gauche voient chez les libéraux l’image des manipulateurs de l’information. Cette situation les aurait mis mal à l’aise. La pluralité des titres est décriée sans pour autant contestée. Dans les besoins pressants du monde actuel, une mise au point d’ordre général serait sollicitée. Car gouverner est devenu aujourd’hui à peu de chose près synonyme de communiquer. Il est temps maintenant d’interroger le passé récent de notre pays afin de pouvoir y déceler les circonstances globales probables à la base du phénomène d’instrumentation de la presse malgache. La manifestation historique de ce phénomène appréhendable à Madagascar.

CHAPITRE III : EXPERIENCES HISTORIQUES DE L’EPOQUE COLONIALE A NOS

JOURS

L’histoire est incontestablement la discipline de référence de toute approche dialectique en sociologie3. Car l’histoire serait la sociologie historique du passé et la sociologie l’histoire sociale du présent4. Cela implique que l’historien devrait être sociologue et le sociologue historien. Dans cette partie, la concision sera de mise en ne retenant que les traits historiques majeurs.

1 Raymond Aron, Mémoires. 50 ans de réflexion politique, Paris, Julliard, 1983. 2 Op. cit. p. 977. 3 e Jacques Herman, Les langages de la sociologie, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 2 éd. mise à jour, novembre 1988, p. 23. 4 Autant Emile Durkheim dans Débat sur l’explication en histoire et en sociologie que Pierre Bourdieu dans Sur les rapports entre la sociologie et l’histoire en Allemagne et en France, mettent tous les deux en relief l’indissociabilité de l’histoire et de la sociologie. Le propos auquel nous nous référons est repris par Loïc Wacquant de l’université de California-Berkeley dans le passage sous-titré L’histoire comme alambic sociologique. Lequel sous-chapitre est compris dans la critique émise intitulée Durkheim et Bourdieu : le socle commun et ses fissures, Berkeley, juin 1995. 44

III.1. De la presse d’opinion L’historienne de l’université d’Antananarivo, le professeur Lucile Rabearimanana, remplit cette double exigence épistémologique citée plus haut sur le plan rapport dialectique presse écrite/société malgache. Des détails sur les réalités sociologiques de la période étudiée abondent dans son travail de recherche. Voici un bref compte-rendu de son travail sur la presse d’opinion à Madagascar de 1947 à 1956. III.2.1. Débuts mouvementés Selon Lucile Rabearimanana, la naissance de la presse d’opinion malgache est antérieure au soulèvement général de la nuit du 29 mars 1947. L’avènement du Front populaire en France en est la cause. L’apparition du premier journal d’opinion en langue malgache, ou plutôt bilingue, qui se baptise Ny Rariny – La Justice, date de 1936 grâce à Jules Ranaivo1. Sa mission principale est de dénoncer les malveillances du système colonial. Mais la presse d’opinion naissante se heurte à des manœuvres d’intimidation ordonnées par l’administration, et ce, de façon constante. Avant le journal de Jules Ranaivo, d’autres publications en langue française sont acquises pour la cause malgache. Tel est le cas, par exemple, du Libéré dont le nationaliste Jean Ralaimongo est le directeur politique. Ce journal édité à Paris ne devait être que le premier de toute une série de journaux qui jouèrent un rôle primordial dans la lutte du peuple malgache contre le régime colonial, note l’historienne à la page 53 de son travail. Mais la poursuite sans répit est le sort réservé à toute forme de contestation véhiculée par voie de presse interposée. Jean Ralaimongo persiste et signe en faisant paraître en 1927 l’Opinion à Antsiranana. L’administration coloniale modère son austérité à l’égard des journaux d’expression française. Pour des raisons de commodité linguistique, il lui est facile d’en contrôler le contenu sans pour autant que le régime de censure soit aboli. Par contre, la presse en langue malgache est soumise à un régime juridique particulièrement sévère2. Le « deux poids deux mesures français » conduit les responsables de presse de l’époque à réclamer le droit d’expression et la liberté d’une presse malgache d’opinion. La bataille juridique engagée finit par donner raison à la partie malgache en 1935. C’est

1 Lucile Rabearimanana, La presse d’opinion à Madagascar de 1947 à 1956. Contribution à l’histoire du nationalisme malgache du lendemain de l’insurrection à la veille de la loi cadre, Antananarivo, Librairie mixte, 1980, p. 46. Jules Ranaivo est le pionnier du journalisme malgachophone, d’après le professeur Solofo Randrianja, université de Toamasina, 2006. 2 Op. cit., p. 53. 45 une bonne nouvelle qui n’est pas sans impact sur le début de la vie politique malgache. III.1.2. Concurrence endogène L’avènement de la Quatrième République française (1946-1958) et ses émanations institutionnelles ont ouvert un accès à l’essor d’une véritable vie politique malgache. Le Parti démocratique malgache (PDM) est fondé au début de 1946 par le pasteur Ravelojaona1 et Gabriel Razafintsalama2. Deux organes de presse (Fandrosoam-baovao et Fahaleovantena3) sont le support médiatique de leurs idées. Au mois de février de la même année, un groupe d’intellectuels dans l’entourage de députés Ravoahangy et Raseta se félicitent de la fondation à Paris du Mouvement démocratique pour la rénovation malgache (MDRM). Une constellation de journaux d’opinion à prétention nationaliste (Kintan’ny Maraina, Ny Rariny (La Justice), Mongo et Nation malgache4) s’organise autour de la nouvelle entité politique naissante et se fait son porte-parole. Le mouvement n’a qu’un seul crédo : la rénovation de la « personnalité malgache » qui ne peut être effective que par le retour de l’indépendance.

Le poids du MDRM devient alors considérable. De son côté, la France y voit le visage d’une lutte indépendantiste redoutée dans un contexte où des mouvements nationalistes commencent à ébranler l’empire français en Afrique et en Asie. Ne voulant pas encore d’une indépendance de la Grande île, la France cherche à affaiblir la poussée nationaliste des Malgaches. De ce fait, le Parti des déshérités de Madagascar

(PADESM), institué en juillet 1946, reçoit le soutien de l’administration coloniale pour contre-balancer le succès rapide du MDRM au regard de l’opinion nationale qui lui réserve un accueil favorable. Le dernier-né des partis adopte un style dithyrambique à l’opposé de ses aînés. Usant de son organe de presse Voromahery (août 1946-septembre 1956), il se livre à une campagne de déférence à l’égard des bienfaisances de la puissance colonisatrice

1 Nationaliste de premier ordre, le pasteur Ravelojaona est aussi reconnu comme étant un grand encyclopédiste malgache au travers le Boky firaketana ny fiteny sy ny zavatra malagasy, dont la première parution date de 1937. 2 Gabriel Razafintsalama est l’initiateur du journal bilingue Ny Fandrosoam-baovao. Il aurait dû représenter la province de Mahajanga au sein de la première et seconde Assemblées constituantes (6 novembre 1945-10 juin 1946 et 11 juin 1946-27 novembre 1946). Mais Randriambololona aurait tout fait pour empêcher son élection. 3 Op. cit., p. 69. 4 Op. cit., p. 70. 46 envers le peuple malgache1. Inéluctablement, une concurrence endogène est lancée. La presse d’opinion se fissure en deux tendances diamétralement opposées l’une à l’autre. La presse loyaliste est l’antithèse de la presse nationaliste. De cette manière, une tentative de reconstruction idéologique du passé par la presse s’amorce. Elle est fondée sur le « rejet systématique des autres » selon la visée divisionniste du colonisateur. L’instrumentation pure et simple de la presse en vue d’un objectif clair est perceptible. Personne ne peut nier la libéralisation de la presse aux termes de l’arrêté du 24 novembre 1945 en vertu de l’ordonnance du 2 novembre 1945. Mais cela n’est qu’une libéralisation de façade. Des organes de presse continuent d’être frappés par de fréquentes mesures de fermeture qui peuvent être de courte ou de longue durée. Les lendemains des événements de mars 1947 réussissent à faire taire momentanément toutes les voix nationalistes. Dans un contexte de repli, les autorités catholiques2 tentent de frayer un nouveau chemin en utilisant le journal Ny feo malagasy (La voix malgache) à partir de juillet 19473 pour transmettre leurs idées sur les prudences à adopter avant de recouvrer l’indépendance. III.1.3. Eclosion de la presse d’opinion

La dissolution du MDRM en avril 1947 a entraîné l’arrêt complet de la publication des organes de la mouvance. Mais d’autres journaux prennent la relève, militant pour l’application des principes énoncés dans la Constitution de 1946 et dans la Charte de San Francisco4. Les tendances de la presse ont été variées : presse autonomiste, presse communisante, presse loyaliste et presse catholique. La ville d’Antananarivo et son agglomération ont été toujours la capitale presque exclusive de toutes les activités politiques et culturelles du pays. Avec 13 journaux malgaches (12 hebdomadaires et 1 bimensuel, 3 petits quotidiens) en 1947 devenus 20 en 1951 (16 hebdomadaires5, 1 bimensuel et 3 quotidiens), la presse d’opinion de l’époque coloniale s’oblige elle-même à tenir le

1 « Ce parti, contrairement aux deux premiers, proclame, en particulier dans son organe Voromahery, sa loyauté envers la France qu’il remercie d’avoir délivré le peuple malgache du régime autoritaire merina. Il salue la puissance colonisatrice comme étant la source du progrès. Ce parti s’adresse surtout aux habitants de la côte et comprend parmi ses membres beaucoup de notables », ibidem. En même temps, le journal ny Feon’ny Tanindrana se met au service de la Société Tsimihety-Sihanaka devenue Société Tsimihety-Sihanaka et Assimilés. 2 Elles ont été considérées comme la « troisième force ». 3 Op. cit., p. 70. 4 Op. cit., p. 81. 5 La profusion des hebdomadaires serait motivée à la fois par les urgences du moment et les conditions techniques précaires de l’époque. 47 coup, au-delà de la variété des tendances valorisées. L’on constate l’éclosion véritable de la presse d’opinion surtout à la veille de la loi-cadre, c’est-à-dire en 1955-1956. La réalité malgache peut ainsi infirmer ou confirmer, selon le point de vue, la remarque de Guy Rocher au sujet de la société psychiquement inhibée. Souffrant d’un profond sentiment d’infériorité et d’incapacité (…), elle est démunie des motivations individuelles et collectives essentielles au développement autonome1. Le sociologue a recours au vocabulaire – retraitisme ou l’immobilisme – utilisé par les psychosociologues pour illustrer son optique. Le nationalisme malgache ne désarme pas en dépit des calamités entretenues par le contexte colonial. Certes, le corps social en général sombre dans un mutisme pour le moins naturel. A l’inverse, les batailles idéologiques lancées par les nationalistes connaissent une ardeur particulière. Il y a aussi ce principe de solidarité typiquement malgache mobilisant le mécanisme d’entraide collective dans le cas de transcendance dont est (sont) victime(s) un ou des membres de la communauté. Nous en venons ici à la position des nationalistes par rapport à l’amnistie des condamnés suite aux événements de 1947. La presse communisante clame l’innocence des inculpés tandis que la presse loyaliste et la presse catholique auraient focalisé leur attention à l’amélioration des conditions de vie des autochtones. Pour sa part, la presse loyaliste désapprouve le projet de la loi d’amnistie soumis à l’Assemblée nationale où il sera rejeté en bloc. La presse catholique, de son côté, veut se démarquer en insistant sur les considérations morales des choses. L’exceptionnelle floraison médiatique à la veille de la loi-cadre en 1956 est proche de la thèse selon laquelle tout le monde aurait voulu participer, d’une manière ou d’une autre, à la gestion des affaires politiques nationales une fois l’indépendance retrouvée. III.2. De la presse d’opinion à la presse d’information générale Cette observation peut se confondre avec la période allant de 1957 à 2002. Tant de choses se sont, en effet, produites durant cet intervalle de moins d’un demi-siècle. Aussi n’avons-nous aucune ambition d’en procurer une vue exhaustive. Seuls les traits historiques majeurs seront retenus.

1 Guy Rocher, Introduction à la sociologie générale, t. 3, Le Changement social, Paris, éd. HMH, coll. « Points », 1968, p. 204. 48

III.2.1. Disparition progressive de la presse d’opinion Un grand nombre d’organes en faveur du nationalisme se retirent petit à petit de la scène médiatique malgache. Avant 1960, l’on a assisté à l’actionnisme d’une presse nationaliste pure et dure. Parallèlement, les loyalistes lui opposent des résistances farouches avec l’aide plus que probable de l’administration coloniale. Peut-être, la promulgation de la loi cadre du 23 juin 1956 aurait déçu ces derniers pour la poursuite du combat. En effet, le retrait massif de la presse d’opinion se précise autour de l’indépendance de 1960. Il est bien clair que sa mission est de précipiter ou de repousser cet événement politique capital. Le tournant historique dans la direction des affaires politiques nationales n’arrive toutefois pas à éliminer les héritages du passé. Le phénomène de concurrence endogène se renouvelle sans cesse. Lorsque le général Charles de Gaulle est propulsé à la tête de e 1 la V République française , il a révisé le fonctionnement de la Société nationale des 2 Entreprises de presse (SNEP ). Celle-ci aura la charge de contrôler les médias dans les colonies en pleine mutation statutaire stipulée par la loi-cadre du 23 juin 1956. L’objectif est de promouvoir une presse francophone forte pour défendre les couleurs de la langue française. La création de Soleil de Dakar au Sénégal et d’Ivoire Dimanche qui double l’Ivoire Matin en Côte-d’Ivoire confine cette fin. Chez nous, l’hebdomadaire Madagascar Dimanche est fondé en 1960 pour accompagner la communauté française basée sur l’île qui a retrouvé son indépendance. Par la suite, la mission de Madagascar Dimanche est relayée par le quotidien Le Courrier de Madagascar, un journal moderne rédigé entièrement en langue française. Avec ses quelque 50 000 exemplaires, cette presse gouvernementale s’adresse aux fonctionnaires de l’Etat et surtout aux coopérants en activité sur le territoire. Les partis politiques malgaches, dont le nombre tend à croître depuis l’indépendance, restent fidèles à une formule : créer sa propre organe de presse3. Mais l’instauration du régime socialiste révolutionnaire en 1975 les freine tous dans leur élan.

1 Charles de Gaulle (1890-1970), général et homme d’Etat français, chef de la France libre après la e Seconde Guerre mondiale, est l’architecte de la V République française dont il a été le premier président (1959-1969). 2 Il est mentionné comme suit sur le site Internet http://www.assassin-productions.fr : « 19 septembre 1950. Devant l’immeuble de la Société nationale des entreprises de presse (SNEP) à Paris, 3 000 Nord- africains ont manifesté contre la non-parution du journal L’Algérie libre. Il y a eu 1 127 arrestations. La police a interpellé tous les passants ayant le teint basané ». 3 Le journal Atrika est au service de l’AREMA . L’Imongo est fondé par le MONIMA, Ndao par le MFM et la liste est loin d’être close. 49

III.2.2. Problématique de la malgachisation de 1972 Après la chute du premier président de la République, Philibert Tsiranana, en 1972, le journal Le Courier de Madagascar a dû céder la place à Madagascar Matin. Le premier comme le second offrent cette particularité d’avoir l’Etat français comme actionnaire. A l’époque, le basculement vers la malgachisation a suscité des débats passionnés parmi les intellectuels du pays. Madagascar Matin a dû jouer le rôle de porte-fanion de la langue française dans ce contexte. La situation perdure jusqu’à l’amorce de la phase de la privatisation du milieu des années 80. Par contre, la décision du président français François Mitterrand (1916-1996) de dissoudre la SNEP en 1981 aurait hypothéqué le devenir de Madagascar Matin. La création de deux nouveaux journaux quotidiens1 a sonné la fin de règne pour lui. Voici quelques membres de la rédaction chez Madagascar Matin : Jean-Claude Razafimandimby alias Stéphane Jacob, actuel directeur de rédaction de Midi Madagasikara, James Ramarosaona, correspondant à Toliara alors qu’il a fait des études historiques, actuellement directeur de la rédaction de La Gazette de la Grande Ile et non moins ancien président de l’OJM, Franck Raharison, éditorialiste de La Gazette de la Grande Ile, Christian Chadefaux, actuel rédacteur en chef de Les Nouvelles après avoir occupé la même fonction pendant 7 ans chez L’Express de Madagascar, Roland Ramboatiana, actuellement secrétaire de rédaction de Madagascar Laza après avoir longtemps servi les intérêts de L’Express de Madagascar, Ralisy Andrianarijaona, retraité, Arsène Ralaimihoatra, ancien directeur de la publication de la Revue de l’Océan Indien, Pela Ravalitera, ancienne correctrice de L’Express de Madagascar, Jean-Martial Vanivato, actuel responsable des pages Sports chez La Gazette de la Grande Ile et Jakoba Andriambelo de Midi Madagasikara2. Autant de belles plumes dont la compétence est littéraire, faite de talent de polémique, de pyrotechnie rhétorique. Cette équipe constitue la toute première vague de journalistes à l’approche du libéralisme économique. Au moins, trois importantes familles auraient manifesté leur intérêt pour la reprise de Madagascar Matin. L’ancien président de la République, l’amiral Didier Ratsiraka, la famille Marthe Andriambelo et Rahaga Ramaholimihaso3

1 Le premier numéro de Midi Madagasikara a paru le 18 août 1983 et Madagascar Tribune en 1988. 2 Roland Ramboatiana de Madagascar Laza nous a décrit la structure de l’équipe de Madagascar Matin au cours d’entretien que nous avons avec lui à son bureau à Ankorondrano dans l’après-midi du 13 décembre 2005. 3 Le couple Rahaga Ramaholimihaso a participé au comité de rédaction du bihebdomadaire Ady Gasy, dont le siège était localisé à la Résidence Jean 23 Mahamasina sous le régime transitoire du 

50 seraient dans la course. Finalement, l’organe n’a trouvé aucun repreneur jusqu’en 1987. A cause de la précarité de la situation, l’équipe rédactionnelle d’Ankorondrano, là où est basé le journal, a dû se désintégrer au profit d’autres organes naissants. III.2.3. Regain de vitalité Lasse de négocier le rachat de Madagascar Matin avec l’Etat, la famille Marthe Andriambelo a décidé de créer son propre organe de presse, Midi Madagasikara, en 1983. Une demi-décennie plus tard, Rahaga Ramaholimihaso en a fait autant. Ainsi Madagascar Tribune est né en 1988. A l’époque, l’étau de la censure, minutieusement gardé par le socialisme révolutionnaire, se desserre peu à peu avec la promulgation de la loi no 90-031 du 21 décembre 1990 sur la communication à Madagascar et de l’ordonnance no 92-039 du 14 mars 19921. Dorénavant, l’émergence d’un contexte technique et administratif2 relativement viable est à la base d’une nouvelle optique sur les médias. Le cadre juridique du journalisme offre un environnement sécurisant les actifs des opérateurs. Aussi se lancent-ils dans une course à la création de nouveaux journaux. Le regain de vitalité s’est amorcé quand Herizo Razafimahaleo a fondé L’Express de Madagascar3 en 1995. A son tour, le nouveau quotidien réussira à s’imposer avec un gouvernement Gabriel Ramanantsoa (1972-1975). Il a eu, entre autres collaborateurs, Daniel Rakotoseheno, dit Dany Be. Ady Gasy a été un journal d’opinion de huit pages parmi les plus lus des intellectuels de l’époque (cf. La Gazette de la Grande Ile, no 0880 de vendredi 27 janvier 2006, p. 2). 1 La loi no 90-031 du 21 décembre 1990 porte sur la communication sans pour autant garantir le pluralisme démocratique et le respect de l’Etat de droit. L’ordonnance no 92-039 du 14 mars 1992 concerne la communication audiovisuelle et prévoit la mise en place du Haut conseil de l’audiovisuel. Elle n’a pas été suivie d’effet. Le décret no 99-096 du 8 février 1999 sur la refonte des cahiers des charges des entreprises audiovisuelles complète les deux dispositions. Le texte a été uniquement élaboré par les pouvoirs publics, sans consultation des entrepreneurs privés prévue par l’ordonnance no 92-039. 2 Sur le plan technique en particulier, les rotatives monochromes ont débarqué au pays depuis l’époque coloniale et ont régné durant plusieurs décennies. Elles marquent la vie de Madagascar Matin. Mais ce n’est qu’à la veille de l’an 2000 que le groupe Midi Madagasikara s’est doté d’une unité de rotatives couleurs appelées aussi offset rotatives, la première en son genre. Elles sont vite concurrencées par l’offset numérique DI dont l’unité industrielle d’Antsakaviro (MADPRINT) sera parmi les premiers acquéreurs en 1999. En 2001, une deuxième unité de rotatives couleurs, dont la valeur courante peut dépasser largement les Ar 500 millions, est en cours d’installation à Anosipatrana, dans l’enceinte de l’ancien domaine municipal d’Antananarivo, pour le compte du Malagasy Broadcasting System Group alors en gestation. Sa première mise en service date du 23 novembre 2001. Désormais, la nouvelle unité d’imprimerie d’Anosipatrana s’occupera des travaux d’impression appartenant au TIKO GROUP SA. La possession d’une telle unité industrielle aussi est d’une aide inestimable au bon déroulement d’une campagne électorale. Il semble que MBS GROUP ait fait des émules. D’autres opérateurs ont investi dans l’acquisition des unités de rotatives couleurs dès 2002. Ce qui expliquera, même en partie, l’éclosion ultérieure de la presse à Madagascar. Depuis la fin des années 90, rotatives couleurs, offset numérique DI et offset plate connue aussi sous le nom de speed master, constituent le standard de tous les travaux d’impression à Madagascar. 3 La date de la première parution du journal le 21 février 1995 coïncide avec le 40e anniversaire de Herizo Razafimahaleo. En réalité, l’organe de presse fait figure de porte-parole et de moyen de propagande  51 style vivant et un positionnement libéral. La presse d’opinion appartiendrait désormais à un temps révolu. Place maintenant à la presse d’information générale et à la presse de proximité qui accorde une importance particulière aux faits divers ou chiens écrasés et faits de la société. « Le fait divers fait diversion », dit Pierre Bourdieu en préfaçant l’essai Les Nouveaux Chiens de garde (1997)1 de Serge Halimi. Jusqu’ici, le bilinguisme est la tendance honorée et aussi la formule qui paraît mieux appréciée. Trois ans après la parution de L’Express de Madagascar, un autre quotidien, en l’occurrence Gazetiko, cette fois-ci entièrement en langue malgache, apparaît sur le marché comme pour animer davantage le milieu de la presse écrite nationale. Le dernier-né représente une nouvelle approche commerciale de la presse grâce à un style populaire et à un prix ajusté au pouvoir d’achat des couches défavorisées. Du point de vue tirage et répartition géographique des réseaux de vente, les nouvelles publications quotidiennes prétendent toutes avoir une couverture nationale. Un double aspect ambivalent agite quand même le souffle nouveau constaté chez la presse malgache. Le besoin pressant du contexte aurait permis l’émergence de nouvelles vagues de journalistes dont le milieu professionnel d’origine est méconnu pour le plus grand nombre. Inversement, la disponibilité d’un capital humain « en dérive » aurait facilité les tâches aux investisseurs. Plus le nombre de jeunes diplômés des études supérieures augmente, moins la quantité d’emplois disponibles est en baisse. Dans les années 90, le développement du système universitaire privé ou semi privé prend l’allure d’un phénomène dorénavant irréversible. En effet, le déséquilibre aurait eu beau servir le processus de recrutement des journalistes débutants, dont le profil et le bagage intellectuel sont jugés acceptables. Le boom des radiodiffusions privées2 un peu partout aurait quelque part influencé le monde de la presse. Les stations FM pullulent vite par rapport à la presse écrite. Ses émissions se consomment gratuitement. A l’opposé, le journal reste un produit de luxe pour une grande majorité de la population. Un tas de paramètres entrent en jeu pour

d’idées par excellence de l’association devenue parti politique Leader-Fanilo fondé en 1993 (LEADER : Libéralisme économique et action démocratique pour la reconstruction). 1 Le livre fait référence au pamphlet Les Chiens de garde (1932) du romancier, essayiste, journaliste, traducteur et philosophe français Paul Nizan (1905-1940). 2 L’apparition de la première radio privée Radio Feon’ny Vahoaka (RFV) est intimement liée à la grève illimitée de 1990. Elle n’a pas de local fixe même si l’immeuble Ramaroson à Soarano abrite le studio au  52 cautionner ou mettre en cause sa percée commerciale. Chaque organe doit environ 75 % de son chiffre d’affaires aux publicités, autant dire que la vente au numéro est faiblement rentable pour pouvoir couvrir les charges fixes. L’entreprise de presse étant par nature déficitaire, sinon en situation très précaire, les salaires des journalistes sont faibles et demandent à être complétés par des moyens licites (per diems de mission ou de formation) ou illicites (corruption). Dans le souci aussi de fidéliser les annonceurs, l’on se garde sciemment de nuire à leur visibilité sociale et l’inverse n’est pas faux. La fragilisation de la profession a un enracinement historique assez profond pour être facilement découverte. Toute conclusion hâtive est quand même déconseillée d’autant plus qu’une démarche sociologique s’en méfie avec une extrême prudence. III.3. Fragilisation de la profession Pour reprendre les mots de Serge Halimi1, la presse malgache est de plus en plus présente depuis 2002 et davantage de journalistes sont de plus en plus dociles. La presse aurait perdu des lecteurs et de son crédit. Elle aurait précipité l’appauvrissement des débats publics. La fragilisation de la presse malgache est indissociable de l’avènement de la tendance libérale. III.3.1. Retour du passé L’actuelle profusion de journaux rappelle l’éclosion de la presse d’opinion entre

1948 et 1956 (cf. III.1.2. et III.1.3.). Trois tendances bien distinctes les unes des autres apparaissent aujourd’hui : les pro-régimes, les contre et ceux au centre. Les journaux pro-régimes prennent la place de la presse loyaliste d’antan si les journaux contre ne présentent pas le profil de la presse nationaliste de la période 1948-1956. Au contraire, les journaux contre d’aujourd’hui réservent un accueil favorable à la majorité des

départ. Elle est itinérante pour éviter les mauvaises surprises avec le régime de l’époque. 1 D’origine tunisienne et docteur en sciences politiques de l’université de Californie, Berkeley, Serge Halimi est professeur associé à Paris VIII de 1994 à 2000 et aussi journaliste au mensuel Le Monde diplomatique depuis 1992. Ce spécialiste des Etats-Unis a publié à Liber-Raisons d’agir, Paris, 1997, le livre à succès Les nouveaux chiens de garde. Serge Halimi y met à plat les liens entre les journalistes et les hommes politiques et comment cela influence les lignes éditorialistes des grands médias français. Voici le commentaire de l’éditeur : « Les médias français se proclament ‘contre-pouvoir’. Mais la presse écrite et audiovisuelle est dominée par un journalisme de révérence, par des groupes industriels et financiers, par une pensée de marché, par des réseaux de connivence. Alors, dans un périmètre idéologique minuscule, se multiplient les informations oubliées, les intervenants permanents, les notoriétés indues, les affrontements factices, les services réciproques. Un petit groupe de journalistes omniprésents – et dont le pouvoir est conforté par la loi du silence – impose sa définition de l’information-marchandise à une profession de plus en plus fragilisée par la crainte du chômage. Ces appariteurs de l’ordre sont les nouveaux chiens de garde de notre système économique ».

53 personnages ayant une certaine affinité à la presse loyaliste d’antan ainsi que des hommes des régimes successifs. L’attitude de la tendance centriste, quant à elle, ne pourrait être saisie que dans le sens du prolongement du geste des autorités catholiques peu avant l’indépendance (cf. III.1.2.). De surcroît, la parcellisation de la presse plonge ses racines dans le on n’est pas mieux servi que par soi-même (cf. III.2.1.). L’on aperçoit derrière la création d’un organe de presse la présence directe ou indirecte du politique ou des intérêts économiques. En 1999, TIKO GROUP SA a racheté à 1 Richard Claude Ratovonarivo les actifs de la radio privée Radio Mada, FM 100.8 Mhz basée à Faravohitra, à quelques mètres de la résidence officielle de la famille Ravalomanana. Plus tard, cette station deviendra un groupe de médias parmi les plus 2 puissants avec la création de MBS télédiffusion et radiodiffusion . L’on associe à la création de La Gazette de la Grande Ile, qui apparaît pour la première fois le 8 mars 2003, le nom de l’ancien vice-Premier ministre Pierrot Rajaonarivelo3. Le nom du Premier ministre est aussi souvent prononcé derrière trois nouveaux titres : Les Nouvelles, Taratra (mars 2004) et Le Courrier (août

1 Richard-Claude Ratovonarivo est le créateur de la marque Mada. Il ne gère jamais longtemps les entreprises qu’il a fondées. Tel est, par exemple, le cas de Radio Mada, mise en vente quelques mois seulement après sa création en 1999. L’ancien cadre supérieur de TIKO GROUP, en l’occurrence Yvan Randriasandratriniony, a mené les négociations avec lui en vue de la reprise des activités de la station radio privée installée dans le même quartier que la famille Ravalomanana à Faravohitra. L’antenne et la licence d’exploitation ont intéressé le plus le président-directeur général Marc Ravalomanana. Par la suite, le négociateur est nommé directeur de la chaîne avant de devenir le premier responsable du MBS GROUP (2000-2001). En 2002, il est élu député de Madagascar dans la circonscription d’Atsimondrano. Mais le portefeuille du ministère de l’Agriculture, de l’Elevage et de la Pêche lui est confié entre 2002 et 2004 où il est demandé d’occuper les fonctions d’ambassadeur de Madagascar à Johannesburg jusqu’en 2007. Pour revenir à Richard-Claude Ratovonarivo, ce journaliste a déjà participé à la rédaction du magazine Jeune Afrique, l’actuel L’Intelligent. Pour la énième fois, un nouveau produit « Mada » naît sur son initiative. Le 1er juillet 2003, il lance l’agence indépendante d’information « Mada » (www.mada.mg). Le siège social se trouve à la Villa Joëlle, lot II J 161 R, Ivandry Antananarivo – Madagascar. Cette presse électronique se double d’une version imprimée en Toulouse pour les Malgaches de l’étranger. Le numéro 01 du magazine Mada paraît en janvier 2007. 2 Les stations télé et radio de la Malagasy Broadcasting System (MBS), dont le siège se trouve à Anosipatrana, ont commencé à émettre, pour la première fois, le 1er décembre 2001, c’est-à-dire le premier jour de la campagne électorale de cette année. A l’heure actuelle, les villes d’Antsiranana, de Manakara, de Mahajanga et d’Antsirabe sont couvertes. Quant à la radio MBS, FM 95.4 Mhz, elle est présente dans plusieurs grandes villes du pays (au total 31 districts et bientôt 46) à commencer par les chefs-lieux de province et quelques capitales régionales à savoir Tolagnaro, Manakara, Morondava, Antsirabe, Ambatondrazaka et Sambava. D’autres villes d’importance moyenne seront aussi sûrement desservies dans les mois ou les années à venir. La station radio privée d’obédience protestante Radio Fahazavana, FM 88.6 Mhz fait également partie du groupe MBS au même titre que les deux journaux : Le Quotidien et Ny Vaovaontsika. La radio est créée par le pasteur Théodore Randriamanantena à l’occasion e du XIII Synode de l’église FJKM en août 1996. La station exploite entre 1997 et 1998 la fréquence FM 95.4 Mhz. Ce n’est pas par hasard si la MBS Radio est devenue l’utilisatrice de la même fréquence depuis sa création en 2001. 3 Le natif d’Anosibe an’Ala occupe les fonctions de vice-Premier ministre au sein du gouvernement Tantely Andrianarivo (1997-2001). Il est aussi le secrétaire national du parti politique AREMA. 54

2005)1. Il en est de même de Madagascar Laza (avril 2005). A l’opposé de Midi Madagasikara et Gazetiko qui sont plutôt Mamy Rakotoarivelo2, le propriétaire n’est autre que le fils unique de Marthe Andriambelo : Fredy Rajaofera Andriambelo3. L’origine de Ao Raha (juillet 2005) sonne le nom de Herizo Razafimahaleo même si la gestion du journal qu’il fonde en 1995 revient actuellement aux groupes La Sentinelle de Maurice et Prey Sa4. III.3.2. Révolution qualitative et quantitative Pour revenir à la presse en particulier, la publication du premier journal fondé par

Marc Ravalomanana date de l’ouverture des stations MBS télé et radio d’Anosipatrana en novembre 2001. L’apparition de l’hebdomadaire Ny Vaovaontsika révolutionnera l’aspect qualitatif des publications quotidiennes à Madagascar. Le journal s’imprime entièrement en quadrichromie, chose jamais initiée à l’échelle du pays jusque-là dans le domaine de la publication quotidienne. La publication du journal a cessé à partir du 9 octobre 2003 au profit du quotidien

1 Le Premier ministre serait un des actionnaires majeurs de ces organes gérés par le groupe ULTIMA MEDIA, une filiale de La Nouvelle imprimerie des arts graphiques (NIAG). La famille fondatrice, Charles Andriantsitohaina, est reconnue comme une des grandes fortunes du pays. Mais le contrôle de ces trois publications quotidiennes revient à son fils adoptif Naina Andriantsitohaina qui en est le directeur général. A un moment donné, ce membre actif (président) du Syndicat des industriels de Madagascar est devenu un fonctionnaire de la primature en sa qualité de conseiller technique (ou spécial) du Premier ministre Jacques Sylla (février 2002-janvier 2007). Depuis le début 2005, la station radio privée Alliance FM 92.0 Mhz, localisée dans la résidence Jean Laborde à Andohalo, devient une propriété de la famille Andriatsitohaina. Des anciens journalistes de Revue de l’Océan Indien, de Le Quotidien, de Les Nouvelles plus les nouvelles recrues animent les émissions de cette station FM d’Andohalo. 2 Ce natif d’Antsirabe est le gendre de la famille fondatrice du groupe Midi Madagasikara. Il a contribué à la réussite commerciale du journal Midi Madagasikara pour avoir été son directeur général. L’homme a été élu député de Madagascar en décembre 2002 sous l’étiquette du parti Tiako i Madagasikara dans le e III arrondissement d’Antananarivo ville, et ce après le passage à la tête du ministère des Télécommunications, des Postes et de la Communication (2002-2003). Il a aussi accédé au poste du vice- président de l’Assemblée nationale depuis l’an 2003. Mamy Rakotoarivelo et le fin politicien Norbert Lala Ratsirahonana ont participé de manière active au processus de prise de décisions relatives à la création de médias actuellement à la disposition de TIKO GROUP SA. « Je lui ai dit clairement de fonder d’abord un organe de presse avant qu’il (Marc Ravalomanana) ne se lance dans la carrière politique », a témoigné le juriste un jour lors d’une intervention télédiffusée au début de la trêve en juillet 2002. Mamy Rakotoarivelo, quant à lui, a indiqué les modalités de la création et de la gestion des organes de presse écrite, d’après son témoignage en date du 29 juillet 2004 au palais d’Etat d’Iavoloha. 3 Dans son ambition politique, Fredy Rajaofera Andriambelo, avec l’appui de l’association Miranandro, s’est porté candidat à la marie d’Antananarivo en 1999 aux côtés, entre autres, d’un Marc Ravalomanana. Il s’est facilement fait évincer de la course. Il n’est pas du tout en bons termes avec son beau-frère Mamy Rakotoarivelo, d’après ce que racontent les employés de la famille. 4 L’Express de Madagascar, L’Hebdo de Madagascar, Ao Raha, la Radio Antsiva et le Mouf’Rey font tous partie du groupe Prey Sa dont l’opérateur économique Edgar Razafindravahy est le P.-D.G. En 2002, L’Express de Madagascar est devenu propriété de ce riche personnage tananarivien. A compter de 2004, les groupes La Sentinelle de Maurice, propriétaire de L’Express de Maurice, et Prey Sa deviennent des partenaires. Par la suite, l’alliance œuvrera pour l’extension rapide de ses activités médiatiques. Bientôt, le groupe Radio Télévision Analamanga sera aussi accaparé par Edgar Razafindravahy. 55 bilingue de seize pages Ny Gazety Androany1. La présentation est légèrement modifiée pour mieux étaler un contenu plutôt people et magazine. Taxé à tort ou à raison d’être le journal gouvernemental ou du parti politique Tiako i Madagasikara2, le journal se garde d’apporter des critiques acerbes à tout ce qui touche le régime. Le 14 janvier 2004, le journal revient avec un nom nouveau Le Quotidien, tout en restant fidèle aux principes et style adoptés par Ny Gazety Androany. Le 29 juillet 2004, le journal Ny Vaovaontsika, entièrement en langue malgache, réapparaît sur le marché. Il comprend 8 pages au début puis 12 pages dont la moitié s’imprime en quadrichromie. Le journal est prolixe sur les informations provenant de provinces, la politique de décentralisation, la lutte contre la corruption… Le journal Le Quotidien, quant à lui, se mue en quotidien d’information de langue française. Le volume de 16 pages est porté à 24 pages dont huit en quadrichromie à compter du mois de septembre 2005. Au moins huit3 nouvelles publications quotidiennes naissent de 2002 à 2005. La présentation générale des deux journaux gérés par MBS GROUP les aurait influencées toutes. Les grands annonceurs, à l’instar de la 4 société privée de téléphonie mobile MADACOM , sont affirmatifs à ce sujet. En matière d’impression, la mode est passée de la monochromie ou de la bichromie à la quadrichromie5 pour la une et des pages de l’intérieur. Par ailleurs, l’entièreté du journal Madagascar Laza, en particulier, est imprimée en couleur, du moins pour l’instant. III.3.2. Un peu de sociologie du « felaka » Le mot « felaka » signifie gifle. Un coup de gifle met quelqu’un dans une perplexité passagère étant donnée la brutalité du choc reçu. Le mot « gifle » intègre le jargon des journalistes malgaches. Il désigne la somme d’argent offerte par la personne ou l’entité source d’information. Son analyse relève du constructivisme social. La gifle donnée au journaliste peut se régler au moment de l’interview, c’est-à-

1 Ny Gazety Androany prend le nom de Le Quotidien à compter du 14 janvier 2004. Le journal est resté bilingue jusque-là. 2 Héritier de l’association Tiako Iarivo, le parti Tiako i Madagasikara est officiellement créé le 1er juillet 2002, c’est-à-dire quelques mois après l’accession de son fondateur aux fonctions de la magistrature suprême de la nation. 3 Le Quotidien, La Gazette de la Grande Ile, Ny Vaovantsika, Les Nouvelles, Taratra, Madagascar Laza, Le Courrier, Ao Raha et Ngah ! 4 MADACOM a opéré à Madagascar depuis le 27 novembre 1997. La société a été rachetée par Celtel Madagascar, filiale de Celtel International, en décembre 2005. Les activités commerciales de Celtel Madagascar ont officiellement débuté en juin 2006. 5 Procédé d’impression en couleurs à partir de quatre tons de base : rouge-violet, jaune, bleu et noir. 56 dire avant la publication du projet d’article en perspective, ou après sa publication effective. Le felaka tient lieu de pratique coloniale établie sur la logique du profit, la politique de la force et l’instinct de corruption. La plupart du temps, les politiciens, les élus et les opérateurs sont parmi les grands pourvoyeurs de felaka. Celui-ci relève donc de la « corruption discrète ». Le montant proposé peut aller de Ar 5 000 à plusieurs millions. Les conférences de presse et les entretiens off the record sont autant de circonstances propices au paiement des felaka ou les petites enveloppes. Probablement, le mot aurait fait son introduction dans le journalisme dans la seconde moitié des années 90. A l’époque, le phénomène connaît une expansion sans bornes. Les bas salaires des premiers journalistes de l’ère de la libéralisation en seraient à l’origine. Que des responsables, les soi-disant compréhensifs à l’égard du journaliste, l’appuient de plusieurs façons. Le journaliste est ainsi habitué à « la société de cour et d’argent ». En effet, le professionnel de l’information est éternellement maintenu dans une position subalterne. Les médias (…) se proclament ‘contre-pouvoir’. Mais la presse écrite (…) est dominée par un journalisme de révérence, par des groupes industriels et financiers, par une pensée de marché, par des réseaux de connivence, dénonce Serge Halimi dans Les Nouveaux Chiens de garde. Le phénomène de felaka, comme moyen de survie, accuse après 2002 un recul notable pour au moins deux raisons principales à notre avis. Les patrons de presse auraient consenti ensemble à une relative uniformisation de leur politique salariale. Le salaire moyen des journalistes malgaches varie entre Ar 200 000 et Ar 350 000. La différenciation des salaires n’est plus démotivante pour beaucoup. Avant 2002, le salaire supérieur à Ar 200 000 est réservé aux responsables de journaux ou aux plus expérimentés et compétents. Le corps du journalisme figure parmi les entités mises sur les bancs des accusés en matière de corruption. L’engagement pris contre ce phénomène aurait demandé à la pratique du felaka d’être plus prudente que jamais. La pratique n’a pas disparu complètement. Au contraire, elle est en train de s’institutionnaliser à travers les per diem ou indemnités de mission ou de formation comme moyens licites. Depuis la direction des opérations de la Banque mondiale aux petites cellules d’exécution des projets en passant par les départements ministériels et les différentes représentations diplomatiques, tout un réseau institutionnel approuve et soutient la pratique. Que des interactions institutionnelles invalident le Code de déontologie en 57 vigueur chez nous1. Nous y reviendrons plus tard.

La photo ci-dessous (exposée au CITE Ambatonakanga en 2006) illustre bien les contraintes vicieuses qui empêchent le journalisme de fonctionner correctement.

Conclusion partielle L’instrumentation de la presse a traversé quatre périodes historiques : le colonialisme, le néocolonialisme, le socialisme et le libéralisme. Sa portée et sa nature varient selon le contexte. Au colonialisme correspond la logique de la libération nationale et son opposé. Le particularisme politique a été le propre du néocolonialisme. Le conformisme est la règle d’or valorisée par le socialisme. L’ère du libéralisme, quant à elle, nous suggère la logique de l’utilitarisme politique et économique. La presse d’opinion se met au service de la politique. La visée peut être bonne ou mauvaise. L’instrumentation de la presse est un héritage historique. Ses variations dans le temps sont le reflet des réalités de l’époque traversée. Le phénomène tend à se renouveler après les dures épreuves historiques. Cela devient peut-être une loi de la nature de la presse malgache. Rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme2. Dans

1 Aux termes de l’article 7 dudit code, le journaliste a le devoir de refuser tout avantage en numéraire ou en nature quelles qu’en soient la valeur et la provenance pour services rendus ou attendus. 2 Antoine Laurent de Lavoisier (1743-1794). Le chimiste français est considéré comme le fondateur de la chimie moderne. 58

Dans le contexte de libéralisme économique et de mondialisation en marche, l’instrumentation de la presse va dans le sens inverse. Garneau a bien explicité combien la démarche peut être bénéfique plus pour l’instrumenté que pour celui qui instrumente. Nous observons de nos jours le phénomène inverse s’agissant de la presse malgache. L’instrumentation est source de fragilisation des médias nationaux. La fragilisation de la presse est monnaie courante en Afrique. Le grand de ce monde n’y échappe pas non plus. Une fois, la notoriété du prestigieux New York Times est mise à rude épreuve. D’habitude, le pouvoir impose brutalement la loi du silence dans les coulisses de la presse et de l’édition. Ce sont les terrains idéaux pour les pressions et intimidations.

« Quand (…) l’ancien secrétaire général de l’ONU , Boutros Boutros-Ghali (1992- 1996), déclare de façon fracassante et crédible que le drame rwandais (massacres de 500 000 habitants, pour la plupart des Tutsi, par les Hutu [radicaux] en 1994) est à ‘100 % la responsabilité des Etats-Unis’, force nous est d’admettre que cette version des faits n’a que bien rarement trouvé place dans les médias majeurs »1. Pour enfin revenir sur l’instrumentation, Garneau parle de prérequis si le Bourdieu réinvente la notion d’habitus . Ces deux concepts sont bel et bien complémentaires et trouvent dans le champ journalistique un terrain d’exercice parmi les mieux appropriés. Le journalisme est un jeu de capitalisation permanente des biens culturels qui consiste à faire admettre des représentations qui n’ont nécessairement besoin d’être objectives 2. Gardien de la probité, la presse devient partisane. Elle est la cheville ouvrière de la dictature douce exercée par la superstructure sur l’ensemble de la société. Selon Philippe Gaillard, les médias situés entre les acteurs de la société et les publics exercent un rôle prédominant. Cette manière d’être de la presse est de nature mesurable. Tant de contraintes vicieuses ruinent la bonne moralité du journaliste. La société humaine, le milieu urbain en particulier, ne reste pas indifférente à l’instrumentation de la presse. Somme toute, la pesse ne jouit que d’une liberté relative. Les pratiques restrictives

1 Laurent Laplante dans l’article intitulé Un journalisme déboussolé ? daté du 12 juin 2003 et publié sur la toile ( http://www.acrimed.org ) le 26 juin 2003. The New York Times Compagny voit le jour en 1851. Baptisée New York Daily Times , la compagnie acquiert son nom définitif en 1857. La compagnie est devenue l’une des plus grandes sociétés multimédias américaines (propriétaire de journaux, de magazines, de chaînes de télévision, de stations de radiodiffusion et de services d’information électronique). A titre indicatif, The New York Times Company fonctionne avec un chiffre d’affaires annuel de 3,1 milliards de dollars. 2 Bourdieu l’appelle violence symbolique .

59 nuisent à l’indépendance réelle du journaliste. Les formes de dépendance économique ont des conséquences sur l’objectivité et la neutralité. Bon nombre de journalistes sont contraints de suivre la ligne politique de leurs employeurs en cultivant l’opacité, relayant la propagande et alimentant les rumeurs. Les entraves peuvent inhiber toute volonté de lutter pour la liberté d’expression déjà minée à plusieurs égards. Le questionnement sur l’objectivité en journalisme est un débat obscur. L’objectivité en journalisme est comme l’alchool : elle se volatilise rapidement mais quand elle vous tient, on s’en énivre pour un temps. L’objectivité est définitivement utopique pour la profession. Chaque journal a sa ligne éditoriale qui est le reflet des repésentations du monde dont il défend la valeur. De cette façon, chaque journaliste traite un sujet/un article sous un angle spécifique. Qui dit ligne éditoriale ou angle dit point de vue. Un point de vue est le frère de la prise de position. C’est donc déjà à l’écart de l’objectivité. Mais le mieux qu’un journaliste puisse faire pour pouvoir se hisser à un niveau susceptible de consensus général serait de se livrer à un exercice de triangulation en confrontant dans un même écrit le plus grand nombre possible d’avis contradictoires. Par expérience, le strict respect de la règle de pluralité des sources honore et met à l’abri des surprises malencontreuses. DEUXIEME PARTIE

DYNAMIQUE D’INSTRUMENTATION DEPUIS 2002 60

L’instrumentation de la presse résulte d’un vaste réseau d’un vaste réseau d’interactions complexes. La société prend conscience de ses méfaits. Voilà pourquoi les réactions à l’égard des journalistes ne sont pas toujours clémentes. Les citoyens ont la promptitude à leur donner des coups. Le journaliste n’a aucun droit à se prétendre au- dessus des querelles publiques, à l’abri des attaques et des piques. Il a du pouvoir, parfois même beaucoup de pouvoir. Il lui arrive de donner des coups. Il est donc inévitable qu’il en reçoive1. Les répliques populaires aux dérives journalistiques sont violentes. De son côté, la réponse sociologique à une telle mésintelligence est intelligente. La démarche consiste à apporter un jugement le plus objectivement possible à l’objet observé. Pour cela, la sociologie est en possession d’un arsenal d’outils scientifiques efficients. Elle peut mesurer l’ampleur du phénomène à l’aide des techniques simples mais dont l’utilisation n’est pas à la portée de monsieur tout le monde.

CHAPITRE I : GEOMETRIE DE L’INSTRUMENTATION : ETUDE D’UN CAS RECENT

L’étude de contenu est devenue un usage courant pour décrypter le message secret d’un texte donné. Des auteurs comme Annick Bouillaguet et André D. Robert2 servent de guides efficaces pour cela. Il s’agit d’approche faisant valoir l’aspect qualitatif des documents examinés. Elle n’a rien de désavantageux ni d’inefficient. Mais la démarche géométrique est aussi en passe de prendre le dessus à l’heure actuelle. I.1. Approche synthétique de la méthode Les opérations de dénombrement nous sont familières pour des usages courants. La méthode que nous allons utiliser maintenant n’en est pas différente. Mais il est jugé indispensable de circonscrire d’une manière concise sa spécificité. I.1.1. Origines italiennes L’instrumentation de la presse nourrit les appréhensions à cause de l’absence de neutralité ou de l’objectivité dans le traitement de l’information. Le milieu politique

1 Edwy Plenel dans l’article Le faux procès du journaliste paru dans Le monde diplomatique, février 1998, p. 26 (texte reproduit sur http://www.homme-moderne.org/societe/socio/bourdieu/index.html). 2 Annick Bouillaguet et André D. Robert sont co-auteurs de L’analyse de contenu, éd. PUF, coll. « Que sais-je ? ». La parution de la deuxième édition du livre date de juillet 2002. 61 occidental tâche de la comprendre de manière très simple. Il s’agit, en effet, de mathématiser l’analyse de contenu sans pour autant qu’il soit question de recourir à des formules complexes. Les formules élémentaires applicables à la mesure des surfaces géométriques sont à la base de cette mathématisation de l’analyse de contenu de la presse écrite. D’une part, il sera question de mesurer la hauteur et la largeur des textes et des photos à l’aide des décimètres. D’autre part, le calcul fera alterner les opérations de multiplication, d’addition, de soustraction et de division. Avec la presse électronique1, le monitoring est l’équivalent de cette démarche apparemment enfantine. Dans le cas de monitoring, les chronomètres sont utilisés à la place des décimètres. La méthode, qui consiste à mathématiser l’analyse de contenu, est très répandue en Europe. Elle doit son développement à l’Osservatorio di Pavia2. Mais l’Union européenne en est le consommateur invétéré. Elle finit ainsi par devenir le diffuseur avisé de la méthode dans le monde entier. Ses nombreuses interventions dans les élections organisées à l’intérieur des pays membres de l’Afrique-Caraïbes-Pacifique l’amènent à s’en servir chaque fois que l’occasion se présente. L’utilisation de cette méthode revêt d’un aspect universel. D’autant que son efficacité est partout appréciée.

3 I.1.2. Expériences avec la MOEUE L’application de la méthode est une nouveauté à Madagascar. Sa première utilisation coïncide avec les législatives anticipées du 15 décembre 2002. A l’époque, de nouvelles expériences en matière électorale se produisent au pays. Plusieurs missions débarquent alors à Madagascar suite aux souhaits émis par le gouvernement et aussi par la communauté internationale4. De toutes les différentes missions, celle mandatée et contrôlée par l’Union européenne est la plus importante. La mission, conduite par Tana de Zulueta, alors membre du Sénat italien, comprend un total de 89 observateurs, salariés et bénévoles, déployé dans l’ensemble du pays. Une délégation de trois membres du Parlement européen, présidée par John Alexander Corrie, président honoraire de l’Assemblée

1 Traditionnellement, la radiodiffusion et la télédiffusion constituent les deux composantes essentielles de presse électronique. L’Internet s’y ajoute aussi de nos jours. 2 Son adresse Internet est http://www.osservatorio.it. 3 Mission d’observation électorale de l’Union européenne. Ce passage est rapporté dans la Déclaration préliminaire présentée à l’hôtel Colbert Antaninarenina Antananarivo le 18 décembre 2002. 4 A l’époque, le pays est loin de se remettre des lézardes sociales laissées par la grave crise. L’organisation de nouvelles élections dans de telles conditions pourrait susciter l’avènement d’une autre  62 parlementaire paritaire ACP-UE et non moins coordinateur de la Commission du développement et de la Coopération du Parlement européen, a également fait partie de la mission. La Commission européenne elle-même se charge de la totalité de l’aspect financier des opérations relatives aux élections législatives Madagascar 2002. La mission ainsi mandatée a séjourné chez nous entre 6 novembre 2002 et 2 janvier 2003. Du point de vue structurel, la mission est directement rattachée à la Commission européenne basée à Bruxelles qui entre en permanente communication avec elle. La mission a alors affaire à la délégation de la Commission européenne à Antananarivo seulement pour résoudre certaines difficultés qui se produisent durant son séjour au pays hôte. Du point de vue mode opératoire et structure formelle interne, la mission comprend trois sections bien distinctes les unes des autres : administration, logistique et médias. L’administration assure la surveillance générale du bon fonctionnement administratif de la mission. La logistique est en charge de la gestion du parc matériel mis à la disposition de la mission dont le contrôle revient à la société dénommée AGMIN. Quant à la section médias, l’expert médias répondant au nom d’Andrea Malnati1 se trouve à sa direction. La section médias est investie des tâches tout aussi délicates que les autres. D’une manière très brève, elle gère les relations avec les médias locaux, d’une part, et, assure la communication avec Bruxelles, d’autre part. Elle a le devoir d’informer la capitale européenne sur l’évolution de la situation à Madagascar par le biais de revue de presse journalière. Elle a l’obligation d’établir un document considérable à présenter aux autorités locales et à soumettre aux autorités européennes de Bruxelles à l’issue de la campagne élective. I.1.3. Analyse de médias2 dans le cadre de la mission Dans sa tradition, la mission se doit de travailler de concert avec des natifs répondant au profil requis. Ceux-ci sont recrutés sur place pour l’occasion. La section crise. Le contexte justifie l’interventionnisme international dans la gestion du processus électoral. 1 Dans le cas de Mission d’observation électorale de l’Union européenne, Andrea Malnati est toujours placé à la tête de la section médias étant données ses expériences en la matière. Après Madagascar, il compte à son actif l’observation des élections présidentielles et parlementaires des 1er et 2 décembre 2004 au Mozambique et des élections présidentielles du 17 novembre 2005 au Sri Lanka. Au rythme où vont les choses, il est fort probable que l’équipe de la MOEUE de 2002 reviendra chez nous lors des prochaines élections présidentielles. Effectivement, une mission réduite est venue à Madagascar en novembre et décembre 2006 pour observer le processus électoral du 3 décembre 2006. 2 Les émissions radiophoniques et télévisuelles ainsi que journaux sont étudiées simultanément. 63 médias a eu besoin de trois assistants pour s’occuper des tâches sous la responsabilité de l’expert de la section. Parmi une centaine de jeunes intéressés, nous avons été le premier à être admis à un de ces postes. La bonne connaissance du paysage médiatico-politique du pays est le premier critère retenu lors du recrutement. Nous avons été trois jeunes collaborateurs à avoir manié la méthode d’analyse de la presse transmise par l’expert. Au-delà d’une simplicité apparente, l’apprentissage de ladite méthode nous a pris une journée entière. La première application pratique a permis de corriger les erreurs d’appréciation. La subtilité et l’efficience de la méthode se trouvent entièrement dans sa simplicité1. Un assistant médias passe une bonne dizaine d’heures pour examiner trois journaux suivant les exigences de la méthode. L’authenticité du résultat obtenu serait douteuse si le travail s’effectue dans un endroit sujet à des perturbations permanentes. Des locaux de l’hôtel Colbert d’Antaninarenina sont ainsi aménagés en espaces bureautiques pour les différentes sections de la mission d’observation. Quant à la section médias, elle a dû s’isoler du reste de l’équipe. Une partie de l’Espace Affaires Wanadoo du même établissement hôtelier a été mise à sa disposition pendant un mois et demi. L’analyse de médias engloutit une certaine somme d’argent et ne doit être minimisée. Voilà pourquoi nous nous sommes attardé volontiers sur l’introduction de la méthode d’analyse dont nous allons désormais nous servir. Son application à un cas récent est une autre histoire. I.2. Le cas à proprement parler Dans un document intitulé Deux femmes en campagne, Régis Borruat2 a synthétisé l’analyse du traitement médiatique de deux quotidiens suisses au sujet de la campagne de Micheline Calmy-Rey et de Ruth Lüthi pour l’élection au Conseil fédéral. A notre avis, ce document correspond au profil d’un guide d’application parfait de la méthode familière à Andrea Malnati pour l’étude d’un cas récent à Madagascar. I.2.1. Les publications de lundi 19 décembre 2005 Dans la matinée de samedi 17 décembre 2005, les opposants regroupés au sein de

1 Savoir mesurer les hauteur et largeur des textes est insuffisant. Des fois, la mise en page des articles présente des difficultés au niveau du calcul des espaces qu’ils occupent réellement dans les journaux. 2 Régis Borruat est chargé d’enseignement aux universités de Genève et de Neuchâtel. L’élection d’une nouvelle conseillère fédérale en 2003 lui offre une occasion de mener des études synchroniques du comportement de deux quotidiens suisses : Le Temps et Le Quotidien Jurassien. Le document de onze pages intitulé Deux femmes en campagne en est le résumé, disponible en version électronique, format PDF (Portable Document File), sur le site Internet http://www.unine.ch/journalisme. 64 la plate-forme appelée Forces nationales1 entreprendront une marche pacifique sur la Place du 13 mai en plein cœur de la ville d’Antananarivo. Mais l’occupation du lieu prendra une tournure dramatique quand des citoyens s’y attroupant s’en prendront avec violence aux leaders du mouvement. Les événements sont différemment critiqués dans la presse qui en a fait de larges échos deux jours plus tard. C’est une bonne occasion pour examiner de très près la dynamique d’instrumentation de la presse. La journée du 17 décembre 2005 est particulièrement celle d’une forte émotivité non seulement pour la ville d’Antananarivo mais pour l’ensemble du pays. Elle a été vécue comme le résumé des activités politiques d’une opposition minoritaire mais agissante depuis l’avènement du régime en place2. Pourtant, elle est partout en bute à l’indifférence totale de l’administration publique. A la tentative d’organiser un meeting paisible sur la place hautement symbolique de l’histoire des mouvements populaires à Madagascar est infligée une cuisante défaite. L’opposition traditionnelle va d’échec en échec dans sa démarche. Elle éprouve quelque difficulté à faire entendre sa voix. La particularité de cette journée réside dans le regain d’incivisme, pour le moins surprenant, commis par des habitants de la capitale, trois ans et demi après la désobéissance civile généralisée de 2002. La tenue de meeting a suscité une intense activité médiatique de quelques jours sinon quelques semaines voire même des mois avant la date prévue3. La presse écrite en particulier y a joué un rôle à part entière. La journée du 17 décembre 2005 constitue un événement médiatico-politique inhabituel et inattendu. La classe politique, l’opinion générale et les médias se trouvent considérablement mobilisés ce jour-là avec un certain degré d’excitation collective. L’affrontement des idées partisanes devrait alors atteindre son paroxysme. C’est aussi sans doute le moment où les débats autour de la démocratie ethniciste4 héritée de

1 La plate-forme réunit à la fois le Comité de réconciliation nationale (CRN, 2002) de l’ancien président de la République, le professeur Albert Zafy, la Solidarité pour la défense de la démocratie et de l’unité nationale (SPDUN, 2003) représentée par le sénateur de Madagascar Ramasy Adolphe, et le Rassemblement des Forces nationales (RFN, 2004) de l’ancien président de l’Eglise protestante réformée, la FJKM, le pasteur Edmond Razafimahefa (1992-2004). 2 La naissance officielle de la nouvelle classe opposante malgache sous le régime Ravalomanana date du 31 janvier 2003 (cf. Annexe IX). 3 L’organisation du meeting est programmée suite aux assises nationales les 2-4 juin 2005 de l’opposition abritées par l’enceinte du domaine privé du politicien Alain Ramaroson à Andoharanofotsy. Parallèlement, l’atelier de concertation sur la mise à jour du DSRP se déroule au palais d’Etat d’Iavoloha, à moins de 4 km plus au sud. 4 Nous devons ce néologisme à Guillaume Ranaivoarison, chargé de cours au département de sociologie de la faculté DEGS de l’université d’Antananarivo. Il est aussi chargé de cours à l’Ecole supérieure des  65 l’époque coloniale sont les plus forts dans le pays. Le tintamarre de la journée est du domaine de la politique spectacle. C’est un sujet de prédilection des médias de plus en plus avides du sensationnel et du spectaculaire. L’acte manqué1 sur la place du 13 mai est passé en une de toutes les publications quotidiennes de lundi 19 décembre 2005. Trois mois plus tôt, la même réaction a été observée s’agissant du crash d’hélicoptère survenu à Imerina Imady Ambositra dans la journée du 12 octobre 20052. Les deux événements ont toutefois des portées psychoaffectives et politiques différentes. I.2.2. Objectif, problématique et hypothèses Les nouveaux éléments d’analyse sont inclus dans l’approche globale du présent mémoire. Ils ne se substituent en rien aux objectifs, à la problématique et aux hypothèses détaillés dans l’introduction générale. Il s’agit de démontrer à partir d’un cas précis la dynamique d’instrumentation de la presse à un moment donné. La justification nous prescrira la prise en considération des faits véridiques. L’objectif est, en effet, d’explorer la manière dont les journaux ont montré, présenté, décrit ou encore qualifié les événements politiques de samedi 17 décembre 2005 sur la place du 13 mai. La problématique porte sur l’appréciation et le jugement de la presse par rapport à cette malencontreuse expérience historique, qui n’est pas la première en son genre. Il sera aussi indispensable de raisonner sur les représentations que la presse en donne à ses lecteurs. Nous tenterons notamment de répondre aux questions suivantes : Quelle a été la place accordée à ces événements par les quotidiens retenus ? Quelle image ont-ils donné à la solidarité nationale ? Quels ont été les thèmes mobilisés pour en parler ? Nous examinerons au passage des discours de journaux. L’ensemble des présentations, descriptions et qualification participe fort à la construction d’une certaine image de la manifestation ratée. De là, nous pourrons nous faire l’idée de l’étendue de l’instrumentation de chacun des quotidiens sous étude. Le traitement médiatique du démêlé est loin d’être une banalité. Chaque organe, sciences agronomiques de cet établissement supérieur tout comme il est au service des sciences sociales de l’université de Fianarantsoa depuis 2002. 1 En psychanalyse, un acte manqué est la manifestation de l’inconscient, qui constitue la réalisation d’un désir refoulé et qui fait échec à des agissements conscients, d’après Collection Microsoft Encarta 2004. 2 Ce jour, le couple présidentiel (Lalao Rakotonirainy et Marc Ravalomanana) et une partie de sa suite ont failli périr dans un accident d’hélicoptère au cours de l’atterrissage. 66 par le biais de ses journalistes, s’efforce de livrer une analyse objective du fait. Mais un parti pris mal caché se laisse lire facilement à travers les textes publiés. Des journalistes certes se laissent aller à la superficialité dans leur démarche. Nous proposons dix journaux pour cette analyse de contenu. Le choix de centrer l’étude sur eux découle de la volonté de donner une dimension comparative à la démarche. Il s’agit de rendre hommage à une vision synchronique des choses. Deux aspects quantitatifs de la presse aussi nous confortent dans cette option. Près des deux- tiers (63,5 %) du lectorat à Madagascar se trouvent dans la capitale et dans ses agglomérations. La politique a un taux d’audience estimé à 31,9 % (le plus élevé) dans l’opinion de la majorité des lecteurs1. Mais il importe avant tout d’examiner rapidement le profil des journaux retenus. Le Quotidien et Ny Vaovaontsika appartiennent au président de la République. Ils font rarement grand cas d’agissements de l’opposition. Les éloges dédiés aux œuvres gouvernementales occupent de façon régulière les colonnes de ces journaux. Les Nouvelles et Taratra affichent une tendance libérale. Ils traitent les choses politiques, surtout quand ça sonne l’opposition, avec une extrême prudence. Nous laissons tomber Le Courrier. Le journal est de la même famille que les deux précédents organes. De plus, il est entièrement rédigé en français comme Les Nouvelles. Les chroniques judiciaires et les rubriques ludiques, y compris les questions sexuelles surtout2, y sont dominantes. Parfois, la presse tend à auréoler les grands instincts et le sexe. L’hypersexualisation de la société est un fait émergent lié à la technologisation des différents secteurs. Bientôt, la pornographie deviendra l’apanage des mineurs. Les images à caractère pornographique inonderont les gadgets informatiques. La position de Madagascar Tribune et de L’Express de Madagascar rappelle un jacobinisme1 transposé sur le modèle malgache. Pourtant, ils semblent distants par rapport au régime mais tendres envers l’opposition. Ils sont prompts à traiter avec ténacité les embardées dont celle-ci est victime. Ils sont les suiveurs inconditionnels des

1 UNICEF , Les moyens de communication à Madagascar. Résumé de l’Enquête d’audience 2004, p. 4-5. 2 C’est comme pour exploiter l’avis de Janine Mossuz-Lavau suivant : « Sur le vécu sexuel des gens comme vous et moi, d’un point de vue sociologique, la vérité n’était pas dite ». Janine Mossuz-Lavau est directrice de recherche CNRS au Centre de recherches politiques de Sciences Po. Elle est diplômée de l’IEP de Paris et docteur en sciences politiques (1969). Elle est chargée de cours (méthodologie) au master d’histoire et de théorie politique de l’IEP de Paris. Elle travaille sur genre et politique, sur les politiques de la santé et de la sexualité et sur les comportements politiques. Elle l’auteur, entre autres, de La vie sexuelle en France, Paris, éd. de la Martinière, 2002, coll. Point-Seuil, 2005. 67 manœuvres des opposants pour finalement les arrenter. Quant à La Gazette de la Grande Ile, le journal veut se démarquer par la maturité des acquis expérientiels de son équipe2. Le ton emphatique, outré et plein d’hyperbole et d’extrapolation est privilégié. Il incommode les uns et plaît aux autres. Pour ces derniers, le journal jouerait l’élément perturbateur de talent. Ses colonnes révèlent de façon régulière des faits sensationnels. Les dirigeants, politiciens, officiers, hommes de la loi, responsables religieux… y passent tous. S’attaquer ouvertement à ces individus qui se comportent comme des ‘intouchables’ donc des impunis, est peut-être une manière pour le journal d’aider les citoyens à mieux comprendre le fonctionnement du monde. En réalité, la publication semble mettre l’accent sur le prêcher le faux pour avoir le vrai. Midi Madagasikara est peu bavard dans ses écrits. Mais il n’a l’intention de se laisser dépasser par les actualités en cours – nationales et internationales. Le journal sait donner des coups durs et jeter des fleurs à bon escient. La fidélité au bilinguisme est une de ses armes de séduction. Gazetiko est une émanation de Midi Madagasikara. Comme son aîné, il est peu diseur dans sa totalité mais prolixe en chiens écrasés. La simplicité du style attire les couches populaires. En dernier ressort, nous avons Madagascar Laza. Le journal est proche de Midi Madagasikara et Gazetiko de par son origine lointaine. Il appartient à une nouvelle génération avec un look particulier3 et un style associant à la fois le côté people et les faits divers. Son principe est proche de celui du journalisme de marché : place à la rentabilité avant toute chose. Les dix journaux retenus prétendent tous être des quotidiens de qualité et de référence. Ils privilégient une approche localiste des zones urbaines et faciles d’accès. Ils manifestent aussi un vif intérêt pour les réalités touchant l’arrière-pays. Il est toutefois difficile pour la presse malgache d’établir la part des responsabilités de l’administration et de l’opposition sur les incidents ayant éclaté sur la Place du 13 mai. La problématique définie, il nous reste à poser un certain nombre d’hypothèses de recherche. Elles sont au nombre de trois. En matière d’événements politiques, les médias essayent de toujours se conformer aux règles déontologiques en vigueur dans la

1 Politique favorable au centralisme administratif républicain (cf. Collection Microsoft Encarta 2004). 2 Des journalistes chevronnés de Le Courrier de Madagascar et Madagascar Matin constituent l’ossature de son équipe rédactionnelle (cf. III.2.2., §2 de la première partie de cet exposé). 3 Pages entièrement en quadrichromie. 68 pratique journalistique. C’est de réserver un traitement équitable aux diverses tendances partisanes ou aux diverses parties en présence. Les quotidiens se doivent donc de traiter toutes les tendances de manière équitable, du moins quantitativement. Le traitement de la politique par les médias accorde toujours plus de place à la politique spectacle voire au divertissement. Mais derrière cette optique de spectacularisation se profilerait la ferme intention d’orienter le cours des événements vers des actions encore plus choquantes. Les médias auraient forcé ou tenté d’en influencer le devenir. Les journaux proposent des traitements médiatiques variés de l’affaire politique à cause de la divergence de vues. Leurs discours sont différents les uns des autres du point de vue qualitatif et quantitatif. Les uns la traitent de manière beaucoup plus exhaustive en textes et en photos tandis que les autres en parlent avec légèreté. I.2.3. Corpus d’analyse et démarche méthodologique La tenue de meeting forcée1 sur la Place du 13 mai n’a rien de spontané. Elle se prépare dès le 4 juin 2005, la date de clôture de la conférence nationale unique organisée par la plate-forme d’opposition à Andoharanofotsy. La résolution axée sur la nécessaire mise en place d’un régime transitoire constituera, par la suite, la nouvelle base argumentaire des discours des opposants. Ils se sont ainsi lancés dans une vaste campagne de sensibilisation à travers les rapports parlementaires2. Dès lors, les manœuvres politico-administratives à l’encontre de l’opposition se durcissent. Les autorités étatiques3 ne se disposent même pas pour le dialogue, prétextant que la lutte contre la pauvreté et le développement priment avant toute chose. Les tenants du pouvoir se répandent alors en finasseries selon lesquelles toutes les initiatives et les entreprises gouvernementales convergent vers l’intérêt de la population. En agissant de la sorte, le régime aurait fait appel à la conscience collective4. Plus que jamais, les audiovisuels publics taisent les informations sur les causes défendues par l’opposition. La situation est source de frustration. Elle invite à consommer sans modération les services proposés par les médias privés. De leur côté,

1 Les autorités municipales et préfectorales d’Antananarivo interdiront la manifestation. 2 Tel est le motif évoqué par l’opposition chaque fois qu’elle entend tenir un meeting dans les cinq chefs- lieux de province du pays après les assises d’Andoharanofotsy du 2 au 4 juin. 3 En tant que représentants de l’Etat, les présidents de la délégation spéciale des provinces autonomes, les chefs de région et les chefs de districts en font partie. 4 Concept majeur de la sociologie d’Emile Durkheim désignant « l’ensemble des croyances et des sentiments communs à la moyenne des membres d’une même société ». 69 ceux-ci s’estiment en droit de remplir la fonction de « contre-pouvoir » et d’être la « voix des sans voix » dans une démocratie déficitaire. Le contexte justifie, en partie, la tenue de manifestations dans les provinces. Les leaders d’opposition sont las d’être repoussés par les médias publics. Ceux-ci sont les seuls à pouvoir couvrir le territoire national. Mais ils passent leur temps à diffuser la propagande du régime en essayant d’étouffer toute voix discordante. Force est alors pour la classe opposante de changer de stratégie. Les politiciens invétérés multiplient les meetings dans les différentes villes. Ils auraient voulu manipuler la conscience collective. Mais leur démarche reste sujette à des péripéties qui tendent à la neutraliser de l’intérieur. Le rapport conflictuel régime/opposition/conscience collective ne manque pas de générer en situations anomiques1 ou effets pervers2. Au lieu de consolider la solidarité nationale, il contribue à l’émergence de consciences individuelles1 et à la vitrification politique du pays. Les médias en particulier y ont une part de responsabilité active tant il est vrai que des organes de presse entretiennent le rapport historique conflictuel et la haine réciproque entre les Hautes Terres centrales et les zones côtières de Madagascar. Le scénario s’identifie au contexte ayant rivalisé la presse nationaliste et la presse loyaliste peu de temps avant la sortie de la loi-cadre du 23 juin 1956 (cf. III.2.1. de la première partie). Une presse antithétique participe toujours directement à la direction politique du pays. La présente étude de cas veut aller au-delà du 19 décembre 2005. La démarche prendra pour l’essentiel une dimension quantitative du volume important d’articles consacrés aux événements du 17 décembre 2005. Cette manière de faire aidera à rendre compte de la disparité du traitement médiatique. Elle répondra également aux hypothèses. Deux catégories de données sont établies pour l’analyse de surface : d’une part, les images photographiques et les caricatures, d’autre part, les textes y compris les titres, surtitres et intertitres. Force est de reconnaître que la surface occupée par la légende est comprise dans l’espace attribué à la photo elle-même, cette inscription étant

1 Des situations anomiques peuvent naître de l’altération de la conscience collective et du défaut de régulation et de cohésion sociale qui l’accompagne. (cf. Collection Microsoft Encarta 2004). 2 L’interaction des comportements individuels produit des effets appelés effets pervers (ou encore effets de composition ou effets émergents). La notion sert à définir « des effets individuels ou collectifs qui résultent de la juxtaposition de comportements individuels sans être inclus dans les objectifs recherchés par les acteurs ». L’adjectif pervers peut à tort laisser croire que les effets pervers sont indésirables, mais ce n’est pas nécessairement le cas : si les effets pervers sont toujours non désirés, ils peuvent être, selon les cas, positifs ou négatifs (ibidem). 70 un élément explicatif de l’image. Tous les éléments se rapportant aux événements sont retenus. A ce titre, les petits textes moqueurs du genre Karepoka et Coup franc à la page 3 de Ny Vaovaontsika et de La Gazette de la Grande Ile2 sont pris en considération. Les éléments portés sur la une bénéficieront d’un traitement à part. Nous en ferons autant avec toutes les pages de l’intérieur, quel qu’en soit le nombre. Nous n’en tiendrons toutefois pas trop à ces catégorisations. Par exemple, avec les images, il nous faudra nous limiter à trois catégories : images positives, images négatives et images neutres. La même démarche est appliquée au traitement des textes. D’une manière brève, il s’agira d’une petite gymnastique axiologique3. I.3. Equité discutable L’analyse de surface montre clairement la disproportion quantitative dans le traitement des événements politiques du 17 décembre 2005. Chaque organe y va de sa propre commodité éditoriale et technique. Le constat illustre bien la diversité de la vocation sinon de la mission des journaux sélectionnés pour ce mémoire. A notre niveau, nous nous appliquerons plus à nous focaliser sur l’instrumentation de la presse, notre objet d’étude, qu’à porter des jugements de valeur sur les journaux. Les une dénotent la contradiction quant aux manières de sentir et faire sentir les choses est bien réelle. Le choix des mots et des photos pour aimenter le lectorat est significatif au-delà des visées purement commerciales. I.3.1. Fonction de l’espace « une » des journaux Cette fonction ne peut être appréhendée qu’à partir de l’effort de quantification matérialisée par les tableaux et les graphes suivants :

1 La conscience collective s’affaiblit peu à peu devant la diversité des consciences individuelles (ibidem). 2 Ce sont toujours les publications de lundi 19 décembre 2005. 3 L’axiologie est la science des valeurs, et par extension, la théorie des valeurs morales. La perception, action dirigée vers un objet, et donc empreinte d’une certaine intentionnalité de la part du sujet (on parle d’acte perceptif), est discernement, différenciation et émergence de cet objet de son contexte. Le sujet compare ce qu’il distingue à ce qu’il connaît déjà, s’étant constitué une représentation de l’objet, dans laquelle les souvenirs d’expériences et d’observations passées entrent en jeu. Le sujet trie, classe et reclasse ses représentations intériorisées d’objets perçus, les unes par rapports aux autres suivant leurs différences ou leurs similitudes. Des critères relatifs à l’intérêt, à l’utilité, à l’avantage ou à la satisfaction que l’objet représenté peut avoir pour le sujet dans sa vie permettent des discriminations évaluatives plus fines. Ce travail cognitif est essentiellement comparatif : le sujet juge. Le jugement résulte d’une délibération raisonnée, même si l’émotion (la honte, par exemple) peut y participer. Il n’est pas exempt de la volonté de l’individu (Emmanuel Kant) qui détermine ses valeurs morales (bien, beau, bon, mauvais, juste, etc.). Les classements opérés par le sujet peuvent conceptuellement constituer des échelles relatives les unes aux autres. (cf. Collection Microsoft Encarta 2004). 71

Journaux no Textes (*) Photos (*) Totaux Midi Madagasikara 6803 276,125 202,775 478,90 Les Nouvelles 0553 237,500 230,500 468,00 Taratra 0558 255,000 199,500 454,50 Madagascar Tribune 3572 137,250 272,000 409,25 Le Quotidien 0667 218,500 171,000 389,50 Madagascar Laza 0317 127,500 229,500 357,00 L’Express de Madagascar 3280 153,000 198,000 351,00 La Gazette de la Grande Ile 0846 170,000 161,500 331,50 Gazetiko 2335 78,750 42,500 121,25 Ny Vaovaontsika 0487 51,300 49,500 100,80 Totaux 1 704,930 1 744,780 3 461,70

Tableau I : Surfaces totales consacrées aux textes et images portés sur la une respective des journaux du 19 décembre 2005 sur les événements du 17 décembre 2005, unité en cm² (Sources : Analyses et synthèses personnelles).

