Table ronde autour de Georges Bouillon

Hommage rendu à l’humaniste à l’occasion du centenaire de sa naissance

à la bibliothèque de , le 14 juin 2015

La reproduction de la célébration sur CDs, le livret du sommaire des disques et les jaquettes du boitier ont été réalisés par Jean-Luc Geoffroy.

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Les photographies des intervenants ont été prises par le Service du Livre Luxembourgeois.

AVANT-LIRE

Le dimanche 14 juin 2015, Georges Bouillon, pionnier de l’animation littéraire, éditeur et responsable de revue littéraire, aurait eu 100 ans.

Aujourd’hui encore, l’homme semble ne laisser personne indifférent et avoir marqué les esprits de tous ceux qui l’ont rencontré.

À l’occasion du centenaire de sa naissance, le Service du Livre Luxembourgeois a souhaité lui rendre hommage à la bibliothèque de Virton, opportunité aussi pour les éditions Memory de sortir un inédit de textes de l’humaniste, rassemblés par Claude Raucy.

Des artistes, présentés par Georges Bouillon à La Glycine, ont exposé en la mémoire de ce dernier, une de leurs œuvres à la bibliothèque de Virton, du 10 au 30 juin 2015.

La 4e de couverture du présent livre regroupe quelques œuvres picturales présentées durant cette période, provenant des collections du Musée Gaumais et du Centre d’Interprétation d’Art de Vresse. De haut en bas et de gauche à droite, il s’agit d’œuvres de : Camille Bathélemy, Marie Howet, Marguerite Brouhon, Ernest Bernardy, Jean Godart, Jeanne Portenart, Marcel Hubert, Johnny Schuddeboom, Albert Raty et Jean Lejour.

Le 14 juin 2015, une table ronde a réuni des proches ou des spécialistes de Georges Bouillon autour du modérateur Jean-Luc Geoffroy. Chacun des intervenants a pris la parole pour évoquer une facette de l’écrivain, de l’éditeur, du directeur de revue, du professeur. De l’homme…

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Accueil par François CULOT,

Maire de Virton

J’imagine que, cette après-midi, vous allez dresser à Georges Bouillon, ce monument qu’il mérite. Sa notoriété toutefois restant assez injustement discrète, ce ne sera sans doute pas un de ces édifices imposants qui envahissent parfois la Grand-Place d’une cité, mais plutôt une construction plus sobre, ornant un square plein de charme, mais à l’écart des bruits de la ville.

Virton souhaite apporter sa pierre à cette reconnaissance d’un homme. Et c’est tout naturel puisque c’est ici, en notre Gaume, qu’il a si parfaitement honoré le verbe et l’écriture.

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Le verbe, entre autres par les cours de français qu’il a dispensés à l’Athénée royal avec une exigence et des jugements qui ont marqué des générations d’élèves.

Le verbe toujours lors de ses innombrables présentations d’artistes peintres ou sculpteurs, un peu partout, notamment à La Glycine, à Vresse-sur-, qui, à l’époque, était un haut-lieu de la Culture en .

Le verbe donc, mais aussi et avec abondance, l’écriture, par exemple par La Dryade, cette revue littéraire, si longtemps et si élégamment publiée aux Éditions Michel Frères à Virton et que, tout au long de ma jeunesse, je découvrais chez mes parents meublant une table basse à droite du grand divan, une revue dont Georges Bouillon fut le fondateur et l’animateur.

Chaque fois des pages garnies de nouvelles, de contes, de poèmes, d’articles que, jeune et vite impatient, je trouvais parfois un peu longuets (je me limitais souvent aux nouvelles de cinq ou six pages…), mais chaque fois aussi, quelle qualité de style et que de jeunes auteurs ainsi révélés, qui lui doivent leur premier pas ! Une qualité que nous avons retrouvée plus tard dans cette tout aussi belle revue Pollen d’Azur, éditée, chez Michel Frères également, par Yvet Aubert et Georges Jacquemin.

Un être curieux de tout, mais aussi un être curieux à connaître et si volontiers à contre-courant d’idées reçues, portant par exemple et ouvertement, un jugement impertinent, ce qui ne se faisait guère, sur le comportement de certains militaires en mai 1940, lors de la campagne des 18 jours : « Tout le monde ne fut pas héroïque » écrivait-il…

Un Georges Bouillon sympathisant des amitiés belgo-soviétiques alors que ce n’était certes pas dans l’air du temps !

Tout cela et bien d’autres choses, c’est un Georges Bouillon que l’on peut se risquer à considérer comme une sorte de Voltaire gaumais.

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Tout comme le célèbre écrivain du 18e siècle, il était indésirable dans certains milieux. Tout comme Voltaire, il était un adversaire de l’intolérance et tout comme lui, il était un polémiste ardent, un de ces rebelles dont notre société a besoin.

J’en termine en remerciant les artisans d’une après-midi qui s’annonce enrichissante. Merci aux actrices et aux acteurs de notre Biblionef. Merci au Service Culturel de notre ville. Merci enfin au Service du Livre Luxembourgeois qui assure si bien à Bruxelles et en région wallonne, notre présence littéraire : celle d’un Luxembourg, terre maternelle et nourricière de tant de talents !

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Allocution par Patrick ADAM,

Député provincial en Charge de la Culture

Georges, si tu nous entends, nous l’avons fait ! Toi, qui luttais contre les dogmes, toi l’incroyant, toi le libre-exaministe : nous te rendons hommage dans une chapelle ! Que dis-tu de cela ? Toi qui aurais détesté que l’on te dresse un portrait lisse ; toi qui aimais le débat et la confrontation, c’est de bonne guerre, non ?

Georges Bouillon, né le 14 juin 1915, aurait eu, ce dimanche, jour pour jour… 100 ans et la Province de Luxembourg ne pouvait que marquer le coup : nous sommes en juin 1976. Élie Deworme, alors Député permanent, crée le Service du Livre Luxembourgeois au sein du Service des Affaires culturelles en soumettant sa mise sur pied 9 au Conseil provincial. Un Comité était alors chargé de proposer des activités pour ce SLL, comité dont Claude Raucy était le secrétaire et Guy Denis l’un des membres. Quant au Président de ce Comité, c’était un certain… Georges Bouillon. Ce Comité a été dissout au début de l’année 79, mais le SLL est toujours là, proactif et dynamique, pour proposer au quotidien des actions de promotion visant à mettre en valeur et faire connaître les auteurs de notre province.

Cet hommage est un juste retour des choses pour celui qui, toute sa vie, a présenté les œuvres des autres : présentateur d’artistes à la galerie de La Glycine, mais aussi éditeur, directeur de revue, écrivain, enseignant… Humaniste, bien entendu. Éveilleur de consciences, diront peut-être encore ses anciens élèves, que je devine parmi vous.

« Georges Bouillon, cet humaniste qui bouillonnait de culture », titrait le journaliste Dominique Zachary dans L’Avenir de ce lundi.

Oui, Georges Bouillon était un pionnier de l’animation culturelle en province, un homme aux goûts éclectiques, « Exigeant sur plus d’un point, oui ! Au point de mettre les points sur les i », et doté d’un légendaire franc-parler. On l’aime ou on l’exècre et c’est sans doute le trait commun des grands hommes. Un grand homme que nous célébrons aujourd’hui par le biais d’une table ronde interactive, durant laquelle des spécialistes éclaireront l’homme sous ses diverses facettes.

Cette célébration, coordonnée par la Province, via son Service du Livre Luxembourgeois, n’aurait pas pu voir le jour, sans tous les partenaires et amis qui se sont impliqués sans compter : la Ville de Virton, la bibliothèque, les artistes exposants, les Éditions Memory, la famille de Georges Bouillon et bien sûr, le groupe de travail.

Et je terminerai par un grand merci à chacun d’entre vous d’être là : anciens élèves, amis, connaissances et connaisseurs, voisins, lecteurs et autres curieux. Merci pour vos idées, votre implication,

10 votre énergie. Gageons que cette journée bouillonnera de souvenirs, éclairera les opinions et fédèrera autour de l’humaniste célébré.

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« Je suis gaumais », ballade de G. Bouillon

chantée par Jean-Luc GEOFFROY

(SUR UNE MUSIQUE DE JEAN-CLAUDE WATRIN)

Ainsi toujours faudrait se taire, Devant puissants toujours trembler !... Vassal ne puis, manant ne suis-je Né libre et seigneur de nos bois, Peu d'argent ai-je et bien moins d'or, Mais grande gueule1, à Dieu merci !

1 Référence au blason de Virton : les deux flèches croisées sont argentées (« peu d’argent ») ; seules les pointes sont dorées (« Et bien moins d’or ») ; 13

Je veux parler à qui me plaît ! Que voulez-vous ! – Je suis Gaumais !

Bouillant, rebelle, insociable, Mauvais coucheur, chantez-vous... Soit ! Mais ami du vrai, aussi franc Sur les lèvres que dans le coeur, Aux tartufes je crie : « Assez ! » Et aux petits tyrans : « Holà ! » J'aime à crier ce qu'il me plaît ! Que voulez-vous ! – Je suis Gaumais !

À vous les fats, pauvres pieds-plats, Messieurs les rois du bla-bla-bla, Oui, je le dis en bon français, Sans feinte et sans la moindre gêne, Tel qu'on fait entre Vire et Ton : « Merde trois fois et mangez-la ! » Je redis ça quand il me plaît ! Que voulez-vous ! – Je suis Gaumais !

Envoi Que toutes gens sachent ceci : Qu'il n'est vrai bec que Virtonnais ! Je parle donc comme il me plaît ! Que voulez-vous ! – Je suis Gaumais !

G. BOUILLON, Hymnes et ballades, L'Audiothèque la couleur rouge domine (en héraldique, « le gueules » est la couleur rouge). 14

Les vernissages de Georges Bouillon

par Jean-Pierre LAMBOT

Il m’a été demandé de vous entretenir quelque peu, cet après-midi, des vernissages d’expositions d’artistes auxquelles présidait Georges Bouillon, et spécialement en la galerie de La Glycine à Vresse-sur-Semois. D’emblée, je dois bien sûr indiquer que Georges Bouillon a présenté des vernissages en bien d’autres galeries d’art et salles d’exposition, que ce soit en province de Luxembourg, notamment à et à Virton (je songe particulièrement à la galerie Artvision), mais aussi ailleurs en Belgique et au Grand- Duché, ainsi que dans le département des . Orateur brillant mais également fin connaisseur de l’art et des artistes, il était normal que Georges Bouillon soit fort sollicité. En vérité, sauf peut-être dans les dernières années, je crois qu’il éprouvait du 15 plaisir à présenter des expositions. Son univers culturel mêlait étroitement l’art et la littérature. On se rappellera que sa maison était un véritable petit musée de l’art régional. Il y avait partout des peintures et des sculptures. Dans la salle de séjour, la bibliothèque et des rayonnages adjacents débordaient de volumineux livres d’art. Sa revue La Dryade, tout comme d’autres publications (par exemple son ouvrage intitulé Autres Portraits), faisaient une large place aux peintres et aux sculpteurs. D’ailleurs, il n’y avait rien d’étonnant à ce qu’un humaniste, féru de Renaissance et de Toscane, soit porté sur l’art.

C’est en réalisant un reportage sur un peintre (il s’agissait de Marcel Hubert) que Georges Bouillon découvrit, au milieu des années 50, le petit village de Vresse. Auparavant, il n’était jamais venu dans cette localité, et il ne connaissait pas du tout cette bourgade, sise dans la partie namuroise de la vallée de la Semois. Un des plus grands peintres de l’Ardenne y vivait déjà : Albert Raty, qui était arrivé de Bouillon durant l’entre-deux-guerres. Cependant, la principale rencontre qu’effectua Georges Bouillon, fut celle de José Chaidron, le patron de l’hôtel, « À la Glycine », un établissement réputé auprès d’une clientèle tant belge que française. Avec un troisième comparse, le père Bonaventure Fieullien, Georges Bouillon et José Chaidron se mirent en tête d’organiser des expositions mensuelles d’abord dans le salon et le bar de La Glycine, puis dans une véritable galerie d’art qui fut construite dans le prolongement de la salle de restaurant. Cette galerie allait fonctionner durant une quarantaine d’années, avec un succès qui ne se démentirait jamais.

En effet, le public de La Glycine était composé non seulement de la clientèle généralement aisée de l’hôtel et du restaurant, mais aussi de nombre d’amateurs d’art, d’amis et de connaissances des artistes qui exposaient. Il est vrai que José Chaidron savait s’y prendre. Les peintres étaient choyés, mais également les journalistes et les critiques d’art. Très vite, tant les journaux de la capitale que ceux de la province, firent de larges échos aux expositions de La Glycine, qui devint un lieu de passage

16 incontournable pour les peintres. Se retrouver aux cimaises de La Glycine fut rapidement fort recherché. Il est vrai aussi que les ventes que les artistes y effectuaient n’étaient pas négligeables. Sans doute l’ambiance de l’établissement contribuait à ce que les clients mettent aisément la main au portefeuille pour acquérir l’une ou l’autre œuvre. Il s’agissait d’ailleurs souvent d’un vrai petit investissement, car les prix demandés étaient à la hauteur de peintres de plus en plus renommés. Certaines expositions atteignirent des sommets artistiques, mais également financiers. À cet égard, il suffit de se rappeler celles d’Albert Raty et de Marie Howet. Une exposition inoubliable, elle-aussi, fut celle d’Yvonne Tellier sur le thème des moulins, durant laquelle pas moins de quatre-vingt tableaux furent vendus, pour des sommes qui n’étaient pas modestes.

En une quarantaine d’années, on peut donc considérer qu’il dut y avoir quelque quatre cent expositions à La Glycine. Le vernissage de chacune était une fête avec force : whisky, vin, jus, petits fours et petits gâteaux. Tout était en abondance et, on ne le ferait plus maintenant, maints conducteurs reprenaient le volant avec peine. Il y avait donc du monde et j’ai personnellement connu des vernissages où la foule se pressait sur la terrasse au dehors. Il y avait les visiteurs occasionnels mais surtout un groupe d’habitués, qui étaient sans doute des attitrés du bar de la galerie, mais qui étaient également des acheteurs réguliers. Tout ce monde-là se connaissait et savait s’amuser. On riait plus encore que ce que l’on pouvait boire. Mais tout cet amusement n’avait lieu qu’après la présentation de l’exposition, présentation qui constituait pour l’artiste du mois le moment fort du vernissage. Et c’est là qu’intervenait Georges Bouillon puisqu’il était le fidèle intervenant mensuel et qu’il était celui qui pouvait porter le peintre aux nues ou presque au désespoir. Ce rôle, il allait le jouer durant plus de trois cents vernissages. À ce nombre, on comprend l’importance des vernissages de La Glycine pour Georges Bouillon, mais aussi pour tous les artistes qu’il a présentés.

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Traditionnellement, les vernissages avaient lieu le premier dimanche du mois, vers 17 heures. C’est dans la matinée que Georges Bouillon et son épouse, Jeannot, quittaient leur maison de Vieux-Virton pour se rendre à Vresse. Il y en avait pour une heure et quart de trajet. Ils arrivaient à La Glycine vers midi. Cela commençait par les salutations à José Chaidron, tapi dans une cuisine d’où il ne sortait pas. Puis venait le temps de l’apéritif et de la rencontre avec l’artiste du mois. S’ensuivait le repas de midi qui pouvait rassembler plusieurs convives. Tandis que Georges Bouillon dominait les conversations, le peintre était gagné par l’inquiétude, surtout si le vin échauffait quelque peu les esprits et faisait monter le ton des débats à table. Alors, l’artiste, plein d’appréhension, se demandait si le présentateur, lors du vernissage proprement dit, serait particulièrement en verve et bien disposé à son égard. Le dîner pouvait durer une bonne partie de l’après-midi. Mais 17 heures approchaient. Les premiers invités au vernissage commençaient à emplir la galerie et le couloir qui y conduisait. Les principaux protagonistes se retrouvaient au milieu de la salle.

La présentation du peintre débutait sans trop de retard. Georges Bouillon prenait aussitôt la parole et, assez rapidement, pouvait communiquer son empathie ou sa réserve pour les œuvres exposées. Le peintre écoutait attentivement, car l’orateur ne pouvait pas cacher ce qu’il ressentait. En outre, il arrivait que Georges Bouillon se laisse aller à ce qu’il reconnaissait lui-même être des rosseries. Parfois, sans doute parce que l’exposition ne l’inspirait pas trop, il dérivait dans des digressions où il était plutôt question de lui que de l’artiste. Il aimait aussi évoquer les voyages qu’il venait d’entreprendre, notamment en Union soviétique, où il se rendait régulièrement. Mais alors, de derrière et de devant du bar, se manifestaient toutes sortes de réactions à l’égard de Georges Bouillon qui, je crois, n’appréciait guère ces interruptions intempestives. C’est d’ailleurs suite à l’une d’entre elles, qui l’avait vraiment blessé, qu’il décida un jour de ne plus présenter de peintres à La Glycine. Comme toujours, il tint parole, et on ne le vit plus jamais. Cela se passait tout à la fin des années 80. Ce faisant, il

18 ne réussit pas à gagner l’espèce de challenge qu’il s’était imposé. En effet, tout comme il avait été enseignant pendant 33 ans et comme il avait été directeur de sa revue La Dryade durant 33 ans aussi, il avait pensé présenter les vernissages de La Glycine pendant 33 ans également. Ce ne fut pas le cas, car cette fois il manqua 2 ans, du fait du lamentable incident où il avait été pris à partie.

