APRE BAL TANBOU LOU

CINQ ANS DE DUPLICITÉ AMÉRICAINE EN HAÏTI 1991-1996 DES MÊMES AUTEURS

Pierre Mouterde

Un an dans le Kaki, Syros, La Brèche, , 1980 (sous le pseudonyme de Nicolas Siterre). Lettres du sud de l'Amérique, La Maîtresse d'école, Québec, 1987 (sous le pseudonyme de Nicolas Siterre). Un automne à Santiago, La Brèche, Paris, 1988 (sous le pseudonyme de Nicolas Siterre). Les Mouvements sociaux au Chili, L'Harmattan, Paris, 1995 (en collaboration avec Patrick Guillaudat).

Christophe Wargny

Louviers sur la route de l'autogestion, Syros, Paris, 1976. À Vandoncourt, c'est tous les jours dimanche, Syros, Paris, 1980. RMI, Réussir l'insertion, Syros, Paris, 1988 (en collaboration, sous le pseudonyme de Rémi Lejeune). La Pêche aux couteaux, Syros, Souris noire, Paris, 1989. crie, l'Église murmure, Syros, Paris, 1991 (en collaboration avec Jacques Gaillot).

Tout homme est un homme, Le Seuil, Paris, 1992 (en collaboration avec Jean-Bertrand Aristide). Dignité, Le Seuil, Paris, 1994 (en collaboration avec Jean-Bertrand Aristide). Notre bon père et autres pères, Syros, Paris, 1995. Jacques Gaillot, biographie, préface de l'abbé Pierre, Syros, Paris, 1995. Pierre Mouterde - Christophe Wargny

Apre bal tanbou lou cinq ans de duplicité américaine en Haïti 1991-1996

AUSTRAL © Éditions Austral, Paris, 1996

Couverture : photo Mireille Nicolas « L'engagement dans la démocratie n'est qu'un élément dans la nouvelle association que j'envisage pour les nations des Amériques. Elle doit avoir comme garantie que l'économie de marché survive, prospère et prévale. » GEORGE BUSH, mai 1989, cité dans Le Monde diplomatique, février 1996.

« Le Mur de Berlin est mort de sa belle mort, avant d'atteindre la trentaine, alors que l'autre mur fêtera bientôt ses cinq siècles. L'échange inégal, l'extorsion financière, la sai- gnée de capitaux, le monopole de la technologie et de l'information et l'aliénation cul- turelle sont des briques qui se superposent jour après jour, au fur et à mesure qu'aug- mente le saccage de richesses et de souveraineté du Sud vers le Nord. » EDUARDO GALEANO, La Brecha, octobre 1990.

AVERTISSEMENT

Après l'élection présidentielle de décembre 1990, nous avons été des témoins privilégiés de la vie politique haïtienne. L'un comme biographe d'abord, puis comme conseiller du président Jean-Bertrand Aristide. L'autre comme journaliste (spécialisé dans les questions latino-américaines), puis sociologue au ser- vice du cabinet présidentiel. Tant à Port-au-Prince qu'à Washington, capitale heureusement éphémère de l'île. Auteurs, nous avons tenté d'associer nos compétences en sciences humaines et nos connaissances préalables des pays du Sud. Nous ne croyons pas qu'une histoire aussi contemporaine puisse s'écrire par qui n'y serait pas un temps soit peu impliqué, engagé, voire immergé. Même si nous restons à demi des étran- gers, des blan, comme disent les Haïtiens. Il n'y a pas, dans le combat de David contre plusieurs Goliaths, d'illusoire neutra- lité. S'il y a deux camps, nous adhérons à celui qui s'écrit au fronton souvent oublié de la République : « Liberté, égalité, fraternité ». L'histoire vécue ici nous paraît d'ailleurs transpo- sable sous d'autres lattitudes. À quelques variantes près. Le président Aristide est ici un personnage central. Évidem- ment. Il partage ce premier rôle avec la « communauté inter- nationale », elle-même souvent réduite aux seuls États-Unis. Nous avons tenté de ne rien celer du personnage ou des enjeux sociaux et politiques qu'il affronte. Ce qui n'altère en rien le respect et l'amitié que nous éprouvons pour lui. Il est sûrement loin de souscrire à tous les points de vue exprimés dans cette chronique. Nous ne lui avons demandé ni son imprimatur ni sa bénédiction. Cela va de soi. C'est au nom de cette liberté, qu'il revendique pour son peuple, qu'il nous a laissé toute la nôtre. Nous l'en remercions, comme nous témoignons notre recon- naissance à tous ceux qui se sont prêtés à nos pacifiques inter- rogatoires. Tous ensemble, par peur d'en oublier. Nous avons rencontré nombre de témoins et d'acteurs. Nous ne les citons pas tous. Pour éviter d'alourdir le récit. Ou parce qu'ils ne le souhaitent pas. Ils sont essentiels, dans un pays où l'oral, la rumeur, radio bouch, prend toujours le pas sur l'écrit. Le créole, et son verbe métaphorique, apparaît toujours en italique. Compte tenu du sujet, le rôle de la communauté interna- tionale dans la crise haïtienne ou, pour faire plus simple, la duplicité permanente de l'empire US, la presse étatsunienne domine largement, dans nos sources (Miami Herald, New York Times, Washington-Post, The Nation...). On ne s'étonnera pas de l'utilisation d'un néologisme, qui n'en est pas un en Haïti. Les États-Unis ne sont pas l'Amérique. Et les uns n'ont pas à être confondus avec les autres. Ni à en assumer le rôle. Toutes les citations sont bien sûr rendues à leurs auteurs. Nous avons si souvent discuté avec le chef de l'État haïtien que nous n'avons pas systématiquement indiqué la date exacte et les circonstances de l'entretien. Nous avons parfois puisé dans deux de ses ouvrages, Tout homme est un homme et Dignité, publiés en 1992 et 1994 aux Éditions du Seuil. Quant aux dia- logues reconstitués, ils apparaissent comme tels. Notre point de vue, notre travail d'enquête, nous l'assumons seuls. Entièrement. Bien sûr, nous ne sommes pas à l'abri de défaillances. Le lecteur jugera.

Les auteurs. CHRONOLOGIE

16 décembre 1990 : Triomphe du père Aristide (67 % des voix) dès le premier tour, face à dix autres candidats, dont Marc Bazin (14 %) soutenu par les Américains.

6 janvier 1991 : Échec du coup d'État de Roger Lafontant.

7 février 1991 : Prise de fonctions du président Aristide.

13 août 1991 : Tentative de motion de censure du parlement contre le Premier ministre René Préval. Manifestations houleuses.

25 septembre 1991 : Discours du président Aristide à l'ONU.

29-30 septembre 1991 : Le président Aristide est renversé par un coup d'État. Il gagne Caracas. Le nouveau régime est una- nimement condamné par la communauté internationale.

7 octobre 1991 : Réunion de l'OEA à l'aéroport de Port-au- Prince, embargo contre la junte militaire.

23 février 1992 : Accord de New York.

Janvier 1993 : Clinton poursuit la politique de Bush à l'en- contre des boat people. 3 juillet 1993 : Accord de l'île des Gouverneurs; le retour du président Aristide est prévu pour le 30 octobre.

II septembre 1993 : Assassinat d'Antoine Izméry.

