SOU AN en COUSERANS

Promenade dans le temps

MARC CASIMIR SIROS

Pour quelques lapsus d'impression voir errata en fin de volume, sa U LAN en COUSERANS

Promenade dans le temps

MARC CASIMIR SIROS

ERRATA

5 1"' alinéa, lire : ... sa limite Sud est constituée par l'Arac... 6 4" alinéa, lire : ... toutes les routes y aboutissent. 9 renvoi, lire : ... le professeur André Leroi Gourhan... et : ... personne n'en sait rien. 17 8" alinéa, lire : il y en eut tant... 19 4" alinéa, lire : de la dot de 2.000 livres... 49 renvoi (42), lire : sous-entendu... 59 41 alinéa, lire : ... de l'ancienne chapelle... 60 2" alinéa, lire : ... quand il y en avait 111 7" alinéa, lire : et non par ordre 115 1" alinéa, lire : ... est bien le signe que si la noblesse... 124 31 alinéa, lire : Cela ne les empêcha pas... 138 3" alinéa, lire : ... et fort attachés à leurs curés 167 6" alinéa, après l'article 2, lire un article 3 comme suit : « art. 3 : Les maires pourront examiner les ouvrages étalés en vente, pour s'assurer qu'aucun d'eux ne ren- ferme rien de contraire au gouvernement heureusement rétabli, ni aux bonnes mœurs ». 170 4" alinéa, lire : ... de notre bien aimé monarque... 181 3" alinéa, lire : plus des trois-quarts des conscrits étaient illettrés. 185 renvoi (21) lire : Archives départementales 5 M 2 199 l,.r alinéa, lire : tout. cela... 202 31 alinéa, lire : ... venaient s'ajouter des prestations 209 3'0 alinéa supprimer : Enfin 215 21 alinéa, deuxième phrase à lire ainsi : Par esprit routinier d'abord, hostiles qufils étaient, par principe à toute nou- veauté, par manque de moyens et, aussi par désintéres- sement des pouvoirs publics... 242 21 alinéa, deuxième phrase, à lire comme suit : Elle fit appel des jugements qui la condamnaient et obtint une ordonnance du 15 avril 1777 qui restreignait les droits de aux approvisionnements en bois ménagers nécessaires pour leurs outils aratoires... 244 1er alinéa, lire : ... en exécution du jugement... 246 dernier alinéa, lire : ... et si les entreprises des particuliers 248 dernier alinéa lire comme suit l'article 1er : « Tout individu qui sera trouvé masqué, le visage bar- bouillé, une arme quelconque à la main, une chemise par dessus ses vêtements ou revêtu d'un déguisement quel qu'il soit, sera immédiatement arrêté et mis à la disposition de M. le Procureur du Roi ». 257 4" alinéa, lire : en plus de cette « geste »... 264 41 proverbe, lire : chat miauleur 7" proverbe, lire : E qué nou sorte de soune couberte ni nou gagnou, ni nou perte , 267 5e proverbe, lire : éna mïnja et na gratta hou y a cap qu'a couménsa 268 3" proverbe, lire ainsi la traduction : celui qui change de père et mère ne peut pas dire : ceci n'est rien I Avant-Propos

Voici un travail dont l'excuse est le plaisir qu'il m'a procuré. C'est un voyage dans le temps, que je présente à mes compatriotes et amis de Soulan. Un peu aussi à ceux du Couserans. Car Soulan est dans le Couserans et son passé est intimement mêlé à celui du Pays dont Saint-Girons reste la tête et le cœur. C'est pourquoi j'ai parlé, aussi, du Couserans — de la Vicomté, du district, de l'arrondissement — des autorités, des groupes et des hommes qui se sont exprimés en son nom et, donc, au nom éga- lement de Soulan. Quand cela m'a paru nécessaire, j'ai fait référence à la trame de l'histoire nationale. Situés hors d'elle, les événements locaux, pour petits et accessoires qu'ils soient, souvent, deviendraient incompréhensibles ou, tout au moins, suspendus dans le vide. L'histoire de est une chose. Celle des petites collectivi- tés en est une autre, et elle reste, tout entière, à écrire. Ici, les petits événements l'emportent sur les grands. De l'épopée napoléo- nienne, nos parents retinrent surtout, la conscription ; les révo- lutions de 1830 et de 1848 eurent moins d'importance, à leurs yeux, que la reconstruction de leur église. En définitive, l'histoire d'une petite collectivité m'est apparue à mi-distance entre une histoire nationale et une histoire d'homme, qui va son chemin dans le temps où il vit, mais qui se compose son propre destin. J'ai conscience des approximations, des insuffisances, des erreurs sans doute, que ce récit comporte. J'espère que l'indulgence qu'on voudra bien lui accorder, sera à la mesure de l'humilité avec laquelle je le présente.

II Le Milieu Physique La commune de Soulan est une des 38 000 communes dont est faite la France. Située en bordure des Pyrénées (1) elle est partie, administrativement, du département de l'Ariège, de l'arrondisse- ment de St-Girons et du canton de . Elle a une superficie de 2 375 hectares. Sa limite Sud est constituée pour l'Arac depuis le pied de Parès jusqu'au Kercabanac, puis par le Salat à partir de Kerca- banac jusqu'au ruisseau de Rimoulè (2). A noter cependant que la commune pousse au-delà de l'Arac, et, donc, sur la rive gauche de cette rivière, une pointe qui englobe le vallon de Régudé. Elle est limitée au nord par les monts de Calamane, dont le sommet, le Tue dé Couzate, atteint 1 422 mètres. Le Tue dé Couzate est connu encore sous le nom de Tour dé Poulinetche, ce dernier nom lui ayant été donné, selon M. Piquemal, en souvenir de la tour qui y fut construite pour l'installation d'un appareil Chappe (3)... Faisant suite à Calamane, les monts de Montcaup, qui tombent en pente abrupte sur l'Arac, bordent la commune au Nord-Est et à l'Est. Cependant que les monts de la Rouère, qui constituent eux- mêmes un éperon de Calamane et qui descendent, aussi, en pente douce sur le Salat, en sont la limite Ouest et Nord-Ouest. Soulan est limitrophe de nombreuses communes : Rivèrenert au nord, à l'est, , Ercé, Oust et Soueix au sud, Erp à l'ouest. L'aspect général de la commune est celui d'un plateau accidenté, adossé au nord à des montagnes de hauteur moyenne et largement

(1) On s'est interrogé sur l'origine de ce nom de Pyrénées. Toutes les expli- cations relèvent de la légende. Selon l'une d'entre elles, les bergers de Jupiter, en gardant les troupeaux, auraient mis le feu à la montagne qui aurait été ainsi embrasée dans un immense incendie. On lui aurait donné le nom de Pyrénées en souvenir, dit Destel, de Pyrène, déesse de légende, qui aurait péri dans un incendie. Mais, plus probablement, les Pyrénées doivent leur nom à Pyrénée, fille de Bebryx, roi d'Ibérie. Séduite par Héraclès elle mit au monde un serpent et s'enfuit, pour échapper à la colère de son père, dans les montagnes qui séparent l'Espagne de la France où elle fut dévorée par les bêtes fauves. Ce serait du souvenir de cette malheureuse et mythique princesse, que nos montagnes tireraient leur nom. (2) « Riou Moulé » ruisseau meunier, c'est-à-dire sur lequel était installé autrefois un moulin qui servait aux habitants d'Araux. (3) Chappe, ingénieur et physicien français né en 1763, mort en 1805, créateur de la télégraphie optique, titre qui lui fut, d'ailleurs, contesté de son vivant. ouvert au sud. Elle constitue dans sa partie essentielle, une sorte de seuil, de marche, entre les gorges profondes de l'Arac et les monts de Calamane, de sorte que nous nous sommes un moment demandés si Soulan ne venait pas de Soula : « étz soula », l'entrée, le devant de la porte, qui est toujours plat. Soulan est, en effet, comme une sorte de seuil, d'escalier, creusé à flanc de montagne. Plus vraisemblablement Soulan, qui s'écrivait aussi, autrefois, Solan ou Sollan, vient de soleil. Le territoire de la commune est, en effet, une sorte de balcon exposé plein sud, devant lequel aucune barrière ne se dresse, hormis, à l'horizon, la grande chaîne des Pyrénées et qui, à cause de cette situation, bénéficie d'un ensoleile- ment exceptionnel. La commune est constituée par un ensemble de villages qui ne sont plus aujourd'hui que des hameaux et qui ont nom, par ordre alphabétique : Ardichen, Boussan, Buleix, Galas, Grillou, Parès, Saint-Pierre, Ségalas et Villeneuve... Bien que n'ayant pas été toujours le plus peuplé, le village de Saint-Pierre est resté, en quelque sorte, le chef-lieu de la commune C'est là, qu'autrefois, se dressait le château seigneurial, c'est là qu'aujourd'hui se trouvent, notamment, la mairie, la poste, l'église, le cimetière, les collecteurs de lait et les commerçants qui ravitail- lent la population en produits de première nécessité. Ce rôle lui était, en quelque sorte, dévolu par sa situation. Saint-Pierre est, en effet, situé au centre du territoire communal, à peu près à égale distance des autres villages disposés sur sa couronne. Toutes les routes y aboutisent ou en partent, que ce soient celles qui relient les villages entre eux ou celles qui relient la commune à l'extérieur. L'altitude à laquelle est située la commune oscille entre 480 m au pont du Pontaut, c'est-à-dire à son point le plus bas et 1 422 m au sommet de Montcaup. Saint-Pierre est à 607 m d'altitude. La commune est arrosée par de nombreux cours d'eaux dont les principaux sont le Salat (4), qui vient de Salau, et l'Arac au nom si frais, dans lequel, déjà, chantent ses eaux, et qui, lui, vient des montagnes de Massat. Mais, plus que par ces deux rivières qui coulent en contre-bas, la commune est arrosée par un ensemble de petits ruisseaux dont le débit varie avec les saisons, et qui, tous,