(*) Les trois chiffres après la virgule facilitent la lecture. En tout cas, nous avons obtenu ceci en pourcent : Journaux Textes Photos Totaux Midi Madagasikara 16 % 12 % 28 % Les Nouvelles 14 % 13 % 27 % Taratra 15 % 11 % 26 % Madagascar Tribune 08 % 16 % 24 % Le Quotidien 13 % 10 % 23 % Madagascar Laza 07 % 13 % 20 % L’Express de Madagascar 09 % 11 % 20 % La Gazette de la Grande Ile 10 % 09 % 19 % Gazetiko 05 % 02 % 07 % Ny Vaovaontsika 03 % 03 % 06 % Totaux 100 % 100 % 100 %

Tableau II : Répartition des surfaces consacrées aux textes et images portés en une respective des journaux du 19 décembre 2005 à propos d’événements du 17 décembre 2005 (Sources : Analyses et synthèses personnelles). 72

Graphe I : Espaces consacrés aux textes portés sur la une des journaux (Sources : Analyses et synthèses personnelles).

Graphe II : Espaces consacrés aux photos portées sur la une des journaux (Sources : Analyses et synthèses personnelles).

Pour ce qui est des remarques à émettre sur le texte, les titres en une s’étendent sur deux lignes pour Madagascar Tribune et sur quatre lignes pour Le Quotidien et Midi 73

Madagasikara. Seuls Madagascar Laza et Midi Madagasikara ont la particularité de mettre les manchettes sur les photos. Quant aux clichés, Midi Madagasikara et Les Nouvelles ont montré deux différentes photos en une. Taratra, Le Quotidien et Madagascar Tribune ont pris le soin de meubler leur vitrine avec des photos moins choquantes. Soulignons au passage que Midi Madagasikara, Gazetiko et Madagascar Tribune ont un format identique (29 x 35,5 cm), le plus réduit de tous. Ce lundi 19 décembre 2005, les réactions en une des journaux sont loin de correspondre à leur profil sommairement décrit plus haut. Cela démontre que le journalisme est vivant. Il réagit en fonction de son environnement. Comme une personne, il peut être content et triste. Il peut se mettre en colère ou s’égayer. Pour le cas qui nous intéresse, les mots utilisés par les journaux pour décrire le traitement réservé aux opposants venus sur la place du 13 mai le 17 décembre 2005, sont susceptibles d’interminables commentaires : C’est la démocratie qui a perdu (Les Nouvelles), Nodarohan’ny olona… (Taratra), (…) ras-le-bol des trouble-fêtes (Le Quotidien), (…) telo naratra (Gazetiko), La honte ! (Madagascar Tribune), (…) ‘daroka’ et ‘chassés’ (Midi Madagasikara), (…) niharan’ny hatezeram-bahoaka (Madagascar Laza) et Les opposants lynchés (L’Express de Madagascar). Que des paradigmes à connotation négative par rapport à la paix sociale et au devenir de la vie publique à Madagascar sont exhibés. Leur choix n’est pas du tout fortuit mais bien raisonné. L’occupation synchronique des mots dans une phrase n’est pas du tout un acte gratuit. Elle a toujours des motivations infiniment variées au-delà du strict respect des règles de combinaison syntaxique. Quand L’Express de Madagascar valorise le mot « lynchés », il y a de quoi à se demander si les habitants d’Antananarivo sont sur le point d’adopter le style des musulmans extrémistes aux Philippines qui n’hésitent même pas à lyncher les membres de la communauté chrétienne, minoritaire d’ailleurs. Il convient également de savoir à qui revient la « honte » soulevée par Madagascar Tribune. Les réactions en une tendent à accuser à mots couverts les deux parties en état d’hostilité déclarée : le régime et l’opposition. La une de chaque journal s’efforce de réduire la distance psychologique entre le lieu des événements et le public cible de l’information. 74

Il s’agit de susciter des réactions liées à l’émotivité1 du public. Sachant que les Malgaches sont des « olon’ny fo » (litt. : hommes du cœur), le but est de les amener à sympathiser avec les victimes de l’irrationalité collective. Plus souvent, l’irrationalité collective découle des effets pervers. De par sa force de frappe, (…) la presse (…) sait si bien enflammer les passions humaines (…)2. C’est de la pyromanie pur et simple. La transcription fidèle de la réalité est certes le propre du journalisme. Mais, sociologiquement parlant, la société malgache est mise en face de la dégradation effrénée des mœurs sociales. Chez les anciens, les différends sociaux se règlent selon les principes du mythique fihavanana qui s’observent peu dans la société moderne3. L’arrangement est alors du ressort d’une communauté isolée ou peu étendue tandis que les conflits se vendent et se consomment à grande échelle à cause d’une médiatisation à outrance. L’envie excessive du sensationnel et du spectaculaire à l’œuvre chez le professionnel de l’information tend à faire admettre aux citoyens l’absence de tolérance générale. C’est pourtant le point de départ de l’extrémisme. La tendance est de faire accepter l’irréversibilité d’un penchant extrémiste à travers l’éventuelle explosion d’une soi-disant tuerie à la rwandaise. L’extrémisme a toutefois du mal à gagner ses lettres de créance à Madagascar. La conception est aux antipodes de la prédisposition des Malgaches à toujours exalter la paix et la sérénité sociales. Il faut tout de même se méfier de certaines pratiques journalistiques qui comportent en soi les germes de l’autodestruction de la société. Leur approche est de stimuler l’auto-intoxication de l’ensemble de la société. La méthode subversive est le mode opératoire en surfant sur les sentiments négatifs collectifs. Le rôle joué par la Radio des Mille Collines (RTLM), proche du chef de l’Etat, appuyé par le journal extrémiste Kangura (créé en décembre 1990), au Rwanda avant et durant le génocide conduit par l’Hutu Power, reste dans les mémoires. Une thèse en sociologie est produite à ce sujet4, outre le flot de commentaires et analyses. Les périodes de forte sensibilité sociale favorisent le déferlement de bêtises, de mensonges directs et par omission, de distorsion et d’incompétence par la presse.

1 En journalisme, le rationnel s’ingère et se digère très difficilement contrairement à l’émotionnel pour le lecteur. 2 Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique I, deuxième partie, 1835, p. 17. 3 Jadis, l’immolation d’un zébu de couleur uniforme, à l’occasion d’un événement important, symbolise l’unité sociale. 4 Cf. Pontzeele (S.), Burundi1972/Rwanda 1994 : L’« efficacité » dramatique d’une reconstruction idéologique du passé par la presse, thèse en changement social, Institut de sociologie, faculté des er Sciences économiques et sociales, université des sciences et technologies de Lille I, 1 juin 2004. 75

L’attitude de celle-ci par rapport aux événements du 17 décembre 2005 rappelle son inclination à défendre carrément les intérêts de la société Galana quand celle-ci est attaquée en justice par l’Etat en 20041. Les investissements privés sont protégés par la loi comme les intérêts généraux le sont. Le verdict prononcé par la juridiction à Toamasina en date du 14 décembre 2004 a reçu un large écho favorable à Galana dans la presse2. Par contre, quand l’Etat est débouté par Solo Raveloson alias Solo Dolara3, la presse en parle à peine. Trop souvent, l’agent manifeste un parti pris sous l’effet des felaka comme moyens illicites. C’est justement la manifestation ultime de l’instrumentation téléguidée par les politiciens (le pouvoir), les opérateurs économiques (les capitaux) et l’audience. Lors de l’épisode Galana, notamment après le verdict prononcé à Toamasina en décembre 2004, des rumeurs rapportent que trois journalistes de la presse écrite ont reçu chacun la somme de Ar 1 500 000 pour faire grand cas de condamnation. Un tel monnayage n’a rien à voir avec les insertions payantes : publicités ou publireportages. Les ressources felaka vont directement dans la poche du journaliste. Mais il lui arrive de négocier avec le rédacteur en chef la parution en une de l’article financiarisé ou monnayé. Le felaka peut donc atteindre les belles âmes. Les écrits qui valent la une ont un coût plus élevé que ceux qui n’y sont pas destinés4. Nous entrerons dans la profondeur de cet aspect quand nous aborderons la question de motivation des journalistes. Pour revenir aux événements du 17 décembre 2005, La Gazette de la Grande Ile s’illustre par le titre Violences Place du 13 mai : Des torts partagés. Mais la page première des journaux ont toujours la vurtuosité d’offrir une vue de façade au lectorat. D’autres événements majeurs du week-end s’y bousculent pour rivaliser

1 L’épisode Galana démarre dans la nuit de mercredi 21 juillet 2005, c’est-à-dire à la veille de la visite éclair du président français Jacques Chirac. Ce jour, les prix à la pompe ont été subitement révisés à la hausse à la grande surprise des usagers qui ont été gâtés des semaines auparavant. Voir l’Annexe XVI pour la suite. 2 Le verdict oblige Galana à verser les sommes de Ar 500 millions à titre de dommages intérêts pour cause de pollutions environnementales et de Ar 220 millions pour cause de fraude fiscale. Le lendemain de ce verdict, trois organes de presse (Midi Madagasikara, L’Express de Madagascar et La Gazette de la Grande Ile) semblent unir leur voix pour dénoncer publiquement ce qu’ils qualifient de hold-up économique. A l’époque, il y a anguille sous roche. Toujours au mois de décembre 2004, les organisations syndicales de la GRT Sa décrient les pratiques de la société Galana qui s’est livrée aux opérations de vente partielle de biens appartenant au peuple malgache. Les syndicalistes voudraient dire par là que l’Etat malgache soit la vraie victime d’un hold-up économique (cf. Le Quotidien du 23 décembre 2004, p. 2). 3 Cf. Annexe IX et Annexe XVII pour les détails. 4 Dans ce cas, le journaliste et son corrupteur se livrent à des marchandages. 76 d’importance aux intrigues de la place du 13 mai. Il faut retenir parmi eux : la clôture de la 15e édition du Festival Manja, le drame d’Antsakaviro1 et la consécration de Richard et de Rababany, champions du monde en kick boxing… pour l’année olympique 2005. Le graphe suivant récapitule les réactions en une – photos et textes – des publications du 19 décembre 2005 par rapport aux événements du 17 décembre 2005.

Graphe III : Représentation graphique de la récapitulation générale des réactions en une (Sources : Analyse et synthèses personnelles).

Somme toute, les premières pages des journaux arborent en théorie des mots de la peur pour attiser la curiosité du lecteur. Mais les contenus des pages de l’intérieur peuvent réserver des surprises. Celles-ci découlent de banalités quotidiennes.

1 Le drame d’Antsakaviro concerne le meurtre tragique d’une jeune fille appelée Mickaelle Rakoto Andriantsilavo. L’histoire commence par la découverte d’un corps outrageusement mutilé en date du 31 mars 2005 dans le même quartier. Les dépouilles mortelles de la victime sont enterrées à la fosse commune du cimetière d’Anjanahary le 15 avril 2005. L’identification de la victime est seulement rendue possible et confirmée par le test ADN effectué à Strasbourg en juillet 2005. Entre-temps, la mère répondant au nom de Maryse Ratsimiah aussi est déclarée portée disparue. Son corps avec la tête de sa fille Mickaelle a été retrouvé enfoui dans un même sac le 10 décembre 2005. Les restes mortels ont été remis à la famille qui les enterre au caveau familial à Ambohibe Ilafy, district d’Antananarivo Avaradrano, en janvier 2006. Combien toute cette affaire a retenu l’attention des observateurs d’autant plus que les victimes ont eu une double nationalité (malgache et française). La Police judiciaire chargée d’enquêter sur l’affaire fait tout – écoutes téléphoniques prévues par la loi no 96-034 portant réforme institutionnelle des télécommunications et de son décret d’application no 97-1155 portant réglementation des réseaux et services de télécommunications – pour enfin pouvoir mettre la main sur quatre hommes présumés coupables le 6 mars 2006. En dépit des résultats obtenus, le mystère reste entier sur l’identité du vrai commanditaire. 77

Pour ce qui est de la une, les attroupements formés autour des journaux étalés à même le sol sur des places publiques ou suspendus à l’aide de ficelles sont trompeurs. La première page connaît un taux de lecture de 25,7 % à l’opposé de la rubrique « Politique » qui focalise l’attention des 31,9 % des lecteurs1. I.3.2. Fonction de l’espace de l’intérieur Les surfaces totales consacrées aux événements révèlent la différence de traitement d’un quotidien à un autre. Les tableaux suivants le montrent.

Journaux Textes (*) Photos (*) Totaux (*) La Gazette de la Grande Ile 1 628,75 1 215,50 2 844,25 Tribune Madagascar 1 973,50 463,25 2 436,75 L’Express de Madagascar 743,25 1 110,50 1 853,75 Les Nouvelles 1 214,00 456,00 1 670,00 Taratra 523,00 1 054,50 1 577,50 Madagascar Laza 839,00 450,00 1 289,00 Midi Madagasikara 720,25 157,25 877,50 Ny Vaovaontsika 506,00 54,00 560,00 Le Quotidien 221,00 280,00 501,00 Gazetiko 193,00 142,75 335,75 Totaux 8 561,75 5 383,75 13 945,50

Tableau III : Surfaces totales consacrées aux pages de l’intérieur, unité en cm² (Sources : Analyses et synthèses personnelles).

(*) Les deux chiffres après la virgule sont destinés à faciliter la lecture.

Journaux Textes Photos Totaux La Gazette de la Grande Ile 19 % 22 % 41 % Tribune Madagascar 23 % 09 % 32 % L’Express de Madagascar 09 % 21 % 30 % (*) Taratra 06 % 20 % 26 % (*) Les Nouvelles 14 % 08 % 22 % Madagascar Laza 10 % 08 % 18 % Midi Madagasikara 08 % 03 % 11 % Le Quotidien 03 % 05 % 08 % Ny Vaovaontsika 06 % 01 % 07 %

1 UNICEF , Les moyens de communication à Madagascar. Résumé de l’Enquête d’audience 2004, p. 5. 78

Journaux Textes Photos Totaux Gazetiko 02 % 03 % 05 % Totaux 100 % 100 % 100 %

Tableau IV : Surfaces totales consacrées aux pages de l’intérieur, en pourcent (Sources : Analyses et synthèses personnelles).

(*) Le calcul automatique à l’aide de l’ordinateur peut surprendre. En surfaces totales réelles, la quantité affichée est supérieure pour Les Nouvelles (1 670 cm²) par rapport à celle de Taratra (1 577,50 cm²). Par contre, cet ordre est renversé en pourcent : 26 % pour Taratra et 22 % pour Les Nouvelles.

Journaux Nombre de photos Nombre d’articles Totaux en français (*) en malgache (*) La Gazette de la Grande Ile 9 7 3 10 Tribune Madagascar 4 dont 1 caricature 5 3 8 Midi Madagasikara 3 5 1 6 Madagascar Laza 5 2 3 5 Ny Vaovaontsika 1 0 4 4 Les Nouvelles 6 dont 1 caricature 4 0 4 L’Express de Madagascar 8 3 1 4 Taratra 8 0 3 3 Gazetiko 2 dont 1 caricature 0 1 1 Le Quotidien 2 dont 1 caricature 1 0 1 Totaux 52 (**) 27 19 46

Tableau V : Nombre de photos et d’articles parus dans chaque journal (Sources : Analyses et synthèses personnelles).

(*) Les journaux de langue française comme Le Quotidien et Les Nouvelles s’abstiennent à publier des textes en langue malgache. Il en est de même pour les journaux de langue nationale qui excluent les textes en français. Les journaux bilingues disposent alors d’une large manœuvre de production dans les deux langues officielles à Madagascar : le malgache et le français1. (**) Le nombre est passé à 66 avec les photos mises en une. Midi Madagasikara et Les Nouvelles exhibent chacun deux photos sur la vitrine du journal. Ci-après les reproductions graphiques correspondant aux Tableaux III et IV.

1 La Constitution de la République révisée le 4 avril 2007 rajoute l’anglais en tant que troisième langue  79

Graphe IV : Représentation graphique des surfaces totales consacrées aux textes mis dans les pages de l’intérieur par chaque journal (Sources : Analyses et synthèses personnelles).

Graphe V : Représentation graphique des surfaces totales consacrées aux photos publiées aux pages de l’intérieur par chaque journal (Sources : Analyses et synthèses personnelles).

Malgré un format réduit par rapport à d’autres, le journal Madagascar Tribune est prolixe en textes (23 % des surfaces réparties dans huit textes). Une série d’avis différents constituent l’essentiel des textes de La Gazette de la Grande Ile. L’on officielle de Madagascar. 80 constate une volonté manifeste de minimiser voire même « ignorer » les événements chez Le Quotidien (3 % seulement). Il faut noter toutefois que la valeur d’un texte ne se juge pas par sa longueur. Le Quotidien est suivi de très près par Gazetiko (2 %) en termes d’espace consacré aux événements. Néanmoins, du point de vue nombre de pages, les deux organes sont diamétralement opposés : Gazetiko (8 pages) est trois fois moins volumineux que Le Quotidien (24 pages). Son allié Ny Vaovaontsika porte une attention beaucoup plus grande (6 %) aux événements bien que la une de celui-ci n’en fasse pas grand cas (3 %). La Gazette de la Grande Ile, L’Express de Madagascar et Taratra s’arrangent pour réserver trois pages entières aux photos des événements du jour. De tels espaces coûtent cher à un journal à l’approche des fêtes de fin d’année. Pour une quelconque annonce publicitaire, une page entière en quadrichromie ou en monochromie s’achète entre Ar 200 000 et Ar 240 000 voire plus. Voilà pourquoi Midi Madagasikara se montre extrêmement parcimonieux avec les pages de l’intérieur (3 %). A l’inverse, il est le seul organe à montrer deux photos sur la une. Ny Vaovaontsika est le plus indifférent à la photo des événements du point de vue surfaces dédiées à leur sujet (1 %). Dans l’ensemble, Gazetiko a une position plus stable, que ce soit en texte et photo portés sur la une et en texte et photo publiés aux pages de l’intérieur. Suivant cet ordre, ses réactions sont respectivement de 5 %, 2 %, 2 % et 3 %. Tout cela traduit sa fidélité à l’égard de son lectorat, celui-ci étant constitué d’individus issus de couches défavorisées et rarement des classes moyenne et aisée. Ceux-ci s’intéressent plutôt aux faits divers, domaine dans lequel s’excelle le journal. Dans ce cas, l’organe semble être écarté de l’instrumentation. Pour le reste, le phénomène est réellement vécu. Son ampleur varie selon l’ordre décroissant ou croissant. L’inclination pour les opposants est plus prononcée pour les journaux qui sacrifient plus d’espaces. A l’inverse, le soutien au régime est perceptible. Deux cas peuvent apparaître : la presse s’instrumente elle-même ou elle est tout bien réfléchi instrumentée. I.3.3. De la violence symbolique des médias Les informations parues dans les journaux sont des biens et des marchandises symboliques. Quand celles-ci ne reflètent pas la réalité, les médias eux-mêmes se livrent à la violence symbolique. Contrairement à quelques stations privées de la capitale, les 81 médias publics ont peu relayé et relaté les brutalités consumées sur la place du 13 mai. Les gens de la province n’ont donc l’occasion de vivre ni de sentir la totalité du déroulement des faits. Il en est de même pour la diaspora dispersée dans le monde. Théoriquement, tout le monde devrait se situer à un même niveau d’information à pareille circonstance. Il y a alors la volonté de faire la propagande de l’opposition dans de l’opinion à la fois nationale et internationale. Cette tâche est facilitée par les liaisons nationales et transnationales (distribution des journaux par voie terrestre et aérienne et aussi via Internet comme support de la diffusion numérique des journaux à l’échelle du monde1). La téléphonie mobile, en raison d’accessibilité sur une bonne partie du territoire, pourrait se substituer à ces différents moyens pour la même fonction. Mais l’information ainsi véhiculée risque d’être entachée de trop de subjectivités personnelles pour être prise comme une version officielle à la place des articles des journaux. Les réactions à chaud qui ne tardent pas à venir sont certes les résultats escomptés. Les nombreuses photos publiées par la presse aident aussi les leaders d’opposition à identifier leurs agresseurs si les enquêtes diligentées par les responsables de la Sécurité publique traînent. Des faits véridiques méritent d’être évoqués pour mieux illustrer combien la presse est instrumentée et exerce une violence symbolique sur l’ensemble des lecteurs. Le samedi 29 octobre 2005, la plateforme d’opposition a voulu tenir un meeting à Antsiranana. Pour cela, les autorités locales lui cèdent le stade de Mitabe. L’opposition, pour sa part, persiste et signe. Elle réclame l’accès à l’espace où est célébrée le même jour la rentrée scolaire solennelle pour la région DIANA. Des séances radio crochet sont programmées. A la grande surprise de tous, une bande de jeunes manipulés par les opposants s’en est prise avec violence aux installations matérielles en place ce jour-là. Un véhicule 4x4 transportant des jus de fruit pour les participants a subi des attaques. Les multiples agressions finissent par atteindre les personnes humaines. Le sénateur Vaovao Benjamin et deux civils parmi les présents sur les lieux sont blessés. Les affrontements font deux blessés parmi les militaires dont le colonel Rabearilaza2.

1 A titre de rappel, la plupart des journaux ont une version électronique mise en ligne dont le contenu est régulièrement mis à jour. 2 e e L’officier supérieur de l’Armée est le commandant du 2 Régiment des forces d’intervention (le 2 RFI) d’Antsiranana. Ce jour-là, le garde du corps du député de Madagascar élu à Maintirano, Voninahitsy  82

Au stadium de Barikadimy, le même scénario s’est reproduit dans l’après-midi de samedi 8 octobre 2005. Les parlementaires ont forcé le bouclier militaire posté devant le portail du stadium. Le sénateur Ramasy Adolphe est allé jusqu’à administrer un coup de coude brutal à un officier supérieur de la gendarmerie à Toamasina1. A Mahajanga le 15 octobre 2005 et à Toliara2 le 22 octobre 2005, les opposants sont prêts à agir selon leur propre logique politique. Leurs leaders venus sur la place du 13 mai sont en quelque sorte victimes de la méthode qu’ils ont utilisée eux-mêmes dans d’autres villes du pays des semaines auparavant. Les origines d’incivisme commis sur la place du 13 mai le 17 décembre 2005 ont alors largement débordé le cadre de la thèse de trouble-fête3. L’ensemble de la presse à Antananarivo est toujours au courant des moindres manœuvres des opposants. Bénéficiant d’un traitement de faveur particulier, des journalistes sont devenus des godillots4 des opposants et prêts à les servir à tout moment. A la veille du meeting tenu à Toamasina le 8 octobre 2005, un groupe de journalistes a quitté Antananarivo pour descendre dans la capitale de l’Est. La plate- forme d’opposition a assuré la prise en charge totale de leur déplacement.

Deux jours avant la manifestation des 3FN à Mahajanga du 15 octobre 2005, des journalistes parviennent à monter à bord de Air Force One5, non pas pour faire la

Jean-Eugène, a incommodé physiquement le chef militaire qui a immédiatement riposté. La scène s’est passée au vu et au su de tout le monde. 1 Il s’agit du commandant de la brigade de la gendarmerie nationale assurant la sécurité du port de Toamasina. Il est communément appelé Pascal. Le geste déplacé a failli valoir l’arrestation du parlementaire ordonnée par le procureur de la République de Toamasina. Le rapport parlementaire est toujours évoqué comme motif du meeting. A l’évidence, celui de Toamasina vise à influencer le procès (prévu pour le 14 octobre 2005) des deux compagnons de guerre : Daphnel de Toliara Mijoro (ancien maire de la commune rurale d’Ambohimahavelo Toliara II) et Ndremitsara Jean-Baptiste dit Lavaka, ancien membre du comité de soutien à Marc Ravalomanana ou KMMR. Les deux militants sont jetés en prison du 14 avril au 14 octobre 2005 suite aux dérives verbales radiodiffusées. Trois stations radio privées de Toamasina (SKY FM, RNA et RFT) sont frappées des mesures de fermeture. Elles cessent d’émettre depuis le 10 décembre 2004. Les opposants réclament haut et fort leur réouverture dans les plus brefs délais. Il est à noter que Lavaka est un policier radié du temps du président Didier Ratsiraka. 2 Grenades lacrymogènes, panique et bousculade. Le meeting de l’opposition tenu à Toliara de samedi 22 octobre 2005 vire à l’émeute, faisant deux blessés. Les 3FN ont obtenu l’autorisation de se réunir au stade d’Andaboly mais préfèrent occuper le stade de Tsianaloka, situé tout près du camp du 5e Régiment militaire. C’est une infraction qui a valu l’intervention des forces de l’ordre. Ces dernières ont utilisé des grenades lacrymogènes pour éparpiller la foule. Quoi qu’il en soit, le meeting se tient, les forces de l’ordre se retirent face à la détermination des manifestants. Un meeting au cours duquel les 3FN ont relancé un nouvel ultimatum, si l’Assemblée nationale ne décide pas en faveur de l’amnistie, la procédure de destitution du bureau permanent du Sénat sera incessamment entamée cf. http://www.rta.mg. 3 Rappelons-nous la circonstance ! La manifestation a eu lieu à une semaine de la fête de la Nativité. 4 Ce mot familier et péjoratif signifie suiveur inconditionnel qui réfléchit peu (cf. Collection Microsoft Encarta 2004). 5 C’est le nom de l’aéronef – un bœing 737-300 appartenant à la compagnie autrichienne Lauda Air – mis au service de la présidence de la République pour les fréquents déplacements de la haute sphère de  83 couverture médiatique du déplacement présidentiel dans la capitale de la région de Boeny mais pour rejoindre l’équipe des opposants déjà en place dans cette ville. Des journalistes ne perdent pas de vue les ruses des opposants. Mais les complices ne soufflent pas mot de leurs salissures. Selon Guy de Maupassant (1850-1893), la presse devient toute-puissante lorsqu’elle se fait complice de la politique. Les journaux de connivence avec l’administration publique agissent pour calmer les esprits. A armes égales, ils s’emploient à neutraliser les versions dissidentes tout en évitant de souffler sur le feu. Au moment où les débats nationaux sur les actes de l’opposition iraient prendre un envol particulier, Ny Vaovaontsika publie la version complète des mêlées d’Antsiranana1. Cette action à elle seule suffit à casser l’élan des ardeurs médiatiques à Antananarivo. Les précisions produites sur le récit des actes, avec des photos à l’appui2, sont telles que personne n’est venu en nier la véracité. L’attitude de la presse instrumentée reste une vue de l’esprit. La presse joue à infantiliser la population qui n’est mise en face des problèmes et des difficultés que partiellement. La violence médiatique ne favorisera jamais l’éveil de l’intelligence collective3 ni ne participera au développement de l’intelligence sociale4. Au contraire, elle étouffe la capacité d’analyse objective sur les choses. Combien la société peut être induite en erreur si elle s’en tient exclusivement aux informations relatées par la presse. La perte de crédibilité ne peut que s’accentuer pour la presse écrite. Un certain engouement du public pour remettre en cause la plausibilité des médias se profile à l’horizon. Ces derniers deviennent une sorte de champ de bataille pour les différentes composantes de la superstructure. Le grand public, l’infrastructure, n’est mis à contribution qu’épisodiquement. l’exécutif à l’intérieur et à l’extérieur du pays depuis septembre 2002. L’acquisition de l’avion coûte plus de 15 millions de dollars à l’Etat malgache (cf. http://lamako.free.fr). 1 L’article intitulé Adinon’ny 3FN ve fa nandratra sivily sy miaramila izy tao Antsiranana ? (lire : Les 3FN oublient-elles qu’elles ont blessé des civils et militaires à Antsiranana ?) paru à la page 12 du journal Ny Vaovantsika, no 0495 du 28 décembre 2005, semble être la réplique tout bien réfléchi à toutes les attaques contre le régime considéré à tort ou à raison comme instigateur de la brutalité dont est victime l’opposition sur la place du 13 mai. 2 C’est ce qu’a fait la presse de connivence avec les mouvements de l’opposition après le forfait sur la place du 13 mai. 3 Les aptitudes de l’intelligence collective sont multiples : capter et interpréter des signaux nouveaux, décider comment réagir, juger si de nouveaux schémas d’action et de pensée sont devenus nécessaires, générer de nouvelles configurations de schémas et ‘savoir’ choisir celle qui est la plus créatrice parmi celles envisagées d’après http://www.veille-stratégique.org. 4 L’intelligence sociale est la capacité d’un individu ou d’une organisation à développer simultanément sa performance économique et sa performance sociale à long terme. Faisant partie intégrante de l’intelligence intuitive, l’intelligence sociale se manifeste dans les relations sociales. Elle présente la capacité à comprendre les émotions et les attitudes des autres envers soi (http://www.doctissimo.fr). 84

La tendance consiste à faire avaler et admettre par les citoyens des jeux de scène stériles auxquels s’offrent les classes dominantes. Ainsi interviennent les notions de violence symbolique et de domination de Bourdieu. Le graphe suivant résume le mécanisme de l’instrumentation de la presse à l’œuvre le 17 décembre 2005.

Graphe VI : Représentation graphique des surfaces totales consacrées aux textes et photos publiés aux pages de l’intérieur de chaque journal (Sources : Analyses et synthèses personnelles).

La position extrême de La Gazette de la Grande Ile et les deux journaux proches du régime (Le Quotidien et Ny Vaovaontsika) par rapport à ces événements est mise en exergue sur cet élément graphique. I.4. Triple appréciation médiatique Il est temps maintenant de répondre brièvement aux deux questions posées aux sous-chapitres I.2.2. §3 : Quelle image ont-ils (les journaux) donné à la solidarité nationale ? et I.2.2. §4 Quels ont été les thèmes mobilisés pour en parler ? Les réponses attendues ne peuvent être obtenues qu’au moyen de l’examen des valeurs véhiculées par les images et les textes publiés. I.4.1. Dénombrement En matière de mise sous presse, le choix du mot complète celui de l’image. Il peut arriver que les éléments destinés à véhiculer les messages à transmettre soient 85 diversement interprétés. La démarche adoptée cadre toujours avec la mathématisation de l’analyse de contenu. Cette fois-ci, le dénombrement est privilégié. C’est de compter le nombre d’articles et de photos publiés à l’intérieur de chaque journal.

Cette opération est déjà réalisée lors du montage du Tableau V (cf. supra). Mais il est jugé opportun de la rééditer ici avant de procéder à la représentation graphique des données recueillies. L’objectif est de raisonner sur les valeurs axiologiques des éléments de conviction (textes et images) savamment exploités par les journaux.

Journaux Nombre de photos Nombre de textes La Gazette de la Grande Ile 9 10 Tribune Madagascar 5 8 Midi Madagasikara 3 6 Madagascar Laza 5 5 Ny Vaovaontsika 1 4 Les Nouvelles 8 4 L’Express de Madagascar 8 4 Taratra 8 3 Gazetiko 3 1 Le Quotidien 3 1 Totaux 53 (*) 46

Tableau VI : Effectif réel de textes et photos sur le forfait du 17 décembre 2005 à Antananarivo (Sources : Analyses et synthèses personnelles).

(*) 12 de ces photos sont parues sur la une. Certes, dix journaux sont retenus mais deux différentes photos meublent la une respective de Midi Madagasikara et de Les Nouvelles. 86

Graphe VII : Représentation graphique de la distribution numérique des éléments de conviction (Sources : Analyses et synthèses personnelles).

Tous les indices paraissent trop évidents pour faire l’objet d’un énième commentaire. Mais la plus grande vigilance est requise afin de pénétrer les intentions profondes cachées. I.4.2. Effets interactifs Une photo bien parlante à elle seule peut remplacer une page entière de textes. Pour ce qui est des clichés en une, Ny Vaovaontsika, Le Quotidien, Taratra, Madagascar Laza et Madagascar Tribune accordent une attention beaucoup plus grande à la sensibilité de leurs clients. Les images publiées sont moins choquantes. Elles montrent un environnement plutôt calme en ne laissant voir que des badauds attroupés avec quelques éléments de l’opposition à l’abri des agressions au milieu. Ce sont donc des images neutres – presque la moitié, 5/12 – qui s’efforcent d’attirer l’attention sur les notions de paix et de sérénité, nécessaires à la veille des fêtes de fin d’année. Le contenu présupposé est le refus de la violence ou du crime. Par contre, les autres journaux arborent des images prises sur le vif. Les Nouvelles publie l’image la plus criante qui montre un des gardes du corps du professeur Zafy Albert à la merci des assaillants dont l’expression du visage insinue qu’il a affaire à des gens intolérants et sanguinaires. Par ailleurs, la victime, de son côté, est complètement 87 désarmée et défigurée : la tête, le visage et le blouson sont couverts de sang. Toujours sur la photo, la bouche ouverte signifie que la victime, pourtant un jeune homme vaillant, vient de pousser un cri de douleur suite à un coup dur reçu à la tête. Par ailleurs, une pierre assassine menace de frapper de nouveau au-dessus de sa tête. Sa main droite est portée à hauteur de la poitrine comme pour aller se couvrir la tête déjà tachée de sang contre les nouvelles attaques. Il tombe bientôt par terre pour avoir été poussé avec force dans le dos (cf. photo à la p. 3 du journal). Le garde rapproché du professeur est la plus échaudée de toutes les victimes ce samedi 17 décembre 2005.

Photo I : L’image du jour parue en une du journal Les Nouvelles du 19 décembre 2005 (Sources : http://www.les-nouvelles.com).

L’association d’images parues sur la une de Les Nouvelles diffuse une considération ethnique. Les gens sur la photo sont des habitants d’Antananarivo. Ils malmènent un garde du corps mis à la disposition du professeur Zafy Albert, l’ancien président de la République, un côtier nordique. Derrière les photos peut se lire l’idée selon laquelle les gens de la capitale haïssent leurs confrères côtiers. Outre la photo choquante, l’image du jour, placée un peu plus haut au coin droit, laisse apercevoir un certain Alain Ramaroson1 et le pasteur Edmond Razafimahefa1,

1 Fondateur du parti MASTERS, il a été ministre de l’Industrialisation à l’époque des Forces vives (1992-  88 facilement reconnaissables, en train de s’esclaffer à la vue de leurs amis opposants physiquement éprouvés sur l’avenue de l’indépendance. Le politicien Alain Ramaroson, pour sa part, désapprouve la descente sur la place du 13 mai et se désolidarise de fait du mouvement de la plateforme d’opposition peu de temps avant la tenue de meeting. Il est ainsi naturel pour le caricaturiste d’imaginer sa réaction au moment du forfait. Me Willy Razafinjatovo2, Hary Naivo Rasamoelina3 et Daniel Ramaromisa4 sont tous des personnages célèbres de la capitale, donc des Hautes Terres centrales. Mais ils sont aussi brutalisés à l’instar d’autres leaders d’opposants ayant investi l’avenue de l’indépendance ce samedi 17 décembre 2005.

1996). Il a été aussi conseiller du professeur Zafy Albert et chef de département politique des Forces vives Rasalama. Il est un membre actif du comité de soutien à Marc Ravalomanana ou KMMR durant la crise de 2002. Il est un opposant déclaré au régime Ravalomanana dans le concert du Front des exclus (cf. Annexe VII). Le politicien Alain Ramaroson fonde pour son propre compte le Mouvement citoyen pour la sauvegarde de la République (MCSR) suite à un non-conformisme au sein de la plateforme de l’opposition. Le 12 août 2005, il a lancé urbi et orbi sur le site royal sacré d’Ambohimanga Rova un avertissement solennel à l’endroit du régime. 1 « Lors du synode FJKM d’Ambatondrazaka, le pasteur Edmond Razafimahefa, président sortant de cette Eglise reformée, a transmis aux participants un message lourd de signification. En effet, après avoir établi les tenants et aboutissants de ce que l’on qualifie ‘grand synode’, il a rappelé, noir sur blanc, l’histoire chrétienne de l’Allemagne durant l’ère nazie où, sous Adolphe Hilter, l’église protestante était divisée en deux : ‘Les chrétiens allemands’ qui soutenaient sans condition le pouvoir dictatorial et ethnocentrique diligenté par le reich et ‘l’église confessante’ qui en constituait le principal opposant. Comme pour confirmer cette méthode hitlérienne, la fameuse ‘liste de ceux à élire ainsi que ceux impérativement à ne pas élire’ lors des élections des membres du bureau central du FJKM, est plutôt significative (…) ». Voilà l’extrait du commentaire de La Gazette de la Grande Ile en date du 7 octobre 2004 au sujet du pasteur Edmond Razafimahefa après son éviction du poste du président de l’entité cultuelle concernée. 2 Appelé aussi « Olala », Willy Razafinjatovo est avocat à la cour. L’homme est surtout reconnu par sa promptitude à réagir avec brio à toute forme d’incohérence politico-administrative. 3 Président du parti politique AREMA – Action pour la renaissance de Madagascar, fondée par Didier Ratsiraka en 1975 – pour la province autonome d’Antananarivo, après le divorce avec l’ancien député d’Atsimondrano Pierre Raharijaona, Hary Naivo Rasamoelina tenait des propos arrogants sur la chaîne privée Toujours Vouloir Plus Madagascar de la capitale la veille de la descente sur la place du 13 mai (16 décembre 2005) lors l’émission hebdomadaire L’invité du Zoma. Le moment venu, l’ancien de l’université de Chevtchenko de Kiev (DEA en études politiques, philosophiques et sociales), et non moins fils de Hary Lala Rasamoelina, secrétaire général du MDRM, s’est attiré la foudre à cause surtout de ses propos vexatoires. Il faut retenir que la première édition de L’invité du Zoma date du 2 août 2002. 4 Par ricochet, Daniel Ramaromisa du parti VVSV, ministre des Transports et de la Météorologie sous le régime des Forces vives est surnommé Rambo, la vedette du cinéma hollywoodien. 89

Photo II : La page une du journal Les Nouvelles du 17 décembre 2005.

L’association d’images sur la une de Les Nouvelles est vipérine du point de vue solidarité et unité nationales1. Les photos que le quotidien a mises en vedette sont

1 La fonction émotive de l’image peut susciter des débats passionnés. Il y a lieu d’établir un parallélisme avec la forte secousse psychologique, sur fond d’extrémisme et de fanatisme religieux, qui oppose le monde arabe aux Européens depuis janvier 2006 à cause des douze caricatures du prophète Mahomet (Les visages de Mahomet) publiées par le quotidien danois Jyllands-Posten le 30 septembre 2005 et reprises par le magazine norvégien Magazinet le 10 janvier 2006. L’incidence a accentué les tensions déjà tumultueuses des relations diplomatiques entre l’Occident et les Arabes. Les uns soutiennent mordicus les principes de la liberté de l’expression tandis que les autres appréhendent la propagation de la haine et de l’incitation contre l’Islam (islamophobie) et les musulmans. La problématique de ce drame médiatico- diplomatico-religieux se trouve dans la conception de la liberté et du sacré. Ma liberté s’arrête là où commence celle des autres (Sartre). Les réactions européennes convergent vers la thèse de manipulation psychologique derrière les soulèvements sans cesse renouvelés du monde arabe ainsi que la spirale de violences commises un peu partout. Pour revenir au cas malgache, l’organe Les Nouvelles agit en son âme et conscience sur le choix des images qu’il juge bonnes à publier sur la une. Ce qui est positif, ce que ce n’est pas le député Faharo Ratsimbalison (un natif de Manakara) qui est à la place du jeune garde du corps en train de subir de mauvais traitements à la tête. Cela ne veut pas dire que l’élu de Belo-sur-  90 négatives. Un cliché pris sur le vif traduit certes le professionnalisme aigu du photographe et répond au souci du journal de mieux se vendre. La caricature est ce genre d’éléments parmi les plus prisés par le lecteur. Mais elle est toujours à connotation négative, quelle que soit sa présentation. Trop de calculs débouchent sur des effets pervers. Voilà pourquoi des journaux s’en tiendraient à une retenue avec les pages extérieures, exposées au regard d’un grand nombre de personnes. En revanche, les pages de l’intérieur compensent la soi-disant modération. Par exemples, les photos livrées par Taratra à la page 08 n’ont rien de positif tandis que la page aurait cherché à faire valoir le juste milieu. Il en est de même de la photo de Solofonantenaina Razoarimihaja1, à la page 8 de Madagascar Laza, qui est provocatrice, c’est-à-dire négative, par rapport au contexte.

Sur le cliché, le haut responsable du parti majoritaire (TIM) affiche un sourire de ravissement tandis qu’exactement 13 cm en dessus de sa photo, l’ancien président de la République, entouré des forces de l’ordre qui tentent de le protéger contre la foule en colère, est humilié, le chapeau de paille symbolique tenu par la main gauche. A l’inverse, combien la photo à la page 3 de L’Express de Madagascar est empreinte d’une impartialité. Les forces de l’ordre réussissent à remplir leur mission de défendre le professeur Zafy Albert, qui, parvient à garder son calme naturel. S’il est des images positives, celle de ce quotidien en est une. Les images de Lucien Razakanirina2 sont qualifiées de neutres. Là, l’on respecte la neutralité de l’administration centrale éternellement assignée et en bute aux difficultés du maintien d’ordre public. I.4.3. Habitus et routinisation La manière de décrire les événements par les textes ne diffère pas beaucoup de la

Tsiribihina est à l’abri d’agression. Il a bel et bien reçu sa part de sévices. Sa tête même a été touchée. Or, dans la conception religieuse de son ethnie d’origine, il s’agit de la partie du corps la plus sacrée. Il est donc interdit aux étrangers da la palper. Il faut en déduire que si toutes les publications se permettent d’abuser des photos pareilles et que si elles font de même autant de fois, la situation se rapprochera sûrement de la conséquence de la publication des douze caricatures de Mahomet. Vers la fin du mois de décembre 2005, une partie des ethnies du Grand Sud-Est se mobilise déjà sous l’effet des excitations politiques, pour lancer la contre-offensive pour la seule raison que les 13 mai ont frappé à la tête du député Faharo Ratsimbalison. Le problème est de délimiter la marge de liberté de la presse. Quand est-ce qu’il faut tout montrer en vertu du devoir d’informer ou maquiller la vérité parce toute vérité n’est pas bonne à dire ? Tout est permis ne veut pas dire que tout n’est pas interdit, selon les dires de Jean-Paul Sartre. Tout est enfin fonction de contexte. 1 Solofonantenaina Razoarimihaja est un ancien cadre de TIKO GROUP SA. En 2003, il est désigné président national du parti politique TIM. 2 Il est le secrétaire d’Etat chargé de la Sécurité publique en exercice depuis 2004. Ses photos apparaissent à la page 15 de Madagascar Tribune et à la page 4 de La Gazette de la Grande Ile suite à sa déclaration d’ouvrir une enquête sur les événements du 17 décembre 2005. 91 façon de présenter les images. L’examen minutieux des 46 textes sur un même fait peut révéler beaucoup d’intentionnalités. Il faut pourtant tenir compte des paramètres suivants : - la manifestation s’est déroulée dans la matinée d’un samedi, le seul jour de repos pour les journalistes s’il nous est permis de le dire ; - à la même heure, tous les journalistes devraient assister à l’assemblée générale

extraordinaire de l’OJM organisée à la Bibliothèque nationale à Anosy ; - ce samedi serait le seul moment libre où les journalistes devraient rester avec leur famille avant la fête de la Nativité. Tout compte fait, chaque journaliste a passé un week-end mouvementé suivant les humeurs du moment. Les journaux doivent tout de même paraître le lundi d’après. En conséquence, tout un chacun essaie de commenter le fait à sa manière. En raison de la routinisation du métier, cette manière est déjà bien travaillée longtemps auparavant.

Garneau a beau expliciter cet aspect (cf. I.2.2., I.2.3. et I.3.*). Dans l’optique de

Bourdieu (cf. II.1.3., §2*), cela tient à la façon dont l’extériorité s’intériorise (l’habitus) pour qu’en retour l’intériorité s’extériorise. A son tour, l’intériorité s’extériorise et se cristallise au niveau des champs : espaces de la vie sociale qui deviennent relativement autonomes autour de relations, de ressources et d’enjeux qui leur sont propres (cf. II.1.3., §3*). En commentant Neveu, 1 Maler parle effectivement de champ journalistique (cf. III.4.3., §2*) . Par conséquent, les journalistes parviennent à se situer en présence d’une multiplicité des informations sur l’inimitié de la place du 13. La présence physique effective sur les lieux de la désobligeance aurait été inutile à ce propos. L’article « Violences Place du 13 mai : des torts partagés » d’Adelson Razafy2, qui fait la une de La Gazette de la Grande Ile de lundi 19 décembre 2005, peut servir d’illustration. Dans la matinée de samedi 17 décembre 2005, le journaliste participe à l’assemblée générale de l’OJM jusqu’à la fin de la séance vers 11 heures. Par la suite, les participants se retrouvent autour d’une collation-éclair avant de quitter définitivement le lieu. Adelson Razafy entreprend une marche à pied vers l’arrêt du bus d’à côté du siège de la RNM Anosy. Quant à nous, nous avons pu rejindre la place du 13 mai quelques

1 * Ces renvois se rapportent à la première partie du présent exposé. 2 Historien de formation, Adelson Razafy journaliste à la fois membre de l’Observatoire de la vie publique (SEFAFI), une organisation créée en février 2001 sous l’égide du Comité national d’observation électorale (CNOE) avec l’appui technique et financier de la Fondation Friedrich Ebert (FFE). 92 minutes seulement plus tard grâce à une voiture de la TVM. Les journalistes en provenance d’Anosy ratent le début et la fin de l’animosité. En d’autres mots, Adelson Razafy n’a aucunement le temps de vivre ni de sentir le tumulte à Analakely. Il a tout de même le mérite de produire une reconstitution vraisemblablement fidèle de l’événement. La manière de sentir et d’agir qui lui dicte l’angle sous lequel il a traité la profusion des informations nous intéresse ici. Autant de journalistes, autant de manières. Autant de manières, autant de thèmes mobilisés pour parler de solidarité nationale à travers les événements du 17 décembre 2005. Le journalisme se pratique de la sorte. Cela s’observe non seulement à Madagascar mais aussi ailleurs. (…) aucun observateur de son propre pays ne peut être entièrement objectif1. Il est indéniable que la différenciation fait partie de la stratégie commerciale de chaque journal. Il faut savoir se singulariser autant que de besoin pour mieux se faire apprécier et se vendre, même virtuellement. L’originalité du sujet, l’angle sous lequel le traiter, la clarté, l’équilibre et la pertinence comptent tous les uns autant que les autres. Conclusion partielle L’instrumentation de la presse est un phénomène mesurable à l’aide d’une méthode simple. L’application de celle-ci requiert une très grande attention car il s’agit de radiographier les supports de l’information. On dit aussi faire le scanning de l’environnement. Le maniement de cet outil n’est ni figé ni rigide. La malléabilité de l’approche mathématique de la presse, selon l’orientation de l’analyse, est telle qu’elle peut être utilisée par tous. (…) les idées, les informations et les mots n’appartiennent jamais à personne. Ils appartiennent à tout le monde, à l’humanité tout entière2. Le scanning des dix journaux retenus pour cette étude nous a permis de déduire que l’instrumentation est à l’affût de la presse en général. L’existence du phénomène est signalée dans le temps et dans l’espace. Seulement son ampleur ou son emprise varient selon les humeurs de la circonstance. La lecture sociologique des événements du 17 décembre 2005 sur la place du 13 mai à Antananarivo nous fixe sur les diverses manifestations de l’instrumentation de la presse à un moment donné de l’histoire. La notion de servilité3 va de pair avec l’instrumentation. La presse s’excelle en journalisme institutionnel, de révérence, douanier ou des intérêts particuliers et

1 e Philippe Gaillard, Technique du journalisme, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 7 éd., 1996, p. 3. 2 Op. cit., p. 20. 3 « Confiance excessive accordée aux autorités en tant que sources d’informations que l’on présente et que l’on commente à la rigueur », op. cit., p. 32. 93 rarement en journalisme de production de savoirs pratiques et à fortes valeurs ajoutées. Derrière les manières de commenter les faits retentissent les échos d’un harcèlement ou le terrorisme médiatique, dirait-on. Le constat découle de la réalité elle-même. Nous avons expressément choisi les épisodes « Galana » et « Solo Dolara », à titre d’illustrations, pour mettre en évidence l’idée avancée. Les deux affaires ont toutes une couverture nationale et peuvent rivaliser d’importance avec les événements du 17 décembre 2005. Les cas isolés sont tellement innombrables qu’il est irréaliste et illusoire de tenter de les citer avec précision dans le cadre de la présente étude. La manipulation ou le traficotage de la vérité est un jeu familier des médias. Les anciens mettent en garde contre toute attitude fallacieuse. Il vaut mieux avoir affaire à des sorciers qu’à des menteurs. Le problème du journalisme moderne reste, entre autres considérations, celui de l’information pertinente et efficace adressée à tous pour la qualité de la vie quotidienne de chacun et pour la connaissance des systèmes sociaux afin d’en favoriser l’évolution dans l’intérêt général, souligne Gaillard1. La médiatisation de l’information est une exigence sociale. Mais la presse écrite malgache tend à devenir une arme discursive contrôlée par des tutelles politiques et économiques. C’est pour dénoncer une telle domination par les médias que Halimi édite en 1997 et réédite en 2005 son livre Les Nouveaux Chiens de garde.

CHAPITRE II : EFFETS DE CHAMP ET EFFETS DE STRUCTURE

Le champ journalistique demeure pris dans la dynamique interactive des différentes structures. Il ne peut pas évoluer en dehors de toute une interconnectivité, notamment institutionnelle. D’emblée, la dénomination quatrième pouvoir2 suscite des interrogations. Comment et pourquoi parler de quatrième pouvoir ? Comment se fait-il que les médias parviennent à se hisser au rang du quatrième ordre juridictionnel de la réalité du pouvoir ? En effet, les constantes conquêtes et reconquêtes de la liberté de la presse procèdent d’un combat universel. La professionnalisation du journalisme date du e début du XX siècle chez nous. La pluralité des titres n’est jamais synonyme de l’existence de la liberté de la

1 Op. cit., p. 14. 2 Dr. Loum Ndiaga, professeur au Centre d’études des sciences et techniques de l’information (CESTI), université Cheikh Anta Diop de Dakar, chercheur au Centre d’études des médias (CEM, université Bordeaux III), chercheur invité au Groupe de recherche sur les médias (GRM), université de Québec à Montréal (UQAM), a beau fournir des détails intéressants sur la notion de quatrième pouvoir au cours de la conférence prononcée pour la maîtrise de communication de l’UQAM le 25 septembre 2002. Le romancier Honoré de Balzac (1799-1850) a inventé l’expression de quatrième pouvoir. 94 presse. Il existe un grand nombre de journaux et médias dans les pays les moins démocratiques comme la Chine, l’Iran, l’Irak, la Russie, la Birmanie… Mais cela ne garantit pas une marge de manœuvre pour la presse et les médias pour qu’ils puissent exercer pleinement leur fonctionnement démocratique de contre-pouvoir. Par contre, les pays comme l’Afrique du Sud, le Mali, le Bénin et le Sénégal sont réputés pour la richesse de leur paysage médiatique. Ils sont considérés comme porteurs de vraie tradition démocratique, favorable à l’émergence d’une presse libre et indépendante. Investie de fonction de dénonciation, la presse est apparue comme un moyen de contre-pouvoir. Le basculement vers le système de certification collective ou de notification publique aussi est devenu inévitable. La presse ne peut pas se passer des effets de champ ou des effets de structure1. Ceux-ci à leur tour déterminent les comportements du journaliste, toujours inséré dans des systèmes (d’agrégation, de rôle et d’interaction) (…) conçus comme y disposant d’une marge de manœuvre, d’un espace de jeu lui permettant d’élaborer des tactiques et des stratégies, c’est-à-dire des comportements référables à des fins2. II.1. Le champ journalistique malgache Pour explorer ce champ, il convient de remonter à l’opérationnalisation de la première école de journalisme à Madagascar dont le devenir portera la marque de fabrique française. Les lendemains des manifestations estudiantines du 13 mai 1972 ont mis un coup d’arrêt à son élan. II.1.1. L’interventionnisme français

En 1965, le Centre de formation des spécialistes de l’information (CFSI) ouvre ses portes à Antananarivo. Il s’agit de la première véritable école de formation en journalisme la plus célèbre en Afrique francophone post-indépendance. Elle est incorporée dans l’Ecole nationale de promotion sociale (ENPS) à Befelatanana, laquelle

1 « Il s’agit le plus souvent de phénomènes inattendus, paradoxaux, dysfonctionnels, en contradiction avec les règles explicites de fonctionnement de leur champ. C’est alors vers ce dernier que se tourne l’interrogation : selon quelle logique produit-il un effet ? Mais cette question implique par elle-même la mobilisation de divers schèmes d’intelligibilité possibles : fonctionnel (l’effet apparemment dysfonctionnel remplit une fonction cachée), causal (l’effet paradoxal résulte de la composition de relations causales déterminées), structural (l’effet renvoie à la combinatoire des positions et oppositions au sein d’un champ donné), actanciel (il s’agit d’un effet pervers résultant de l’agrégation de comportements indépendants)… », Jean-Michel Berthelot, L’intelligence du social. Le pluralisme e explicatif en sociologie, Paris, Sociologie d’aujourd’hui, collection dirigée par Georges Balandier, PUF, 2 éd., janvier 1998, p. 68. Nous soulevons une erreur dans ce passage : au lieu de au sein d’un champ donné, l’ouvrage cite au sein d’un champ donné. 2 Op. cit., p. 80. 95

étant rattachée à l’université de Madagascar (1961-1976)1 . Le baccalauréat n’étant pas un diplôme requis pour pouvoir s’y inscrire, cet établissement supérieur est vu comme une université au stade expérimental2. II.1.1.1. Amorce d’une véritable professionnalisation

Naturellement, le CFSI est appelé à intégrer un réseau africain de formation en journalisme. Le Centre d’études des sciences et techniques de l’information (CESTI) est 3 fondé à Dakar (Sénégal) en 1965 avec l’appui de l’UNESCO . De même, l’Ecole supérieure internationale de Journalisme de Yaoundé (ESIJY, Cameroun) a vu le jour en 1970. En 1982 elle devient Ecole supérieure des sciences et techniques de l’information

(ESSTI), puis, en 1991, Ecole supérieure des sciences et techniques de l’information et 4 de la communication (ESSTIC), abritée par le campus de l’université de Yaoundé I. Des noms célèbres à l’instar d’Hervé Bourges5 restent associés à la mise en place et à la promotion du journalisme en Afrique francophone. Considéré comme étant le monument vivant de la presse française, cet ancien directeur général de la Radio France internationale (RFI, 1981-1983) et président en exercice de l’Union internationale de la

Presse francophone (UPF) depuis 2001 a dirigé l’ESIJY entre 1970 et 1976. Certes, l’expansion de la langue de Molière constitue une des préoccupations majeures de la France à l’heure de la décolonisation. L’hexagone se soucie, entre autres, du maintien de supériorité, de rayonnement culturel, et, par extension, d’emprise politico-économique, entretenus par sa langue sur les peuples nouvellement indépendants. Manifestement, il s’agit de conserver voire d’exploiter les acquis de l’Union française (1946) devenue Communauté française en e 1 1958 en vertu des dispositions constitutionnelles de la V République . S’inspirant du modèle Commonwealth (1931), les expériences relationnelles de la

1 L’université de Madagascar est effectivement constituée le 1er novembre 1961 (cf. article 03 de l’Accord de coopération en matière d’enseignement supérieur entre la République malgache et la République française, Annexe II de François Rajaoson, L’enseignement supérieur et le devenir de la société malgache. La dialectique université/société, Antananarivo, université de Madagascar, EESDEGS, 1985, p. 273). 2 e Tel est l’avis de Jean-Aimé Rambeloson, ancien rédacteur en chef de la TVM, qui fait partie de la 8 et dernière promotion du CSFI (octobre 1971-octobre 1974). 3 Cf. http://www.information.gouv.sn 4 Le diplôme délivré est le diplôme des sciences et techniques de l’information et de la communication ou le DSTIC. 5 Hervé Bourges est né le 2 mai 1933 à Rennes (France). Il a fait des études à l’Ecole supérieure de journalisme (ESJ) de Lille. Docteur d’Etat en sciences politiques, le rayonnement intellectuel de cet homme sur le monde des médias, notamment francophones, est tel qu’il embrasse une carrière bien méritante (http://fr.wikipedia.org/wiki/). De 1995 à 2001, il a occupé les fonctions de président du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) français avant de devenir président de l’Union internationale de la presse francophone (UPF). 96 métropole avec ses anciennes colonies, désormais émancipées de toute tutelle politique directe, se muent progressivement en francophonie politique. Le concept développé est de repenser les liens historiques entre les deux parties, tout en résistant à la diffusion du modèle anglo-saxon et de l’anglais. L’émulation inhérente à la concurrence anglo-saxon/francophone profite à l’amorce d’une professionnalisation véritable du journalisme à Madagascar. Depuis l’indépendance, la France a apporté, en effet, un appui presque constant au système d’enseignement supérieur du pays dans le cadre de la Coopération française2. II.1.1.2. Un académisme rigoureux

Les trois entités en Afrique – CFSI à Antananarivo, CESTI à Dakar et ESIJY à Yaoundé – grossissent de facto les rangs d’une Ecole de journalisme créée en 1899 en France et de deux autres lieux d’apprentissage à Lille3 (1924) et à Paris (1929). Malgré tout, la France accuse un retard remarquable en la matière par rapport aux Etats-Unis ou encore à l’Allemagne4. L’on n’apprend pas à être journaliste. La formation s’effectue principalement sur le tas. D’après nos propres enquêtes, le cas concerne 37 % des journalistes en exercice de la presse écrite1.

Pour revenir aux formations dispensées au CFSI, elles sont assurées à la fois par un jeune contingent français – à peu près du même âge que les étudiants – et d’une équipe

1 e La Constitution du 4 octobre 1958 est le texte fondateur de la V République française. 2 L’intervention française remonte au temps de la Fondation de l’enseignement supérieur Charles de Gaulle, l’ancêtre des universités publiques malgaches. Durant une époque intermédiaire, la communauté universitaire subit une grande atonie, marquée par des flux d’étudiants incontrôlés. La pertinence du dispositif de formation et de recherche s’en trouve ainsi compromise et demande un redressement qualitatif. Après une période de coopération de substitution peu organisée, suivie d’une attitude plus distante dans les années 80, la France réinvestit le champ de la coopération universitaire peu après l’adoption de Plan directeur de l’enseignement supérieur (1993) qui donne naissance au programme national pour l’amélioration de l’enseignement (PNAE 2). Pour cela, la Coopération française lance un premier projet d’appui à l’enseignement supérieur (PRESUP), qui donne lieu à deux conventions : PRESUP I (1996-1998) et PRESUP II (1997-2000). Le projet MADSUP (15 novembre 2000) est destiné à consolider les acquis des PRESUP (cf. Annexe XIX). 3 L’Ecole supérieure de journalisme de Lille est aussi appelée l’école mère. 4 e e Depuis le classicisme du XVII siècle à l’existentialisme du début de la seconde moitié du XX siècle, l’évolution de la littérature française est marquée par la succession de plusieurs courants : préromantisme e e pour le XVIII siècle, romantisme, naturalisme, réalisme et symbolisme pour le XIX siècle, et, surréalisme, e dadaïsme et aussi un peu de lyrisme pour la première moitié du XX siècle. A l’instar d’Honoré de Balzac, figure de proue du réalisme, d’éminents romanciers français sont aussi à la fois de belles plumes sans qu’ils aient nécessairement reçu des formations préalables dans le domaine du journalisme. Tel est le cas, par exemple, pour Albert Camus (1913-1960), un des principaux acteurs de la vie intellectuelle française d’après-guerre et aussi un des représentants de l’existentialisme, qui est réputé pour son passage d’abord chez Alger républicain et Républicain soir à Alger puis chez Paris-Soir à Paris. L’expérience du monde littéraire français fait des émules dans d’autres domaines. Chez nous également, la littérature s’avère être une terre fertile pour les journalistes épris du développement du métier, surtout durant l’époque coloniale. Les journalistes d’alors sont aussi des vaillants militants et amis de la littérature (cas du pasteur Ravelojaona et de Jean Ralaimongo, entre autres). 97 d’éminents académiciens et universitaires. Des noms tels que Rajemisa Raolison, feu Germain Rakotonirainy, Jean-Louis Rafidy… et Rémi Ralibera, autant de figures bien connues de l’intelligentsia malgache, sont cités en leur qualité de membres à part entière du corps enseignant. Le nom de Granger, ancien professeur au département de droit de 2 la faculté DEGS à Ankatso , le premier directeur du CFSI, est aussi évoqué. Le contenu des cours touche des domaines variés : langues, économie, histoire, géographie, sociologie… La formation assurée par le CFSI semblerait s’aligner sur celle du département de sociologie de la faculté DEGS. Pourtant, le cursus ne dure que deux ans pour le premier. Il se démarque par l’application d’un régime de discipline très sévère, selon les anciens étudiants eux-mêmes, dont Jean Jack Ramambazafy3. Toute moyenne générale de 10 à 12 est sanctionnée par la délivrance d’un certificat tandis que celle supérieure à 12 vaut un diplôme. En prime, elle donne la clé à un stage pratique d’une année en France.

Le CFSI tient sérieusement à un académisme rigoureux digne de l’époque où le milieu scolaire jouit pleinement de ses prérogatives d’être à la fois un appareil de reproduction sociale de la domination culturelle4 et un appareil idéologique de l’Etat5. Le système d’enseignement sert tout particulièrement à créer ‘une élite évoluée’ qui composera les cadres administratifs et techniques requis dans le gouvernement, les entreprises et les services publics6. II.1.1.3. Journaliste d’élite et journaliste de seconde zone

En tout et pour tout, le CFSI à Befelatanana a formé huit promotions entre 1965 et

1974. Mamy Rafenomanantsoa (cadre supérieur de l’actuel MEFB), Alphonse

Andriamahaly (ancien directeur de la TVM), Louis Rasamoely (titulaire de master en

Inde), Jean-Aimé Rambeloson (journaliste chez la TVM), Victor Razafindrakoto (cadre supérieur de l’administration pour la province autonome d’Antananarivo), Anicet

1 Cf. le tableau cité en Annexe XIII. 2 (Faculté) de droit, d’économie, de gestion et de sociologie. 3 Il fait partie de la dernière promotion du CFSI. L’homme à la retraite est nommé à la fonction de directeur de la communication à la primature depuis septembre 2004. 4 Les notions de domination culturelle et de reproduction sont développées ensemble par Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron dans Les héritiers (1964) et dans Reproduction (1970). 5 Ce paradigme nous renvoie au philosophe Louis Althusser (1918-1990), philosophe français, théoricien marxiste, comme Antonio Gramsci, et maître à penser des années 1970. Il a publié une étude intitulée Idéologie et appareil idéologique d’Etat en 1970, d’après le cours de Sociologie politique du maître de conférences André Rasolo (nommé premier conseiller à l’ambassade de la République de Madagascar à Moscou en 2004), année universitaire 2002-2003. 6 Guy Rocher, Introduction à la sociologie générale, t. 3. Le changement social, Paris, éd. HMH, coll. « Points », 1968, p. 233. 98

1 Andriatsalama (responsable de la communication au sein du PMPS ), Jean-Claude

Andrianaivo (animateur d’émission chez TV PLUS et enseignant au collège Saint-Michel à Amparibe)… constituent la huitième et dernière promotion.

La bonne marche du CFSI ne résiste pas aux avatars des troubles politico- administratifs consécutifs aux événements du 13 mai 1972. De plus, le système d’enseignement est fortement perturbé. Le jeune juriste de formation Germain

Rakotonirainy se voit confié l’intérimaire de la direction du CFSI jusqu’à ce que le centre soit directement remis l’université de Madagascar 2. Ceci explique le prolongement du cycle pour la dernière promotion (octobre 1971-octobre 1974).

La dissolution de l’ENPS , y compris le CFSI , est décidée après un moment de réflexion. Le contrat de coopération est rompu suite au départ des Français, qui se sont occupés de l’administration du milieu. Les pourparlers autour de la malgachisation ont dissuadé toute volonté de reprendre les activités de l’université expérimentale . L’on veut que tout soit bien clair avant de s’engager dans cette voie 3. Le niveau d’études est trop bas. Le baccalauréat n’est pas exigé. Ce n’est donc pas universitaire 4. Le titre de journaliste ne figure pas dans les statuts des fonctionnaires de l’Etat bien que la plupart des clients du CFSI aient intégré la RTM . Le titre d’animateur de programme a été forgé à la place de cette qualification spécifique. L’animateur de chaîne a été le plus gradé. Dès lors, le clivage traditionnel lié à des qualifications

1 Projet multisectoriel pour la prévention contre le VIH /SIDA . La phase I du projet est financée à hauteur de 30 millions de dollars par la Banque mondiale avec le concours de l’ ONUSIDA . Il est officiellement approuvé par le Conseil d’administration de la banque le 14 décembre 2001. Le projet prendra fin le 31 décembre 2006. La phase II du PMPS pour un montant de 30 millions de dollars est avalisée le 12 juillet 2005. Son expiration sera prévue pour le 31 décembre 2009. 2 Dès 1972, les Malgaches ont pris en main l’administration universitaire. Au sortir des événements et après l’avènement du général Gabriel Ramanantsoa le 18 mai 1972, les cours et les activités pédagogiques ont dû attendre longtemps avant de reprendre normalement. La malgachisation des divers postes à responsabilité a été une des mesures prises par le gouvernement en matière d’enseignement. Aussi le professeur Thomas Rahandraha est-il nommé premier recteur de nationalité malgache de l’université de Madagascar (juillet 1972-avril 1975). Il est en même temps directeur de l’enseignement supérieur. Avant lui, nous avons : Michel Alliot (directeur de l’Enseignement supérieur, janvier 1959- septembre 1961), Michel-Henry Fabre (recteur, octobre 1961-septembre 1964), René Roblot (recteur, octobre 1964-novembre 1968), Marcel Bonvalet (recteur, décembre 1968-décembre 1970) et Jean-Claude Corbel (recteur, janvier 1971-juillet 1972), extrait de François Rajaoson, L’enseignement supérieur et le devenir de la société malgache. La dialectique université/société , Antananarivo, université de Madagascar, EESDEGS , 1985, Annexe III , p. 275. 3 En septembre 1972, le collectif des travailleurs, des enseignants, des élèves et étudiants réunis en Zaikabe (Congrès) tente de s’ériger en pouvoir de fait. Après le référendum du 8 octobre 1972, les motions du Zaikabe ont été mises en veille. Cependant, les motions portant sur le domaine de l’enseignement ont été toujours considérées par le milieu scolaire et universitaire comme des directives majeures pour la construction d’une école nouvelle , op. cit. , p. 209. 4 Telle est la remarque émise par le professeur Lucile Rabearimanana lors de l’entretien que nous avons avec elle le 30 janvier 2006 à la faculté des Lettres et Sciences humaines, université d’Antananarivo.

99 subjectivistes entre les spécialistes de l’information s’est installé. L’on a alors parlé de journaliste d’élite, pour un animateur de programme à la télévision, et, de journaliste de seconde zone, pour un homologue à la radiodiffusion. Selon Neveu, les journalistes de télévision sont promus en figures emblématiques de l’ensemble du groupe. De nos jours, le journaliste politique et/ou économique se croit être le journaliste d’élite et les autres de seconde zone1. II.1.2. De l’unicité à la multiplicité Les événements de 1972 donnent un coup de frein historique à tout interventionnisme français à Madagascar. Le journalisme ne reste pas indifférent à la bipolarité en vigueur au lendemain de la Seconde Guerre (1939-1945) jusqu’à la chute du mur de Berlin le 9 novembre 1989. La coopération Sud-Sud se renforce. Mais les interventions du système de financement international2 conduisent à l’expansionnisme de la pensée unique. II.1.2.1. Guerre idéologique, guerre des écoles

LE CFSI est en partie victime d’une guerre idéologique, notamment interne.

L’organe privé RTM est nationalisé en 1967. De ce fait, il est tombé dans l’escarcelle du parti majoritaire au pouvoir, le PSD. Des animateurs de programme ont dû entrer dans les bonnes grâces du parti en position de force sous l’effet du slogan politique : Pisodia izahay mandram-pahafatinay3.

Une fois de plus, le journalisme de révérence refait surface. Du reste, le PSD ne voit le CFSI qu’avec un très mauvais œil. Le parti présidentiel qui recrute essentiellement chez les gens des provinces, soupçonne l’avènement du parti de la gauche derrière la formation dispensée à Befelatanana. Germain Rakotonirainy, le directeur, est un marxisant de premier ordre. Dans les années 60, il est parmi ceux qui ont fumé l’opium des intellectuels4 en terre européenne alors en proie à la rivalité Est-Ouest ou encore socialiste-capitaliste. De plus, la majorité

1 Ceci est une réflexion strictement personnelle. C’est parce qu’ils se considèrent les plus célèbres par rapports aux autres catégories de journalistes en activité. 2 Ce système comprend un vaste réseau d’entités financières et de banques sous l’autorité morale du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale. 3 « Nous resterons PSD jusqu’à la fin de nos jours », le Parti social-démocrate (PSD, fondé en 1957 à partir du PADESM) est à la base du fondement du pouvoir politique de Philibert Tsiranana, le premier président de la République de Madagascar (1960-1972). La formule choc scandée sonne l’arrogance d’un système administratif épaulé et téléguidé par le néocolonialisme français. Madagascar n’a toutefois jamais connu de régime à parti unique. 4 L’Opium des intellectuels est le titre de l’ouvrage publié par Raymond Aron en 1955 pour promouvoir l’idée de la gauche à propos du régime soviétique. C’est l’ouvrage politique des plus influents en Europe  100 des étudiants admis au CFSI sont issus de Hautes Terres centrales. Des paramètres supplémentaires ne font qu’augmenter les suspicions du régime à l’égard du centre de formation. Il aurait alors été accusé d’avoir fomenté des roueries à l’encontre du régime politique dominé par des personnalités côtières. En effet, le père Rémi Ralibera et son étudiant Anicet Andriatsalama figurent parmi les déportés au bagne de Nosilava dès le lendemain même du tumulte de 19721.

Les PSD ont raison d’avoir peur du journalisme dans sa forme post-indépendance.

En 1970, Latimer Ranger (un ancien grand reporter de la RNM), Jean Rasamoely (un ancien cadre de la RNM), Tsilavina Ralaindimby (ancien ministre de la Communication et de la Culture), Lucien Rajaona (directeur de la RNM) et encore Jean-Louis Rafidy du nom de Jocelyn Rafidinarivo (fonctionnaire de la Banque mondiale à Anosy, Antananarivo), etc. ont pu suivre une formation adéquate de 18 mois assurée par 2 l’Office de la radiodiffusion télévision française (ORTF , 1964) en France.

L’ouverture sur les pays de l’Est – l’ex URSS, la Roumanie et la RDA – calquée sur le modèle français3, est rendue effective après le trouble de 1972. Les universités de Patrice Lumumba (Moscou) et de Werner Lambert (Berlin-Est) commencent à recevoir des boursiers venus de Madagascar, dont Félix Malazarivo4. Le cycle de l’enseignement y est assez long (8 ans). Parallèlement, des réalisateurs ont été formés à Bry-sur-Marne (France) et en Inde autour de 19805. La division Est-Ouest est lourde de conséquences quant à la question d’intégration professionnelle des journalistes. A l’époque du régime socialiste6, ceux ayant reçu des formations dans les pays de l’Est sont mieux côtés (catégorie 8) que leurs confrères issus de pays occidentaux (catégorie 5). Plus tard, des pays comme l’Egypte et bien d’après-guerre 1939-1945. 1 Cf. http://www.haisoratra.org. 2 L’ORTF remplace l’Office de coopération radiophonique (OCORA). 3 Des bourses d’études et de stage sont distribuées dans le cadre du Fonds d’aide et de coopération (FAC), mis en place aux termes du décret no 59-887 du 25 juillet 1959. Héritier du Fonds d’investissement pour le développement économique des Territoires d’Outre-mer (FIDES), le FAC est destiné à appuyer, sous la forme de subventions d’investissements, le développement des pays issus de l’ancien Empire colonial français. Le FAC géré par le ministère de la Coopération sera transformée en Agence française de développement (AFD) en 1998 (cf. Annexe XXIV pour de plus amples détails). 4 L’ancien député de Madagascar élu à Maintirano est aussi le directeur de la Radio Nasionaly Malagasy (RNM) sous le régime Ratsiraka. 5 Jusqu’en 2006, 209 Malgaches bénéficient de bourses attribuées dans le cadre du programme gouvernemental indien Indian Technical and Economic Cooperation lancé depuis le 14 septembre 1964. 6 Telle est l’appellation commune donnée à la période allant de l’accession du capitaine de frégate Didier Ratsiraka au pouvoir en juillet 1976, après avoir été président du Conseil suprême de la révolution (CSR) depuis le 15 juin 1975, jusqu’au départ de l’amiral Didier Ratsiraka en 1992, et ce après trois mandats électifs successifs. Une rhétorique marxiste-léniniste marque cette période. 101 d’autres ont aussi attribué des bourses de stage au nom de la coopération Sud-Sud. Les effets de champ et les effets de structure, en termes de formation, tendent toujours à ébranler le champ journalistique. Ils sont une source de divergence et d’inféodation incontrôlées pour les agents de la presse. A cause de la disparité des revenus, des journalistes cèdent aux appâts de corruption sournoise ou de la corruption systémique (en réseau)1 dès les années 70 et 80. II.1.2.2. Un mécanisme de financement incohérent Nous avons vu plus haut que les animateurs de programme de la radiotélévision publique sont les premiers à avoir reçu une formation préalable en journalisme. Ils se dispersent tous aujourd’hui dans des domaines disparates. La presse écrite est alors loin d’être leur domaine d’activité par excellence. Ceci étant, des jeunes diplômés fraîchement émoulus des horizons universitaires variés sont venus investir le champ de la presse écrite dès l’époque, d’abord, de Le Courrier de Madagascar et de Madagascar Matin, puis, de la quadrette2 des années 80 et 90, et, enfin, des nouveaux venus de la période post 2002. Par ailleurs, les années 90 ont exprimé une demande accrue en professionnels avérés de l’information. Ceux en exercice sont quantitativement et qualitativement déficitaires pour pouvoir répondre aux exigences de principes démocratiques prévus par la Constitution du 18 septembre 19921 et aussi dictés par la mondialisation et la globalisation en marche. Il est alors impérieux d’instituer un nouveau régime de formation, avec les nouvelles bases techniques suggérées par la modernisation technologique, pour les intéressés. De ce contexte découle l’idée d’ouvrir en 1995 la filière Formation en journalisme, rattachée à la faculté des Lettres et Sciences humaines de l’université d’Antananarivo. L’initiative attire la sympathie de la Banque mondiale qui reste favorable à la promotion des formations professionnalisantes de courte durée (2 ou 3 ans). Elle accepte de supporter les charges financières pour les trois premières promotions de la Formation en journalisme à Ankatso. Il se peut que l’efficience de ce nouvel ordre cognitif ait fait des émules au niveau de la ville d’Antananarivo et dans les provinces.