Par contre, Georges Bouillon acceptait assez volontiers d’être interrompu par Marie Howet, qui était considérée comme l’artiste incontestée et qui était devenue la grande amie de José Chaidron. Il ne faut d’ailleurs pas oublier que c’est Georges Bouillon qui les avait autrefois présentés l’un à l’autre. Au vrai, Marie Howet était respectée par le public de La Glycine ainsi que par tous les artistes qui fréquentaient la galerie. Elle était assez fidèle aux vernissages et, quand elle était présente, elle trônait véritablement, assise dans un fauteuil au milieu de la salle. Normalement, elle souffrait d’une certaine surdité et ne pouvait pas entendre tout ce que disait Georges Bouillon. Mais comme c’est souvent le cas pour des malentendants, par on ne sait quel mystère, Marie Howet comprenait les propos qui ne lui plaisaient pas. Alors, elle n’hésitait pas à prendre abruptement la parole, interrompant ainsi Georges Bouillon dans son discours. Mais celui-ci ne lui en n’a jamais voulu.

Les vernissages de La Glycine étaient tellement importants pour Georges Bouillon qu’il leur a consacré quelques dizaines de pages. La première fois, ce fut en juin 1976 dans la revue La Scaille sous le titre : « Où il est question de Vresse, de La Glycine et des artistes ». La deuxième fois, c’est dans la revue Maugis, en automne 1988, quand il signe un autre texte au titre fort semblable : « Où il est de nouveau question de La Glycine durant une décennie (par un témoin de sa vie) ». Une troisième fois, un an plus tard, dans la même publication, il écrit son Adieu à La Glycine dans lequel il évoque l’incident qui l’avait considérablement meurtri : « À la suite du vernissage de juin, rapporte-t-il, j’avais subi d’un jeune inconnu comme de vieux amis des critiques aussi agressives que sordides qui m’avaient violemment ému ». À ces trois articles, il faut

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évidemment ajouter un autre texte de Georges Bouillon publié dans l’ouvrage collectif édité par Les Cahiers ardennais sur José Chaidron et La Glycine et intitulé Mes vernissages à La Glycine. Enfin, on complètera ces écrits par un dernier paru dans l’Abécédaire à la lettre « G » sous le titre G comme Glycine. On voit ainsi qu’on peut disposer de nombreuses informations, provenant de la main même de l’intéressé, sur le thème qui nous occupe ici.

En fait, dans ces divers textes, Georges Bouillon passe princi- palement en revue les peintres qui ont accroché leurs œuvres aux cimaises de La Glycine et qu’il a donc eu l’occasion de présenter. Pour presque tous, il fait un commentaire de quelques lignes. Pour se remémorer tous ces artistes, il se fait remettre les livres d’or de La Glycine qu’il parcourt à son aise. La compulsation de ces gros albums lui rappelle maints souvenirs, qui sont parfois cruels. Ainsi se remémore-t-il un vernissage où il était si peu inspiré par l’œuvre du peintre qu’il parvint à discourir sans jamais citer une seule fois le nom de l’artiste. On comprend que certains lui tinrent grief de ses présentations. En fait, dans ses pages sur les vernissages de La Glycine, Georges Bouillon parle peu de l’ambiance et des rituels qui les caractérisaient. Ce sont d’abord les œuvres et les peintres qui l’intéressent, car, s’il a émis des réserves sur quelques-uns, il a célébré et encouragé le plus grand nombre. Cela, on l’oublie un peu trop souvent.

En fait, Georges Bouillon se demande souvent s’il a trouvé le juste ton quant à la présentation des artistes. Il s’interroge sur sa relative sévérité, car il ne doute pas que certains doivent lui tenir rancune de ses propos parfois peu enthousiastes. Par exemple, il se demande s’il n’a pas eu tort de traiter « d’ardenniaiseries » les toiles trop traditionnelles d’une jeune peintre. Mais il se reprend vite. Il estime que, comme en toutes choses, il faut dire la vérité. Et ce serait ne pas rendre service à un artiste que de lui laisser croire qu’il est un génie, s’il ne l’est pas du tout. Georges Bouillon entend donc garder sa liberté de parole lors des vernissages. Il dira d’un peintre ce qu’il en pense, que cela plaise ou non. En réalité, même si

20 quelques peintres se sont sentis blessés et si tous appréhendaient les présentations de Georges Bouillon, parce qu’aucun ne pouvait se croire à l’abri d’une « vacherie », ce n’est pas sa liberté qu’on lui a vraiment reproché. Ce qui a parfois exaspéré ses auditeurs, c’est qu’il parlait plus de lui que de l’artiste. Personnellement, comme d’ailleurs beaucoup d’autres, cela ne me dérangeait pas, car on avait simplement du plaisir à entendre la prestation de Georges Bouillon. C’était un orateur brillant, qui avait de la verve et de l’esprit. On avait affaire à un homme de culture, qu’on avait du bonheur à écouter. Ces improvisations, car il n’a jamais rédigé le moindre discours de vernissage, contrastaient avec l’ennui des propos académiques. Néanmoins, il en irritait quelques-uns, qui ne supportaient pas son égotisme et qui le vouaient aux gémonies. D’aucuns, en soulignant ses travers, ont même voulu le ridiculiser. Celui qui aura été le plus loin en ce sens est sans conteste l’écrivain ardennais français Yanny Hureaux, lequel, dans son roman intitulé La Haute Chevauchée, à travers son personnage Potage, se moque clairement de Georges Bouillon. On aura bien sûr reconnu facilement l’allusion : Potage et Bouillon.

Voici donc le méchant texte de Yanny Hureaux. Nous nous trouvons à Vresse l’après-midi du premier dimanche du mois. « À cinq heures, écrit le romancier, lorsque dans les salons d’À la Glycine s’effectuait le vernissage de l’exposition, il y avait de quoi se bidonner à voir et à entendre l’orateur du jour. Ce vieux beau avait dû passer des heures à astiquer le blanc cassé de sa chevelure, les résines de son dentier, les peaux de ses mocassins afin que ces trois pièces fondamentales de son plumage épousassent les splendeurs de l’ivoire. Autour des toiles du peintre, ce gras palefrenier de la rhétorique répandait ses fleurs de papier mâché : « Sur terre, Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, il n’est qu’un critique, un artiste, un écrivain, c’est moi, moi, moi, qui suis expert en arts, en lettres, en femmes, en vins ». Ce texte injuste blessa fortement Georges Bouillon, j’en ai été le témoin. Mais l’honnêteté veut que je doive situer cette attaque dans le contexte de l’époque. En effet, un peu auparavant, dans une interview au journal L’Ardennais de

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Charleville, Georges Bouillon n’y avait vraiment pas été avec le dos de la cuillère pour s’en prendre aux écrivains du département des Ardennes et pour leur dire qu’ils comptaient pour du beurre. Les lignes que Yanny Hureaux consacrait dans son roman à ce monsieur Potage, constituaient donc une sorte de réplique vengeresse aux agressifs propos bouillonnesques.

Mais, pour conclure, il faut en revenir à plus de sérénité et se demander ce que les vernissages de La Glycine ont vraiment représenté pour Georges Bouillon. J’ai déjà dit que pour lui cette double aventure rhétorique et artistique avait été chose importante. Lui-même s’est exprimé clairement à ce sujet. Ainsi, dans le livre – déjà cité, consacré à José Chaidron et La Glycine, il écrit : « Si donc, pour certains, La Glycine n’est qu’une distraction dominicale en chaque début du mois ; si, pour d’aucuns, ce n’est que (et c’est pour beaucoup) une occasion locale de réjouir ou d’éduquer son œil, c’est pour plus d’un une façon de reprendre du cœur à l’ouvrage. On se sent moins seul. Il y a là autre chose que de la politique, autre chose que de grosses catastrophes au loin ou de petits malentendus auprès. On fraternise. » Et dans son article intitulé « Où il est de nouveau question de La Glycine durant une décennie », Georges Bouillon précise : « Et c’est un fait que La Glycine vit. Que les vernissages forment des rendez-vous pleins de chaleur. Que bien des amitiés y naissent pour le plaisir ou le bénéfice de beaucoup. La Glycine est ainsi, depuis un quart de siècle, un lieu de rencontre et d’échange. Ce qu’arrive si difficilement à devenir un centre officiel ou un cadre académique. On y dialogue, on y boit, on y mange et, surtout, on regarde et l’on achète ». Un peu plus loin dans son texte, Georges Bouillon poursuit : « Celui qui pénètre en ces lieux pour la première fois et celui qui n’y vient que de temps à autre sont de l’avis unanime de ceux qu’on retrouve presque à chaque vernissage : il n’y a pas ailleurs ce climat de simplicité et de bonne humeur ; où les propos sérieux n’excluent pas la plaisanterie, où les discours sont autant improvisés, où il y ait plus d’ouverture en définitive. C’est

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évidemment José Chaidron qui a créé ou laissé créer pareille atmosphère… et peut-être y ai-je aussi contribué ».

Bref, si l’histoire de La Glycine est indiscutablement liée à la personnalité de José Chaidron, celle de ses vernissages, qui en constituaient les festivités mensuelles, est étroitement associée à Georges Bouillon. En tant que présentateur-maison, il participa à l’esprit de cette galerie qui a représenté beaucoup pour des dizaines et des dizaines d’artistes. Dans le parcours de nombre d’entre eux, exposer à la Glycine revenait à une consécration. Plusieurs ont attendu des années avant de pouvoir accrocher leurs œuvres aux cimaises vressoises. Et Georges Bouillon était l’animateur du lieu. Tout peintre devait passer sous les fourches caudines de sa présentation. Pour l’artiste, le discours du présentateur n’était pas un examen de passage, mais un examen d’entrée. Et la vérité doit nous faire reconnaître que la plupart des peintres ont satisfait à leur examen. Finalement, Georges Bouillon était bienveillant. Il a surtout exalté les œuvres qu’il devait commenter. Comme toujours, il a fait preuve d’ouverture, en l’occurrence au goût d’autrui. On est donc fort injuste avec lui quand on ne retient que quelques rosseries et autres vacheries. Il en est de même lorsqu’on exagère ses propos égotistes. Je l’ai dit plus haut : il était un orateur cultivé et passionnant ; on avait du plaisir à l’écouter.

D’ailleurs, même si je lui ai succédé comme présentateur, je n’hésite pas à l’affirmer : après son départ précipité, les vernissages de La Glycine n’ont plus jamais été ce qu’ils étaient. Et j’en fus le premier bien marri.

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Présentation de l’exposition d’artistes

par Pierre CHARIOT

À la demande de mon confrère Jean Morette, il me revient en ce jour du 14 juin 2015, l’honneur de présenter l’exposition organisée en hommage à l’humaniste Georges Bouillon à la Bibliothèque de la Ville de Virton. Je crois que mon ancien professeur de français et de latin durant mes humanités serait bien fier de voir Pierre Chariot parler devant une assistance nombreuse et aussi distinguée, alors que jeune adolescent il se montrait très timide en classe lorsque Georges l’interrogeait au cours de la leçon. Pour moi, j’éprouve une éminente fierté d’avoir été choisi par les organisateurs de cette cérémonie d’hommage pour présenter cette intéressante et sympathique exposition dans la capitale de la Gaume où Georges Bouillon a longuement vécu et où il s’est dépensé sans compter 25 pour la culture des belles lettres et des beaux-arts, dans un esprit humaniste extraordinaire. J’adresse devant vous du fond du cœur un grand merci, à Jean Morette et à Alicia, ainsi qu’à toute son équipe, pour l’organisation de cette belle cérémonie souvenir et d’hommage à l’humaniste Georges Bouillon à la laquelle ils vous ont conviés en cet après-midi du 14 juin 2015 à Virton. Cet événement ne restera sans doute pas sans suite…

Dès votre entrée dans la bibliothèque, vous avez certainement compris que vous étiez face à un salon d’art assez particulier, original et sans doute rarement vu à Virton, en qualité, en variété et bien sûr par sa surprenante originalité. C’est grâce à notre ami Jean Morette que toutes ces œuvres ont pu se retrouver rassemblées et présentées dans l’enceinte de cette ancienne Chapelle des Sœurs, comme on nommait depuis bien longtemps cet ancien bâtiment religieux à Virton.

Comme les brillants orateurs viennent de l’évoquer, Georges Bouillon, tout le long de son existence, s’est largement impliqué dans la vie artistique de notre province de Luxembourg, mais aussi à Bruxelles, Liège, partout en Belgique, au Grand-Duché de Luxembourg également, dans les pays de l’Est, bien avant que l’Europe ne soit mise sur pied. C’est vous dire à quel point sa présence fut effective et encourageante à l’endroit des poètes, des écrivains et des artistes. Il aima beaucoup les artistes. Ne reculant bien souvent pas devant la fatigue, il présenta de nombreuses expositions et salons d’ensemble en Gaume, en Ardenne, à Liège, Vresse, Couvin, Bruxelles, Luxembourg et dans d’autres villes aussi. Peu de souvenirs sonores de ses présentations et allocutions de vernissage existent parce que Georges préférait l’improvisation pour dire tout le bien qu’il pensait d’un ami artiste. Pour ma part, j’ai eu la chance de pouvoir une fois l’enregistrer à Vresse-sur- Semois, à La Glycine, galerie d’art agissante, créée en son temps par Georges Bouillon et José Chaidron. Ils devinrent ainsi les sourciers de nombreux artistes qui ont fait les beaux jours de l’art dans notre pays, en Gaume et en Ardenne. 26

Les organisateurs remercient chaleureusement le Musée Gaumais et le Centre d’Interprétation d’Art de Vresse pour le prêt de tableaux de leurs collections, sans oublier les artistes et familles qui ont eu l’extrême gentillesse d’effectuer des dépôts d’œuvres. Leurs remerciements vont également à Didier Culot, Bourgmestre de la Ville de Virton, à Michel Thiry, Échevin de la Culture, au dévoué Frédéric Gribaumont du Service de la Culture, à la bibliothécaire Nicole Brose qui accueille l’exposition en ses murs et les autres bibliothécaires qui ont assuré la réception des œuvres en plus de leur travail quotidien. Merci enfin à la Province de Luxembourg de prendre en charge les frais d’assurance des œuvres d’art exposées.

Laissez-moi citer maintenant devant vous les noms de tous les artistes présentés dont vous découvrirez les œuvres aux cimaises. Certes, il y a des manquements, car il n’a pas été évident de contacter tout le monde. Le comité organisateur s’est confronté aussi à des contraintes matérielles. Il s’agit donc d’une présence d’artistes non exhaustive.

Je cite d’abord les noms des artistes disparus : Camille Bathélemy, Albert Raty, Marie Howet, Jeanne Portenart, Roger Bertemes, Jean Lejour, Marguerite Brouhon, Ernest Bernardy, Auguste Toupy, Albert Gatez, Bonaventure Fieullien, Jean Godart, Johnny Schuddeboom, Marcel Hubert.

J’en viens maintenant à ceux qui sont parmi nous : Blandy Mathieu, Fernand Tomasi, Jean-Claude Coenen, Jacques Chaidron, Guy Ducaté, Henry Bontemps, Willoos, Huguette Liégeois, Gérard Gribaumont, Mireille Gérard, Dominique Collignon, Pierre-Alain Gillet, Jean Morette et Pierre Chariot.

Je vous souhaite une bonne visite de cette exposition qui s’ouvre au public après la cérémonie et cela jusqu’au 30 juin. Un très grand merci de votre présence aujourd’hui en ce lieu pour nous souvenir ensemble avec bonheur et respect du grand humaniste Georges Bouillon. 27

Georges Bouillon, éveilleur d’âmes

par Anita DROHÉ

(LU PAR JEAN-LUC GEOFFROY)

Diplômé de l’Université de Liège en philologie romane le 5 octobre 1937, agrégé le 14 octobre de la même année, Georges Bouillon fut professeur de français à l’Athénée royal de Virton depuis le 30 septembre 1940 jusqu’à sa mise à la retraite le 1er novembre 1976. Né à Angers (titre d’un de ses ouvrages) le 14 juin 1915, il a longtemps habité dans la demeure nommée « La Dryade » à Vieux- Virton. Jusqu’au 21 mai 2001, jour où ses cendres se sont dispersées sur le haut de Virton, sous le regard du minaret.

Toujours vêtu d’un costume deux-pièces impeccable, sourire permanent prononcé, le professeur à l’allure bourgeoise apparaissait à ses élèves comme un personnage hors-norme, provocateur et vert dans le langage.

Quel impact le maître a-t-il eu sur ses élèves ? Étant donné l’âge de ces derniers, le ressenti est-il toujours vivant ? Celles et ceux de ma génération ne sont pas passés sous la férule du Jojo, comme l’appelaient ses élèves, sans en sortir indemnes.

Les rapports avec ses collègues étaient quelque peu tendus, car Georges Bouillon était très critique, et peu d’entre eux avaient grâce à ses yeux. 29

Quant à la hiérarchie, les surnoms dont il affublait les chefs d’établissement échappaient à notre entendement de potaches, mais nous savions qu’ils étaient mortels. Et les événements qu’il narrait, teintés d’allusions aux bassesses de la guerre, éveillaient en nous quelque incompréhension quand il accusait de trahison ceux qui avaient dénoncé des citoyens aux Allemands. Les Golden sixties n’étaient guère brillantes quand elles témoignaient de la loyauté et de la lâcheté des hommes.

Cet enseignement ne correspondait peut-être pas à l’intitulé des programmes du cours de français, mais cet éveil constituait une véritable leçon d’humanité répétée au gré des exemples des salopards. D’ailleurs, une telle approche concrète de l’âme humaine nous amenait à disserter sur le courage, l’engagement, le choix cornélien... Les lectures imposées en rhéto appartenaient à la catégorie des essais : nous y étions préparés.

La salle de classe était proche de l’agora. Les cours ressemblaient à de longues discussions, où le prof prenait longuement la parole. Les élèves étaient sollicités en permanence, invités à s’exprimer, à réagir. On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans, et que l’on éprouve de l’angoisse à s’exprimer devant les autres. Défendre sa fiche de lecture et essuyer le tir nourri des questions, quelle aventure ! On savait que le débat serait chaud. Comme dans les rites de passage, c’était une épreuve, un exercice riche sur le plan de la construction et de la formation de l’élève.

