8 Le Journal des Laboratoires d’Aubervilliers 2015 / 2016 CAHIER B La distance entre V et W 9

mais préfèrent les moments de transition où le Les troisièmes arrivants étaient un groupe jour cède la place aux ténèbres, le temps sacré de Juifs orthodoxes venus de Gush Etzion, un Il voulait préserver les anciens quartiers au temps profane, et vice versa. moshav de Cisjordanie, et qui avaient dû quitter palestiniens pour en faire un cadre culturel Un jour, un rabbin raconta l’histoire suivante : l’endroit après 1948, lorsqu’il devint un territoire exaltant, où artistes et créateurs pourraient jordanien. trouver un nouveau foyer. VILLE « Autrefois je voyageais sur la route, Il s’intéressait beaucoup moins aux personnes et j’entrai dans une des ruines de Ils s’installèrent temporairement à Ein Hawd, qui vivaient déjà là. Jérusalem pour y prier. Élie, bénie soit en attendant que soit terminée la construction sa mémoire, apparut et attendit à la porte de leur nouveau village, Nir Ezion. Celui-ci Il déclara : que j’eusse fini ma prière. fut bâti à quelques centaines de mètres au Quand j’eus fini ma prière, il me dit : nord-est d’Ein Hawd, sur les anciennes terres « À mon sujet, je peux dire : il y a en moi La paix soit avec toi, mon maître ! agricoles du village. deux Janco. FANTÔME Et je répondis : La paix soit avec toi, Je suis né deux fois, j’ai en moi un homme mon maître et mon enseignant ! Lorsque leur kibboutz fut prêt, les Juifs qui est le gardien de mes pensées, mais Et il me dit : Mon fils, pourquoi t’es-tu orthodoxes abandonnèrent les vieilles maisons aussi un homme qui me bat. rendu dans cette ruine ? de pierre d’Ein Hawd pour leurs nouvelles Je n’ai pas fait toute ma vie ce qu’il fallait Je répondis : Pour prier. habitations de béton. Ein Hawd fut de nouveau que je fasse. Retranscription d’une conférence donnée par Malkit Soshan dans le cadre du symposium en forme Il me dit : Tu aurais dû prier sur la route. vide et plus délabré que jamais. Mon cœur n’est pas apaisé. de conte « La Diaspora des objets », organisé par Yael Davids le 16 mai 2015. Je répondis : Je craignais d’être interrompu Je pense que j’ai beaucoup fait : j’ai par des passants. La quatrième et dernière transformation survint travaillé ; j’ai produit Il me dit : Tu aurais dû dire une prière en 1950. Avec l’intervention de l’art ou, plus J’ai été un activiste. abrégée. précisément, d’un artiste dada. Mon objectif était de construire un monde En 1948, Israël mena sa guerre d’indépendance. Ainsi appris-je de lui trois choses : de culture humaine, Celle-ci détruisit notamment plus de 500 villages On ne doit pas aller dans une ruine ; mais aujourd’hui, je ne vois pas demain. » palestiniens et fit des centaines de milliers de on peut dire la prière sur la route ; UN ÉTRANGER ARRIVE AU VILLAGE MALKIT réfugiés. et si l’on fait sa prière sur la route, Ensuite, le nouveau gouvernement s’appropria on récite une prière abrégée. « Je crois [qu’un] dadaïste est un homme UNE COMMUNAUTÉ D’ARTISTES SOSHAN les terres et les biens abandonnés par les Il m’a aussi dit : Mon fils, quel bruit qui vit et réfugiés. as-tu entendu dans cette ruine ? ne rêve ou ne parle pas de théorie. Le début du xxe siècle est riche en exemples de En 1951, le gouvernement israélien tenta Je répondis : J’ai entendu une voix divine, Nous sommes dadaïstes en principe, communautés émergentes qui ont expérimenté d’installer un groupe d’immigrés juifs d’Afrique qui roucoulait comme une colombe. » des gens qui ressentent la vie de nouveaux styles de vie. C’était une réaction du Nord à Ein Hawd, l’un des villages et la chérissent humaine à la dure réalité de la montée de palestiniens confisqués et récemment désertés. et qui construisent tout ce qu’ils violence. à Ein Hawd avec un groupe d’artistes, vers 1950. © KKL photo archive Mais peu après leur arrivée, les immigrés juifs Les démons, les djinns ou les âmes des morts construisent en vue de la vie. ont fui. Selon eux, le village était hanté par des peuvent aussi prendre possession d’un corps, Je ne saurais vous dire de quelle manière En 1921, un quotidien de Bâle proposait à ses démons. action connue sous le nom de aslay, dibbouk ou je suis heureux. lecteurs une visite guidée des champs de bataille Ces démons, les Nord-Africains les appellent des za’ar. Il se pourrait que je sois devenu dadaïste de Verdun, en promettant de leur montrer elle était partie intégrante de son idéologie. était d’une étourdissante beauté. On djinns. Les djinns peuvent blesser les humains, Une personne (une femme, d’ordinaire) possédée à 50 %. « la quintessence des horreurs de la guerre m’avait dit que le village devait être les tuer même. Ils peuvent jeter des pierres aux par un djinn peut subir une crise d’hystérie J’ai changé. moderne ». Elle est ce qui permit à Sharon d’implanter ses démoli. En contemplant la mer et l’aspect gens, essayer de leur faire peur, accomplir des soudaine et présenter un comportement Je ne suis plus l’homme que j’étais à Zurich. » créations par-dessus les quartiers palestiniens, particulier des