Organisation sociale et usage des ressources

Pour que la terre ne cache plus l’arbre : le foncier de l’arbre

M. Saïd1 2 Résumé Nicole Sibelet L’insécurité foncière est reconnue comme une source de conflits et une inhibition aux 1 École d’enseignement supérieur de Patsy, processus de développement engagés par les populations rurales. Si les études sur le foncier de la terre sont nombreuses, celles analysant le foncier de l’arbre sont peu Comores courantes. En Afrique, les droits d’accès à la terre sont multiples, la propriété privée n’étant qu’un droit minoritaire parmi d’autres. Il en est de même pour les droits d’accès à 2 Centre de coopération internationale l’arbre. Les spécialistes du foncier (économistes, socio-anthropologues, juristes, etc.) ont en recherche agronomique montré qu’il faut dissocier les statuts des ressources et les statuts du fonds de la terre. pour le développement (Cirad), L’arbre est à la fois une ressource par rapport à la terre qui le porte et un autre fonds. En Cirad-Tera TA 60/15, 34398 Montpellier cedex 5 conséquence, les droits qui s’appliquent à l’arbre peuvent être distincts, à double titre, de ceux de la terre qui le porte. Aux Comores, l’arbre a des valeurs agronomique, économique et symbolique et constitue un enjeu social générateur de conflits et d’innovations. Le cas de Bandarsalam dans l’île de Mohéli montre que les autochtones utilisent un alibi, à savoir un argument environnementaliste, auprès des institutions politiques et associatives pour évincer les allochtones devenus trop gênants, de leur point de vue, dans leurs installations. Seule la prise en compte de vrais enjeux fonciers permettra de sortir des débats fonciers biaisés et sans issue. Mots clés : Productions végétales ; Économie et développement rural Summary When you can’t see the trees for the land: The issue of tree tenure Insecurity about land tenure is recognised to be a source of conflict and consequently an impediment to the development processes undertaken by rural populations. Although there have been many studies on land tenure, very few of them have analysed tree tenure. In Africa, there are many different types of right of access to land, and the concept of private property covers only a minority of cases. The same is true of rights of access to trees. Land tenure specialists (economists, sociologists, anthropologists, legal experts, etc.) have shown that the status of land as a resource must be dissociated from its status as an asset (lat.: fundus). Trees are a resource because of the land in which they grow and they are also an asset (fundus) in themselves. Consequently, the rights that apply to trees can be distinguished on two grounds from those regarding the land in which a tree grows. In the Islands, trees have an agronomic, an economic and a symbolic value. They have a social issue that generates conflicts and innovation. The example of Bandarsalam on the island of Moheli shows that the native population uses an environ- mental argument as a pretext to convince political institutions and non-profit organisa- tions to oust non-natives, whose settlements have begun to annoy the former. However, the practices of non-natives are protective of the environment. It is only by considering the real issues that distorted and deadlocked debates about land rights can be ended. Keywords : Vegetal productions; Economy and Rural Development