Je rapporte les impressions d’un de ses élèves, 15 ans en 1959, impressionné par sa prestance, sa diction et surtout par les exigences au sujet de la présentation des travaux à lui remettre. Monsieur Bouillon accordait une grande importance à l’orthographe. « Après trois fautes, je ne corrige plus. C’est zéro ! » Plus de mode ? Dommage, car avec pareil tarif, on relisait trois fois. La présentation de la copie n’autorisait aucune fantaisie : canevas formaté en première page, sans dérogation ; pages divisées en deux, prêtes pour la correction dans la colonne de gauche ; usage

30 unique du stylo à encre… Pas d’improvisation. Rigueur formatrice obligée.

Chaque analyse de texte, chaque lecture d’une scène de théâtre donnait lieu à une transposition dans le contemporain, avec des ramifications dans le domaine des arts et de la culture.

Jojo, l’indigné, partait en campagne contre tel hypocrite du cru qui correspondait au personnage de la pièce ! Ses pratiques pédagogiques innovantes donnaient vie aux matières, développaient notre esprit critique, nous inculquaient des notions de civisme et de respect des autres. S’inspirant de Térence, il définissait ainsi l’humanisme : rien de ce qui est humain ne m’est étranger. Ce profond intérêt pour l’Homme mériterait que l’on s’y attachât à nouveau pour modifier l’ordre douloureux des valeurs du monde actuel.

Ce qui m’a séduit, dans sa pédagogie, c’est de construire des ponts entre les matières, d’ouvrir les horizons en même temps qu’il ouvrait nos yeux. Les envolées littéraires sur la peinture ou les pays dont le nom même nous était inconnu, m’ont donné soif de curiosité intellectuelle. En balayant les arts et en traversant le monde par l’étude de la littérature, il nous offrait les clés de l’universel. C’est lui qui a eu le mérite de nous emmener sur les voies de la connaissance. Aujourd’hui nous lui devons reconnaissance.

A contrario de toutes ces louanges, on pourrait lui reprocher d'avoir parfois trop joué de sa prestance et de son aura. Ce qui avait pour effet de paralyser ou de crisper certains élèves et donc de ralentir leur évolution.

Il n’a pas fait l’unanimité ? C’est tant mieux, il n’était pas gourou. Je sais simplement que je n’aurais pas eu la même richesse du cœur si je n’avais reçu son enseignement. Je dis que la rigueur qu’il imposait dans nos travaux était un guide pour écrire juste et penser droit. Je suis convaincue que les valeurs de liberté, égalité, fraternité et

31 laïcité étaient inscrites dans l’humanisme qu’il nous a insufflé et qui me guide.

Ce brillant professeur a marqué positivement et de façon indélébile un grand nombre de ses élèves. Merci à lui. Merci, Jojo.

P.S. : Si aujourd’hui je ne suis pas présente physiquement à l’hommage qui lui est rendu, c’est de sa faute. Il m’a appris à aimer la diversité du monde et à me battre pour des idées, mais de mort lente !

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Les Quinzaines du Livre, organisées à Arlon, en Gaume et à Luxembourg entre 1954 et 1978

par Philippe GREISCH

L’amour du passé, vois-tu, n’est bon, n’est nécessaire que s’il enrichit pour de bon le présent, que s’il inspire l’avenir. 2

2 Georges Bouillon, Portraits épistolaires, Éditions de La Dryade, Vieux- Virton, 1974, p. 48.

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Lorsqu’Alicia Morette, la Responsable du Service du Livre Luxembourgeois, m’a demandé si je voulais participer à une manifestation d’hommage à Georges Bouillon, le fondateur de la maison d’édition La Dryade et de la revue du même nom, dans le cadre du centième anniversaire de sa naissance, j’ai hésité à accepter. J’avais, certes, pris du plaisir à lire plusieurs livres de Georges Bouillon, notamment les trois tomes des Paroles d’un incroyant, et je l’avais croisé à l’une ou l’autre occasion, mais je ne l’ai pas connu personnellement (je n’avais donc aucune anecdote à raconter) et surtout… je ne suis pas Gaumais !

Je me suis alors souvenu que Georges Bouillon avait animé de nombreuses rencontres littéraires à la librairie Everling à Arlon : « Les Quinzaines du Livre ». Il m’a dès lors semblé intéressant de donner un coup de projecteur sur ces manifestations qui ont été organisées du milieu des années cinquante à la fin des années septante, à seize reprises dans le chef-lieu, mais aussi en Gaume (sept fois à Virton et une fois au Pont d’Oye) ainsi qu’une fois… à Luxembourg, comme devait me le révéler mon enquête.

Mes recherches sur internet ne m’ont quasi rien appris sur « Les Quinzaines du Livre ». Il m’a donc fallu chercher ailleurs.

C’est dans le Cahier 9-10/1978 de l’Académie luxembourgeoise que j’ai trouvé un premier texte sur le sujet (un relevé), en page 186 de l’anthologie que Roger Brucher (1930) poète, essayiste, bibliologue, a consacrée aux Poètes français du Luxembourg belge 1930-1978.

Puis, en parcourant les revues de La Dryade, je suis tombé sur deux articles relatifs aux « Quinzaines du Livre », l’un de Georges Bouillon intitulé La Dryade, bilan provisoire, paru dans La Dryade n° 12 / hiver 57, et l’autre de Yannick Pierre intitulé La Dryade, trente ans de revue littéraire et artistique dans le Luxembourg, paru dans La Dryade n° 132 / hiver 1987.

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Désireux d’approfondir le sujet et ne souhaitant pas me référer aux seules revues de La Dryade, qui ne contiennent d’ailleurs pas tous les « hommages » prononcés lors des vernissages, j’ai fait le choix de puiser un maximum de renseignements dans les articles de presse, avec pour but de rendre compte de la manière dont « Les Quinzaines » étaient présentées au grand public. J’ai donc compulsé les journaux de l’époque, essentiellement les quotidiens L’Avenir du Luxembourg et La Meuse-Luxembourg, ainsi que l’hebdomadaire Arlon-Carrefour, animé par la curiosité de découvrir quel accueil ils avaient réservé à ces rencontres littéraires. Et je n’ai pas été déçu.

Les publications de Georges Bouillon, de Yannick Pierre et de Roger Brucher, font état d’une première édition de « La Semaine du Livre » en 1955. L’organisation de cette manifestation est d’ailleurs annoncée en décembre 1955 au dos de La Dryade n°4 / hiver 55. Cette quatrième de couverture précise que ladite « Semaine du Livre » est organisée à Arlon par, je cite, le Club de La Dryade et la Librairie Everling.

Ma première investigation ne m’avait, toutefois, pas permis de trouver un article de presse de décembre 1955 relatif à cette organisation. J’avais donc un doute quant à la date avancée dans La Dryade n° 4. Finalement, après avoir parcouru plusieurs fois les quotidiens régionaux, je suis tombé sur un entrefilet dans La Meuse- Luxembourg du mercredi 7 décembre 1955 annonçant que la manifestation était remise à une date ultérieure, me confortant ainsi dans l’idée que la « Semaine du Livre » annoncée en décembre 1955 avait eu lieu en 1956.

L’examen des titres des journaux révèle que la « Semaine luxembourgeoise du livre » de février 1956 était considérée comme étant la deuxième du genre, la 1re « Semaine du Livre » étant celle qui avait été organisée en 1954, à l’initiative du maître imprimeur Jean Everling, qui sollicita Georges Bouillon pour présenter quelques écrivains arlonais. C’est fort du succès de cette première rencontre

35 littéraire, que la librairie Everling et la toute jeune « Dryade » décidèrent de s’associer pour organiser les éditions suivantes.

Voici ce qu’a écrit Georges Bouillon dans La Dryade n° 12 / hiver 57 sous le titre La Dryade, bilan provisoire :

En 1954, Everling avait inauguré une Journée du Livre arlonais. La Dryade a repris, élargi cette initiative locale. Everling et la Dryade montèrent ensemble la Semaine du Livre en 1955 [en fait en février 1956]. Une des vitrines était réservée au peintre Marie Howet, l’autre, à l’écrivain-graveur Bonaventure Fieullien ». Il ajoute : « Télé-Luxembourg consacra plusieurs émissions à l’événement et ce fut un succès. Notre but était atteint : tendre la main à tous les hommes de bonne volonté, rapprocher le public de nos artistes, animer le chef-lieu de la province en même temps que nos lettres et nos arts.

Lors du vernissage de cette 2e « Semaine du Livre », le 19 février 1956, Georges Bouillon présenta la peintre ardennaise Marie Howet (1897-1984), ainsi que le peintre-graveur et poète franciscain Bonaventure Fieullien (1903-1976)3.

Mes investigations m’ont fait découvrir que la manifestation a en fait été accueillie à deux reprises par la librairie Everling, au cours de l’année 1956, d’abord en tant que « Semaine du Livre », puis « Semaine du Livre luxembourgeois », et que l’activité se mua dès 1957, en « Quinzaine du Livre », avant d’être définitivement baptisée en 1975 « Quinzaine de la Dryade ». Pour être complet, je me dois de signaler que j’ai également relevé les appellations

3 Cf. hommage de Georges Bouillon à Marie Howet in La Dryade, n° 5 / printemps 1956 et textes que Georges Bouillon et Élie Willaime consacrent à Bonaventure Fieullien in La Dryade, n° 6 / été 1956, Virton, pp. 7-23 et pp. 24-27.

36 suivantes : « Quinzaine du Livre Luxembourgeois » en 1959 et « Foire aux Livres » en 1971.

De 1954 à 1969, ainsi qu’en 1972 et 1973, ces rencontres littéraires étaient organisées à la librairie Everling à Arlon. En 1970 et de 1974 à 1977, elles se déroulèrent à la Galerie Art-Vision, à Virton, en collaboration avec l’Imprimerie Michel frères. C’est le Pont d’Oye qui accueillit la session de 1971 et la Bibliothèque nationale de Luxembourg celle de 1978, qui fut la dernière.

Il me plaît de souligner que la qualité de la couverture médiatique des « Quinzaines du Livre » dépendait essentiellement de l’intérêt que portait le journaliste de service à la Culture. Il n’est pas difficile de repérer quel article (souvent anonyme) a été écrit par un chroniqueur judiciaire ou sportif… et quel autre est dû à la plume d’un journaliste intéressé aux lettres.

Pour la présente communication, j’ai pris le parti de ne citer que quelques courts extraits des articles de presse et des discours des intervenants lors des vernissages, ainsi que des commentaires de Georges Bouillon, l’animateur de ces rendez-vous littéraires, notamment sur l’état de la culture et des lettres en province de Luxembourg d’alors. Chacun pourra ainsi se forger sa propre opinion quant au contexte dans lequel ces rencontres se déroulaient.

Vous trouverez davantage de détails dans les actes du colloque qui seront publiés par le Service du Livre et les résultats complets de cette « enquête », avec toutes les références et une liste des notices biographiques, dans un prochain Cahier de l’Académie luxembourgeoise.

Afin de vous plonger dans l’ambiance de ces rendez-vous littéraires, je vous invite à prendre connaissance de ce que Roger Brucher, témoin privilégié de l’époque, m’a écrit :

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Il m’a été donné d’assister aux vernissages de presque toutes les expositions-ventes de livres luxembourgeois organisées à Arlon, au sein de la librairie-papeterie Gustave Everling, en tant que Semaines du livre et en tant que Quinzaines entre 1956 et 1975, sauf à celles présentées à Virton en 1970 et postérieurement à 1975. (…) L’exposition annuelle occupait, au sein du magasin, une surface de deux ou trois tables rectangulaires de format moyen sises en partie droite du magasin, présentant de 100 à 150 titres d’ouvrages littéraires ou de culture plus ou moins historique relativement récents (le livre « de pays » n’existait pas alors au même degré qu’aujourd’hui) dus à des auteurs régionaux ou péri- régionaux ou à ceux qui, hôtes cette année-là de la manifestation, avaient été appelés à être l’objet, le jour du vernissage, d’un hommage particulier. Ce petit événement établissait, chaque année, lors de son inauguration, un cordial et attentif contact entre écrivains locaux et régionaux ou ayant franchi les frontières proches. Le programme de la rencontre était, de tradition, composé d’un bref mot d’accueil de Georges Bouillon, de deux discours assurant présentation et hommage adressés, en alternance, aux deux auteurs privilégiés pour la circonstance, chacun émis par un confrère traitant de leur œuvre, et des deux remerciements leur adressés par les héros de la cérémonie . Un ou deux représentants de la presse, parfois armés d’un « flash », étaient aussi de la fête.

Ce précieux témoignage enrichit et corrobore en grande partie les informations trouvées dans les quelques dizaines d’articles que j’ai pu lire aux Archives de l’Etat à Arlon. Nombreux sont, sans doute, les auteurs ou orateurs mis à l’honneur lors de ces rencontres qui sont aujourd’hui tombés dans l’oubli. En les exhumant, en quelque sorte, j’espère donner l’envie de les redécouvrir.

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À signaler que les premières éditions des « Semaines du Livre » étaient placées sous le patronage de La Meuse-Luxembourg, qui, dans son édition des 18 et 19 février 1956, précise que l’objectif des organisateurs est de faire connaître au public les livres écrits par les écrivains du Luxembourg et les publications traitant de notre région. Dans La Meuse du 21 février 1956, Yvon Jungbluth rapporte que Georges Bouillon a voulu rappeler le sens de cette manifestation littéraire, la deuxième du genre, puisqu’il faut se souvenir de la Semaine du Livre arlonais, qui eut lieu l’an dernier à la même époque. Il signale la présence du micro du studio Namur- Luxembourg de l’INR (Yerri Barnich couvrait les « Quinzaines du Livre » dans l’émission « La voix du Luxembourg ») et des caméras de Télé-Luxembourg. La couverture médiatique témoigne de l’importance de l’événement...

Le vernissage de la 3e « Semaine du Livre [luxembourgeois]», eut lieu le samedi 8 décembre 1956, à Arlon. L’écrivain et journaliste Omer Habaru (1893-1977) fit l’éloge du chantre de la faune ardennaise et grand conteur d’anecdotes de chasse, Adrien de Prémorel (1899-1968), tandis que le critique littéraire Alphonse Arend (1907-1987) présenta l’écrivain grand-ducal Marcel Noppeney (1867-1976), président de la Société des Écrivains luxembourgeois de langue française, ainsi que le poète et auteur dramatique Edmond Dune (1914-1988).

La couverture de presse fut, hélas, minimale, cette année-là ! L’occasion était pourtant belle d’en apprendre davantage sur les écrivains voisins du Grand-Duché de Luxembourg…

Le vendredi 4 octobre 1957, s’ouvrit la 4e « Quinzaine du Livre », la manifestation s’étalant sur deux semaines, au lieu d’une. Furent mis à l’honneur le poète, écrivain et homme politique Pierre Nothomb (1887-1966), ainsi que la revue Études ardennaises que présentèrent, l’écrivain et professeur d’esthétique à l’ULg, Arsène

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Soreil (1893-1989)4 et le conservateur de l’Institut archéologique, Roger Petit.

Dans L’Avenir du Luxembourg du 5 octobre 1957 Henri Rézette écrit qu’Arsène Soreil rendit hommage au baron Nothomb, avocat, homme politique, romancier, historien, poète ; cet homme multiple qui ne fait rien en amateur. Esprit vivant, ouvert, généreux, Pierre Nothomb est accessible à tous, malgré la variété de ses activités.

Tout comme La Dryade en province de Luxembourg, la revue Études ardennaises témoigne de la richesse littéraire de l’époque.

Le vernissage de la 5e « Quinzaine du Livre » se déroula le dimanche 23 novembre 1958. Roger Brucher fit l’éloge d’Arsène Soreil, tandis que Pierre Nothomb et le poète et essayiste, Carlo Masoni (1921- 2010), co-fondateur des périodiques « Dossiers L », présentèrent le poète et essayiste Roger Bodart (1910-1973), la romancière et dramaturge Marie-Thérèse Bodart (1909-1981) et leur fille, la future Anne Richter-Bodart, (1939) nouvelliste et essayiste5.

Voici ce qu’écrivit Henri Rézette dans L’Avenir du Luxembourg du 24 novembre 1958 :

Roger Brucher parla, avec son éloquence choisie, d’Arsène Soreil, son ancien maître, qui écouta les yeux veloutés ! Il conclut (…) Je voulais ici mettre en valeur l’unité profonde de ce destin de « clerc » qui a conduit Arsène Soreil des émerveillements d’une enfance paysanne à la lucide méditation de cet ordre tranquille de la beauté ou tout homme retrouve quelque chose de sa patrie originelle. À la suite de Carlo Masoni, le baron

4 Cf. hommage à Pierre Nothomb, par Arsène Soreil, in La Dryade, n° 13 / printemps 1958, Virton, pp. 37-40. 5 Cf. hommages à Arsène Soreil, par Roger Brucher et à Roger Bodart, par Carlo Masoni, in La Dryade, n° 18 / été 1959, Virton, pp. 5-13 et 14-20. 40

Nothomb parla [à son tour], de la « trinité » des Bodart [Roger, Marie-Thérèse et Anne] (…) et regretta que n’existent pas encore les « discours de réception » à l’Académie luxembourgeoise ; ceux de Roger Brucher et de Carlo Masoni, dimanche matin, étaient dignes des plus beaux discours des grandes académies.

Le dimanche 8 novembre 1959, la 6e « Quinzaine du Livre » mit à l’honneur le philologue Alfred Bertrang (1880-1962), président de l’Institut archéologique, ainsi que l’écrivain Georges Linze (1900- 1993), fondateur du « Groupe d’Art moderne de Liège », respectivement présentés par Marcel Bourguignon (1902-1971), historien, conservateur des archives de l’Etat à Arlon et Claude Raucy (1939), écrivain, romancier, nouvelliste6.

Les articles de presse furent à nouveau relativement courts cette année-là. Dans L’Avenir du Luxembourg du 9 novembre 1959 , René Thill cita Claude Raucy qui fit l’éloge de Georges Linze, préférant en lui le romancier au poète et y soulignant son humour sobre et tranquille, lui conférant, en terminant, le titre de poète luxembourgeois à part entière… Un autre article paru dans La Meuse-Luxembourg du 7 novembre 1959 précisait que pour Claude Raucy, la poésie de Georges Linze n’est pas un refus de vivre : il faut la chercher dans la réalité quotidienne. Comme romancier, il atteint la maîtrise des mots et des âmes. Ses livres s’élèvent vers le mystérieux.