bâtiments de pierre, je me actions dans le monde réel. paranormal, comme parler avec une voix autre Le critique viennois Karl Kraus écrivit : ou juste à côté d’eux. Le modernisme fut une fis ma conviction : interdit d’y toucher. Un homme seul, dans un endroit désert, peut que la sienne, être épisodiquement agitée de (Marcel Janco: 50 % Dadaist, entretien stratégie fondamentale dans la création d’Israël. Normalement, les villages arabes sont être frappé par une pierre surgie de nulle part. spasmes et de convulsions, ou posséder une vidéo trouvé sur YouTube.) « Je tiens à la main un document qui dépasse Il écrase l’histoire et ignore tout contexte : grâce bâtis avec de la boue séchée et de la paille Ou alors entendre des bruits semblables à des force hors du commun. Dibbuk est la croyance et scelle toute la honte de cette époque. à lui, l’aménagement gigantesque auquel se – or ici, je vis des structures en pierre voix ou aux bruissements d’un arbre, des bruits selon laquelle les esprits des morts peuvent Marcel Janco arriva à Ein Hawd en 1950. Après le monstrueux effondrement de la livrait le jeune État semblait presque naïf. construites d’une manière très singulière. destinés à l’inquiéter et l’angoisser. posséder un corps vivant. Cette croyance était Il raconta plus tard que tandis qu’il approchait fiction qu’était la culture, l’époque n’a plus Sans avoir encore d’idée claire, je sentais Un djinn peut aussi pénétrer dans le corps répandue parmi les Juifs d’Europe de l’Est. du village, il entendit les bruits de l’armée, rien d’autre que la vérité nue de sa condition, Les premières constructions de Sharon, avant que ce lieu possédait un contenu historique d’un être humain. Certains des villageois qui qui détruisait des bâtiments pouvant servir de sorte qu’elle a presque atteint le point où 1948, occupaient des terres vides ou acquises qui le liait à l’histoire de notre pays. Qu’en vivent encore dans la région d’Ein Hawd parlent de caches aux clandestins. elle n’est plus capable de mentir. » légalement. faire ? L’idée se précisa : il fallait utiliser de milliers d’yeux brillant dans le noir dans la « Elle monta sur la scène du cabaret, le site pour créer un village d’artistes. » montagne environnante, de pierres tombées du le cou enrubanné, le visage cireux […] L’hallucination est l’une des plus puissantes Monte Verità, en Suisse, était l’une des plus Après l’établissement d’Israël, les opportunités ciel, de chants tristes se réverbérant comme Qui peut arrêter cette fille – l’hystérie manipulations auxquelles se livrent les djinns. célèbres colonies alternatives. se multiplièrent pour lui, et il aménagea des Janco réussit à persuader le gouvernement l’écho de processions funéraires au plus profond personnifiée [–] d’enfler au point de Par ces illusions, ils peuvent mener les gens centaines de nouvelles zones sur les villages et israélien de le laisser prendre possession du de la montagne. devenir cascade de glace ? […] Couverte comme ils l’entendent. Lorsqu’une personne Établie au début du xxe siècle, elle reposait sur les terres confisqués aux Palestiniens. village pour le transformer en colonie d’artistes. Ils disent que la montagne a vomi les colons, de maquillage, hypnotique de morphine et a une telle vision devant les yeux, c’est une chose les principes du socialisme primitif, sur une qui se sont enfuis terrifiés – abandonnant d’absinthe, flamme sanglante de la gloire bien difficile à expliquer. morale rigide, sur le végétiarisme et le nudisme. Ces constructions décidées d’en haut, qui derrière eux les maisons de pierre d’Ein Hawd. électrique, violente déformation du gothique, entraînèrent la destruction de nombreux villages La croyance aux démons et à un monde mystique sa voix bondit par-dessus les cadavres, se À l’époque où Janco découvrit Ein Hawd, le Les colons rejetaient par dogme les conventions palestiniens, participèrent à la mise en œuvre séparé est présente dans le judaïsme. Celui-ci moque d’eux, met toute son âme dans ses gouvernement l’avait chargé d’étudier le paysage du mariage, les vêtements, et la politique du projet politique israélien, destiné à créer une reconnaît les shedim, ou esprits, sous diverses trilles et roulades de canari jaune. » d’Israël dans la perspective de créer de nouveaux de parti. On a dit d’eux qu’ils étaient d’une nouvelle réalité et à effacer les traces du passé formes. Il a examiné le rapport de ces entités aux parcs et espaces publics. C’était aussi un artiste « tolérante intolérance ». L’art était au cœur palestinien. corps humains ou à l’espace. On raconte que les Possédée, une personne peut parler en utilisant dada, qui avait fait partie des fondateurs du de leur vie quotidienne. shedim furent créés au crépuscule, la veille du les phonèmes [fonem] les plus simples, d’une Cabaret Voltaire à Zurich pendant la Première Après 1948, Janco travailla, comme Sharon, Shabbat, dans une zone liminale située entre le manière gutturale distincte de sa voix habituelle, Guerre mondiale. Il y avait parmi eux Hugo Ball, un collègue au ministère de