REGARDS SUR L'HISTOIRE

Collection historique dirigée par Gilbert CHARLES-PICARD PROFESSEUR A LA SORBONNE pour l'Histoire Ancienne

Jacques LE GOFF PRESIDENT DE L'ECOLE DES HAUTES ETUDES EN SCIENCES SOCIALES pour l'Histoire Médiévale

Michel DEVEZE PROFESSEUR A L'UNIVERSITE DE REIMS, PRESIDENTDES SCIENCES DU COMITE HISTORIQUES FRANÇAIS pour l'Histoire Moderne et Contemporaine OUVRAGES PARUS DANS LA COLLECTION 1. FOHLEN (Cl.) et SURATTEAU (J.-R.), Textes d'Histoire Contemporaine. 2. DEVÈZE (M.) et MARX (R.), Textes et Documents d'Histoire Moderne. 3. MIÈGE (J.-L.), L'impérialisme colonial italien de 1870 à nos jours. 4. LIGOU (D.), Le Protestantisme en de 1598 à 1715. 5. LÉON (P.), Économies et Sociétés de l'Amérique latine. Essai sur les problèmes du développement à l'époque contemporaine 1815-1967. 6. CHARLES-PICARD (G.) et ROUGÉ (J.), Textes et documents relatifs à la vie économique et sociale dans l'Empire Romain (31 avant J.-C. — 225 après J.-C.). 7. BOUVIER (J.), Initiation au vocabulaire et aux mécanismes économiques contemporains (XIX et XX siècles). Deuxiè- me édition revue et augmentée. 8. RENOUARD (Y.), Les Villes d'Italie de la fin du X siècle au début du XIV siècle (nouvelle édition par Ph. Braun- stein). Tome 1. 9. RENOUARD (Y.), Les Villes d'Italie de la fin du X siècle au début du XIVe siècle (nouvelle édition par Ph. Braunstein). Tome 2. 10. VIDALENC (J.), Le Second Conflit Mondial. — Mai 1939-Mai 1945. 11. DEVÈZE (M.), L'Espagne de Philippe IV (1621-1665). Tome 1. 12. DEVÈZE (M.), L'Espagne de Philippe IV (1621-1665). Tome 2. 13. ZELLER (G.), La Réforme — De Luther au Concile de Trente. 14. GLÉNISSON (J.) et DAY (J.), Textes et documents d'His- toire du Moyen Age, XIV-XV siècles, I. Perspectives d'ensemble : les « crises » et leur cadre. 15. FAVIER (J.), Finance et Fiscalité au Bas Moyen Age. 16. RICHÉ (P.) et TATE (G.), Textes et documents d'Histoire du Moyen Age, V-X siècles, I. V-milieu VIII siècle. 17. RICHÉ (P.) et TATE (G.), Textes et documents d'Histoire du Moyen Age, V-X siècles, II. milieu VIII siècle-X siècle. 18. BORDES (M.), L'administration provinciale et municipale en France au XVIII siècle. 19. CHAUNU (P.), L'Espagne de Charles Quint. Tome 1. 20. CHAUNU (P.), L'Espagne de Charles Quint. Tome 2. 21. PERROY (E.), La terre et les paysans en France aux XII et XIII siècles. 22. LE GALL (J.), La Religion romaine de l'époque de Caton l'Ancien au règne de l'empereur Commode. 23. BOUARD (M. de), Manuel d'archéologie médiévale. De la fouille à l'histoire. ET LES VILLES D'ITALIE DES GRACQUES A LA MORT D'AUGUSTE 24. ARMENGAUD (A.), La famille et l'enfant en France et en Angleterre du XVI' au XVIII siècle. 25. DELORME (J.), Le monde hellénistique (323-133 av. J.-C.). 26. VALETTE (J.), Vie économique et sociale des grands pays de l'Europe occidentale et des Etats-Unis (début du XXe siècle-1939). 27. VALETTE (J.), Etat et vie économique dans les grands pays industriels, en U. R. S. S. et en Italie (début du XX siècle- 1939). 28. MAURO (F.), Le Brésil du XV' siècle à la fin du XVIII siècle. 29. DEVÈZE (M.), Antilles, Guyanes, la mer des Caraïbes de 1492 à 1789. 30. GLÉNISSON (J.) et DAY (J.), Textes et documents d'Histoire du Moyen Age, XIV-XV siècles. II. Les structures agraires et la vie rurale. 31. GROUZET (F.), L'économie de la Grande-Bretagne victo- rienne. REGARDS SUR L'HISTOIRE HISTOIRE ANCIENNE Sous la direction de G. Charles-Picard

II. — HISTOIRE GÉNÉRALE

ROME ET LES VILLES D'ITALIE DES GRACQUES A LA MORT D'AUGUSTE

par Gilbert CHARLES-PICARD Professeur à la Sorbonne

