Eine Welt N° 4 DÉCEMBRE 2000 LE MAGAZINE DE LA DDC SUR LE DÉVELOPPEMENT Un solo mondo ET LA COOPÉRATION Un seul monde

Les Balkans, autrefois inconnus, aujourd’hui si proches Le Niger: un mélange de volonté divine, de pauvreté et d’humour Économie privée et coopération au développement: la fin d’un tabou DOSSIER Aider l’Afghanistan malgré les talibans La Suisse préside cette année le groupe des pays donateurs, qui se préoccupe surtout de la situation des femmes 24

FORUM BALKANS Ces guerres qui nous rapprochent La guerre et les réfugiés nous ont fait brusquement découvrir les Balkans ces dernières années. La Suisse s’est prise de sympathie pour ces nouveaux voisins 6 «Les Balkans doivent réintégrer l’Europe» Interview de l’Autrichien Wolfgang Petritsch, L’économie privée découvre les pauvres Haut Représentant de la communauté internationale Économie privée et coopération: en Bosnie trois spécialistes évoquent les limites et 12 les potentiels d’une collaboration Crépitement de truelles au Kosovo 26 On reconstruit tout et partout au Kosovo, avec Carte blanche une collaboration énergique de la Suisse Le Congolais Louis Mombu, qui vit depuis 14 des années en Suisse, est l’organisateur principal du «Festival Integration», à Zurich 29

SommaireHORIZONS CULTURE

NIGER Pinocchio met son nez dans les scripts Une longue marche pour quelques patates Un programme de formation destiné aux scénaristes Toute la difficulté de survivre dans ce pays africains qui occupe l’avant-dernier rang au classement de la pauvreté 30 16 Une drogue douce dans la calebasse Éditorial 3 Le journaliste nigérien Ibbo Daddy Abdoulaye Périscope 4 révèle des secrets culinaires DDC interne 25 Au fait, qu’est-ce qu’un fonds de contrepartie? 25 20 Service 33 Agenda 35 DDC Impressum et bulletin de commande 35 Opinion DDC Quel comportement faut-il adopter à l'égard des gouvernements qui violent les droits de l'homme? 21 Débuts de rêves dans un bidonville En Colombie, deux millions de personnes Un seul monde est édité par la Direction du développement et de la coopération déplacées vivent dans des conditions (DDC), agence de coopération internationale intégrée au Département fédéral des affaires étrangères (DFAE). Cette revue n’est cependant pas une publication misérables officielle au sens strict. D’autres opinions y sont également exprimées. C’est pourquoi les articles ne reflètent pas obligatoirement le point de vue de la DDC 22 et des autorités fédérales.

2 Un seul monde N° 4 / Décembre 2000 Editorial

Allez voir un match de football!

Il y a trois ans, lors d’une conférence internationale, Des affiches ont été placardées cet été pour attirer Thabo Mbeki, l’actuel président sud-africain, a invi- l’attention du public sur «l’autre Afrique» et sur le té les pays donateurs à opposer une image positive site Internet www.africanow.ch. Cette action, qui a de l’Afrique aux habituels clichés misérabilistes. duré deux semaines, a également rencontré un écho des plus favorables. Nous avons reçu nombre Accédant au vœu de M. Mbeki, nous avons fait de de réactions, venues de Suisse et d’ailleurs, ainsi «l’autre Afrique» le slogan de notre campagne an- que des messages signalant l’existence d’autres nuelle et avons soutenu divers événements cultu- sites consacrés à l’Afrique. Enfin, et c’est le clou de rels en rapport avec ce continent. L’exposition la campagne, le CD Urban Africa Now, qui réunit 17 South meets West, à Berne, a remporté un succès morceaux de groupes africains connus et inconnus, dépassant largement les frontières de la Suisse. semble promis à un beau succès. Les médias l’ont Les œuvres d’artistes contemporains de divers très bien accueilli et les ventes montrent que le pu- pays africains y étaient présentées pour la première blic partage leur avis. fois en Europe. L’exposition a rompu avec de nom- breux clichés sur l’art africain. Dans la rubrique «L’autre Afrique» existe. Pour vous en convaincre, «Carte blanche» du présent numéro, le Congolais visitez www.africanow.ch, assistez à une manifesta- Louis Mombu, organisateur du «Festival Integra- tion culturelle africaine ou allez voir un match de tion», raconte pour sa part comment il vit les réali- football! tés suisses. Harry Sivec Lors de la conférence annuelle de la DDC, à fin Chef médias et communication DDC août, l’écrivain mozambicain Mia Couto a aussi dé- montré à quel point les échanges culturels peuvent (De l’allemand) favoriser la compréhension entre différents mon- des. La lecture qu’il a donnée de son roman La vé- randa au frangipanier et la discussion qui a suivi ont permis au public de s’imprégner de la culture du , hôte d’honneur de la conférence. Un double concert a ensuite réuni sur scène le groupe mozambicain Mabulu et la formation bernoise The Shoppers. Une manière de prouver que la musique peut établir des ponts. Ravis par cette partie du programme, nombre d’habitués de la conférence annuelle ont dansé avec enthousiasme.

Un seul monde N° 4 / Décembre 2000 3 européen des brevets vient de révoquer le brevet no 436257 déposé quelques années aupara- vant. «C’est un grand jour pour tous ceux qui ont mené ce com- bat. Ils ont retrouvé le contrôle de leurs ressources et de leurs connaissances traditionnelles», a commenté la scientifique Vandana Shiva, de l’Institut de recherche pour la science, la technologie et l’écologie, à Delhi.

Still Pictures Breveter le goût du cacao (bf) Son goût unique, le cacao Une odeur de café bio sur Le neem retrouve sa liberté du Ghana le doit à un processus les Andes (bf) Le neem, un arbre originaire spécial de fermentation et de (bf) Pour compenser les pertes du sous-continent indien, vient séchage, qui en fait une denrée dramatiques dues à l’effondre- de remporter une victoire décisi- très demandée dans le monde ment des volumes de vente, ve à l’échelle mondiale. Une entier. Les laboratoires de les planteurs de café péruviens entreprise américaine l’avait fait recherche de diverses multinatio- misent désormais sur une nou- breveter pour s’en approprier nales cherchent depuis long- velle source de revenus, la cultu- les innombrables propriétés. re biologique. Depuis la dénon- Or, dans la société indienne, le ciation de l’Accord international neem joue un rôle très important sur le café, en 1989, les prix depuis des millénaires: ses feuilles n’ont cessé de jouer au yo-yo. et son écorce interviennent dans Cette situation a conduit notam- la fabrication de vêtements, ment à la fondation d’organismes d’aliments et d’habitations; ses de commerce équitable. branches servent de brosses à Cecovasa, coopérative de cultiva- dents; des médicaments naturels teurs des vallées de Sandia, sur sont tirés de ses diverses parties;

les contreforts orientaux des de plus, on lui prête des forces Riboud / Magnum photos Marc Andes péruviennes, est devenue spirituelles. Devant les protesta- un de leurs fournisseurs. tions de plusieurs organisations temps à reproduire cette saveur. «De 4 pour cent en 1995, la part internationales de recherche et Et voilà qu’ils ont trouvé le de nos ventes aux organismes de de développement, qui considè- filon, réussissant à isoler la pro- commerce équitable est aujour- rent le neem comme un bien téine à l’origine de cet arôme d’hui montée à 12 pour cent et commun de l’humanité, l’Office caractéristique. Un brevet bio-

ériscope nous pensons que l’augmenta- technologique a été annoncé. tion se poursuivra», explique Les producteurs ghanéens sont Teodoro Paco, président de très inquiets, car les protéines fai- Cecovasa. Écologique et de qua- sant l’objet du brevet pourraient lité supérieure, le café biologique aisément être introduites dans est en outre plus rentable pour des variétés de cacao de moindre les agriculteurs. Un sac de 100 qualité. Las de vendre son cacao P kilos leur rapporte 15 dollars de aux multinationales pour leur plus que le café ordinaire. racheter ensuite les produits finis, Conséquence logique: de nom- le Ghana s’est d’ailleurs lancé breux agriculteurs organisés en dans la transformation. Il a com- coopérative envisagent de se mencé d’exporter des produits convertir à la production biolo- finis, sous sa propre marque, vers gique, avec l’aide d’ingénieurs les États-Unis et la Grande- agronomes qualifiés. Bretagne. Les premiers résultats sont encourageants. Still Pictures

4 Un seul monde N° 4 / Décembre 2000 Dessin de Martial Leiter Swiss cow

tien des filles à l’école. On choi- cités pour des produits de beau- sit des «marraines» parmi les té, du matériel électronique, des élèves plus âgées et on leur automobiles, de la literie… confie jusqu’à trois fillettes. Elles made in Korea.Résultat: les conduisent leurs «filleules» à importations de produits sud- l’école et les ramènent le soir à coréens ont augmenté de 20 la maison. Elles les encadrent, les pour cent l’an dernier et ces surveillent pendant la récréation, sociétés ont vu leur chiffre les protègent. Cette expérience d’affaires gonfler. D’ingénieux est une réussite. Les parents, ras- Vietnamiens ont également tiré surés, ne retirent pratiquement profit du phénomène, par plus leurs fillettes de l’école. exemple en faisant enregistrer en vietnamien les chansons des films Le Viêt-nam se coréanise ou en imprimant les portraits des (jls) Des séries télévisées acteurs sur des T-shirts. Still Pictures coréennes font fureur au La dette extérieure du Ghana se qu’elles les aident dans les tra- Viêt-nam. Contrairement aux monte à dix milliards de francs. vaux ménagers ou agricoles. films hollywoodiens, elles sont Et les exportations de cacao rap- Certains, comme ce notable en parfaite conformité avec la portent un milliard par année, de Kpèkpè, craignent le pire: morale vietnamienne. Les jeunes juste assez pour payer les intérêts «C’est une perte de temps et s’identifient aux héros de ces annuels. d’argent que d’envoyer une fille feuilletons et font tout pour à l’école. Il y a aussi le risque leur ressembler, imitant leur Marraines et filleules qu’elle tombe enceinte des coupe de cheveux, la teinte d’un béninoises œuvres d’un enseignant.» rouge à lèvres ou encore telle (jls) Dans certaines régions du Un système dénommé «fille façon de porter la chemise. Bénin, beaucoup de fillettes pour fille» a été mis en place Sponsorisés par de grandes abandonnent très tôt leur scola- il y a quatre ans dans le sud du marques coréennes, ces films rité. Les parents préfèrent pays pour encourager le main- sont précédés et suivis de publi-

Un seul monde N° 4 / Décembre 2000 5 Ces guerres qui nous Terre inconnue et lointaine il y a encore quelques années, les Balkans nous sont aujourd’hui beaucoup plus familiers. En un rien de temps, les guerres et l’afflux de réfugiés ont entraîné un changement de perception et d’attitude. Des décennies d’im- migration en provenance de l’ex-Yougoslavie n’y étaient pas parvenues. Par Andres Wysling*. DOSSIER

6 Un seul monde N° 4 / Décembre 2000 Balkans rapprochent

L’Europe du Sud-Est est de plus en plus proche. soutenir les réfugiés de Bosnie-Herzégovine et du L’image des Balkans et de leurs habitants est en Kosovo ainsi que la reconstruction de leur patrie. train de changer. Les «Yougos» si mal aimés, sou- Cet engagement est motivé par deux sentiments: vent décrits dans les médias comme des trafiquants d’une part, la sympathie avec les populations dé- de drogue prompts à dégainer, sont soudain deve- placées et de l’autre, la peur de la «surpopulation nus des êtres humains dont le destin éveille la sym- étrangère». pathie. L’intérêt que les Suisses portent à ces voi- L’intérêt du public constitue une bonne base pour sins récemment découverts a été démontré no- la politique active de la Suisse dans cette région. tamment par le succès des collectes destinées à Une politique dont l’objectif avoué est d’accélé- rer le retour des réfugiés installés en Suisse et d’évi- ter de nouvelles arrivées.Personne n’y trouve rien à redire,ni la droite isolationniste,qui aimerait voir baisser le nombre d’étrangers en Suisse, ni la gauche,certes plus ouverte sur le monde,mais sou- cieuse d’éviter un durcissement du débat sur l’asi- le et une nouvelle flambée xénophobe.La politique extérieure de la Suisse dans les Balkans repose donc sur un certain consensus de base, aussi in- confortable soit-il.

