Zaïnab SANGARE Doctorante Département d’Archéologie Institut des Sciences Anthropologiques de Développement (ISAD) Université Félix Houphouët-Boigny - [email protected]

BINGERVILLE - VILLE COLONIALE : REFLEXION AUTOUR DE LA PATRIMONIALISATION D’UNE CITÉ À L’ABANDON

Revue Africaine d’Anthropologie, Nyansa-Pô, n° 24 - 2017

RESUME

De nombreux pays sont parvenus à travers des institutions, à documenter toute l’histoire de leur ville. Ils y sont parvenus en accordant une importance et un intérêt particulier à la sauvegarde, à la valorisation et à la diffusion des résultats scientifiques. En Côte d’Ivoire, les recherches archéologiques sont encore inexistantes sur cette thématique. Il nous semble donc opportun de conduire des recherches en vue d’apporter notre contribution en menant, une étude dans la deuxième ville historique de la Côte d’Ivoire. Cette étude est importante en ce sens que la localité constitue une destination touristique et conserve de nos jours, des vestiges de la colonisation qui ne demandent qu’à être exploités pour mieux comprendre les raisons du choix du colonisateur pour le site d’Adjamé-Santey, et découvrir des épisodes de l’évolution de la Côte d’Ivoire moderne. Prendre en compte la zone de Bingerville pour construire le présent et aménager le futur, c’est se souvenir que sans le passé on ne peut envisager le développement. Mots-clés : Bingerville, Côte d’Ivoire, ville coloniale, patrimoine. zaïnab sangare

ABSTRACT Many countries reached through institutions to furnish with documents the history of their city. They achieved it by giving importance and distinct interest to the protection, the valuation and the broadcast of scientic results. Archaeological researches on this topic are yet non-existant in Côte d’Ivoire. Hence it looks timely to us to lead researches in order to bring our contribution by conducting a study in the second historical town of Côte d’Ivoire. This study is so important for locality to purpose one touristic destination and to safeguard relics of colonization of which exploitation permit to understand better the real choices of colonizer for example Adjamé Santey place, that will permit to discover the evolution’s episodes of modern . By considering Bingerville zone you can build zone present time and can plan the future. Doing this it is to remember that without past time you cannot contemplate the development Keywords: Bingerville, Côte d’Ivoire, colonial city, heritage.

INTRODUCTION Le contexte d’émergence de la ville coloniale d’Adjamé-Santey (cf. Plan et Photo n°1 et no2), fait suite à deux facteurs majeurs. Les fréquentes épidémies de fièvre jaune qui décimèrent à plusieurs reprises, la population blanche installée à Grand-Bassam. Aussi, la mission Houdaille qui avait pour objectifs de choisir le point de la côte le mieux approprié pour la création d’un port intérieur et d’établir un tracé pour la voie de pénétration ferroviaire à travers la Côte d’Ivoire (Ekanza, juillet 1974, p.32 et p.33). De ce fait, la création de Bingerville permet de relever que son avènement a été imposé aux Ebrié qui n’étaient pas préparé à une vie urbaine. Nous notons, dans ce présent travail, les retombées de la mission Houdaille, l’un des facteurs important du passage du site villageois à celui de chef-lieu administratif, des infrastructures mises en place pour répondre aux besoins de l’administration coloniale et de l’état de

40 Revue Africaine d’Anthropologie, Nyansa-Pô, N°24- 2017 bingerville - ville coloniale : reflexion autour de la... conservation du patrimoine colonial de la deuxième ville historique de la Côte d’Ivoire.

1. LES RÉSULTATS DE LA MISSION HOUDAILLE La ville historique de Grand-Bassam, première capitale de la Côte d’Ivoire, bâtie sur le sable entre l’océan atlantique et la lagune marécageuse, cette situation géographique faisait d’elle une zone insalubre par conséquent beaucoup plus exposée à la fièvre jaune.