SOCIÉTÉ D'ÉDITION D'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR 88, boulevard Saint-Germain PARIS V La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'Article 41, d'une part, que les « copies ou reproduction strictement réservées à l'usage privé du copiste et non desti- nées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans le but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite » (alinéa I de l'Article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les Articles 425 et suivants du Code pénal. © 1978 CDU et SEDES réunis ISBN 2-7181-1849-0 CHAPITRE I ROME DANS LA SECONDE MOITIE DU IIe SIECLE AVANT J.-C.

Vers 150 avant J.-C., Rome n'est plus une ville jeune ; elle existe, en tant qu'agglomération urbai- ne, depuis quatre siècles et demi et contient de nombreux édifices vieux de trois ou quatre cents ans. Le hasard seul, plus ou moins guidé par l'his- toire et la géographie a guidé son développement, sans qu'intervienne aucun plan. Mais dès ses débuts ou presque, les circonstances lui ont imposé un rôle qui n'a cessé de grandir. Au VIe siècle elle a été l'instrument par lequel les Etrusques se sont assurés le contrôle du Latium. Retombée après leur départ au rang de cité secondaire, elle en sort au milieu du IVe siècle, en prenant, cette fois pour son compte, d'abord l'hégémonie sur les et les Campa- niens, puis, dans la seconde moitié de ce même siè- cle, la maîtrise de toute l'Italie péninsulaire, ensui- te celle du bassin occidental de la Méditerranée (264-201), enfin dans la première partie du IIe siè- cle, celle du bassin oriental. Cette poussée impéria- liste a accumulé chez elle d'énormes richesses qu'el- le conservera, sans rien produire par elle-même, jus- qu'à la fin de l'antiquité. Sa population accrue par Figure 1 — Site de Rome

Figure 2 — Place du Capitole d'après Coarelli, Guida une immigration soit volontaire soit surtout forcée, dépasse déjà celle de toute autre ville occidentale et atteint le niveau des grandes métropoles orienta- les. Le résultat est, inévitablement, un extraordinai- re désordre urbanistique, auquel nul ne se soucie encore de porter remède. LES LIMITES DE LA CITE La Rome républicaine a deux limites qui ne concordent pas entièrement, l'une religieuse, le pomerium, l'autre militaire, l'enceinte attribuée à Servius. Les problèmes soulevés par le pomerium sont particulièrement difficiles et discutés ; voir en der- nier lieu A. Magdelain, le Pomerium archaïque et le mundus, dans Rev. des Et. Lat., LIV, 1976, pp. 71-109, qui nous semble d'ailleurs hypercritique, voire paradoxal sur certains points. Au IIe siècle le pomerium limite encore la « Rome des quatre ré- gions » dont l'organisation est attribuée à Servius Tullius. Vers l'Ouest, il suit les pentes du Capitole et du Quirinal, laissant en dehors le Champ de Mars et même le ; au Nord et à l'Est son tracé coïncide avec celui de la muraille ser- vienne, mais au Sud il suit les pentes du Caelius et du Palatin, laissant en dehors la vallée Murcia et l'Aventin qui sont pourtant compris dans les rem- parts. Le tracé du pomerium était à peu près l'iti- néraire de la procession des Argei ; au cours de cel- le-ci célébrée aux ides de Mai, les prêtres, les Vesta- les et le préteur urbain visitaient 27 sanctuaires si- tués dans les quatre régions, la plupart à la limite externe. Sylla élargira le pomerium et son exemple sera suivi par César et Auguste, mais il est impossi- ble de déterminer topographiquement ces exten- sions. Le premier pomerium connu, grâce aux cip- pes qui le délimitaient est celui de Claude qui in- cluait l'Aventin et le Sud du Champ de Mars ; Ves- pasien procéda à une autre extension. L'enceinte défensive de la ville républicaine a laissé de nombreux vestiges, notamment près de la gare des Termini sur le Viminal (ce