CHRONIQUES DES NOUVELLES CONFLICTUALITÉS

L’application « Étudier pour rendre la Chine forte» : un cheval de Troie chinois

Par Simon Piché-Jacques

Une application du Parti communiste chinois visant, en apparence, la promotion du leader suprême s’avère un outil puissant conçu pour espionner les utilisateurs.

L’application du gouvernement pour téléphones utilisateurs ont avoué s’être sentis obligés de intelligents à la gloire du président chinois télécharger l’application, alors que d’autres se fait fureur en Chine. Le principe est simple : prêtent au jeu pour garder leur emploi. plus vos résultats sont bons, plus vos points virtuels peuvent se transformer en cadeaux Cure53, une firme allemande de cybersécurité réels. Cependant, cet élan de popularité n’est mandatée par l’Open Fund Technology, un pas seulement dû aux récompenses, certains programme financé par le gouvernement américain visant le soutien des technologies la gestion de ses fichiers, l’enregistrement mondiales en matière de liberté d’Internet, a des frappes, la capture d’écran et même, dans récemment publié un rapport démontrant que certains cas, des cyberattaques vis-à-vis d’autres le codage de cette application, utilisée par les hôtes. En somme, cette fonctionnalité cachée téléphones munis du système d’exploitation permettrait au PCC d’accéder à une grande Android, permettrait aux autorités chinoises quantité de données personnelles, témoignant, d’obtenir des renseignements personnels en l’occurrence, de la complexité et de l’étendue directement depuis le téléphone des utilisateurs. des méthodes de contrôle social chinoises.

La « Petite application rouge » Une fois téléchargée, l’application donne accès à une pluralité d’informations sur l’utilisateur, À l’image du Petit livre rouge de Mao Zedong notamment les sites visités, les messages envoyés paru pour la première fois au milieu des et reçus, les données biométriques depuis le années 1960, cette « version digitale », dont le bilan de santé annuel, l’historique de magasinage téléchargement est quasi obligatoire[1], serait, en ligne, les différents numéros de téléphone, la selon toute vraisemblance, un autre moyen géolocalisation et le contenu supprimé. Pour ce pour le président du Parti communiste chinois faire, l’application permet même d’avoir accès (PCC) de véhiculer sa philosophie à à de l’information disponible sur plusieurs l’échelle nationale. Visant a priori la promotion centaines d’autres applications, parmi lesquelles du socialisme chinois et du leader suprême, TripAdvisor, Airbnb, Facebook et Skype. l’application propose aux utilisateurs non seulement les fonctions de vidéoclavardage, D’après Sarah Aoun, directrice de l’Open de messagerie temporaire, de calendrier, Technology Fund, l’application serait un d’informations médiatiques et de séries télévisées véritable logiciel espion qui permettrait aux sur l’histoire du PCC, mais elle comporte autorités chinoises de surveiller de façon également une section offrant des articles, soutenue les activités des utilisateurs. Dans ses des quiz hebdomadaires, des vidéos et même commentaires livrés récemment au Washington quelques réflexions idéologiques personnelles Post, Sarah Aoun explique qu’à cet égard : « le du leader suprême. Xuexi Qiangguo ou Étudier PCC a essentiellement accès à plus de 100 pour rendre la Chine forte en français, révèle millions de données d’utilisateurs » et que cette encore une fois la propension du régime chinois initiative « provient directement du sommet du à utiliser une propagande singulière, tout en gouvernement, étendant sa surveillance à la vie nourrissant le culte de Xi Jinping. quotidienne des citoyens ».