l’Aménagement du territoire. temps profane et le temps sacré. presque comme si elle parlait une langue de Marcel Janco dans le mouvement dada du Ils ont continué d’exister dans des lieux liminaux inconnue. Il est surtout connu pour avoir créé les masques Cabaret Voltaire. Après Zurich, il rejoignit Monte Il supervisa la cartographie des espaces – ruines, parties inaccessibles de bâtiments, utilisés dans les performances au cabaret. Verità. ouverts du nouveau pays et dressa la liste des trous d’eau, puits, mares ou sources. Dans Une personne traversant un épisode de territoires susceptibles de devenir des parcs et certaines histoires, les démons sont considérés possession aura une conscience différente du Après la Première Guerre mondiale, Janco L’art est de longue date employé comme forêts nationaux. Comme Sharon, Janco était un comme les « propriétaires » de la source d’eau. présent et parfois, la capacité magique retourna dans son pays natal, la Roumanie, instrument de promotion idéologique, car il visionnaire. Il voulait découvrir le potentiel du Les démons peuvent attaquer les gens la nuit, de prédire l’avenir. où il travailla à la fois comme artiste et comme passe librement de l’imaginaire au réel. Il peut paysage et raconter l’histoire des espaces qui architecte. Il conçut des bâtiments de style raconter et illustrer des réalités alternatives : demeuraient dans un entre-deux – non bâtis. Les djinns peuvent progressivement modifier moderne et fonctionnaliste. à ce titre, on le voit souvent comme un outil le comportement de la personne possédée. Mais efficace pour accomplir en peu de temps des celle-ci, lorsque la possession prend fin, connaît Janco ne quitta la Roumanie qu’en janvier 1941, transformations politiques et idéologiques. TRANSFORMATION une amnésie partielle ou totale. après avoir été témoin du pogrom de Bucarest dans lequel 125 Juifs furent publiquement Au cours de sa carrière artistique en Palestine, La prédiction de l’avenir est l’une des activités Le bref passage des Nord-Africains ne fut ni la torturés et massacrés. Il arriva en Palestine puis en Israël, Janco collabora étroitement avec le plus souvent associées aux djinns. Le djinn première, ni la dernière tentative du nouveau en février, en espérant trouver là un refuge et Arieh Sharon, père fondateur de l’architecture se rend dans les parties inférieures des cieux gouvernement israélien pour utiliser le village un lieu pour créer un monde neuf. Il participa moderniste dans le pays. Dans sa jeunesse, pour y écouter les anges discutant entre eux des d’Ein Hawd récemment déserté. de manière remarquable à l’essor de la société Sharon avait participé à l’un des premiers événements futurs. Lorsqu’un djinn possède une nouvelle. Sa renommée en tant que pionnier de kibboutzim installés en Palestine, avant de partir personne, celle-ci développe la capacité de dire De 1948 à 1953, les maisons de pierre du village l’art dada contribua à faire de la Palestine des étudier à , à l’école du . C’était l’avenir. furent leur propre zone liminale, transition d’un années 1940 un lieu d’échange international un architecte et un urbaniste habile. En 1931, monde à un autre, lieu d’accueil d’habitants en matière d’art et d’idées, et à favoriser il revint en Palestine pour faire renouveler Marcel Janco se souvient : temporaires. l’émergence d’un nouveau pays. son passeport ; mais, le Bauhaus se heurtant D’abord, l’armée israélienne utilisa Ein Hawd à l’hostilité croissante des nazis, il décida d’y « Ein Hod connut un début unique : pour s’entraîner à la guerre urbaine, employant Janco était fasciné par différents aspects de rester. dans les années 1950, le ministère de souvent de vraies munitions qui endommagèrent l’Orient, comme Picasso s’était intéressé au l’Aménagement du territoire m’envoya sérieusement les bâtiments palestiniens. « primitif ». Il avait un intérêt particulier pour les Il croyait passionnément au modernisme. explorer les montagnes d’Israël pour que arts et l’artisanat locaux. Il étudia l’architecture Infatigable pionnier, il conçut des villes, des je fasse des propositions concernant la Les immigrés d’Afrique du Nord arrivèrent palestinienne et promut sa conservation. Mais zones agricoles, des espaces publics, des création de parcs nationaux. C’est dans ensuite – pour repartir rapidement. il était attaché aux bâtiments et aux structures, complexes d’habitation, et ainsi de suite. Pour ce cadre que je découvris une colline non à ceux qui les avaient créés. lui, la tabula rasa, la page blanche, n’était pas dans le massif du Carmel, située juste en Marcel Janco à Ein Hawd, 1950 environ. © KKL photo archive seulement le point de départ de ses créations : face du château Pèlerin d’Atlit. L’endroit Gertrud Kraus dans la maison d’Hassan, vers 1950. © KKL photo archive 8 Le Journal des Laboratoires d’Aubervilliers 2015 / 2016 CAHIER B La distance entre V et W 9