Octobre 1993 : Les violences des groupes paramilitaires culmi- nent avec l'assassinat du ministre de la Justice Guy Malary. Le Harlan County renonce à débarquer à Port-au-Prince. Blocus naval décrété par l'ONU.

15 décembre 1993 : Démission du Premier ministre Robert Mal val.

8 mai 1994 : Fin de la grève de la faim de Randal Robinson.

31 juillet 1994 : Le conseil de sécurité de l'ONU autorise une intervention armée contre les putschistes.

19 septembre 1994 : Débarquement des troupes US en Haïti (20 000 hommes).

15 octobre 1994 : Retour du président Aristide.

31 mars 1995 : Les troupes américaines sont relevées par celles de l'ONU (7 000 soldats et gendarmes).

26 avril 1995 : Abolition « dans les faits » de l'armée d'Haïti.

25 juin 1995 : Les élections législatives donnent la majorité à la coalition Bo tab là.

11 novembre 1995 : « Discours de la cathédrale ». Le président Aristide dénonce l'hypocrisie et l'ingérence des États-Unis. 17 décembre 1995 : Élections présidentielles, victoire du can- didat Lavalas, mais faible participation.

6 février 1996 : Rétablissement des relations diplomatiques avec Cuba.

7 février 1996 : René Préval succède à Jean-Bertrand Aristide.

PROLOGUE

La Mauvaise réputation

Apre bal tanbou lou. Après la fête les tambours sont lourds : un de ces savoureux proverbes créoles qui évoque Haïti et ses inévitables images d'Épinal. Apre bal tanbou lou : le son des percussions, les rites vau- dous, la fièvre et la frénésie, la chaleur tropicale, le rhum et la fête envoûtante. Plus tard, la fatigue et la nuit, phosphores- cente, la tristesse qui l'accompagne, subreptice ou lascive, lorsque tout s'achève ! Apre bal tanbou lou. Fête finie, lendemains difficiles... le 17 décembre 1990, la métaphore se charge soudain de signifi- cations tout autres. Par la grâce de... l'ambassadeur US Alvin Adams, dit Bouwik chaje, l'âne bâté ! C'est lendemain d'élections en Haïti. On sait déjà avec cer- titude que le père Aristide, Titidpour la majorité, va l'empor- ter haut la main. Premier président de ce pays à être élu démo- cratiquement. Premier depuis 1804. L'espoir pour tant d'exclus ! L'allégresse pour les intouchables ! Oubliés, les diffi- cultés et les traquenards ? L'ambassadeur américain se charge de les rappeler au futur président, en termes à peine voilés. Apre bal tanbou lou, lui lance-t-il en guise de torves félicita- tions. Manière de dire que tout ne sera pas simple. Avertissement, mise en garde ou menace ? Car les autorités américaines vont tout entreprendre pour que le jeune président trébuche, pour qu'échoue l'expérience sociale et politique unique qu'il initie et incarne avec tant de passion. Tout, absolument tout, pour empêcher le peuple haï- tien d'accéder aux commandes de sa propre histoire. Tout, absolument tout : depuis le travail clandestin de déstabilisa- tion terroriste jusqu'à la duplicité diplomatique, en passant par la collusion directe avec les militaires putschistes. Rien là de nouveau ! Une histoire qui remonte à loin. Comme si Haïti ne cessait d'inquiéter, de déranger. Comme si Haïti avait décidément trop mauvaise réputation. Un pays pas même une île. Une petite moitié d'île. La seule perle caraïbe qui fasse exception aux rêves ou aux fantasmes des tou- ristes venus du Nord. Tant mieux pour les amoureux d'Haïti, tant pis pour l'île maudite. Et pourquoi cette mauvaise réputation ? Parce que les esclaves d'ici, les premiers, s'étaient victorieu- sement révoltés contre les colons français ? Peut-être ! Mais c'était il y a deux siècles. Aujourd'hui servent d'autres alibis. D'autres lieux communs sont inscrits dans les têtes : Haïti... pays de la loi de la jungle, de la violence. Rituelle, endémique, politique, crapuleuse. Vagues imprévisibles et successives de règlements de comptes, de tortures, de pneus brûlés, d'émo- tions ou d'émeutes. Connaît-on d'Haïti politique un seul mot ? Tonton macoute assurément. Perfection ou symbole d'ar- bitraire, de brutalité ou de sadisme. Haïti... gouvernée de surcroît par des satrapes cyniques et vénaux, voilà pour le complément d'image. Quant aux oli- garques et aux ploutocrates locaux, des Américains les ont même baptisés d'initiales pratiques qui leur sont restées. « M RE » signifie : moraly (ou most) repugnant elite, élite mora- lement répugnante. Gangsters ayant châteaux sur parc. Mais on a, dit-on, le régime qu'on mérite. Et le peuple d'en bas a lui-même bien mauvaise réputation : analphabète, revanchard, immature, incendiaire, maléfique. Corrompu lui aussi. Pire encore : à quelques exceptions près, il n'y a dans ce pays que des pauvres. Et parmi les pauvres surtout des misérables, des crève-la-faim, des clochards ou des vagabonds. Quatre sur cinq qui vivent en dessous du seuil de cette pauvreté dite abso- lue. Absolument inacceptable ? Les pouilleux et les parias sont, aujourd'hui plus que jamais, les responsables de leur infortune. Le libéralisme triomphant ne cesse de nous le ressasser. La faute des pauvres est d'être pauvres. Pour eux, ni lustre, ni hon- neur, ni notoriété. Les ignobles, compris comme contraires des nobles, ne sont ni en vogue ni en odeur de sainteté. On meurt davantage qu'ailleurs en Haïti. On y vit aussi. On naît beaucoup. Sept millions d'habitants, et la plus forte den- sité des Amériques. Mais partir n'est pourtant plus possible : les États de la région ne veulent plus d'Haïtiens. Les boat people aussi ont mauvaise réputation. Mais tant de cerveaux sont déjà partis, dans cette seconde moitié du XX siècle. La démographie galope quand l'indigence s'étend. Cette misère qui colle à la terre d'Haïti, c'est sa faute, c'est son crime. Mais qui donc, à l'échelle de la planète, fait les mauvaises réputations ? Rarement les exclus. Plutôt les rois. Princes de la politique ou seigneurs des médias d'outre-Caraïbe. Et si la mauvaise réputation n'était que moyen ou volonté d'enclaver, d'isoler, de cerner, d'écarter, d'ostraciser... d'exploiter, de maintenir en esclavage. D'émettre, comme l'écrit l'écrivain uruguayen Edouardo Galeano, des messages de mort. « Les maîtres de l'information à l'ère de l'informatique nom- ment communication le monologue du pouvoir. L'universelle liberté d'expression consiste à faire en sorte que la périphérie du monde obéisse aux ordres émis par le centre, sans avoir à refuser les valeurs que celui-ci impose. [...] Tel est le miroir trompeur qui apprend aux enfants latino-américains à se regarder avec les yeux de ceux qui les méprisent, et les condi- tionne à accepter comme destin une réalité qui les humilie. [...] Désormais la pauvreté est "le juste châtiment" que mérite l'inefficience, ou "une manifestation de l'ordre naturel des choses". La pauvreté a été déconnectée de l'injustice; et la notion d'injustice elle-même, naguère une certitude univer- selle, s'est peu à peu estompée jusqu'à disparaître. [...] Avec le système de châtiments et de récompenses qui conçoit la vie comme une course effrénée entre quelques gagnants et beaucoup de perdants, la défaite est le seul péché sans rédemption » Ce que dit Galeano dans son registre ne renvoie que trop à Haïti, à ces années de fièvre, de boue et de sang, de 1990 à 1996. Même si beaucoup ont cru, ou feint de croire le contraire. Que le monde avait changé, qu'on ne pouvait le réduire à un manichéisme d'un autre âge. L'histoire contem- poraine d'Haïti n'en était-elle pas la preuve ? Comment comprendre autrement que la première puissance du monde ait pu, après le coup d'État du 30 septembre 1991, accueillir le président Aristide en exil à Washington ? Qu'elle l'ait ensuite « soutenu », diplomatiquement, puis militaire- ment? Qu'elle ait enfin dépêché jusqu'à vingt mille hommes sur le terrain, pour qu'il retrouve, après I III jours d'absence, le Palais national de Port-au-Prince. Comment comprendre ? Nouvelles données géo-politiques ? Subtils stratagèmes ? Que d'explications ont été avancées ! Notamment lors du retour du président Aristide en octobre 1994. Toutes ou presque ont eu tendance à confondre l'image que Washington veut donner d'elle-même et la réalité. La machine étatsunienne de com- munication est, il est vrai, la plus performante, bénéficiant d'outils sans égal pour promouvoir la défense du droit et de la démocratie.

