Bull. mycol. bot. Dauphiné-Savoie - n° 224 (2017 / p. 19-29

Deux récoltes françaises d’une espèce tropicale : R. Heim

Robert CAZENAVE*

—— Résumé Favolaschia calocera R. Heim, espèce d’origine tropicale, a été récoltée en 2015 dans deux lo ca - lités du sud-ouest de la France, en Béarn le 19 octobre et en Gironde le 12 décembre. Ces observations, apparemment les premières pour la France, font suite à de nombreuses autres réalisées dans plusieurs pays européens durant ces dernières années. L’introduction de cette espèce dans nos régions est de toute évidence d’origine humaine et accidentelle. La disparité et l’éloignement des divers foyers semblent montrer que l’on a affaire à des introductions mul - tiples. Le succès de ces naturalisations pourrait être dû à un fort pouvoir d’adaptation de ce champignon. Reste à savoir si F. calocera est capable de s’implanter durablement, voire de s’étendre, et quel danger elle pourrait présenter pour nos espèces locales.

—— Abstract Favolaschia calocera R. Heim, a species of tropical origin, was collected in 2015 in two localities of Southwestern France, in Béarn on 19th October and in Gironde on 12th December. These col - lections, apparently the first recorded in France, follow many others made in several European countries in the recent years. The introduction of this species in our regions has obviously a human and accidental origin. The disparity and the remoteness of the different populations suggest, there were multiple introductions. The success of these naturalizations could be ex plained by the strong power of adaptation of this species. It remains to see if F. calocera is able to settle permanently, even spread, and if it may endanger local species.

—— Mots-clés Adaptation, biodiversité, chorologie, épigénétique, espèce exotique envahissante ; Favola - schiaceae ou ; pantropical ; poré.

Introduction ......

Au cours d’une prospection mycolo - moins une première pour moi, peut- gique en Béarn, j’ai eu la surprise de être une première pour la région ! faire une très belle découverte. Mon Quand je l’ai eue en main, je pus regard a été attiré au loin par la cou - dé couvrir le caractère le plus frap - leur spectaculaire, d’un bel orange pant de cette espèce : l’hyménium e

i vif, d’une dizaine de basidiomes non pas lamellé mais composé de g co lonisant une branchette tombée pores amples et anguleux ressem - o

l au sol. Au fur et à mesure que je blant à un nid d’abeilles. Cette par -

o m’approchais, je réalisais que cette ticularité me permit de trouver c espèce était une rareté, pour le rapidement l’identité de cette y

M * 16, chemin Barrère, 64110 Laroin – [email protected]

19 es pèce : Favolaschia calocera R. Heim, Position systématique ...... es pèce pantropicale ( HeiM , 1945) ! J’appre - nais quelques semaines plus tard que Le genre Favolaschia est classé dans la mon ami Jacques Beck Ceccaldi avait fait fa mille des Mycenaceae ou pour certains la même découverte près de chez lui en auteurs dans la famille voisine des Favola - Gironde. schiaceae en raison de l’hyménium po roïde ( SinGeR , 1974). il s’agit d’espèces Matériel et méthode ...... saprophytes de la zone pantropicale à tempérée chaude ( HeiM , 1945).

