La Turbulence Rodin, film de Claire Duguet 52 minutes (Educ’Arte) https://youtu.be/fdywu6yvML4 http://www.musee-rodin.fr/fr/collections/sculptures/monument-balzac

Citations des critiques de l’époque : « Monstre obèse ; C’est à hurler ! ; Ce n’est pas fini ; Un bonhomme de neige, regardez comme il fond, il penche déjà sur le côté, il va tomber ; Un crapaud dans un sac ; Fumisterie d’atelier ; Quelque chose d’impur qui tient du porc et du phoque ».

1898 Rodin fait scandale avec son Hommage à Balzac A 58 ans, le sculpteur choque, bouscule, et se heurte à une société qui ne comprend pas la modernité de son propre temps.

Auguste Rodin : « Je sais bien qu’il faut lutter car on est souvent en contradiction avec l’esprit de son époque. Si la vérité doit mourir, mon Balzac sera mis en pièces par les générations à venir. Si la vérité est impérissable, je vous prédis que ma statue fera du chemin ».

Aux portes du XXème siècle, dans ce bouillonnement où artistes, penseurs et scientifiques, veulent tout simplement oser, Rodin, sculpteur de génie, va marquer son siècle et inspirer le suivant.

Des bouleversements sans précédent vont agiter la deuxième moitié du XIXème siècle (après 1850) qui voit l’émergence d’une nouvelle société liée à la naissance de l’industrie.

Cet avènement provoque une soif inextinguible (qui impossible d’éteindre, d’arrêter) de modernité, de découverte et de vitesse. L’art n’échappe pas à cette révolution. En quelques années, de nouvelles expressions artistiques vont se substituer aux émotions d’un romantisme dépassé.

En littérature, Gustave Flaubert (Mme Bovary) invente le Naturalisme, que Gustave Courbet explore en peinture. Gustave Courbet, avec le peintre Jean-François Millet sont les chefs de file du mouvement pictural nommé le Réalisme.

En poésie, Charles Baudelaire abandonne la posture du Moi douloureux (artiste maudit) avec ses Fleurs du Mal.

En musique, Richard Wagner annonce la polyphonie orchestrale avec l’ouverture de Parsifal.

Les salons d’exposition artistique connaissent leur apogée (plus haut sommet).

Jugé trop sévère et sans audace, le Salon Officiel se voit opposé dès 1863, le Salon des Refusés où la présentation de son Déjeuner sur l’Herbe rendra Édouard Manet célèbre.

Salon officiel Salon des Refusés

La naissance de Vénus d’Alexandre Cabanel Le Déjeuner sur l’Herbe d’Edouard Manet Huile sur toile de 130 x 225 cm Huile sur toile de 208 x 264,5 cm Musée d’Orsay Musée d’Orsay

Contrairement aux autres arts, la sculpture peine à se renouveler. Né en 1840, grandit dans un monde en mouvement et en même temps se nourrit de ses turbulences. Lorsqu’il se présente au concours des Beaux-Arts en 1857, son style déplait. Il est recalé. Loin de le décourager, ces 3 tentatives et échecs successifs, vont le pousser à évoluer en marge des circuits académiques. C’est en artiste libre qu’il va commencer à modeler ses premières sculptures.

Auguste Rodin : « Un jour, j’avais 13 ans et j’ai ouvert un gros livre sur une table de la bibliothèque du Panthéon. C’était des gravures d’après l’œuvre de Michel-Ange. Ce fut une révélation pour moi. Je n’ai pas tardé à être dévoré du désir de modeler des sculptures comme celles que je voyais. J’avais trouvé ma vocation ».

Fils aîné d’une famille modeste, Rodin vit dans le quartier Mouffetard, à Paris qui l’a vu naître. C’est dans la rue qu’il repère ses premiers modèles. Frappé par l’expression du visage d’un palefrenier du marché aux chevaux, connu sous le nom de « Bibi ». Il exécute son buste. L’Homme au nez cassé montre ce visage meurtri par la vie.

Auguste Rodin : « L’hiver cette année-là fut particulièrement rude. Je ne pouvais faire de feu la nuit. L’Homme au nez cassé gela. Le derrière de sa tête se fendit et tomba. Je ne pus conserver que le masque et l’envoyer au Salon, en 1864.

Le Salon juge l’œuvre non seulement pas finie mais laide. L’Homme au nez cassé est refusé.

Auguste Rodin : « Le vulgaire s’imagine volontiers que ce qu’il juge laid dans la réalité n’est pas matière artistique. C’est une profonde erreur de sa part. ce qu’on nomme communément laideur dans la nature peut dans l’art devenir d’une grande beauté. Ce masque a déterminé tout mon travail à venir. C’est la première bonne sculpture que j’ai faite ».

Exemple donné en classe : la sculpture en bois de Jules Desbois (praticien de Rodin), nommée La Misère, exposée au Musée des Beaux-Arts de Nancy. Une version en terre est exposée au Musée Rodin, à Paris. https://izi.travel/fr/b74a-jules-desbois-la-misere-1884-1894/fr

Cette sculpture est considérée comme l’œuvre maîtresse de Jules Desbois. La Misère est incarnée par une vieille femme au corps décharné, au visage creusé. Recroquevillée, elle cherche à se protéger du froid, et à dissimuler sa nudité avec de pauvres haillons. Desbois traite son sujet de manière allégorique. Oscillant entre Naturalisme et Symbolisme, il stylise la réalité pour inspirer au spectateur une vive réaction émotionnelle. Jules Desbois était l’un des collaborateurs favoris de Rodin. Pour cette œuvre, il choisit de faire poser Maria Caira, qui est aussi le modèle de Celle qui fût la belle Heaulmière (1887, Bronze de 50 x 30 x 26 cm, Musée Rodin).

L’artiste présente le plâtre de La Misère au Salon en 1894. L’État lui commande alors cette version en bois, taillée dans deux poutres en chêne provenant de l’ancienne Sorbonne.