I. Eduardo Galeano, « Vers une société de l'incommunication ? », Le Monde diplo- matique, janvier 1996. Pas étonnant que la question ait rebondi en Haïti même, suscité d'infinis débats. Comment évaluer cette intervention ? Fallait-il applaudir ? La dénoncer ? Difficile de trancher quand le président Aristide lui-même semblait y avoir trouvé son compte ! Le débat est d'autant plus incertain que les repères idéologiques ont éclaté. Et si, au-delà des faits et gestes officiels, au-delà des discours médiatisés à l'excès, courait un même fil ? Et si des politiques, d'apparences différentes, visaient toutes un seul objectif, celui de mettre en tutelle un peuple et ses espoirs de changement ? Qu'il ne s'aventure plus à rêver au pouvoir, à ses formidables potentialités de libération. Apre bal, tanbou lou ?

CHAPITRE I

Trafalgar US

La nuit est tombée sur Port-au-Prince. Tôt. Nous sommes le 16 décembre 1990, soir d'élections, au cœur de l'hiver caraïbe. La saison de rêve des touristes occidentaux. Il n'y a pas de touristes, tout au plus quelques dizaines de Blancs dépêchés par des médias du Nord. Des étrangers incolores et invisibles dans la foule sans nombre qui s'avance. Car ils sont là. Quelques-uns d'abord, avant-garde noire dans la nuit noire qu'éclaire une électricité si chichement dis- tribuée. Il y a des nuits et des nuits qu'ils ne sont pas sortis, s'imposant à eux-mêmes un prudent couvre-feu. La nuit, cette fois, n'est pas hachée par les bruits des uzis, les mitraillettes de l'armée ou des macoutes, mais par les clameurs de joie venues des banlieues enserrant une métropole qui déborde de toutes parts. Le jour s'est finalement levé. Ils sont là. Plus nombreux encore. Ils arrivent. Quelques-uns poussent vélos ou tripor- teurs chargés de clairin. D'autres se bousculent pour saisir au vol une place dans un tap-tap. Trois gourdes, le voyage en vaut la peine. Garçons et filles, ils sont jeunes, ou moins jeunes. Ils crient, ils chantent, ils rient, dans un pays où le spectacle de la vie quotidienne ne porte pas toujours à l'allégresse. La plupart sont venus à pied, déferlante sans fin de gueux et de cro- quants, raz de jeunes humains à perte de vue, partis de Carrefour, de Cité-Soleil, de Martissant, de la Saline. Ils inon- dent le seul espace encore libre au centre-ville, le dernier trou de verdure pas encore investi par les baraques, les cases ou les bidons : le Champ-de-Mars. Au son des tam-tam, des lambis ou a capella, qu'importe, tous scandent le même délire, repris des derniers flash des radios : « Kominike Titid prezidan. » Communiqué : Titid est président. Titid président ? Titid sera président. Deux, trois, cinq cent mille s'agglutinent devant le Palais national, symbole du pouvoir, de cet État tour à tour violent ou prédateur, dont il était hier interdit de fouler même les trottoirs. Le Palais natio- nal, si rayonnant, si écrasant de blancheur au soleil levant, réflé- chit en ombres grises sa blancheur immaculée. La cathédrale exécutive, colosse intact, et seul bâtiment entretenu, n'impres- sionne plus. C'est Titid qui va l'occuper. Bientôt. La peur s'en est allée, tout à l'heure encore lancinante comme une musique de lambi solitaire. Prégnante, présente, prenante encore quand hier on votait. Car en Haïti, on ne vote pas innocemment. Les scrutins ici sont à haut risque pour les électeurs. Chacun s'est pourtant exposé des heures durant. Parce que les bulletins avaient du retard. L'ouverture des bureaux de vote aussi. Parce que voter pour un président, et aussi pour des députés et pour de bons sénateurs, c'est compliqué pour le citoyen tout neuf qui ne sait pas lire. Des heures de queue dans la gravité ou l'allégresse. À l'haïtienne. Serrés les uns contre les autres, dans la moiteur tropicale. Titid se nou, nou se li. Titid c'est nous, nous c'est lui. Toute la journée, les Haïtiens avaient voté massivement. Ils s'étaient promis de le faire : en passant s'il le fallait au travers des balles, en rasant les murs, à quatre pattes ou la tête haute. Le peuple haïtien, pour la première fois, s'identifiait au futur élu. Candide ou simplet, diront les experts ? La masse n'avait pas de candidat. Se croyant sujet, sûre d'une destinée nouvelle, elle était le candidat. 1, 2, 3 % du total : les premiers bulletins sont dépouillés le soir du 16, à la lueur des chandelles, les scrutateurs assis sur des chaises de fortune. Aucun doute : les résultats sont nets, indis- cutables. Accablants. Titid sera président. L'ancien président des États-Unis Jimmy Carter, chantre des droits de l'homme, dirige l'importante délégation d'observateurs chargée de veiller à la bonne tenue du scrutin. D'homologuer la performance. Il préfère, c'est son droit, les timides démocrates obéissants aux diktats du FMI aux radicaux anti-impérialistes. Il se trouve à la ruelle Vaillant puis à Turgeot. Un quartier réputé résidentiel aux riches villas bourgeoises, dont on peut attendre un vote conforme à ses espoirs. Eh bien non, là aussi, c'est la majorité absolue pour le prophète des bidonvilles ! Parce qu'en Haïti, la misère s'immisce entre les maisons des riches, occupe ravines et terrains vagues. Les cases de bambous, de feuilles de palmiers séchées et de tôles, grimpent à l'assaut des collines et des mon- tagnes, intercalées entre les châteaux de l'élite. Les pauvres sont décidément partout : une inondation. En créole, se lavalas. À l'ancien président américain, deux journalistes demandent son sentiment. Jimmy Carter a pourtant l'expérience des situa- tions désagréables. Il bredouille, incapable d'articuler quoi que ce soit. Les témoins sont frappés par son mutisme embarrassé. Émotion ? Écoeurement ? Il ne pipe mot, comme foudroyé par la légèreté et l'inconstance d'un peuple qui contrarie ses plans. Les plans américains bien sûr. Sa femme le tire par la manche vers sa tèt bèf, cette voiture tout terrain de grand luxe qu'affec- tionnent les riches îliens. Et l'emmène vers des lendemains qui déchantent. De l'espoir peint tantôt sur les visages jaillit le succès venu du fond des urnes. Le scrutin s'est déroulé sans incident et les centaines d'observateurs internationaux paraissent avoir fait bouclier à la fraude et à l'intimidation. Le président qui va être élu, calfeutré chez des amis, sait depuis l'ouverture des bureaux Un peu plus tôt, devant un parterre diplomatique, il remer- cie en français les ambassadeurs de et du Venezuela pour leur aide lors du pronuciamiento. Et glisse brusquement en créole un jeu de mots assassin, pour l'ambassadeur US de l'époque : Bouwik chaje kadav... Bouwik chargé de cadavres... l'ambassadeur responsable de la répression. Le I janvier 1996, il rejoint les diplomates convoqués à Ti tanyen, où les attachés avaient coutume de jeter leur gibier. Discours, vœux, plantation d'arbres. Les chaussures propres des hautes personnalités buttent sur des crânes et des fémurs. Elles garderont pour longtemps la matinée en mémoire. La mémoire ! Ce dont les Américains évidemment ne veu- lent pas. Bien sûr, ils souhaitent participer « activement à la nécessaire réforme de la justice haïtienne ». Mais avec pru- dence et sans mettre directement en cause les tenants de l'ordre ancien. Avec la police, c'est l'institution qu'ils ont le plus soutenue, mais d'abord à des fins techniques, pour améliorer la forma- tion des juges, les infrastructures, les salaires (ils ont été aug- menté de 300%), la gestion administrative. Tout en laissant de côté le rôle politique des magistrats leur corruption légen- daire, leur implication partisane dans les usurpations de terres. Ils cherchent donc à reconstruire l'appareil judiciaire par le haut, et comme le décrit si bien un document de l'institut Karl-Lévesque à « changer le système sans changer les per- sonnes [...] en ne se lançant que dans une réforme adminis- trative et technique ». Pas étonnant que, depuis le 15 octobre

