SOUVENIR DE

ET DU CANAL DE SUEZ

Bulletin n°11 Juin 2020

Conseil d'administration

Ingénieur général Thierry CHAMBOLLE président Bruno CHAUFFERT-YVART vice-président S.A.R. le prince Hussein TOUSSOUN vice-président Ingénieur général Jean-Philippe BERNARD secrétaire général Patrick BILLIOUD de NUZILLET trésorier Yasmina BARBÉ-BOUDHAR administrateur Hélène BRAEUNER administrateur Philippe JOUTARD administrateur Nivine KHALED administrateur Patrick LECLERCQ, ambassadeur administrateur Armelle LE GOFF administrateur Antoine de LESSEPS administrateur Alain MONOD administrateur Dr. Christian MOREAU administrateur Philippe PEYRAT administrateur Serge PINA administrateur Arnaud RAMIÈRE de FORTANIER administrateur Jean de VOGÜÉ administrateur Christiane ZIEGLER administrateur

Invitée permanente : Christine ADRIEN, déléguée générale

Comité d'honneur

S.A.S. le prince Pierre d'ARENBERG Comte Ghislain de DIESBACH Ingénieur Mohamed EZZAT ADEL Professeur Hany HELAL Comte Alexandre de LESSEPS Gérard MESTRALLET Dr Fathi SALEH

Bureau

Ingénieur général Thierry CHAMBOLLE président Bruno CHAUFFERT-YVART vice-président S.A.R. le prince Hussein TOUSSOUN vice-président Patrick BILLIOUD de NUZILLET trésorier Ingénieur général Jean-Philippe BERNARD secrétaire général

Christine ADRIEN déléguée générale

Invités permanents : Gabriel de BÉRARD et Arnaud RAMIERE de FORTANIER

2 Vie de l'Association

Conseil d'administration

óóóó Procés verbal de la réunion du Conseil d’administration le 9 décembre 2019

ProcèsProcès----verbalverbal du Conseil d’administration Lundi 9 décembre 2019 17h --- ENGIE T1

Étaient présents : Patrick Billioud de Nuzillet, Thierry Chambolle, Bruno Chauffert-Yvart, S.A.R le prince Toussoun, Christine Adrien.

Absents excusés : Jean-Philippe Bernard, Philippe Joutard, Armelle le Goff, Patrick Leclercq, Antoine de Lesseps, Alain Monod, Philippe Peyrat, Arnaud Ramière de Fortanier, Nivine Khaled, Christian Moreau, Serge Pina, Jean de Voguë, Christiane Ziegler.

Ce Conseil principalement informatif a pu valablement se tenir en présence de quatre membres et compte-tenu des six pouvoirs nommément attribués par des administrateurs empêchés au dernier moment de se déplacer. Chaque administrateur a pu prendre connaissance de son dossier et envoyer au président ses remarques ou suggestions.

--- 1/ Célébration du 150ème anniversaire à Ismaïlia présentée par Thierry Chambolle.

A l'occasion du 150ème anniversaire de la mise en service du Canal de Suez (17/18 nov. 1869), SFLCS a organisé pour ses membres un déplacement en Égypte. Outre les membres du Bureau (Bruno Chauffert-Yvart, Prince Hussein Toussoun, Patrick Billioud, Thierry Chambolle et la déléguée générale Christine Adrien), trente trois adhérents y ont participé. Plusieurs d'entre eux étaient parents de personnes ayant œuvré sur ou pour le canal à différentes époques. Ce déplacement a été organisé par notre déléguée générale sur la base d'un projet initial établi par Jean-Philippe Bernard, notre secrétaire général. Notre trésorier en a traité naturellement les aspects financiers. Le tour-opérateur égyptien était notre prestataire habituel (AMR). Les grandes étapes ont été les suivantes : Alexandrie, Port-Saïd, Ismaïlia, Suez, Le Caire. Le 13 novembre, un colloque sur ''Le Canal de Suez, lieu de mémoires'' mémoires heureuses, mémoires controversées, mémoires partagées, organisé par Bruno Chauffert-Yvart a été accueilli par la Bibliothèque Alexandrine. Une réception a été ensuite organisée au Consulat de par Madame la Consule générale d'Alexandrie en présence de l'ambassadeur de France, S.E. M. Stéphane Romatet. Le lendemain a été consacré à des visites de terrain organisées pat le CEAlex (Marie-Dominique Nenna) et en fin de journée à la visite d'une exposition sur la presse francophone d'Égypte à l'Institut français d'Alexandrie. Les 15 et 16 novembre, notre délégation a visité le musée militaire de Port-Saïd dont une partie est consacrée à l'épopée du canal et a été accueillie de façon touchante par l'Alliance française, que notre association a soutenue ces dernière années. Cette organisation, qui donne des cours de français à quelque 800 personnes chaque année, est en difficulté. Elle n'a plus de directeur, elle a été déconventionnée par l'Alliance française. L'ambassade de France (service culturel) étudie différentes solutions pour l'avenir. Le lendemain, la délégation s'est rendue à Port-Fouad pour une visite à la statue de Ferdinand de Lesseps de Emmanuel Frémiet. Positionnée à l'extérieur, nettoyée, elle a fait forte impression. Cette statue doit en principe rejoindre le musée du Canal à Ismaïlia. Mais les habitants de Port-Saïd voient ce départ d'un mauvais œil, tout en ne sachant pas où l'exposer. Le 17 novembre, la Authority, dont nous ne connaissions pas bien les projets à l'avance, a organisé une célébration solennelle à laquelle nos adhérents ont été pleinement associés. Elle s'est déroulée dans un bâtiment neuf construit sur une île comprise entre le tracé initial du canal et son doublement à l'Est, face au Sinaï. Dans un amphithéâtre de plus de 300 personnes, se sont succédé à la tribune, le président de la SCA, l'ambassadeur de France, le président de SFLCS et un conférencier qui a présenté tous les développements urbanistiques, logistiques et industriels en cours ou prévus. Un véritable banquet a suivi dans le club de la SCA. La maquette de l'Aigle, offerte par SFLCS pour le musée a été remise à l'amiral Rabie, président de la SCA. Puis diverses visites ont eu lieu au Musée dont les bâtiments (ancien siège de la CUCMS et maison de Ferdinand de Lesseps) sont en cours de restauration avec

3 beaucoup de soin sous la conduite de Mohamed El Zahabi, maître d’œuvre de l'ensemble de l'opération, à l'église Sainte Agathe, nouvellement restaurée par la SCA et au nouveau tunnel sous le canal. Le scénographe du musée est le docteur Mabrouk qui s'est déjà illustré notamment au musée de Suez. Nos adhérents ont été impressionnés par le lustre de cette journée d'anniversaire. Par la présence, aussi, de nombreux média qui ont interviewés plusieurs membres de la délégation Le 18, nous avons été à Suez visiter le musée de Suez sous la conduite du Docteur Mabrouk et nous avons vu passer le convoi des énormes porte-conteneurs débouchant dans la Mer Rouge. Les 19 et 20 novembre ont été consacrés au Caire aux visites touristiques habituelles (citadelle, mosquée, église, plateau de Gizeh, salles de restauration du Grand Musée… La délégation a été accueillie le 19 à l'Institut français d'Archéologie orientale (IFAO) où en fin de journée la chaîne de télévision On TV a interviewé plusieurs adhérents pour une émission du 20 au soir en arabe . La journée du 20 s'est terminée par une réception à l'ambassade de France qui a été l'occasion de remercier notre Ambassadeur pour son attention à l'association et pour sa participation à trois reprises à ce déplacement. Pour ceux qui restaient au Caire le 21, avant une croisière sur le Haut-Nil, des visites ont été organisées à l'Institut d'Égypte, académie savante fondée par Bonaparte lors de la Campagne d'Égypte et au Musée Nasser. De l'avis de tous les participants, ce fut un déplacement parfaitement réussi. De l'avis de notre ambassadeur, selon ses propres termes, « une bonne séquence très utile pour notre relation bilatérale ». Nous avons pu également renouer avec tous nos amis d'Égypte, membre de ce réseau créé et entretenu par nos précédents présidents, Arnaud Ramière de Fortanier, en particulier.

Colloque à la Bibliothèque d’Alexandrie du 13 novembre 2019

Une application des sciences humaines et sociales a été menée en 2017- 2018 par le recteur Philippe Joutard à travers une enquête sur les mémoires orales du canal de Suez. Plus de cinquante entretiens en arabe et en français ont ainsi été réalisés au Caire, à Port-Saïd, Alexandrie, Athènes et auprès de personnes dont les nationalités et milieux socioculturels (hauts dirigeants et cadres, techniciens, ouvriers) étaient représentatifs de la diversité culturelle vécue sur les rives port-saïdiennes, ismaïliotes ou sueziennes. La restitution de ces travaux s’est effectuée le 13 novembre 2019 à Alexandrie en partenariat avec la Bibliotheca et le centre d’études alexandrines lors d’ un colloque organisé par l’association et son vice-président Bruno Chauffert-Yvart « Le canal de Suez : lieu de mémoires » en présence de l’ambassadeur de France S.E. M. Stéphane Romatet, du Dr Mostafa El Feki, directeur de la bibliothèque d’Alexandrie, Marie-Dominique Nenna, directrice du CEAlex, Marwa El Sahn, directrice du centre d’activités francophones de la BA. Sont intervenus pour l’association Christine Adrien, Yasmina Barbé Boudhar, Bruno Chauffert-Yvart, Thierry Chambolle, Philippe Joutard par lettre et message audiovisuel, Arnaud Ramière dans une salle pleine de 120 personnes tout au long de la journée. Les interventions étaient ponctuées d’interviews montées en films par Raymond Collet, attaché au Centre d’études alexandrines qui a réalisé l’ensemble des prises de vues des enquêtes orales. Ces entretiens et films de synthèse sont désormais en ligne sur le site du Centre d'Études Alexandrines http://memoires-du-canal-de-suez.asflcs.cealex.org/ Tous les adhérents de l’association participant à ce déplacement ont assisté au colloque.

- 2/ CompteCompte----rendurendu d'activité du deuxième semestre

V Exposition « Le canal de Suez, un rêve d’ingénieurs »»» L'exposition « le canal de Suez, un rêve d’ingénieurs » au Musée des Ponts et Chaussées, Domaine de La Chesnaye, Guilly (Indre) s’est terminée le 5 octobre et a enregistré 1000 entrées dans l’été. Ses commissaire et muséographe Jean-François Martiré et Michel Labrousse sont satisfaits du taux de fréquentation de l’exposition compte-tenu du caractère isolé de la ferme de Guilly. La dizaine d’œuvres prêtée par l’association est retournée chez Chenue sans encombre. Le bureau a participé à l’inauguration de l’exposition et accueilli sur place le Docteur Fathi Saleh, membre du comité d’honneur de l’association. Après l’inauguration, les adhérents présents à qui cette sortie avait été proposée ont visité le musée national de la maison George Sand.

4 V Colloque au Conseil économiéconomiqueque et social et de l’environnementl’environnement (CESE). Le 22 novembre le palais d’Iéna, siège du CESE, a accueilli le colloque organisé par le Souvenir napoléonien avec le partenariat des amis de Napoléon III et de l’association du Souvenir de Ferdinand de Lesseps et du canal de Suez : « Inauguration du canal de Suez, 150 ème anniversaire ». Patrick Billioud de Nuzillet, administrateur trésorier de l’association est intervenu sur le thème : « la Compagnie universelle du canal maritime de Suez : du percement du canal à la reconversion après 1956 ». Le docteur Moreau, membre du conseil d’administration de l’association est intervenu sur le thème : « le canal de Suez, un exploit d’ingénieurs ».

V Enquêtes orales. Philippe Joutard et Christine Adrien ont mené un entretien avec Yves Guesdon, né sur le canal de Suez et contemporain de la période de juin 40 où il avait 14 ans. Cette interview a confirmé l’organisation des forces françaises libres à Ismaïlia dès juin 40 qui donnera lieu à un prochain article de Philippe Joutard dans la revue « l’Histoire ».

V Mission de Claude Mollard. 1 ererer décembre 2019 Le 1 er décembre, Christine Adrien a accompagné la mission de 2 jours de Claude Mollard, soutenue par l’ambassade de France au Caire et pilotée par Mohamed El Zahaby, ancien délégué général auprès de l’Unesco pour l’Égypte, responsable des travaux et du projet de musée sur l’histoire du canal de Suez à Ismaïlia. Claude Mollard a remis en main propre à l’Amiral une lettre signée de Jack Lang pour confirmer que l’Institut du monde arabe (IMA) donnait au futur musée d’Ismaïlia la grande maquette de l’inauguration du canal et l’ensemble des audiovisuels de l’exposition organisée à Paris en 2018. L’Amiral Rabie, président de l’autorité du canal a confirmé Claude Mollard, conseiller spécial du président de l’IMA, Jack Lang, dans son rôle de conseiller pour le futur musée d’Ismaïlia. Claude Mollard a proposé que l’autorité du canal demande à la France • le prêt à longue durée de 4 maquettes : - la maquette du canal de Suez appartenant au musée des plans reliefs exposée à l’IMA - les 3 maquettes des villes de Port Saïd, Ismaïlia et Suez en caisses depuis les années 50 dans les entrepôts de l’ancien musée des travaux publics. • la demande d’exonération de la somme de 4000€ pour la mise à disposition de la robe de l’Impératrice Eugénie par le musée de Compiègne, l’association ayant donné son accord pour financer une copie de cette robe à hauteur de 2000€.

Claude Mollard s’est engagé à faire le nécessaire auprès des 3 ministères concernés : armées, transition écologique et solidaire, culture.

L’Amiral Rabie a proposé que l’acheminement de cet ensemble soit pris en charge par la marine égyptienne lors d’une prochaine escale à Toulon. En suite d’une nouvelle visite des ateliers de Port Saïd avec la découverte d’un bon nombre de machines en fonctionnement, l’équipe égyptienne du futur musée procédera à une enquête orale des ouvriers des ateliers dont les familles de certains travaillent pour l’autorité du canal de Suez depuis plusieurs générations. La seconde journée de la mission a été consacrée au musée d’Ismaïlia pour prendre toute la mesure de son architecture, la distribution de ses pièces et assister à une réunion de chantier. Mohamed El Zahaby a organisé un déjeuner avec Jamel Oubechou, nouveau conseiller culturel de l’ambassade de France au Caire pour lui présenter les événements culturels liés au canal de Suez depuis l’inauguration du doublement du canal le 6 août 2015, les expositions passées et le projet du musée. L’association a confirmé son souhait d’être associé aux opérations concernant le musée dans la mesure de ses possibilités et de ses moyens. Sa présence lui a permis de se positionner dans le projet.

V Publications ayant fait l’objet d’un soutien financier de l’association ::: - « Images du canal de Suez l’autre vision de l’Orient », publication de l'historienne de l'art Hélène Braeuner aux éditions Mare & Martin parue en octobre 2019. - « Le canal de Suez et l’empire ottoman » publication de Faruk Bilici à partir notamment de ses travaux sur les archives ottomanes relatives à l’histoire du canal de Suez parue en octobre 2019 - Livre de Jérôme Baconin « Le destin égyptien d’ Henri Aladenize » paru en novembre 2019 5 - Lettres de Voisin Bey. La famille Durand Smet a confié à l’association une série de lettre de Voisin Bey pour consultation. L’association va en faire un recueil avant de les rendre à la famille.

---3/-3/ Budget 20202020, présenté par Patrick Billioud de Nuzillet.

Avant de présenter le budget 2020, Patrick Billioud rappelle que l’exercice 2019, qui correspondait à l’année culturelle France-Egypte et au 150 ème anniversaire de l’inauguration du Canal de Suez (1869-2019), a été très riche en manifestations : - Exposition sur les 150 ans du Canal de Suez au Centre Culturel Égyptien de Paris en février, - Colloque économique France-Egypte sur « Le Canal de Suez et » à Marseille en février, - Exposition « Marseille et l’épopée du Canal de Suez » au Musée d’Histoire de Marseille jusqu’au 31 mars, - Exposition « Le Canal de Suez, un rêve d’ingénieurs » au Musée des Ponts et Chaussées au Domaine de la Chesnaye, à Guilly dans l’Indre, du 1 er mai au 6 Octobre, - Colloque historique France-Egypte sur « Les mémoires heureuses, les mémoires controversées la mémoire partagée » à la Bibliotheca Alexandrina à Alexandrie, le 13 novembre, - Voyage d’une quarantaine d’adhérents de l’Association en Égypte en novembre, à l’occasion du 150 ème anniversaire de l’inauguration du Canal de Suez.

Grâce principalement au soutien d’Engie, l’Association a pu faire face aux dépenses entraînées par ces différentes manifestations. Les principales ressources proviennent : - de la subvention annuelle d’Engie de 170.000 €, - d’une subvention spécifique d’Engie de 15.000 € pour le 150 ème anniversaire de l’inauguration du Canal de Suez, - d’une subvention spécifique d’Engie de 5.000 € pour l’organisation du Colloque économique France-Egypte de Marseille, - d’une subvention de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur de 5.000 € pour le Colloque économique France-Egypte de Marseille, - de la vente de films au Musée d’Histoire de Marseille dans le cadre de son exposition pour 3.000 €, - de la cotisation d’une centaine d’adhérents pour un montant de l’ordre de 5.000 €.

L’ensemble de ces ressources, d’un montant légèrement supérieur à 200.000 €, a permis à l’Association de faire face aux dépenses de cette année exceptionnelle. Patrick Billioud présente ensuite un tableau retraçant l’historique des subventions accordées par Engie à l’Association depuis l’adoption du nouveau système en 2015. Ce nouveau système consiste pour Engie à accorder à l’Association une subvention plus importante qui permette à cette dernière de prendre à sa charge la totalité des frais entraînés par ses activités (loyer, honoraires du personnel, prestataires extérieurs, budget actions).

Pour le budget 2020, les grands postes se présentent comme suit : - Loyer et informatique 40.000 € - Honoraires du personnel (mi-temps) 32.000 € - Prestataires extérieurs 56.500 € (Chenue, Novarchive, Fondation de France, Assurance Axa) 128.500 €

- Budget actions 31.500 €

160.000 €

Ce budget d’un total de 160.000 € a été soumis à Engie pour approbation et financement. ENGIE a donné son accord sur cette proposition.

--- 4/ Convention tripartite avec la Fondation de FranFrancece

6 V Fondation abritée par la Fondation de France L’accord tripartite entre la Fondation de France, ENGIE et l’association sur la gestion des collections et la création d’un comité exécutif a été transmis par Philippe Peyrat à Isabelle Kocher. Aux dernières nouvelles, cette convention devrait être signée, pour ENGIE, par la nouvelle secrétaire générale, madame Claire Waysand, que Thierry Chambolle rencontrera le 30 décembre 2019.

--- 5/ Transfert de la bibliothèque de la CUCMS aux ArchivesArchives nationales du monde du travail ((ANMTANMTANMT))))

V Gestion des collections Dans un souci d’économie budgétaire, l’association a étudié une réduction de coûts de gestion de ses collections entreposées chez Chenue et Novarchive. En suite de l’accord des ANMT pour recevoir la bibliothèque de la CUCMS et le fonds Goby, l’association a commandé en septembre à Novarchive ce déménagement qui n’est pas totalement achevé.

--- 6/ Nomination d'une personnalité au Comité d'Honned'Honneurur de l'association (Amiral Mameesh)

Lors d’une visite privée du palais Abdeen, reçu par l’Amiral Mameesh, Thierry Chambolle a proposé à l’Amiral d’être membre du comité d’honneur de l’association, ce qu’il a accepté. Cette proposition est approuvée à l’unanimité et sera soumise à l’approbation de la prochaine Assemblée générale.

La séance du Conseil est levée à 19h.