Les spécimens décrits sont ceux récoltés à Artiguelouve, le 19 octobre 2015, en s’ap - Étymologie ...... puyant sur les basidiomes trouvés ce jour- là, mais aussi sur les repousses observées Le nom scientifique fait référence à ses quelques semaines plus tard sur le même éléments caractéristiques : Laschia est un support mis en culture. Les observations genre nommé d’après Wilhelm Gottfried microscopiques ont été réalisées sur le Lasch (mycologue allemand du début du matériel frais et sur exsiccata , dans l’eau, e le rouge congo ammoniacal et dans une xix siècle) dans lequel de nombreuses solution aqueuse de KOH à 3 %. es pèces similaires ont été initialement as signées ; « fav » de faveolatus , signifiant finement jaunissants ; « calo » du grec calo Récoltes françaises ...... (adjectif), « beau », et « cera » (adjectif du latin), « cire-or » (jaune comme de la cire). – en Béarn : la première récolte française a été effectuée dans les Pyrénées-Atlan - Description ...... tiques, le 19 octobre 2015, à Artiguelouve (altitude 160 m). Une branchette d’une vingtaine de centimètres de longueur et Basidiomes d’abord constitués d’un pied d’une douzaine de millimètres de diamè - qui s’allonge avant qu’un chapeau ne se tre, comptait une dizaine de basidiomes développe par la suite à son extrémité, de d’une belle couleur orangée (voir photos 1 couleur uniforme, jaune au début, puis et 2). Trouvée au milieu d’une cépée de orange vif à brun jaunâtre. noisetiers, cette branchette semblait tou - Chapeau réniforme pouvant atteindre tefois être tombée d’un chêne tout 20 mm de diamètre, très mince, fixé laté - proche. ralement sur le pied. Surface damée de – en Gironde : la deuxième découverte a bosselures laissant deviner les larges été faite dans un petit parc public en plein pores sous-jacents. Marge dentelée égale - centre de Lormont, tout près de Bordeaux, ment du fait des pores marginaux. Hymé - en Gironde. C’est Jacques Beck Ceccaldi, nium poré, concolore. Pores d’abord mycologue habitant cette ville, qui l’a faite, ronds à subovales de 0,3 à 2,5 mm de en soulevant un vieux tas de feuilles laissé large, disposés presque exclusivement sur en place. Une branchette décortiquée et un arrangement hexagonal (en nid en décomposition avancée, de 2 cm de d’abeille). Le dissépiment 1 s’amincit au fur diamètre sur une dizaine de centimètres et à mesure de la croissance du basidiome de long, portait une vingtaine de basi - et les pores deviennent de plus en plus diomes assez âgés et un peu gélatineux, po lygonaux. ils sont plus étirés près du de couleur jaune orangé. Le parc est pied et également vers la marge où ils planté principalement de chênes et de lau - peuvent être plus petits, incomplets ou riers, mais s’y trouvent aussi des érables, complexes. nombre de pores entre 80 et des charmes, des robiniers et quelques 140 par basidiome sur les exemplaires cè dres. La nature de la branchette n’a pas ré coltés. Pied latéral, légèrement atténué pu être déterminée avec certitude. il est de haut en bas, de 0,8 à 2,5 mm de diamè - probable qu’il s’agisse de chêne. tre et jusqu’à 15 mm de long. Dans la

1 Cloison séparant les pores.

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Photo 1 — Spécimens récoltés à Artiguelouve (Pyrénées-Atlantiques) . Détail de la surface piléique. Photo : R. Cazenave

Photo 2 — Spécimens récoltés à Artiguelouve (Pyrénées-Atlantiques ). Détail de la surface porée. Photo : R. Cazenave