(4) On connaît, à son sujet, l'invocation, qui, à défaut d'autre chose, est un bon exemple d'allitération : « Salut Salat salé qui descend de Salau Dessale les nigauds et sale les salauds Puis ressaie Salies qui sale nos salières ». Dans ses « Contes et Légendes de la Vieille Ai-iège » G. Bonrepaux nous dit que Salat naquît de neuf larmes que versa, là où prend sa source la rivière, Carmela de Baxano, princesse espagnole qui, malade d'amour, avait quitté l'Espagne pour se réfugier dans nos montagnes. « Elle apparaît encore, écrit G. Bonrepaux. vers l'heure de minuit avec un rameau d'er-lel\\,els ; elle en touche les amants délaissés et, de leur cœur, est alors bannie toute tristesse. Et elle dit à ceux qui pleurent : « Sur cette terre, pour oublier, il faut rêver et prier ; mais la prière va plus haut que le rêve ». en suivant des cours capricieux, à travers champs et prairies et dans une rumeur agreste, descendent des sommets, pour aller se jeter dans l'Arac ou le Salat. Ce sont, en allant de l'Est vers l'Ouest : le ruisseau de Bézesèque ou de las Malaize qui trace, préci- sément la limite est de la commune, le ruisseau d'Espans, le ruis- seau de Boussan qui devient celui de Buleix dans son cours infé- rieur, le ruisseau de Las Mouliques ou de Grillou, le ruisseau de la Caire, le Riou Moulè qui marque la limite ouest de la commune. Il faut mentionner, enfin, le petit ruisseau de Régudé sur la rive gauche de l'Arac. Soulan appartient à la partie centrale des Pyrénées qui \'a jusqu'au col de Port, soumise aux influences atlantiques. C'est dire que le climat y est généralement humide, comme en témoigne le vert profond des bois et des prés qui s'établit en avril-mai, pour ne céder qu'aux froids de novembre. Les vents, qui sont rares, et les pluies, qui le sont moins, nous viennent toujours de Surroco et du Col d'Ayens, c'est-à-dire de l'ouest et du nord-ouest. Il tombe en moyenne, à Soulan, 900 mm de pluie par an (800 à Saint-Girons, 900 à , 1 650 à Aulus). C'est au printemps que tombent habituellement les précipitations les plus abondantes, cepen- dant que l'automne est, en général, la saison la plus ensoleillée et, à tous égards, la plus belle de l'année. Les sautes de température y sont fréquentes. Un simple orage est porteur de refroidissement. Que vienne à souffler le vent d'Autan qui vient d'Espagne, et le ther- momètre accuse, d'un jour sur l'autre, des variations de tempéra- ture de 10 à 15 degrés et au-delà. Il neigeait encore beaucoup à Soulan au début du siècle. Nous gardons le souvenir de nos parents, armés de pelles, occupés à déblayer le devant des portes et à tracer, dans la neige, des tran- chées qui permettaient d'accéder aux granges, aux jardins et aux chemins publics, sur lesquels la circulation était difficile. Il n'était pas rare de voir tomber en hiver 80 cm de neige et plus. L'ennei- gement, aujourd'hui, sauf année exceptionnelle, est devenu plus taible. La couche ne dépasse guère 30 cm et subsiste rarement au- delà de 4 ou 5 jours. Le climat de Soulan est un des plus salubres qui soient. L'alti- tude moyenne à laquelle se situe la commune, son air vif qu'aucune pollution ne menace, la durée exceptionnelle d'insolation dont elle bénéficie, la douce et sereine quiétude de ses jours et de ses nuits, composent un cadre d'équilibre biologique qui en fera, peut-être, un jour, un site privilégié d'accueil et de refuge pour nos malheu- reux frères des villes.

III Les Commencements Quand les hommes sont-ils apparus pour la première fois à Soulan ? Nous ne le savons pas. Ce que nous savons c'est que, dès le paléolithique supérieur, à l'âge récent de la pierre taillée, il y a 40 ou 50 000 ans, quelques îlots d'hommes, chasseurs et pêcheurs, étaient installés dans cer- taines parties de l'Ariège actuelle. Leur implantation se situait auprès de grottes et de cavernes, dont certaines, en ces temps de très grand froid, ont dû, sans doute, leur servir d'habitat et de refuge. Mais les grottes avaient aussi une fonction religieuse (1). On peut, aujourd'hui admirer dans nombre d'entre elles (notamment à , à Bédeilhac, au Tue d'Audoubert, aux Trois Frères) les expressions d'un art animalier inimitable qui place des gravures et des peintures vieilles de 10 à 15 000 ans, parmi les manifestations les plus hautes de l'art de tous les temps. Et, grâce auxquelles nous connaissons mieux les animaux qui, en ces temps reculés, peuplaient nos régions. Parlant des 600 gravures qui peuplent la grotte des Trois Frères, découverte le 20 juillet 1914 par ses trois fils, le Comte Bégouen écrit « toute la faune de l'époque y est représentée : mammouth, rhinocéros, le lion, l'ours, le loup, le bison, le bœuf sauvage, le cheval, le renne, le cerf, le bouquetin, l'isard, le hibou des neiges et, enfin, l'homme ». L'homme du Maz d'Azil, comble, dans la période mésolithique, le hiatus entre les temps paléolithiques et le temps néolithique. Puis, de chasseur et de pêcheur qu'il était à l'origine, l'homme, peu à peu, se fait agriculteur et pasteur. Ce fut là une immense révolution qui dut intervenir vers le 7e ou le 8c millénaire. Avec le