secteur corres- pond à l'extension maximum du rempart vers le Nord) ; la ruine a été incluse dans la composition architecturale de la gare. Le périmètre total de l'enceinte est de 11 km et la surface qu'elle entoure est de 426 ha ; c'est la plus vaste enceinte de l'Italie de cette époque, dé- passant de beaucoup celles des villes grecques et étrusques. Le rempart courait à mi-pente sur le Capitole, du côté du Forum Holitorium ; il y avait là deux portes, la Catularia, correspondant aux Centum Gradus (voir figure 1) et la Fontinalis qui permettait d'entrer dans l'. Puis la ligne de défense suivait la pente occidentale du Quirinal ; là s'ouvrait la Porta Sanqualis dont il reste quel- ques vestiges, et, plus au Nord, la Porta Salutaris et la Porta Quirinalis. Juste au Nord des thermes de Dioclétier la fortification tournait vers le Sud ; c'est là — tout près donc de la gare — que se trou- vait la fameuse porte Colline, dans laquelle Hanni- bal planta son javelot, en 211 ; ce secteur avait d'ailleurs paru particulièrement vulnérable et on l'avait spécialement renforcé, en édifiant derrière le mur une terre-plein (agger), et en creusant en avant un fossé dont la profondeur atteint 17 mè- tres. La muraille, dont le tracé dans ce secteur est moins assuré, s'accrochait à l'Oppius, fermait la dépression qui le sépare du Cispius (avec lequel il forme l'Esquilin), atteignait le Caelius avant de re- joindre l'Aventin en barrant la vallée Murcia ; à cet endroit, la Voie Appienne, ayant auparavant con- flué avec la Voie Latine, entrait dans l'Urbs par la célèbre Porte Capène. D'importants vestiges, appar- tenant d'ailleurs à une reconstruction tardive, sub- sistent des remparts de l'Aventin. Après avoir enve- loppé cette colline, le rempart remontait vers le Capitole en suivant de près le bord du Tibre ; la porte Trigémine, entre l'Aventin et le fleuve, près de et la porte Flumentana près du temple de Portunus (voir figure 2) ac- cueillaient les voyageurs d'Etrurie. Le forum Holi- torium restait extra-muros, et l'on devait pour en- trer de là en ville, passer par la Porta Carmentalis, proche de l'actuelle église Sant 'Omobono et des temples de la Fortune et de Mater Matuta. Mais au IIe siècle ce tracé des remparts devenu militaire- ment inutile n'était plus entretenu. La tradition attribue la construction des murs de Rome au roi Servius Tullius, donc vers le milieu du VIe siècle. Pendant longtemps, on a cru que cet- te construction ne pouvait remonter plus haut que le milieu du IVe siècle ; en particulier si une encein- te avait existé en 390, comment les Gaulois se se- raient-ils emparés si facilement de Rome ? Mais en plusieurs points, notamment sur l'Aventin (sous l'église Sainte Sabine) on constate que le rempart comprend deux éléments qui ne sont pas contem- porains : une courtine en grand appareil provenant des carrières de Grotta Oscura près de Veies (Cerve- tri) : c'est le rempart du IVe siècle, construit après la conquête de Veies en 396, en fait en 378 exacte- ment d'après Tite Live ; un mur plus ancien, puis- que réparé par endroits en Grotta Oscura, est fait du tuf du sol même de Rome, le cappellaccio. Ce mur paraît bien remonter au VIe siècle. L'enceinte fut d'ailleurs remise en état et modernisée à plu- sieurs reprises, notamment en 217 et 212 pour ré- sister à Hannibal, et de nouveau en 87 ; on aména- gea alors des emplacements de catapultes dont deux sont encore visibles. Dès le IVe siècle Rome constituait grâce à ses défenses une des plus formi- dables places du monde méditerranéen. C'est à très juste raison qu'Hannibal se refusa à l'attaquer ayant mesuré l'insuffisance de ses moyens. Le même roi Servius passait pour