Le pays d'Yveline

Le seul nom d'Yveline évoque pour nous un paysage que l'on pourrait appeler réussi. Il est pourtant le très beau résultat durant des siècles d'initiatives non coordonnées, souvent contradictoires.

Autrefois, la forêt d'Yveline couvrait un territoire beaucoup plus étendu qu'aujourd'hui et a longtemps constitué une entité géographique et humaine. Les forêts de et de Dourdan, situées sur un plateau doucement vallonné, perpétuent cette ancienne forêt. Elles ont résisté aux défrichements médiévaux (les essarts) et surtout à l'exploitation anarchique des bois à partir du XVIIème siècle, les petits seigneurs voyant dans cette exploitation une façon très lucrative d'arrondir leurs revenus. En effet, Paris absorbait une quantité considérable de bois de chauffage et de charbon de bois. Jusqu'à la fin du Moyen Âge, la progression des essarts, à partir de la Beauce et de Hurepoix, dégageait des terres s'avérant de moins en moins riches. Le calcaire de Beauce a disparu; on le retrouve en butte-témoin à Poigny (188 m). Le limon n'est pas conservé. Il a fait place à une argile à silex, froide et humide, support de la forêt, coupée de ruisseaux, d'étangs, de marécages. La trentaine de villages qui nous occupent a abrité, à l'origine, une population généralement pauvre et vivant surtout de la forêt.

L'étude de ces villages nous révèle toute une partie de l'histoire de . L'occupation des Sols plonge dans la nuit des temps. Des recherches ponctuelles ont été faites (, ...), mais ne suffisent pas à nous donner une vue d'ensemble des époques et des lieux où évoluaient nos lointains ancêtres. Toutefois, à l'occasion d'un labour, quelques poteries et pierres taillées de la préhistoire sont mises à jour, le dolmen de la pierre Ardoue à Saint -Léger témoigne d'un groupement humain déjà important au néolithique (4500-1500).

Bien avant l'époque romaine, les relations entre les hommes installés soit sur le pourtour, soit au coeur de la forêt, ont nécessité des voies de communications. Il est certain que les chemins se sont multipliés pour répondre aux déplacements de l'homme et du cheval. La forêt d'Yveline, du fait de son relief, ne constituait pas un véritable obstacle. Les romains la traversèrent par deux voies importantes : l'une de Chartres à Paris (traces aux Mesnuls, Saint- Léger, ), l'autre d'Orléans à Beauvais passant par Rambouillet et Montfort. Les voies qui nous intéressent contournent la forêt. L'une joignait Paris à Dreux par la Queue-Les- , l'autre de Chartres à Paris est signalée à Saint Arnoult et Longvilliers. Elle restera la grande voie des pèlerinages et des cortèges royaux allant à Chartres ainsi que la route des blés de Beauce vers la Capitale. Il est évident que d'autres voies existaient, par exemple, celles signalées à la Boissière et au Perray.

A l'époque gallo-romaine, l'implantation de nouveaux venus s'avérait difficile. Comparée aux terres de Beauce, l'Yveline paraît bien pauvre. Relevons, toutefois, la présence à Auffargis et à Vieille-Eglise de Celtes passés maîtres dans l'art du fer; présence déjà antérieure de plus de trois siècles à celle des Romains. A l'Ouest du massif forestier, les romains installent, très pacifiquement du reste, des supplétifs barbares dès le IIIème siècle et surtout au IVème siècle. Leur souvenir est resté dans l'appellation de certaines parcelles : "champtier des Germains, ferme du Saxon (Seincourt)"... Les routes principales permettaient le transit des marchandises

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: les pièces de monnaies frappées à l'effigie des Césars et de Trajan, découvertes à Hermeray, Saint-Hilarion, La Boissière, en font foi.