Dans l’ombre des grandes puissances L’engagement dans les Balkans coûte cher.Dans le domaine civil et par rapport au nombre de ses ha- bitants, la Suisse compte parmi les principaux do- nateurs d’aide humanitaire et d’aide à la recons- truction:elle a investi plus de 250 millions de francs sur cinq ans en Bosnie et presque 120 millions en une seule année au Kosovo. Ces chiffres ne repré- sentent que l’aide fédérale, à laquelle viennent s’ajouter les dons privés. Mais ce n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan de l’aide internationale. Le programme de reconstruction civile (sans l’ai- de humanitaire) a coûté à lui seul 5 milliards de dollars en Bosnie et on prévoit que son coût at- teindra 2 milliards au Kosovo.La majeure partie de cette aide provient de l’Union européenne – qui est en quelque sorte le trésorier des Balkans – et des États-Unis. L’OTAN consacre en outre des sommes énormes à l’entretien des troupes station- nées sur place. En comparaison,l’engagement suisse dans les zones en crise des Balkans n’est pas déterminant finan- cièrement et il est insignifiant sur le plan militai- re.De fait, l’avis politique de Berne ne pèse pas lourd dans la balance.On a parfois l’impression que les Suisses sont juste bons à envoyer de l’argent et à fournir le cas échéant des bons offices diploma- tiques,mais qu’ils n’ont rien à dire.Ce statut d’out- sider, la Suisse ne le doit pas seulement à sa petite taille, elle l’a aussi choisi en restant à l’écart de l’ONU, de l’Union européenne et de l’OTAN. Il ne la dégage que partiellement de sa coresponsa- bilité pour tout ce que la «communauté interna- tionale» fait ou néglige de faire dans les Balkans. Qu’elle le veuille ou non, la Suisse est mêlée à la politique des grandes puissances, notamment à Andreas Schwaiger / Lookat Andreas Albanie 1993

Un seul monde N° 4 / Décembre 2000 7 mas Muscionico / Contact Lookat To Macédoine 1988 celle des États-Unis, bien qu’elle ne puisse en aucun cas l’influencer. Et elle en subit bien enten- du toutes les conséquences. Plus jamais de thé avec Il n’en reste pas moins que l’aide fournie par la eux Suisse est substantielle. D’aucuns se demandent si Un vieil Albanais chassé l’argent est utilisé à bon escient. Pour savoir si les de Pristina raconte: «Je ne veux plus rien avoir à faire dépenses engagées produisent les résultats es- avec les Serbes. Tout est comptés, il faut consulter la statistique sur les ré- de leur faute. Bien sûr, il y fugiés.Des 34000 Bosniaques accueillis pendant la en a parmi eux qui n’ont guerre (de 1992 à 1995),15000 sont retournés dans rien fait. Ceux-là peuvent rester. Mais avec eux non leur pays.Pour ce qui est du Kosovo (Yougoslavie), plus, je ne veux plus rien 67000 personnes avaient trouvé asile en Suisse à la avoir à faire. Plus question mi-1999, au paroxysme de la crise. Depuis lors, que nous prenions le thé

35000 Kosovars sont rentrés chez eux,pour la plu- Keystone ensemble, comme avant. Ces temps-là sont révolus. part de leur plein gré, dans le cadre du program- Kosovo 1999 Peut-être que cela revien- me d’aide au retour. dra, mais il faudra attendre Durant cette même période d’un an, on a enre- manitaire, la reconstruction des logements et des longtemps, très long- gistré quelque 6000 nouveaux requérants d’asile infrastructures,la relance de l’économie,le renfor- temps. Peut-être à la pro- chaine génération, ou originaires du Kosovo. Cela signifie qu’après la cement des organes de l’État, la promotion de la encore la suivante.» forte augmentation des dernières années, la popu- société civile et, bien sûr, le retour des personnes lation des réfugiés en provenance des Balkans est déplacées. Mot d’ordre général de cette action: la à nouveau en nette régression. Certes, des réfugiés reconstruction d’une société multiculturelle, régie continuent d’arriver, mais en petit nombre. Bien par une constitution démocratique répondant aux que la guerre soit terminée, les tensions perdurent normes occidentales. La «société multiculturelle» dans cette région en crise. revient dans tous les discours des politiciens oc- cidentaux en visite à Sarajevo ou à Pristina. Mais Désamorcer les tensions de toute évidence,elle n’existe plus et il faudra plus La politique concernant les Balkans ne saurait s’en de temps pour lui redonner corps qu’il n’en a fallu tenir à l’objectif immédiat d’un retour des réfugiés. pour la détruire. Les derniers conflits dans les À long terme, l’engagement occidental a pour but Balkans ont été menés dans un objectif de «puri- de désamorcer les tensions. Et la Suisse a tout in- fication ethnique», qui a été largement atteint. Du térêt à participer à cet effort. Le traitement pres- reste, après tout ce qui s’est passé, un retour à la si- crit à la Bosnie et au Kosovo comprend l’aide hu- tuation d’avant-guerre est inimaginable.

8 Un seul monde N° 4 / Décembre 2000 Balkans

En Bosnie,par exemple,des zones de résidence ont eux ont fui au Monténégro ou en Serbie inté- Retour dans la été attribuées aux divers groupes ethniques. rieure. Ceux qui sont restés vivent le plus souvent montagne Bosniaques (musulmans), Serbes et Croates vivent dans des camps sous surveillance militaire. Quel- Une petite vingtaine d’hommes campent à aujourd’hui séparés. Selon toute probabilité, les ques-uns seulement ont pu rester dans leurs mai- l’intérieur d’une église, choses ne changeront pas avant longtemps. Il ne sons. De nombreux Gorans (musulmans et slaves) dans les montagnes du faut pas s’attendre à un mouvement de minority re- ont également fait l’objet d’attaques,mais ils jouis- nord de la Bosnie. Le plus turns,à savoir le retour massif et durable de réfu- sent aujourd’hui d’une paix relative. Compara- jeune a 55 ans, les autres plus de 60. Tous sont giés dans des zones où un autre groupe ethnique tivement, les Turcs semblent avoir moins de pro- Croates. L’aide de Caritas prédomine. Le Bureau du Haut Représentant a blèmes. De manière générale, le climat est à l’in- leur a permis de revenir beau les encourager en organisant la restitution de tolérance. Cela s’exprime notamment par une in- dans leur village détruit, en logements expropriés, les chances de succès sont terdiction linguistique: parler une langue slave en République serbe. Après avoir réparé l’église, ils minces. public, c’est risquer sa vie. comptent reconstruire les C’est seulement au cours des deux dernières an- maisons. Des policiers nées que le retour vers des villages éloignés a pu D’abord un toit et un revenu serbes se sont installés être organisé, notamment avec le soutien de la Dans les circonstances actuelles,la réhabilitation de dans l’ancienne école, qui se trouve à proximité. Ils Suisse.Leur population présentait en principe déjà la société multiculturelle est un but lointain de l’ai- sont chargés de supervi- une homogénéité ethnique avant le début des de. Pour l’heure, il importe surtout d’atteindre un ser le retour des Croates. hostilités. Les villageois qui choisissent de rentrer certain nombre d’objectifs concrets et immédiats. Un diplomate prononce un sont pour la plupart des personnes âgées. Les Les habitants ont d’abord besoin d’un toit et d’un discours. «Bientôt, des enfants croates et serbes jeunes, eux, préfèrent rester là où ils se sont éta- revenu.Au Kosovo et en Bosnie, la Suisse a four- s’assoiront à nouveau côte blis, surtout ceux qui vivent maintenant en ville. ni une aide rapide et efficace dans la construction à côte», lance-t-il. Contrairement à ce qui se passe dans les cam- de logements. Pour ce qui est des sources de reve- Personne ne le croit. Keystone Keystone Yougoslavie 1999 Bulgarie 1999

pagnes, le retour vers les villes, qui accueillaient auparavant une population beaucoup plus hété- rogène, ne fait que commencer. Depuis le début de 1999, la Bosnie n’a enregistré que 60000 mi- nority returns.La guerre avait jeté sur les routes plus de 2 millions de personnes. Au Kosovo,après l’expulsion des Albanais puis leur retour, ce fut au tour des Serbes d’être chassés. La moitié d’entre eux, tout au plus, sont restés dans la province. Ils vivent entassés dans différentes en- claves, coupés du monde extérieur. Seule la pré- sence des troupes internationales, qui veillent 24 heures sur 24 sur les enclaves serbes, leur évite une expulsion pure et simple. Les Tsiganes serbo- phones, qui avaient la réputation d’être à la solde de l’armée serbe, se trouvent dans une situation peut-être plus précaire encore. La plupart d’entre Keystone Yougoslavie 1999

Un seul monde N° 4 / Décembre 2000 9 Roumanie 1990

Des étoiles au lieu d’une nus,elle continue de jouer un rôle de premier plan croix blanche en offrant des emplois aux travailleurs immigrés. Seule la kula, vieille tour de Assurer les moyens de subsistance d’une majorité garde aux murs épais et aux petites fenêtres, tenait de la population constitue la meilleure garantie de encore debout après la la stabilité politique. Celle-ci est à son tour la guerre. Le reste de la condition sine qua non d’un développement éco- ferme, située à proximité nomique autonome. En Bosnie, les résultats obte- de Gjakove/Djakovica, avait brûlé. Entre-temps, la nus sont toutefois peu encourageants: l’État fonc- grande demeure a été re- tionne mal et l’économie est loin d’être viable. Au construite. Et le drapeau Kosovo,la situation semble meilleure,mais elle reste étoilé des États-Unis flotte instable. On estime qu’une aide massive, mise en sur son nouveau toit. «Mais c’est le drapeau œuvre selon un plan précis, permettra de recons- suisse qu’il faudrait hisser! truire en trois ans les villes,les villages et les routes. Après tout, c’est nous qui En revanche, le renouvellement du tissu social, avons payé les matériaux économique et politique prendra beaucoup plus de de construction», re- marque le délégué suisse. temps. De Keyzer Carl / Magnum Photos «Oui, mais ce sont les C’est ce constat qui a présidé à l’élaboration du Roumanie 1995 Américains qui nous ont li- Pacte de stabilité pour les Balkans. Dans ce cadre, bérés», réplique l’Albanais. il est prévu d’apporter une aide non seulement aux *Andres Wysling est correspondant de la «Neue territoires et pays dévastés par la guerre, mais aussi Zürcher Zeitung» pour l’Europe du Sud-Est. aux États qui ont connu une évolution plus favo- Il est en poste à Vienne. rable, comme la Macédoine, la Bulgarie, la Roumanie,l’Albanie,voire la Croatie.Malgré leurs (De l’allemand) différences, ces pays doivent résoudre les mêmes problèmes: tous traversent une phase de transition politique et font face à d’énormes difficultés éco- nomiques.Cette situation les rend sujets aux crises. Voilà précisément ce que les pays riches de l’Europe veulent éviter. C’est pourquoi ils appli- quent le vieil adage «Mieux vaut prévenir que gué- rir». Dans son propre intérêt, la Suisse se doit de participer à cet effort, même si elle ne peut jouer qu’un rôle secondaire et que les grandes lignes de la politique sont fixées par les autres États et orga- nisations. ■

10 Un seul monde N° 4 / Décembre 2000 Balkans Anthony Suau / Vu Bulgarie 1994

Les Balkans (bf) Nom d’une chaîne de montagnes en mer de Marmara, au sud par la mer Egée et à Keystone Bulgarie, les «Balkans» désignent également la l’ouest par les mers Adriatique et Ionienne. plus orientale des trois péninsules méridionales La région des Balkans comprend actuellement de l’Europe, la Péninsule balkanique. Celle-ci les États suivants: l’Albanie, la Bulgarie, la comprend la majeure partie de l’Europe du Bosnie-Herzégovine, la Grèce, la République Sud-Est. Plus précisément, elle couvre tout le fédérale de Yougoslavie, la Croatie, la territoire délimité au nord par le Danube et son Macédoine, une partie de la Roumanie, ainsi affluent, la Save, à l’est par la mer Noire et la que la partie européenne de la Turquie. ■

HONGRIE SLOVÉNIE

Ljubljana Zagreb CROATIE ROUMANIE Save Belgrade Bucarest BOSNIE-HERZÉGOVINE Sarajevo Danube

R.F. YOUGOSLAVIE BULGARIE Sofia

Skopje Istanbul MACÉDOINE Tirana

ALBANIE TURQUIE

GRÈCE

Athènes

Un seul monde N° 4 / Décembre 2000 11 «Les Balkans doivent réintégrer l’Europe»

L’évolution de la situation dans les Balkans se trouve au- jourd’hui en grande partie sous la supervision de la commu- nauté internationale. Celle-ci est représentée en Bosnie par l’Autrichien Wolfgang Petritsch, un excellent connaisseur des Balkans. Interviewé par Gabriela Neuhaus, il évoque la situation actuelle et l’avenir de cette région. Keystone

Wolfgang Petritsch Le diplomate autrichien Wolfgang Petritsch a suivi de très près l’évolution des Balkans. Il a été ambassa- deur d’Autriche à Belgrade de 1997 à 1999. Durant la seconde moitié de son mandat, d’octobre 1998 à juillet 1999, il a assumé en outre la fonction d’envoyé spécial de l’Union euro- péenne (UE) au Kosovo. M. Petritsch a également été le négociateur principal Alain Pinoges / CIRIC Bosnie, Sarajevo 1994 de l’UE aux pourparlers de Rambouillet et de Paris. En juillet 1999, il a succédé à Un seul monde: Les pays des Balkans qui ont du nombre de réfugiés retournant chez eux. l’Espagnol Carlos été ravagés par la guerre doivent aujourd’hui Westendorp au poste de relever un double défi. Quels sont à votre avis Est-il possible de résoudre véritablement les Haut Représentant de la les principaux obstacles à leur développe- conflits dans les Balkans? communauté internationale en Bosnie. L’instance qu’il ment? Il est important que les habitants de la région se dirige, le Bureau du Haut Wolfgang Petritsch: La Bosnie et certains de familiarisent avec la notion de «citoyen», dans le Représentant, a été créée ses voisins se trouvent effectivement face à un sens d’une participation active, comme on l’en- par les accords de Dayton double défi. La plupart des pays d’Europe cen- tend en français. La nationalité et l’origine eth- et a pour but de promou- voir le processus de paix trale et d’Europe de l’Est ont éprouvé beaucoup nique ne doivent jouer aucun rôle. Les seules en Bosnie. de difficultés pour passer en dix ans d’une éco- contraintes découlent des droits civils et des droits nomie communiste contrôlée par l’État à l’éco- individuels tels qu’ils sont définis dans la loi. nomie de marché et à la démocratie. En Bosnie, Un appareil législatif se met actuellement en place la situation est encore plus grave, car cette évo- en Bosnie. Ainsi, on a introduit de nouvelles lois lution a été freinée par la guerre. D’ailleurs, la sur la propriété et la location de biens immobi- transition de la guerre vers la paix n’est pas liers. Elles prévoient que chaque citoyen retrouve encore totalement achevée. Je pense néanmoins le logement qui était le sien avant la guerre. que la Bosnie est sur la bonne voie. Nous soute- L’application de ces textes, que j’ai promulgués, nons ce que j’appelle l’«européanisation du pays» est le seul moyen de surmonter les purifications en introduisant des lois conformes aux directives ethniques de la guerre. Des indices montrent de l’Union européenne et en planifiant la priva- qu’un même processus est en cours en Croatie. tisation d’entreprises qui datent de l’ère commu- Par contre, la situation de la Yougoslavie demeure niste.Autre facteur encourageant: l’augmentation hélas très incertaine. Slobodan Milosevic reste