1 Quand la corruption sournoise gagne en ampleur, elle évoluera en phénomène de felaka. 2 La quadrette est formée par Midi Madagasikara (1983), Tribune de Madagascar (1988), L’Express de Madagascar (1995) et Gazetiko (1998). Il y a également Le journal de Madagascar dans les années 90. Mais cet organe est voué à disparaître. 102

Des études spécialisées commencent à éclore dans d’autres villes. L’Ecole supérieure spécialisée du Vakinankaratra (ESSVA) d’Antsirabe, entre autres, privilégie la filière Communication depuis le début de sa mise à contribution en novembre 1999. Se spécialiser dans ce domaine devient, en effet, une tendance généralisée tant et si bien que la fièvre se répand vite sur l’étendue du territoire. Les établissements d’enseignement supérieur privé se multiplient vite2. En 2001, 32 formations dans 19 3 établissements d’enseignement supérieur privé sont homologuées par le MINESUP . Du point de vue structurel, la multiplication d’études spécialisées se trouve à la charnière du nouvel ordre mondial de la mondialisation et de la globalisation qui penche tendanciellement pour la réalité qui prévaut autour du rapport enseignement/marché du travail. Telle est la voie sur laquelle le système d’enseignement supérieur malgache s’engage depuis la mise en œuvre du PRESUP I (1996-1998), du PRESUP II (1998) et du projet MADSUP (2000). Dans l’ensemble, les écoles professionnelles fonctionnent avec un mécanisme de financement incohérent. Elles doivent l’essentiel de leurs moyens d’action à l’autofinancement et aux partenariats établis ici et là. Sur un tout autre plan, la Coopération française reste plus ou moins active quant à l’appui aux médias4. Ses dernières contributions en la matière datent de 1999 et de 2000 où l’exécution du volet Appui aux médias profite à une quarantaine de journalistes de la presse écrite de la capitale5. Mais on n’entend plus parler d’intervention française dans le domaine des médias malgaches. De toute façon, le journalisme africain se sent lâché e par l’entité marraine dès le début du XXI siècle. La France a, d’une certaine manière, laissé tomber la formation des journalistes africains. Compte tenu de la diminution des budgets de la coopération, elle a pensé qu’il y a d’autres objectifs majeurs. C’est une erreur. Car si les journalistes africains ne bénéficient pas des bourses françaises ou s’ils ne peuvent bénéficier d’une politique de coopération, ils se tourneront vers les Etats-Unis ou le Canada qui sauront choisir les meilleurs. Non pas pour aider les pays africains mais pour conserver ces compétences6.

1 Dite « Constitution libérale », celle-ci a été amendée le 8 avril 1998. 2 Cf. Annexe XIII pour l’aperçu historique du début de l’enseignement supérieur privé à Madagascar. 3 Bureau international d’éducation, Le développement de l’éducation. Rapport national Madagascar, septembre 2001, p. 56. 4 Le projet ainsi intitulé a été lancé en juillet 1999 et s’est terminé en janvier 2003. 5 « Stage de perfectionnement linguistique et écriture journalistique ». Tel a été l’intitulé du programme réalisé durant le dernier trimestre de l’année 1999. Au début de l’an 2000, un autre projet sur la « Technique d’interview » sera destiné aux journalistes de la presse écrite à Madagascar. 6 Tels sont les avis émis par Hervé Bourges à travers un article paru sous le titre La Coopération française e a lâché le journalisme africain. Les 35 assises de l’UPF, ouvertes à Libreville (Gabon) mardi 4 novembre  103

Voilà pourquoi, peut-être, des entités privées se mobilisent à l’heure actuelle comme pour se relayer à la Coopération française. Dans le courant de l’année 2006, l’association Ouest-Fraternité, par exemple, projette d’entreprendre des actions pratiques1 dans la logique du capacity building à l’intention des journalistes de la presse écrite. Ceux-ci, de leur côté, en éprouvent la nécessité absolue. D’après nos propres enquêtes, ils sont à 100 % favorables à ce qu’un système de recyclage régulier soit mis en place. L’attente est d’autant plus grande pour les 37 % des journalistes qui n’ont reçu aucune formation préalable en journalisme. II.1.3. Construire le vivre ensemble africain Les affirmations de Libreville en novembre 2003 tiennent lieu de self fulfilling prophecy2. La dynamique américaine est en train d’émerger pour confirmer le retrait français. En 2005, les Etats-Unis ont activé la création de la Société pour le 3 développement des médias en Afrique (SODEMA ) à laquelle l’OJM envisage d’adhérer. Désormais, chaque entité doit se livrer à l’introspection permanente imposée par le vivre ensemble africain naissant. II.1.3.1. L’Ordre des journalistes de Madagascar Le décret no 74-1124 du 27 mars 1974, signé par le lieutenant-colonel Joël Rakotomalala, alors ministre de l’Information sous le général Ramanantsoa (1972- 1975), détermine la création et l’organisation de l’Ordre des journalistes. Ainsi est-il mis sur pied l’OJM dont l’organe central est siégé par : Ralaiarijaona (Maresaka, président), Célestin Andriamanantena (Maresaka), Rakotobe (Imongo Vaovao), Justin Randriamananjara (Hita sy Re), pasteur Jean-Louis Razafindratre (Maresaka), Jean-

Claude Andrianaivo (RTM, radio), Rémi Rahajarizafy (Vaovao), Maurice Rakotobe et

Jean Jack Ramambazafy (RTM, télévision).

L’OJM jouit d’une crédibilité certaine aux yeux des pouvoirs publics. Le bureau est consulté durant la période d’une grande sensibilité nationale consécutive à

2003, lui offrent un cadre convenable pour apporter une remarque critique ouverte à la dynamique franco- africaine en matière de journalisme. 1 Le coup d’envoi est donné dès l’année 2005. Le 21 février 2006, une table ronde sur les thèmes de la publicité dans la presse, la distribution et les mesures d’audience réunit une vingtaine de propriétaires de e médias au siège du Syndicat des industries de Madagascar (SIM), au 4 étage de l’immeuble Holcim à Tsaralalana. Il est alors proposé de doter le journalisme malgache d’un code de déontologie qui s’inspire de la Déclaration des droits et devoirs des journalistes, adoptée à Munich en 1971 (cf. Annexes V te VI). La Charte ainsi élaborée en collaboration avec le GEPIM sera officiellement présentée le 26 avril 2006. 2 La self fulfilling prophecy est la prophétie qui se vérifie elle-même. 3 Cf. Annexe VII portant articles de presse sur la SODEMA. 4 Cf. Annexe XX. 104 l’assassinant du colonel Richard Ratsimandrava le 11 février 1975. La bonne entente entre les pouvoirs publics et l’organe central de l’entité professionnelle ne devrait indisposer en aucun cas le régime de censure en vigueur1. Du point de vue analyse de la superstructure, la société politique reconnaît en 2 l’OJM pertinence d’actions et grandeur sociale . Cet élément important du bloc historique3 doit fonctionner à l’image de l’Ordre des avocats, l’Ordre des médecins, l’Ordre des ingénieurs, l’Ordre des sages-femmes et tutti quanti. Il est regardé comme une juridiction des pairs et décide la sanction organisée. L’entité peut paraître comme une organisation parajudiciaire qui comporte en soi le germe de la judiciarisation du métier de journaliste.

Un bref aperçu historique attribue l’origine directe de l’OJM aux conflits ouverts en 1971-1972 entre journalistes de tendances différentes. Le respect de la liberté de la presse et de la liberté d’expression est des plus médiocres avant cette période à cause du néocolonialisme. Le relâchement qui s’en suivra aboutira par contre à un effet pervers. Il faudra instituer un organe nouveau et placé sous l’autorité gouvernementale pour tenter de remédier à la situation et d’aplanir les différends entre confrères. L’ordre aura donc pour mission « secrète originelle » de baliser le penchant belliqueux des journalistes avant d’être la garantie symbolique de la mise en valeur de la liberté de la presse et de la liberté d’expression au sein de la société malgache du post- néocolonialisme.

Sur le plan pratique, la carte d’identité professionnelle délivrée par l’OJM ouvre la porte à certains avantages. Quand le titulaire voyage en avion ou en train, seul 10 % du plein tarif lui est réclamé par la compagnie aérienne Air Madagascar ou l’ancienne 4 société d’Etat RNCFM . Il lui arrive de voyager sans déboursér aucun franc. Le titulaire de la carte professionnelle de l’OJM est également exempté de certaines obligations

1 L’assassinat le 11 février 1975 à Antananarivo du colonel Richard Ratsimandrava donnera lieu au retour e du régime de censure qui restera en vigueur durant la II République jusqu’en 1989. 2 Le directoire militaire n’est pas du tout un contexte favorable à l’exercice des libertés publiques (des pouvoirs d’autodétermination consacrés par le droit). Le geste de clémence à l’égard de l’OJM de l’époque est donc chargé d’une profonde signification liée aux valeurs culturelles malgaches : la tolérance et le compromis. 3 Dans l’analyse gramscienne, les intellectuels organiques, dont les journalistes sont parmi les membres les plus influents, peuvent se constituer en bloc historique. Bien que fonctionnaires de la superstructure, les intellectuels organiques peuvent en bloquer le développement naturel et mécanique à un moment donné de l’histoire. 4 La Régie nationale des chemins de fer malgache (RNFCM, 1952-1962) est devenue un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) entre 1963 et 1982, placée sous la tutelle du ministère des Transports, du Ravitaillement et du Tourisme, d’une part, et, du ministère des Finances, d’autre part. 105 douanières et fiscales. Seuls 30 % des frais douaniers lui sont été exigés pour les équipements matériels dont il passe la commande à l’étranger. Il est recensé en 1974 quelque 300 journalistes professionnels à Madagascar. Les conditions de travail des journalistes malgaches donnent l’impression que la largesse des services publics est d’un autre âge. Ils seraient les chassés du jardin de la superstructure. Leur nombre gêne1 et les avatars de la réforme institutionnelle et du désengagement mis en branle depuis les années 80 compromettent les traitements de faveur approuvés durant les premières années de l’OJM. Le contexte actuel serait favorable à la vassalité presque généralisée des journalistes à des forces politiques et économiques… Leur situation est faite d’une ambivalence. Les journalistes sont tenus de produire beaucoup. Les exigences vont même parfois au-delà des possibilités individuelles. Pourtant, ils gagnent peu en retour. Nos enquêtes nous ont permis de savoir que 32 % des journalistes touchent un salaire mensuel de moins de Ar 200 000, 52 % entre Ar 200 000 et Ar 350 000, et, 16 % plus de Ar 350 000. Sur le plan revenu, les journalistes des années 70 ont été encore bien lotis avec un salaire mensuel équivalent d’Ar 10 6002. L’article intitulé Journalistes : les ‘stars’ et les ‘autres’ publié par le magazine Le Point du 25 janvier 2002, signé Emmanuel Berretta, nous renseigne sur des détails très intéressants pour toute étude comparative des revenus des journalistes malgaches et français. L’association ACRIMED commente le texte en n’en retenant que les données exprimées en brut mensuel. L’intégralité des observations apportées par l’ACRIMED est mise en ligne (http://www.acrimed.org) le samedi 14 juin 2003. Elle fera l’objet d’une insertion dans la partie annexe du présent mémoire.

1 D’après la liste arrêtée par la commission de délivrance de carte le 1er mars 2004, le nombre de journalistes officiellement inscrits à l’OJM est porté à 690. Les données établies n’inspirent pas du tout la confiance. Elles sont manipulées pour la nécessité de l’élection du 9 mai 2004. Le profil d’un grand nombre de titulaires de la carte professionnelle (techniciens, machinistes travaillant dans des organes de presse) est loin de correspondre à celui du journaliste. En outre, une mise à jour sérieuse s’impose car ces données sont largement dépassées par les réalités. 2 Tel est le salaire de base de Jean Jack Ramambazafy au début de sa carrière, d’après son témoignage. Selon lui, il préfère de loin toucher cette somme que de gagner Ar 400 000 par mois aujourd’hui. « Le gain mensuel de Ar 10 300 des années 70 est largement suffisant pour acheter une voiture d’occasion par mois », a-t-il remarqué. Un litre d’essence ne coûte qu’Ar 10 et le kilo de riz blanc Ar 5 à l’époque. 106

Graphe VIII : Répartition des journalistes de la presse écrite selon leurs salaires mensuels (Sources : Enquêtes et analyses personnelles).

L’actuel OJM serait réduit à l’image d’un réservoir de journalistes sandwich pris entre deux feux : les exigences du métier et les risques qu’elles comportent. Il est tout à fait naturel si le sens du professionnalisme est vilipendé. New York Times, eu égard à ses moyens1 et à sa réputation, devrait être à l’abri de ce genre de dissonance. En revanche, la notoriété du leader américain de la presse écrite est fortement ébranlée en avril-mai 2003 quand un jeune journaliste (n.d.l.r. Jayson Blair né le 23 mars 1976) a plagié et forgé des dizaines d’articles sous le nez de ses collègues et des cadres de la salle de rédaction »2. En avril 2003, Times publie en une un article de Jayson Blair sur la famille d’un soldat américain tué en Irak. Les similarités entre cet article et un autre paru dans le journal San Antonio Express fait éclater l’« affaire Jayson Blair ». Le verdict d’une enquête interne pousse le journaliste frauduleux à quitter le NYT le 1er mai 2003. La démission de Blair entraîne celle d’autres journalistes et d’une partie de l’équipe dirigeante. En 2004, le fautif fait paraître le livre Burning Down my Master’s

1 L’organe fonctionne avec un chiffre d’affaires annuel de 3,1 milliards de dollars (cf. http://www.acrimed.org). Le chiffre est à comparer avec les 2,492 milliards de dollars pour Madagascar pour une période de 5 ans (2002-2006) décidés à l’issue de la réunion des Amis de Madagascar dans les locaux de la Banque mondiale à Paris du 25 au 26 juillet 2002 (cf. http://www.madagasikara.de). 2 Laurent Laplante, Journalisme déboussolé ?, 12 juin 2003 sur http://www.acrimed.org. 107

House. Il y met ses erreurs sur le dos du grand quotidien new-yorkais et sur des troubles psychiques nécessitant un traitement psychiatrique. Mais il se réfugie dans l’alcool et la cocaïne au lieu de se plier à la thérapie. Plus tard, les critiques écriront que Jayson Blair est devenu le symbole des dérives modernes du journalisme américain. En tout cas, l’« affaire Jayson Blair » n’est ni le premier ni le dernier scandale journalistique. II.1.3.2. Rajeunissement et féminisation La confrérie se rajeunit de manière inexorable à Madagascar. Les journalistes sont à 89 % âgés de moins de 40 ans avec une proportion de 63 % pour la tranche d’âges [25, 40 ans[ – l’âge moyen de la profession – et 26 % pour les âgés de moins de 25 ans.

Les 11 % restants sont âgés de plus de 40 ans (cf. Graphe IX). Pour l’heure, le bagage intellectuel compte plus que l’âge du journaliste. Le diplôme de Licence, ou son équivalent, est le minimum requis comme condition formelle d’accès à la profession, et ce, sans considération de la spécialisation d’origine à l’université (cf. Graphe X).

Graphe IX : Répartition des journalistes selon l’âge (Sources : Enquêtes et analyses personnelles). 108

Graphe X : Niveau de formation des journalistes en exercice (Sources : Enquêtes et analyses personnelles).

Environ 37 % des professionnels de l’information n’ont reçu aucune formation préalable en journalisme1. La profession est donc une terre d’adoption pour eux. L’assimilation professionnelle se déroule ainsi à la manière de celui qui part à la recherche des pierres précieuses...2 Dans l’espoir de s’enrichir miraculeusement, l’exploitant reste sur le site minier tant qu’il ne trouve pas ce qu’il recherche. Le nouveau venu est contraint de s’adapter au mode de vie de la communauté d’accueil. Il est tenu d’intérioriser les normes en vigueur et de les mettre en application. Il n’est pas en droit de transgresser les règles. L’étude du vécu expérientiel des journalistes peut nous conduire à un savoir psychosociologique3. Au moment des enquêtes, 53 % d’entre eux exercent depuis moins de 5 ans. Il faut tenir compte que 16 % d’entre eux ont atterri sur la planète du

1 Ces données sont les résultats des enquêtes et analyses personnelles entreprises dans le cadre du présent travail de recherche. 2 Dans les années 90, l’exploitation du saphir de Ranohira (Sakaraha), du rubis star d’Andilamena et d’Ilaka Atsinanana (Vatomandry), et, tout récemment, de la tourmaline d’Ambatofitorahana (Ambositra) et aussi de Fandriana… ont provoqué des flux migratoires au niveau national voire international. 3 Les manœuvres habituelles d’un journaliste restent toujours soumises à la dynamique des groupes. Par conséquent, il peut y avoir des groupes de pairs, d’appartenance, de référence, à distance… pour lui. Parfois, il s’avère complexe de délimiter les frontières du groupe primaire et du groupe secondaire pour un journaliste. Presque régulièrement, une part importante de son emploi du temps s’écoule en dehors du cercle familial vu comme son groupe primaire par défaut. Du point de vue facteur temps, le groupe secondaire – le milieu scolaire transformé en milieu professionnel – est à même de supplanter le groupe  109 journalisme seulement depuis un an. En vertu des principes d’intégration, tout débutant est amené à se faire de nouveaux amis durant un certain laps de temps. Des groupes de pairs se créent et entrent en contact avec d’autres groupes analogues. Il est tout à fait naturel pour ceux-ci de se tisser des liens de relation fraternelle. Un groupe de journalistes, appelé aussi pool de communication, s’identifie par rapport à un groupe thématique. Sa constitution ne souffre d’aucune restriction. Un groupe thématique1 est formel, donc organisé, pour avoir rempli des formalités administratives officiellement déposées au sein de l’organe central de l’OJM. En 2005, le nombre de groupes thématiques à Madagascar est porté à dix-sept. A l’inverse, un pool de communication est informel et non organisé. Sa naissance est consécutive à une agrégation spontanée de journalistes2. Il peut exister, en effet, plusieurs dizaines de pools de communication. Une forte polarisation des groupes de presse n’est pas non plus à écarter à cause des soutiens des forces politiques. Un groupe thématique ne peut pas être réduit à un pool de communication et un pool de communication ne peut pas se substituer à un groupe thématique. Pourtant, les deux catégories ont tendance à se confondre dans leurs principes d’action. Autant pour l’une que pour l’autre, les finalités sont les mêmes : servir les intérêts d’une ou des personnalités, d’un ou des groupes d’intérêts, d’une ou des institutions… pour recevoir en retour des contreparties licites. C’est un type de rapport facilement contrôlable. A titre individuel, les personnalités, notamment politiques, sont promptes à se faire épauler par des pools de communication3. Ce type de rapport est difficile à primaire. D’autres catégories professionnelles subissent aussi de telles vicissitudes psychosociologiques. 1 Il est des journalistes qui traitent exclusivement des informations sur l’Energie et les Mines, les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), l’Environnement et l’Ecologie et ainsi de suite. Un groupe thématique aussi est appelé association. 2 La prise en compte de notions de vicinité et d’homophilie est opportune ici. Toutes les deux vont toujours de pair avec le phénomène de groupe. L’effet vicinaire est le résultat de l’influence de la proximité spatiale. « (…) partout les individus tendent à s’associer du seul fait de leur voisinage ». L’homophilie, terme forgé par le sociologue américain Merton, quant à elle, désigne l’attraction correspondant à la similitude des statuts sociaux. « (…) il semble plutôt s’y [dans un modèle permissif] être superposé dans un climat d’ambivalence caractéristique, où la femme continue d’apparaître comme objet sexuel à la fois désiré et redouté, tout en s’imposant progressivement comme compagnon social », e Jean Maisonneuve, La psychologie sociale, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 20 éd. corrigée, avril 2002, p. 70-71. Les Malgaches disent à ce propos : « Volo maitso natohana akondro, ka ny samy maitso ihany no mifanohatohana ». 3 Les révélations faites par le pasteur Mailhol, chef du mouvement religieux Apocalypse, sur le plateau de la station radiotélévision privée Feon’ny Mazava Atsinanana (FMA) à Toamasina dans la soirée de samedi 19 février 2006, durant l’émission Tafa sy dinika, animée par le journaliste Nestor Rasolofonjatovo, de 20 à 21 heures, ont été pleines de sarcasme à ce propos. Le pasteur a carrément dit ceci : « Le jour du passage du président français à Mahajanga, le 21 octobre 2005, un groupe de journalistes d’Antananarivo est venu me voir et m’a demandé sur mon éventuelle participation à la course à la magistrature suprême. Ces journalistes ont déclaré qu’ils me soutiendraient si j’étais réellement candidat ». En réalité, le pasteur  110 surveiller. Il favorise les stratégies personnelles référables à des fins. Mais il est navrant de constater que les journalistes membres d’un pool cessent de fonctionner comme un vrai contre-pouvoir. Ils sont devenus un pouvoir aux côtés du pouvoir. Par la force des choses, ils ont tendance à lutter pour le pouvoir et non contre le pouvoir. Halimi consacre la quatrième et dernière partie du livre Les Nouveaux Chiens de garde1 à l’examen de l’univers de connivence. Ainsi, il se prononce sur les rapports individuels noués par nombre de journalistes, d’essayistes, d’intellectuels et qui ont pour objet ou pour résultat d’assurer la promotion de chacun. En décembre 2005, face à ses disgrâces politiques, le président de l’Assemblée nationale, Jean Lahiniriko, a voulu mettre en place un pool de communication pour son propre compte. Mais les journalistes ont poliment décliné l’offre. Toujours au cours de 2 l’année 2005, le Bureau indépendant anti-corruption (BIANCO) voulu faire autant. Mais aucun journaliste ne s’est manifesté non plus. La féminisation de la profession aussi est en marche. Les journalistes sont à 53 % des femmes dont 35 % sont des jeunes filles âgées de moins de 25 ans et dont 36 % sont célibataires. Les hommes âgés de plus de 25 ans, quant à eux, sont à 65 % mariés. Des années auparavant, le journalisme apparaît comme une profession exclusivement réservée au groupe masculin à Madagascar. Mais l’on est en train d’assister à un retournement de situation à l’heure actuelle.

Paramètres retenus Nombre d’enquêtés Totaux Moins de 25 ans 05 Age [25, 40 ans[ 12 19 Plus de 40 ans 02 Féminin 10 Sexe 19 Masculin 09

Tableau VII : Répartition des journalistes [ayant rempli les questionnaires distribués selon l’âge et le sexe (Sources : Enquêtes et analyses personnelles).

Combien le rajeunissement et la féminisation du corps professionnel du

Mailhol est réputé pour sa largesse envers les gens des médias. 1 La troisième partie de l’ouvrage porte sur le journalisme de marché ou l’idéologie dominante que véhiculent les grands médias, publics ou privés. 2 Le Bureau indépendant anti-corruption ou BIANCO est créé en référence aux dispositions de la loi no 2004-030 relative à la lutte contre la corruption du 9 septembre 2004 (Journal officiel no 2 928 du 16 septembre 2004, édition spéciale). 111 journalisme1 peuvent être influencés par la structure de la pensée et affective de la société malgache. Chez nous, le pouvoir et l’autorité des hommes ainsi que des personnes âgées (gérontocratie) priment toujours. C’est une des valeurs à la base de la sagesse ancestrale que les jeunes et les femmes se gardent prudemment d’outrepasser. Le jeune journaliste et la femme journaliste sont donc confrontés à des difficultés ontologiques2 quand ils ont à consulter leurs sources, généralement représentées par des hommes mieux placés et beaucoup plus âgés. L’établissement de lien d’amitié et de confiance avec les seigneurs et princes serait la solution appropriée afin de pouvoir surmonter le blocage. De fait, le journaliste abrite la plupart du temps la liberté de la presse dans une intention intéressée. La première partie du livre, Les Nouveaux Chiens de garde, de Serge Halimi met l’accent sur la révérence devant le pouvoir [rapports des journalistes dominants avec les dirigeants politiques]. Voilà pourquoi les journalistes sont des fois amenés à publier une version arrangée des faits en camouflant la vraie vérité. Cette forme de subordination volontaire est source de manipulation et d’annihilation dans la mesure où le jeune journaliste qui se rend à la merci d’une volonté extérieure à la sienne n’a plus ni autonomie de conscience ni sens du discernement dans ses productions. L’abstention à tout recoupement, le principe de base même du journalisme, est la manifestation de ces casuistiques. Mais le journaliste s’emporte facilement quand il reçoit des critiques à ce sujet. La vérité blesse. Bourdieu nous avertit que les journalistes sont très susceptibles et supportent relativement mal l’analyse, particulièrement mal même, sans doute parce qu’il s’agit d’un milieu à la fois puissant et fragile, faible, menacé3. Le sociologue ajoute : il n’y a pas de milieu qui aime être objectivé. Le sociologue est mal vu parce qu’il dit des choses qu’on ne veut pas savoir et des choses qu’il est difficile de savoir parce qu’elles sont cachées ou secrètes1. II.1.3.3. Le vivre ensemble : question d’efficacité Le journalisme malgache obéit à la logique d’une société psychiquement inhibée et souffrant d’un profond sentiment d’infériorité (…) en référence à l’optique de Guy Rocher quand il aborde la problématique du système colonial en rapport avec le

1 L’on note une nette progression de cette tendance dès la seconde moitié des années 90. 2 Parce que c’est lié au tréfonds de leur être. 3 Actes du colloque fondateur du Centre de recherche de l’Ecole supérieure de journalisme (Lille), Les cahiers du journalisme, juin 1996, no 01. 112 développement2. L’inféodation des journalistes est monnaie courante en Afrique subsaharienne où le salaire est fixé à un niveau trop bas. La voie de la démocratisation du continent est parsemée de difficultés et frustration de la situation post-coloniale3. D’après le constat général, l’environnement médiatique en Afrique est dépourvu d’organisations crédibles aptes à prendre véritablement en charge la situation du journaliste africain4. Celui-ci devient, en effet, de plus en plus vulnérable, fragile et infantilisé. Une prise de conscience s’impose. Les démocraties émergentes doivent se conjuguer avec la médiacratie5. C’est dans cet esprit que naît à Douala (Cameroun) le 5 octobre 2005 la Société pour le développement des médias en Afrique6 dont l’ultime objectif est de contribuer à l’édification de la démocratie en Afrique7.

La SODEMA a, entre autres, pour missions de : revaloriser le métier de journaliste en Afrique, défendre la liberté de la presse, promouvoir les médias de qualité, aider à la formation des professionnels et au renforcement des capacités des médias. Fort de cette nouvelle donne, le journalisme africain entend jouer la carte de la pertinence et de l’efficience du professionnalisme. La SODEMA représente un cadre d’expression capable de cultiver l’excellence dans la pratique journalistique en Afrique. De surcroît, elle a réussi à briser les barrières linguistiques. Ainsi, elle est à la fois francophone, anglo- saxonne, lusophone… Les différentes communautés linguistiques sont au fondement du vivre ensemble médiatique africain qui semble être sur la bonne voie pour le moment.

1 Ibidem. 2 Guy Rocher, Introduction à la sociologie générale, t. 3, Le changement social, Paris, éd. HMH, coll. « Points », 1968, p. 240. 3 Op. cit., p. 253. 4 Rocher a encore ses mots à dire à ce sujet : « La société colonisée est donc un type de société qui est privé des ressorts et du dynamisme internes nécessaires à son développement autonome », op. cit., p. 239. 5 Le néologisme connaît un usage fréquent depuis la publication du livre de François-Henry de Virieu, La médiacratie, Paris, éd. Flammarion, 1990. « Les médias ne seraient plus de simples collecteurs, trieurs, transporteurs de nouvelles. Ils constitueraient, par leur existence même, par l’étendue de leurs performances, un nouveau principe organisateur de la vie démocratique », note Ndiaga le 25 septembre 2002. 6 En abréviation, l’on écrit SODEMA. La ville de Douala (Cameroun) abrite les 3-7 octobre 2005, la conférence internationale sur le thème Les médias dans les démocraties émergentes. Au terme de cette conférence, 53 journalistes africains dont Ruffin Rakotomaharo, le président en exercice de l’OJM, se mettent d’accord quant à la création d’une structure continentale dénommée Société pour le développement des médias en Afrique. 7 L’objectif primaire de la SODEMA ainsi défini correspond parfaitement à la teneur de l’alinéa 5 de l’article 5 du décret no 74-112 du 27 mars 1947 portant création et organisation de l’Ordre des journalistes. Le passage détermine, entre autres, une des cinq attributions du conseil de l’ordre : « Défense de la profession en général et recherche permanente de la promotion du métier et de ses membres ». Madagascar n’a donc aucune raison de décliner l’offre de la SODEMA. Le conseil de l’ordre des journalistes est composé d’un président et de quatre membres et quatre suppléants. Le conseil est élu par et parmi les membres de l’assemblée générale pour une durée de trois ans. Les élus du conseil sortant sont rééligibles une seule fois. 113

Une campagne de sensibilisation nationale1 a été le résultat de l’annonce de la naissance de la SODEMA. Pour ce qui est des perspectives, elle a envisagé la mise en place effective d’un mécanisme d’intervention pour renforcer la protection des journalistes et pour les assister dans tous les cas de violation de la liberté de la presse.

La SODEMA entend également prendre part de façon active au débat sur la reforme législative pour l’instauration d’un meilleur cadre légal d’exercice de la profession. Des recommandations ont été formulées sur la dépénalisation des délits de presse, l’organisation de missions de travail auprès de gouvernements et d’organes de régulation de la communication pour retirer tous les codes et dispositions contraires à la liberté de la presse. En réalité, l’initiative fédérative en faveur des médias africains obéit à la logique de l’expansion de la pensée unique ou encore à l’américanisation de l’Afrique, sinon à la sud-américanisation2 translatée en Afrique. Depuis les années 50, les nombreuses aides françaises ont profité énormément à la promotion du journalisme africain e francophone. Mais les gâteries s’estompent au début du XXI siècle, jetant ainsi une Afrique, notamment francophone, dans une perplexité organisationnelle3. En matière de communication de masse, l’Afrique n’est plus un terrain vierge pour les Américains qui y ont exécuté le Projet Leland en 19964. Nous rappelons au passage que l’initiative a émané directement du gouvernement des Etats-Unis et a reçu la bénédiction du Congrès. Pour la première fois, l’Afrique a pu se connecter à l’Internet et développer ses réseaux informatiques grâce à ce projet.

1 Le 29 novembre 2005, à la villa Washington (Kinshasa, Congo), Godefroy Yombi, secrétaire exécutif de la SODEMA pour Sarah Ahoui procède à la restitution des conclusions de la conférence de Douala du 3 au 7 octobre 2005. Du 12 au 14 janvier 2006, la SODEMA organise au Centre culturel américain à Ouagadougou (Burkina Faso) un atelier axé sur le thème général de Médias et démocratie : quelle image du professionnel ?. Quant à Madagascar, la seule fois où le président de l’OJM, Ruffin Rakotomaharo, a er évoqué l’existence de la SODEMA est dans l’après-midi du 1 octobre 2005, à l’issue d’une modeste séance de passation de services entre son prédécesseur James Ramarosaona et lui. Tout se passe au siège de La Gazette de la Grande Ile à Ankorahotra en présence de quatorze journalistes. Jusqu’à maintenant, aucune action concrète dans le sens de la sensibilisation en faveur de la SODEMA n’est entreprise. Pourtant, des indices sont perceptibles. L’assemblée générale extraordinaire du 17 décembre 2005 à la Bibliothèque nationale à Anosy stipule la mise en place d’un conseil de discipline où seront représentés les 17 Groupes thématiques affiliés à l’OJM. Effectivement, pour le moment, la SODEMA est dirigée par des instances transitoires, présidées en amont par Boureima Jérémie Sigué et basées à Douala, en attendant l’assemblée générale qui mettra en place des instances définitives. Il est seulement demandé aux différents pays membres de s’employer à mettre sur pied des sections nationales qui, à terme, devront se fédérer pour constituer l’ossature de la SODEMA. 2 « (…) la sud-américanisation correspond à une orientation de type capitaliste libéral », Guy Rocher, Introduction à la sociologie générale, t. 3, Le changement social, Paris, éd. HMH, coll. « Points », 1968, p. 250. 3 Le recul français est critiqué par Hervé Bourges à Libreville Gabon) le mardi 4 novembre 2003. 4 Le profil du projet Leland a fait l’objet d’un exposé sommaire dans l’introduction générale à ce travail. 114

Si la SODEMA a pu voir le jour le 5 octobre 2005 à Douala, c’est grâce au département d’Etat américain avec le concours de plusieurs organisations professionnelles des journalistes basées aux Etats-Unis1. Pour l’avenir, il reste à démontrer l’efficacité de ce nouveau vivre ensemble naissant à retirer les médias africains des contraintes vicieuses qui les minent sournoisement. La désinformation devient certes une coutume qui s’universalise. II.2. Les contraintes vicieuses Bourdieu aurait pu conclure que la pratique journalistique se trouve toujours face à un dilemme : soit elle est amenée à renforcer les contraintes dites vertueuses, celles qui poussent à la vertu, soit elle est affaiblie par les contraintes dites vicieuses, celles qui poussent à la faute ou à l’erreur2. II.2.1. Mécanismes socioéconomiques du « felaka » Loin de désespérer ni de blâmer le journaliste, les sciences sociales élèvent la connaissance et la conscience des contraintes et accroissent du même coup les chances de liberté à l’égard des contraintes (Bourdieu)3. Il faudrait relativiser la responsabilité des médias conformément à la conception wébérienne de l’éthique4. II.2.1.1. Etude de la genèse et de l’évolution Sans afficher un pessimisme radical, il convient de signaler d’emblée que la bonne moralité du journaliste ne résiste pas des fois à l’usure de la vie quotidienne et du temps. Le felaka, ou le monnayage d’un article, est le mal qui mine l’univers journalistique. Il tient à la corruption insidieuse. C’est une des contraintes vicieuses dont parle Bourdieu. Les journalistes seniors témoignent de l’emprise de la pratique du felaka depuis les années 70 où des membres du cabinet des ministères se sont amusés de façon délibérée à jeter de l’argent de mauvaise odeur à des animateurs de programme. De nos jours, la pratique peut avoir pour principale fonction de monnayer des écrits destinés à idéaliser/soigner ou à calomnier l’image sociale d’une entité donnée.

1 Les Etats-Unis tiennent à l’émergence de médias efficaces dans les démocraties naissantes. Pour le cas de Madagascar, l’ambassade américaine gère l’American Press Room, une plateforme spécialement conçue et localisée au Centre culturel américain à Antanimena à l’intention des médias malgaches. Deux éditions du concours sur le journalisme d’investigation sont organisées à Madagascar grâce à l’appui de l’ambassade américaine à Antananarivo. Si, d’ici peu, l’OJM daigne promouvoir réellement la visibilité de la SODEMA chez nous, le Centre culturel américain en fournira probablement les moyens logistiques. 2 Actes du colloque fondateur du Centre de recherche de l’Ecole supérieure de journalisme (Lille), Les cahiers du journalisme, juin 1996, no 01. 3 C’est l’adaptation d’un passage tiré des mêmes Actes du colloque fondateur du centre de recherche de l’Ecole supérieure de journalisme (Lille). 4 Max Weber oppose l’éthique de la responsabilité à l’éthique de la conviction. 115

La finalité du felaka est de plusieurs ordres. La plupart du temps, elles consistent à entretenir le paraître social de soi vis-à-vis d’un ensemble très vaste allant des autorités nationales à l’opinion internationale en passant par l’opinion publique et celle des groupuscules. L’enracinement de felaka est donc consubstantiel de la prolifération des 1 projets qui caractérise surtout les années 90 et l’ère du DSRP . Des administrateurs ou des gestionnaires de projet se soucient plus de leur visibilité que des réalisations concrètes et honnêtes pour lesquelles des ressources sont dépensées. Une partie de budget alloué à un marché adjugé est sacrifiée pour financiariser les médias. Puisque les écrits restent, la presse écrite est privilégiée. Les coupures de journaux complètent les pièces exigées par les formalités du processus de suivi ou de nouvelles demandes de financement auprès de bailleurs. Par ailleurs, ceux-ci n’ont toujours pas le temps d’entreprendre des vérifications sur terrain. Le cas est fréquent avec les projets multisectoriels tels que la prévention contre la propagation du VIH/SIDA. La petite corruption peut devenir grande – corruption structurelle ou institutionnelle – selon l’importance de la somme proposée. La politique fait figure de domaine catalysant les ingrédients utiles au développement des agissements nuisibles et nocifs. L’attachement affectif au politicien est fonction de largesse de celui-ci. Plus il donne, plus il bénéficie d’un traitement de faveur dans les médias. La situation du député de Madagascar élu à Maintirano Jean-Eugène Voninahitsy se révèle comme un exemple – parmi tant d’autres – qui ne doit pas échapper à la critique. La fréquence des publications consacrées à son sujet, avant et après son incarcération à la maison centrale d’Antanimora le 15 décembre 2005, fait état d’une disproportion flagrante. Il en est de même pour le radicaliste Victor Wing Hong2, placé sous mandat de dépôt à Ambalatavoahangy Toamasina depuis 30 janvier 2006. D’autres politiciens prennent la place des pénalisés3. Une loi peut découler de tels cas de figure :

1 Depuis le mois de mars 2006, les autorités malgaches entendent remplacer le DSRP par le Madagascar Action Plan ou le MAP. 2 Victor Wing Hong est un métis chinois, résident de Toamasina. Depuis 2002, il préside l’Organisation de la famille des victimes des événements 2002 (OFPACPA). Son impétuosité vis-à-vis du régime lui a valu deux peines d’emprisonnement ferme depuis 2003. Dans la nuit du 10 janvier 2006, les forces de l’ordre de Toamasina mettent la main sur trois jeunes équipés d’effets explosifs dont quatre grenades offensives, et pistolets automatiques. D’après les enquêtes, les incriminés ont reçu l’ordre de faire sauter les locaux de la société commerciale MAGRO Sa, une des filiales de TIKO GROUP SA, basées dans le quartier de Tanambao V à Toamasina. M. Hong est le présumé complice des commanditaires : Andronic et Antonio. Les deux métis chinois, eux aussi, sont domiciliés à Antananarivo. Ils sont amis de longue date du concerné, d’après les révélations de la presse. Ils sont recherchés par la police judiciaire. 3 Vendredi 20 janvier 2006, le maire de la commune urbaine de Toamasina Roland Ratsiraka annonce solennellement sa candidature aux prochaines élections présidentielles. Quatre jours plus tard, c’est-à-dire  116 le journalisme rime avec le cynisme actif1. La presse est un moyen de propagande par excellence. Deux stratégies peuvent être mises en œuvre. Le politicien joue au martyr politique dans le but d’amener la masse à s’apitoyer sur son sort. Encore et toujours, le cas de Voninahitsy Jean-Eugène peut être retenu comme un exemple vivant. Le parlementaire a été victime de la ruse du régime qui lui a tendu un piège monté de toutes pièces pour son arrestation, selon les surenchères médiatiques de l’époque2. Des politiciens réussissent facilement à détourner à leur avantage la qualité du journaliste, ses influences et ses relations. Les médias sont seulement des supports. A titre d’illustration, citons la conférence de presse donnée par le sénateur, vice-président du Sénat (2002-2006), Soja Jean André alias Kaleta, dans la matinée de jeudi 2 février 2006 à l’hôtel Colbert à Antaninarenina. L’homme fort de Tolagnaro – la ville est anciennement baptisée Fort-Dauphin et est actuellement devenue capitale de la région Anosy –, auparavant réputé pour son alliance politique avec l’amiral Didier Ratsiraka et consorts (cf. Photo III) a su s’imposer une nouvelle image de soi par rapport au contexte en marche3.

mardi 24 janvier 2006, Herizo Razafimahaleo tâte la température à travers les médias en épiloguant sur la problématique du fondement constitutionnel du pouvoir du président de la République Marc Ravalomanana. Trois jours plus tard, c’est-à-dire vendredi 27 janvier 2006, le sénateur Adolphe Ramasy a le génie de tenir en haleine la presse en lui lançant des nouvelles relatives à l’existence des armes de guerre ainsi que des munitions contenues dans six conteneurs au port de Toamasina. Les journaux ont réservé un accueil plus ou moins favorable à chacune de ces trois différentes interventions. Mais les discussions s’y rapportant font des échos percutants pour se taire subitement. 1 Le cynisme actif est une des inventions conceptuelles de Pierre Bourdieu dans Sur la télévision (1996), Contre-feux 1 (1998) et Contre-feux 2 (2001). Il entend par cynisme actif l’attitude du téléspectateur qui n’arrête pas de zapper entre différentes chaînes jusqu’à ce qu’il trouve un programme qui capte et retient son attention. 2 Selon la thèse fortement médiatisée peu avant la fête de la Nativité, l’arrestation du parlementaire est le résultat d’un artifice savamment conçu par le ministre de l’Economie, des Finances et du Budget, Benjamin Andriamparany Radavidson. 3 Cf. Annexe XIX pour de plus amples détails. 117

Photo III : Caricature montrant comment un politicien sait détourner une situation à son profit (Sources : L’Express de Madagascar du 6 février 2006, http://www.lexpressmada.com)

La problématique de la liberté de la presse est un thème récurrent parallèlement à celle du felaka. La complexité réside dans la « force émotionnelle » des sons, des images, des photos et des écrits. Les médias transmettent des sentiments qui peuvent être bénéfiques ou désagréables pour les concernés. La réponse à la médiatisation d’un événement peut être une sympathie ou une antipathie, c’est-à-dire une approbation ou une réprobation. Les sons et les images s’adressent à la sensibilité individuelle et collective. Ils ciblent les passions humaines en mobilisant un processus de cognition immédiatement déclenché par les deux sens de perception : les yeux et les oreilles. Les sons et les images ne demandent qu’un faible effort de cognition. Ils sont les matériaux indispensables à la connaissance au premier degré, peu approfondie et moins élaborée. Nos sens nous trompent parfois, selon le philosophe René Descartes. La presse écrite et l’Internet, à la différence près de l’audiovisuel, font passer une force émotionnelle qui stimule plutôt le raisonnement. Ils visent tout un réseau d’intellectualisation. Mais les résultats sont toujours les mêmes : approbation ou réprobation. Le lectorat s’apprête à développer une connaissance plus élaborée de l’actualité dans la mesure où il parvient à en saisir le sens profond. Les paroles s’envolent, les écrits restent. Les éditoriaux, les chroniques, les analyses et les dossiers, 118 le propre du journalisme d’enquête ou d’investigation, offrent au lectorat une lecture plus intelligente des actualités. Ils sont aussi de l’ordre de l’intellectualisation. L’atteinte à la liberté de la presse consiste alors à contrôler l’effet de proximité assuré par la transmission de la force émotionnelle, qu’elle aboutisse à l’élévation du mode de connaissance de l’individu et de la collectivité ou à son appauvrissement. Pour cela, plusieurs méthodes et moyens peuvent être utilisés. C’est le cas, entre autres exemples, des brouillages techniques des stations de radiodiffusion et télédiffusion. La lugubre pratique est courante durant les moments forts des crises. Cela dit, il existe toujours des individus qui veulent se hisser loin au-dessus des autres en s’efforçant d’étouffer systématiquement l’esprit critique réel de ces derniers. L’entrave infligée aux médias peut ainsi avoir des formes infiniment et constamment variées. Elles vont de l’impossibilité d’accéder librement aux sources d’informations à l’assassinat du journaliste. Ce sont de fait les deux formes extrêmes les plus fréquemment observées. II.2.1.2. En bute aux « fahamarinana » et « fahamasinana » Le phénomène felaka semble prendre de l’ampleur, surtout vers la fin des années 90, avec l’avènement du régime démocratique. De nouvelles élections (communales/ municipales, sénatoriales/législatives et présidentielles) sont organisées à l’époque. Les périodes électorales, caractérisées par la plus forte participation directe des activités citoyennes à la vie de la cité, constituent des moments propices à l’emprise du mécanisme corrupteur du felaka. Ceux qui aspirent à se faire élire un jour et leurs supporters ne peuvent pas s’abstraire des appuis des amis journalistes. Mais la sujétion à la contrainte vicieuse atteint toujours son summum avant et pendant le scrutin présidentiel. Nous aurons bientôt à confirmer la véracité de cette affirmation. En toute logique, les prochaines élections présidentielles à Madagascar se tiendront avant la fin de l’année 2006. Contentons-nous, pour le moment, de rapporter ici le témoignage d’un collègue cameraman de la station de télédiffusion privée MA-TV à qui le ministre de la Pêche et des Ressources halieutiques1 du gouvernement Tantely Andrianarivo (1998-2001), aurait offert une somme consistante en guise de reconnaissance pour service rendu après une mission de quatre jours sur la côte ouest du pays.

1 Force est d’admettre que ce ministre n’est ni le premier ni le dernier à agir de la sorte envers les journalistes à Madagascar. 119

Les frais de déplacement, l’hébergement, la restauration et les autres fantaisies personnelles ne sont pas compris dans cette somme d’argent. Par ailleurs, le ministre ainsi que quelques-uns de ses homologues jouissent d’une popularité absolue aux yeux des médias grâce à leur générosité et de leur clémence à l’égard des journalistes. En retour, des moments de jubilation s’offrent à ces derniers au cours des conseils du gouvernement décentralisés durant les premiers mois de l’année 20011. L’avènement du régime au slogan fahamarinana (équité) et fahamasinana (sacralité) semble freiner à l’expansion du felaka ministériel. Peu de gens installés au système du pouvoir osent s’avancer ostensiblement sur ce sable mouvant surtout depuis que les hautes autorités de l’Etat s’engagent solennellement sur la voie anti-corruption depuis 2003.

L’initiative est une émanation du DSRP qui prône, entre autres choses, des thèmes- chocs comme la restauration de l’Etat de droit, la bonne gouvernance et la transparence. Autrement, les bailleurs auraient fermé les vannes aux flux budgétaires et auraient plié bagage. Au nom de la pseudo transparence, le felaka se mue en per diems ou indemnités de mission. Là aussi, la contrainte vicieuse montre l’une de ses facettes contemporaines2. Ce type de paiement relève du moyen licite dont la distribution vaut l’établissement de pièces justificatives. Le montant fixé est très limité, allant de Ar 5 000 à Ar 20 000 par jour, et, rarement au-dessus de Ar 30 000. Il est donc largement insuffisant par rapport au felaka dont la valeur peut aller loin au-delà de Ar 100 000 en une seule fois3, selon le gabarit économique du donneur et la capacité de négociation du journaliste. Les acteurs significatifs de la vie socioéconomique et politique (opérateurs privés, politiciens, religieux…) sont les promoteurs invétérés du felaka sous toutes ses formes4. Le

1 L’organisation de conseils du gouvernement décentralisés a laissé d’importants trous budgétaires dans les finances des provinces autonomes. Selon des indiscrétions, les cérémonies d’investiture de l’ancien gouverneur de la province autonome de Toamasina, Lahady Samuel, en 2001 ont coûté près de Ar 400 millions au Trésor public. 2 Nous y reviendrons plus tard. 3 Lors du premier Congrès national du parti TIM au palais national de la Culture et des Sports à Mahamasina les 20-21 décembre 2004, tous les journalistes ayant participé à la couverture médiatique reçoivent chacun la somme de Ar 200 000 à titre d’indemnité journalière. 4 Les deux premiers mois de l’année offrent des opportunités pour eux. Ils se gardent toutefois de donner de l’argent liquide qui devrait se présenter sous la forme de cadeaux (calendriers, agendas, effets vestimentaires…) offerts dans de très beaux emballages. D’autres se donnent le luxe d’inviter les responsables des médias et journalistes autour des collations entre amis. La présentation de vœux de nouvel an est souvent le motif du rassemblement. Mais, au fond, l’objectif visé est de chercher à entretenir une bonne entente avec les médias tout au long de l’année. Vendredi 10 février 2006, par exemple, la société de la téléphonie mobile ORANGE a convié tous les organes de presse à se rendre au  120 verrouillage ou le robinsonisme des médias publics ne fait que motiver le recours au felaka. Les journalistes de la presse privée sont encouragés à compenser le combler le vide ou l’hypomédiatisation créée par les interdits des chaînes nationales. La loi de l’offre et de la demande prime toujours à l’image de ce qui se passe dans le contexte de marché. Quand, par exemple, les politiciens ou opérateurs pro-régimes prévoient des conférences ou points de presse, peu de journalistes y répondent favorablement. Sans doute, les agents des médias publics et des organes privés proches du pouvoir se doivent d’y être présents. En revanche, quand il s’agit d’autres catégories d’opérateurs ou opposants, même les journalistes non invités s’arrangent pour assister en masse aux événements indiqués sous l’effet de l’emprise d’une cupidité excessive1. De toute manière, des hauts responsables étatiques et des hommes pro régimes n’hésitent pas à felakiser les journalistes à coup d’argent sonnant et trébuchant ou par chèque bancaire. Quel est le mécanisme qui fait que des journalistes restent sous l’emprise du felaka ? II.2.1.3. Légitimation du « felaka » Etant un service public, le journalisme est un des lieux privilégiés de l’exercice de la vertu civile. La seule question est de savoir comment faire pour que les journalistes, qu’ils soient ou qu’ils ne soient pas disposés à la vertu, aient intérêt à être journalistiquement vertueux et qu’ils conçoivent le service public qui leur incombe comme un véritable service du public au lieu de le réduire à la pure et simple

domicile de son directeur général à Ivandry. A vrai dire, la concurrence s’annonce rude dès que sa concurrente directe, la société MADACOM se fond dans les services du géant français des télécommunications CELNET. Sachant pertinemment que la presse sera investie d’un rôle vital dans ce contexte de concurrence, la société ORANGE a raison de raffermir les relations avec la grande famille des médias tananariviens. 1 La tromperie en cascade intervient à ce niveau. Le prix des articles qui valent le gros titre en une est différent de celui des écrits qui ont peu de chance de conquérir droit de cité à la première page ou de ceux qui n’ont pas du tout le profil d’y être signalés. Il arrive ainsi que le rédacteur réussit à vendre ses productions auprès du rédacteur en chef, qui est le gestionnaire des titres destinés à meubler la une du journal. Le cas suivant aussi est possible. Le rédacteur en chef et le journaliste sont complices. Ils partagent à part égale le montant gagné pour un ou des articles monnayés. Il existe alors, au minimum, quatre niveaux de duperie : (i) de l’informateur au journaliste qui n’a pas nécessairement besoin de pénétrer les intentions profondes du premier (ii) du journaliste à la rédaction qui n’a pas toujours le temps ni le moyen de tout vérifier (iii) de la rédaction au propriétaire qui se soucie le plus de l’aspect commercial de ses activités et (iv) du propriétaire au lecteur dont l’attitude est dictée par la logique de consommation ostentatoire. Dans ces types de rapport, chacun y va de sa subtilité individuelle qui se réfère à un point de vue téléologique. Il est donc ici question surtout de clause de conscience pour les professionnels de l’information parce que des règles morales existent : le Code de déontologie du 20 février 2001. Il y aura également la Charte des journalistes professionnels et éditeurs de presse de Madagascar qui s’inspire de la Charte internationale du journaliste rédigée à Munich en 1971 (cf. Annexes V et VI). 121 soumission au public, c’est-à-dire au marché1. Bourdieu a raison de lancer le débat. La profession elle-même risque de se faire taxer de pharisaïsme2 et de sophisme3. Il est utile de demander au groupe de créer les conditions dans lesquelles ses membres auront plus de chances de se conduire moralement au lieu de faire de la morale et d’en appeler aux consciences et aux volontés. C’est l’idée véhiculée à l’occasion de l’assemblée générale extraordinaire de l’OJM du 17 décembre 2005. Sûrement une telle entreprise sera, en partie, vouée à l’échec tant il est vrai que l’environnement social et économique positif de l’exercice de l’éthique y sera hostile. D’après nos enquêtes, 32 % des journalistes touchent un salaire mensuel moins de Ar 200 000, 52 % perçoivent entre Ar 200 000 et Ar 350 000 et pour les 16 % restants le gain mensuel est de plus de Ar 350 000. Les revenus mensuels ne permettent pas à ces trois catégories de réaliser des épargnes dans les 80 % des cas. Ce sont pourtant des individus qui ont des besoins dictées par des variables sociologiques indépendantes (âge, sexe) ou dépendantes (situation matrimoniale, nombre d’enfants, formation reçue, expériences acquises…). Les ressources déficitaires demandent une augmentation de l’ordre de 20 à 40 %. La hausse de 12 % décidée par le patronat en date du 26 janvier 2006 est loin de combler le manque4. Compte tenu de la tendance inflationniste de l’économie nationale, du paraître social5 du journaliste et de la cherté de la vie, il est tout à fait légitime et naturel pour chacun des journalistes d’aspirer à un niveau de vie meilleur. Le souci matériel inhérent à l’ascension sociale mobilise tout un imaginaire personnel. L’imaginaire nous permet d’abord de nous détacher de l’immédiat, du réel présent et perçu, sans nous enfermer dans les abstractions de la pensée6. Gaston Bachelard attribue à l’omniprésence de l’image dans la vie mentale une dignité ontologique et une créativité onirique, sources du rapport poétique au monde.

1 Actes du colloque fondateur du Centre de recherche de l’Ecole supérieure de journalisme (Lille), Les cahiers du journalisme, juin 1996, no 01. 2 La Collection Microsoft Encarta désigne le pharisaïsme par l’hypocrisie dans la pratique de la religion ou de la morale. 3 C’est un raisonnement qui masque sa fausseté sous une apparence illusoire de vérité. 4 Selon la thèse du piège malthusien ou encore de la trappe malthusienne, reprise et développée par re Daniel Bley et Gilles Boëtsch dans L’anthropologie démographique, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1 éd., 1999, la demande (les besoins) suit une progression géométrique (1, 2, 4, 16, 256…) tandis que l’offre (les moyens de subsistance) obéit à une progression arithmétique (1, 2, 3, 4, 5…). 5 Il est, entre autres, membre à part entière de la superstructure en sa qualité d’intellectuel organique, donc agent incontournable de la domination culturelle. 6 re Jean-Jacques Wunenburger, L’imaginaire, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1 éd., mai 2003, p. 63. 122

(…) en effet, le psychisme humain se caractérise par la préexistence de représentations imagées, qui sont fortement chargées d’affectivité, vont d’emblée organiser son rapport au monde extérieur1. En nous plongeant dans l’imaginaire du journaliste, il nous est impossible de faire abstraction de ces représentations imagées fortement chargées d’affectivité. Un journaliste s’identifie toujours et relativement à un responsable appartenant à une catégorie bien déterminée de la sphère du pouvoir politique. Des cinq positions proposées (ministre, député, directeur général, directeur, conseiller et chef de service), le rang méritoire du député est le plus désiré (32 %) suivi du conseiller (26 %) et du chef de service (21 %). Celui du ministre (5 %) et du directeur général (5 %) est le plus impopulaire dans de l’imaginaire du journaliste (cf. graphe XI). En effet, l’image sociale du député, eu égard à ses multiples avantages trop visibles2, suffit à susciter l’envie3 d’une frange de l’élite intellectuelle.

Graphe XI : Dans son for intérieur, un journaliste désire être à la place soit d’un député soit d’un conseiller (Sources : Enquêtes et analyses personnelles). 1 Op. cit., p. 18. 2 Véhicule 4x4 offert gratuitement, indemnité de session Ar 20 000 par jour, recharges pour téléphone mobile Ar 160 000 par mois, ticket carburants jusqu’à Ar 800 000 par mois et voyage à l’étranger. En somme, durant les sessions ordinaires, un député touche mensuellement, au minimum, Ar 2,36 millions, y compris le salaire de base Ar 800 000, hormis les gâteries telles les donations diverses (au mois de décembre 2005, tous les députés ont reçu chacun un ordinateur portable du gouvernement chinois et dont le prix unitaire dépasse largement les Ar 4 millions). Toujours durant l’année 2005, chaque député a deux fois reçu de la présidence de la République de Madagascar la somme de Ar 1 million pour l’achat de pièces de rechange (pneus du véhicule 4x4). Les conditions du journaliste laissent à désirer par rapport à celles du député. Pourtant, tous les deux se réclament du pouvoir (4e pouvoir pour le journaliste). 3 A ce propos, Jean-Paul Sartre se prononce sur la double ambivalence du regard en arguant que « le regard sur autrui suscite l’envie tandis que le regard d’autrui suscite l’ennui ». 123

Outre les privilèges matériels, un député savoure encore d’autres prérogatives telles que l’immunité parlementaire1. Elu au suffrage universel direct, pas comme le membre de la Chambre haute, un député dispose d’une marge de manœuvre beaucoup plus large. Sa liberté d’activité2 est grande en comparaison, par exemple, de celle d’un ministre, qui peut être remplacé par un autre à tout moment. La marge de manœuvre d’un député, combinée à des faveurs purement matérielles, est tant enviée par le journaliste. Telle est aussi à peu près l’idée que le journaliste se fait d’un conseiller qui n’est pas soumis à l’obligation des résultats. Personne n’est à l’abri de la fausse interprétation de l’univers. Par ailleurs, il n’est pas nécessaire d’être bardé de diplômes universitaires pour devenir député comme il n’est pas besoin d’être hautement diplômé et qualifié pour embrasser la carrière de journaliste. Député et journaliste se situent plus ou moins au même niveau d’études. L’action de l’un ou de l’autre est d’une importance vitale pour le devenir de la nation. Pourtant, le traitement est différent. L’écart reste grand bien que tous les deux soient à jamais amenés à se côtoyer régulièrement. En conséquence, le professionnel de l’information serait contrait de s’inventer des créneaux supplémentaires et providentiels pour essayer de compresser la différence quantitative. L’imaginaire ne satisfait pas seulement les besoins de la sensibilité et de la pensée, mais trouve aussi à se réaliser dans des actions en leur donnant des fondements, des motifs, des fins et en dotant l’agent d’un dynamisme, d’une force, d’un enthousiasme pour en réaliser le contenu3. Tout compte fait, la propension du journaliste à s’exposer aux tentatives de felaka tire sa source de l’imaginaire entretenu par la position sociale du député. Le procès de l’imaginaire est parallèle à celui de l’imagination, qui est accusée avant tout de

1 Cf. De la fonction législative, art. 66 à 75 de la loi constitutionnelle no 98-001 du 8 avril 1998 portant révision de la Constitution de la République de Madagascar. 2 « L’activité de tout être vivant est [ainsi] composée de deux types d’activités fondamentales, l’une matérielle, l’autre immatérielle. L’activité matérielle est l’action, l’activité immatérielle, la re communication » d’après João Caraça, Science et communication, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1 éd., 1999, p. 9. Un député peut s’absenter de son poste sans qu’il soit obligé d’en fournir des motifs valables. Un député peut procéder à des critiques sans limites à l’égard des membres du gouvernement. Par contre, l’intervention du journaliste est confrontée à des restrictions et est très réglementée. 3 re Wunenburger (J.-J.), L’imaginaire, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1 éd., mai 2003, p. 74. 124 travestir la vérité en se mettant au service d’une subjectivité passive 1. La falsification de la vérité médiatique est la résultante du felaka . II.2.2. Problématique des per diems La lutte contre le felaka ne prend pas encore sa forme institutionnelle bien qu’il soit partout battu en brèche. Néanmoins, la mise en place du système per diems et des indemnités tend à en limiter l’étendue. II.2.2.1. Les articles 3 et 7 du Code de déontologie 2 De nature formaliste, les per diems et les indemnités prennent l’allure d’un aspect nouveau de l’aveuglement médiatique et prêtent ainsi à confusion du point de vue fonctionnaliste. Leur institution est aux antipodes de la disposition de l’article 7 du Code de déontologie du 21 mai 2001 qui revendique que le journaliste a le devoir moral de refuser tout avantage en numéraire ou en nature quelles qu’en soient la valeur et la provenance pour services rendus ou attendus . L’énoncé est assez clair pour être décrypté. Accepter les per diems et les indemnités , c’est donc approuver et valoriser les contraintes vicieuses. Quelquefois, leur paiement s’accompagne de petites recommandations du type : « Nous aimerions que vous produisiez de bons articles sur les activités de nos entreprises ». Il y a donc là une volonté manifeste de faire taire l’aptitude à la critique. Or, l’article 3 du Code de déontologie stipule que le journaliste a le droit moral de défendre, en tout lieu et toute circonstance, la liberté qu’il a d’informer, de commenter et de critiquer, en tenant le scrupule et le souci de la justice comme règle première dans la publication honnête de ses informations . Dans la deuxième partie de son livre Les Nouveaux Chiens de garde , Serge Halimi attire l’attention sur la prudence devant l’argent . Une mise en garde contre la domination des médias par un nombre restreint de grands groupes industriels et financiers a été formulée. Malgré tout, le paiement des per diems et indemnités devient actuellement une pratique généralisée. Il est même institutionnalisé et est de plus en plus fortement ancré dans les mœurs et les habitudes collectives.

1 Op. cit. , p. 79. 2 Parfois, il s’appelle code d’éthique , ou code d’honneur ou encore code de conduite – ou encore charte des journalistes , règles de bonne conduite ou déclaration de principes . « La déontologie repose en effet sur des valeurs universelles, tel le refus de la haine, de la violence, du mépris de l’homme (fascisme) ou de certains hommes (racisme). (…) elle ne s’accorde pas avec extrémismes, totalitarismes ou fondamentalismes », Claude-Jean Bertrand, La déontologie des médias , Paris, PUF , coll. « Que sais-je ? », 1re éd., août 1997, p. 38.

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Dans la soirée de lundi 27 février 2006, les opérations de dépistage VIH /SIDA du couple présidentiel et de son entourage se déroulent sous le regard attentif d’une trentaine de journalistes. A l’issue de la séance, ceux-ci se sont vus chacun verser la somme de Ar 100 000 sur ordre du président de la République lui-même. Une petite prescription déguisée derrière une plaisanterie s’accompagnent de ce geste : Traitez bien cette information !1 C’est cela le journalisme de connivence, de révérence et de marché, et dont le pouvoir est conforté par la loi du silence, mis à plat par Serge Halimi dans son essai. Des fois, le journalisme à Madagascar ressemble fort à l’idolâtrie. Les esprits lucides ont ainsi du mal à coopérer avec les médias malgaches. Le corps diplomatique – en l’occurrence l’ambassade américaine, la délégation de la Commission européenne et la direction des Opérations de la Banque mondiale – semble contraint à avaliser les pratiques contraires à l’éthique de conviction et à la déontologie. La lecture du Code of Ethics (1996) de la Society of Professional Journalists nous signale combien les Etats-Unis, et, par extension, la communauté internationale, sont intransigeants en matière de liberté de presse. II.2.2.2. Jeu de scène médiatique Les règles du jeu sont peut-être différentes pour les pays pauvres tels que le nôtre. Autrement, il y aurait des complicités qui se trament en haut lieu. En contrepartie d’énormes dépenses engagées pour l’information 2, les instances internationales attendent l’engagement solennel de l’Etat vis-à-vis de la population quant au bon usage de ressources qu’elles lui attribuent au nom de la bonne gouvernance.

Prenons l’exemple de la construction routière ( RN 44 Nord et Sud plus la RN 2). Le projet se subdivise en trois lots indivisibles. Le premier lot concerne la remise à niveau d’une partie de la RN 44 Nord (Ambatondrazaka-Vohitraivo, 70 km). Le deuxième lot est relatif aux travaux de bitumage du reste de la RN 44 Sud (Marovoay Moramanga- Vohidiala Ambatondrazaka, 113 km). Quant au troisième lot, les travaux portent sur l’entretien périodique de la route nationale no 2 à partir du rond-point d’Ampasapito jusqu’à l’entrée ouest du pont de

1 Le lendemain matin, le président de la République recevra la visite d’adieu de l’ambassadrice d’Egypte Azza Abd El Fatah Nassar. Comble de l’histoire, une foule importante de journalistes est venue au palais d’Ambohitsorohitra dans l’espoir de voir la louable attitude présidentielle de la veille se renouveler. Mais rien ne se produira ce jour. Alors, des journalistes seront rentrés bredouille. 2 Lors du passage de James Wolfensohn à Madagascar du 12 au 15 octobre 2005, la Banque mondiale affrète deux hélicoptères et un boeing 747 de la compagnie Air Madagascar pour ses déplacements à Mananara (Manjakandriana), dans l’Alaotra, à Andasibe (Moramanga) et à Toamasina. Une trentaine de journalistes ont été sollicités pour en assurer la couverture médiatique, et cela, moyennant la somme de 

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Brickaville (245,8 km)1. Pour ces différents marchés, attribués à la société de nationalité malaise Hu Hup Construction Company Bernhard en juillet 2004, la Banque mondiale débourse quelque 40 millions de dollars. Aux termes du contrat signé le 27 septembre 2004, la fin du chantier sera prévue en juin 2007. Rien de vraiment concret n’est réalisé jusqu’au moment où l’on parle. Néanmoins, il s’agit d’axe routier le plus important qui dessert le premier grenier à riz du pays. Retenons qu’entre mai et décembre 2004, l’ancienne vice-primature chargée des Travaux publics et des Transports, alors gestionnaire des ressources injectées par la Banque mondiale, a beau mobiliser un les journalistes indemnisés pour la médiatisation du bon déroulement du processus de passation de marché2. Il se passe beaucoup de circonstances depuis la toute première médiatisation de ce projet routier en mai 2004 sans que les journalistes sollicités au début du processus puissent en apporter des explications irréfutables. Citons-en les plus marquantes ! Le président de la Banque mondiale en exercice, James Wolfensohn3, alors à quelques mois de son départ pour la retraite, visite le pays les 12-15 octobre 2005. Dans la matinée du 13 octobre 2005, il survole en hélicoptère la nationale 44 Sud (Moramanga- Vohidiala) pour en constater de visu l’état. Le 17 mars 2005, le vice-Premier ministre, Zaza Ramandimbiarison4 est démis de ses fonctions. Le 19 septembre 2005, le Premier ministre Jacques Sylla et le nouveau ministre des Travaux publics et des Transports Roland Randriamampionona adressent un avertissement solennel à l’intention de l’entreprise Hu Hup Construction Company

1 Le tronçon pont Brickaville-entrée du port de Toamasina constitue un lot à part. Le financement de son e entretien périodique est tiré des ressources du 8 fonds européen de développement (FED, 1995-2000), l’équivalent de Ar 27,12 milliards. Le marché sera attribué à l’entreprise française COLAS qui dispose de 20 mois à compter du 29 janvier 2004 pour le terminer. NB : Les ressources du premier FED ont été mises en œuvre entre 1959 et 1960. 2 Ce processus va du lancement de l’appel d’offres international à l’adjudication du marché. En effet, la notification publique par voie de presse concerne le grand projet routier jamais entrepris à Madagascar, le deuxième de par son envergure après la réhabilitation totale de la RN6 (Mahambo Ambanja-Boriziny Vaovao, l’ancienne ville de Port-Bergé), a lieu en mai 2004. Elle est suivie d’une visite des lieux organisée du 11 au 12 juin 2004 et de l’ouverture des offres (techniques et financières) un mois plus tard. L’adjudication du marché (signature du contrat) a lieu le 27 septembre 2004. En théorie, la signature marque le début effectif des travaux pour lesquels une entreprise a soumissionné. Suite à la rencontre entre la vice-primature et la société adjudicataire du marché ayant lieu le 16 novembre 2004, la date du 15 décembre 2004 est fixée comme le début du chantier. 3 Né le 1er décembre 1933 à Sydney, pilote de chasse à l’armée australienne, banquier et homme d’affaires diplômé de Harvard, naturalisé américain en 1980, James Wolfensohn est le 9e président de la Banque mondiale depuis sa création en décembre 1945. Il a occupé ces fonctions entre 1er juin 1995 et 30 mai 2005. Wolfensohn est allé dans plus de 100 pays pour mieux se rendre compte des défis auxquels est confrontée la Banque mondiale. 4 Il est aussi consultant à part entière de la Banque mondiale. 127

Bernhard à cause du retard cumulé dans l’exécution du projet. La thèse de l’existence d’une corrélation évidente entre les atrocités mystérieuses 1 survenues à Antsakaviro , le projet routier RN 44 Nord/Sud et la plantation des kiwis dans la sous région Mananara 2 va bon train. Finalement, l’entreprise adjudicataire est dessaisie des travaux de construction de la route après treize mois de retard cumulé dans l’exécution des tâches. Hu Hup Construction Company Bernhard doit encore restituer à l’Etat malgache un montant de Ar 6,6 milliards. Toutes ces circonstances tiennent lieu de jeu de scène médiatique 3. Ce qu’il faut tirer de tout cela, c’est de démontrer combien les diverses instances (la superstructure) se servent des médias et de la presse appâtés par les per diems et indemnités pour enthousiasmer la population (l’infrastructure) avec des vérités de façade, le bidonnage . Tant d’ambiguïtés, qui s’interpénètrent et s’interagissent aux dépens du devenir de l’ensemble de la société, se produisent et continuent de se reproduire 4. Et la presse n’aura pas l’aptitude à pénétrer les profondeurs des actualités

1 Il s’agit du meurtre sauvage dont sont victimes Maryse Ratsimiah et sa fille Mickaelle Rakoto Andriantsilavo (corps sauvagement mutilés et enfouis dans des sacs puis jetés dans les égouts publics). Pour la deuxième fois, la construction de la RN 44 aurait occasionné des atrocités. Le premier cas concerne le coopérant suisse Walter Arnold retrouvé mort par strangulation le 17 juillet 1996 à Ambatonakanga. L’affaire ne sera jamais démystifiée. L’ingénieur, 52 ans, est le chef de projet de la direction du Développement et de la Coopération ( DDC ). Celle-ci suit avec attention le développement des conditions- cadres politiques, sociales et économiques du pays. Les projets routiers (environ un cinquième du budget de la DDC à Madagascar) sont arrêtés par une décision prise le 24 janvier 1997 par le Conseil fédéral. 2 La sous-région Mananara couvre les zones traversées par le fleuve du même nom dans les districts de Manjakandriana et d’Anjozorobe. Elle fait alors partie de la région d’Analamanga. Le projet plantation des kiwis , date de l’époque du général Ferdinand Razakarimanana du temps où il a géré le portefeuille de la présidence de la délégation spéciale de la province autonome d’Antananarivo (2002-2005). Avec l’avènement des régions en juin 2004 – aux termes de la loi n o 2004-001 du 17 juin 2004 relative aux régions –, le management du projet est transférée aux autorités régionales d’Analamanga dont le nouveau chef n’est autre qu’un ancien cadre supérieur placé sous la férule du général à Ambohidahy, le siège de la présidence de la province autonome. [Pour la petite digression, le général Ferdinand Razakarimanana commence à se manifester à peine trois mois après la nomination du nouveau chef de région Manganirina Pierre Randrianarisoa le 13 mars 2005. Après son limogeage à Ambohidahy, sa toute première réapparition sur la scène politique date des assises nationales de l’opposition à Andoharanofotsy les 2-4 juin 2005. Au départ, ses initiatives dans le cadre d’une invraisemblable alliance avec la plateforme de l’opposition sont financées par le chef de région Analamanga, d’après les révélations du premier directeur régional de développement ( DDR ) démissionnaire, Herinindrainy Randimbivololona.]. Le projet plantation des kiwis a connu un couac financier alors qu’il serait sur le point d’être remis entre les mains d’entreprise d’origine asiatique, adjudicataire du marché RN 44, à titre de cadeau . Le kiwi est un petit fruit oblong d’un arbuste d’origine asiatique, à la peau brune et velue et a la chair verte. 3 Aucune de ces actions n’a échappé aux journalistes qui ont été mobilisés par l’ancienne vice-primature et son successeur. L’on a toutefois fait taire la voix concernant le projet kiwis. 4 Nous pouvons encore nous référer au programme Appui aux communes et organisations rurales pour le développement du Sud (ACORDS ), financé par l’Union européenne à hauteur de 60 millions d’euros sur une période de cinq ans (2004-2009) pour les neuf régions des provinces autonomes de Fianarantsoa et de Toliara (Atsimo Atsinanana, Amoron’i Mania, Ihorombe, Matsiatra Ambony, Vatovavy-Fitovinany, Androy, Anosy, Atsimo Andrefana et Menabe). Son lancement officiel date du 17 juillet 2004 à Mananjary. Nous pouvons également prendre en considération le financement Millenium Challenge 

128 en cours, souvent sous-tendues par d’autres. Après une montagne, il y a toujours une montagne. Souvent, le journaliste, l’unique instrument capable de dire la vérité 1, se trouve bloqué face à des desseins ensorceleurs à l’œuvre. Il peut arriver que le journaliste malgache se fasse otage lui-même par ses propres sources d’information. A l’étranger, les per diems et indemnités ou autres avantages en numéraire n’entraînent forcément pas l’abstention aux critiques. Mais lorsque le journaliste est mise en face d’un culte excessif du secret de l’information et d’un système bureaucratique hermétique, une alternative peut se présenter à lui : soit il se contente de ce qui lui est livré en vrac même s’il s’agit d’informations qui ne tiennent pas la route, soit il recourt presto illico à d’autres sources qui peuvent être de fins manipulateurs 2. A ce propos, Philippe Gaillard met en garde contre les quatre principaux pièges qui menacent la profession : la subjectivité, la suffisance, la sujétion et la superficialité 3. II.2.2.3. Portée du jeu de scène médiatique La portée du jeu de scène médiatique peut aller très loin. L’examen du fonctionnement du service Communication et Information de la Délégation de la Commission européenne abritée par la Tour Zital, zone immobilière Taloumis, Ankorondrano nous renseigne sur ce point 4. D’habitude, les représentants de bailleurs se taisent ou pèsent sur chaque mot en présence de journalistes pour éviter la

Account (MCA ) au nom duquel le gouvernement américain nous offre la somme non remboursable de 110 millions de dollars et pour lequel l’ancien président-directeur général, Paul Appelgarth, de la Millenium Challenge Corporation (MCC ), la société gestionnaire du fonds MCA , a séjourné chez nous les 20-24 novembre 2004. Concernant le programme ACORDS , des bruits rapportent dès le début 2005 qu’un détournement à grande échelle soit commis. L’on soupçonne aussi le même scénario pour le financement américain MCA . 1 Le propos est de Stéphane Jacob, directeur de rédaction de Midi Madagasikara , au cours d’une conférence-débat organisée à l’Alliance française d’Andavamamba en octobre 2005. Le thème alors abordé se rapporte aux fonctions des médias dans un régime démocratique. 2 Le coup de gueule infligé par le journaliste Rolly Mercia – son vrai nom est Harry Rahajason – au sénateur Ramasy Adolphe mérite d’être retenu à cet égard. « (…) L’homme n’a donc fait que gesticuler. En effet, des gens ont crié au scandale en apprenant que, tout compte fait, il a manigancé son imminente arrestation dans l’unique but d’avoir des aides financières. En ayant agi sans scrupules, il a même osé manipuler la presse dans le but d’atteindre le plus haut niveau de surenchère. Un véritable ‘fin’ politique… De toutes les façons, Ramasy Adolphe semble là en train d’atteindre le summum de ses pratiques sordides dans la mesure où, même dans les rangs de ses amis de l’opposition, l’indignation est devenue collective. Pis, ayant voulu vulgairement jouer au ‘martyr’ politique dans ce jeu de manip et d’intox, rien n’empêche la justice de faire muer ceci en une réalité », La Gazette de la Grande Ile , no 0891 du 9 février 2006, p. 4. 3 e Philippe Gaillard, Technique du journalisme , Paris, PUF , coll. « Que sais-je ? », 7 éd., 1996, p. 118. 4 Dans l’après-midi du 13 décembre 2005, Francesca Andriamampionona, Press Officer of Information au sein du même appareil diplomatique depuis 8 ans, fournit des indications précieuses que nous jugeons 

129 communément désignée incidence diplomatique en cas de lapsus. Ils sont en possession des informations stratégiques, en partie élaborées sur la base synthétique des activités médiatiques du pays. L’utilité institutionnelle de l’information est ainsi reconnue à travers la revue de presse quotidienne. La tâche est systématique en vue d’une communication permanente avec Bruxelles. Les envois journaliers sont toutefois insuffisants. Il faut encore des envois synthétiques tous les jeudis. L’ensemble des expéditions mensuelles constitue les Rapports Pays1 dont le contenu reste confidentiel pour le pays concerné. Les journaux assurent l’ossature des matériaux nécessaires à cette construction. Toutes les rubriques, notamment la politique, l’économie, la société, sont minutieusement examinées. Voilà pourquoi la représentation diplomatique manifeste une sensibilité extrême à l’égard de la presse écrite. Des recoupements sur terrain sont tout de même impératifs en cas de doute ou de révélations fracassantes. Les données recueillies sont considérées à l’état brut. Avant tout envoi définitif, elles doivent impérativement subir des opérations d’épuration en passant par une série de filtres. Au bout de la chaîne, l’ambassadeur ou le chef de la délégation de la Commission européenne en contrôle la teneur. Des suppressions ou ajouts obligatoires voire des remue-ménage purs et simples peuvent intervenir à ce niveau. Le contenu de la version finale du document dépend alors du bon vouloir et de l’humeur du chef. Si l’honnêteté, la loyauté et l’équité lui font défaut, c’est qu’il y a complicité réelle les dirigeants ou les hautes personnalités de l’Etat et lui2. Quelles que soient alors les affirmations des journaux, le sens de responsabilité du chef de la Délégation en infirme ou confirme la véracité au regard des décideurs3. L’ambassadeur importantes à ce propos. 1 Le rapport pays est un dossier confidentiel qui entre en jeu dans un processus décisionnel en faveur ou en défaveur du pays. 2 Ce n’est pas faux de dire que des ambassadeurs – leur mission dans un pays n’est que de passage – enlèvent des Rapports Pays, à transférer à Bruxelles, toutes les notes négatives rapportées par les journaux qui risquent de ternir l’image des dirigeants malgaches aux yeux de l’organe central de l’Union européenne. Sous cet angle, les publications telles que Le Quotidien du temps de Marc Ravalomanana sont investies d’une mission salvatrice car elles évitent de dire du mal du régime et se répand en louanges quant aux performances gouvernementales. 3 Sachons que la Commission européenne est le premier partenaire financier de Madagascar aux termes de l’Accord de Cotonou, considéré comme l’exemple le plus élaboré et le plus perfectionné des relations Nord-Sud. Le 23 juin 2000, l’Union européenne et 77 Etats d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique signent un nouvel accord de partenariat régissant leurs relations d’aide et de commerce : l’Accord de Cotonou. Il est conclu pour une durée de 20 ans avec clause de révision tous les 5 ans. Il succède à la convention de Lomé dont la cinquième version s’achève en février 2000. Du point de vue commercial, l’Accord de Cotonou engage une réforme radicale qui aura un impact considérable sur les pays ACP. Il er consiste à mettre en place, à partir du 1 janvier 2008, des Accords de partenariat économique (APE)  130 agit avec une entière liberté d’action et de décision. Il est alors, lui aussi, soumis aux tentatives de corruption. D’où la formule C = M+D-R ou corruption est égale monopole plus pouvoir discrétionnaire moins responsabilité 1. Le système de financement international possède ses propres moyens et méthodes de vérification 2. De nos jours, les maîtres du monde sont équipés de puissantes liaisons informatiques. Malgré tout, le jeu de cache-cache médiatique est à jamais difficile à suivre. Dans ce rapport chaotique, la conscience professionnelle du journaliste et l’éthique doivent orienter le mode opératoire de chaque organe de presse. II.3. Déviance déontologie et éthique Les fausses notes ou biais médiatiques sont d’origine déontologie, éthique et rarement attribuables au manque de professionnalisme. L’appréciation générale de la réalité est libre. La responsabilité du journaliste reste entière dans le cas de délits de presse. La dépénalisation tant réclamée suscitera de longs débats à l’avenir. II.3.1. Quatrième pouvoir ou auxiliaire du pouvoir ? C’est toute une question pour le modèle malgache. Le régime en place est prompt à mobiliser la presse même pour un rien qui n’en vaut tellement pas la peine. La sollicitation est élevée surtout quand il s’agit de manœuvres impliquant la présence directe des bailleurs ou de leurs représentants sur le terrain. Ce serait là une manière de jouer la transparence avec les habitants. Par ailleurs, la transparence est considérée comme un idéal démocratique. Le journaliste, pour sa part, retient bien la leçon apprise. Je reste à votre disposition au cas où vous auriez besoin de moi 3. Par effet d’entraînement, les employés de la presse loyaliste ne peuvent pas se soustraire des normes implicites établies pour jouer la machine à propagande. En d’autres mots, la presse est nécessaire pour rendre visibles les actions de l’Etat dans l’opinion générale et non pour susciter des débats réprobateurs. Il semble donc n’exister qu’une relation épistolaire entre la sphère du pouvoir et la sphère publique

entre l’Europe et les pays ACP regroupés au sein de blocs régionaux. 1 Robert Klitgaard et al., Villes corrompues , Paris, Nouveaux Horizons, 2002, p. 46. 2 Dans son approche avec les médias malgaches, la direction des opérations de la Banque mondiale pour Madagascar, Comores, Maurice et Seychelles Région Afrique, par exemple, institue « un déjeuner de presse » une seule fois par mois. Le troisième anniversaire de l’initiative est célébré le 26 janvier 2006 à Anosy. Le directeur (James Bond) profite de ces occasions de rencontre avec les journalistes pour faire le point sur les relations entre l’institution financière, qu’il représente, et le pays hôte. 3 La formule est proche de celle qui figure à la fin d’une quelconque demande d’emploi. Mais c’est ce qu’on peut lire chez un journaliste qui est toujours disposé à couvrir les moindres gesticulations des hauts dignitaires et commis de l’Etat.