45. Il faut noter que les juges en Haïti se sont traditionnellement associés à l'élite économique. 46. Voir Pierre Golberger, Jean-Claude Jean, Marc Maesschalck, dans Questions et perspectives, pour un véritable débat, autour de la conjoncture politique, publié par l'insti- tut Karl-Levesque, mai 1995. 1995, courent en Haïti tant d'histoires sur les machinations des juges. Pour faire relâcher tel ou tel prisonnier. Pour retarder un processus de mise en accusation. Pour faire traîner l'envoi de mandats d'arrêt. Bref pour paralyser. Mais la vraie priorité des Américains, on l'a vu dès les négo- ciations de Washington, c'est la réforme de l'armée et de la police. L'objectif : garder la haute main sur toute l'opération. Non sans accidents de parcours, tant ils se heurtent à l'obsti- nation du président Aristide : qui veut en finir avec l'armée de coup d'État. Remettre sur le métier les projets de 1991 qui pré- voyaient la séparation de l'armée de la police. Pendant toute l'année, la force publique haïtienne (armée et police formaient un même corps) est sur la sellette. Pour les experts US, il faut sauvegarder l'institution militaire, en la restructurant autour de quelques officiers de confiance. Et avoir l'œil sur l'entraînement de la nouvelle police. Le major Kernisan, qui appartient à la DIA - il travailla en Haïti de 1989 à 1991 -, prépare l'ensemble du projet et initie les premières phases de sa mise en application. Sa sympathie va depuis long- temps aux de facto, comme on dit en Haïti. C'est finalement une agence dépendant du FBI, l'ICITAP, qui dirigera la for- mation, mais ce ne sera pas un monopole étatsunien. En Haïti, il s'agit de former une « police démocratique ». Dans un court laps de temps. En attendant son déploiement, le maintien de l'ordre est assumé par une police intérimaire, composée d'anciens militaires. Titid suit de près le dossier. Et réagit vigoureusement, en mai 1995, à une nouvelle initiative américaine. Prétextant un manque de place à l'académie de Port-au-Prince, les autorités US décident de transférer la for- mation de contingents de la nouvelle police à Fort-Léonard, dans l'État du Missouri. Cette fois, c'est trop. Le secrétaire d'État haïtien à la Justice, Léon Jeune, doit démissionner. Il avait donné son aval à l'idée. Le ver est déjà dans le fruit. Après discussion, le président haï- tien obtient quand même des garanties complémentaires : la moitié seulement de la formation s'effectuera aux États-Unis, un observateur du gouvernement haïtien y évaluera le contenu. Titid a-t-il d'autre choix? Ne vient-il pas d'en finir avec les forces armées haïtiennes ? Fidèle aux accords passés à Washington, le président paraît chercher, dans un premier temps, à restructurer l'armée. Ou à la déstructurer. Pas à pas. En poussant à la démobilisation, aux mises à la retraite. Il renvoie son commandant en chef, le géné- ral Duperval, accusé d'avoir dérobé 22 000 dollars. Le rem- place, le 17 novembre 1995, par le général Bernardin Poisson, chef du service des pompiers de Port-au-Prince. Du jamais vu. Volonté de décontenancer les officiers supérieurs ? De semer la zizanie ? Titid ne juge pas encore possible d'aller au-delà dans la déstabilisation. Même si l'ancien président du Costa Rica, Oscar Arias, prix Nobel de la paix en 1987, de passage à Port- au-Prince, le presse de le faire. Devant cinq cents syndicalistes venus le rencontrer au Palais national, il répond : « Je ne suis pas d'accord non plus avec l'armée, c'est un cancer. » Puisque la Constitution prévoit son existence, je prendrai « toutes les mesures pour sa guérison ». L'assistance s'offusque. Mais le pré- sident n'encourage-t-il pas, discrètement, la contestation ? Qu'attendait-il pour en finir ? Le 13 décembre 1994, incident sérieux : une cinquantaine de militaires renvoyés décident de se faire justice eux-mêmes. Ils veulent leur dernière solde. Mitraillage à l'appui, ils prennent d'assaut le quartier général des Forces armées haïtiennes. Ce sont les militaires américains qui doivent intervenir. Bilan : quatre morts, six blessés et des dizaines de prisonniers. Un vent d'inquiétude envahit Port-au-Prince. L'armée ! Elle préoccupe tout le monde. Y compris les États- Unis qui harcèlent Titid. Ils réclament le limogeage de trois officiers, tous des fidèles : Pierre Chérubin, ancien chef de la police et proche conseiller, Richard Salomon, responsable de l'antigang, et Pierre Neptune, l'actuel chef de la police. Prétexte : ils ont été impliqués en juillet 1991 dans un meurtre jamais éclairci. Le président, exaspéré, réagit brutalement. Le haut com- mandement est dans le colimateur. Les Américains veulent trois têtes, il leur donne satisfaction, mais en fait tomber trente-neuf autres. Plus que l'état-major, le corps des officiers supérieurs est décapité en février. Un ouragan : plus d'officier au-delà du grade de major. L'un des proches d'Aristide, Dany Toussaint, assure le commandement. Le 26 avril, après la relève de l'armée US par les casques bleus, Titid porte l'estocade finale. Les quinze cents derniers soldats sont transférés dans la police intérimaire. Il n'y a plus d'armée d'Haïti. Reste à faire entériner une décision, qui n'est pas conforme à la Constitution, par le nouveau parlement. Par un vote à la majorité des deux tiers. L'écrasante avance de bo tab la aux élections de juin devrait faciliter de telles « funé- railles ». La réaction étatsunienne ne tarde pas. Clinton lui-même propose, du tac au tac, de doubler les effectifs de la police. Passer de quatre à sept mille. Ce que les Américains perdent avec le décès de l'armée, ils cherchent à le regagner par une mainmise sur la nouvelle police. La renforçant, la contrôlant de plus près. Mais est-ce la nouvelle police qui va vraiment contrôler Haïti? Ou le FMI et ses remèdes de cheval? L'ajustement structurel se précise, conformément à l'accord de Paris d'août 1994. Mais comment adapter pareille médication à une éco- nomie aussi disparate et délabrée. Peut-on, après trois ans d'embargo et de souffrance, demander de nouveaux sacrifices ? Pour rembourser en priorité les intérêts d'une dette en partie contractée par les militaires ? Pour équilibrer d'urgence la balance des paiements ? Pour libéraliser quelles entreprises et quels échanges ? Le mal dont souffre cette économie ne vient pas d'un sur- croît de règles et de contrôles. Mais de son manque de régula- tion, de la loi de la jungle érigée en référence suprême. De ne rien planifier, jamais, en faveur du grand nombre, de ces masses croissantes de pauvres. Les spécialistes du sous-déve- loppement le répètent : une économie du tiers-monde ne peut véritablement décoller et prendre en charge les besoins de la majorité que si l'État y intervient activement, impose certaines orientations à caractère social, protège des secteurs clés. Ce sont justement les