12 Un seul monde N° 4 / Décembre 2000 Balkans

L’aide internationale est nécessaire: dans l’es- poir d’y trouver les noms de parents dispa- rus, des Kosovars par- courent la liste des réfugiés enregistrés en Albanie par le Comité international de la

Andreas Schwaiger / Lookat Andreas Croix-Rouge (CICR). Albanie 1999 l’obstacle majeur à l’instauration d’une paix nale. Dans ce contexte, comment jugez-vous durable dans la région. le rôle joué par la Suisse? La Suisse s’est montrée extrêmement active en Vous êtes Haut Représentant de la commu- Bosnie depuis la guerre. Des 34000 personnes nauté internationale en Bosnie depuis août qui y avaient trouvé refuge, presque la moitié 1999. Quels sont les avantages et les incon- sont maintenant rentrées chez elles, grâce à l’ai- vénients d’une médiation externe? de au retour octroyée par le gouvernement suis- Un médiateur externe n’a pas de parti pris. se. Du reste, la Suisse n’est pas seulement enga- Chacun de mes actes est observé et analysé. Je gée dans le domaine de l’aide humanitaire, mais dois donc faire preuve d’une impartialité absolue. également dans le développement futur de la De plus, en tant que citoyen autrichien et euro- Bosnie. Elle prouve surtout que des gens de péen, j’ai une certaine expérience de la démo- langue et d’origine ethnique différentes arrivent cratie. Toutefois, cette position comporte égale- à vivre et à fonctionner ensemble. C’est le prin- ment certains risques, notamment la tentation cipal message qu’elle adresse aux citoyens bos- d’imposer «de l’extérieur» des solutions simples. niaques. Je crois au sens des responsabilités des citoyens, mais je suis toujours déçu de voir que nombre de Vo tre travail est non seulement difficile, mais politiciens, surtout dans le camp des nationalistes, il comporte aussi un côté frustrant, comme reculent devant les décisions difficiles.Trop sou- vous l’avez dit. Où trouvez-vous l’énergie de vent, ils préfèrent attendre qu’on leur impose une continuer malgré tout? solution de l’extérieur, ce qui leur évite d’an- Ma tâche est épuisante, certes, mais elle est aussi noncer la couleur. C’est irresponsable. stimulante et fascinante. Comment faire pour que les Balkans réintègrent l’Europe, à laquelle Comment jugez-vous la situation dans l’autre ils appartiennent? Cette tâche exige de la créati- grande zone de conflit, à savoir le Kosovo? vité et de l’imagination, mais aussi beaucoup de La paix n’y est pour l’instant qu’apparente, la persévérance face à l’insupportable cruauté des situation reste très délicate. En tant qu’envoyé conflits. L’idée que je puisse contribuer à faire spécial de l’Union européenne (UE) au Kosovo naître une Bosnie tolérante, multiethnique, qui et son négociateur principal à Rambouillet, j’ai prendra sa place dans l’Europe nouvelle… voilà été extrêmement déçu du résultat de cette ren- ce qui me motive. ■ contre. À mon avis, la problématique des retours au Kosovo est semblable à celle de la Bosnie. Les (De l’allemand) Serbes et les Tsiganes qui ont été chassés de chez eux doivent pouvoir revenir. Là aussi, le concept L’interview de Wolfgang Petritsch a été réalisée avant la de société civile revêt une importance décisive. chute de Slobodan Milosevic. Un Kosovo étroitement nationaliste, qui exclu- rait tous les non-Albanais, n’a aucun avenir au sein de l’Europe.

Les Balkans dépendent de l’aide internatio-

Un seul monde N° 4 / Décembre 2000 13 Crépitement de truelles

Un an et demi après la fin de la guerre, le Kosovo s’est instal- lé dans une «normalité de la reconstruction». Immeubles, écoles, rues, barrages… On est en train de tout rebâtir. Y com- pris la démocratie. De Maria Roselli.

Quatre priorités La DDC est présente dans les Balkans par le biais de l’aide humanitaire, qui est une aide d’urgence, et de sa Division pour la coopé- ration avec l’Europe de l’Est et la CEI (DCE), qui travaille à plus long terme. Pour l’an 2000, la DCE a prévu des dépenses de 12 millions de francs desti- nées à des activités dans quatre domaines princi- paux:

Organisation des com- munes et de la justice: Mise sur pied d’un ca- dastre et d’un registre des habitants, projet dans le domaine de l’exécution des peines.

Services publics: Approvisionnement en eau dans le sud-est du Kosovo, projets dans le domaine de l’éducation et de la formation, soutien à Keystone une radio publique.

Promotion du secteur Mars 1999.Les regards du monde entier sont tour- Difficile réconciliation privé: nés vers Rambouillet. Le visage tendu, en complet Une année et demi après la conclusion des accords Projets de soutien à l’agri- sombre ou en uniforme,des hommes sortent de li- de paix, le Kosovo est en pleine reconstruction. culture ainsi qu’à de pe- tites et moyennes entre- mousines ou de jeeps pour disparaître derrière les Quelque 400 organisations gouvernementales et prises. portes de l’espoir, sous la protection du service de non gouvernementales y participent, aux côtés de sécurité. Hélas, les négociations échouent. Une la population locale. À eux seuls, les projets suisses Société civile: guerre ininterrompue de 79 jours va opposer auront permis de reconstruire 2614 maisons en Contributions versées à des œuvres d’entraide l’OTAN aux troupes serbes stationnées au Kosovo, 1999. Et 2395 autres bâtiments devraient être ter- pour divers projets. qui durcissent radicalement leur politique d’expul- minés d’ici la fin de l’année 2000.Pourtant,cet hiver sion de la population albanaise.Plus de 750000 per- encore,il n’y aura pas assez de logements disponibles sonnes s’enfuient à l’étranger, laissant derrière elles pour tout le monde. des maisons incendiées, des routes et des ponts On trouve la plupart des denrées alimentaires dans bombardés et des cadavres en décomposition. les magasins. De nombreuses écoles ont été rou- Puis la paix revient. Les troupes serbes se retirent vertes. Mais le processus de réconciliation entre les du Kosovo et dans les jours qui suivent, des mil- Albanais et les minorités (serbe, turque et tsigane) liers de réfugiés regagnent leurs maisons détruites marque le pas.Les provocations et les agressions sont et leurs champs minés.Ils sont accompagnés par des monnaie courante. convois d’aide internationale qui leur assurent un Quelque 25 Suisses et plus de 125 employés origi- approvisionnement minimum. Pendant quelques naires du Kosovo, travaillent au bureau de coordi- mois encore,le Kosovo continue de faire la une des nation de l’aide suisse à Pristina. «L’optimisme journaux. Peu à peu, la presse se concentre exclu- règne, on construit partout au Kosovo. Mais il ne sivement sur le problème des réfugiés, se deman- suffira pas de réparer les dégâts dus à la guerre: il dant quel pays peut en accueillir combien et pour faudra également rattraper des années de mauvaise combien de temps. Puis, le silence revient. gestion et 50 ans de communisme», explique

14 Un seul monde N° 4 / Décembre 2000 Balkans au Kosovo

La construction de cette dérivation a été réalisée par l’ASC,en collaboration avec des entreprises lo- cales. Cette opération s’est inscrite dans le pro- gramme d’aide humanitaire. En revanche, la re- construction proprement dite de la station est un projet commun de la DCE et du seco. Ce projet Keystone

Antoine Dubas,collaborateur de la DDC à Pristina. Afin d’illustrer ce que mauvaise gestion veut dire, Céline Yvon, de la Division pour la coopération avec l’Europe de l’Est et la CEI (DCE),évoque l’ap- provisionnement en eau dans le sud-est du Kosovo: «Depuis dix ans, les installations de traitement de l’eau n’ont pratiquement pas été entretenues. Les

travailleurs albanais ont été licenciés et plus de la llegrin / Vu moitié de l’eau potable est aujourd’hui perdue. P. P e Sous le communisme, la gestion des installations était absolument centralisée.C’est Belgrade qui dé- illustre la voie que la Suisse veut suivre au Kosovo: cidait de l’approvisionnement en eau de chaque s’éloigner de l’aide humanitaire pour privilégier la commune.» coopération technique. Un programme commun de la DDC et du Secré- Les activités de la DDC en rapport avec le conflit tariat d’État à l’économie (seco) devrait remédier au Kosovo sont financées à 80 pour cent par aux problèmes d’approvisionnement, surtout dans l’Office fédéral des réfugiés (ODR), dans le cadre les villes du sud-est. Le but du projet est double: de ses programmes d’aide au retour.Le coût de ces produire suffisamment d’eau potable de qualité et activités s’est élevé à 83 millions de francs en 1999 permettre aux installations communales existantes et il a été budgétisé à 55 millions pour l’année 2000. de fournir cette eau à la population à des prix as- En ce qui concerne l’aide financière au Kosovo, le surant la couverture des coûts. seco a prévu des dépenses de l’ordre de 8 millions Aide humanitaire Pour l’aide humanitaire et de francs en 2000 et un autre montant de 27 à les projets de l’ASC, la Mobilisation pour l’eau potable 30 millions durant les trois années suivantes. ■ Suisse aura dépensé cette «Lorsque nous sommes arrivés dans la région en année 43 millions de août 1999,le réseau d’eau potable était dans un état (De l’allemand) francs: distribution de ma- tériel aux réfugiés de re- déplorable», se souvient Philippe Genoud, un in- tour, construction et réno- génieur du Corps suisse d’aide en cas de catas- vation de 500 maisons et trophe (ASC). Les experts suisses ont dû prendre 7 écoles, construction de des mesures d’urgence pour assurer un approvi- routes et de ponts, coordi- nation et réhabilitation de sionnement suffisant en eau potable. Ils ont réparé l’approvisionnement en ou remplacé partiellement des captages, des con- eau pour 150000 per- duite d’adduction et des réseaux de distribution. sonnes, envoi de 1200 L’installation la plus mal en point était celle de bovins, distribution de semences, protection des Gnjilane/Gjilani, où le toit du réservoir menaçait intérêts des minorités, for- de s’écrouler. Il a fallu mettre en place une dériva- mation des membres du tion,équipée d’un filtre.Ce système a permis d’as- Corps de protection du surer l’approvisionnement,tandis que l’installation Kosovo et déminage en collaboration avec le minis- principale restait fermée pendant les travaux de re- tère russe du service civil mise en état. et de l’aide d’urgence.

Un seul monde N° 4 / Décembre 2000 15 Une longue marche pour quelques patates Zeinabou est veuve et il lui reste sept enfants à élever. Pour les nourrir, cette sexagénaire tient un petit négoce au bord de la route, dans une banlieue située au nord-est de Niamey. Sa vie quotidienne reflète les tourments du Niger, classé avant-der- nier dans le rapport mondial sur le développement humain. D’Ibbo Daddy Abdoulaye*.