21 litté rature, il est signalé que le pied peut ta tion de F. calocera sur ce dernier (environ être pratiquement inexistant pour des -30 millions d’années). La deuxième hypo - ba sidiomes poussant en dessous du sup - thèse ( ADeLAAR , 1995 ; BURney et al ., 2004 ; port. Surface du pied finement feutrée de HURLeS et al. , 2005) est plutôt en fa veur blanchâtre, tout comme la bordure des d’une introduction d’origine hu maine, pores qui apparaît pruineuse. donc beaucoup plus récente, et dans l’au - L’ hyménium tapisse les pores dont les tre sens... en effet, des gros flux migra - bords sont couverts de gloéocystides cla - toires humains auraient eu lieu dep uis viformes, de 25 µm de diamètre et de plus l’Asie du Sud-est vers , entre le de 60 µm de longueur, à contenu huileux troisième et le sixième siècle. C’est dans la et fortement jaunâtre à maturité. Système molécule d’ADn de cette espèce que se d’hyphes monomitiques, non bouclées. trouve certainement la réponse, l’horloge Cheilocystides hyalines, légèrement cla - moléculaire pouvant nous révéler quelle vées, 30–50 × 8–12 µm, et échinulées sur souche est la plus ancienne… Mais lais - les deux tiers supérieurs. Basides bispo - sons ces histoires antiques pour nous riques, non bouclées, 28–35 × 8–10 µm, in téresser à des propagations de F. calo - clavées, et portant des stérigmates longs cera bien plus récentes. de 8–14 µm. Spores (très rares, les basi - diomes n’ayant pas atteint leur maturité Introduction océanienne et africaine totale) hyalines, 9–12 × 5–7 µm, ellip - C’est en 1969 que F. calocera est enregis - soïdes à ovoïdes, mono-guttulées et lisses. trée en nouvelle-Zélande ( JOHnSTOn & L’organisation en palissade, serrée, de l’hy - BUCHAnAn , 1998), où elle est maintenant ménium et la présence dans toutes les largement répandue et même envahis - parties d’une matière visqueuse et très sante dans l’île du nord, à climat subtropi - peu translucide, rendent les observations cal, et dans presque toute l’île du Sud difficiles. pourtant plus tempérée. Cette espèce apparaît en 1994 sur l’île de norfolk, puis en 2004 en Australie, aux Origine et introductions ...... alentours de Brisbane et de Melbourne où elle devient maintenant de plus en plus commune (source : Atlas Of Living Aire d’origine http://bie.ala.org.au/species/5889e917- Favolaschia calocera est vraisemblable - c387-41a2-a75d-fb400f66f09b, page consul - ment originaire de Madagascar où on la tée le 20/04/2016). On l’a également signa - trouve après le début de la période des lée en 2009, en plein Pacifique, à Hawaï pluies, mais cette espèce est présente éga - (source : shiitake http://www. lement dans le sud-est de l’Asie (Chine, ha waiishiitake.com/Ahualoa.html, page Thaïlande, Vietnam…). La grande variabi - consultée le 25/07/2016). lité génétique observée sur des échan - Favolaschia calocera est aussi présente en tillons issus de ces deux aires donne à Afrique, notamment au , sur l’île de penser que Favolaschia y est implantée la Réunion ( ViZZini et al ., 2008), en Tanzanie de puis très longtemps ( JOHnSTOn et al ., (POLAnCOS , 2012), au Burundi ( DeGReef , 2006). La distance séparant ces deux 2013), et en Afrique du Sud (source : site zones peut sembler étonnante. Deux « Mushroom Observer », consulté le hy pothèses ont été émises pour expliquer 20/05/2016). elle est aussi très abondante cette répartition. à (comm. pers. de Maurice Pelis - La première hypothèse ( MCLOUGHLin , 2001 ; sier). il serait intéressant de savoir si cha - DUCOUSSO et al ., 2004 ; SUBRAHMAnyAM & cun de ces sites africains fait partie de CHAnD , 2006) considère que F. calocera l’aire d’origine de F. calocera ou d’invasion était déjà présente sur le super-continent récente. Gondwana alors que l’inde était encore en contact ou proche de Madagascar (envi - Introduction européenne ron -80 millions d’années). Au début du L’expansion de Favolaschia calocera ne s’ar - tertiaire, la plaque indienne a dérivé rête pas là, puisque l'espèce s'est implan - jusqu’à entrer en collision avec la plaque tée en europe. La première découverte est eurasienne, permettant ainsi l’implan- faite en 1999 en italie, à Gênes ( ViZZini