Signalons la réaction de Georges Bouillon dans L’Avenir du Luxembourg du 9 décembre 1959, à un récent écho de la chronique, le « Courrier des Quatre » qui lui reprochait le « format commercial » de La Quinzaine du Livre.

6 Cf. Hommage à Georges Linze, par Claude Raucy, in La Dryade, n° 20 / hiver 1959, Virton, pp. 5-11. 41

Le noble commerce du livre n’a-t-il pas toujours été de concert avec le commerce de l’esprit ? Artistes et écrivains, libraires et public ne doivent-ils pas non seulement collaborer, mais encore se donner courage les uns aux autres? Il exprima aussi un regret: « Si la Quinzaine du Livre créée par La Dryade en Arlon se révèle comme un succès et même comme un exemple (…), reste que le public du vernissage est un public d’officiels, d’écrivains ou d’artistes qu’on remercie vivement, mais que boude, hélas, le public qui achète. Et l’on frémit d’imaginer que cela soit à l’image de toute une province qui ne croit pas à elle-même.

Au cours de la 7e « Quinzaine du Livre », qui ouvrit ses portes le samedi 1er octobre 1960, l’écrivain et critique Jean-Paul Vaillant (1897-1970), président de la Société des Écrivains ardennais et fondateur de la revue La Grive, ainsi que l’écrivain Marcel Thiry (1897-1977), militant wallon, furent présentés par Camille Lecrique (1915-1992) et Marcel Clémeur (1897-1987), poète et essayiste liégeois.

L’Avenir du Luxembourg du 3 octobre 1960 ne publia qu’une photo légendée : Il n’y eut que deux discours mais ils dépassèrent le tour d’horloge. Marcel Thiry (…) était visiblement sous le coup de ces discours démesurés, au sujet desquels Georges Bouillon devra porter remède lors des éditions prochaines, sous peine d’inaugurer dans l’intimité.

Comment expliquer cet écho minimaliste fort restreint (de treize lignes) donné à une manifestation appréciée du monde littéraire et ce jugement de valeur ? Le grand talent de Marcel Thiry et le rôle important qu’a joué Jean-Paul Vaillant dans la promotion des lettres en Champagne-Ardenne auraient mérité d’être portés à la connaissance du grand public!

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Le reflet de l’événement paru dans La Meuse Luxembourg du 5 octobre 1960 fut heureusement tout autre : Camille Lecrique, poète et essayiste français, appelé à présenter la Société des écrivains ardennais, le fit dans un discours d’une haute envolée littéraire et poétique : il rendit hommage à son secrétaire, Jean-Paul Vaillant, directeur-fondateur de « La Grive » (…) Ce fut ensuite au tour de Marcel Clémeur, un autre écrivain, de présenter Marcel Thiry, Prix Verhaeren en 1928 (…) membre de l’Académie royale de Langue et de Littérature françaises. Marcel Clémeur parla de l’artisan qui a saisi la poésie en transgressant certaines règles traditionnelles. Thiry est avant tout une lucidité. Il a mis au point un style qui dose le traditionnel et le neuf, selon une audace freinée de justesse.

Au cours de la 8e édition intitulée, cette année-là, la « Quinzaine luxembourgeoise du Livre » et inaugurée le samedi 30 septembre 1961, le poète et romancier Georges Linze, fit l’éloge de la romancière Nelly Kristink (1911-1995), tandis que le critique littéraire Jean-Paul de Nola (1931), professeur aux universités de Messine et de Palerme, présenta le poète, militant wallon, Robert Goffin (1898-1984)7.

L’Avenir du Luxembourg des 1 et 2 octobre 1961 relate que Georges Linze célébra la romancière Nelly Kristink, certainement la plus en vogue à l’heure actuelle (…) et que Jean-Paul de Nola parla en termes très flatteurs de Robert Goffin (…) mais, écrit le journaliste c’est tout juste si, parlant de lui « au seuil de sa vie » il ne mettait pas son texte à l’imparfait. « Les Quinzaines du Livre » ne sont pas encore vraiment en odeur de sainteté à L’Avenir du Luxembourg en ce début des années soixante… Cela changera par la suite.

La 9e « Quinzaine du Livre » s’ouvrit le dimanche 30 septembre 1962 avec un hommage du poète et essayiste Élie Willaime (1900-

7 Cf. hommages de Jean Cocteau et de Jean-Paul de Nola à Robert Goffin, in La Dryade, n° 27 / automne 1961, Virton, pp. 9-23 et celui de Georges Linze à Nelly Kristink, in La Dryade, n° 28 / hiver 1961, Virton, pp. 15-19. 43

1987), au journaliste, écrivain d’origine hennuyère Marcel Lobet (1907-1992) et du poète et critique littéraire Paul Fécherolle au poète d’origine picarde Géo Libbrecht (1891-1976)8. Nous lisons dans L’Avenir du Luxembourg du 1er octobre 1962 que cette édition s’inscrivit dans le cadre du premier Carrefour du Marché commun, de l’amitié Hainaut-Luxembourg et des poètes d’Entre-Meuse-et-Rhin. Au journaliste de La Meuse de se lâcher, cette fois, dans l’édition du 3 octobre 1962. Je le cite : Discours très fouillés et d’une haute tenue littéraire. (…) Mais, debout, empressés, tués de chaleur, c’était trop long. Le type même de la causerie du littérateur qui n’est pas synonyme d’orateur. La qualité des invités de cette 9e édition aurait justifié un écho plus large dans la presse.

Le samedi 5 octobre 1963, la 10e « Quinzaine du Livre » rendit hommage au poète Edmond Vandercammen (1901-1981) et au poète et écrivain Albert Ayguesparse (1900-1996), par la voix d’Élie Willaime et de Jean Mergeai (1927-2006), écrivain, dramaturge et critique littéraire, qui lut le texte qu’Hubert Juin [Hubert Loescher (1926-1987)], souffrant, lui avait envoyé de Paris9.

Comme déjà évoqué plus haut, il nous faut admettre que l’image de ces rencontres littéraires renvoyée par les journaux à leurs lecteurs n’est pas forcément des plus positives. Il est vrai que les relations entre Georges Bouillon et certains journalistes n’ont pas toujours été des plus amènes. En témoigne cet article, non signé, de L’Avenir du Luxembourg du 7 octobre 1963 (dont un extrait commenté, figure dans La Dryade n° 36 / hiver 1963, sous le titre « D’une Dryade à l’autre… », sous la signature des Quatre fils Aymon) :

8 Cf. Hommages de Paul Fécherolle à Géo Librecht et d’Elie Willaime à Marcel Lobet in La Dryade, n° 33 / printemps 1963, Virton, pp. 7-11 et 17- 25. 9 Cf. hommages d’Hubert Juin et d’Elie Willaime à Albert Ayguesparse et à Edmond Vandercammen, in La Dryade, n° 36 / hiver 1963, Virton, pp. 11- 19 et 21-30. 44

Les vernissages de quinzaines du livre n’ont pas toujours beaucoup de succès. Et Georges Bouillon, indiscutable animateur de la « Dryade », en profite pour faire le procès d’amitiés perdues ou d’absentéisme. Le ton et le tact n’y sont pas toujours. On avait souri le soir d’une conférence de l’O.T.A.N. aux Halls Louis, lorsque ce même directeur de la « Dryade » annonça l’entrée de Paul-Henri Spaak, en déclarant au micro « Et voici le gros de la troupe ! ». C’était de mauvais goût. Simplement. Samedi après-midi, dans une librairie du centre-ville, il profita du « micro » pour requérir contre un jeune et sympathique confrère, qui arrivait avec un certain retard. La semaine du livre est une manifestation culturelle. C’est indéniable. Mais l’actualité ne se limite pas à cela et les journalistes doivent composer précisément avec les impératifs de cette actualité. L’agression oratoire dont fut victime notre confrère, samedi après-midi, est inadmissible. Ce n’est pas lui qui devait payer pour les manifestations sans auréole de succès, organisées par « La Dryade » et les humeurs pas très poétiques de son directeur.

Le samedi 3 octobre 1964, lors de la 11e « Quinzaine du Livre », le poète, essayiste et chroniqueur Joseph Delmelle (1919-1988), rendit hommage au poète, conteur et critique littéraire Armand Bernier (1902-1969)10, tandis que la poétesse Andrée Sodenkamp (1906- 2004), parla du poète Maurice Carême (1899-1978).

Le même jour, à 18 heures, fut inauguré le « banc du poète » offert à Pierre Nothomb, par les Amis de l’Académie luxembourgeoise et doté d’un médaillon de l’écrivain dû au sculpteur Émile Delhaye. Ce fut l’occasion pour L’Avenir du Luxembourg du 5 octobre 1964 de

10 Cf. hommage de Joseph Delmelle à Armand Bernier in La Dryade, n° 41 / printemps 1965, Virton, pp. 79-84. 45 titrer : Georges Bouillon eut la tâche combien difficile d’honorer un vivant.

Le samedi 2 octobre 1965, à l’occasion de la 12e « Quinzaine de la Dryade », Edmond Vandercammen et Frédéric Kiesel (1923-2007), journaliste, écrivain, présentèrent le poète Adrien Jans (1905-1973) et le peintre et poète Pierre-Louis Flouquet (1900-1967)11.

Comme nous pouvons le lire dans L’Avenir du Luxembourg du 4 octobre 1965 : Pour la douzième fois, le cœur de la Quinzaine du Livre à Arlon a battu entre les rayons d’une librairie arlonaise. Et ce, ainsi que l’a rappelé Georges Bouillon, directeur de la Dryade, afin d’unir les arts et les lettres au commerce.

Le vernissage de la 13e « Quinzaine du Livre » eut lieu le samedi 1er octobre 1966. Camille Lecrique, directeur de « La Grive » présenta l’écrivain André Dhôtel (1900-1991), prix Femina 1955 et Adrien Jans rendit hommage au poète belge d’origine flamande Paul Dewalhens (1902-1991).

La couverture de presse de cette 13e édition de la « Quinzaine du Livre » fut, pour le moins, réduite à sa plus simple expression. D’un article paru dans L’Avenir du Luxembourg du 3 octobre 1966, nous apprenons que : Comme chaque année, c’est devant l’écritoire et la plume d’oie que M. Georges Bouillon, directeur de la Dryade, a ouvert cette séance d’hommage. Cette fois, la francophonie se trouvait en et par-dessus la Wallonie en la personne d’André Dhôtel, écrivain français de et de Paul Dewalhens, écrivain français de Flandre.

Lors de la 14e « Quinzaine du Livre », qui débuta le samedi 30 septembre 1967, Jean Mergeai fit l’éloge de l’écrivain Thomas Owen

11 Cf. hommages à Adrien Jans et à Pierre-Louis Flouquet, par Edmond Vandercammen et Frédéric Kiesel, in La Dryade, n° 45 / printemps 1966, Virton, pp. 23-39. 46

[Gérald Bertot] (1910-2002) et Georges Jacquemin (1938), poète, romancier, nouvelliste présenta l’écrivain français Claude Seignolle (1917)12.

L’article que L’Avenir du Luxembourg du 5 octobre 1967 consacra à la semaine du livre en 1957 ne reprend quasi que la présentation de l’œuvre de Thomas Owen par Jean Mergeai :

Je voudrais vous dire que des poètes qui n’ont jamais écrit une ligne, il en a vécu beaucoup, au cours de ces siècles. De tels êtres, j’en ai encore connus. On ne les a jamais interviewés. C’est dans une authenticité inviolée qu’ils ont accompli leur œuvre par la seule parole. Et c’est merveille si la fragile et millénaire semence du mythe tombe en terrain fertile. Peut se produire alors le difficile passage de l’oral à l’écrit. Ce qui est arrivé à Lacuisine. L’enfant se nommait Gérald Bertot. (…) L’œuvre de Thomas Owen s’inscrit dans la tradition du meilleur humanisme, celui qui n’oublie point le soleil quand il explore la nuit, qui retrouve les traditions orales à travers les prospections de l’écriture, qui assume avec un art conscient et lucide la part du subconscient et de l’irrationnel. Son enfance a continué à vivre dans la grande personne qu’il est devenu, cette enfance mêlée aux mystères de la forêt et à ce conte éternel que murmure en ses méandres la Semois familière, capricieuse, qui n’est vraiment connue que des vrais initiés. C’est parce qu’il est de ces initiés que Gérald Bertot est devenu Thomas Owen, pour notre enchantement, pour la gloire de cette province qui est fière de le revendiquer, et dont il est fier de se réclamer.

12 Cf. hommages de Jean Mergeai à Thomas Owen et de Georges Jacquemin à Claude Seignolle in La Dryade n° 53 / printemps 1968, Virton, pp. 11-25. 47

La Meuse-Luxembourg du 4 octobre 1967 cite, quant à elle, Georges Jacquemin, pour qui Claude Seignolle est tout à la fois un folkloriste de grande envergure et l’un des maîtres du fantastique français contemporain. (…) C’est le contact avec la tradition populaire qui a fait de lui un créateur de récits fantastiques. (…) dont certains se retrouvent dans la collection « Marabout Fantastique ».

Le samedi 5 octobre 1968, dans le cadre de la 15e « Quinzaine du Livre », Marcel Thiry rendit hommage à ses collègues de l’Académie belge de Langue et de Littérature françaises: l’écrivain et historien Carlo Bronne (1901-1987) et le chroniqueur et professeur de lettres à l’ULg Fernand Desonay (1899-1973)13.

Cette année-là, c’est sous la plume de Jean Mergeai, journaliste occasionnel, que nous trouvons un article sur cette « Quinzaine » dans L’Avenir du Luxembourg du 4 octobre 1968 :

Carlo Bronne s’est fait l’intercesseur entre les avides recherches des historiens et le public cultivé ! Ecrivain adonné à l’histoire, il a mis le passé à la portée de l’honnête homme. (…) Ah ! si tous les amateurs d’histoire pouvaient être des écrivains de cette qualité. (…) Si tous les professeurs de lettres pouvaient avoir l’enthousiasme communicatif, l’immense érudition et avant tout le goût passionné de la chose littéraire qui font que Fernand Desonay fut à l’Université de Liège, un maître incomparable, eh bien ! il y aurait peut-être moins de barricades dans l’air. Fernand Desonay est un éveilleur. Aussi est-il toujours en éveil. Sa curiosité ne chôme jamais.

Jean Mergeai taquina, lui aussi, cette année-là, Georges Bouillon, se demandant si lors de la rencontre prévue le samedi il se résoudra,

13 Cf. hommage de Marcel Thiry à Carlo Bronne et à Fernand Desonay in La Dryade, n° 56 / hiver 1968, Virton, pp. 11-21. 48 en présence d’un trio d’Académiciens (…) à une présentation académique (…) ajoutant ce n’est un secret pour personne que cet animateur efficace excelle à surprendre ses auditeurs par des propos que chacun peut discuter, mais qui ont l’avantage de n’être pas ennuyeux.

Le samedi 20 septembre 1969, au cours du vernissage de la 16e « Quinzaine du Livre », Jean Mergeai fit l’éloge du journaliste et sociologue Maurice Lambillotte (1900-1972) fondateur de la revue Synthèses et les deux poètes Arthur Praillet et Franco Prete présentèrent le poète, peintre et éditeur d’origine slovène Jean Vodaine (1921-2006)14.

À noter que c’est, cette fois, sous le pseudonyme de Jacques Brihaut que Jean Mergeai signa en page 13 de L’Avenir du Luxembourg du 31 octobre 1969, un article intitulé À Arlon et au Pont d’Oye. Contacts, rencontre, spectacles… Si cet article confirme le lien temporel et organisationnel entre « Les Quinzaines du Livre » et la Bénédiction annuelle de la Forêt au Pont d’Oye, il est, par ailleurs, intéressant de constater la difficulté de communiquer que rencontrent les écrivains de langue française et de langue allemande, au sein de ce que l’on appelle aujourd’hui la Grande Région. En voici un extrait:

Cette année, les traditions ont été un rien bousculées. La date de la bénédiction de la forêt a été avancée au dimanche 21 septembre. Sans doute, la Quinzaine du Livre a-t-elle bien démarré la veille, c’est-à-dire le 20 septembre. Mais elle avait elle-même été précédée de rencontres au Pont-d’Oye entre écrivains de langue française et de langue allemande. C’est Anise Koltz, poétesse grand-ducale de langue allemande, qui avait

14 Cf. hommages de Jean Mergeai à Maurice Lambillotte, ainsi que de Franco Prete et Arthur Praillet à Jean Vodaine in La Dryade, n° 60 / hiver 1969, Virton, pp. 15-28. 49

mis sur pied ces journées. (…) Or, elle a pu constater qu’aucun véritable contact ne se créait, dans ces circonstances, entre les francophones et les germanophones. Timidité réciproque ? Relents d’anciennes rancunes ? Ou, tout simplement connaissance nulle ou insuffisante de la langue des autres ?

Le samedi 3 octobre 1970, la 17e « Quinzaine du Livre » fut organisée pour la première fois à Virton, à la Galerie Art-Vision, en collaboration avec la librairie Michel frères. Albert Ayguesparse présenta l’écrivain Constant Burniaux (1892-1975), membre de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique et Robert Goffin (1898-1984), poète, essayiste fit l’éloge du poète et critique musical Carlos de Radzitzky (1915-1985)15.