Talladjé est l’un des quartiers les plus pauvres de quants et le dépotoir d’une communauté urbai- Niamey. La précarité, l’insalubrité et l’insécurité ne d’un million d’habitants. Dressée dans les y règnent en maîtres absolus. Les habitations se années 60 pour préserver la capitale des vents de concentrent entre des marécages nauséabonds sable, cette haie vive se réduit en peau de cha- infestés de moustiques et des tas d’immondices. grin. Dans des quartiers comme Talladjé, l’eau et Il est sept heures. Au domicile de la vieille l’énergie font cruellement défaut. Souvent, les Zeinabou, des cliquetis de tasses et une fumée de hommes partent très tôt le matin, «sans laisser bois humide indiquent que c’est l’heure du petit l’argent des condiments». Et les femmes n’ont déjeuner. Celle que ses enfants appellent Ouichi pas d’autres combustibles que le bois pour faire insiste pour que son hôte prenne au moins bouillir la marmite. «l’eau blanche», un mélange d’eau et de boule Chemin faisant, Ouichi rejoint des compagnes de mil. Sèche comme une tige de mil, Ouichi, la d’infortune. Longues processions de femmes soixantaine passée, est débordante de vitalité. levées tôt pour assurer de quoi tromper la faim. Elle distribue les tâches d’une voix forte tout en Elles distillent des blagues pour se doper contre donnant à manger aux poules. «Rabi, tu emmè- un quotidien pas toujours gai. Elles raccourcis- HORIZONS neras le maïs au moulin; Aïcha, tu prépareras le sent le trajet en échangeant les derniers potins: déjeuner et tu balayeras la maison.» Elle répri- une telle a accouché la nuit dernière; le mari de mande un garçon roulé dans une couverture en telle autre vient de convoler en secondes noces; sac de farine, car il refuse de se lever. une troisième a perdu un de ses enfants, des Aucun de ses neuf enfants ne travaille. L’aîné suites d’une crise de paludisme. étudie le Coran au Nigeria et une fille est mariée. Les sept autres sont encore sous son toit. «Dieu est grand» Le mari de Zeinabou est mort en 1991. Il avait Il faut prendre garde à ne pas se faire écraser. Les

CIRIC travaillé plus de trente ans dans une société de chauffeurs de taxi donnent de brusques coups de / Magnum Photos Raymond Depardon négoce qui a mis la clé sous la porte sans avoir volant pour éviter les ornières de cette route assuré la moindre indemnité à la veuve et aux défoncée. «Tiens! Un bâtiment a surgi entre orphelins. Police-Secours et le Village artisanal de Wadata», s’étonne cette grosse maman en plaquant son Denrées de saison enfant sur son dos. «Où trouvent-ils donc tout Chaque matin, sur la route poussiéreuse condui- cet argent?» Et les discussions repartent de plus sant au centre ville, Ouichi expose aux regards belle. Sur l’origine de telle fortune, construite un des passants des noix de kola, de doum, des jour et défaite le lendemain; sur les happy few qui tubercules de patates douces, des feuilles investissent dans la pierre et les belles voitures, bouillies… bref, toutes sortes de denrées que la sur cette opulence obscène dans le lit d’une saison autorise. Mais auparavant, elle doit aller misère épouvantable. Puis cette tirade: «Dieu est s’approvisionner au marché de Katako, à sept grand». C’est la formule favorite des Nigériens kilomètres de là. Un véritable calvaire, car «ses lorsqu’ils sont confrontés à une question qui vieux os ne supportent pas la marche». dépasse l’entendement. Devant la mosquée Il faut traverser la Ceinture verte, une forêt de Imam Malik, le groupe s’efface devant des neems devenue le refuge de bandits, de délin- femmes voilées et toutes vêtues de noir.

16 Un seul monde N° 4 / Décembre 2000 Niger CIRIC Jorgen Schytte / Still Pictures Raymond Depardon / Magnum Photos Raymond Depardon

À l’ombre d’immeubles délabrés, une foule s’ag- qui gigote dans tous les sens. Commentaire de glutine autour d’un kiosque du Pari mutuel Zeinabou: «Vous avez beau pleurer sur votre urbain (PMU). «Et dire qu’ils se disputent pour sort, lorsque vous voyez une peine plus grande, jeter de l’argent», remarque Ouichi. Depuis vous ne pouvez que remercier le bon dieu.» quatre ans, ces courses de chevaux disputées sur Puis c’est le lycée Kassaï dont les murs et les des hippodromes parisiens ont entraîné les environs sont envahis par des vendeurs à la sau- Nigériens dans une course effrénée vers le gain vette. Depuis que les salaires des fonctionnaires facile. ne sont plus régulièrement assurés, «chacun a Les femmes découvrent un autre spectacle inso- son business». Enfin, le marché de Katako, véri- lite au carrefour du collège Lako, où les feux ne table caverne d’Ali Baba à ciel ouvert où l’on clignotent plus: au risque de se faire renverser, de trouve de tout. Même des organes humains, jeunes mendiants se disputent sur le macadam disent les mauvaises langues. Les multiples tenta- une piécette jetée par un automobiliste. Une tives des autorités pour l’assainir ou le recaser mendiante en haillons, cul-de-jatte et manchote, sont restées lettre morte. Et cette plaie béante en assiste à la scène. Elle lutte pour retenir son bébé plein cœur de la capitale continue de décompo-

Un seul monde N° 4 / Décembre 2000 17 Jorgen Schytte / Still Pictures

L’objet de tous ser d’énormes chiffres d’affaires qui échappent à les jours tout contrôle, du fait de l’informalisation ram- L’hilaire pante de l’économie. Mais pour des petites gens Les paysans nigériens (en- comme Ouichi, Katako, c’est «un marché où viron 90 pour cent de la population) ne jurent que vous trouvez des articles pas chers». par l’hilaire. Ils mettent en avant la légèreté et la sou- Pas de marchandage plesse de cet instrument Parvenue au coin alimentation, Ouichi ne trouve aratoire, ainsi que les prouesses qu’il est ca- pas son vendeur habituel qui parfois lui fait cré- pable de réaliser sur tous dit. «Il est parti au village voir l’avancement de les types de sols. Son prix ses travaux champêtres», annonce un autre com- très modique en fait un merçant, en lissant sa barbe d’ayatollah. Elle outil précieux adopté par

toutes les communautés demande combien coûte un tas de tubercules de Jorgen Schytte / Still Pictures depuis des temps immé- patates douces. «C’est 500 francs CFA. À prendre moriaux. D’un entretien fa- ou à laisser.» Lorsqu’elle marchande, il lance: «Si sement, personne n’a eu de graves problèmes de cile, l’hilaire a en outre une tu es venue pour acheter, achète. Sinon, pose ces santé jusqu’ici. «Vous vous rendez compte, ils très longue durée de vie. Ces qualités en ont fait un patates et continue ton chemin.» Ouichi en viennent de fixer l’entrée au dispensaire à 500 accessoire de culture em- choisit deux bons tas, qu’elle paie en comptant francs.» Et les médicaments sont très souvent in- blématique du Niger, pays minutieusement l’argent noué dans son pagne. Et trouvables ou trop chers. Mais Ouichi sait que ce dont l’agriculture est l’une elle fait une croix sur les noix de kola qu’elle n’est qu’un sursis accordé par la Providence, «car des plus archaïques du ■ monde. voulait aussi acquérir avec la même somme. tout être humain finit par tomber malade». L’hilaire est une longue tige Au retour, ses pas se font plus traînants sous le de bois flexible, surmontée poids de la charge et de la fatigue.Arrivée à Talla- *Ibbo Daddy Abdoulaye est un journaliste nigérien à l’une des extrémités djé, elle déroule enfin son sac de jute et y dépo- d’une poignée en bois de forme triangulaire et à se sa marchandise. «En fait, ce ne sont pas ces l’autre d’une sorte de petites choses qui nous font vivre, c’est l’in- croissant lunaire en fer très croyable bonté de Dieu», assure-t-elle. À côté de tranchant. Dans les mains ce modeste commerce, elle continue de planter d’un paysan expert, elle fond dans la terre comme quelques graines de niébé ou de pois de terre dans du beurre, l’ameu- dans les deux lopins laissés par son défunt mari. blissant et rasant à la À midi, elle se contente de mâchouiller une noix souche les mauvaises de kola. «Ce n’est pas intéressant pour un adulte herbes. de manger sur la voie publique.» Vers 14 heures, elle plie bagage, sachant qu’elle n’écoulera plus ce qu’elle n’a pas vendu le matin. Mais sa journée n’est pas terminée. Faire la lessive, la vaisselle, aller au puits, piler le mil… «Les enfants me prennent pour un robot», dit-elle en souriant. Heureu-

18 Un seul monde N° 4 / Décembre 2000 Niger La Suisse et le Niger Femmes, développement local et État de droit

(sku) Dans les statistiques de l’ONU sur le déve- crédits. Ces actions, conjuguées, visent un parte- Faits et chiffres loppement, le Niger se place depuis des années nariat direct avec la population et une contribu- Capitale en queue de peloton. C’est surtout l’état déplo- tion à la création de structures décentralisées. Niamey rable de l’éducation et de la santé publique qui Celles-ci conféreront plus de poids à la popula- est en cause. tion dans ses négociations avec l’administration Superficie La coopération entre la Suisse et le Niger a centrale, avec les chefs traditionnels et avec les 1267000 km2 débuté il y a 25 ans environ au niveau étatique. organismes de développement. L’apprentissage Principales ethnies En 1990, elle s’est élargie au secteur privé: orga- démocratique et l’autodétermination sont la Haoussa, Djerma-Songhaï, nisations paysannes et de défense des droits de condition préalable à une décentralisation certes Peul, Touareg et Kanouri l’homme, œuvres d’entraide et groupements de décidée par le gouvernement, mais pas encore Langues femmes. Depuis 1996, elle se concentre sur réalisée. Français (langue officielle), quatre régions. Dans le sud, ce sont les districts Depuis peu, la coopération vise aussi à améliorer haoussa (langue véhiculai- de Gaya et le département de Maradi. Dans les l’État de droit. Il est indispensable de connaître re) zones du Sahara et du Sahel, où prédominent les moyens juridiques pour défendre ses droits. Et Religion l’élevage et l’irrigation, et où la survie dépend de les groupes défavorisés, dont font partie la majo- Musulmans (80%), pluies peu abondantes, ce sont le canton de rité des femmes, en ont particulièrement besoin. animistes et chrétiens Nord-Téra et le massif de l’Aïr. Par ailleurs, de graves injustices subsistent dans le La DDC soutient l’agriculture, la sylviculture, droit familial et foncier. La DDC appuie des Population Nombre d’habitants: l’élevage, la construction de routes, l’approvi- groupements de femmes, des œuvres d’entraide, 10 millions sionnement en eau, l’éducation et la formation des médias, des tribunaux, ainsi que les minis- Espérance de vie: 47 ans des adultes ainsi que les systèmes d’épargne et de tères de la justice et des affaires sociales. Scolarisation: 30% en moyenne (18% pour les filles) Taux de fécondité: Repères historiques 7,8 enfants par femme Mortalité infantile: 1958 Le Niger approuve le référendum par lequel la 1990 L’armée réprime dans le sang un mouvement 191/1000 France proposait à ses colonies l’autonomie in- de contestation estudiantin et un soulèvement Secteurs d’activité terne au sein d’une Communauté franco-afri- des Touareg. Les syndicats réclament le multi- Agriculture et élevage: caine. partisme. 90% Industrie et commerce: 6% 1959 Un décret présidentiel ordonne la dissolution 1991 Réinstauration du multipartisme. Services gouvernemen- du Sawaba, parti qui avait fait campagne contre taux: 4% le référendum. Le Parti progressiste nigérien, 1991 Une Conférence nationale élit les autorités section du Rassemblement démocratique afri- chargées de conduire la transition et de veiller Ressources Cultures de subsistance: cain (PPN-RDA), devient de facto le parti au retour d’une vie constitutionnelle normale. mil, sorgho, riz, maïs, ma- unique. nioc 1993 Premières élections démocratiques depuis l’in- Cultures de rente: 1960 Accession à l’indépendance. Diori Hamani est dépendance. Mahamane Ousmane, soutenu par arachide, souchet, coton, oignons, niébé élu président de la République. une coalition de neuf partis, est élu président. Élevage: bovins, ovins, ca- prins, équins, camelins 1964 Des actions de guérilla, orchestrées par le 1996 En janvier, un groupe d’officiers menés par Mines: uranium, charbon, Sawaba, sont suivies d’emprisonnements mas- Ibrahim Baré Maïnassara, chef d’état-major, manganèse, phosphate, étain et pétrole sifs, d’exils forcés et d’exécutions sommaires. s’emparent du pouvoir. En juillet, le général Baré accède à la présidence lors d’élections 1974 Le président Diori est renversé lors d’un coup entachées d’irrégularités. d’État militaire conduit par le lieutenant-colo- nel Seyni Kountché. Celui-ci impose un régi- 1999 En avril, le général Baré est assassiné par sa me d’exception. garde rapprochée. Un conseil composé de Libye jeunes officiers s’investit de tous les pouvoirs Algérie 1987 Le général Seyni Kountché meurt à Paris. Le jusqu’à la mise en place d’institutions républi- chef d’état-major Ali Saïbou lui succède. Il caines. En novembre, le colonel à la retraite Niger Mali crée un parti unique, le Mouvement national Tandja Mamadou, soutenu par 18 partis, de- pour une société de développement (MNSD), vient président au cours d’élections unanime- Niamey Tchad Burkina dont il devient le président. ment reconnues comme transparentes. Faso Bénin Nigeria

Un seul monde N° 4 / Décembre 2000 19 Niger

Une drogue douce dans la calebasse

La boule est une spécialité bien nigérienne.Ce mets Vient ensuite l’étape de la cuisson. Les boules d’in- à base de mil et de lait caillé est un élément carac- égale grosseur sont placées dans une marmite conte- téristique de l’identité nationale.Au même titre que nant beaucoup d’eau.Après une ébullition d’envi- les scarifications arborées fièrement par la quasi to- ron une heure, elles retournent au mortier, où elles talité des ethnies de ce grand pays niché au cœur du sont pilées jusqu’à l’obtention d’une pâte gluante et Sahel. onctueuse. Les Nigériens sont les seuls à connaître le secret des épices et des arômes qui donnent à la boule son goût Patience… si particulier. La plupart d’entre eux consomment On délaye la pâte dans de l’eau et du lait caillé,avant ce plat trois à quatre fois en 24 heures. La boule est d’y ajouter à souhait les épices et arômes préalable- au Nigérien ce que le vin est au Français ou le fro- ment pilés. C’est ainsi qu’on obtient cette nourri- mage de gruyère au Suisse,c’est-à-dire son meilleur ture liquide dont les Nigériens ne voudraient, pour Ibbo Daddy Abdoulaye ambassadeur. Mais elle est aussi un excellent baro- rien au monde, être privés. La boule est prête à être collabore avec plusieurs mètre: en étudiant la nature et la quantité de boule dégustée,mais les connaisseurs recommandent tout publications nigériennes. Il est également corres- que les Nigériens ingurgitent tout au long de la de même de la laisser reposer quelques heures. Son pondant au Niger de journée,on en apprend plus sur la santé du pays qu’à goût n’en sera que meilleur.Si vous suivez à la lettre l’agence de presse Syfia travers le meilleur indicateur de pauvreté. Cette ces instructions, vous ne lèverez pas votre nez de la et de la radio Fréquence nourriture à haute valeur nutritive est très riche en calebasse avant d’en avoir vu le fond. ■ verte. En outre, il est direc- teur de publication des protéines, en vitamines et en fer. «Échos du Sahel», une agence de presse spéciali- Unanimes autour de la calebasse sée dans l’agriculture et le À vrai dire, il existe différentes variétés de boule. développement, qu’il a contribué à créer en sep- Chaque région loue l’incomparable saveur de la tembre 1998. Le produit sienne. Mais lorsque vient l’heure de se réunir au- phare de l’agence est une tour de la calebasse et de se passer la louche de main revue trimestrielle sur le en main,les Nigériens de tous horizons et de toutes monde rural, que la DDC a subventionnée. confessions en oublient leurs querelles de clocher. Et une unanimité se forge, avec des rots gutturaux et des hochements de tête, à propos de ce doux nectar qui a la faculté de fasciner le néophyte. L’hospitalité nigérienne passe aussi par la boule. C’est comme un réflexe inné que de l’offrir à son hôte. Au risque d’en faire un «accro» qui n’au- ra plus de repos tant qu’il n’aura pas sa dose. Mais ce manque sera facile à combler:la recette est simple et la boule est en vente à tous les coins de rue.