131 dans une démocratie. Les médias sont relativement des jouets entre les mains de puissances politiques et économiques. Aussi Patrick Champagne a-t-il mis en garde contre le renfermement du champ politique : (…) l’idéal démocratique est sans doute moins menacé par le totalitarisme que par une sorte de démagogie médiatique savante d’autant plus dangereuse qu’elle a formellement toutes les apparences de la démocratie1. Médias et démocratie : le quatrième pouvoir en question . Ndiaga intitule ainsi son intervention lors de la conférence pour la maîtrise de communication de l’UQAM donnée le 25 septembre 2002. Exposée dans un document de 28 pages dactylographiées (bibliographie et sommaire compris), sa réflexion nous renseigne beaucoup sur le quatrième pouvoir dans la dynamique des relations de domination. La presse est le lieu de rencontre par excellence entre l’écrire et le lire , et parfois le voir et l’ écouter . Elle est un relais entre la sphère publique et la sphère du pouvoir. Elle est l’instrument de pénétration publique du milieu intime des réalités du pouvoir. Elle peut s’ériger en quatrième pouvoir dans le cas où elle remplit pleinement la mission d’informer. Pour cela, le journaliste a le devoir de respecter le lecteur, l’intérêt public et le droit de savoir. Le premier devoir de la presse est d’obtenir la compréhension la plus rapide et la plus correcte des événements de l’époque et, en les révélant instantanément, d’en faire la propriété commune de la nation, souligne Ndiaga 2. En d’autres mots, le journaliste endosse une responsabilité sociale et morale : c’est celle de révéler la véracité, c’est-à-dire ne point tromper les lecteurs. Il arriver que la presse évolue en auxiliaire du pouvoir car n’étant assortie d’aucune puissance ni d’une quelconque autorité qui serait génératrice d’obéissance 3. D’après Wolton 4, les médias doivent pousser la confrontation, la dénonciation la contestation à un niveau susceptible d’ébranler le pouvoir politique. Les exemples sont légion pour le cas malgache. Les politiciens mythomanes réussissent des fois à désorienter la presse. Un cas est révélateur en novembre 2005. Le sénateur AREMA

1 Cité par Ndiaga, docteur de l’université de Bordeaux III . 2 Médias et démocratie : le quatrième pouvoir en question , p. 13. La suite du passage mérite d’être retenue : « La presse vit de révélations. Elle fait appel à l’opinion publique, anticipe, si possible, les événements. Tandis que le devoir de l’homme d’Etat est contraire. Il retient loin du public les informations sur lesquelles il fonde son action et son opinion. Il réserve son jugement sur les événements jusqu’au dernier moment et les formule en langage obscur (…). Le devoir de l’un est de parler ; celui de l’autre est de demeurer silencieux. L’un s’explique par la discussion et l’autre par l’action ». 3 Les journalistes sont élus par qui pour prétendre être du quatrième pouvoir ? Telle est la question qui se pose souvent sur la problématique du quatrième pouvoir. 4 Dominique Wolton, Penser la communication , Paris, éd. Flammarion, 1997, cité par Loum Ndiaga.

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Adolphe Ramasy 1 révèle l’existence d’armes et munitions stockées dans six conteneurs bloqués au port de Toamasina. Les nouvelles ont échos réels dans l’opinion publique. Toutefois, le politicien lui-même ne sera pas en mesure de prouver la véracité de sa déclaration mensongère. La presse malgache elle-même ne va de ses propres révélations qu’après avoir entendu prononcer des renseignements par la bouche d’un tel politiquement, économiquement, socialement, culturellement… remarquable. Les gens de la presse préfèrent souvent hurler avec les loups sous l’effet combiné de la course aux scoops et du sensationnalisme. Le mythe libérateur de la presse se voit ainsi effondré. « A quoi servent leurs belles manières si leurs mots sont empoisonnés ? », s’interroge le chanteur Francis Cabrel dans l’un de ses opus parmi les plus en vogue 2. Le constat suivant fait l’unanimité des critiques à savoir Bourdieu, Wolton, Chomsky 3, McChesney 4, Halimi, Champagne 5, Cayrol 6, etc. Manipulé et manipulateur, telles sont à la fois la force et la faiblesse du quatrième pouvoir dans les champs social, politique et économique qui sont avant tout des espaces de domination, constate Loum Ndiaga. Mais parfois aussi, le journaliste lui-même prend l’initiative de bousculer de façon intelligente une telle ou telle personnalité pour obliger celle-ci à régler son compte avec lui 7 car ce que les autres perçoivent de nous, c’est d’abord ce qui nous échappe 8. La dépendance est imposée à la fois de l’extérieur et de l’intérieur. Elle est d’ordre structurel et psychologique. II.3.3. Une soumission : deux approches L’ordre structurel ne se manifeste que lorsqu’un voyage s’annonce utile et impératif. Sillonner un pays vaste comme le nôtre coûte cher d’autant plus qu’il est sous

1 Ses révélations datent de vendredi 27 janvier 2005 à l’hôtel Panorama ayant pignon sur rue Dr. Césaire Rabenoro, Andrainarivo Antananarivo. 2 La chanson s’intitule Le petit gars de l’album Fragile . 3 Chomsky (1928-) est un linguiste américain considéré comme le fondateur de la grammaire générative transformationnelle . 4 Né à Cleveland (Ohio), McChesney est titulaire de Ph. D. en communication de l’université de Washington en 1989. De 1988 à 1998, il travaille à la faculté de Journalisme et de communication de masse de l’université Wisconsin Madison. En 1999 et 2000, il publie Rich Media, Poor Democracy: Communication Politics in Dubious Times . 5 Sociologue français, Champagne est un compagnon, disciple même, de Bourdieu. 6 Cayrol est directeur de recherche à la Fondation nationale des sciences politiques et administrateur de l’institut de sondage populaire en France, CSA . 7 « Les médias sont nécessaires pour rendre visible leur action [l’action des hommes politiques, élus pour un temps relativement court] en même temps qu’ils dévoilent la faiblesse de leur marge de manœuvre », Ndiaga, p. 15. 8 Daniel Bougnoux, Introduction aux sciences de la communication , Paris, éd. La Découverte & Syros, 

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équipé en réseaux de communication. Aucune entreprise de presse n’a le courage d’engager des dépenses pour la couverture médiatique d’un événement en dehors ou loin de la capitale à moins d’établir préalablement les profits générés par la mission. La somme de Ar 150 000 est à peine suffisante pour assurer les frais d’une mission de trois jours en province. Le volume du montant à pourvoir est aussi fonction de moyens de locomotion utilisés (voiture, avion et éventuellement hélicoptère). Le journaliste, surtout le jeune, pour sa part, éprouve toutefois un besoin pressant de faire acte de culture en se détachant du cadre de vie tananarivien même de façon momentanée. Selon la formule de Saint Augustin (354-430), le monde est comme un livre et ceux qui ne voyagent pas n’en lisent qu’une page. Le voyage est enrichissant, épanouissant et motivant pour tout journaliste. Il s’agit de pénétrer d’autres logiques culturelles à peine connues. C’est ce que Harold Garfinkel (1922-1982) désigne par le mot ethnométhodes entendues comme procédés ordinaires et ingénieux… qu’utilisent les membres [d’un groupe], en les considérant comme connus et allant de soi, pour l’accomplissement continu des activités concertées de la vie quotidienne1. Le jeune journaliste n’a pas encore eu l’occasion de découvrir beaucoup de choses bien que la pratique de son métier lui exige une connaissance élargie des choses. Les missions en dehors de la capitale lui offrent des opportunités à saisir pour qu’il puisse se rattraper. Le travail de terrain (fieldwork) apparaît aussi comme une nécessité constitutive pour la pratique journalistique. D’après nos enquêtes, un journaliste se déplace, en moyenne, 2,5 fois par mois non pas par ses propres moyens ni par ceux de l’employeur. Les frais de son voyage sont pris en charge par l’organisme invitant. Du point de vue conception de la liberté, la formulation marxiste a ses mots à dire à ce propos. Pour elle, ce type de manœuvre ignore complètement la liberté réelle du journaliste. Sa marge d’action se trouve restreinte face aux libertés formelles2 de ceux qui ont déboursé pour ses tournées. Le patron de presse en a bien conscience en reprochant cependant à son employé d’être corrompu. Puisque l’employeur endure de nombreux aléas économiques, il ne veut en aucun cas se donner la peine de réviser sa position par coll. « Repères », nouvelle édition, 2001, p. 25. 1 Harold Garfinkel, Studies in ethnomethodology, 1967, reproduit par Michel Lallement, Histoire des idées sociologiques, t. 2, Paris, éd. Nathan 1993, p. 203. 2 « (…) les libertés occidentales sont des libertés bourgeoises, formelles parce qu’elles s’adressent uniquement à ceux qui ont les moyens de les utiliser », Jean Morange, Les libertés publiques, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 7e éd. corrigée, avril 1999, p. 32. 134 rapport au contexte. Quelque part, il a raison d’en rester là. La soumission du journaliste est des fois profondément psychologique. Le contre-pouvoir s’assoupit pour retourner contre ceux qu’il devrait servir. « Les journalistes politiques souhaitent se mettre en valeur aux yeux des hommes de pouvoir, avoir des rapports d’amitié avec eux sous prétexte d’obtenir des informations. Cela les rend courtisans. Ils ne font plus leur métier. Ils approchent le pouvoir et en sont contents parce qu’ils se sentent importants. Quand le ministre fend la foule et vient leur serrer la main, ça leur fait vraiment plaisir. Ils vont aussi en tirer de menus avantages (…) »1. Nous avons constaté cet état d’esprit du journaliste vis-à-vis des autorités aux vertus d’une observation in situ . Tout agent dispose d’un réseau de relations infiniment complexes, et, partant bien établies sur des bases solides 2, avec les hommes du pouvoir et les autres catégories dominantes. La plupart des journalistes se sentent et agissent comme des auxiliaires du pouvoir public. L’orientation médiatique pourrait nuire sérieusement au bon fonctionnement de la démocratie. L’ordre psychologique de la servilité est généralement actionné dans le cas de reportages réalisés lors des événements. Mais la transgression avérée des normes est pénalisante quand les limites de l’acceptable sont secouées. II.3.2. Transgression des normes Pour aborder cette sous-section, la référence à l’interactionnisme est utile. Selon Howard Becker 3, en effet, la déviance, en tant que transgression d’une norme sociale, n’est rien qu’une pathologie attachée en propre à un individu transgresseur . Ce n’est pas non plus le produit d’une déréglementation ou d’un dysfonctionnement du système social. C’est un jugement social, un label , une qualification , appliqué au déviant à titre de sanction, au nom des normes produites à l’initiative d’entrepreneurs de morale qui en ont le pouvoir dans la société. La déviance est la conséquence de cette application. Le Code de déontologie du 20 février 2001, dont la mise en vigueur est édictée par le décret no 74-112 du 27 mars 1974, constitue la norme de référence pour le journalisme malgache. Le texte est un ensemble de règles élaborées par les journalistes eux-mêmes. Il sert de dernier rempart pour se protéger contre l’Etat qui, en sa qualité de

1 Témoignage d’un salarié de la chaîne privée française TF 1 cité par le professeur Loum Ndiaga, p. 15. 2 Les enquêtées menées sous cet angle sont aussi révélatrices de cet état des lieux relationnels en sus des expériences strictement personnelles. 3 Docteur l’université de Chicago en 1951, le sociologue américain est surtout réputé pour sa théorie de l’étiquetage ou le label theory . Il affectionne particulièrement les phénomènes dits de déviance.

135 titulaire de la légitimité juridique, peut enclencher un ordre de poursuite judiciaire contre tout écart de conduite qui invalide les dispositions du code1. Un journaliste peut, en effet, être mis en examen pour cinq raisons. Elles sont ramenées au nombre de trois aujourd’hui2. Des journalistes continuent de comparaître devant la justice pour cause de défaillance professionnelle et de dérapage déontologique. Un magistrat ne se gène pas à blâmer publiquement l’impéritie de tous les journalistes lors du procès d’un employé du journal Taratra le 13 décembre 2005. Goffman (11 juin 1922-19 novembre 1982) s’oppose à ce genre de décri en inférant que le normal et le stigmatisé ne sont pas des personnes mais des points de vue. Seuls 25 des 600 magistrats à Madagascar connaissent les lois régissant les médias3. Il est aussi des circonstances où la presse écrite fait l’objet de dénégations moins solennelles mais quelque peu humiliantes. Le président de la République agit dans ce sens le 13 octobre 2005. En effet, il met l’accent sur la dénaturation du point de vue de la Banque mondiale machinée par la presse écrite. Simultanément, il va proposer une mini formation qui aura lieu le lendemain dans la ville de Mahajanga et sera assurée par le canadien Jacques Wilkings, expert en communication, de passage au pays les 9-15 octobre 2005. Profitant de l’inauguration 4 de la RN5A (Sambava-Antalaha, 89 km) nouvellement bitumée , le chef de la Délégation de la Commission européenne, Jean-Claude Boidin, met en lumière certaines révélations médiatiques qui s’écartent du réel concernant la position du FMI par rapport à la situation de Madagascar5. La Commission européenne consacre un budget annuel de 20 000 euros par an pour les médias malgaches. Le volet formation en est exclu. Par ailleurs, elle n’intervient dans ce sens que pour des motifs très spécifiques. C’est le cas, par exemple, d’un pays qui vient de subir des dégâts importants où les médias doivent participer de

1 D’après nos enquêtes, tous les journalistes sont en parfaite connaissance du code de déontologie. Huit journalistes sur dix l’ont déjà lu. Mais personne n’en tient compte des recommandations et orientations. 2 Voici les cinq raisons : violation du secret de la défense nationale, violation du secret économique stratégique, atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat, violation des droits de l’enfant et de l’adolescent et violation de l’instruction judiciaire. La violation du secret de l’Etat, de la défense nationale et de l’instruction judiciaire est retenue comme étant un acte délictuel, donc durement répréhensible outre les infractions pénales habituelles comme la diffamation publique, l’atteinte à la vie privée... 3 Trois rencontres sont organisées en décembre 2005 pour faire la lumière sur cet aspect : le séminaire Justice et Médias les 5-8 décembre à l’hôtel Colbert Antaninarenina, la réunion des patrons et responsables des médias le 15 décembre au CITE Ambatonakanga et l’assemblée générale extraordinaire de l’OJM au siège de la Bibliothèque nationale d’Anosy le 17 décembre 2005. 4 Une pléiade de dignitaires assiste à la cérémonie organisée dans la journée du 3 novembre 2005. 5 Il a été alors question d’une éventuelle suspension des aides financières imposées par le patron du  136 manière active au processus de reconstruction1. Les interventions, tant nationales qu’étrangères, témoignent de la permanence de la transgression des normes et de la nécessité d’un aménagement de l’espace médiatique. Le Code de la communication serait l’instrument idéal pour ce faire. Mais il n’en serait rien. Ledit code ne sera jamais une baguette magique qui fera disparaître d’un seul coup les maux qui ruinent l’image du journalisme à Madagascar. La publication du Code de la communication n’est pas une garantie pour que les pratiques s’améliorent. Il resterait une simple déclaration formelle sans effectivité réelle. Un code est un code parmi tant d’autres. Par exemple, le Code de la route n’empêche jamais que l’excès de vitesse ne tue personne sur la route. De même, le Code du travail ne pourrait jamais prévenir les abus et injustices commis par les employeurs. La promulgation tarde à être effective en dépit des efforts déployés dans ce sens. Le code doit sortir avec celui des télécommunications. Pourtant, celui-ci est déjà publié. Conclusion partielle L’analyse d’effets de champ et des effets de structure est indissociable d’une démarche diachronique et synchronique. Les Français contribuent directement à la mise en place du système de formation professionnelle en journalisme et à son développement depuis le retour de l’indépendance. L’audiovisuel est privilégié au départ (1965). La France finit par céder le pas face à l’arrivée d’autres pays année après année. Les médias en Afrique sont à l’heure actuelle en train de construire un vivre ensemble historique soutenu par les Etats-Unis. Le journalisme malgache est toujours en proie à des contraintes vicieuses à savoir l’emprise du felaka et la formalisation des per diems et indemnités qui prennent l’allure de corruption et sont aux antipodes du Code de déontologie élaboré et adopté au cours de l’assemblée générale de l’OJM du 20 février 2001. La pratique ne prouve pas jusqu’à maintenant sa capacité de neutraliser les sources d’assujettissement. La servilité est des fois d’ordre purement psychologique, donc individuelle. Elle peut s’expliquer par le rajeunissement et la féminisation substantielle de la profession. Le journaliste s’expose toujours aux afflictions d’un dénigrement collectif. Un

système de financement international, le FMI. 1 Au sortir du conflit de 1991-1995, la République fédérale socialiste de Yougoslavie éclate. L’Accord de Dayton en novembre 1995 met fin aux hostilités qui ont causé la mort de quelque 100 000 personnes et ont provoqué d’importants dégâts. L’avenir du pays est mis en jeu. La communauté internationale se mobilise alors pour aider le pays à se redresser. L’Union européenne a ciblé, entre autres, le renforcement de capacité des médias dont le rôle démocratisant ne sera pas du tout facile dans un pays où dominent  137 tant soit peu manque de professionnalisme se double de la déviance entendue comme transgression de la norme. Celle-ci demande à être révisée aujourd’hui. Le champ des médias à Madagascar a besoin d’être réaménagé pour de bon afin de garantir la liberté d’expression dans une démocratie trébuchante. Nous avons vu dans le chapitre précédent (Géométrie de l’instrumentation : étude d’un cas récent) la manifestation actualisée sinon l’enracinement d’instrumentation de la presse et présentement (Effets de champ et effets de structure) les logiques à l’origine de ce phénomène. Examinons dans le chapitre suivant le décodage social de l’instrumentation de la presse !

CHAPITRE III : MILIEU URBAIN : LA SENSIBILITE SOCIALE

La presse écrite est appelée à progresser dans un contexte de limites. En dépit de la sacro-sainte mission de diffuser l’information, sa marge de manœuvre reste toujours réduite. Une dizaine de titres quotidiens n’est pas grand-chose pour quelque 17 millions d’habitants. Le taux de pénétration nationale est faible d’autant plus qu’il paraît irréaliste d’aller vendre des journaux en dehors des zones régulièrement desservies et des milieux urbains. Laboratoire social vivant, l’espace urbain constitue un milieu par excellence pour toute analyse d’expérience sociale en matière de presse. Il importe de faire la connaissance, même sommairement, du cadre tananarivien avant de passer à ses réactions. Les citadins ne sont pas insensibles à la dictature douce exercée par la presse sur eux. Ils émettent à leur tour des réserves sur la presse malgache. Quant à Neveu, il met l’accent sur une grande constance de la crise de légitimité qui accompagne les évolutions de la pratique journalistique1. C’est donc là une légitimité contestée. III.1. Description de l’échantillon Pour l’intérêt de ce troisième et dernier chapitre de la deuxième partie de l’exposé, nous avons procédé à des enquêtes auprès de 120 citoyens (âgés entre 16 et 72 ans) croisés dans les rues tananariviennes. Il s’agit alors d’un échantillonnage à la fois aléatoire ou au hasard et stratifié. III.1.1. De la base mathématique et de l’anthropologie urbaine L’échantillonnage au hasard se définit par la constitution d’un échantillon tel que

l’imbrication des différents groupes ethniques et les querelles historiques s’y rapportant. 1 Erik Neveu, Sociologie du journalisme, Paris, éd. La Découverte, coll. « Repères », 2004, p. 100. 138 chaque élément de l’ensemble parent ait la même probabilité d’apparaître dans l’échantillon1. Le recours à ce procédé est nécessaire dans le cas d’ensemble parent trop important à condition que la représentativité du sous-ensemble ainsi constitué par rapport à la population mère repose sur une validité mathématique incontestable. Le recours à la table des nombres aléatoires comme base mathématique, par exemple, confirme la légitimité scientifique de l’échantillon. Le souci rattaché à une telle méthode est d’éviter l’erreur systématique ou le biais. Néanmoins, les enquêtes effectuées ignorent complètement toutes ces recommandations à cause des incommodités logistiques. Les quelque 120 individus interrogés ne représentent alors qu’une goutte d’eau dans l’océan par rapport à la population effective de la capitale, estimée entre 1,5 et 2 millions d’âmes répartis dans 192 fokontany2. En aucun cas, l’échantillon à étudier n’inspire la certitude mathématique. Ceci suscite un autre argumentaire fondé sur l’échantillonnage stratifié. C’est une technique qui met l’accent sur la répartition en strates, c’est-à-dire en sous-groupes à l’intérieur desquels la population est homogène vis-à-vis de la variable considérée3. La stratification est exigeante du point de vue proportion suivant l’importance relative de chaque strate considérée. Les conditions requises ne sont pas non plus remplies. Les circonstances des enquêtes ont été loin de favoriser la construction d’un échantillonnage stratifié proportionnel. Pour suppléer à l’absence de validité mathématique, force a été de se fier à un mode opératoire mettant en exergue l’intervention de l’anthropologie urbaine4. Ce paradigme consiste à « personnaliser le citadin en soulignant que la vie urbaine se vit dans une certaine promiscuité et en affirmant que la culture urbaine est dominante »5. Soumis à des stimulations diverses et excessives, le milieu urbain est l’espace public où la violence symbolique, sous toutes ses formes, est des plus perceptibles. Une

1 Joseph Sumpf et Michel Hugues, Dictionnaire de sociologie, Paris, Librairie Larousse, 1973, p. 95. 2 Le fokontany est la plus petite unité administrative de la République de Madagascar aux termes de la Constitution révisée du 4 avril 2007. Il en existe 17 433 en 2007. 3 Op. cit. p. 96. 4 Pour mieux comprendre ce nouveau paradigme, le site Internet http://www.reynier.com/Index.htm propose de plus amples détails sur l’initiative d’Anne Raulin, professeur à l’université de Paris X Nanterre, département de Sociologie, titulaire de Ph.D. en anthropologie de New School for Social Research, New York, 1984. L’anthropologie urbaine doit sa naissance à l’Ecole de Chicago et aux nombreux sociologues qui portent des réflexions scientifiques sur la ville. L’anthropologie urbaine intéresse en particulier l’urbanisme. Anthropologie urbaine, Paris, Armand Colin, coll. Cursus- Sociologie, 2001, est l’une des principales publications d’Anne Raulin. 5 Louis Wirth (1897-1952), Le phénomène urbain comme mode de vie, un article publié en 1938 à partir de la thèse consacrée au ghetto juif de Chicago (1925). 139 ville se trouve aussi dans l’incapacité de rompre avec sa ruralité. Les disparités socioéconomiques, le contact des idéologies et des cultures imposent aux individus la distance des uns vis-à-vis des autres 1. La montée de l’individualisme permet une prise de conscience plus ou moins vive par rapport au cadre de la vie citadine. Chaque individu est censé avoir des jugements de valeur sur tout ce qui se produit dans la ville. (…) tantôt les réponses individuelles paraissent indépendantes les unes des autres, tantôt elles convergent massivement sur une position pour ou contre 2. La réalité de la vie quotidienne met au grand jour la permanence de la lutte entre le subjectivisme et l’objectivisme. La pratique de la civilité et l’expérience de l’autre se réfèrent au rôle joué par le langage décrit par Bourdieu : « La plupart des mots que nous avons pour parler du monde social oscillent entre l’injure et l’euphémisme. Dans la pratique quotidienne, la lutte entre l’objectivisme et le subjectivisme est permanente. Chacun cherche à imposer sa représentation subjective de soi-même comme représentation objective » 3. A terme, la dualité ainsi dégagée permettra de dégager une validité scientifique en tenant compte d’un certain nombre de représentations subjectives de soi-même comme représentations objectives 4, et ce, en faisant abstraction de bases mathématiques de l’échantillon retenu. Les enquêtes ont été menées dans les quartiers d’Ankatso, Ambohipo, Analakely, Antaninarenina, Antanimena, Anosy Ankorondrano, Tanjombato et Anosibe. Le choix de chacune de ces différentes subdivisions urbaines est motivé par leur fonction représentative 5 dans le cadre du way of life (mode de vie) tananarivien. Signalons toutefois que les gens consultés ne sont forcément pas des habitants d’Antananarivo. Les enquêtes se déroulent du 30 novembre au 4 décembre 2005. Cette période est une particulièrement exaltante à cause de la proximité des fêtes de la fin d’année. Elle

1 La psychologie sociale a aussi réalisé des progrès louables en matière d’opinion publique : « La nature de l’opinion publique reste très complexe ; car elle touche, d’une part, à un système de croyances fortement enracinées et cristallisées au niveau tant collectif qu’individuel ; d’autre part, à des processus événementiels affectés d’une forte contingence, correspondant à ce qu’on appelle l’‘actualité’ » ou les e ‘nouvelles’ », Jean Maisonneuve, La psychologie sociale , Paris, PUF , coll. « Que sais-je ? », 20 éd. corrigée, avril 2002, p. 97. 2 Op. cit. , p. 101. 3 Bourdieu, Questions de sociologie , Paris, éd. Minuit, 1981, d’après la fiche réalisée en 1999 par Maryline Cheviet pour le compte du site http://iufm.univ-fcomte.fr . 4 Bourdieu parle de sommation purement additive d’opinions individuelles . 5 Ankatso et Ambohipo représentent et le milieu universitaire et l’hétérogénéité urbaine. Analakely, Antaninarenina, Antanimena et Anosy peuvent tenir lieu d’un environnement politico-administratif, commercial, culturel, scolaire... Ankorondrano et Tanjombato, de par leur implantation géographique, sont autant d’importants quartiers industriels. Anosibe, en particulier, est représentatif du milieu populaire et aussi du trait d’union entre la ville et la campagne. Les espaces à caractère socioculturel ne sont pas 

140 est aussi caractérisée par une intense activité politique du pays matérialisée par les attaques et les contre-attaques que se lancent constamment le régime et l’opposition. De plus, la seconde session parlementaire de l’année 2005 est plus ou moins houleuse. Le questionnaire QUESTIONNAIRE GRAND PUBLIC (III ) correspondant à ces enquêtes sera annexé à ce mémoire. III.1.2. Quatre classes d’âges Les prestations de la presse sont classées parmi les services publics traditionnels. L’usage même du mot public suppose l’existence d’un lien constant entre la vie de la cité et les journaux. Le nœud entre la presse et la société a des formes variées. Vendre les journaux, regarder les journaux en vente, acheter les journaux, lire les articles, commenter les articles, faire lire un ou des journal(aux)… en font partie. Le rapport dialectique presse/société implique de la sorte une suite de rituels qui demandent à être renouvelés et entretenus régulièrement. Il en résulte la fragilité du lien entre les deux entités. Le divorce peut se décréter dès l’acte de regarder les journaux en vente. L’attitude du lecteur, qui refuse d’acheter un titre médiocre, peu reluisant, répond au caractère inévitable d’une telle éventualité. Il arrive aussi que la déception se produise après plusieurs étapes. Un lecteur sacrifie une partie de ses avoirs personnels à l’achat de journaux. Il s’arrange pour parcourir le ou les article(s) qui lui semble(nt) intéressant(s). Mais ce n’est qu’après tous ces investissements qu’il se rend compte du caractère décevant de l’objet pour lequel il débourse. La notion d’attente est revêtue d’un aspect essentiel dans le rapport presse/société et est souvent accompagnée de diverses sanctions. Apporter un jugement de valeur sur la presse requiert un certain degré de maturité de la part de l’individu. L’expression des a prioris ne doit donc pas en aucune façon être une affaire exclusive d’une ou de deux tranches d’âges. Tout le monde est supposé être en instance de procès contre la presse. En effet, l’échantillon est construit à partir d’un public fort composite selon les variables sociologiques indépendantes (sexe et âge) et dépendantes (niveau d’études et situation matrimoniale). Les 120 personnes interrogées se trouvent dans un intervalle d’âges de 16 à 72 ans. De façon pratique, elles représentent 120 ménages dont 20 % sont basés en dehors du grand centre urbain. Avec la moyenne de 4,9 individus par ménage, ces unités socioéconomiques comprennent 588 citoyens dont 79 (13,43 %) sont des enfants âgés bien explicités sans pour autant que le déroulement des enquêtes ait écarté les religieux, les artistes…

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de moins de 12 ans 1. Nous sommes alors en présence d’un échantillon réel (120 personnes) et d’un échantillon virtuel (468 personnes dont 79 enfants âgés de moins de 12 ans). Nous jugeons utile de mentionner ces détails car les interlocuteurs se déclarent tous lecteurs fidèles et occasionnels de journaux, respectivement à 65 % et 35 % des cas. La tendance est la même pour les membres de la famille. Mais il est tout de même prohibé d’aligner systématiquement les opinions des éléments constitutifs de l’échantillon réel sur celles de l’échantillon virtuel. Les observations faites sur les enfants âgés de moins de 12 ans ont des portées psychologiques non négligeables comme le sont les quatre classes d’âges explicitées par le tableau suivant.

Catégories d’âges [16, 22 ans[ [22, 45 ans[ [45, 60 ans[ +60 ans Totaux Ages 10 85 22 03 120

M 02 38 15 03 120

Sexe Sexe F 08 42 10 02

CEPE 00 00 01 00

BEPC 06 16 01 00

BAC 04 34 04 01 Licence 00 21 04 00 120 Maîtrise 00 12 11 01 Niveau d’études DEA /DESS 00 00 00 00

Ingén./Doct./Ph.D 00 02 01 01 Célibataires 09 35 01 00 Situation Marié(e)s 01 47 18 01 120 matrimoniale Autres 00 03 03 02

Tableau VIII : Répartition des personnes interrogées selon les variables sociologiques indépendantes et dépendantes et selon aussi les quatre classes d’âges proposées (Sources : Enquêtes et analyses personnelles).

III.1.3. L’échantillon : dimensions psychologiques D’après le tableau ci-dessus, quatre classes d’âges sont retenues : (i) moins de 22 ans ou [16, 22 ans[, (ii) [22, 45 ans[, (iii) [45, 60 ans[ et (iv) plus de 60 ans ou [60, 72 ans[. Les connaissances développées par Jean Piaget sur la psychologie génétique sont

1 C’est mentionné dans le questionnaire. Les enquêtés y ont répondu favorablement.

142 utiles pour l’analyse de ces quatre catégories d’âges1. L’optique piagétienne nous renseigne alors sur les différents stades traversés par le développement de l’intelligence humaine depuis la naissance jusqu’à la vieillesse. Dans le cadre de ce travail, nous nous intéressons plus particulièrement à l’âge de 12 ans révolus. Selon Jean Piaget, l’enfant acquiert une pensée opérationnelle formelle qui lui permet de développer des hypothèses et de déduire de nouveaux concepts impliquant une logique déductive vers cet âge. A notre tour, nous supposons qu’un natif citadin âgé de plus de 12 ans soit capable de formuler des conceptions acceptables sur la presse. Tout compte fait, le benjamin des interrogés est âgé de 16 ans. La compartimentation de la tranche d’âges [16, 72 ans[ est aussi telle que nous nous référons toujours aux travaux de Jean Piaget. D’après ce psychologue suisse, les différents aspects du développement affectif et intellectuel de l’individu doivent être analysés avec les phénomènes liés à la croissance physique et aux modifications émotionnelles, psychologiques et sociales qui les accompagnent. Quelle en sera l’application avec les quatre classes d’âges citées plus haut ? La classe de [16, 22 ans[ correspond à l’adolescence. Elle débute en général vers quatorze ans chez les garçons et douze ans chez les filles. C’est le stade précédant l’âge adulte. C’est un moment de crise et d’incertitudes existentielles car ce bientôt sera l’indépendance vis-à-vis des parents. Il s’agira donc d’un être socialement et entièrement responsable. La précocité de la maturité intellectuelle ne garantit pas la stabilité de la future activité professionnelle2. La classe de [22, 45 ans[ : Généralement, la plénitude de la vie d’adulte est irréversible à ce stade de développement humain. Les soucis majeurs s’articulent autour de la carrière, de la famille, de la scolarisation des enfants, des relations sociales… Pour le modèle malgache, les incertitudes existentielles vécues durant l’adolescence se trouvent renforcées par les incertitudes exacerbées par les permanentes tracasseries économiques et politiques. La stabilité des aptitudes intellectuelles reste quand même un des atouts majeurs de la tranche d’âges [22, 45 ans[. C’est, en définitive, une période d’une pleine activité physique et intellectuelle. La classe de [45, 60 ans[ : D’une part, les préoccupations majeures de la classe de

1 Piaget (1896-1980) est un psychologue suisse connu par ses travaux novateurs sur le développement de l’intelligence chez l’enfant. Il s’est consacré essentiellement à la psychologie du développement, appelé aussi psychologie génétique, à la psychologie de l’enfant et à la théorie de la connaissance. 2 Aujourd’hui, on peut être titulaire des diplômes universitaires malgré son jeune âge. Cela ne veut pas  143

[22, 45 ans[ s’y trouvent prolongées. Il en est de même de la stabilité des aptitudes intellectuelles. Mais le doute existentiel prend une autre dimension à l’idée de voir les enfants s’envoler, à leur tour, pour leur propre vie d’adulte. C’est aussi durant cette période que l’individu fait le bilan à mi-parcours de son propre vécu personnel. Les grands domaines de la vie sont réévalués. La capitalisation des expériences de la vie commence à se faire corps. Mais le déclin des aptitudes intellectuelles s’installe progressivement vers l’âge de 55 ans. La classe de [60, 72 ans[ : C’est le stade de l’involution, du troisième âge et de l’inactivité physique (cas général)1. Les aptitudes intellectuelles peuvent être dynamiques selon l’individu. Les souvenirs des années antérieures stimulent les observations sur le vécu présent de l’individu et de la société. Les capacités intellectuelles des éléments constitutifs de l’échantillon sont mises en valeur avant de décoder leurs représentations subjectives de la presse. Nous pouvons établir le tableau suivant en récapitulant les dimensions psychologiques du panel, du point de vue aptitudes intellectuelles des enquêtés. Catégories d’âges [16, 22 ans[ [22, 45 ans[ [45, 60 ans[ +60 ans Total

Non salarié(e)s 10 15 00 03

Fonctionnaires M 00 05 05 00 cadres F 00 07 07 00

Fonctionnaires M 00 04 01 00 subalternes F 00 03 03 00

M 00 00 01 00 Privés cadres 120 F 00 03 00 00 Salarié(e)s Salarié(e)s Privés M 00 12 01 00 subalternes F 00 14 00 00

M 00 14 03 00 Libéraux F 00 08 01 00 Totaux 10 85 22 03 Tableau IX : Répartition du public consulté selon la variable indépendante âge et la catégorie socioprofessionnelle (Sources : Enquêtes et analyses personnelles)

Les collégien(ne)s, les lycéen(ne)s, les étudiant(e)s, les femmes de ménages… et les retraité(e)s sont classé(e)s parmi les non mensualisés. Le groupe des salarié(e)s dire qu’il est facile pour quelqu’un de hautement diplômé de trouver un emploi à sa juste valeur. 1 Cours de psychologie générale et de psychologie génétique, Victorine Andrianaivo, 2000-2001. 144 comprend trois catégories : fonctionnaires de l’Etat (magistrats, professeurs, secrétaires de direction…) employés du privé (employés de banques, ouvriers des entreprises franches, agents de sécurité…) et libéraux (avocats, huissiers, commerçants, démarcheurs…). Voici une autre grille de lecture simplifiée (en pourcent) du tableau précédent en éliminant la division en sexe masculin et sexe féminin pour le groupe des salarié(e)s.

Catégories d’âges [16, 22 ans[ [22, 45 ans[ [45, 60 ans[ +60 ans Total Non salarié(e)s 08,33 % 12,50 % 00,00 % 02,50 % Fonctionnaires 00,00 % 10,00 % 10,00 % 00,00 % cadres Fonctionnaires 00,00 % 05,83 % 03,33 % 00,00 % subalternes 100 % Privés cadres 00,00 % 02,50 % 00,83 % 00,00 %

Salarié(e)s Salarié(e)s Privés 00,00 % 21,66 % 00,83 % 00,00 % subalternes Libéraux 00,00 % 18,33 % 03,33 % 00,00 % Totaux 08,33 % 70,82 % 18,32 % 02,50 % Tableau X : Répartition en pourcent du public consulté selon la catégorie socioprofessionnelle (Sources : Enquêtes et analyses personnelles).

Aptitudes intellectuelles et situation financière sont jugées indissociables ici. Les résultats des enquêtes accordent une importance particulière aux revenus des personnes interrogées en sachant que cet aspect influe sur la représentation subjective qu’elles ont de la presse. De toute évidence, les possibilités financières du lecteur constituent un des facteurs déterminants de sa relation avec les journaux.

Catégories d’âges [16, 22 ans[ [22, 45 ans[ [45, 60 ans[ +60 ans Total –50 09 08 02 01 [50, 100[ 01 39 05 00 [100, 00 22 15 01 120 250[

des enquêté(e)s des enquêté(e)s +250 00 16 00 01 Revenus mensuels mensuels Revenus Totaux 10 85 22 3

Tableau XI : Répartition du public consulté selon les revenus mensuels, unité en millier de la monnaie nationale (Sources : Enquêtes et analyses personnelles).

Nous croyons avoir épuisé toutes les ressources argumentaires justifiant le bien- fondé empirique de notre échantillon au-delà de toute tentative de validation mathématique. Nous constatons à travers les Tableaux VIII-XI la prédominance 145 remarquable des classes d’âges [22, 45 ans[ et [45, 60 ans[. Bref, le public tananarivien a bien à l’œil la presse écrite. Ce qui suit sera une analyse synthétique des données (qualitatives) recueillies. Elles ne sont pas réductibles en tableaux récapitulatifs. III.2. Dictature douce : refus et hypostase De manière sous-jacente, la société malgache prend conscience des enjeux de certains événements en cours. Mais le penchant naturel à la tolérance parvient toujours à trouver une voie d’expression. Le vieil adage bien connu cite : Aleo mifanena amin’ny mpamosavy toy izay mifanena amin’ny mpandainga (lire : Il vaut mieux avoir affaire à des sorciers qu’à des menteurs). III.2.1. Pluralisme et esthétisme Une révolution qualitative1 accompagne la pluralité des titres quotidiens de l’après 2002. Cette double révolution (numérique et esthétique) est une tendance générale de la e presse écrite du XXI siècle. C’est là le résultat des recherches en perpétuelle amélioration. L’influence de la mutation technologique et de la transformation technique subséquente y est d’un apport capital. A l’évidence, l’émulation commerciale, sur fond de concurrence politique, entre les organes de presse a contribué au développement qualitatif des journaux. L’existence du quatuor Midi Madagasikara, Madagascar Tribune, L’Express de Madagascar et Gazetiko marque l’avant 2002. Il y a eu également Journal de Madagascar, dont l’existence a été temporaire. La naissance des organes de presse serait toujours liée à l’implication directe ou indirecte d’au moins un politicien. Un journal ne se crée alors sans des optiques politiques de ses promoteurs. La prémisse de la vicissitude est perceptible dès 2001. L’avènement de l’association Tiako Iarivo fondée par le maire de la ville d’Antananarivo, Marc Ravalomanana2, transformée en parti politique, aurait bousculé la situation. Le bulletin de liaison Tiako i Madagasikara Vaovao fait son apparition. Ce support médiatique est aux allures d’un véritable journal mais dont la diffusion est limitée. Le renouveau s’accentue dès lors que le journal Ny Vaovaontsika fait une entrée timide sur le marché3. Ny Vaovaontsika et Le Quotidien ont été à l’origine de révolution

1 Le caractère agréable de la page a son importance. Les illustrations (photos et caricatures) y concourent à coup sûr. 2 Marc Ravalomanana est élu maire d’Antananarivo en décembre 1999 sous les couleurs de l’association Tiako Iarivo (J’aime Iarivo) qui deviendra Tiako i Madagasikara (J’aime Madagasikara) en juillet 2002. 3 Nous avons relaté le devenir de cette publication dans le sous-chapitre III.3.2. de la première partie du  146 qualitative des titres quotidiens malgaches de l’après 2002. Ce n’est qu’après l’arrivée de ces deux organes que leurs aînés (Midi Madagasikara, Madagascar Tribune et L’Express de Madagascar) décident d’aménager des pages en quadrichromie. L’affirmation est qualifiée de tendancieuse. Mais le verdict est tombé à coup d’enquêtes. Les personnes interrogées le confirment à 72,5 %. Pour ceux qui ont avancé e d’autres raisons, la transformation est attribuée aux NTIC et aux exigences du XXI siècle. Des réserves méritent tout de même d’être soulignées pour être plus objectif. Le fait de poser la même question à tout le monde implique un consensus sur les problèmes. Il y aurait des questions qui ne méritent pas d’être posées, insinuent Pierre Bourdieu, Jean- Claude Chamboredon et Jean-Claude Passeron à travers l’ouvrage collectif Le métier de sociologue (1968). Ceux qui réfutent l’influence certaine des deux organes cités plus haut sur les autres journaux de la place sont à 90 % âgés de plus de 45 ans et sont, pour la plupart, des personnes jouissant d’un statut social enviable (magistrats et cadres fonctionnaires). Ils sont des lecteurs fidèles de journaux depuis des années. Grâce au « raisonnement par 1 cas » (case based reasoning ou CBR) , ils sont en droit d’émettre des observations sur l’évolution qualitative des journaux malgaches. Certes, le défunt quotidien Journal de Madagascar s’est déjà démarqué par sa couleur bleue bien avant les bleu-vert de Tiako i Madagasikara. Dès 8 mars 2003 aussi, La Gazette de la Grande Ile sait imposer un style nouveau du point de vue présentation et traitement d’information. Par la suite, le cas d’école a connu une expansion rapide. Les mutations se produisant à Madagascar suggèrent l’existence des deux modes de communication des être humains : digital et analogique. Le langage digital possède une syntaxe logique très complexe et très commode, mais manque d’une sémantique2 appropriée à la relation. Par contre, le langage analogique possède bien la sémantique, mais non la syntaxe appropriée à une définition non équivoque de la nature des relations3. L’analogique est du champ du langage naturel, d’homme à homme, tandis corps du devoir. 1 Le raisonnement par cas case based reasoning (CBR) est basé sur l’expérience passée mais adaptée au cas considéré pour résoudre les problèmes de la vie quotidienne. L’individu se remémore les situations semblables déjà rencontrées. Puis, il les compare à la situation actuelle pour construire une nouvelle solution qui, à son tour, s’ajoutera à son expérience. 2 La sémantique est ici prise dans le sens de la signification et notamment de la signification des mots en contexte. 3 Watzlawick et al., Une logique de la communication, Paris, coll. « Points », traduit de l’américain par Janine Morche de Pragmatics of human communication. A study of interaction patterns, pathologies and paradoxes, éd. du Seuil, 1972, p. 65. 147 que le digital demande l’intervention des substituts au langage naturel. Les sociétés humaines d’aujourd’hui deviennent de plus en plus friandes d’images comme des supports essentiels de l’information, quelle qu’en soit la finalité. La civilisation des images est en train de tenir le haut du pavé. Minimiser cet aspect est à éviter. L’adhésion à cette tendance devient un moyen de survie parmi tant d’autres pour un journal. En définitive, la conversion médiatique post-2002 du point de vue quantitatif et qualitatif est une contingence historique. Dans un premier temps, elle obéit au principe de l’immanence1. Dans un second temps, elle met en évidence l’inéluctabilité de la transcendance. III.2.2. « False light » et « fictionalization » L’évocation de false light et de fictionalization ne veut rien dire sans une confrontation réelle avec l’opinion publique. La presse malgache est une menteuse. Près de 62 % des personnes interrogées sont affirmatives à ce propos. Les journaux disent la vérité et les informations qu’ils diffusent reflètent la réalité. Seuls 38,33 % des interlocuteurs l’admettent. Le rôle social de la vérité médiatique est remis en question.

L’enquête d’audience 2004 réalisée par l’UNICEF rapporte que les journaux sont à 29,5 % crédibles2 pour la seule raison qu’ils sont partisans. « La circulation de l’information est nécessaire à la vie en société. (…) la notion d’utilité sociale du journal et du journaliste ne se réduit-elle pas à l’acception traditionnelle, politique, qui accompagne la profession : la fonction informative qu’ils assurent permet à chacun de ‘mieux vivre’, dans les compartiments de son existence (professionnel, familial, civique, etc.) »3. False light appartient au vocabulaire nord-américain qui signifie littéralement fausse lumière. De là à dire que false light et false information deviennent deux expressions concomitantes. Dans l’exposé de Nancy C. Cornwell4, la publication d’une

1 L’immanence (présence inhérente et absolue de la force intelligente et créatrice qui gouverne l’univers) s’oppose à la transcendance postulant que la force intelligente et créatrice est extérieure au monde naturel. 2 Les moyens de communication à Madagascar. Résumé d’Enquête d’audience 2004, UNICEF en collaboration avec le MPTC et l’INSTAT, p. 5. 3 Yves Agnès, Manuel de journalisme. Ecrire pour le journal, Paris, éd. La Découverte, coll. « Repères », 2002, p. 17. Yves Agnès a été chef de rédaction à Ouest-France, rédacteur en chef au Monde, directeur général du Centre de formation et de perfectionnement de journalistes. Il est aussi enseignant et consultant. La publication de l’ouvrage didactique, de lecture facile et illustré à l’aide de plusieurs exemples pour une rapide compréhension du journalisme est appuyée par l’Ecole supérieure de journalisme de Lille. 4 Née en 1959, Nancy C. Cornwell est professeur associé de la communication de masse chez Linfield College, McMinnville, Oregon (Michigan, Etats-Unis). Elle est l’auteur de Freedom of the Press. Rights and Liberties under the Law, Santa Barbara, California, ABC-CLIO, 2004.

148 fausse nouvelle et la diffamation reviennent à un même ordre d’idée. La nuance à faire dépend de la nature de l’intention. The key difference between false light invasion of privacy lawsuits and defamation lawsuits is the nature of the harm1. L’auteur américain rappelle que la diffamation est le recours à la publication d’une fausse nouvelle dans le but de nuire de façon délibérée à la bonne réputation d’une personne ou d’une entité. La diffusion ou la publication d’une fausse nouvelle est un fait émotionnel, psychologique, donc entaché de subjectivité. Toujours selon Nancy C. Cornwell, la propagation de la fausse nouvelle s’inspire d’une pratique de plus en plus vulgaire débouchant sur la dramatisation. False light also addresses an increasingly common practice in publishing and dramatic works: fictionalization2. Le biais médiatique prend son envol à partir de là. La fictionalization est la tendance à dramatiser la présentation d’une circonstance qui tire son origine dans des événements ou faits véridiques. Elle tient lieu de fantasme extériorisé. Fictionalization is the dramatic presentation of a story that has its basis in true events or facts3. Aux Etats-Unis, la demande d’une autorisation préalable n’est pas exigée avant de faire œuvre de fictionalization. L’altération intentionnelle de la vérité peut constituer un acte délictuel. L’abondance sinon la fréquence d’articles semés d’inexactitudes ou d’« attentat éditorial » à Madagascar est la traduction de ce que le paragraphe précédent vient d’expliciter. Les exemples parfaits et suffisants sont légion. La pratique journalistique malgache semble avoir acquis des expériences en matière de false light et de fictionalization4. Les manières de traiter et de diffuser l’information privilégient la mystification grotesque reposant sur une fausse nouvelle (canular) et s’identifient à la légende urbaine5.

1 Nancy C. Cornwell, Freedom of the press. Rights and liberties under the law, Santa Barbara, California, ABC-CLIO, 2004, p. 122-123. 2 Op. cit., p. 123. 3 Ibidem. 4 Au début 2006, des rumeurs persistantes sur l’état de santé du président de la République de Madagascar (PRM), Marc Ravalomanana, rapportent que celui-ci est atteint de la leucémie à la tête et est allé se faire soigner à l’étranger (aux Etats-Unis). Durant la première moitié du mois de février 2006, les nouvelles s’y rapportant défraient la chronique sans que personne ne soit à même de faire la lumière sur la vérité. La presse invente elle-même ces histoires à partir de bobards lus dans des forums sur Internet et en amplifie le volume à tel point que la nation tout entière prend au sérieux les nouvelles comme une vérité vraie. Les débats autour de la santé du PRM atteignent leur paroxysme dans la semaine du 13 février 2006. Le retour inattendu du couple présidentiel dans la soirée de vendredi 17 février y donne un coup de grâce. Jusqu’à preuve du contraire, la presse se livre à la false light et à la fictionalization concernant l’épisode « leucémie à la tête ». 5 Une légende urbaine est une rumeur, un récit constamment enrichi, qui se répand, circule de bouche à  149

Il faut se rendre compte d’une chose. False light et fictionalization peuvent suivre un sens contraire à la dramatisation pour tenter de dédramatiser certains faits. Le samedi 27 février 2006, Le Quotidien , no 726, rapporte la baisse présumée du taux de prévalence de la fièvre sur le littoral est alors que le Centre hospitalier de référence régional de Toamasina enregistre 16 à 26 nouveaux cas d’hospitalisation par jour 1. Le lecteur n’est plus cet homo politicus passionné des hauts faits qui agitent les sphères d’en haut, il veut qu’on lui parle de lui, qu’on s’intéresse à lui dans toutes ses dimensions 2. Confrontée à la réalité malgache, cette affirmation a toutes les chances d’être admise à l’unanimité. La Gazette de la Grande Ile , L’Express de Madagascar , Madagascar Tribune , Le Quotidien et Ny Vaovaontsika parlent beaucoup trop au sujet du pouvoir en place et de l’opposition en 2005-2006, sans doute dans la perspective des élections présidentielles de décembre 2006. Le public lui-même en a fait le constat. Les éléments de la superstructure occupent toujours le devant de la scène. Par contre, plus la presse est instrumentée, moins l’opinion publique croit à la vérité médiatique et plus elle se soustrait à la dictature douce de l’ordre dominant. La question du pouvoir du journaliste mérite donc d’être débattue, même brièvement. « Si le journalisme est l’objet de tant de discussions, c’est pour une large part que spécialistes et citoyens lui attribuent des pouvoirs considérables 3. La capacité du journalisme à influencer l’opinion est importante. Son pouvoir est visible quand il secoue avec force les grands hommes et les institutions. C’est elle dont l’œil toujours ouvert met sans cesse à nu les secrets ressorts de la politique, et force les hommes publics à venir tour à tour comparaître devant le tribunal de l’opinion 4. Il arrive que l’opinion conteste la réalité du pouvoir sans pour autant la nier. De par son effet de retard , la presse peut déclencher à un moment donné des réactions violentes 5.

oreille, éclate en bouffées agressives et disparaît aussi soudainement qu’il est venu , Jean-Michel Berthelot, L’intelligence du social , Sociologie d’aujourd’hui, collection dirigée par Georges Balandier, coll. « Que sais-je ? », 2 e éd., janvier 1998, p. 55. La caractéristique principale de cette rumeur est qu’elle a la capacité de séduire les médias, qui, par la suite, feront d’elle leur objet de commentaires. La légende urbaine a suscité une littérature sociologique relativement dense à la lumière de l’exemple indiqué par Edgar Morin, La rumeur d’Orléans , Paris, éd. du Seuil, coll. « Points », 1969. Cet exemple a été repris par Jean-Michel Berthelot et est analysé dans L’intelligence du social . 1 Cf. Situation générale mois de mars 2006 : cas de fièvre admis au centre hospitalier de référence régional de Toamasina. 2 Yves Agnès, Manuel de journalisme. Ecrire pour le journal , Paris, éd. La Découverte, coll. « Repères », 2002, p. 17, p. 33. 3 Neveu, Sociologie du journalisme , Paris, éd. La Découverte, coll. « Repères », 2004, p. 80. 4 Alexis de Tocqueville (1935), De la démocratie en Amérique I (deuxième partie). Chapittre III : De la liberté de la presse aux Etats-Unis, p. 19. 5 Le soudain soulèvement du monde arabe suite à la présumée profanation du prophète Mahomet par la 

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Chez nous, le recours à des discours faisant miroiter les causes côtières et le racisme1 en est une traduction actualisée. L’incitation à la haine par presse interposée aussi peut se radicaliser d’un moment à un autre. Pour la période post-2002, le cadre de notre étude, une partie de la presse s’emploie aux incitations formulées à mots couverts et savamment entretenues. Mais les effets d’annonce ont des échos moins considérables. Près de 90 % du public consulté en a fait la remarque même si les questions posées sont d’une entière discrétion à ce sujet. Le citoyen n’a besoin ni de la pédanterie institutionnelle ni du pavé dans la mare des opposants, ni du m’as-tu vu d’untel. Il importe pour lui de trouver les solutions idoines à ses difficultés de la vie. Une tendance nouvelle de la presse se confirme dans ce contexte. Les bizarreries et les insolites, les cousins des chiens écrasés, deviennent les sujets de prédilection de Gazetiko depuis le second semestre de 2005. Ce sont autant de cas qui riment avec le journalisme des grands instincts. Tout ce qui concerne l’être humain dans ses dimensions fondamentales attire l’intérêt et éveille la curiosité : l’instinct vital, l’amour, le plaisir, la mort, la haine, la violence… Rares sont les individus qui ne se passionnent pas pour les faits divers (…)2. Le journal Madagascar Laza aussi finit par adopter le style de Gazetiko dans une certaine mesure (peut-être par effet de vicinité car les deux organes appartiennent à une même famille et partagent le même milieu de rédaction). Une exagération est quand même commise quand des faits divers de l’ordre de la métaphysique3 ont tendance à assiéger la pratique journalistique. Ce genre d’information ne suscitera pas la capacité d’analyse objective du lecteur, qui ne sera jamais mis en face des problèmes et des difficultés. Par ailleurs, l’intérêt général converge vers l’éducation sexuelle, les problèmes de la jeunesse, l’éducation de l’enfant, le savoir-vivre/savoir-faire, la santé/beauté…

presse norvégienne en est une illustration parfaite et suffisante au niveau mondial. 1 Pour la première fois, le journal Voromahery fondé par le parti PADESM en août 1946 a lancé des débats pareils à Madagascar. C’est comme provoquer un incendie : il est facile d’allumer le feu mais les conséquences en sont aussi dévastatrices qu’irréparables. 2 Erik Neveu, op. cit., p. 36-37. 3 Les faits divers ne rapportent pas exclusivement des crimes et délits. Ils peuvent se concentrer sur des éléments étonnants, drôles, insolites… Un jour, Gazetiko rapporte, par exemple, les aventures d’une jeune fille qui a eu durant toute la nuit des rapports sexuels avec trois revenants. Madagascar Laza de jeudi 30 mars 2006, no 403, p. 4, relate ce qui est arrivé à une femme ensorcelée dont la voix est soudainement devenue comme celle d’un coq alors que la dame assiste à une messe religieuse. Le même journal, dans sa livraison de jeudi 13 avril 2006, no 415, p. 4, s’amuse à raconter les rites de possession dont un dénommé Ra-Jean est le sujet. Selon le journal, un esprit maléfique oblige celui-ci à boire de l’alcool mélangé avec de la boue. Ce genre de nouvelles s’impose en fréquence depuis le second semestre de  151

L’établissement de liste des aspirations des citoyens renvoie à la sociologie parsonienne (le fonctionnalisme) au sujet de l’univers familial. Selon Talcott Parsons (1902-1979), la famille est un hôpital où l’on cherche à échapper aux maux de la réalité. La présence d’un ami mystérieux, la personnalité du président de la République de Madagascar (PRM) construite à travers la presse, envahit toujours cette quête de réconfort personnel vécu dans la dynamique du rapport avec l’univers familial. III.2.3. L’ami mystérieux Y a-t-il trop d’articles publiés sur le régime ? Oui. Y a-t-il trop d’articles publiés au sujet des opposants ? Oui. Les réponses obtenues y ont été à 100 % d’accord. Par contre, les éléments d’explication afférents divergent. Les nombreuses publications permettent au citoyen de contrôler les actions du régime et de l’opposition. Un nombre important de réaction (85 %) demandent à être éclairées sur les actions gouvernementales et sur celles du PRM en particulier. Celui-ci est devenu un ami mystérieux pour le citoyen, d’après nos enquêtes. En quelque sorte, se renseigner sur l’ensemble des actions entreprises par le président serait devenu une manière d’être-au-monde pour une part importante des lecteurs de journaux. Nous laissons de côté l’exploration des sources instituant le charisme qui rayonne sur ces citoyens. Sans verser dans un discours apologétique, cela découle, peut-être, de l’image d’un raimanandreny (autorités) chez le concerné. Il paraît primordial de comprendre les raisons à la base d’une telle attitude citoyenne. Nous restons toujours dans le cadre du sujet de ce mémoire pour décrypter la façon d’agir du lectorat. Il convient de porter un regard critique sur les fonctions sociales du journal. Les plus importantes sont au nombre de cinq, selon Agnès1. La première est la fonction d’usage et de service. Un lecteur espère toujours trouver dans le journal des informations et des commentaires qui lui sont utiles. Cet aspect est fondamental pour lui. Par ce geste, il tente de comprendre le dessous des événements et d’en saisir la signification réelle. Le lecteur est en quête des faits précis qui dessinent le vrai visage des dirigeants.

A maintes reprises, le PRM effectue des voyages à l’intérieur et à l’extérieur du pays2. Ses incessants voyages doivent faire travailler une imagination qui finit par

l’année 2005, notamment chez les publications en langue malgache. 1 L’intégralité du texte sur ces fonctions est annexée à ce travail de recherche (cf. Annexe XIII). 2 La loi de Finances 2005 attribue la somme de Ar 13,4 milliards à la présidence de la République pour couvrir les déplacements du chef de l’Etat.

152 demander dans quelle mesure ceux-ci sont utiles à la vie quotidienne, aux loisirs populaires, pour les étudiants, les travailleurs, les entrepreneurs, les collectivités… Les interminables ballets diplomatiques au palais d’Etat d’Ambohitsorohitra et de Mavoloha1 suscitent également des questions sans réponse. La même observation est valable pour les inventions dont le PRM est l’instigateur : le Master Plan du développement rural en 2004, la vitrine agricole en 2005, le projet School Milk et le Madagascar Action Plan en 2006... La liste est longue et la formulation de nouveaux concepts semble trouver un terrain favorable dans le vocabulaire du monde néolibéral. En outre, délimiter les frontières entre la gestion des affaires publiques et la relation de l’Etat avec les quatre 2 entités cultuelles constitutives de la FFKM prête à confusion. Ainsi le lectorat s’attende à ce que la presse fasse la lumière sur les zones d’ombre. Pour la première fois à Madagascar, les pasteurs de l’église protestante réformée

FJKM (au nombre de 2 100) ont tenu un colloque au Palais national de la Culture et des Sports à Mahamasina les 11-12 avril 2005. En effet, les dénigreurs de Marc Ravalomanana établissent vite la connexion entre le premier congrès national du parti 3 politique TIM les 20-21 décembre 2004 et le rassemblement des pasteurs . Le second ne serait que la transmutation du premier. La seconde fonction du journal est la fonction de rêve et de distraction ou cathartique. La lecture de la presse procure toujours du rêve : évasion vers des contrées inconnues, plongée dans l’intimité réelle ou supposée des grands de ce monde… Voici comment le PRM fonctionne avec la presse écrite. Le photographe appelé Voara Randrianarivony4 est mis à sa disposition, et éventuellement aux membres de la famille présidentielle ou encore aux personnalités nationales et internationales proches du président. Le photographe attitré de la présidence de la République assure les prises

1 La vraie appellation est Mavoloha à cause de l’activité prédominante dans la zone où les habitants étaient d’excellents briquetiers. Le transport de briques se faisait à même la tête, d’où les têtes jaunies des travailleurs, à l’origine de mavo loha. Par euphémisme, Mavoloha devient Iavoloha. 2 C’est la Fiombonan’ny fiangonana kristiana eto Madagasikara lire Confédération des églises chrétiennes à Madagascar. Officiellement fondée le 20 janvier 1980, elle regroupe : la FJKM (le protestantisme réformé), la FLM (le luthéranisme), l’ECAR (le catholicisme) et l’EEM (l’anglicanisme). 3 Rappel : ce parti a été fondé par le président de la République en 2001. En même temps, le chef de l’Etat est le vice-président de la FJKM. Selon des confidences, le budget engagé pour l’organisation du premier congrès du parti politique TIM a été de Ar 500 millions pour plus de 2 000 participants venant des quatre coins du pays et de l’étranger. 4 Il est le fils aîné de Jean Varsy, technicien confirmé au sein du laboratoire de l’OPTICAM à Antaninarenina. Cette unité est la représentante officielle et exclusive de la marque américaine Kodak à Madagascar. 153 photographiques du PRM surtout chaque fois que ce dernier le souhaite.

Le photographe est toujours des déplacements du PRM, sauf en cas de cadres spécifiques touchant la vie privée. Le professionnel de la photographie a ainsi le privilège de figurer dans la suite présidentielle au cours des tournées. En contrepartie, il a l’obligation de distribuer les photos, et celles recommandées surtout, à tous les organes de presse sans exception via la mailing list régulièrement mis à jour. Tout manquement à la tâche serait passible de sanctions. Le PRM se donne la peine de vérifier lui-même si ses photos sortent dans les journaux ou non. Le président Marc Ravalomanana gère de cette manière son image vis-à-vis du peuple. Une telle approche a un nom précis : la mise en scène du pouvoir politique. Le détenteur du pouvoir donne à voir la nature de celui-ci aux yeux de ceux qu’il gouverne, de ses pairs ou ses rivaux par l’hypermédiatisation de sa personne. L’approche n’est pas nouvelle du tout. Seulement, les technologies de pointe la favorisent de nos jours. Certes, le photographe officiel du président de la République est équipé d’appareils électroniques sophistiqués. Tout cela relève d’une logique bien connue du journalisme malgache post-2002. Tout lecteur avisé aurait pu constater facilement que, par moments, des différentes publications d’une même date font paraître les mêmes photos du PRM. La ressemblance des photos meublant la une des journaux du 13 octobre 2005, c’est-à-dire le lendemain du crash d’hélicoptère à Imerina Imady Ambositra, est, entre autres exemples, typique. Ces images ont une valeur distractive surtout quand elles exhibent les élégantes toilettes de la famille présidentielle ou quand elles enlèvent le voile sur le côté jardin de son mode de vie : cérémonies de mariage du fils aîné les 27 et 29 mai 2004, cérémonies de mariage de la seule fille de la famille le 13 et le 16 janvier 2005, actes de baptême du premier petit-fils le 5 juin 2005, décès du frère aîné du PRM le 30 décembre 2005. Autant d’événements familiaux qui attirent l’intérêt du lecteur de journaux.

En deux mots, le public aspire à envahir symboliquement l’univers du PRM pour connaître ce qu’il fait à tel ou tel moment de son emploi du temps. C’est ce que désigne l’expression de vivre par procuration ou effet de fascination construit par les médias. D’une manière ou d’une autre, la famille présidentielle représente, avant tout, la réussite sociale et la puissance économique (capital) et politique (pouvoir) tant que ses actuelles prérogatives ne lui sont pas enlevées. Du point de vue fonction de rêve et de distraction, la caricature suivante

(cf. Photo V) exprime mieux l’inclination du public à toujours ouvrir grands les yeux sur 154 l’ami mystérieux et son univers intime.

Photo IV : Combien une telle caricature exprime la soif citoyenne de contrôler l’action du président de la République à un moment donné de son emploi du temps journalier. (Sources : L’Express de Madagascar du 8 mars 2006, http://www.lexpressmada.com)

Quant aux troisième et quatrième fonctions sociales du journal – fonction d’identification et d’intégration et fonction miroir1 –, il est inopportun de s’y attarder.

Les rangs sociaux des personnes interrogées et du PRM sont différents. Cela étant, l’étude de la situation sociale de l’individu est un facteur à prendre en compte avant de pouvoir s’étaler sur cette double fonction du journal. La cinquième fonction est la fonction critique. « Sans une presse multiple, sans des journalistes qui ne se contentent pas de retranscrire ce qu’on leur demande d’écrire, la connaissance de la réalité serait bien obscure. Par sa seule capacité à dire, le journalisme possède la plus efficace des fonctions critiques. On s’en rend compte chaque jour ou presque avec des ‘affaires’ politico-financières, les grands et les petits scandales qui ont la plupart du temps la même cause – l’argent – et le même outil – le mensonge2. Si le journalisme a un rôle social, c’est bien celui-là : traquer la vérité »3.