(1) Parlant de Niaux, le professeur André Leroi Gourban professeur au Collège de France, s'exprimait ainsi récemment : « trois hommes étaient venus à l'époque et, probablement, une fois seulement. Plus précisément deux hom- mes et un enfant. Ils avaient peint, puis ils étaient repartis. Sans doute à jamais. Ce que nous savons maintenant avec certitude, c'est qu'en gros, les peintures ont, pour la plupart, été faites de cette manière. Quelques hommes et très souvent, des enfants, s'entoncent dans la terre et peignent. Puis, ils ne reviennent pas. Bien entendu, il s'agit de phénomènes religieux. Aucune autre explication n'est possible. Mais quelle religiono) Quels dieux"? Personne n'en s'est rien ». (Propos rapportés par Pierre Desgraupes dans « Le Point » du 1.4.74). réchauffement climatique (2) qui intervient alors, l'homme sort des cavernes, dresse des huttes, invente la poterie, bientôt il va cultiver les premières plantes et élever les premiers animaux. Nous entrons dans les temps néolithiques. L'âge des métaux qui lui succédera, n'est plus très éloigné. L'homme du néolithique était-il déjà installé à Soulan ? C'est possible. A défaut de certitude, nous pouvons rêver devant ces étranges et énormes blocs de pierre qui parsèment, insolites et solitaires, la colline de Saint-Martin au-dessus de Buleix. Qui sont- ils et d'où viennent-ils ? Sont-ce les derniers vestiges de mégalithes roulés et dispersés par le temps et par les hommes ? Ils n'en ont guère l'apparence. Plus prosaïquement, nous pensons qu'il s'agit de blocs erratiques, abandonnés là par les époques glacières. Et nous rêvons encore face à l'énorme tumulus qui constitue la butte de Mounjélous, dont M. Louis de Bardies écrivait qu'elle semblait due davantage à une entreprise humaine qu'à une cause naturelle. A ce fond de population des premiers âges, d'origine incertaine et dont nous ne savons pratiquement rien, sinon par extrapolation à partir des œuvres graphiques et picturales qu'ils nous ont lais- sées, allaient venir s'en ajouter d'autres : Ligures de petite taille venus d'Italie, Ibères bruns à cheveux noirs venus d'Andalousie, Celtes grands et à peau blanche venus du nord. C'est de ce malaxage que sont faits les hommes de chez nous. Des derniers arrivants, ce furent les Ibères, plus nombreux, qui imprimèrent le plus profondément leur marque dans le Couse- rans en général, et Soulan en particulier. Les auteurs s'accordent à estimer que les Ibères arrivés les premiers, furent ensuite soumis ou refoulés par les Celtes. Ces Ibères parlaient-ils le basque, comme certains l'ont prétendu, avant la pénétration de l'idiome celtique ? « La langue euskarienne écrit l'abbé Cau-Durban, conserva sa domination dans le Couserans ainsi que l'attestent les noms de villages d'Alos, , , , , , Biros, , Soueix, qui ont bien gardé l'allure euskarienne ou basque ». C'est, aussi, l'opinion de Morère et Pélissier, pour qui les noms de lieux se terminant par ac, an ou at tels que Taurignan, Aurignac, Bédeilhac, , Massat, Boussan, Dougnac, Kercabanac, tradui- raient, au contraire, une appartenance celtique.

(2) Parlant de ce réchauffement climatique qu'il situe vers 9 000 ou 8 000 ans avant Jésus-Christ, Pierre Alinvielle écrit : « La terre soudain se réchauffa... En France, par exemple, la température moyenne qui se situait autour de -15, -20 degrés, grimpa en peu de siècles jusqu'à + 10, + 15°... Les milliards de tonnes d'eau libères par la fonte des glaces, font monter de 10 mètres le niveau des mers... Les myriades de rennes qui s'étaient accoutumés à vivre près du front des glaces, se mettent en marche pour suivre leur régression... La nourriture ? Le renne a disparu... une seule ressource, la cueillette de l'escargot... ; cuit sous la cendre, l'escargot devient aliment dominant... Quoi qu'il en soit, des hommes étaient installés à Soulan quand nous arrivons à l'époque historique et que s'entend, déjà le pas des légions romaines. Les Romains étaient apparus en Gaule bien avant la conquête de César. En 150 avant Jésus-Christ, ils avaient débarqué sur la côte où est aujourd'hui Marseille, et leur implantation progres- sive avait abouti à la constitution de la province de la Narbonnaise, qui englobait une bonne partie du Sud-Est de la Gaule, Toulouse et l'Ariège actuelle comprises. « Les Romains, écrit M. L. de Bardies (3), créèrent sur une colline dominant le moyen Salat, la Civitas Consoranorum de même que la Lugdunum Convenarum voisine ». Avec la cité des Conso- ranni, le Couserans était né. Et c'est ainsi que Soulan, pendant plus de 400 ans, fut partie de la province romaine. Si les traces de cette romanisation ne sont pas considérables, il en existe néanmoins un peu partout dans le Couserans. Paul Maureille, dans son « Etude de Géographie Humaine de la vallée de Massat », écrit, parlant de Soulan, que Saint-Pierre-Dougnac possède des souvenirs gallo- romains intéressants. Nous les avons vainement cherchés, sauf à admettre, comme on l'a prétendu, que le chemin aujourd'hui pres- que abandonné, qui reliait autrefois Buleix à Dougnac, en escala- dant la colline de Saint-Martin, était une ancienne voie romaine. Ce n'est pas impossible, mais seules les fouilles pourraient mon- trer si le soubassement de pierres si caractéristique de ces voies et que certains prétendent avoir décelé, existe réellement.

S'il est impossible de fixer avec quelque précision la date d'arri- vée des premiers hommes à Soulan, il l'est, tout autant, de situer l'époque d'installation des différents villages et de déceler l'origine de leur appellation. La toponymie, c'est-à-dire, l'étude linguistique des noms de lieux, peut nous aider à formuler des hypothèses, elle ne peut pas nous donner des certitudes. C'est en se fondant sur elle que, comme nous l'avons vu, l'abbé Cau-Durban, a cru recon- naître une ascendance ibérique et, sans doute, basque, aux noms de lieux se terminant par « ein ». L'hypothèse a paru également vraisemblable à M. Maurice Chevalier qui écrit (4) : « Le bassin du Lez présente tout un groupe de villages en « ein », noms peut-être ibériques et presque certainement pré-romains ». Tel peut être aussi le cas d'Ardichen (ou Ardichein) dont la terminaison est identique. L'origine de ce village remonterait alors à plus de 2 000 ans. D'au- tres de nos villages, sont à peine moins anciens. M. M. Chevalier qui a établi une carte portant localisation des domaines agricoles à l'époque gallo-romaine, à partir des suffixes caractérisant ces fundi, y fait figurer Boussan et Dougnac, lesquels étaient donc venus