óóóó Le 1 er Mars 1989, l’association SFLCS et le groupe Suez ont fait apport à la Fondation de France, respectivement des collections héritées de la CUCMS et transférées à l’association par la Cie financière de SUEZ et d’un fonds financier de 1 million de francs (environ 150000€). L’objectif des Fondateurs était d’assurer la pérennité et la valorisation des collections, la seule structure associative étant jugée trop fragile pour garantir dans la durée cet objectif. Ces apports créaient de fait une fondation abritée par la Fondation de France, dont les règles de gestion appelaient un texte complémentaire en fixant les modalités. Ce texte, malgré une tentative avortée, n’avait jamais pu être établi. La Fondation de France souhaitait une régularisation de cette situation, soit par la résiliation de la convention d’apport, chaque fondateur récupérant sa mise, soit par la signature d’une convention régissant les modalités de fonctionnement de la Fondation abritée. Comme les motivations de nos prédécesseurs signataires de la convention d’apport paraissaient toujours valables, il a été jugé préférable de rouvrir une négociation avec la Fondation de France pour établir une nouvelle convention prenant en compte les particularités de cette fondation abritée (coexistence d’un fonds financier et d’un fonds patrimonial, rôle central de l’association SFLCS dans la valorisation des collections). La Fondation de France a accepté d’adapter le cahier des charges type des fondations abritées (il y en a plus de 700) à ces spécificités. Un texte a été établi. Il a été soumis au Conseil d’administration de l’association qui l’a approuvé et qui a autorisé le président de SFLCS à le signer sous la réserve qu’il n’y soit pas apporté de modifications significatives. Ce texte a été soumis en juin 2019 à ENGIE qui l’a approuvé au début de 2020. Il a été finalement signé le 13 février 2020 par le président de la Fondation de France, la Secrétaire générale d’ENGIE et le président de SFLCS. Il prévoit la mise en place d’un comité exécutif de six membres comptant deux représentants de chacun des Fondateurs et de deux personnalités qualifiées. La Fondation de France n’y est pas représentée mais jouit d’un droit de veto si une décision est jugée contraire à l’objet social de la Fondation Souvenir de Ferdinand de Lesseps et du Canal de Suez. L’usage de ce

7 droit de veto a dans la pratique un caractère tout à fait exceptionnel. Cette convention permet - de sortir de la situation irrégulière où nous étions - d’utiliser une partie du fonds financier pour la conservation des collections (actuellement 200.000€) - d’associer ENGIE et SFLCS dans la responsabilité de la gestion de la Fondation SFLCS. - de conserver à l’association son rôle central dans la valorisation des collections. Si le dispositif ainsi mis en vigueur se révélait inadapté, la convention tripartite comporte deux clauses permettant de mettre fin à la Fondation abritée sous la réserve d’avoir mis en place un nouveau dispositif garantissant la pérennité et la valorisation des collections. Le bureau de SFLCS a désigné son président et son premier vice-président pour la représenter au comité exécutif de la Fondation ainsi que la directrice des ANMT comme personnalité qualifiée. ENGIE doit procéder à la désignation de ses représentants. La période exceptionnelle que la France vient de vivre a retardé la mise en place du Comité exécutif.

Assemblée générale ordinaire

óóóó En raison de la crise sanitaire liée à la Covid-19, notre prochaine assemblée générale ordinaire qui devait se tenir le 29 juin 2020 a été reportée au lundi 12 octobre 2020. Elle se tiendra à 17h à l'hôtel de l’Industrie (Paris, 6 e) et se poursuivra non loin de là au restaurant Café Louise .

Manifestations organisées en France pour les 150 ans du canal de Suez

Colloque « Le canal de Suez, 1869-2019 » organisé par le Souvenir Napoléonien au Conseil économique, social et environnemental (CESE), Palais d’Iena (22 novembre 2019)

óóóó « Le 17 novembre 1869 était célébrée l’inauguration du Canal de Suez. Ce 150e anniversaire sera l’occasion de rappeler la qualité et la grandeur de cette oeuvre humaine et technique qui continue encore aujourd’hui de tant fasciner. Envisagé dés l’Antiquité, le canal de Suez relie Napoléon Ier et Napoléon III, ardents promoteurs de cette construction qui structure et pérennise la relation historique, stratégique et amicale entre l’Égypte et la France. Objet de sciences lors de la présence française au Caire en 1798/99, l’objectif de la construction d’un canal reliant les rives de la Méditerranée et de l’océan indien devient aussi un outil stratégique au moment où la mondialisation des échanges prend un élan fulgurant qui ne s’est pas démenti depuis. Inauguré notamment par l’Impératrice Eugénie représentant le chef de l’État Napoléon III, cette présence féminine d’une grande modernité témoigne de la personnalité très originale de l’épouse de l’Empereur. Grande navigatrice elle-même, méditerranéenne par sa naissance, sa venue en Égypte en 1870 illustre le rôle qu’elle choisit de tenir, celui de représenter une France ouverte sur l’évolution du monde. La construction du canal de Suez, son ouverture et

8 sa modernisation, témoignent à elle seule de cette transformation du monde. 150 années après, il convient de revenir sur le défi technologique que représentait sa construction. 150 années après, son ouverture a accéléré et favorisé les échanges commerciaux mondiaux par l’ouverture de nouvelles routes commerciales reliant l’Europe à l’Asie. 150 années après, il demeure, avec son récent doublement et son prochain tunnel, une artère névralgique du commerce international. Il est aussi peut être temps d’en observer les mutations en terme de biodiversité. Le colloque proposé par le Souvenir napoléonien a pour ambition d’adresser ces différentes thématiques, structurées autour de l’approche historique, de l’approche géopolitique et environnementale et de l’approche sociétale notamment à travers le rôle de la femme dans le monde politique. »

Programme

08h00 Accueil, émargement, contrôle sécurité et remise de badges 09h00 Ouverture par Patrick BERNASCONI - Président du CESE 09h15 Présentation par Christian BOURDEILLE, Président du Souvenir napoléonien 09h30 Le canal de Suez selon Bonaparte par Pascal CYR - historien, Spécialiste de la Révolution française et de la période napoléonienne. Correspondant du Souvenir napoléonien au Canada. 10h00 Le canal de Suez, un exploit d’ingénieurs par le Dr Christian MOREAU - spécialiste de l’histoire de l’ingénierie du Canal. 10h30 La diplomatie française et l’ouverture du canalcanal de Suez par Yves BRULEY- historien, spécialiste de l’histoire de la diplomatie française, en particulier du Quai d’Orsay. 11h00 Pause 11h30 La perception du canal de Suez dans une correspondacorrespondancence secrète d’Alexandre Dumas à l’Emir AbdAbd----elelelel----KKKKhhhhaderaderaderader par le Dr. Ahmed YOUSSEF - écrivain, membre de l’Institut d’Égypte et directeur exécutif du Centre des études du Moyen-Orient à Paris 12h00 Voyage de l’Impératrice Eugénie et de son entourageentourage en Égypte (30 septembre --- 5 décembre 1869) par Abel DOUAY - Président des Amis de Napoléon III 12h30 fin de la première partie

DEJEUNER

14h30 ««« 150 ans après, le canal de Suez continue de soutenisoutenirr l’économie égyptienne ».».». par Jérôme BACONIN - chef du Service économique de l’ambassade de France en Égypte 15h00 ««« La Compagnie Universelle du Canal Maritime de Suez : du percement du cacanalnal à la reconversion après 19561956 »»» par Patrick BILLIOUD de NUZILLET - trésorier de l’association Souvenir de Ferdinand de Lesseps et du Canal de Suez 15h30 « SUEZ : un canal stratégique ??? »»» par ICA Fouad El KHATIB - conseiller spécial - Direction générale des relations internationales et de la stratégie - Ministère des Armées 16h00 PAUSE 16h30 ««« Que serait la Méditerranée sans le canal de Suez ? Impacts sur les rapports de force en MéditerranéeMéditerranée »»» par Jean-Philippe PIERRE - directeur recherche et monde académique - Institut FMES 17h00 ««« Quand la France se prénommait Eugénie : les cérémoncérémoniesies d’inauguration du canal de Suez (16 --- 20 novembre 1869) » par Maxime MICHELET, Président du Comité du Centenaire Eugénie 2020 17h30 ««« Le palais de l’impératrice : de Suez à Phnom Penh »»» par Jean-Marie CAMBACERES, ancien député, président de la Section des Affaires Européennes et Internationales du CESE, président de France-Asie. 18 h 00 - Conclusion générale

Source : https://www.souvenirnapoleonien.org/evenements/colloque-suez/

óóóó Compte rendu du colloque par Jean-Philippe Bernard, quand l’association n’a pas eu connaissance du texte des conférences.

9

Ouverture par Patrick Bernasconi, Président du CESE. C’est le souvenir d’une prouesse que l’on évoque aujourd’hui. Le palais d’Iéna est un lieu opportun pour l’organisation de ce colloque. Le CESE attache une grande importance à la Méditerranée, Lui même a été président de la Fédération nationale des travaux publics (FNTP) dont Ferdinand de Lesseps fut le premier président. Le bâtiment, œuvre de l’architecte Auguste Perret, a été d’abord le musée des travaux publics.

Présentation par Christian Bourdeille, Président du Souvenir napoléonien. Il remercie le président du CESE d’accueilllir ce colloque. Pour le Souvenir napoléonien, l’inauguration du canal de Suez est un évènement majeur du Second Empire. La relation entre la France et l’Egypte est placée sous le signe de la science. Bonaparte est parti accompagné de savants. Alexandrie a été la capitale de la science. La Grande-Bretagne a pris le contrôle de l’Egypte en 1882 pour avoir celui du canal. Les Egyptiens sont francophiles depuis 1882. Pour le Souvenir napoléonien, le Premier et le Second Empires sont des périodes majeures de notre histoire. Napoléon III a été personnellement impliqué dans la construction du canal. C’est le dernier Saint Simonien. Lors de l’inauguration, il était le seul monarque à être représenté par une Impératrice. En 2020, on célébrera le centenaire de la disparition d’Eugénie. Le fait que ce soit une femme qui ait présidé les cérémonies d’inauguration est d’une grande modernité.

Le canal de Suez selon Bonaparte par Pascal Cyr, historien. C’est Talleyrand qui a compris le premier l’intérêt de Suez pour le commerce français. Il s’agissait aussi de contrer les Anglais. Les caravanes, qui transportaient en particulier du café, passaient par Suez. Bonaparte a été obligé d’abord de vaincre les Mamelouks, d’entrer au Caire, de pacifier le delta. Le 24 décembre 1898, il part enfin à Suez. Son premier souci est de retrouver le canal des Pharaons qui reliait la Mer Rouge au Nil. Il réussit cette mission. Deux projets sont alors envisagés. Soit reconstruire le canal des Pharaons en utilisant l’eau du Nil. Soit relier la Mer Rouge à la Mer Méditerranée. L’ingénieur Le Père est chargé d’étudier ce dernier projet. Il trouve une différence de niveau de neuf mètres entre les deux mers. La construction du canal d’eau salée n’est pas possible. On n’ira pas plus loin. La France de l’époque n’a pas les moyens de financer la construction du canal. Les Anglais ne peuvent accepter la présence française. Avec Napoléon III, tout a changé, il a pu avec la Reine Victoria nouer l’Entente cordiale.

Le canal de Suez, un exploit d’ingénieurs par le docteur Christian Moreau, administrateur de Souvenir de Ferdinand de Lesseps et du canal de Suez .

La construction du Canal de Suez ; un défi aux ingénieurs. Christian Moreau

Résumé : Si Ferdinand de Lesseps avait derrière lui une longue carrière de diplomate, ce qui lui permit d’affronter et de vaincre les nombreux obstacles politiques de la construction du canal de Suez (voir la communication de Yves Bruley), il sut aussi s’entourer d’ingénieurs habiles, pour choisir le tracé puis résoudre les innombrables problèmes techniques liés à la réalisation de cet ouvrage monumental. L’article présente d’abord les options possibles du choix du tracé du canal, telles qu’elles se présentaient en ce milieu du XIXème siècle, à la suite de l’expédition de Bonaparte. Puis sont exposés les principaux aspects techniques de la construction, sous Napoléon III, où l’invention récente de la machine à vapeur joua un rôle essentiel. Enfin, il est dressé un bref aperçu de l’évolution du canal depuis sa construction jusqu’à son état actuel, à mettre largement au crédit de l’Egypte moderne.

10

Il y a 150 ans, le 17 novembre 1869, le yacht impérial l’ Aigle en tête du convoi des navires officiels entreprenait la première traversée inaugurale du canal maritime reliant la Mer Méditerranée et la Mer Rouge, avec à son bord l’Impératrice Eugénie ; elle était accompagnée de son cousin et illustre réalisateur de l’ouvrage, Ferdinand de Lesseps. Et lorsqu’on regarde aujourd’hui le tracé des 170 kms du Canal de Suez, reliant directement les deux mers du nord (Port-Saïd) au sud (Suez), on peut croire qu’il s’imposa d’évidence au concepteur du canal dont le mérite est alors ramené aux moyens réunis pour en achever la réalisation. Mais ce serait méconnaitre les obstacles que dut affronter Ferdinand de Lesseps, lequel d’ailleurs n’était pas ingénieur mais diplomate. Ces obstacles furent d’abord diplomatiques, car l’Angleterre était vivement opposée à ce que les Français s’installent solidement en Egypte au prétexte de la construction de l’ouvrage ; ils seront abordés plus loin par Yves Bruley. Mais le choix même du tracé du canal et des options techniques inhérentes ne s’imposèrent pas davantage, et firent au contraire l’objet d’un large débat. C’est donc la présentation des idées tenant au type de canal retenu, et celle de la persévérance de Ferdinand de Lesseps dans son choix technique, qui fera l’objet de notre communication. Nous verrons finalement qu’il y a loin entre le modèle de canal envisagé par Bonaparte et celui exploité aujourd’hui par l’Egypte.

I --- Bonaparte et les canaux des précurseurs Comme il vient de l’être montré par Pascal Cyr, Bonaparte s’est préoccupé dès son arrivée en Egypte en 1798, d’explorer les moyens de faire revivre le canal du Nil à la Mer Rouge, existant dans l’Egypte ancienne, puis rénové sous les Ptolémée et après l’occupation arabe vers 640. Le 24 décembre il décide de se rendre lui-même sur les lieux, partant du Caire pour rejoindre la Mer Rouge en passant par Belbeis puis la région de l’Ouadi où il retrouve les vestiges de l’ancien « canal de l’émir des croyants », qu’il parcourt sur une vingtaine de kilomètres ; il se rend également à l’est de la Mer Rouge, au site antique des Fontaines de Moïse. Bonaparte est accompagné dans son périple par les savants Monge et Berthollet mais surtout par l’ingénieur Jacques-Marie Le Père (1763-1841), qui restera dans la région pour étudier plus précisément le tracé d’un futur canal. Avec son frère Gratien et plusieurs ingénieurs topographes, Le Père va procéder à trois campagnes de nivellement dans l’isthme, avec un matériel restreint, dans des conditions difficiles d’approvisionnement en eau et en vivres, et exposé aux menaces d’attaques hostiles des mamelouks. Un an plus tard il peut écrire au Premier Consul rentré en France, dans une lettre du 6 décembre 1800 : « Plus j’y réfléchis, citoyen Premier Consul, plus je me suis convaincu que le rétablissement du Canal ne présente aucune difficulté majeure. Au moyen d’écluses, ouvrages d’invention moderne, on pourra profiter plus avantageusement des eaux du Nil pendant toute la durée des crues… ». Après son retour d’Egypte, Jacques-Marie Le Père présentera à Bonaparte le 24 aout 1803 un mémoire de synthèse, qui comporte des indications détaillées sur les travaux anciens, la géologie, la topographie et le nivellement de l’isthme. Ce « Mémoire sur la communication de la Mer des Indes à la Méditerranée par la Mer Rouge et l’Isthme de Souez » sera ultérieurement inclus dans l’immense recueil de « La description de l’Egypte » (1808), puis publié séparément en 1813 pour une diffusion plus large. Malgré les difficultés techniques du nivellement et les imprécisions des données, qu’il ne cherche pas à minimiser, Le Père conclut à l’existence d’une différence de niveau de l’ordre de 9 mètres entre la Méditerranée et la Mer Rouge. Cette opinion que la Mer Rouge se situait à un niveau supérieur à celui de la Méditerranée, était soutenue de tradition en Egypte. Le Père croit donc pouvoir la confirmer, non sans s’interroger cependant sur l’anomalie de ces résultats, auxquels il consacre plusieurs pages pour tenter d’expliquer leur contradiction avec les règles de la physique (et notamment celle des « vases communicants »). Quoi qu’il en soit, cette différence de niveau supposée entre les deux mers demeurera le paradigme en vigueur guidant, pendant encore presque une cinquantaine d’année, la réflexion sur la possibilité de construire le canal. Compte tenu de ce paradigme, et du fait que l’ouverture maritime de l’Egypte en Méditerranée s’est toujours faite depuis Alexandrie (située à l’Ouest de la branche la plus orientale du Nil), Jacques-Marie Le Père propose à Bonaparte un projet qui relierait Alexandrie à Suez par un enchainement de canaux retenant l’eau du Nil par tout un système de biefs à écluses. Ce canal devait se composer de six parties :1) le Canal d’Alexandrie à Ramanyeh (sur la branche occidentale du Nil, dite branche de Rosette) et traversant le lac Maréotis ; 2) la remontée du Nil sur la branche de Rosette de Ramanyeh jusqu’à Boulak (près du Caire) ; « 3) la descente du Nil depuis Boulak jusqu’à la dépression de l’Ouady ; 4) le Canal de l’Ouady au Serapeum (sur le trajet de l’ancien « canal d’Omar ») ; 5) le bassin des lacs Amers, désormais remplis par les eaux du Nil, depuis le seuil de Serapeum (entrée nord des lacs) au seuil de Chalouf (sortie sud des lacs); 6) le Canal maritime depuis le seuil de Chalouf jusqu’à Suez. Ce projet, d’une longueur totale de près de 11 400 kms et avec au moins six jeux d’écluses, ne permettait que la navigation de vaisseaux de faible tonnage. En outre, et abstraction faite de l’erreur d’appréciation des niveaux des deux mers, trois objections furent rapidement avancées : le détournement des eaux du Nil pour le remplissage des bassins et des lacs Amers risquait de priver d’eau l’agriculture égyptienne ; une fois le remplissage opéré les pertes liées aux éclusages et à l’évaporation en un tel climat étaient mal appréciées ; enfin, l’enchainement des canaux projetés ne pouvait guère servir que pendant la saison des crues (soit au maximum huit mois dans l’année). Malgré ces limites, le rapport de Le Père ne fit que fortifier Bonaparte dans les projets qu’il avait conçus pendant l’expédition ‘Egypte. C’est ainsi qu’il peut écrire à Alexandre 1 er , le 27 février 1801 : « Le Canal de Suez, qui joindrait les mers de l’Inde à la Méditerranée, est déjà tracé. C’est un travail facile et de peu de temps… » ! Il semble pourtant que le mémoire de Le Père, en choisissant de construire un canal fluvial, ait retardé l’adoption de la véritable solution du problème. Il eut pourtant le mérite indéniable de ramener l’attention sur ce très vieux projet de canal de Suez pendant les cinquante années suivantes. Mais avant d’aborder cette évolution des idées, il convient de mentionner une autre décision de Bonaparte qui aura un grand impact (imprévisible) sur la suite des évènements : la nomination, le 7 mars 1803, de Mathieu de Lesseps comme sous-commissaire des relations commerciales (ou dirait aujourd’hui « consul ») en Egypte. Cet habile diplomate contribua à apaiser les relations tendues entre la France et l’Egypte, et surtout à favoriser l’arrivée au pouvoir d’un obscur officier Albanais, Mehmet Ali, qui s’imposera bientôt (de 1805 à 1848) comme le maître et le développeur de l’Egypte nouvelle. Une génération plus tard, de 1832 à 1837, son fils Ferdinand de Lesseps lui succèdera comme consul de France en Egypte. Ferdinand se passionnera pour la question du canal qu’il étudiera en profondeur, et y nouera des liens forts avec l’Egypte, et notamment avec un des fils de Mehmet Ali, Saïd (qui deviendra lui-même vice-roi d’Egypte en 1854, et accordera à son ami Ferdinand la concession de la construction du canal de Suez). Pendant ce séjour de Ferdinand de Lesseps en Egypte, sous la monarchie de JuilletJuillet, la question du canal de Suez reprit une actualité en Europe sous l’influence des Saint-Simoniens. Ce courant de pensée, parmi les plus novateurs du 19 ème siècle, prône une nouvelle gouvernance du monde par les sciences ; il attire de nombreux économistes et ingénieurs, dont nombre de polytechniciens. Les Saint-Simoniens voient la Méditerranée comme « un vaste forum sur tous les points duquel communieront les peuples jusqu’ici divisés ». Leur chef, Prosper Enfantin (1796-1864), quelque peu mystique, décide en 1833 de partir en Egypte à la recherche de la femme idéale qui formerait avec lui « le couple prêtre » pour unir symboliquement l’Occident et l’Orient ! Mais plus concrètement, entouré d’une vingtaine d’ingénieurs, il explore les possibilités de réaliser un canal dans l’isthme de Suez, et de construire un barrage sur le Nil. Ferdinand de Lesseps apprendra donc à les connaitre. Mais Prosper Enfantin échoue à convaincre de la pertinence de ses plans Mehmet Ali qui, en cas de percement du canal, craint l’inondation de la basse Egypte par les eaux de la Mer Rouge (en considération de la différence supposée du niveau des deux mers), et craint tout autant l’envahissement de l’Egypte économique par les bataillons d’étrangers qui transiteraient alors à travers le delta. Dépité par le refus de Mehmet Ali, et par les discordes du groupe favorisées par ses bizarreries mystiques, Enfantin se voit contraint de rentrer en France en 1836. Mais le groupe aura semé sur son passage des idées qui vont se développer, notamment dans l’esprit de Ferdinand de Lesseps. Le projet de canal a aussi attiré l’attention d’un officier de marine breton, Louis Linant de Bellefonds (1799- 1883), installé en Egypte depuis 1817 comme ingénieur auprès du vice-roi Mehmet Ali et chargé notamment de dresser la carte hydraulique du delta du Nil. Durant son séjour il se consacre à l’exploration de l’Egypte et se familiarise avec la topographie de l’isthme de Suez. Entre 1833 et 1843, Linant de Bellefonds ébauche un projet de canal maritime qui relierait directement la Méditerranée (golfe de Péluse) à la Mer Rouge (Golfe de Suez) nonobstant la différence de niveau présumée des deux mers, grâce à un système d’écluses installé du côté de Suez. Ferdinand de Lesseps échange avec Linant, et est rapidement convaincu que ce projet de communication directe est le seul modèle pertinent ; d’autant que situé très à l’est de l’Egypte économique, en zone désertique, il soulèverait moins d’obstacles politiques aux yeux de Mehmet Ali. En 1846 les Saint-Simoniens, poursuivent en France leurs plans de leur côté et fondent la Société des études du canal de Suez , réunissant des représentants des grands pays européens : la France représentée par l’ingénieur de chemins de fer Paulin Talabot (qui construira plus tard la ligne PLM) ; les pays de langue allemande représentés par l’autrichien Luigi Negrelli ; et l’Angleterre représentée par l’ingénieur (qui préfèrera développer le chemin de fer en Egypte au dépend d’un canal). Les dissentions internes de la Société ne permettront pas l’aboutissement de leur projet de canal. Mais, au moins, la Société envoie en Egypte, en 1847, une brigade topographique dirigée par Paul Adrien Bourdaloue (1798-1868) chargée de reprendre la question du nivellement de l’isthme de Suez. Ingénieur des