1 « L’homme est un miroir pour l’homme (…) », Daniel Bougnoux, Introduction aux sciences de la communication, Paris, éd. La Découverte & Syros, coll. « Repères », nouvelle édition, 2001, p. 25. 2 Le mensonge, la calomnie, les accusations sans preuves et la déformation des faits sont considérés comme « les plus graves fautes professionnelles ». 3 Yves Agnès, Manuel de journalisme. Ecrire pour le journal, Paris, éd. La Découverte & Syros, coll.  155

Il y a lieu d’éveiller la curiosité et l’esprit critique du lecteur chaque fois que les journaux supputent l’extension rapide des activités de la société fondée par le PRM lui- même. Parfois, la presse donne l’impression de se livrer à un exercice de philosophie existentialiste au sujet de la logique à la base de la prospérité de TIKO GROUP SA . (…) ils [les philosophes existentialistes] voient l’homme comme jeté dans un monde opaque, informe et absurde, et c’est à partir de là que l’homme se crée sa situation1. Dès 2003, Manandafy Rakotonirina, attire l’attention sur des pratiques floues comme la tikoisation2 de l’Etat selon le mot inventé par le politicien. L’homme propulsé à la tête de l’Etat cultive trop de mystères, à en croire ses contempteurs médiatiques. On dit à ce propos que les processus qui fonctionnent de façon opaque alimentent inquiétude, insécurité, rumeurs… La notion d’utilité des sciences sociales est opportune s’il est conseillé de nous en tenir à l’optique de Neveu. Pour lui, « l’utilité des sciences sociales n’est pas de surenchérir sur les discours tenus par ou sur leurs sujets. Elle est d’apporter un déplacement du regard favorisant intelligibilité et distanciation »3. Sur le plan discours sociologique, une telle observation doit déboucher sur la formule de Blaise Pascal désignant l’homme étant à la fois ange et bête sans être exclusivement ni l’un ni l’autre4. C’est ce qui fait que le lecteur serait toujours amené à chercher davantage de précisions sur le côté bête plutôt que sur le côté ange du PRM à travers la lecture des journaux. Quoi qu’il en soit, il ne faut jamais minimiser ceci. La tradition française5 pèse lourd sur la pratique journalistique malgache. Le (…) tropisme du journalisme français est politique. La majorité des titres s’identifient à des sensibilités politiques, plus tard à des partis6. La pertinence d’une telle observation est telle que nous nous obligeons à citer un passage plus consistant. Le journalisme français (…) marque sa différence au modèle anglo-américain. La dimension du news-gathering [collecte d’informations] y

« Repères », 2002, p. 35. 1 Watzlawick et al., Une logique de la communication, Paris, coll. « Points », éd. du Seuil, 1972, p. 266. 2 Par là, il insinue que d’anciens cadres supérieurs de TIKO GROUP SA sont affectés à des postes clés de l’Etat à l’exemple du président du Sénat, Guy Rajemison Rakotomaharo. De plus, les activités commerciales de cette société ont une couverture nationale reposant sur des bases tentaculaires. 3 Erik Neveu, Sociologie du journalisme, Paris, éd. La Découverte, coll. « Repères », 2004, p. 80. 4 Ce passage est cité par Emile Durkheim, Le dualisme de la nature humaine et ses conditions sociales, Scienta, XV, 1914, p. 206-221. Le texte a fait l’objet d’une édition numérique sur l’initiative de Marcelle Bergeron, professeur à la retraite de l’Ecole de Dominique-Racine de Chicoutimi, Québec. La version électronique du texte est téléchargeable à partir de l’adresse suivante http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/ Classiques_des_sciences_sociales/index.html. 5 Un texte sur le journalisme à la française sera annexé à ce mémoire (cf. Annexe XIV). 6 Erik Neveu, Sociologie du journalisme, Paris, éd. La Découverte, coll. « Repères », 2004, p. 14. 156 reste durablement peu développée. L’excellence professionnelle s’y fonde sur la maîtrise et le brio du style, la capacité à défendre une ligne éditoriale. Les contenus rédactionnels, valorisant critiques, billets et chroniques, traduisent le poids du commentaire, d’un métadiscours [le métadiscours est un discours sur le discours] sur l’actualité qui privilégie l’expression des opinions, transforme l’événement en prétexte à exercices de styles brillants et désinvoltes1. Cette description correspond parfaitement au profil du modèle malgache. Le journaliste a coutume de partir de simples renseignements, associés à un background personnel facilement mobilisable, pour inventer des histoires montées de toutes pièces au sujet d’un fait. Le professionnel de l’information interviendrait comme un enseignant chevronné qui, sans se référer au programme scolaire officiellement établi, parvient à assurer le bon déroulement des classes grâce aux expériences cumulées. Mais un bon article ne suffirait jamais à apaiser la soif de connaître la vraie nature de l’ami mystérieux chez le public. (…) en lisant le journal, les gens croient apprendre ce qui se passe dans le monde. En réalité, ils n’apprennent que ce qui se passe dans le journal2. En définitive, un lecteur est toujours tiraillé entre une activité intellectuelle pure et une activité sensible pure. D’où la nécessité d’hypostasier la réalité. III.2.4. Hypostasier la réalité Le verbe hypostasier vient du substantif hypostase, le sujet réellement existant ou substance, au sens philosophique du terme. La substance est ce qui existe en demeurant identique à soi-même. Selon l’usage linguistique, la substance se définit comme la matière structurée par la forme du langage. Pour Bourdieu, le langage est un garde fou de la lutte permanente entre l’objectivisme et le subjectivisme. La plupart des mots que nous avons pour parler du monde social oscillent entre l’injure et l’euphémisme3. De par son origine, hypostase renvoie à des notions philosophiques de la Grèce antique. Deux représentants de l’école athénienne du néoplatonisme nous livrent, en effet, leurs pensées sur celles-ci. Proclus (v. 410-485), un membre influent de ce courant, a préconisé une retraite ascétique visant à échapper à l’emprise du monde sensible pour s’élever vers le monde de l’Un d’où procède tout le reste par des sortes de

1 Cf. Annexe XXIII sur le Glossaire des termes de la presse. 2 Op. cit. p. 84. 3 Pierre Bourdieu, Questions de sociologie, Paris, éd. de Minuit, 1981 commenté par Maryline Cheviet (cf. http://iufm.univ-fcomte.fr). 157 dégradations, ou hypostases1. Le philosophe affirme que toute chose participe de l’Un : hypostases du divin. Les choses ne sont que les manifestations de Dieu. Les ouvrages majeurs contenant ses exposés sont : Eléments de théologie et Théologie platonicienne. Jamblique (v. 250-v. 330) n’a pas quitté la voie tracée par ses aînés. Pour lui, les hypostases plotiniennes2 (Un, Intelligence, Ame), permettent de penser le monde intelligible de manière systématique par l’établissement d’hiérarchisation et de distinctions plus précises parmi les êtres supérieurs et les âmes3. De tout ce qui précède découle alors qu’hypostasier la réalité, c’est pénétrer la profondeur des actualités, leurs significations les plus enfouies. C’est une entreprise impossible sans l’intervention de l’intelligence. L’intelligence est la capacité d’établir des liens et de saisir des relations4. Les fonctions des médias s’y conforment dans l’absolu. (…) la principale influence des médias se fait par omission : ce qu’ils ne disent pas a plus d’influence que ce qu’ils disent5. Mais hypostasier la réalité dans un contexte de presse instrumentée est autre chose. Au contraire, l’intelligence collective6 est facilement encline à hypostasier la presse elle-même. Et comme on leur attribue souvent des pouvoirs immenses, ils [les médias] sont accusés – de droite et de gauche, du Nord et du Sud, par les puissants et par les faibles, par les vieux et par les jeunes – de tous les maux de la société moderne7. Comment pouvons-nous être aussi confiant que cela à ce propos ? La technique utilisée a été simple : poser deux questions opposées du point de vue forme mais identiques sur le plan fond au public consulté. Dans un premier temps, il s’agit de demander sa manière de voir la façon dont les journaux critiques envers le régime fonctionnent avec les opposants. Dans un second temps, il est stipulé de

1 Cf. Collection Microsoft Encarta 2004. 2 Le philosophe romain Plotin (205-270 apr. J.-C.) a été le fondateur du néoplatonisme. 3 Cf. Collection Microsoft Encarta 2004. 4 C’est la phrase introductive de l’avant-propos de Jean-Michel Berthelot, L’intelligence du social, Sociologie d’aujourd’hui, collection dirigée par Georges Balandier, coll. « Que sais-je ? », 2e éd., janvier 1998, p. 10. 5 Claude-Jean Bertrand, op. cit., p. 30. La citation est à compléter avec celle d’Erik Neveu sur la dimension culturelle de la lecture du journal (cf. supra). 6 L’équipe de la Veille Anticipative Stratégique – Intelligence Collective (VAS-CI , http://www.veille- strategique.org) du CERAG, Grenoble France a beaucoup travaillé sur l’intelligence collective. Pour la VAS-CI , l’intelligence collective englobe les démarches de création collective de sens. L’intelligence est étroitement liée à la curiosité, qui concerne les traqueurs d’information. N’est-il pas ainsi permis de confondre opinion publique et intelligence collective car toutes les deux tendent toujours à donner sens à une réalité en marche ? 7 Claude-Jean Bertrand, op. cit., p. 29. 158 s’enquérir de la conception publique de la réaction des journaux de complaisance, proches du régime, à l’égard de l’opposition1. Les premiers sont la peste ; les seconds sont la galle. Telle pourrait être la récapitulation laconique des 240 réponses obtenues plus les réserves afférentes. L’existence de cette dualité critiques envers et proches du est l’une des formes d’expression ultime de l’instrumentation de la presse. Une question doit être posée sur ce qui motive le plus les gens à acheter les journaux. En réalité, la façon dont l’information est traitée dans la presse les intéresse par-dessus tout2. La division de la presse en presse pro- et presse anti- est un phénomène observable partout. Le journalisme malgache, embastillé par les contraintes vicieuses

(cf. sous-chapitre II.2.), n’est plus lui-même à en croire la formulation, pour le moins, clémente de Jean-Claude Bertrand : Dans une large mesure, ils [les médias] sont et font ce que leur dictent le passé, la culture, l’économie du pays ; ce que veulent les décideurs économiques et politiques de la société environnante (…)3. Hypostasier la réalité suscite un vif intérêt en termes de savoir. En effet, il existe deux types de savoir : un savoir des choses et un savoir sur les choses4. La grande différence repose sur le recours aux deux prépositions : de, dans la forme contractée des, et sur. Le premier type de savoir est de l’ordre de la connaissance la plus immédiatement sensible, ou le savoir du premier degré tandis que le second type de savoir est de l’ordre du métasavoir, c’est-à-dire un savoir sur le savoir premier degré5. Quelle en est la traduction avec l’étude de la presse malgache ? Dans une certaine mesure, l’information publiée par le journal prend la place du savoir du premier degré. Elle n’est pas satisfaisante pour le lecteur. Par conséquent, ce dernier cherche un moyen de substitution pour se rattraper en participant à des émissions interactives du genre Kidaona maraina, et Karajia6. Le contenu de la presse écrite est source d’inspiration des sujets de débats dans les émissions radiodiffusés, que nous appelons système d’autocritique sociale. Une bonne partie des débats à la

1 La politique est ici le seul domaine abordé. Ce n’est pas par paresse intellectuelle que les autres domaines ont été délaissés. Mais pour des raisons pratiques et réalistes, il vaut mieux se limiter au rapport régime/opposition. Autrement, nous risquons de nous retrouver en face d’un volume trop important de documents à parcourir. 2 Cela est un avis strictement personnel sans pour autant qu’il s’agisse de parti pris. 3 Claude-Jean Bertrand, op. cit., p. 26. 4 Watzlawick et al., op. cit., p. 264. 5 Ibidem. 6 La première émission est proposée par la chaîne privée Radio Tana (FM 94.4 Mhz) du groupe RTA si la seconde est un produit de la station privée d’obédience catholique Radio Don Bosco (RBB, FM 93.4 Mhz). 159 télévision s’inspire également de ce que rapportent les journaux. L’idée est à examiner avec la formulation de nouvelles hypothèses sur le rapport entre les médias et la société. S’il nous est permis d’inventer un concept nouveau, nous aurions appelé métajournalisme1 la manière dont le journalisme pur est commenté tout au long de des émissions interactives, pourtant truffées de représentations subjectives du monde. Dans la vie, tout peut s’alterner à l’infini. Pour rester toujours dans le domaine de l’hypostase de la réalité, la presse écrite n’est pas l’outil recommandé pour la communication avec le monde rural. L’accès à l’écriture y est encore une toute autre histoire, et ce jusqu’à nouvel ordre. Tout savoir local est spécifique en soi. Le journaliste est amené à y faire appel dans l’exercice de son métier. En hypostasiant la réalité, le public ne rejette pas le journaliste en tant que tel mais veut être journaliste à la place du journaliste, remettant ainsi en cause le statut de ce dernier, cela sans le vouloir pour certains et délibérément pour d’autres. Conclusion partielle L’activité journalistique semble être la seule chose qui éveille la plus la sensibilité urbaine. Le journaliste n’est ni élu ni nommé pour sa compétence. Il se déclare du quatrième pouvoir et agit au nom de l’opinion publique entendue comme liberté d’expression. A la fois industrie, service public et institution politique, ils [les médias] sont d’une grande ambiguïté : de là découlent la plupart des problèmes2. Nous avons constitué un échantillon de 120 personnes réparties dans la ville d’Antananarivo en vue d’expliquer certains points importants. Nous avons essayé de comprendre les idées que se fait une frange de la population tananarivienne de la presse malgache. Bien que dépourvu de base mathématique, l’échantillon réunit des critères non négligeables tels que la répartition selon les variables sociologiques habituelles. Les points suivants ne sont pas non plus sans importance. Les journaux étudiés sont concentrés dans la capitale du point de vue production industrielle. La grande majorité des lecteurs l’est aussi : plus de 60 %. La grande ville elle-même est représentative d’une mosaïque ethnique, donc culturelle, politique, économique… voire idéologique. Nous avons emprunté un argumentaire propre à l’anthropologie urbaine pour asseoir la validité scientifique de notre échantillon.

1 Le mot est calqué sur les modèles de métacommunication pour dire de la communication sur la communication et de métasavoir pour désigner le processus de savoir sur le savoir. 2 Claude-Jean Bertrand, op. cit., p. 26. 160

La presse fait corps avec la domination légale rationnelle évoquée par Weber1. Bourdieu a également remis au goût du jour le concept de domination en scrutant de façon minutieuse la dimension symbolique de la réalité sociale2. Marchandise symbolique à part entière, l’information participe de la dictature douce. Mais le réflexe général tend toujours à hypostasier la réalité : - dans un camp : pour apporter toute sa légitimité à cette domination légale rationnelle pour faire de la domination symbolique de la réalité sociale l’identité entre ordre dominant et ordre naturel ; - dans un autre camp : pour affirmer l’intelligibilité et la logique dysfonctionnelle et de cette domination légale rationnelle et de cette dimension symbolique de la réalité sociale ; - dans l’autre camp : pour orienter et focaliser les esprits sur des thèmes problématiques qui visent soit la neutralité soit de nouvelles voies de sacralisation… face à la négativité de la pensée néo-libérale. Nous sommes alors en face d’un champ de conflits (Bourdieu) que s’efforce de maîtriser l’instrumentation de la presse mais d’où celle-ci ne semble retirer aucune gloire et légitimité car, hypostasiée par le public lecteur, elle est elle-même instrumentée par ce public. Manipulé et manipulateur, telles sont à la fois la force et la faiblesse du quatrième pouvoir dans les champs social, politique et économique qui sont avant tout des espaces de domination3. La presse n’est ni quatrième pouvoir ni même pouvoir dans la capitale malgache. Elle n’est assortie d’aucune puissance, ni d’une quelconque autorité qui serait génératrice d’obéissance. La presse n’est que l’artifice technico-politique relatif de néo-tribus en mal de pouvoir et à des fins de manipulation. La presse malgache semble ainsi n’avoir aucune légitimité de masse. C’est un luxe informatif pour des microsociétés agissantes et manipulatrices. La démocratie est loin d’en découler ni d’en tirer des leçons. Le savoir sociologique évolue suivant le contexte. Des études ultérieures pourront renforcer ce qui

1 Selon l’optique wébérienne, il est trois formes de dominations politiques : domination traditionnelle, domination charismatique et domination légale rationnelle. 2 Pour rappel, la prise en compte de la dimension symbolique de la réalité sociale est nécessaire pour comprendre les modes de domination et pour y déceler les formes de ‘violence symbolique’ qui produisent, chez le dominé, l’adhésion à l’ordre dominant. Cette adhésion est typiquement définie par un double processus de reconnaissance de la légitimité de l’ordre dominant et de méconnaissance des mécanismes qui font de cet ordre un mode de domination. 3 Gordon Bennet cité par Loum, op. cit., p. 12. 161 est réalisé aujourd’hui. Comme nous en avons terminé avec les résultats des enquêtes et leur analyse, nous allons maintenant ouvrir des pages nouvelles à l’étude prospective d’une autre forme d’instrumentation : l’autonomisation. TROIXIEME PARTIE

PROSPECTIVE D’UN DEFI DE L’AUTONOMISATION 162

La presse est instrumentée mais en même temps elle se doit d’instrumenter les apports de la post modernité. Pour rappel, le concept d’instrumentation relève d’une option stratégique. L’instrumentation stricto sensu met l’accent sur l’auto- développement. Elle mobilise les connaissances, les habilités et les attitudes personnelles. La démarche est bénéfique plus au client qu’à celui qui instrumente. Nous avons pourtant analysé le phénomène inverse dans cette étude. Au lieu de favoriser l’émancipation de la presse, l’instrumentation participe à sa fragilisation sinon la précipite. L’autonomisation est une notion complémentaire à étayer dans la mesure où ce concept, appartenant au vocabulaire du monde libéral, couvre des volets importants des interactions partout privilégiés. Pour l’intérêt de la présente étude, nous en retiendrons deux : autonomisation et médias, et, autonomisation,

TIC et socialisation secondaire.

CHAPITRE I : AUTONOMISATION ET MEDIAS

Outil de domination culturelle par excellence, les médias doivent jouer le rôle d’un élément clé de l’autonomisation. Indéniablement, il existe des liens entre l’autonomisation et le développement social et individuel. I.1. Autonomisation à la « Banque mondiale » Depuis 2002, le destin et le devenir de la société malgache s’articulent autour de l’autonomisation à la Banque mondiale, qui a réussi à faire admettre à ses alliés pauvres e la teneur d’un document conçu pour le XXI siècle : le Document de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP). I.1.1. Délimitation de l’autonomisation Provinces autonomes, universités autonomes… Des expressions analogues nous sont familières aujourd’hui. C’est aussi une tendance observable sur la relation mère- enfant. Généralement, le bébé développe, dès le septième ou huitième mois de sa vie, ses capacités sociales et ses capacités d’autonomie afin de moins dépendre de la présence de la mère. Par extension, une entité autonome se crée des facultés l’amenant à être moins dépendante d’une entité mère. L’autonomisation est l’équivalent de l’empowerment en anglais, conçu comme un moyen favorisant la réussite des projets individuels. 163

« L’autonomisation signifie (…) accroître le choix et la liberté d’action de chacun. Elle implique une maîtrise des ressources et des décisions. […] L’autonomisation est l’accroissement des avoirs et des capacités des personnes pauvres, dans le but de leur permettre de mieux participer, négocier, influencer, maîtriser et responsabiliser les institutions qui ont une incidence sur leurs vies »1. « Il est intéressant de voir la variété de termes associés à l’autonomisation autour du monde. Ces termes incluent des notions telles que force personnelle, développement de la puissance d’agir, contrôle, confiance en soi, liberté de choix, vivre dans la dignité et le respect de ses valeurs, capacité de lutter pour défendre ses droits, indépendance, maîtrise de ses décisions, émancipation, prise de conscience et capacitation (…) »2. Selon Deepa Narayan3, l’autonomisation participe de la réforme institutionnelle et s’appuie sur : l’accès à l’information, la démarginalisation par la participation, la responsabilisation et la capacité organisationnelle locale. Elle a donc une valeur instrumentale et doit être pertinente au niveau individuel et collectif. I.1.2. Nouvelle ère de l’autonomisation L’exposé de la Banque mondiale sur le concept d’autonomisation semble être le bilan sinon le résumé de la réforme institutionnelle à l’œuvre depuis près de deux décennies dans le monde entier. Les expériences des pays pauvres, y compris celles de Madagascar, ont été décrites dans l’ouvrage. Schématiquement, il a fait suite au Rapport sur le développement dans le monde 2000-2001 : lutter contre la pauvreté4. Le condensé considère les opportunités, l’autonomisation ou l’insertion et la sécurité comme trois pôles à privilégier dans la définition et la mise en œuvre des stratégies pour réduire la pauvreté. Bien entendu, l’élaboration des DSRP n’est pas du

1 Deepa Narayan, Autonomisation et réduction de la pauvreté, Montréal, éd. Saint-Martin, 2004, p. XV. 2 Op. cit., p. 17-18. 3 Conseillère principale pour le Réseau Lutte contre la pauvreté et gestion économique (PREM) au siège de la Banque mondiale à Washington D.C. 4 Sous l’impulsion de l’ancien président de la Banque mondiale, James D. Wolfensohn, la préparation du rapport a pris plus de deux ans. S’appuyant sur une étude intitulée La parole est aux pauvres, il a pour but de mieux faire comprendre la pauvreté et ses racines. Il décrit les mesures qui permettraient d’instaurer un monde exempt de pauvreté, dans toutes les dimensions que revêt ce phénomène. Tout en s’appuyant sur nos théories et stratégies antérieures, il élargit et approfondit sensiblement nos conceptions de ce qui doit être fait pour relever le défi de la lutte contre la pauvreté. (James Wolfensohn). Pour la première fois, le communique no 2001/042/S émanant de Washington en date du 12 septembre 2000 fait connaître l’existence de ce rapport. La publication du texte intégral sur Internet est formellement interdite avant cette date. Les journalistes sont soumis à un embargo. La restriction peut s’expliquer par la 55e session de l’Assemblée générale de l’ONU les 6-8 septembre 2000 et à l’issue de laquelle la résolution publiée le 13 septembre 2000 porte sur les Objectifs du millénaire pour le développement. C’est un concept de nature à compléter les propositions que la Banque mondiale est sur le point de faire valoir. 164 tout un acte isolé1. Ces documents sont l’incarnation vivante des approches de l’autonomisation à la Banque mondiale. Pour notre pays, la nouvelle ère de l’autonomisation débute en 2002 où l’enfantement de son DSRP s’est déroulé dans la grande tourmente sociopolitique.

Vers le début de l’an 2000, le DSRP est en préparation selon le processus participatif. Le premier projet de document intérimaire est élaboré sur la base de l’atelier relatif à la lutte contre la pauvreté organisé les 7-8 septembre 2000 à Antananarivo. Un autre atelier s’ensuit le 10 novembre de la même année. La finalisation du DSRP intérimaire permettra au pays d’accéder au premier lot de financements Initiative pour les pays pauvres très endettés (IPPTE) au cours des années 2001-2002. Une cellule technique est mise en place au tout début du processus. Elle a réuni en son sein des hauts fonctionnaires, des universitaires, des élus locaux et des entrepreneurs du secteur privé. Un personnel permanent assure le secrétariat de cet organe avec le secrétariat technique de l’ajustement (STA). Le projet de

DSRP complet est soumis à des discussions régionales avant l’atelier national à Antananarivo les 15-16 novembre 2001. Mais la crise post-électorale de 2002 provoquera un arrêt momentané du processus. L’investiture populaire du 22 février 2002, vue comme un coup d’Etat, est suivie de la nomination du Premier ministre Jacques Sylla. Le 1er mars 2002, celui-ci formera sa première équipe en excluant le poste de ministre des Affaires étrangères. Les activités diplomatiques traditionnelles du pays sont donc mises en veille pour un temps. Puis, il y aura l’investiture légale du 6 mai 2002, suivie de la démission du premier gouvernement Sylla. Mardi 14 mai 2002, Me Jacques Sylla, reconduit à ses fonctions de Premier ministre, présentera la deuxième formation gouvernementale dite gouvernement d’ouverture2. Le général de corps d’armée Marcel Ranjeva est devenu le nouveau patron de la diplomatie malgache. L’ouverture est alors à la fois intérieure et

1 Il y a autant de DSRP comme il y a des DCPE dans le monde. Madagascar et Sénégal ont des DSRP établis sur les mêmes bases. Une raison de plus qui aurait raffermi le lien d’amitié entre le président Marc Ravalomanana et Abdoulaye Wade suite aux Accords de Dakar I (18 avril 2002) et Dakar II (8 juin 2002). Lors du Dakar I, et ce en marge de la conférence de l’OUA sur le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD), le président sénégalais agit au nom du groupe des chefs d’Etat facilitateurs pour aplanir les différends qui opposent le président sortant, l’amiral Didier Ratsiraka, au président autoproclamé, Marc Ravalomanana. 2 A Ambodiantafana Toamasina, le président sortant, l’amiral Didier Ratsiraka, considère cette investiture comme un deuxième coup d’Etat. 165 extérieure1. De son côté, la communauté internationale hésitée encore à reconnaître l’existence d’un pouvoir effectif et souverain. La Suisse est le premier pays à prendre une position claire2. Le 26 juin 2002, France, Maurice et Algérie brillent par leur absence au défilé militaire à Mahamasina pour la célébration du 42e anniversaire de l’indépendance. Dans la même journée, le président américain George Bush adresse à son homologue malgache un télégramme indiquant l’approbation du peuple américain quant à la légalité du nouveau régime. Les nuages diplomatiques se dissipent ainsi au bonheur du pays meurtri par la crise. La réticence française et africaine continue de faire ombre au tableau. Il faudra la visite éclair de Dominique de Villepin3 à Antananarivo le 3 juillet 2003 pour un débloquer la situation. Le chef de la diplomatie française de l’époque annonce la restitution prochaine des avoirs extérieurs du pays, jusque-là gardés par la France. En outre, l’envoyé de Paris s’engage à plaider en faveur de Madagascar auprès de frères africains de la défunte OUA. La réunion du Club des amis de Madagascar à Paris le 26 juillet 2006 est à la base de la nouvelle relation avec les institutions financières internationales. La séance à laquelle Jacques Sylla assistera se déroulera au siège de la Banque mondiale à Paris. Le redressement économique de la Grande Ile et l’appui financier afférent sont au centre des débats. Les amis de Madagascar approuvent l’octroi d’une enveloppe budgétaire de 2,492 milliards de dollars sur cinq ans.

Entre temps, le STA est rattaché au ministère chargé de l’Economie, des Finances et du Budget. Le renforcement du processus participatif coïncide avec la reprise des travaux en vue de la finalisation du DSRP. Les recommandations des deux ateliers sur l’environnement et la bonne gouvernance durant le mois de novembre 2002 sont ajoutées au corpus, fruit de nombreuses consultations antérieures. Le document est enfin prêt pour le rituel de l’atelier de concertation nationale du 25 au 27 mars 2003. L’administration et les élus y sont représentés à 34,8 %, le secteur

1 C’est un proche par alliance de la famille Ratsiraka qui a marié sa fille Annick Ratsiraka au neveu du général de corps d’armée, alors ministre de la Défense nationale au sein du gouvernement Tantely Andrianarivo (1998-2001). 2 La Confédération helvétique est le premier pays à reconnaître officiellement le nouveau dirigeant de Madagascar. Par la suite, le Japon, l’Allemagne, le Danemark, l’Union européenne et les principaux bailleurs de fonds traditionnels en feront autant. 3 En l’espace de dix heures, le patron de la diplomatie française de l’époque signe quatre conventions (pour un total de plus de 5 millions d’euros) avec son homologue malgache, et, rencontre successivement le Premier ministre Jacques Sylla et le président Marc Ravalomanana, sans oublier la communauté et le milieu d’affaires français à Antananarivo. 166 privé, la société civile et les différentes organisations à 45,8 %, les organismes internationaux à 10 % et les autres composantes de la population à 6,6 %1. Par la suite, le document est soumis à l’appréciation des Institutions de Breton Woods et est déclaré meilleur parmi les meilleurs2. Le rôle de la presse devrait être dans le contexte de reconstruction nationale d’aider les forces vives de la nation à assurer le bon fonctionnement de l’autonomisation. Le puissant moyen dont disposent les médias pour ce faire est leur capacité d’influencer la prise de décisions à tous les niveaux. Ils imposent de la sorte un mécanisme régulateur du jeu démocratique. Il y a lieu de créer les conditions favorisant l’émergence du journalisme pour la paix. Il ne peut pas y avoir de développement harmonieux sans la paix et la sérénité. La presse est un facteur dopant dans la fabrication du consentement général ou le manufacturing consent en langue anglaise. Edward S. Herman et Chomsky publient en 1988 le livre Manufacturing Consent: The Political Economy of the Media de masse qui inspire aux deux cinéastes canadiens indépendants, Mark Achbar et Peter Wintonick, le Manufacturing Consent: Noam Chomsky and the Media (1992), plusieurs fois primée film documentaire qui explore la vie politique et des idées de Chomsky. La presse joue un rôle majeur dans la restauration et la consolidation de la paix nationale quand le journaliste œuvre pour le lien entre la nation et ses citoyens, l’égalité des chances, la participation citoyenne, la prospérité économique et sociale, la confiance, la solidarité, l’unité et le sentiment d’appartenance. I.1.3. Autonomisation et décentralisation Toutes ces manœuvres s’accommodent avec les approches de l’autonomisation à la Banque mondiale. Ces dernières se déclarent respectueuses des logiques locales. L’autonomisation de la population malgache, pour que celle-ci puisse faire face au défi du développement, condense les finalités des axes stratégiques du DSRP : la restauration d’un Etat de droit et d’une société bien gouvernancée, la promotion d’une croissance économique à base sociale très élargie et la promotion des systèmes de sécurisation humaine et matérielle et de protection sociale élargie. Notre pays évolue avec le processus d’autonomisation à la Banque mondiale

1 Cellule technique STA , Document de stratégie de réduction de la pauvreté (DRAFT), Antananarivo, mars 2003, p. 5. 2 « L’approbation du DSRP au niveau des instances internationales est maintenant une question de formalité puisqu’il a été élaboré avec des experts du FMI et de la Banque mondiale », Midi Madagasikara du 5 août 2003, p. 6. 167 depuis la mise en œuvre du DSRP. Les actions gouvernementales se mesurent à l’aune de ses orientations. Le processus de décentralisation, quant à lui, est englobé dans le premier axe stratégique. Ses recommandations sont laconiques sur les rôles de la commune comme actrice principale du développement local.

Du reste, aucune mention particulière sur les régions n’a été inscrite dans le DSRP, version mars 2003. Mais la lecture du volet restauration d’un Etat de droit et d’une société bien gouvernancée indique clairement que leur mise en place est impérative. Les régions1 sont créées pour répondre aux exigences de bien coordonner les efforts du développement déployés au niveau des communes. La décentralisation est un acquis majeur du processus d’autonomisation. La notion de démocratie de proximité lui est associée. La politique est basée sur la responsabilisation accrue de la population au moyen de la forte implication de la société civile et d’autres acteurs du développement. La commune reste le premier fournisseur de services de base à la population. Elle occupe alors une place centrale dans le contexte de décentralisation. Cinq objectifs sont rattachés à la décentralisation : (i) créer un contexte favorable au développement économique et social de la commune (ii) renforcer les capacités institutionnelles des collectivités (iii) améliorer l’autonomie financière de la commune (iv) rendre la commune plus responsable pour la gestion des services de santé et d’éducation et (v) renforcer les capacités d’intervention du département2. La décentralisation entend redynamiser le lien entre le gouvernant et le gouverné. En revanche, elle est révélatrice d’une antinomie. D’une part, les efforts de la décentralisation sont liés à la démocratisation. La responsabilisation du citoyen est un point très positif. D’autre part, la décentralisation traduit la faille de l’administration centrale et son incapacité de pourvoir des services publics de base. C’est la réalité. Le fonctionnement des sociétés contemporaines devient de plus en plus complexe. Peu de gens le comprennent. Chaque société est tenue d’optimiser ou de rationaliser à outrance l’exploitation des ressources à sa disposition. L’Etat devient l’arbitre qui fait respecter les règles du jeu en vigueur. C’est la raison pour laquelle la compréhension de l’esprit de la décentralisation est indispensable. Ceci n’est pas du tout un travail facile à entreprendre. Il est abusif de prétendre maîtriser ce sujet en quelques paragraphes.

1 Elles sont créées aux termes de la loi no 2004-001 du 17 juin 2004. 2 Cellule technique STA , Document de stratégie de réduction de la pauvreté (DRAFT), Antananarivo, mars 2003, p. 55. 168

Le processus de décentralisation met l’accent sur la démocratisation et le développement de la capacité organisationnelle d’une communauté donnée. Mais la survivance des traits caractéristiques attachés à des sentiments négatifs (racisme et bellicisme) constitue un obstacle à la bonne marche des choses. Il convient de prendre en compte le rôle des médias pour psychanalyser cette réalité. I.2. Autonomisation et performance médiatique Les pouvoirs des médias sont immenses. Une simple publication peut provoquer la réaction de toute une communauté et déclencher l’action des pouvoirs politiques. Seulement, la performance des médias doit être évaluée en fonction de résultats. I.2.1. Le défi de la performance L’anthropologie politique nous renseigne sur la survivance des sociétés anciennes sous l’autorité des chefs traditionnels. Ceux-ci exercent encore des pouvoirs réels sur l’ensemble de leur communauté d’appartenance où la gérontocratie reste inébranlable. Le cas le plus remarquable est notamment rencontré dans le Grand Sud-Est 1. Le système ampanjaka – ceux qui font office de prêtres traditionnels et ils sont ainsi les représentants légitimes de pouvoir traditionnel – y est un phénomène social qui s’observe rigoureusement d’une génération à une autre et d’une région à une autre. Parfois, l’administration publique éprouve quelque difficulté à gérer et contrôler ce genre d’organisation sociale. Celle-ci se montre pointilleuse sur certains aspects de la vie, telle la gestion de leur espace cosmique (la terre ancestrale). Vers la fin du mois de février 2006, la région Atsimo Atsinanana fait parler d’elle lorsque des ampanjaka s’insurgent contre le chef de région Marojama Christian Razanabahiny 2. Dépositaire du pouvoir légal, ce dernier voulait céder des terrains en vue des exploitations agro-industrielles au nom du développement régional. Une telle cacophonie est compréhensible à plus d’un titre et ne remet en cause en rien la solidarité

1 Dans le contexte de régionalisation, le Grand Sud-Est regroupe les régions Vatovavy-Fitovinany et Atsimo Atsinanana. 2 Il est le fils du défunt politicien parmi les plus célèbres, le Dr. Marojama Razanabahiny, fondateur en 1973 du parti politique Vonjy iray tsy mivaky (VITM ou Elan populaire pour l’unité nationale ). Lors du mouvement des Forces vives en 1991, Marojama Razanabahiny fait partie de la bande des 3 M avec Monja Jaona (maire de la ville de Toliara de 1959 à 1961) de Madagasikara Otronin’ny Malagasy ou MONIMA , un parti de l’opposition créé le 29 juillet 1958, et Manandafy Rakotonirina du MFM . Par ailleurs, les trois politiciens sont tous d’anciens membres du CSR arrivé au pouvoir en juin 1975 sous la férule du capitaine de frégate Didier Ratsiraka. Notons que Manandafy Rakotonirina a été le secrétaire général du MONIMA avant la création de son propre parti MFM le 27 décembre 1972. Le parti de Manandafy Rakotonirina et Germain Rakotonirainy s’emploie avec un réel talent pour une propagande de thèses révolutionnaires proches de l’idéologie marxiste.

169 nationale. Aucune société ne vit plus aujourd’hui isolément. L’existence de réseaux de communication permet l’osmose culturelle. La problématique d’une linguistique à variétés dialectales multiples à l’échelle nationale ne compromet pas non plus l’unité nationale. Les habitants de différentes régions peuvent se comprendre entre eux. D’autres difficultés sociales encore plus délicates méritent d’être évoquées. Les Malgaches sont réputés pour leur sens de la cohésion sociale. Combien le monde entier admire leur calme et leur hospitalité ! A vrai dire, des concitoyens continuent de se haïr mutuellement. Composante à part entière de l’émotivité humaine, la haine a sa raison de s’extérioriser en cas de stimulation. Pour le cas malgache, l’aversion est artificielle, échafaudée, et ne doit pas avoir sa raison d’être. L’histoire moderne du pays nous indique les émouvantes expériences de 1972 dans la côte orientale comme un cas extrême. Après plusieurs décennies de cohabitation paisible, les gens originaires des Hautes Terres centrales y ont été brutalement chassés par leurs propres frères, natifs de la région. Le soulèvement populaire ayant conduit à la chute du président Philibert Tsiranana y est pour quelque chose1. La violente réplique des gens de la côte orientale est appréhendée comme la suite logique des attaques calomnieuses lancées par les membres du parti PADESM à l’endroit des partis naissants MDRM et PDM en 1946. Comme nous l’avons rapporté précédemment, la presse, et le journal Voromahery en particulier, y a participé d’une manière active entre 1946 et 1956. Les causes côtières sont entrées dans le vocabulaire politique malgache suite à ce détail anecdotique. Les attitudes extrémistes y font appel pour justifier leur action au moindre malaise politique. La société malgache risque de se laisser aller à de telles inconvenances sociales tant que le passé n’est pas dûment exorcisé. Trente ans après le tumulte de 1972, c’est-à-dire durant la crise de 2002, l’on a beau atiser l’antipathie à l’égard des originaires des Hautes Terres centrales. A présent, les médias ont fort à parier pour faire taire tout penchant à l’incitation à la haine mutuelle. Il y va de certaines dispositions légales, des recommandations du Code de déontologie du 20 février 2001 et des textes de la même valeur pratique. En revanche, les médias peuvent surfer habilement sur des sujets tribalistes et racistes. Ils peuvent également jouer un rôle pour : séparer les gouvernants de leurs citoyens,

1 Le 30 janvier 1972, le président Tsiranana est réélu à 99,8 % des suffrages exprimés. Mais les mouvements populaires, majoritairement tananariviens, ayant éclaté cinq mois plus tard le force à la démission au profit d’un directoire militaire présidé par le général de division Gabriel Ramanantsoa. 170 accroître les inégalités sociales, ne pas donner la possibilité aux citoyens de participer à la vie publique, créer un climat de perte de confiance et désolidariser. « Dès hier, nous avons lancé des consignes en provinces pour contenir toute velléité de provocations tribales », peut-on lire, par exemple, dans L’Express de Madagascar, no 3280 du 19 décembre 2005, p. 3. « (…) ny ady an-trano mihitsy no efa atahorana izao (lire : « l’on redoute fort bien de l’imminence de la guerre civile ») », rapporte La Gazette de la Grande Ile no 0846 de la même date, p. 17. Des propos pareils deviennent récurrents dans les journaux à Madagascar. Les médias sont mis au défi de la performance qui ne pourra s’apprécier que par rapport à leur capacité à réparer les erreurs commises dans le passé1. Il leur sera permis d’y parvenir eu égard à leur fonction de nœud (nexus2, articulation). C’est que le traitement raisonnable de toutes les cultures régionales finira par produire des savoirs pratiques3, tant recherchés par le processus d’autonomisation. L’initiative éveillera sans aucun doute un intérêt grandissant. Elle insufflera la synergie d’accumulation d’effets bénéfiques. La finalité sera la mise en marche effective de la complémentarité active entre tous les citoyens. I.2.2. Nécessité de la critique mutuelle La performance médiatique est tributaire de nombreuses interactions. La critique mutuelle entre des journalistes en est une. Leur autonomisation en dépend. Par contre, il est utopique de prétendre à l’uniformisation de la manière d’appréhender le monde pour les gens des médias. La critique mutuelle est nécessaire pour eux en dehors de toute conception manichéenne sur la profession. La pratique est fortement encouragée à l’extérieur où les journalistes sont sollicités à s’analyser collectivement et objectivement avec l’assistance des spécialistes pour pousser les débats. La thérapie collective aide à prendre en compte la situation, à mieux se positionner par rapport à elle et à faire progresser l’autonomie. Pierre Bourdieu s’octroie un moment pour louer la vertu curative d’un tel procédé, source de progrès. Mais le

1 Nous entendons par là les missions incombées au journal Voromahery et à son successeur Zana- boromahery en 1946-1956. 2 Du latin nutere (lier). 3 Sous l’impulsion du romancier science-fiction Alfred E. Van Vogt, le milieu littéraire nord-américain a développé des travaux sur le nexialisme. L’œuvre la plus célèbre est Le monde des A (The world of null- A, 1945). Mais la paternité du mot nexialisme est attribuée à l’œuvre intitulée La faune de l’espace (1939). Le nexialisme est une science intégratrice chargée de relier un savoir à un autre. 171 milieu journalistique ne se résout pas y voir un principe1. Trop de contraintes qui pèsent sur l’univers médiatique interdisent la presse de s’y acclimater. La critique mutuelle prend des allures d’arguments ad hominem2 chez nous. Journalistes et organes de presse se pourchassent les uns les autres à la manière des chiens et sangliers au lieu de s’engager dans la voie suggérée par Bourdieu. Les gens des médias passent des temps à se faire écharper sans oser s’affronter en face-à-face. Le premier ennemi du journalisme n’est autre que le journalisme lui-même. Le journaliste est un loup, le prédateur potentiel, pour les autres et les médias pour les autres médias. L’attitude réellement malgache qui évite d’aller tout droit au but est vécue dans le monde de la presse. Nos journalistes détestent la confrontation. De surcroît, le milieu journalistique national est habitué à des réactions séparatistes, notamment depuis 1946. Les protagonistes se livrent à une véritable guerre à travers les médias qui sont devenus des moyens de nuisance pour les belligérants. Les conflits ouverts entre confrères sont à leur paroxysme en 1971-1972. Les désaccords ont quand même poussé à un résultat positif tel que nous l’avons vu précédemment. La plaidoirie en faveur du respect rigoureux d’une déontologie pratique – et non théorique – offre une autre voie de recours conseillée lorsque les solutions envisagées par la critique mutuelle sont refusées. La perte de lecteurs et de crédit est la conséquence immédiate de l’indifférence à l’égard de l’éthique. Espace de production culturelle, le journalisme subit la loi de son propre milieu. La mise au point de Margaret Thatcher3 et de Ronald Reagan4 est pertinente à ce propos : « (…) la liberté sera le mieux préservée dès lors que le personnel de la presse et de tous les autres médias d’information s’efforcera constamment et volontairement de maintenir un haut sens de ses responsabilités : la déontologie constitue en effet la meilleure protection »5. Il incombe au milieu journalistique une mission salvatrice et libératrice à l’instar

1 Le mot principe vient du latin principium qui signifie commencement. En philosophie, les principes sont le plus souvent définis comme des vérités premières ou des propositions qui servent à démontrer les autres vérités, mais ne peuvent elles-mêmes être démontrées, en vertu de leur simplicité et de leur caractère premier. Les principes sont comme les premiers éléments de la connaissance humaine. (cf. Collection Microsoft Encarta 2004). 2 L’argument ad hominem ou argumentum ad hominem est un sophisme consistant à discréditer la personne qui défend des arguments plutôt que les arguments eux-mêmes. 3 Femme politique britannique et Premier ministre de 1979 à 1990, Margaret Thatcher a une sensibilité certaine à l’égard de la liberté de la presse. 4 Quarantième président des Etats-Unis (1981-1989), Ronald Reagan est aussi qualifié de grand communicateur. 5 Claude-Jean Bertrand, op. cit., p. 28.

172 de celle gérée par le corps médical, pastoral, etc. Il est donc envisageable de faire prêter au journaliste une sorte de serment d’Hippocrate avant d’exercer le métier. L’appropriation de la Déclaration de Munich1 est primordiale pour le strict respect de la déontologie et de l’éthique. Mais il faut que le journaliste lui-même soit disposé et en mesure de respecter effectivement les normes établies. De toute façon, un engagement solennel ne garantit jamais la bonne moralité de l’individu. L’homme est ce qu’il dit et ce qu’il fait. I.2.3. Le cinquième pouvoir Dans un cadre démocratique, les médias sont un recours des citoyens contre les abus des pouvoirs. Ils sont ainsi appelés la voix des sans voix. En effet, les pouvoirs traditionnels – exécutif, législatif et judiciaire – peuvent faillir, se méprendre et commettre des erreurs. Trop d’incohérences juridico-administratives rendent perplexe la vie de la cité. De graves abus sont commis sans que les moyens efficaces pour les corriger soient mis en œuvre. La dénonciation de la violation des droits est considérée comme un devoir majeur du journaliste dans une démocratie. La notion de quatrième pouvoir y trouve la plénitude de son sens. Mais un ordre nouveau s’établit à mesure que la pensée libérale s’accélère. Les aspects de la vie collective se réduisent à un brutal affrontement entre le marché et l’Etat, le secteur privé et les services publics, l’individu et la société, l’intime et le collectif, l’égoïsme et la solidarité… Le marché libéral entend faire valoir sa propre loi qui n’a nécessairement besoin d’être en phase avec celle de l’Etat, le régulateur, l’arbitre. Le secteur privé et le secteur public se comprennent à peine. Le partenariat public privé tant prôné depuis 2002 vise le panachage des deux secteurs en vue de la production commune des services. Le rapport de l’individu à la société soulève plus que jamais autant de questions de plus en plus complexes2. Il est devenu difficile de délimiter désormais les frontières de la vie privée notamment dès lors que les médias prennent le plaisir de s’en mêler à cœur joie au nom de la liberté d’expression3. Tout est permis ne veut toutefois pas dire que tout n’est pas interdit (Sartre). La

1 Cf. Annexe VI. 2 L’atomisation de la famille, dont les membres sont adeptes des entités cultuelles de leur choix au nom de la liberté de religion, en est un exemple probant. 3 La vulgarisation médiatique en 2004 des vidéos montrant des ébats sexuels entre l’ancien secrétaire général du Fonds d’entretien routier (FER) et l’ex miss de Madagascar Tantely Ramamonjy est un exemple typique à ce propos. 173 problématique de la cohésion sociale et de l’individualisme rappelle la distinction durkheimienne entre la solidarité mécanique fondée sur l’égalité et la solidarité organique basée sur la complémentarité et la diversité. Par-dessus tout, les emprises de la grande Trinité globalisatrice1 aggravent toutes ces perturbations. Le fonctionnement global de la société est tel que les nouveaux maîtres du monde viennent en contrôler les mécanismes économiques fondamentaux. Parallèlement, la révolution numérique, incarnée par l’Internet, favorise l’essor spectaculaire du quatrième mode2 de communiquer et impose une nouvelle façon de s’exprimer, de s’informer et de se distraire. Les médias traditionnels (presse écrite, radio et télédiffusion) sont mis au défi de leur performance. Le quatrième pouvoir doit redouter la montée en force des blogs3. Par des mécanismes de concentration, la mondialisation est aussi celle de l’information et de la communication. En conséquence, les médias courtisent les pouvoirs et les groupes économiques pour mieux jongler avec le nouvel ordre de domination mondial. Un contraste saisissant se dessine entre les intérêts passionnés et la vie publique. Les médias n’agissent pas concrètement au nom de l’objectif civique. Un cinquième pouvoir doit surgir pour permettre à une force civique citoyenne de s’opposer ou pour dépasser le pouvoir des médias traditionnels. Malgré tout, ces derniers demeurent l’ami éternel de l’exercice de la violence symbolique. I.3. Du bon usage de la violence symbolique L’exercice de la violence symbolique peut être bon ou mauvais suivant le contexte. Nous retiendrons les luttes contre la propagation du VIH/SIDA et la corruption comme deux cadres où des intérêts capitaux se focalisent sur le rôle des médias. Les débats sur ces deux domaines resteront à jamais d’actualité brûlante à Madagascar. Mais un problème d’intégration/exclusion se pose.

1 La grande Trinité globalisatrice réunit à la fois le FMI, la Banque mondiale et l’OMC. Les trois entités représentent un faisceau de groupes économiques planétaires et d’entreprises globales dont le poids dans les affaires du monde apparaît parfois plus important que celui des gouvernements et des Etats. Elles sont ainsi appelées aussi les nouveaux maîtres du monde. 2 Les trois formes traditionnelles de la communication s’appuient sur la parole, l’écrit et l’image. 3 Un blog (né de la contraction de web et log) est un site web, personnel ou collectif, dont les contenus associent – avec des dosages et une clarté très variable – des témoignages et des choses vues, du couper- coller d’informations collectées dans des médias et des commentaires personnels (sur l’actualité, les consommations culturelles des animateurs du site). Ces sites ne relèvent pas du journalisme. Ils illustrent le flou croissant entre journalisme et production ou mise en ligne d’information (Neveu). 174

I.3.1. Violence symbolique et lutte contre le VIH /SIDA La pandémie est considérée comme une bombe à retardement dans un pays encore faiblement touché. A terme, elle pourra compromettre le processus d’autonomisation de la population lorsqu’une certaine proportion des habitants sera touchée. Il est alors urgent d’actionner une stratégie de lutte et de mobiliser les moyens et ressources pour faire reculer la propagation rapide du VIH /SIDA . Le 3 décembre 2002, le président de la République déclare cause nationale la lutte contre le VIH /SIDA . Le 14 décembre 2001, le Conseil d’administration de la Banque mondiale avalise le PMPS phase I (2002-2006). En 2003, une enveloppe de 30 millions de dollars est octroyée au gouvernement pour appuyer l’exécution du projet multisectoriel. Par la suite, les débats sur le VIH /SIDA alimentent les discours publics. Les premières actions menées consisteront à déterminer le taux véritable de prévalence nationale. L’on avancera alors le taux de 1,1 % ( ≈ 180 000 sur 17 millions habitants). La moyenne communiquée résulte de l’extrapolation des études réalisées sur 9 633 femmes enceintes entre mai et juillet 2003. L’effectif réel peut donc être en dessus ou en deçà de cette approximation. La vraie discussion est maintenant d’avoir des données beaucoup plus exhaustives, proches de la réalité. Voilà pourquoi le test de dépistage est fortement encouragé. Les personnes ayant contracté le virus sont aussi sollicitées à se manifester. Mais très peu d’individus répondent aux appels lancés. Trois raisons principales peuvent être attribuées à la réticence générale. La première est d’ordre communicationnel : l’information ne passe pas bien. La seconde est du registre psychologique : la peur inhibe toute attitude volontariste 1. Et la troisième est purement sociale : le niveau de conscience sociale à l’égard des personnes vivant avec le VIH est encore à travailler. La société est toujours prompte à les stigmatiser. Là, c’est un grave problème d’intégration/exclusion. La lutte contre le 2 VIH /SIDA devient l’une des préoccupations mondiales aux côtés du règlement des conflits armés, de la lutte contre le terrorisme, le trafic de drogue, le blanchiment d’argent, de la lutte contre le réchauffement planétaire… 3 Le programme commun des Nations unies sur le VIH /SIDA (ONUSIDA ) , dont le

1 La vision catastrophiste de la pandémie est anxiogène et angoissante pour beaucoup. 2 e Les OMD en font une de ses priorités (6 objectif). 3 Le Dr. Peter Piot, le secrétaire général adjoint de l’ ONU , est le directeur exécutif de l’ ONUSIDA depuis sa création jusqu’en 2007.

175 siège se trouve à Genève, est créé en 1995. La nouvelle branche des Nations unies a pour vocation de coordonner les actions de lutte mondiale menée en collaboration avec l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et les différentes agences de recherche. Le 15 janvier 2004, le secrétaire général Kofi Atta Annan organise à New York des assises réunissant les patrons des grandissimes groupes médiatiques mondiaux. Il sera, en effet, question de discuter sur la manière dont les réseaux de médias pourraient contribuer à la lutte contre le VIH/SIDA. De la conférence est née l’Initiative des médias mondiaux contre le SIDA ou le Global Media AIDS Initiative. Les grandes puissances soutiennent l’initiative. Les nouveaux pays émergents aussi. Pour les pays pauvres, l’adhésion se caractérise par la mobilisation permanente des organes de presse. Du 6 au 8 mars 2004, le directeur général d’ONUSIDA séjourne à Madagascar. Il profitera de son passage en terre malgache pour rappeler aux responsables, à commencer par le président de la République, l’importance du rôle joué par les médias dans la lutte contre le VIH/SIDA. Le point saillant de ses recommandations touche la mise en œuvre d’une forte volonté politique. Par-là, il insinue le geste que tous les dirigeants doivent manifester à l’égard des sidéens avérés. La Chine est d’une exemplarité particulière en la matière. Pour endiguer le fléau, les hauts dignitaires chinois, accompagnés des médias, se rendent régulièrement aux hôpitaux où des malades sont traités. Tous les gestes (poignées de main, embrassades, la façon de tenir un dialogue avec le malade…), même les moindres (expressions du visage, mouvement des mains…), sont filmés, photographiés et enregistrés. La gestion du communicationnel est bien calculée à l’avance pour avoir des résultats tangibles. Par la suite, les enregistrements auront une large diffusion médiatique pour que l’ensemble de la population reçoive le même niveau d’information en matière de prévention contre le fléau. Les dirigeants chinois savent donc jouer sur l’effet de proximité de la télédiffusion en raison de la force émotionnelle des sons et encore plus des images. C’est un bel exemple à suivre pour nous. La Chine sait faire bon usage de la « violence symbolique » pour mieux combattre le VIH/SIDA. La méthode utilisée ne devra pas tarder à porter ses fruits et faire des émules en Inde, Thaïlande… Mais toutes ces belles expériences semblent peu convaincantes aux yeux de nos dirigeants qui préfèrent multiplier les ateliers de concertation et de réflexion contrairement aux orientations et conseils prodigués en mars 2004 par le Dr. Peter Piot. 176

Toujours durant l’année 2004, la mise en application de la méthode dite réponse locale , vue comme un outil efficace pour faire sauter la barrière psychique des habitants, fait l’objet d’une large couverture médiatique. Mais les résultats obtenus sont loin d’être satisfaisants. La réticence générale persiste toujours contre toute attente. Il aurait fallu que la séance de dépistage du couple présidentiel dans la soirée du 27 février 2006 soit retransmise par les télévisions et rapportée par l’ensemble de la presse pour opérer un infime changement de donne à Madagascar. Les affluences aux centres de dépistage augmenteront dès le mois de mars 2006. Le coup d’essai est réussi dans le domaine de la lutte contre le VIH /SIDA . Mais, en matière de lutte anti-corruption, l’efficacité des actions engagées importe avant tout. I.3.2. Violence symbolique et lutte anti-corruption La corruption a toujours été considérée comme un mal qui ruine les finances publiques. Elle est potentiellement destructrice du processus d’autonomisation comme le regrette Robert B. Hawkins 1 dans le passage suivant : (…) une grande partie des dégâts causés par le récent tremblement de terre en Turquie (août 1999) était due à une corruption généralisée entre industrie du bâtiment et fonctionnaires gouvernementaux 1. La corruption est un mal endémique, qui sévit en permanence. La genèse de la paupérisation lui est attribuée. Elle affecte la distribution des ressources publiques, l’accès aux services de base (santé, éducation, justice…) et nuit aux investissements ainsi qu’à la sécurité sociale. De façon générale, les ménages pauvres consacrent une plus grande partie de leurs revenus au pot-de-vin (petite corruption). La corruption participe de la criminalité financière et économique. La bataille livrée à la délinquance économique est une mesure de nature à dissuader toute tentative de voler l’argent public. De son côté, l’Inspection générale d’Etat ( IGE ) s’occupe de la vérification et de la bonne foi de la comptabilité publique. La corruption semble s’enraciner davantage dans la société en dépit d’un cadre institutionnel bien clair. La corruption gêne le fonctionnement des organes étatiques et en ébranle la légitimité. Des études sur la corruption démontrent que celle-ci est à l’origine de dysfonctionnement institutionnel du pays, pénalise les initiatives privées et a un coût social élevé. En 1996-1997, la Banque mondiale a réalisé des enquêtes approfondies auprès de 69 pays. Les résultats ainsi obtenus influenceront toute approche ultérieure.

1 Docteur en sciences politiques de l’université de Washington, Robert B. Hawkins est le président de l’Institut d’études contemporaines (Institute for Contemporary Studies, ICS ).

177

La lutte contre la corruption est intégrée dans le premier axe stratégique du DSRP visant la restauration d’un Etat de droit et d’une société bien gouvernancée . En 2002, le gouvernement s’engage à combattre la corruption. En conséquence, le Conseil supérieur de lutte contre la corruption 2, placé sous l’autorité du président de la République, est institué aux termes du décret no 2002-1128 du 30 septembre 2002. L’initiative bénéficie de l’appui des partenaires financiers du pays. Elle amorcera une suite d’actions aboutissant à la naissance des organisations de lutte contre la corruption 3. Mais la véritable lutte ne démarrera qu’à partir de 2004. Le 20 juillet 2004, la Convention nationale de la lutte contre la corruption est rendue publique. Le 9 septembre 2004, la loi no 2004-030 sur la lutte contre la corruption est promulguée. Toujours en 2004, le pays signe deux Conventions internationales sur la lutte contre la corruption avec l’ONU et l’Union africaine. La mise en place du Bureau indépendant anti-corruption ( BIANCO ) est rendue effective avec la nomination de ses fonctionnaires, en activité depuis octobre 2004 4. Un comité technique d’éthique est constitué au sein du Conseil supérieur de lutte 5 contre la corruption ( CSLCC ) . Puis, viennent la réalisation du document référentiel en matière d’éthique et la mise en place de la Chaîne pénale anti-corruption dont le démarrage des activités date du 13 juillet 2004. Le CSLCC est devenu Comité pour la sauvegarde de l’intégrité ( CSI ) depuis 21 mars 2006. Désormais, le pays possède un arsenal juridique et des structures opérationnelles pour pouvoir s’engager dans la voie anti-corruption. Seule l’efficacité réelle de la lutte compte quelle que soit la perception générale de l’arrangement institutionnel en haut lieu du pouvoir étatique. Robo mas faço obras (lire : Je me remplis les poches mais les

1 Robert Klitgaard et al., Villes corrompues , Paris, Nouveaux Horizons, 2002, avant-propos, p. IX . 2 Le CSLCC a pour missions de : développer et adapter le plan de bataille, veiller à sa mise en œuvre, promouvoir l’adoption de règles d’éthique et de normes de comportement, établir un bilan régulier des résultats du programme anti-corruption et formuler des recommandations, et, donner des avis au président de la République sur toutes les questions relatives à la lutte contre la corruption. 3 Ces organisations comprennent : le CSLCC , le BIANCO et la Chaîne pénale anti-corruption. Elles fonctionnent avec le budget général de l’Etat et les ressources octroyées par les partenaires. 4 Les locaux du BIANCO villa La Piscine à Ambohibao Antehiroka sont inaugurés le 12 octobre 2004. L’antenne locale du bureau se trouvant à Andohanatady Fianarantsoa est opérationnelle depuis 3 mars 2006. Ladite ville a longtemps abrité le bureau central de la Direction générale de l’Investigation et de Documentation intérieure et extérieure (DGIDIE , créée en 1977). Dissoute en conseil des ministres le 21 janvier 2004, la DGIDIE est remplacée par le Central Intelligence Service (CIS ). 5 Conduite par Bakolalao Ramanandraibe Ranaivoharivony, alors présidente du CSLCC , une délégation malgache participe à la Conférence de Signature de la Convention des Nations unies contre la corruption à Mérida Mexique les 9-11 décembre 2003.

178 travaux publics sont bel et bien réalisés)1, disent les Brésiliens. Les études effectuées en 2005 annoncent une nette régression du phénomène de corruption à Madagascar. Un esprit bien avisé doute pourtant de la sincérité de la baisse. En effet, Transparency International publie des versions contradictoires aux annonces officielles. De plus, les parlementaires et autres dignitaires de l’Etat ont beau contester2 la déclaration de patrimoine qui découle de la loi anti-corruption au motif que le chef de l’Etat, qui est lui-même à la tête de la lutte anti-corruption, s’y soustrait. Plusieurs arguments sont avancés concernant l’insoumission présidentielle à l’égard de ladite loi. L’énoncé suivant les condense : « Qu’il consente à parapher l’acte de déclaration de patrimoine, sa signature n’aura jamais la valeur juridique de sa prestation de serment lors de l’investiture constitutionnelle ! » Ce serait donc le fait du prince. Mais le fond du refus en bloc est plutôt d’ordre juridico-administratif. Quels qu’en soient les portées et les aspects, la conception sociologique de ce genre d’interaction ne sera jamais polémiste. La violence symbolique que comportera l’éventuelle volte-face présidentielle suffirait amplement à pousser à l’extrême toute disposition anti-corruption. Les polémiques s’y rapportant semblent se taire. Mais il est fort probable qu’elles resurgiront dans l’actualité avec plus d’intensité à l’avenir. Elles s’enfammeront sûrement lors de prochaines échéances électorales. I.3.3. Problématique de l’intégration/exclusion

Que ce soit lutte contre la propagation du VIH/SIDA ou contre la corruption, les médias feront éternellement figure de compagnons de route incontournables. Il s’agit de combat obligatoirement gagnable par les jeux de communication et d’information. Les médias sont les principaux canaux utilisés pour faire passer les sensibilisations, souvent sous la forme de publicités. Mais là où il y a de la gêne il n’y a pas de plaisir. Miser trop sur les publicités3, c’est méconnaître momentanément le journaliste, le moteur des médias et le catalyseur de l’opinion publique. L’intervention de celui-ci n’est sollicitée que pour rapporter ou diffuser le déroulement d’un tel ou tel événement ponctuel ou spontané. Nous n’avons rien contre les publicités. Activité journalistique et

1 Robert Klitgaard et al., op. cit., p. 7. 2 Le bouclage du dossier est prévu pour le 24 avril 2004. Dans l’après-midi du 12 mai 2005, le directeur général du BIANCO, le général de corps d’armée (depuis novembre 2005) René Ramarozatovo, a affaire aux récalcitrants de l’Assemblée nationale au sujet de la déclaration de patrimoine. 3 Il y a mille et une manière de les faire : panneaux géants, annonces radiophoniques, affichages, banderoles, spots télévisions, dépliants… Il faut aussi signaler au passager le lancement officiel du site Internet http://www.partenairescnls-sida.mg dans l’enceinte de l’Institut national du tourisme et de  179 publicité sont complémentaires par la force des choses et selon les principes de la solidarité organique. La problématique de l’intégration/exclusion soulève une question d’ordre structurel au niveau de la lutte anti-corruption. Selon Daniel Kaufmann 1, en matière de lutte anti-corruption, il n’est point de succès sans volonté politique forte, sans une écoute des citoyens, sans des moyens techniques appropriés, et, à long terme, sans une stratégie de mise en œuvre réaliste . Toutes ces conditions semblent être réunies pour le cas malgache, excepté le volet « écoute des citoyens ». Structurellement et en référence au décret no 2002-1128 du 30 septembre 2002, la présence d’un journaliste, désigné par l’OJM , au sein du CSLCC devrait renforcer la voix citoyenne au sein de cet organe 2. Jusqu’à nouvel ordre, les autorités réfutent l’intégration du journaliste au sein de la structure pour des raisons inconnues malgré les demandes insistantes formulées par l’OJM . L’émergence d’une presse libre et critique est considérée comme l’une des conditions d’ordre général favorisant le combat anti-corruption. La question est de déterminer l’existence d’un lien probable entre la non adoption du Code de la communication et le rejet incongru d’Antaninarenina (le siège du CSLCC ). Concernant ledit code, l’idée est née durant la célébration de la Journée mondiale de la liberté de la presse organisée au CITE Ambatonakanga le 3 mai 1999. La possibilité d’une couverture nationale de toute compagnie audiovisuelle privée et la mise en place du Haut conseil de l’audiovisuel figurent parmi les revendications recueillies. La suite est faite de nombreuses concertations nationales avec la participation effective d’organismes internationaux. Les journées de réflexion sur la radiodiffusion du e XXI à Madagascar, sponsorisées ensemble par le TIKO GROUP SA et la compagnie aérienne Air Madagascar, sont, par exemple, organisées les 28-29 octobre 1999. Les assises seront suivies en novembre 1999 de la formation des commissions et d’un comité de rédaction au sein du ministère responsable.

l’hôtellerie ( INTH ) d’Ampefiloha dans la matinée du 5 avril 2006. 1 Daniel Kaufmann est le manager pour le groupe de la Réforme régulatrice, la Finance et la Gouvernance au sein de l’Institut de la Banque mondiale à Washington D.C. 2 Le CSLCC est composé de sept membres : un président nommé par le président de la République, un juriste désigné par l’Ordre des avocats, un journaliste désigné par l’Ordre des journalistes, un expert- comptable et financier désigné par l’Ordre des experts-comptables, un opérateur économique désigné par la Fédération nationale des Chambres de Commerce, d’Industrie, d’Artisanat et d’Agriculture ( FCCIAA ), une personnalité issue de la société civile désignée par une entité fédérative représentative et une personnalité du milieu éducatif privé désignée par le ministre de l’Enseignement. Jusqu’à nouvel ordre, le poste du journaliste – représentatif de la voix des sans voix – reste vacant au sein du CSLCC .

180

Les débats finissent par gagner la scène internationale. Finalement, en 2004, et ce après une demi décennie de pourparlers, l’avant-projet est prêt pour les débats parlementaires, sans cesse reportés sine die1. Il se peut que l’Etat use de moyens dilatoires en ce qui concerne le Code de la communication. Mais à observer de près le milieu, la pratique journalistique a encore un long chemin à faire avant d’arriver au stade de la maturité morale (cf. photo ci-dessous).

Photo V : Caricature délibérément irrespectueuse à l’égard de la personne du secrétaire général de l’ONU (Sources : http://www.les-nouvelles.com, Les Nouvelles no 0627 du 15 mars 2006, p. 2)

Cette caricature est publiée le lendemain de l’arrivée du septième secrétaire général de l’ONU, Kofi Atta Annan, en visite à Madagascar du 15 au 18 mars 2006. Un simple contact visuel avec cette représentation grotesque suffit à susciter un sentiment

1 Cf. Annexe XXII. 181 d’indignation même pour une âme insensible. Par ricochet, la haute personnalité se fait passer pour un âne (une personne ignorante et bornée). Se sentant blessées dans leur amour-propre, les autorités du pouvoir s’obligent à présenter des excuses à l’intéressé et de toute la nation par voie de presse interposée le samedi 18 mars 2006. La réaction de Nane Annan, l’épouse de Kofi Atta Annan, poussera le gouvernement à des excuses publiques. Bien que Nane Annan soit non Francophone, et, de ce fait, ne comprenne pas le français, elle s’arrange pour garder avec elle un exemplaire du journal insultant envers la personne de son époux. Ce 15 mars 2006, elle fait acheter des exemples supplémentaires du même numéro. Nane Annan en a sûrement pour ses réactions internes en voyant la caricature incriminée même si elle ne l’avouée pas de façon directe. Ce serait donc honteux pour la nation qui sacrifie une fortune pour honorer le séjour du couple Annan chez nous. Comment se fait-il alors qu’un journal du mérite de Les Nouvelles se permette de publier une raillerie subtile pareille à un moment où toutes les attentions se focalisent sur la première visite officielle de Kofi Atta Annan au pays d’autant plus que les rancœurs déclenchées par la publication des caricatures du prophète Mahomet par le quotidien danois Jyllands-Posten du 30 septembre 2005 puis reprises par le magazine norvégien Magazinet du 10 janvier 2006 continuent de bouleverser le monde et sont matière à réflexion sur la liberté de la presse et d’expression à l’échelon planétaire ? Même s’il n’y a pas volonté manifeste de compromettre les relations

« Madagascar-ONU », la signification des agissements ne pourrait être interprétée que dans le sens de l’absence de maturité morale du journalisme malgache. Loin d’être permissives, les autorités étatiques ont de ce fait raison d’atermoyer l’adoption et la sortie du Code de la communication. Dans une démocratie, un gouvernement qui cède aux tentations de juguler la presse risquerait d’être remplacé par un autre. Sous peine d’être qualifiée de despote, l’administration générale se garde d’infliger des sanctions sévères à l’endroit des médias. Ce qui ne l’interdit pas d’utiliser des moyens à sa disposition pour actionner la machine du rappel à l’ordre à la place des répressions ouvertes1.

1 Les Nouvelles et La Gazette de la Grande Ile sont bannis des vols réguliers (intérieurs et extérieurs) de la compagnie Air Madagascar depuis le séjour du couple présidentiel allemand, Horst Köhler, chez nous les 6-9 avril 2006. Air Madagascar résiliera brusquement les contrats passés avec ces deux organes de presse. La mesure sera maintenue jusqu’à nouvel ordre. Naina Andriantsitohaina, qui est directeur général de Les Nouvelles, quitte de plein gré son poste d’administrateur d’Air Madagascar (cf. La Gazette de la Grande Ile de samedi 22 avril 2006, p. 3). 182

La problématique de l’intégration/exclusion tend à perdurer à moins qu’une révolution notable ne soit opérée par et pour la pratique journalistique. D’ores et déjà, la toute-puissance des médias traditionnels menace d’être délestée considérablement par les possibilités offertes par la montée en puissance des TIC.

CHAPITRE II : AUTONOMISATION, TIC ET SOCIALISATION SECONDAIRE

Les technologies de l’information et de la communication (TIC) sont aujourd’hui éminemment dominantes dans le monde. Pourtant, notre pays est encore faiblement équipé en la matière. Mais il est maintenant à l’aube d’un grand bouleversement. Toute approche anticipative nécessite un scanning préalable de l’environnement. Puis, l’étude de la dialectique TIC/société malgache peut suggérer une éventuelle stratégie heuristique pour, enfin, à même de disserter sur la socialisation secondaire par les TIC. II.1. Etat des lieux Entre le Nord et le Sud, la ville et la campagne, les favorisés et les non favorisés… un fossé en termes d’accès aux TIC ne cesse de se creuser. C’est ce qu’il convient d’entendre par fracture numérique. La transition technologique en marche depuis les années 90 est opportune pour faire reculer l’enclavement numérique. II.1.1. Enclavement numérique

Le concept de NTIC, devenu aujourd’hui TIC, est une trouvaille des années 90 où les services proposés par l’Internet (réseau d’ordinateurs) entament leur première expansion dans le monde entier. Dans les années 60, le réseau d’Aparnet conçu avec la contribution directe de l’Advanced Research Project Agency (ARPA) est une affaire exclusive du département américain de la Défense. Réseau à usage militaire, l’Aparnet s’étend petit à petit aux universités américaines dans les années 70 avant d’être remplacé en 1990 par le réseau Internet, destiné dans un premier temps à la recherche civile. L’Internet connaît sa popularité actuelle grâce aux travaux réalisés par Tim Berners-Lee1 du Conseil européen pour la

1 En 1991, le chercheur met au point l’interface d’Internet appelée world wide web, qui permettra d’ouvrir le réseau au grand public en simplifiant les procédures de consultation des sites. En janvier 1992, l’Internet Society verra le jour avec pour objectifs de promouvoir et de coordonner les développements sur Internet. L’année 1993 verra l’apparition du premier navigateur ou butineur (browser), supportant le texte et les images. Cette même année, la National Science Foundation (NSF) aura mandaté une compagnie pour enregistrer les noms de domaine (nom logique permettant de désigner sans ambiguïté un ordinateur connecté à Internet). En 1993, Berners-Lee quitte cette organisation pour se rendre aux Etats- Unis, où il enseignera l’informatique et les sciences de la communication au Massachusetts Institute of Technology. Il aura fondé et dirigé le World Wide Web Consortium, une association regroupant des entreprises et des particuliers désirant promouvoir un développement sûr et démocratique de la toile. 183 recherche nucléaire (CERN, Genève). Les pays développés sont, d’abord, les premiers servis, ensuite, les pays en voie de démocratisation, et, enfin, les autres pays. Tel est le cas de Madagascar dont le basculement idéologique prendra effet suite aux mouvements des Forces vives en 1991. Dès 1996, le pays a bénéficié du Projet Leland du gouvernement américain. L’année 1996 se singularise par le début effectif de la première période de l’ère du numérique chez nous d’autant plus que la Grande Ile ne peut rien face à l’édifice mondial du cyberspace, la tour de Babel version électronique. Le processus de libéralisation du secteur des télécommunications sera aussi engagé dès 1997. Très vite, le nouvel ordre technologique au niveau du pays modifiera quelque peu la configuration de la société malgache, à commencer par le milieu urbain. La téléphonie mobile1 est venue envahir le quotidien de tout un chacun. Le port de ce joyau technologique fera partie intégrante de la façon d’être au monde de plus d’un citadin. Le pays compte 550 000 abonnés à la téléphonie cellulaire en 20052. L’essor spectaculaire du marché du numérique et le fleurissement d’interconnexions privées concourent de plus en plus à la montée du phénomène d’enfermement et d’isolement familiaux et individuels. La communication sociale deviendra de plus en plus virtualisée et aseptisée. Les gens se communiqueront davantage sans qu’ils soient soumis aux rites d’interaction dans une situation de face-à-face au sens Goffman du terme. Les rencontres familiales s’espacent toujours davantage. Les mœurs sociales subissent de dures épreuves. Des adolescents voire des mineurs sont exposés à des perversions à cause de l’accès facile à des obscénités (sites Internet, VCD, DVD).

Les bienfaits des TIC de même que leurs effets pervers sont illimités. Tout dépend de leur utilisation. Le contact avec l’univers numérique rend encore plus vulnérables les familles citadines. La réalité sociale est autre dans la brousse en plein enclavement numérique même si l’ampleur de la pauvreté matérielle des ruraux y est associée. Le développement du transport numérique (messagerie électronique, visioconférence,

1 La téléphonie mobile est une des applications classiques de l’Internet. 2 Les 550 000 habitants (3,2 % de la population) contre 369 000 habitants (2,2 % de la population) en 2004, sont déclarés utilisateurs de la téléphonie mobile en 2005, d’après la conférence de presse donnée par le ministère des Télécommunications, des Postes et de la Communication (MTPC) à l’hôtel Colbert Antaninarenina le 17 février 2006. La société ORANGE enregistre 290 000 abonnés à la téléphonie mobile d’après les documents que la société elle-même remet à la presse en février 2006. Le nombre total d’abonnés à la téléphonie mobile augmentera sans doute à la vue de l’extension des zones couvertes d’autant plus que la société privée TELMA entend lancer son produit téléphone mobile courant 2006. 184 téléenseignement, télémédecine, radiotélévision numérique, commerce électronique…) demeure un acquis majeur de l’entrée dans l’univers du numérique. Mais l’élaboration de la Politique nationale des TIC pour le développement ( PNTIC -D) en est aussi un autre.

II.1.2. Sur la Politique nationale des TIC -D L’accès à l’information qui implique la transparence est un volet non négligeable 1 des approches de l’autonomisation . La considération générale accorde aux TIC un rôle primordial dans l’état actuel des choses. La volonté de mettre sur pied une Politique nationale correspondante révèle l’existence des urgences à évacuer et répond au souci d’une gestion rationnelle de toutes les interactions ultérieures possibles. La Politique nationale des technologies de l’information et de la communication pour le développement (PNTIC -D) découle d’un cadre temporel bien défini et s’y comprend aisément. Son élaboration est avant tout suggérée par le DSRP . Mais les réponses institutionnelles visant la conception de la PNTIC -D sont antérieures, sinon parallèles, à la validation nationale du document (DSRP ) les 25, 26 et 27 mars 2003. Le processus entamé le 5 septembre 2002 2 est, en effet, arrivé à terme le 18 décembre 2003. C’est la date où des retouches particulières seront apportées à la PNTIC -

D avant qu’elle ne soit soumise au rituel du conseil des ministres en date du 6 avril 3 2004. Entre-temps, le Comité d’appui aux e-stratégies (CAES ) est institué pour piloter et coordonner en collaboration avec le ministère des Télécommunications, des Postes et de la Communication ( MTPC ) les actions entreprises ou à entreprendre.

La finalité de la PNTIC -D s’articulera autour de l’initiative Appui au désenclavement numérique (ADEN ) du pays. Entre autres, les objectifs visés sont de : étendre la couverture téléphonique et audiovisuelle numérique dans les différentes régions et spécifiquement dans les 112 districts (à court terme), étendre et numériser le réseau interurbain à fort potentiel économique – à densité démographique élevée – et établir les principaux maillages secondaires autour des artères principaux (à moyen terme), et, assurer l’interconnexion et la convergence de tous les réseaux vers le réseau

1 Selon la conviction générale, l’information est la matière transformable en savoir, lequel savoir permet à l’individu de s’émanciper. 2 Ce jour, un forum national sur les TIC se déroule à l’hôtel Panorama à Andrainarivo Antananarivo. 3 http://www.caes.mg . A l’époque, le ministre de l’Education nationale et de la Recherche scientifique (2003-2008), Haja Nirina Razafinjatovo, est ministre des Télécommunications, des Postes et de la Communication entre 14 mai 2002 et 16 janvier 2003. Pour son cursus, il a fait des études mathématiques à l’université de Connecticut (Etats-Unis) dont il est titulaire de Ph. D. en 1995 après une thèse sur l’ Irregular sampling with derivatives (cf. http://digitalcommons.uconn.edu/dissertation/AAI9605523 ).

185

1 national numérique structurant (RNNS , à long terme) .

La mise en œuvre de la PNTIC -D mobilisera tout un vaste réseau de structures opérationnelles, appelées aussi entités d’arrangement institutionnel , comprenant : HCSI

(réalisation de la PNTIC -D), OMSI (observation), ORTIC (régulation), BNM (normes), OMDA

(protection des contenus, droits et libertés), OMAPI (propriété intellectuelle), NIC -MG 2 (nommage), OTME (cryptage et confidentialité) et tutti quanti . Le nouvel arrangement 3 institutionnel intègre aussi le Fonds d’accès au service universel (FASU ) . Toujours au plan formel, un remue-ménage juridico-économique accompagnera la naissance de la PNTIC -D. L’organe de régulation ne sera pas l’ORTIC , à la place de 4 l’OMERT , mais l’ARTEC . L’ancien organe de régulation aura clairement pour mission principale d’accompagner le processus de privatisation de la société d’Etat TELMA . Mais la crise de 2002 a perturbé la finalisation de l’opération 5.

La dissolution de l’OMERT , annoncée vers fin 2005, sera telle que la réforme institutionnelle des télécommunications devrait dorénavant changer de cadre logique 6. Deux points méritent d’être retenus en dehors des polémiques entourant les actions relatives à la vente de cette société d’Etat. D’une part, le gouvernement plébiscitera l’avènement de la fibre optique nationale dès 2002.

1 MTPC , PNTIC -D, juin 2005, p. 35. Le RNNS regroupe l’ensemble du réseau en fibre optique et les liaisons satellitaires. 2 Cf. liste d’abréviations. 3 Le Fonds d’accès au service universel est créé en vue d’étendre les différents services TIC auprès de toutes les catégories de consommateurs, y compris les ruraux. Il réunit à la fois l’Etat, les partenaires financiers, le secteur privé et les consommateurs. La mission du FASU est de : collecter ce fonds, l’affecter par rapport aux besoins exprimés dans la politique nationale, formuler des besoins en vue de la réalisation des objectifs d’appropriation des TIC , appuyer la formation TIC à tous les niveaux, incuber des entreprises locales pour servir les intérêts des usagers locaux, vulgariser l’usage des TIC , alphabétiser les jeunes en milieu rural, former en TIC des groupes cibles en vue d’accroître et d’améliorer les services (langues, informatique, Internet, développement des contenus, etc.), informer les usagers sur la qualité des prestations TIC pour encourager le libre choix (cf. MTPC , PNTIC -D, juin 2005, p. 32). 4 Autorité de régulation des technologies de communication de Madagascar. La création de l’ EPIC o o dénommé OMERT (aux termes de l’article 25 de la loi n 96-034 et du décret n 97-1077 du 28 août 1997) est une émanation de la loi n o 96-034 du 27 janvier 1997 portant réforme institutionnelle du secteur des télécommunications à Madagascar. « (…) l’ ARTEC est instituée aux fins d’être chargée par l’Etat de la régulation en matière de télécommunications et de technologies de l’information et de la communication du domaine public et de leurs applications dans la mise en place de l’e-gouvernance » (cf. article 3 du projet de loi en vue de la loi n o 2005-023 du 17 octobre 2005 portant refonte de la loi no 96-024 du 27 janvier 1997 sur la réforme institutionnelle du secteur des télécommunications). 5 Au-delà de ses quatorze attributions (définies par l’article 34 de la loi n o 96-034 du 27 janvier 1997), la principale mission de l’ OMERT est d’accompagner le processus de privatisation de la société d’Etat TELMA . La formule consacrée est : « Accompagner la politique de privatisation du secteur des télécommunications » (cf. MTPC , PNTIC -D, juin 2005, p. 19). 6 Depuis le début 2002, la société DISTACOM (aux capitaux hongkongais) se voit adjuger 34 % des actifs de la TELMA . Mais l’aboutissement de la privatisation n’est effectif qu’en août 2004, moyennant la somme de 12,6 millions de dollars pour l’acquisition des actions de l’Etat (34 %), les actions restantes étant placées sous le contrôle de France TELECOM .

