A PROPOS DU PASSAGE DE SAINT JEAN-FRANÇOIS RÉGIS A BOURG-ARGENTAL

Si Saint Régis n’avait pas oublié sa canne au Cognet en 1638 ou 1639, aurions-nous su qu’il avait traversé notre vallée de la Déôme ? Dans le livre de Georges Guitton racontant sa vie, il est écrit : « A Bourg-Argental, si la mission que le Père prêcha n’a pas laissé de traces dans les archives, elle a du moins empreint l’âme robuste de ses habitants d’une pratique religieuse, qui a, plus d’une fois, par ses exigences et son avidité des sacrements, épuisé les zélés pasteurs chargés de cette paroisse. Un soir, tandis que Jean-François Régis, suivant sa coutume, parcourait la montagne en quête des malades et des abandonnés, il fut surpris dans le bois de Bel-Air (au-dessus du hameau de Mounes), entre Bourg-Argental et Saint- Sauveur-en-Rue, par une violente bourrasque de neige. A bout de force, simplement, comme un pauvre qui mendie l’hospitalité, il souleva le heurtoir de la ferme du Cognet habitée par les Pauze…. » J’ai écrit cette information dans mon opuscule sur la famille de la Rochette ; or, dernièrement, en relevant les registres de Bourg-Argental, je me suis aperçue que les Pauze n’habitaient pas au Cognet au moment du passage de Saint Régis mais un siècle plus tard – Jean Pauze de Bourg-Argental épousa Marianne Manoa du Cognet le 13 avril 1728 - . En 1638 ou 39, la maison du Cognet dépendant de la paroisse de Bourg- Argental (les communes seront créées en 1789) était occupée par les Manoa, notamment Jean qui vivait avec sa mère Jeanne Mosnier veuve, depuis 1635, d’Etienne Manoa. Jean, né le 21 septembre 1613 au Cognet se maria avec Andrée Convert de St Jean de Pailhec (Montregard en Haute-) le 18 janvier 1645. Dans son acte de mariage, il est qualifié d’honnête . Il s’agissait donc d’un paysan aisé qui devait également se montrer généreux envers le clergé. De toutes façons, même si Jean-François Régis se voulait l’apôtre des plus démunis, une famille pauvre pouvait à la limite lui offrir le couvert mais, en toute logique, pas le gîte. Il eût été impensable voire déshonorant de faire dormir un homme de l’importance du Saint dans la grange. Tandis qu’au Cognet, grande belle bâtisse en pierres de taille, il devait y avoir une chambre à disposition des visiteurs de marque.

Que savons-nous des Manoa ? L’abbé Seytre mentionne dans son livre : « Le hameau de Seillonnas était alors devenu – on ne sait pourquoi - le refuge des familles nobles, notamment les Manoa qui firent des fondations en l’église du Bourg-Argental en 1503 ». Je présume que les Manoa de Seillonnas, de Board ou de devaient être de la même famille.

17 D’après le manuscrit de Jean-Louis Dussolier qui se trouve à la bibliothèque d’, les Manoa du Forez, c’est-à-dire de Saint-Sauveur-en- Rue et de Burdignes auraient eu un lien de parenté avec les Manoa du château du même nom situé à Ardoix : « Jean de Manoa héritier des biens paternels vendit conjointement avec sa mère quelques fonds en Forez qui sont marqués avoir pour confins prés et terre de Jean Manoa de Board (St-Sauveur) qui y est nommé sans aucun titre et l’acte de cette vente fut reçu par Flory Manoa, notaire royal (à St-Sauveur). A ce sujet nous observerons que Manoa notaire et Manoa de Board pouvaient bien être de la même famille que les nobles Manoa. La proximité des biens de Manoa de Board avec ceux des Manoa de Manoa joint à la singularité des noms de Manoa semble marquer quelque rapport de famille entre les possesseurs. Et quant au notaire Flory Manoa, on peut aussi le présumer de la même famille, d’autant qu’on le voit en plusieurs endroits, employé par les maisons de Manoa et qu’il paraît même avoir accompagné Jean de Manoa et sa mère lorsqu’ils allèrent, en 1567, régler leurs affaires en Forez. » Je peux également affirmer qu’avant les Manoa, la ferme du Coignet (écrit ainsi) était habitée par la famille Favet : Dans une transaction passée le 2 mai.1580 chez Maître Dubuysson à St-Sauveur, entre Honnête Antoinette Favet veuve d’André Berthollat et son gendre André Nayme, il est écrit qu’Honnête homme Jehan Favet marchand du lieu du Coignet est l’oncle et le curateur d’Isabeau Berthollat (fille d’Antoinette Favet) épouse de Jacques Manoa (père d’Etienne) lui-même fils de Jean laboureur à Board.(dont parle J.L Dussolier)