mais préfèrent les moments de transition où le Les troisièmes arrivants étaient un groupe jour cède la place aux ténèbres, le temps sacré de Juifs orthodoxes venus de Gush Etzion, un Il voulait préserver les anciens quartiers au temps profane, et vice versa. moshav de Cisjordanie, et qui avaient dû quitter palestiniens pour en faire un cadre culturel Un jour, un rabbin raconta l’histoire suivante : l’endroit après 1948, lorsqu’il devint un territoire exaltant, où artistes et créateurs pourraient jordanien. trouver un nouveau foyer. VILLE « Autrefois je voyageais sur la route, Il s’intéressait beaucoup moins aux personnes et j’entrai dans une des ruines de Ils s’installèrent temporairement à Ein Hawd, qui vivaient déjà là. Jérusalem pour y prier. Élie, bénie soit en attendant que soit terminée la construction sa mémoire, apparut et attendit à la porte de leur nouveau village, Nir Ezion. Celui-ci Il déclara : que j’eusse fini ma prière. fut bâti à quelques centaines de mètres au Quand j’eus fini ma prière, il me dit : nord-est d’Ein Hawd, sur les anciennes terres « À mon sujet, je peux dire : il y a en moi La paix soit avec toi, mon maître ! agricoles du village. deux Janco. FANTÔME Et je répondis : La paix soit avec toi, Je suis né deux fois, j’ai en moi un homme mon maître et mon enseignant ! Lorsque leur kibboutz fut prêt, les Juifs qui est le gardien de mes pensées, mais Et il me dit : Mon fils, pourquoi t’es-tu orthodoxes abandonnèrent les vieilles maisons aussi un homme qui me bat. rendu dans cette ruine ? de pierre d’Ein Hawd pour leurs nouvelles Je n’ai pas fait toute ma vie ce qu’il fallait Je répondis : Pour prier. habitations de béton. Ein Hawd fut de nouveau que je fasse. Retranscription d’une conférence donnée par Malkit Soshan dans le cadre du symposium en forme Il me dit : Tu aurais dû prier sur la route. vide et plus délabré que jamais. Mon cœur n’est pas apaisé. de conte « La Diaspora des objets », organisé par Yael Davids le 16 mai 2015. Je répondis : Je craignais d’être interrompu Je pense que j’ai beaucoup fait : j’ai par des passants. La quatrième et dernière transformation survint travaillé ; j’ai produit Il me dit : Tu aurais dû dire une prière en 1950. Avec l’intervention de l’art ou, plus J’ai été un activiste. abrégée. précisément, d’un artiste dada. Mon objectif était de construire un monde En 1948, Israël mena sa guerre d’indépendance. Ainsi appris-je de lui trois choses : de culture humaine, Celle-ci détruisit notamment plus de 500 villages On ne doit pas aller dans une ruine ; mais aujourd’hui, je ne vois pas demain. » palestiniens et fit des centaines de milliers de on peut dire la prière sur la route ; UN ÉTRANGER ARRIVE AU VILLAGE MALKIT réfugiés. et si l’on fait sa prière sur la route, Ensuite, le nouveau gouvernement s’appropria on récite une prière abrégée. « Je crois [qu’un] dadaïste est un homme UNE COMMUNAUTÉ D’ARTISTES SOSHAN les terres et les biens abandonnés par les Il m’a aussi dit : Mon fils, quel bruit qui vit et réfugiés. as-tu entendu dans cette ruine ? ne rêve ou ne parle pas de théorie. Le début du xxe siècle est riche en exemples de En 1951, le gouvernement israélien tenta Je répondis : J’ai entendu une voix divine, Nous sommes dadaïstes en principe, communautés émergentes qui ont expérimenté d’installer un groupe d’immigrés juifs d’Afrique qui roucoulait comme une colombe. » des gens qui ressentent la vie de nouveaux styles de vie. C’était une réaction du Nord à Ein Hawd, l’un des villages et la chérissent humaine à la dure réalité de la montée de palestiniens confisqués et récemment désertés. et qui construisent tout ce qu’ils violence. Marcel Janco à Ein Hawd avec un groupe d’artistes, vers 1950. © KKL photo archive Mais peu après leur arrivée, les immigrés juifs Les démons, les djinns ou les âmes des morts construisent en vue de la vie. ont fui. Selon eux, le village était hanté par des peuvent aussi prendre possession d’un corps, Je ne saurais vous dire de quelle manière En 1921, un quotidien de Bâle proposait à ses démons. action connue sous le nom de aslay, dibbouk ou je suis heureux. lecteurs une visite guidée des champs de bataille Ces démons, les Nord-Africains les appellent des za’ar. Il se pourrait que je sois devenu dadaïste de Verdun, en promettant de leur montrer elle était partie intégrante de son idéologie. était d’une étourdissante beauté. On djinns. Les djinns peuvent blesser les humains, Une personne (une femme, d’ordinaire) possédée à 50 %. « la quintessence des horreurs de la guerre m’avait dit que le village devait être les tuer même. Ils peuvent jeter des pierres aux par un djinn peut subir une crise d’hystérie J’ai changé. moderne ». Elle est ce qui permit à Sharon d’implanter ses démoli. En contemplant la mer et l’aspect gens, essayer de leur faire peur, accomplir des soudaine et présenter un comportement Je ne suis plus l’homme que j’étais à Zurich. » créations par-dessus les quartiers palestiniens, particulier des bâtiments de pierre, je me actions dans le monde réel. paranormal, comme parler avec une voix autre Le critique viennois Karl Kraus écrivit : ou juste à côté d’eux. Le modernisme fut une fis ma conviction : interdit d’y toucher. Un homme