Tirés à part : N. Sibelet

510 Cahiers Agricultures 2004 ; 13 : 510-5 Le concept de foncier Considérant que l’arbre constitue par Mode d’appropriation foncière, la planta- nature une ressource immeuble, il paraît tion d’arbres peut-être source de conflit, de l’arbre justifié d’avancer le concept de foncier de d’autant que l’arborisation, couplée à la l’arbre. L’expression est d’ailleurs connue fertilisation organique bovine, permet de puisqu’elle est utilisée par exemple par multiplier la productivité des terres par Le Bris et al. [5]. un coefficient allant de 2,5 à 10, selon L’arbre dans le paysage est une entrée l’observation faite dans le Niumakélé à qui permet de comprendre une société. Anjouan [6]). Pelissier [1] considère l’arbre comme « le Ainsi, dans un contexte où la terre est un révélateur de la stratégie que chaque so- enjeu pour la survie même de la famille, ciété conduit à l’égard du milieu où elle l’arbre, valeur agronomique, économique est insérée ». Du foncier et symbolique, tient une place centrale L’arbre est au centre de nombreux conflits dans les systèmes de production como- fonciers à dimensions multiples : sociales, et des arbres riens et devient un enjeu social généra- symboliques, religieuses, juridiques, éco- teur de conflits et d’innovations nomiques, écologiques. Les conflits aux Comores afférants à l’arbre sont généralement complexes et leur résolution nécessite Un foncier de l’arbre des solutions originales prenant en Les Comoriens vivent à la fois de l’agri- compte l’ensemble des dimensions. culture et de l’élevage (80 % de la popula- multifonctionnel L’étude de Bellefontaine et al. [2] sur les tion active). La surface moyenne par ex- arbres hors forêt l’illustre dans différentes ploitation familiale est faible (de l’ordre et multidimensionnel parties du monde. de 1 hectare), et quand ilyauncheptel À partir d’une étude de cas aux Comores, vif, celui-ci dépasse rarement les 5 têtes. Les arbres ont des fonctions multiples qui le présent article met en exergue cette Quelle que soit leur activité principale, sont plus ou moins imbriquées selon les complexité relative au foncier de l’arbre. la quasi-totalité des Comoriens reste endroits. Ils sont souvent un moyen qui Pour ce faire, une brève analyse sémanti- profondément attachée à la terre, qui revêt à la fois une valeur économique permet de s’approprier une terre ou d’y que du terme foncier est menée. Le inscrire des droits variables (d’usage, de concept de foncier de l’arbre est intro- (production de biens marchands, épar- gne), sociale et symbolique (signe d’ap- transmission, etc.). Ainsi, l’arbre a-t-il une duit. Ensuite, une présentation sommaire fonction juridique dans la société como- des Comores permet au lecteur de mieux partenance à la société, redistribution de richesses). rienne comme dans d’autres sociétés afri- contextualiser l’étude de cas analysée, caines, musulmanes en particulier. laquelle servira à illustrer les problèmes Cet attachement à la terre est à interpréter L’arbre est aussi source de revenus éco- posés par le foncier de l’arbre. à la lumière de l’histoire de la question nomiques (par la vente ou la consom- Pour le dictionnaire Le Robert, « foncier » foncière. La densité démographique est mation familiale des ressources ligneuses, utilisé comme adjectif 1, est ce « qui cons- actuellement de 445 habitants par kilo- ressources alimentaires, pharmaco- titue un bien-fonds » ou ce qui est « relatif mètre carré en moyenne à Anjouan et logiques, fourragères, etc.). Il est l’élé- à un bien-fonds ». Et le terme de « bien- près de 600 dans la région du Niumakélé, ment principal d’un système de produc- 231 en Grande-Comore, 115 à Mohéli et fonds » est, lui, défini comme un « bien tion qui permet une obtention de revenus 348 à Mayotte. Ce différentiel de densité immeuble tel que fonds de terre, bâti- agricoles intéressants peu exigeants en démographique entre régions, entretient ment ». Le Robert parle de « propriété fon- termes de travail (système agroforestier l’émigration économique d’Anjouanais vivrier). cière », par exemple. Le fonds est aussi vers Mohéli (et Mayotte). défini comme « capital immobilisé ». L’arbre offre également d’autres avanta- La place de l’arbre est importante dans les ges lorsqu’il est intégré à l’agriculture : il Le terme de « foncier » recouvre, comme systèmes de production, lesquels asso- est source d’ombrage, enrichit le sol en le soulignent d’autres auteurs [3, 4]), deux cient des cultures vivrières et des cultures azote dans le cas des légumineuses et sert réalités différentes : l’espace et les res- de rente. Les principaux sont : de tuteur à certaines cultures (poivre, sources engendrées par cet espace. Ainsi, − des systèmes à base de vivriers an- vanille, etc.). différents fonciers peuvent être distingués nuels : association riz ou manioc–maïs L’arbre a aussi des fonctions sociales de selon le facteur discriminant considéré –ambrevade (Cajanus cajan), manioc– différents ordres. Il est souvent considéré (l’espace, la fonction prépondérante, les arachide–autres légumineuses, patate comme un capital productif, une forme ressources produites) pour construire une douce-ambrevade-maraichage, etc. ; d’épargne beaucoup plus importante, aux typologie foncière : foncier agricole, fon- − des agroforêts : bananiers-taros avec yeux des Comoriens, que l’épargne dans cier forestier, foncier constructible, fon- vanille ou poivriers sous couverture arbo- le cheptel animal souvent citée dans la cier industriel, etc. rée ; littérature pour les pays africains. Aux − des systèmes agroforestiers vivriers. Comores, par exemple, lorsqu’un « dés- Dans ces systèmes, sur la même parcelle, hérité » se plaint, il dit : « mon père ne m’a des cocotiers, des fruitiers, des arbres de laissé ni un lopin de terre ni un arbre ». 1 Cependant, la littérature spécialisée utilise le rente (ylang, giroflier, etc.), des bana- L’arbre comme capital productif joue pour terme de « foncier » tantôt comme un adjectif, niers, de la vanille sont complantés avec les personnes en âge de « retraite » un rôle tantôt comme un substantif. des cultures annuelles. de pension de vieillesse. « Il apportera