A partir du Vème siècle, les Francs, insensiblement installés au nord de la Loire et mêlés intimement aux populations celtes, sont les premiers à donner un sens à l'aventure chrétienne et à l'établissement de la puissance royale. "Les villae rusticae", grandes et moyennes exploitations agricoles gallo-romaines, si nombreuses en Beauce, voient leurs noms germanisés. Nous avons à la limite de l'Yveline les noms caractéristiques d', , La Celle les Bordes, ...Ici, l'aventure chrétienne, déjà bien amorcée à l'époque gallo-romaine, prend de l'ampleur sous les mérovingiens. Les évangélistes parcourent la forêt d'Yveline qui, dit-on, aurait été donnée à l'église de Reims. Les petits sanctuaires se multiplient et s'accordent avec le désordre de la forêt et la verte indolence des ruisseaux : c'est La Celle les Bordes (536), Vieille-Eglise (vetus monastérium), La Celle-les- Bordes (558), La Celle les Bordes, Longvilliers... Des premières il ne reste que des traces (Condé-sur-Vesgre, Longvilliers, Hermeray, Les Bréviaires, Saint-Arnoult).

Le calme relatif de la région n'est pas troublé par les carolingiens qui, non seulement, confirment les donations faites aux abbayes par Clovis, Childebert Ier et Chilpéric II, mais cèdent à la puissante abbaye de Saint-Denis la presque totalité de l'Yveline. La preuve nous en est fournie par le très intéressant "précepte de Pépin le Bref" en 768, qui nous révèle les noms des principales communes de la forêt et donne un aperçu du peuplement : peu important au centre de la forêt ("les habitants avec leur hutte résidant dans la forêt") mais plus sérieux sur le pourtour : métairies (deux manses à Auffargis), maisons, édifices religieux, vignes (vin de l'eucharistie et monnaie d'échange), champs, troupeaux... Charlemagne ne laisse aucun souvenir, mais la forêt demeure pour les carolingiens une source inépuisable de gibier. La région reste peu sûre au cours du Xème siècle, troublée par les incursions des pirates normands (Longvilliers, Bullion, Le Perray), par le passage, vers 936-937, des cavaliers mongols, demi- sauvages, qui, après avoir ravagé la Bourgogne vinrent jusqu'aux confins de l'Yveline (). Ajoutons, à ces périls extérieurs, les rivalités entre châtelains, souvent véritables pillards, qui guerroyaient entre eux, espérant rançonner l'adversaire.

Après l'an mil, ce qui n'est plus la Gaule et ce qui est à peine la France, retrouve son élan créateur. Une nouvelle ferveur religieuse se traduira par l'édification, et particulièrement en Yveline, de nouvelles abbayes souvent protégées par le roi Robert le Pieux ou par de grands seigneurs qui souhaitent y avoir leur sépulture (les Montfort aux Hautes-Bruyères, près des Essarts-le-Roi). Mentionnons le nom de six abbayes du XIème siècle : Clairefontaine, Bourdonné, , Poigny, Montfort et les Hautes-Bruyères dont il ne reste aucune trace. Si quelques abbayes abriteront des tombeaux illustres, les seigneurs féodaux auront à coeur de construire des chapelles où, eux et leur famille, y dormiront en paix plus près de Dieu, les manants se contentant de grouper leurs tombes au pied de l'église. Ces coutumes se perpétueront jusqu'au XVIème siècle. Il y serait fastidieux d'énumérer toutes les chapelles et les églises élevées aux XIème et XIIème siècles (plus de 18). Aucune ne subsiste dans son intégralité. En général, elles furent détruites soit par des guerres, soit par le temps. Sur leur emplacement, de nouvelles églises furent édifiées, où l'on peut encore découvrir les traces de la première construction (Hermeray, Sonchamp, Mittainville, Bullion, , Clairefontaine, Saint-Arnoult, Gambaiseuil).

Si le XIème fut le temps des églises, il fut également l'époque où la féodalité triomphante implanta ses donjons fortifiés. En ce qui concerne l'Yveline, le premier château digne de ce nom fut celui de Saint-Léger, devenu résidence royale de 987 à 1203 sous Philippe-Auguste.

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Robert le Pieux, fils de Hugues Capet, y a sa résidence. La forêt d'Yveline devient domaine royal. La châtellenie de Saint-Léger sera protégée, dès le XIème, des attaques anglo-normandes et de celles des seigneurs féodaux alliés à ceux-ci. Cette défense sera assurée par les places fortes de Montfort-l'Amaury, d'Epernon, de élevées en partie sur l'initiative de Guillaume de Hainaut, à l'origine de la puissante maison de Montfort. Signalons, également, le château fort de dont l'ampleur des ruines prouve l'importance. A coup sûr, il devait défendre la région et en particulier la clairière de Rambouillet.