Du mil, du lait et des épices Pour obtenir une boule d’excellente qualité, il faut bien évidemment du mil, cette céréale qui consti- tue la base de l’alimentation au Niger,et un bon lait caillé de vache. Mais d’autres ingrédients sont éga- lement nécessaires.Selon les goûts et les moyens,on peut utiliser du fromage sec, des dattes ainsi qu’une corbeille d’arômes et d’épices exotiques (gingembre, clous de girofle,thym,piment noir,piment blanc…). Avant toute chose, il s’agit de choisir le mil parmi les belles graines,dorées et dures.La deuxième opé- ration consiste à le piler pour le débarrasser de son enveloppe – le son – qui fera un bon aliment pour les animaux.Ensuite,le mil est lavé et remis au mor- tier, afin de le transformer en une farine blanche et fine. Mélangée avec un peu d’eau, la farine est alors roulée en boules, d’où le nom du plat.

20 Un seul monde N° 4 / Décembre 2000 Opinion DDC Iris Krebs

Suspendre l’aide pour faire pression sur un pays? D’abord des mesures positives

Comment traiter avec les gouvernements qui ba- sures ont ainsi une influence positive sur le contex- fouent les droits de l’homme? Que faire lorsque les te politique général et contribuent à améliorer la si- forces de l’ordre étouffent dans l’œuf et avec bru- tuation dans le pays. talité toute velléité de démocratisation? Que faire Si des efforts sérieux ont été faits dans ce sens et que, lorsque nous sommes témoins d’atteintes graves à malgré tout, aucune amélioration ne se dessine, la liberté et à la sécurité, qui imposent souffrances alors seulement, il y a lieu d’envisager des mesures DDC et misère à des peuples entiers? plus radicales. Cependant, celles-ci sont de nature à Crier notre indignation ne suffit pas. Nous devons impliquer tous les domaines des relations de la plutôt participer activement aux actions internatio- Suisse avec l’étranger. C’est pourquoi elles doivent nales.À l’instar d’autres États,la Suisse a souvent en- être conçues de manière cohérente.Ce sont des dé- visagé de cesser toute activité de coopération avec cisions graves. Elles ne peuvent être prises que par les pays concernés,au Sud ou à l’Est.Nous nous de- le Conseil fédéral, après un examen approfondi de vons assurément de réagir, car il est insupportable la situation. de voir souffrir des milliers de personnes simplement Dans tous les cas, les sanctions ne sont prises qu’en parce que leur gouvernement n’a pas la volonté ou dernier recours. Il s’agit avant tout de mettre en les moyens de respecter les normes légales ou les ac- œuvre des mesures positives pour amener le pays cords internationaux. Mais est-ce en se retirant du partenaire à résoudre ses problèmes et à retourner pays partenaire que l’on obtiendra les meilleurs ré- à la normale. ■ sultats? L’expérience a montré que l’on surestime les effets Walter Fust d’un retrait. De plus, il prétérite souvent ceux qu’il Directeur de la DDC ne vise pas. Il peut priver d’un soutien vital les groupes de population les plus défavorisés.Les forces (De l’allemand) réformatrices,au sein du gouvernement et de la so- ciété civile, peuvent perdre toute marge de ma- nœuvre. Loin d’améliorer la situation, les sanctions risquent donc de l’aggraver. De plus, le gouverne- ment incriminé peut durcir son attitude en dénon- çant l’ingérence internationale. Généralement, on obtient plus de succès en recou- rant à des mesures positives à l’intérieur même du pays.Il s’agit par exemple d’apporter un appui ciblé au ministère de la justice, à des groupements de dé- fense des droits de l’homme ou à la presse. Ces me-

Un seul monde N° 4 / Décembre 2000 21 Débuts de rêves dans un bidonville

En Colombie, deux millions de personnes ont quitté leurs mai- sons pour fuir la guerre civile. Plus de la moitié sont venues s’en- tasser dans d’immenses bidonvilles à la périphérie de Bogotá, la capitale. La DDC fournit une aide humanitaire à des projets qui visent à améliorer les conditions de vie des desplazados. Beat Felber s’est rendu sur place. Peter Stäger

La DDC en Colombie La Colombie ne compte pas parmi les pays de concentration de l’aide suisse. Cela signifie que la DDC ne s’est fixé aucune priorité dans ce pays à moyen ou à long terme. Elle lui apporte néanmoins un soutien – environ cinq millions de francs en 2000 – au travers de divers ins- truments et organisations. Il s’agit pour l’essentiel d’une aide humanitaire et de cofinancements de pro- jets gérés par des organi- sations non gouvernemen- tales suisses, telles que l’EPER, Swissaid, Swisscontact et Terre des hommes. Pour la DDC, il est important d’accorder une aide accrue aux per- sonnes déplacées à l’inté- rieur du pays et d’appuyer les activités visant à renfor- cer les organisations lo- cales ainsi que le rétablis- sement de réseaux so- ciaux au sein de la société civile. Peter Stäger

Pour se rendre à son travail, la psychologue Alicia Fuir la violence Almeida enfile de solides bottes.En effet,cette jeune Les habitants d’Altos de Cazucá ont tous fui la vio- femme de 32 ans exerce sa profession sur un terrain lence de la guerre civile qui secoue la Colombie plutôt rude. Elle quitte le centre de Bogotá et roule depuis trente ans. La population se compose essen- en direction du sud. Il lui faut une heure et demie tiellement de femmes, d’enfants et d’adolescents. pour atteindre les faubourgs de cette métropole de «Chaque jour, environ 35 familles de dix à douze huit millions d’habitants. Arrivée au pied d’une personnes arrivent ici. La plupart de ces gens ont colline escarpée, elle parque sa voiture et continue été directement victimes de la guerre, soit parce à pied.Les routes,lorsqu’il y en a,sont en trop mau- qu’un des membres de leur famille a été assassiné, vais état et trop raides pour qu’une voiture puisse y soit parce qu’on les a forcés à quitter leur maison», circuler. Alicia Almeida se met à grimper, à travers explique Alicia Almeida. un entassement indescriptible de cabanes faites de À leur arrivée dans ce lotissement improvisé, ils planches assemblées tant bien que mal.Elle parvient trouvent des conditions difficiles. Leur premier au centre d’Altos de Cazucá. Ce bidonville se situe souci est de se construire un abri de fortune, à l’ai- dans le quartier de Ciudad Berna, à Bogotá. de de quelques planches. Ensuite, ils essaient de

22 Un seul monde N° 4 / Décembre 2000 Peter Stäger s’organiser. Hélas, le bidonville ne dispose d’aucu- un logement, pour de l’argent… et cela pratique- ne conduite d’eau ou d’électricité. Il n’y a pas de ment sans espoir», constate Alicia Almeida. Sa pre- magasins, pas d’écoles… et bien sûr pas de travail mière tâche consiste donc à aller trouver les per- non plus. Par contre, la criminalité est très élevée, sonnes déplacées dans leurs abris sommaires et à nombre d’enfants souffrent de malnutrition et il gagner leur confiance. C’est loin d’être facile dans faut aller loin pour acheter de la nourriture. À sup- un pays où la peur et la méfiance sont devenues poser qu’on ait de l’argent. une seconde nature depuis deux générations. Un Depuis trois ans, les habitants reçoivent une aide pays où la violence fait chaque année 30000 vic- élémentaire grâce à Mencoldes, une fondation des times et où les prises d’otages sont monnaie cou- Églises mennonites de Colombie pour le dévelop- rante. pement social et l’aide humanitaire. Mencoldes a Le centre d’appui de Mencoldes ne parvient pas à créé à Ciudad Berna un centre d’appui, dont le répondre à la demande. «Le nombre de personnes programme est financé par l’Aide humanitaire de intéressées à suivre nos cours est systématiquement la Confédération et l’Entraide protestante suisse plus élevé que celui des participants que nous pou- (EPER). vons effectivement admettre», regrette Nancy Yael «Le centre fournit une aide humanitaire à 2000 Bernal. Pour l’heure, quelque 90 personnes vien- personnes par an», estime Nancy Yael Bernal, nent deux fois par semaine au centre pour suivre coordinatrice du programme. «Nous distribuons différents cours sur six mois: certains apprennent à de la nourriture, des vêtements et des ustensiles de lire et à écrire, d’autres suivent des cours de cou- cuisine. Les gens peuvent également bénéficier de ture, de gestion, de comptabilité, d’informatique soins médicaux, psychologiques et dentaires. En ou d’artisanat. «Notre but est de leur donner les outre, nous organisons toutes sortes de cours afin moyens de créer des micro-entreprises dans leurs qu’ils aient de nouvelles perspectives, qu’ils retrou- quartiers.» vent des rêves et des objectifs. Les personnes qui Ces efforts ont déjà donné des résultats concrets. viennent ici ne souffrent pas seulement de misère Ainsi, Graziella Prieta, Olga Remolino et Idalyn économique mais aussi d’une misère psychique, à Flores, toutes trois mères de plusieurs enfants, ont cause de la violence et des traumatismes qu’elles ouvert ensemble un atelier de couture. Josefina ont subis.» Perez a installé un stand de boissons à côté de sa Une fois que les desplazados ont reçu le minimum cabane. Et Juan Pablo Martinez, père de cinq vital, le centre met l’accent sur la prise en charge enfants, fabrique des chaussures de cuir sur com- psychologique pour accroître leurs chances de mande. Ce sont de tels exemples et d’autres enco- réintégration sociale, culturelle et économique. re qui motivent Alicia Almeida. Elle continuera Peter Stäger donc à enfiler ses bottes pour parcourir les collines Gagner la confiance des faubourgs de Bogotá. ■ «Quand ils arrivent ici, beaucoup de ces gens, mais surtout les jeunes, sont totalement déprimés.Après (De l’allemand) avoir connu la violence de la guerre civile, ils vont être confrontés à d’autres formes de violence. Ils doivent sans cesse se battre: pour du travail, pour

Un seul monde N° 4 / Décembre 2000 23 Aider l’Afghanistan malgré les talibans

La Suisse assume en 2000 la présidence du Groupe d’appui à l’Afghanistan (ASG), qui réunit les seize principaux pays dona- teurs. Dévasté par un conflit qui n’en finit pas, auquel s’ajoute cette année une sécheresse catastrophique, l’Afghanistan dé- pend plus que jamais de l’aide internationale.