seul, dans un endroit désert, peut que la sienne, être épisodiquement agitée de (Marcel Janco: 50 % Dadaist, entretien stratégie fondamentale dans la création d’Israël. Normalement, les villages arabes sont être frappé par une pierre surgie de nulle part. spasmes et de convulsions, ou posséder une vidéo trouvé sur YouTube.) « Je tiens à la main un document qui dépasse Il écrase l’histoire et ignore tout contexte : grâce bâtis avec de la boue séchée et de la paille Ou alors entendre des bruits semblables à des force hors du commun. Dibbuk est la croyance et scelle toute la honte de cette époque. à lui, l’aménagement gigantesque auquel se – or ici, je vis des structures en pierre voix ou aux bruissements d’un arbre, des bruits selon laquelle les esprits des morts peuvent Marcel Janco arriva à Ein Hawd en 1950. Après le monstrueux effondrement de la livrait le jeune État semblait presque naïf. construites d’une manière très singulière. destinés à l’inquiéter et l’angoisser. posséder un corps vivant. Cette croyance était Il raconta plus tard que tandis qu’il approchait fiction qu’était la culture, l’époque n’a plus Sans avoir encore d’idée claire, je sentais Un djinn peut aussi pénétrer dans le corps répandue parmi les Juifs d’Europe de l’Est. du village, il entendit les bruits de l’armée, rien d’autre que la vérité nue de sa condition, Les premières constructions de Sharon, avant que ce lieu possédait un contenu historique d’un être humain. Certains des villageois qui qui détruisait des bâtiments pouvant servir de sorte qu’elle a presque atteint le point où 1948, occupaient des terres vides ou acquises qui le liait à l’histoire de notre pays. Qu’en vivent encore dans la région d’Ein Hawd parlent de caches aux clandestins. elle n’est plus capable de mentir. » légalement. faire ? L’idée se précisa : il fallait utiliser de milliers d’yeux brillant dans le noir dans la « Elle monta sur la scène du cabaret, le site pour créer un village d’artistes. » montagne environnante, de pierres tombées du le cou enrubanné, le visage cireux […] L’hallucination est l’une des plus puissantes Monte Verità, en Suisse, était l’une des plus Après l’établissement d’Israël, les opportunités ciel, de chants tristes se réverbérant comme Qui peut arrêter cette fille – l’hystérie manipulations auxquelles se livrent les djinns. célèbres colonies alternatives. se multiplièrent pour lui, et il aménagea des Janco réussit à persuader le gouvernement l’écho de processions funéraires au plus profond personnifiée [–] d’enfler au point de Par ces illusions, ils peuvent mener les gens centaines de nouvelles zones sur les villages et israélien de le laisser prendre possession du de la montagne. devenir cascade de glace ? […] Couverte comme ils l’entendent. Lorsqu’une personne Établie au début du xxe siècle, elle reposait sur les terres confisqués aux Palestiniens. village pour le transformer en colonie d’artistes. Ils disent que la montagne a vomi les colons, de maquillage, hypnotique de morphine et a une telle vision devant les yeux, c’est une chose les principes du socialisme primitif, sur une qui se sont enfuis terrifiés – abandonnant d’absinthe, flamme sanglante de la gloire bien difficile à expliquer. morale rigide, sur le végétiarisme et le nudisme. Ces constructions décidées d’en haut, qui derrière eux les maisons de pierre d’Ein Hawd. électrique, violente déformation du gothique, entraînèrent la destruction de nombreux villages La croyance aux démons et à un monde mystique sa voix bondit par-dessus les cadavres, se À l’époque où Janco découvrit Ein Hawd, le Les colons rejetaient par dogme les conventions palestiniens, participèrent à la mise en œuvre séparé est présente dans le judaïsme. Celui-ci moque d’eux, met toute son âme dans ses gouvernement l’avait chargé d’étudier le paysage du mariage, les vêtements, et la politique du projet politique israélien, destiné à créer une reconnaît les shedim, ou esprits, sous diverses trilles et roulades de canari jaune. » d’Israël dans la perspective de créer de nouveaux de parti. On a dit d’eux qu’ils étaient d’une nouvelle réalité et à effacer les traces du passé formes. Il a examiné le rapport de ces entités aux parcs et espaces publics. C’était aussi un artiste « tolérante intolérance ». L’art était au cœur palestinien. corps humains ou à l’espace. On raconte que les Possédée, une personne peut parler en utilisant dada, qui avait fait partie des fondateurs du de leur vie quotidienne. shedim furent créés au crépuscule, la veille du les phonèmes [fonem] les plus simples, d’une Cabaret Voltaire à Zurich pendant la Première Après 1948, Janco travailla, comme Sharon, Shabbat, dans une zone liminale située entre le manière gutturale distincte de sa voix habituelle, Guerre mondiale. Il y avait parmi eux Hugo Ball, un collègue au ministère de l’Aménagement du territoire. temps profane et le temps sacré. presque comme si elle parlait une langue de Marcel Janco dans le mouvement dada du Ils ont continué d’exister dans des lieux liminaux inconnue. Il est surtout connu pour