avoir divisé l'espace urbain en quatre régions, correspondant chacune à une tribu, subdivision politique de la cité ; topographiquement, il semble qu'elles aient été partagées par deux axes, l'un Sud-Nord suivant la pente Est du Palatin, puis empruntant la dépres- sion entre Viminal et Esquilin (Cispius), l'autre Ouest-Est suivant la vallée du Forum et la dépres- sion où s'élève actuellement le Colisée ; ils se re- coupaient près de la Velia, butte qui ferme à l'Ouest la vallée du Forum et sur laquelle se dresse aujourd'hui l'arc de Titus ; la région Sud-Ouest avec le Caelius et les vallées qui le bordent était appelée Suburane ; l'Esquiline, au Nord-Ouest, était constituée par la colline de ce nom, divisée en Oppius au Sud et Cispius au Nord ; la troisième région qui comprenait le Viminal et le Quirinal est appelée Collina ; le nom de colles était en effet ré- servé à ces deux hauteurs, les autres portant celui de montes. La région Palatine enfin comprenait le mont Palatin et le forum ; il semble que le Capitole et l'Arx étaient laissés en dehors de cette division, qui dura jusqu'à ce qu'Auguste réorganise complè- tement l'administration de Rome, en la divisant en quatorze régions. Mais au IIe siècle, le rôle adminis- tratif des régions est pratiquement nul. Les tribus sont uniquement des unités de vote, et les tribus urbaines, composées de petites gens et d'affranchis sont discréditées par rapport aux tribus rurales dans lesquelles s'inscrivent les propriétaires ter- riens ; ce discrédit frappe particulièrement la Subu- rane et l'Esquiline qui correspondent aux quartiers pauvres. D'autre part l'agglomération a commencé à dé- border largement le pomerium et même par en- droits le mur de Servius. Nous étudierons successi- vement le centre politique et religieux, constitué par les régions Palatine et Colline, ainsi que par le Capitole ; les quartiers Sud, avec la vallis Murcia où s'est établi le Grand Cirque, et l'Aventin ; le centre économique, établi dans la plaine étroite, entre le Tibre et les « monts » Capitolin, Palatin et Aven- tin. Enfin la plaine du Champ de Mars qui consti- tue au Nord une sorte d'annexe de la cité, où la fonction militaire est encore prédominante. Ainsi la répartition topographique reflète dans une cer- taine mesure les activités principales de l'Urbs, poli- tique, commerciale et surtout guerrière, auxquelles s'ajoute la religion, toujours présente, qui double en la transcendant chacune de ses activités. 1 - LE CENTRE POLITIQUE ET RELIGIEUX 1 — Le Capitole Cette colline comprend en réalité deux hau- teurs séparées par une dépression où se trouve au- jourd'hui la place dessinée par Michel-Ange : vers le Nord, la citadelle, l'Arx, occupée par le temple de Juno Moneta et ses fameuses oies sacrées. L'em- placement en est probablement occupé par l'église et rien ne subsiste de l'an- tique sanctuaire, construit en 343 avant J.-C. par Camille ; dans ses dépendances fonctionnait depuis 269 sans doute, l'atelier où étaient frappées les piè- ces. Le nom de la déesse, que les anciens ratta- chaient à tort ou à raison au verbe moneo, conseil- ler, devint ainsi pour toujours celui de la monnaie. Le temple du Capitole était encore à cette épo- que celui qu'avait commencé Tarquin l'Ancien, qui avait été terminé par Tarquin le Superbe, et dédié en 509 par les premiers consuls de la République ; il disparaîtra seulement en 83 avant J.