(3) Arch. Ariège B.S.A. 1922-1925. (4) M. Chevalier. Vie humaine dans les Pyrénées Ariégeoises, p. 118. à l'existence à l'époque gallo-romaine, c'est-à-dire entre le 2e et le Se siècle. Buleix figure sur la même carte, parmi les noms hypothéti- ques de fundi. Il est difficile de dater l'implantation de Ségalas. Les Ségalas sont nombreux dans la partie Sud de la France et le nom, comme chacun sait, vient de seigle. C'est le pays où l'on cultive — ou, du moins, où on cultivait — le seigle. Le nom de Saint-Pierre remonte probablement au Moyen-Age ; c'est l'époque, en effet, où dans la dénomination des localités, prolifèrent les saints. Mais ce nom a-t-il succédé à un autre que nous ignorons ? Ce n'est pas impossible. Ce qui paraît probable, c'est que la fondation de Dougnac est anté- rieure à celle de Saint-Pierre. Le doute subsiste en ce qui concerne Villeneuve. Ou bien l'apparition de ce village remonte au xnr siècle, époque où sont apparus en France la plupart des villes et des villa- ges de ce nom, ou bien, comme certains le prétendent, ce nom lui a été donné après un incendie qui, à une époque indéterminée, a consummé le village primitif. Parés apparut à une époque relati- vement récente, sans doute à la fin de l'ancien régime, quand des colons sans terre, originaires de Massat, allèrent s'installer, d'abord comme métayers, sur les terres que leur louèrent des propriétaires de Buleix. IV Le Moyen Age Le Moyen Age ce sont les mille ans qui se sont écoulés entre les années 500 et 1500, c'est-à-dire entre le VIe et la fin du xvL' siècle. Dans ces 1 000 années, l'historien découpe généralement des tranches correspondant à des temps de mutation, de promotion ou de régression. C'est ainsi qu'il range dans le haut Moyen Age les 500 ans qui s'écoulèrent entre l'année 500 et l'année 1000, temps de convulsions, de troubles et de misère ; dans le Moyen Age flo- rissant, les 300 ans qui séparent l'année 1000 de l'année 1300 : c'est le temps des Croisades, de Saint Louis et des cathédrales et, dans un Moyen Age de régression et de crise, les 200 ans qui vont de l'année 1300 à l'année 1500 : c'est le temps de la peste noire et de la guerre de cent ans. Ceci n'a guère de sens rapporté à notre commune où, pen- dant ces 1 000 années du Moyen Age, et même bien au-delà, le mode et les conditions de vie restèrent pratiquement les mêmes. L'an 500 voit les envahisseurs germains déferler sur ce qui restait de l'empire romain. Ce qui est la France actuelle est submergée. A la suite de ces invasions, trois royaumes s'établissent dans la partie occidentale de l'Europe : le royaume des Francs (de Clovis) comprenant le nord de la France et l'Allemagne ; le royaume des Burgondes comprenant la Bourgogne ; le royaume des Wisigoths englobant la moitié sud de la France et l'Espagne. Soulan entra en 419 dans le royaume des Wisigoths ; puis, Clovis ayant poussé, à leurs dépens, sa marche vers le sud, notre commune se trouva, vers 510, à la mort du chef franc, incluse dans le royaume de Clovis. C'est alors que notre pays prend son nom : la France, le pays des Francs. Pendant que les fils de Clovis (les Mérovingiens) se querellaient pour la succession, les invasions continuaient à déferler en Europe. La plus importante, en ce qui nous concerne venue du sud, fut celle des Arabes. En 719, 9 ans après être entrés en Espagne, ils passèrent la frontière du côté du Roussillon et envahirent la France. Ils poussèrent d'abord vers la Provence, puis vers l'Aquitaine ; en mai 721, devant Toulouse, Eudes, duc d'Aquitaine, les attaqua et les tailla en pièces. Selon la relation qu'avec complaisance il fit au pape de cette bataille, il « leur tua, dit-il, en un seul jour 375 000 hommes, sans perdre de son côté que quinze cent Français qui demeurèrent sur la place » (1). Les Arabes devaient, quelques années plus tard, être définitivement défaits par Charles Martel à Poitiers (732). Ils refluèrent alors en Espagne, où l'occupation maure devait se prolon- ger pendant près de 1 000 ans. Cette invasion maure (c'est-à-dire des habitants de la Maurita- nie), devait laisser dans les Pyrénées et, à Soulan même, des traces profondes. Tous les maures, en effet, ne repassèrent pas la frontière. Beaucoup s'installèrent dans les vallées, abandonnèrent assez vite leur religion, épousèrent des femmes du cru, bref, se fondirent dans nos populations montagnardes. Des noms d'aujourd'hui : Maurel, Maury, Maurette, trouvent leur origine dans ce peuplement. D'une manière générale, d'ailleurs, cet apport fut bénéfique. Si les Arabes étaient des envahisseurs et, à ce titre, des déprédateurs, ils étaient, aussi, porteurs d'une civilisation brillante. Mais ce qui, pour les habitants de chez nous, comptait encore davantage, c'est qu'ils savaient mettre en œuvre des techniques qui étaient locale- ment ignorées. Ils savaient fabriquer des outils perfectionnés, ils excellaient dans le travail du fer, de la laine et des cuirs (cordon- nier vient de cordouanier, c'est-à-dire originaire de Cordoue où les Arabes avaient installé une industrie du cuir réputée). C'étaient de bons agriculteurs, pratiquant une irrigation savante, qui acclima- tèrent des plantes comme le blé noir dont les noms, aussi bien français, « le sarrasin », que patois « le mouriscou », révèlent assez l'origine. Ils connaissaient le papier, le sucre, la boussole, savaient fabriquer des horloges, toutes choses absentes de chez nous. Mille ans plus tard, de nouveaux apports maures, cette fois fortement métissés, devaient venir s'ajouter aux premiers. Ils étaient partie du demi million d'Arabes qui s'étaient implantés dans la péninsule ibérique après la conquête, et que l'Espagne, retrou- vant son identité et ses forces, venait de condamner à l'expulsion et à la confiscation des biens. Nul doute que ces apports maures n'aient accentué les caracté- ristiques physiques du type d'homme que l'on trouve communément chez nous et que la colonisation ibère avait déjà largement façonné. Après le raid arabe, Soulan, vers l'an 800, se trouva compris dans le grand empire de Charlemagne qui s'étendait à la totalité de l'Europe occidentale, puis, après le partage de Verdun, en 843, dans le royaume de Charles. A en croire les archives de , Charlemagne rentrant d'Espa- gne, serait passé par cette ville et par la vallée du Salat, à la limite de notre commune. « Le roi Charlemagne, venant des Espaignes avec sa mère Berthe, fille du roi de Hongrie, ayant pris un passage par ledit pays, recognut fort bien la facilité que le roi d'Espaigne avait pour passer en France de ce côté là, fit incontinent bastir un chasteau et for-

(1) L'histoire générale de la Gascogne. Dom Vaissette. teresse dans la juridiction dudit lieu de Seix et y mit forte et consi- dérable garnison, qu'il entretint sa vie durant à ses despens, et entretenue encore par nos défunts roys, ses successeurs ; lequel Sei- gneur Roy Charlemagne accorda aux habitants dudit lieu, en cette con- sidération, de grands et beaux privilèges sur les forêts et montagnes, à la faveur desquelles forêts, les habitants se sont toujours gardés contre les incursions des ennemys espaignols, en coupant des arbres et les mettant aux passages et, de cette façon, ont empêché que les ennemis espaignols ne sont jamais, depuis 400 ans, entrés en France. Ce qu'ayant été connu par nos anciens Roys ont relaché le château basti audit lieu, et, pour la non habitation, cette maison a péri et, présentement, il n'y a que de vieilles masures » (2). Le milieu du IXC siècle voit la reprise des invasions, et fait écla- ter l'incapacité du pouvoir royal d'y faire face. Le désordre et l'anarchie s'installent partout. La justice n'est plus rendue. Villes et villages sont livrés au brigandage, au pillage et au meurtre. Le domaine royal est alors réduit à presque rien. En dehors de lui, le roi a des vassaux dont il reste le suzerain nominal, et qui, bien souvent, sont plus puissants que lui. Et ces vassaux deviennent, à leur tour, les suzerains de nouveaux vassaux. Dans le même temps, dans les villes et dans les campagnes, pour assurer la sauvegarde de leurs vies et de leurs biens, les particuliers recherchent la protection d'hommes forts, quittes à payer le prix de cette protection. Et c'est ainsi que naissent la Seigneurie et le régime féodal (3). Il faut bien voir qu'à l'origine, ce régime n'a pas été imposé. Il s'est établi, à partir des nécessités du temps, pour assurer les conditions de base de la survie, qui sont l'ordre et la justice. Il répondait, certes, à un désir de domination des puissants, mais, plus encore, à un vœu et, quelquefois, à une supplication des faibles et des sans défense. Les excès auxquels il devait en venir par la suite, ne doivent pas faire oublier cette origine. Les deux institutions caractéristiques de l'époque féodale sont : — d'une part, la concession de fiefs, c'est-à-dire de terres nobles concédées par le suzerain à son vassal, à charge de foi, d'hommage et de certains services ; — d'autre part, l'exercice, par ce vassal, de prérogatives de sou- veraineté sur ses terres, ou seigneuries. C'est de cette organisation, que va découler l'apparition d'une société composée de trois groupes d'hommes :

(2) Relaté par G. Bonrepaux. Légendes et Contes de la Vieille Ariège. (3) Le Duc de Castries, désigne Charlemagne comme le précurseur de la féodalité. « Maître d'un trop vaste domaine, écrit-il, il considéra comme la meilleure méthode, de placer partout des administrateurs à vie, s'enga- geant à lui par serment vassalique et de qui le fief concédé devait faire retour à la couronne s'ils mouraient ». Histoire de France des origines à 1970. Ceux qui combattent : les Seigneurs ; Ceux qui prient : les clercs, c'est-à-dire l'ensemble des gens d'église ; Ceux qui travaillent : les paysans. A l'image de ce qui se passa en France, et même dans toute l'Europe, il va donc s'établir à Soulan, une Seigneurie mineure certes, mais qui aura toutes les caractéristiques de la seigneurie habituelle. La seigneurie de Soulan s'établit autour du château qui s'élevait au lieu dit « Era Tour », à mi-chemin entre Saint-Pierre et la chapelle, dont le nom rappelle que s'élevait là, autrefois, une tour qui n'était autre que celle du château. Là vivait le seigneur de Solan (ou de Sollan), dont le domaine s'étendait à l'ensemble des communes actuelles de Soulan et d'Aleu. Le domaine seigneurial de Soulan comprenait trois parties : le domaine réservé, le domaine concédé et le domaine commun. Le domaine réservé était le domaine propre du Seigneur, celui dont il recueillait directement les fruits. Il était constitué par les terres qui entouraient immédiatement le château de La Tour, que le Seigneur faisait cultiver par les paysans. Le domaine concédé était constitué par la multitude de lots sur lesquels étaient établis nos ancêtres. Ces lots appelés « » dans la France médiévale, se dénommaient « casais » (4) au centre de la chaîne pyrénéenne. Le « casai », écrit Higounet, comprenait « l'ensemble des propriétés grevées de redevances ». De là vient notre « cazaou » actuel qui ne désigne plus que le jardin. Ces lots, comme d'ailleurs, l'ensemble des terres englobées dans la Seigneurie, étaient censées appartenir au Seigneur. L'adage était, en effet, « nulle terre sans Seigneur » et « Point de Seigneur sans terre ». En fait, ce droit de propriété que revendiquait le Seigneur, était très différent de celui que nous connaissons aujourd'hui, qui attribue au propriétaire un droit exclusif sur la chose possédée. Il consistait, alors, dans la jouissance d'une partie des produits de la terre et dans la perception de certains profits fixés par la coutume. Ces terres dont nous parlons, étaient de deux sortes : il y avait les terres serviles et les terres libres. Les premières étaient tenues (on les appelait, aussi, les « tenures ») par des serfs, les secondes par des hommes libres. Les serfs n'étaient pas des esclaves. Ils avaient un patrimoine et pouvaient, dès lors qu'ils s'étaient acquittés des redevances dues, jouir librement du fruit de leur travail. Mais ils étaient soumis à des contraintes particulièrement lourdes au Moyen Age qui, ensuite, allèrent en s'allègeant.