avoir créé les masques Cabaret Voltaire. Après Zurich, il rejoignit Monte Il supervisa la cartographie des espaces – ruines, parties inaccessibles de bâtiments, utilisés dans les performances au cabaret. Verità. ouverts du nouveau pays et dressa la liste des trous d’eau, puits, mares ou sources. Dans Une personne traversant un épisode de territoires susceptibles de devenir des parcs et certaines histoires, les démons sont considérés possession aura une conscience différente du Après la Première Guerre mondiale, Janco L’art est de longue date employé comme forêts nationaux. Comme Sharon, Janco était un comme les « propriétaires » de la source d’eau. présent et parfois, la capacité magique retourna dans son pays natal, la Roumanie, instrument de promotion idéologique, car il visionnaire. Il voulait découvrir le potentiel du Les démons peuvent attaquer les gens la nuit, de prédire l’avenir. où il travailla à la fois comme artiste et comme passe librement de l’imaginaire au réel. Il peut paysage et raconter l’histoire des espaces qui architecte. Il conçut des bâtiments de style raconter et illustrer des réalités alternatives : demeuraient dans un entre-deux – non bâtis. Les djinns peuvent progressivement modifier moderne et fonctionnaliste. à ce titre, on le voit souvent comme un outil le comportement de la personne possédée. Mais efficace pour accomplir en peu de temps des celle-ci, lorsque la possession prend fin, connaît Janco ne quitta la Roumanie qu’en janvier 1941, transformations politiques et idéologiques. TRANSFORMATION une amnésie partielle ou totale. après avoir été témoin du pogrom de Bucarest dans lequel 125 Juifs furent publiquement Au cours de sa carrière artistique en Palestine, La prédiction de l’avenir est l’une des activités Le bref passage des Nord-Africains ne fut ni la torturés et massacrés. Il arriva en Palestine puis en Israël, Janco collabora étroitement avec le plus souvent associées aux djinns. Le djinn première, ni la dernière tentative du nouveau en février, en espérant trouver là un refuge et Arieh Sharon, père fondateur de l’architecture se rend dans les parties inférieures des cieux gouvernement israélien pour utiliser le village un lieu pour créer un monde neuf. Il participa moderniste dans le pays. Dans sa jeunesse, pour y écouter les anges discutant entre eux des d’Ein Hawd récemment déserté. de manière remarquable à l’essor de la société Sharon avait participé à l’un des premiers événements futurs. Lorsqu’un djinn possède une nouvelle. Sa renommée en tant que pionnier de kibboutzim installés en Palestine, avant de partir personne, celle-ci développe la capacité de dire De 1948 à 1953, les maisons de pierre du village l’art dada contribua à faire de la Palestine des étudier à Dessau, à l’école du Bauhaus. C’était l’avenir. furent leur propre zone liminale, transition d’un années 1940 un lieu d’échange international un architecte et un urbaniste habile. En 1931, monde à un autre, lieu d’accueil d’habitants en matière d’art et d’idées, et à favoriser il revint en Palestine pour faire renouveler Marcel Janco se souvient : temporaires. l’émergence d’un nouveau pays. son passeport ; mais, le Bauhaus se heurtant D’abord, l’armée israélienne utilisa Ein Hawd à l’hostilité croissante des nazis, il décida d’y « Ein Hod connut un début unique : pour s’entraîner à la guerre urbaine, employant Janco était fasciné par différents aspects de rester. dans les années 1950, le ministère de souvent de vraies munitions qui endommagèrent l’Orient, comme Picasso s’était intéressé au l’Aménagement du territoire m’envoya sérieusement les bâtiments palestiniens. « primitif ». Il avait un intérêt particulier pour les Il croyait passionnément au modernisme. explorer les montagnes d’Israël pour que arts et l’artisanat locaux. Il étudia l’architecture Infatigable pionnier, il conçut des villes, des je fasse des propositions concernant la Les immigrés d’Afrique du Nord arrivèrent palestinienne et promut sa conservation. Mais zones agricoles, des espaces publics, des création de parcs nationaux. C’est dans ensuite – pour repartir rapidement. il était attaché aux bâtiments et aux structures, complexes d’habitation, et ainsi de suite. Pour ce cadre que je découvris une colline non à ceux qui les avaient créés. lui, la tabula rasa, la page blanche, n’était pas dans le massif du Carmel, située juste en Marcel Janco à Ein Hawd, 1950 environ. © KKL photo archive seulement le point de départ de ses créations : face du château Pèlerin d’Atlit. L’endroit Gertrud Kraus dans la maison d’Hassan, vers 1950. © KKL photo archive 10 Le Journal des Laboratoires d’Aubervilliers 2015 / 2016 CAHIER B La distance entre V et W 11