-C. dans un incendie. Le podium subsiste encore aujourd'hui en grande partie et est partiellement visible, notam- ment dans le Museo nuovo Capitolino. D'autre part le temple a été décrit par Vitruve qui l'a pris com- me type du temple étrusque. Long de 63 m et large de 53, c'est le plus grand temple étrusque connu. Il comprenait en façade un portique de dix-huit colonnes toscanes réparties sur trois travées, pro- longé de chaque côté de la cella par un portique de trois colonnes ; la cella, adossée au mur de fond, était divisée en trois chambres indépendantes ré- servées respectivement à Jupiter (au centre) Junon Regina à droite et Minerve à gauche. Au fronton, un quadrige de bronze, donné par les frères Ogulnii remplaçait depuis 296 l'antique quadrige de terre cuite, œuvre de Vulca de Veii. Le temple était entouré d'une place (area Capi- tolina) qui était occupée par de multiples sanctuai- res secondaires : celui d'Ops déesse de la fécondité étroitement liée à Jupiter Optimus, celui de Fides, également proche du roi des dieux, où l'on conser- vait les textes des traités avec les peuples étrangers, celui de Jupiter Feretrius, où l'on consacrait les dépouilles opimes dans le cas fort rare où le chef suprême d'une armée romaine avait tué de sa main le chef ennemi. Un autre monument très archaï- que, représentant une déesse émergeant d'un mon- ceau d'armes, avait donné naissance à la légende- adaptation probable d'un vieux mythe indoeuro- péen, de la traîtresse Tarpeia, qui ayant voulu, au temps de Romulus, livrer la citadelle aux Sabins, en avait été châtiée par ceux-ci, qui l'avaient écra- sée sous leurs boucliers. A cela s'ajoutait une foule de monuments votifs et honorifiques, si nombreux que les censeurs de 179 en avaient dû faire enlever une partie. Le Capitole fut le théâtre de la fin tragique de Tiberius Gracchus, massacré en 133 avant J.-C. au sommet des Centum Gradus, près du Fornix Cal- purnius, par les sénateurs entraînés par Scipion Na- sica ; celui-ci commémora cet exploit en consacrant sur la colline sacrée une statue du tyrannicide athé- nien Aristogiîon, — Gracchus étant ainsi assimilé à un tyran — ; cette statue a été retrouvée. A l'emplacement où Michel Ange construisit le Palais du Sénateur, au dessus du Forum, se trouvait le (archives de la République) et un temple de Veiovis, sorte de Jupiter infernal. Ces deux édifices seront reconstruits à l'époque sylla- nienne. On accédait au Capitole par un chemin carros- sable, le , en partie conservé, qui partait du forum, et deux escaliers ; l'un de ceux-ci, les centum Gradus, qui partait derrière le théâtre de Marcellus longeait l'escarpement fameux de la Roche Tarpéienne d'où étaient précipités certains criminels. Les Gémonies passaient entre le temple de la Concorde et la prison publique — Tullia- num — très ancien caveau à deux étages aménagé dans le roc, où étaient étranglés certains condam- nés ; pendant la période dont nous nous occupons, c'est là que furent exécutés Jugurtha, en 105 et les complices de Catilina en 63. La fonction la plus importante du temple capitolin est d'être l'aboutissement de la cérémonie triomphale ; le cortège, parti de la villa Publica (voir p. 32) après avoir traversé le sud du Champ de Mars, le et le Forum Romain, y parvenait en gravissant le Clivus Capitolinus ; celui-ci était enjambé par un monument qui peut être considéré comme l'un des ancêtres des arcs de triomphe, le Fornix Scipionis, construit par Sci- pion l'Africain en 190, dont rien n'a subsisté ; nous savons seulement qu'il était orné de sept sta- tues et agrémenté de deux fontaines. 