Rodin a 25 ans, il ne parvient pas encore à vivre de son art. Commence alors pour lui les dures années d’errance dans les ateliers.

A cette époque, le travail ne manque pas pour les apprentis sculpteurs. La capitale (Paris) subit une mue brutale sous l’instigation de l’Empereur Napoléon III et de l’architecte, le Baron Haussmann. De grandes voies de circulation sont tracées, de nouveaux immeubles sortent de terre. Les gares de Lyon et du Nord sont créées et l’Opéra Garnier voit le jour.

1870 La guerre éclate. Napoléon III mène une bataille mal préparée contre la Prusse. Rodin ne fit pas la guerre, il est reformé pour cause de myopie. Paris se soulève. L’Empire s’effondre. La IIIème République est proclamée mais la guerre se poursuit. Des insurgés refusent la défaite ayant entrainé la capitulation de leur ville. La commune de Paris s’achève dans le sang tandis que Rodin, sans ressource, a suivi, à Bruxelles, en Belgique, le sculpteur Carrier-Belleuse qui l’a pris comme praticien. (Rodin a été le praticien de Carrier- Belleuse, pratique très répandue à cette époque).

Auguste Rodin : « J’ai beaucoup travaillé chez les autres. Ceux qui ont été pauvres comme moi, n’ayant ni secours d’État, ni pension, ont travaillé chez tout le monde. La nécessité de vivre m’a fait apprendre toutes les parties de mon métier. J’ai fait la mise au point, dégrossi des marbres, des pierres, des ornements, des bijoux d’orfèvre mais cela m’a servi ». Maçon-statuaire le jour pour gagner sa vie, il modèle dans l’ombre sa première figure importante, l’Âge d’Airain (1877). Déjà, il affirme son culte du nu. 12 ans après le rejet de l’Homme au Nez cassé, Rodin place beaucoup d’espoir dans sa nouvelle création. Après l’homme de la rue Bibi, il a choisi un jeune soldat belge pour modèle. l’Âge d’Airain provoque un scandale au Salon de Paris. Mais que reproche-t-on à Rodin ? De montrer un homme nu avec un naturalisme inédit, à la plastique parfaite. D’être trop réaliste pour être honnête. Rodin est accusé d’imposture.

Auguste Rodin : « On dit que j’ai moulé un cadavre et l’ai remis sur ses pieds. Quelle douleur de voir que ma figure qui peut aider mon avenir qui tarde car j’ai 36 ans ! quelle douleur de la voir repousser par un flétrissant soupçon ».

Rodin souffre non seulement de l’incompréhension de son art mais aussi du manque de reconnaissance. A bientôt 40 ans, il n’a toujours pas percé alors que Claude Monet né seulement deux jours après lui est déjà un peintre connu.

Impression Soleil levant, 1872 Les Coquelicots, 1873 Visite virtuelle des Nymphéas, au musée de l’Orangerie (Paris) https://www.musee- orangerie.fr/fr/article/les-nympheas-de-claude-monet

Claude Monet : « Le motif est quelque chose de secondaire, ce que je veux reproduire, c’est ce qu’il y a entre le motif est moi. Je veux peindre l’air dans lequel se trouve la maison, le pont, le bateau… la beauté de l’air où ils sont et ce n’est rien d’autre que l’impossible. Ce que je ferai ici aura au moins le mérite de ressembler à personne parce que ce sera l’impression de ce que j’aurai ressenti ».

Monet lance le mouvement impressionniste aux côtés de Manet, Cézanne, Renoir, Degas, Van Gogh.

La sculpture est en retard et Rodin va se charger de le lui rappeler. Mais pour l’instant, il peine à faire reconnaître l’Âge d’Airain.

Auguste Rodin : « Le moulage ne reproduit que l’extérieur, moi je vois toute la vérité et pas seulement celle de la surface. J’accentue les lignes qui expriment le mieux l’état d’esprit que j’interprète ».

C’est un procédé récent, la photographie (technique née en 1826-27) qui vient en aide à Rodin. Après 3 ans de lutte (procès), le cliché du jeune soldat belge (Auguste Ney) qu’il avait pris pour modèle, révèle enfin l’authenticité de sa sculpture. La comparaison des deux poses supprime tout soupçon de modelage à même le corps. L’Âge d’Airain est réhabilité, et le scandale a répandu le nom de Rodin. L’œuvre est belle et lui ouvre la porte aux acquisitions (commandes) de l’État. A 40 ans, le voici enfin reconnu comme sculpteur.

Et c’est l’État qui vient lui passer la commande de sa vie, celle qui fera de lui le sculpteur incontournable, l’artiste qui ouvre la première porte du dédale qui mène à la modernité, La Porte de l’Enfer (sculpture en haut-relief de 1880. 1917 bronze que Rodin ne verra jamais, il meurt avant).

Auguste Rodin : « J’ai vécu toute une année avec Dante, vivant seulement avec lui et dessinant les 8 cercles de son enfer. A la fin de cette année, je me rendis compte que mes dessins étaient trop éloignés de la réalité. Je recommençais tout et travaillais d’après nature avec mes modèles ».

Rainer Maria Rilke (poète) : « Rodin fit porter à des milliers et des milliers de figures qui étaient à peine plus grandes que ses mains, la vie de toutes les passions, la floraison.de tous les plaisirs et le poids de tous les vices. Il créa des corps qui se touchaient en tous points et qui tenaient ensemble comme des bêtes s’entremordant. Des corps qui écoutaient comme des visages, des chaînes de corps, des grappes de formes humaines dans lesquelles montait la sève sucrée du péché, hors des racines de la douleur ».

C’est là que Rodin va puiser les passions qui irriguent son œuvre. C’est là que se cristallise sa liberté de pensée et de création. C’est de là que jailliront ses plus belles pièces (près de 200).