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L’institution de l’ARTEC dissimule la mainmise des nouveaux maîtres du monde sur la gestion du devenir de la société malgache 1. Sa mise en place officielle sera annoncée en conseil des ministres du 21 mars 2006. Les actuels big boss du secteur des télécommunications à Madagascar seront des membres influents au sein de l’organe 2 central de l’ ARTEC comme c’est le cas avec le secteur pétrolier . L’enjeu de la poursuite de la mise en œuvre de la PNTIC -D dépendra de la configuration de l’ARTEC. Toute démarche sociologique soucieuse de produire une lecture intelligible de l’actuel processus d’autonomisation de la société se doit de tenir compte de toutes ces e interpénétrations. Les TIC domineront le XXI siècle. L’interactivité est toujours source de création de valeurs et aucune société ne peut être indifférente aux apports du progrès scientifique et technologique.

Le Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI ) pousse chaque pays de la planète à réviser sa situation technologique pour réduire la fracture numérique et 3 pour que les TIC bénéficient à tous . Des mots tels que e-commerce, e-administration, e- coaching, e-services, e-learning, e-démocratie … et e-gouvernance font désormais pratiquement partie intégrante du vocabulaire administratif même si l’usage en est encore timide.

1 Le 20 novembre 2005, Patrice Pézat, ( DG d’Orange Madagascar), Patrick Pisal-Hamida ( DG de DTS WANADOO Madagascar), Parwez Jugoo ( DG de MADACOM ) et Damien de Lamberterie ( GULFSAT et GULFSAT Téléphonie) ont convoqué la presse pour annoncer la naissance du Groupement des opérateurs des télécommunications à Madagascar ( GTM ). Le but ultime de la présentation à l’hôtel Colbert Antaninarenina sera toutefois d’influencer les débats en haut lieu sur la création de l’ ARTEC . Au moment où ils se manifestent, ils savent pertinemment et sûrement l’implication directe de la Banque mondiale à l’élaboration de loi n o 2005-023 du 17 octobre 2005 portant refonte de la loi n o 96-024 du 27 janvier 1997 sur la réforme institutionnelle du secteur des télécommunications à Madagascar. [Il suffit de consulter le projet de loi et toutes les annotations qui vont avec lui pour le vérifier]. En outre, les Institutions de Breton Woods ont toujours supervisé avec un œil attentif le processus de privatisation qui a légitimé la venue de ces opérateurs étrangers chez nous dès les années 90. 2 Aux termes de la loi n o 2004-003 du 17 juin 2004, entrée en vigueur le 1 er juillet 2004, relative à la libéralisation du secteur pétrolier aval, les quatre sociétés pétrolières (Galana, Jovenna, Total Madagascar et Shell) ont une forte emprise sur le Conseil d’administration de l’ OMH , le seul organe régulateur des prix du carburant à Madagascar. Combien les fluctuations des prix des carburants font la pluie et le beau temps à Madagascar. 3 Le SMSI est un forum mondial organisé par l’Union internationale des Télécommunications ( UIT ), une agence de l’ ONU . Il vise à réduire l’inégalité entre les habitants de la planète sur le plan accès à l’information par le biais de nouvelles technologies de communication, et, en particulier, à l’Internet. La première phase a lieu à Genève, Suisse, les 10-12 décembre 2003 où 175 pays adopteront une Déclaration de principes (ratifiée par Madagascar en décembre 2003) et un Plan d’action. Le deuxième volet du SMSI se tiendra à Tunis, Tunisie, les 16-18 novembre 2005 et verra la participation de plus 12 000 représentants de gouvernements, du secteur privé, de la société civile ainsi que des médias. En 2003, 91 % des internautes habitent dans les parties du monde qui représentent 20 % de la population mondiale. Cela signifie que 80 % de la population mondiale est représentée par 9 % des internautes. On peut en déduire que cette population n’a pas de véritable accès à Internet, d’un point de vue pratique. Le projet est de renverser cette tendance avant 2015 (Encyclopédie libre Wikipédia) .

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II.1.3. Sur le désenclavement numérique1 Parler de désenclavement numérique revient à dire évoquer l’appropriation par les Malgaches des différents médias. Les postes radio sont les plus diffusés dans toute l’île. Près de 60 % des ménages en possèdent au moins un. En moyenne, le taux d’écoute est de 76,6 %. Moins de 50 % des ménages pauvres écoutent la radio contre 79,8 % des ménages bien vivre et 88 % de ceux qui estiment vivre moyennement. Les principaux programmes écoutés sont : les informations (34,6 %) et la musique (31,1 %). Les postes téléviseurs, quant à eux, sont faiblement répandus. La raison en est que le coût unitaire est trop élevé pour chaque ménage. Les conditions techniques de leur utilisation (énergie et liaison) répondent à peine aux attentes générales. La donne commence à changer grâce à un intérêt toujours grandissant porté sur les lecteurs DVD et

VCD. Dans la ville d’Ilakaka, sur la RN7, par exemple, près de 80 % de ménages disposent d’un poste téléviseur. Pourtant, la zone n’est pas couverte par les différentes chaînes : privées ou publique. A l’évidence, la TVM, à l’instar de la RNM, est la seule à disposer de licence pour émettre sur toute l’étendue du territoire. Seuls un tiers des ménages malgaches (32,5 %) regardent la télévision. Le record de l’audience revient aux centres urbains (54 % des ménages téléspectateurs). En milieu rural, le taux d’audience atteint à peine les 19 %. Pourtant, l’emprise de la télévision reste toujours élevée. L’on fait état de l’audience hors ménage à 85 % des cas. Les informations (37,7 %), les séries télévisées et les feuilletons (31,3 %) ainsi que les programmes musicaux (12,1 %) sont les plus prisés. Quant aux journaux, ils parviennent difficilement dans des zones enclavées. Le taux moyen de lecture est faible (27,3 % des ménages). L’audience est concentrée dans les zones urbaines (40 % et 63,5 % pour la ville d’Antananarivo). Un cinquième des ménages ruraux (19,8 %) s’intéressent pourtant à la lecture des journaux. En général, près de 71,5 % des lecteurs réfutent la sincérité de l’information. L’utilisation de la téléphonie filaire (fixe) demeure marginale1. En 2006, 70 000 abonnés sont recensés contre 48 166 en 2001. Mais la tendance évolue rapidement avec l’arrivée de la technologie CDMA, introduite à Madagascar en 2005 par la société privée

TELMA SA en collaboration avec la firme hongkongaise HUAWEI. Pour certains ménages, la connexion à l’Internet est tributaire de la ligne téléphonique en attendant la

1 Les données chiffrées utilisées dans ce sous-chapitre sont tirées de Les moyens de communications à Madagascar : Enquête d’audience 2004 (résumé) et de la PNTIC-D, juin 2005. 188 démocratisation des réseaux sans fil. Officiellement, le pays compte environ 15 000 abonnés en 2006. Les différentes institutions et les entreprises privées restent les principaux utilisateurs. Viennent après eux les cybercafés et les télécentres. Ces derniers entament leur expansion en milieu rural depuis 2003 grâce à la dynamique PPP et l’appui de divers organismes. Dans l’ensemble, l’infrastructure nationale en téléphonie et en audiovisuel repose sur des équipements de l’opérateur historique TELMA et des opérateurs de la téléphonie mobile. Du centre à l’Est, un faisceau TELMA numérique assure en grande partie les liaisons hertziennes. Les autres opérateurs offrent sur cet axe des liaisons par VSAT et hertziennes en tant que supports numériques de l’Internet et de la téléphonie mobile. Du centre au sud, un axe numérique sera déployé jusqu’à Antsirabe. Ensuite, quelques stations DOMSAT relayées par des faisceaux hertziens analogiques couvriront l’axe Antsirabe Toliara et une partie du sud-est depuis Fianarantsoa. A l’ouest et au nord, les grandes villes comme Morondava et Mahajanga seront couvertes par des stations DOMSAT de TELMA et des infrastructures des opérateurs DTS et GULFSAT. Beaucoup reste à faire en dépit de la progression du taux de couverture nationale ces dernières années. Les approches de l’intégration régionale (COI, COMESA, SADC…) impliqueront un nouveau vivre ensemble historique pour la population malgache, qu’elle soit urbaine ou rurale, dans ses rapports dialectiques avec l’extérieur. La dynamique d’économie d’échange, de l’économie de marché et de l’économie planifiée ou administrée rendra obligatoire le désenclavement numérique en vertu de la libre circulation de l’information et de l’« information pour tous »2. La liberté d’information appartient au lecteur et non aux medias qui doivent être le gardien de la probité. Pour l’année 2006, la prévision est d’assurer la couverture des 112 districts de l’île. Le nombre d’usagers devrait dépasser un million, selon les estimations. Ceci nous amène à discourir succinctement sur les TIC et la société malgache.

II.2. TIC et société malgache La société malgache est à l’orée d’un grand bouleversement technologique. Dès

2005, un cercle de réflexion sur l’usage de TIC s’invente des arguments sur la base desquels il entend convaincre l’Académie nationale sur la validité du mot TIKA (lire :

Teknolojian’ny fifandraisana sy ny fifanakalozana) à la place de l’abrégé TIC.

1 Notons que l’utilisation de téléphone fixe à Madagascar remonte à l’époque coloniale. 2 Un programme de l’Unesco portant cette appellation est mis en chantier. La première session du Conseil  189

II.2.1. Deuxième période de l’ère numérique L’avènement de la première période de l’ère numérique s’opère en 1996, c’est-à- dire au début de la mise en œuvre du Projet Leland . La deuxième période, quant à elle, arrivera lors de la mise en œuvre du projet backbone national de la fibre optique. La Banque mondiale vient à la rescousse en octroyant 33 millions de dollars. La ville de Toliara servira de portail d’entrée d’une liaison possible avec Durban (Afrique du Sud).

L’historique du projet fibre optique remonte à 1994 où la société France TELECOM a développé une nouvelle stratégie sur la pose des câbles maritimes. Après maintes réflexions commerciales et techniques, il est décidé qu’un câble reliant l’Europe du

Nord à l’Australie encerclerait l’Afrique. Il s’agira du câble dénommé « SEA -ME -WE 3 », long de près 40 000 km. La même liaison traversera aussi la Méditerranée, la Mer Rouge et les Détroits de Gibraltar et de Bab-el-Mandeb 1. Puis, il y a le deuxième câble appelé Atlantis 2 d’une longueur totale de 12 000 km entre l’Europe du Sud et l’Amérique du Sud et touchant l’Afrique de l’Ouest (Sénégal et Cap Vert). Ensuite, le troisième câble qui se nomme

« SAFE » ( South African and Far East , 18 000 km) assurera la liaison entre la Malaisie, l’île Maurice, l’île de La Réunion et l’Afrique du Sud. Et, enfin, le câble « SAT 3 » (16 000 km) joint l’Afrique du Sud à la plupart des pays de la côte occidentale d’Afrique et à l’Europe du Sud. Un réseau total de plus de 80 000 km constituera une gigantesque boucle autour de l’Afrique pour finalement desservir les cinq continents. Etant donnée sa position géographique par rapport à l’Afrique, Madagascar devrait être relié de facto au câble 2 3 1 SAFE ou à un autre . Depuis 2001, des pays dont Sénégal fonctionnent avec la fibre

intergouvernemental du programme se tient au siège de l’Unesco, à Paris, du 15 au 17 avril 2002. 1 Bab-el-Mandeb est le nom du détroit entre la péninsule d’Arabie et l’Afrique, reliant la Mer Rouge au Golfe d’Aden. Sa largeur est d’environ 32 km. Il est séparé en deux passes par l’île de Perim, proche du Yémen. A l’ouest de l’île, le passage mesure 26 km. A l’est, il ne dépasse pas 3 km. Les dangers que les courants rapides représentent pour la navigation dans les deux passes sont à l’origine de nom de ce détroit qui signifie « Porte des larmes » en arabe (cf. Collection Microsoft Encarta 2004) . 2 Le câble SAFE est un câble sous-marin optique dont le positionnement est envisagé en juin 1996 par Telekom South Africa et la Malaisie. Il est opérationnel depuis le 4 juin 2002 et fait partie intégrante de l’ensemble SAT 3/ WASC /SAFE né de la fusion en 1998 du projet SAFE et SAT 3/ WASC (South Africa Telecommunications – West African Submarine Cable ). L’accord final de maintenance et de production du consortium est signé à Pretoria le 17 juin 1999. La longueur totale de l’ensemble sera de 28 000 km pour un coût total de 639 millions de dollars. Il est construit par Alcatel Câble pour la partie SAT -3/ WASC et Tycom Submarine Cable System pour la partie SAFE . La capacité sur le segment SAFE est de 10 gbps (gigabits par seconde) initialement pouvant évoluer vers 130 gbps, et, de 20 gbps vers 120 gbps pour le SAT -3/ WASC . 3 Dès 2006, le nom du câble EASS y ( Eastern Africa Submarine System ) sera chuchoté. Les pays bénéficiaires seront : Afrique du Sud, Mozambique, Madagascar, Tanzanie, Kenya, Somalie, Djibouti et 

190 optique en matière de TIC. Pourquoi pas le nôtre ? Les pays africains s’organisent dès octobre 2001 à travers l’e-Africa Commission pour mieux tirer profit des avantages technologiques. Entre autres, l’e-Africa

Commission veut accélérer le développement des infrastructures TIC en Afrique et la réduction de la fracture numérique dont souffrent les Africains. Le cadre de connectivité de Madagascar au câble sous-marin à partir de 2007 devrait être tel que le croquis suivant nous le montre.

Croquis I : La liaison future de l’Est africain au câble sous-marin du haut débit dès 2007 (Sources : e-Africa Commission, 2007)

Les possibilités offertes par la fibre optique sont illimitées ou presque. Il s’agit du top du mode haut débit. Le processus en vue de la desserte pour Madagascar est

Soudan plus Botswana, Burundi, Centre Afrique, République Démocratique de Congo, Tchad, Ethiopie, Lesotho, Malawi, Rwanda, Swaziland, Ouganda, Zambie, et Zimbabwe. 1 Depuis le 22 mai 2001, la fibre optique relie le Sénégal à l’Europe. Le câble sous-marin qui relie le Portugal à l’Afrique du Sud est connecté au réseau de la Société nationale des Télécoms du Sénégal (SONATEL). Installé par la firme française Alcatel, ce câble sera ensuite relié aux réseaux de télécommunications gabonais, béninois, ivoirien, camerounais, angolais, réunionnais et sud-africain. Une quarantaine d’opérateurs privés participent à ce projet, d’un coût global de 700 millions de dollars (près de 600 millions d’euros), qui devrait dans un second temps relier l’Asie. Ce réseau sous-marin portera la 

191 envisagé à l’heure de la libéralisation du secteur des télécommunications, c’est-à-dire dès 1997. Les débats y afférents sont redevenus d’actualité après la crise 2002.

Officiellement, la société privée TELMA s’occupera des installations techniques et matérielles du backbone national. Pas plus tard que le vendredi 17 mars 2006, son directeur général, Eugène Beckers, annoncera que le backbone serait fonctionnel pour la ville d’Antananarivo dès le mois de septembre de 2006.

TELMA y est obligée aux termes du contrat signé en août 2004 qui l’engage à un investissement total de 165 millions de dollars pour une période de cinq ans. D’ailleurs, l’ARTEC devrait avoir sa forme définitive pour pouvoir superviser les actions de tous les opérateurs. En d’autres mots, des enjeux économiques majeurs se dissimulent derrière le désenclavement numérique des pays pauvres comme le nôtre. Dès 2003, le gouvernement mise beaucoup sur le concept d’e-gouvernance (gouvernance électronique et assimilés) pour faire des changements que suscitera la révolution numérique une réalité. D’excellents techniciens y sont engagés. II.2.1. Vers la gouvernance électronique L’e-gouvernance désigne « tout dispositif électronique qui cherche à promouvoir et à appliquer la gouvernance dans les services de l’administration par le biais d’infrastructure publique ou privée, collective ou individuelle, et qui se traduit par la gestion informatisée de l’Etat et de ses rapports avec les citoyens sur toute l’étendue du territoire national »1. Techniquement, l’e-gouvernance repose sur l’Intranet de l’Etat. Il est composé de nouveaux équipements et de réseaux informatiques qui favoriseront une communication transversale pour créer un cadre de collaboration, de coordination et d’échanges d’informations entre les services. L’Intranet de l’Etat constitue ainsi le point de départ de toutes les activités de l’e-gouvernance. Dans un langage encore plus simple, l’Intranet de l’Etat vise l’interconnexion informatique d’institutions publiques depuis la présidence de la République en passant notamment par les régions2 jusqu’aux communes pour que, à terme, l’interconnectivité puisse permettre des activités telles que e-learning et e-coaching3. capacité du système à 120 gigabits par seconde, soit 1,5 million de communications simultanées. 1 Cette définition sommaire est énoncée dans la loi no 2005-023 du 17 octobre 2005 portant refonte de la loi no 96-024 du 27 janvier 1997 sur la réforme institutionnelle du secteur des télécommunications à Madagascar. 2 Toutes les régions ont été consultées à ce sujet dans la journée du 16 février 2006. 3 Souvenons-nous que le régime Ravalomanana a toujours mis en vedette le capacity building. 192

L’on espère pouvoir promouvoir les e-services, l’e-administration et l’e- démocratie grâce à un large accès à l’Intranet. Les trois concepts constituent la finalité de l’e-gouvernance, qui, elle-même, s’inspire de la bonne gouvernance, le premier axe stratégique du DSRP. Cela étant, l’e-gouvernance a un long chemin à parcourir malgré l’amorce de la concrétisation au niveau des départements ministériels1. 2 La mise en œuvre de la Politique nationale de l’e-gouvernance (PNEG ) occasionnera la mise en place du cadre institutionnel requis. Il sera ainsi institué une

Cellule de développement de l’e-gouvernance (CDEG ) et une Agence nationale de la régulation et de l’exécution de l’e-gouvernance (ANRE) aux termes du décret signé par le président de la République le 25 mai 2005. Les deux organes sont chargés de la mise en place et du développement de l’e- gouvernance à Madagascar. La CDEG est coordonnée au niveau de la présidence de la

République tandis que l’ANRE est rattachée au MTPC pour l’opérationnalisation de l’Intranet de l’Etat. Ses structures sont aussi appelées à collaborer étroitement avec des instances telles que OTME, ORTC… Dans les années à venir, la texture sociale subira une profonde mutation. Le darwinisme numérique à l’œuvre ne s’arrêtera plus. Il s’inscrit dans la perspective de l’autonomisation du DSRP et de la poursuite de la construction du village planétaire. Somme toute, la société malgache est en train de s’informatiser et de s’électroniser3 davantage. Le nouveau cadre technologique de la société malgache déterminera à son tour le mode d’instrumentation de la presse à Madagascar. II.2.3. Internet et production sociale de la connaissance Pour les médias, et la presse écrite en particulier, l’Internet est à la fois mamelle nourricière et un cyanure injecté dans ses veines pour précipiter leur perte. Désormais, les médias doivent une part non négligeable de leurs sources d’information à l’Internet. En même temps, ils sont en train d’être absorbés et phagocytés par la toile. Le développement de la presse électronique finira par mettre un coup d’arrêt à la publication des journaux imprimés. D’autant que l’approvisionnement en papiers connaît des décadences inquiétantes à cause des fluctuations du cours international des

1 Le ministère de la Fonction publique, du Travail et des Lois sociales procède à l’inauguration de son nouveau système de gestion informatisée des agents de l’Etat (SGIAE) le 17 décembre 2005. 2 Le PNEG fait l’objet d’une validation nationale au Hilton Madagascar dans la journée du 3 avril 2006. 3 Ce mot ne figure pas encore dans le vocabulaire officiel. Mais la chanteuse française Lara Fabian l’utilise dans son tube intitulé Les amoureux de l’an 2000. 193 intrants industriels. L’on associe au développement de l’Internet le déploiement de l’e-citoyenneté. Mais dans quel sens ? La réponse ne pourrait être que d’ordre idéologique et culturel. Selon Marx, l’avancement technique détermine la typologie de la société : « (…) le moulin à bras donne la société féodale et moulin à vapeur la société capitaliste (…) »1. « La meilleure presse que vous lisez dans le monde, c’est la presse capitaliste »2. L’Internet, le moulin géant virtuel, favorisera alors l’émergence d’un nouveau o type de société humaine. Le volume XXXII, n 2, 2000, de la revue Sociologie et sociétés se consacre aux « promesses du cyberspace » et les « nouvelles croyanaces » : l’idéologie technique. Negroponte publie en 1995 chez Laffont (Paris) le livre intitulé L’Homme numérique. La même année, Pierre Lévi, un des apologues de la « poésie du virtuel » demande Qu’est-ce que le virtuel ? (éd. La découverte). L’e-gouvernance se conçoit à l’intérieur même de la nouvelle idéologie de Madagascar naturellement forgée par le président Marc Ravalomanana (janvier 2004) L’e-gouvernance est telle qu’elle doit accompagner la vision présidentielle. Elle tient compte des contraintes vertueuses possibles que génèreront la collusion de l’« idéologie technique », de l’« homme numérique » et de la « poésie du virtuel ». Cela insinue que le concept devrait être respectueux des valeurs culturelles et des traditions selon leurs variantes régionales. Mais le développement de l’Internet donne libre cours à l’impérialisme culturel contre lequel les sceptiques s’insurgent. Au cours d’une discussion, un ami a demandé : « Comment se fait-il que nos ancêtres ont pu formuler des connaissances sociales pleines de sagesse et de moralité sans faute ? » A cette question, un autre a répondu tout simplement en ces mots : « Parce qu’ils étaient en contact direct et permanent avec la nature ». Il reste alors à démontrer si le possible accès à l’Internet participe à l’épanouissement des productions sociales de la connaissance ou si elle en appauvrit le processus d’élaboration. C’est parce que l’Internet privilégie le contact avec le monde du virtuel et non avec le milieu naturel. Georges Herbert Mead (philosophe pragmatiste américain et spécialiste de psychologie sociale, 1863-1931) insiste sur l’importance de la communication qui se pratique à travers les relations sociales dans le développement de la pensée et de la connaissance réflexive.

1 Jean Cazeneuve, Dix grandes notions de la sociologie, Paris, éd. du Seuil, 1976, p. 101. 2 Ndiaga Loum, Médias et démocratie : Le quatrième pouvoir en question, UQAM, 25 septembre 2002. 194

L’usage de l’Internet nous met en présence d’une alternative. Plus il favorise la pensée individuelle1, moins il diminue le rapport d’homme à homme. « Les critères de vérité et d’erreur varient selon les cadres sociaux, les époques et les civilisations (Charles Wright Mills) »2.

II.3. La socialisation secondaire par les TIC

Les TIC permettent l’éclosion des savoirs pratiques, utilisables selon les objectifs à atteindre. Toutes les tendances actuelles convergent vers la formation à distance ouverte à toute personne dont les compétences sont à enrichir ou à consolider. Il y a lieu de retenir une double piste de réflexion : la différenciation pédagogique et le défi du développement rural par les TIC. II.3.1. La socialisation secondaire « La socialisation est le processus par lequel les individus acquièrent leurs compétences et leurs ressources sociales et deviennent des acteurs sociaux : la famille et l’école sont les éléments centraux de ce processus, mais d’autres milieux, comme les cercles d’amis ou le travail, peuvent avoir une place importante dans la socialisation »3. L’intériorisation des normes sociales à travers le rapport avec autrui est ce qui est des plus importants dans le processus de socialisation primaire. La famille et l’école y jouent des rôles centraux selon la formule célèbre du philosophe Emmanuel Kant4. Les travaux psychosociologiques développés en matière de socialisation s’intéressent à la façon dont l’individu, l’enfant, s’adapte à l’environnement social sans savoir préalablement que le cadre social est régi par des règles implicites. Généralement, la socialisation primaire se poursuivra jusqu’à la conquête de l’autonomie relative à l’approche de l’âge adulte. C’est alors que l’individu deviendra capable de jouer avec les informations pour tromper l’autrui5. La socialisation secondaire commence à poindre vers cet âge. En effet, l’adulte s’efforce de consolider ses acquis antérieurs, que ce soit dans un cadre formel ou non. Devenu une institution sociale à part entière, l’Internet est appelé à se substituer

1 (…) seule la pensée vraiment individuelle, délivrée des incitations de la vie collective, peut atteindre la vérité, op. cit. p. 59. 2 Op. cit., p. 61. 3 Cf. Collection Microsoft Encarta 2004. 4 « L’homme ne peut devenir homme que par l’éducation » Kant cité par Leif (J.) et Biancheri (A.), Les grandes doctrines pédagogiques par les textes, Paris, Librairie Delagrave, 1966, p. 196. 5 Jean-Claude Ramandimbiarison, professeur titulaire, cours de sociologie générale : interactionnisme symbolique et théorie de la communication, faculté DEGS de l’université d’Antananarivo, année universitaire 2002-2003. 195 aux autrui significatifs en ce sens que le transfert de connaissances se fait de machine à homme et non d’homme à homme. II.3.2. Pédagogie différenciée Différencier la pédagogie, c’est mettre en place dans une classe ou dans une école des dispositifs de traitement des difficultés des élèves pour faciliter l’atteinte des objectifs de l’enseignement (Sabine Laurent)1. Toujours selon cet enseignant, la pratique de la différenciation pédagogique consiste à organiser la classe de manière à permettre à chaque élève d’apprendre dans les conditions qui lui conviennent le mieux. La stratégie de la pédagogie différenciée se définit alors en termes de la différence des élèves. Les TIC permettent à l’heure actuelle de développer davantage plus une telle approche pédagogique. Les individus eux-mêmes peuvent choisir quoi ils veulent apprendre. L’affirmation doit susciter des causeries théoriques basées sur le triangle pédagogique enseignant-apprenant-connaissance. La grande toile mondiale stocke un potentiel de savoirs universels. L’individu y accède à partir de toute machine connectée sans l’intervention aucune de l’enseignant. Il est libre d’opérer le choix qui lui convient. Sans aucun doute, l’utilisateur est à la fois enseignant et apprenant. Le triangle pédagogique deviendrait à ce moment-là apprenant-Internet-connaissance. Mais le nouveau mode d’apprentissage poserait des difficultés pour les néophytes en la matière. Le monde du virtuel est potentiellement absorbant. S’y aventurer, c’est comme s’engager dans le labyrinthe. A force d’aller de lien en lien, l’apprenant risque de trouver quelque chose de très valeureux ou de ne rien obtenir du tout. Il n’est pas question de lâcher en cours de route le fil d’Ariane, c’est-à-dire le ou les mot(s) clé(s) de la recherche. Autrement, il serait facile de se perdre dans le dédale des informations qui paraissent toutes intéressantes à découvrir les unes les autres. La question est de définir des moyens d’appropriation des TIC faciles par les ruraux qui ont besoin d’apprendre des techniques nouvelles et des astuces nouveaux dans ce monde voué à une perpétuelle évolution. II.3.3. Le défi du développement rural Nul ne peut réfuter la vertu salvatrice, libératrice et émancipatrice de l’accès à l’information. C’est la raison pour laquelle la Banque mondiale et les autres partenaires

1 Maître de conférences en sciences de l’éducation. 196 consentent à financer le projet de désenclavement numérique à Madagascar. L’accès à l’information par tous les habitants, entre autres, est un des axes majeurs du processus d’autonomisation encouragé par la banque. Les effets libérateurs des médias et de la lecture sont partout loués. Mais on commence à en négliger l’importance au fur et à mesure que les TIC gagnent en puissance. Les télécentres créés dans des régions enclavées sont destinés à combler le manque en information et en communication au niveau local. Les limites et la faille médiatiques ne sont aussi évidentes que cela. D’après le groupe de travail pour l’Internet rural1, « aider les plus démunis et faciliter le lien entre l’administration et la population sont les deux priorités pour le développement des TIC ». La vision consiste alors à soutenir les victimes de la fracture numérique pour qu’ils puissent faire face aux diverses adversités. Les expériences acquises avec les premiers télécentres dans toute l’île permettent d’adapter au contexte les actions envisagées. Elles devraient servir de bases à la création de milieux du genre espace informatique2 destinés à matérialiser les initiatives visant la réelle appropriation des TIC par l’espace rural. En matière de lutte contre l’analphabétisme, nous proposons le recours à la publication en ligne pour éviter les difficultés inhérentes à l’accès aux documents imprimés. Etant donné leur caractère ludique, les lecteurs CD, VCD et DVD promettent des perspectives intéressantes. Leur usage appartient à l’ordre du loisir et est pourvu d’intérêts passionnels à même de satisfaire l’homo ludens. Puisque le milieu rural est encore très faiblement électrifié, la socialisation secondaire par les TIC pour les ruraux pourrait s’effectuer avec les nouveaux types de supports de l’information et de la communication en attendant l’effectivité de la desserte numérique définitive qui va supplanter les médias traditionnels. La concurrence sera rude dans ce contexte. Ce sera pour la presse écrite le moment ou jamais de se remettre en cause une bonne fois pour toutes. L’ascension continue des nouveaux médias est inévitable. Ils auront la force d’affaiblir les médias traditionnels. Le seul moyen pour les journaux de pouvoir s’imposer sur le marché de l’information serait de fidéliser le lectorat à un plus grand nombre possible et le plus hônetement possible d’informations à fortes valeurs ajoutées, preuve de l’existence

1 http://www.fing.org/index.php?rubrique=rural. 2 Depuis le mois d’avril 2006, chacun des sept districts de la région Sofia (Analalava, Antsohihy, Bealanana, Befandriana Avaratra, Boriziny Vaovao, Mampikony et Mandritsara) en est doté un. 197 d’un journalisme de qualité. La formule à fortes valeurs ajoutées renvoie à des aspects essentiels de la vie de l’individu et de la collectivité. Pour l’individu, l’information doivent l’aider à mieux comprendre le fonctionnement logique du monde afin qu’il puisse optimiser les atouts personnels. La société représente des intérêts antinomiques. C’est à ce niveau qu’il est strictement recommandé au journaliste de faire preuve d’une grande honnêteté intellectuelle. La clause de conscience est un concept ô combien édifiant. La collectivité est fragile et il est facile d’utiliser le journaliste pour saborder l’âme de la collectivité. Conclusion partielle La vie nationale évolue au rythme du processus d’autonomisation à la Banque mondiale enclenché par la mise en œuvre du DSRP. Les approches en action impliquent des interactions, toutes essentielles pour le devenir de la société malgache par rapport à la dynamique mondiale. La remise en question du quatrième pouvoir reste vivace dans ce contexte aux réputations mesquines. En matière d’information et de communication, les efforts nationaux et aussi internationaux se concentrent sur le désenclavement numérique et le redéploiement des

TIC. Les médias ont intérêt à instrumenter, à leur tour, les acquis de la mondialisation pour se maintenir dans leur statut de quatrième pouvoir et réviser leur légitimité. La marche du monde est telle que chaque domaine évolue vite, très vite même. La presse ne peut que suivre le rythme imposé de l’externe comme de l’interne. Mais il lui faut se débarrasser des tares de la machine à propagande. Si le journalisme parvient à le faire, il se libère d’une classe et d’une caste. CONCLUSION GENERALE 198

Dans un premier temps, le concept d’instrumentation se développe dans des domaines variés. Son usage s’est sciemment glissé dans le domaine des sciences sociales et sciences humaines grâce aux travaux réalisés par le psychologue québécois Jean Garneau. Il a exposé sa théorie dans l’article intitulé « L’auto-développement : une stratégie d’instrumentation », paru pour la première fois en 1984 dans la Revue o québécoise de psychologie, vol. V, n 3, p. 47-59. Il s’agit de voir dans les dispositions psychologiques de l’individu (principalement les connaissances, les habiletés et les attitudes) des formes d’instruments à mettre en valeur. Mais il faut l’assistance d’un spécialiste pour en pousser à l’extrême l’exploitation. L’instrumentation désigne alors la relation de celui-ci avec son client en vue des résultats les plus optimisés possibles en faveur de ce dernier. L’instrumentation de la presse se comprend suivant cette perspective. Elle est ici prise dans le sens de la stimulation des connaissances, des compétences et des pouvoirs détenus par le milieu journalistique pour parvenir à des fins individualisées. Les interactions ainsi provoquées sont profondément téléologiques. Celui qui instrumente et l’instrumenté cherchent chacun à maximaliser leur avantage respectif. Le constructivisme structuraliste de Bourdieu est un concept opératoire majeur qui reste incontournable pour toute approche sociologique de l’instrumentation de la presse. Le journalisme fait figure de champ par excellence où l’intériorisation de l’extérieur et l’extériorisation de l’intérieur au niveau de l’individu se déroulent et se renouvellent à l’infini. Les puissances et les pouvoirs des médias, sous la forme de violence symbolique parce que participant de l’ordre de domination culturelle, y plongent leurs racines. Les medias peuvent représenter une arme de guerre comme ils peuvent être utilisés comme un instrument de paix par excellence (cf. Annexe XXV). A forcer de s’ériger en quatrième pouvoir, les médias finissent par exercer une sorte de dictature douce sur l’ensemble de la société. Sous cet angle, l’analyse de la superstructure dans ses rapports avec l’infrastructure (Antonio Gramsci)1 suggère des indications précieuses quant à la dialectique presse/société. Le Courrier de Madagascar a servi d’éclaireur aux publications journalières du

1 Maria Antonietta Macciocchi, Pour Gramsci, Paris, coll. « Points », éd. du Seuil, 1974, p. 164-170. 199 pays dans les années 60 et 70. Par la suite, Madagascar Matin a pris sa place. Tous les deux ont eu pour mission de veiller au besoin en information de la communauté française basée à Madagascar, laquelle communauté étant en bute à la malgachisation dès 1972. Ils ont aussi accompagné l’administration publique sous l’action du dirigisme français de la période post-indépendance (1960-1972). Madagascar Matin a disparu et a cédé la place aux premiers quotidiens de nationalité malgache (Midi Madagasikara et Madagascar Tribune) dans les années 80. Bien que ces derniers aient eu à faire face à des vicissitudes défavorables au développement naturel de la pratique journalistique, ils ont pu quand même tenir la route. Des personnes issues d’horizons disparates ont assuré leur bon fonctionnement. Historiquement, l’éclosion inattendue des publications quotidiennes de l’après crise 2002 n’est pas un fait nouveau. Le phénomène s’est produit durant l’époque coloniale et a connu une ampleur exceptionnelle après les événements de 1947. Ce qui se passe aujourd’hui n’est autre que la répétition, l’opposition et d’adaptation (Gabriel Tarde) de la production historique qui a toutes les chances de se renouveler sans cesse. Mais le dynamisme médiatique d’aujourd’hui s’appuie aussi sur le progrès technologique et l’instauration d’un contexte relativement clément sous-tendu par les principes démocratiques. Mais plus la presse gagne en liberté, plus elle est instrumentée et moins elle prospère. Son essor se mesure plus à la réussite commerciale qu’au respect des principes et valeurs universels. L’instrumentation de la presse est un phénomène qui a traversé et continue de traverser le temps et l’espace. Les études historiques effectuées par le professeur Lucile Rabearimanana1 nous suggèrent ses différentes manifestations depuis la création du premier journal Ny Teny soa hanalan’andro en janvier 1866 jusqu’à l’aube de l’indépendance. Mais la dualité presse nationaliste/presse loyaliste de la période allant de 1948 à 1956 en est l’expression ultime. L’opposition a été telle que la presse catholique est apparue. Elle a revendiqué et défendu la thèse qui a réclamé la priorité de l’éducation civique avant la restauration de l’indépendance. La même configuration médiatique est de retour actuellement mais dans le sens inversé. A la place de la presse nationaliste, il est des journaux sévèrement critiques à l’égard du régime mais très ouverts aux causes de l’opposition.

1 Lucile Rabearimanana, La presse d’opinion à Madagascar de 1947 à 1956 : contribution à l’histoire du nationalisme malgache du lendemain de l’insurrection à la veille de la loi cadre, Antananarivo, Librairie mixte, 1980. 200

De même, il existe des publications visiblement pro-régimes et anti-opposants à la place de la presse loyaliste. Et il y a en celles qui se disent neutres et ouvertes à toutes les tendances. Peut-être, la seule différence est que les véritables organes de presse d’opinion auraient cessé d’exister, excepté les périodiques. A l’échelle planétaire, l’exemple français mérite une attention particulière. En 2006, les tendances gauchistes et assimilés prévoient de se réunir autour des Etats Généraux pour une information et médias pluralistes. Le mouvement est initié par l’Association-Critique-Médias (ACRIMED ) dont les actions s’inspirent des travaux de Bourdieu et des critiques de la même conviction à l’instar de Maler, Halimi et consorts. Les discussions en perspective porteront sur l’embastillement des journalistes par des puissances économiques et politiques. Il est de l’intérêt du journalisme malgache de prêter une oreille attentive à la problématique française. Le journalisme à la française a réussi à s’ancrer fortement à Madagascar dès lors que l’administration coloniale s’est employée à gêner les pratiques britanniques de la période précoloniale. En matière de presse, la Grande Ile a hérité du journalisme à la française qui se caractérise par un tropisme politique sur lequel la littérature pèse lourd. En effet, le début de la pratique journalistique malgache a été empreint d’un penchant littéraire, encore perceptible en 2006 où la presse malgache devra célébrer son 140 e anniversaire. Cela étant, les journalistes seniors projettent d’organiser des manifestations rentrant dans ce cadre durant le mois d’avril de l’année. La Sociologie du journalisme présente un intérêt immense pour une approche sociologique de l’instrumentation de la presse. Le livre est la toute première référence en son genre. Il s’agit d’explorer en profondeur le champ de domination culturelle a priori difficile à faire reculer. L’auteur ne cherche pas à défendre une thèse. Mais il verse dans un prophétisme concernant les crises de renouvellement et de légitimité du journalisme traditionnel. La fragilisation des médias est partout mise en exergue par les critiques. En 1997, Halimi publie Les Nouveaux Chiens de garde (nouvelle édition actualisée et augmentée en 2005). L’ouvrage désigne les journalistes à la merci de pouvoirs économiques et politiques. Ces derniers sont ceux qui s’emploient à instrumenter la presse. Dans l’article « Journalisme déboussolé ? » publié le 12 juin 2003, Laurent Laplante rappelle les réalités en lien avec le drame rwandais de 1994-1996.

Selon lui, quand l’ancien secrétaire général de l’ONU , Boutros Boutros-Ghali a

201 déclaré que le génocide1 a été entièrement la responsabilité des Etats-Unis, les médias majeurs américains – y compris NYT – ont rarement donné place à la version des faits. Dans l’histoire de cette grande compagnie médiatique, sa notoriété séculaire n’a jamais été aussi bouleversée qu’à cette occasion. Pour rappel, le géant américain fonctionne avec un chiffre d’affaires annuel de 3,1 milliards de dollars. Cela illustre que la puissance financière d’un organe de presse ne le met pas à l’abri de l’instrumentation. En Afrique, où les médias vivotent, le phénomène a raison de s’enraciner profondément dans les pratiques. Le cas rwandais et l’implication des médias complices resteront longtemps gravés dans les mémoires. Non seulement les Américains sont mêlés à cette affaire. Mais la France aussi y a la main sale. Verschave a déjà fouillé de ce côté dans Complicité de génocide ? La politique de la France au Rwanda (1994), suivi de La Françafrique, le plus long scandale de la République (1998) et de Noir Chirac (2002). L’auteur est d’ailleurs prolixe sur la politique de la France en Afrique. Il est prompt à déballer les dérives souterraines et déshonorantes de la politique franco- africaine à la moindre occasion. Après sa mort douteuse le 29 juin 20052, Pierre Laniray lui consacrera en 2006 le livre François-Xavier Verschave, l’homme qui voulait soulever les montagnes. De fait, l’homme s’arme toujours de courage pour mettre en procès la Françafrique et ne se résigne pas à l’inacceptable. Toujours concernant le génocide au Rwanda, la critique tout aussi vivace et piquante est celle de Patrick de Saint-Exupéry dans L’inavouable (2004). Voici comment le grand repoter pendant vingt ans au Figaro résume son optique personnelle rapportée à la quatrième de couverture : « En Afrique, la France se bat depuis cinquante ans pour conserver son empire. La décolonisation n’a pas été une rupture, juste une étape. Avec le temps, nos dirigeants ont simplement privilégié l’ombre, perfectionnant certaines techniques forgées durant les guerres coloniales : les opérations secrètes, l’enseignement de la ‘guerre révolutionnaire’, cette doctrine de manipulation des foules... ‘Au Rwanda, notre politique fut une réussite.’ Techniquement – je veux dire si

1 La tragédie a démarré dans la journée du 8 avril 1994. 2 L’agrégé de Lettres, Odile Tobner, remplace à partir du 17 septembre 2005 Verschave à la présidence de l’association Survie. Outre le défunt président, Tobner est le co-auteur avec le romancier et essayiste Boubacar Boris Diop de Négrophobie (juin 2005) « pour décortiquer le discours pervers de négrologie, qui joue avec le feu du racisme pour mieux masquer la face honteuse de la République (française) ». Tous les trois mettent à nu, preuves à l’appui, dix ans de désinformation, à Libération et au Monde. 202 l’on se débarrasse de ces concepts encombrants que sont le bien et le mal, l’humain et l’inhumain, l’acceptable et l’inadmissible –, nous fûmes au sommet. La mystification est une figure de la guerre. Nous la pratiquâmes avec une maîtrise qui glace le sang. e ‘Des soldats de notre pays ont formé, sur ordre, les tueurs du troisième génocide du XX siècle.’ Nous leur avons donné des armes, une doctrine, un blanc-seeing. J’ai découvert cette histoire malgré moi, dans les collines rwandaises. Il faisait chaud, c’était l’été. Il faisait beau, c’était magnifique. C’était le temps du génocide. » Parallèlement, Géraud de La Pradelle, professeur émérite à l’université Paris X- Nanterre, spécialiste du droit humanitaire de la guerre..., enfonce le clou et remue le couteau dans la plaie. Il publie en février 2005 Imprescriptible. L’implication française dans le génocide tutsi portée devant les tribunaux. La plume est plus que véhémente envers la responsabilité française dans ce que le juriste qualifie de « crime des crimes ». « Le génocide et la complicité de génocide sont des crimes imprescriptibles. Quel que soit leur nationalité ou leur niveau de responsabilité, aucune immunité n’en protège les auteurs. En 1994, la communauté internationale a reconnu le génocide tutsi comme l’un e des trois génocides du XX siècle. La décision met la France dans une position peu confortable. Il est désormais avéré qu’entre 1991 et 1994, des soldats français ont formé, sur ordre, des Rwandais qui ont participé à ce génocide. Pendant les massacres, l’armée française s’est portée à leur secours, leur permettant de poursuivre aussi longtemps que possible leur terrible besogne. Elle les a épaulés dans leur guerre contre le FPR avant de faciliter leur fuite au Zaïre. Depuis, les autorités françaises n’ont cessé de protéger leurs anciens alliés devenus génocidaires. » L’analyse focalisée sur les publications du 19 décembre 2005 à Madagascar 1 a permis de comprendre que nos journaux ne sont pas à l’abri des manipulations sournoises à des fins tragiques. Une même circonstance différemment commentée déclenche en toute logique un flot de commentaires et d’idées contradictoires. Jusqu’à présent, les traces du passé sont prêtes à réapparaître quand des journaux consentent à entretenir et enrichir les débats sur les causes côtières et le tribalisme. Pour la première fois à Madagascar, la presse écrite elle-même est employée dès 1946 pour relancer et entretenir durablement ce genre de dissonance sociale. Plus d’un demi-siècle plus tard, l’impudicité s’observe partiellement et savamment.

1 Toutes ces publications ont rapporté et commenté le forfait qui s’est produit sur l’Avenue de l’indépendance (Analakely) où la marche pacifique des opposants le samedi 17 décembre 2005 est violemment perturbée par une bande d’individus incontrôlables.

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Les effets de champ et les effets de structure sont à la base de mécanismes favorisant ces actions sociales. L’exploration préalable du champ journalistique de post- indépendance remonte à l’amorce d’une véritable professionnalisation en 1965. L’initiative n’a pas pu se concrétiser sans l’intervention directe des Français qui ont ouvert le CFSI pour répondre au besoin en communication de l’administration d’alors. L’audiovisuel a été le seul domaine privilégié. Les apprenants ont été peu orientés vers la presse écrite. Mais les mouvements populaires et la malgachisation de 1972 ont stoppé les activités pédagogiques du CFSI . La professionnalisation du journalisme a été donc tardive et n’a pas abouti à l’image du modèle français au niveau mondial. Seulement les contextes historiques sont différents les uns des autres. Un journalisme de connivence et de révérence se développe. Les contraintes vicieuses matérialisées, dans un premier temps, par le felaka , et, dans un second temps, par les per diem et les indemnités prescrivent leur propre loi. Que des transcendances instituant un état probable de forfaiture journalistique continuent de juguler les médias ! Le rajeunissement et la féminisation substantiels de la corporation en suggèrent, entre autres, des raisons explicatives. Le journalisme fonctionne en vertu de la logique du groupe formel (association) et informel (pool de communication). Deux notions sont à retenir : l’homophilie (attraction stimulée par la similitude des statuts sociaux) et la vicinité (influence de la proximité spatiale). Sous cet angle, la soumission du journaliste est psychologique. L’imaginaire personnel y joue également un rôle déterminant. La profession réussit à se doter d’un Code de déontologie dont les dispositions n’ont rien à envier à ceux en vigueur sous d’autres cieux. Mais tout un réseau institutionnel, qui se livre à un jeu de scène médiatique, semble incapable d’en respecter les recommandations. Aussi, est-il naturel pour tout journaliste de s’exposer au risque de transgression des normes, de dérapage déontologique et de déviance éthique. La société manifeste une sensibilité avouée ou non à l’égard de l’instrumentation de la presse. L’information demeure un bien consommable, prenable et jetable suivant les humeurs du consommateur. Le rapport dialectique médias/société a été toujours fragile et fragilisée car contestable faute de base contractuelle formelle. La vulnérabilité du journalisme en découle également. L’instrumentation de la presse infirme la domination culturelle entretenue par les médias. Instrumenter la presse, c’est l’induire à parler de ce que le lecteur n’aime pas voir décrire ou entendre dire. Il veut que la presse lui parle de lui. Voilà la règle d’or !

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Les enquêtes menées auprès de 120 citoyens à Antananarivo ont permis de le constater. Le recours aux false light et fictionalization renforce le rejet. Malgré tout, la presse a servi de liaison sûre entre les dirigeants et le peuple même si ce lien existe plus dans l’univers symbolique que dans la réalité. La presse ne peut jamais se passer des fantaisies du lectorat et aucun journaliste ne peut prétendre être au-dessus des querelles publiques et à l’abri des attaques et des piques. L’éclosion inattendue de la presse écrite à Madagascar s’opère simultanément à l’institution des approches de l’autonomisation à la Banque mondiale . La mise en

œuvre du DSRP depuis 2003 s’inscrit effectivement dans ce sens. L’accès à l’information en particulier est considéré comme le point focal du processus d’autonomisation. Il existe mille manières d’encourager les gens à participer à la construction de la tour de

Babel électronique à l’heure actuelle des TIC . Les médias en général sont mis au défi du désenclavement numérique à l’œuvre dans le pays. Le darwinisme numérique de la société s’accentuera une fois que le backbone national sera entièrement fonctionnel. Face à cela, la presse se doit d’instrumenter à son profit les nouveaux modes de communiquer et de s’exprimer que privilégiera très bientôt l’utilisation de TIC chez nous. La construction du cyberspace entamée depuis les années 80 n’est pas réussie tant que la fracture numérique persiste. Tous les efforts déployés au niveau mondial visent à secouer le statu quo. La Grande Ile participe aussi d’une façon relativement active au concert mondial de la desserte numérique où, sans doute, la presse écrite perdra petit à petit sa place tant et si vrai que les pratiques actuelles d’instrumentation perdurent. Nous réitérons que notre démarche s’est gardée de critiquer l’aspect professionnel pur du journaliste mais a abondé en examen de l’aspect éthique de la profession. Comme le souligne Bourdieu, le propre de la sociologie n’est pas de dénuder le caché dans le but de polémiquer sur le sujet mais d’aider les gens à se libérer des contraintes les empêchant de réaliser le bonheur social . L’homme étant d’essence sociale, il lui est exigé un principe d’engagement éthique et de croyance morale en la démocratie afin de permettre à autrui d’exercer son propre pouvoir. Mais, contre toute attente, la sociologie dérange car elle dévoile des vérités refoulées . Les personnes en mesure de comprendre la sociologie, celles dotées d’un capital culturel, ne veulent pas entendre les vérités qu’elle met à jour. Cela compromet leur situation. Quel que soit son stade de développement, toute démocratie doit l’essentiel de ses principes à la presse et aux médias. D’autant que leur utilité sociale est toujours

205 grandissante. La célébration du 140 e anniversaire de la presse malgache offre un cadre historique opportun pour faire le point sur le devenir du métier du journaliste à Madagascar. Depuis 2005, des actions sont entreprises dans ce sens. Pour terminer, les médias malgaches sont tiraillés entre deux choses. Du point de vue formel, l’attente de la publication du Code de la communication finit par les mettre dans un état de névrose 1 d’échec . Du point de vue structurel, le développement encore lent mais sûr des TIC leur impose un nouvel ordre décisionnel. Ledit code n’est pas une panacée du tout. Le texte tant attendu doit tenir compte de transformations sociales apportées par la technologisation en marche. Le paysage de la communication à Madagascar subira de profondes mutations liées à l’arrivée prochaine de la connexion à haut débit. Les travaux antérieurs concernant le code devraient donc être remis en cause pour s’adapter au contexte changeant. Les produits de l’Internet se démocratiseront davantage plus à l’avenir. La ticisation de la société par l’informatisation et la technologisation changement le visage des relations humaines et sociales. L’informatique et les TIC deviendront bientôt l’apanage d’un nombre toujours croissant d’utilisateurs. Dans le domaine de l’éducation, par exemple, les TIC permettent l’enseignement à distance. A juste titre, le 2 projet MADES (2007-2010) prévoit l’introduction des technologies de l’information et de la communication appliquées à l’enseignement ( TICE ) en appui à la rénovation du système. L’on développe aussi de nos jours le concept d’écoles électroniques au profit des écoliers et collégiens. Depuis le second semestre 2005, la presse écrite à Madagascar est confronté à un sérieux problème qui peut déséquilibrer encore plus le domaine : l’incertitude au niveau de l’approvisionnement en papiers d’imprimerie. Le déclin de la presse écrite e s’accentue petit à petit. C’est un phénomène observé dans le monde depuis la fin du XX siècle. Madagascar serait sujet au syndrome rwandais si les pratiques demeurent inchangées. Le modèle paternaliste reste dominant. Tout journal ne fera qu’écouter la voix de son maître. Le respect de la déontologie et de l’éthique aura fort à faire ses dents pour dissuader les errements. Ce serait le défi à relever pour que le journalisme soit reconnu comme un outil essentiel de socialisation politique en ce sens que celle-ci contribue à la stabilisation de la vie en société.

1 Est névrose d’échec toute structure psychique régie par le désir inconscient de ne pas réussir. 2 La France finance à hauteur de 1,9 million d’euros le projet de coopération universitaire franco- malgache.

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Nous reprenons un propos de Ndiaga avant de terminer cet exposé. « (…) aucune théorie des médias n’a de sens sans une théorie totale sur la société. » Dans un avenir proche, la pratique journalistique à Madagascar ne manquera pas de connaître une crise profonde sinon elle-même en sera l’un des instigateurs principaux. Bourdieu sera toujours là pour nous rappeler que « c’est une profession (le journalisme) très puissante, composée d’individus très fragiles ».

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19. FERREOL (G.), Vocabulaire de la sociologie, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 2e éd. corrigée, mars 1997

20. FLICHY (P.), Les industries de l’imaginaire, Grenoble, PUG, 1980

21. HERMANN (J.), Les langages de la sociologie, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 2e éd. mise à jour, novembre 1988

22. LALLEMENT (M.), Histoire des idées sociologiques. De Parsons aux contemporains, t. 2, éd. Nathan, Chicago Colombia Harvard, 1993

23. LAZEGA (E.), Réseaux sociaux et structures relationnelles, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1re éd., 1998 re 24. LECLERC (G.), Sociologie des intellectuels, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1 éd., mai 2003

25. LEIF (J.) et BIANCHERI (A.), Les doctrines pédagogiques par les textes, Paris, Librairie Delagrave, 1966

26. LEVI-STRAUSS (C.), Anthropologie structurale, Paris, Librairie Plon, 1958

27. MACCIOCCHI (M.-A.), Pour Gramsci, Paris, coll. « Points », éd. du Seuil, 1974

28. MAISONNEUVE (J.), La psychologie sociale, Paris, Paris, PUF, coll. « Que sais- je ? », 20e éd. corrigée, avril 2002 e 29. MORANGE (J.), Les libertés publiques, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 7 éd., 1999

30. MORIN (E.), La rumeur d’Orléans, Paris, éd. du Seuil, coll. « Points », 1969 e 31. PIAGET (J.), Le structuralisme, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 4 éd. mise à jour, 1970

32. RAJAOSON (F.), L’enseignement supérieur et le devenir de la société malgache.

La dialectique université/société, EESDEGS, université de Madagascar, 1985

33. RAULIN (A.), Anthropologie urbaine, Paris, Armand Colin, coll. « Cursus- Sociologie », 2001 (réimprimé en 2002 et en 2004)

34. ROCHER (G.), Introduction à la sociologie générale. 1. L’action sociale, Paris,

éd. HMH, coll. « Points », 1968

35. ROCHER (G.), Introduction à la sociologie générale. 3. Le changement social,

Paris, éd. HMH, coll. « Points », 1968 e 36. ROUQUETTE (M.-L.), La créativité, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 6 éd., septembre 1997 209

37. TARDE (G.), Les lois sociales. Esquisse d’une sociologie, Paris, Alcan, 1898

38. WAHL (F.), Qu’est-ce que le structuralisme ? 5. Philosophie (la philosophie entre l’avant et l’après du structuralisme), Paris, éd. du Seuil, coll. « Points », 1973

39. WEBER (M.), Economie et société, t. 1 : Les catégories de la sociologie, Paris,

Plon/Agora, ouvrage posthume, traduction de Julien FREUND, 1922 re 40. WUNENBURGER (J.-J.), L’imaginaire, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1 éd., mai 2003

41. YAKHOT (O.), Qu’est-ce que le matérialisme dialectique ? éd. du Progrès, Moscou, traduit du russe par Serge Glasov sous la direction de Serge Chivasky, s.d.

Remarque : Les ouvrages des auteurs classiques ont été téléchargés à

partir du site Internet de l’université de Québec à Montréal (UQAM).

Ouvrages spécifiques sur la communication, le journalisme et les médias

42. AGNES (Y.), Manuel de journalisme. Ecrire pour le journal, Paris, éd. La Découverte et Syros, coll. « Repères », 2002 e 43. ALBERT (P.), La presse, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 12 éd. mise à jour, mars 2002

44. APIA (H.) et CASSEN (B.), Presse, radio et télévision en Grande-Bretagne, Paris, éd. Armand Colin, 1969

45. BATAILLER (F.) et al., Analyse de presse, Paris, travaux de recherche de la faculté de Droit et de Sciences économiques de Paris, série « Sciences politiques », no 01, 1963

46. BERTRAND (C.-J.), La déontologie des médias, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1re éd., août 1997 re 47. BILGER (P.), Le droit de la presse, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1 éd., octobre 2003

48. BOUGNOUX (D.), Introduction aux sciences de la communication, Paris, éd. La Découverte et Syros, coll. « Repères », nouvelle édition 2001

49. BOURDIEU (P.), Sur la télévision et L’emprise du journalisme, Paris, éd. Liber- Raisons d’agir, 1996

50. CHOMSKY (N.), Les médias et les illusions nécessaires, Paris, éd. K Films, 1993 210

51. CLAUSSE (R.), Le journal et l’actualité, Bruxelles, Institut de Sociologie de l’université libre de Bruxelles, éd. Marabout université, 1967

52. CORNEWELL (N. C.), Freedom of the press. Rights and Liberties under the law,

Santa Barbara, California, ABC-CLIO Inc., 2004

53. COURTES (J.), Sémantique de l’énoncé : applications pratiques, Paris, éd. Hachette, 1989

54. DE VIRIEU (F.-H.), La médiacratie, Paris, éd. Flammarion, 1990

55. FRIEDMAN (M.) Libertés et responsabilités des journalistes et des auteurs, Paris, édition du Centre de formation et de perfectionnement des journalistes, 1991 e 56. GAILLARD (P.), Technique du journalisme, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 7 éd., 1996

57. HALIMI (S.), Les Nouveaux Chiens de garde, Paris, nouvelle édition augmentée et actualisée, éd. Liber-Raisons d’Agir, novembre 2005

58. LAPOINTE (P.), Le journalisme à l’heure du net : Guide pratique, Québec, Les

Presses de l’université Laval (PUL), 1999 re 59. MATHIEN (M.), Les journalistes, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1 éd. 1995

60. MENARD (R.), Ces journalistes que l’on veut faire taire : L’étonnante aventure de Reporters sans frontières, Paris, éd. Albin Michel, 2001

61. MOURIQUAND (J.), L’écriture journalistique, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1re éd., 1997

62. NEVEU (E.), Sociologie du journalisme, Paris, éd. La Découverte, coll. « Repères », 2004

63. RABEARIMANANA (L.), La presse d’opinion à Madagascar de 1947 à 1956. Contribution à l’histoire du nationalisme malgache du lendemain de l’Insurrection à la veille de la loi-cadre, Antananarivo, Librairie Mixte, 1980

64. SCHUDSON (M.), Le pouvoir des médias, Journalisme et démocratie, Manille – Philippines, éd. Nouveaux Horizons, traduit de l’américain par Monique Berry, President and Fellow of Harvard College, Presses du Regional Service Center, janvier 1999

65. VERSCHAVE (F.-X.), Noir silence. Qui arrêtera la Françafrique ?, Paris, éd. Les Arènes, avril 2000

66. WATZLAWICK (P.) et al., Une logique de la communication, Paris, coll. « Points », traduit de l’américain Pragmatics of human communication. A study 211

of interaction patterns, pathologies and paradoxes par Janine Morche, éd. du Seuil, 1972

67. WEISBERG (B. A.), Journaux et journalisme aux Etats-Unis, Paris, éd. Nouveaux Horizons, éd. France-Empire, 1965

68. WOLTON (D.), Penser la communication, Paris, éd. Flammarion, 1997

Autres ouvrages

69. BREMOND (J.) et GELEDAN (A.), Dictionnaire économique et social, Paris, Hâtier, 4e éd. augmentée, juin 1990

70. BUREAU INTERNATIONAL D’EDUCATION, Le développement de l’éducation. Rapport national Madagascar, septembre 2001 e 71. FAVORD (C.H.), Encyclopédie du monde actuel : Les idées du XX siècle,

collection dirigée par Charles-Henri FAVORD, Paris, 1978

72. KLITGAARD (R.) et al., Villes corrompues, Paris, éd. Nouveaux Horizons, traduit de l’américain par Bernard Vincent, 2002.

73. MAZOYER (M.) et al., Une alternative paysanne à la mondialisation libérale,

Genève, CETIM-VIA CAMPESINA, textes réunis par Florian ROCHAT, octobre 2002

74. NARAYAN (D.) en collaboration avec la Banque mondiale, Autonomisation et réduction de la pauvreté, Montréal, éd. Saint-Martin, traduit de l’américain Empowerment and poverty reduction par Sylvie Pesme, 2004 e 75. REY (P.), Les hormones, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 2 éd. mise à jour, 1969

76. SARTRE (J.-P.), Les mots, Paris, éd. Gallimard, coll. Folio, 1964

77. SEFAFI, Libertés publiques : les leçons d’une crise, Antananarivo, septembre 2002

78. SUMPF (J.) et Hugues (M.), Dictionnaire de la sociologie, Paris, Librairie Larousse, 1973

79. TSETOUNG (M.), Cinq essais philosophiques, éditions en langues étrangères, Pékin, 1976

212

Documents imprimés et articles o 80. BANQUE MONDIALE, Rapport n 22389-MAG. Madagascar. Education et formations à Madagascar : Vers une politique nouvelle pour la croissance économique et la réduction de la pauvreté. t. 2 : Rapport principal,

Développement humain IV Région Afrique, 22 juin 2001

81. CELLULE DE DEVELOPPEMENT DE L’E-GOUVERNANCE AU SEIN DE LA PRESIDENCE

DE LA REPUBLIQUE, Programme national e-gouvernance : la bonne gouvernance

par les TIC, PNEG 2005-2007, version initiale, Antananarivo

82. CELLULE TECHNIQUE STA, Document de stratégie de réduction de la pauvreté (draft), Antananarivo, mars 2003 1 83. COLLOQUE INTERNATIONAL EN L’HONNEUR DE PHILIPPE ROBERT , Crime et insécurité, un demi-siècle de bouleversements, Versailles, 29 septembre-1er octobre 2005

84. DELEGATION DE LA COMMISSION EUROPEENNE, Madagascar-Union européenne, 45 ans de partenariat (1959-2004), Antananarivo, 2005

85. DEPARTEMENT FEDERAL DE JUSTICE ET POLICE, Le rapport sur la protection de l’Etat 1999, Berne (Suisse), mai 2000

86. MINISTERE ESPAGNOL DES AFFAIRES ETRANGERES, República de Madagascar, mai 2004

87. MISSION D’OBSERVATION ELECTORALE DE L’UNION EUROPEENNE (MOEUE), Elections législatives à Madagascar 2002 : Déclaration préliminaire, Antananarivo, 18 décembre 2002

88. MPTC en collaboration avec le PNUD et le COMITE D’APPUI EN E-STRATEGIES, Politique nationale des technologies de l’information pour le développement, Antananarivo, juin 2005

89. RAMANANDRAIBE RANAIVOHARIVONY (B.) et RAFOLISY (P.), Rapport de mission sur la Conférence de Signature de la Convention des Nations unies contre la corruption à Mérida Mexique du 9 au 11 décembre 2003

90. SOMMET MONDIAL SUR LA SOCIETE DE L’INFORMATION, Déclaration de principes. Construire la société de l’information : un défi mondial pour le nouveau millénaire, Genève Suisse, 12 décembre 2003

1 Philippe Robert est l’artisan principal du renouveau de la sociologie criminelle en France depuis les années 1960.

213

91. UNICEF en collaboration avec le MPTC et l’INSTAT, Les moyens de communication à Madagascar. Résumé d’Enquête d’audience 2004

92. ANONYME, « Le rôle de l’intellectuel : extraits », Le Monde diplomatique, mai 2006, p. 24, 25 et 26 (cf. http://www.monde-diplomatique.fr/2006/05/A/13489)

93. BORRUAT (R.), Deux femmes en campagne. Analyse du traitement médiatique de deux quotidiens suisses sur la campagne de Micheline Calmy-Rey et de Ruth Lüthi pour l’élection au Conseil fédéral, Question de journalisme, universités de Genève et de Neuchâtel, 2003

94. BOURDIEU (P.), « Journalisme et éthique », Actes du colloque fondateur du centre de recherche de l’Ecole supérieure de journalisme, Lille, 1996

95. DURKHEIM (E.), Le dualisme de la nature humaine et ses conditions sociales,

Scienta, XV, 1914

96. HALIMI (S.) et Maler (H.), « Les médias, chiens de garde du néolibéralisme ? »,

Compte rendu d’une conférence donnée à l’Ecole normale supérieure (ENS) le 28 décembre 2002

97. KYALANGILWA (J. M.), « Le rôle de l’intellectuel dans la société » in Horizons et débats, no 26, juin 2004

98. NDIAGA (L.), « Médias et démocratie : Le quatrième pouvoir en question »,

conférence prononcée pour la maîtrise de communication de l’UQAM le 25 septembre 2002

99. PETIT (P.), « Pierre Bourdieu. Il faut que l’intellectuel donne la parole à ceux qui ne l’ont pas ! », L’Evénement du jeudi, 10-16 septembre, 1992, p. 114-116

100. RANDRIAMASITIANA (G. D.), Aspects sociolinguistiques de la francophonie et de l’indianocéanité à travers l’exemple malgache, université d’Antananarivo, colloque à Maurice, 2003

101. RAULIN (A.), Histoire des modèles urbains, s.d.s.l.

102. RAULIN (A.), La territorialité dans la ville : milieux sociaux et urbains, s.d.s.l.

Journaux et magazine consultés 1. Ao Raha 2. Gazetiko 3. L’Express de Madagascar 4. La Gazette de la Grande Ile

214

5. Le Courrier 6. Le Quotidien 7. Les Nouvelles 8. Madagascar Laza 9. Madagascar Tribune 10. Midi Madagasikara 11. Ny Vaovaontsika 12. Taratra 13. Sciences humaines, no 66, novembre 1996

Thèse et mémoires

1. LAPASSADE (G.), La phénoménologie sociale et l’ethnométhodologie, DESS en

ethnométhodologie et informatique, université de Paris VIII, 1992-1993

2. PONTZEELE (S.), Burundi1972/Rwanda 1994 : L’« efficacité » dramatique d’une reconstruction idéologique du passé par la presse, thèse en changement social, Institut de sociologie, faculté des Sciences économiques et sociales, université des sciences et technologies de Lille I, 1 juin 2004

3. RALISON (A. H.), Liberté d’expression et libération de la presse, mémoire de

maîtrise en sociologie, département de sociologie, faculté DEGS, université d’Antananarivo, année universitaire 2003-2004

Sites Internet (liste non exhaustive) Le recours aux données électroniques en line devient une habitude collective de nos jours. L’usage hésite encore aujourd’hui entre trois néologismes « webliographie », « webiographie » et « sitographie ». Ces trois néologismes bénéficient déjà d’un usage courant. Voici la liste de principaux sites web visités1 et auxquels la rédaction se réfère : 1. http://agora.qc.ca 2. http://fr.wikipedia.org 3. http://iufm.univ-fcomte.fr 4. http://pedagogie.ac-toulouse.fr/philosophie 5. http://ques2com.ciril.fr

1 Google et Yahoo (Yet Another Hierarchical Officious Oracle) sont les principaux moteurs de recherche utilisés.

215

6. http://raisonsdagir.org 7. http://rezo.net/themes/bourdieu 8. http://vadeker.club.fr 9. http://vcampus.univ-perp.fr 10. http://www.acrimed.org 11. http://www.admin.ch 12. http://www.africaintelligence.fr 13. http://www.afrik.com 14. http://www.angers.fr 15. http://www.assassin-productions.fr 16. http://www.caes.mg 17. http://www.catallaxia.org 18. http://www.ceo-fipf.org 19. http://www.chez.com/sociol/socio/socionouv 20. http://www.cios.org 21. http://www.cjr.org 22. http://www.diplomatie.gouv.fr 23. http://www.editionsmontparnasse.fr 24. http://www.forum-events.com 25. http://www.gallimard.fr 26. http://www.hcci.gouv.fr 27. http://www.homme-moderne.org 28. http://www.ina.fr 29. http://www.lire.fr 30. http://www.madagascar.de 31. http://www.monde-diplomatique.fr 32. http://www.moov.mg 33. http://www.next-up.org 34. http://www.parutions.com 35. http://www.pseudo-sciences.org 36. http://www.redpsy.com 37. http://www.survie.org 38. http://www.universalis-edu.com 39. http://www.univ-montp3.fr

216

40. http://www.usherbrooke.ca 41. http://www.veille-strategique.org 42. http://www.verba.org/owa-verb

217

TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION GENERALE ...... 1 Motifs du choix du sujet et du terrain ...... 6 Problématique ...... 8 Objectifs globaux ...... 8 Objectif spécifique ...... 8 Hypothèses de recherche ...... 8 Brève présentation du terrain ...... 10 Méthodologie ...... 10 Concepts et instruments d’analyse ...... 10 Documentations ...... 11 Technique d’enquêtes ...... 12 Séminaire « Justice et médias » ...... 13 Réunion des patrons de presse ...... 13

Assemblée générale extraordinaire de l’OJM ...... 13 Profil des journaux étudiés ...... 14 Les étapes de la recherche ...... 18 La pré-enquête : immersion et observation participante ...... 18 Déroulement des enquêtes ...... 18 Problèmes rencontrés ...... 18 Plan du travail ...... 18 Limites de l’étude ...... 19

PREMIERE PARTIE : MISE EN PERSPECTIVE SOCIOLOGIQUE DE

L’INSTRUMENTATION DE LA PRESSE ...... 20

CHAPITRE I : AUTOUR DE L’« INSTRUMENTATION »...... 20 I.1. Cadre général ...... 20 I.1.1. Fréquence et définition ...... 20 I.1.2. « Instrumentation » comme « idéal type » ...... 21 I.1.3. Notion relativement récente ...... 22 I.2. Davantage d’éclaircissements ...... 23 I.2.1. Une façon d’intervenir ...... 23 I.2.2. Aptitude à s’instrumenter...... 23 I.2.3. Optimiser la façon d’utiliser une habilité présente ...... 24

218

I.3. Principaux genres d’instruments ...... 24 I.3.1. Des connaissances ...... 24 I.3.2. Des habiletés ...... 25 I.3.3. Les attitudes ...... 25 I.4. Mécanisme de contrôle ...... 26 I.4.1. Finalité de l’instrumentation ...... 26 I.4.2. Grille diagnostique fonctionnelle...... 27 I.4.3. Moyens d’évaluation appropriés ...... 27

CHAPITRE II : CONNAISSANCES SOCIOLOGIQUES PROCHES DE L’ETUDE ...... 28 II.1. Pierre Bourdieu et ses concepts majeurs ...... 29 II.1.1. Un champ de forces et de conflits ...... 29 II.1.2. Constructivisme structuraliste ...... 30 II.1.3. Deux notions : « habitus » et « champ » ...... 31 II.1.4. De la violence symbolique ...... 31 II.2. Approches par l’idéologie de la presse ...... 32 II.2.1. Un peu de sociologie des intellectuels...... 32 II.2.2. Conception du bloc historique selon Gramsci ...... 36 II.2.3. Transposition idéologique au modèle malgache ...... 37 II.3. Phénomène vécu et contesté à l’étranger ...... 38

II.3.1. Action-Critique-Médias ou ACRIMED ...... 38 II.3.2. Uniformité dans la médiocrité et programmation fédérative ...... 39 II.3.3. A propos des Etats Généraux sur les médias ...... 40 II.3.4. Sur Erik Neveu ...... 41

CHAPITRE III : EXPERIENCES HISTORIQUES DE L’EPOQUE COLONIALE A NOS JOURS ...... 43 III.1. De la presse d’opinion ...... 44 III.2.1. Débuts mouvementés ...... 44 III.1.2. Concurrence endogène ...... 45 III.1.3. Eclosion de la presse d’opinion ...... 46 III.2. De la presse d’opinion à la presse d’information générale ...... 47 III.2.1. Disparition progressive de la presse d’opinion ...... 48 III.2.2. Problématique de la malgachisation de 1972 ...... 49 III.2.3. Regain de vitalité ...... 50 III.3. Fragilisation de la profession ...... 52 III.3.1. Retour du passé ...... 52 219

III.3.2. Révolution qualitative et quantitative ...... 54 III.3.2. Un peu de sociologie du « felaka » ...... 55

DEUXIEME PARTIE : DYNAMIQUE D’INSTRUMENTATION DEPUIS 2002 ...... 60

CHAPITRE I : GEOMETRIE DE L’INSTRUMENTATION : ETUDE D’UN CAS RECENT ...... 60 I.1. Approche synthétique de la méthode ...... 60 I.1.1. Origines italiennes ...... 60

I.1.2. Expériences avec la MOEUE ...... 61 I.1.3. Analyse de médias dans le cadre de la mission ...... 62 I.2. Le cas à proprement parler ...... 63 I.2.1. Les publications de lundi 19 décembre 2005 ...... 63 I.2.2. Objectif, problématique et hypothèses ...... 65 I.2.3. Corpus d’analyse et démarche méthodologique ...... 68 I.3. Equité discutable ...... 70 I.3.1. Fonction de l’espace « une » des journaux ...... 70 I.3.2. Fonction de l’espace de l’intérieur ...... 77 I.3.3. De la violence symbolique des médias ...... 80 I.4. Triple appréciation médiatique ...... 84 I.4.1. Dénombrement ...... 84 I.4.2. Effets interactifs ...... 86 I.4.3. Habitus et routinisation ...... 90

CHAPITRE II : EFFETS DE CHAMP ET EFFETS DE STRUCTURE ...... 93 II.1. Le champ journalistique malgache...... 94 II.1.1. L’interventionnisme français ...... 94 II.1.1.1. Amorce d’une véritable professionnalisation ...... 95 II.1.1.2. Un académisme rigoureux ...... 96 II.1.1.3. Journaliste d’élite et journaliste de seconde zone ...... 97 II.1.2. De l’unicité à la multiplicité ...... 99 II.1.2.1. Guerre idéologique, guerre des écoles ...... 99 II.1.2.2. Un mécanisme de financement incohérent ...... 101 II.1.3. Construire le vivre ensemble africain ...... 103 II.1.3.1. L’Ordre des journalistes de Madagascar ...... 103 II.1.3.2. Rajeunissement et féminisation ...... 107 II.1.3.3. Le vivre ensemble : question d’efficacité ...... 111 II.2. Les contraintes vicieuses ...... 114

220

II.2.1. Mécanismes socioéconomiques du « felaka » ...... 114 II.2.1.1. Etude de la genèse et de l’évolution ...... 114 II.2.1.2. En bute aux « fahamarinana » et « fahamasinana » ...... 118 II.2.1.3. Légitimation du « felaka » ...... 120 II.2.2. Problématique des per diems ...... 124 II.2.2.1. Les articles 3 et 7 du Code de déontologie ...... 124 II.2.2.2. Jeu de scène médiatique ...... 125 II.2.2.3. Portée du jeu de scène médiatique ...... 128 II.3. Déviance déontologie et éthique ...... 130 II.3.1. Quatrième pouvoir ou auxiliaire du pouvoir ? ...... 130 II.3.3. Une soumission : deux approches ...... 132 II.3.2. Transgression des normes ...... 134

CHAPITRE III : MILIEU URBAIN : LA SENSIBILITE SOCIALE ...... 137 III.1. Description de l’échantillon ...... 137 III.1.1. De la base mathématique et de l’anthropologie urbaine ...... 137 III.1.2. Quatre classes d’âges ...... 140 III.1.3. L’échantillon : dimensions psychologiques ...... 141 III.2. Dictature douce : refus et hypostase ...... 145 III.2.1. Pluralisme et esthétisme ...... 145 III.2.2. « False light » et « fictionalization » ...... 147 III.2.3. L’ami mystérieux ...... 151 III.2.4. Hypostasier la réalité ...... 156

TROISIEME PARTIE : PROSPECTIVE D’UN DEFI DE L’AUTONOMISATION . 162

CHAPITRE I : AUTONOMISATION ET MEDIAS ...... 162 I.1. Autonomisation à la « Banque mondiale » ...... 162 I.1.1. Délimitation de l’autonomisation ...... 162 I.1.2. Nouvelle ère de l’autonomisation ...... 163 I.1.3. Autonomisation et décentralisation ...... 166 I.2. Autonomisation et performance médiatique ...... 168 I.2.1. Le défi de la performance ...... 168 I.2.2. Nécessité de la critique mutuelle ...... 170 I.2.3. Le cinquième pouvoir ...... 172 I.3. Du bon usage de la violence symbolique ...... 173

I.3.1. Violence symbolique et lutte contre le VIH/SIDA ...... 174

221

I.3.2. Violence symbolique et lutte anti-corruption ...... 176 I.3.3. Problématique de l’intégration/exclusion ...... 178

CHAPITRE II : AUTONOMISATION, TIC ET SOCIALISATION SECONDAIRE ...... 182 II.1. Etat des lieux ...... 182 II.1.1. Enclavement numérique ...... 182

II.1.2. Sur la Politique nationale des TIC-D...... 184 II.1.3. Sur le désenclavement numérique ...... 187

II.2. TIC et société malgache ...... 188 II.2.1. Deuxième période de l’ère numérique ...... 189 II.2.1. Vers la gouvernance électronique ...... 191 II.2.3. Internet et production sociale de la connaissance ...... 192

II.3. La socialisation secondaire par les TIC ...... 194 II.3.1. La socialisation secondaire ...... 194 II.3.2. Pédagogie différenciée ...... 195 II.3.3. Le défi du développement rural ...... 195

CONCLUSION GENERALE ...... 198

BIBLIOGRAPHIE & SITOGRAPHIE ...... 207

TABLE DES MATIERES ...... 217 ANNEXES I

ANNEXE I

QUESTIONNAIRE POUR DES RESPONSABLES (I)

Projet de recherche en vue d’un mémoire de maîtrise en sociologie Sujet : « L’instrumentation de la presse : cas des publications quotidiennes malgaches depuis 2002 »

Remarque : Il s’agit de procéder à des entretiens libres avec des personnes censées avoir une vision plus élargie du champ abordé étant données leur qualification professionnelle et leurs responsabilités.