12 ponts et chaussées et expert topographe Bourdaloue parvient finalement à démontrer de manière fiable que la différence de niveau entre la Méditerranée et la Mer Rouge est négligeable, contrairement aux conclusions antérieures des ingénieurs de Bonaparte. C’est une découverte majeure, qui modifie radicalement la manière de penser la communication entre les deux mers. Malgré cette donnée nouvelle, et en opposition à Linant de Bellefonds et Ferdinand de Lesseps, Paulin Talabot persiste à défendre un modèle de canal fluvial à écluses, alimenté par les eaux du Nil, permettant de relier Alexandrie à Suez. Il envisage la traversée du Nil, sensiblement au niveau du Caire, par un pont canal dont les difficultés d’alimentation en eaux s’avèrent plutôt rédhibitoires (1849) ; les humoristes diront qu’il s’agit d’un « projet en l’air » ! Pour parer ces objections, deux autres Saint-Simoniens, les frères Barrault, élaborent (en 1856) un modèle de canal fluvial, d’une extrême longueur, cheminant parmi les branches du Nil le long de la côte méditerranéenne avant de regagner Suez à travers les lacs Amers ; projet qui ne s’avère guère plus satisfaisant et dont les humoristes diront cette fois qu’il est fondé sur « le principe que la ligne courbe est le plus court chemin d’un point à un autre » ! En fait, l’affrontement ouvert entre le projet des Saint-Simoniens (canal fluvial à écluses) et celui de Linant de Bellefonds et de Lesseps (canal maritime direct) deviendra manifeste en 1854, à la suite d’un évènement survenu en Egypte, qui permettra de passer des projets à la réalisation effective par Ferdinand de Lesseps.

II --- Napoléon III et la construction du Canal de Suez pparar Ferdinand de Lesseps Chacun sait que, à la suite de la Révolution de 1848, le Prince Louis Napoléon Bonaparte fut élu comme premier Président de la République le 10 décembre de cette même année. On sait moins en revanche qu’à la suite de cette élection, et dans le contexte de l’expédition militaire de Rome décidée par Louis Napoléon au printemps 1849, Ferdinand de Lesseps fut envoyé à Rome comme ministre plénipotentiaire et fut amené, en désaccord avec la politique du Prince-Président, à renoncer à sa carrière diplomatique. Les relations tendues entre les deux hommes ne s’amélioreront que grâce au mariage de la cousine de Ferdinand, Eugénie de Montijo, avec l’Empereur des Français en 1853. Mais dans l’intervalle Ferdinand de Lesseps dut assumer une « traversée du désert » en devenant exploitant dans les 240 ha du domaine agricole de La Chesnaye (Indre), acquis pour lui par sa belle-mère Madame Delamalle. Il sut heureusement utiliser son temps libre à rédiger son projet de canal maritime, refusé cependant en 1852 par le vice-roi d’Egypte Abbas Pacha, successeur de Mehmet Ali. Mais, le 15 septembre 1854, Ferdinand apprend la mort d’Abbas Pacha et l’accession au pouvoir de son vieil ami Mohammed Saïd, fils de Mehmet Ali, qu’il avait bien connu lors de son long séjour en Egypte dans les années trente. Il décide alors de se rendre immédiatement en Egypte pour soumettre à Saïd son projet de canal et obtenir la concession de l’entreprise, ce qui lui sera accordé par le nouveau vice-roi le 30 novembre 1854. Encore faudra-t-il vaincre d’innombrables obstacles diplomatiques (que nous ne détaillerons pas puisqu’ils sont traités ailleurs), mais aussi affronter les difficultés techniques de la réalisation du canal, que seules nous retiendrons ici. Le canal qui doit être construit est largement inspiré du plan de Linant de Bellefonds. Puisque les deux mers sont donc sensiblement au même niveau, il s’agira d’un canal maritime dénué d’écluses, exploitant les particularités du relief de l’isthme et notamment l’existence de déclivités (les lacs Amers maintenant asséchés et vestiges géologiques de la Mer Rouge autrefois plus étendue vers le nord) qui seront initialement remplies des eaux de la Méditerranée. Il fallait « seulement » (si l’on peut dire) araser trois seuils de quelque altitude (20 à 30 mètres) sur un parcours désertique assez plat d’environ 160 kilomètres : les seuils du Sérapéum (au nord du lac Timsah), de El Guisr et de Chalouf (au nord et au sud des lacs Amers). Par rapport au modèle de Linant, qui débouchait sur la Méditerranée au niveau du golfe de Péluse, et en considération des risques d’ensablement de ce golfe, l’embouchure du canal fut prévue plus à l’ouest après que le canal ait traversé le Lac Menzaleh, en y construisant de toute pièce un port artificiel (Port Saïd) Si le concept était simple, et sans parler des contretemps liés aux obstacles diplomatiques, un tel chantier dans un espace désertique loin de toutes ressources humaines et matérielles soulevait en réalité des défis considérables. Sur un plan logistique il fallait approvisionner essentiellement depuis l’Europe, acheminer, stocker, monter et réparer ; sur le plan technique il fallait réaliser des terrassements à sec, des terrassements sous l’eau, des dragages, la construction d’enrochements et de ports, construire des routes, des chemins de fer, des canalisations, des bâtiments ; sur le plan humain enfin il fallait recruter, former, organiser planifier, administrer, rémunérer, loger, soigner... Le premier coup de pioche du chantier fut donné par Ferdinand de Lesseps, sur le futur emplacement de Port Saïd, le 15 avril 1859. Mais puisque le territoire était désertique il fallut d’abord l’aménager. Pour alimenter en eau le chantier, on construisit d’abord un canal d’eau douce (reproduisant sensiblement celui des pharaons) depuis le Nil jusqu’au milieu du chantier (Timsah). Ce petit canal d’eau douce était utilisable par de petites embarcations et fut ensuite étendu 13 au nord et au sud, le long du trajet du futur canal maritime. (La première navigation par barque entre la Méditerranée et la Mer Rouge, sur ce petit canal d’eau douce issue du Nil, eu lieu de 1865, et le chantier put ainsi être totalement approvisionné). Pendant les premières années du chantier, les fellahs, paysans des corvées égyptiennes, furent mis à disposition du chantier par le vice-roi. Ils commencèrent à creuser à la main ou avec des moyens assez dérisoires les premières tranchées du canal depuis le futur Port-Saïd, à travers le lac Menzaleh. En 1862, malgré ces moyens fragiles, la rigole d’approvisionnement en eau depuis le Nil atteint Timsah, les enrochements du futur Port-Saïd sont bien amorcés, et l’eau de la Méditerranée vient remplir le lac Timsah à mi-parcours du futur canal. Mais les conditions difficiles de vie des ouvriers, les accidents de travail et les épidémies firent probablement parmi eux plusieurs dizaines de milliers de morts. Les britanniques, profondément hostiles au projet, vont dénoncer cette situation et convaincront en 1864 le sultan de Turquie d’ordonner de retirer tous les fellahs de l’isthme. Il s’en suit une sérieuse crise diplomatique, mais aussi une crise technique qui imposera de repenser en profondeur les moyens du chantier. Le mal (diplomatique) permettra finalement un bien (technique), et l’accélération de l’avancement des travaux. Faute de main d’œuvre humaine suffisante, et parce que la machine à vapeur était maintenant une technique bien maitrisée, l’ingénieur général en charge du chantier, François Philippe Voisin décide un recours massif aux engins mécaniques nouveaux. Les machines à vapeur remplacent le travail manuel et augmentent l’efficacité. L’organisation de la Compagnie universelle du Canal de Suez est calquée sur le modèle des compagnies de chemin de fer ; toutes les aires de travail sont recouvertes de rails dont l’agencement évolue en fonction de l’avancement des travaux. Les enjeux du chantier poussent les entreprises à innover pour rester compétitives. L’ingénieur Alphonse Couvreux invente un excavateur, machine sur rail qui peut creuser à sec sur une grande profondeur ; après avoir été essayée sur les constructions de chemin de fer, elle est retenue pour creuser la tranchée d’El-Guisr sur le chantier du canal. L’entreprise Borel et Lavalley développe de son côté de nouvelles méthodes de dragage avec des machines d’une puissance inusitée, associées à des bras de grande longueur permettant le dépôt du matériel dragué sur les berges du canal. Le béton artificiel est utilisé pour la première fois par l’entrepreneur marseillais Dussault pour la construction des jetées de Port-Saïd. Le chantier offre aussi le premier grand exemple de médecine du travail sous la direction du Docteur Aubert-Roche, qui gère les hôpitaux de campagne qui s’élèvent dans l’isthme ; ils devront faire face, en 1865, à une sévère épidémie de choléra. Finalement, après excavation du seuil du Serapeum (au nord), les eaux de la Méditerranée atteignent les eaux des lacs Amers en 1868. Et après excavation du seuil de Chalouf (au sud des lacs Amers), les eaux de la Mer Rouge rejoignent celles de la Méditerranée en 1869. L’inauguration pourra avoir lieu, comme prévue, le 17 novembre 1869, non sans avoir été précédée de vives inquiétudes puisque les derniers enrochements durent être dynamités aux toutes dernières heures pour permettre le passage des navires sans risque de talonnage. Le canal de Suez de Ferdinand de Lesseps avait alors une profondeur minimale de 8 m, et une largeur navigable à sa base de 21m (et 60m en surface), sur une longueur d’environ 160 kms. Trois villes nouvelles avaient été construites sur ses rives : Port-Saïd à l’embouchure sur la Méditerranée ; Ismaïlia en milieu de parcours et au bord du lac Timsah ; Port Tawfik (près de Suez) à l’embouchure sur la Mer Rouge.

III --- L’Egypte renouvelle le Canal de Suez La place que l’Egypte accorde au canal de Suez sera largement développée dans d’autres communications de ce colloque. Nous nous limiterons ici à présenter les principaux aménagements apportés au canal depuis sa nationalisation par Nasser en 1956. Compte tenu de la taille gigantesque des navires l’empruntant aujourd’hui, deux modifications majeures ont en effet été apportées au canal de Ferdinand de Lesseps : son agrandissement considérable (tant en largeur qu’en profondeur) et son doublement sur l’essentiel de sa longueur. Déjà jusqu’en 1956, du temps de la Compagnie du Canal de Suez , le canal avait été approfondi (14m) et sa largeur navigable au fond était passée à 36 m (pour 150 m en surface). Mais l’Egypte, par des travaux de dragage et d’excavation incessants, a activement poursuivi l’agrandissement du canal qui atteignait en 2010 une profondeur de 24m pour une largeur navigable au fond de 120 m (et 320 m en surface). Pour autant, malgré la largeur considérable du canal, le croisement des navires y est toujours prohibé, les risques de collisions ne pouvant être admis compte-tenu des conséquences qu’elles auraient sur le trafic. Or du fait des phénomènes hydrodynamiques générés lorsque deux navires se croisent dans un canal, leur trajectoire s’en trouve modifiée, rendant le pilotage plus difficile et accroissant les risques de collision. En conséquence, pour éviter tout croisement de navires dans le canal, le transit est organisé par convois d’une vingtaine de bateaux, contrôlés par un poste central situé à Ismaïlia. Très schématiquement, le convoi de navires parti le matin (6h30) vers le sud depuis Port- 14 Saïd peut atteindre à mi-journée les lacs Amer, où il pourra croiser le convoi parti le matin (6h) vers le nord depuis Suez, chacun des convois atteignant ainsi sa destination de sortie du canal en fin de journée, après un transit de 12 à 16 heures. Mais ce système de navigation en convois limite nécessairement le nombre de bâtiments qui peuvent traverser quotidiennement le Canal de Suez. C’est la raison pour laquelle depuis 2015 le Canal de Suez est maintenant doublé, identique à la transformation d’une route nationale en autoroute, avec deux canaux parallèles sur la quasi-totalité du trajet. Les navires montants ou descendants peuvent désormais emprunter des voies de navigation différentes sur pratiquement l’ensemble de leur parcours sans avoir à se croiser. Les capacités de trafic et la sécurité du transit s’en trouvent ainsi considérablement accrues.

Conclusion A travers toutes ces modifications, on voit qu’il y a loin du Canal de Suez initialement construit par Ferdinand de Lesseps sous Napoléon III à celui qui existe actuellement en Egypte. Et cet immense canal maritime direct est assurément sans commune mesure avec le canal fluvial, avec écluses et à régime intermittent, imaginé sous Bonaparte. Souligner ces différences c’est montrer que ce qui parait évident aujourd’hui ne l’a pas toujours été, et par là rendre hommage aux nombreux ingénieurs qui ont œuvré au cours des deux derniers siècles à la conception, la réalisation et l’expansion du Canal de Suez.

La diplomatie française et l’ouverture du canal par Yves Bruley, historien. Le canal de Suez est un second Bosphore. Pour les diplomates, le Bosphore est un cauchemar. On pouvait craindre qu’il y ait de nombreux problèmes à régler du fait de la construction du canal de Suez. Ferdinand de Lesseps est lui même un diplomate, fils de diplomate, frère de diplomate. Il a vingt ans de carrière. Il a quitté la diplomatie en 1854 à la suite de son échec à Rome. Pour le ministère des Affaires étrangères, le canal de Suez est une entreprise privée. Mais il y a les réactions de la Grande-Bretagne. La France soutient l’Empire ottoman dans le contexte de la guerre de Crimée. Elle ne veut pas que la Russie contrôle les détroits entre la Mer Noire et la Méditerranée. La Grande Bretagne conteste le travail forcé pour obtenir l’arrêt du chantier. Lord Palmerston, Premier ministre britannique s’oppose à la construction du canal. L’inauguration du canal entraîne une crise diplomatique. Le Khédive a fait le tour des capitales européennes pour inviter les souverains. Ce qui est très mal vu à Istanbul. Il fait une escale en Grèce, une provocation. Le Khédive négocie comme s’il était un véritable souverain alors qu’il est le vassal du Sultan. Il va jusqu’à acheter quatre cuirassés pour la Marine égyptienne. Le Sultan ne peut pas accepter les manifestations d’indépendance de l’Egypte. La guerre est évitée entre la Turquie et l’Egypte. La France joue un rôle certain car elle est à la fois l’amie de la Turquie et l’amie de l’Egypte. Un équilibre est trouvé. La promotion de Saint Cyr en 1870 va s’appeler promo de Suez et partira à la guerre. Celle de 1871 sera la promo de la revanche.

Henri Aladenize par Jérôme Baconin, chef du Service économique de l’Ambassade de France en Egypte. Le texte de cette présentation a été intégralement reproduit dans notre bulletin n°10 consacré au colloque d’Alexandrie de novembre 2019.

La perception du canal de Suez dans une correspondance secrète d’Alexandre Dumas à l’Emir Abd-el-Khader par le docteur Ahmed Youssef, écrivain, membre de l‘Institut d’Egypte.