entreprises d'État les plus rentables et les moins déficitaires sous le premier gouvernement d'Aristide que les experts internationaux conseillent de privatiser. Surtout la Téléco ou l'Électricité d'Haïti, qui peuvent jouer un rôle d'entraînement. Orientant des pans entiers de l'économie nationale. Le point de vue des États-Unis et des grandes institutions financières internationales diffère du tout au tout. Qu'importent les problèmes spécifiques d'Haïti ! Le pays sera ouvert aux importations, son activité cantonnée ou orientée vers les usines d'assemblage ou l'agriculture d'exportation. Les pressions n'ont jamais cessé. De tous ordres. Brutales ou sophistiquées. Avant le retour du président Aristide. Après. Bien des promesses ont été faites. Six cent millions de dollars, c'est la somme dont a besoin l'exécutif haïtien au cours des quinze premiers mois. Ses recettes potentielles ne sont pas immédiatement disponibles, le « système de perception de taxes » étant complètement inefficace. La survie même du gou- vernement dépend de la bonne volonté de ladite « commu- nauté internationale ». Et celle-ci a été des plus chiches. Un an après, 80% des sommes promises ont vraiment été décaissées. Le secteur agricole, qui rassemble plus de la moitié des Haïtiens, n'a reçu que 5% des sommes allouées. Côté améri- cain, les pressions sont permanentes. La chétive Haïti est un malade sous perfusion. On s'assure que le sérum vital coule goutte à goutte pour ne pas lui donner trop vite goût à la vie et à l'indépendance ! Ainsi s'explique, à partir de novembre 1995, la nouvelle montée des tensions qui secoue la société haïtienne. Avec à l'horizon tant d'incertitudes. Sur le départ d'Aristide! Sur celui de l'ONU dont la présence rassure, à côté d'une police locale encore tendre et inexpérimentée ! Sur la personnalité lavalas- sienne qui pourrait remplacer l'actuel président ! Toutes les vieilles peurs resurgissent. Même si le pays connaît une embel- lie politique sous l'égide d'un président plus populaire que jamais. Tout semble si précaire, si inachevé, si incertain. Les Haïtiens s'inquiètent du départ de Titid. Le présent est dur, le ciel moins bleu qu'il n'y paraît. Mais l'avenir... 11 novembre 1995 : tempête dans la cathédrale de Port-au- Prince. La foule nombreuse assiste aux obsèques de Jean- Hubert Feuillé, un député proche du président, assassiné en plein centre de la capitale dans des conditions mystérieuses. Atmosphère lourde, silence haché par les pleurs et les cris. Le long office tire à sa fin. Titid est invité à conclure par quelques mots. Il les prononcent doucement, mais ne se borne pas aux condoléances. Soudain chacun retient son souffle. Le président est lancé dans une terrible philippique. Jamais depuis son retour il n'a usé de ce ton, brandi à ce point les menaces : « Personne ne va nous empêcher de désarmer les criminels. J'ai cheminé pen- dant un an avant de parler en ces termes. Au nom de ce député assassiné, aujourd'hui je vais passer des ordres. Dans le calme et dans la fermeté, j'ordonne que tous les Haïtiens et la com- munauté internationale, nous marchions ensemble pour que le désarmement soit total [...]. L'hypocrisie, c'est fini. Il n'y a pas deux ou trois chefs d'État en Haïti, il n'y en a qu'un seul. Le chef d'État a parlé en concertation avec le Premier ministre et le cabinet ministériel. C'est un ordre [...]. Je vous donne l'ordre, quel que soit celui qui peut bloquer cette opération de désarmement total, légal, capital, de l'arrêter si c'est un Haïtien. Et s'il n'est pas un Haïtien, nous lui donnerons un carnet de remise à ses parents [...]. Le mois de novembre 1995 doit être un mois de paix, donnez-nous la paix en ce novembre 1995 si voulez que nous vous garantissions le succès en novembre 1996 [...]. La reconnaissance est la mémoire du cœur. Nous sommes reconnaissants, c'est un succès... mais le sang coule, les armes continuent à traverser ce succès. [...] Ne vous croisez pas les bras, ne restez pas à attendre. Accompagnez les policiers lorsqu'ils iront chez les gens qui ont des armes . Donnez-leur des informations. N'ayez pas peur. Lorsque vous faites cela, dites aux policiers de ne pas aller seu- lement dans les quartiers où il y a des malheureux mais de monter dans les quartiers où il y a des grosses maisons, de grosses armes. » Inattendu, spontané, ce discours qui en réjouit plus d'un ? Dans le ton, peut-être. Le président clame ce qu'il a souvent chuchoté. Pour ses proches, la publicité donnée à ses désac- cords grandissants avec Washington n'est pas une surprise. Titid attendait l'occasion. Les réactions sont immédiates, par- tout en Haïti. Une traînée de poudre : manifestations hou- leuses, dechoukaj d'anciens militaires, fouilles improvisées par des militants aux abois, morts violentes. Le pays répond dans la fièvre à cette salve tirée sans sommation. Pourquoi ce coup de tonnerre ? La mort d'un ami? Plutôt un enchevêtrement d'événements ! Après l'assassinat, la nou- velle police nationale avait agi avec célérité. Son enquête l'a rapidement conduite, dans les heures qui suivent, à la pro- priété bunker du général Avril. Des difficultés suspectes, comme le brouillage de sa fréquence radio - qui a les moyens de le faire, sinon les États-Unis ? -, retardent pourtant l'arri- vée du détachement. L'ancien dictateur échappe à l'arrestation et se réfugie à l'ambassade de Colombie toute proche. La police, qui essuie plusieurs coups de feu, découvre dans sa rési- dence un arsenal d'armes offensives. Un officier de renseignement de l'ambassade US, on le sut plus tard, prenait le café quelques heures plus tôt chez Avril. Warren Christopher avait lui même averti son ambassade, onze jours auparavant, d'un possible complot ourdi par l'ex- dictateur contre des partisans d'Aristide. Sans cependant que l'ambassadeur juge utile d'en avertir les autorités haïtiennes L'ancien maître du pays bénéficiait de la protection d'une par- tie, tout au moins, de l'administration étatsunienne. Pas ques- tion, une fois de plus, de laisser le gouvernement haïtien s'en prendre à un des spécimens les plus typiques de l'élite haï- tienne ! Simultanément, un autre coup de semonce : l'USAID bloque sine die 4,5 millions de dollars, destinés à soutenir la balance pétrolière. Histoire de manifester sa mauvaise humeur, face à la lenteur du processus de privatisation. La charité tou- jours associée à la bonne conduite du bénéficiaire ! Pour Titid c'en était trop. Comme si le subtil jeu accepté depuis un an lui était devenu intenable. Comme si en cette fin de mandat il se sentait plus libre de parler, de dénoncer les frustrations qu'engendrait l'hypocrisie étatsunienne... et le manque de combativité de certains amis lavalassiens. La presse américaine, comme sa consœur européenne, se déchaîne : Aristide se déconsidère, sort de son rôle, renoue