Cahiers Agricultures 2004 ; 13 : 510-5 511 toujours » un peu de nourriture et d’ar- même si cela doit passer par l’abattage des réserves d’eau souterraines ». C’est gent au vieux qui ne peut plus travailler. d’un grand nombre d’arbres. Celui qui donc dans cette optique que des paysans Ainsi, par ses fruits, il fournira un mini- abat des arbres en vue de vivifier une peuvent planter des arbres avec, souvent, mum d’indépendance économique au terre acquiert automatiquement un droit l’appui de l’Administration. Et pourtant, vieillard vis-à-vis de la société. Par de « propriété ». sur cette terre. Le terrain pour les paysans comoriens, l’acte de ailleurs, il sera toujours pour le vieux un déboisé peut par la suite se dégrader d’un planter des arbres a, de façon quasi récur- objet de loisir près duquel il viendra point de vue écologique ou agronomique rente, une connotation juridique en ce passer du temps. Au-delà de ces considé- sans que l’auteur de l’abattage ne cesse sens qu’il signifie appropriation de terrain rations sociales, l’arbre a également une de parler pour autant de vivification et de par le planteur ou confirmation et renfor- valeur symbolique en ce sens qu’il rend mise en valeur. Cette mise en valeur a une cement de cette appropriation. « immortel » le vieux qui l’a planté. Tant connotation juridique et est différente de Cependant, la vivification peut se faire que son arbre continuera à produire la conception écologique qui considère sous forme de mise en place de cultures généreusement, tous ceux qui bénéficient que mettre en valeur une terre c’est y arborées (fruitières ou de rente). Dans ce de ses fruits, de son ombrage, « se sou- effectuer des investissements qui assurent cas, planter des arbres peut aussi signifier viendront » de celui qui l’a planté et « le une production élevée et de façon mettre en valeur au sens écologique du remercieront ». L’arbre est donc source de durable et se traduisant par un accroisse- terme. Planter un arbre est une forme de reconnaissance durable « dont Dieu tien- ment de valeur d’échange (ou de prix). capitalisation et d’épargne qui, en plus dra compte le jour du jugement dernier ». Ces deux visions sont souvent sources des avantages économiques, présente des Ainsi, en plus de la dimension sociale, d’incompréhensions entre les popula- intérêts en termes de reconnaissance l’arbre a une dimension religieuse. tions locales et les agents de développe- sociale et religieuse. Cela pose des Des arbres de régénération naturelle peu- ment « environnementalistes ». Pour nom- problèmes aux Comores où de nombreux vent faire l’objet d’appropriation indivi- bre de ces derniers, la mise en valeur des paysans qui travaillent sur des parcelles duelle, collective ou communautaire. Ces terres d’un point de vue agricole passe qui ne leur appartiennent pas n’ont pas le arbres de régénération naturelle peuvent nécessairement, sinon essentiellement, droit d’y planter des arbres. alors avoir les mêmes fonctions, pour leur par la mise en place de cultures pérennes Les différentes dimensions relatives à « propriétaire », que celles des arbres plan- arborées. Ces arbres sont censés « pro- l’acte de planter ou d’abattre des arbres, à tés par l’homme. En tout cas, quel que duire des aliments pour les hommes ou la fois opposées et enchevêtrées, sont au soit le caractère de l’arbre (de régénéra- pour les animaux, lutter contre l’érosion, centre de nombreux conflits fonciers. Le tion naturelle ou anthropique), plusieurs fertiliser la terre, favoriser l’infiltration des cas du village de Bandarsalam dans l’île droits différents peuvent s’y exercer : droit eaux de pluie nécessaires à l’alimentation comorienne de Mohéli l’illustre (figure 1). de cueillette, droit de succession, droit d’abattage...