Organisée dans le cadre du 700e anniversaire de la Ville de Virton, la « Quinzaine du livre » bénéficia d’une abondante couverture de presse. Voici un extrait de L’Avenir du Luxembourg des 3 et 4 octobre 1970 :

Sous le patronage du gouverneur de la province et du Groupement européen des Ardennes et de l’Eifel, la 17e Quinzaine du Livre organisée par les Editions de La Dryade et de la librairie Michel frères de Virton a été ouverte samedi soir, à la Galerie Artvision à Terme- Virton. (... ) En Gaume, pour Virton, c’est un événement littéraire exceptionnel. À quoi ça sert une quinzaine du livre, demande Georges Bouillon, en guise d’introduction à la manifestation. Mais à nous revoir, tout simplement, à nous connaître si nous ne nous connaissons pas, enfin à insérer la vie littéraire dans la place qui lui revient. Il

15 Cf. hommages d’Albert Ayguesparse à Constant Burniaux et de Robert Goffin à Carlos de Radzitsky in La Dryade, n° 64 / hiver 70, Virton, pp. 11- 22. 50

présenta alors Albert Ayguesparse qui détailla l’œuvre de Constant Burniaux et lui rendit l’hommage que méritait cet écrivain au grand cœur, cet homme simple qui rayonne d’une joie de vivre peu commune.

En 1971, il n’y eut pas de « Quinzaine du Livre », mais bien une « Foire aux livres », inaugurée, dans les jardins du Pont d’Oye, le dimanche 3 octobre 1971 et qui ne dura qu’un week-end. Philippe Vaillant rendit hommage à l’écrivain Michel Doury (1931-2007), de la Société des Écrivains ardennais16 et Georges Sion (1913-2001), membre belge de l’Académie Goncourt, présenta l’écrivain Charles Bertin (1919-2002).

De cette « Foire aux livres », nous savons peu de choses, si ce n’est ce qu’au micro, Georges Bouillon, présenta d’abord Philippe Vaillant, sociétaire des écrivains ardennais, qui poursuit l’œuvre de son père, et rendit hommage à Michel Doury, comme Georges Sion, de l’Académie royale de Langue et Littérature françaises le fit pour Charles Bertin, d’après l’article de Robert Leonet dans L’Avenir du Luxembourg du 5 octobre 1971.

De retour à Arlon en 1972, la 19e « Quinzaine du Livre » fut inaugurée, le samedi 30 septembre. Jean Mergeai rendit hommage à l’écrivain Georges Sion, tandis que Marcel Lobet (1913-2001), membre de l’Académie royale de langue et de littérature françaises et de l’Académie Goncourt présenta le poète Élie Willaime (1900- 1987).17

Voici un extrait de ce qu’écrivit Yvon Sondag dans L’Avenir du Luxembourg du 3 octobre 1972 :

16 Cf. hommage à Michel Doury, par Philippe Vaillant, in La Dryade, n° 68 / hiver 71, Virton, pp. 15-18. 17 Cf. hommages à Elie Willaime, par Marcel Lobet et à Georges Sion, par Jean Mergeai, in La Dryade, n° 72 / hiver 72, Virton, pp. 9-22. 51

Georges Bouillon, directeur de La Dryade, salua ses hôtes sur ce mode spontané et direct qu’on lui connaît. Il eut voulu une assistance plus nombreuse et regretta l’absence de nombreux écrivains et d’artistes qui ne se sentent pas assez solidaires de leurs amis. (…) Après avoir présenté amicalement ses quatre invités d’honneur, les deux « académiciens royaux », Georges Sion et Marcel Lobet, et les deux académiciens provinciaux, Élie Willaime et Jean Mergeai, Georges Bouillon se réjouit du climat intime et amical qui caractérisait cette rencontre.

Le vingtième anniversaire de la « Quinzaine du Livre » fut célébré le samedi 6 octobre 1973, à la librairie Everling à Arlon, là où la première de ces expositions de livres et rencontres annuelles d’écrivains vit le jour en 1954. Cette 20e édition fut l’occasion de deux hommages : celui de Roger Brucher au romancier, poète et essayiste Jacques-Gérard Linze (1925-1997) et celui du poète juif d’origine polonaise David Scheinert (1913-2001) à l’écrivain Gilles Nélod (1922-1989), membre de la Fondation Charles Plisnier et de l’Association royale des écrivains wallons et belges.18

Pour la célébration du 20e anniversaire de « La Dryade », la 21e « Quinzaine du Livre » revint à Virton, le samedi 5 octobre 1974. Cette session célébra deux écrivains belges. Gilles Nélod présenta le romancier bruxellois Jean Muno (1924-1988), fils de Constant Burniaux, et Jacques-Gérard Linze parla du poète David Scheinert (1916-1996)19.

18 Cf. hommages de Roger Brucher à Jacques-Gérard Linze et de David Scheinert à Gilles Nélod in La Dryade, n° 76 / hiver 1973, Virton, pp. 7-18 et pp. 18-25. 19 Cf. hommages à David Scheinert et Jean Muno, par Jacques Gérard Linze et Gilles Nélod in La Dryade, n° 81 / printemps 1975, Virton, pp. 7-18 et pp. 18-29. 52

Dans L’Avenir du Luxembourg du 10 octobre 1974, Yvon Sondag n’y alla pas de main morte :

Deux longs discours allaient exiger du public une bonne heure de patiente écoute, là où beaucoup auraient sans doute préféré un dialogue plus familier, des échanges plus vivants ! En tout cas, les allocutions de Gilles Nélod et de Jacques-Gérard Linze furent d’une haute tenue littéraire ; elles eurent aussi le mérite de rendre plus familière au public la personnalité de deux écrivains belges dont l’œuvre mérite d’être mieux connue et appréciée de leurs compatriotes.

À noter dans le même article le bilan que dressa Georges Bouillon des vingt années d’existence de La Dryade :

Lorsque j’ai conçu La Dryade comme on lance une barque à travers des vagues hostiles, ou peu favorables, je m’étais assumé une traversée de vingt ans au maximum. (…) Comme dans tout bilan qui se respecte, il fallait que la rose ne fût pas sans épines… Mon humanisme trop personnel, ne pouvait plaire à tout le monde… Pour certains, il n’eût fallu que de la poésie pure et des conversations de bon ton. Trop respectables, à leurs yeux, étaient et restent les valeurs établies.

Le ton devint presque amer lorsque le fondateur de La Dryade déclara :

Toute revue ne se révèle-t-elle pas toujours, finalement, une faillite, surtout dans un pays qui, comme la Belgique, honore moins ses lettres que le football et le cyclisme ? (…) l’orateur ne manqua pas de rendre grâce à tous ceux qui, de quelque bord que ce soit, ont persisté à collaborer aussi honnêtement que sincèrement avec des gens dont les vues leur paraissaient étrangères… 53

Le samedi 27 septembre 1975, la 22e « Quinzaine du Livre », rebaptisée « La Quinzaine de la Dryade », célébra une poétesse et un peintre venus du Grand-Duché. Roger Brucher présenta la poétesse Anise Koltz (1928), membre de l'Académie Mallarmé et de l'Institut Grand-Ducal, tandis qu’un triple hommage fut rendu par le poète athusien Arthur Praillet, l’écrivain Franco Prete et l’écrivain alsacien Joseph-Paul Schneider à l’artiste-peintre Roger Bertemes (1927-2006)20.

L’Avenir du Luxembourg du 3 octobre 1975 consacra un bel article à la manifestation. Il est dommage qu’Yvon Sondag, comme d’autres avant lui, clôtura son article par une pique… :

L’ouverture de la 22e Quinzaine de la Dryade fut, à l’image de celle de l’an dernier, une longue séance académique (…). Rencontre d’un indéniable intérêt littéraire, mais où les principaux invités du jour, la poésie et la peinture, furent finalement peu présents (si du moins « présents » signifie « vivants »). En tournant si longtemps le dos aux toiles, en prêtant l’oreille à tant de discours, avons-nous beaucoup découvert la peinture de Roger Bertemes, avons-nous beaucoup goûté à la poésie d’Anise Koltz ?

Le samedi 2 octobre 1976, à la galerie Art-vision à Virton, la 23e « Quinzaine de La Dryade » mit à l’honneur un écrivain et un artiste-peintre. Guy Denis retraça la carrière de Jean Mergeai (1927- 2006), tandis que Jean-Pierre Désert brossa le portrait de Roger Greisch (1917-1999)21.

20 Cf. hommages à Anise Koltz, par Roger Brucher et à Roger Bertemes, par Arthur Praillet, Franco Prete et Joseph Paul Schneider in La Dryade n° 84 / hiver 1975, Virton, pp. 17-31 et pp. 41-50. 21 Cf. hommages de Guy Denis à Jean Mergeai et de Jean-Pierre Désert à Roger Greisch in La Dryade, n° 88 / hiver 1976, Virton, pp. 7-12 et pp. 12- 20. 54

Voici deux extraits du long article paru dans L’Avenir du Luxembourg du 7 octobre 1976 :

Guy Denis souligna l’esprit d’ouverture et de tolérance de Jean Mergeai, humaniste avant d’être écrivain, à tel point qu’il préfère ne pas aller au bout de sa pensée, de son expression chaque fois que cela lui permet de mieux respecter le mystère des êtres et des choses.

L’œuvre de Roger Greisch, c’est un univers à la fois cloisonné et multiple ; c’est aussi le monde des hommes qui veut s’affirmer dans un monde de moins en moins humain. J.-P. Désert y découvre comme « un grand happening simultané ». Greisch, dira-t-il encore, est de ceux qui font de la révolte le moteur de la création. Et de conclure « Roger Greisch échappe par nature à toute formule et les choix restent imprévisibles où le conduira sa quête personnelle.

Le samedi 1er octobre 1977, dans le cadre de la 24e « Quinzaine de la Dryade », c’est Jean-Marie Horemans (1937), critique, poète dialectal, fondateur du Centre d'Histoire et d'art de la Thudinie qui présenta Roger Foulon (1923-2008), Président de l'Association des écrivains belges de langue française et de l'Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, tandis que c’est à Roger Foulon lui-même que revint le soin de présenter les artistes de Thudinie22. À noter le très long et bel article d’Yvon Sondag dans L’Avenir du Luxembourg du 10 octobre 1977.

Le 25e anniversaire de la « Quinzaine du Livre » se fêta à la Bibliothèque nationale de Luxembourg, le samedi 21 octobre 1978,

22 Cf. texte de Roger Foulon consacré aux « Artistes de Thudinie » in La Dryade, n° 92 / hiver 1977, Virton, pp. 91-94. 55 comme nous l’a appris un courriel de Paul Mathieu relatant une conversation qu’il a eue avec le poète André Doms (1937), qui, à cette occasion, rendit hommage au poète Franco Prete (1933-2008), le fondateur de la revue « Origine ».23

Je n’ai trouvé aucun article de presse relatif à cet événement. La circulaire-invitation, que nous a transmise André Doms, et le texte qu’il a publié dans La Dryade, n°96, nous permettent d’apprécier la qualité de son hommage à Franco Prete.

Ainsi se termina l’aventure des « Quinzaines du Livre », qui entre 1954 et 1978, d’Arlon à Luxembourg, en passant par la Gaume, patrie d’origine de La Dryade, accueillit des écrivains et artistes de la province du Luxembourg, de Wallonie et de Bruxelles, de la Lorraine française, de la Champagne-Ardenne et du Grand-Duché de Luxembourg. Il appartenait désormais au Service du Livre Luxembourgeois, créé en 1976, de prendre la relève. Ce qu’il fit avec Anne Vidic, Jean-Luc Geoffroy et aujourd’hui Alicia Morette.

Il aura fallu beaucoup de conviction et de persévérance à Georges Bouillon pour maintenir le navire à flot pendant vingt-cinq ans. Il le fit avec le tempérament et le panache qui le caractérisent.

Retenons que l’action de Georges Bouillon, organisateur et animateur des « Quinzaines du Livre » a contribué à faire connaître de nombreux talents de notre province, de leur permettre de rencontrer des écrivains et artistes venus d’autres régions ou pays, de les ouvrir au monde extérieur, en offrant aux lecteurs potentiels un choix plus vaste de lectures et aux amateurs d’art un panorama de la création artistique contemporaine.

23 Cf. André Doms, « Une lecture de Franco Prete », précédé d’un « avant- dire » de Georges Bouillon, en hommage à Franco Prete, in La Dryade, n° 96 / hiver 1978, Virton, pp.11-20 ; Hélène Gilmard & André Doms, Origine : un voyage poétique insolite entre cultures, Maison de la poésie, 2008. 56

À travers ces extraits de presse commentés, j’ai voulu célébrer le souvenir des « Quinzaines du Livre » et saluer le fondateur de La Dryade, dans une approche « sans concession », permettant à chacun de se faire sa propre opinion à la fois sur ces rencontres littéraires et sur l’homme qui les a animées.

Citons une dernière fois Roger Brucher :

Les « Quinzaines du livre » animées par Georges Bouillon durant tant d'années incarnent, mieux que La Dryade elle-même, le souci qu'a eu le directeur de celle-ci, de porter au plus haut degré possible, l'irrigation d'échanges entre personnes et associations régionales que son entreprenante personnalité avait tenu à faire naître au profit des jeunes et moins jeunes écrivains et artistes de la province. En étendant son action et ses contacts aux sphères hautes et lointaines du milieu littéraire bruxellois, à l'active et plus ancienne Société des Écrivains ardennais, à ce nouveau foyer d'art et de poésie que représentait la revue « Origine » et les nouveaux créateurs thionvillois, il a apporté une contribution essentielle, initiatrice, à ce que le Luxembourg, au sortir du conflit, conquière définitivement une place que nous savons tous être devenue remarquable au sein des forces culturelles animant depuis lors notre pays. À son effort, à sa ténacité, nous sommes tous redevables d'avoir vu surgir (et, pour certains, d'avoir pu prendre part), il y a soixante ans, au renouveau, dans notre province, d'une belle et devenue durable créativité d'art et d'écriture incarnée par un professeur bretteur d'idées qui sut agir pour, « défendre et illustrer » ce que la littérature et l'art représentaient pour lui d'essentiel à faire naître et à faire vivre chez autrui. Ceci mérite gratitude et respect.

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Un bel hommage auquel je m’associe pleinement. Il me reste à formuler le vœu que la présente communication ait non seulement permis de faire connaître la richesse d’une activité littéraire méconnue des jeunes générations, mais aussi de tirer de l’oubli quelques écrivains et artistes qui furent notoires et de donner l’envie de les découvrir.

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Georges Bouillon : professeur et directeur de revue

par Georges JACQUEMIN

(LU PAR JEAN-LUC GEOFFROY)

Le portrait de Georges Bouillon que je trace ici, c’est le mien. J’en assume les limites. Le trop et le trop peu. Ni procureur, ni thuriféraire. D’autres de ses anciens élèves en proposeraient un autre, peut-être tout différent. D’ordinaire, on pense à lui quand on se rencontre entre anciens, quand on évoque des souvenirs. Aujourd’hui, il me revient de donner forme à ce qui, déjà, rentre dans l’ombre, malgré que nous en ayons.

Évoquer la figure d’un professeur qu’on a eu, qui aurait aujourd’hui cent ans, amène à ressusciter ses propres souvenirs le concernant. Georges Bouillon fut mon professeur de français durant quatre ans, de septembre 1951 à juin 1955.

Dans la masse de ses collègues enseignants, toujours un peu ternes, on le distinguait. Il arrivait dans la cour de l’Athénée Royal de Virton, au faubourg d’Arival, d’un pas martial, de l’allure d’un homme pressé qui sait où il va. Surtout, il ne donnait pas l’impression de venir s’acquitter d’une tâche qui lui eût été pénible. D’autres, comme lui, étaient convaincus de l’importance de leur rôle, leur mission, de formateurs de la jeunesse, mais ils étaient

59 moins immédiatement visibles. Lui répétait volontiers que nous faisions des études qui s’appelaient « humanités » ; il voulait dire par là que ce qui était humain devait être au centre de nos préoccupations et celles de nos maîtres. (Déjà alors, certains s’en tenaient étroitement à leur programme…).

Dès l’abord, son vêtement le singularisait. Un jour, il vint faire cours vêtu d’un duffel-coat beige, vêtement épais et chaud qui avait alors beaucoup de succès, la mode en ayant été lancée par des officiers de marine qu’on voyait, le jour du débarquement, arpenter le pont des navires, portant ce vêtement. Cela lui conférait une allure de jeune sportif. Il approchait alors de la quarantaine, étant né en 1915.

Sinon, il venait au cours en complet-cravate du bon faiseur, toujours soigné, très à l’aise dans un style de jeune premier qu’il conserva quasi jusqu’à la fin de ses jours : une certaine classe, ce n’était pas fréquent. Sous le bras, un livre ou, le plus souvent, un petit sac contenant le manuel qu’il allait utiliser en classe et les copies qu’il comptait nous remettre. (Il avait une épouse, Jeanne, qui, outre ses talents de cordon-bleu, aimait et savait recevoir. C’était une femme attentive, soigneuse et travailleuse et qui veillait sur lui, à qui il convient de rendre également hommage. Il ne faut pas négliger cet aspect quand on veut évoquer la vie d’un homme : sa femme explique aussi sa vie.)

Bref, dès le premier abord, c’était un professeur qu’on remarquait.

Il gagnait alors sa classe, au 2e étage. Le cours de français, pour Georges Bouillon, c’était d’abord un cours de littérature qu’il faisait en fonction des programmes officiels, certes, homologation des diplômes oblige, mais contre lesquels il s’était plus d’une fois insurgé, leur reprochant (et reprochant donc aux inspecteurs) de se montrer trop frileux, trop « classiques », attitude qui impliquait de leur part une grande méfiance envers les contemporains, de Sartre à Malraux, dont le temps n’avait pas sculpté la figure définitive (si elle l’est jamais). Lui qui recevait régulièrement chez lui romanciers, 60 poètes et peintres, regrettait encore le silence presque total sur les poètes contemporains, comme Éluard et Aragon et sur les Belges et les régionaux, qu’il connaissait bien : on s’arrêtait au symbolisme. Évidemment, chaque cours devenait vite occasion à parler des vivants, soit qu’il ait glissé vers eux suite à une association d’idées, soit qu’un petit futé d’entre nous, à la faveur d’une question faussement naïve, lui ait tendu une perche qu’il ne manquait pas de saisir. Il estimait que, même dans ce cas, sa parole pouvait se révéler féconde : « Je sème à tout vent ».