47. Voir le Washington-Post du 29 novembre 1995. avec le d'antan, l'homme n'est décidément pas fiable ! Après un an de cohabitation avec les États-Unis, puis avec les forces de l'ONU, mesure-t-il les limites de son rôle ? Et du leur ? Dans ce combat, veut-il montrer à tous, dans l'île et au- delà des mers, qu'il dispose toujours d'un atout, le soutien de l'armée des humbles et des traine-misère ?

CONCLUSION

Éternels marrons ?

7 février 1991, 7 février 1996. Ils sont tous là, les mêmes, ou presque... sur les marches du même Palais national, éclatant de la même blancheur sous le ciel lumineux. Tous là pour assister à la passation du pouvoir. Jour faste : le président Aristide remet solennellement les attri- buts de la magistrature suprême à son ami et ancien Premier ministre, René Préval. Lun et l'autre impeccables dans leurs costumes sombres de circonstance. Pour la première fois en Haïti, un président élu succède dans la paix à un autre prési- dent élu. Ils sont tous là : les conseillers des deux équipes dirigeantes comme ceux et celles qui les ont suivis au long de ces cinq années : amis, députés, militants, ministres, mêlés aux diplo- mates étrangers, aux onusiens, à tout le gratin portauprincien. Al Gore, cette fois s'est décommandé. Est-il remplacé par Robaina, ministre des Relations extérieures cubaines ? Washington n'a pu empêcher le président Aristide, dans la nuit du 6 au 7 février 1996, douze heures avant la fin officielle de son mandat, de rétablir les relations diplomatiques de son pays avec le Cuba de Fidel Castro. Aux mêmes grilles se presse la foule éclaboussée de soleil, toujours au rendez-vous, mais pas la même. Infiniment réduite. Le moment le plus fort, le discours de Préval ? Non, l'envol de Titid en hélicoptère, comme il s'en était venu, seize mois plus tôt. Une larme furtivement essuyée et un bruyant murmure : « Rendez-vous en 2001. » Une fête pour la démocratie ? Une cérémonie tour à tour solennelle et débonnaire. Happy end? Scénario parfait? Derrière les tambours et l'harmonie d'usage, des nuances, des différences, des divergences séparent les premiers rôles. Et ali- mentent le qu'en-dira-t-on. Les zen, les rumeurs s'en donnent à cœur joie. On s'en souvient, c'était une des conditions mise au retour du président Aristide : Clinton s'engageait à le « réinstaller » au Palais national, à condition que l'ancien prêtre des bidonvilles quitte le pouvoir en 1996. Qu'il ne prolonge pas son mandat de ces fameux « trois ans », le temps de l'exil. Pareille prolongation serait bien sûr anticonstitutionnelle. Mais Haïti en a vu d'autres. On pouvait aisément imaginer, avec une écrasante majorité Lavalas à la chambre, un amende- ment voté à la majorité des deux tiers. Pour ce cas d'empêche- ment d'« exercer l'intégralité du pouvoir ». La question des trois ans est donc bien à l'ordre du jour. Depuis longtemps dans les têtes. Même si, dès son retour, Titid a toujours affirmé, en privé comme en public, qu'il quitterait le pouvoir le 7 février 1996. Mais beaucoup d'observateurs demeurent circonspects, quant à sa volonté réelle de le faire. D'autant que, dans l'en- semble du pays, se multiplient graffitis et manifestations qui exigent son maintien à la présidence pour les trois prochaines années. Titid twazan anko. Titid, trois ans encore. La clameur publique est encouragée par des conseillers du palais, soute- nue par l'espérance de milliers de jeunes militants lavalassiens. De son côté, l'administration américaine commence à s'in- quiéter. Le temps passe. Le CEP ne s'active guère pour enclen- cher le long et fastidieux processus électoral. Christopher, lors du passage d'Aristide à New York en septembre 1995, lance un sérieux avertissement : les élections doivent se tenir fin décembre, comme prévu ! Le secrétaire d'État avait lui-même rencontré quelques diffi- cultés : les républicains, pour maintenir leur pression sur l'ad- ministration démocrate, avaient décidé de couper les vivres à Haïti. Donc les subventions pour l'organisation du scrutin. Il fallut leur envoyer d'urgence quelques experts és-Haïti, leur expliquer le fin fond de l'affaire : ne pas subventionner les élec- tions, c'était offrir un espace à leur ennemi, Aristide, lui four- nir l'occasion, en or, de prolonger son mandat. De faire son jeu! Les républicains avaient été convaincus. Et les subsides débloqués. Mais pour Titid, tout n'est pas joué. Veut-il arracher d'ul- times concessions à l'oncle Sam, sur les dossiers en cours ? Ou obtenir la prolongation de son mandat ? Un vote au parlement pourrait lui permettre de renverser la situation ou d'exacerber la pression. Mais les chambres restent muettes, les leaders par- lementaires sourds. Aucun appui apparent à l'horizon ! Car depuis quelques temps, les accrochages se sont faits plus fréquents au sein de la direction Lavalas. Le choix d'une mili- tante dévouée au chef de l'État, Claudette Werleigh, comme nouveau Premier ministre (en remplacement de Smark Michel) n'a guère eu l'heur de plaire au groupe Lavalas. Ravivant bien des conflits. De quoi permettre à quelques-uns de sauter à leur conclusion : encore une manœuvre présidentielle pour mono- poliser le pouvoir et gouverner par procuration. Aussi la course à la présidence s'ébranle-t-elle très tard, dans l'atmosphère suspicieuse de groupes rivaux. Mano Charlemagne, chanteur populaire radical aux allures de cow-boy incontrô- lable, mais nouveau maire de Port-au-Prince, a critiqué récem- ment le palais. Vertement. Il prend les devants. Appuyé par une autre personnalité lavalassienne, Chavannes Jean-Baptiste, responsable de Papaye, la première organisation paysanne du pays. Tous deux optent pour des élections et pour... René Préval. Premier ministre d'Aristide en 1991, il était considéré comme son marassa, un frère jumeau. Et gardé en réserve, comme directeur du FAES (Fonds d'action économique et sociale), précisément dans la perspective d'un scénario où il bénéficierait de l'entière bénédiction et de tout le poids du pré- sident sortant. Cette fois, les choses prennent un autre cours. Veut-on prendre le président de vitesse, couper court à toute prolon- gation de son mandat ? Orienter autrement cette « fin de règne » ? Le mouvement Lavalas semble soudain se fracturer. Trois ans avec Titid ou cinq ans derrière Préval ? L'état-major de Bo tab la, manifestement, a opté pour la seconde hypothèse, forçant la main au président. Il s'en souviendra. Le 15 décembre, deux jours avant les élections, le président inaugure le pont de Jacmel. Il parle développement, infra- structure. Et rompt enfin le silence, au détour d'une phrase : « Dimanche, je voterai pour René Préval. » Première et der- nière allusion à la campagne. Il se garde d'appeler les Haïtiens à voter massivement pour lui. Compromis ? Manière d'en finir avec ce débat ? De garder pour plus tard une marge de manoeuvre ? Le jeune retraité sait déjà quel jardin il va culti- ver : les relations directes avec les groupes de base, les coopé- ratives, les associations, les ti legliz. Il plante pendant l'interim les premiers arbustes. Le 17, Préval est élu, avec plus de 80 % des votes. Mais moins de 20 % des électeurs se sont déplacés. Boudé par une bonne partie du peuple ! Amère victoire ? Comment imaginer, après un tel résultat, qu'Aristide puisse être facilement oublié ? Il reste incontournable. Évincer Titid, Washington s'y est employé depuis depuis cinq ans. Pour maintenir Haïti sous contrôle, lui imposer ses paradigmes économiques ou sa culture de l'impunité. Par tous les moyens, y compris les moins recommandables : travail sou- terrain de déstabilisation, collusion avec les putschistes, pro- tection de criminels, soutien à des organisations terroristes, couverture du trafic de drogue, chantage financier, duplicité diplomatique... L'intervention militaire elle-même, Soutenir la démocratie, menée par Clinton, chasse un régime honni, mais obéit au même objectif de fond : assurer la pérennité des intérêts géo-politiques US. « Qui, dans cet hémisphère, n'est pas occupé, d'une façon ou d'une autre, par les Américains », déclarait dans un col- loque un diplomate haïtien ? Prenons notre parti d'un mal nécessaire. Acceptons-le comme seule voie qui permette un jour de sortir du mal-développement, plutôt que de s'y enfer- rer. Soyons résolument à la mode ou à la page, acceptons le triomphe inéluctable du modèle néo-libéral. L'histoire d'Haïti contrarie la boutade. Depuis plus d'un siècle, l'interventionnisme US n'a engendré aucun développe- ment digne de ce nom. À l'inverse, il imposa une dépendance paralysante. Une implacable mise sous tutelle qui entrave les espoirs de libération et l'entrée dans la modernité, bref la construction toujours différée d'un État et d'une nation. Les événements récents ont pu donner l'illusion du contraire. Offrir même aux États-Unis l'occasion d'illustrer à moindre frais leur image de champions de la démocratie et du droit. Ce que certains républicains, par dérision, appellent la « politique étrangère américaine devenue un programme social exécuté selon les normes de Mère Térésa ».