En ces temps médiévaux, la croissance démographique prend des proportions encore inconnues et une immense activité règne dans l'Yveline. Du XIème au XIIIème siècle, le défrichement de la forêt est intensifié pour nourrir cet afflux de population. L'autorisation, accordée par les seigneurs ou les moines, de créer de nouveaux villages sur le pourtour de la forêt et par conséquent d'essarter, va de pair avec une réglementation et un contrôle sévères des espaces boisés qui offraient tant de ressources. Réglementation appliquée par les officiers : "gruyers" et "sergents de la forêt". Le titre de "gruyer" est une lourde charge et confié à des personnages importants : 987 Hugues de Beauvais (Comte palatin de Nogent et de Dreux), précepteur de Robert, fils du roi Hugues Capet, est nommé gruyer de la forêt. Les petits fiefs se multiplient, dépendant en général des seigneurs de Montfort et d'Epernon : on en compte jusqu'à 19 à Bourdonné. Les tenants des fiefs ont-ils accompagné les Capétiens et les Montfort aux croisades ? Cela est vraisemblable. Seuls, les textes de Saint-Hilarion et de Longvilliers, paroisses de moyenne importance, font mention de chevaliers ayant participé aux croisades : Gui-le-Rouge, seigneur de Rochefort, dès la première ; Gauthier du Rosay, Robert d'Amuyl, Pierre de Voisin..., accompagnant Simon IV, seigneur de Montfort, à la quatrième croisade, prêchée en 1199, puis à la croisade contre les Albigeois. Il est certain que les autres paroisses ont vu leurs seigneurs suivre une voie identique, trop heureux d'échapper à la monotonie de la forêt. Simon se révéla un homme de guerre, fanatique et ambitieux, qui plongea le midi de la France dans un bain de sang. Cette guerre d'extermination (1208-1219) ruina la belle civilisation occitane. Ceci explique le silence prudent qui s'est fait autour de ces pieux chevaliers.

La guerre dite de cent ans n'atteignit pas tout de suite la région d'Yveline. Celle-ci eut à souffrir de la grande peste noire de 1348-1350 et dès 1358, des bandes de pillards (les routiers). Ce sont surtout les petits qui pâtirent, les villes derrière leurs remparts voyaient les campagnards et leurs troupeaux venir se réfugier au premier avertissement des cloches. A chaque trêve entre les belligérants, les soldats (mercenaires appelés brigands), continuaient à vivre sur le pays. Duguesclin ayant, en 1365, entraîné les "grandes compagnies" en Espagne, une période de tranquillité permet de panser les blessures. Les murailles sont relevées, un château fort est construit à Rambouillet en 1383.

Cette accalmie ne résistera pas à la guerre civile qui va de nouveau déchirer le pays à partir de 1407 (lutte entre les Armagnacs et les Bourguignons). La lutte franco-anglaise reprend. La défaite d'Azincourt (1415), où Guillaume de la famille de Prunelé est tué (inhumé à La Celle les Bordes), marque la période la plus dévastatrice de la guerre de "cent ans". A , on se souvient encore du "camp des Anglais", à Longvilliers, l'église est totalement détruite en 1429. Le texte ci-dessous donne une idée de l'étendue des dégâts en Yvelines. Un écuyer, Jean Stanlawe, à la tête de 30 lances et de 90 archers à cheval, reçut l'ordre de "démolir et de faire démolir, abattre et ruer par le pié les places et forteresse de Saint Celerin, Montfort, Houdenc, Gambais, Rambouillet, Beyne et généralement toutes les autres places". Le 13 Juin 1434, la démolition des forteresses de l'Yveline semble un fait accompli.

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On se demande comment des visages humains ont pu sortir de tant de brume. La région est totalement dévastée. "Les parties cultivables sont désertes et incultes, couvertes de broussailles, les chemins disparaissent sous la végétation, les terres favorables au développement des arbres sont devenues d'épaisses forêts", tel l'a vu Thomas Basin, évêque de Lisieux en parlant du pays chartrain.