2 — Le Forum romain La dépression marécageuse qui sépare le Palatin du Capitole et du Quirinal, utilisée depuis le IXe siècle comme nécropole par les villageois établis sur les collines, est drainée par des égouts puissamment construits () et dallée, dès le tout début du VIe siècle ; il faut voir dans ce travail con- sidérable, témoignant d'une grande puissance éco- nomique et technique, l'œuvre première de la dy- nastie étrusque des Tarquins. C'est la manifestation évidente de l'unification définitive de l'aggloméra- tion romaine sous un seul pouvoir. Dès ce moment, des monuments commencent à apparaître en divers points : la Regia, au pied du Palatin, à l'extrémité Sud-Est de la dépression ; et, à l'opposé, non loin du départ de la montée au Capitole, le complexe du Lapis Niger, probablement héroon du fondateur de la cité. Tel qu'il se développe dès lors, le Forum appa- raît doté d'une quadruple fonction, religieuse, poli- tique, judiciaire et économique. La première se ma- térialise par la construction de nombreux sanctuai- res, alignés au pied du Palatin (Vesta, Juturne, Dio- scures, Saturne) et du Capitole (Concorde) ; la se- conde a son siège dans le et la Curie, avant d'enlever le Forum lui-même au commerce qui l'avait longtemps accaparé et qui ne s'exercera plus, à l'époque où nous sommes parvenus, que sous la forme de transactions monétaires et de quelques activités artisanales résiduelles. Enfin le Forum joue un rôle essentiel dans la circulation à travers l'agglomération romaine, car c'est vers lui que convergent toutes les routes du Latium et de la rive gauche du Tibre (Appia vers le Sud, Prénestine vers l'Est, Salaria vers le Nord Est) qu'il met en communication (par l'intermédiaire du vicus Tus- cus, au nom caractéristique, et du vicus Jugarius) Figure 3 — Vue du Forum romain Figure 4 — Plan du Comitium à Rome d'après Coarelli, Guida avec les routes de la rive droite (seule la route du Nord, la Flaminia est encore coupée de lui par l'en- sellement reliant Quirinal et Capitole, que Trajan fera sauter). Auguste matérialisera ce rôle en éle- vant près des rostres le milliaire d'or, considéré comme le point de départ de toutes les voies de l'Empire. a) fonction religieuse En dehors des temples, un certain nombre de vestiges témoignent de très anciennes croyances liées à divers points du Forum. Le plus important est le Lapis Niger situé devant l'arc de Septime Sé- vère à l'endroit où se situait, avant César, la limite du Forum et du Comitium. Sous une dalle de mar- bre noir d'époque impériale, on découvrit en 1899, un ensemble cultuel constitué d'un autel, d'une ba- se de colonne et d'un cippe portant en caractères très archaïques la plus ancienne probablement des inscriptions latines, dont le sens général reste discu- té mais où on lit en tous cas le titre du roi (REGEI au datif) et la mention d'un de ses subordonnés, le calator. On pense aujourd'hui généralement qu'il s'agit d'un héroon dédié dès le VIe siècle au fonda- teur plus ou moins légendaire de Rome, Romulus (on a retrouvé récemment à Lavinium un héroon dédié à Enée, aménagé sans doute au IVe siècle dans un tumulus funéraire du Vile siècle qui évi- demment n'avait rien à faire avec le héros troyen). Non loin du Lapis Niger on distingue encore quel- ques traces d'une aire sacrée dédiée à Vulcain, le Volcanal. Au contraire on n'a pu retrouver aucune trace d'un monument pourtant fameux, le Janus, qui s'élevait au débouché sur le Forum de l'Argi- lète (rue se dirigeant vers le Nord-Est, dont on re- connaît l'extrémité entre la Curie césarienne et la basilique Aemilia) ; c'était une porte sanctuaire Figure 5 — Plan de la Basilique Aemilia d'après Coarelli, Guida qu'on ouvrait en temps de guerre et fermait en temps de paix et qui abritait l'image du dieu à dou- ble visage. Devant l'escalier de la basilique Aemilia, on distingue encore quelques traces d'une chapelle de la déesse des égouts, assimilée à Vénus. Sur l'a- rea centrale de la place un emplacement qui ne fut jamais recouvert par aucun des pavements superpo- sés était réservé aux arbres sacrés, un figuier, une vigne et un olivier (des arbres de ces espèces y ont été récemment replantés) ; près de la Colonne dé- diée au VIe siècle après J.