(jls) L’ASG a été créé en 1996, l’année où les tali- l’Alliance du Nord. «Nous leur avons demandé de bans ont pris le pouvoir. Face à une situation com- respecter les droits de l’homme et de laisser tra- plexe et conflictuelle, il était devenu nécessaire vailler librement les organismes d’aide. Nous avons pour les donateurs de se concerter sur les modali- insisté pour avoir accès à tous les groupes défavo- tés de l’aide, de mieux coordonner leurs actions et risés, ce qui inclut naturellement les femmes», d’apporter un soutien efficace aux efforts de paix indique M. Chappatte. Ces demandes correspon- des Nations Unies. dent à la charte de l’ASG, qui a décidé, à l’instar de Aucun membre de l’ASG ne reconnaît le régime l’ONU, de lier son aide humanitaire au respect de taliban, coupable de nombreuses violations des certains principes fondamentaux. «Il ne s’agit tou- droits de l’homme. «Néanmoins, les bailleurs de tefois pas d’une conditionnalité au sens strict, car la fonds ne peuvent ignorer cette crise humanitaire population pourrait en souffrir.» qui dure depuis plus de vingt ans. Sans l’aide inter- nationale, l’Afghanistan aurait énormément de problèmes pour nourrir sa population, surtout les Discrimination des femmes femmes», souligne Serge Chappatte, directeur sup- En privant les Afghanes du droit à l’emploi et de la pléant de la coopération bilatérale au développe- liberté de circuler, les talibans les ont condamnées ment de la DDC. à dépendre d’un homme pour survivre. Dès lors, Par des veuves, pour une grande partie des 700000 veuves de guerre des veuves sont réduites à la mendicité. En cas de pénurie ali- Le Programme alimentaire Aide liée à des principes mentaire, les veuves et les orphelins sont les pre- mondial (PAM) a conçu un projet original pour assurer Les pays membres de l’ASG assument la présiden- miers à souffrir de la faim. l’approvisionnement des ce à tour de rôle. En l’an 2000, cette fonction est La situation des femmes est au centre des préoccu- Afghanes défavorisées, revenue à la Suisse. Le bureau de coordination de pations de l’ASG. «Et cela surtout depuis que les tout en respectant les lois la DDC à Islamabad (Pakistan) organise chaque talibans ont décrété en juillet dernier l’interdiction qui imposent la ségréga- tion des sexes. Avec le mois une séance de l’ASG afin de régler les pro- d’employer des femmes dans des projets d’aide», soutien de la DDC, il a créé blèmes les plus urgents en matière de coordination précise M. Chappatte. ■ un réseau de 37 «boulan- de l’aide. Et la DDC a effectué plusieurs missions geries des veuves». Il a de haut niveau en Afghanistan, où elle a rencontré obtenu l’autorisation d’y employer des femmes. aussi bien les talibans que leurs adversaires de Ainsi, ce sont des veuves qui confectionnent le pain avec de la farine fournie par le PAM. Des enquê- trices vont de porte en porte pour distribuer des tickets de rationnement aux veuves démunies ayant des enfants à char- ge. Ces clientes se rendent ensuite dans les boulange- ries pour s’y procurer le pain à un prix fortement subventionné. Harriet Logan / Network Lookat

24 Un seul monde N° 4 / Décembre 2000 DDC interne

Une section de la Équateur, dirigera la nouvelle que l’Albanie. Cette année, sa www.ddc.admin.ch.Parmi beau- gouvernance section, créée dans le cadre de la situation s’est aggravée dramati- coup d’autres informations inté- (rdd) Dès le 1er janvier 2001, la réorganisation des services secto- quement en raison des condi- ressantes, il contient les commu- DDC comptera une section thé- riels de la DDC. tions climatiques: un gel tardif, niqués de presse les plus actuels matique «Gouvernance», chargée puis trois mois de sécheresse, ont et la plupart des articles récem- de gérer les compétences dans Bureau humanitaire en eu des effets dévastateurs sur les ment publiés par Un seul monde, les domaines suivants: État de Moldavie récoltes. En juin, le ministère de même que les liens corres- droit, droits de l’homme, rôle de (jls) Au début de septembre der- moldave des affaires étrangères a pondants.Ainsi, vous pouvez y l’État, décentralisation, dévelop- nier, la DDC a ouvert un bureau lancé un appel à l’aide interna- consulter l’ensemble du dossier pement local et gestion des de liaison de l’aide humanitaire à tionale.Walter Fust, directeur de «L’ONU, le développement et la affaires publiques (budget, cor- Chisinau, capitale de la la DDC, s’est rendu sur place le Suisse», paru dans le numé- ruption, etc.). Les sections thé- Moldavie. Quatre collaborateurs 8 août. À la suite de cette visite, ro 3/2000. Un lien ouvre la page matiques ont pour tâche d’ap- y travaillent. Cette ancienne la DDC a décidé de distribuer Internet du DFAE sur l’ONU: porter un appui technique et république soviétique de des semences aux paysans les www.uno.admin.ch scientifique aux programmes 4,4 millions d’habitants, située plus affectés par la sécheresse et ainsi qu’aux partenaires de la entre l’Ukraine et la Roumanie, d’apporter une aide d’urgence à DDC, de tisser des liens sur le a particulièrement souffert du divers projets dans le domaine plan international et de définir la passage à l’économie de marché. social et médical. politique de la DDC dans leur Selon un classement établi par la domaine de compétences respec- Banque mondiale en 1998, la Les bons liens tif. Jean-François Cuénod, Moldavie est le pays le plus (bf) Le site Internet de la DDC actuellement coordinateur en pauvre d’Europe, plus encore attend votre visite, à l’adresse:

Au fait, qu’est-ce qu’un fonds de contrepartie? (drg) Le fonds de contrepartie est créé dans le cadre des mesures bilatérales de désendettement. La Suisse renonce à ses créances en devises à l’égard d’un pays en développement. En contrepartie, le gouvernement s’engage à constituer dans son pays un fonds d’un certain montant en monnaie locale. L’argent est prélevé sur le budget du gouvernement central pour être placé sur un compte portant intérêts auprès d’une banque commerciale locale. Il ne relève plus de la compétence du ministère des finances. Il sert ensuite à financer des projets de développement: des organismes de la société civile (surtout des œuvres d’entraide) et des institutions publiques soumettent des projets aux responsables du fonds; ceux-ci choisissent, sur la base de critères prédéfinis, les projets qui seront soutenus. Dans le cadre de son programme de désendettement bilatéral, la Suisse a accordé des remises de dette à 18 pays pour un mon- tant total de 1,1 million de francs. Dans douze cas, des fonds de contrepartie ont été créés. Ils représentent une somme totale de 270 millions de francs. Le fonds est le plus souvent admi- nistré par un secrétariat exécutif, assisté par un comité tech- nique chargé d’évaluer les projets. Ce comité réunit des repré- sentants des deux gouvernements concernés et de la société civile. Un comité bilatéral, au sein duquel seuls les gouverne- ments sont représentés, sélectionne en dernière instance les demandes de financement qui lui sont présentées par le secré- tariat exécutif. Keystone

Un seul monde N° 4 / Décembre 2000 25 L’économie privée découvre les pauvres

Une collaboration entre l’économie privée et la coopération au développement a longtemps paru impensable. Mais les mentalités évoluent. Pour évoquer les limites, les potentiels et les risques d’un tel rapprochement, Un seul monde a réuni trois spécialistes chevronnés: Rosmarie Michel, Oscar Knapp et Remo Gautschi. Débat animé par Beat Felber.

Un seul monde: Imaginer que la coopération Remo Gautschi: La collaboration avec l’éco- au développement et l’économie orientent toutes nomie privée est différente en Suisse et dans les deux leurs efforts vers les pauvres de ce monde, pays en développement. Ici, nous coopérons avec n’est-ce pas la quadrature du cercle? des organismes, des consultants, etc., qui nous ai- Oscar Knapp: Pas du tout. L’économie privée dent à réaliser des projets et des programmes.Dans ne peut pas s’épanouir lorsque le contexte ne s’y les pays en développement et en transition, la FORUM Iris Krebs (3) Iris Krebs Keystone

Rosmarie Michel prête pas. Si au contraire elle trouve un terreau est depuis de nombreuses fertile, son développement profite également aux années vice-présidente de pauvres. C’est pourquoi le seco soutient d’une la Women’s World Banking et membre de plusieurs part la coopération macro-économique avec les conseils d’administration pays en développement. D’autre part, il tente de couvrir certains risques et d’appuyer l’économie Remo Gautschi privée dans la réalisation de projets qu’elle n’en- est vice-directeur de la DDC et chef de la Division treprendrait peut-être pas d’elle-même. pour la coopération avec l’Europe de l’Est et la CEI Rosmarie Michel: La mondialisation n’est pos- sible qu’avec des marchés en bonne santé.Cela si- Oscar Knapp, Still Pictures ambassadeur, est délégué gnifie que nos partenaires doivent être d’égale va- aux accords commerciaux leur et connaître les lois de l’économie de mar- DDC vise – comme le lui demande la loi – à pro- et chef du centre de pres- ché.Il est donc nécessaire de commencer à la base, mouvoir l’économie privée à tous les niveaux.En tations «Développement et avec le travail de développement.Du point de vue l’absence d’une économie de marché à caractè- transition» du Secrétariat d’État à l’économie (seco) économique, celui-ci doit d’ailleurs être perçu re social et durable, le développement, tel que non pas comme une aide, mais comme un inves- nous le concevons, demeure tout bonnement tissement. Il inclut le transfert de savoir-faire en impossible. matière de gestion et de marketing.C’est dans cet Un seul monde: Les pauvres n’ont pour ainsi dire esprit que la Women’s World Banking (voir page pas de pouvoir d’achat. Pourquoi l’économie pri- 28) agit au niveau mondial. vée s’intéresse-t-elle donc à eux?

26 Un seul monde N° 4 / Décembre 2000 O. Knapp : L’intérêt principal de l’économie n’est caces à cet égard, notamment lorsqu’ils sont enga- pas de soutenir les pauvres. Elle est là pour générer gés pour promouvoir la santé, l’éducation et la for- des bénéfices. Dans certaines régions, des investis- mation. sements lui semblent cependant possibles, mais comme ils impliquent des risques relativement éle- Un seul monde: Ne risque-t-on pas de voir la co- vés, nous en couvrons une partie. Nous soutenons opération au développement subventionner des ainsi tant les pays en développement que l’écono- tâches qui incombent à l’économie privée? La for- mie privée. En fait, l’économie commence à com- mation professionnelle, par exemple? prendre qu’il est dans son intérêt d’intégrer les pauvres, voire les plus pauvres, dans les processus R. Gautschi: Notre coopération au développe- économiques, faute de quoi elle en subira des re- ment a pour tâche première de lutter contre la pau- vers à moyen ou à long terme. vreté. Or, l’expérience de ces dernières années l’a montré clairement: il existe un lien entre le déve- R. Michel: La seule quête du profit relève d’une loppement vers une société civile telle que nous stratégie à court terme. Les milieux économiques l’imaginons et la possibilité pour l’économie privée partagent de plus en plus cet avis. Dans une écono- de se développer dans le pays concerné. L’un dé- mie de marché saine, fonctionnant à l’échelle pla- pend de l’autre.Cependant,l’argent public que nous nétaire, tous les partenaires, quelle que soit leur investissons dans ces processus doit profiter à la taille, participent au succès commun. On ne peut grande majorité de la population, notamment dans pas attendre des entreprises qu’elles fournissent une les domaines de la formation,de la santé,des affaires aide au développement. Les fonds publics sont effi- sociales et des infrastructures. Par exemple, nous ne

Un seul monde N° 4 / Décembre 2000 27 Still Pictures

Women’s World Banking pourrions pas investir nos moyens limités dans de Un seul monde: L’économie privée remplacera- (WWB) grandes entreprises. Ce n’est pas notre rôle. t-elle un jour la coopération publique au dévelop- La WWB est le seul réseau pement? mondial dirigé uniquement par des femmes. Ses O. Knapp : L’expérience montre que lorsque le membres sont 44 sociétés marché se régule lui-même,nous pouvons nous re- R. Gautschi: Le marché et l’économie privée ne réparties dans 37 États, tirer. pourront jamais tout réguler. Aussi longtemps que surtout dans les pays du l’État aura un rôle à jouer chez nous,la coopération Sud peu avancés. Le ré- seau accorde de petits et R. Gautschi: Personne ne veut investir dans un publique au développement restera, elle aussi, né- micro-crédits à des pays qui n’offre pas certaines conditions minimales cessaire. Au cours des décennies à venir, elle sera femmes pauvres qui peu- relatives aux institutions, à la stabilité, aux infra- l’espace dans lequel nous pourrons élaborer avec vent ainsi créer leur propre structures et à la formation. Notre travail consiste nos partenaires des visions, des politiques et des entreprise (dans l’agricultu- re, l’industrie légère, les donc à créer ces conditions. programmes.Rien n’empêchera l’économie privée services ou le commerce) de bénéficier de nos actions et de participer à la réa- et subvenir aux besoins de Un seul monde: La DDC possède une grande ex- lisation de nos programmes. leur famille. périence et un immense savoir-faire en matière de En 1999, la WWB a dé- pensé 52 millions de dol- coopération avec les pays en développement. O. Knapp : Depuis la chute du Mur de Berlin et la lars pour soutenir 321000 L’économie fait-elle aussi appel à ces connaissances? fin de la guerre froide, pays donateurs et pays bé- femmes. La Suisse se néficiaires abordent plus librement et plus ouverte- classe au troisième rang R. Michel: Nombre de dirigeants économiques re- ment des sujets tels que la corruption ou la bonne des pays donateurs de la WWB, derrière les Pays- connaissent aujourd’hui que nous devons aider les gestion des affaires publiques. J’espère donc que la Bas et la Norvège. La DDC plus pauvres (dont 90 pour cent sont des femmes) DDC, comme le seco, pourront se retirer de cer- verse 1 million de francs à se procurer le minimum vital.Il importe que nous tains pays et laisser jouer les règles du marché. par an au réseau. Elle ap- participions tous à ce changement d’attitude. Nous porte par ailleurs son appui à trois organisations devons débattre de ce problème, envisager des so- R. Michel: Un organe étatique a une fonction de membres de la WWB au lutions et en rendre compte avec un maximum de régulation. Et nous avons absolument besoin qu’il Bangladesh, en Bosnie et réalisme,pour éveiller l’intérêt et la compréhension joue ce rôle, car les motivations de l’économie pri- au Bénin. nécessaires. vée comportent toujours une part d’égoïsme. Mais www.swwb.org il faut surtout renforcer le système économique O. Knapp : Je pense qu’il y a encore des lacunes et mondial en y intégrant les plus faibles. C’est pour- que,de manière générale,nous pouvons profiter da- quoi nous ne devons pas parler de charité ou d’ai- vantage de nos connaissances respectives. Le cas de de,mais bien d’investissement ou de développement l’Europe du Sud-Est montre cependant que la co- et de coopération. ■ opération fonctionne bien mieux que par le passé. (De l’allemand)