Des représentations 44° 45° de l’arbre N'Tsaoueni Mbeni

Hahaia Itsikoudi à la fois opposées Koumbani N'Tsoudjini Njazidja Moroni Tsidjie Karthala () 2361 m Iooni OCEAN INDIEN et enchevêtrées Mitsoudjé Dembéni

12° 12° Canal de Mozambique La multifonctionnalité de l’arbre n’est pas Jimilin Nz sans poser de problèmes. En effet, l’arbre Ba Mwall Sima Nangi 1596 m (Mohéll) D aux Comores a une ou des significations Djoiezi Pomoni Moya Kangani capitales et différentes pour celui qui le M plante, pour celui qui jouit de ses fruits et Sambia pour celui qui l’abat. Abattre un (ou des) arbre(s) est synonyme de mettre fin à un COMORES Acoua n o a za droit d’usage sur l’arbre. Mais abattre des M D Combani Pamanzil

Capitale Mayotte Sisoa Bouze arbres sur une zone en friche pour y Siège Administratif (Maore) Sada (under Renon Ville, village administration) Bandele installer des cultures vivrières ou de rente Route Aéroport Kani-Kele M'Samudu peut aussi être synonyme de mettre en Récifs 13° R 13° éc if valeur une terre. C’est le principe de 0102030 40 50 km du The boundaries and names shown and the designations Sua used on this map do not imply official endorsement or vivification, cher aux yeux des Como- 0102030 km 44°acceptance by the United Nations. 45°

Map No. 4088 Rev. 1 UNITED NATIONS Department of Peacekeeping Operations riens, selon lequel toute terre laissée en January 2004 Cartographic Section friche et non directement productive, est considérée comme une terre morte. Figure 1. Situation de Mohéli aux Comores. Celle-ci doit être rapidement vivifiée par la mise en place d’activités de production, Figure 1. Location of Moheli In the Comoros.

512 Cahiers Agricultures 2004 ; 13 : 510-5 L’arbre à Bandarsalam Gégé ont créé vers 1993 deux autres L’arrivée dans la zone de Bandrahoungué quartiers anjouanais (Dargoube et Mban- de quelques migrants anjouanais installés (île de Mohéli) gani), sur une propriété d’une personna- dans d’autres localités aurait déclenché le lité politique comorienne qui aurait début du conflit, lequel s’est surtout foca- appuyé cette installation. lisé sur les plantations des Anjouanais de Les éléments permettant de décrire le Le finage du village est composé de Bandarsalam. Les habitants de Bandarsa- conflit qui s’y rattache proviennent des quatre zones agroécologiques et se pré- lam demandent à leurs voisins d’origine travaux d’enquête conjointe de la Cellule sente comme suit (tableau 1) : anjouanaise de quitter leurs parcelles sans foncière du ministère de l’Agriculture et Les objectifs des paysans d’origine alloch- condition. Ils prétendent que ces derniers du Projet de développement Rural de tone (anjouanaise) pour la zone de Ban- déboisent la forêt, provoquant des effets Mohéli (PDRM). Le village de Bandarsa- drahoungué (zone 4) sont : néfastes aux plans écologique et hydro- lam aurait été fondé par des personnes − vivifier le domaine forestier, non mis en logique. Ce grief est quelque peu para- (identifiées) d’origine arabe, venues de valeur par l’État, en vue de produire et de doxal dans la mesure où les déboise- Zanzibar et installées sur le site actuel de s’approprier des terres ; ments entrepris par les Anjouanais sont l’aéroport de Mohéli. L’agrandissement − assurer leur retraite future à travers la suivis d’un reboisement intense à base de du village serait lié à l’arrivée d’une popu- mise en place de cultures arborées sandragon (Pterocarpus indicus), euca- lation « agri-ouvrière » importée de l’Afri- fruitières et de rente. lyptus, cannelle, ylang-ylang (Cananga que de l’Est. Vers 1953, le village est Ces paysans sont plus aptes à cela en odorata), giroflier, cocotiers, etc. déplacé par l’État à son implantation raison du fait que, en termes de rapport Ce paradoxe met en exergue le problème actuelle en vue de la construction de unités de main-d’œuvre/surfaces agri- évoqué plus haut à propos de l’arbre. Le l’aéroport. Les habitants de Bandarsalam coles possédées, ils disposent d’une problème est ici juridique au sens qu’il favorisent vers 1974-1975 l’installation main-d’œuvre relativement plus impor- met en cause la reproduction sociale de la d’Anjouanais, dans l’espoir de pouvoir tante par rapport aux Mohéliens de sou- communauté mohélienne. Les planta- augmenter la taille de la population et de che. Cette appropriation est considérée tions arborées mises en place par les pouvoir ainsi bénéficier de la construc- par les Mohéliens de souche comme une Anjouanais attribuent définitivement, sur tion par l’État d’une école française. Là se menace quant à la pérennité de leur le plan du droit, ces terres forestières trouve l’origine de la création du quartier identité et à l’avenir de leur progéniture. intégrées dans le finage de Bandarsalam, de Gégé compris dans le village de Ban- Tout cela engendre une situation conflic- à une partie de la population allochtone. darsalam. Les fondateurs du quartier de tuelle. Accepter cet état de fait, c’est entériner ce