Malkit Shoshan a étudié l’architecture et l’urbanisme à l’université IUAV de Venise (Italie) et au Technion de Haïfa (Israël). Fondatrice du think-tank architectural FAST (Foundation for Achieving Seamless YASMINE EID-SABBAGH Territory / Fondation pour la réalisation d’un territoire transparent) basé à Amsterdam, elle explore et met en évidence les relations entre l’architecture, la politique et les droits de l’homme. Elle est l’auteure du livre primé Atlas of the Conflict, -Palestine (2010) et de Village (2014). En 2013, alors qu’elle était chercheuse à la Het Nieuwe Instituut de Rotterdam, elle a développé un projet à long terme, Drones et Honeycombs, 35 où elle étudie l’architecture contemporaine ’ et des paysages en temps de guerre et de paix. Ce projet comprenait l’intervention « Design for Legacy » ; les séminaires « Drone Salon » et « Missions and Missionnaries », ainsi que l’installation 2014-1914: View from above. Elle est également membre du comité de rédaction de Footprint: Delft Architecture Theory Journal, associé à la chaire Architecture Theory de l’université de Technologie de Delf (Hollande). Extrait de 35 minutes d’un script plus long, avec lequel Yasmine Eid-Sabbagh a expérimenté Son travail a été publié au sein de livres, un dispositif lors de La Diaspora des objets, un symposium en forme de conte, organisé par magazines et journaux tels que SQM: The Yael Davids le 16 mai 2015. Quantified Home, Volume, Abitare, Frame, Monu, Haaretz et le New York Times ; il a également été exposé à la Biennale d’architecture de Venise (2002, 2008), la Biennale de Venise (2007), l’Institut Un faisceau de lumière passe par un minuscule d’architecture des Pays-Bas (2007), trou dans la porte. Il traverse la pièce, projette Experimenta (2011), NAiM / Bureau Europa une image vague sur le mur opposé à la porte. La maison de Gertrud Kraus aujourd’hui, 2014. © Yael Bar Maor (2012) et au Het Nieuwe Instituut (2014). L’image est floue, elle tremble.

Nous sommes assises dans une pièce sans Hugo Ball a écrit, à propos de la contribution d’autres, « Chagall ». Ils finirent par choisir si la Palestine n’avait jamais été, comme si Israël fenêtre où ne pénètre pas la lumière du jour. de Janco au Cabaret Voltaire : Ein Hod, qui signifie en hébreu « lieu de gloire avait toujours été. C’est une des quatre heures de la journée où et de splendeur ». Nom presque dada, puisque Les artistes d’Ein Hod ont, dans leur travail, le réseau électrique d’État est arrêté. C’est le « Nous étions tous là quand Janco arriva reprenant la sonorité du nom du village en arabe, participé à la création d’un récit national. L’art générateur local qui fournit l’électricité. La avec ses masques ; immédiatement tout Ein Hawd, qui signifie « source d’eau ». a défini le sionisme dans la mesure où il a relié lumière est faible. le monde en mit un. Puis il se passa une entre eux le judaïsme, la modernité et le contexte Nous ouvrons le sac, et nous commençons non chose étrange. Non seulement le masque Ein Hod devint la plus importante colonie local. par regarder les photographies, mais par les appelait immédiatement le costume, mais d’artistes en Israël, fameuse pour son style classer. il exigeait aussi un geste défini, passionné, de vie alternatif et bohème. Peu importe la vérité. L’art n’a pas à se justifier, Il y a des photographies imprimées, des négatifs, qui frisait la folie. Alors que nous n’aurions pas à respecter l’éthique, l’histoire ou les quelques pellicules super 8, des cassettes vidéo pu l’imaginer cinq minutes plus tôt, nous L’art produit par les artistes colons d’Ein Hod faits. Ainsi dégagé de toute responsabilité, et aussi des cassettes audio. marchions maintenant en faisant les mou- joua un rôle important dans la création de il est puissant, car il opère au niveau visuel et Ce matériau est déjà en partie organisé. Par vements les plus bizarres, ornés et drapés l’éthos de l’État juif moderne, en le rattachant sensoriel, non sur un plan rationnel ou moral. exemple, un dossier contient des pochettes d’objets impossibles, chacun de nous s’ef- conceptuellement et esthétiquement à son Les récits historiques nationaux inventés à remplies de photos d’identité. Certaines forçant de battre les autres à ce jeu […]. propre passé. Ein Hawd ont rapidement recouvert les souvenirs photographies sont classées par pellicule, de la Palestine sous l’éthos israélien émergent. d’autres simplement entassées dans de petits Les masques suscitèrent des danses lentes, albums. improvisées sur place et baptisées après OBJETS TROUVÉS Nous faisons différentes piles que nous étalons coup : « désespoir festif », « cauchemar », sur le sol du salon. « attrape-mouches ». En tout cas, les mas- En 1948, pendant la guerre d’indépendance, Je sonde les murs à la recherche d’un ques affirmaient l’existence d’une langue l’armée israélienne attaqua Ein Hawd à trois Traduit de l’anglais interrupteur, en me disant « Nous regardons que personne ne savait parler, mais qui reprises. Après la troisième attaque, elle par Nicolas Vieillescazes des photographies presque sans lumière. » contenait les seuls mots capables de former occupa le village, contraignant ses habitants la seule vérité qui méritât d’être connue. » palestiniens à la fuite. Beaucoup d’entre eux Vous pouvez retrouver la version L’image continue de trembler. Un instant, elle espéraient que l’exil serait temporaire. À la va- originale de ce texte sur le