Entré comme professeur à l’Athénée de Virton dès 1940, après une campagne des 18 jours mouvementée qu’il a racontée dans Souviens-toi, il soutenait donc qu’il fallait s’ouvrir à la littérature de son temps, avec les risques d’erreurs que cela comporte, une littérature qui parle la langue de l’époque et en aborde les problèmes. Raison pour laquelle il citait volontiers Camus et Proust, ayant consacré à ce dernier son mémoire de licence en philologie romane.

C’était un professeur enthousiaste. Il aimait la littérature, en parlait d’abondance et avec chaleur. Une sorte de foi. Inutile de dire qu’il avait l’adhésion de la majorité de ses élèves, ce qui n’est pas chose aisée quand on a devant soi des adolescents volontiers rebelles ou contestataires. Il séduisait surtout les filles : à la connaissance des matières qu’il enseignait s’ajoutait un certain charme, une sorte de charisme. Avec le recul, la plupart de ceux qui eurent droit à son enseignement reconnaissent qu’il est du nombre des professeurs qui les ont marqués, comme aussi André Joris, historien moqueur et volontiers critique, parfois acerbe, qui devint professeur d’histoire médiévale à l’Université de Liège.

Son aisance reposait sur une bonne connaissance des auteurs. Il avait bien lu et lu beaucoup. Même mentalement, il entretenait avec eux une sorte de dialogue. Il avait également beaucoup réfléchi, ce qui lui avait permis, outre de se rendre fort pour affronter les contestations (au cours ou en dehors de l’école), de se forger une personnalité morale, son humanisme, que d’autres 61

évoqueront. Dès cette époque, il cultivait le goût des citations, dont plus d’un de ses livres porte témoignage.

En nous parlant de la littérature française, il se faisait plaisir et, en même temps, nous attirait à elle. C’était, comme on dit aujourd’hui, un grand communicateur, un homme de parole. Sans lui, que d’auteurs nous auraient échappé ! (Je me souviens d’avoir découvert, grâce à lui, Jules Sandeau, l’auteur de Mademoiselle de La Seiglière, romancier dont Aurore Dupin, Baronne Dudevant, qui fut un temps sa maîtresse, a tiré son nom d’écrivain pour devenir George Sand).

Dans les classes supérieures, il utilisait l’anthologie de Jacques Gob, Pages classiques des grands écrivains français des origines à nos jours (Éditions De Boeck), professeur à l’Athénée Royal de Liège, anthologie qui fut, par après, revue et enrichie, par Roger Lespire, professeur de français au même établissement. Choisir cette anthologie révélait une intention. Gob avait conçu cette anthologie avec une grande liberté intellectuelle ; les textes qu’il avait retenus, souvent classiques, ne tombaient ni dans le banal ni dans l’anodin. Pas d’André Theuriet ni de René Boylesve, comme je l’ai vu dans d’autres ouvrages scolaires du même genre. Pour Gob, pour Lespire, comme pour Bouillon, seules des nourritures de qualité et variées sortent les esprits de la futilité. La diversité des auteurs témoignait de la richesse de cet ouvrage. Ainsi, on y trouvait une élégie d’Évariste Parny aussi bien que des pages d’histoire d’Augustin Thierry. J’ajoute que cette anthologie s’accompagnait de textes d’auteurs belges, du prince de Ligne à Jean Tousseul.

Professionnellement, Bouillon devait demander à ses élèves des travaux écrits, en l’occurrence, la plupart du temps, des dissertations. Là encore, des sujets qui devaient conduire à la réflexion, qu’il corrigeait à l’encre, de sa large écriture si caractéristique, en ne retenant que l’essentiel. Il soulignait nos fautes d’orthographe (c’est le lot des professeurs de français) et notait en marge ses réactions, faisait remarquer un plan boiteux ou même redressait toute une composition. Pour améliorer notre 62 connaissance de la langue, il imposait l’achat du Bon usage, l’ouvrage de référence de Maurice Grevisse. Quel professeur de français d’aujourd’hui oserait encore agir de la sorte ? Il préconisait en outre, avant que n’apparaissent sur le marché les Lagarde et Michard, l’achat du classique Lanson et Tuffrau.

Georges Bouillon ne mettait que rarement des notes inférieures à la moyenne. Il le faisait quand il lui paraissait qu’un travail avait été notoirement bâclé, qu’il n’avait pas été relu, qu’il était semé de fautes. Aux délibérations, il savait faire preuve de générosité, ce qui n’est pas le cas lorsqu’on a affaire à un professeur qui s’accroche à ses notes. Un de nos camarades, originaire de la région d’Arlon, n’avait entendu parler chez lui que le dialecte arlonais (l’areler) avant de rejoindre notre classe ; il avait donc des difficultés en français. Mais c’était un mathématicien exceptionnel qui devait réussir brillamment l’examen d’entrée en ingénieur. Georges Bouillon comprit très vite, au vu de l’ensemble des résultats, qu’il s’agissait d’un élève brillant qui avait malheureusement une faiblesse dans sa discipline. Il ferma les yeux et laissa notre camarade obtenir son diplôme de rhétorique ; en quoi il fit bien.

Nous connaissions bien ses marottes. Sartre et Malraux, Camus, voire Gide (celui du Journal), Proust et quelques autres étaient du nombre. Il y revenait volontiers, plus, sans doute, que ne le permettaient les programmes officiels.

Il se rangeait parmi les défenseurs de la liberté d’expression et avait à cœur de nous révéler ceux qui abordaient les problèmes de l’heure, le colonialisme et la décolonisation par exemple. Rétrospectivement, il prenait parti pour Baudelaire traîné devant les tribunaux pour atteintes aux bonnes mœurs et dont six pièces des Fleurs du mal furent condamnées et retirées du recueil ; il défendait Flaubert, mêmement accusé, dont Madame Bovary fut, elle, acquittée.

À l’inverse, il n’aimait guère Paul Claudel, auteur, en son temps, d’une Ode au Maréchal (Pétain) et dont il rappelait cette parole : 63

« La tolérance, il y a des maisons pour cela ». À ma connaissance, c’est un auteur qu’il ne fréquentait guère. Pour le reste, il connaissait bien les classiques auxquels il joignait les modernes (en gros, les écrivains apparus dès 1930).

Il y avait ainsi des domaines où il abordait volontiers, voluptueusement dirais-je, mais où nous l’incitions souvent à glisser pour le plaisir de son discours. Il parlait clairement, d’une voix timbrée. Brochant sur la plupart de ses collègues, il mettait de la chaleur et de la conviction dans ses exposés.

Je l’ai eu comme professeur à partir de la 3e année des humanités. De la première année, je me souviens des dictées (puisées dans un livre de Maurice Grevisse) qu’il nous donnait. Pas un excellent souvenir. Au moment de la correction, on se passait les cahiers les uns aux autres, et chacun repérait et soulignait les fautes des autres. On essayait de savoir quel camarade avait notre cahier à corriger et on manoeuvrait pour qu’il n’y ait pas trop de rouge… Ce n’était pas très pédagogique. Il est vrai qu’à l’époque, la pédagogie et la méthodologie n’étaient pas encore des « sciences » à la mode et que, peut-être à tort, on ne s’en préoccupait pas. Georges Bouillon, ces disciplines ne l’intéressaient pas.

À tour de rôle, nous devions prendre la parole pour un exercice dit « d’élocution ». La plupart du temps, nous choisissions un livre. Je me souviens d’avoir parlé d’un livre d’André Maurois et d’un autre d’Anatole France. Ce n’était pas révolutionnaire, même si je considère que l’auteur de l’Histoire contemporaine mérite mieux que l’oubli où on le relègue aujourd’hui.

Quand on abordait les classes supérieures, on découvrait le plaisir des Lettres grâce à un professeur convaincant et convaincu, disert, chaleureux, qui séduisait par ses commentaires tour à tour savants ou familiers. On restait longtemps dans cet état, même si, au fil des années, chose tout à fait normale, notre enthousiasme se tempérait. Nous étions à l’âge où l’on devient volontiers critique et avoir eu un même professeur de français pendant quatre années 64 engendrait un peu d’usure. Quelques-uns d’entre nous, il est vrai, se montraient agacés ; ils trouvaient que Bouillon nous la resservait un peu trop souvent avec son humanisme dont ils avaient fini par sourire. À trop vouloir démontrer…

Georges Bouillon n’hésitait pas, en dehors de la classe, à se proclamer athée, de gauche et humaniste. Il a d’ailleurs repris trois de ses livres sous le titre général de Paroles d’un incroyant. Par contre, il s’abstenait de faire toute apologie, même si nous devinions bien quelles étaient ses idées. Il n’était pas partisan d’une neutralité « neutre », insipide, mais pour une neutralité active, celle qui indique les pistes et n’impose rien.

Était-ce affaire de tempérament, était-ce dû à l’importance qu’il accordait à son métier, Georges Bouillon était un professeur sérieux. Il donnait l’impression de toujours combattre avec le banal, le quelconque et avec le temps. Il faisait, il est vrai, tant de choses !

En fait, tout concourait à lui conférer une stature : ses cours, son allure, son verbe facile, son vêtement même. En un mot : sa présence.

Je pourrais résumer ces lignes d’un mot : c’était une personnalité et un éveilleur !

***

Je dirai maintenant quelques mots du directeur-animateur de La Dryade, sa revue, en me limitant au travail que cette fonction implique et aux conceptions qu’il en avait.

L’homme sentait en lui des forces en réserve et des projets multiples naissaient dans son esprit. Il fut toujours un homme très actif, lançant des idées, participant à des mouvements, prenant la

65 parole à des réunions, voyageant. Il sentait l’envie, née d’un manque certain, de réaliser dans le Luxembourg, une sorte de « défense et illustration » de la littérature, des arts et de l’humanisme. D’entrée de jeu, il voulait sortir du régionalisme, du provincialisme. En compagnie de quelques autres, il se lança alors dans l’aventure d’une revue de prose et de poésie intitulée Le jeune Faune. C’était le début de ses nombreuses initiatives pour réveiller la province et secouer les esprits. « Je n’ai jamais fait profession de régionalisme mais d’humanisme et d’universalisme. Si le Luxembourg est à la traîne des neuf provinces, c’est dû à son esprit passéiste et refermé sur lui-même », déclara-t-il un jour à Jean- Marie Triffaux (Avenir du Luxembourg, 6 janvier 1988). Au nombre des collaborateurs de cette revue figurait Camille Biver (1917-1981), poète tendre, romancier jeunesse, chanteur, animateur, à Bruxelles où il s’était exilé, du Coup de lune, cabaret qui vit se produire Brel, Adamo, Beaucarne, etc. La ville d’Arlon et le Luxembourg devraient bien lui rendre un hommage mérité…24

Georges Bouillon était devenu l’ami du sénateur catholique Pierre Nothomb et du gouverneur de la province Octave Lohest, lui aussi de droite, hommes éloignés de ses propres idées philosophiques, qui, reconnaissant son souci d’ouverture, son dynamisme, l’ont soutenu dans de nombreuses activités culturelles. Et procuré quelques subsides dont une revue a bien besoin.

Le jeune Faune disparu, Georges Bouillon se lance dans une nouvelle aventure littéraire et crée La Dryade : nous restons dans la mythologie latine et sylvestre. La revue paraîtra jusqu’en 1987 et vivra 33 ans. « Comme le Christ », disait avec un sourire son directeur-animateur. Quatre numéros paraîtront chaque année. C’est peut-être là la plus belle aventure de Georges Bouillon. Pourtant, plus d’un avait exprimé son scepticisme quand il avait parlé de lancer une revue littéraire dans notre province, et le poète Thomas Braun déclarait : « L’Ardenne n’est pas picturale ». Il y avait

24 Voir le Dossier L 30-1 qui lui a été consacré (Service du Livre luxembourgeois). 66 pourtant parmi ses contemporains des Camille Barthélemy, des Marie Howet, des Albert Raty ; il y avait des Richard Heintz, comme il y aurait des Roger Greisch, des Guillaume Édeline et des dizaines d’autres25.

En haut de la première page de la revue, on pouvait lire ceci, qui est tout un programme : « La Dryade, revue artistique et littéraire fondée par Georges Bouillon, ne se veut pas seulement régionale ou provinciale, mais internationale. Elle a mis Vivre sur son drapeau, comme Ulenspiegel, Vivre toujours à la lumière »26.

Au début de chaque saison, ponctuellement, avec la complicité et la générosité de l’imprimeur Michel, à Virton, Georges Bouillon faisait paraître une revue d’une centaine de pages qui lui servait de tribune, mais où il mettait à honneur d’accueillir talents naissants, plumes éphémères, auteurs connus. Parmi ces derniers, je citerai Francis André (dont, dès les premières livraisons, il publie un roman), Carlo Masoni, Claude Raucy (qui fut son plus fidèle disciple), Joseph Delmelle (auteur d’un Panorama littéraire du Luxembourg , Éditions de La Dryade, 1970), Robert Goffin, Georges Linze, Élie Willaime, le poète des Ardennes françaises Camille Lecrique, Paul Dresse de Lébioles, Vital Lahaye, Yvon Sondag, l’Athusien de Paris Hubert Juin, Robert Montal (alias Robert Frickx), Maurice Carême, Arthur Praillet, Guy Denis, Anne-Marie Kegels, Frédéric Kiesel, Fernand Desonay, André Schmitz, etc. Des dizaines et des dizaines de « plumes » (quelque 600) auront trouvé accueil

25 Voir le Dictionnaire des peintres du Luxembourg belge, par Georges Jacquemin, Omer Marchal, Albert Moxhet, Roger Thumilaire, Jo Verbrugghen (Éd. Omer Marchal, 1995).

26 Dans les premiers numéros, les mots « ne se veut pas seulement régionale ou provinciale, mais internationale » ne figuraient pas. Leur présence indique qu’au fil du temps l’enracinement régional et l’ouverture internationale se sont imposés. La souscription a subi quelques modifications au fil des numéros. 67 dans La Dryade, ce qui postule un courrier abondant et des lectures sans nombre : malgré l’abondance, des choix s’imposaient.

Le directeur était ainsi en relation épistolaire avec des quantités de créateurs, dont le père Bonaventure Fieullien, l’ermite de Régniowez, graveur, qui illustra plus d’un numéro. Son action trouvait un prolongement dans l’accueil, chez lui, de nombreux écrivains et peintres. Ce qu’il aimait par-dessus tout, c’était la discussion, l’émergence d’idées. Son aisance à s’exprimer lui donnait, outre de l’assurance, un avantage sur la plupart de ses interlocuteurs. Mais il aimait également la controverse. Si un de ses étudiants prenait le contre-pied de ce qu’il avançait, il répondait d’abondance, citations à l’appui, et en prenant son temps : il voulait convaincre.

La Dryade sera son œuvre, l’œuvre d’un homme seul et qui, sans doute, a voulu cette situation.

Sa facilité de parole pouvait lui jouer des tours. Il finissait quelquefois par lasser ou par indisposer son auditoire quand il monopolisait la parole : il écrasait. De là, la position de solitaire qui fut parfois la sienne. Il s’en plaignait mais en était peut-être responsable. Il développa de la sorte une forme de paranoïa.

De son accueil, je me souviens bien. C’est chez lui, par exemple, que, jeune romaniste, j’ai rencontré Hubert Juin venu en Belgique avec l’écrivain de fantastique Claude Seignolle à qui un numéro spécial fut consacré. On pouvait aller chez lui à tout moment ; sa porte était toujours ouverte, même s’il arrivait qu’on le dérangeât. Il n’en disait rien. C’était une forme de son élégance.

Pour avoir, pendant dix ans, dirigé la revue Pollen d’azur, je connais les difficultés d’un directeur de revue, et je pense à ces mots de Raymond Aron : « Une revue pèse sur le responsable d’un poids qui accable ; j’avais donné beaucoup de temps et surtout de pensée à cette œuvre éphémère, j’aurais pu et dû trouver du loisir pour des travaux plus substantiels ».

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Recevoir des textes, mais surtout ordonner, équilibrer le numéro. Une revue littéraire où poésie, nouvelles, théâtre parfois, critique, doivent trouver place est un travail difficile dont le public est le troisième partenaire. Diriger La nouvelle revue française n’est pas diriger une revue régionale, fût-elle d’esprit ouvert. Dans le premier cas, on peut lancer des auteurs, mettre en avant des écritures novatrices, susciter des réactions (favorables ou non) ; dans le second, on peut donner leur chance à de jeunes plumes, mais il ne faut pas dépasser ce que le public peut recevoir, c’est-à-dire se placer à un niveau plus modeste sans, pour la cause, tomber dans le facile, le médiocre : affaire de dosage.

Il faut en outre tenir compte de la diffusion de la revue. Régionale (mais ouverte à tous les vents de l’esprit, sauf aux extrémismes dont notre époque ne manque pas), régionale elle demeurait, malgré la fidélité de lecteurs venant d’autres horizons. Il ne pouvait être question pour elle de rivaliser avec les quelques revues internationales, françaises ou même belges, autrement diffusées et autrement soutenues. Seul responsable de la revue, Georges Bouillon avait fini par se confondre avec elle, dans l’esprit du public aussi, au détriment de ses livres ou, peut-être, de ce qu’il aurait pu écrire d’autre.

Du directeur de revue, il assumait toutes les charges. Le choix des textes lui prenait beaucoup de temps mais, surtout, la correction des épreuves, travail fastidieux, exigeant une attention constante. (Au début, l’imprimeur Michel recourait à une linotype pour composer les textes, travaillant avec du plomb sur lequel il imprimait les épreuves. Les techniques modernes de composition à l’ordinateur et les clés USB, par exemple, ont bien simplifié la tâche et l’ont rendue plus rapide).