Photo n°1 et no2 : Vue de Bingerville à l’époque coloniale

Source : N’GOLO (C.J), Bingerville à l’époque des gouverneurs 1900-1934, pp 33 et 78

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Il paraissait plus économique à l’administration coloniale de déménager la capitale, plutôt que d’assainir la ville de Grand-Bassam, ravagée à plusieurs reprises par de terribles épidémies de fièvre jaune (Doutreuwe, 1993, p.115). L’administration coloniale fut de ce fait contrainte dès 1897, à envisager un projet de transfert de la capitale de la première colonie vers une localité saine, possédant des conditions d’hygiène meilleure et de salubrité. La ville de Grand- Bassam perdra ainsi de sa notoriété (1893-1900) au profit des zones comme Adjamé-Santey et Abidjan-Santey. Il fut donc confié au capitaine Houdaille une mission d’étude ayant pour but de rendre compte de la possibilité de création d’un port intérieur et d’un tracé de ligne de chemin de fer. Après deux (2) ans de mission d’étude, le capitaine Houdaille identifiera le site deAlobey , capitale de dix-neuf (19) villages ébrié de la tribu des Akoué constitué de deux (2) villages : Santey et Adjamé. Ce site fut choisi temporairement pour capitale de la colonie parce qu’il offrait de nombreux avantages (Wondji, 1976, p.83-102) à savoir : - Son altitude élevée (75-95m) est presque le double de celle d’Abidjan (25-30m). Ce site est presque toute l’année balayée par la mousson marine du Sud-ouest. - Le site offre de nombreuses sources qui jaillissent au bas du plateau ce qui résout le problème de provision en eau. - Adjamé Santey est à proximité de Grand-Bassam que d’Abidjan (cf. Carte n°2). Toutefois, après des négociations entre l’administrateur Lamblin et les chefs des Ebrié-Akoué jusque-là hostiles, les français s’installèrent sur le plateau central (Loba, 2009). La nouvelle capitale eue pour nom Bingerville en hommage au premier gouverneur de la colonie de la Côte d’ Ivoire, Louis Gustave Binger. Dès cet instant, Henri Roberdeau, premier gouverneur de la nouvelle capitale coloniale débuta la mise en place des services du gouvernement de la colonie.

2. BINGERVILLE, VILLE ADMINISTRATIVE DE L’ÉPOQUE COLONIALE Choisie pour l’installation de l’administration coloniale, les populations autochtones du site de Bingerville seront contraintes à

42 Revue Africaine d’Anthropologie, Nyansa-Pô, N°24- 2017 bingerville - ville coloniale : reflexion autour de la... abandonner leur village. Le plateau central ainsi dégagé (cf. Carte), va abriter les travaux de la voirie et de construction de bâtiments administratifs dès 1900 (cf. Plan). En 1907, le centre-ville est en grande partie construit. Jusqu’en 1910, l’administration

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coloniale a doté la ville de : - un hôpital, - un service de l’agriculture pour répondre aux ambitions du colonisateur, tel que le jardin botanique par le gouverneur Angoulvant avec une multitude de plantes sélectionné à travers les différentes régions du monde.

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- un service de poste et de télégraphie, - un service de travaux publics, - service automobile s’occupait du parc automobile de la colonie qui fonctionnait grâce au savoir-faire de mécaniciens allemands et sénégalais. - un tribunal de première instance créé en 1901, qui permet de voir l’importance du site de Bingerville dans les possessions françaises en Afrique de l’ouest. - d’une imprimerie chargé de l’impression, de la publication « du journal officiel » et de l’annuaire de la colonie. - un service du trésor et du siège du gouvernement de la colonie. Tous ces équipements en vue de renforcer la stature administrative de la ville. Bingerville est doté d’établissements scolaires à vocation régionale, elle reçoit des élèves en provenance de toute la colonie. La cité exerce de ce fait, une influence sur toute la colonie. Ajouté à cela, le palais du gouverneur lieu de résidence des gouverneurs de colonie, se relève comme un chef-d’œuvre de l’époque par son aspect majestueux. L’administration colonial, soucieux de construire un empire sur le site d’Adjamé-Santey pour son installation fait de Bingerville un pôle administratif d’époque coloniale. Mais que reste-il de ces vestiges de la colonisation ?