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et al. , 2008). elle a été retrouvée les De bonnes capacités d’implantation an nées suivantes sur de nombreux sites De toute évidence, F. calocera semble avoir alentour (entre 2 et 17 km), laissant sup - des facilités d’implantation et d’adaptation poser une dissémination sporale. en 2013, sur de nouveaux territoires. Ceci est dû à elle a été retrouvée plus au nord dans les plusieurs particularités relatives à son éco - provinces de Varese et de Côme ( CeRVini & logie et à son mode de reproduction. ViZZini , 2014). Certes, il ne s’agit pas de caractéristiques en 2006, c’est le tour de l’espagne, près de uniques dans le règne fongique, mais leur Gijón dans les Asturies ( MenenDeZ VALDeRRey association lui donne certainement des et al ., 2009), puis en 2013, aux alentours avantages sur ses concurrents éventuels. d’Amirrio-Alava ( OLARZABAL , 2015) et en On peut déjà noter son « polyphagisme ». Ga licie sur l’île de Cortegada la même en effet, cette espèce saprophyte pousse sur une très large gamme de supports année ( AinSWORTH et al. , 2015). li gneux dans son aire naturelle, et il sem - Le Royaume-Uni révèle également deux ble qu’elle puisse s’adapter à de nouvelles localités, à enys en Cornouailles, en 2012, essences très facilement. Ainsi, on l’a trou - puis près de Paignton, en 2014 ( AinSWORTH vée en europe sur des hôtes très diffé - et al. , 2015). rents comme l’ajonc d’europe (Ulex Deux sites sont également découverts au europaeus) , le robinier (Robinia pseudoaca - Portugal, près de Braga, en 2014 et 2015 cia) en espagne et en Suisse, le sureau noir (source : site « Mushroom Observer », (Sambucus nigra) en espagne et apparem - consulté le 20/05/ 2016). ment le chêne (Quercus) en france. en ita - en 2015, année très chaude, F. calocera lie, où au moins six sites ont été répertoriés ap paraît de nouveau dans nombreux de autour de Gênes, il a été repéré sur de très ces derniers sites et est signalée pour la nombreux supports : ptéridophytes, coni - première fois en Suisse, dans le Tessin, sur fères, monocotylédones et dicotylédones les communes de Pura, le 18 septembre et (ViZZini et al ., 2008). Ce polyphagisme faci - de Gentilino, le 4 octobre ( SPineLLi , 2015). lite bien sûr l’acclimatation et la possibilité et pour finir, l’espèce est également dé - d’expansion de F. calocera. couverte sur les deux sites français décrits Autre caractéristique, cette espèce est plus haut. ho mothallique ( JOHnSTOn et al. , 2006), c’est-

Année d’apparition de Favolaschia calocera sur les divers sites européens.

23 à-dire qu’elle est capable de produire des veaux cordonnets…). La prolifération des basidiomes sur un mycélium primaire, espèces par expansion du mycélium n’est une sorte de parthénogénèse. Ainsi, une pas une rareté, mais ce qui est remarqua - seule spore suffit pour faire apparaître ble, dans ce cas, est que la propagation toute une colonie sur une nouvelle zone. s’est produite entre des bouts de bois Bien sûr, ce mode de reproduction dis tants de plus de 10 mm, par l’inter- asexué, qui ne permet pas le brassage des médiaire de cordonnets mycéliens génomes, est anti-évolutif, mais F. calocera « aé riens » ! (Voir photo 4). Cette caracté - est loin d’être en manque de capacité ristique, si elle est vérifiée, permettrait d’adaptation ! donc une diffusion rapide de l’espèce par Pour preuve, la concurrence dans ces approche de support en support plus ou mi lieux d’origine l’a conduite à produire moins distants entre eux lui assurant une des substances fongicides telles que stro - bonne pérennité. bilurines, oudemansines ( niCHOLAS et al., 1997 ; SAUTeR et al. , 1999 ; BARTLeTT et al . 