CHRONIQUES Pierre-Jean Remy

DucôtédeSalzbourg u jeu un peu idiot qui consiste à se poser la question : quels seraient les quatre opéras que l'on devrait retenir de ce siècle finissant, si l'on n'en gardait que quatre ? Pelléas et AMélisande et Wozzeck viennent naturellement à tous les esprits. D'aucuns y ajouteraient le Chevalier à la rose, d'autres le Rake's Progress de Stravinski. Mais tous ceux qui étaient réunis Un véritable l'autre soir, dans cette salle à manger d'un chalet triomphe pour le Saint François de montagne, en ont naturellement exigé un d'Assise d'Olivier cinquième, et c'était le Saint François d'Assise Messiaen d'Olivier Messiaen. Il est vrai que nous étions à Salzbourg et que nous venions de voir la superbe production de Peter Sellars, créée voilà deux ans et reprise cette année. Et c'est vrai que les forces conjuguées de Messiaen, Sellars, Kent Nagano à la tête de l'orchestre Halle de Manchester et de José Van Dam dans le rôle-titre ont conduit cette année encore à un véritable triomphe. Très loin au-dessus de tout le reste, l'ombre de saint François d'Assise, tel qu'il sait parler aux oiseaux à la fin, glorieuse, du deuxième acte, ou tel qu'il écoute la voix de l'ange (admirablement chanté par Dawn Upshaw) atteint à des sommets d'une beauté et d'une ferveur inoubliables. C'est tout l'honneur de Gérard Mortier, directeur du festival de Salzbourg au milieu de son second mandat, d'avoir réussi le tour de force que constituent ces représentations. Avec une assez belle unanimité, la presse française a loué, cette année encore, à peu près tout le travail de Mortier à Salzbourg. Il est, comme ça, des directeurs d'opéra ou de festival qui bénéficient, a priori, d'un préjugé favorable. On a pu le constater récemment, tout à fait

171 REVUE DES DEUX MONDES OCTOBRE 1998 CHRONIQUES

justement d'ailleurs, à Aix-en-Provence, devant le travail de Stéphane Lissner. Et même si la presse autrichienne, voire une bonne partie de la critique internationale, ne suit pas tout à fait nos critiques français tout ébaubis dans une admiration inconditionnelle pour ce qui se passe à Salzbourg, il n'en reste pas moins que cette année encore le plus grand festival de musique du monde a été une belle réussite. A un degré moindre, peut-être, que l'année dernière pourtant. Ainsi le de Verdi, dirigé par Lorin Maazel et pour lequel le metteur en scène Herbert Wernicke n'a pas entièrement réussi en terre d'Espagne italienne ce qui avait si bien fonctionné du côté de son Boris Godounov de ces deux dernières années. Et pourtant, le Philippe II de René Pape, le marquis de Posa, surtout, du bouleversant Carlos Alvarez (retenez ce nom !) constituaient déjà deux formidables atouts. De même, la reprise du Fidelio de Beethoven, également mis en scène par Wernicke et qui fut la dernière création lyrique de Georg Solti à Salzbourg, a gardé la froideur, la théâtralité arbitraire d'il y a deux ans. Pourtant, la direction de Michael Gielen était incandescente, mais ni Johan Botha, vocalement pourtant admirable, ni Karen Huffstodt, vocalement, elle, quelque peu épuisée, ne suffisaient à animer l'immense scène glacée du grand palais des Festivals. On pourrait dire d'ailleurs à peu près la même chose de ce qui fut peut-être la plus grande Grande déception de cette année : la production très déception pour It Mabagonny de attendue du Mahagonny, de Kurt Weill et Bertolt KurtWeillet Brecht. Dans d'admirables décors de Richard Bertolt Brecht! Peduzzi, d'immenses chanteurs un peu largués (Gwyneth Jones en mère maquerelle ! la pauvre..., et Jerry Hadley) donnaient l'impression de vouloir chanter un très, très « grand opéra » alors que, presque autant que l'Opéra de quat'sous, Grandeur et

172 OPERA décadence de la ville de Mahogonny vous a un côté bastringue et cabaret berlinois de l'entre- deux-guerres. Mais on ne saurait en rester là. D'abord, il y a eu une reprise des Noces de Figaro jadis imaginées par Luc Bondy et revues par Joël Lauwers, avec une juvénile, enthousiaste et pétillante distribution. Barbara Frittoli est l'une des <• grandes » jeunes Italiennes qui « monte », Maria Bayo est le plus crédible des Chérubin, Dorothe Rôschmann, une Suzanne hors pair, et Ildebrando d'Arcangelo, l'un des grands Figaro, et probablement le plus jeune, de ce temps. Quant à Charles Mackerras, à la tête de la Philharmonie de Vienne, il semblait avoir retrouvé une nouvelle jeunesse. La Katya Kabanova, de Janacek, dirigée par , a révélé, après Wozzeck l'année dernière, au public salzbourgeois la Angela Denoke, bouleversante Angela Denoke. Sa Marie de 1997 bouleversante n'a probablement d'égale aujourd'hui que celle Katya de Waltraud Meier, dans la production de Patrice Kabanova Chéreau, récemment revue au Châtelet. Il faudrait encore parler de beaucoup de choses : la reprise du fulgurant, ironique et attendrissant Enlèvement au sérail, dirigé par Marc Minkowski et mis en scène par François Abou Salem ; l'unique soirée, en version de concert, du Roi Roger, de Karol Syzanowski, dirigé par Simon Rattle, qui a permis à de rassurer son public : oui, il était bien à Salzbourg cette année, et il y était parfait ; et puis les concerts de Riccardo Chailly, à la tête de l'Orchestre d'Amsterdam, dans la Cinquième Symphonie de Mahler, ou dans Varèse. On reparlera d'ailleurs de Chailly et de Varèse à propos des disques récemment enregistrés chez Decca. Et puis il y a le théâtre, les récitals, tout le reste... •

173