(4) Le Comté de Comminges, de ses origines à son annexion à la Cou- ronne par Ch. Higounet. C'est ainsi qu'ils étaient de mainmorte. Cela voulait dire qu'ils ne pouvaient disposer de leurs biens qu'en faveur de leurs enfants et, encore, à condition que ceux-ci vivent sous le même toit. Ils étaient de poursuite, c'est-à-dire que l'autorité du Seigneur les suivait en quelque endroit qu'ils se trouvent. Ils étaient de formariage, c'est-à-dire que, quand ils épousaient une femmc de condition libre, la femme devenait de condition serve. Enfin, ils étaient taillables et corvéables à merci. C'était là la condition habituelle des serfs et, peut-être, fut-elle également celle d'une partie de nos ancêtres de Soulan aux tous pre- miers temps du Moyen Age. Mais nous verrons que la situation changea et que, rapidement, les habitants de nos hautes vallées sortirent de cet état de totale dépendance, et obtinrent, de leurs seigneurs, de très larges franchises. Les tenanciers libres que l'on appelait les roturiers ou les vilains (c'est-à-dire les habitants de la villa, nom latin de la Seigneurie) n'étaient pas soumis aux contraintes dont nous venons de parler ; ils pouvaient vendre leurs terres, les quitter et échappaient, de ce fait même, à l'autorité du Seigneur. En somme, ils n'étaient dépen- dants de ce dernier, qu'à travers la terre sur laquelle ils vivaient. Le troisième domaine de la Seigneurie était constitué par les terres dites communes. Elles étaient constituées essentiellement par les bois et les pâturages de Montcaup, de Calamane et de tous les sommets qui bordent la commune, sur lesquels le Seigneur affirmait sa propriété éminente, mais sur lesquels, aussi, il reconnaissait aux habitants un droit d'usage et de parcours. En plus des trois domaines dont nous venons de parler, il y avait aussi à Soulan des alleux, c'est-à-dire des terres dont les pro- priétaires n'étaient soumis ni à dépendance, ni à redevance envers le Seigneur. Bien que les alleux fussent l'exception, on peut penser qu'une partie des terres de la commune actuelle du Castet d'Aleu se trouvait dans cette situation. Qui était le Seigneur de Soulan ? Il y eut tant, au gré des alliances, des apanages, des partages, des ventes, des procès, qu'il n'est pas toujours bien aisé de s'y retrouver. De 850 jusqu'au début du XIIe siècle, ce furent les Comtes de Comminges de qui relevait le Couserans. A partir de 1180, ce fut Roger, le premier Vicomte du Couserans. Vers cette date, en effet, « la Vicomté de Couserans fut créé par Bernard III dit Dodon, onzième Comte de Comminges, époux de Laurence, fille du Comte de Toulouse, pour en apanager, sans lien d'hommage, son second fils Roger qui épousa, vers 1185, une fille du Comte de Foix, Roger Bernard » (5). Cette vicomté comprenait alors la ville de Saint-Girons et les vallées du Salat et de l'Arac, c'est-à-dire pratiquement les portions

(5) L. de Bardies B.S.A. 1922-1925. du pays que recouvrent aujourd'hui les cantons d'Oust et de Massat. Soulan en faisait donc partie. Les premiers vicomtes établirent leur cour à (qui tire son nom de cet établissement), goulot d'étranglement dans la vallée, facile à défendre, et bâtirent deux châteaux, l'un au xn' siècle, à Uchenaut (Eï chusse naout), l'autre deux siècles plus tard, à En courtiech (6). Le fils de Roger, Arnaud, prit le titre d'Arnaud de Solan ou encore Arnaud d'Espagne. Pourquoi d'Espagne ? Ecoutons ce que nous en dit Castillon (d'Aspect) qui rapporte à ce sujet (7), l'opinion de Fravyn (Histoire de Navarre). « Le Sire de Joinville fait honorable mention d'un Arnaud, Vicomte de ce lieu, qui avait suivi son Roy St Louys Oultrem, lequel Vicomte, disaient ses prédécesseurs, avoir porté le surnom d'Espagne et pour les grands services que lesdits Viscomtes du Couzerans avaient fait à notre empereur Charlemagne luy estant en Espagne contre les infidèles, il leur avait donné puissance de porter l'escu d'or à l'orle de Gueulles, armes que ledit Arnauld de Commin- ges portait. Et que, soubs le même Charlemagne, lesdits Viscomtes de Couzerans chassèrent les sarrazins de Comminges et réunirent ce pays à une obéissance ce qui fut occasion de prendre le surnom d'Espagne ». Il semble que Soulan soit resté jusqu'au début du xve siècle dans la mouvance des Viscomtes de Couzerans, de la maison de Comminges. En 1425, à la mort de Raymond-Roger III, Vicomte de Couserans, son fils aîné Jean Roger, hérita de la Vicomté. Sa fille, Marthe Roger, épousa Odet de Lomagne. Les Lomagne succédaient ainsi aux Comminges à la tête de la Vicomté de Couserans. Jacques de Lomagne, fils d'Odet, se trouva engagé dans plusieurs procès qui furent à l'origine de l'éclatement de la Vicomté. En 1491, son cousin, Roger de Foix, acheta à une vente aux enchères, pour 3 500 livres, les seigneuries de Lacourt, et Oust. Les seigneuries de Massat, Ercé et , furent adjugées à un grand-oncle maternel, Arnaud-Roger de Comminges ; Riverenert et allèrent à un autre Comminges, cependant que Soulan et Alos furent dévolus à Raymond Roger de Comminges, un autre de ses grands-oncles maternel. C'est le Comte de Foix qui porta, dès lors, le titre de Vicomte de Couserans, le Parlement de Toulouse l'ayant réservé au titulaire de la Seigneurie de Lacourt, ancien chef-lieu de la Vicomté. Outre Jean-Roger son fils aîné, Raymond-Roger III eut trois autres fils : Raymond Roger, seigneur de Soulan, de Lescure et d'Alos dont nous venons de parler, Arnaud, un autre Jean-Roger, et une fille Eléonore qui épousa Jean de Foix-Rabat. En 1429, Raymond Roger épousa sa cousine Jeanne d'Espagne, dame de