Octave Mirbeau (écrivain) : « Ceux qui ont pu admirer dans l’atelier de l’artiste les études achevées et celles en cours d’exécution, s’accordent à dire que cette porte sera l’œuvre capitale de ce siècle. Il faut remonter à Michel-Ange pour avoir l’idée d’un art aussi noble, aussi beau, aussi sublime ».

Octave Mirbeau, l’auteur du Journal d’une Femme de Chambre (juillet 1900) est également un critique d’art redouté. Il pourfend (attaque violemment) l’art académique et tourne en ridicule le système des Salons.

Octave Mirbeau : « Ces grandes foires aux médiocrités grouillantes et décorées ».

Anticonformiste notoire, Mirbeau défend toutes les avant-gardes (artistes novateurs), il se fait le chantre (chante les qualités) de Rodin et Monet qu’il présente amicalement l’un à l’autre, mais aussi du musicien Claude Debussy, créateur original et profond d’une musique où souffle le vent de la liberté. Octave Mirbeau : « Auguste Rodin est à peu près inconnu, il a horreur des coteries (réunions de personnes partageant les mêmes intérêts) et vit peu dans le monde. Comme il ne va pas à la réclame, la réclame ne vient pas à lui. Il vit presque obscur ainsi que les forts et les solitaires au milieu des imaginations et des rêves de son génie. Il se contente de faire des chefs-d’œuvre que ses amis admirent et que la postérité qui ne se trompe jamais a déjà marqué de son estampille éternelle ».

Dante : « vous qui entrez ici, abandonnez toute espérance » avertissement cité dans la Divine Comédie. La Porte de l’Enfer va donner à Rodin accès au monde dont il a toujours rêvé et plus encore.

Une jeune femme entre dans sa vie, une jeune femme qui lui donnera accès à d’autres envies, à d’autres désirs plus enfouis, plus secrets de sa personnalité. 1883 se présente à lui avec la fraîcheur de ses 19 ans (Rodin en a alors 43). Le séduit-elle tout de suite ? Cf Rodin et Claudel : http://www.musee-rodin.fr/fr/ressources/fiches- educatives/rencontre-rodin-et-camille-claudel

Mais il y a Rose (Beuret) sa compagne, sa fidèle alsacienne rencontrée dès 1864. Elle ne sait ou ne peut s’adapter à cette nouvelle renommée mais elle est présente dans son cœur. Enfant du peuple comme lui, elle est son ancrage social, la mémoire de ses origines, son point de repère.

Auguste Rodin : « Ma chère Rose, j’ai rêvé de toi cette nuit, et si j’avais écrit sous le coup de mon émotion, je t’aurais dit des choses pleine d’affection. Je pense combien tu as dû m’aimer pour t’attacher constamment à plaire à mes caprices ».

Rose lui donne un fils, Auguste, mais il ne le reconnaitra pas. Il se nommera donc Auguste Beuret et jamais Auguste Rodin Beuret.

Arrivent Camille et sa jeunesse, Camille et ses idées. Elle a déjà sculpté le buste de son frère Paul (Paul Claudel, poète, écrivain et diplomate). Elle dessine et sait très bien pétrir, malaxer, gâcher, observer, écouter, et surtout elle sait pratiquer la taille directe, technique que Rodin ne maîtrise pas. Taille directe = sans croquis préalable ni modèle, tenant compte de la forme originelle du bloc pour faire émerger une forme imaginée par le sculpteur (comme Michel-Ange). Taille avec mises aux points, qui recopie fidèlement un modèle (en plâtre, argile) à partir de mesures exactes.

Auguste Rodin : « Mlle Claudel est devenue mon praticien le plus extraordinaire. Je la consulte en toute chose ». Jeune Fille à la Gerbe de Camille Claudel, Galatée d’Auguste Rodin, marbre, 1887, terre cuite (argile) 1886, 40 x 18 x 16 cm 60,8 x 40,6 x 39,5 cm https://collections.musee- http://www.musee- rodin.fr/fr/museum/rodin/la-jeune-fille-a-la-gerbe rodin.fr/fr/collections/sculptures/galatee

Vertumne et Pomone de Camille Claudel, 1905 L’Éternelle Idole d’Auguste Rodin,1890-1893 Marbre blanc, socle en marbre rouge 91 x 80,6 x 41,8 cm Plâtre 73,2 x 59,2 x 41,1 cm et bronze de 1891 http://www.musee- http://www.musee- rodin.fr/collections/sculptures/vertumne-et- rodin.fr/fr/collections/sculptures/leternelle-idole pomone

Camille vue par Auguste Auguste vu par Camille

Quand on se permet d’accuser Camille de la copier, Rodin réagit et gronde ! Auguste Rodin : « Je lui ai montré où trouver de l’or mais l’or qu’elle trouve est bien à elle » mais jamais Rodin ne sera accusé d’être influencé par elle ou de la copier !

Camille Claudel : « Je n’ai pas beaucoup de choses nouvelles (comprendre : de sculptures personnelles) cette année car je travaille toujours chez M. Rodin qui est très pressé avec ses monuments et qui n’a presque pas d’ouvriers pour l’aider ».

La sculpture Le Baiser est leur enfant à tous les deux. http://www.musee-rodin.fr/fr/collections/sculptures/le-baiser

Ce génie du mouvement et des corps érotisés qu’ils partagent. Cette passion physique qui les dévore. Camille l’appelle Monsieur (Rodin) et il l’appelle Mademoiselle (Claudel) en public.

