André Malraux et l’

Les cinq raisons de cette recherche.

- la première raison , c’est l’articulation qui me tient à cœur entre diplomatie et culture. Une conviction pour laquelle le Ministre des Affaires culturelles du Général de Gaulle a si puissamment œuvré. De 2005 à 2008 , j’étais ambassadeur de à Kaboul et il m’a paru important de « donner sens » à notre présence dans ce pays - notamment celle de nos forces – en marquant la place que la culture et singulièrement l’écriture occupent dans notre relation bilatérale . On pense bien sûr aux « Cavaliers » de Kessel et au d’Atiq Rahimi. J’ai produit deux recueils d’auteurs de langue française sur l‘Afghanistan . André et Clara Malraux y figurent en bonne place , y compris sur la couverture du premier dans lequel est reproduit un passage des « Antimémoires » sur Kaboul . Accueillant début juin 1965 à le souverain afghan Zaher Chah , de Gaulle dit : « Bien entendu, c’est par la culture que le mouvement a commencé . Car tout procède de l’esprit. Ainsi sous la conduite d’Alfred Foucher , encouragé par le gouvernement de Kaboul , un groupe de savants archéologiques de chez nous fût tout de suite attiré par une contrée remplie de ces vestiges et monuments par lesquels les grands empires passagers ont , tour à tour, attesté sur leur sol leurs ambitions , fondations , illusions , tandis que les Afghans eux-même y imprimaient partout leur marque . » Archéologues suivis par des professeurs , des médecins , des agronomes poursuit de Gaulle qui évoque « une communauté de culture ». Le voyage de Malraux en Afghanistan dans les années 30 s’inscrit dans cette lignée.

- la deuxième raison , c’est le plaisir de l’enquête. Les biographes de Malraux sont imprécis voire contradictoires sur la ou les visites d’André et Clara Malraux en Afghanistan . Ces derniers eux même entretiennent la confusion . André situe ce déplacement en 1929 , Clara en 1931. Mes recherches dans récits , mémoires , correspondances , archives m’amènent , à ce stade , à considérer que cette visite s’est déroulée durant la première quinzaine de juillet 1930 et a duré une douzaine de jours , conduisant les voyageurs de Termez sur l’Amou Daria à Kaboul puis à Ghazni , Djalalabad et enfin la passe de Khyber vers les Indes alors anglaises. Khyber « cette passe de cosmogonie que tachent les myrtes et les mûriers » devant laquelle il imagine l’armée macédonienne . André et Clara n’iront pas à Bamiyan redoutant ,semble t il, d’y retrouver Joseph Hackin , l’ancien conservateur de Guimet qui leur avait ouvert la voie d’Angkor. André Vandegans , le spécialiste de la jeunesse littéraire de Malraux , rapporte que pour ce dernier « l’événement le plus important du début des années trente paraît être son expédition archéologique en Afghanistan « fin de citation . Elle conduira à l’organisation de deux expositions dites gothico-bouddhiques à la Galerie de la NRF . Elle résonnera dans son œuvre littéraire - on pense bien sûr aux « Noyers de l’Altenburg » prolongé par une « Suite persane » dont le récit de Normand se passe à Herat du temps d’Amanullah et au « Miroir des Limbes » - mais aussi à des écrits antérieurs de jeunesse comme « l’Expédition d’Ispahan » , à des réminiscences dans le récit vers le royaume de Saba voire à un paragraphe de « la Condition humaine » qui fait mention de pratiques de violence explicitement attribuées aux afghans . On pense aussi aux nombreuses références à l’Afghanistan dans ses travaux sur l’art , l’archéologie et les civilisations. Clara , pour sa part , outre des passages de ses mémoires , consacrera un roman à ce périple afghan . « Par de plus longs chemins ».