(6) Selon Samiac et Pasquier. Coutumes de Saint-Girons du xur au xvne siècle. (7) Histoire des populations pyrénéennes et des pays de Comminges jusqu'en 1289. Lescure, puis, le 13 mai 1440 Violente de Cardone et, à la mort de cette dernière, Ysabel de Puyservet. Son fils aîné Gaston-Roger, qui épousa Marguerite d'Espagne, hérita de Lescure et d'une partie de la Vicomté de Soulan. Il eut six enfants : Antoine Roger, Jeanne, Auberte, Marguerite, Antoinette et Isabelle. Antoine Roger hérita de la baronnie de Lescure et de la plus grande partie de la Vicomté de Soulan. Il suivit le roi en 1495 dans une expédition en Italie ; il y fut fait prisonnier et libéré après 2 ans de détention, contre rançon de 1 200 écus. Il fut, après son retour, condamné par le Parlement de Toulouse à 1 350 livres de dommages et à 4 000 livres d'amende. Le même Parlement, par arrêté du 14 février 1497, refusa d'entériner les lettres de grâce présentées à son nom et confirma les condamnations prononcées à son encontre « pour congrégation illicite, port d'armes, agressions, violences, battements, mutilations et meurtres ». Entre temps, Jean-Pierre de Mauléon, mari de sa sœur Jeanne, s'empara du château de Lescure et d'une partie de la Vicomté de Soulan et d'Alos, pour se dédommager de la dote de 2 000 livres qui avait été promise à sa femme et qui n'avait pas été payée. Dans le même temps, ses autres sœurs, Auberte, Marguerite, Antoinette et Isabelle prétendirent également à une part des seigneu- ries de Soulan et d'Alos. Antoinette recueillit en héritage les parts de Marguerite et d'Isabelle, cependant que la part d'Auberte qui avait épousé Manaud de Louvie, veuf de Catherine de Béon, passa au fils de cette dernière, Jean de Béon. Et, quand celui-ci, le 10 décembre 1545 racheta à Antoinette, pour le compte de son fils Sébastien de Béon, tous ses droits sur Soulan, il n'y eut plus que deux copropriétaires des seigneuries de Soulan, Lescure et Alos, à savoir : — Raymond-Roger de Mauléon, fils de Jean-Pierre de Mauléon, héritier de sa mère Jeanne et de son oncle Antoine, — Sébastien de Béon. A la mort de Raymond-Roger de Mauléon, vers 1557, son fils Jean-François de Mauléon prit le titre de Vicomte de Soulan, baron de Lescure et seigneur d'Alos. C'est lui qui se prit de querelle avec le Seigneur de Soueix, Arnaud de Roquemaurel qu'il s'en alla assiéger dans son château où il le fit brûler vif. Condamné à mort, il passa au parti protestant et mena de nombreux raids de pillage contre le Couserans. Avant sa mort, survenue en 1571, il avait vendu sa part sur les seigneuries de Soulan (après l'avoir quelque peu démem- brée (8) et Lescure à Marguerite de Béon, fille de Sébastien de Béon, (8) Il en céda une partie à noble Arnaud de Lourdat, dit Gorcia de qui l'avait accompagné dans l'expédition criminelle de Soueix et qui, à cause de cela, avait été condamné à la roue, par arrêt du Parlement de Toulouse du 24 mai 1567. Il avait également fait « donation à Peyronne Mourère de Soulan, de tous les biens appartenant à Catherine Biros », plus encore, donation d'un « cazalage assis au lieu d'Aspectz, vallée de Soulan, et de dus champs assis au même lieu, l'un appelé « las Coumes » et l'autre dit « de la coste », plus fief, en faveur de Caubet de dus jour- naultz de terre au lieu dit de Soulan appelé « Les Coustoloctz » contre deux quartiers d'avoine chaque année ». assassiné en 1562 par les huguenots de Tarascon. La veuve de Sébastien de Béon, Marie d'Isalguier, épousa en secondes noces Jacques de Rochechouart. Elle en eut un fils Jean-Louis de Roche- chouart, en faveur de qui testa le 25 novembre 1603 Marguerite de Béon, dame de Sainte Colombe. La seigneurie de Soulan passait ainsi en totalité sur la tête des Rochechouart. Elle devait y rester, comme nous le verrons, jusqu'à la veille de la Révolution. Nous ne savons pas quand fut élevé le château seigneurial de la Tour. Vraisemblablement au IXe ou xe siècle. Plus qu'une résidence, ce château fut une place forte ou, pour être plus modeste, un point d'appui et de défense. Il était, tout autant, le signe d'une puissance et d'une autorité. Sauf, peut-être, dans les tous premiers temps, les seigneurs de Solan n'y résidèrent et n'y vinrent qu'occasionnellement, quand une raison précise les y attirait : régler une affaire grave, signer une transaction avec les habitants, en recevoir l'hommage, chasser, recevoir à la Toussaint contributions en argent et en nature, etc. C'est que, la plupart des Seigneurs de Soulan étaient, en même temps, seigneurs d'autres terres plus importantes, sur lesquelles ils résidaient de préférence, se bornant à nommer et à entretenir à Soulan même, des hommes de loi et de guerre, à qui ils avaient donné pouvoir de les repré- senter, d'assurer leurs obligations et de faire valoir leurs droits. Les obligations, c'était, dans les premiers temps tout au moins, de rendre la justice, d'assurer l'ordre et la sécurité. Quant aux droits, ils consistaient en la perception des redevances que, sous le nom de droits seigneuriaux, et en rémunération des services rendus, nos parents payaient au seigneur. Le premier des droits seigneuriaux était le cens. C'était une sorte de loyer de la terre qui marquait la dépendance des exploita- tions paysannes vis-à-vis du Seigneur. Dès qu'un peu d'argent com- mença à circuler, le sens fût payé en espèces. Il n'était pas très élevé. Il y avait, ensuite, les prélèvements sur les fruits de la terre qui, en réalité, avaient lieu deux fois : une première fois sous le nom de dîme, dont le produit allait à l'Eglise : c'était une portion fixée généralement au dizième des récoltes, des fruits et du produit des troupeaux ; une seconde fois sous le nom de champart (la part du champ) qui allait au Seigneur. Dîme et champart se réglaient en nature. Il y avait la taille. C'était une contribution destinée, à l'origine, à racheter le service de guerre auquel, en principe, n'étaient pas assujettis les paysans. D'abord occasionnelle et levée par le Seigneur, la taille devait, à partir de 1450, devenir permanente et royale. C'était un impôt de répartition dont la perception était assurée par un collecteur choisi parmi les habitants. La charge de collecteur était redoutée, car le collecteur s'attirait l'inimitié, pour ne pas dire la haine des autres habitants, et, au surplus, il était responsable sur ses biens. Comme ce collecteur était généralement ignorant, il se munissait d'un bâton sur lequel il faisait une entaille chaque fois qu'il recevait paiement. C'est cette entaille qui aurait, dit-on, donné son nom à l'imposition (9). Il y avait encore ce que l'on appelait les banalités. Elles tiraient leur nom de règlements appelés « bans » en vertu desquels le Sei- gneur s'octroyait un certain nombre de monopoles. C'est ainsi que les tenanciers étaient obligés d'aller moudre les grains dans ses moulins, de presser les fruits dans son pressoir, de cuire le pain dans son four, d'avoir recours aux services de son taureau ou de son verrat. Et tout cela naturellement, moyennant redevances. Il y avait les corvées qui n'en finissaient pas. Traitant de la condition du paysan à l'âge féodal, Marc Bloch écrit (10) : « A jours fixes, on le voit porter au Sergent seigneurial tantôt quelques piécettes d'argent, tantôt et plus souvent, des gerbes récol- tées dans les champs, des poulets de sa basse-cour, des gâteaux de cire dérobés à ses ruches ou aux essaims de la forêt proche. A d'autres moments, il peine sur les labours ou les prés du domai- ne (11). Ou bien le voici qui charroie, au compte du maître, vers des résidences plus lointaines, pipes de vin ou sacs de blé. C'est à la sueur de ses bras que sont réparés les murs ou les fossés du château. Le maître reçoit-il ? Le paysan dépouille sa propre couche pour fournir aux hôtes la literie nécessaire. Viennent les grandes chasses : il nourrit la meute. Une guerre éclate-t-elle enfin ? Sous la bannière déployée, il s'improvise fantassin ou valet d'armée... » Cette description n'est pas outrée. Elle est celle de l'habituelle condition du paysan au moyen-âge, en France et même en Europe. Mais disons tout de suite, que la situation était fort différente dans le Couserans en général et dans les hautes vallées du Salat et de l'Arac en particulier. Non que les collectivités y fussent moins pauvres, mais, habitées par un sentiment d'indépendance qu'elles avaient pu plus aisément cultiver à l'abri de leur isolement, elles avaient réussi à s'organiser en espèces de petites républiques agro- pastorales, s'administrant elles-mêmes. Elle désignaient des Consuls auprès de qui siégeaient des Conseils d'anciens ayant pouvoir déli- bérant. Ces assemblées géraient les affaires de la Communauté. Les Consuls, assistés d'un baile (12) la représentaient et agissaient en son nom. Bientôt leurs pouvoirs s'étendirent à tous les aspects de la vie communautaire. Très tôt, en effet, ces communautés de montagne réussirent à se faire confirmer dans des droits et usages qui leur assuraient des libertés et une indépendance fort en avance sur les mœurs du temps.