Georges Bouillon poussait loin le travail qu’on pourrait dire administratif en tenant à jour le fichier des abonnés (pas de vente au numéro, pas de dépôt en librairie, ce qui évitait des navettes et le retour des invendus). Sur la feuille qui enveloppait la revue au moment de l’envoi et la protégeait, il écrivait lui-même le nom du 69 destinataire, et le faisait quatre fois par an, chaque année. Travail peu gratifiant…

Quelques numéros s’ordonnèrent autour d’un thème. J’ai déjà cité celui qui fut consacré à Claude Seignolle ; d’autres furent plus « géographiques », présentant une sous-région de la province (Arlon notamment). Georges Bouillon agissait ainsi, je pense, pour valoriser certains artistes, écrivains ou peintres, mais aussi quand se présentait quelque opportunité, celle, notamment, de collaborer avec les syndicats d’initiative. Il voulait que La Dryade fût une revue littéraire, mais, à titre personnel, il ne méprisait pas le patrimoine provincial, qu’il fût archéologique avec Arsène Geubel ou folklorique avec Edmond Fouss. Éditeur de revues, il tenait à s’en démarquer nettement. Il ne souhaitait pas encourir le reproche d’être taxé de négliger, de renier le passé, certes, mais il entendait lutter contre le passéisme d’une province rurale conservatrice, à l’écart des courants de pensée modernes. C’était là, pour lui, une manière de plus de manifester son ouverture. De même, il ne parlait pas des écrivains et peintres décédés, sinon accidentellement : La Dryade était dans le présent, se faisait dans le présent.

L’ouverture, c’était bien là, aussi bien dans ses cours que lors de ses rencontres, l’occasion de manifester son attachement à la culture (d’où qu’elle vînt) et à son humanisme. À son propos, on a parlé, non sans raison, de « citoyen du monde », une expression qui fit florès dans les années 70. (Les voyages qu’il fit, de Cuba aux pays de l’est, la Russie notamment, témoignent de son besoin de voir clair. Mais il a peut-être été aveuglé par les honneurs qu’on lui réservait à l’Est).

La Dryade était le lieu premier où il pouvait s’exprimer. En témoignent les dizaines d’articles, les chroniques qu’il y a publiées et les nombreuses Telles quelles qu’il reprit plus tard en volumes : il avait toujours quelque chose à dire, et ce qu’il pensait, il voulait que cela se sache. Il avait son franc-parler, choquait quelquefois, poursuivait sa route. C’était un homme en mouvement.

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Georges Bouillon, sorte de mousquetaire, s’avançait toujours flamberge au vent et pavillon déployé. « En avant, calme et droit » comme le proclamait le titre d’un livre de François Nourissier. Courageux et volontaire, il l’était. Mais avait-il le sentiment d’être compris comme il le souhaitait et soutenu comme il pensait le mériter ? À la longue, La Dryade finissait par s’user. Trop répétitive, trop conservatrice (ô scandale !), trop classique, ont dit certains.

Seul maître à bord, il assumait (devait assumer) les inconvénients de cette position. Parfois, il se trouvait solitaire, parfois il recevait des coups. Cela l’affectait, mais il poursuivait sa route. La revue cessa de paraître en 1987 ; Georges Bouillon avait septante-deux ans. Il avait vu disparaître les amis de son époque, Nothomb, Lohest, Barthélemy, Raty, Howet, Lecrique et combien d’autres qui, parfois, n’avaient été que des compagnons d’une saison ! Cette constatation laisse toujours amer.

S’il avait comparé les premiers numéros de sa revue et les derniers, il aurait mesuré son évolution comme ses constantes. Il aurait sûrement apprécié la solidité de ses idées et de ses choix et la permanence de ses revendications, au nombre desquelles il faut ranger son besoin de s’exprimer, de dire ce qu’il pensait, de convaincre de la justesse de son combat.

Le temps passe, inexorable. Georges Bouillon se serait-il réjoui de l’hommage que nous lui rendons ? Plus sûrement, il nous aurait demandé si ses œuvres multiples, son dévouement humain à la cause de la culture et des arts, ont laissé des traces, si les choses ont changé. Je crois que nous pourrions le rassurer. Mais que de chemin reste à parcourir dans les esprits !

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Georges Bouillon aujourd’hui

par Paul MATHIEU

À examiner l’œuvre de Georges Bouillon avec le nécessaire et inéluctable recul du temps qui a passé, voilà que, très vite, deux remarques s’imposent. D’une part, le fait que son nom reste immanquablement attaché à La Dryade, que l’on songe ici à la revue ou à la maison d’édition. D’autre part, le souvenir de l’homme, de son engagement humaniste proclamé à chaque occasion et qui laisse de lui l’image d’un animateur culturel tout autant que celle d’un écrivain.

En priorité, on doit bien sûr se demander qui était Georges Bouillon. Un personnage monolithique de prime abord, mais somme toute quelque peu paradoxal. Attentif aux nouveautés, mais conservateur 73 dans la lettre ; ouvert sur le monde, mais ancré à Vieux-Virton ; progressiste dans les idées, plutôt mondain dans les faits ; n’hésitant pas à citer tel chanteur à succès, mais toujours prêt à vilipender certaines modes, voire certaines formes d’expression innovantes comme la bande dessinée ou le cinéma… On pourrait sans effort multiplier les exemples. Ce n’est pas un hasard si une partie de ses essais s’intitule Provinciales… telles quelles27. Au-delà de toutes références littéraires, il s’agit bien d’insister sur le caractère entier, assuré, sans complaisance, de la réflexion et de l’homme qui la présente. Un Georges Bouillon qui, à l’évidence, méritait bien son nom.

Pourtant, malgré cette assurance, on notait chez lui comme une sorte de tristesse permanente : « Vaste est le monde et si petit notre cœur », confiait-il dans la dernière série de ses Provinciales28. Georges Bouillon aimait se faire croire poète, il l’était au sens étymologique du mot. Il était aussi un personnage engagé (enragé !) dans le débat d’idées et dans l’action. Présent sur tous les fronts en même temps. Que cela n’ait pas toujours permis de remuer des montagnes, certes, mais force est de reconnaître qu’avant et après son passage, le paysage des lettres luxembourgeoises n’était plus le même. Bien entendu, il n’est pas le seul à avoir contribué à cette métamorphose, mais son action fut parmi celles qui s’avérèrent déterminantes. Ce n’est pas un hasard si, à rebours de Paul Claudel, il se disait « pour tous les Prométhée contre tous les Jupiter29 » : réflexions, aphorismes, critiques, notes de lecture ou de voyage… tout cela se mettait systématiquement du côté de l’humain pour ne pas dire d’une certaine humilité.

27 C’est l’auteur qui souligne. 28 Georges BOUILLON, Paroles d’un incroyant. Dernières provinciales… telles quelles, Vieux-Virton, Éditions de la Dryade, 1981 (coll. « Variétés », n° 72), p. 139. 29 Georges BOUILLON, Paroles d’un incroyant. Provinciales… telles quelles, Vieux-Virton, Éditions de la Dryade, 1970 (coll. « Variétés », n° 22), p. 71. 74

Dans un des rares articles un peu conséquents consacrés à Georges Bouillon30, Marcel Detiège soulignait combien l’écrivain virton(n)ais entendait « ne jamais se manquer à lui-même ». Sur ce plan, en tout cas, on constatera qu’il ne peut guère être pris en flagrant délit de discrétion quant à ce qu’il pensait de ceci ou de cela quand ce n’était pas d’untel ou d’untel.

De même, on doit souligner que, s’il craignait disparaître sans imprimer sa marque31, Georges Bouillon continue aujourd’hui à susciter débats et discussions à Virton et au-delà. Pour comprendre cela, il faut souligner trois choses. Tout d’abord, l’intérêt toujours contemporain de ses ouvrages. Ensuite, son ton polémique, pour ne pas dire provocateur en certaines occasions. Georges Bouillon s’indignait de ce qu’on lui fît des procès et de ce qu’on l’attaquât, mais il est vrai qu’il ripostait parfois avant que ne parte le coup adverse. Exposé, et volontairement exposé, on ne l’a jamais épargné. Peu importait, il semblait attendre ces critiques, les espérer presque par certains côtés. Enfin, pour terminer cet inventaire préliminaire des caractéristiques de l’auteur qui nous préoccupe, on relèvera au gré des innombrables textes qu’il a signés, les multiples références très appuyées et très manifestes : Montaigne, Albert Camus, André Gide, Victor Hugo, Marcel Proust, mais aussi Louis Gueuning, le Père Pire, Pierre-Henri Simon et tant d’autres. En amont de ces ancrages, il faudrait inclure les affirmations sans cesse redites de l‘humanisme, l’engagement à gauche, la répétition jusqu’à satiété de l’athéisme, la volonté de rester dans son rôle d’enseignant... Dès le premier chapitre d’un de ses premiers livres, Georges Bouillon opérait déjà une sorte de

30 Marcel DETIÈGE « Georges Bouillon », in Anne-Marie TREKKER & Jean- Pierre VANDER STRAETEN, Cent auteurs. Anthologie de littérature française de Belgique, Nivelles, Éditions de la Francité, 1982, p. 51-54. On pourra aussi se référer à l’orientation bibliographique en annexe. 31 Mon échec je le connais. Disparaître sans trace : tel est le problème, in Georges BOUILLON, Paroles d’un incroyant. Dernières provinciales… telles quelles, op. cit., p. 193. 75 profession de foi qui mettait au premier plan son travail d’éducateur :

Que suis-je fort simplement ? Un professeur. Rien qu’un professeur. Un professeur qui professe, tout en sortant de son cadre pour s’élargir sans cesse. Ou plutôt, qui s’élargit pour rester à l’aise dans son cadre. En aucune manière, un éditeur ou un auteur à la hauteur. Mais plus facilement, un amateur et un animateur. Donner mon âme et mon amitié, telle est la part de hasard qui m’est échue parmi les arbres de ma Terra Mater. À la part du hasard, je n’ai fait que joindre ma bonne volonté. C’est à labourer mon esprit que, paysan, surtout je m’emploie32.

On le voit, bien des choses importantes sur l’homme et sur son parcours transparaissent dans ces quelques lignes. Il ne faut jamais perdre de vue que l’humanisme qui est sans cesse brandi au cœur de son action se veut d’abord une sorte d’attachement passionné à l’humain dans ce qu’il a de plus farouchement ordinaire. On ne peut que s’attarder sur la dimension terrienne, paysanne, qui clôture l’extrait. Homme de culture, Georges Bouillon se voulait aussi proche de la nature. Avoir mis son œuvre sous le signe d’une nymphe protectrice des forêts, voilà tout un symbole… plus fort encore si l’on songe que le mot dryade vient du grec δρυς, « chêne33 » et que cette créature sylvestre avait pour mission de protéger sa demeure des vandales sacrilèges qui la menacent. Un rempart contre l’inculture, l’indifférence, le désœuvrement, l’apathie… on tient peut-être là une des clés de la démarche de l’auteur.

32 Georges BOUILLON, Auto-portrait. Humanisme d’un homme quelconque, Vieux-Virton, La Dryade, 1966 (coll. « Variétés », n° 12), p. 39. 33 Litt. ‘chêne’, mais aussi ‘pin’ ; cf. sanskrit, dru, ‘bois, arbre’ ; daru, ‘morceau de bois, piquet’ ; Anatole. BAILLY, Abrégé du dictionnaire grec- français, Paris, Hachette, 1965 (1901), p. 229. 76

En fait, pour suivre Georges Bouillon, il suffit souvent de le lire. De le lire, mais pas forcément de le croire. Ce serait trop commode et trop simple. Chacun a sa part d’ombre : pourquoi un homme sincère, ou en tout cas souvent présenté comme tel par lui et par d’autres, y échapperait-il ? Non tant qu’il faille remettre ses écrits en doute, mais bien plutôt parce que, même s’il parle de bonne foi, il ne dit pas forcément tout. Il n’a de toute façon des choses qu’une vision partielle, pour ne pas dire à l’occasion, partiale. Il nuançait d’ailleurs fortement ses propos lorsqu’il disait présenter ce qu’il croyait être34 : définir en quoi « je suis un humaniste de gauche »…/… en quoi « je suis un éducateur de gauche »…/… en quoi « je suis enfin un démocrate de gauche ». Cette volonté exacerbée de ressasser à chaque occasion ses engagements politiques et les justifications exaltées de ses choix philosophiques débouchait parfois sur de magnifiques ambiguïtés :

Pour l’instant, je ne me sens pas agent de Dieu mais des hommes. Agi par eux, j’agis pour eux…/… Pour l’instant donc, je ne suis pas chrétien. Et après ? Après ce point d’interrogation…/… [cette citation] de Simone Weil dans « La Pesanteur et la grâce » : « Entre deux humains qui n’ont pas l’expérience de Dieu, celui qui le nie est peut- être le plus près »35.

Cela dit, soyons clairs, il existe chez lui un esprit critique entier y compris vis-à-vis de lui-même. En outre, lorsqu’il s’agit d’envisager les points de vue sur l’actualité, la littérature, l’art en général, il faut constater que les lectures, les conversations, tout fait farine à son moulin. En ce sens, on relira par exemple les multiples aphorismes qu’il a laissés. Ainsi :

L’affaire de la Grenade n’a pas plus troublé le petit déjeuner du président Reagan que la condamnation de

34 Georges BOUILLON, Auto-portrait, op. cit. p. 107. 35 Georges BOUILLON, Auto-portrait, op. cit., p. 80. 77

l’agression américaine par l’O.N.U. L’invasion de la Belgique par les troupes de Guillaume II ou d’Adolf Hitler n’avait pas non plus troublé l’empereur ou le führer. Les Grands de tout temps et de tout lieu ont-ils jamais été préoccupés par le sort des moucherons. « Une nuit de Paris réparera tout cela », disait déjà ironiquement Napoléon36.

Évidemment, parler de Georges Bouillon en ses qualités d’homme et d’écrivain ne suffit pas. Encore faut-il évoquer la dimension éditoriale. Inutile de revenir ici sur les modalités de fonctionnement type « compte d’auteur », mais bien de voir ce qu’il reste aujourd’hui dans la multitude d’ouvrages publiés naguère à l’enseigne de La Dryade. Pour cela, on peut faire un petit tour dans le denier catalogue de la maison37, le troisième du genre. Il date de 1986. Certes, Georges Bouillon lui-même a continué à faire paraître plusieurs de ses livres sous cette étiquette, mais on n’a plus de nouvelles signatures après cette date. Quoi qu’il en soit, un coup d’œil dans le catalogue paraît des plus précieux et souvent des plus significatifs.

Déjà la présentation en est tout à fait aérée et agréable (professionnelle, dirait-on aujourd’hui). Sur la couverture, on trouve cette gravure assez heureuse signée Michel Delvaux représentant une dryade qui, pour un instant, a posé sa lyre et qui s’en va cueillant les derniers fruits de l’automne. Tout un symbole repris pour les quatre derniers numéros de la revue. Dans le n°129 du printemps 1987, Georges Bouillon s’explique d’ailleurs au sujet de ce choix38 :

36 Georges BOUILLON, Ces grappes de ma vigne, Vieux-Virton, La Dryade, 1988 (coll. « Variétés », n° 106), p. 123. 37 Les Éditions de La Dryade. Catalogue 1986. 38 Georges BOUILLON, La Dryade, printemps 1987/n° 128, p. 1. 78

Si c’est la dryade de Michel Delvaux39 qui figure sur les quatre couvertures de la 33e et dernière série de notre revue, la couverture printanière du n°1 de 1955 était due à l’abbé Cornerotte40. Ecclésiastique discipliné, il ne l’avait pas signée, ayant obéi à son évêque qui craignait le « naturisme » d’une déesse païenne. L’évêque et l’abbé en ont vu bien d’autres depuis !... Si la dryade de Michel Delvaux est nue, elle possède en commun avec le visage de la dryade de Remy [Cornerotte] une lyre. Que soit immortelle la lyre du poète qui a toujours raison contre les instruments mortels des autres hommes !

Pour en revenir au catalogue, l’avant-propos donne, lui aussi, de précieuses indications. Déjà, comme il le fera encore dans le dernier numéro de La Dryade paru en hiver 1987, l’écrivain y établit une sorte de bilan de son action (un exercice qu’il appréciait) et, dans cette optique, il revient longuement sur le mémoire de Yannick Pierre41 qui se demandait si La Dryade avait été une réussite ou un échec. Bien qu’il ait publié intégralement ce travail dans le dernier numéro de La Dryade, Georges Bouillon est particulièrement virulent à son propos42 :

Il cite tel écrivain qui, collaborant à la revue, préfère se faire éditer ailleurs ou tel autre qui, après y avoir débuté, se voit sélectionné par des éditeurs plus prestigieux. Comme si ce n’était pas précisément l’un des buts

39 À son propos, cf. Georges BOUILLON, Michel Delvaux, Vieux-Virton, La Dryade, 1957 (coll. « Petite Dryade », n° 5). 40 Remy CORNEROTTE, né à Gérouville le 21 mai 1921 et décédé à Hatrival le 6 juillet 2008. Curé d’Hatrival. 41 Yannick PIERRE, « La Dryade, trente ans de revue littéraire et artistique dans le Luxembourg », in La Dryade, n° 132 / hiver 1987, p. 3-105. 42 Georges BOUILLON, Les Éditions de La Dryade. Catalogue 1986, p. 3. Cette virulence est d’autant moins légitime en l’espèce que le travail de Yannick Pierre était d’une rigueur irréprochable. 79

mêmes de La Dryade d’offrir leur première chance, en livre ou en revue, à nos auteurs régionaux inconnus !

Dans le même sens, dans sa fort intéressante étude sur les quinzaines littéraires, Philippe Greisch a mis en évidence le travail acharné que Georges Bouillon a mené, à côté de son activité éditoriale, pour faire connaître les écrivains de la région et d’au- delà. On peut se demander combien d’invitations en retour cette obligeance constante lui a valu… Bien peu, il faut le craindre.

Bilan pour bilan, les chiffres parlent à suffisance : trente-trois ans de revue, trente-trois ans de publication… Dans cette optique, une fois de plus, l’écrivain rappelle qu’il veut échapper à deux pièges : celui du provincialisme et à celui de l’esprit de coterie.