15 La correspondance secrète d'Alexandre Dumas à l'émir Abd-el-Khader à propos du Canal de Suez.

La mort de Saïd pacha d'Égypte, (le souverain par qui le rêve de percer le canal de Suez est devenu possible), en janvier 1863, a failli remettre en question tout le projet de percer le Canal reliant les deux mers. En effet, contre vents et marées, Saïd pacha avait accordé à Ferdinand de Lesseps la concession de percement du Canal. Ce dernier n'a pas perdu son temps : il fonde à Paris la légendaire Compagnie Maritime Universelle du Canal de Suez (dont le siège est à Alexandrie), il lance les travaux en 1859 tout en sachant que la protection juridique de sa concession égyptienne manquait cruellement de l'approbation notamment, et surtout, de celle du suzerain d'Égypte, le sultan Abdel Aziz, et celle de l'Angleterre. Profitant de la mort de Saïd, le Sultan et son Mufti d'Istanbul, le Sheikh Al Islam, Houssem Eddine effendi allait lancer une fatwa rendant illicite le creusement du Canal sous prétexte qu'il déforme la création géographique initiale de Dieu sur terre. En Égypte Nubar pacha et le grand imam d'Al Azhar se lançaient également dans une campagne anti Lesseps sous prétexte, entre tant d'autres, d'usage massif de la corvée. En attendant l'arbitrage impérial de Napoléon III, la France lance une action de "publicité" pour redorer le blason de Lesseps. C'est ainsi qu'Alexandre Dumas, avec tout l'héritage moral de son père, le général Thomas Dumas, et tout ses écrits inspirés d'Égypte, va écrire à l'émir Abd-el-Khader. Le but consistait à faire d'une pierre deux coups - montrer à l'opinion française et européenne que les rapports entre Lesseps et le successeur de Saïd pacha, Le Khédive Ismail sont excellents, donc les travaux ne risquent pas s'arrêter. - afficher publiquement le soutien religieux de l'émir Abd-el-Khader. Ce dernier jouissant, en effet, de son prestigieux statut de descendant du Prophète. C'est une grande figure du journalisme français et du féminisme européen qui va jouer les intermédiaires entre Dumas, Abd-el-Khader et Lesseps : Olympe Audouard. Olympe Audouard va parfaitement réussir sa mission secrète. Non seulement La surprenante photographie des trois hommes sera prise et rapidement publiée mais Abd-el-Khader va faire un don à la Compagnie et Ismail lui offrira 180 hectares dans les environs d'Ismaïlia. Olympe Audouard va également entrer glorieusement dans la littérature inspirée par l'épopée de Suez par la publication de quelques chefs d'œuvre malheureusement méconnus aujourd'hui.

Voyage de l’Impératrice Eugénie et de son entourage en Egypte (30 septembre-5 décembre 1869) par Abel Douay, président des Amis de Napoléon III L’Empereur ne peut pas se rendre en Egypte du fait du contexte en France et de son état de santé. C’est donc l’Impératrice qui va représenter la France et l’Empire. Elle est accompagnée d’une quarantaine de personnes dont Marie de Larminat, la comtesse des Garets, la comtesse de Nadaillac, le général Douay, le prince Joachim Murat. Ils quittent Saint Cloud le 30 septembre pour gagner Venise par le train. Le 1er octobre, ils s’arrêtent à Magenta sur le lieu de la bataille. Le 2 octobre, ils sont à Venise où les attend le yacht impérial, l’Aigle. Du 3 au 6 octobre, l’Impératrice visite Venise. Le roi d’Italie vient la rencontrer. Elle mange une glace au café Florian. Du 7 au 11 octobre, l’Aigle navigue de Venise au Pirée où le roi de Grèce attend l’Impératrice. Le 13 octobre, l’Aigle arrive à Istanbul. L’Impératrice est accueillie par le Sultan Abdül Aziz au palais de Dolmabahçe. Le Sultan est vraiment charmé par l’Impératrice qui va rester à Istanbul jusqu’au 18 octobre. Le 22 octobre, l’Aigle arrive à Alexandrie. L’Impératrice veut partir tout de suite pour Le Caire où elle rencontre Ismaïl Pacha et Ferdinand de Lesseps, ainsi qu’Abd-el-Khader.

16 A partir du 26 octobre, l’Impératrice navigue sur le Nil vers la Haute Egypte. Le 1er novembre, elle visite Louxor et Karnak sous la conduite de Mariette. Elle visite ensuite Edfou. Le 12 novembre, elle est de retour au Caire et se rend à Gizeh voir les Pyramides. Le 15 novembre, elle est à Ismaïlia. Le 16 novembre, les navires pavoisés qui vont participer à l’inauguration du canal sont rassemblés à Port Saïd. Le 17 novembre, l’Aigle entre le premier dans le canal.

150 ans après, le canal de Suez continue de soutenir l’économie égyptienne par Jérôme Baconin, Chef du Service économique de l’Ambassade de France en République arabe d’Egypte.

Le Canal de Suez dans l’économie égyptienne aaujourdujourd’hui’hui ::: • Situation et enjeux économiques de l’Egypte • Le canal de Suez, artère de l’économie égyptienne

• Situation et enjeux économiques de l’Egypte • Aspect économique : entre redressement macroéconomique, mais économieéconomie réelle encore à la peine Après une crise économique et financière grave, qui avait frappé l’Egypte suite aux révolutions de 2011 et 2013, qui ont contraint l’Egypte à faire appel fin 2016 au FMI, la situation macroéconomique du pays n’inspire plus d’inquiétude. Fin 2016, l’Egypte affichait un déficit public de près de 13%, ses entrées de devises fortes s’étaient effondrées (effondrement du tourisme, baisse des revenus du canal de Suez en raison de la crise du commerce mondial, et forte diminution des transferts de la diaspora égyptienne) ne permettant plus au pays de financer ses importations de biens de consommation ou d’intrants pour son industrie manufacturière : il en résultait d’importantes pénuries pour des biens essentiels ou des usines à l’arrêt. La devise nationale, dont le taux officiel était fixé par la banque centrale, s’échangeait au marché noir à un taux de plus du double. On constatait enfin une désaffection du système bancaire. Le programme du FMI a permis au pays de se redresser au prix toutefois de réformes drastiques : • Flottement de la devise nationale, la Livre égyptienne, qui s’est fortement dépréciée, passant d’un taux de 8,8 LE/$ à 18 LE/$ ; • Réduction des dépenses budgétaires par la mise en œuvre d’un calendrier d’élimination des subventions pour l’électricité et les carburants, entrainant en trois ans, un doublement voire un triplement des prix aux consommateurs individuels ou industriels ; • Augmentation des recettes budgétaires : introduction de la TVA, meilleure collecte de l’impôt. A cette consolidation budgétaire s’est ajouté un programme de réformes structurelles visant à restaurer la confiance des investisseurs : ce programme est encore en cours. Enfin, l’Egypte durant cette période a profité de la découverte et de l’entrée en exploitation du champ gazier offshore de Zohr en Méditerranée, qui lui a donné l’autosuffisance en gaz (et donc permis de réduire ses importations coûteuses en hydrocarbures). Par ailleurs, le tourisme est progressivement revenu à ses niveaux d’avant les révolutions, permettant au pays de dégager des ressources en devises fortes supplémentaires. Enfin, la confiance dans le système bancaire est revenue, permettant aux émigrés égyptiens de reprendre leurs transferts en devises via le système bancaire. Ajoutons à ce panorama positif que les revenus du canal de Suez ont progressé, contribuant aussi au redressement de la balance des paiements. La croissance économique est revenue, le déficit budgétaire s’est nettement réduit, et la courbe de la dette publique s’est inversée. Après un pic à 33% en juillet 2017, l’inflation a aussi ralenti et amorcé sa courbe descendante pour se fixer à 4,5% en octobre 2019.

17 Pour autant ce bilan indéniablement positif ne doit pas tromper : cette reprise reste fragile. Fragile car l’économie réelle, celle qui est vraiment productrice de richesse et d’emplois ne redémarre toujours pas. Ainsi, l’indice PMI est désespérément inférieur à 50 points depuis plus de trois ans, signe que l’industrie manufacturière n’a toujours pas repris. Les investissements domestiques restent très bas (le ratio prêts/dépôts bancaires est de 46%) tandis que les Investissement directs étrangers ne décollent pas (ils sont même en baisse d’une année sur l’autre entre 2017 et 2018) et restent majoritairement centrés sur le secteur du gaz au détriment de l’économie productive. Quant au taux de pauvreté il progresse fortement entre 2015 et 2017, passant de 27,8% à 32,5% de la population (chiffre sans doute minimisé, bien que provenant de l’office statistique officiel, en raison d’une différence de méthodologie de calcul entre ces deux années de référence). En fait, les bons résultats de l’Egypte sont sans doute dus à la reprise de ses rentes traditionnelles : tourisme, canal de Suez et transfert des migrants, auxquels s’est ajouté le gaz. Or, ce sont là des recettes sujettes à des aléas externes échappant au contrôle de l’Egypte, qui subit plous qu’elle ne provoque les situations favorables ou défavorables qui ne dépendent pas d’elle. D’où une fragilité intrinsèque de ces bons résultats économiques. Un résultat en trompe l’œil donc, qui montre simplement que le chemin reste long : les réformes de consolidation budgétaire doivent être poursuivies pour ramener le déficit public à un niveau soutenable (il est encore de 8,4% pour l’année budgétaire 2018/19) ainsi que la dette publique (90% en 2018/19), et le pays doit investir désormais dans l’économie (la baisse des taux directeurs de la banque centrale qui doit se poursuivre en 2020 permettra peut-être de répondre à ce besoin d’investissement dans l’économie).

• Des défis nombreux à surmonter

• Le défi démographique : 100 millions d’habitants, avec un taux de natalité de 2,5% par an. • Le défi de l’eau : l’Egypte est classée en situation de stress hydrique. Le pays dépend à plus de 90% du Nil pour son approvisionnement en eau potable : dans ce contexte le pays est très attentif au développement du projet de barrage GERD en Éthiopie sur le cours du Nil Bleu et ses possibles conséquences sur le débit du Nil en aval. De même le recyclage de l’eau, le traitement de l’eau, la désalinisation de l’eau de mer, les techniques d’irrigation économes en eaux, sont des sujets majeurs d’attention. • Le climat des affaires reste un sujet de préoccupation pour les investisseurs, malgré des signes d’amélioration. L’Egypte reste en 120 ème position au classement Doing Business de la Banque mondiale. • Pauvreté : progression forte du taux de pauvreté ces dernières années en raison des réformes drastiques qu’a dû mener le pays. • Les Infrastructures : le président Sissi disait lorsqu’il est arrivé au pouvoir que l’Egypte avait pris 15 ans de retard dans les investissements en infrastructures : énergie (investissements massifs pour retrouver une capacité de production électrique suffisante), hydrocarbures (idem pour relancer l’exploration et découvrir de nouveaux

18 champs gazier lorsque les ancien se sont épuisés en 2014), routes, ports, chemins de fer, logements et villes nouvelles… L’Égypte est engagé dans un programme massif d’investissements publics dans les infrastructures. • L’Afrique : l’Egypte veut plus exploiter son positionnement au carrefour de l’Europe, du Moyen-Orient et de l’Afrique.

• Un environnement géopolitique à surveiller Si L’Egypte reste un pays Arabe et du Proche-Orient, et porte donc une attention aux développements et crises nombreuses qui secouent cette région, elle est avant tout préoccupée par son environnement immédiat, à ses frontières, qui font d’elle un pays africain du bassin du Nil et d’Afrique du nord. Elle veut se préserver des risques de propagation des crises à ses frontières, et préserver ses ressources (vitales) en eau. Ainsi ses regards sont tournés vers : • La crise dans le Nord Sinaï où elle combat une insurrection islamiste, et sa frontière avec Gaza ; • Sa frontière avec la Libye pour se prémunir des risques d’infiltration ; • La sécurisation de ses plateformes offshores en mer Méditerranée et en mer Rouge ; • Sa frontière avec le Soudan (triangle d’Halayeb disputé entre les deux pays, sécurisation de la frontière sud, évolution politique du Soudan) ; • Ethiopie et le barrage de la Renaissance (GERD) avec ses possibles répercussions sur le débit du Nil. • Enfin l’Egypte déploie une diplomatie du gaz en Méditerranée orientale très active (Grèce, Chypre, Israël), impliquant aussi le Liban et la Turquie. • Enfin on peut citer l’implication de l’Arabie saoudite et des Emirats Arabes Unis dans des projets de développement du Sinaï, enjeu stratégique pour l’Egypte (cf projet de zone balnéaire saoudienne NEOM à cheval sur le sud Sinaï, l’Arabie saoudite et la Jordanie)

19

• Le canal de Suez dans l’économie égyptienne Depuis sa création, le canal de Suez a joué un rôle essentiel dans l’économie mondiale et égyptienne. Trafic sur le canal : 1870 : 486 navires le traversent, transportant 444 000 tonnes de produits 1966 : 21 000 navires, pour 278 millions de tonnes 2018 : 18 000 navires pour 1 140 millions de tonnes Le canal de suez aujourd’hui c’est 24% du trafic maritime mondial, et 8% du commerce mondial.

• Le canal de Suez : une source de revenus essentielle pour le papaysysysys Ses revenus sont essentiels pour l’Egypte : 5,7 Milliards $ en 2018/19. C’est la troisième source de devises du pays après les transferts de la diaspora (25,2 Milliards $) et le tourisme (12,6 Milliards $). Les revenus du canal de Suez correspondent à 2% du PIB égyptien. Une ligne spéciale de la balance des paiements (balance des services) leur est consacrée, preuve de l’importance attachée à l’identification spécifique de cette entrée en devises pour le pays.

20 • Le doublement du canal de Suez : le premipremierer des grands projets du président Sissi Marque symbolique forte, le président Sissi a voulu que le doublement du canal de Suez soit son premier grand projet d’investissement dans les infrastructures, preuve s’il en est de la place du canal dans l’imaginaire symbolique égyptien. Les travaux ont été réalisés en un an entre août 2014 et août 2015, pour une inauguration (en présence du Président Hollande, et avec un survol par le premier Rafale égyptien) en octobre 2015. Le canal a été doublé sur 72 km (sur 193 km) : • Doublement proprement dit sur 35 km avec percement d’une voie montante en parallèle de la voie descendante ; • Elargissement et approfondissement sur 37 km pour en augmenter la capacité. L’objectif est double : réduire le temps de la traversée et augmenter la capacité à la fois en taille des navires l’empruntant et en nombre de navires pouvant l’emprunter. Ces travaux ont coûté 8,5 milliards $, dont 850 millions $ d’emprunts internationaux et 54 milliards de Livres égyptiennes levées par souscription nationale (en moins de 10 jours) : il y a eu un véritable engouement populaire pour le projet (au moins aussi fort que lors de sa nationalisation en 1956, par Nasser), ciment national et légitimation du pouvoir du nouveau président. On peut dire que le peuple égyptien s’est véritablement approprié son canal.

Pour autant, les résultats escomptés en termes de revenus ne sont pas encore là : le seront-ils d’ailleurs jamais ? L’objectif déclaré était de voir passer d’ici à 2023 les revenus du canal de 5,3 milliards $ (en 2014) à 13,2 milliards $. Mais un tel résultat ne serait atteignable que si le commerce mondial croissait de 9% par an. Or on est plutôt aujourd’hui à un rythme moyen de 2,8% par an, et encore avec des hauts et des bas dans un contexte de guerre commerciale mondiale et de prix du pétrole (dont dépend le choix pour les armateurs d’emprunter le canal avec son droit de péage ou la route du cap de bonne espérance). En revanche, le doublement du canal a eu un effet positif indirect en améliorant l’attractivité économique du canal en lui donnant en sus de son rôle de transit un rôle de hub logistique potentiel. C’est l’enjeu de la Zone économique du canal.

• La Zone économique du canal de Suez (SCEZ) Longtemps le canal de Suez a été avant tout une zone de transit, une voie de passage d’une mer à l’autre. Depuis2015, l’Egypte veut en faire un pôle de développement économique, misant sur le développement de ses infrastructures ; On ne doit plus emprunter le canal que pour le traverser, on doit désormais pouvoir en faire une destination pour y investir : création de zones industrielles, de zones logistiques. Lancée en novembre 2015, la Zone économique du canal de Suez s’étend sur 461 km2, entre les deux façades maritimes, de part et d’autre du canal, sur les quatre villes de Port-Saïd (600 000habitants), d’Ismaïlia (500 000 habitants), de suez (500 000 habitants et d’Aïn Sokhna (45 000 habitants).

21 Ce sont 6 nouveaux ports avec leurs zones logistiques : West Port Saïd, East Port Saïd, El arish, sur la façase méditerranéenne, et Ain Sokhna, Al Adabyia et el Tor dans le Golfe de Suez, qui viennent s’ajouter à Port Saîd, Port Tewfik, Port Fouad et ismaïlia. Ce sont 4 nouvelles zones industrielles : East Port Saïd, El Kantara, East ismaïlia, et Ain Sokhna. Ce sont aussi deux villes nouvelles : East Port Saïd, et New Ismaïlia. La zone économique veut attirer les investisseurs par un régime fiscal d’exception (mais attention, ce n’est pas une zone franche !) et des procédures se voulant plus souples que le droit commun pour les investisseurs. A ce jour, deux zones « nationales » ont été annoncées : une zone industrielle chinoise et une zone russe. Mais ce modèle de zones nationales semble trouver ses limites : un nouveau modèle plus attractif pour les investisseurs de pays développés doit être trouvé.

• D’une frontière naturelle entre l’Egypte « africaine » et les provinces du Sinaï à un lien et un atout ppourour le développement du Sinaï : les grands investissements en infrastructures Le percement du canal de Suez par de Lesseps a eu pour effet la création d’une frontière naturelle entre l’Egypte « africaine » et le Sinaï, qui a de ce fait longtemps été isolé du reste du pays et est resté sous développé. Longtemps seuls les tunnels de Suez reliaient le Sinaï au reste du pays. On peut d’ailleurs penser qu’il s’agissait alors de relier la seule région du Sinaï jugée utile : les complexes balnéaires touristiques autour de Sharm el Sheikh, le reste du Sinaî étant « oublié » ou négligé. Cette situation est en train de changer avec une volonté de relier l’intégralité du Sinaï au reste du pays, et donc de se doter d’infrastructures de traversée du canal. Les ponts flottants répartis sur le canal, ou les bacs ont longtemps été les seuls moyens de traverser le canl. Ce temps est révolu avec : • La construction du pont d’El Kantara • Le percement des tunnels d’Ismaïlia • Le percement des tunnels de Port Saïd. Désormais le Sinaï pourra s’appuyer sur le canal de Suez pour son développement.

22

Le canal de Suez n’est pas qu’un projet du passé, mais bien un projet d’avenir pour l’Egypte !

La Compagnie Universelle du Canal maritime de Suez : du percement du canal à la reconversion après 1956 par Patrick Billioud de Nuzillet, Trésorier du Souvenir de Ferdinand de Lesseps et du canal de Suez.

« LA COMPAGNIE UNIVERSELLE DU CANAL MARITIME DE SUEZ : DU PERCEMENT DU CANAL A LA RECONVERSION APRES 1956 »

I Les prémisses

Relier la Méditerranée à la mer Rouge est un rêve millénaire. Avant d’être réalisé par Ferdinand de Lesseps, il avait été caressé par de nombreux souverains, des pharaons à Napoléon I er . Selon la tradition grecque, les premières traces de l’existence d’un canal reliant le Nil à la mer Rouge remontent au Moyen-Empire, sous la XIIè dynastie (entre 2000 et 1800 environ avant Jésus-Christ.) A certaines époques, ces canaux fonctionnaient : sous les grands pharaons, avec le perse Darius Ier (500 ans av. J.-C), avec les successeurs d’Alexandre le Grand (Ptolémée II au 3 ème siècle av. J.-C.) et avec l’empereur romain Trajan (100 ans av. J.-C). Lors de la conquête arabe, au 7 ème siècle après J.-C., le calife Omar le fit restaurer afin de ravitailler Médine, la ville sainte d’Arabie séoudite, avec le blé d’Égypte.