(9) C'est une hypothèse. Il en est d'autres entre lesquelles il est diffi- cile de choisir. (10) La Société Féodale par Marc Bloch. (11) Du domaine appartenant en propre au Seigneur. (12) Sorte d'agent d'exécution, valet de ville, de là vient « baïlet » en dialecte. Ces reconnaissances furent inscrites dans des chartes dont un certain nombre est parvenu jusqu'à nous. Ces chartes n'étaient pas créées « ex nihilo », elles étaient la codification de coutumes et de franchises plus anciennes, restées orales jusqu'alors et, à cause de cela, remises sans cesse en contes- tation. On éprouva donc le besoin de les mettre par écrit et c'est à Arnaud d'Espagne, seigneur de Solan, que Samiac et Pasquier, attribuent le mérite d'avoir, en 1262, opéré une des premières codi- fications. « Nos Arnaud d'Espanha, per nos et per totz nostres ordenhs... prometem e consentam... qu'els tendram en las bonas costumas que nostres ancessors les an accostumatz tier... qu'els tendram lors cavalerias (coutumes) et los franquezas (franchises) si nan, e lors dreyturas et lors tengudas ais cavoers et al franx et ais pobles per totz tens... Nos Arnaud de Sola, en Bertrán de Sueys, cavoers (Arnaud de Soulan et Bertrand de Soueix, chevaliers), en Azemar d'Alas, donzel (et Azemar d'Alos, damoiseau) els pobles de tota la val de Sola, manan et pleyam al dit senhor qu'el tendram lu et qui de la nesca, totz temps, per senhor major et dreturer, qu'el rendram e faram totas sur dreyturas et sus senhorias loyalment... Et nos sobredit Arnaud d'Espanha autreyam e volem que todas las costumas de la terra sian mesas en carta ayssi cun lo scriba las ausira deis mas ancians de la terra, sober sagramente, diligen- tament requiridas » (Nous voulons que toutes les coutumes de la terre soient consignées par écrit et telles qu'elles seront rap- portées par les anciens) (13). Ainsi les manants, comme on disait alors, de la vallée de Soulan, faisaient hommage à leur Seigneur et celui-ci s'engageait à codifier les coutumes et à les respecter. Vers la même époque, « à l'humble supplication de ses consuls, Guilhem Dussol et Raymons Faup », Seix obtenait du roi Philippe le Hardi (14) qui « jurait sur sa couronne », de ses sei- gneurs Raymond Bernard et Roger de Balagué et des sieurs Pierre Fort et Raymond de Taurignan co-seigneurs, qui « juraient sur les quatre évangiles », confirmation des coutumes et libertés dont on faisait remonter l'octroi à Charlemagne. L'abbé Duclos dans son « Histoire des Ariégeois » rapporte quelques unes des dispositions de cette charte : « Chacun habi- tant sera en franchise et sûreté en son hostel ou courtiou (enclos de la maison). « Quatre consuls connoystront de toutes causes tant civiles que criminelles, lesquels, l'année finie, en éliront quatre autres. « Les Seigneurs ne peuvent prendre au corps aulcun habitant sans décret des consuls.

(13) La Maison d'Ustou. Archives de Mgr Cansalade du Pont, rapportées par Samiac et Pasquier. (14) Fils de St Louis, père de Philippe le Bel qui accéda au trône en 1270 et mourut en 1285. « Le Seigneur ne conl redemandera aux délibérations et ordon- nances du conseil de ladite ville. Au cas où il aurait fait le contraire, ce qui aura esté fait par lui demeurera sans aulcun effet ni valeur. « Si aulcun prend querelle à autre et se saisit d'aulcun baston non ferré pour frapper, sera condamné à un sol et si ledit baston ferré blesse aulcun jusqu'à l'effusion du sang, iceluy qui aura blessé, payra aux Seigneurs six livres, et, à la partie offensée, à la connoyssance des consuls. « Qui prendra de force une femme purcelle sera condamné à avoir fouet par la ville, et aultre amende à la rigueur du droit ; toutefois s'il la peut marier, la peine du fouet lui sera remise, et aussi, est advisé par les Consuls. « Les habitants auront la jouissance des forêts, vacans et montaignes comme en ont joui de toute ancienneté ». De même, vers 1345 ou 1346, « grand et puissant Seigneur Raimond Rouger de Commenge, Viscomte de Couzerans et Bruni- quel » reconnut aux consuls et aux habitants de St-Girons les facul- tés les plus larges. Les consuls avaient le droit (15) : « — à la fin de leur consulat, sans appeler le Viscomte, d'élire, constituer et créer les autres consuls... que les nouveaux consuls puissent élire 35 conseillers, instituer des employés, valets de la cour de la ville, des mességuiers (16) et gardes... des hommes spéciaux pour marquer, faire les poids et mesures. « — de statuer que personne ne sortira de la ville : le blé, le millet, les animaux, les chairs salées ou frèches, poissons ni autres victuailles... ni les tonneaux, pipes et fustes des vignes... et autres marchandises. « — de mander, pour faire le gayt par les habitans, la nuict quand c'est expédient, le jour aux jours de marché... ; que ceux qui font le gayt... puissent arrêter, emprisonner, conduire à la prison tout individu portant des armes en dehors du gayt. « — d'imposer aux habitants toutes sortes de tailles et contri- butions à cottiser ». Défense était faite aux bayle et au châtelain de la ville : « — d'arrêter aucun habitant pour excès commis dans la ville, si ce n'est de l'ordre des consuls, si ce n'est que ce fut un larron, un homicide, ou qu'il eut commis tel crime que la peine de mort dut s'en suivre ». Il était dit encore : « — que chaque Seigneur, au commencement de sa domina- tion, et lorsque l'hommage de fidélité lui sera prêté par les habi-

(15) Abbé Duclos. Histoire des Ariégeois, tome II. (16) Chargés de la garde des champs et des récoltes. tants, soit tenu de promettre et jurer d'observer les formes de la justice, selon le droit, coutumes, libertés et franchises de la ville. « — que tous et chacun habitants de la ville, sont et seront libres et immunes à perpétuité, et tous leurs valets et famille et leurs marchandises et biens. « — que tous les habitants puissent faire du bois selon leurs nécessités, en prendre pour les maisons, ponts, églises, clôtures... le faire amener par eau (17) et par terre vers la ville de St Girons, sans prestation, servitude ou redevance. « — qu'il sera loisible à tout habitant de moudre ses bleds et cuire son pain où bon lui semblera, de faire moulins et fours dans ses terres. « — que tous et chacun puisse pêcher librement. « — que toute personne trouvée en adultère paye et soit tenue de payer au Seigneur Vicomte, soixante sols tolzas (18) ou qu'elle coure la ville depuis la prison de la ville jusqu'à la grande place publique (19). « — que chaque habitant (20) ait le pouvoir de corriger et châtier la famille, à part le cas de mutilation de membre et d'homi- cide. « — qu'un habitant gâtant le vin avec de l'eau dès (après) qu'il aura fait crier le vin pour bon, qu'il soit tenu de payer au Seigneur soixante sols tolzas. « — que toute personne trouvée de nuit dérobant dans les jardins vignes ou champs paie 10 sols tolzas ou que la main lui soit coupée au choix du dérobant ». En 1446, c'est au tour des Consuls des vallées de Massat, Oust, Ercé, Aulus, de monnayer leur serment de fidélité à Odet de Lomagne contre l'engagement, par celui-ci, de respecter leurs liber- tés et franchises anciennes. Odet de Lomagne était aussi, à l'époque, Seigneur de Soulan et son engagement valait donc également, pour Soulan. Il était dit dans cette charte de 1446 (21), que les particuliers arrêtés par le Seigneur ou par ses gens, devaient être remis au baile et aux Consuls ; chacun avait le droit de sortir de la seigneurie en disposant de ses biens ; de même les filles pouvaient se marier hors de la seigneurie. Ces dispositions étaient exceptionnelles, car une des préoccupations majeures des seigneurs,