2002), favolon ( AnKe et al ., 1995), laschia - Discussion ...... tron ( AnKe et al ., 2004). Ainsi, les espèces rivales sont éliminées ou pour le moins li mitées dans leur expansion. Cette pro - Origine de ces émergences priété pourrait être très inquiétante pour L’apparition de F. calocera sur de si nom - nos espèces saprophytes indigènes. Des breux sites européens en à peine une quinzaine d’années est surprenante. Quel études menées en laboratoire ( JOHnSTOn et al. , 2006) semblent pourtant montrer que bouleversement a pu favoriser l’apparition F. calocera n’est pas très concurrentielle de cette espèce ? vis-à-vis des autres espèces de son milieu nous pouvons tout d’abord imaginer que d’origine, mais en sera-t-il de même avec des spores aient pu être transportées par nos espèces européennes ? des vents depuis les pays d’origine. Cela enfin, une dernière particularité de cette paraît peu vraisemblable au vu des dis - espèce est son mode de propagation tances à parcourir, et même si cela était my célien. nous avons pu découvrir cette vrai, pourquoi le phénomène ne se serait- aptitude lors d’une expérimentation que il pas produit auparavant ? Plus raisonna - nous avons pratiquée sur les échantillons blement on pourrait penser à une récoltés en forêt d’Artiguelouve. nous introduction humaine accidentelle aux avons placé les morceaux de la branche alentours de Gênes, en 1999, puis une dis - sur laquelle avait poussé F. calocera dans sémination par voie sporale sur les autres des boîtes fermant hermétiquement avec sites. Si cette hypothèse semble tout à fait une bonne humidité. Dans un premier plausible en ce qui concerne le site situé temps, nous avons observé une nouvelle dans les provinces de Varèse et de Côme pousse au bout d’un mois environ (voir et les deux sites du Tessin tout proches, photo 3). Après la disparition des basi - elle paraît assez incertaine pour ceux de diomes, nous avons placé dans les boîtes Cornouailles, d’espagne ou du Portugal. des branchettes de chêne mort et non De plus, l’analyse des sites européens contaminées par F. calocera . en une ving - montre que l’apparition de cette espèce taine de jours, sous une humidité suffi - n’a pu se faire au hasard d’une dissémina - sante et à une température située entre tion sporale, la situation de plusieurs d’en - 17 et 20 °C, des cordonnets mycéliens se tre eux semblant présenter quelques sont formés, de toute évidence ceux de similitudes. F. calocera . en effet, de couleur blanchâtre, nous constatons par exemple que plusieurs ces cordonnets présentaient par endroits de ces sites sont proches d’un port mar - des tonalités jaunes à orangées rappelant chand. C’est le cas pour Gênes en italie, l’île les pigments des basidiomes de cette de Cortegada (proche du port de Vilagarcia), es pèce. Une vérification par analyse mo lé - ainsi que Gijón en espagne, pour enys culaire s’est pourtant soldée par un échec, (proche du port de falmouth) en An gle - les cordonnets étant certainement pollués terre, ou encore pour Lormont en Gi ronde par une autre espèce (une seconde ana - où le lieu de récolte se trouve à 800 m des lyse sera réalisée après obtention de nou - quais de déchargement borde lais.