La Renaissance, dans toute la région, est marquée par une remise au travail. De nombreux textes parlent d'une consolidation, ou même d'une reconstruction des églises souvent avec agrandissement. Aux XIVème et XVème siècles, le goût du luxe favorise les arts et la formation de société élégante, mais a des conséquences au point de vue social. Un fossé se creuse de plus en plus entre le gros de la population et l'ancienne noblesse, féodale, dont la fonction initiale de protection et de mise en valeur de leurs fiefs, ne devient, le plus souvent, qu'une recherche du profit au détriment de leurs sujets : les cahiers de doléances soulignent bien ce désaccord. En général, les paysans demeurent pauvres. Si de grandes fermes, faisant partie autrefois du domaine seigneurial, demeurent (Orphin, Sonchamp, Montfort) et s'adonnent aux cultures céréalières, la majorité des paysans habite de petites fermes ou des chaumières. Celles-ci, couvertes de chaume ou de bruyère, mal éclairées, protègent un mobilier des plus limités.

C'est ce type d'habitation que l'on retrouve à la fin du XIXème siècle. Deux pièces à feu abritent une famille nombreuse, dont les ressources se limitent dans le meilleur des cas à une vache, un porc, quelques poules et lapins, un enclos ou quelques arpents de terre. La femme reste à la maison, l'homme travaille à l'extérieur, soit comme journalier, charretier, domestique dans les châteaux ou les grosses fermes. On les voit employés comme carriers ou terrassiers au moment de la construction de l'aqueduc de Maintenon, métiers qui se perpétueront jusqu'au XXème siècle (Emancé, Hermeray, , Orphin). Plus tard, sous Napoléon III, ils s'embauchent comme ouvriers dans de petites fabriques locales (fabrique d'étain à Poigny, féculerie à Raizeux, tannerie à Emancé, poterie à Condé-sur-Vesgre).

Nous n'avons cité que les hommes de la périphérie, qui partagent les travaux des habitants de la forêt : bûcherons, scieurs de long, tonneliers, charrons... Tous ces villageois assistent, par contre, aux chasses somptueuses organisées par les puissants du jour en tant que spectateurs ou rabatteurs. Ils assistent à l'édification, au cours des siècles, de châteaux plus ou moins importants, où les nobles et les riches bourgeois viennent y abriter leurs intrigues et leurs amours, attirant avec eux écrivains et poètes. Plus de 17 châteaux verront se succéder des personnages illustres. Le calme de la forêt, la douceur des paysages, ne seront troublés que d'une façon ponctuelle, par les drames qui ont marqué l'histoire de France : guerres de religions, Fronde, Révolution de 1789 (à signaler la destruction complète du château de Louis XV à Saint-Hubert) et aussi par les grandes épidémies du début du XIXème siècle, typhus en 1814, choléra en 1820. Cette description, un peu trop manichéenne, d'une société, doit être tempérée par le fait que la forêt, si souvent repaire des brigands, fut également un refuge, une protection. Les moines de Gambaiseuil vécurent en paix jusqu'à la révolution. Les rapports entre les grands et les paysans furent souvent amicaux (Bourdonné) et compréhensifs (Saint-Hilarion).

Si aujourd'hui l'ardoise ou la tuile ont remplacé la chaume et la bruyère, le paysage n'a guère changé. Après une période d'abandon des campagnes en 1955-1960, où l'on note une diminution sensible de la population, le retour à la nature s'est manifesté de deux façons : par la multiplication des résidences secondaires et par une mutation due en partie aux moyens modernes de déplacements, automobiles, chemins de fer. Mutation de la population paysanne

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qui, tout en demeurant au pays, va travailler journellement dans les villes : Rambouillet, Chartres, Saint-Quentin, Paris. En général, la mécanisation de l'agriculture, ainsi que l'emploi des engrais, ont nettement amélioré la condition paysanne. Sur les sols les plus pauvres, la forêt renaît, souvent les résineux font place aux essences nobles, les chênes et hêtres, orgueil de l'Yveline. Ces lentes transformations n'ont pas changé le caractère agreste de toutes ces communes, où chacun s'accorde à dire : qu'il fait bon vivre en pays d'Yveline.

Textes consultés : Société archéologique (SHARY) Archives départementales Epernon dans le passé (Roger Badaire) Raizeux (Abbé Tenaille)

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