(17) Les bois, à l'époque, descendaient par flottaison par le Salat et l'Arac. (18) Soit 3 livres toulousaines. (19) Cette peine semblait habituelle pour ce genre de délit et le coupable devait, semble-t-il, courir nu. (20) Il faut entendre : chaque chef de famille. (21) Nous empruntons ces précisions à la monographie de Massat par Ruffié B.S.A. 1886. en un temps où les bras des paysans étaient la principale source de richesse, était de les fixer à la terre. La corvée était réglementée : le corvéable ne pouvait être éloigné de sa terre de plus d'une jour- née et les plaintes étaient portées devant les consuls. L'usage des bois et des terrains de parcours, si importants, de tous temps, dans l'économie de nos montagnes, faisait l'objet de dispositions contraignantes : le Seigneur n'avait pas le droit d'interdire aux habitants de la vallée l'accès des eaux, forêts et pâturages ; il ne pouvait constituer aucune réserve pour son propre bétail, il ne pouvait pas, non plus, autoriser l'introduction de bétail étranger, sans le consentement des habitants. Ceux-ci avaient la libre dispo- sition des eaux. Ils se reconnaissaient débiteurs envers le Seigneur d'un certain nombre de contributions, mais le Seigneur ne pouvait « réclamer aucune taille, ni imposer une charge sans le consente- ment des habitants. Un peu plus tard, ce furent les habitants d'Alos qui, par acte du 10 février 1448, obtenaient de Raymond Roger de Comminges Seigneur de Soulan, Erp, Arau et Alos la reconnaissance de fran- chises, elles aussi plus anciennes. Le texte en fut retrouvé par le Baron Louis de Bardies un peu par hasard, selon son propre témoignage, et publié par lui dans le Bulletin de la Société des Arts et Lettres de l'Ariège de 1899. On peut tenir pour assuré que les habitants de Soulan, Erp et Arau s'étaient fait reconnaître des franchises semblables, Raymond Roger de Comminges ne pouvant refuser aux uns ce qu'il accordait aux autres. Comme la plupart des chartes, celle-ci était rédigée en dialecte ; en voici quelques extraits : « Couneguda causo sio á tous présens et avenir... que lou nou- ble Moussu Ramon Rouger de Commenge et seignou de la vallée de Soula, d'Erp, d'Araus et del loc d'Alos, auzido la requesto et supplication del dits habitans d'Alos, de soun boun grat et de sa voluntat... confirma au dits habitans d'Alos... las libertads, coustu- mas et usatges qu'habion... tant en la vita de soun ayol, tant en la de soun pay et de soun fray (22) moussu Jean Rouger Viscomte de Couzerans, que Diu perdone, tout derreromente passatche (mort derniérement). Losqualos libertads se sian perdudos per foc... (lesquelles chartes ont disparu dans des incendies). 1) « Tout premieroment, a autroiat (a octroyé)... loudit Seignou que lous habitans et subiets (et sujets), que aro soun, ne prer tens en devender seran dudit loc d'Alos, nou sion tenguts de pagar tailla ne questo aoudit Seignou en Alos, sinou aoutant en la forma et maniero que lous conssoulats de Couseran pagaran, 2) « Item que loudit Seignou les a promets et jura que teyra lous habitans á las costumas et usatges que lous de Couserans han et que d'aquéros nous les separara, 3) « Item plus a promets lou soubredit Seignou auxdits habitans que la pura convenientia (connaissance) de caoucuna causa que sio (22) Raymond Roger était, en effet, le frère de Jean Roger et avait reçu la Seigneurie de Solan à laquelle était venue s'ajouter celle d'Alos. deu baille et coussouls d'Alos et de lour court (reconnait la compé- tence du baile et des consuls pour quelque cause que ce soit)... 8) « que lou seignou nou deu préné, ni fer préné, deus habitans ni argent ni bestia, ni blat (blé) ni mil, ni sibado, ni herbo, ni paillo, d'auguna causa, sinou a ben pagar, 9) « que lou seignou nou deou mandar homme ne fenna a afer sus obras (á travailler pour son compte) sinou que a ben pagar. 10) « que lou seignou nou deu debedar (défendre) a degun habi- tans de marida sa filla foro la seigneuria, ...... 12) « que touto persounou pot azaigar sous prats et passar las aguéros et traversar lous camis sin licentia (sans autorisation) deu seignou, abs que (pourvu que) réparé lou cami et que cami nou baille mens (et que le chemin ne vaille moins) et que nou sio tengut de penna au seignou, ...... 15) « abém acoustumat que bosqués et pasténs et moutagnous soun as habitans d'Alos, 16) « que lous seignous, nou dében mété bestia estrange a las moutagnous s'en volentat deu poble, sinou que lous propes ou de lour fils (sauf les leurs et celles de leurs fils), ...... 18) « lous coussouls en leur couseil pouderan mete las penas, que alors seran justas, et aqueras levar et abaichar et creche (croítre) sen licentia deu seignou... (Les Consuls pourront décider des justes peines, les 1ever, les augmenter ou les réduire, sans auto- risation du Seigneur), ...... 24) « Es ascotumat de mole a la molo del Seignou al seize (l'usage est d'aller au moulin du Seigneur qui retient un seiziéme de la farine), 25) « Item habem acostumat que lou Seignou deu fé fer toutas las peyras que seran necessairias a ladita mola et tota la frusta (tout le bois) que a ladita mola sera necessaria a sus propres cops, despens et cots ; lou poble que deu menar las ditas peyras et frus- tas et lou Seignou que deu pagar lou pa et lou bi que lou poble despensera quan auran menada las dites peyras et frustas... ». Nous nous sommes un peu étendus sur ces chartes pour mon- trer dans quelle situation privilégiée, au regard du droit commun, se trouvait au moyen-âge notre commune et le Couserans en général. Certes, les chartes n'étaient pas toujours respectées et c'est pourquoi d'ailleurs nos ancêtres éprouvaient périodiquement le besoin de se les faire confirmer. Plus encore que des avantages, elles leur procuraient un sentiment d'indépendance et une dignité qui les aidait à supporter leur misère. C'est le souvenir et le regret de leur libéralisme qui inspirera nos parents, quand, quelques siècles plus tard, ils opposeront révolte et violence aux exigences de nouveaux maîtres.

Après le Seigneur, le personnage le plus important de la col- lectivité de Soulan était, au Moyen Age, le curé. Il appartenait à cette partie de la société dont nous avons dit que la fonction était de prier : les clercs. En fait, les clercs ne faisaient pas que prier. Ils constituaient à côté des seigneurs une autre hiérarchie, plus instruite, aussi privilégiée et quelquefois plus puissante, bien que dotée d'autres armes. Si telle n'était pas, la situation des humbles curés de campa- gne, leur place et leur rôle n'en étaient pas moins importants. Le curé, en effet, et c'était le cas du nôtre à Soulan, cumulait des charges spirituelles et des charges profanes. D'une part, il était chargé de lutter contre les superstitions dont étaient peuplés les esprits de nos ancêtres, d'instruire les fidèles dans la religion, de célébrer les offices, de distribuer les sacrements, en somme de préparer les chemins qui conduisent à Dieu et à son héritage. D'autre part, il avait charge d'intervenir dans la vie de tous les jours : il prenait part aux réunions communautaires, il les guidait, il les inspirait à l'occasion; quand il n'était pas trop ignorant lui- même, il enseignait un peu de latin ; il humanisait la justice et il arrivait qu'il la rendit lui-même. L'Eglise faisait effort pour conte- nir une violence qui était dans les mœurs et dont nous n'avons pas idée aujourd'hui. Elle institua ainsi la Paix de Dieu et la Trêve de Dieu. La Paix de Dieu maintenait en dehors des guerres privées non seulement les gens d'église et leurs terres, mais aussi les femmes, les pélerins, les marchands, les laboureurs et leurs biens, c'est-à- dire tous ceux qui n'avaient pas pour fonction de combattre. La Trêve de Dieu imposait l'abstention de tout acte de guerre pendant les fêtes religieuses et notamment durant l'Avent, le Carême, la Semaine de Pâques et aussi chaque semaine du mercredi soir au lundi matin. Ne pas observer ces prescriptions était s'exposer à l'excommunication. A la fin du moyen-âge, notre curé commença à ouvrir des registres paroissiaux sur lesquels il portait, outre les naissances, tous les actes de la vie civile (qui étaient surtout des actes religieux) qui requéraient son office : les baptêmes, les mariages, les sépultures. Il levait ou faisait lever la dime. dont nous avons déjà parlé, mais il cn'en conservait pour lui qu'une petite part (la portion congrue), il percevait aussi le casuel, c'est-à-dire les contribu- tions que lui versaient les fidèles à l'occasion de son ministère. TABLE DES MATIERES

1 Avant-propos 3 II Le Milieu Physique 5 III Les Commencements 9 IV Le Moyen-Age 13 V L'Ancien Régime 31 1. — Le roi et le Seigneur 31 2. — La vie communale 36 3. — Le poids des charges 43 4. — L'église et la foi 57 5. — La vie et les moeurs 73 VI La Révolution 91 VII Le Premier Empire 147 VIII La Restauration et la Monarchie de Juillet 165 IX Le Second Empire 187 X La Troisième République 193 XI Les quatrième et cinquième Républiques ...... 207 XII L'Economie Communale 211 1. — L'Agriculture 211 2. — L'Elevage 222 3. — La Forêt 234 XIII La Vie de l'esprit 257 XIV La Population 275 XV Pour conclure 279 XVI Annexes 283

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