23 A l’inverse, El Mansour le fit combler en 767 pour affamer la ville sainte révoltée… Le canal avait duré près de 15 siècles, puis il tomba dans l’oubli. Par rapport au canal creusé par Lesseps, ces canaux anciens comportaient 3 différences notables : • Ils étaient orientés ouest-est et non nord-sud • Ils utilisaient des bras du Nil et par conséquent, en période de basses eaux, ils étaient impraticables • Ils comportaient de nombreuses ruptures de charge, certaines portions devant être faites à dos de chameau. La période des croisades médiévales ne prédisposait pas à la réouverture de ces canaux. Favoriser le commerce n’était pas alors la préoccupation majeure de l’époque. Le vénitien Marco Polo, au 13 ème siècle, avait ouvert l’intérêt de l’Occident sur d’autres itinéraires. Mais vers l’an 1500, les Vénitiens envisagèrent de relier la Méditerranée à la mer Rouge après la découverte du cap de Bonne-Espérance par Vasco de Gama. Ils craignaient en effet que leur commerce florissant avec les Indes ne périclite au profit des Portugais et de cette nouvelle voie maritime. Le philosophe et mathématicien allemand Leibnitz proposa à Louis XIV, en 1672, une expédition en Égypte dont le but était de mettre à bas la puissance ottomane. Il préconisait lui aussi le creusement d’un canal maritime pour relier les deux mers. Le Roi-Soleil ne lui répondit pas, mais Colbert fonda la Compagnie des Indes et tenta de convaincre le Sultan que le retour du commerce par la mer Rouge permettrait à la Sublime Porte de percevoir d’importants droits de douane.

Sous Louis XVI, plusieurs projets furent envisagés pour obtenir un passage à travers l’isthme. Le comte de Choiseul- Gouffier fut chargé de négocier cette transaction avec la Porte, puis le maréchal de Castries et le comte de Saint-Priest se penchèrent sur le sujet… en vain. C’est l’expédition d’Égypte de Bonaparte, en 1798, qui va véritablement remettre l’idée du canal au goût du jour. Reprenant la proposition de Leibnitz d’envahir l’Égypte, Talleyrand, alors Ministre des Relations extérieures du Directoire, suggéra à son maître la conquête du pays des pharaons autant pour satisfaire les visées expansionnistes de Bonaparte, fasciné par l’Orient depuis l’enfance, que pour se débarrasser des opposants au régime. Parmi les 160 savants et artistes embarqués avec les soldats de l’expédition d’Égypte, se trouvait Le Père, ingénieur en chef des Ponts-et-Chaussées, chargé par Bonaparte d’étudier la question du canal. Le 24 août 1803, Le Père présenta son rapport au général, devenu Premier Consul. L’ingénieur envisageait la construction de deux canaux ; l’un allant d’Alexandrie à Suez pour le commerce intérieur de l’Égypte, l’autre courant de Péluse à Suez pour le transit d’une mer à l’autre. Le Père prévoyait 2 écluses pour pallier la différence de niveau entre la Méditerranée et la mer Rouge, différence de presque 10 mètres que les physiciens Pierre-Simon Laplace et Joseph Fourier dénoncèrent comme erronée quelques années plus tard. Si le projet échoua avec l’expédition, l’étude de Le Père était sérieuse malgré ses erreurs de calcul et laissait envisager d’autres études possibles à partir de la sienne. C’est d’ailleurs en lisant le mémoire de Le Père alors qu’il était en quarantaine au lazaret d’Alexandrie, au printemps 1832, que Ferdinand de Lesseps envisagea à son tour le percement de l’isthme de Suez. En 1833, une nouvelle expédition en Égypte se prépare, pacifique celle-là, mais dont l’influence se prolongera pendant deux décennies. Elle est composée d’un petit nombre de jeunes gens brillants, médecins et ingénieurs de l’École Polytechnique pour la plupart, qui défendent les idées du comte Henri de Saint-Simon, lointain cousin du duc de Saint- Simon, contemporain de Louis XIV et auteur des Mémoires. Dans une France qui commence à s’industrialiser, ces jeunes idéalistes s’élèvent contre la misère du peuple et dénoncent la morale bourgeoise et rigoureuse de leur temps. Leur chef de file est Prosper Enfantin. Les Saint-Simoniens essaient de faire passer leurs idées à Méhémet-Ali, aussi bien leurs idées théoriques que leurs idées concrètes (construction d’un barrage sur le Nil dans le delta, construction d’une ligne de chemin de fer du Caire à Suez qui sera réalisée par les Anglais, percement de l’isthme de Suez).

Les idées étaient bonnes, mais elles venaient trop tôt car les esprits n’étaient pas suffisamment préparés à la réalisation de tels projets. Mais ces essais ont préparé le terrain pour Lesseps.

II Le site du canal actuel

De Port-Saïd sur la Méditerranée à Suez sur la mer Rouge, le tracé du canal a une longueur de quelque 160 km. Le tracé passe par 5 lacs (ou dépressions) qui représentent environ les deux tiers de la distance : les lacs (ou dépressions) Manzaleh, Ballah, Timsah et Amers (le grand et le petit).

24 Le reste qui doit être creusé représente le tiers de la distance. Cette partie contient, d’une part, des dunes faciles à creuser (dunes de Ferdane et plaine de Suez) et, d’autre part, 3 seuils très difficiles à creuser avec les moyens de l’époque (les seuils d’El-Guisr, de Serapeum et de Shallufa). De Marseille à Bombay aux Indes, la distance par le canal de Suez est de 7.300 km, celle par le Cap de Bonne- Espérance est de 16.600 km. L’écart est de 9.300 km, ce qui explique et justifie l’immense intérêt du canal de Suez, à une époque où la navigation abandonnait progressivement la voile pour la vapeur.

III Les acteurs

1 Les pays

4 pays sont principalement concernés par le percement du canal de Suez : l’Égypte, la France, la Turquie et l’Angleterre. - L’Égypte signe l’acte de concession en 1854. - La France ne soutiendra officiellement Lesseps que 5 ans plus tard, en 1859. - La Turquie ne co-signera l’acte de concession que 12 ans plus tard, en 1866, à cause de l’hostilité anglaise. - L’Angleterre restera hostile au canal jusqu’en 1875, année où elle rachètera les 44% du capital de la Compagnie détenus par l’Égypte. La Grande-Bretagne a connu au XIXè siècle une stabilité politique remarquable, la Reine Victoria a régné 64 ans de 1837 à 1901, alors que la France a connu 2 Empires, 2 Monarchies, 2 Républiques et l’insurrection de la Commune de Paris en 1871.

2 Les souverains égyptiens

• Méhémet-Ali, qui règne de 1804 à 1849, a dominé l’histoire de l’Égypte dans la 1 ère moitié du XIXè siècle. Après 22 siècles de diverses dominations (grecque, romaine, arabe, turque), il est le fondateur de l’Égypte moderne et un personnage aux multiples facettes. Né en Albanie, il fut envoyé en Égypte avec un corps albanais pour assurer la domination turque. Commandant des troupes turques après le départ des français, il réussit à s’emparer de la citadelle du Caire (1803), prit le pouvoir (1804) et fut reconnu pacha par le gouvernement du Sultan. Vice-Roi d’Égypte, il a cherché à se soustraire à la domination ottomane et passa sous influence européenne, créateur d’un État à l’occidental dans un monde musulman, grand admirateur de Napoléon et de la France, ennemi de l’Angleterre. Il bat les Anglais à Alexandrie en 1807. Ceux-ci ne reviendront en Égypte que 75 ans plus tard (en 1882). Il massacre les responsables des mameluks en 1811 qui sont abattus au sortir d’une fête somptueuse organisée en leur honneur à la citadelle du Caire. Il se lança dans plusieurs conquêtes (l’Arabie, le Soudan, la Syrie, la Crète, la Grèce), se battit contre les Turcs et menaça même Constantinople. Il obtint le gouvernement héréditaire de l’Égypte comme vice-roi sous la suzeraineté turque (traité de Londres 1840). Il aura été soutenu dans son œuvre par de nombreux français de haute qualité, à commencer par Mathieu de Lesseps, le père de Ferdinand, qui avait senti en lui l’immense potentiel du personnage.

• Abbas Ier (petit-fils de Méhémet-Ali) règne de 1849 à 1854. Religieux fervent, il déteste l’occident et plonge l’Égypte dans la régression en chassant les Européens et ses opposants dont Saïd Pacha qui s’exile à Paris. Il accorde aux anglais la concession du chemin de fer Alexandrie-Le Caire-Suez.

• Saïd Pacha (fils de Méhémet-Ali) règne de 1854 à 1863 - accorde à Lesseps la concession du canal de Suez, - décide la suppression définitive de l’esclavage en Égypte et au Soudan, permet l’accès aux plus hauts grades de l’armée à des Égyptiens, ce qui aboutira à la fin du siècle à la constitution d’un groupe d’officiers nationalistes. Ce groupe prospéra au XXè siècle et luttera pour l’indépendance du pays, d’abord contre l’Empire Ottoman, puis contre l’Angleterre.

L’ultime phase du combat sera marquée par la Révolution nationale de 1952 qui, sous l’égide des colonels Néguib, Nasser et Sadate, renversera le roi Farouk, dernier descendant de Méhémet-Ali.

25 • Ismaïl Pacha règne de 1863 à 1879 Élevé en France, ancien élève de Saint-Cyr, il termine et inaugure le canal de Suez. Il emprunte pour souscrire les 23 % du capital de la Compagnie non souscrits par certains pays étrangers, portant ainsi la participation de l’Égypte de 21 % à 44 % du capital. Mais quelques années plus tard, l’Égypte, alors en difficulté financière, devra revendre ces 44 % du capital de la Compagnie qui seront acquis par l’Angleterre.

• Tawfiq règne de 1879 à 1892 Il soutient d’abord le mouvement nationaliste d’Arabi Pacha, puis dut subir le contrôle des Anglais. En juillet 1882, la flotte anglaise prend prétexte de la défense des intérêts européens pour bombarder Alexandrie et s’y installer. L’armée anglaise occupera le pays jusqu’en 1952. Les anglais contrôlent l’Égypte financièrement et militairement ; elle devient une pseudo-colonie de l’Empire Britannique, tout en faisant toujours partie intégrante de l’Empire Ottoman.

3 Ferdinand de Lesseps 1805-1894

Issu d’une vieille famille de Bayonne, il a passé son enfance en Italie et en Grèce où son père était diplomate et son adolescence à Paris au lycée Henri IV pendant 7 ans où il était interne. A 20 ans, il est élève-consul à Lisbonne auprès de son oncle Barthélémy de Lesseps, seul survivant de l’expédition La Pérouse. A 24 ans, il est élève vice-consul à Tunis (partie de l’Empire Ottoman) auprès de son père. A 26 ans, il est vice-consul à Alexandrie. Il le restera pendant 5 ans, prendra connaissance des écrits de Le Père sur le projet de canal de Suez et aura une attitude très courageuse pendant une épidémie de choléra. Il écrira à l’époque : » Il est vain de vouloir faire gouverner des musulmans par des chrétiens, tant les deux civilisations, les deux religions et surtout les deux mentalités sont différentes ». Il se marie à 32 ans avec Agathe Delamalle qui lui donnera 5 fils dont 3 mourront précocement. Il sera ensuite en poste en Hollande (La Haye et Rotterdam), puis pendant 8 ans en Espagne (Malaga, Madrid et Barcelone). Il fit preuve d’un grand sang-froid lors d’émeutes à Barcelone et rendit des services à Madrid à sa cousine Eugénie de Montijo qui devait devenir l’Impératrice des Français en 1853. En 1849, à 44 ans, après 24 ans de carrière diplomatique, il est victime à Rome, au cours d’un conflit entre les révolutionnaires italiens et le Pape, d’instructions contradictoires venant de Paris et quitte la fonction publique. Il écrira alors : « Je me suis retiré dans la vie privée, pour n’avoir pas voulu participer à un attentat contre la liberté d’un peuple ».

Il achète alors pour sa belle-mère une propriété « La Chênaie », près de Guilly dans l’Indre qui a jadis appartenu à Agnès Sorel (la favorite de Charles VII). Il en fit une ferme modèle remarquable comprenant un important élevage de chevaux. En 1853, il perd son épouse, quelques jours avant le mariage de Napoléon III avec Eugénie de Montijo. En 1854, Saïd devient pacha d’Égypte et demande à Lesseps de la rejoindre. 1854, c’est le début de la guerre de Crimée : la France et l’Angleterre déclarent la guerre à la Russie. Le 25 novembre 1854, Mohammed Saïd annonce publiquement le percement du futur canal de Suez. Le firman officiel est signé le 30 novembre 1854, suivi du début des travaux préparatoires. Le 25 avril 1859, Lesseps inaugure officiellement à Port-Saïd le début du percement du canal de Suez. Les 16 et 17 novembre 1869, c’est l’inauguration officielle du canal de Suez en présence de l’Impératrice Eugénie et des représentants de toutes les cours d’Europe. Le 25 novembre 1869, à 64 ans, Ferdinand de Lesseps épouse une jeune française de 21 ans, Hélène de Bragard, qui lui donnera 12 enfants, 6 garçons et 6 filles.

4 Les ingénieurs et les principales entreprises de travaux

Les principaux ingénieurs du canal sont Adolphe Linant de Bellefonds (qui sera Ministre des Travaux Publics en Égypte après 1869), François-Philippe Voisin (X), Mougel-Bey et Hardon. A partir de 1864, les travaux du canal sont divisés en 4 tronçons. Chacun d’entre eux est exécuté par une entreprise différente afin d’éviter le monopole et les difficultés y afférant. Les frères Dussaud de Marseille sont chargés de la construction du port et des 2 jetées de Port-Saïd.

L’anglais Aiton a la responsabilité des 60 km qui suivent. L’entreprise Couvreux a la responsabilité des 16 km du seuil d’El-Guisr.

26 La dernière partie du tracé, qui court du lac Timsah à Suez , est confié à 2 polytechniciens, aussi compétents que les précédents : Alexandre Lavalley et Paul Borel. C’est leur entreprise qui met au point des machines de dragage « à longs couloirs » permettant l’excavation de 2.000 à 3.000 mètres cubes de sable et de terre par jour. Ces machines complétaient celles fournies par les Établissements et Chantiers de la Méditerranée et par les Établissements Ernest- Gouin.

Malgré la suppression des contingents de fellahs, les 4 chantiers sont une fourmilière permanente ; des ouvriers étrangers affluent de nombreux pays : de France, mais aussi d’Italie, de Grèce, d’Algérie… Bientôt, ce sont 15.000 travailleurs qui s’activent le long du tracé. La contrepartie de cette intense activité est le coût de la nouvelle main- d’œuvre plus exigeante que les fellahs.

IV Les enjeux

Le 15 novembre 1854, Lesseps remet à Saïd un mémoire sur le canal. Saïd l’approuve sur le champ et demande à Lesseps de désigner les ingénieurs qui seront chargés d’effectuer les études préparatoires : Linant de Bellefonds et Mougel. Leur rapport sera ensuite examiné par les ingénieurs anglais, allemands et français, puis l’ensemble des travaux sera soumis à une Commission Internationale, présidée par Lesseps, qui décidera du tracé définitif. Puis Saïd convoque les principaux consuls européens et américains et leur annonce sa décision. Le 30 novembre 1854, Saïd signe l’acte de concession (le firman) qui donne à Lesseps le pouvoir exclusif de constituer une compagnie formée de souscripteurs de toutes les nations sous le nom de Compagnie Universelle du Canal Maritime de Suez. En décembre 1854 et janvier 1855, Lesseps et ses collaborateurs proches entreprennent un voyage de reconnaissance dans l’isthme de Suez, étudiant le projet de canal de Péluse en Méditerranée à Suez sur la mer Rouge. Après avoir remis l’avant-projet du canal rédigé par Linant de Bellefonds et Mougel à Saïd, Lesseps se rend à Constantinople afin de tester les réactions du Sultan Abdul Medjid et de son entourage. A Constantinople, il reçoit le meilleur accueil du Sultan et de ses ministres, notamment du grand vizir Reschid Pacha. Mais c’est de l’Ambassadeur anglais auprès de la Porte, Lord Stratford de Redcliffe, que vient l’opposition la plus vive. Il s’oppose farouchement à sa construction et son avis est d’autant plus crucial qu’il est l’éminence grise du sultan. Pendant des années, l’Ambassadeur anglais et Lesseps s’opposeront. A la fin du mois de mai 1855, Lesseps vient à Paris avec un objectif précis : rencontrer et convaincre Napoléon III de s’engager officiellement dans la construction du canal afin de faire contrepoids à l’hostilité anglaise. S’il est reçu avec bienveillance et écouté avec intérêt, Lesseps n’obtiendra de Napoléon III aucune garantie quant à l’engagement de la France dans l’entreprise du canal de Suez : « Si je vous soutenais maintenant, affirme l’Empereur, ce serait la guerre avec l’Angleterre, mais quand les intérêts des capitaux européens, et surtout français, seront engagés, tout le monde vous soutiendra, et moi le premier. » Si la crainte d’un conflit franco-anglais est excessive, en revanche la position anticanaliste de l’Angleterre a deux raisons principales exprimées par Lord Clarendon, secrétaire d’État anglais aux Affaires Étrangères : - la réalisation du canal verrait l’abandon du projet de construction d’un chemin de fer, - les Anglais attribuent à la France des visées expansionnistes sur l’Égypte avec l’accord de Saïd aux dépens de l’Angleterre. Ce sont ces deux raisons majeures qui retarderont la construction du canal pendant 10 ans…

Pour tenter de fléchir la position britannique, Lesseps se rend à Londres en juin 1855 où il rencontre Lord Clarendon et Palmerston, 1er ministre anglais, un homme réactionnaire et très hostile à la France. Lesseps a beau mettre en œuvre ses talents de diplomate pour convaincre ses interlocuteurs qu’il représente une compagnie privée et non pas les intérêts du gouvernement français, il se heurte à l’intransigeance de deux hommes et ne peut ébranler leurs a priori . Cet échec est encore accentué par les convictions personnelles de l’Ambassadeur de France à Londres, le comte de Persigny, lui aussi très anticanaliste et ami de Napoléon III auprès de qui il n’aura de cesse de défendre l’hostilité anglaise, retardant ainsi l’engagement impérial qui aurait permis de clarifier la position de la France et d’accélérer les travaux du canal. Loin de se décourager, Lesseps entreprend un cycle de conférences à travers le pays pour gagner l’opinion anglaise à son projet.

27 A l’inverse de ses gouvernants, la population est plutôt favorable au canal et il parvient même à persuader quelques ingénieurs anglais de faire partie de la Commission scientifique Internationale chargée de définir le tracé et le coût définitif du canal. La Commission se rend sur place, examine le projet de tracé de Péluse à Suez, refait les calculs et conclut que le percement ne pose pas de problèmes majeurs. Ces conclusions sont résumées dans un rapport adressé à Saïd le 2 janvier 1856.

V Les préparatifs

Dès le début de janvier 1856, Lesseps établit les statuts et le cahier des charges de la Compagnie Universelle du Canal Maritime de Suez et, au mois de mars, dans un rapport adressé à Saïd, il annonce la création d’un journal « l’Isthme de Suez ». L’Égypte est ainsi appelée à redevenir, ce qu’elle fût dans l’Antiquité, l’initiatrice de l’Orient. Ce faisant, il calme les inquiétudes et les doutes du vice-roi, hésitant entre l’enthousiasme suscité par le projet de son ami et la hantise de s’attirer les foudres de la Porte et de l’Angleterre. Le capital de la Compagnie est fixé à 200 millions de francs-or divisé en 400.000 actions de 500 francs chacune. La concession aura une durée de 99 ans. Le gouvernement Égyptien sera associé en qualité de souscripteur ; de plus, il recevra 15 % des bénéfices pour avoir concédé les terrains nécessaires à l’entreprise. Saïd et Lesseps prévoient que la main-d’oeuvre sera en majorité égyptienne, recrutée et fournie par le vice-roi selon le système local de la corvée. La Compagnie aura son siège social à Alexandrie et son centre administratif à Paris. Mais Lesseps se heurte à l’hostilité grandissante de l’Angleterre et de la Turquie. En mars 1856, il écrit à Napoléon III pour lui dire que la Porte attend pour entériner le firman du vice-roi d’Égypte que le gouvernement français lui fasse connaître officiellement son approbation et la garantisse contre les réclamations de l’Ambassade d’Angleterre. Mais, pour l’heure, Napoléon III ne souhaite pas contrarier l’Angleterre, son alliée dans la guerre de Crimée contre la Russie. Après un nouveau séjour en Angleterre où il a été présenté à la reine Victoria et a été invité par la Société géographique de Londres, très favorable au canal, Lesseps retourne en Égypte où Saïd l’invite à l’accompagner dans un voyage de plusieurs mois au Soudan jusqu’à Khartoum. Revenu au Caire au début de l’année 1857, Lesseps est à nouveau confronté à ses adversaires anglais.