Questions : 1. D’après vous, la presse malgache est-elle performante ? 2. Quels seraient les critères de la performance selon vous ? 3. Quel sens entendez-vous par la notion de « quatrième pouvoir » ? 4. La presse malgache est-elle libre ? Objective dans la façon de traiter les informations ? 5. On dit que les journaux sont devenus des supports pour « embellir » ou « salir » l’image du régime, et, inversement, de l’opposition. Etes-vous d’accord ? 6. D’après vos constats, quelles sont les difficultés majeures ressenties par la presse à Madagascar ? 7. A votre niveau, quelles seraient vos suggestions pour redresser la situation ? 8. Savez-vous qu’il existe un Code de déontologie en vigueur à Madagascar ? 9. Ses recommandations sont-elles respectées et suivies ? 10. Les orientations dudit Code sont-elles conformes aux réalités vécues par les journalistes ? 11. Partagez-vous l’opinion selon laquelle des journalistes sont corrompus jusqu’aux os ? 12. Qui le sont le plus ? Les jeunes ou les anciens journalistes ? II

ANNEXE II

QUESTIONNAIRE JOURNALISTE (II)

Projet de recherche en vue d’un mémoire de maîtrise en sociologie

Sujet : « L’instrumentation de la presse : cas des publications quotidiennes malgaches depuis 2002 »

Chers amis journalistes, ayez la bonté de consacrer quelques minutes de votre précieux temps à répondre aux questions suivantes. Remerciements.

I. Identification 1. Age : __ ans Sexe : F M Journal : ______2. Situation matrimoniale : célibataire, marié(e), divorcé(e), veuf(ve), Autre Nombre d’enfants à charge : ___ II. Le journaliste et son métier 3. Depuis combien d’années vous vous exercez en journaliste ? ____ ans 4. Est-ce votre première expérience professionnelle ? Oui Non 5. Avez-vous déjà travaillé pour un autre organe de presse ? Oui Non 6. Si oui, précisez votre domaine d’activité antérieur et le motif du métier du journalisme : III. Le journaliste et ses formations 7. Avez-vous reçu des formations préalables en journalisme ? Oui Non 8. Vous sentez-vous à la hauteur des exigences intellectuelles du métier, Oui Non 9. D’après vous, quelle est la lacune majeure des journalistes malgaches ? 10. Vos études supérieures sont-elles bien terminées ou vous êtes toujours en instance d’études supérieures ? Oui Non 11. Comptez-vous abandonner du jour au lendemain le métier du journaliste ? Oui Non Si oui, pourquoi ? Si non, donnez-en une raison IV. Le journaliste et ses compétences 12. Le dernier diplôme le plus élevé à votre possession : Bacc+__ 13. Jugez-vous utile le renforcement de vos bagages en journalisme ? Oui Non 14. Expliquez en une phrase : 15. Jugez-vous qu’on exploite à fond vos compétences ? Oui parce que Non parce que 16. D’après vous, un bon journaliste est………………………………………………………………… V. Le journaliste et ses motivations 17. Avez-vous conclu un contrat de travail avec votre employeur ? Oui Non 18. Votre salaire mensuel vous permet-il de couvrir toutes vos charges familiales ? Oui Non 19. Le gain mensuel ? Moins de 200 000 Ar ; [200 000 Ar, 350 000 Ar[ ; plus de 350 000 Ar ? 20. Vos ressources vous permettent-elles de faire des épargnes ? Oui Non 21. Estimation du manque en pourcentage par rapport aux charges : ___ % 22. Estimation de l’excédent mensuel par rapport aux charges habituelles : ___ % 23. Vos conditions correspondent-elles à votre mérite ? Oui Non 24. De façon terre-à-terre, quel fonctionnaire de l’Etat a le même rang de mérite qu’un journaliste : Ministre Directeur Général Conseiller Député Directeur Chef de Service 25. Vous est-il déjà arrivé de refuser d’autres paiements du genre « indemnité » Oui Non 26. Que pensez-vous des « per diem » dont le paiement systématique devient un usage courant de presque tous les organismes ? ………………………………………………………………………… VI. Le journaliste et ses sources d’information 27. Une grande partie de vos sources se trouve-elle à Antananarivo ? Oui Non 28. Citez les plus fréquemment consultées (par exemple ministère) : 29. Lors des conférences de presse, les informations que l’on vous fournit vous satisfont-elles ? Oui Non 30. Quelle appréciation donnez-vous aux invitations adressées à la rédaction en vue de la couverture médiatique d’un tel ou tel événement ?

31. Est-il facile d’accéder aux informations, qui, d’après vous, sont bonnes à faire savoir au lectorat ? Oui Non III

32. La transparence est-elle chose acquise chez nous ? Oui Non VII. Les déplacements en provinces 33. Accordez-vous de l’importance aux informations concernant les provinces ? Oui Non 34. Jugez-vous utile que vous vous déplaciez souvent dans les provinces ? Oui Non 35. Combien de fois pas mois ? _____ 36. Par vos propres frais? Oui Non VIII. Le journaliste et le régime 37. D’après vous, le régime s’efforce-t-il vraiment de réduire la pauvreté ? Oui Non Brève explication : 38. Le régime gère-t-il de façon efficace les projets définis dans le DSRP et aussi ceux prévus par le Objectifs du Millénaire pour le développement ? Oui Non Brève explication : 39. La politique économique ou la politique de développement mise en œuvre par l’actuel régime cadre-t-elle mieux aux réalités vivantes dans le pays ? Oui Non Brève explication : 40. D’après vous, les nombreuses ressources financières versées par les bailleurs et les partenaires sont-elles utilisées à bon escient ? Oui Non Votre avis : 41. La couverture médiatique des réalisations dans le cadre de l’utilisation des ressources venant des bailleurs est-elle opportune pour vous ? Oui Non IX. Le journaliste et la déontologie 42. Savez-vous qu’il y a un Code de déontologie pour le journalisme à Madagascar ? Oui Non 43. L’avez-vous lu ? Oui Non 44. Son contenu vous convient-il ? Oui Non Vos remarques sur ledit Code :

X. Le journaliste et la société politique 45. Avez-vous des amis politiciens ou des gens installés au système du pouvoir ? Oui Non 46. Sont-ils populaires ? Oui Non 47. Vous est-il arrivé d’écrire des articles sur eux ou sur les idées qu’ils défendent ? Oui Non Trop fréquent ? Fréquent ? Peu fréquent ? Jamais 48. Les dirigeants jouissent-ils de la « générosité » de la presse ?

49. Et les gens de l’opposition ?

50. Avez-vous déjà reçu des menaces quelconques (par téléphones ou avertissements verbaux, lettres…) parce que vos écrits ont remis en cause des intérêts particuliers ? Oui Non XI. Le journaliste et la société civile 51. Avez-vous des amis opérateurs ou responsables d’une quelconque entité ? Oui Non 52. Vous est-il arrivé d’écrire des articles sur eux ou sur leurs activités ? Oui Non 53. Trop fréquent ? Fréquent ? Peu fréquent ? Jamais 54. Chez nous, les religieux sont-ils en train de devenir les nouvelles stars de la presse par rapport à leur statut social ? Oui Non XII. Le devoir de mémoire 55. La presse participe-t-elle à la construction de la mémoire du pays ? Oui Non 56. Qu’entendez-vous par la « mémoire du pays » ? 57. Quelle(s) seraient votre (vos) contributions au changement dans la direction du pays ?

58. D’après vous, le sens : - du patriotisme ? - de l’altruisme ? - de l’égoïsme ? - de la dictature douce ? IV

ANNEXE III

QUESTIONNAIRE GRAND PUBLIC (III)

Projet de recherche en vue d’un mémoire de maîtrise en sociologie Sujet : « L’instrumentation de la presse : cas des publications quotidiennes malgaches depuis 2002 »

I. Profil de l’interlocuteur 1. Nom et prénoms : Age : __ ans 2. Sexe : F M Situation matrimoniale : Célibataire, Marié(e), divorcé(e), veuf(ve), célibataire 3. CSP : salarié(e), demandeur(se) d’emploi, retraité(e), libéral(e), étudiant(e)/lycéen(ne)/collégien(ne) 4. Nombre de personnes vivant chez vous : ____ dont ____ enfants moins de 12 ans. 5. Niveau d’études : CEPE, BEPC, BACC, LICENCE, MAITRISE, DEA/DESS, DOCTORAT/PHD 6. Ressources mensuelles : moins de Ar 50 000 ; ]Ar 50 000-Ar 100 000[ ; ]Ar 100 000-Ar 250 000[ ; plus de Ar 250 000 7. Activités actuelles ou études en cours : II. Attitude à l’égard de la presse 8. Aimez-vous lire les journaux (les articles) ? Oui Non Explication (une phrase) : 9. Aimez-vous lire seulement les titres à la une ? Oui Non Explication : 10. Tous les jours ? Oui Non Explication : 11. Vous achetez vous-même les journaux que vous lisez ? Oui Non Explication : III. Perception sociale de la presse 12. Par rapport à ce qui s’est passé avant 2002, la presse a-t-elle évolué : a. du point de vue présentation ? Oui Non b. du point de vue contenu? Oui Non 13. Pensez-vous que les journaux Le Quotidien et Ny Vaovaontsika sont à l’origine de la révolution esthétique des journaux à Madagascar ? Oui Non Explication : 14. Les articles publiés dans les journaux répondent-ils à vos attentes ? Oui Non Explication : 15. Il y a trop d’articles publiés sur le régime ? Oui Non Explication : 16. Les (articles sur les régimes) appréciez-vous ? Oui Non Pourquoi ? 17. Il y a trop d’articles publiés au sujet des opposants ? Oui Non 18. Les (articles sur les opposants) appréciez-vous ? Oui Non Pourquoi ? IV. Cas pratiques 19. Les journaux sont-ils de bons conseillers sociaux ? Oui Non V

Explication : 20. Quels genres de conseils admettez-vous dans les journaux : a. l’éducation sexuelle b. les problèmes de la jeunesse c. l’éducation de l’enfant d. le savoir-faire et savoir-vivre e. santé et beauté f. art culinaire V. La presse et la vie de la nation 21. D’après vous, les journaux favorisent-ils l’unité nationale ? Oui Non Explication : 22. Les journaux « critiques » envers le régime sont-ils entièrement favorables aux gens de l’opposition ? Oui Non Explication : 23. Les journaux pro-régime n’ont-ils point d’ouverture aux opposants ? Oui Non Explication : VI. Le journaliste vu par le public 24. D’après vous, le journaliste est-il quelqu’un de valeureux ? Oui Non 25. A vos yeux, a. est-il compétent ? Oui Non b. est-il objectif ? Oui Non 26. Vous est-il déjà arrivé d’avoir des problèmes avec un journaliste ? Oui Non Si oui, décrire en quelques mots la ou les circonstances :

27. D’après vous, sont-ils en bons termes avec : a. les gens ordinaires ? Oui Non b. les responsables ? Oui Non c. les hauts fonctionnaires ? Oui Non d. les opérateurs du secteur privé ? Oui Non e. les dirigeants politiques ? Oui Non 28. Est-il besoin de parler de lutte conte la corruption concernant les journalistes ? Oui Non Explication : VI

ANNEXE IV

ORDRE DES JOURNALISTES DE MADAGASCAR CODE DE DEONTOLOGIE

PREAMBULE Le droit à l’information, à la libre expression et la critique est l’une des libertés fondamentales de tout être humain. De ce droit du public à connaître les faits et les opinions, procède l’ensemble des devoirs et des droits des journalistes. La responsabilité des journalistes vis-à-vis du public prime toute autre responsabilité, en particulier à l’égard de leurs employeurs et des pouvoirs publics. La mission d’informer comporte nécessairement des limites que les journalistes eux-mêmes s’imposent spontanément. Pour que ces droits soient respectés dans l’exercice de la profession de journaliste, il est nécessaire que les conditions concrètes de l’indépendance et de la dignité professionnelle soient réalisées et respectées. Tel est l’objet de la présente faisant office du code qui précise les droits et devoirs du journaliste, et adopté lors de l’Assemblée générale des journalistes du 20 février 2001.

TITRE I : LES DEVOIRS DU JOURNALISTE Les devoirs essentiels du journaliste dans la recherche, la rédaction, le commentaire de l’information qu’il met à la disposition du public sont les suivants : Article 1 : Respecter les faits, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître la vérité. Article 2 : Ne publier que les informations dont l’origine, la véracité et l’exactitude sont établies. Dans le cas contraire, les accompagner de réserves nécessaires ; ne pas supprimer les informations essentielles et ne pas altérer les propos, les textes et les documents. Articles 3 : Défendre, en tout lieu et toute circonstance, la liberté qu’il a d’informer, de commenter et de critiquer, en tenant le scrupule et le souci de la justice comme règle première dans la publication honnête de ses informations. Article 4 : Ne pas user des méthodes déloyales pour obtenir des informations, des photographies ou des documents, ni confondre son rôle avec celui du policier. Article 5 : Ne jamais confondre le métier de journaliste avec celui de publicitaire et de propagandiste ; n’accepter aucune consigne directe ou indirecte des annonceurs, des autorités administratives ou politiques. Article 6 : Refuser toute pression et n’accepter de directive rédactionnelle que des responsables de la rédaction. Assumer la responsabilité pleine et entière de tous ses écrits. Article 7 : Refuser tout avantage en numéraire ou en nature quelles qu’en soient la valeur et la provenance pour services rendus ou attendus. Article 8 : Ne jamais révéler les circonstances dans lesquelles le journaliste a connu les faits qu’il rapporte, et ce, pour la protection de l’auteur des informations qu’il a pu recueillir. Article 9 : S’abstenir de toute atteinte à l’éthique sociale : incitation au tribalisme, à la xénophobie, à la révolte et au crime et délit, outrage aux bonnes mœurs, informations qui violent l’intimité de la vie privée. Article 10 : Respecter la vie privée des personnes. Le droit de la personne de protéger sa réputation et son intégrité doit être respecté. Eviter de publier des informations qui voilent l’intimité de la vie privée. VII

Article 11 : Rectifier toute information publiée qui se révèle inexacte. Article 12 : S’interdire le plagiat, la calomnie, la diffamation et les accusations sans fondement. Article 13 : Ne jamais solliciter la place d’un confrère, ni provoquer son renvoi en offrant de travailler à des conditions matérielles inférieures. Article 14 : Ne connaître que la juridiction de ses pairs souverains en matière d’honneur professionnel.

TITRE II : LES DROITS DU JOURNALISTE Article 15 : Tout journaliste doit revendiquer la protection de ses sources d’information. Article 16 : Tout journaliste doit revendiquer le libre accès à toutes les sources d’information et le droit d’enquêter librement sur tous les faits qui conditionnent la vie publique. Le secret des affaires publiques ou privées ne peut, en ce cas, être révélé au journaliste que par exception et en vertu de motifs clairement exprimés. Article 17 : Tout journaliste doit refuser toute subordination qui serait contraire à la ligne générale de l’organe d’information auquel il collabore, de même que toute subordination qui ne serait pas clairement impliquée par cette ligne générale. En vertu de la clause de conscience, le journaliste ne peut être contraint d’accomplir un acte professionnel ou d’exprimer une opinion qui serait contraire à sa conviction, son honneur, sa réputation ou ses intérêts moraux. En cas de conflit lié à la clause de conscience, le journaliste peut se délier de ses engagements contractuels à l’égard de son entreprise, dans les mêmes conditions et avec les mêmes effets qu’un congédiement normal. Article 18 : L’équipe rédactionnelle doit être obligatoirement informée de toute décision importante de nature à affecter la vie de l’entreprise. Elle doit être au moins consultée avant toute décision définitive, sur toute mesure intéressant la composition de la rédaction : embauche, licenciement, mutation et promotion de journalistes. Article 19 : En considération de sa fonction et de ses responsabilités, le journaliste a droit non seulement au bénéfice des conventions collectives mais aussi à un contrat personnel assurant la sécurité matérielle et morale de son travail ainsi qu’à une rémunération correspondant au rang social qui est le sien et suffisante pour garantir son indépendance économique. Article 20 : Tout journaliste s’engage dans l’exercice de sa profession à se conformer aux règles ci-dessus édictées. Le conseil de l’Ordre des journalistes de Madagascar veillera au respect du présent code.

Le conseil de l’Ordre des journalistes James Ramarosaona Président VIII

ANNEXE V

CHARTE DES JOURNALISTES PROFESSIONNELS ET EDITEURS DE PRESSE DE MADAGASCAR

Les journalistes travaillant pour les organes de presse membres du Groupement des éditeurs de presse d’information de Madagascar (GEPIM) et leurs dirigeants adhèrent aux principes de la Charte internationale du journaliste rédigée à Munich le 24 novembre 1971. De celle-ci, ils tirent les règles et usages suivants applicables à leur activité professionnelle et adaptées aux réalités locales.

Activités complémentaires Toute collaboration d’un journaliste à un autre titre de presse, radio ou télévision, doit faire l’objet d’une demande d’accord écrit de la direction du journal. De même, toute activité complémentaire, régulière et rémunérée, doit être connue de la direction. Agences de presse Les dépêches d’agence, reprises in extenso ou résumées, sont signées du nom de l’agence. Dans la mesure du possible, le journal s’attache à vérifier les informations des agences de presse et à rédiger des synthèses. Dans ce cas, les sources ne sont pas mentionnées et le journal assume la totalité des informations.

Citations Sauf cas exceptionnel, toute citation est accompagnée du nom et de la qualité de son auteur. Les citations sont rapportées dans le respect du style de leur auteur et du sens de son propos. Les citations extraites de documents déjà publiés sont clairement identifiées comme telles. Commentaires Les commentaires personnels du journaliste doivent être clairement distingués des faits rapportés. Ils sont, par exemple, rassemblés en fin d’article ou, mieux, placés dans un encadré ou un article complémentaire. Communication Les éditeurs de presse s’abstiennent d’employer comme journaliste toute personne ayant une activité incompatible avec l’indépendance rédactionnelle : attaché de presse, chargé de communication, etc. Editorial Les éditoriaux rédigés par des journalistes sont éventuellement signés et leur contenu est placé sous la responsabilité du directeur de publication, ou, par délégation, du rédacteur en chef, qui peut le modifier. Erreurs Toute erreur fera l’objet d’une « précision » dans la même page de l’édition suivante ou, pour les chaînes radio et de télévision, dans la prochaine émission. Enveloppes Un journaliste n’accepte ni ne sollicite aucun avantage en espèces ou en nature pour la publication d’un article ou d’une photo. Il veille ainsi à préserver son indépendance vis-à-vis de ses sources et sa crédibilité vis-à-vis de ses lecteurs, de ses auditeurs et de ses téléspectateurs. IX

Frais Un journaliste ne peut accepter que tout ou partie de ses frais soit pris en charge par l’organisme invitant que dans la mesure où sa direction en est tenue informée. Faits divers Les identités des mineurs et des personnes victimes de viols ne sont pas publiées. Si un dépôt de plainte est mentionné, toujours vérifier auprès des sources judiciaires. Assurer le suivi des faits même et surtout si l’issue contredit les articles précédents. Respecter scrupuleusement la présomption d’innocence. Famille Un journaliste évite de couvrir un sujet ou un domaine dans lequel des personnes proches ont des intérêts personnels, un mandat électif ou une fonction d’autorité. Impertinence Un journaliste a conscience de la portée de ses écrits et s’abstient d’en abuser en utilisant un ton ou un style délibérément outrancier ou provocateur. L’humilité et le respect dû au lecteur sont la règle. Internet Internet est un outil complémentaire de vérification et de recherche d’informations. Un site Internet ne peut être la source unique de l’information. Aucun document copié sur Internet ne doit être publié tel quel. Mise en cause Toute personne, société ou institution mise en cause dans un article doit avoir été contactée et interrogée sur les faits rapportés. Les réponses fournies sont obligatoirement intégrées à l’article. En cas de refus de répondre, cette information est mentionnée. Photos Chaque rédaction est libre du choix des photos. Elle s’abstient de publier toute image portant atteinte à la vie privée, à la présomption d’innocence, ou jugée dégradante pour les victimes de faits divers ou leurs proches. Les photos d’archives doivent être signalées comme telles. Racisme L’appartenance ethnique d’une personne citée dans un article, ou sa confession, ne sont mentionnées que si ces informations sont nécessaires à la compréhension des faits rapportés. Règlement intérieur Les entreprises de presse se dotent d’un règlement intérieur qui prévoit les sanctions et recours en cas de manquement aux règles et usages de la présente charte. Rumeurs Aucune rumeur ne doit être rapportée dans le journal même si le caractère non vérifié de « l’information » est clairement précisé. L’usage du conditionnel est donc à proscrire. Seules peuvent être évoquées les rumeurs ayant pour suite des faits précis et vérifiés. Salaire Le salaire du journaliste est en rapport avec ses responsabilités vis-à-vis de la société et lui garantit la possibilité d’exercer son métier de manière libre et indépendante. Il devra faire l’objet d’un accord entre les éditeurs de presse et les journalistes. X

Vie privée Un journaliste ne rapporte que les faits qu’il considère comme relevant de la vie publique des personnes. En cas de doute, il en débat avec la rédaction.

Sources : Groupement des éditeurs de presse d’information de Madagascar et Association Ouest-Fraternité XI

ANNEXE VI

DECLARATION DES DEVOIRS ET DES DROITS DES JOURNALISTES (Munich, 24 novembre 1971)

Préambule

Le droit à l’information, à la libre expression et à la critique est une des libertés fondamentales de tout être humain. Ce droit du public de connaître les faits et les opinions procède l’ensemble des devoirs et des droits des journalistes. La responsabilité des journalistes vis-à-vis du public prime toute autre responsabilité, en particulier à l’égard de leurs employeurs et des pouvoirs publics. La mission d’information comporte nécessairement des limites que les journalistes eux-mêmes s’imposent spontanément. Tel est l’objet de la déclaration des devoirs formulés ici. Mais ces devoirs ne peuvent être effectivement respectés dans l’exercice de la profession de journaliste que si les conditions concrètes de l’indépendance et de la dignité professionnelle sont réalisées. Tel est l’objet de la déclaration des droits qui suit.

Déclaration des devoirs

Les devoirs essentiels du journaliste, dans la recherche, la rédaction et le commentaire des événements, sont : 1. Respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître ; 2. Défendre la liberté de l’information, du commentaire et de la critique ; 3. Publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent ; ne pas supprimer les informations essentielles et ne pas altérer les textes et les documents ; 4. Ne pas user de méthodes déloyales pour obtenir des informations, des photographies et des documents ; 5. S’obliger à respecter la vie privée des personnes ; 6. Rectifier toute information publiée qui se révèle inexacte ; 7. Garder le secret professionnel et ne pas divulguer la source des informations obtenues confidentiellement ; 8. S’interdire le plagiat, la calomnie, la diffamation, les accusations sans fondement ainsi que de recevoir un quelconque avantage en raison de la publication ou de la suppression d’une information ; 9. Ne jamais confondre le métier de journaliste avec celui du publicitaire ou du propagandiste ; n’accepter aucune consigne, directe ou indirecte, des annonceurs ; 10. Refuser toute pression et n’accepter de directives rédactionnelles que des responsables de la rédaction. XII

Tout journaliste digne de ce nom se fait un devoir d’observer strictement les principes énoncés ci- dessus ; reconnaissant le droit en vigueur dans chaque pays, le journaliste n’accepte, en matière d’honneur professionnel, que la juridiction de ses pairs, à l’exclusion de toute ingérence gouvernementale ou autre.

Déclaration des droits 1. Les journalistes revendiquent le libre accès à toutes les sources d’information et le droit d’enquêter librement sur tous les faits qui conditionnent la vie publique. Le secret des affaires publiques ou privées ne peut en ce cas être opposé au journaliste que par exception en vertu de motifs clairement exprimés. 2. Le journaliste a le droit de refuser toute subordination qui serait contraire à la ligne générale de son entreprise, telle qu’elle est déterminée par écrit dans son contrat d’engagement, de même que toute subordination qui ne serait pas clairement impliquée par cette ligne générale. 3. Le journaliste ne peut être contraint à accomplir un acte professionnel ou à exprimer une opinion qui serait contraire à sa conviction ou sa conscience. 4. L’équipe rédactionnelle doit être obligatoirement informée de toute décision importante de nature à affecter la vie de l’entreprise. Elle doit être au moins consultée, avant décision définitive, sur toute mesure intéressant la composition de la rédaction : embauche, licenciement, mutation et promotion de journaliste. 5. En considération de sa fonction et de ses responsabilités, le journaliste a droit non seulement au bénéfice des conventions collectives, mais aussi à un contrat personnel assurant sa sécurité matérielle et morale ainsi qu’une rémunération correspondant au rôle social qui est le sien et suffisante pour garantir son indépendance économique.

Sources : Groupement des éditeurs de presse d’information de Madagascar et Association Ouest-Fraternité XIII

ANNEXE VII

ARTICLES DE PRESSE SUR LA SODEMA

Société pour le développement des médias en Afrique : les hommes de média cultivent l’excellence Par Sidwaya (Ouagadougou), 14 janvier 2006 Publié sur le web le 16 janvier 2006 Antoine W. Dabilgou Email : [email protected]

La Société pour le développement des médias en Afrique (SODEMA) organise du 12 au 14 janvier un atelier au centre culturel américain. Les travaux se déroulent sur le thème général « Média et démocratie : quelle image du professionnel ? ». La Société pour le développement des médias en Afrique (SODEMA) a vu le jour le 5 octobre 2005 à Douala au Cameroun. L’initiation de cette structure vient de la volonté de ses initiateurs de créer un cadre d’expression capable de cultiver l’excellence et le professionnalisme dans les métiers des médias. Francophone, lusophone, anglophone (...) elle est selon son président M. Jérémie Sigué, la seule structure africaine qui a réussi à briser les barrières linguistiques. Son objectif principal est de contribuer à l’édification de la démocratie en Afrique. Cet atelier qui se tient sous le thème « Média et démocratie : quelle image du professionnel » cadre avec cet objectif primaire. Ainsi, pour le secrétaire général du ministère de l’Information, représentant le ministre de l’Information, M. Amado Ouangrawa, « il n’y a pas de presse sans démocratie fiable ». C’est en partenariat avec l’ambassade des Etats-Unis au Burkina Faso que cet atelier a lieu. Afrique de l’Ouest Burkina Faso Presse et Média

La journée du 12 janvier 2005 a été consacrée à une communication qui a été livrée par le professeur Serge Théophile Balima. Les participants à cet atelier sont représentés par des journalistes des principaux médias au Burkina Faso, des associations oeuvrant dans le domaine des médias... Les travaux de l’atelier prennent fin le 14 janvier 2005.

Le président de la SODEMA M. Boureima Jérémie Sigué. Société pour le développement des médias en Afrique (Sodema) : Un nouvel espace de rencontre des journalistes africains

Le Choc no 463 du 5 décembre 2005 Par Stanislas Okassou

La ville de Douala (Cameroun) a abrité du 3 au 7 octobre 2005, la conférence internationale sur le thème « les médias dans les démocraties émergentes ». Au terme de cette conférence, 53 journalistes africains se sont accordés pour la création d’une structure continentale dénommée : Société pour le développement des médias en Afrique (SODEMA). La restitution des conclusions de la conférence de Douala a eu lieu le 29 novembre 2005, à la villa Washington, par Godefroy Yombi, secrétaire exécutif de la SODEMA, chargé à l’organisation et Sarah Ahoui, membre de ladite société. Initiées par le département d’Etat américain avec le concours de plusieurs organisations professionnelles des journalistes basées aux USA, les assises de Douala interviennent dans un environnement XIV médiatique africain marqué par l’absence, au plan continental, des organisations crédibles capables de prendre véritablement en charge la situation du journaliste africain. D’où la nécessité de créer la société pour le développement des médias en Afrique (SODEMA). Cette dernière a pour, entre autres, missions revaloriser le métier de journaliste sur le continent, défendre la liberté de presse, promouvoir les médias de qualité, aider à la formation des professionnels et au renforcement des capacités des médias. Pour le moment, la Sodema est dirigée par des instances transitoires, en attendant la tenue de l’assemblée générale qui mettra en place les instances définitives. Il a été demandé aux différents membres de s’employer à mettre sur pied, dans leur pays respectifs, des sections nationales qui devront à terme se fédérer pour constituer l’ossature de la SODEMA. La SODEMA est basée à Douala, au Cameroun. Pour ce qui est des perspectives, la SODEMA entend justement mettre en place un mécanisme d’intervention pour renforcer la protection des journalistes et pour les assister dans tous les cas de violation de la liberté de presse. Elle entend aussi prendre part de façon active au débat sur les reformes législatives pour la mise en place d’un meilleur cadre légal d’exercice de la profession. A l’issue des travaux, les participants ont formulé des recommandations portant sur la protection des journalistes en dépénalisant les débits de presse, l’organisation des missions de travail auprès des gouvernements et des organes de régulation de la communication pour retirer de tous les codes les dispositions contraires à la liberté de presse, l’aide à la presse, notamment par la mise en place d’une centrale d’achat de matière première à faible coût, etc. Vendredi 9 décembre 2005 Presse congolaise XV

ANNEXE VIII

SOCIETY OF PROFESSIONAL JOURNALISTS: CODE OF ETHICS (1996)

The Society of Professional Journalists Code of Ethics is voluntarily followed by writers, and news professionals. This version, adopted by the 1996 Society of Professional Journalists National Convention, calls for accuracy of information while reporting, balanced coverage of issues, and accountability, among other desirable practices of journalism professionals. Preamble Members of the Society of Professional Journalists believe that public enlightenment is the forerunner of justice and the foundation of democracy. The duty of the journalist is to further those ends by seeking truth and providing a fair and comprehensive account of events and issues. Conscientious journalists from all media and specialties strive to serve the public with thoroughness and honesty. Professional integrity is the cornerstone of a journalist’s credibility. Members of the Society share a dedication to ethical behavior and adopt this code to declare the Society’s principles and standards of practice. Seek Truth and Report It Journalists should be honest, fair and courageous in gathering, reporting and interpreting information. Journalists should: • Test the accuracy of information from all sources an exercise care to avoid inadvertent error. Deliberate distortion is never permissible. • Diligently seek out subjects of news stories to give them the opportunity to respond to allegations of wrongdoing. • Identify sources whenever feasible. The public is entitled to as much information as possible on sources’ reliability. • Always question sources’ motives before promising anonymity. Clarify conditions attached to any promise made in exchange for information. Keep promises. • Make certain that headlines, news teases and promotional material, photos, video, audio, graphics, sound bites and quotations do not misrepresent. They should not oversimplify or highlight incidents out of context. • Never distort the content of news photos or video. Image enhancement for technical clarity is always permissible. Label montages and photo illustrations. • Avoid misleading re-enactments or staged news events. If re-enactment is necessary to tell a story, label it. • Avoid undercover or other surreptitious methods of gathering information except when traditional open methods will not yield information vital to the public. Use of such methods should be explained as part of the story. • Never plagiarize. • Tell the story of the diversity and magnitude of the human experience boldly, even when it is unpopular to do so. • Examine their own cultural values and avoid imposing those values on others. XVI

• Avoid stereotyping by race, gender, age, religion, ethnicity, geography, sexual orientation, disability, physical appearance or social status. • Support the open exchange of views, even views they find repugnant. • Give voice to the voiceless; official and unofficial sources of information can be equally valid. • Distinguish between advocacies and news reporting. Analysis and commentary should be labeled and not misrepresent fact or context. • Distinguish news from advertising and shun hybrids that blur the lines between the two. • Recognize a special obligation to ensure that the public’s business is conducted in the open and that government records are open to inspection. Minimize Harm Ethical journalists treat sources, subjects and colleagues as human beings deserving of respect. Journalists should: • Show compassion for those who may be affected adversely by news coverage. Use special sensitivity when dealing with children and inexperienced sources or subjects. • Be sensitive when seeking or using interviews or photographs of those affected by tragedy or grief. • Recognize that gathering and reporting information may cause harm or discomfort. Pursuit of the news is not a license for arrogance. • Recognize that private people have a greater right to control information about themselves than do public officials and others who seek power, influence or attention. Only an overriding public need can justify intrusion into anyone’s privacy. • Show good taste. Avoid pandering to lurid curiosity. • Be cautious about identifying juvenile suspects or victims of sex crimes. • Be judicious about naming criminal suspects before the formal filing of charges. • Balance a criminal suspect’s fair trial rights with the public’s right to be informed. Act Independently Journalists should be free of obligation to any interest other than the public’s right to know. Journalists should: • Avoid conflict of interest, real or perceived. • Remain free of associations and activities that may compromise integrity or damage credibility. • Refuse gifts, favors, fees, free travel and special treatment, and shun secondary employment, political involvement, public office and service in community organizations if they compromise journalistic integrity. • Disclose unavoidable conflicts. • Be vigilant and courageous about holding those with power accountable. • Deny favored treatment to advertisers and special interests and resist their pressure to influence news coverage. • Be wary of sources offering information for favors or money; avoid bidding for news. Be Accountable Journalists are accountable to their readers, listeners, viewers and each other. Journalists should: XVII

• Clarify and explain news coverage and invite dialogue with the public over journalistic conduct. • Encourage the public to voice grievances against the news media. • Admit mistakes and correct them promptly. • Expose unethical practices of journalists and the news media. • Abide by the same high standards to which they hold others.

Sources : Nancy C. Cornewell, Freedom of the press: Rights and Liberties under the law, Santa Barbara – California, ABC-CLIO Inc., 2004, p. 296-299. XVIII

ANNEXE IX

SOLIMA : CINQ MILLIARDS POUR SOLO DOLARA

C’est un lourd pavé dans la mare, déjà troublée, des relations entre les partisans de Didier Ratsiraka, que le tribunal de première instance d’Antananarivo a évoqué le 5 mai dernier. En effet, cette juridiction présidée par Mme Harimahefa Andriamitantsoa a rendu un important verdict selon l’ordonnance numéro 2 751. Celui-ci « autorise la société Nestair à faire pratiquer la saisie-arrêt sur tous les comptes bancaires, de tout tiers détenteurs d’avoirs appartenant à la Solima à Madagascar, auprès des banques BNI-CL, BMOI, SBM, UCB ainsi qu’aux CCP, CNAPS et Trésor jusqu’à concurrence de la somme de 5 248 740 fmg représentant la condamnation et les frais en exécution de la grosse de l’arrêt du 5 mai 2002, et 100 millions fmg à titre de dommages et intérêts ». Deux jours après, une signification, commandement du huissier Andriatsima Ravelo, est adressée à la Solima pour exécuter « immédiatement et sans délai » cette décision de justice. Grogne et mécontentement auprès de la Solima : l’exécution du verdict engendre le blocage de tous les comptes financiers de la Solima avec comme conséquences l’impossibilité de paiement des salaires des 88 membres restants du personnel, la cessation des activités surtout au niveau des centres médicaux et paramédicaux où sont traités quelque 600 familles, et le blocage des fournisseurs. Bref, la paralysie totale de la Solima. Le point de discorde concerne une propriété dite « Point Bas » de 99 ares où se fait le dépotage des carburants débarqués au port de Toamasina. Il remonte en 1999 quand le 14 juin 1999, la Solima a effectué un acte de vente avec Nestair à la suite de la privatisation de cette unité pour 200 millions fmg. La Solima continuant en ce temps-là d’importer des carburants, un contrat de location sur la même propriété (sic ?) fut notifié par Nestair à la Solima, deux jours seulement après le contrat. Un mois après, la Solima fait savoir son refus au contrat de location. Et quelques jours après, le 21 juillet 1999 plus précisément, l’Etat malgache procède à la révocation du contrat de vente avec Nestair, mais ce dernier refuse de signer. Dans la même foulée, en avril 2000, le ministère de l’Aménagement du territoire avait annulé clairement les droits de Nestair sur la propriété « Point Bas ». Mécontents, les dirigeants de Nestair ont saisi la justice. Le 24 mai 2000, le tribunal de première instance de Toamasina avait ordonné la réinscription « des droits de Nestair - Madagascar sur Point Bas ». Et débutait un feuilleton juridico-économique. D’après le tribunal de commerce de Toamasina du 5 octobre 2001, « la Solima est condamnée à payer la somme de 5 248 740 000 fmg à titre de factures impayées, et 100 millions de fmg à titre de dommages et intérêts ». Un appel en date de mai 2002 (ndlr : en plein mouvement post-électoral) confirme le verdit. Un pourvoi en cassation a été engagé par la Solima, et Mme le ministre de la Justice de l’époque, Alice Rajaonah, a en juillet 2002 suspendu l’exécution de la décision pour des « raisons d’ordre public, économique et social ». Mais la Chambre administrative d’octobre 2003 a levé cet acte en ne considérant que « l’ordre public ». Et voilà qu’il y a une dizaine de jours, le tribunal de première instance d’Antananarivo ne fait que confirmer le verdict de… 2001. Au-delà d’une simple affaire économique, où l’on respecte le verdict de la justice, la situation nous rappelle l’exemple type de la spoliation des biens de l’Etat, par la coalition entre les décideurs politiques de l’ancien régime et le représentant de Nestair. Ce n’est un secret pour personne que ce dernier, Raveloson Solo dit « Solo Dolara », dispose de lien d’affaires avec l’ancien président, l’amiral Didier Ratsiraka, lors de la XIX

Deuxième République. Et les anciens responsables de la Solima d’antan, le ministre Rasoja et le DG Marcel Bernard n’auraient fait que suivre la « recommandation de l’amiral ». En tout cas, il est tout à fait illogique de faire céder une propriété par la Solima au profit de Nestair, et deux jours après, un contrat de passage se fait au profit de cette dernière sur le même lieu. L’affaire reflète les difficultés de gestion de l’héritage du passé par les nouveaux dirigeants, notamment l’administrateur-délégué de la Solima Jacques-Aimé Raharinirina, et le ministre des Finances et du Budget, Benjamin Andriamparany, en tant que tutelle directe. Mais qu’on le veuille ou non, avec ces comptes de la Solima scellés, rebondissent les questions de transparence sur la privatisation des sociétés publiques, comme la Hasyma et aussi la Telma. A suivre de près… James R. Sources : La Gazette de la Grande Ile du 13 mai 2004 XX

ANNEXE X

NAISSANCE DE LA NOUVELLE OPPOSITION A MADAGASCAR

Le « front des exclus » attend le président Ravalomanana pour avoir des explications

Alors que l’ex PDS de Fianarantsoa tente toujours de rallier la population à sa cause et que la manifestation d’hier a drainé de 800 à 1 000 personnes Place du Magro, après que les véhicules équipés de sono pour attirer du monde a été, parfois, conspué à leur passage par des piétons, c’est dans la capitale que ce que l’on pourrait appeler le « front des exclus » s’est réuni hier au Karibotel, donc pas très loin de la Place du 13 mai. Il s’agit essentiellement des anciens membres et chefs de partis qui avaient pendant les « Evénements 2002 » constitué le « Comité de soutien à Marc Ravalomanana » – KMMR – pour appuyer sa conquête du pouvoir. Hier, avenue de l’Indépendance, il ne manquait pratiquement que l’AVI de Norbert Ratsirahonana. Il ressort des différentes interventions une forme de déception sur la conduite actuelle des affaires du pays par le nouveau régime qu’ils ont tous contribué, à des degrés divers, à mettre en place, et le remplacement de trois des PDS associés à cette lutte par des militaires n’a été que le détonateur d’un mouvement de mauvais humeur et d’incompréhension. « Au besoin, on redescendra dans la rue », a dit en substance Manandafy Rakotonirina, président du MFM tandis que les autres intervenants dénonçaient la mainmise du parti présidentiel « TIM » sur la gestion des affaires et l’esprit « revanchard » de certains membres de l’entourage du chef de l’Etat. « Dès le retour d’Europe du président Ravalomanana », ont expliqué les différents intervenants. « Nous demanderont de le rencontrer pour obtenir de sa part les explications qui nous semblent indispensables ». S’expliquer avec Ravalomanana d’abord Les réactions concernant les changements de tête à la présidence de la délégation spéciale des provinces de Toliara, Fianarantsoa et Mahajanga fusent actuellement de partout. Hier, ce fut au tour des chefs politiques de l’ex-KMMR (Comité de soutien de Marc Ravalomanana), en tout cas de la plupart d’entre eux sans ceux issus de l’AVI de Norbert Ratsirahonana, qui se sont relayé au micro, dans le cadre d’une conférence de presse tenue au Karibotel, pour faire part de leur vision respective des choses. Dans l’ensemble, les interventions tournent autour d’une seule idée: les pratiques actuelles du pouvoir semblent dévier des objectifs définis lors des moments forts du mouvement KMSB (Comité pour la défense des choix du peuple), et qu’il y a lieu de mettre les choses au point, notamment avec le président Marc Ravalomanana. Parmi ces chefs politiques de l’ex-KMMR, il y avait notamment Manandafy Rakotonirina (MFM), Marson Evariste et Jean-Eugène Voninahitsy (RPSD), Ruffine Tsiranana et Amédé Ramalason (PSD), Andrianalijohn Ndriamanampy (AMF/3FM), Gaston Ramaroson (MASTERS), Roger Ralison (PRM), Avonel Andriantsilavo (HVR), Clément Ravalison (AME), Hery Rakotobe (GRAD ILOAFO), et Faharo Ratsimbarison (député de Belo/Tsiribihina). Tous avec Pety Le ton a été donné par Manandafy Rakotonirina qui a précisé dès le départ qu’ils sont à nouveau réunis pour défendre le choix du peuple, celui de la population de Fianarantsoa en particulier, qui XXI

« manifeste », selon lui, depuis quelques jours pour le maintien de Pety Rakotoniaina à la présidence de la délégation spéciale de la province du Betsileo. « Nous avons lutté pour cette défense du choix du peuple, et nous sommes prêts à défendre la décision qui sera prise par la population de Fianarantsoa, concernant le PDS Pety Rakotoniaina… » Jusqu’où ira cette défense ou ce soutien à la population fianaroise ? Manandafy Rakotonirina répond que « s’il fallait remobiliser les populations et redescendre dans les rues, on pourrait le refaire… ». Un pouvoir revanchard En attendant de savoir les suites de cette déclaration, car il faut quand même souligner que des déclarations d’intention aux véritables actes ou actions, il y a un pas, des précisions sont venues aussitôt de la part des autres conférenciers. Roger Ralison, Clément Ravalison et Jean-Eugène Voninahitsy ont ainsi expliqué qu’il ne s’agit pas pour l’instant de créer un mouvement que l’on pourrait assimiler à des velléités de déstabiliser le nouveau pouvoir « pour lequel nous avons tous lutté… ». Mais il faut de sérieuses explications de la part de tous les hauts responsables dont notamment le président Marc Ravalomanana. Sans aller jusqu’à lancer une sorte d’ultimatum au chef de l’Etat, ces conférenciers indiquent que ce sera l’objet de leur première démarche : avoir une entrevue avec Marc Ravalomanana et s’expliquer sur la marche actuelle des affaires nationales « où l’on voit », selon eux, « une mainmise du « TIM » à tous les niveaux et dans toutes les structures du pouvoir ». Une mainmise que le député Faharo a confortée en soulignant que les pratiques actuelles dans la gestion des affaires publiques sont celles « d’un pouvoir revanchard comme celui de l’ancien régime présidé par Ratsiraka… ». Au-delà de cette déclaration de Faharo, tous les intervenants ont auparavant insisté sur le fait qu’avec cette mainmise du « TIM », il n’y a plus aucune considération pour les autres formations qui ont aussi soutenu l’élection de Marc Ravalomanana à la présidence de la République. On a parlé d’exclusion, notamment de ceux qui n’ont pas été alliés au sein du « Firaisan-kinam- pirenena » lors des récentes législatives. Et ce serait encore un autre point des discussions qui seront abordées avec le chef de l’Etat à son retour au pays. Mais ces conférenciers de l’ex-KMMR ont aussi fait remarquer que le problème actuel, concernant le limogeage des PDS de Mahajanga, de Fianarantsoa et de Toliara, ainsi que de cette mainmise du « TIM » dans toutes les institutions, ne peut être entièrement imputé à Marc Ravalomanana, « car il peut s’agir de velléités mal venues de certains membres de son entourage direct ». Un entourage qui gagnerait donc à être revu, selon les intervenants, et, toujours selon Faharao Ratsimbalison, « au sein duquel se sont infiltrés beaucoup d’éléments indésirables et animés de cet esprit revanchard… ». Recueillis par Miadana Andriamaro Sources : L’Express de Madagascar du 1er février 2003 XXII

ANNEXE XI

POUR UNE INFORMATION ET DES MEDIAS PLURALISTES – APPEL A DES ETATS GENERAUX

Nous en appelons à tous les citoyens attachés à une information indépendante et pluraliste, aux journalistes, créateurs et salariés des médias, aux acteurs des médias associatifs, aux intermittents et précaires de tous les métiers de l’information et de la culture, aux militants et responsables des mouvements syndicaux, associatifs et politiques, aux mouvements d’éducation populaire, à toutes celles et à toux ceux qui entendent résister à l’information et à la culture mercantiles… Pour que se tiennent, localement et nationalement, des Etats généraux pour une information et des médias pluralistes.

Des Etats Généraux, pourquoi ? 1. Pour remplir leur fonction démocratique, les médias devraient être soustraits à l’emprise directe des pouvoirs économiques et politiques. Or ce n’est manifestement le cas ni des médias privés, ni des médias publics. Les logiques financières qui prévalent dans les premiers ont désormais gagné les seconds, au point que le secteur public ne semble devoir son maintien qu’à la perpétuation de sa dépendance politique. La concentration des médias, livrés à des groupes liés à des empires industriels, à des fonds de pension et au secteur bancaire dont le principal objectif est de répondre aux attentes de leurs actionnaires, compromet gravement la qualité et la diversité de l’information, du divertissement et de la culture. Elle incite les groupes de presse qui ne dépendent pas directement des groupes les plus puissants à se battre contre eux avec les mêmes armes sur le même terrain. Elle entraîne une course à la rentabilisation qui se traduit par une précarisation vertigineuse des métiers de l’information et de la culture, par la subordination croissante des journalistes à leur hiérarchie, par l’assujettissement de plus en plus étroit des programmes et de tous les producteurs d’information et de culture aux impératifs imposés par les diffuseurs et par les publicitaires. Acteurs de la mondialisation libérale et de la dérive ultra-libérale de l’Europe, la plupart de grands médias en sont, par éditorialistes et chroniqueurs interposés, les propagandistes. Au mépris de la diversité des opinions et des aspirations de leurs lecteurs, auditeurs et téléspectateurs. Mais quand le pluralisme est mutilé, c’est la démocratie qui dépérit. Le secteur public de l’audiovisuel ne fait pas exception, bien au contraire. Assujetti à la publicité, parce que son financement public est insuffisant, il se condamne, face aux chaînes et stations privées, à les concurrencer avec les armes commerciales de la course à l’audience instantanée. Placé sous la tutelle de la majorité politique du moment, il en subit directement les pressions et les reprises en main périodiques. Comment, dans ces conditions, pourrait-il remplir son rôle de service public ? 2. Les pouvoirs publics, loin de garantir l’égalité du droit d’accès aux médias, le pluralisme de l’information et l’indépendance des journalistes : - Favorisent les concentrations guidées par la recherche obsédante du profit maximal dans le délai le plus court, qui est la règle du marché ; XXIII

- Livrent l’audiovisuel et de larges secteurs de la presse écrite aux appétits des groupes adossés à des conglomérats industriels bénéficiant des marchés publics ; - Maintiennent leur encadrement politique d’un audiovisuel public, privé des moyens financiers de son indépendance Pérennisent un système d’aide à la presse qui favorise les médias financièrement les plus puissants et les plus mercantiles ; - Participent à la fragilisation des médias indépendants des grands groupes en s’attaquant aux services publics, comme celui de la Poste qui réserve ses tarifs préférentiels aux médias les plus lucratifs ; - Se refusent à doter les médias sans but lucratif et, plus particulièrement, les médias associatifs, du statut juridique et de l’aide financière sans lesquels leur existence est compromise.

Des Etats Généraux dans quel but ? Par ces Etat généraux, nous entendons dresser un état des lieux des problèmes à résoudre, proposer des solutions, les soumettre à toutes les forces politiques et aux parlementaires. Sans préjuger du résultat, nous entendons mettre en discussion les questions suivantes : L’information est un bien commun. Comment garantir les droits d’informer et les droits à l’information contre toutes les tentatives politiques et économiques de les confisquer ? - Ces droits doivent être protégés par une législation et des moyens à la hauteur des enjeux : lesquels ? Comment préserver et refonder le service public de l’audiovisuel ? - Comment garantir l’essor des médias associatifs, sauvegarder le potentiel non-marchand d’Internet, doter les médias à but non lucratif du statut et des moyens dont ils sont besoin ? - Le droit à l’information est d’abord le droit à une information diversifiée dans tous les domaines : comment la garantir, et favoriser en particulier la qualité et la pluralité des informations économique, sociale et internationale ? - Le droit à l’information suppose de nouveaux droits pour les journalistes et, plus généralement, pour les producteurs d’information indépendants : lesquels et comment les garantir ?

Des Etats généraux, comment ? 1. Nous appelons à des Etats généraux ouverts, décentralisés, pluralistes. Ouverts - La question du droit à l’information est une question trop sérieuse pour être abandonnée aux seuls responsables des médias : elle concerne tous ceux qui, professionnels ou non, journalistes ou pas, concourent à la production de l’information. Les journalistes, les salariés des médias et leurs syndicats ont besoin du concours de tous. Décentralisés - La question du droit à l’information ne doit pas être réservée à des porte-parole nationaux (et omettre les médias régionaux). C’est pourquoi le processus des Etat Généraux que nous souhaitons impulser doit combiner des échéances locales et des échéances nationales et privilégier les ateliers, les commissions, les séminaires de réflexion et de proposition, contre toute tentation de céder aux mirages de la personnalisation et du spectacle... médiatiques. Pluralistes - La question du droit à une information pluraliste n’est le monopole de personne. Les exclusives viendront de ceux qui refusent de s’y associer. XXIV

2. Nous souhaitons donner naissance, non à une nouvelle structure, mais à un processus, marqué par des échéances fortes. Nous appelons donc à une Première session nationale des Etats Généraux pour des médias et une information pluralistes en 2006. ACRIMED, jeudi 1er décembre 2005 Sources : Association-Critique-Médias (http://www.acrimed.org) XXV

ANNEXE XII

QUELQUES REVENUS DE JOURNALISTES EN FRANCE EN 2002

Le 25 janvier 2002, Le Point publiait une article d’Emmanuel Berretta « Journalistes : les ‘stars’ et les ‘autres’... » dont on peut retenir les données suivantes exprimées en brut mensuel. Voici les notes retenues par l’association ACRIMED à ce sujet. Un localier1 qui débute dans un quotidien régional touche 1 520 euros par mois. Patrick Poivre d’Arvor gagne 45 700 euros brut par mois rien qu’en salaire. Emmanuel Berretta explique ainsi les différences selon les médias : « (...) les grandes strates de salaire dépendent d’abord de l’importance du revenu publicitaire de la famille de presse à laquelle ils appartiennent. Pas étonnant que la presse écrite (5 % du gâteau publicitaire) rémunère plutôt moins que la radio (20 %), laquelle rétribue moins bien que le colosse télévision et ses 75 % de parts de marché publicitaire ». Sur TF1 : - 2 668 euros mensuels en début de carrière ; - grand reporter : entre 3 811 et 5 335 euros ; - rédacteur en chef adjoint : entre 4 878 et 6 860 euros pour les rédacteurs en chef (chiffres confidentiels). Presse écrite : - directeur de la rédaction de la presse économique : de 7 900 euros jusqu’à 9 450 euros en incluant l’ancienneté, les primes, l’intéressement et la participation aux résultats ; - sur la base des mêmes surprimes, un reporter gagne en moyenne 3 680 euros par mois, un chef de rubrique 3 710 euros, un grand reporter 4 685 euros, un chef de service 4 395 euros, un rédacteur en chef adjoint 5 195 euros, enfin un rédacteur en chef 6 072 euros. Chez Le monde, le salaire le plus bas est de 2 662,18 euros et le plus élevé est de 9 324,59 euros par mois. Le salaire moyen proposé est de 4 376,07 euros. « Pour être juste, il faudrait ajouter les notes de frais et l’abattement fiscal propre aux détenteurs d’une carte de presse... ».

Sources : Association-Critique-Médias (http://www.acrimed.org)

1 Journaliste d’un journal local ou régional travaillant pour des pages locales. XXVI

ANNEXE XIII

LES GRANDES FONCTIONS SOCIALES DU JOURNAL

Ce lecteur, qui doit être le véritable « patron » du journaliste, que cherche-t-il dans le journal ? Quelles fonctions remplit celui-ci ? Cinq d’entre elles sont les plus importantes. Fonction d’usage et de service. C’est la réponse au besoin fondamental : je lis ce journal parce que je vais y trouver des informations et des commentaires qui me sont utiles. Utiles à ma vie quotidienne, mes loisirs, utiles pour savoir ce qui se passe dans ma commune, dans ma région, dans mon entreprise… De même qu’un bon article est un article « riche en informations », un bon journal doit être dense, complet, aller au-delà de ce qu’attend le lecteur. Fonction de rêve et de distraction. La lecture de la presse a toujours procuré du rêve : évasion vers des contrées inconnues, plongée dans l’intimité réelle ou supposée des grands de ce monde, émotion devant la beauté d’une architecture, d’un paysage, d’une star. Certaines publications (presse féminine, « pictures news, presse « à sensation », presse spécialisée dans les aventures des rois et princesses) vendent du rêve et de l’émotion. Mais bien d’autres savent aussi utiliser cette fonction : la « maison-décoration » permet de se projeter dans un intérieur idéal, la presse du jardin dans des espaces de nature que l’on a envie de reproduire. D’autre part, la lecture des journaux est surtout une occupation du temps de loisirs. Il est donc bon que le côté « distractif » soit bien présent. La mode ancienne du « feuilleton » est quasiment révolue, mais les quotidiens et hebdomadaires « d’information générale et politique » ont tous leurs pages de télévision, leur espace « jeux », leurs caricatures ou leur « strip2 » dessiné, plus rarement des nouvelles. En outre, un beau reportage, une histoire bien racontée ne sont pas non plus sans rapport avec cette fonction distractive. Fonction d’identification et d’intégration. Le journal fait entrer dans un ensemble : « les lecteurs de… ». Si le processus réussit, si la relation est durable, le lecteur parlera de « son journal » et le lien qui les unira, quel que soit le type de publication, aura un caractère affectif. A travers ce lien se réalise une double aspiration : l’identification à un groupe social qui se reconnaît dans un titre et l’intégration, par son truchement, à la vie sociale dans son ensemble. Si la télévision produit en général des comportements passifs, la lecture – qui commence le plus souvent par l’acte d’achat – est d’une autre nature et porte la marque de la participation à quelque chose qui dépasse le seul univers familial. Les dirigeants et journalistes de la presse régionale le savent bien. Il est très difficile de faire acheter et lire le quotidien aux jeunes lecteurs en train de s’émanciper de cet univers. Le retour volontaire à cette lecture familiale se fera plus tard, lorsque le jeune adulte entre dans la vie active, fonde une famille, s’insère dans la vie de la cité. Fonction de miroir. Le lecteur aime qu’on lui parle de lui. Il veut retrouver dans son journal une partie de son univers de vie, de ses préoccupations. Il doit pouvoir, au moins symboliquement, y contempler son image, comme dans un miroir. C’est le cas, bien sûr, dans la presse professionnelle ou d’entreprise. C’est vrai également dans la presse locale où la proximité permet de mettre en scène (y compris par la photographie) le voisin que l’on côtoie, le commerçant que l’on fréquente, les personnalités qui animent la ville ou le canton… C’est vrai dans de nombreux magazines, à commencer par les « féminins », ceux qui traitent de la santé ou des différentes formes de loisirs. Mais c’est vrai aussi dans certaines rubriques des grands quotidiens ou hebdomadaires nationaux : les dirigeants d’entreprise aiment lire, dans les Echos ou La Tribune par exemples, les

2 Petite bande dessinée de quelques vignettes, insérée généralement en bas de page. XXVII articles sur le sujet qui font leur quotidien de managers. Lorsque Le Monde possédait une rubrique « éducation » quotidiennement copieuse (près d’une page par jour en moyenne au milieu des années 1970), elle était destinée en priorité aux enseignants et étudiants qui y trouvaient le reflet de leur actualité. Fonction de critique. Transcrire l’actualité, toute l’actualité. Pas seulement celle que fabriquent les « services de communication », que distillent les hommes politiques ou les dirigeants de tout poil. Sans une presse multiple, sans des journalistes qui ne se contentent pas de retranscrire ce qu’on leur demande d’écrire, la connaissance de la réalité serait bien obscure. Par sa seule capacité à dire, le journalisme possède la plus efficace des fonctions critiques. On s’en rend compte chaque jour ou presque avec des « affaires » politico- financières, les grands et les petits scandales qui ont la plupart du temps la même cause – l’argent – et le même outil – le mensonge. Si le journalisme a un rôle social, c’est bien celui-là : traquer la vérité.

Sources : Yves Agnès, Manuel de journalisme. Ecrire pour le journal, Paris, éd. La Découverte & Syros, coll. « Repères », 2002, p. 34-35. XXVIII

ANNEXE XIV

SUR LE JOUNALISME A LA FRANCAISE

Texte I : « Au confluent de la littérature et de la politique » Le journalisme n’a pas toujours été un métier de médiation, tourné vers la satisfaction des besoins des lecteurs. Le « journalisme à la française », comme l’a montré notre confrère Thomas Ferenczi (L’invention du journalisme en France, Plon, 1993), a été longtemps au confluent de la littérature et de la politique. Son autonomie s’est construite tardivement, au cours du XXe siècle, aiguillonnée par l’influence des Anglo-saxons, plus proche de la simple narration des faits. Et c’est lorsqu’il s’est complètement extirpé de la gangue littéraire et politique des origines qu’il a pu développer et progressivement codifier le corpus de techniques qui concourt aujourd’hui à son exercice. Certains établissements de formation – et particulièrement les deux plus importants, le Centre de formation et de perfectionnement des journalistes à Paris et l’Ecole supérieure de journalisme de Lille – ont largement contribué à généraliser cette pratique d’un journalisme de méthode, autonome aussi bien par rapport à la littérature que par rapport au monde politique. Ce qui ne veut pas dire que les médias et les journalistes n’influencent pas les écrivains ou ne sont pas influencés par eux, ni qu’ils ne soient pas imbriqués dans les divers cercles de pouvoir qui façonnent la société : le système médiatique interagit avec le politique, le social, l’économique, le culturel, etc. Mais ce qui signifie que le journalisme est passé de la position d’acteur de la vie sociale à celle d’observateur de cette même réalité. Du coup, chez nous aussi, la primauté du fait s’est installée, le commentaire a été relégué au second plan. Le développement massif d’une presse magazine et spécialisée, puis technique et professionnelle, a fait de quelques journaux « d’opinion » encore publiés des sortes de buttes témoins des siècles passés. Autrefois, on n’apprenait pas le journalisme, on acquérait un savoir-faire approximatif « sur le tas ». Aujourd’hui, la connaissance des règles et des techniques est un avantage indiscutable pour être un bon journaliste. Mais le journalisme à la française n’a pas coupé tous les ponts avec les origines. La qualité de l’écriture, la diversité du style sont des caractéristiques fortes de nos journaux, quotidiens ou périodiques, servis par une langue d’une grande richesse et aux possibilités illimitées. Dénigrée par les universitaires, l’écriture journalistique a au contraire inspiré nombre de romanciers et d’essayistes : elle est avant tout une écriture de communication mais sait aussi cultiver le vocabulaire, agencer les phrases et organiser les paragraphes pour que l’information ne soit pas une potion amère.

Sources : Yves Agnès, Manuel de journalisme. Ecrire pour le journal, Paris, éd. La Découverte & Syros, coll. « Repères », 2002, p. 15.

Texte II : « Entre littérature et politique » La singularité initiale du journalisme français pourrait s’exprimer en une formule paradoxale : jusqu’à la naissance de la presse populaire à la Belle Epoque, les journaux se font sans journalistes. Les articles sont certes rédigés par des collaborateurs de presse. Mais ceux-ci ne vivement pas leur activité comme un métier à part entière avec ses savoir-faire propres, sa logique de carrière. Travailler pour un journal est une position d’attente vers les vraies carrières de la littérature et de la politique. Balzac décrit ce phénomène dans Illusions perdues, plus encore dans sa Monographie de la presse parisienne [1843] qui développe une typologie des collaborateurs de presse. XXIX

Celle-ci rend bien visible le statut « vide » du journalisme. Il ouvre la voie vers la réussite ailleurs, ou stérilise ceux qui s’y engluent. Les « petits journalistes », débutants, plus ou moins poètes, grouillent dans ces journaux en rêvant de positions élevées, attirés à Paris comme des moucherons parle soleil […]. Ils tombent épuisés et se changent en employés dans quelque ministère ». Par ailleurs, si l’on excepte les « camarillistes » qui prennent en sténographie les débats parlementaires, aucune compétence professionnelle spécifique ne semble requise. Aucun des personnages dépeints n’enquête. La compétence des journalistes est littéraire, faite de talent polémique, de pyrotechnie rhétorique. De multiples données manifestent ce penchant littéraire du journalisme français. Les titres qui font décoller une presse de masse (La presse de Girardin en 1839, Le petit journal de Millaud en 1863) jouent d’un produit d’appel qui est le feuilleton rédigé par des plumes célèbres (Balzac, Dumas, Hugo, Hue). De Zola à Camus, cette tradition de coopération demeure un trait du journalisme français, dont les monstres sacrés (Londres, Bodard) associent aussi la figure de l’écrivain à celle du reporter. Le second tropisme du journalisme français est politique. La majorité des titres s’identifient à des sensibilités politiques, plus tard à des partis. Sous la IIIe République, nombre de journalistes entreprennent des carrières politiques [Ferenczi, 1993]. Pour les élus, le contrôle d’un quotidien est une ressource stratégique dans les luttes parlementaires, la politique locale. Cette tradition s’inscrira durablement dans la pratique professionnelle, au point que, jusqu’aux débuts de la Ve République, un journaliste politique demeure un journaliste porteur d’opinions politiques [Darras, 1997]. La perméabilité de la presse française à la politique s’illustre par l’efficacité des tactiques de répression, de corruption et d’influence déployées par les gouvernements. La pratique en remonter à Guizot, inventeur d’un « bureau de l’esprit public » qui adresse aux journaux amis des éditoriaux types. L’audiovisuel confirmera cette tendance [Bourdon, 1994]. Le journalisme français (…) marque sa différence au modèle anglo-américain. La dimension du news- gathering y reste durablement peu développée. L’excellence professionnelle s’y fonde sur la maîtrise et le brio du style, la capacité à défendre une ligne éditoriale. Les contenus rédactionnels, valorisant critiques, billets et chroniques, traduisent le poids du commentaire, d’un métadiscours sur l’actualité qui privilégie l’expression des opinions, transforme l’événement en prétexte à exercices de styles brillants et désinvoltes.

Sources : Erik Neveu, Sociologie du journalisme, Paris, éd. La Découverte, coll. « Repères », 2004, p. 12-15. XXX

ANNEXE XV

JOURNALISME ET ETHIQUE (PIERRE BOURDIEU)

Lorsque, il y a deux ou trois ans à Carcans, nous étions quelques-uns, dont Patrick Champagne et Patrick Pépin, à discuter sur la nécessité d’une collaboration entre chercheurs et journalistes, je n’aurais pas espéré que nous aurions si vite l’occasion de voir la création d’un centre de recherche sur le journalisme comme celui-ci. Ma contribution à la création de ce centre pourrait être simplement de soumettre quelques questions à la discussion des participants de ce colloque. Il est important qu’un groupe, quel qu’il soit, et plus particulièrement un groupe dont les responsabilités sont aussi importantes que celui des journalistes, se pose explicitement le problème de l’éthique et s’efforce d’élaborer sa propre déontologie. Cela dit, au risque de paraître un peu rabat-joie, mais c’est souvent le rôle du sociologue, je dois rappeler qu’une éthique en l’air, non enracinée dans une connaissance des pratiques réelles, a de bonnes chances de fournir seulement des instruments d’auto-justification, pour ne pas dire d’automystification. Et il est vrai que, souvent, le discours éthique a surtout pour effet de permettre à un groupe de se donner bonne conscience tout en donnant de lui- même une bonne image. C’est pourquoi il me faut mettre en garde contre le danger de déplacement ou de détournement que l’on opère aussi longtemps que l’on fait croire (et que l’on se fait croire) qu’on peut poser en termes de « conscience » et de « volonté », et même de conscience individuelle (ce sont les deux présupposés de toute éthique), des problèmes qui ne dépendent en réalité que très peu des consciences et des volontés mais dont la solution repose sur l’efficacité de mécanismes sociaux. Le rôle de la science sociale est de rappeler l’existence de ces mécanismes, non pour désespérer les consciences et les volontés, mais, au contraire, pour leur donner un peu de liberté réelle par rapport aux mécanismes auxquels elles sont soumises. Chaque profession produit une idéologie professionnelle, une représentation plus ou moins idéale et mythifiée d’elle-même, le groupe des journalistes comme tous les autres. La fonction du sociologue est, selon moi, d’aider autant qu’il se peut à ce travail un peu désenchanteur. Ce n’est pas toujours ainsi que ceux qui se donnent le nom de sociologues entendent leur profession. Et il y a des sociologies du journalisme qui, parce qu’elles sont trop impliquées dans le jeu journalistique, renvoient aux journalistes l’image d’eux-mêmes qu’ils veulent avoir, juste un tout petit peu corrigée pour lui donner des allures savantes. La sociologie telle que je la conçois, et que j’ai appliquée au monde universitaire (dans Homo Academicus), ce qui m’a valu quelques désagréments, doit soumettre à la critique objective les discours que les groupes tiennent à propos de leurs pratiques, au lieu de se contenter de les enregistrer, sans plus, et de leur donner ainsi l’apparence d’une ratification scientifique. Et l’une des premières tâches serait d’analyser les discours que les journalistes tiennent sur eux-mêmes ainsi que ceux que certains « sociologues » tiennent sur les journalistes avec leur approbation ou leurs applaudissements. Ce scepticisme, pour ne pas dire ce doute radical, à l’égard des professions de foi éthiques, ne signifie pas que rien n’est possible. Mais il est important de distinguer selon le vieux précepte stoïcien, ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous ; cela au moins pour éviter d’abandonner ou d’imputer aux individus des responsabilités trop évidemment démesurées. Au lieu de faire de la morale et d’en appeler aux consciences et aux volontés, on peut demander au groupe de créer les conditions dans lesquelles ses membres auront plus de chances de se conduire moralement. Pour justifier ce changement de langage et de perspective, XXXI je voudrais faire ici référence à Machiavel qui disait à peu près que la République est un régime dans lequel les citoyens ont intérêt à la vertu parce que la vertu y a plus de chances d’être récompensée. Il faudrait, pour compléter et corriger Machiavel, citer aussi Aristote disant que « la vertu veut une certaine aisance ». Bref, il faut prendre acte des conditions sociales (et économiques), positives et négatives, de l’exercice de l’éthique, et, si l’on veut vraiment les conduites morales que l’on appelle, refuser de se contenter de prêcher (en se plaignant, à l’occasion, de prêcher dans le désert, avec les profits corrélatifs de « belle âme ») et travailler pratiquement à instaurer les conditions économique et sociales propres à donner toute son efficacité à la prédication éthique. Bref, il faut, sous peine de pharisaïsme, travailler à créer dans l’organisation même de l’ordre public, les conditions de possibilité d’une vertu civile, dont le journalisme est un des lieux d’exercice privilégiés, parce que, comme je le crois, il est un service public. La seule question est de savoir comment faire pour que les journalistes, qu’ils soient ou qu’ils ne soient pas disposés à la vertu, aient intérêt à être journalistiquement vertueux et qu’ils conçoivent le service public qui leur incombe comme un véritable service du public au lieu de le réduire à la pure et simple soumission au public, c’est-à-dire au marché, à la loi de l’audimat. Ou pour aller vers une formulation plus proche de la pratique : comment renforcer les contraintes que l’on peut appeler « vertueuses », c’est-à-dire celles qui poussent à la vertu, et comment affaiblir, en les débusquant pour les contrecarrer, les contraintes « vicieuses », c’est-à-dire celles qui poussent à la faute ou à l’erreur ? Avant d’entrer dans la recherche des principes pratiques d’action, je voudrais faire quelques rappels théoriques qui me semblent nécessaires pour essayer au moins de convaincre que l’on peut parler du journalisme dans un langage qui ne soit pas de la « critique » ou du « procès ». Les journalistes sont très susceptibles et supportent relativement mal l’analyse (particulièrement mal même, sans doute parce qu’il s’agit d’un milieu à la fois puissant et fragile, faible, menacé). Il n’y a pas de milieu qui aime être objectivé. Le sociologue est mal vu parce qu’il dit des choses qu’on ne veut pas savoir (et pas seulement, comme les bons journalistes, des choses qu’il est difficile de savoir parce qu’elles sont cachées ou secrètes). Voilà pourquoi ce n’est pas sans crainte d’être mal entendu que je vais me livrer (rapidement) à un petit exercice d’objectivation. L’univers journalistique est ce que j’appelle un champ relativement autonome, c’est-à-dire un espace de jeu où les gens jouent selon des règles particulières, ou, plus exactement, des régularités spécifiques – ce n’est pas exactement la même chose – différentes par exemple de celles du jeu scientifique ; un microcosme dans lequel ils développe des intérêts spécifiques, qui sont au principe de luttes spécifiques, dont les plus typiques sont les luttes de priorité. Mais si le journaliste et le physicien, que tout sépare en apparence, ont en commun qu’il faut arriver le premier (pour diffuser une nouvelle ou pour annoncer une découverte), le contrôle des moyens qui peuvent être mis en œuvre pour triompher est beaucoup plus strict dans le champ scientifique, qui est beaucoup mieux protégé et protège donc beaucoup mieux contre les tentatives et la tentation de la falsification. Le jeu journalistique a donc une logique propre qui fait qu’on ne peut comprendre complètement les actes d’un journaliste quel qu’il soit si on ne réfère pas ce qu’il fait à l’espace du journalisme, c’est-à-dire à l’ensemble des relations qui l’unissent à tous les autres journalistes. On peut voir un exemple de ces effets de champ dans le fait que, quand un des organes de presse qui comptent, c’est-à-dire qui ont du poids dans le champ, traite un sujet, tous les autres sont obligés d’en parler. Ou encore dans le fait que, la structure du champ journalistique ayant été profondément modifié par l’intrusion de la télévision et, avec elle, de l’audimat, les effets de ce changement se sont fait sentir jusque dans les régions les plus autonomes de ce champ, jusqu’au Monde et à France Culture, par exemple. XXXII

Une des propriétés les plus importantes du jeu journalistique réside dans sa faible autonomie - en comparaison, par exemple, avec le champ scientifique – c’est-à-dire dans le fait qu’il est fortement soumis à des contraintes externes comme celles que font peser, directement ou indirectement, les annonceurs, les sources et aussi la politique. Le champ journalistique est structuré comme la plupart des champs de production culturelle (par exemple le champ artistique depuis la révolution impressionniste), autour de l’opposition entre, pour aller vite, « le pur » et « le commercial », entre ceux qui mettent la politique étrangère en tête, qui valorisent le commentaire, etc., et ceux qui se plient à la demande en offrant du national ou du local et surtout du sensationnel et du sensible, et cela avec les apparences de la vertu puisque, si l’on accepte la logique du plébiscite, on peut voir dans ce choix les apparences d’une soumission démocratique aux attentes du plus grand nombre. Du fait de l’irruption de la télévision, le pôle le plus hétéronome d’un champ déjà relativement peu autonome s’est trouvé renforcé au point d’être en mesure d’imposer la loi de l’hétéronomie à l’ensemble du champ journalistique mais aussi sur les stratégies des journaux et des journalistes – dont témoigne par exemple la capacité croissante de la télévision, elle-même déterminée par l’audimat et le sondage, à déterminer l’ordre du jour des journaux ou le fait que les journaux font une place de plus en plus grande à tout ce qui touche à la télévision et à ses programmes). Armé de cette analyse, on peut tenter d’élever la propension collective à la vertu en essayant d’agir en vue de renforcer les contraintes vertueuses, c’est-à-dire les mécanismes qui tendent à imposer le respect des règles constitutives du jeu, ou, plus profondément, en vue de renforcer la spécificité et l’efficacité de ces règles en travaillant à renforcer l’autonomie de ce champ journalistique, notamment par rapport à l’audimat. Il va de soi que tous les journalistes n’ont pas également intérêt à ce renforcement. Tout permet de supposer que la propension à agir en faveur d’une action visant à renforcer l’autonomie à l’égard de tous les pouvoirs externes dépend du degré d’autonomie des différents journalistes (qui peut se mesurer). De façon générale, l’univers journalistique étant relativement peu autonome, toute action visant à instaurer les conditions favorables à la vertu trouvera moins qu’ailleurs des appuis dans la logique interne du milieu : les censures externes y sont beaucoup plus puissantes (à des degrés différents selon la position dans le champ) que les censures internes, imposées par le respect des règles et des valeurs impliquées dans l’idéal de l’autonomie. Les premières s’exercent à travers les incertitudes, faciles à transformer en menaces, liées à l’insécurité de l’emploi qui mettent les jeunes journalistes devant l’alternative de disparaître très vite ou de faire leur trou en essayant de faire des « coups », c’est-à-dire bien souvent en acceptant de transgresser les normes de la déontologie journalistique, ou de se résigner à la soumission désenchantée ou au « fayotage » cynique ou désespéré. Pareille conjoncture ne peut que renforcer l’arbitraire des « chefs » qui, souvent promus pour leur opportunisme et leur soumission, trouvent un autre renforcement dans la pression de l’audimat qui donne raison, en apparence, à leur démission et à leur cynisme. Pour que le poids des censures internes se renforce par rapport aux censures externes, il faudrait que le collectif des journalistes s’institue en instance efficace de jugement critique, capable d’opposer à l’audimat sa légitimité spécifique. Il faudrait essayer de concevoir quelque chose comme une instance de régulation des entrées dans la profession capable de protéger le corps contre l’intrusion de gens qui n’accepteraient pas certaines règles du jeu, ou ne seraient pas en état de les accepter. (Il ne suffit pas de faire prêter aux journalistes une sorte de serment d’Hippocrate ; il faut qu’ils soient en mesure de respecter effectivement les règles). Mais, il faudrait XXXIII travailler surtout au renforcement des censures croisées. Les champs les plus autonomes, comme le champ des mathématiciens par exemple, sont réglés moins par des instances du type « ordre professionnel » que par la pratique de la critique mutuelle. Or, ce qui frappe, c’est la propension du milieu journalistique à accorder son indulgence aux scandales spécifiques, c’est-à-dire à des actes qui sont des transgressions évidentes des règles officielles du métier. Il faudrait analyser les fonctions sociales de cette espèce de « loi du milieu » qui fait qu’« on n’attaque pas les concurrents ». Pour des raisons que je ne comprends pas bien, le milieu journalistique refuse la critique mutuelle qui se pratique dans tous les champs de la production culturelle et sur laquelle repose tous les progrès de la science, de l’art, de la littérature. Mis à part le Canard enchaîné (et encore, il ne le fait que très rarement et en mettant les formes), les journaux ne publient pas le cinquantième des informations qu’ils ont sur leurs concurrents et il est très rare que le milieu journalistique engendre des polémiques qui, à mon avis, feraient progresser l’autonomie, et dans lesquelles s’inventeraient et s’exercerait une vraie déontologie pratique (et non pas théorique et programmatique). Les « Guignols de l’info » comblent probablement une lacune dans la mesure où ils disent ce que beaucoup de gens pensent dans le milieu sans être en état de le faire savoir (sauf en privé). On ne peut donc attendre un renforcement durable du camp de la morale journalistique que d’un renforcement de la critique interne et aussi de la critique externe, et en particulier d’une analyse sociologique objectivante à laquelle les journalistes ont d’autant plus intérêt (même s’ils croient souvent le contraire) qu’ils sont proches du pôle autonome. Les journalistes ne sont pas les seuls concernés. Les artistes, les écrivains et les savants, mais aussi les hommes politiques, et à travers tous ceux-là, l’ensemble des citoyens ont intérêt à ce renforcement des conditions sociales de la vertu journalistique. Etant donné le poids déterminant que le journalisme fait peser aujourd’hui sur tous les champs spécialisés (que l’on pense au droit et à la magistrature, ou à la médecine, sans parler de la culture), le champ journalistique a la possibilité d’imposer à tous les champs ce qui lui est à lui-même imposé du dehors. Je pense par exemple à la critique dont l’indépendance est une des conditions majeures de l’autonomie des univers de production culturelle (littérature, art, science, etc.). Il faudrait analyser les contraintes sous lesquelles travaillent les gens qui ont la responsabilité de verdicts qui pèsent sur la production littéraire, artistique, scientifique même, à travers notamment la contribution qu’ils apportent à la réussite (ou à l’échec) mesurée au nombre des ventes, dont les éditeurs prennent acte, de plus en plus, dans leurs choix de publication, etc. Seule une connaissance rigoureuse de tous ces mécanismes peut fonder une action visant à éviter que la logique du plébiscite ne s’impose, par la médiation des journalistes et des succès médiatiques, à des univers qui se sont construits contre cette logique comme le monde scientifique, le monde littéraire ou le monde artistique. Loin d’enfoncer et d’enfermer les groupes sociaux dans les déterminismes qu’elle porte à jour, la sociologie donne des instruments pour s’arracher un peu à ces déterminismes. Autrement dit, loin de désespérer les journalistes, la science sociale, parce qu’elle élève la connaissance et la conscience des contraintes, élève du même coup les chances de liberté à l’égard de ces contraintes. Ce qu’il faut par dessus tout souhaiter, c’est la constitution de lieux où les journalistes travailleraient à s’analyser collectivement et objectivement avec l’assistance de spécialistes (dont l’intervention paraît indispensable pour obliger et aider à pousser l’analyse jusqu’au bout, sans concessions ni complaisance). Je pense en effet que le progrès de la connaissance des contraintes qui pèsent sur les journalistes et la diffusion de cette connaissance ne pourraient XXXIV que faire progresser la liberté des journalistes, c’est-à-dire leur volonté et surtout leur capacité de résister réellement aux mécanismes qui déterminent leur pratique professionnelle. Lors des Actes du colloque fondateur du centre de recherche de l’Ecole supérieure de journalisme (Lille), Les cahiers du journalisme, juin 1996, no 1.