-C. à l'empereur byzan- tin Phocas, les vestiges d'une margelle indiquent l'emplacement du Lacus Curtius, où aurait été en- glouti un personnage de ce nom (l'événement est représenté sur un relief d'époque républicaine, dont un moulage a été replacé in situ, et dont le revers porte une inscription commémorant le repa- vage du Forum en 12 avant J.-C. Sur le côté Sud de la place, le sanctuaire de Juturne nous reporte encore aux origines de la cité. C'était une des très rares sources d'eau potable jaillissant dans le centre de Rome ; elle fut personnifiée en un nymphe, Ju- turne, dont Virgile fit la sœur du roi rutule Turnus. L'aménagement de la source en un bassin rectangu- laire entourant un piedestal remonte à la fin du IIe siècle avant J.-C. comme le démontre la maçonne- rie en « opus pseudo-reticulatum » ; c'est l'un des plus anciens exemples de nymphées, sanctuaires fontaines dédiés aux divinités des eaux. Enfin la Regia, dont nous avons déjà parlé reste un des plus énigmatiques édifices de la plus ancien- ne Rome ; actuellement recouverte par une couver- ture de tôle qui empêche d'en distinguer le plan, el- le a été l'objet ces dernières années de fouilles qui ont démontré la permanence de ses dispositions es- sentielles depuis le début du VIe siècle. Elle se compose d'une cour à portiques précédant un bâti- ment de trois pièces, celle du milieu donnant accès aux deux autres. Bien que le fouilleur, F.E. Brown ait souligné la ressemblance entre ces dispositions et celles des édifices où l'on a cru pouvoir recon- naître des résidences de lucumons étrusques, il res- te probable que la Regia n'était pas l'habitation du roi, et servait seulement à ses fonctions religieuses ; d'après les textes, une des pièces était un sanctuaire de Mars, l'autre étant réservée à Ops déesse de l'a- bondance. Les fouilles ont retrouvé des traces de repas, sans doute sacrés. Les temples bordant le Forum datent en géné- ral des premiers temps de la République mais ont été reconstruits sous Auguste ; nous en étudierons donc l'architecture plus loin. Le complexe actuellement constitué par le tem- ple de Vesta (d'époque sévérienne) et la maison des Vestales qui reçut son extension actuelle après l'in- cendie de 63 après J.-C. occupe la place où se trou- vaient, à l'époque républicaine, plusieurs immeu- bles dont ne subsistent que quelques vestiges de sols : le premier temple de Vesta, dont on n'est mê- me pas certain qu'il ait été de forme ronde comme l'actuel, l'atrium publicum, maison du Grand Pon- tife, dont le dernier occupant fut César, la première maison des Vestales et sans doute aussi l'habitation du rex sacrorum, dont on sait qu'il ne vivait pas dans la Regia. Le temple des Dioscures ou comme disaient les Romains, des Castores, commémorait l'interven- tion des jumeaux divins à la bataille du Lac Regille, en 499 avant J.-C. et leur apparition sur le Forum même, juste après la victoire ; construit en 484 il fut entièrement rebâti par Metellus Dalmaticus en 117 avant J.-C. et encore embelli par Verrès ; le noyau du podium et quelques traces de sol en mo- saïque remontent à cette époque, mais tous les éléments architecturaux, fort intéressants, sont le Composé par CDU et SEDES Achevé d'imprimer sur les presses de l'Imprimerie Cor- bière et Jugain à Alençon le 9 novembre 1978 N° éditeur : 809 Dépôt légal : 4e trimestre 1978

Imprimé en France Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.

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