A son habitude, il décide d’affronter ses détracteurs sur leur terrain et part pour une tournée de conférences en Angleterre, en Écosse et en Irlande, où il prend de nombreux contacts avec une douzaine de chambres de commerce et rencontre des financiers et des marchands. La situation est toujours bloquée. Mais un évènement dramatique va continuer à gagner définitivement l’opinion britannique et une large partie de la presse, à la cause du canal. Des soldats indiens musulmans, engagés dans l’armée de la Compagnie des Indes, les Cipayes, se sont révoltés en mai 1857, provoquant de graves émeutes et le massacre de plusieurs centaines d’Anglais. Les renforts anglais ont été envoyés par le Cap de Bonne-Espérance et l’utilité du canal est clairement apparue. En janvier 1858, l’attentat d’Orsini contre Napoléon III entraîne une tension franco-anglaise qui n’arrange pas les affaires de Lesseps. En novembre 1858, Lesseps, déclinant les offres de la Banque Rothschild, installe le siège de l’Administration au 16 de la Place Vendôme et lance la souscription des 400.000 actions de la Compagnie sur le marché. Grâce à son infatigable engagement dans toute l’Europe depuis 4 ans, une partie des actions va être rapidement vendue, non seulement à des hommes d’affaires et à des négociants, mais également à de petits porteurs. La France, par 21.000 porteurs, souscrit 52% du capital, l’Égypte 21 % du capital et l’Empire Ottoman -qui n’a toujours pas signé le firman d’autorisation- 3% du capital. Les autres pays étrangers ne se sont pas engagés à la hauteur des espérances de Lesseps, notamment les Américains, les Russes, les Autrichiens et les Anglais. Le 1 er Conseil d’Administration de la Compagnie a lieu le 20 décembre 1858. Il est composé essentiellement de proches et d’amis de Lesseps, ce qui lui sera beaucoup reproché. Le 25 avril 1859, Lesseps donne le 1 er coup de pioche, à l’emplacement de la future ville de Port-Saïd, nom choisi en l’honneur du vice-roi d’Égypte. Mais les Anglais et la Porte freinent toujours. Par bonheur, en cette année 1859, le contexte historique joue en faveur de la France : la victoire de Solférino, le 24 juin, contre les autrichiens dans la guerre d’Italie, a renforcé la position internationale française et permis à Napoléon III de prendre ses distances avec l’Angleterre.

28 Le 23 octobre 1859, au château de Saint-Cloud, au cours d’une entrevue entre Lesseps, quelques Administrateurs de la Compagnie et Napoléon III, l’Empereur s’engage sans détour à soutenir le projet de canal. Les travaux se poursuivent en 1860 et 1861.

Au début de 1862, le canal d’eau douce creusé à partir du Nil à Zagazig, dans le delta, atteint les rives du lac Timsah, sur l’emplacement de la future ville d’Ismaïlia. Il permet l’alimentation des chantiers en eau potable ainsi que le transport de marchandises et de matériel léger. Le 17 novembre 1862, les eaux de la Méditerranée entrent dans le lac Timsah. En janvier 1863, après un dîner officiel donné en l’honneur de l’émir Abd el-Kader, Saïd décède. Il est remplacé par son oncle Ismaïl Pacha qui sera khédive d’Égypte de 1863 à 1879. C’est un homme de 33 ans, élevé en France, ancien élève de Saint-Cyr, fin, cultivé et courtois, réformateur, mais timide et influençable. Profitant du changement de gouvernement, Londres fait pression sur le sultan Abdul Aziz. Celui-ci ordonne l’arrêt des travaux et soumet leur reprise à 3 conditions : - la suppression de la corvée - la garantie de la neutralité du canal - la rétrocession des terrains alloués par Saïd. Lesseps passe outre, en s’appuyant sur le firman égyptien de 1854. En février 1864, Lesseps écrit à Napoléon III et lui demande d’arbitrer lui-même le conflit entre l’empire Ottoman et la Compagnie de Suez. Le 3 mars 1864, Napoléon III accepte l’arbitrage (réclamé par Lesseps) approuvé par Ismaïl et met en place une Commission. Celle-ci rend ses conclusions le 19 juin 1864 : - suppression totale de la corvée - restitution des parcelles cultivées - soit 60 000 hectares sur les 70.000 allouées par Saïd - et du canal d’eau douce en entier En échange, le gouvernement égyptien paiera une indemnité fixée à 84 millions de francs-or. L’Angleterre et la Turquie bloquent toujours. Au début de l’été 1865, Lesseps doit faire face à un nouvel obstacle, naturel, celui-là : une grave épidémie de choléra vient d’éclater en Égypte et se répand jusque dans la zone du canal. Le 30 janvier 1866, la Turquie et Lesseps signent l’acceptation de la sentence impériale, mettant ainsi fin à 12 années de lutte acharnée entre la Compagnie de Suez et l’alliance anglo-turque. Le 22 février 1866, une seconde convention est signée au Caire par le vice-roi, « véritable charte » régissant les rapports de la Compagnie de Suez avec le gouvernement égyptien. Le 19 mars 1866, c’est au tour du sultan Abdul Aziz de signer le firman. De 1866 à 1869, les travaux s’accélèrent avec l’aide de puissantes machines venues de France. Le 15 août 1869, les eaux de la mer Rouge rejoignent les eaux de la Méditerranée dans les lacs Amers.

VI L’inauguration

Le 17 novembre 1869, c’est l’inauguration officielle du canal de Suez par l’impératrice Eugénie et Ismaïl Pacha en présence des représentants de toutes les cours européennes. 80 bateaux dont une cinquantaine de navire de guerre sont à l’ancre dans la rade de Port-Saïd, à l’entrée du canal de Suez, dont l’Aigle, le navire de l’Impératrice, et le Péluse des Messageries Impériales qui transportait le Conseil d’Administration de la Compagnie ainsi que les délégués de la chambre de commerce de Marseille.

De concert avec Ismaïl Pacha, Lesseps a voulu marquer cette première journée par une cérémonie religieuse célébrant l’union de l’Orient et de l’Occident. L’évêque d’Alexandrie pour le rite chrétien et le grand Mufti turc pour le rite musulman appelaient sur la grande œuvre la bénédiction du Dieu de tous. Après les cérémonies religieuses, les navires entrèrent dans le canal et se mirent en marche vers Ismaïlia. Suivant le yacht d’Eugénie venait le Greig, qui avait à son bord l’Empereur François-Joseph d’Autriche-Hongrie, puis la frégate du prince héritier Frédéric de Prusse, ensuite, et à distance réglementaire, un yacht hollandais sur lequel se trouvait le Prince Henri et la Princesse Sophie des Pays-Bas. Ils étaient suivis d’un bateau russe transportant le Grand Duc Michel et le Général Imatiev qui représentaient le Tsar. Puis venait le Psyché, où se tenait l’Ambassadeur de Grande-Bretagne à Constantinople. Des fêtes somptueuses eurent lieu les 17 et 18 novembre 1869 à Ismaïlia.

29 Le 20 novembre, la flotte internationale parvient à Suez et débouche sur la mer Rouge. Elle est accueillie par une salve d’artillerie tirée des nombreux navires qui se sont rassemblés à l’embouchure du canal et le télégraphe apprend au monde entier le plein succès de l’entreprise de Lesseps.

VII L’exploitation de 1869 à 1956

Avec l’inauguration du canal de Suez commence la période de 99 ans accordée à la Compagnie. Le siège social de la Compagnie est à Alexandrie et son siège administratif à Paris. Le Conseil d’Administration est international. La répartition des bénéfices est, de par les statuts, la suivante : 71 % aux actionnaires, 15 % au gouvernement Égyptien, 10 % aux fondateurs, 2 % aux administrateurs et -disposition inattendue pour l’époque- 2 % au personnel. Mais l’heure n’est pas aux profits. Le coût total de l’ouvrage s’élève à quelque 450 millions de francs-or. Les recettes ne sont pas au rendez-vous, car il faut changer les habitudes des capitaines et les navires à voile sont encore nombreux. L’action qui a plongé en bourse ne retrouve son prix d’émission qu’en 1875. Cet heureux effet va réveiller l’intérêt de l’Angleterre. Le khédive Ismaïl est criblé de dettes. Ne pouvant faire face à une échéance importante, le gouvernement anglais propose de racheter les 44 % du capital de la Compagnie détenus par l’Égypte. Les financiers français, qui n’ont pas confiance en l’avenir de la Compagnie, s’abstiennent de toute contre- offre. Disraëli, 1 er Ministre Britannique, obtient un prêt de Lionel de Rothschild et rachète la part de l’Égypte. L’Angleterre étant devenue le principal actionnaire du canal, la Reine Victoria pouvait devenir Impératrice des Indes. L’Angleterre veut affirmer son rôle. L’occasion lui est donnée en 1882 lors de l’insurrection menée par le colonel nationaliste Arabi Pacha. Massacres de chrétiens et destructions se multiplient. L’Angleterre intervient militairement, bombarde Alexandrie et occupe le canal. Elle devait y rester 70 ans, jusqu’en 1952. Les Anglais exigent alors une part plus grande dans la gestion du canal. Un accord, dit programme de Londres, est signé le 30 novembre 1883. Outre 3 représentants de sa Majesté, 7 armateurs ou commerçants anglais complètent le Conseil d’Administration dont 10 membres sur 32 seront dorénavant britanniques. Les grandes puissances ne pouvaient que s’émouvoir de la mainmise britannique sur un ouvrage dont l’accès devait demeurer libre. Des tractations diplomatiques aboutissent le 29 octobre 1888 à la convention internationale de Constantinople, signée par 8 pays : La Grande-Bretagne, l’Allemagne, l’Autriche, l’Espagne, la France, les Pays-Bas, la Russie et la Turquie. Le perfectionnement des navires à vapeur puis l’apparition des moteurs diesel, sonnant la fin de la navigation à voile dans les dernières années du siècle, ouvre au canal un marché en pleine expansion. L’accroissement de la taille des bateaux contribue au doublement du trafic (en tonnage) entre 1882 et 1901. Symbole du succès posthume de Lesseps, une statue monumentale est érigée en 1899 à l’entrée de Port-Saïd.

Par-delà les progrès techniques, l’essor du canal s’explique par celui des colonies. Les dirigeants de la Compagnie s’impliquent personnellement dans la promotion de l’aventure coloniale. La conquête du Tonkin et de l’Annam (1885), puis de Madagascar (1895-1905), l’installation d’une base navale à Djibouti (1888) profitent à la Compagnie. La création de lignes régulières de paquebots, le développement du trafic postal et l’essor du trafic pétrolier à partir de 1892 contribuent de plus en plus fortement aux recettes du canal. Durant les premières années du XXè siècle, la neutralité du canal est respectée. Les navires de guerre traversèrent librement l’isthme pendant les guerres hispano-américaine, russo-japonaise et italo-turque. Lorsque la 1 ère Guerre mondiale éclate, la Compagnie réaffirme sa volonté de maintenir la liberté de navigation dans le canal. L’Angleterre est chargée par l’Égypte de le protéger. La Turquie rejoignant le camp allemand en novembre 1914, les Anglais déposent en décembre le vice-roi d’une Égypte, qui arrachée à l’empire Ottoman, devient provisoirement un protectorat britannique.

En février 1915, une armée turque qui tentait de prendre le canal est repoussée. Avec la guerre, le trafic est divisé par deux. Il faut attendre 1922 pour que le trafic retrouve le niveau d’avant-guerre. Le krach boursier de 1929 et l’effondrement consécutif des économies ne pouvaient que se répercuter sur le commerce mondial, dont le volume est divisé par 3. Le trafic va stagner dans les années 30, avec des hauts et des bas, des reprises et des rechutes.

30 Le déclenchement de la 2 nde Guerre mondiale porte un coup sévère au canal. Septembre 1939 : l’état de siège est proclamé. Le canal est bientôt bombardé. Le trafic s’écroule de 80 %. Pendant 10 ans, il est du niveau des premières années. Des mines font sauter des navires dans le canal. Les armées italiennes, puis allemandes, avec le maréchal Rommel, avancent dangereusement. La Navy installe à Ismaïlia le quartier général de sa flotte méditerranéenne. Le canal est redevenu une immense base militaire. La Compagnie ne peut qu’accompagner la riposte des forces alliées et met ses ateliers au service de la marine britannique. Une partie de son personnel rejoint les troupes de la France libre. La Compagnie s’est délibérément placée dans le camp gaulliste.

VIII La nationalisation du canal par l’Égypte en 1956

Après la prise de pouvoirs par les Colonels en 1952 et la conférence afro-asiatique de Bandung en 1955, le nationalisme arabe se radicalise en Égypte. L’occasion de la nationalisation du canal est fournie par le refus de la Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement (BIRD) d’attribuer un prêt à l’Égypte pour construire le haut barrage-réservoir d’Assouan. Nasser tenait à ce projet ambitieux qui, en régularisant les crues du Nil, devait permettre de gagner de nouvelles terres à l’irrigation et de fournir l’électricité indispensable au développement industriel du pays. La BIRD avait semblé, dans un premier temps, accepter de participer au financement de cette réalisation d’un milliard de dollars. Mais les États-Unis principaux bailleurs de fonds de la BIRD voulaient lier ce prêt à l’éloignement de l’Égypte des pays communistes. Blessé dans sa fierté, Nasser riposte le 26 juillet 1956 à Alexandrie par un discours fleuve (qui dure 2 h 40). Le nom de Ferdinand de Lesseps y figure : c’est un signal destiné aux militaires. Les commandos occupent aussitôt les installations de la Compagnie. Nasser annonce quelques instants plus tard la nationalisation du canal. Puisque les banques occidentales refusent de soutenir l’essor économique national, l’Égypte le financera en reprenant le canal 12 ans avant le terme de sa concession et en touchant directement et complètement les droits de transit. Discours prononcé par Nasser le 26 juillet 1956 à Alexandrie : « La pauvreté n’est pas une honte, mais c’est l’exploitation des peuples qui l’est. Nous reprendrons tous nos droits, car tous ces fonds sont les nôtres, et le canal est la propriété de l’Égypte. La Compagnie est une société anonyme égyptienne et le canal a été creusé par 120.000 égyptiens qui ont trouvé la mort durant l’exécution des travaux. La société du Canal de Suez à Paris ne cache qu’une pure exploitation (…) Nous déclarons que l’Égypte en entier est un seul front uni, et un bloc national inséparable. L’Égypte en entier luttera jusqu’à la dernière goutte de son sang pour la construction du pays (...) C’est pourquoi j’assigne aujourd’hui l’accord du gouvernement sur l’établissement de la Compagnie du Canal. Nous irons de l’avant pour détruire une fois pour toutes les traces de l’occupation et de l’exploitation. Après 100 ans, chacun a recouvré ses droits et, aujourd’hui, nous construisons notre édifice en démolissant en État qui vivait à l’intérieur de notre État. » Le choc de cette annonce est considérable. La première réaction des dirigeants de la Compagnie est de croire à une mauvaise farce. Les salariés européens sont révoltés. L’action Suez s’effondre. Le 1 er Ministre britannique, Sir Anthony Eden, ancien collaborateur de Churchill, qualifie Nasser de nouvel Hitler. Les dirigeants de la Compagnie envisagent de rapatrier le personnel européen sur le champ, de manière à bloquer la navigation sur le canal et susciter par voie de conséquence des réactions nationales et internationales déstabilisant le régime de Nasser. Mais la France et la Grande-Bretagne refusent ce scénario qui risque surtout de menacer leurs approvisionnements pétroliers. Les gouvernements occidentaux espèrent encore faire pression sur l’Égypte. Illusion vite dissipée. L’ordre de rapatriement est finalement donné le 10 septembre. Les 17 et 18 septembre, 628 employés et ouvriers -dont 243 français et 138 britanniques- quittent l’Égypte par bateau ou par avion - abandonnant sur place la plus grande partie de leurs biens. L’affaire de Suez se transforme en crise internationale. La Grande-Bretagne et la France décident de répondre au coup de force par la force récupérant militairement le canal. Israël profite de l’occasion pour attaquer un voisin devenu dangereux : les armées du Général Dayan déclenchent une offensive éclair le 29 octobre en déferlant à travers le Sinaï. Français et Britanniques espèrent que Nasser, en déplaçant ses troupes le long du canal, fournira le motif d’une intervention franco-britannique destinée à séparer les belligérants et à garantir le libre usage du canal. Les troupes françaises et britanniques débarquent à son extrémité nord et prennent Port-Saïd le 6 novembre : c’est l’opération Mousquetaire. Mais les Égyptiens évitent de combattre, sabordent des navires pour bloquer le canal et préfèrent masser leurs armées non près de l’isthme, mais à Alexandrie.

31 L’arbitrage franco-britannique n’a plus de sens. Tenus à l’écart de l’intervention franco-britannique, les États-Unis (le Général Eisenhower) refusent leur soutien. L’URSS (le Maréchal Boulganine) menace d’intervenir à son tour, évoquant même l’emploi de missiles atomiques à longue portée. Face à cet ultimatum, britanniques, français et israéliens n’ont plus qu’à évacuer la région, où ils sont remplacés par des casques bleus de l’ONU Les soldats européens quittent le sol égyptien le 24 décembre. Symbole du colonialisme français, la statue de Ferdinand de Lesseps sur la jetée de Port-Saïd est dynamitée le même jour. Une chose est sûre désormais : la Compagnie a perdu son canal. Privée de sa raison d’être, la Compagnie se trouve fin 1956 face à une question majeure : doit-elle disparaître ? Son seul objet social était la construction, l’entretien et la gestion du canal pendant 99 ans. Certains concluent logiquement qu’elle n’a plus qu’à engager sa liquidation.

Cette position, fort répandue, n’est pas partagée par les dirigeants de la rue d’Astorg, à commencer par son directeur- général, Jacques Georges-Picot qui défend « une politique destinée à obtenir le maximum d’indemnisation, outre la possession de tous nos biens hors d’Égypte, peut-être un jour un rôle mineur dans le canal » ainsi que la recherche d’activités nouvelles. Les actionnaires sont réunis en assemblée générale le 15 octobre 1956. A la quasi-unanimité, ils décident le maintien de la Compagnie. L’originalité de son statut juridique pose problème : constituée comme société internationale, marquée en partie par le droit français, elle relevait de certaines lois égyptiennes pour ses activités en Égypte et son organisation avait été fixée avant la loi française de 1867 sur les sociétés. Un projet de loi est donc déposé par le gouvernement pour confirmer sa nationalité française, indépendamment des dispositions législatives étrangères. Elle est adaptée au printemps 1957 et promulguée le 1 er juin. 10 assemblées générales (4 en 1957 et 6 en 1958) sont nécessaires pour peaufiner le dispositif juridique et unifier totalement les différentes catégories de titres émis depuis l’origine. Parallèlement à cette remise en ordre, la Compagnie, avec la médiation de la BIRD, négocie avec l’Égypte pour régler la question de l’indemnisation qui lui revient dans la mesure où la concession a été arrêtée 12 ans avant son terme normal. Aux termes de ces accords : - L’Égypte prend possession du canal et de tout ce qui figure sur son sol et dans les comptes des banques installées dans ce pays. - La Compagnie conserve tout ce qui est à l’extérieur de l’Égypte (notamment les avoirs bancaires à Paris, Londres et New-York), touche une indemnité de 28 millions de livres égyptiennes payables sur 7 ans et se voit le droit, accordé par Nasser lui-même, de continuer à utiliser le nom de Suez.