Tableau 1. Finage de Bandarsalam et occupations foncières Table 1. Bandarsalam and land tenure

Zones agroécologiques Caractéristiques Zone 1 Zone 2 Zone 3 Zone 4 Lieu concerné Domaine forestier partiellement déboisé appelé par le conflit Bandrahoungué Topographie Basse altitude, Moyenne Haute altitude, Plateaux plaine altitude, fortes pentes faibles pentes Climat Climat sec Climat mi-sec Climat très Climat très humide humide (> 2 000 mm/an) (2 500 mm/an) Zone d’alimentation de plusieurs rivières Systèmes de Cultures Cultures Cultures Cultures pérennes arborées et autres installées production pérennes pérennes pérennes et après déboisement de la forêt : taros, (cocotiers, (cocotiers, autres : gingembre, piment, bananier fruitiers) fruitiers) bananiers, Autres : vanille, Autres : vanille, taros... ambrevade ambrevade Situation foncière Terrains appartenant à des Mohéliens de souche Terrains de l’État Plusieurs Anjouanais installés à Bandarsalam ont signé Terrains considérés par les habitants de un contrat de métayage avec un propriétaire mohélien Bandarsalam comme une partie intégrante de (de la famille Ben Cheikh), à raison de 2 000 leur finage FC/an/personne Terrains en partie occupés (40 hectares) par une vingtaine d’Anjouanais et 1 Grand Comorien (27 allochtones au total) sans terre, installés à Bandarsalam (entre 1978 et 1981), avec souvent, l’accord des Mohéliens de souche. Phénomènes récents Tentative récente d’occupation par des Anjouanais installés dans d’autres villages mohéliens : Fomboni, Djoyezi, Siri-