28 Un seul monde N° 4 / Décembre 2000 Carte blanche

Comme si c’était la première fois

Les festivals de musique africaine turel. Défi que j’ai relevé, avec la prennent ma situation et sont foisonnent un peu partout en collaboration d’une petite équipe prêts, le cas échéant, à faire des Europe. Malheureusement, il est de trois personnes. Très vite, nous concessions. très rare que ces manifestations avons réalisé que la recherche soient mises sur pied par des d’artistes ne nous posait guère de Il faut souligner que les musi- Africains. À cet égard, le «Festival problèmes. Il était autrement plus ciens viennent de tout l’espace Integration» de Zurich, dont la compliqué d’obtenir de la police culturel noir. N’oublions pas quatrième édition s’est déroulée les autorisations nécessaires et de qu’il y a aussi des Noirs aux en septembre dernier, constitue trouver des sponsors. Dès le dé- Caraïbes, aux Antilles, au Brésil… une exception. De nationalité part, ces deux tâches ont été les bref, sur l’ensemble du continent Lang congolaise, j’en suis en effet de- plus ardues. Elles le sont tou- américain. Parler d’un «festival puis 1996 l’organisateur princi- jours. africain», c’est sous-entendre Walter Louis Mombu pal. qu’il est dédié exclusivement à est né au Zaïre, qui deviendra la Aujourd’hui, le comité d’organi- l’Afrique. C’est pourquoi je pré- République Démocratique du Étant Africain, je n’organise pas sation compte douze personnes. fère parler d’un «festival de l’in- Congo. À l’âge de huit ans, il est ces journées à la manière d’un Nous avons déjà réalisé avec suc- tégration», expression qui bannit arrivé en Belgique avec sa famille. Il a suivi une formation d’officier à Européen. D’ailleurs, un petit cès quatre éditions du festival. l’idée de frontières entre les l’École royale militaire de Belgique. chaos est nécessaire, c’est un élé- Néanmoins, cela ne nous a pas communautés noires. Celles-ci En 1977, il est venu vivre à ment de la culture africaine! acquis la confiance de certains doivent prendre conscience du Genève où il a suivi un apprentis- Cela ne signifie pas pour autant interlocuteurs, qui nous reçoivent fait qu’elles partagent une même sage de mécanicien de précision dans la métallurgie. Installé depuis que je les organise comme on le toujours comme si c’était la pre- culture. une douzaine d’années à Zurich, il ferait en Afrique, où les places mière fois. La quête des autorisa- y a d’abord exercé la profession sont gratuites et l’infrastructure tions officielles reste un véritable «Integration» ne veut pas seule- de mécanicien outilleur. Puis il rudimentaire. Ici, tout doit être parcours du combattant. Et les ment présenter la culture africai- s’est lancé dans la culture, fon- dant en 1993 l’Association Africa conforme aux normes euro- sponsors sont réticents. Voyant ne, à travers ses instruments tradi- Freedom. Celle-ci a d’abord orga- péennes, de la logistique à la que l’entreprise est gérée par un tionnels, comme le tam-tam, la nisé des concerts, puis le «Festival technique, en passant par l’éclai- Africain, ils craignent qu’elle ne cora, etc. Il a l’ambition de res- Integration» dès 1996. rage, les salles, etc. Sans oublier la soit pas sérieuse ou irréalisable. souder les Noirs vivant en exil et publicité. L’ensemble demande d’appuyer leurs efforts d’intégra- beaucoup d’argent. Cette année, Le fait que je sois Africain facilite tion au sein des sociétés euro- notre budget se montait à en revanche considérablement les péennes. Africa Freedom a 180000 francs. contacts avec les artistes. Ce sont d’ailleurs tenu à inclure dans le des frères. Nous pouvons discuter programme un thème social lié à Ce sont des amis sénégalais, librement des questions de ca- des questions d’actualité. Cette membres de l’Association Africa chet, de logement ou d’autres as- année, nous avons proposé un Freedom, qui m’ont suggéré en pects liés à leur concert. Ils com- débat sur l’épidémie de sida en 1996 d’organiser un festival cul- Afrique. ■ Roland Hohberg

Un seul monde N° 4 / Décembre 2000 29 Pinocchio met son nez dans les scripts

«Africa & Pinocchio» est le nom d’un programme unique de formation proposé aux scénaristes africains. Huit équipes élaborent une série de téléfilms desti- nés aux enfants africains. Toni Linder* a assisté à l’un des séminaires organi- sés au Sénégal. oni Linder (7) T

Dakar, mai 2000, une salle de CULTURE réunion de la «Maison des l’un des participants, le scénaris- Élus». Le grand romancier afri- te sénégalais Ababacar Diop. cinéaste, capable de mener avec cain Ahmadou Kourouma s’ef- «S’ils se comportent ainsi, c’est lui un dialogue à la fois force de provoquer un parterre que depuis leur plus jeune âge, constructif et critique. De plus, de futurs auteurs de scénarios: ils ont vu les Blancs mépriser la jusqu’ici, aucune filière de for- «Votre respect est mal placé. culture noire.» mation ne prenait vraiment en Vous devez aborder nos mythes compte la situation spécifique de façon ludique. Ils ne sont Producteurs dédaignés des scénaristes africains. rien de plus qu’une matière Mais le manque de mordant C’est ce type de lacunes que dont se nourrit votre imagina- chez les auteurs n’est pas la s’efforce de combler le pro- Afrique, propose une formation tion. Osez regarder notre cultu- seule faiblesse du cinéma afri- gramme de formation «Africa axée sur la pratique. Huit re d’un œil critique!» cain. Celui-ci souffre également & Pinocchio», lancé en décem- équipes, comprenant chacune Ce séminaire fait partie du pro- d’être encore et toujours domi- bre 1999. L’initiative est due à la un scénariste et un producteur, gramme «Africa & Pinocchio». né par de grandes figures qui Fondation suisse de formation élaborent un projet viable de Connu pour son esprit péné- assument elles-mêmes toutes les continue pour le cinéma et court-métrage télévisé destiné trant et son humour féroce, phases de la création: écriture l’audiovisuel (FOCAL). Elle aux enfants africains. Ahmadou Kourouma a été invi- du scénario, production et réali- travaille en collaboration avec té par les organisateurs à inter- sation du film. Ces personnages son équivalent français,ACT L’Afrique n’est pas le Japon venir devant ces scénaristes, traitent les producteurs en Formation, et les Cinéastes Pourquoi avoir choisi ce genre jeunes pour la plupart. Le vieux parents pauvres, les considérant sénégalais associés (CINE- en particulier? Explication de maître les encourage à prendre comme un mal nécessaire. SEAS). L’appui de CINESEAS Pierre Aghté, de FOCAL, qui a des risques créatifs. «Les auteurs En conséquence, les rares pro- est essentiel pour le programme, conçu le projet: «Tous les parti- africains tendent à vouloir pro- ducteurs africains n’ont guère car cet ancrage local lui donne cipants préféreraient bien sûr téger leur culture et, de ce fait, l’occasion d’apprendre à jouer tout son sens. La DDC soutient tourner un film pour le cinéma. ils ne la remettent pratiquement le rôle qui devrait leur revenir, elle aussi le programme. Si nous avons misé sur des films jamais en question», explique celui de véritable partenaire du Ce cours inédit, du moins en de 26 minutes en format TV,

30 Un seul monde N° 4 / Décembre 2000 c’est que nous aurons plus de chances de trouver un finance- ment et donc de mener les pro- Or si les scripts nés de cette jets jusqu’à la réalisation.» manière sont remplis de bonnes Les bons films pour enfants sont intentions, ils ont peu de rares à la télévision africaine; chances de captiver le public. Et beaucoup montrent en outre un surtout pas les enfants.» monde qui n’a rien à voir avec Sous la supervision du scénaris- celui des enfants du continent. te et metteur en scène suisse Après tout, les enfants africains rios trop sages, trop politique- Denis Rabaglia (auteur ne vivent pas comme les enfants ment corrects. Le producteur d’Azurro), les synopsis sont soi- de Tokyo, Los Angeles ou mozambicain Pedro Pimenta, gneusement expurgées à Dakar Zurich. Les huit équipes sont un des deux mentors du pro- de telles génuflexions devant la conseillées par des profession- gramme de formation, explique mentalité des œuvres d’entraide nels de la télévision originaires ainsi ce phénomène: «Beaucoup du Nord. Leur structure drama- du Sud et du Nord. À l’issue du d’auteurs africains écrivent en tique est consolidée.Tel aspect, cycle de formation, qui dure pensant qu’il va falloir montrer environnemental par exemple, une année, tous auront appris le projet à une œuvre d’entraide peut s’en trouver écarté. Mais quelque chose et ils auront éla- du Nord pour obtenir le finan- Denis Rabaglia encourage réso- boré huit projets de téléfilms cement nécessaire. Conséquence lument les auteurs à ramasser pour les chaînes africaines de logique, leurs scénarios tour- leurs intrigues, à faire évoluer télévision. nent toujours autour des leurs personnages de façon plus Dès les premiers cours, il est thèmes favoris de ces institu- plausible et plus vivante, à apparu que les participants tions: l’environnement, le sida, aiguiser les conflits. avaient tous en tête des scéna- la promotion des femmes, etc.

Un seul monde N° 4 / Décembre 2000 31 oni Linder (3) T

Comme à Hollywood apprenons la méthode holly- édition de ce programme de Denis Rabaglia apprend aux woodienne pendant ce cours. formation. Sur ce point, organi- auteurs et aux producteurs la Nous avons assez d’imagination sateurs et participants se mon- manière classique de construire pour nous en éloigner quand trent très optimistes. ■ un scénario, telle qu’on l’en- c’est nécessaire.» Alfred Dogbe seigne dans les écoles de cinéma est trop poli pour exprimer *Toni Linder est collaborateur de Hollywood. En Suisse, les directement comment les de la Section médias et commu- réactions ne se sont pas faites Africains ressentent de tels scru- nication de la DDC attendre. Certains ont dénoncé pules: ils y voient un mépris le «fascisme du marché». On a paternaliste de leur créativité. (De l’allemand) dit que les auteurs africains y Le séminaire de Dakar, en mai, perdraient leur identité, voire était le deuxième du cycle. En leur âme. Tout ce qui donne août, participants et formateurs leur saveur aux histoires typi- se sont réunis à Ségou, au Mali. quement africaines allait être Les projets de la série, qui porte perdu. pour l’instant le titre de Contes Ces réflexions font sourire les à rebours,devaient être peaufinés participants au séminaire. «Il au cours du dernier séminaire, semble que cette question pré- en novembre à Toulouse. occupe davantage les Européens Ensuite, tout dépendra de la que nous autres,Africains», qualité des huit dossiers. C’est explique le scénariste nigérien grâce à elle qu’on trouvera Alfred Dogbe. «Notre spécificité peut-être l’argent nécessaire à la africaine ne souffre certaine- production des films. Et à la ment pas du fait que nous mise sur pied d’une deuxième

32 Un seul monde N° 4 / Décembre 2000 Éducation et développement ment), Max Kasparek Verlag, sur le Web Heidelberg, 2000 (bf) Êtes-vous à la recherche de publications ou de manifesta- Bêtes sauvages tions sur les rapports Nord-Sud, au hit-parade la multiculturalité, le racisme, (bf) Ahmadou Kourouma, né en

Internet les droits de l’homme, la paix Côte d’Ivoire, s’est fait connaître ou le développement durable? dans le monde entier par la La Fondation Éducation et publication de son roman Les Développement, qui se préoc- soleils des indépendances, achevé cupe de ces thèmes depuis en 1964 et publié en 1970. Il a 1997, vient de faire son entrée ensuite écrit une pièce de sur Internet.Vous trouverez son théâtre qui lui a valu vingt la publication de son premier site à l’adresse www.globaleduca- années d’exil.Aujourd’hui, roman, Saison de la migration vers tion.ch. Celui-ci contient un Ahmadou Kourouma vit et écrit le Nord, un livre-culte pour les agenda régulièrement actualisé, à nouveau dans son pays. Il a intellectuels arabes et un clas- une liste des publications d’ailleurs connu un autre succès sique de la littérature arabe. Neuf récentes sur l’éducation dans littéraire, avec son dernier de ses nouvelles, écrites il y a une perspective globale, un ouvrage En attendant le vote des plus de quarante ans, viennent aperçu des cours que la fonda- bêtes sauvages, qui a reçu le prix d’être publiées en allemand. Elles tion, sise à Berne, organise dans Inter 1999. Durant plusieurs n’ont rien perdu de leur actuali- ses trois antennes régionales de mois, ce livre a été classé au pal- té, malgré la mondialisation. Elles Zurich, Lausanne et Lugano, marès des meilleures ventes. Il parlent toutes du même thème, ainsi que bien d’autres informa- est devenu «le» roman politique cher à Tayeb Salih: le choc entre tions utiles. de l’Afrique. Dans son style cap- l’Orient et l’Occident, entre la Fondation Éducation et Dévelop- tivant et incisif, l’auteur y livre tradition et la modernité. Dans pement: www.globaleducation.ch des récits surprenants de chas- un style poétique et imagé, l’au- seurs et de dictateurs sangui- teur y décrit la culture islamique. Préserver la biodiversité naires, dans lesquels il décrit Il raconte la vie de ces villageois (bf) D’innombrables espèces avec un humour caustique la vie qui, nourris de mythes et de animales et végétales disparais- et les aventures amoureuses de légendes, sont de plus en plus sent chaque jour. La plupart ses anti-héros. souvent confrontés au progrès et