48. Il s 'agit d 'une formule du professeur Michael Mandelbaum de John-Hopkins University, cité par Thomas Friedman dans le New York Times du 6 décembre 1995. Les Américains, pourquoi pas, auraient pu faire du « bon boulot », entend-t-on parfois. Les enjeux économiques et mili- taires, mesurés à l'aune d'une super-puissance, ne faisaient pas courir de tels risques à l'oncle Sam. Mais l'oncle Sam a choisi de rester lui-même, oncle Monroë ou oncle Gore, chez lui au Palais national de Port-au-Prince, où il commande quand il s'invite. Chantage ou ultimatum à la clef! Pas d'économie « démocratisée » (selon les standards étatsu- niens), pas d'argent ! Et quand il s'agit de justice ou de police, les mêmes habitudes d'ingérence perdurent. La CIA est déjà chez elle dans la nouvelle police haïtienne, comme l'affirme The Nation en février 1996 : « Le recrutement de ses agents a été effectué à Fort-Léonard, dans le Missouri, au cours des stages de perfectionnement d'éléments de la police haïtienne, dans le cadre d'un programme vivement recommandé par la Maison-Blanche. » Mais l'état calamiteux d'un pays ne peut se réduire à l'in- fluence délétère d'un puissant voisin, fût-il cautionné par la « communauté internationale » entière : l'ONU, les autres ins- titutions internationales, le Vatican, les grandes agences de presse, le FMI, la Banque mondiale... L'impérialisme ne doit pas être seulement regardé telle une « bête de l'apocalypse », comme s'en gaussait déjà Alain Lipietz. Il est un acteur essen- tiel, mais pas l'unique responsable du sous-développement. Celui-ci est un cocktail complexe. « La main de l'étranger » certes, mais combinée à celle des acteurs sociaux de l'intérieur. En Haïti, ils ne se firent guère prier pour participer au jeu. La bourgeoisie compradore et mulâtre, mais aussi la classe poli- tique noire et la hiérarchie militaire ont favorisé les diverses formes de mises à sac et de contrôle du pays. Dociles servi- teurs, hommes de main, aucune autre boussole ne les guide, sinon l'appât du gain immédiat et le pouvoir personnel. Se souciant, comme de l'an quarante, du développement de leur pays. Prêts à toutes les bassesses. La MRE, rappelez-vous, l'élite moralement répugnante. Il faudrait aller plus loin. Ce serait le sujet d'un autre livre. D'autres responsabilités sont à épingler. Y compris du côté du mouvement populaire haïtien qui commence, à partir des années 1980, à surgir comme un acteur incontournable de la vie sociale. Ses avancées, ses succès ont été indiscutables, jus- qu'à porter au pouvoir l'un des siens. Une rupture qui ne s'est pas totalement affranchie du poids de l'histoire. Celle d'Haïti est originale. Absolument. Hors norme. Marquée jusqu'au tréfonds par une culture singulière. L'économie esclavagiste de plantation fut imposée à la nais- sance de cette société par le colonialisme français. Vinrent ensuite, dans le sillage de l'Indépendance, l'ostracisme de tous, enfin, le racisme et l'arrogance made in US. Tout a donc concouru à forger une formidable culture de résistance à l'étranger, au monde des « Blancs ». Unanime ! Mais qui n'ex- clut pas, pour les élites, le mimétisme et la fascination-répul- sion. Et qui cultive chez beaucoup un ego national sur-dimen- sionné. Haïti, centre du monde ou pays des mythes ? D'où cette pratique du marronage. Devant un ennemi trop puissant, on choisit, pour préserver coûte que coûte sa liberté, la fuite ou l'errance, aux marges de la société organisée. D'où cette habitude de l'« esquive », qui encourage chacun à ruser, biaiser, finasser, donner l'illusion, ne pas afficher sa couleur. Ne jamais dire non. D'où enfin la persistance de relations sociales très hiérarchisées. L'allégeance, le rapport personnel ou familial, la dépendance, et la « cascade de mépris » qu'elle implique, priment sur tout autre chose. La fidélité, générale- ment, vaut plus que l'efficacité. « Haïti, c'est différent. » Évidemment, pareille assertion, par- tout entendue, justifie aussi le maintien des pires perversions politiques, le changement et son contraire, la recherche d'une voie originale et le statu quo. « Haïti, c'est différent. » Spécificité féconde ou alibi pratique ? Tremplin ou obstacle aux pratiques démocratiques qui ont commencé à voir le jour en Haïti ? Conçues comme « pouvoir du peuple par le peuple et pour le peuple », elles excluent mystères et complots. Elles exi- gent une discussion égalitaire, dans un minimum de clarté ou de transparence, bref une agora ouverte aux idées et aux hommes. L'adhésion à ce postulat que chacun est un citoyen libre et responsable, un homme qui en vaut un autre, dont le point de vue mérite d'être écouté. Ce pas de géant qu'ils ont fait franchir à la société haïtienne, ce fut la force du mouvement Lavalas et l'originalité du père Jean-Bertrand Aristide. Pour la première fois depuis 1804, les couches populaires haïtiennes déchirent les rideaux de la scène politique, imposent leur existence, leur présence, leur exigence de reconnaissance. Elles revendiquent une place, au cœur même des réseaux de pouvoir qui les excluaient. Là est la rupture parfaitement symbolisée par Titid. Issu de la paysannerie, au contact