EXPOSITION la transmission de la "littérature" Le laboratoire et ses du Bateau-Lavoir implications idéologiques. Pendant plus de vingt ans, une bâtisse branlante abrita plus de talents et de génies qu'aucune autre maison de

Bernard Mouralis LE BATEAU-LAVOIR main ; Van Dongen, affable et barbu, rame- Musée Jacquemart-André, 158, bd Haussmann nant des Halles dans une charrette à bras Les cinquante kilos de légumes, ou jouant pour les visiteurs le rôle de concierge ; et ce mémo- • « Au Bateau-Lavoir, oui, j'étais célèbre 1 rable banquet en l'honneur du Douanier Rous- contre- Quand les jeunes peintres de tous les pays seau ! Que de misère aussi, pour les débuts me demandaient conseil, quand je n'avais ja- de Juan 'Gris! littératures mais le sou, là j'étais célèbre I J'étais un pein- tre, pas une bête curieuse. Ces mots ont une Sans voir le modèle L'auteur analyse le caractère conflic- triste grandeur. Vieilli, en un temps où il vend Je retiendrai l'histoire du portrait de Ger- tuel des rapports existant entre le 'à prix d'or les pires facilités d'une céramique trude Stein. Picasso « très tendu sur sa chaise, "Champ littéraire" et le "champ des de Vallauris ou d'une pochade d'Antibes, Pi- très près de sa toile », et , « sur une très contre - littératures", et souligne la casso évoque l'âge où, dans la fièvre et l'in- petite palette qui était d'une couleur uniforme menace de subversion que le second certitude, soixante ans plus tôt, il travaillait Constitue en permanence pour le à cette grande toile invendable, « les Demoi- brun-gris », mélangeant :un peu plus de brun- premier. gris. Quatre-vingt-dix séances de pose. Sou- selles d'Avignon », en avouant que sa pein- dain, le peintre efface tout le visage : e Je ture, « peuh ! ça ne marchait jamais très fort .». COLLECTION SUP C'est en 1904 que s'installa ne peux plus vous voir quand je vous regar- dans l'atelier cédé par son compatriote Paco de! Le tableau laissé -inachevé. A son retour 208 pages 32 F d'Espagne, Picasso peint la tête d'un seul Durio, 13, rue Ravignan (1). L'insalubre coup, sans avoir revu Gertrude Stein, avec et vétuste bâtisse, qu'aucune compagnie n'au- un modelé digne de la statuaire ibérique ar- rait consenti 'à assurer contre l'incendie, était chaïque. Une nouvelle conception de l'art est DANS juchée au flanc de la butte , avec ses vignobles, ses moutons, ses maraîchers et née. Bientôt, avec r les Demoiselles d'Avi- LA MEME COLLECTION déjà son folklore (« lé Lapin à Gill » du père gnon », viendra le grand schisme : l'incom- préhension de Matisse, qui croit à une « fumis- 1Frédé), en porte à faux entre une placette terie » ; pour Braque, la révélation. plantée de marronniers et la rue Garreau, Epilogue. Le 1" décembre 1969, le Bateau- Jean-Louis Gardes trois étages plus bas. Le 'visiteur descendait Lavoir fut, enfin, classé monument historique. de palier à palier, •dans l'odeur de bois moisi Quelques mois après, le 12 mars 1970, il fut La logique et de pipi de chat. détruit par un incendie. Il ne reste plus, place Glacière ou étuve Ravignan, qu'un mur de façade dévastée. du temps L'immeuble du serrurier Maillard, où naquit BERNARD TEYSSEDRE 160 pages 30 F en 1872 'Paul 'Langevin, avait été réaménagé en 1889 par l'architecte Paul Vasseur, de Autoportrait de Picasso (1906) façon plutôt expéditive : lotissement en ate- A l'époque, je n'étais liers, séparés par des cloisons de planches, pas une bête curieuse Michel-Louis pas toujours bien jointes, en sorte que l'heu- Rouquette reux habitant joùissait de l'intimité de chaque voisin, sentait ses odeurs de cuisine, l'enten- dait faite l'amour. 'Ni gaz ni électricité (pour- Les rumeurs tant, Picasso peignait de nuit : cela n'est pas 128 pages 21 F sans rapport peut-être avec le célèbre r ca- maïeu gris .» des toiles cubistes). Pas de chauf- fage : l'hiver, le thé gelait dans les tasses mais l'été c'était une étuve, et Picasso accueil- Georges Snyders lait ses amis « -à poil », une serviette nouée en guise de cache-sexe. Telle était « la Mai- Où vont son du Trappeur ». Qui l'a rebaptisée « Ba- teau-Lavoir ? peut-être, ou André les pédagogies Salmon. Mais je n'oublie pas que le premier peintre locataire, Maxime Maufra, l'ami de non directives? Gauguin, était un ancien marin. Là, entre 1904 et 1912, ont •vécu auprès 3e édition de Picasso les écrivains Pierre Mac Orlan, revue et augmentée Max Jacob, André Salmon, Pierre 'Reverdy, avec une réponse les peintres Kees Van Dongen, , aux critiques , Otto Freundlich. Modigliani 384 pages 34,45 F en 1908 y fit de brefs séjours. Que de pitto- resque ! Mac Orlan vendant pour 'vingt francs ses aquarelles aux 'brocanteurs ; Max Jacob tirant des horoscopes ou lisant les lignes de la puf (1) Monographie par Jeanine Warnold u le Bateau-Lavoir (1892-1914) », les Presses de la Connaissance, diffusion Weber.

80 Lundi 17 novembre 1975