Auguste Rodin : « Ma féroce amie, Camille ma bien-aimée, je sens ta terrible puissance, je n’en puis plus, je ne puis plus passer un jour sans te voir, sinon l’atroce folie. C’est fini, je ne travaille plus, divinité malfaisante, et pourtant je t’aime avec fureur, je t’embrasse les mains, mon amie, toi qui me donnes des jouissances si élevées, si ardentes ». Camille Claudel : « Je couche toute nue pour me faire croire que vous êtes là, mais quand je me réveille, ce n’est plus la même chose, je vous embrasse ». Auguste Rodin : « Il a fallu que je te connaisse et ma terne existence a flambé dans un feu de joie. Ah divine beauté, fleur qui parle et qui aime, fleur intelligente, ma chérie, ma très bonne, à deux genoux, devant ton beau corps que j’étreins ». Camille Claudel : « Surtout ne me trompez plus ». Les années passées auprès de Camille sont sans aucun doute les plus flamboyantes de Rodin. En 1883, dans le but d’assoir sa notoriété, Rodin entreprends la réalisation du buste de Victor Hugo. Auguste Rodin : « Je voyais Victor Hugo quelques fois traverser le salon, l’air dur et froid. Il allait aussi s’assoir dans le fond de la pièce, absorbé, réfléchissant. Je le suivais de l’œil, faisant de lui des croquis rapides, dessinant autant de profils que je le pouvais sur des petits carrés de papier. Il ne me regardait même pas, mais avait la bonté de ne pas m’écarter. Il me tolérait. Le dessin de tout côté en sculpture, c’est l’incantation qui permet de faire descendre l’âme dans la pierre. Je m’en suis tiré comme j’ai pu ».

Buste de Victor Hugo dit « A l'Illustre Maître », 1883, bronze

Une nouvelle commande officielle vient rapidement confirmer la valeur de son talent. Le maire de la ville de Calais souhaite honorer la mémoire des héros de sa ville. 6 grands bourgeois qui donnèrent leur vie en 1347 pour que l’armée du Roi d’Angleterre épargne les habitants de Calais.

Auguste Rodin : « J’ai l’habitude de faire d’abord sans vêtement mes enfants de pierre, je n’ai plus ensuite qu’à jeter une draperie là-dessus, et tout vibre aux adhérences. C’est de la chair et du sang, non pas de l’effigie (représentation d’une personne) froide ».

Omer Dewavrin, maire de Calais qui a passé la commande à Rodin : « Ce n’est pas ainsi que nous représentons nos glorieux citoyens. Leur attitude affaissée heurte notre religion ».

Auguste Rodin : « Je voulais faire sceller mes statues les unes derrière les autres devant l’hôtel de ville de Calais, à même les dalles de la place, comme un vivant chapelet de souffrance et de sacrifice. Mais l’on m’imposa un piédestal aussi disgracieux que superflu. L’on eut tort, j’en suis sûr ».

Sculpture commémorative, dans un espace public.

Version souhaitée par Rodin, sans piédestal, au plus près du public.

Aristide Maillol, sculpteur et ancien praticien de Rodin : « Cher M. Rodin, je suis à Londres et je ne puis m’empêcher de vous écrire, pour vous dire combien je suis heureux d’avoir vu à Calais vos Bourgeois. C’est la plus belle œuvre moderne. Quelle émotion ! J’ai fait le tour du groupe et toutes les figures sont admirables. J’ai passé devant votre œuvre un bon moment, trop court moment. Le bateau attendait mais qu’importe. J’emporte le souvenir. Chaque figure est dans ma tête aussi bien que si je l’avais faite moi-même. Recevez le souvenir de votre admirateur ».

Le monde qui a vu naître Rodin n’en finit pas de se transformer. Des quartiers de construisent, des banques se créent, de nouveaux apparats s’y rattachent. Apparaît une nouvelle société dite bourgeoise, à laquelle s’oppose simultanément un mouvement populaire qui subit de plein fouet les effets de la crise économique.

Victor Hugo : « La misère, Messieurs, j’aborde ici le vif de la question : voulez-vous savoir où elle en est la misère ? jusqu’où elle peut aller ? jusqu’où elle va ? Je ne dis pas en Irlande, je ne dis pas au Moyen-Âge, je dis en France, je dis à Paris, et au temps où nous vivons ».

1885, à la mort de Victor Hugo, chantre de ce nouveau socialisme, le monument à sa mémoire, revient à Rodin. Les turbulences sociales actent les débuts du socialisme et du syndicalisme ouvrier. A Londres, un économiste sociologue d’origine allemande, Karl Marx, en propose une lecture qu’il nomme Le capital (1867, 1885 et 1894). La lutte des classes est en marche. A bientôt 50 ans, Rodin qui a connu la pauvreté, va profiter pleinement de l’apparition d’une nouvelle catégorie d’amateurs d’art, les collectionneurs. Un marché se met en place, l’art circule. Une communauté d’artistes se forment. Rodin entre dans la ronde, il se lie d’amitié avec les peintres Claude Monet, Paul Cézanne, Eugène Carrière, Henri Fantin-Latour, Auguste Renoir, avec les écrivains, Stéphane Mallarmé, Émile Zola ou Guy de Maupassant et tant d’autres. Ils correspondent, s’influencent, s’entraident, s’échangent ou s’achètent des œuvres.

Rodin choisit : La Femme et La femme nue Le Père Tanguy de l’Enfant de son ami Belle Île de Claude Monet d’Auguste Renoir Van Gogh Eugène Carrière

Rodin et Monet font des expositions communes. Rodin n’a plus rien de l’homme timide de ses débuts. Les riches et les puissants s’intéressent à lui.

Son talent parle au monde et sa personnalité singulière séduit. Il tient enfin son monde.

Camille Claudel : « Cher ami, je suis bien fâchée d’apprendre que vous êtes encore mal. Je suis sûre que vous avez encore fait des excès de nourritures de vos maudits diners, avec le maudit monde que je déteste, qui vous prend votre temps, votre santé et ne vous rend rien ».

Camille a une famille qui ne voit pas d’un bon œil ce dont tout Paris parle. Sa mère ne voit que les dommages que peut créer cette relation scandaleuse sur la carrière de son fils préféré Paul. Pour la rassurer, Rodin fait jouer ses relations. Auguste Rodin : « Mon cher Ministre, Voulez-vous me permettre de vous demander votre appui pour un jeune homme de bonne famille républicaine, il est très intelligent ».