- La troisième raison est que pour moi , l’Afghanistan auquel s’ajoutent la Tartarie et les Pamirs qui l’incluent ou l’environnent , couvre l’ensemble du parcours de l’homme Malraux. . la jeunesse et ses lectures : l’ami Pascal Pia l’a joliment raconté . « L’amour de l’art et le gout des voyages l’ont tourmenté dés sa jeunesse . Avant même qu’il se rendit en Extrème Orient , Marco Polo , Ruburquis et Plan Carpin nourrissaient ses rêves . Au sortir de la Bibliothèque Nationale , nous nous interrogions , mi- sérieux , mi-bouffons , sur l’identité du Prestre Jehan . Qu’avait il été : prince ou dyable ? grand mogul ou négus ? si on allait voir sur place ? ». . l’Orient , l’Asie et les voyages : les Pamirs constituent une balise importante de la géographie malrucienne. . le ministre – avec des regrets . Si l’Afghanistan trouve une place dans les grandes expositions sur l’Inde et l’Iran , la visite ministérielle envisagée dés 58 n’aura pas lieu . De même en 65, Malraux , malade comme l’on sait , ne sera pas en mesure d’accueillir à déjeuner à Versailles le roi d’Afghanistan comme pourtant le prévoyait le Protocole.

Et puis il y a ces statues du Gandhara , dont « le génie aux fleurs » , photographiées par tous ses portraitistes de Germaine Krull à Roger Parry , qui l’accompagneront tout au long de sa vie , de Boulogne à Verrières le Buisson et entouré desquelles il reposera à sa mort. Ces statues , acquises à l’occasion de sa visite en Afghanistan , avec lesquelles il aura dialogué jusqu’au dernier jour.

- « Ces terres légendaires appellent les farfelus » écrit il dans les « Antimémoires » , se référant au Yemen de l’Arabie heureuse et , je veux croire, à l’Afghanistan de la Route de la Soie. C’est ma quatrième raison. Nombreux sont les héros de Malraux à être passés par l’Afghanistan : Alexandre , Tamerlan , Lawrence du « Démon de l’absolu ». Ceux qui quelque part voulaient démentir Kipling et faire se rejoindre l’orient et l’occident. Et même si , comme le dit son ami Emmanuel Berl , « tout le monde se fout de Tamerlan » , on sait un Malraux fasciné par la fièvre des turco-mongols puis des Timourides , celle de la conquête , de la dévastation , de la steppe infinie . « Des petits chevaux hirsutes » de Gengis Khan fonçant « sous le ciel livide » . Mais il y aussi chez les Timourides un incroyable attachement à la culture , au livre , à la création artistique , à l’urbanisme et même au mécénat. Herat en sera une illustration parfaite. Une dualité puissante et mélancolique et , au bout du compte , très malrucienne.

- ma cinquième et dernière raison a trait à la géopolitique. Il faut un certain courage pour se rendre en Afghanistan à l’été 1930 . Le pays sort de la révolte des Kohistanis , si bien « couverte » par la journaliste Andrée Viollis dont Malraux a préfacé le SOS Indochine , et qui reprendra brièvement au lendemain même du départ des Malraux . Arrivés à Peshawar , ces derniers auront par ailleurs à faire à une bronca des tribus pathanes. C’est le quotidien du « Grand Jeu » . A Kaboul , Malraux voit clair dans les limites du pouvoir central . Certaines phrases des « Noyers » sont prémonitoires et anticipent largement le « Karzai maire de Kaboul » que les journalistes croiront inventer. Son regard sur l’islam afghan est en revanche excessivement fermé. Si le père du narrateur des « Noyers » rentre à Marseille déçu de son équipée afghane au côté d’Enver Pacha , le rêve pan touranien est il mort pour autant ? Permettez moi pour conclure de citer quelques lignes du dernier livre d’Olivier Weber , qui préside le jury du prix Joseph Kessel. « Avant de prendre congé , l’officier concède que le rêve fou d’Enver Pacha est en partie achevé : les Turcs , au lieu de lancer des cavaliers en Asie centrale , ont dépêché maints courtiers et entrepreneurs de Bakou à Almaty et jusqu’à Bichkek , au Kirghizistan . A défaut de s’emparer des capitales , ils ont contourné l’ancien empire perse et planté leurs drapeaux jusqu’au bout des steppes. Le Turkestan d’aujourd’hui , qui s’appuie sur le mont Ararat , est d’abord messianique et il se moque des frontières ». « A Kaboul rêvait mon père ».