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Photo 3 — Spécimens récoltés à Artiguelouve (Pyrénées-Atlantiques) . Repousse obtenue en laboratoire. Photo : R. Cazenave

Photo 4 — Mycélium se propageant depuis la branchette centrale (ayant produit des ba sidiomes de F. calocera ) vers deux branchettes latérales de chêne non contaminées. Photo : R. Cazenave

25 Les importations de marchandises pour - L’Agence européenne pour l’environne - raient donc être mises en cause, à l’instar ment précise que de 2002 à 2011, la tem - des frelons asiatiques venus en france pérature du sol a augmenté de 1,3 °C par dans des cartons de poteries chinoises. À rapport à la moyenne de l’ère préindus - proximité du site italien, une entreprise de trielle (source : eeA report n° 12/2012). négoce de bois exotique semble en rela - Ainsi, cette élévation, pourtant inquié - tion avec cette introduction ( ViZZini et al ., tante, semble négligeable par rapport à 2008). La présence de cette espèce sur l’île l’écart de température moyenne annuelle de Cortegada en espagne serait aussi liée entre les localités anglaises et italiennes à des importations de bois exotique qui est de l’ordre de 5 °C. De plus, que dé barqué dans le port de Vilagarcia tout peut peser une augmentation de 1,3 °C proche (source : http://www.lavozdegali - lorsque les températures des aires d’ori - cia.es/noticia/pontevedra/2013/12/29/ja - gine de F. calocera sont au moins de 10 °C balies-arrasan-riqueza-micologica-unica- supérieures à celles de l’europe. cortegada/0003_201312P29C8991.htm nous remarquerons toutefois que, parmi page consultée le 28/07/2016). C’est éga - les zones d’apparition de cette espèce, la lement le cas pour le port de Bordeaux qui nouvelle-Zélande fait un peu exception a, entre autres, comme spécialité ce type avec un climat beaucoup plus tempéré, et de marchandises. des températures tout à fait comparables en Béarn, le site où a été découvert F. ca - à celles de la zone européenne, surtout locera se trouve loin de tout port mar - dans l’île du Sud. chand, mais il se situe à quelques Ceci nous amène à une dernière hypo - centaines de mètres d’une entreprise éga - thèse. et si le changement venait de l’es - lement spécialisée dans l’import-export de pèce elle-même ? nous sommes peut-être bois. Certes, le bois présent sur ce site en présence d’une souche qui a réussi à n’est pas d’origine tropicale, mais les s’adapter à des températures plus basses. conteneurs utilisés font régulièrement le Lorsqu’une espèce se retrouve dans un tour de la planète. environnement qui n’est pas le sien, elle L’introduction de plantes exotiques dans est confrontée à des paramètres inhabi - nos contrées peut aussi être un vecteur tuels qui la mettent en danger. Le stress d’envahissement. C’est peut-être le cas du engendré par cette situation peut favori - site de Gijón en espagne qui est un jardin ser des processus adaptatifs particuliers botanique ( MenenDeZ VALDeRRey et al. , 2009 ; (P éReZ et al ., 2006). POLAnCOS , 2012), ou à enys en Cornouailles Des mutations génétiques dites « muta - où les découvertes ont été faites à proxi - tions adaptatives » sont par exemple am - mité d’un jardin d’ornement comportant plifiées, permettant ainsi à l’espèce de de nombreuses espèces originaires de trouver un caractère pouvant favoriser sa nouvelle-Zélande ( AinSWORTH et al. , 2015). survie. Les importations de bois, de plantes exo - Une adaptation dite « épigénétique » est tiques ou de marchandises diverses ne également possible. Ainsi, dans tout orga - sont pourtant pas une nouveauté. Voilà nisme vivant, des processus assurent une des siècles que F. calocera aurait eu l’occa - régulation de l’expression des gènes, c’est- sion de s’introduire sur nos terres par ce à-dire qu’avec un ADn identique, deux po - vecteur. Quel changement a donc pu favo - pulations peuvent être légèrement riser son émergence récente ? différentes parce qu’elles n’utilisent pas Bien sûr, tout le monde pense alors au leur génome de la même façon ( SAMSOn , ré chauffement climatique ! La montée des 2013). Des modifications dans ces proces - températures, plus favorables à l’espèce, sus peuvent donc permettre à l’espèce de serait donc à l’origine de la réussite de son s’acclimater à un nouveau milieu de vie, implantation récente. Cette hypothèse pour peu, bien sûr, que le génome semble pourtant peu défendable. en effet, contienne les réponses appropriées. l’augmentation des températures sur les Ces deux types d’adaptation paraissent quinze dernières années en europe reste des atouts majeurs pour l’implantation de faible si on la compare aux différences de certaines espèces exogènes qui devien - température des divers sites où est ap - nent envahissantes ( PéReZ et al ., 2006). Une paru F. calocera . souche de Favolaschia calocera aurait donc