Livres d’entre elles n’ont pas eu le Imperceptiblement, les louanges au développement. temps d’être découvertes et du poète de la cour se muent Tayeb Salih: «Saison de la migra-

observées scientifiquement. en une critique acerbe de toute tion vers le Nord» (1972), Service Cette extinction est très mar- forme d’abus de pouvoir. «Bandarchah» (1985), «Les Noces quée dans les pays en dévelop- Ahmadou Kourouma: «En atten- de Zeyn et autres récits» (1996), pement, où la biodiversité est dant le vote des bêtes sauvages», Actes Sud plus grande que dans les pays Éditions du Seuil, 1998, Paris industrialisés. Si nous voulons Un choc toujours actuel Sculpture sur bois au préserver des écosystèmes natu- Cameroun rels sur la planète, il faut accor- (bf) À la frontière entre la savane der une priorité absolue à la d’Afrique occidentale et la protection de l’environnement jungle du centre du continent, dans les pays en développement. dans les prairies de l’ouest du Un ouvrage fait le point sur les Cameroun, la sculpture sur bois problèmes actuels dans ce est un art qui relève d’une tradi- domaine et propose de nou- tion séculaire. L’auteur suisse velles solutions pour les Hans Knöpfli a vécu pendant des résoudre. Naturschutz in décennies dans cette région pour Entwicklungsländern a été réalisé (bf) Même s’il n’a guère publié, étudier l’artisanat local. Il publie par 37 spécialistes de la protec- le Soudanais Tayeb Salih, établi à aujourd’hui un deuxième volu- tion de l’environnement et de la Londres depuis de longues me consacré à la sculpture sur coopération au développement. années, compte parmi les grands bois et à ses symboles. Sculpture «Naturschutz in Entwicklungs- auteurs arabes. Ses qualités and Symbolism – Woodcarvers and ländern» (publié en allemand seule- d’écrivain ont été reconnues dès Blacksmiths s’adresse aussi bien

Un seul monde N° 4 / Décembre 2000 33 aux artisans qu’au grand public par une longue ovation. lection qu’a été produit le disque désireux de connaître la culture «VPP – Rencontres sur la voie Festa Brasil.La pochette annonce et l’artisanat africains. On y trou- lactée» est projeté depuis la mi- une fête ininterrompue avec des ve des descriptions détaillées des novembre dans les cinémas suisses têtes d’affiches aussi connues que diverses sculptures et techniques, Chico César ou la légendaire illustrées par des photos, ainsi Demain, je serai peut-être diva Gal Costa. Mais on y que des portraits saisissants de déjà mort découvre aussi la voix cristalline forgerons ou de charbonniers. (dg) Chaque jour, des gens sont de Rita Ribeiro et les riffs du «Sculpture and Symbolism – assassinés en Colombie. Parmi le wassoulou,l’afro-beat,le bikoutsi, virtuose Pepeu Gomes. Parmi ses Woodcarvers and Blacksmiths» (paru eux, beaucoup d’adolescents, le soukouss,le jive et le reggae. Ces douze titres, l’ illustre éga- en anglais) peut être obtenu à la villes où le zoblazo,le lement le reggae brésilien très «Kalebasse», art et artisanat et le hip-hop animent les dan- entraînant de la région de Bahia d’outre-mer, Missionsstrasse 21, seurs, où la vague drum’n’bass et le forró du Nordeste où l’ac- 4003 Bâle balaie tout et où le kwaïtò,un cordéon, la flûte, la guitare et le style disco, fournit le groove.Le piétinement des danseurs mar- Rencontres sur la voie lactée disque présente des stars afri- quent le rythme. À entendre ce (bf) Des sommets enneigés per- caines encore inconnues en mélange trépidant de chansons dus dans la brume, de vertes Suisse, comme Brenda Fassie, afro-brésiliennes, il n’y a qu’une prairies, des vaches bien grasses Régis Gizavo ou Mabulu, mais chose à faire: Va mos pra esta festa! et des tintements de sonnailles. victimes d’une lutte sans merci aussi de grosses pointures inter- «Festa Brasil», Putumayo World Accroupi au sommet d’une pour la drogue, l’argent et le nationales comme Youssou / Disques Office crête, un homme essaie de faire pouvoir. N’Dour ou Cheikh Lô. Même venir une vache à lui. La scène C’est contre cette violence que les connaisseurs seront surpris, Le monde en un album serait kitsch si le vacher n’était des jeunes, comme Ever de car la moitié des morceaux ne (er) Une flûte et une cithare un paysan peul du Burkina Faso, Bogotá et Dora de Medellín, ont sont pas encore disponibles en incarnent le hip-hop.Des sonori- avec son turban noué autour de choisi de se battre. Ils veulent Europe et certains sont des pre- tés dance se marient à des la tête pour se protéger du froid. vivre dans la paix et dans la miers enregistrements sur CD. rythmes latino-américains. Des Elle est tirée du film VPP – sécurité. Leur arme n’est pas la Pour le non-spécialiste, c’est une assauts de raï et de rap se succè- Rencontres sur la voie lactée (vaches violence physique, mais la manière idéale d’aborder la dent. Les styles vont de la house à positives planétaires, pour VPP) musique rap. Ils expriment leur musique africaine actuelle, car la salsa,en passant par le jungle,le du réalisateur suisse Jürg révolte dans des opéras qu’ils tout est expliqué dans un super- dub et le reggae.Parmi les inter- Neuenschwander. Elle en résume jouent dans les quartiers pauvres. be livret facile et agréable à prètes, on trouve Indian poétiquement le thème: des Le film Vielleicht bin ich morgen consulter. Un cadeau de Noël Ropeman, Sly and Robbie, hommes constatent que rien schon tot montre la peur, la misè- idéal. Cheb Mami, Manu Chao, P 18, n’est jamais totalement inconnu re,mais aussi la volonté de vivre «Urban Africa Now»,Trace/COD Sergent Garcia et Baaba Maal. et que les situations familières d’Ever et de Dora. Music L’album Phat Global #1 présente Films comportent aussi des inconnues. Rita Erben,Allemagne 1996. une sélection très internationale Trois éleveurs et producteurs de Vidéo VHS, 30 min., en alle- Allons faire la fête! de titres déjà produits, un éven- lait du Mali et du Burkina vien- mand, documentaire. (er) Les CD aux pochettes mul- tail de styles et d’artistes très dif- nent rendre visite à trois Prêt / vente: «Films pour un seul ticolores de Putumayo World férents. Dans ce mélange un peu confrères de l’Oberland et du monde», tél. 031398 20 88, Music forment une collection enivrant, les producteurs ont Seeland bernois. Ils découvrent [email protected], intéressante de compilations aussi opté pour une association fasci- les similitudes et les différences www.filmeeinewelt.ch éclectiques qu’harmonieuses. Ce nante qui nous entraîne sur la dans les manières de travailler en label américain met l’accent sur scène engagée de la world music. Suisse et en Afrique. Lors de sa Une «compil» pas banale la musique d’Amérique latine et «Phat Global #1», Palm Pictures/ sortie au dernier Festival du film (er) La mode est aux compila- d’Afrique, ainsi que sur la tradi- COD Music de Locarno, cette œuvre, cofi- tions, qui juxtaposent avec plus tion celte. C’est dans cette col- nancée par la DDC, a été saluée ou moins de bonheur les titres les plus connus de divers inter- prètes sous prétexte qu’ils suivent Musique le même courant musical. La compilation produite par la DDC, Urban Africa Now,relève d’un autre esprit. Elle reflète l’ef- fervescence musicale des villes africaines, où déferlent le mbalax,

34 Un seul monde N° 4 / Décembre 2000 La Compagnie Créole chantées autrefois dans les boîtes de Agriculture internationale ALe zouk est la musique des îlesgenda de la nuit par des femmes de petite vertu, La Haute école suisse d’agronomie, à Guadeloupe et de la Martinique, avec un sobre accompagnement de Zollikofen (BE), offre de nombreux dans les Caraïbes, ainsi que de la percussions et de flûte. Avec Blues cours de formation postgrade en Guyane française. Le créole est la d’Oran, Cheikha Rimitti confirme agriculture internationale. Le langue et la culture des peuples qui qu’elle compte parmi les grandes programme comporte un choix vivent dans ces départements français figures de la musique du Maghreb. intéressant dans les domaines d’outre-mer. Et la «Compagnie Zurich, Kaufleuten, 17 janvier 2001 suivants: agriculture et développe- Créole» est l’un de leurs plus ment dans le monde; instruments prestigieux ambassadeurs. Connue et méthodes, analyses de systèmes; Maître du chant arabe production végétale tropicale; aussi bien en Nouvelle-Calédonie Suisse. L’exposition «Artistas de économie, marchés et politique que dans l’océan Indien, cette Camagüey» montre une facette À l’invitation des Ateliers agricoles. Les cours sont donnés soit formation a encore accru sa notoriété encore inconnue de la très riche d’ethnomusicologie de Genève, en anglais, soit en français. depuis qu’elle a accueilli en son sein création artistique cubaine. Mohammed Aman, grand virtuose Pour des informations détaillées de jeunes musiciens de zouk, Zurich, Galerie Havana, Dienerstrasse du chant arabe, donnera un concert concernant les possibilités de formation originaires d’Afrique et des Caraïbes. 50, jusqu’au 13 janvier 2001 unique en Suisse. Depuis trente ans, Yverdon-les-Bains, Théâtre Benno il est reconnu comme un maître du postgrade: Haute école suisse Besson, rue du Casino, 14 décembre La doyenne du raï genre, aussi bien dans sa patrie d’agronomie, Länggasse 85, 3052 Zollikofen, En Algérie, «Remettez!» veut dire saoudienne – il est originaire de La Cinq artistes de Camagüey tél. 031910 21 11, «Versez encore un verre!». C’est Mecque – que dans les autres pays e-mail: [email protected], Il existe au total onze écoles d’art à cette expression qui a inspiré à Sadia arabes où il se produit. Mohammed Internet: www.shl.bfh.ch Cuba. Celle de Camagüey a Bédief son nom de scène, Cheikha Aman est l’un des rares artistes à longtemps eu la réputation d’être Rimitti. Née en Algérie en 1923, maîtriser les multiples courants du hermétique et fortement influencée cette grande dame chante du raï chant arabe: du maqâm majassan, la par les académies soviétiques. Cinq depuis plus d’un demi-siècle. Ayant poésie des chants religieux classiques, peintres, sculpteurs et photographes débuté pendant la deuxième guerre au danat, chanson urbaine lyrique, en de la province de Camagüey – mondiale en improvisant sur les passant par le muwashshah, le chant Agustín Bejarano, Aziyadé Ruiz, thèmes d’actualité, elle revient arabe traditionnel. Carlos Montes de Oca, Hugo Rubio actuellement aux racines du raï: des Genève, salle Frank Martin du Collège et Ramón Casas – présentent leurs chansons simples sur l’alcool, Calvin, rue de la Vallée, œuvres pour la première fois en l’amour, la passion et le sexe, 26 janvier 2001

La Suisse et le monde, magazine du préalables et les conséquences de la Département fédéral des affaires globalisation ainsi que ses implications étrangères, présente des thèmes actuels politiques. de la politique étrangère suisse. Il est publié quatre à cinq fois par an en On peut s’abonner gratuitement auprès français, allemand et italien. de: «La Suisse et le monde» Le prochain numéro paraîtra au début c/o Schaer Thun AG du mois de janvier et sera consacré au Industriestr. 12 dialogue des civilisations. Dans le 3661 Uetendorf dossier de sa livraison précédente, diffusée en octobre, La Suisse et le monde a examiné les conditions

Impressum : «Un seul monde» paraît quatre fois par année, en français, en allemand et en italien. «Un seul monde » Editeur : Direction du développement et de la coopération Coupon de commande et de changement d’adresse (DDC) du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) • Je voudrais m’abonner à «Un seul monde». Le magazine de la DDC paraît quatre fois par année, en français, en allemand et en italien. Il est gratuit. Je voudrais recevoir...... ex. en français,...... ex. en allemand,...... ex. en italien.

Comité de rédaction : Harry Sivec (responsable) Catherine Vuffray (vuc) Sarah Grosjean (gjs) Andreas Stuber (sbs) Reinhard • Je voudrais recevoir gratuitement des exemplaires supplémentaires du numéro 4/2000 de «Un seul monde»: Voegele (vor) Joachim Ahrens (ahj) Gabriella Spirli (sgb) ...... exemplaire(s) en français,...... exemplaire(s) en allemand,...... exemplaire(s) en italien. Beat Felber (bf) Collaboration rédactionnelle : Beat Felber (bf–production) • J’ai changé d’adresse Gabriela Neuhaus (gn) Maria Roselli (mr) Jane-Lise Schneeberger (jls) Nom et prénom : Graphisme : Laurent Cocchi, Lausanne Photolithographie : City Comp SA, Morges Éventuellement institution, Impression : Vogt-Schild / Habegger AG, Soleure organisation : Reproduction : Les articles peuvent être reproduits, avec mention de la source, à condition que la rédaction ait donné son Adresse (en majuscules) : accord. L’envoi d’un exemplaire à l’éditeur est souhaité. Abonnements : No postal, localité : Le magazine peut être obtenu gratuitement auprès de: DDC, Section médias et communication, 3003 Berne, Tél. 031322 44 12 En cas de changement d’adresse, prière de joindre l’étiquette comportant l’ancienne adresse. Fax 031324 13 48 E-mail: [email protected] 26139 Retourner le coupon à: DDC/DFAE, Section médias et communication, 3003 Berne. Imprimé sur papier blanchi sans chlore pour protéger l’environnement Tirage total : 42000 Couverture : Hiem Lam Duc / Vu Internet: www.ddc.admin.ch

Un seul monde N° 4 / Décembre 2000 35 Dans le prochain numéro:

Désendettement – l’engagement de la Suisse, les voix critiques et les approches progressistes Keystone

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