du peuple désemparé des villes, il a rompu avec la mentalité d'hier, avec cet état d'esprit de « peuple du dehors » et de « nation marron », en adoptant les principes révolutionnaires de la théologie de la libération. Le prêtre devenu militant et justicier réclame le démantèlement des inégalités, appelle à la prise ou au partage du pouvoir, au respect de chaque Haïtien. Mais ne perd rien de son « âme haï- tienne » de son langage — il promeut le créole -, de ses réfé- rences culturelles. Il tente une synthèse entre « haïtianité », démocratie et ouverture au monde. Une voie indigène d'en- trée dans la modernité. Le résultat, on le connaît : avec Titid, le peuple s'est senti pris en compte et reconnu. Lui-même le pouvoir, ou identifié à lui. Pour la première fois ! Cette rupture pourtant n'a pas été menée à son terme. Comme si ce puissant élan n'avait pas trouvé de relai pour aller plus loin. Comme s'il s'était affaibli ou meurtri en route. Oublieux d'une partie des idéaux du départ. Les stratégies de déstabilisation s'y ajoutèrent. Elles n'expliquent pas tout. Ne soldent pas tous les comptes. Le mouvement populaire souffre lui-même de ses propres carences et de l'extrême pesanteur de la société haïtienne. Au faîte de sa puissance, en 1991, il ne par- vient pas à transformer l'enthousiasme, le sentiment de révolte, en conscience politique plus exigeante encore, en autant de cellules de changement sur les terrains de la santé, de l'éduca- tion, de l'aménagement rural ou urbain.... La constellation Lavalas ne s'est pas muée en coordination, centralisée ou non. Jamais ne s'est organisé un parti politique — respectueux bien sûr de l'originalité haïtienne -, enraciné dans la société, donnant consistance et permanence aux aspirations du très grand nombre. Permettant à chacun de peser sur les décisions de son leader. Au-delà de la véritable relation d'amour que le peuple haï- tien entretient avec Titid, ce mouvement n'a jamais pu ou voulu se construire. Plus encore, mises à part de timides ten- tatives au début de l'année 1991, pas de bataille sur le fond, de campagne de masse, de « conscientisation culturelle » à la manière de Gandhi ou de Martin Luther King, qui sont pour- tant les inspirateurs de Titid. Pas de tentative vraiment orches- trée pour éroder cette vieille « Haïti mentale » que le président élu en 1990 a sans cesse dénoncée. Les maux fondamentaux sont là, qui polluent la société : l'opacité, le mépris, l'autorita- risme, le macoutisme, l'illétrisme... Ces travers, souvent dénoncés en 1995, s'insinuent même là où ils ont vocation à être combattus. Ils prennent, y compris au Palais national, des proportions inquiétantes. Des militants indiscutables se transforment en parlementaires à la gidouille prospère ou en bureaucrates hautains, renvoyant avec mépris les secrétaires ou les solliciteurs à leurs devoirs, paradant, oisifs, derrière leur bureau. Ils enfilent sans peine les habits de ministre auxquels ils rêvent. Et celui qui se pare des plumes d'un autre, à quel modèle va-t-il s'identifier ? Au seul qui existe ici depuis deux siècles : celui des régimes antérieurs. Partout surgissent les mêmes difficultés : improvisation, gas- pillage de ressources, difficulté à travailler en équipe, à débattre, à clarifier, à déléguer des pouvoirs, courtisanerie, clientélisme ou clanisme, naissance d'une « nomenklatura »... entravant tout nouveau saut qualitatif, toute possibilité de pousser jusqu'au bout cette manière de faire de la politique autrement, que symbolisait Titid. Et cette priorité définie dans les années 1980 : éducation, alphabétisation, formation, apprentissage, instruction, pédagogie, éducation encore et tou- jours. Une manière de laisser au hasard moins de place. Haïti est un pays à part, « à la nuque rai de », a-t-on déjà écrit. Comment comprendre autrement, au fil de son histoire récente, cette floraison d'événements atypiques : un petit curé, disciple de la théologie de la libération... qui accède à la pré- sidence, conséquence d'une puissante ébullition populaire... et qui, au cœur d'un sanglant coup d'État, est sauvé par un très « chic » ambassadeur de France... pour être plus tard ramené au pouvoir par l'aigle américain dont il était la proie ? Le tout sans jamais renoncer, sans perdre la confiance accor- dée depuis longtemps par un peuple de damnés. L'histoire d'Haïti n'échappe cependant pas à tout modèle. Les problèmes rencontrés, les drames vécus offrent des traits communs avec ce qu'a connu l'Amérique latine ou même l'Afrique. Déchiffrables donc ! Susceptibles d'être mis en pers- pective. Pour être mieux compris, plus aisément maîtrisés. Et, au-delà, pour rappeler les brèches possibles, les espoirs qui germent. Au fil de l'histoire, il y en a tant. En Haïti, le peuple a gardé cette intuition, cette capacité à tirer parti de l'événement, à tordre la stratégie, à créer des moments propices... À secouer ce carcan international qui, à chaque occasion depuis la chute des Duvalier, vole aux Haïtiens la révolution qui monte et les espoirs qu'elle charrie. La réalité ici dépasse la fiction. Même les meilleurs plans état- suniens s'y ébrèchent ou s'y fracassent parfois.