Un outil de surveillance et de contrôle social L’enquête de Cure53 Basé sur un système permettant aux utilisateurs La firme allemande Cure53 a enquêté sur le d’accumuler des « study points » concernant la sujet, plus précisément sur la version Android doctrine de Xi Jinping et le PCC, l’application a de l’application qui est utilisée sur les téléphones été téléchargée plus de 100 millions de fois entre intelligents chinois et conçue par des fabricants les mois de janvier et avril 2019. En apparence tels que Huawei, Oppo et Vivo (les deux derniers inoffensive, elle serait implicitement un cheval sont détenus par la multinationale chinoise de Troie ou une backdoor (fonctionnalité BKK Electronics). Leur constat est sans appel : codée inconnue de l’utilisateur légitime « il est indéniable que l’application examinée a pouvant exécuter des commandes arbitraires). la capacité de recueillir et de gérer de grandes Précisément, l’existence d’une backdoor ou « porte quantités de données très spécifiques ». dérobée » permet l’espionnage de l’utilisateur, Bien qu’aucune preuve ne démontre que l’accès privilégié a été utilisé d’une quelconque manière son ouvrage Chinese Spies : From Chairman Mao to par le PCC, Cure53 indique dans son rapport que Xi Jinping, Roger Faligot précise que Xi Jinping s’est l’application permet de connaître les applications engagé à utiliser les services de renseignement et populaires que les utilisateurs téléchargent les autres piliers de la puissance chinoise pour faire sur leur téléphone. Adam Lynn, directeur de avancer les intérêts économiques et géopolitiques recherche de l’Open Technology Fund, soutient mondiaux de la Chine. dans une entrevue avec le Washington Post, qu’il Or, les récents soupçons américains à l’égard de est « très peu commun pour une application l’équipementier chinois Huawei et du déploiement d’avoir recours à ce niveau d’accès, et il ne semble de la technologie 5G, ainsi que les revendications pas y avoir de raison d’un tel privilège, à moins chinoises (surtout l’utilisation récurrente des que vous ne fassiez quelque chose que vous n’êtes services de renseignement) en mer de Chine pas supposés faire ». méridionale, appuient ce qu’avance Roger Faligot Parallèlement, les créateurs de l’application à propos de la prépondérance du renseignement chinoise ont affaibli le système de cryptage utilisé chinois dans les affaires mondiales. pour brouiller les données et les messages, ce À cela s’ajoutent les multiples cas d’espionnage qui facilite l’intrusion du gouvernement chinois économique en Amérique du Nord depuis dans la vie privée des utilisateurs. Cette « faille quelques années (ciblant General Electric Aviation, volontaire » permet une meilleure collecte et Apple, Amazon, IBM, Nationwide Children’s analyse des données personnelles, et de dresser la Hospital’s Research Institute, etc.), les nombreuses fiche signalétique virtuelle des utilisateurs. cyberattaques, souvent contre les infrastructures Le département chinois de la propagande et les critiques des pays membres des Five Eyes, ainsi que entreprises chinoises et DingTalk le développement pharaonique de la nouvelle route (récente application de messagerie dont le logiciel de la soie, un projet économique, d’infrastructures a été utilisé pour l’application Xuexi Qiangguo) et de communication hautement sophistiqué. ont jusqu’à présent nié le constat de la firme Tous ces exemples témoignent du pragmatisme de cybersécurité allemande en ce qui a trait à économique et géopolitique de la politique l’instrumentalisation de telles fonctions à l’insu étrangère chinoise. Pragmatisme qui se traduit des utilisateurs. par la stratégie de puissance, d’influence et d’efficience dont se dote Pékin pour atteindre ses De l’espionnage national à l’espionnage mondial objectifs ambitieux d’ici 2049. Pour les 70 ans de la Même si invoquer le célèbre stratège militaire Sun Révolution communiste chinoise, nous sommes, Tzu pour décrire la politique étrangère de la Chine paraît-il, renvoyés au vieil adage voulant que « la relève du cliché, la volonté de Pékin de s’appuyer fin justifie les moyens », alors que le PCC, sous sur le renseignement, l’espionnage et la ruse le joug de Xi Jinping, renoue visiblement avec pour affaiblir ses compétiteurs internationaux l’ancienne prémisse maoïste « Use the past to serve sans entrer en conflit direct avec eux s’applique the present, make the foreign serve ». également sur la scène mondiale et reste centrale dans la stratégie du PCC. [1] L’utilisation de l’application est obligatoire pour Comme l’explique Jonathan Manthorpe, les membres du PCC, ainsi que pour le personnel chroniqueur canadien sur les affaires du service administratif. Dans certains cas, les internationales et auteur de Claws of the Panda[2], salaires dépendraient des résultats obtenus dans la projection de la puissance chinoise est guidée l’application. par le désir de mener une collecte d’information massive à l’insu de l’adversaire, et par une étude [2] L’ouvrage Claws of the Panda : Beijing’s Campaign approfondie des vulnérabilités de celui-ci. Dans of Influence and Intimidation in Canada porte principalement sur l’échec d’Ottawa à contrer asia_pacific/chinese-app-on-xis-ideology-al- les efforts déployés par le PCC pour infiltrer et lows-data-access-to-100-million-users-phones-re- influencer les sphères politiques, universitaires port-says/2019/10/11/2d53bbae-eb4d-11e9-bafb- et médiatiques canadiennes, et pour exercer un da248f8d5734_story.html contrôle sur les Canadiens d’origine chinoise. « China’s Study the Great Nation App ‘Enables Spying Via Back Door’ », BBC, 14 octobre 2019. Consul- té en ligne https://www.bbc.com/news/technolo- Simon Piché-Jacques est chercheur à gy-50042379 l’Observatoire des conflits multidimensionnels de la Chaire Raoul-Dandurand et candidat à la « Analysis-Report “Study the Great Nation” 08.- maîtrise en science politique à l’UQAM 09.2019 », Cure53, 2019 Consulté en ligne https:// cure53.de/analysis_report_sgn.pdf Jonathan Manthorpe, Claws of the Panda: Beijing’s Pour en savoir plus sur la Chaire Raoul-Dandurand Campaign of Influence and Intimidation in Canada, et ses travaux: https://dandurand.uqam.ca/ Cormorant Books, 2019, Toronto, 290 pages Roger Faligot , Chinese Spies: From Chairman Mao to Xi Jinping, que Xi Jinping, Hurst & Company, 2019, Londres, 506 pages Brice Pefroletti, « En Chine, une application sur Xi Sources : Jinping aux étranges pouvoir », Le Monde, 15 oc- Anna Fifield, « Chinese App on Xi’s Ideology Allows tobre 2019. Consulté en ligne https://www.lemonde. Data Access to Users’ Phones, Report Says », Was- fr/international/article/2019/10/15/en-chine-une- hington Post, 12 octobre 2019. Consulté en ligne application-pour-smartphones-sur-xi-jinping-aux- https://www.washingtonpost.com/world/ etranges-pouvoirs_6015586_3210.html