Cette lettre contribue largement à la carrière diplomatique de Paul Claudel, qui offrira tout loisir au jeune homme pour se consacrer à l’écriture.

Plus Rodin se montre maître de sa carrière et plus son histoire d’amour avec Camille lui échappe. La séparation est inéluctable. Camille met en scène cette séparation dans L’Âge Mûr ou La Destinée, ou Le Chemin de la Vie ou La fatalité 1899 http://www.musee- rodin.fr/fr/collections/sculptures/lage-mur-ou-la- destinee-ou-le-chemin-de-la-vie-ou-la-fatalite

Malgré le désir répété de Camille de s’unir au sculpteur pour toujours, celui-ci refuse de l’épouser et choisit de rester auprès de sa vieille muse, Rose.

Camille accuse Rodin de lui avoir volé des marbres. Elle fait des aller-retours entre tendresse et paranoïa. Il tente de l’aider, de promouvoir ses créations, et lui envoie mécènes et collectionneurs.

Lorsque la mère de Camille la fera interner en 1913, Rodin ne fera rien pour la sortir de cet enfer. Il ne fera rien pour la protéger. Le destin de Camille est une tragédie. Son œuvre sacrifiée ne sera reconnue que bien plus tard.

Parmi les commandes passées à Rodin, il en est une qui va changer sa destinée. Ce sera une épreuve et une expérience artistique uniques.

Lettre d’Émile Zola : « Mon cher Rodin, je suis heureux de vous annoncer de façon officielle que la Société des Gens de Lettres vous a choisi, par 12 voix contre 8, pour exécuter la statue de Balzac. Je vous serais personnellement reconnaissant si vous pouviez hâter votre travail le plus possible ».

Émile Zola président de la Société des Gens de Lettres (portrait d’Édouard Manet) s’est battu pour imposer le nom de Rodin. Le naturalisme dont Zola est devenu le maître incontesté avec sa série des Rougon-Macquart rapproche les deux hommes.

Émile Zola : « L’Homme vit dans un milieu social qu’il a produit, qu’il modifie tous les jours et au sein duquel il éprouve à son tour une transformation continue. Le roman naturalisme est une conséquence de l’évolution scientifique du siècle ».

Les sciences humaines et sociales initiées par le positivisme d’Auguste Comte (l’homme doit se borner à ce qu’il peut savoir de manière certaine, grâce à la science) inventent et proposent de nouveaux outils d’observation et de compréhension du monde.

Invention de la chronophotographie de Etienne-Jules Marey et Edward Muybridge en 1880-1890

Les sciences humaines et sociales ouvrent de nouvelles voies de réflexion, notamment avec les récents écrits d’Henri Bergson et de Friedrich Nietzsche. Arts, littérature et sciences dialoguent. Un nouveau groupe est né, les intellectuels.

Balzac est mort en 1850 donc depuis plusieurs décennies. Aussi pour mener une étude complète de l’homme, Rodin entame des recherches sur l’écrivain, son œuvre et son environnement. On lui indique un moulage de la main de Balzac, à Bruxelles, il part aussitôt la voir.

Auguste Rodin : « Avec cette main, je rebâtirai Balzac ».

Gustave Geffroy critique d’art : « Au cours de sa promenade et de son enquête dans le village natal de l’écrivain, Rodin discerna un type tourangeau (de Touraine) qui est le type « Balzac ». Il choisit ce qui portait le plus profondément cette empreinte, et il modela leur masque avec l’étude respectueuse qu’il apporte à la reproduction de la nature ».

Rainer Maria Rilke, poète : « Créer un portrait cela voulait dire pour Rodin : cherchez dans un visage donné l’éternité. Ce morceau d’éternité qui lui faisait prendre part au cours des grades choses éternelles. Ce n’est pas ce qu’on appelle embellir, c’est plus que cela, c’est séparer le permanent de l’éphémère ».

Auguste Rodin : « J’ai consulté tous les portraits possibles de l’auteur de la Comédie Humaine (Honoré de Balzac), après un laborieux examen, je me suis décidé à m’inspirer d’une plaque de daguerréotype de Balzac. Selon moi c’est la seule effigie fidèle et vraiment ressemblante de l’illustre écrivain ». https://www.histoire-image.org/fr/etudes/daguerreotype En 1839, lors d’une séance officielle à l’Institut de France, Louis Daguerre (1787-1851), décorateur de théâtre parisien, divulgua le premier procédé photographique qu’il était parvenu à mettre au point en tirant parti des recherches de son associé, Nicéphore Niépce. Surnommé « daguerréotype », ce procédé consistait à fixer l’image positive obtenue dans la camera oscura (ancètre de l’appareil photographique) sur une plaque de cuivre enduite d’une émulsion d’argent et développée aux vapeurs d’iode. D’abord cantonné au domaine de la nature morte, en raison de la longueur des temps de pose, le daguerréotype reçut de nombreuses améliorations dès les années 1840 : tandis que la stabilité de l’image et la sensibilité de la plaque étaient renforcées, la durée de la pose diminua considérablement, passant d’une quinzaine de minutes par temps clair en 1839 à environ une minute. Désormais, les portraits au daguerréotype Auguste Rodin : « Je tiens, devinrent possibles, entraînant la multiplication des ateliers spécialisés je connais Balzac, comme si dans ce type de prises de vue à Paris. j’avais vécu des années avec lui. Balzac sera représenté debout, dans une attitude forte et simple, les jambes un peu écartées, les bras croisés. Il sera revêtu d’une sorte de longue robe de chambre sans ceinture qui descend jusque sur les pieds ».

Rainer Maria Rilke, poète : « C’était la création même qui se servait de la forme de Balzac pour faire son apparition. C’était l’arrogance de la création, son orgueil, son délire et son ivresse ».