IX La reconversion de 1958 à 2010

En un siècle, la Compagnie n’avait eu que 6 Présidents et avait une stratégie simple et claire : percer, exploiter et agrandir le canal. En un demi-siècle, après la nationalisation de 1956, la Compagnie a eu 12 Présidents ou systèmes de Présidence et a connu une stratégie très évolutive, passant progressivement de la Finance à l’Énergie. De 1958 à 1981, la Compagnie a procédé à de nombreuses opérations d’absorption : Banque de l’Union Parisienne, Union Financière et Minière, Banque de l’Indochine… Celles-ci ont eu pour effet d’augmenter sensiblement le capital de la Compagnie et de diluer la position de l’Angleterre qui s’est trouvée ramenée de 44 % à 7 %.

Dans le cadre de la politique de Mme Thatcher, cette position résiduelle a été cédée en bourse par l’Angleterre en 1979. Durant cette période, deux opérations majeures méritent d’être signalées : - A la fin des années 1960, Suez a défendu Saint-Gobain contre l’opération inamicale de BSN et a parrainé ensuite la fusion entre Saint-Gobain et Pont-à-Mousson - Au début des années 1970, Suez a pris le contrôle du CIC à la suite d’une bagarre boursière mouvementée avec Paribas.

- En février 1982, c’est la nationalisation par le gouvernement français. - En octobre 1987, c’est la privatisation

De 1988 à 2010, c’est le grand virage de la Finance à l’Énergie - 1988 : prise de contrôle de la Société Générale de Belgique

32 - 1989 : prise de contrôle du Groupe Victoire - 1994 : cession du Groupe Victoire, la partie étrangère à l’UAP, la partie française au groupe britannique Commercial Union - 1996 : cession de la Banque Indosuez au Crédit Agricole - 1997 : fusion Suez/Lyonnaise des Eaux - 1998/2005 : cession par Suez de toutes ses positions bancaires en France et à l’étranger et montée à 100 % du groupe dans la Société Générale de Belgique et ses deux grandes filiales de l’Énergie, Tractebel et Electrabel - 2008 : fusion Suez/GDF - 2010 : Prise de contrôle du groupe britannique International Power. GDF Suez devient le 2 ème électricien mondial.

X Conclusion

La « Mère » du canal, c’est le Nil, car sans le Nil, le canal n’aurait jamais pu être percé. Il n’y a pas d’eau dans le Sinaï. Le « Père » du canal, c’est Ferdinand de Lesseps, le diplomate, qui, avec l’appui tardif de Napoléon III, a su surmonter les obstacles diplomatiques. Il a été assez habile pour faire confiance, sur le plan technique, à des équipes d’ingénieurs très remarquables. La « Marraine » du canal, c’est l’Impératrice Eugénie, car très tôt elle a soutenu son cousin et elle a magnifiquement représenté la France à l’inauguration de 1869. Les « Parrains » du canal, ce sont les khédives qui ont donné leurs noms aux 2 grandes villes du canal Saïd et Ismaïl. Saïd a risqué son trône en accordant la concession à Lesseps. Ismaïl a risqué les finances de l’Égypte en souscrivant en plus de sa part les actions que certains pays n’avaient pas souscrits. Mais, in fine , il a dû recéder les 44 % de la Compagnie à l’Angleterre. Le principal bénéficiaire du canal aura été l’Angleterre parce qu’elle avait une marine très puissante et des positions importantes en Asie du Sud-Est. Ceux qui ont matériellement percé le canal, ce sont d’abord les fellahs égyptiens dans le cadre de la corvée, et ensuite la myriade de travailleurs de tout le bassin méditerranéen. Sous cet angle, le chantier du canal c’était Alexandrie à la belle époque, le cosmopolitisme total pour ouvrir la terre aux hommes et faciliter le commerce entre l’Europe et l’Asie, en irradiant le Moyen-Orient. La période de la Compagnie Universelle du Canal Maritime de Suez de 1869 à 1956 a été remarquable malgré les débuts difficiles et les à-coups des guerres et des crises. La reconversion s’est bien déroulée grâce à la qualité des hommes qui étaient en place à l’époque et à l’appui de la BIRD qui a permis à la Compagnie d’encaisser une indemnité de l’Égypte pour rupture de contrat 12 ans avant l’échéance. La Compagnie a hésité par la suite sur sa stratégie –holding diversifié, holding bancaire, groupe industriel intégré aujourd’hui. Elle a enfin trouvé sa voie, mais tout est toujours à améliorer et à perfectionner. L’Égypte gère parfaitement son canal et la France peut être fière d’avoir réalisé cette œuvre. Demain, avec le réchauffement climatique, une nouvelle route par le pôle Nord pourrait concurrencer un jour ou l’autre le canal de Suez et le canal de Panama : Distance de Rotterdam à Tokyo : • par la route du Nord (Russie) 13.500 km • par la route du Nord-Ouest (Canada) 15.700 km • par le canal de Suez 21.200 km • par le canal de Panama 23.300 km

Entre 2 très grandes opérations : - l’une du milieu du XIXème siècle, le percement du canal de Suez - l’autre du milieu du XXème siècle, le débarquement allié de Normandie il y a un point commun : la construction d’un gigantesque port artificiel à partir de blocs de béton. Dans le 1 er cas, pour permettre au matériel de venir de France et aux bateaux de se mettre en convoi pour la traversée du canal. Dans le 2 ème cas, pour permettre aux vagues de la liberté de débarquer en Normandie.

33 Les responsables du débarquement allié ont rendu hommage au percement du canal. Le 5 juin 1944, la veille du débarquement, un message de la BBC à destination de la Résistance Française disait « il fait chaud à Suez ». C’était le message attendu. Le débarquement était imminent. Il fallait sur le champ entreprendre le sabotage des voies ferrées et du matériel ferroviaire pour empêcher les divisions ennemies de se replier sur la Normandie et de rejeter les alliés à la mer.

Suez : un canal stratégique ? par l’ingénieur en chef de l’Armement Fouad El Khatib. 10% du trafic maritime mondial passe par le canal de Suez. Le trafic des hydrocarbures est particulièrement important, 4 millions de barils par jour en provenance du Golfe Arabo- persique. Il en est de même pour le GNL qui vient à 98% du Qatar. Les câbles sous marins Europe-Asie passent par le canal. Le nombre de navires transitant journellement par le canal est actuellement de 49. Il est prévu qu’il puisse doubler d’ici 2023 à la suite des travaux de modernisation qui ont été effectués. De même, les recettes passeraient à 13 milliards de dollars par an. En ce qui concerne la France, les enjeux sont importants : 1/3 de l’approvisionnement en pétrole 14% des exportations 17% des importations le transit de 28 bâtiments de la Marine Nationale par an en moyenne Pour aller dans l’Océan Indien, le gain de temps est important. Par ailleurs, les relations sont très fortes dans le domaine de la défense entre l’Egypte et la France. Il y a un véritable partenariat stratégique. Le canal est aussi important pour les autres puissances : pour la Chine, la route de la soie maritime qui lui donne accès au marché européen. Elle a aussi construit une base à Djibouti. La Russie est d’abord une concurrente, car le réchauffement climatique va permettre d’ouvrir le route du Nord qui est plus courte. pour les USA, le transit de 35 à 45 bâtiments de l’US Navy par an. C’est l’accès au Golfe Arabo-persique. pour l’Union Européenne, 25% de son approvisonnement en pétrole, 75% de son commerce avec l’Asie dont la Chine De multiples facteurs de crises existent au voisinage du canal, dans plusieurs pays : la Libye, le Sinai en Egypte, le Yemen. On peut citer aussi : la piraterie résiduelle, le terrorisme, le trafic des armes, des migrants, de la drogue. L’environnement sécuritaire est instable.

Que serait la Méditerranée sans le canal de Suez ? Impacts sur les rapports de force en Méditerranée par le colonel Jean-Philippe Pierre La Méditerranée est bordée par 3 continents, 23 pays, 6 systèmes culturels. En ce qui concerne le développement humain le classement des pays est très différent, on va de la 23ème place à la 157ème. C’est un axe de communication incontournable, en particulier pour la distribution des énergies fossiles. Chaque jour 310 navires franchissent le détroit de Gibraltar, 50 passent le Bosphore. A tout moment, il y a en mer ou dans un port 2.500 navires dans la Méditerranée. Soit 1/3 du trafic mondial. Cela n’empêche pas qu’il existe aussi un trafic important par le Cap.

34 La route du Nord n’est pour le moment pas ouverte en hiver. Le passage d‘un navire par le canal coûte en moyenne 416.000 €. L’Egypte a dépensé 7,6 milliards de $ pour moderniser le canal. Il y a dans la région une forte crisogénéité. Des gisements de gaz importants ont été découverts en Méditerranée orientale. Pour l’attribution des permis, il y a contestation du fait de la Turquie, du Liban, d’Israël. La zone attribuée à l’Egypte n’est pas contestée. Il y a des crises violentes en Libye, en Syrie, en Irak, dans les territoires occupés. Il y a le terrorisme islamique. On constate aussi des mouvements de contestation en Algérie. Sur les 7 routes de la soie, une, celle qui est maritime, passe par le canal. La Chine cherche à la fois à écouler sa production et à récupérer des matières premières pour assurer sa croissance. La Chine aménage aussi des ports. Autour du canal, les équilibres sont actuellement fragiles.

Quand la France se prénommait Eugénie : les cérémonies d’inauguration du canal de Suez (16-20 novembre 1869) par Maxime Michelet, Président du Centenaire Eugénie 2020 Ferdinand de Lesseps est le cousin germain de la mère de l’Impératrice Eugénie. Il y a 1.000 invités à l’inauguration dont 270 Français. Sont présents l’Empereur d’Autriche François Joseph, le Prince héritier de Prusse, un Grand Duc de Russie, Abd-el-Khader. Le 17 novembre, 50 navires, dont le tirant d’eau est inférieur à 5 mètres, s’engagent dans le canal. En tête l’Aigle avec à son bord l’Impératrice. Elle n’est pas rassurée car elle craint un échec. En fin de journée, les navires arrivent à Ismaïlia. Le 18 novembre à IsmaÏlia, a lieu le dîner des souverains préparé par 500 cuisiniers. Suivi d’un Bal offert par le Khédive et d’un feu d’artifice. Le19 novembre, le départ a lieu à 12 h 30. A 16 h30, les navires sont dans les Lacs Amers. Le 20 novembre le départ est à 6 h 45. A 11 h 30, l’Aigle est à Suez. Le canal est inauguré. L’Impératrice remet à Ferdinand de Lesseps l’insigne de Grand Croix de la Légion d’Honneur. Il avait été envisagé qu’il soit duc de Suez, mais l’idée a été abandonnée.

Le palais de l’Impératrice : de Suez à Phnom Penh par Jean-Marie Cambacérés, président de la section des affaires Européennes et Internationales du CESE Il présente le palais construit pour l’Impératrice, où elle n’a sans doute passé qu’une heure. Il est maintenant intégré dans le palais royal de Phnom Penh.

Christian Bourdeille, président du Souvenir Yves Bruley, Christian Moreau, David Chanteranne, Napoléonien, David Chanteranne Pascal Cyr.

35

Ahmed Youssef, David Chanteranne, Abel Douay, président Ica Fouad El Khatib, Patrick Billioud de Nuzillet, des Amis de Napoléon III Christian Bourdeille, Jérôme Baconin

Jean-Philippe Pierre, Jean-Marie Cambacérès, Christian Bourdeille, Maxime Michelet

Source des 5 photos : Les Amis de Napoléon III

Conférences

Il y a 150 ans, le canal de Suez , par le contre-amiral François Bellec à la Société de Géographie de Paris, notes de Juliette Gallois et de Jean-Philippe Bernard (27 février 2020)

óóóó Signalons tout d’abord que la Société de Géographie de Paris fêtera son bicentenaire en décembre 2021.

Il y a 150 ans, le canal de Suez

L’amiral Bellec a dirigé pendant 18 ans le Musée national de la Marine, il est peintre officiel de la Marine, il a présidé la Nationale des Beaux Arts, il est aussi écrivain de Marine et a publié de nombreux livres, il est membre de l’Académie de Marine. Au delà du canal de Suez, c’est le parcours chronologique de Ferdinand de Lesseps, de l’Egypte au Panama, que l’amiral Bellec a présenté devant l’amphithéâtre comble de la Société de Géographie de Paris dont il est le vice- président. Là même où Ferdinand de Lesseps présenta son projet de canal de Panama en mai 1879. Il était alors le Président de la Société de Géographie. Le canal de Suez inauguré en 1869 fait partie des grands canaux avec le canal de Panama (1913), le canal de Corinthe (1893), le canal de Kiel (1895).

36 Déjà le canal des pharaons, creusé probablement durant la XIIe dynastie par Sésostris III au XIXe siècle avant JC, reliait le Nil à la mer Rouge et permettait à de petites embarcations de passer de la Méditerranée à la mer Rouge. En 1798, le général Bonaparte lors de l’expédition d’Egypte s’est intéressé au projet d’un canal reliant la Méditerranée et la mer Rouge. De cette époque date la Description de l’Egypte, recueil des observations faites par les savants qui accompagnaient le général Bonaparte. Plus tard va venir Ferdinand de Lesseps. Celui-ci portait une grande admiration à son oncle, Barthélémy de Lesseps, avec qui il a commencé sa carrière diplomatique. Barthélémy de Lesseps avait participé à l’expédition du comte de Lapérouse décidée par Louis XVI. Il avait été débarqué sur la péninsule du Kamtchatka. Il avait traversé la Sibérie pour ramener à Versailles, le 17 octobre 1788, le journal de bord de l’expédition. Cela lui avait valu d’échappper au naufrage de Vanikoro Le rôle de son père, Mathieu de Lesseps également diplomate, a été rappelé pour expliquer les bonnes relations entre la famille de Lesseps, Mehmet Ali et son fils Saïd Pacha. Ferdinand de Lesseps a été vice-consul de France à Alexandrie, Consul au Caire, Consul général à Alexandrie. En 1849, il renonce à la diplomatie. A la mort de Mehmet Ali, son fils SaÏd Pacha devient vice-roi d’Egypte. Le 31 octobre 1854, il donne à son ami Ferdinand de Lesseps pouvoir exécutif de constituer et de diriger une compagnie universelle pour le percement de l’isthme et l’exploitation d’un canal entre les deux mers. Ce canal fera passer la distance entre la Grande- Bretagne et les Indes de 19.800 à 11.600 kilomètres. Le canal de Suez a cependant été construit malgré une vive opposition anglaise. La Compagnie universelle du canal maritime de Suez est créée et les travaux vont durer de 1859 à 1869. Ils ont d’abord mobilisé les fellahs, main d’oeuvre gratuite du fait de la corvée, qui les oblige à travailler un mois par an. Leurs moyens sont rudimentaires. Plus tard sont venues les dragues flottantes avec un bien meilleur rendement. Les tableaux de Théodore Frère et de Riou illustrent le chantier. Le canal a 162 kilomètres de long, la largeur entre berges est de 60 mètres, la largeur navigable de 21 mètres. Le 15 novembre 1882, le eaux de la Méditerranée arrivent dans le lac Timsah. L’inauguration du canal a lieu le 17 novembre 1869 en présence de l’Impératrice Eugénie, de l’Empereur François- Joseph et du Khédive Ismail Pacha qui a succédé à Saïd Pacha. L’Aigle, yacht impérial français, est en tête des navires qui franchissent le canal. La création d’Aida de Verdi n’intervient au Caire que le 24 décembre 1871 car l’opéra n’avait pas été terminé à temps pour l’inaugration. Le siège de la Compagnie en Egypte est à Ismailia où se trouvent les bureaux et la maison de Ferdinand de Lesseps. En 1875, en raison de son importance, la dette publique égyptienner va être mise sous tutelle. L’Egypte vend à la Grande Bretagne ses 44% de parts de la Compagnie universelle du canal maritime de Suez. En 1876, est fondée la société civile du canal de Panama. En 1878, Lucien-Napoléon Bonaparte-Wyse obtient du gouvernement colombien la concession pour le percement du canal de Panama. Du 15 au 29 mai 1879, se tient un Congrès international organisé par la Société de Géographie sur un projet de canal interocéanique. Ferdinand de Lesseps fait adopter son projet d’un canal à niveau de 77 kilomètres dans l’isthme de Panama. Ce projet était en compétition avec un projet de canal de 278 kilomètres au Nicaragua. Des difficultés considérables vont découler de la décision de construire un canal à niveau car elle implique un volume considérable de terrassements. Par ailleurs, la malaria et la fièvre jaune font des ravages parmi ceux qui travaillent sur le chantier. En 1882, la Grande Bretagne prend militairement le contrôle de l’Egypte. En mars 1882, commencent les travaux de creusement du canal de Corinthe. En 1884, les caisses de la Compagnie universelle du canal interocéanique de Panama sont vides alors qu’un dixième seulement des travaux de déblaiement ont été réalisés. En 1888, pour sauver la Compagnie, Ferdinand de Lesseps, son président, demande à l’Assemblée nationale l’autorisation d’émettte un emprunt obligataire à lots. Des députés et des journalistes recoivent des chèques en échange de leur soutien. C’est le scandale de Panama. Le 29 octobre 1888, est signée la convention de Constantinople, le canal de Suez est libre et ouvert, en temps de guerre comme en temps de paix, à tout navire de commerce ou de guerre, sans distinction de pavillon. En 1889, la Compagnie universelle du canal interocéanique de Panama est mise en liquidation judiciaire provoquant la ruine de 85. 000 épargnants En 1893, s’ouvre le procès de Panama. Ferdinand de Lesseps est condamné à cinq ans de prison pour trafic d’influence et détournement de fonds. Son grand âge lui évitera d’aller en prison.