Cahiers Agricultures 2004 ; 13 : 510-5 513 droit. Dès lors, ce même droit peut être Cette réalité a été évoquée par Saïd qui de 230 000 euros. Le système mis en mobilisé en premier, par d’autres Anjoua- considère que toute sécurisation foncière place par les villageois avec l’aide des nais pour occuper les parties restantes, ce est multidimensionnelle. bailleurs de fonds semble bien fonction- qui conduirait à une aliénation de l’iden- La plantation d’un arbre (fruitier en parti- ner puisque Maes précise que le taux de tité et du patrimoine villageois du point culier), est un acte indispensable pour remboursement des crédits octroyés était, de vue des autochtones. tout paysan comorien. Le rôle juridique, à trois mois après l’échéance, de l’ordre Il est vrai que pour avoir l’appui de économique et symbolique de l’arbre de 99 %. l’Administration et celui d’autres acteurs vient du fait qu’il est à la fois moyen de Le problème du foncier de l’arbre montre puissants extérieurs au village, il vaut marquage du foncier, de production, qu’il est nécessaire que les politiques mieux ne pas mettre en avant le fond du d’épargne de précaution, d’épargne patri- publiques comoriennes prennent en problème. C’est de la sorte que nous moniale, et qu’il a une valeur religieuse. compte les questions sociales touchant à comprenons le fait que les habitants de Actuellement, s’il est concevable qu’un la retraite des personnes actives (dont les Bandarsalam aient pu mettre en avant la comorien accepte de ne pas posséder agriculteurs) et à la couverture sociale des question environnementale. La mobilisa- une terre à lui, pourvu qu’il puisse culti- Comoriens. Il apparaît de plus en plus tion sur cette question environnementale ver chez les autres, il est inimaginable que le système de solidarité existant leur a en effet permis d’avoir le soutien de qu’on en trouve un dans les campagnes traditionnellement à l’intérieur des l’association environnementale Ulanga et qui accepte de ne pas posséder d’arbres. familles n’est plus en mesure de prendre de l’Administration de l’île. L’Administra- C’est l’une des principales raisons qui ont en charge les vieilles personnes en âge de tion de l’île préconise la promulgation poussé les habitants de Bandarsalam « retraite ». Ce fait pousse plus que jamais d’un décret de « déguerpissement » et de d’origine allochtone à occuper et arborer les Comoriens à planter des arbres destruction des cultures en place. L’asso- les terres forestières de Bandrahoungué. partout, même sur les terres d’autrui. ciation Ulanga propose une expulsion En espérant que d’autres recherches puis- immédiate et sans condition des exploi- sent proposer de meilleures pistes, nous tants anjouanais de la zone forestière de proposons d’inclure les questions suivan- Conclusion Bandrahoungué. Ces deux acteurs « exté- tes dans les paramètres du crédit rural. rieurs » au conflit sont-ils victimes d’une manipulation de la part des Mohéliens de La voie de l’épargne formelle peut-elle souche de Bandarsalam, ou bien sont-ils apporter une solution partielle au pro- Le caractère multifonctionnel et multi- au contraire les parrains d’une légitime blème ? Il y a lieu d’étudier la question dimensionnel de l’arbre est bel et bien revendication ? avec les responsables du Sanduk et de la une réalité vivante dans plusieurs campa- Quoi qu’il en soit, la résolution d’un tel Mutuelle d’épargne et de crédit (Meck). gnes africaines. conflit ne peut passer par la résolution Le Sanduk est un réseau de caisses de Comme ressource immeuble ou capital seule de la question environnementale, crédit et d’épargne dont l’installation aux immobilisé, l’arbre apparaît aux Comores car cet objectif est un prétexte. Il cache Comores a débuté en 1993. Il s’agit de comme une forme de foncier à part en- le vrai problème qui inquiète les caisses de crédit et d’épargne autogérées tière, appelé ici foncier de l’arbre. Il fait autochtones de Bandarsalam. Ces der- au niveau villageois, intervillageois ou au d’autant plus partie intégrante du foncier niers savent que l’argument environne- niveau d’un quartier urbain. Leur démar- qu’il fixe, d’une manière générale, des mental avancé n’est qu’un alibi. Et ils rage a été appuyé aux plans financier et droits sur l’espace savent aussi que les pratiques agricoles technique par l’ex-Caisse française de dé- Le foncier de l’arbre a plusieurs dimen- veloppement et par l’Union européenne. sions : mises en place par les Anjouanais dans la − zone forestière de Bandrahoungué ne En plus des fonds octroyés par ces deux agronomiques et écologiques (fertilisa- sont pas irrespectueuses de l’environne- bailleurs, les villages et quartiers urbains tion organo-minérale, protection de sols, ont apporté un fonds de départ dont les etc.) ; ment. − Focaliser la négociation sur cet alibi qu’est montants sont, au fur et à mesure, aug- économiques (productions de fourra- mentés. ges, de fruits, production de revenus) ; la question environnementale risque à − terme d’amener les Mohéliens à faire En 1998, il existait une quarantaine de sociales (maximisation du temps social comme leurs compatriotes anjouanais de caisses villageoises et urbaines réparties en raison du nombre limité d’entretien Chirocamba (dans l’île d’Anjouan). Des dans les îles de Mohéli, Anjouan et des arbres au sol, épargne productive plantations contestées y ont été abattues, Grande-Comore. Une union des caisses sous forme d’arborisation, retraite « assu- une manière de mettre fin à un droit de Sanduk est créée et est en passe de pren- rée », reconnaissance du planteur par les propriété conféré par l’arborisation. dre en charge la rémunération des techni- autres, etc.) ; ciens (une douzaine) initialement pris en − juridiques (contrôle du patrimoine fon- charge par l’ex-Caisse française de déve- cier et reproduction de l’identité du loppement. Maes2 indique un texte non groupe) ; Prise en compte publié qu’à la date de 1998, les 40 caisses − religieuses (reconnaissance divine). regroupaient 8 000 adhérents (soit près Dès lors, tout règlement de la question des objectifs sociaux de 10 % des familles comoriennes), et foncière aux Comores devrait, du moins avaient octroyé à 6 000 personnes, un en milieu rural, prendre en compte la collectifs crédit de 1 million d’euros et encaissé des problématique arboricole. Cette exigence épargnants comoriens une somme totale est d’autant plus importante que l’arbre reste très souvent au centre des problè- La multiplicité des enjeux nécessite des mes fonciers dans les îles Comores, à solutions plurielles et complémentaires. 2 Ex-conseiller technique au Projet Sanduk. l’image du cas de Bandarsalam.