Les années passent et la Société des Gens de Lettres s’impatiente. Émile Zola écrit à Auguste Rodin : « Balzac attend et il ne faudrait pas que sa gloire souffrît trop longtemps encore du légitime souci que vous avez de la vôtre ».

Cette œuvre se conçoit en Rodin comme une gestation monstrueuse. 1898, après 7 ans de recherche (et d’attente) la présentation de son Balzac est imminente. Il est enfin dévoilé au Salon.

Rainer Maria Rilke, poète : « C’était Balzac dans la fécondité de son exubérance, l’inventeur de génération, le dispensateur de destin. C’est ainsi que Rodin avait vu Balzac dans un instant de prodigieuse concentration et d’exagération tragique et c’est ainsi qu’il le fit ».

Au Salon, le Balzac est conspué (manifesté du mépris contre…) : « monstre obèse, masse informe, colossal fœtus, quelque chose d’impure qui tient du porc et du phoque ».

L’abstraction du corps, la lourde tête, la posture, la simplification extrême des formes, rien ne va ! Mais que cache ce manteau, où sont les mains de Balzac, sur son sexe ?

Auguste Rodin : « Balzac a contre lui les docteurs de la loi esthétique, l’immense majorité du public et la plus grande partie de la critique, qu’importe ! Il se fera par force et persuasion une voie vers les esprits ».

La Société des Gens de Lettres se refusent à reconnaître la statue de Balzac. Rodin est humilié et ses longues années de travail ne lui seront pas payées.

Son Balzac ne correspond pas à la conception classique et allégorique traditionnelle du monument dont le Triomphe de la République de Jules Dalou (bronze de 1879, place de la Nation à Paris) est la parfaite illustration.

Bien au contraire, le Balzac de Rodin pose la question du monument public. Que doit-il dire ? que doit-il montrer ? que doit-il être ?

Finalement, ce sera l’académique Balzac d’Alexandre Falguière (1902) que le comité retiendra.

Claude Monet : « J’ai vu votre Balzac au Salon, et bien que j’étais certain de voir une belle chose, mon attente a été dépassée. Je vous le dis bien sincèrement, vous pouvez laisser crier. Jamais vous n’étiez allé plus loin. C’est absolument beau et grand et je ne cesse d’y penser ».

Auguste Rodin : « Vous me rendez heureux avec votre appréciation sur le Balzac, merci ».

Ces amis se mobilisent et lancent une souscription nationale. Étrangement la plupart sont des dreyfusards et le glissement vers le terrain politique de cette affaire purement artistique effraie Rodin.

L'affaire Dreyfus (1894-1906) est un conflit social et politique majeur de la Troisième République survenu à la fin du XIXᵉ siècle, autour de l'accusation de trahison faite au capitaine Alfred Dreyfus (sur fond d’antisémitisme) qui a finalement été innocenté

La crise sociale et politique a entrainé la France dans une violente dérive nationaliste et antisémite. L’affaire de ce capitaine Dreyfus condamné pour trahison divise le pays. Le véritable coupable est acquitté. C’est ce verdict scandaleux qui pousse Zola à lancer par voie de presse des accusations nominatives.

Émile Zola : « J’accuse »

Dreyfusards et antidreyfusards n’en finissent pas de s’affronter. Rodin ne prend pas parti. Son engagement est et sera toujours pour son art.

Il refuse le soutien financier de ces amis (la souscription nationale), rejette l’offre d’un collectionneur privé, et décide de rester seul propriétaire de son Balzac.

Auguste Rodin : « Cette œuvre qu’on a pris soin de bafouer parce qu’on ne pouvait la détruire, c’est la résultante de toute ma vie, le pivot même de mon esthétique. Du jour où je l’ai conçue, je fus un autre homme ».

En tournant le dos au dictat des commandes officielles, Rodin s’émancipe de la tradition française qui voudrait qu’on juge le talent d’un artiste au nombre de ses monuments.

Auguste Rodin : « Mon but n‘a jamais été d’avoir des commandes mais d’étudier, c’est ce qui explique la longueur dans l’exécution de certaines œuvres. Chaque morceau a été pour moi une occasion nouvelle de recherches, encore et toujours. Ce qui m’a guidé, c’est surtout ce grand amour de la nature, oui et il faut l’aimer, être constamment avec elle. C’est la véritable grande muette mais elle finit par vous parler, par vous inspirer et par vous livrer des secrets ».

Version en marbre Le Sommeil, vers 1894 Il y aura aussi une version intermédiaire en Terre cuite, plâtre, cire, pâte à modeler, papier journal plâtre. 46 x 47,6 x 39,5 cm https://education.francetv.fr/matiere/arts- visuels/cm1/video/le-sommeil-de-rodin-petits-pas- vers-l-art

Depuis quelques années (en 1893), il a fait l’acquisition de la villa des Brillants sur les hauteurs de Meudon où il demeure avec Rose et leur fils.

Auguste Rodin : « Il y a de jeunes sculpteurs qui viennent voir le Balzac ici et qui pense à lui en redescendant les sentiers, dans la direction où leur idéal les appelle ».

Les ateliers de Rodin emploient de nombreux praticiens, des personnalités artistiques fortes comme François Pompon (sculpteur animalier), Eugène Bourdelle et Aristide Maillol en sortiront. Ours Blanc de François Pompon, entre 1923 et 1933, statue en pierre de 163 x 251 x 90 cm, Musée d’Orsay

Héraklès archer d’Eugène Bourdelle, 1909, bronze, 250 x 240 cm, musées des Beaux- Arts de Lyon, MOMA, Orsay et d’autres.

Méditerranée d’Aristide Maillol entre 1923 et 1927, marbre, 110,5 x 117,5 x 68,5 cm Poids 680 kg. Musée d'Orsay.