3. BINGERVILLE AUJOURD’HUI Sur le plateau central de la ville, le paysage urbain est dominé par des bâtisses datant de l’ère coloniale. En effet, le site de Bingerville se caractérise par la présence d’un patrimoine architectural hérité de l’époque coloniale. Ces bâtisses, témoins du passé prestigieux de la ville, par manque d’entretien tombent progressivement dans un état de ruine. Le site de Bingerville, est longtemps resté dans l’oubli malgré le statut d’ancienne capitale de la Côte d’Ivoire. Les entretiens réalisés sur le site ont permis de nous rendre compte que les populations locales ne portent aucun intérêt à ce patrimoine qui est mal connu et muet. Ces édifices, dans une certaine mesure représentent l’accomplissement de l’idéologie coloniale. De ce fait, les populations autochtones se montrent souvent indifférentes quant à la valorisation de ces bâtiments.

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Ce silence se voit aussi par le manque d’attention des autorités, il ne paraît pas assez important pour susciter l’intérêt de l’Etat. Ainsi, ces bâtisses dans leur ensemble ne bénéficient pas d’un traitement adéquat. Ils sont tous dans un état de délabrement avancé et une grande partie est tombée en ruine (cf. Photo n°3).

Photo n°3 : Bâtiments en ruine L’ancienne boulangerie de Bingerville

Photos : SANGARE Zaïnab Habitation datant de la colonisation L’ancienne boulangerie et l’habitation en ruine sont les propriétés privées appartenant à la famille Blarchon appellation de deux quartiers de la ville (Blarchon A et B). Ces bâtiments sont dans un état de ruine (les revêtements des murs s’effritent, les toitures sont fortement dégradées, les menuiseries manquent par endroit) (cf. Photo n°4).

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Photo n°4 : Vue de l’ancien habitat des fonctionnaires et dépendance dans l’arrière-cour du bâtiment Photos : SANGARE Zaïnab Le bâtiment et la dépendance, servaient de logement pour les fonctionnaires pendant la colonisation. Par manque d’entretien, il présente des dégradations au niveau du revêtement, de la menuiserie et de la toiture en tuile protégé par du plastique par endroit pour empêcher l’infiltration de l’eau de pluie à l’intérieur du bâtiment. L’ancien site du Bac d’Eloka (cf. Photo n°5) laissé à l’abandon et ne subissant aucun entretien est encore en bon état bien que les végétaux soient présents aux alentours du vestige.

Photo n°5 : Les vestiges du débarcadère du site d’Eloka Photos : ETIEN N’doua Etienne

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Le site du Centre National de Recherche Agronomique (CNRA) est un exemple de cet abandon (cf. Photo n°6). Par manque d’entretien régulier, la saleté s’accumule sur toutes les façades du laboratoire de chimie technologie du CNRA. Le revêtement des murs s’effrite, les fenêtres en vitre sont remplacées par des planches par endroit et les deux bâtiments annexes sont en état de ruine.

Photo n°6 : Façade principale du CNRA et de bâtiments annexes Photos : ETIEN N’doua Etienne Outre ce manque d’entretien, la voie qui y mène est impraticable. Ce chemin fait la jonction entre le centre et le quartier Gbagba (zone habité par la population noire pendant la colonisation).

CONCLUSION

Lorsque le colonisateur s’installe définitivement à Adjamé-Santey, il décide d’utiliser ses propres technologies et les usages de son pays d’origine. C’est le moment clé de l’histoire des colonies, celui de la fin des expériences et du passage à l’établissement définitif qui entraîne le besoin des maisons confortables, apte à représenter le statut social. En effet, plusieurs villes en Afrique sont d’origine

48 Revue Africaine d’Anthropologie, Nyansa-Pô, N°24- 2017 bingerville - ville coloniale : reflexion autour de la... coloniale. Bingerville, la deuxième capitale de la Côte d’Ivoire, en est une. L’architecture des habitats coloniaux a constitué de véritables révolutions dans les constructions. C’est l’héritage reçu par les Etats africains, autrefois colonies devenues indépendants. Cependant, vu les circonstances de sa création, Bingerville n’assumera que temporairement sa fonction de ville coloniale administrative. En dépit de ses attributs administratifs, la ville ne dispose pas d’atouts pouvant faire d’elle un centre économique de première importance où peut se développer une activité commerciale florissante. Par conséquent, après le transfert de la capitale à Abidjan, et le départ de l’administration coloniale française, Bingerville perdit son prestige et resta ainsi plongée dans l’oubli au point de perdre l’héritage architectural que lui a laissé malgré tout, le passage du colon sur son site.

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