26 Bull. mycol. bot. Dauphiné-Savoie - n° 224 (2017) / p. 19-29 trouvé des solutions lui permettant par la présence humaine et où les espèces désor mais de s’installer dans des régions indigènes ne sont pas vraiment installées, plus tempérées. donc des niches écologiques disponibles Bien sûr, il ne s’agit là que d’une hypo - pour un nouvel arrivant. en Béarn, cela thèse, mais qui demande à être vérifiée. n’est pas vraiment le cas. La forêt où a été Une analyse moléculaire plus poussée trouvé F. calocera est assez « sauvage », et de vrait par exemple nous révéler de quel les espèces saproxyliques sont nom - pays chacune des souches européennes breuses et variées. est la plus proche. Les conséquences sur notre écosystème Ces analyses ont été déjà réalisées pour peuvent être multiples. Tout d’abord, F. ca - les récoltes provenant des alentours de locera peut occuper physiquement des Gênes ( ViZZini et al ., 2008) et de Cornouaille supports ligneux et ainsi empêcher l’ins - (AinSWORTH et al ., 2015) et ont confirmé leur tallation des espèces qui y sont présentes appartenance à la souche de nouvelle- normalement. D’autre part, les substances Zé lande, tout comme celles du Kenya, antifongiques libérées dans le bois pour - d’Australie et de l’île de la Réunion. La très raient avoir un effet néfaste sur nos faible variation génétique, accentuée par es pèces indigènes qui n’ont peut-être pas l’homothallisme de l’espèce, véritable clo - de réponse face à ces nouvelles agres - nage, prouve une origine commune à sions. Des études de compétitivité in vitro toutes ces populations. sur divers supports contaminés volontai - il serait donc possible que la nouvelle- rement pourraient mettre en valeur le Zé lande soit le berceau de cette souche degré de résistance de nos espèces face à climatiquement plus tolérante, source de F. calocera . toutes les invasions… notre biodiversité fongique pourrait donc en être affectée. Les recherches sur les Les risques pour l’avenir conséquences de l’introduction de cham - Bien sûr, il n’est pas certain que F. calocera pignons sont rares, hormis pour celles soit installée définitivement en Béarn ou en concernant des champignons pathogènes, Gironde. La retrouvera-t-on sur les mêmes sur plantes (graphiose de l’orme, chancre localités les années suivantes, ou un hiver du châtaignier…) ou sur animaux (infec - rigoureux sera-t-il capable de l’éradi- tions graves sur des populations d’écre - quer totalement de nos régions ? visses et de batraciens…). il est encore un peu tôt pour parler d’eee 2 Les espèces envahissantes font partie des pour notre région. Toutefois, sur la plupart menaces les plus graves sur notre biodi - des sites européens déjà répertoriés, l’es - versité ( PiMenTeL et al. , 2000 ; RiCCiARDi & pèce semble persister sur les mêmes loca - ATKinSOn , 2004). De multiples actions de lités et même se propager sur de nouveaux re censement pour l’ensemble des eee sites aux alentours, d’année en année. sont en cours. Citons par exemple le projet L’absence de ses concurrents ou ennemis européen DAiSie (Delivering Alien invasive naturels pourrait aussi lui permettre de Species inventories in europe) qui a enre - proliférer, comme c’est d’ailleurs le cas en gistré plus de 10 000 espèces exogènes en nouvelle-Zélande. en effet, F. calocera est europe, et la base de données mondiales très abondante dans ce pays et considé - GiSD (Global invasive Species Database) rée même comme une espèce envahis - développée par un groupe de spécialistes sante, alors qu’elle est paradoxalement (GSee) de l’Union internationale pour la très peu répandue à Madagascar, pays conservation de la nature (UiCn). d’origine ( BUyCK et al ., 1998). Le nombre d’apparitions en europe de Certes, il s’agit d’une belle espèce et ce F. calocera sur les trois ou quatre dernières sera toujours un émerveillement pour années est en pleine progression. il est celui qui la découvrira, mais quel sera son fort probable que, dans les décennies à impact sur nos champignons indigènes ? venir, nous voyions le nombre de sites se D’après les auteurs italiens ( ViZZini et al . multiplier et que ce champignon devienne 2008), les sites découverts près de Gênes même dans certaines régions, une vérita - correspondraient à des milieux perturbés ble banalité…

2 espèce exotique envahissante, communément appelée « espèce invasive » par anglicisme.