Tous ces praticiens vont lui garder une immense reconnaissance, tant dans leur cœur que dans leurs futures créations. 1900 pour fêter le grand siècle de progrès qui s’achève et célébrer les prodiges des arts, des sciences, de l’industrie et l’agriculture, la France invite toutes les nations à participer à l’Exposition Universelle qu’elle organise à Paris.

Aux pieds de la Tour Eiffel, une multitude de pavillons s’élèvent. Les becs de gaz sont remisés, l’électricité éclaire désormais les rues la nuit. Le métro transporte ses premiers passagers. L’Art Nouveau est à la mode, les bouches des stations de métro sont signées Hector Guimard.

L’Art Nouveau est un style très répandu dès 1900, les artistes de l’École de Nancy (Émile Gallé, Antonin Daum, Louis Majorelle, …) en font partie. Les artistes regroupés sous ce style s’inspirent de la nature pour créer (formes de végétaux, d’animaux). Antoni Gaudi ou Alfons Mucha y sont rattachés également. Pour se moquer des courbes et contre-courbes très visibles dans les œuvres d’Art Nouveau, on appelle aussi ce style, le « style nouille ».

Capitale des avant-gardes, Paris attire et inspire les artistes du monde entier. Pablo Picasso s’y rend pour la première fois et s’y installe. Paris devient ville lumière et est au faîte de son rayonnement. La Belle Époque bat son plein.

Rodin ne peut plus se satisfaire de quelques travaux présentés aux Salons. Il souhaite organiser une exposition indépendante en marge de l’Exposition Universelle. C’est un tournant décisif dans sa carrière. Pour réussir son entreprise, il mise son propre argent et s’associe avec trois banquiers. Il obtient, non sans difficulté, l’autorisation de bâtir son pavillon musée, place de l’Alma. C’est son ami, le peintre Eugène carrière qui lui fera son affiche →

Gustave Courbet et Édouard Manet ont déjà avant lui exposé dans un pavillon temporaire mais le projet de Rodin s’annonce encore plus ambitieux. Il fait installer 168 sculptures, une centaine de dessins et des dizaines de photographies de ses œuvres. C’est à une rétrospective complète de son art qu’il convie le monde. La plus grande exposition jamais consacrée à un artiste vivant. Il préfigure les grandes expositions monographiques actuelles (consacrées à un seul artiste, souvent après sa mort !). Là où les visiteurs s’attendent à admirer bronze et marbre. Rodin choisit de n’exposer que ses plâtres. Auguste Rodin : « On trouvera sans doute ma prétention singulièrement orgueilleuse mais j’ai la conviction qu’en montrant ma sculpture et comment j’entends la sculpture, je rendrai à la cause de l’art que service ». Le blanc mat fascine et éblouit.

Son audace s’avère payante. C’est un triomphe.

Auguste Rodin : « J’ai vendu pour 200 000 francs. Tous les musées à peu près m’ont acheté ».

Les œuvres de Rodin vont faire le tour du monde : Düsseldorf, Buenos Aires, Montréal, Tokyo, Berlin, Prague, Munich.

Vue du musée de Meudon, aujourd’hui

Il voyage, il parade un peu ici et là en jouissant de cette gloire.

A 60 ans, Rodin a atteint un objectif jamais atteint par un artiste.

Pour promouvoir son art comme nul autre auparavant, il a le premier fait entrer la chambre photographique (ancêtre de l’appareil photo) dans ses ateliers, comme un instrument de création parmi d’autres. Mais aussi un moyen très efficace de diffuser son art, hors de son atelier !

Eugène Druet, employé au départ pour documenter le travail du sculpteur, se révèle un artiste à part entière.

Document de travail Photographie plasticienne La vente de ces tirages pendant les expositions, ainsi que leurs exploitations dans la presse assurent à Rodin une visibilité inédite. Les photographes confirmés comme Jacques-Ernest Bulloz, Alvin Langdon Corburn, Jean Limet sont également bienvenus à l’atelier.

Edward Steichen, un des premiers photographes d’art est représentant du pictorialisme new-yorkais (mouvement en photographie qui regroupe les artistes donnant des effets de velouté, de touches peintes ou de grain à leurs photographies), est invité à Meudon.

Edward Steichen : « J’ai photographié et peint le Balzac de Rodin qu’il avait sorti en plein air et j’ai fait tout cela à la lumière de la lune. Passant deux nuits entières, du couché au lever du soleil. C’était fabuleux ».

La photographie avait été mal accueillie par les peintres impressionnistes (à nuancer car les premiers photographes étaient aussi peintres !) qui craignaient la concurrence de cette technique nouvelle.

Auguste Rodin devant cette photographie : « C’est le Christ marchant dans le désert. Vos photographies feront comprendre au monde Mon Balzac ! ».

Qu’en est-il du cinéma inventé par les frères Lumières en 1895 ?

Antoine Bourdelle : « Le cinéma pourrait être un outil merveilleux d’éducation. Mais tout est à refaire pour l’instant ».

Auguste Rodin : « Je trouve le cinéma très beau, très intéressant, c’est un diminutif merveilleux de la vie de la rue et je crois beaucoup à son développement esthétique ».

Rodin se laisse filmer par Sacha Guitry. Le cinéaste lui demande de tailler la pierre devant l’objectif alors qu’il est le plus talentueux des modeleurs ! qu’importe ! Rodin n’a plus rien à prouver, ni dans la vie, ni sur grand écran !

1905, le poète autrichien Rainer Maria Rilke signale à Rodin l’hôtel Biron, où il vient d’emménager Rue de Varenne (actuel musée Rodin de Paris). Des célébrités actuelles et futures se partagent se bâtiment promis à la destruction : le poète Jean Cocteau, le peintre Henri Matisse, et la danseuse américaine, Isadora Duncan.

Rilke qui s’apprête à publier Lettre à un Jeune Poète, devient le secrétaire particulier de Rodin pendant quelques mois.