Saint Régis mourut le 31 décembre 1640 à La Louvesc. Il n’avait pas 43 ans. Clément XI le béatifia en 1716 et Clément XII le canonisa en 1737. Depuis la mort du saint, les pèlerinages à pied à la Louvesc perdurent, même s’ils n’ont plus le succès d’autrefois ni celui, actuellement, de Saint- Jacques de Compostelle. Pour ma part, j’ai dû en faire six ou sept de Bourg, de Riotord et d’Annonay. Aujourd’hui, ma santé ne me permet plus de parcourir 40 Kms d’une seule traite alors je marche chaque année par étape de 10 kms environ. J’ai commencé mon dernier pèlerinage en 2002, je pense le terminer cet été. Après tout, le temps ne compte pas. Il suffit de participer et surtout de tenir ses promesses… Je descends - comme d’autres de notre groupe de généalogie - des Manoa par ma grand-mère paternelle et j’ai été très heureuse de découvrir que Jean Manoa et sa mère avaient reçu Saint Régis. Est-ce pour cette raison que j’ai toujours eu une grande dévotion pour lui ? Du reste, je ne suis pas la seule, lorsque les paroissiens ont dû choisir le nom de la nouvelle paroisse, la plupart ont opté pour Saint Régis.

Trois statues de ce saint surnommé l’apôtre des pauvres et de la paix, ont été érigées dans notre canton : une à St-Sauveur, une à Saint-Julien dans

18 l’enceinte du calvaire et une à Bourg-Argental sur la colline de Forie. La première statue, datant de I864, subit quelques détériorations, elle fut alors remplacée en 1986, grâce à une souscription lancée par les Amis de Bourg. Elle fait face à celle de Notre-Dame de Bordeaux, située sur la colline de l’Hôme (commune de Burdignes) et édifiée sous l’impulsion du Cardinal Donnet, enfant du pays. Sans vouloir offenser mes concitoyens, voici, d’après certains, ce que disait Saint Régis à la Madone : « Mon Dieu , que les gens de Bourg sont bêtes ! ». Et la Madone, baissant les bras, de rétorquer : « Que veux-tu que j’y fasse ! »

Pour en revenir à la canne de Saint Régis, voici ce qu’a découvert Didier Fleury aux archives départementale de la Loire, dans un acte de 1852, concernant la succession du propriétaire de la maison du Cognet : « Dans une armoire antique à deux portes et en bois noyer fermant à clef, il s’est, de plus, trouvé un petit bâton en pommier sauvage surmonté d’une pomme et enchassé dans un petit cadre en bois. Ce bâton, objet de la vénération du défunt et de sa famille fut laissé à sa bisayeule par Saint Jean François Régis se rendant du Velay à la Louvesc où il décéda peu après. Il s’arrêta surpris par le mauvais temps dans le bâtiment de la succession et y coucha. Le lendemain, quittant le Coignet il y oublia son bâton et lorsque la maîtresse de maison le rapportait en lui présentant cette canne, il lui répondit : conservez-la et vous vous souviendrez de moi . Cet objet, du consentement de toutes les parties, demeurera à perpétuité attaché à la maison principale du domaine du Coignet et sera la propriété de celui à qui cette maison appartiendra. »

Je voudrais clore mon article sur le passage de Saint Régis par une anecdote : A la fin des années 40, une de mes cousines et ses amies partirent à pied de Riotord pour se rendre à la Louvesc. Malheureusement, il pleuvait mais il en fallait bien davantage pour les décourager. Ne dit-on pas : « La pluie du matin n’arrête pas le pèlerin … ». Chemin faisant, la joyeuse troupe récitait des prières et demandait à Saint Régis d’arrêter la pluie tout en lui promettant une bonne offrande. Leur vœu fut exaucé puisque la pluie cessa. Ma cousine fit alors : « Ben, Saint Régis aime drôlement les sous ! » Il paraît que la pluie se remit à tomber et accompagna nos pèlerins jusqu’à la Louvesc. Inutile de vous dire que personne ne déposa la moindre pièce dans le tronc des offrandes à Saint Régis.

Marie- QUIBLIER

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