27 Remerciements ...... DeGReef , J. 2013. — Rapport sur la formation sous régionale sur la mycologie en faveur des stagiaires de la République démocra - Je remercie tout d’abord les divers décou - tique du Congo, du Rwanda et du Burundi. vreurs européens de F. calocera que j’ai Site web : file:///C:/Users/toshiba/Down - contactés, pour les informations qu’ils ont loads/Rapport%20final%20micologie%20 bien voulu me transmettre sur leurs (1).pdf (page consultée le 05/04/2016). ré coltes ainsi que les publications corres - DUCOUSSO , M., B e’nA , G., B OURGeOiS , C., B UyCK , pondantes, et notamment Jacques Beck- B., e ySSARTieR , G., V inCeLeTTe , M., R ABeVOHiTRA , Ceccaldi pour ses notes et descriptions R., R AnDRiHASiPARA , L., D ReyfUS , B. & P Rin , y. microscopiques relatives à ses récoltes. 2004. — The last common ancestor of Sar - Je remercie aussi Anne favel et toute colaenaceae and Asian dipterocarp trees l’équipe du CiRM (Biodiversité et biotech - was ectomycorrhizal before the -Ma - nologie fongiques inRA/AMU Polytech dagascar separation, about 88 million Marseille) pour l’analyse moléculaire years ago. Molecular Ecology , 13, p. 231- réa lisée. 236. et pour terminer, je voudrais surtout eeA Report 12/2012. — Climate change, im - re mercier Gilles Corriol et Jacques pacts and vulnerability in europe, 2012, p. 56. Guin berteau pour la relecture de cet arti - HeiM , R. (1945). — Les agarics tropicaux à hy - cle et leurs précieux conseils. ménium tubulé. Revue de mycologie , 10, p. 1-64. HURLeS , M. e., S yKeS , B. C., J OBLinG , M. A. & f ORS - Bibliographie ...... TeR , P. 2005. — The dual origin of the Mala - gasy in island Southeast Asia and east Africa: evidence from maternal and pater - ADeLAAR , A . 1995. — Asian roots of the Mala - nal lineages. The American Journal of gasy: a linguistic perspective. Bijdragen tot human genetics , 76, p. 894-901. de Taal-Land en Volkenkunde , 151, p. 325–356. JOHnSTOn , P. R. & B UCHAnAn , P. 1998. — fungal AinSWORTH , A. M., f ARLey , D., P ennA , P. M. & S UZ , invaders. Australasian Mycological Newslet - L. 2015. — invasion of the Orange Ping- ter , 17, p. 48-52. Pong Bats: the rapidly changing distribu - JOHnSTOn , P. R., W HiTTOn , S. R., B UCHAnAn , P. K., tion of Favolaschia calocera. Field PARK , D., P ennyCOOK , S. R., J OHnSOn , J. e. & Mycology , 16 (4), p. 113-120. MOnCALVO , J. M. 2006. — The basidiomycete AnKe , T., W eRLe , A, Z APf , S., V eLTen , R. & S TeGLiCH , genus Favolaschia in . New W. 1995. — Favolon , a new antifungal tri - Zealand Journal of Botany , 44 (1), p. 65 -87. terpenoid from a Favolaschia species. Jour - KeTTeRinG , M., S TeRneR , O., A nKe , T. 2004. — An - nal of Antibiotics , 48 (7), p. 725-726. tibiotics in the chemical communication of AnKe , T., W eRLe , A., K APPe , R. B. & S TeRneR , O. fungi. Zeitschrift für Naturforschung C , 59, p. 2004. — Laschiatrion , a new antifungal agent from a Favolaschia species (Basidio - 816-823. mycetes) active against human pathogens. MenénDeZ VALDeRRey , J. L. & R UBiO DOMinGUeZ , e. Journal of Antibiotics , 57 (8), p. 496-501. 2009. — Favolaschia calocera R. Heim BARTLeTT , D. W., C LOUGH , J. M., G ODWin , J. R., http://www.asturnatura.com/especie/favo - HALL , A. A., H AMeR , M. & P ARR -D OBRZAnSKi , B . laschia-calocera.html (page consultée le 2002. — The strobilurin fungicides. Pest 20/04/2016). Management Science , 58 (7), p. 649-662. MCLOUGHLin , S. 2001. — The breakup history BURney , D. A., B URney , L. P., G ODfRey , L. R., J Un - of Gondwana and its impact on pre-Ceno - GeRS , W. L., G OODMAn , S. M., W RiGHT , H. T. & zoic floristic provincialism. Australian Jour - JULL , A. J. 2004. — A chronology for late pre - nal of Botany , 49, p. 271-300. historic Madagascar. Journal of human evo - niCHOLAS , G. M., B LUnT , J. W., C OLe , A. L. J. & lution , 47 (1–2), p. 25-63. MUnRO , M. H. G. 1997. — investigation of BUyCK , B., e ySSARTieR , G. & D UHeM , B. 1998. — the new Zealand basidiomycete Favola - Contribution à un inventaire mycologique schia calocera : revision of the structures of de Madagascar i. Bulletin de la Société my - 9- methoxystrobilurins K and L, strobilurin cologique de France, 114 (1), p. 33-38. D, and hydroxy strobilurin D. Tetrahedron DAiSie — Delivering Alien invasive Species Letters , 38 (42), p. 7465–7468. in ventories for europe. Site web OLARZABAL , A. 2015. — Amurrio huele a http://www.europe-aliens.org/ ; (page setas—noticias de Alavan—2 novembre consultée le 20/04/2016). 2015.

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