site internet disparaît complètement, comme si quelqu’un ou Comme il l’avait fait avec ses masques, Janco vite, ils creusèrent des trous dans leurs jardins des Laboratoires d’Aubervilliers quelque chose avait couvert le trou ou obturé injecta dans Ein Hawd un nouveau contenu. pour y cacher des objets précieux, bagues, la source de lumière. Mais même lorsque l’image Il travailla avec un groupe d’artistes d’avant- colliers, vases, cadeaux de mariage. Dans les apparaît, ce n’est pas une image, mais la simple garde. Beaucoup d’entre eux, telle Gertrud années 1950, l’un des artistes d’avant-garde trace d’une image en devenir ou plutôt en Kraus, avaient étudié dans les meilleures écoles découvrit un objet dans le jardin de son nouvel cours de disparition. Elle demeure floue, et tout d’art européennes. Ils avaient fui le vieux atelier. Il était convaincu d’avoir trouvé un se passe comme si elle dansait. continent chancelant – avant, pendant et après vestige romain. D’autres se mirent à creuser la Seconde Guerre mondiale. Petit à petit, Janco et découvrirent de nouveaux trésors cachés. C’est elle qui est venue me chercher. c’est la première fois que je le vois. Elle va grossièrement noué couvre ses cheveux. réalisa son rêve de remplir le vieux village d’art Quelqu’un lui avait dit que je m’intéressais le chercher dans sa chambre. C’est un grand sac Derrière elles, on voit ce qui ressemble d’avant-garde. Il transforma la vieille mosquée À mesure qu’ils mettaient au jour des objets aux photographies du camp. en cuir. Je n’imaginais pas qu’il serait si grand. à une porte. en café et, s’inspirant du Cabaret Voltaire, il en palestiniens, ils créèrent leur propre récit de Je me souviens qu’elle est arrivée en C’est sans doute une photographie prise fit un lieu de plaisirs et de performances. Les l’origine de ces découvertes. disant : « On m’a dit que vous cherchiez Les premières photographies que nous regardons par Hasna avec le retardateur de son folles fêtes de Pourim qui avaient lieu là étaient des photographies. Quand vous aurez le plus attentivement sont celles d’Amsha (qui veut appareil. connues dans tout le pays. Les artistes firent du Ils inventèrent à Ein Hod une nouvelle histoire, temps, venez chez moi, j’en ai un sac plein… » dire « celle qui a l’œil trouble »). Il y en a trois. J’imagine exactement comment elle a placé village un théâtre, paradant dans des costumes en prenant les objets trouvés pour point de Ses yeux étincelaient, et son sourire éclairait l’appareil sur le mur inachevé avant de exotiques où l’Orient et l’oriental jouaient un départ. Grâce à ces derniers, ils donnèrent la pièce. [projeter la première image] se précipiter pour poser à côté d’Amsha. rôle de premier plan. Souvent, Janco apparaissait au village un passé archéologique fantôme, vêtu en cheik arabe. lié à l’époque des croisés ou des Romains, et Ensuite elle m’a dit que pendant les guerres Dans l’une d’elles, prise de près, on voit La photo se met soudain à trembler comme rattachèrent ainsi la modernité à une période des années 1970 et 1980, la première chose les deux femmes enlacées. Amsha est si le viseur cherchait à s’accrocher à son Ailleurs dans le village, les artistes transfor- antérieure de 2 000 ans. qu’elle faisait quand les bombardements à gauche, Hasna accroupie à côté d’elle, sujet tandis que l’appareil tombait par terre. mèrent les maisons en ateliers, les ruines en commençaient, c’était de mettre le sac dans enveloppant ses épaules d’un bras et espaces publics ou en galeries d’art extérieures, Ces objets prouvaient que les artistes étaient là un endroit sûr. tenant la main d’Amsha de l’autre. Elles [poser le projecteur] les cimetières en jardins. chez eux. Ils les exposèrent dans des galeries, Elle a dit que sa maison avait été détruite remplissent tout le cadre de l’image, la tête leur inventèrent une histoire qu’ils partagèrent deux fois, mais que les photos étaient intactes. d’Amsha et les cheveux d’Hasna sont Dehors, la lumière du jour s’en est allée, Tout ce qui restait dans le village palestinien avec ceux qui voulaient bien les écouter. à moitié coupés. Hasna porte un pantalon, c’est à peine si nous voyons nos mains. devint un objet d’art. Au cours de l’une de leurs [fichier son avec sous-titres – appuyer sur 1] un col roulé à manches longues et un L’appareil lui-même fonctionne toujours, intact, premières réunions, les artistes discutèrent En Palestine, à Ein Hawd, Dada a contribué pull à manches courtes par dessus. Il est elle le sort de son sac et regarde dans le viseur, du nouveau nom à donner au village. à l’ancrage territorial du sionisme. Artistes, Je me souviens de ses yeux étincelants et de son serré et de couleur claire. la photographie se dissout dans le néant. peintres, photographes, écrivains, architectes : sourire qui éclairait la pièce quand elle parlait Amsha semble porter plusieurs jupes Certains voulaient le baptiser « Picasso », tous s’employèrent à raconter le paysage comme du sac rempli de photographies. Aujourd’hui, superposées et une veste noire. Un foulard