Sources : http://www.homme-moderne.org XXXV

ANNEXE XVI : TABLEAU RECAPITULATIF DU QUESTIONNAIRE JOURNALISTE (II)

Profil du journaliste no 12345678910111213141516171819TotauxTotaux Moins de 25 ans 1 1 1 1 1 5 Age [25, 40 ans[ 1 111 11111111 12 19 Plus de 40 ans 1 1 2 Féminin 111 1 111 11 1 10 Sexe 19 Masculin 11 1 1 111 11 9 Marié(e)s 11 1 1 1 1111 9 Situation matrimoniale Célibataires 111 11 111 1 1 10 19 Autre Oui 1 111 111 111 11 12 Formation péalable en journalisme 19 Non 11111117 Equivalent de licence 1 1 1 1 1 1 1 1 1 9 Niveau de formation Equivalent de maîtrise 1 1111 1 6 19 Au-delà de la maîtrise 1 1 1 1 4 Oui 1 1 1 1 1 1 6 Première expérience professionnelle 19 Non 1 11111 111 1 111 13 Moins de 1 an 111 3 Ancienneté 1 à 5 ans 1 1 1 1 1 1 1 7 19 Plus de 5 ans 1 11 111 1 11 9 Moins de Ar 200 000 1 1 1 1 1 1 6 Salaire Entre Ar 200 000 et Ar 350 000 1 1111111 1 1 10 19 Plus de Ar 350 000 1 1 1 3 Ministre 1 1 Député 1 1 11 11 6 Directeur général 1 1 Rang méritoire selon son imaginaire 19 Directeur 1 1 2 Conseiller 11111 5 Chef de service 1 1 1 1 4 Oui 1111111111111111111 19 Connaître le Code de déontologie 19 Non Oui 1 1 11111111111111 16 L'ayant déjà lu 19 Non 111 3 Tableau x : Récapitulation des enquêtes menées auprès des dix-neuf journalistes des quatre organes de presse (Sources : Analyses et synthèses personnelles). XXXVI

ANNEXE XVII

LA TENEUR DE L’AFFAIRE GALANA EN 2005

Les chefs d’inculpation retenus contre cette société pétrolière de nationalité française portent sur les délits de pollutions et de fraudes fiscales. La société a fait fi de clauses contenues dans le cahier des charges de la privatisation de quelques lots de la société Solima Sa, dont la Raffinerie et le Terminal de Toamasina. En vertu de la loi no 96 011 du 3 août 1996, la passation des clés de gestion de ces unités a débuté le 1er novembre 1999. La dénomination Galana Raffinerie Terminal Sa est ainsi née.

A l’époque, la société Galana s’engage à investir 55,7 millions de dollars dans un intervalle de cinq ans (2000- 2005) pour la consolidation de ces deux installations industrielles de Toamasina. A la fin de 2003, les réalisations s’élèvent seulement à 11,237 millions de dollars. La réalisation est nulle en 2004. Puisque l’engagement n’est pas honoré malgré l’état de délabrement avancé des installations matérielles, les risques de pollutions sont devenus inéluctables pour Galana.

En outre, l’Etat malgache a perdu 10,281 millions de dollars dans la vente de la Raffinerie et du Terminal. Le prix initial est fixé à 15,7 millions de dollars tandis que le prix final s’arrête à 5,419 millions de dollars (cf. document confidentiel no 448/03/OMH/DG/DER du 25 juillet 2003 intitulé Fiche technique sur la Galana Raffinerie Terminal (GRT), Office malgache des hydrocarbures, ex Immeuble Solima Behoririka Antananarivo). Personne n’a voulu apporter des explications sur cet écart flagrant.

La vente de fuel vers l’île Maurice est une activité exclusive de la société Solima, le fuel étant le sous-produit disponible en grande quantité après le raffinage, en moyenne 60 % des produits bruts. A l’échelle nationale, les sociétés Cotona et Jirama en sont les consommateurs potentiels. Mais après que la Jirama est autorisée à importer directement les quantités dont elle a besoin, la Solima se doit d’écouler son surplus sur l’île Maurice. La vente de fuel n’est pas comprise dans le contrat de passation entre l’Etat et Galana.

Mais cette dernière s’empare du marché mauricien de façon subreptice. Une bonne partie de la presse est en connaissance de toutes ces données lors de l’éclatement de l’Affaire Galana. Mais elle préfère militer du côté de la société pétrolière. La Gazette de la Grande Ile, a joué un rôle actif dans ce sens. Pendant huit jours d’affilé (27, 28, 29, 30 et 31 juillet et 2, 3 et 4 août 2004), elle a fait de l’affaire ses gros titres à la une comme si les intérêts mauriciens étaient supérieurs à ceux du peuple malgache dans cette affaire.

A l’époque 24 130 tonnes de fuel lourd pour la société d’électricité Central Electricity Board (CEB) à Maurice restent bloquées à Toamasina à bord du navire M/T Halia (cf. Communiqué de la société Galana Raffinerie Terminal Sa. du 5 août 2004). La presse se livre à une intense campagne de dénigrement contre l’Etat pour que celui-ci revienne sur sa décision. L’on a beaucoup jasé sur la probable incidence diplomatique entre Madagascar et l’île Maurice à cause de cette affaire.

« L’épisode Galana est une affaire d’une société privée contre un Etat et non une affaire opposant un Etat à un autre », souligne le nouvel ambassadeur mauricien, Dusowoth Shailendra Kumar Singha, arrivé à Antananarivo au début du mois de septembre 2004. Le diplomate a été reçu en audience par Jacquis Rabarison, alors ministre des Energies et des Mines, à son bureau à Ampandrianomby dans la journée de mercredi 9 septembre 2004. XXXVII

Mais l’enthousiasme médiatique par rapport à cette affaire tend à diminuer dès lors que l’article paru sous la forme d’un dossier complet intitulé Affaire Galana : Un enracinement profond depuis 1991, signé Rivonala Razafison, a paru à la page 4 du journal Le Quotidien du 5 août 2004. « Tout a été dit sur l’affaire Galana. Même le journal fondé par Marc Ravalomanana a publié un article très intéressant sur le sujet ». Ainsi Franck Raharison de La Gazette de la Grande Ile a débuté son éditorial le lendemain, c’est-à-dire le 6 août 2004.

Sources : Travail de synthèse personnelle. XXXVIII

ANNEXE XVIII

LIENS EXISTANT ENTRE SOLO RAVELOSON, AFFAIRE GALANA ET LA GAZETTE DE LA GRANDE ILE

Solo Raveloson dit Solo Dolara, ainsi appelé étant donnée sa grosse fortune, résident du riche quartier de Salazamay Toamasina, qui plus est le beau-père du fils unique de l’ancien couple présidentiel, Xavier Ratsiraka, a attaqué l’Etat en justice suite à une soi-disant violation de contrat. L’histoire remonte à 1999. L’histoire est longue. Mais en résumé, l’Etat malagasy est condamné à payer Ar 1 049 748 000 à titre de factures impayées et Ar 20 millions à titre de dommages et intérêts à la partie plaignante d’après le verdict prononcé par le tribunal de commerce de Toamasina en date du 5 octobre 2001. En 2002, le ministre de la Justice et garde de Sceau national, Alice Rajaonah, devenue secrétai re générale du gouvernement en 2004, a suspendu l’exécution de la décision pour des « raisons d’ordre public, économique et social ». Mais la Chambre administrative a levé cet acte en ne considérant que l’« ordre public ». Le 5 mai 2004, le tribunal de première instance d’Antananarivo ne fait que confirmer le verdict de 2001. Le seul article paru à ce propos est celui signé James R. publié dans La Gazette de la Grande Ile le 13 mai 2004 à la page 5. Un passage de l’écrit cite clairement que « la situation rappelle la spoliation des biens de l’Etat ». L’intégralité de ce texte sera annexée à cette étude pour de plus amples précisions. La presse n’est pas sans connaissance de cette affaire. Pourtant, elle en ignore l’existence pour on ne savait quelle raison. A la lumière de l’intense activité médiatique au sujet de l’épisode Galana, qui se produira seulement deux mois plus tard, c’est-à-dire au mois de juillet 2004, l’inégalité de traitement médiatique est évidente. La presse préfère défendre des intérêts particuliers en minimisant les intérêts publics. Mais il y a encore au moins deux hypothèses à émettre sur la motivation de James Ramarosaona au moment où il a pris la décision de relater le bourbier de la Solima. Jacques-Aimé Raharinirina, l’ancien administrateur-délégué de la Solima, et lui se connaissent très bien. Au-delà de leur origine Betsileo, ils ont évolué autour de la personne du politicien Manandafy Rakotonirina, président national du parti gauchiste Mouvement pour le progrès de Madagascar (MFM, né le 27 décembre 1972). Jusqu’à nouvel ordre, Jacques-Aimé Raharinirina restera le directeur de la Communication du parti. En outre, Me André Randranto, ancien bâtonnier de Madagascar, est à la fois avocat de la Solima et de La Gazette de la Grande Ile, en instance de poursuite judiciaire dès 2004. De toutes les façons, personne n’a soufflé mot de l’affaire Solima contre « Solo Dolara » dès l’éclatement de l’épisode Galana.

Sources : Travail de synthèse personnelle XXXIX

ANNEXE XIX

APERÇU HISTORIQUE DU DEBUT DE L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR PRIVE A MADAGASCAR

L’enseignement supérieur malgache est relativement jeune. L’université d’Antananarivo est créée en 1960. La couverture du système est étendue à chaque province au cours des décennies par la création de centres universitaires dépendants de l’université d’Antananarivo. Ils acquièrent leur autonomie en 1982. Le système connaît une évolution quantitative sans précédent dans les années 80. Les effectifs des étudiants dépassent rapidement le nombre de 40 000 avec tous les effets pervers. Le système plonge alors dans une crise profonde.

Le gouvernement décide de réformer le système au début des années 90. Des réformes sur plusieurs fronts sont engagées. La création en 1992 du Centre national de télé-enseignement de Madagascar (CNTEMAD) est une mesure destinée à renforcer la régulation des flux. Il est chargé d’accueillir les étudiants exclus des filières traditionnelles. Il a aussi théoriquement pour mission d’accueillir les étudiants qui, pour des raisons diverses, sont dans l’impossibilité de suivre un enseignement face-à-face (par exemples, jeunes mères allaitantes, ménagères, handicapés physiques).

Les universités sont dotées en 1993 d’une autonomie pédagogique, scientifique, administrative et financière afin de redynamiser le système d’enseignement supérieur. Mais cette autonomie ne va pas sans difficulté. Le concept d’autonomie prête à des divergences d’interprétation qui nuisent au fonctionnement interne du système. Les universités cherchent à s’affranchir de certaines orientations et dispositions communes définies par les autorités centrales. Le contrôle et le suivi des organismes sous tutelle s’avèrent de fait plus difficile.

Des textes portant organisation et fonctionnement des universités clarifiant les rôles de chacun sont élaborés afin de résoudre les difficultés. Les contrats programmes devraient définir les relations entre autorités centrales et organismes sous tutelle. La contractualisation se réfère au Plan de développement institutionnel (PDI). Les orientations sont définies dans le Plan directeur de l’enseignement supérieur (PDES) et dans le Programme national pour l’amélioration de l’éducation (PNAE2). Les orientations dans le cadre de ces documents restent néanmoins au stade des déclarations d’intentions.

De nouvelles formations courtes à finalité professionnelle sont mises en place par la création en 1992 des Instituts supérieurs de technologie (IST) pour mieux répondre aux besoins du marché du travail. Des formations dites professionnalisantes sont ouvertes dans quelques facultés à partir de 1995. Les programmes de certains enseignements existants sont réajustés de façon à mettre leur contenu davantage en conformité avec les exigences du marché du travail. Il est prévu d’instituer un système régulier d’évaluation à la fois interne et externe des enseignements offerts dans le souci d’améliorer la qualité des formations. L’Agence nationale d’évaluation (AGENATE) est créée en 1998 et travaille depuis 1999 à cette fin.

L’enseignement supérieur privé est de création récente par rapport à ce contexte. Le premier établissement privé est ouvert en 1983. Mais le secteur se développe dans la seconde moitié des années 90 grâce à l’adoption des mesures portant organisation générale de l’enseignement supérieur privé. En 1997-1999, le ministère de l’Enseignement supérieur (MINESUP) accrédite 17 institutions privées contre 6 en 1995-1996. XL

Les établissements privés sont quasiment localisés à Antananarivo. Deux écoles seulement sont situées hors de la capitale : l’une à Fianarantsoa et l’autre à Mahajanga. Les établissements privés dispensent dans leur très grande majorité un enseignement court très professionnalisé, d’une durée généralement de 2 ans et dans lequel la pratique en entreprise tient une place relativement importante (en moyenne 25 % des heures totales de cours). Les étudiants y sont généralement admis sur concours, à l’issue d’un baccalauréat général ou technique. L’enseignement est plus souvent sanctionné par le brevet de technicien supérieur (BTS).

Les premières filières proposées aux étudiants sont : Agriculture et Elevage, Commerce, Gestion, Administration d’entreprises, Tourisme, Santé, Informatique électronique, Electromécanique, Mécanique, Maintenance industrielle, Travaux publics, Architecture, Décoration, etc.

Sources : Adaptation des textes extraits d’un rapport de la Banque mondiale, Rapport no 22389- MAG. Madagascar. Education et formations à Madagascar : Vers une politique nouvelle pour la croissance économique et la réduction de la pauvreté. Tome 2 : Rapport principal, Développement humain IV Région Afrique, 22 juin 2001, p. 131-133 et p. 140-141.

DONNEES RECENTES SUR L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR EN GENERAL

Le ministère de l’Education nationale et de la Recherche scientifique (MENRS) est un grand ministère regroupant, depuis janvier 2004, les quatre anciens ministères de l’Education de base, de l’Enseignement secondaire, de l’Enseignement professionnel et de l’Enseignement supérieur. Il gère les établissements de formation supérieure (facultés, écoles et instituts) et les Centres nationaux de recherche (CNR, au nombre de 11).

En 2007, le budget de l’Enseignement supérieur public sera de Ar 43 milliards (soit 16,5 millions d’euros), représentant 1,5 % du budget de l’Etat (Ar 2 822 milliards, soit 1 085 millions d’euros). L’effectif étudiant est modeste par rapport à la population (24 étudiants/10 000 habitants). En 2005, la dotation se décompose en 34 % pour la solde des personnels universitaires (salaires et primes), 30 % pour les heures complémentaires des enseignants-chercheurs et les heures des vacataires extérieurs, 36 % pour les oeuvres universitaires (principalement les bourses étudiantes), les parts des frais de fonctionnement et investissements étant très faibles. Le budget de la recherche scientifique sera, en 2007, de Ar 5,4 milliards (soit 2 millions d’euros), finançant les 9 principaux Centres nationaux de recherche.

L’enseignement supérieur se décompose en un secteur public (environ 40 000 étudiants, ¾ de l’effectif dans les facultés, écoles, instituts) et un secteur privé (14 500 étudiants, soit ¼ de l’effectif, chiffres de 2006). Les effectifs étudiants du secteur public ont connu, ces quatre dernières années, une forte augmentation passant de 21 000 à 39 800, soit une augmentation de 89 %. Les effectifs ont presque doublé entre 2002 et 2006.

A ces 54 300 étudiants, il faut ajouter les 6 000 personnes résidentes à Madagascar, suivant un enseignement à distance, ainsi que les étudiants faisant leurs études à l’étranger, en majorité en France (3 600 en 2005-2006). L’effectif exact, dans les autres pays, n’est pas connu.

L’accès à l’université se fait sur concours : environ 35 % des bacheliers entrent à l’université après leur baccalauréat. Ces mesures malthusiennes découlent des capacités de financement (notamment des bourses, de nombreux étudiants étant boursiers), mais aussi des capacités d’encadrement. La croissance rapide de l’effectif étudiant, résultant en partie de la réussite des programmes d’appui en amont (programme « Education pour tous » de XLI

la Banque mondiale), préoccupe le MENRS qui cherche à se doter des outils d’analyse lui permettant de mettre en place une régulation des flux.

L’encadrement universitaire est d’environ 980 enseignants-chercheurs permanents (en 2006, l’effectif global est de 976 enseignants-chercheurs, pour ¼ de femmes), dont 17 % de professeurs, 44 % de maîtres de conférences et 39 % d’assistants. Ce chiffre, qui n’a pas beaucoup évolué ces dernières années en raison des contraintes d’ajustement structurel, augmente de 10 % en 2006 et devrait augmenter dans les mêmes proportions en 2007. Près de 55 % de ces enseignants-chercheurs ont plus de 50 ans. Les simulations montrent que plus de la moitié de l’effectif devra être renouvelé d’ici 2015.

L’enseignement supérieur malgache se compose de 6 universités, correspondant aux 6 provinces : Antananarivo, Fianarantsoa, Antsiranana, Toamasina, Mahajanga et Toliara. Ces universités sont dirigées par des présidents élus. A ces universités sont rattachés des écoles d’ingénieurs (2 écoles polytechniques, une école agronomique), des écoles normales supérieures (ENS) ou des instituts. Deux Instituts supérieurs de technologie (IST d’Antananarivo et d’Antsiranana), établissements équivalents aux IUT français, bénéficient d’un statut spécial, sont indépendants de l’université régionale et rattachés directement au MENRS.

L’université de la capitale Antananarivo est, de loin, la plus importante : 60 % des 39 800 étudiants du secteur public sont à Antananarivo (~24 100 étudiants). Viennent ensuite, par ordre d’effectif décroissant, les universités de : - Toamasina (~5 500 étudiants, 14 %) ; - Fianarantsoa (~4 000 étudiants, 10 %) ; - Toliara (~2 800 étudiants, 7 %) ; - Mahajanga (~1 800 étudiants, 4,5 %) ; - Antsiranana, étant la plus petite (~1 600 étudiants, 4,1 %).

Plus de 50 % des étudiants des Facultés sont inscrits en première année universitaire. La répartition des étudiants par groupes de disciplines est approximativement la suivante: - Sciences juridiques, économiques et gestion (48 %) ; - Lettres et Sciences humaines (18 %) ; - Sciences de la nature et Sciences exactes (14 %) ; - Sciences médicales (8,6 %) ; - Sciences pour l’ingénieur (7,4 %) ; - Sciences de l’éducation (3,6 %.

La structure de la recherche à Madagascar est classiquement bipolaire et se répartit entre :

- 11 Centres (et Instituts) de recherche nationaux CNR (publics et privés) ; - 59 laboratoires de recherche rattachés à l’université, dont 56 à Antananarivo, auxquels sont associées 51 formations doctorales (DEA).

Ces centres et laboratoires développent des relations de partenariat avec les institutions de recherche françaises à Madagascar (IPM, IRD, CIRAD) ou en France (laboratoires universitaires français, CNRS, INSERM, MNHN, IRD, CIRAD, INRA…). Ils accueillent actuellement 560 thésards et 790 étudiants en DEA (chiffres 2006). XLII

Les établissements d’enseignement supérieur privés sont créés pour pallier le manque de formations du secteur public, souvent dans des domaines où la demande des entreprises est forte et les emplois proposés nombreux. Dans ces champs disciplinaires, l’accès aux établissements publics se fait sur dossier ou sur concours, et le nombre de places est fortement limité.

Les établissements privés sont regroupés au sein de deux structures : l’AEESPHM (Association des établissements d’enseignement supérieur privés homologués de Madagascar) et l’AEFPSA (Association des établissements de formation professionnelle supérieure agréés). Quelque 55 établissements d’enseignement supérieur privé (94 % à Antananarivo, 6 % en province) accueillent environ 14 500 étudiants (chiffres 2006). Ces établissements interviennent essentiellement dans les formations professionnalisantes, sur 3 grands champs disciplinaires : la gestion, les sciences pour l’ingénieur et l’agroenvironnement. La moitié des étudiants du privé sont en gestion, un bon tiers en sciences de l’ingénieur (dont l’informatique - TIC).

L’année universitaire débute au mois d’octobre pour se terminer au mois de juillet. Depuis quelques années, la rentrée universitaire se décale : la dernière rentrée aura lieu en février 2007. Les anciens diplômes devraient bientôt être remplacés par ceux du dispositif international LMD. A partir de 2008, certains établissements délivreront ces nouveaux diplômes. Le projet FSP de coopération universitaire franco-malgache MADES (2007-2010) est conçu comme un appui à la rénovation.

La France est un partenaire traditionnel des universitaires malgaches. Toutefois, après une période de coopération de substitution (pendant laquelle des universitaires français sont en poste dans les instituts et universités malgaches, au titre de l’assistance technique), la France s’est réinvestie dans le champ de la coopération universitaire sur le mode du projet FSP.

La Coopération française :

- a financé un premier projet d’appui à l’enseignement supérieur PRESUP, qui donne lieu à deux conventions : PRESUP I (1996-1998) et PRESUP II (1997-2000) ;

- a financé un deuxième projet d’appui à l’enseignement supérieur MADSUP (2001-2005) ;

- financera un troisième projet d’appui à la rénovation de l’enseignement supérieur MADES (octobre 2007-octobre 2010), qui devrait accompagner notamment la mutation du dispositif malgache vers le LMD.

Les partenariats interuniversitaires entre les établissements malgaches et les établissements français sont nombreux et anciens. Ils se sont renforcés au fil du temps, sur la base des appuis procurés notamment par la coopération française, mais aussi par l’AUF. Sur les 80 partenariats recensés en 2006, une trentaine sont pleinement actifs. Ces partenariats seront mis à profit pour l’appui :

- à la mise en place du LMD, au travers des opérations pilotes ; - à la restructuration des formations doctorales ; - au renforcement de la recherche ; - au renforcement des capacités administratives des établissements et du ministère.

Sources : Adaptation des données contenues dans la FICHE MADAGASCAR, publiée par l’ambassade de France à Madagascar, 2007. XLIII

ANNEXE XX

LE POLITICIEN ET LES INTERETS ECONOMIQUES

Dès le début de l’année 2006, le microcosme politique malgache se caractérise par l’intensité des débats autour de la tenue prochaine des élections présidentielles. Des voix contestataires s’élèvent de part et d’autre pour réduire à néant, même de façon virtuelle, les acquis du régime en place. Le président de l’Assemblée nationale, Jean Lahiniriko, bien que provenant du Sud comme Kaleta, est de ceux qui ne ménagent pas l’exécutif. Pour Kaleta, l’Etat travaille « bien » et « dur ». A vrai dire, le fond de sa réaction est facilement compréhensible à quatre jours du lancement officiel des travaux relatifs à la mise en œuvre du projet Pôles intégrés de croissance (PIC) avalisé avec l’avènement du régime Ravalomanana et financés par la Banque mondiale et aux exploitations d’ilménite à Mandomodromotra dans la commune rurale d’Ampasina Nahampoana, district de Tolagnaro. Lundi 06 février 2006, le couple présidentiel, aux côtés des patrons de la firme canadienne Rio Tinto, dont le président du Conseil d’administration Garry O’Brian, et, d’une pléiade de personnalités politiques, s’est déplacé à Tolagnaro, la ville natale de Kaleta où il gère un grand complexe hôtelier, pour la triple cérémonie : lancement officiel du projet PIC, inauguration de la stèle commémorative du début des travaux de la QIT Minerals Madagascar – QMM SA est une filiale de Rio Tinto – et inauguration des infrastructures sociales construites dans le cadre du volet social du projet ilménite. Le projet est en négociation depuis près d’un quart de siècle. Les régimes successifs lui refusent tous l’autorisation de démarrage, excepté le régime Ravalomanana. Ceci étant, Rio Tinto prévoit un investissement total de quelque 578 millions de dollars à Tolagnaro pour une période 50 ans. Le plus grand port du pays sera aussi construit dans la baie d’Ehoala moyennant environ 145 millions de dollars. Les travaux confiés au géant français COLAS ont déjà commencé depuis le mois de janvier 2006. La société QMM SA s’engage à valoriser la jeunesse de la région Anosy et à reconstruire la capitale régionale dont les infrastructures se trouvent dans un état de délabrement avancé. En outre, la société QMM SA promet à la ville de Tolagnaro une électrification beaucoup plus performante. Le sénateur Kaleta sait pertinemment que toutes ces providences profiteront à lui, à sa famille et à ses descendants, Tolagnaro étant aussi la deuxième destination touristique du pays après l’île de Nosy Be dans la partie Nord-Ouest de Madagascar. En guise de reconnaissance envers le régime Ravalomanana pour lui avoir « prodigué » toutes ces mannes économiques, force lui est de se convertir en pro régime. Ce lundi 6 février 2006 à Tolagnaro et au microphone, le sénateur s’est répandu en louanges à l’endroit du régime, et ce, en présence du couple présidentiel. En réalité, il a déjà manifesté le même geste au même endroit dans la soirée de jeudi 4 août 2005 en présence du premier ministre Jacques Sylla et d’une forte délégation officielle venue spécialement d’Antananarivo pour la cérémonie relative au lancement du projet QMM. La convention d’établissement entre l’Etat malgache, représenté par l’OMNIS, Qit Fer et Titane est ratifiée par l’Assemblée nationale le 26 janvier 1998 et promulguée le 19 février 1998. Au niveau de Qit Fer, la décision d’investissement a été prise en août 1997. Sources : Travail de synthèse personnel. XLIV

ANNEXE XX

DECRET No 74-122 PORTANT CREATION ET ORGANISATION DE L’ORDRE DES JOURNALISTES DE MADAGASCAR

Le général de division Gabriel Ramanantsoa, chef du gouvernement, Vu la Constitution, Vu l’ordonnance no 74-014 du 21 mars 1974 portant Charte de la presse à Madagascar, En conseil des ministres,

Décrète : Article 1 : Il est créé un ordre des journalistes dont les organes sont l’Assemblée générale et le conseil.

Article 2 : Tous les journalistes, titulaires de la carte d’identité professionnelle de journalistes, constituent l’Assemblée générale de l’ordre.

Article 3 : Le conseil de l’ordre des journalistes est composé suit : - un président ; - quatre membres titulaires et quatre suppléants. Le conseil est élu par et parmi les membres de l’Assemblée générale pour une durée de trois ans. Les élus du conseil sortant sont rééligibles.

Article 4 : L’élection se fait au scrutin secret uninominal, à la majorité absolue des suffrages exprimés au premier tour, à majorité relative au second tour.

Article 5 : Le conseil de l’ordre exercera les attributions suivantes : 1. établissement d’un règlement intérieur ; 2. établissement d’un code moral de la profession en maintien de ce code ; 3. établissement et mise à jour de la liste des membres de la profession, en liaison avec la commission de délivrance de la carte d’identité professionnelle ; 4. gestion des biens de l’ordre ; 5. défense de la profession en général et recherche permanente de la promotion du métier et de ses membres.

Article 6 : Le président du conseil représente l’ordre dans tous les actes de la vie civile et en justice. Il contresigne la carte d’identité professionnelle.

Article 7 : L’Assemblée générale de l’ordre se réunit au moins une fois par an sous la présidence du président ou d’un membre du Conseil. XLV

L’ordre du jour établi par le Conseil ainsi que la convocation sont transmis aux membres au moins dix jours à l’avance. Tout membre peut demander au Conseil d’inscrire à l’ordre du jour une question. Cette demande doit être faite au moins trois jours francs avant la date de réunion de l’Assemblée générale.

Article 8 : L’Assemblée générale n’examine que les questions inscrites à l’ordre du jour. Le Conseil délibère sur les vœux et est tenu de prononcer sa décision dans le mois qui suit. Toute décision du Conseil doit être motivée. Elle doit être consignée dans un registre spécial ouvert à tous les membres de la profession et gardé par le Conseil.

Article 9 : Le Conseil statue sur toute réclamation relative aux décisions de la commission de délivrance de la carte d’identité professionnelle. Le Conseil dispose d’un délai d’un mois pour se prononcer. Il entend l’intéressé. La décision doit être motivée et notifiée à l’intéressé dans les trois jours. Passé ce délai, l’intéressé peut déférer la décision à la juridiction administrative de la Cour suprême dans un délai de deux mois.

Article 10 : Le Conseil de l’Ordre, siégeant comme Conseil de discipline, poursuit et sanctionne les fautes professionnelles commises par les journalistes dans l’exercice de leur profession et contrevenant aux dispositions de l’article 5, alinéa 2. Il agit soit d’office, soit à la demande d’un membre de la profession. Toute séance du Conseil de discipline et toute décision disciplinaire doivent être notifiées au ministre chargé de l’Information. Le Conseil statue par arrêté motivé et prononce, le cas échéant, l’une des sanctions prévues à l’article 48 de l’ordonnance portant Charte de la presse.

Article 11 : La sanction disciplinaire ne peut être prononcée qu’un mois après audition de l’intéressé.

Article 12 : La décision du Conseil de discipline est notifiée à l’intéressé dans un délai de trois jours. Passé ce délai, celui-ci peut, après en avoir informé le Conseil, faire opposition et saisir la juridiction administrative de la Cour suprême dans un délai de deux mois.

Article 13 : La carte d’identité professionnelle de journaliste constitue un laissez-passer officiel et permanent pour toute manifestation publique, sportive, culturelle ou artistique et pour toute cérémonie publique. Tout litige concernant la non reconnaissance ou la non acceptation de la carte doit être porté à la connaissance du Conseil qui le réglera par tous moyens y compris judiciaires et transactionnels.

Article 14 : Le ministre de l’Information est chargé de l’exécution du présent décret qui sera publié au Journal Officiel de la République.

Fait à Antananarivo, le 27 mars 1974 Gabriel Ramanantsoa XLVI

Par le chef du gouvernement

Le lieutenant-colonel Joël Rakotomalala, ministre de l’Information

Sources : Ralison A., Liberté d’expression et libération de la presse, mémoire de maîtrise en sociologie, faculté DEGS Ankatso, Annexe V, 2003-2004. XLVII

ANNEXE XXI

ORDONNANCE No 92-039

TITRE I : DE LA GARANTIE DE L’EXERCICE DE LA LIBERTE DE LA COMMUNICATION AUDIOVISUELLE

CHAPITRE I : PRINCIPE DE LIBERTE DE LA COMMUNICATION AUDIOVISUELLE Article 2 : L’Etat garantit la liberté de l’expression de l’opinion par la voie des moyens de communication audiovisuelle. La présente ordonnance détermine les conditions d’exercice de cette liberté.

Article 3 : Toute personne physique ou morale a le droit d’exprimer une opinion et de diffuser des informations par la voie des moyens de communication audiovisuelle.

Article 4 : Les médias audiovisuels dûment autorisés apprécient, en toute indépendance, l’opportunité d’émettre toute opinion, tous signes, signaux, écrits, images, sons ou messages de toute nature, et de rapporter publiquement tout fait et événement. Toutefois, leur responsabilité est engagée dans le cadre des lois et règlements en vigueur.

Article 5 : L’exercice de la liberté de la communication audiovisuelle n’est limitée que par le respect des libertés et droits d’autrui, de la dignité de la personne humaine, du caractère pluraliste de l’expression des courants de pensée et d’opinion, des régies déontologiques propres à la profession, par l’impératif de sauvegarder l’ordre et la sécurité publics, par les besoins de la défense nationale et par des contraintes techniques inhérentes aux moyens audiovisuels de diffusion collective.

CHAPITRE II : DE L’EXERCICE DU DROIT DE REPONSE Article 6 : Toute personne physique ou morale estimant qu’une prestation d’une communication audiovisuelle porte directement atteinte à son honneur ou à sa réputation, dispose d’un droit de réponse dans les conditions fixées par la présente ordonnance.

Article 7 : Dans les quinze jours suivant la diffusion de la prestation contestée, la personne doit adresser une requête au directeur de publication de l’entreprise concernée. Cette requête adressée par lettre recommandée avec avis de réception doit préciser sa volonté de répondre, ainsi que la teneur de la réponse. Copie de la requête doit être adressée au Haut Conseil de l’Audiovisuel. Le directeur de publication fait connaître au demandeur, par lettre recommandée avec avis de réception, la suite qu’il entend donner la demande. En cas de refus ou de silence gardé sur la demande par son destinataire dans les huit jours suivant celui de sa réception, le demandeur peut saisir les autorités judiciaires compétentes, statuant en matière de référés. Le président du tribunal peut ordonner sous astreinte la diffusion de la réponse. Il peut déclarer son ordonnance exécutoire sur minute nonobstant appel. Dans tous les cas, la réponse est gratuite. XLVIII

Article 8 : La réponse doit être diffusée dans les conditions techniques équivalentes à celles dans lesquelles a été diffusée la prestation contestée, et de manière que lui soit assurée une audience équivalente. En aucun cas, la diffusion de la réponse ne peut emporter renonciation à l’exercice d’une action civile ou pénale auprès des juridictions compétentes.

Article 10 : Le directeur de publication est chargé d’assurer l’exécution des obligations se rattachant à l’exercice du droit de réponse. Le délai de conservation des documents audiovisuels est fixé à soixante jours. Ce délai peut être prolongé jusqu’à l’intervention d’une décision définitive, en cas de demande d’exercice du droit de réponse.

CHAPITRE III : DU HAUT CONSEIL DE L’AUDIOVISUEL Article 11 : Il est créé un Haut Conseil de l’Audiovisuel, organe de coordination et de contrôle. Ce Haut Conseil de l’Audiovisuel, autorité indépendante, garantit l’exercice de la liberté de communication audiovisuelle dans les conditions fixées par la présente ordonnance. L’organisation et le fonctionnement du Haut Conseil de l’Audiovisuel sont fixés par décret pris en Conseil de gouvernement.

Article 12 : Le Haut conseil de l’audiovisuel comprend onze (11) membres dont les modalités de désignation sont fixées par décret pris en Conseil de gouvernement.

TITRE II : DES ORGANISATIONS AUDIOVISUELLES

CHAPITRE I : DISPOSITIONS COMMUNES Article 19 : Le Haut conseil de l’audiovisuel est chargé d’assurer le respect des conditions techniques définies par le Comité de coordination des télécommunications à Madagascar (CCTM). Ces conditions techniques concernent notamment : - les caractéristiques des signaux émis et des équipements de transmission utilisés ; - le lieu d’émission ; - la limite supérieure de puissance apparente rayonnée ; - la protection contre les interfaces possibles avec l’usage d’autres techniques de télécommunication.

Article 20 : Le Haut conseil de l’audiovisuel autorise l’usage des bandes de fréquences dans le respect des traités et accords internationaux signés et ratifiés par les autorités malgaches compétentes et en conformité avec l’attribution des bandes de fréquences qui ont été mises à sa disposition par le Comité de coordination des télécommunications à Madagascar (CCTM). Il contrôle leur utilisation et prend toutes mesures tant administratives que techniques pour assurer une bonne réception des signaux et éviter toute interférence des fréquences qui ont été autorisées. L’autorisation peut être retirée par le Haut conseil de l’audiovisuel au cas où la bande de fréquence attribuée n’aurait pas été utilisée dans les conditions fixées par la convention et le cahier des charges prévues à l’article 21 ci- dessous. XLIX

Article 21 : La délivrance des autorisations d’usage de fréquences pour chaque nouvelle entreprise de radiodiffusion ou de télévision, autres que celles exploitées par les entreprises de service public de communication audiovisuelle, est subordonnée à la conclusion d’une convention passée entre le Haut conseil de l’audiovisuel au nom de l’Etat et la personne qui demande l’autorisation, ainsi qu’à l’acceptation d’un cahier des charges communes à tout système audiovisuel privé. Les prescriptions communes dudit cahier des charges sont fixées par décret pris en conseil de gouvernement.

Article 22 : Chaque entreprise audiovisuelle privée doit posséder ses moyens propres de diffusion et de transmission. A défaut de moyens propres, une entreprise privée autorisée peut transiger sur l’usage des moyens publics moyennant une redevance fixée d’accord parti.

CHAPITRE II : DU REGIME JURIDIQUE DES ENTREPRISES PRIVEES DE COMMUNICATION AUDIOVISUELLE Article 23 : Toute entreprise privée de communication audiovisuelle doit être exploitée sous la forme d’une société de droit malgache.

Article 24 : Toute entreprise privée de communication audiovisuelle ne peut exercer son activité qu’après obtention d’une autorisation ou d’une concession délivrée par le Haut Conseil de l’Audiovisuel.

Article 25 : La demande doit être formulée et présentée par un mandataire de l’entreprise. Elle doit indiquer l’objet et les caractéristiques générales de l’entreprise, les caractéristiques techniques d’émission, les comptes d’exploitation prévisionnels sur cinq ans, le montant des investissements prévus. Elle doit être accompagnée des statuts, de la liste des dirigeants, de l’organigramme et de la composition du capital de la société. Le Haut Conseil de l’Audiovisuel doit statuer dans délai de soixante jours à partir du dépôt de la demande. A défaut de réponse à l’expiration de ce délai, il est censé avoir donné l’autorisation. En cas de refus, la décision du Haut Conseil de l’Audiovisuel doit être motivée. Les autorisations sont publiées au Journal Officiel de la République. Une entreprise privée de communication audiovisuelle ne peut être titulaire que d’une seule autorisation dans un même domaine d’activités et pour un même secteur géographique de couverture.

CHAPITRE IV : DES SANCTIONS Section I : Des sanctions administratives et pécuniaires Article 40 : Le Haut Conseil de l’Audiovisuel peut mettre en demeure, de sa propre initiative ou à la demande d’organisations professionnelles ou syndicales du secteur de la communication audiovisuelle, les titulaires d’autorisation pour l’exploitation d’une entreprise de communication audiovisuelle ayant manqué au respect des obligations qui leur sont imposées par les textes législatifs et réglementaires, afin de faire cesser ces manquements. L

Section II : Des obligations des agents professionnels Article 84 : L’agent professionnel est personnellement responsable de ses émissions. Il doit veiller à la qualité, à l’authenticité et la plénitude des informations qu’il livre au public, avec le souci de la rigueur, de l’intégrité et de l’honnêteté intellectuelle. Il ne doit pas induire le public en erreur en se remettant à des sources fictives ou anonymes.

Article 85 : La liberté de commentaire ne doit pas primer l’exactitude des faits rapportés. Les opinions personnelles doivent être présentées de manière à ne pas entretenir l’équivoque ni la confusion.

Article 87 : L’agent professionnel est assujetti à l’obligation du secret professionnel. Il est tenu de respecter la confiance de toute personne qui lui transmet une ou des informations de nature confidentielle.

Article 88 : Dans ses émissions, l’agent professionnel est tenu au strict respect de la vie privée, de l’intimité et de la dignité de tout individu.

Article 90 : Tout agent professionnel, qui commet une erreur ou livre une fausse information dans le cadre de ses émissions, doit apporter des rectifications dans les conditions techniques équivalentes à celles dans lesquelles l’erreur ou la fausse information a été diffusée. L’agent professionnel est tenu de faire amende honorable lorsqu’une erreur ou une fausse information porte atteinte aux intérêts ou à la dignité d’une personne, dans les conditions définies par le Comité d’éthique de l’audiovisuel.

Sources : Ralison A., Liberté d’expression et libération de la presse, mémoire de maîtrise en sociologie, faculté DEGS Ankatso, Annexe VI, 2003-2004. LI

ANNEXE XXII

BREF HISTORIQUE DU CODE DE LA COMMUNICATION

Lors d’une conférence organisée les 5-9 juillet 2000 à Libreville (Gabon), Madagascar a pris bonne note de l’organisation de la régulation de l’audiovisuel dans les pays africains francophones et anglophones. Les documents recueillis sont utilisés à la rédaction du projet de Code de la communication.

Les Etats Généraux de la communication sont organisés les 26, 27 et 28 juillet 2000 à l’hôtel L’Astauria Antanimena. L’initiative est celle du ministère mais financée par le PNUD-DAP1 et le Centre d’information des Nations Unies (CINU, Antsahavola Antananarivo). L’on débattra alors de la première version du projet. En juin 2001, l’Intercoopération dépêchera un expert de droit de la presse (un Béninois) qui prend le soin d’amender le précédent texte au vu des résultats des travaux des Etats Généraux de l’an 2000.

La deuxième version du projet est ainsi disponible. Les 13, 14 et 15 février 2003, un atelier sur Le rôle des médias dans une société démocratique se déroule à l’Arotel Antsirabe en présence du même expert venu à Madagascar deux années plus tôt. Le PNUD-DAP1 et le CINU en appuient techniquement et financièrement l’organisation. Les 17 et 18 février 2003, le comité de suivi médias se réunit pour effectivement veiller à l’amendement des articles discutés à Antsirabe.

La rédaction de la troisième version se fait avec la collaboration du Béninois. Mai 2004 : deux ateliers sur les volets cinématographiques et publicité et assimilés ont lieu au PNUD-DAP1 à Antsahavola. Des consultants rédigeront la quatrième version amendée sur les deux volets. Les journées des 20, 23, 25 et 27 août 2004 seront marquées par les travaux du comité de suivi devenu comité ad hoc pour donner des commentaires et remarques sur la dernière version de l’avant-projet sur invitation du ministère de tutelle. Résultats des travaux : proposition d’amendement au vu de la nouvelle ligne directrice de la convergence des contenus et de la séparation des contenants et des contenus qui feront l’objet de deux lois distinctes.

Voilà un bref aperçu de l’historique du projet de Code de la communication à Madagascar. Entre-temps, il se passe deux circonstances majeures. D’une part, le ministre, puis élu député de Madagascar, Mamy Rakotoarivelo promet en 2002 qu’il ferait voter par les deux Chambres le Code de la Communication. D’autre part, l’OJM est parvenu à se doter d’un Code de déontologie adopté en Assemblée générale le 20 février 2001.

Sources : Analyses et synthèses personnelles à partir de différents articles de presse. LII

ANNEXE XXIII

GLOSSAIRE DES TERMES DE LA PRESSE

accroche Une ou deux phrases en tête d’article, destinée(s) à retenir, « accrocher » l’attention du lecteur. S’emploie aussi en publicité, avec le même objectif. agence Structure organisée pour collecter l’information (via des journalistes en poste dans le monde entier), la mettre en forme (c’est le rôle des journalistes de « desk ») et la redistribuer (moyennant paiement d’un abonnement) aux médias (presse écrite, radio, télévision), aux grandes entreprises et aux pouvoirs politiques. L’Agence France Presse, Reuter, United Press ou Associated Press sont les agences les plus importantes dans le monde. De la même façon, une agence photo recueille des photographies qu’elle revend ensuite. angle Façon de traiter un sujet, qui déterminera le plan de l’article. Par exemple, on peut traiter d’un conflit social à partir de différents points de vue : celui des pouvoirs publics, des syndicats, des usagers, etc. BAT Dernier contrôle des pages avant le départ pour l’imprimerie. (« bon à tirer ») C’est vraiment l’ultime étape de correction possible. bidonner En argot du métier, rapporter des faits « bidons », c’est-à-dire falsifier ou inventer des informations. bouclage Mise en forme définitive d’une page (texte et images) avant correction et BAT. En principe, au bouclage, on ne peut plus rien changer. En pratique, notamment dans les quotidiens, c’est le moment où des pages peuvent être refaites, si tombe une information importante. bouillon Ensemble des invendus d’une publication (différence entre le tirage, nombre d’exemplaires imprimés, et la diffusion, nombre d’exemplaires vendus). Prendre un bouillon, aller au bouillon, signifie que le journal ne va pas bien. bourdon Oubli d’un ou plusieurs mots dans un article, qui rend la phrase ou le paragraphe incompréhensible. Différent de la coquille. brève Par opposition au dossier ou à l’enquête, la brève est un texte court (dix lignes maximum). Lorsqu’elle a un titre, on l’appelle « filet ». Dans un cadre, elle devient « encadré ». canard Au XVIe siècle, fausse nouvelle. Désigne aujourd’hui, familièrement, les journaux. Peut être affectueux ou péjoratif, selon le contexte. caviarder Autrefois, rayer à l’encre noire un passage de texte ou un texte entier, à des fins de censure. Aujourd’hui, opérer dans un article des coupes qui en altèrent le sens. A ne pas confondre avec sabrer. chapô Texte d’introduction qui « coiffe » un article, généralement présenté en plus gros, et en chapeau caractères gras. A mi-chemin du résumé et de l’accroche, il concentre en quelques lignes l’essentiel de l’information. Le chapô fait partie de la titraille. chiens écrasés Le plus bas degré de la hiérarchie des informations. Est donc devenu, dans l’argot journalistique, l’équivalent des faits divers. « Faire les chiens écrasés » signifie couvrir les faits les moins importants, voire les plus sordides. claviste Successeur (souvent de sexe féminin) des linotypistes dans les années 1970-1980, aux débuts de LIII

la composition informatique. La claviste tapait sur ordinateur les articles des journalistes. Le quotidien Libération se distinguait alors par des « Notes de la claviste » (NDLC), commentaires libres (et parfois sauvages) aux articles. Aujourd’hui, presque tous les journalistes tapent directement leurs papiers sur leur ordinateur. col Abréviation de « colonne » : mode de mise en page des textes, composés et alignés en colonnes à lire les unes après les autres. Dans un quotidien, le nombre de cols consacrées à un article indique son importance. Exemple : avec « 5 cols à la Une », un texte est très en vedette. composer Transformer un manuscrit (écrit à la main ou saisi sur ordinateur) en texte imprimé, tel qu’il composition apparaîtra dans le journal. L’ensemble des règles de composition relève de la typographie. copie Texte, article. Voir pisse-copie. coquille Faute d’orthographe, d’impression. L’univers des typographes étant, historiquement, couille essentiellement masculin, le mot « coquille » s’altère bien sûr en « couille », de registre argotique. corps Taille d’un caractère. Plus la « force de corps » est élevée, plus la lettre est grosse. Traditionnellement, le corps se mesure en points (unité typographique inventée au XVIIIe siècle par un imprimeur). Exemple : un texte en corps 6 est difficile à lire (6 points font un peu moins de 2 mm de haut). Les textes des magazines vont du corps 10 au corps 12. Un titre sera composé en corps 48 et plus. correcteur Personne très cultivée et pointilleuse qui, dans un journal, relit les textes pour y traquer, outre les fautes de langue et d’orthographe, les erreurs, incohérences, coquilles ou incongruités diverses. Pour des raisons économiques, les éditeurs ont tendance à supprimer cette catégorie de personnel, pourtant indispensable. correspondant Journaliste détaché par sa rédaction ou son agence, qui suit l’actualité sur le terrain et en rend compte régulièrement. Dans la presse locale, les correspondants sont des personnes rétribuées par la rédaction (pas forcément journalistes) pour suivre les événements dans telle ou telle zone, trop petite pour y ouvrir un bureau. couvrir Suivre un événement, traiter une information. Exemple : « Dans les années 1940, c’est André Sartres qui couvrait les sports pour France-soir ». déontologie Ensemble des règles morales et des devoirs d’une profession. Les journalistes français se doivent de respecter une « Charte des devoirs professionnels », rédigée en 1918 par un syndicat des journalistes alors naissant. dépêche Le mot s’appliquait, autrefois, à toute forme de communication rapide (par porteur, pigeon voyageur, télégramme, par exemple), quel qu’en fût l’émetteur. A l’heure des transmissions électroniques, une dépêche est d’abord une information diffusée par une agence. écho Désigne, au départ, toute nouvelle ou rumeur répétée par quelqu’un. S’applique à présent plus particulièrement aux informations mondaines ou locales d’un journal. Le journaliste chargé de cette rubrique s’appelle un « échotier ». écrans Utilisé pour écrans d’ordinateurs. D’abord limité à la composition des textes dans les années 1970, l’usage de l’informatique s’est, en quinze/vingt ans, étendu à la maquette, à la mise en couleurs, au traitement des photos, etc. Aujourd’hui, une salle de rédaction se présente d’abord comme une forêt d’écrans. fait divers Evénement plus ou moins important qui ne relève ni de l’actualité mondiale, ni de la politique, LIV

ni de l’économie. Le fait divers est un accroc à l’ordre social, le plus souvent malheureux : accident de toute sorte, catastrophe aérienne, drame conjugal, enlèvement, mort d’une star, etc. Il est intéressant de savoir, par exemple, que jusqu’à ces dix dernières années, les journaux soviétiques ne relataient pas les faits divers, qui auraient traduit une faille du système. En argot journalistique, le fait divers se dit chien écrasé. feuillet Unité de mesure de la longueur d’un article : 25 lignes de 60 caractères, blancs (espaces) compris, soit 1 500 caractères (ou signes). frigo En radio/télévision plus particulièrement, désigne les reportages « gardés au frais » et en réserve en attendant leur diffusion (argotique). S’emploie aussi, avec le même sens, en presse écrite, et devient alors synonyme de marbre. gazette Mot un peu désuet désignant un quotidien ou une revue (hebdomadaire ou mensuelle). La Gazette de Théophraste Renaudot, fondée en 1631, fait ainsi figure d’ancêtre de la presse moderne. hebdo Abréviation de « hebdomadaire » : revue paraissant une fois par semaine. info/infos Abréviation d’« information » : compte rendu des faits et événements, matière première de génés l’activité du journaliste. Les pages d’infos génés (abréviation d’« informations générales ») sont celles qui, dans un quotidien régional, regroupent les informations de portée nationale (par opposition aux pages locales). inter Abréviation d’« intertitre » : titre intermédiaire (une phrase ou quelques mots), composé en plus gros, en couleur, en gras…, qui rythme les colonnes de texte, de façon à en rendre la lecture moins fastidieuse. En théorie, il devrait suffire de lire chapô et inters pour connaître les informations essentielles d’un article. journaleux Nom péjoratif du journaliste. journaliste Personne qui a pour principale activité rétribuée de collaborer à un journal – tel est, en tout cas, le critère d’attribution de la carte qui, en France, atteste de l’appartenance à la profession. La France compte aujourd’hui autour de 28 000 journalistes, dont 39 % de femmes. Le terme recouvre des fonctions très diverses et hiérarchisées, du rédacteur de base au directeur de la rédaction, en passant par le reporter (qui enquête sur le terrain), le secrétaire de rédaction, le chef de service, etc. légende Court texte accompagnant une photo ou un dessin et visant à lui donner un sens. légender En bonne théorie, aucune photo ne devrait paraître sans sa légende. lino Abréviation, selon le contexte, de « linotype » (machine à composer les textes, ancêtre des claviers d’ordinateurs) ou « linotypiste » (personne qui travaillait sur cette machine). Les linotypistes étaient souvent des hommes, sauf au journal La Croix où, au moins jusqu’à la fin des années 1960, on trouvait des religieuses devant les claviers des linotypes. local Bureau local d’un quotidien régional, où sont rédigées les pages relatives à une ville et son localier voisinage proche. L’ensemble des pages locales sont ensuite regroupées au siège pour être imprimées avec le reste du journal. On appelle « localier » le journaliste responsable d’une locale, ou rédacteur dans un tel bureau. Albert Journaliste français né à Vichy en 1884. Pionnier du grand reportage « engagé » (son livre Au LV

Londres bagne dénonce le régime pénitentiaire de Guyane), il est mort dans l’océan Indien en 1932. Le prix de journalisme qui porte son nom récompense des enquêtes de qualité exceptionnelle. main courante Dans le domaine commercial, registre sur lequel sont consignées des opérations. Les commissariats de police, casernes de pompiers, hôpitaux… ont aussi leur main courante, où sont notés incidents et interventions. La tournée des mains courantes est le premier devoir quotidien du localier : les faits divers sont la rubrique la plus lue du journal. manchette Très gros titre barrant la première page d’un quotidien. marbre De Gutenberg aux années 1970, désigne la table (de fonte, et non de marbre, d’ailleurs) sur lesquelles sont montées les pages d’un journal ou d’un livre avant leur impression. A présent que ces tables ont disparu des ateliers, désigne les articles en réserve (en presse écrite). marronnier En argot journalistique, sujet qui revient de façon cyclique au fil des saisons, comme les feuilles des arbres. Exemples : les régimes amaigrissants juste avant l’été, la rentrée des classes, les fêtes de fin d’année, etc. mastic Mélange de lignes ou de paragraphes dans une col. Le mastic se commettait surtout à l’époque où l’on composait avec des lignes et des blocs de plomb susceptibles d’être intervertis. morasse Au temps de la composition au plomb, dernière épreuve de lecture, obtenue en appliquant sur la page montée encrée une feuille de papier aplatie à la brosse. Trop d’encre rendait la feuille noire et, donc, illisible. Le mot lui-même vient de l’italien « moraccio » (noiraud). montage Assemblage des textes et des photos qui composent une page. nécro Abréviation de « nécrologie », texte publié à l’occasion de la mort d’une personnalité. Les quotidiens et les hebdos rassemblent à l’avance les éléments biographiques relatifs aux personnages en vue, et les mettent à jour régulièrement. Ce qui leur permet de sortir très rapidement la nécro du héros défunt. news De l’anglais news magazine : magazine d’actualité générale, de petit format. Par exemple Time ou Newsweek aux Etats-Unis, l’Express, l’Evénement du Jeudi, le Point... en France. ours Au XIXe siècle, surnom donné au patron d’une imprimerie. Ce dernier, juridiquement responsable de ce qu’il publiait, était tenu de mentionner son nom et son adresse sur livres et journaux. Par extension, l’ours désigne aujourd’hui l’endroit où, dans une publication, sont répertoriés les noms et fonctions des collaborateurs (rédaction, services commerciaux et administratifs) avec, toujours, celui de l’imprimeur ! paparazzo Photographe de presse, travaillant à son compte ou pour une agence, habile à traquer la photo non officielle, difficile, voire « interdite ». Désigne particulièrement les photographes chasseurs de stars, ne reculant parfois devant rien pour obtenir des clichés dont le public est friand et que les journaux à scandales s’arrachent à prix d’or. Ces voleurs d’image cachent souvent d’excellents professionnels, dont les photos révèlent des situations scandaleuses soigneusement dissimulées (exemple récent : le reportage des photographes de l’agence Sygma « volé » sur le marché de Sarajevo, après un bombardement, pendant la guerre en Bosnie). Le mot lui-même est attribué au cinéaste italien Federico Fellini, lors du tournage de La Dolce Vita en 1957 : las de voir les photographes tourner autour de Monica Vitti, sa vedette, il les aurait traités de « paparazzo », du nom d’un de ses anciens condisciples. papier Autre nom pour article, copie. LVI

pige Au XIXe siècle, la pige était la quantité de travail qu’un typographe devait effectuer en un temps pigiste et pour une rémunération donnée. Désigne aujourd’hui le mode de rémunération d’un journaliste pigiste, payé à la ligne ou à l’article. Depuis 1974, la loi française attribue à ces “indépendants” les mêmes droits qu’aux journalistes salariés. pilonner Détruire les exemplaires invendus (dans une cuve où ils sont broyés avec un pilon). On dit aussi « mettre au pilon ». pisse-copie Surnom péjoratif et argotique du journaliste qui noircit dix feuillets là où un suffirait. Traditionnellement payés à la ligne, les pigistes peuvent parfois céder à la tentation de « pisser » plus de copie que nécessaire… prote Contremaître dans un atelier d’imprimerie. Joseph Pulitzer Né en Hongrie en 1847, Joseph Pulitzer arrive aux Etats-Unis en 1864. Après avoir fondé un premier journal, il achète le New York World en 1883, en fait le principal organe démocrate du pays. Fonde, à New York, une école de journalisme qui décerne chaque année le prix qui porte son nom. quadri Abréviation de « quadrichromie », procédé d’impression en couleurs à partir de quatre tons de base (rouge-violet, jaune, bleu et noir). rédac’chef Abréviation de « rédacteur en chef » : journaliste responsable d’une rédaction (ou d’un secteur de celle-ci dans les journaux très importants). Autorité suprême après le directeur de rédaction et le directeur de publication, représentant légal du journal. reportage Enquête sur le terrain donnant lieu à un compte rendu (de l’anglais report, relater) sous forme reporter d’article ou ensemble d’articles. Le reporter est le journaliste chargé de ce type d’enquête. Il peut être reporter photographe, grand reporter (s’il a déjà beaucoup d’expérience), radio reporter… Le reporter incarne le globe-trotter curieux de tout, vivant d’une plume talentueuse et réfléchie, qui fait rêver la majorité des non-journalistes. Exemples dans la fiction : Tintin ou Rouletabille. rewriting [Prononcer riraïtinngue, riraïteur.] De l’anglais rewrite, récrire. Donc, récriture/adaptation d’un rewriter texte (trop long, trop court, mal écrit, etc.) avant publication. Le rewriter est le journaliste chargé de cette tâche. roto Abréviation de « rotative », pour « presse rotative », machine sur laquelle sont imprimés les journaux et magazines. rubrique Ensemble d’articles réguliers, couvrant plusieurs aspects d’un même domaine. Exemple : la rubrique sports traite de l’athlétisme au tir à l’arc, en passant par le golf, le tennis, le football, etc. sabrer Opérer d’importantes coupures dans un texte trop long, mais sans altérer l’esprit de celui-ci. Ce qui est différent du caviardage. scoop Information exclusive, c’est-à-dire que l’on est seul à posséder, au moins pour quelques minutes. Rêve absolu de tout journaliste ou rédacteur en chef, difficile à concrétiser : pratiquement toutes les agences diffusent les mêmes informations en même temps. secrétaire de Journaliste chargé de veiller à la bonne réalisation du journal. Sauf si ce dernier possède son rédaction équipe de rewriters, le « SR » reprend les textes, rédige chapôs, inters et légendes, travaille les titres, puis contrôle les étapes de fabrication jusqu’au BAT. Dans un quotidien, il peut aussi faire LVII

les maquettes. signe Lettre, signe de ponctuation, blanc entre les mots sont des signes. Le signe est l’unité de base du feuillet. Calculer le nombre de signes d’un papier permet de prévoir la surface qu’il occupera dans la page. Les Anglo-saxons ne comptent pas au signe, mais au mot. tartiner Faire beaucoup trop long sur un sujet qui ne le mérite guère (argotique). Voir tirer à la ligne. tirage Nombre d’exemplaires imprimés. Ne pas confondre avec la diffusion, nombre d’exemplaires réellement vendus (ou offerts en promotion). La différence entre les deux est le bouillon. La santé d’un journal est aussi tributaire de son audience : on considère que chaque numéro vendu est lu par plusieurs personnes ; l’audience est donc égale à la diffusion multipliée par un coefficient donné (2 pour un quotidien, entre 3 et 5 pour un mensuel). Plus le chiffre obtenu est élevé, plus le journal peut espérer séduire les publicitaires, et donc gagner d’argent. Exemple : Télé 7 Jours est vendu à 2,5 millions d’exemplaires, et a une audience d’au moins 8 à 10 millions de lecteurs. tirer à la ligne A peu près synonyme de pisser de la copie ou de tartiner. Mais on peut aussi tirer à la ligne quand on a du mal à boucler un papier, même s’il ne fait que deux feuillets. titraille Ensemble des éléments d’un titre (surtitre, titre principal, sous-titre), dont la diversité typographique est destinée à attirer le regard. Exemple : Sur une ligne, en italique : Tragique accident au pont de l’Alma Le plus gros possible, en lettres capitales : LADY DI SE TUE EN VOITURE Sur une ou deux lignes : Le monde entier pleure la princesse de Galles Puis viendra le chapô. Une accroche au centre de la page peut compléter cet arsenal de « niveaux de lecture », censés faciliter l’entrée dans un texte. typo Abréviation de typographie ou de typographe, selon le contexte. La typographie désigne à la fois un ensemble de techniques d’impression, et la manière dont un texte est composé. C’est-à-dire le caractère utilisé (défini par le dessin de la lettre), son corps (sa taille), gras ou maigre, en romain (droit) ou en italique (penché). Un(e) typographe est celui (ou celle) qui travaille dans un des domaines de la typographie. tourne Suite d’un article commencé sur une page et se terminant sur une autre. Une Première page d’un quotidien : véritable vitrine, elle doit véhiculer, outre la ou les information(s) capitales, l’image du journal tout entier, et donner envie de l’acheter. viande froide Terme très argotique pour nécro. « Rafraîchir les viandes froides » signifie mettre à jour les notices biographiques en réserve.

Sources : http://www.culture.gouv.fr/culture/dglf/clemi/definitions.html LVIII

ANNEXE XXIV

REPUBLIQUE FRANÇAISE MINISTERE DE L’ECONOMIE, DE L’INDUSTRIE ET DE L’EMPLOI LA CAISSE CENTRALE DE COOPERATION ECONOMIQUE HISTORIQUE DE LA CAISSE CENTRALE

1941 Elle est créée sous le nom de Caisse centrale de la France libre (CCFL) par l’ordonnance du 2 décembre. Ses rôles principaux sont l’émission monétaire, le Trésor public et le contrôle des changes du gouvernement du général de Gaulle en exil à Londres. Les territoires ultramarins se rallient volontairement ou sont intégrés au Comité national français au fur et à mesure de leur libération. 1944 L’ordonnance du 2 février change son nom en Caisse centrale de la France d’outre-mer (CCFOM). Celle- ci conserve ses fonctions d’institut d’émission monétaire, de couverture des besoins du Trésor et d’approvisionnement en devises des offices des changes, mais sa compétence est limitée aux territoires d’outre-mer, car le trésor central est assuré par la Trésorerie générale d’Alger. Dans la lignée de la conférence de Brazzaville (6 février 1944), elle s’oriente peu à peu vers la fonction de banque de développement. 1946 La loi no 46-860 du 30 avril institue le Fonds d’investissement pour le développement économique et social des territoires d’outre-mer (FIDES) et met en place des plans pluriannuels d’équipement et de développement. Le fonds est compétent pour les territoires d’outre-mer et les quatre nouveaux départements d’outre-mer (la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et La Réunion). Dans ce cadre, la Caisse centrale a pour missions de : - gérer les fonds publics ; - assurer la création de sociétés d’Etat et d’économie mixte ; - jouer le rôle d’une banque de développement. 1952 Un fonds distinct est créé pour les DOM, le Fonds d’investissement des départements d’outre-mer (FIDOM). 1955 La Caisse centrale abandonne ses fonctions d’institut d’émission monétaire au profit d’AOF-Togo, qui deviendra la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et d’AEF-Cameroun, future Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Est et du Cameroun (BCEAEC), et en 1959, pour Saint-Pierre-et- Miquelon et les DOM, au profit de l’Institut d’émission des départements d’outre-mer (IEDOM), dirigé par le directeur général de la Caisse centrale. 1958 A la suite du référendum du 28 septembre qui instaure une communauté française d’Etats autonomes, les statuts de la CCFOM sont modifiés par l’ordonnance du 30 décembre 1958 et elle devient la Caisse centrale de coopération économique (CCCE), établissement public et institution financière spécialisée, destinée à jouer le rôle de banque de développement pour les Etats de la fédération. Les institutions de la communauté ne fonctionneront pas, car les premières indépendances sont accordées à partir de 1960. 1959 Le Fonds d’aide et de coopération (FAC) remplace le FIDES pour les Etats autonomes de la Communauté auprès du secrétariat d’Etat pour les relations avec les Etats de la Communauté, qui devient ministère de la Coopération en 1961. La Caisse centrale continue de gérer des fonds publics : le FIDOM dans les DOM, le FIDES dans les TOM et le LIX

FAC dans les Etats africains et malgaches au départ puis dans d’autres pays d’Asie, du Moyen-Orient, des Caraïbes et du Pacifique. Elle devient aussi l’intermédiaire du Fonds européen de développement, de la Compagnie française d’assurance pour le commerce extérieur (COFACE), du Trésor français et de l’office des changes pour l’Afrique et Madagascar. 1968 Elle fusionne avec la Caisse d’équipement pour le développement de l’Algérie (CEDA). 1992 Le décret n° 92-1176 du 30 octobre change son nom et son statut. La Caisse française de développement (CFD) est un établissement public à caractère industriel et commercial, doté de la personnalité civile et de l’autonomie financière. Elle a pour priorités le développement urbain, un développement rural basé sur la participation des paysans, le rôle accru du secteur privé, la reconstruction des systèmes financiers et la défense de l’environnement. 1998 Le décret du 17 avril la transforme en Agence française de développement (AFD) dans le cadre de la réforme de la coopération, sous tutelle du ministère de l’Economie et du ministère des Affaires étrangères.

Sources : http://www.economie.gouv.fr LX

ANNEXE XXV

DECLARATION DE LYON : ‘DES MEDIAS POUR UNE CULTURE DE PAIX’

Les membres de SIGNIS réunis pour leur Congrès mondial à Lyon, ont appelé les médias à contribuer à construire un monde de paix, de respect et de solidarité, en signant ensemble une déclaration intitulée : « Des médias pour une culture de paix ». Nous, professionnels des médias et citoyens, chrétiens et membres de l’Association catholique mondiale pour la Communication (SIGNIS), réunis à Lyon, nous appelons à un changement fondamental d’orientation dans la communication médiatique : celle-ci doit se centrer à nouveau sur notre capacité à vivre les uns avec les autres, si elle veut contribuer à construire un monde de paix, de respect et de solidarité. En ce début du XXIe siècle il y a en effet urgence à développer une culture de paix pour répondre aux espérances exprimées par les peuples du monde, confrontés à des violences dues à l’absence de respect envers la dignité de tous. Une telle absence de respect est engendrée par de multiples causes, notamment : faim et injustices structurelles, nationalisme, conflits ethniques et religieux, terrorisme et guerres. Rappelant que la paix ne consiste pas à éviter les conflits : souvent le conflit sera un chemin vers un monde plus juste et plus solidaire. La paix est au contraire une façon de résoudre les conflits non selon le droit du plus fort, mais par la force du droit et la négociation, en respectant les normes du droit international, dans le but d’atteindre à une plénitude de vie pour tous et chacun. Convaincus qu’il y a en chaque être humain un désir profond de paix et que la paix est un don de Dieu à accueillir. « Heureux les artisans de paix, ils seront appelés fils de Dieu ». Nous avons de fait la capacité à la réaliser, comme le prouvent tant d’initiatives de la part de celles et ceux qui, de tous pays et conditions, croyants ou non, travaillent, souffrent et consacrent leurs forces à cette tâche. Nous constatons et soulignons que la paix pas se aujourd’hui nécessairement par les médias. Aussi bien l’information que les médias populaires et de divertissement ont la capacité d’être des « médiateurs » : en tant que moyens de communication, leur rôle essentiel est de contribuer à la compréhension mutuelle et à la solidarité. Nous vivons dans un monde de plus en plus pluriel et multiculturel. Ce brassage peut susciter des malentendus et des peurs. Les médias peuvent faciliter le vivre ensemble en nous aidant à accepter et à accueillir la diversité de nos identités ainsi qu’en apportant une reconnaissance sociale aux différents groupes et communautés. Ou ils peuvent, à l’inverse, favoriser la violence, quand ils renforcent les tendances identitaires, quand ils cèdent au sensationnalisme, quand ils reproduisent les stéréotypes sur les « autres », quand ils excitent à la haine. C’es t pourquoi, rejoignant tous ceux qui contribuent à une culture de paix, nous nous engageons à travailler aux objectifs suivants : 1. Développer la capacité des médias à mettre en communication les personnes, les groupes et les peuples en développant la capacité du public (et notamment des plus jeunes) à acquérir une attitude active, une distance critique et une liberté d’appréciation par rapport aux médias. Ce doit être la priorité. LXI

- en favorisant une représentation véridique et jus te des différents groupes de la société et en ouvrant à tous, spécialement aux personnes et aux pays les plus démunis, l’accès à la communication et la possibilité d’y participer pleinement : - en ouvrant le dialogue entre les cultures et les religions ainsi que le débat démocratique ; - en maintenant des exigences éthiques d’attention à la dignité des personnes, par la qualité humaine du regard qui est porté sur elles ; - en étant attentifs à la force émotionnelle des sons et, encore plus, des images : celles-ci, selon la façon dont elles sont réalisées et diffusées, peuvent conduire aussi bien à l’angoisse qu’à la sympathie, au voyeurisme qu’à la solidarité. 2. Développer l’indépendance éditoriale des médias dans les situations de conflit - en soutenant tous ceux qui luttent pour la liberté d’expression et pour les droits de l’homme ; - en respectant le public par une information sérieuse et approfondie, sans céder aux différentes formes de pressions et de censure économique et politique. 3. Etre vigilants quant au rôle des médias dans les situations de conflits - en cherchant à mettre en lumière les causes et les racines des événements ; - en dénonçant les situations d’injustice structurelle ou occasionnelle ; - en étant attentifs à la façon dont les événements de violence sont couverts, à leurs effets sur l’opinion publique ; en évitant surtout d’accréditer l’idée que la violence est une façon normale de résoudre les conflits. Pour nous, professionnels des médias et chrétiens, contribuer à une culture de paix nous engage à être la voix des sans-voix et le visage des sans-visage. Ceci exigera de prendre le risque du courage, pour un service prophétique, comme tous ces professionnels des médias qui continuent à subir encore opposition et violence. Beaucoup y ont laissé la vie. L’effort que nous voulons promouvoir ici se veut une façon d’honorer la mémoire de leur sacrifice.

Sources : www.signis.net, article no 265 (cf. http://www.signis.net/imprimer.php3?id_article=265) Intitulé du mémoire : « Instrumentation de la presse : cas des publications quotidiennes malgaches depuis 2002 »

Rapporteur : Mme Victorine Andrianaivo, maître de conférences

Rubrique : sociologie du journalisme

Nombre de pages : 221

Nombre d’illustrations : 11 graphes, 5 photos et 1 carte

Nombre de références bibliographiques : 147 dont des ouvrages généraux, ouvrages spécifiques, autres ouvrages, documents officiels et personnels, journaux et magazines, thèse et mémoires ainsi que des sites web consultés

Nombre de tirage : 10 (dix) exemplaires

Résumé

La multiplication des publications quotidiennes à Madagascar depuis 2002 obéit à une logique historique et universelle. Pluralité rime toutefois avec fragilisation. Le phénomène d’instrumentation atteint tous les organes de presse. Les notions comme l’habitus, le champ, la violence symbolique, la dictature douce… en permettent une lecture scientifique. Des contraintes vicieuses pèsent lourdement sur les pratiques journalistiques malgaches, qui doivent leur évolution historique aux interventions et traditions françaises. Les normes sont transgressées. La presse écrite devient un artifice informatif au service des microsociétés. Mais la dictature douce est loin d’avoir une réelle emprise sur l’opinion publique. La légitimité du « quatrième pouvoir » est souvent remise en question. La presse et les médias en général sont mis au défi de l’autonomisation suivant la dynamique qui s’opère au niveau mondial. Les acquis de la postmodernité font naître de nouveaux modes de communiquer et de s’exprimer à la place de médias traditionnels. Le quatrième pouvoir restera tout de même indissociable des pratiques démocratiques et du processus de développement.

Mots-clés : connaissance, contraintes, fictionalization, pouvoir, rajeunissement