Rainer Maria Rilke : « vous devriez cher grand ami voir ce beau bâtiment et la salle que j’habite depuis ce matin. Ces 3 baies donnent prodigieusement sur un jardin abandonné où on voit de temps en temps les lapins naïfs sauter à travers les treillages comme dans une ancienne tapisserie ».

Charmé par les lieux, Rodin loue 4 pièces du rez-de-chaussée et devient le plus notoire occupant de l’endroit. Il y reçoit de nombreux visiteurs et y abrite ses infidélités.

Tout le monde veut son buste signé du maître : de la lady anglaise à l’homme politique français. Georges Clémenceau repart déçu et fâché. Il ne comprend pas pourquoi Rodin lui a fait une « tête de chinois ».

Rodin est-il seulement encore le sculpteur rempli de rêves ou est-il devenu un homme d’affaire éloigné de la fièvre de la création ?

Il fragmente, assemble, gomme le sujet pour mieux faire renaître la forme, livrant aux générations futures plus qu’une œuvre, un CONCEPT.

Auguste Rodin : « Pendant longtemps, je n’ai pas osé réaliser toutes les idées que j’avais. Je craignais à chaque instant de provoquer un scandale. A présent, je suis dégagé de toute appréhension. Je n’ai plus qu’à suivre ma voie ».

Et toujours cette quête du mouvement. La Serpentine de l’emblématique américaine Loïe Fuller, le fascine.

L’après-midi d’un faune (ballet de Vaslav Nijinski) l’éblouit.

Sensuel en diable, le danseur Nijinski livre une chorégraphie résolument moderne sur une musique de Debussy et d’après un poème de Stéphane Mallarmé.

Rodin demande à l’étoile russe (le danseur Nijinski) de poser nu pour lui.

Auguste Rodin : « C’est en empruntant tout à la vie que j’ai sorti mes plus beaux morceaux. J’ai pour le nu un culte véritable. J’ai l’habitude de laisser mes modèles errer sans vêtement dans mon atelier. Ils marchent ou se reposent. A les voir vivre nus autour de moi, je me suis familiarisé avec tous leurs mouvements. C’est quand ils quittent la pose qu’ils me révèlent le plus souvent leur beauté. Mes dessins sont la clé de mon œuvre. C’est toute ma vie ».

C’est dans l’extase, la volupté, l’érotisme et les débordements charnels qu’il représente la femme.

Nul besoin pour Rodin d’attendre l’émergence de la psychanalyse, pour s’affranchir des contraintes morales. L’histoire ne dit pas s’il a un jour croisé Sigmund Freud de passage à Paris.

Édouard Manet et Gustave Courbet déjà avant lui et Edgar Degas simultanément célèbrent la liberté des corps.

Gustave Klimt, Egon Schiele pourraient être ses disciples tant il y a de similitudes.

Artiste polymorphe, lui seul met en volume ce que les dessins ne font que suggérer. Iris, Messagère des Dieux, (vers 1895, Bronze, 82,7 x 69 x 63 cm) expose sans pudeur et tout en volupté son sexe hurlant de vie et de vérité comme un ultime défit à tous ces détracteurs.

Isadora Duncan : « Il murmurait le nom de ses statues, il passait la main sur elles et les caressait. Je me rappelle avoir pensé que sous ses doigts le marbre semblait couler comme du plomb fondu. Il a pris une petite quantité de glaise (argile) et la pressait entre ses paumes. En faisant cela, il respirait fort. Il avait formé un sein de femme qui palpitait sous ses doigts. Il me regardait les paupières à demi-baissées, les yeux étincelants, et puis avec l’expression qu’il avait devant ses œuvres, il s’est approché de moi, il a placé les mains sur mon cou, ma poitrine, il a caressé mon bras, il a frôlé mes hanches, mes jambes nues, mes pieds, il a commencé à pétrir mon corps comme de la glaise, tandis qu’il se dégageait de lui une chaleur qui me brûlait et me fondait. Je n’avais qu’un désir : lui abandonner tout mon être et je l’aurais fait si par la faute de mon éducation absurde je n’avais pris peur. Combien de fois j’ai regretté cette incompréhension enfantine qui m’a fait perdre la divine chance de livrer ma virginité au grand dieu Pan lui-même, au grand Rodin ».

Antoine Bourdelle : « Quand il sculptait Rodin avait l’air d’un grand bouc conducteur d’un troupeau d’esprits. Dieu Pan faisant frémir tous ses troupeaux de vie. Il avait l’air en travaillant d’aspirer l’âme de l’argile ainsi qu’on conquiert un baiser ».

A 70 ans passés, la notoriété de Rodin impressionne la jeune génération toujours éblouie par l’aura du vieux maître.

Henri Matisse : « Je montrais mes dessins à Rodin qui me dit : vous avez une main facile, il faut vous en méfier. Il faut faire des dessins extrêmement travaillés, pignocher même avec le plus de détails possibles, et lorsque vous en aurez fait ainsi, montrez-les-moi. Je partis plus déçu que flatté de chez Rodin, qui devait, je le pensais, m’apprendre quelque chose ».

Pourquoi garder ses distances avec la jeune génération : Picasso, Braque, Derain, Dufy et son ancien voisin Matisse ? Comment ne pas vouloir se battre aux côtés de ceux qui sont rejetés comme il a pu l’être ? Est-ce sa gloire tardive qu’il a peur de compromettre ? ou bien est-il trop occupé à la création de son propre musée, à l’hôtel Biron ?

Rainer Maria Rilke : « Rodin était seul avant de devenir célèbre et la célébrité une fois venue l’a peut- être rendu plus seul encore car la célébrité n’est finalement, que la somme de tous les malentendus qui se forment autour d’un nom ».

17 novembre 1917 Auguste Rodin s’éteint. Rejoignant Rose disparue quelques mois avant lui et qu’il venait d’épouser. Il ne verra pas l’inauguration du musée Rodin mais peu lui importe son éternité est assurée.