Cette volonté met en relief un problème souvent avancé lorsqu’on évoque La Dryade : le régionalisme. Georges Bouillon dérange parce qu’il est régional. « Se débarbouiller de la province », ainsi que le constate Bernard Berenson, c’est ce que j’ai essayé. Sans y réussir43… Voilà qui ne peut qu’interpeler à plus d’un titre. D’abord, à relire Georges Bouillon, on se demande vraiment ce que son écriture a de régional. Qu’est-ce que ça veut dire d’ailleurs ? Qui parle d’une réalité locale ? Sans doute, se fait-il l’écho de telle ou telle réalité du terrain qui est le sien, mais l’essentiel de la démarche n’est pas là et vraiment pas. La région fournit une assise, des exemples qui valent bien au-delà, même si, et très légitimement, cette région reste ouvertement revendiquée44 :

Peu d’argent ai-je, et bien moins d’or, / Mais grande gueule, à Dieu merci ! / Je veux parler à qui me plaît ! Que voulez-vous ! – Je suis Gaumais !

43 Georges BOUILLON, Paroles d’un incroyant. Dernières provinciales… telles quelles, op. cit., p. 185. 44 Georges BOUILLON, Hymnes et ballades, Bruxelles, l’Audiothèque, 1960, p. 21. 80

Vingt-cinq ans plus tard le temps nous permet sans doute d’avoir un autre regard. Que La Dryade et Georges Bouillon aient fait bouger certaines choses, c’est indéniable, mais il s’inscrivait alors dans un contexte plutôt attentif. Même si l’audience régionale, et largement régionale parfois, semblait modeste, elle existait. Il y avait des intellectuels et un public sensibles à son travail. Sa pénétration médiatique a toujours été efficace, variable sans doute, mais constante. Certes, les journaux ne l’approuvaient pas sur tous les points, mais à tout le moins relayaient-ils son « actualité ». Son action a contribué à asseoir certains noms, à faire connaître certains peintres. N’est-ce pas lui, par exemple, qui, avec Guy Denis, comptent parmi les initiateurs du Service du Livre Luxembourgeois ? Cette audience est d’ailleurs restée durable : quand voilà vingt-cinq ans, avait paru le petit Dossier L consacré à Georges Bouillon45, Jean Mergeai avait pris la peine de signaler la publication dans le billet qu’il tenait alors dans L’Avenir du Luxembourg46. Aujourd’hui, non seulement les Dossiers L n’existent plus, mais il n’est vraiment pas sûr qu’une brochure équivalente ait encore les honneurs de la presse. Les choses ont beaucoup changé, pas toujours dans le bon sens.

Pour établir un bilan éditorial, le catalogue déjà évoqué fournit un terrain d’analyse précieux. Il comprend neuf pages de titres répartis en six sections. Plus précisément :

- Variétés 98 titres - Galerie de La Dryade 34 titres - Poésie Dryade 99 titres - Petite Dryade 114 titres - Études ardennaises 26 titres - Origine - La Dryade 11 titres

45 Paul MATHIEU, « Georges Bouillon », in Dossiers L, n° 30/1. 46 Jean MERGEAI, « Trente fois L… », in L’Avenir du Luxembourg, 17. 9. 1991. 81

Cela fait donc un total de 382 titres, soit presque une douzaine par an. Évidemment, il faut soustraire quelques titres qui apparaissent sous deux étiquettes différentes. De même, les 114 volumes de la « Petite Dryade » sont des tirés à part de la revue, mais cela n’empêche pas que leur présentation sous un format indépendant leur confère une vie autonome propre et qu’il s’agit le plus souvent d’articles ou de textes qui, en dépit de leur modestie, présentent un intérêt spécial qui justifie assez leur rhabillage livresque. Pour le reste, certains ouvrages ont souvent fait l’objet de publications préalables dans la revue, la plupart du temps en plusieurs livraisons successives. Mais bien sûr cela n’ôte rien à leur intérêt.

Que découvre-t-on dans ces titres ? La collection bien nommée « Variétés » embarque des livres aussi différents que des romans, des pièces de théâtre, des essais, des monographies, des récits de voyage et même un livre de cuisine47, sans oublier deux ouvrages inclassables et ineffables L’effusion et Le dictionnaire de l’effusion48. Les ouvrages de la collection « Galerie » s’intéressent souvent à des peintres importants du Luxembourg : Camille Barthélemy, Marie Howet, Albert Raty... Du côté de la collection « Poésie », on retrouve nombre de noms connus et de titres attachants dont certains mériteraient une remise en valeur. Ainsi, les rares recueils de Vital Lahaye49 (Le fil d’Ariane et Le cran d’arrêt) ou alors ces étranges Châteaux de cartes signés Marguerite Brouhon50. Là encore, on pourrait relever bien des noms : Jean Joannes, Francis

47Annie & Raymond DRÈZE, À table chez une grand-mère gaumaise, Vieux- Virton, La Dryade, 1980 (coll. « Variétés », n° 68). 48 Claude BOSSICART, Anita DROHÉ, Jean-Luc GEOFFROY & Claude RAUCY, L’effusion ou les impossibles amours de Virton et Saint-Mard, Vieux-Virton, la Dryade, 1974 (coll. « Variétés », n° 37) ; id., Le dictionnaire de l’effusion, Vieux-Virton, la Dryade, 1975 (coll. « Variétés », n° 43). 49 Vital LAHAYE, Le fil d’Ariane, Vieux-Virton, La Dryade, 1963 (coll. « Poésie Dryade », n° 14) ; Vital LAHAYE, Le cran d’arrêt, Vieux-Virton, La Dryade, 1965 (coll. « poésie Dryade », n° 19). 50 Marguerite BROUHON, Châteaux de cartes, Vieux-Virton, La Dryade, 1959 (coll. « Poésie Dryade », n° 2). 82

André, Michel Ducobu, Roger Brucher, Marie-Claire Verdure, Jean- Claude Tournay, Philippe Baillet, Élie Willaime, sans compter un des premiers recueils d’Yves Namur, Soleil à l’échafaud, lointain écho peut-être du fameux soleil cou coupé de Paul Éluard. Les « Études ardennaises » pour leur part regroupent des titres importants pour la connaissance de notre patrimoine au sens large. On peut songer par exemple à deux essais de Joseph Delmelle, le premier consacré à nos lettres et le second à l’histoire de la peinture dans le Luxembourg51. Parmi les monographies ou les essais thématiques, quelle que soit la collection dans laquelle ils sont rangés, on parcourt à foison des études sur quelques noms qui sont autant de points de repère pertinents, qu’il s’agisse d’écrivains ou de peintres : Michel de Ghelderode, Hubert Juin, Anne-Marie Kegels, Albert Yande, Lucien Maringer, Robert Montal, Marcel Thiry, André Doms, Blandy Mathieu… Dans cette série, on peut faire une place particulière aux différents livres consacrés à la littérature fantastique, notamment autour de Claude Seignolle52. De même, la collaboration avec les Éditions « Origine »53 basées à Luxembourg ont apporté leur lot de publications en hommage à tel ou tel nom important lié à la littérature ou à la peinture du Luxembourg – grand-duché ou province : Roger Bertemes, Edmond Dune, Arthur Praillet, Franco Prete, Anise Koltz…

51 Joseph DELMELLE, Panorama pictural de l’Ardenne, Vieux-Virton, La Dryade, 1964 (coll. « Études ardennaises », n° 10) ; Joseph DELMELLE, Panorama littéraire du Luxembourg, Vieux-Virton, La Dryade, 1970 (coll. « Études ardennaises », n° 21). 52 Né en 1917 à Périgueux, Claude Seignolle a publié de nombreux ouvrages consacrés aux légendes. Il a également laissé de nombreux récits fantastiques. À son propos, à La Dryade, on verra : Au pays du fantastique avec Claude Seignolle, Vieux-Virton, La Dryade, 1966 (coll. « Variétés », n° 10) ; Georges JACQUEMIN, Claude Seignolle, Vieux-Virton, La Dryade, 1966 (coll. « Variétés », n° 11) et Willy LASSANCE, Claude Seignolle, Vieux-Virton, La Dryade, 1985 (coll. « Petite Dryade », n° 114). 53 À ce propos, cf. surtout André DOMS & Hélène GILMARD, Origine : un voyage poétique insolite entre cultures, Amay, Maison de la Poésie, 2008. 83

Du côté des auteurs publiés, la moisson est plutôt riche. Des noms aussi variés que Claude Raucy, Georges Jacquemin, André Schmitz, Pierre Nothomb, Jean Mergeai, Julien Bestgen, Guy Denis… Au-delà des signatures, beaucoup d’ouvrages marquants ont vu le jour dans ces collections. Des livres qui, parfois, mériteraient une réédition. On peut citer par exemple : Norma Laure d’Évelyne Adam, Au Pays des braves gens d’Omer Habaru, Du temps de ma maison de Jean Mergeai, Sang et neige en Ardenne de Charles Fox ou Capiche prend le maquis de Guy Denis54.

Sur un plan plus pratique, La Dryade possède bien d’autres qualités. Ne serait-ce que parce qu’il existe dans ses publications un cachet profondément original : la présentation, les formats souvent liés à une collection en particulier, le logo même… autant de marques et de signes qui contribuent à en faire une vraie maison d‘édition et lui donnent un statut à part. On pourrait encore mettre en relief la structure très codifiée. La bibliographie de Georges Bouillon elle- même opère dans ce sens. À l’évidence, La Dryade fait partie de ces réalisations qui ont enrichi le patrimoine culturel luxembourgeois et qui s’inscrivent bien au-delà.

Mais il est temps de conclure et de rendre la parole à Georges Bouillon en lisant ce Quatrain d’adieu inséré à l’antépénultième page de l’avant-dernière Dryade : Tandis que la dryade en fille mercenaire / Accordera du rêve à d’autres partenaires / Je vais

54 Évelyne ADAM, Norma Laure, Vieux-Virton, La Dryade, 1956 (coll. «Variétés », n° 1) ; Omer HABARU, Au pays des braves gens, Vieux-Virton, La Dryade, 1965 (coll. «Variétés », n° 8) ; Jean MERGEAI, Du temps de ma maison, Vieux-Virton, La Dryade, 1966 (coll. « Études ardennaises », n° 16) ; Charles FOX, Sang et neige en Ardenne, Vieux-Virton, La Dryade, 1980 (coll. « Variétés », n° 71) ; Guy DENIS, Capiche prend le maquis, Vieux- Virton, La Dryade, 1977 (coll. « Variétés », n° 56) [rééd. , L’Ardoisière, 1981]. 84 continuer mon lent retirement / Pour tâcher d’exister loin d’elle, et loin des gens55.

Une fois de plus, tout Georges Bouillon est là, avec, à l’avant-plan, son amour sans cesse redit de la nature proche, de cette forêt gaumaise où il aimait à se ressourcer. Au passage, ne renoue-t-on pas avec une des grandes ambiguïtés de l’écrivain ? Humaniste enragé, Voltaire gaumais, il termine son parcours par une vocation de solitude, un retour à la nature, vers l’étonnante déesse des bois qui, figure de proue protectrice, aura accompagné toute son épopée.

55 Georges BOUILLON, « Quatrain d’adieu », in La Dryade, n° 131 / automne 1987, p. 96. 85

Georges Bouillon et Pierre Nothomb

par Charles-Ferdinand NOTHOMB

Adolescent, j’ai rencontré Georges Bouillon dans les années 50 en marge des réunions de l’Académie luxembourgeoise, souvent au Pont d’Oye (voyez le tableau de Maringer représentant les membres de l’Académie sur la terrasse, avec, en avant-plan, Georges Bouillon discourant et s’adressant à Pierre Nothomb), car c’est dans le dialogue entre ces deux personnes que j’ai connu Georges Bouillon, orateur à la voix sonore.

Par l’Académie luxembourgeoise, mais aussi dans les innombrables vernissages ou hommages à des artistes luxembourgeois aux quatre coins de la province où Georges Bouillon prenait la parole avec mon

87 père, tous deux ayant le verbe haut pour exalter la Culture, l’Artiste et la Province de Luxembourg.

Avec un plaisir manifeste entre ces deux hommes forts différents, par l’âge, par l’enracinement, par les convictions idéologiques, par l’engagement politique, de se rejoindre, de se conjuguer pour cette nécessaire tâche d’encouragement et de mise en valeur des talents, d’ouverture du public à une culture plus exigeante et aussi d’explication et d’animation.

En ce temps-là, vingt ans avant le plan Wigny qui a créé le réseau de Maisons de la Culture et de Centres culturels, avec leurs responsables et des animateurs professionnels, c’étaient des professeurs comme Georges Bouillon, des écrivains et des artistes qui créaient, organisaient et animaient la partie culturelle des événements en mettant la main à la pâte.

Plus exigeante encore la publication régulière de la revue La Dryade était un tour de force, dû à Georges Bouillon seul, au service d’un grand nombre d’auteurs, débutants ou confirmés.

Il était membre des Amitiés Belgo-soviétiques, mon père était un adversaire sonore de l’Union soviétique, mais par-delà la guerre froide, ils partageaient une chaude collaboration culturelle en faveur du Luxembourg.

Bon centenaire à cet homme toujours vivant dans notre souvenir.

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Remerciements

La Province de Luxembourg remercie :

Le Collège communal de la Ville de Virton, pour la mise à disposition des lieux et leur accueil chaleureux.

Frédéric Gribaumont, du Service Culture de la Mairie et les bibliothécaires de Virton pour la coordination sur place.

Le groupe de travail et les intervenants pour leur implication, leur enthousiasme, leurs lectures et recherches : Myriam Thiry, Paul Mathieu, Philippe Greisch, Georges Jacquemin, Charles-Ferdinand Nothomb, Jean-Pierre Lambot, Jean-Luc Geoffroy et, bien sûr, le porteur du projet, Claude Raucy. Merci aussi à Guy Denis et à Marie Claire Urbing pour leur éclairage.

Jean Morette, pour son incroyable énergie pour mettre en œuvre de l’exposition d’artistes.

Les artistes et leur famille, le Centre d’Interprétation d’Art de Vresse et le Musée Gaumais pour le prêt d’œuvres de leur collection.

La famille, Francis et Anthony Bouillon, pour leur précieuse collaboration, tant dans leur contribution documentaire que par leurs témoignages.

Marie-Christine Duchêne, maitre assistante en français à la Haute Ecole Robert Schuman et France Baggi, professeur de Français à 89 l’athénée de Virton, pour leur soutien et leur projet pédagogique parallèle.

Anita Drohé, ancienne préfète et professeur de français à l’athénée de Virton, pour son texte, son soutien et ses conseils tout au long de notre gestation.

Daniel Godard, Edmée Garant, Jean-Paul Vasset et toute l’équipe de TVLUX pour la capsule littéraire « Rocambole spéciale G. BOUILLON ».

Les Editions Memory pour la publication du livre inédit.

L’imprimerie Michel Frères, la librairie La Dédicace et la Maison du Tourisme de Gaume pour leur partenariat dans la vente de l’inédit.

Le public présent.

Tous ceux qui, de près ou de loin, ont contribué à faire de cet hommage une réussite !

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Table des matières

Accueil par François CULOT, Maire de Virton...... 5 Allocution par Patrick ADAM, Député provincial en Charge de la Culture ...... 9 « Je suis gaumais », ballade de G. Bouillon chantée par Jean-Luc GEOFFROY ...... 13 Les vernissages de Georges Bouillon par Jean-Pierre LAMBOT ...... 15 Présentation de l’exposition d’artistes par Pierre CHARIOT ...... 25 Georges Bouillon, éveilleur d’âmes par Anita DROHÉ ...... 29 Les Quinzaines du Livre, organisées à Arlon, en Gaume et à Luxembourg entre 1954 et 1978 par Philippe GREISCH ...... 33 Georges Bouillon : professeur et directeur de revue par Georges JACQUEMIN ...... 59 Georges Bouillon aujourd’hui par Paul MATHIEU ...... 73 Georges Bouillon et Pierre Nothomb par Charles-Ferdinand NOTHOMB ...... 87 Remerciements ...... 89

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Sommaire des disques

CD n°1

1. Allocution d’accueil de François Culot, Bourgmestre de Virton. 2. Allocution de Patrick Adam, Député provincial. 3. Je suis Gaumais, «autoportrait» de Georges Bouillon, par J.-L. Geoffroy, sur une musique de Jean-Claude Watrin. 4. Présentation de Sous le pommier, par Myriam Thiry, Éditions Memory. 5. Les vernissages de Georges Bouillon, par Jean-Pierre Lambot. 6. La voix de Georges Bouillon, enregistrée à la Glycine en 1979, enregistrement aimablement prêté par Pierre Chariot. 7. Présentation de l’exposition, par Pierre Chariot.

CD n°2

1. L’enseignant, allocution d’Anita Drohé, lue par J.-L. Geoffroy. 2. Les Quinzaines du Livre, allocution de Philippe Greisch. 3. Le Directeur de revue, allocution de Georges Jacquemin, lue par Jean-Luc Geoffroy. 4. Georges Bouillon aujourd’hui, allocution de Paul Mathieu. 5. Témoignage improvisé, par Charles-Ferdinand Nothomb, Président de la Chambre honoraire et Ministre honoraire.

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CD n°3

Intervention du public

DVD

Jeoffrey et Alexis, arrière-petits-fils de Georges Bouillon, évoquent l’écrivain dans une classe de l’ARNO (Athénée Royal Nestor Outer) à Virton et lisent quelques extraits.

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PROVINCE DE LUXEMBOURG Service Provincial Culture, Accompagnement, Enseignement et Formation Achevé d’imprimer en septembre 2015, pour le compte des Éditions Chouette Province Service du Livre Luxembourgeois Chaussée de l’Ourthe, 74 B-6900 MARCHE-EN-FAMENNE  32 (0)84/31.34.78 www.servicedulivre.be

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