514 Cahiers Agricultures 2004 ; 13 : 510-5 L’identification des multiples fonctions compte par la question foncière des 4. Barrière O, Barrière C. Approches environ- nementales : systèmes fonciers dans le delta arboricoles, dont les fonctions socio- aspects touchant à l’épargne et à la re- intérieur du Niger. In : Le Roy E, Karsenty A, économiques selon les différents acteurs, traite des agriculteurs. Ne faudrait-il pas Bertrand A, eds. La sécurisation foncière en Afrique pour une gestion viable des ressour- fournit des éléments permettant des lier systématiquement les questions fon- ces renouvelables. Paris : Karthala, 1996 : 127- réponses à des problèmes fonciers, dont cières au devenir social des acteurs, en 75. les conflits liés à l’arborisation ou à son particulier ici après leur vie active ? 5. Le Bris E, Le Roy E, Mathieu P. L’appropria- Cette interrogation n’intéresse pas que les tion de la terre en Afrique noire, outils d’ana- interdiction. C’est ainsi que dans le cas lyse, de décision et de gestion foncières. Pa- précis de Bandarsalam, une réorientation Comores. De façon plus générale elle ris : Karthala, 1991 ; 359 p. des fonctions du système bancaire décen- renvoie à la question des investissements 6. Sibelet N. L’innovation en milieu paysan ou tralisé (Sanduk, Meck, etc.) et la générali- sur des biens non sécurisés pour leurs la capacité des acteurs locaux à innover en ■ présence d’intervenants extérieurs. Nouvelles sation des mutuelles de santé en cours exploitants. pratiques de fertilisation et mise en bocage d’expérimentation dans l’île comorienne dans le Niumakélé (Anjouan, Comores). Thèse de doctorat. Paris : Institut national agronomi- de la Grande Comore devraient contri- que de Paris Grignon, 1995; 261 p + biblio 25 p buer efficacement à : Références + annexes. − une atténuation significative des conflits 7. Saïd M. Dynamique séculaire de sécurisa- tion foncière par une approche spontanée de fonciers qui opposent autochtones et 1. Pélisser P. L’arbre dans les paysages agrai- gestion patrimoniale aux Comores. Étude du allochtones ; res de l’Afrique Noire. Cah Orstom Sci Hum phénomène, propositions d’appui et ensei- − 1980 ; 17 : 131-6. gnements méthodologiques. Thèse de docto- une exploitation à la fois productive et rat. Paris : Université Panthéon-Sorbonne, respectueuse de l’environnement ; 2. Bellefontaine R, et al., eds. Les arbres hors 2000 ; 429 p. forêt. Cahier FAO Conservation n° 35. Mont- − 8. Raintree JB, ed. Socioeconomic attributes une satisfaction des objectifs sociaux : pellier ; Rome : Centre de coopération interna- of trees and tree planting practices. Commu- diminution du temps de travail en faveur tionale en recherche agronomique pour le dé- nity Forestry note n. 9. Nairobi (Kenya) ; veloppement (Cirad) ; FAO, 2002 ; 214 p. du temps social, diversification des Rome : International Center for Research in formes d’épargne grâce à une revalorisa- 3. Fortmann L. Tree tenure: An analytical fra- Agroforestry (Icraf); Food and Agriculture Or- tion des avantages de l’épargne dans les mework for agroforestry projects. In : ganisation, 1991 ; 115 p. Raintree JB, ed. Land Trees and Tenure. Pro- 9. Warner K, ed. Patterns of Farmer Tree Sanduk, Mecks, etc. ceedings of a workshop, Nairobi, Kenya May Growing in Eastern Africa : A socioeconomic Au-delà de ces considérations précises, 27-31 1985. Nairobi (Kenya); Madison (E´ tats- analysis. Tropical Forestry Papers n. 27. Nai- Unis) : International Center for Research in robi Kenya : Oxford Forestry Institute ; Interna- cette étude de cas pose indirectement un Agroforestry (Icraf) ; The Land Tenure Center, tional Center for Research in Agroforestry problème plus large : celui de la prise en 1987 ; 412 p. (Icraf), 1993 ; 270 p.

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