37 Le 23 juillet 1893, est inauguré le canal de Corinthe qui fait 10 kilomètres de longueur. Il permet de passer de la mer Egée à la mer Ionienne sans faire le tour du Péloponèse. Au Panama, Bunau-Varilla va convaincre les États-Unis d’abandonner leur projet de canal au Nicaragua et de reprendre le projet français de canal au Panama. Pour aller de New York à San Francisco, il y a 8.040 kilomètres en passant par le canal au lieu de 20.900 par le cap Horn. Les États-Unis n’hésitent pas à soutenir un mouvement séparatiste pour que le Panama ne fasse plus partie de la Colombie. Le 3 novembre 1903 est proclamée la République du Panama. Le fonctionnement du canal de Panama est dépendant du niveau de l’eau douce dans le lac Gatun. C’est un canal à écluses, trois côté Atlantique et deux plus une côté Pacifique. Pour franchir les écluses, les navires sont tirés par de petites locomotives électriques. Les travaux du canal de Panama sont menés par le génie de l’armée américaine. Le Président Théodore Roosevelt apporte son soutien personnel à cette entreprise. Le franchissement de la Culebra est un épisode spectaculaire du chantier. Le 26 septembre 1913, le SS Gatun est le premier navire à franchir le canal de Panama. Le 26 juillet 1956, Nasser nationalise le canal de Suez car il n’a pu obtenir de prêts des Occidentaux pour construire le barrage d’Assouan. L’opération Mousquetaire menée conjointement en 1956 par la France, le Royaume Uni et Israël vise à reprendre le contrôle du canal. L’intervention militaire est rapidement stoppée à la demande des Nations Unies et suite aux menaces de l’URSS. A la suite de la guerre des Six Jours entre Israël et l’Egypte en juin 1967, le canal est bloqué pendant 8 ans. Il ne sera rouvert à la navigation qu’en 1975. Le 31 décembre 1999, les États-Unis transfèrent au Panama la souveraineté du canal. Le canal de Suez a été amélioré par étapes successives depuis sa création, sa largeur entre berges est passée de 60 mètres à 300/360 mètres, sa largeur navigable de 21 mètres à 140/260 mètres, sa profondeur de 8 mètres à 14,5/23,5 mètres. Le port en lourd des navires franchissant le canal est passé de 5.000 à 240.000 tonnes. Au Panama, le président Martin Trujillos présente le 24 avril 2006 un projet de nouvelles écluses pour doubler la capacité du canal. Ce projet est approuvé par referendum. Les anciennes écluses ne permettaient que le passage de bateaux dits Panamax, de 294 mètres de longueur. Les travaux qui ont coûté 5,4 milliards de dollars, confiés à un groupement d’entreprises espagnol, italien, belge et panaméen, de 2007 à 2016, vont permettre de créer une nouvelle ligne d’écluses. De ce fait, la longueur des bateaux qui peuvent emprunter le canal de Panama passe de 294 mètres à 336 mètres, ce sont les Post-Panamax. Les nouvelles écluses sont munies d’un dispositif qui permet de récupérer l’eau, souci majeur pour le fonctionnement du canal. En 2016, le premier navire à franchir les nouvelles écluses appartient à l’armement chinois COSCO, la Chine est un client très important du canal de Panama. La Chine étudie la possibilité de construire un nouveau canal au Nicaragua. On ne peut pas encore dire si ce projet sera mené à terme En ce qui concerne le canal de Suez, sur décision du Président Sissi, des travaux très importants sont entrepris en 2014. Ils visent à doubler le canal sur une longueur de 70 kilomètres ce qui permet aux convois Nord-Sud et Sud-Nord de se croiser. Auparavant il était nécessaire que l’un des convois soit au mouillage. Les travaux qui ont coûté 8 milliards de dollars, ne vont durer qu’un an ce qui est une performance. De ce fait, il devient possible de faire passer chaque jour 90 navires par le canaL L’inauguration a lieu le 6 août 2015 en présence du Président Hollande. Le premier bateau à emprunter ce nouveau canal appartient à l’armement français CMA-CGM. Il faut noter que les Chinois prennent position dans la région en créant une base militaire à Djibouti. Le collier de perles comprend des bases chinoises implantées le long de la route maritime qui va de la mer de Chine à la mer Rouge en passant par le détroit de Malacca et l’Océan Indien : Hanigyi en Birmanie, Chittagong au Bengladesh, Hambatota au Sri Lanka, Gwadar au Pakistan. Pour terminer sa conférence, l’amiral Bellec insiste sur le rôle que joue notre association, dont il a été administrateur, dans les relations franco-égyptiennes. Il a fait partie d’une commission pour l’étude du futur musée d’Isamilia et a présenté un projet en 2012.

38

Invitation et le contre-amiral Bellec à l’issue de la conférence avec Micheline Hotyat, secrétaire générale adjointe de la Société de Géographie

Détails de la salle récemment rénovée et, au centre, le contre-amiral Bellec et Jean-Robert Pitte, président de la Société de Géographie.

Deux photographies extraites de la présentation du contre-amiral Bellec.

39 Patrimoine

Enquêtes orales

óóóó Présentes au cœur du colloque organisé le 13 novembre 2019 à la Bibliotheca Alexandrina, retrouvez sur internet une présentation des enquêtes orales menées par le recteur Philippe Joutard ainsi que l’ensmble des entretiens : http://memoires-du- canal-de-suez.asflcs.cealex.org/

Maquette de l’inauguration du canal

óóóó Le 1 er décembre 2019, l’Institut du Monde Arabe (IMA) représenté par Claude Mollard, en mission avec Christine Adrien confirmait le don au futur musée d’Ismaïlia de la grande maquette de l’inauguration du Canal à Port Saïd réalisée pour l’exposition « l’épopée du canal de Suez » qui s’est tenue à l’IMA de mars à août 2018. L’Amiral Rabie, président de la Suez canal Authority (SCA) a accepté ce don et a alors suggéré que les marines française ou égyptienne prennent en charge le transport de cette maquette depuis Toulon. Le ministère de la Défense a donné son accord pour la marine française et la maquette a quitté Toulon le 9 mars à bord du PHA Dixmude pour arriver à Alexandrie le 25. Lors de son embarquement, le vice-amiral d’escadre Isnard, préfet maritime, le vice-amiral d’escadre Rolland, commandant la force d’action navale, le capitaine de vaisseau Rossignol commandant du Dixmude ont accueilli SE M. Hesham Maher, Consul général d’Égypte à Marseille avec Christine Adrien qui avait organisé cette opération. Le contexte sanitaire n’a pas permis au PHA Dixmude de faire escale à Alexandrie. La maquette est revenue à Toulon en attendant un prochain départ vers l’Égypte.

Photographie de gauche : CV Rossignol, Christine Adrien, VAE Isnard, SE M. Hesham Maher, VAE Rolland, Bruno Jouassain, CV Wemaere

40 Publications

Le canal de Suez et l’Empire ottoman par Faruk Bilici

óóóó Ouvrage publié avec le concours de Souvenir de Ferdinand de Lesseps et du canal de Suez, de l’Institut français d’études anatoliennes (IFEA) et de l’Institut national des Langues et Civilisations Orientales (INALCO), CNRS Éditions, Paris, 2019 Ce livre est d’un exceptionnel intérêt car il traite d’un sujet qui n’avait jamais été abordé. L’auteur a pu utiliser les archives ottomanes et a donc bénéficié de sources sûres. La réalisation du canal de Suez a entraîné une grave crise diplomatique qu’il ne faut pas ignorer. La lecture de ce livre est vivement conseillée. L’auteur fera prochainement une conférence au siège d’ENGIE, à laquelle seront conviés les membres de notre association.

óóóó Recension de Jean-Philippe Bernard :

Cet ouvrage ambitionne de combler une lacune : la dimension de la souveraineté ottomane sur l’Egypte et ses implications dans toutes les étapes de la conception du canal de Suez et de sa construction. Les Saint-Simoniens se sont rendus à Constantinople en 1833. Ils en ont été expulsés et n’ont pas eu beaucoup de temps pour prêcher leur doctrine. L’Egypte leur semble alors le pays le plus propice pour leur entreprise. Mehmed Ali Pacha demande des talents, des ingénieurs et ils peuvent l’aider. Dés cette époque, ils songent à réunir la Méditerranée et la Mer Rouge. Mehmed Ali Pacha écarte la mise en oeuvre du projet pour des raisons politiques et de sécurité. L’avénement de Mohammed Saïd Pacha offre une occasion exceptionnelle à Ferdinand de Lesseps, ami d’enfance du nouveau vice-roi, de reprendre à son compte le projet. Au même moment, la guerre de Crimée confirme la fragilité de l’Empire ottoman. La dépendance de la Porte d’une coalition internationale pour se défendre contre la Russie lui enlève une bonne partie de ses moyens pour une négociation sur une question aussi importante que le canal de Suez. L’Egypte soutient le Sultan contre les ambitions russes. Saïd Pacha fait passer de 15.000 à 30.000 le nombre de soldats égyptiens qui se battent aux côtés des Turcs. La Grande-Bretagne veut le maintien de l’intégrité territoriale de l’Empire ottoman et la permanence de la souveraineté du Sultan sur l’Egypte. Ferdinand de Lesseps se rend en Egypte en novembre 1854 à l’invitation du nouveau vice-roi Saïd Pacha. Celui-ci lui accorde le pouvoir exclusif de constituer une compagnie universelle pour le percement de l’isthme de Suez et l’exploitation d’un canal entre les deux mers. La compagnie obtient une concession de 99 ans. Le gouvernement égyptien recevra 15% des bénéfices sans préjudice des dividendes des actions qu’il se réserve de prendre pour son compte. Rédigé en 12 articles, ce premier acte ne comporte aucune mention explicite ni du Sultan, ni du gouvernement ottoman. Lesseps bâtit sa stratégie sans tenir compte de l’autorisation nécessaire de l’Empire ottoman. Saïd Pacha, comme Lesseps, connaissaient les interminables discussions provoquées par la concession en 1851 du chemin de fer Alexandrie-Le Caire à la compagnie anglaise Stephenson sans l’assentiment préalable de la Porte. Pour éviter de heurter Istanbul, Saïd Pacha écrit en décembre 1854 une lettre au grand vizir. Il se montre prêt à faire de nouveaux sacrifices pour la cause commune. Il expose la situation financière catastrophique de l’Egypte à cause des emprunts contractés pour la construction du chemin de fer Alexandrie-Le Caire. Il propose cependant de construire une voie ferrée entre Le Caire et Suez et le percement de l’isthme de Suez. Au mois de décembre 1854, deux faits interviennent. Sur décision de Napoléon III, le consul général Sabatier remet en grande pompe les insignes de la Légion d’honneur au vice-roi. Lesseps accompagné de Sabatier, de Linant Bey et de

41 Mougel Bey, ces deux derniers au service du gouvernement égyptien, fait un voyage exploratoire dans l’isthme de Suez pour établir le programme des travaux de percement du canal. La conviction de Lesseps est de régler la question de la concession directement avec l’Egypte et le vice-roi sans s‘adresser à Istanbul, ni à Paris, ni à Londres. Un conseil se réunit à Istanbul pour examiner les demandes de Saïd Pacha. Ce conseil décide que le chemin de fer entre Alexandrie et Le Caire doit être terminé par la compagnie britannique qui en a eu la concession. Le projet de chemin de fer entre Le Caire et Suez doit être étudié par le gouvernement ottoman. Quant au projet de percement du canal de Suez, le conseil constate que les Anglais préféraient le chemin de fer pour garder le monopole du commerce des Indes et s’opposaient au canal tandis que les autres Etats européens penchaient pour le percement de l’isthme. En cette période de guerre, pour ne pas nuire à l’entente entre l’Angleterre et la France, il est déconseillé de tenter cette entreprise. Le conseil demande donc au vice-roi des explications supplémentaires avant que le Sultan ne décide de la suite à donner au projet. Dans le même temps Lesseps se rend à Istanbul porteur d’une lettre du vice-roi au grand vizir, datée du 24 janvier 1855. Le vice-roi demande l’autorisation impériale de construire le canal, très utile pour l’Egypte, et souhaite que cette autorisation soit remise immédiatement à Lesseps en qui il a toute confiance. Grâce à Vincent Benedetti, le chargé d’affaires de la France, Lesseps rencontre le grand vizir Mustafa Resid Pacha et il est reçu par le Sultan Abdülmecid. Il rencontre également Lord Stratford, ambassadeur britannique, un homme très puissant à Istanbul. Les ambassadeurs d’Autriche, d’Espagne et de Hollande soutiennent ouvertement le projet. Tout en défendant les intérêts d’une entreprise privée, Lesseps se présente comme le “fondé de pouvoir” du vice-roi et comme le représentant officieux de la diplomatie française. Il est concient de l’opposition de l’ambassade britannique, mais il bénéficie du soutien discret du gouvernement français, de ses entrées auprès de Napoléon III par sa proximité familiale avec l’Impératrice Eugénie, de la présence de son frère au Ministère des Affaires étrangères. En quelques semaines, la situation va se transformer radicalement. Lesseps va passer de l’espoir d’avoir immédiatement l’autorisation du Sultan au désespoir de voir les portes se fermer les unes après les autres. Une longue période de crise s’ouvre. Cette période symbolise l’impuissance politique de la Porte, dépendante de la volonté de ses partenaires européens. Avec le premier acte de concession, Lesseps a présenté au grand vizir un argumentaire indiquant l’utilité d’un canal entre la Méditerranée et la Mer Rouge. Comme pour les détroits, les grandes puissances européennes garantiront la neutralité du canal. Les tergiversations du gouvernement ottoman obligent Lesseps à retarder par deux fois son retour en Egypte. Finalement, il revient en Egypte au début du mois de mars 1855, porteur d’une lettre laconique de Mustafa Resid Pacha qui précise que l’affaire du canal de Suez est entre les mains des ministres. Lord Stratford ne prend pas une position officielle claire pour ne pas nuire à l’alliance militaire en cours. Il fait savoir que le gouvernement britannique n’est pas convaincu de l’utilité d’un tel projet qui serait financièrement nuisible à l’Egypte, surtout dans cette période de guerre. Selon l’ambassadeur britannique, la Sublime Porte doit étudier plus attentivement le dossier avant de prendre une décision. Le gouvernement ottoman se contente alors de créer une commission. L’hostilité de l’Angleterre au projet de canal va entraîner la démission de Mustafa Resid Pacha dont l’ambassade britannique était le principal soutien. Saïd Pacha répond aux objections d’Istanbul. Il présente les études de Linant Bey et de Mougel Bey pour démontrer la faisabilité du canal. Il réaffirme l’indépendance financière de la compagnie concessionnaire. Le Trésor égyptien ne subira aucun inconvénient. Il sollicite humblement le consentement du Sultan. Les démarches de Lesseps à Istanbul ont des conséquences. L’Empire ottoman est impliqué au plus haut niveau. Le gouvernement britannique passe d’une opposition de principe à une position argumentée et raisonnée. Lesseps a compris qu’il ne pouvait pas tout faire en s’appuyant sur ses relations avec le vice-roi et avec Napoléon III. En réponse aux objections que la Porte et la Grande Bretagne peuvent formuler, Saïd Pacha et Lesseps continuent à avancer : Linant Bey et Mougel Bey remettent le 30 mars 1855 un avant projet sommaire d’un canal entre les deux mers avec adjonction d’un canal d’eau douce dérivée du Nil. Cet avant projet est envoyé à Istanbul. Le monde financier est informé. La durée des travaux est estimée à six ans pour un devis de 200 millions de francs. Le vice-roi approuve le 19 mai 1855 une feuille de route établie à la suite de cet avant projet. Il met une condition expresse à son accord, il faut l’autorisation préalable du Sultan pour commencer les travaux. Malgré les réserves du vice-roi, Lesseps considère qu’il a le feu vert pour entreprendre les travaux préparatoires au percement du canal.

42 Saïd Pacha sonde les intentions du gouvernement britannique par une lettre adressée à l’ambassadeur ottoman à Londres, Musurus Pacha. Celui-ci constate qu’aucun argument ne saurait modifier l’opinion du gouvernement britannique sur la question du projet de canal. Lesseps, de retour à Paris en mai 1855, se rend ensuite à Londres avec l’objectif de conquérir l’opinion publique britanniquei et d’influencer ainsi les hommes politiques, en partculier le Premier ministre, Lord Palmerston, très hostile au creusement du canal. La campagne de promotion va concerner la presse, le Parlement, les chambres de commerce, les grandes compagnies de navigation. Cette campagne est surveillée de près par Musurus Pacha qui renseigne la cour ottomane. Une des objections de l’Empire ottoman et du gouvernement britannique est que la réalisation du canal pourrait entraîner l’indépendance de l’Egypte. Les interventions étrangères pourraient être plus faciles et plus rapides dans une région qui est placée sous l’autorité ottomane. La France est aussi soupçonnée de vouloir coloniser l’Egypte. Le canal créerait une barrière physique infranchissable entre l’Egypte et le reste de l’Empire ottoman. Le gouvernement britannique conseille donc à la Porte d’exiger des garanties pour empêcher que la France ne soit de retour en Egypte par le biais de l’entreprise de Lesseps. Inversement, Lesseps rencontre à Londres un grand succès auprès des armateurs et des industriels. L’ambassadeur de France à Londres estime qu’il ne faut pas mettre en danger l’alliance entre les deux pays pour une question d’un intérêt aussi relatif que le canal. Pour répondre à ces contestations, Saïd Pacha crée une commission internationale composée d’ingénieurs venus des pays riverains de la Méditerranée, de l’Angleterre, des Pays Bas et de la Prusse. Les conclusions sont présentées à Saïd Pacha en janvier 1856 et un rapport complet est publié en décembre 1856. Le canal, direct entre les deux mers, aura 145 kilomètres de long, 80 à 100 mètres de large avec 8 mètres de profondeur, sans écluses, avec des ports vastes et sûrs à ses extrémités. La dépense ne dépassera pas les 200 millions de francs, estimés dans l’avant projet. Les conclusions de la commission entraînent la confirmation de la concession et l’approbation des statuts de la compagnie. Un nouveau firman de 23 articles précise les clauses de la concession de novembre 1854. Ce nouveau document est assorti de la condition expresse de l’approbation du Sultan. La compagnie sera égyptienne avec un siège social à Alexandrie, mais le siège administratif se trouvera à Paris et sa direction en Egypte sera conduite par un personnel français. Les tribunaux égyptiens ou ottomans n’auront aucune compétence en matière de conflit relatif à la compagnie. La fin de la guerre de Crimée et le Traité de Paris, le 30 mars 1856, ouvrent de nouvelles perspectives. L’Empire ottoman est sous la tutelle des alliés signataires du traité. Les négociations s’intensifient autour du canal à cette occasion. Le gouvernement britannique cherche à cacher sa propre opposition derrière la faiblesse de la Porte. Son ambassadeur à Istanbul souligne que la position du gouvernement de la reine Victoria n’a pas changé et formule des menaces au cas où le vice-roi obtiendrait l’autorisation de construire le canal. Il manifeste la crainte que l’Egypte ne passe sous la domination française si la Syrie et l’Egypte étaient séparés matériellement par un canal. Le 20 juillet 1856, Saïd Pacha prend un décret pour organiser le futur travail des fellahs sur le chantier. Il s’agit d’une nouvelle pomme de discorde avec le Sultan. En effet, la corvée a été supprimée sur tout le territoire de l’empire ottoman. Le 7 juillet 1857, à la Chambre des Communes, Lord Palmerston précise que le gouvernement britannique a tout fait à Constantinople et en Egypte pour empêcher que le canal ne se réalise. Il est contraire à la politique constante de l’Angleterre en ce qui concerne les liens entre l’Egypte et la Turquie. Ce projet est aussi rival du chemin de fer d’Alexandrie à Suez via Le Caire jugé infiniment plus utile. De son côté, Lesseps souligne que le canal permettra de se rendre plus facilement de la Turquie aux villes saintes d’Arabie. SaÏd Pacha finance, dés 1857, les travaux du canal d’eau douce. Lesseps persiste à penser que la sanction de la Porte n’est pas indispensable pour la réalisation du canal. Il va à Londres et ensuite à Vienne où il obtient un franc soutien. Il se rend à nouveau à Istanbul du 5 décembre 1857 au 19 mai 1858 , puis du 12 juillet au 21 août. A Istanbul, il a l’appui de l’ambassadeur de France, Edouard Thouvenel, qui a géré habilement la fin de la guerre de Crimée. Mustafa Resid Pacha est à nouveau grand vizir. Lesseps lui soumet un memorandum, mais le grand vizir va mourir quelques jours après. Lesseps a présenté les conclusions de la commission internationale et il a insisté sur les prises de position favorables de membres de la Chambre des Communes. Il a énumèré les avantages que l’Empire ottoman tirerait du canal. Mehmed Emin Ali Pacha devient grand vizir et c’est l’homme qui peut faire avancer la cause du canal. Lesseps quitte cependant Istanbul les mains vides, mais sans être découragé.

43 A son retour en France, le 5 novembre 1858, Lesseps ouvre la souscription pour constituer la compagnie. 53% des actions sont souscrites en France, 44% par la gouvernement égyptien, les autres par des citoyens de différents pays dont l’Empire ottoman, l’Italie, les Pays Bas. Le chantier est inauguré le 25 avril 1859. Il s’agit d’une rigole destinée à préparer l’ouverture de l’isthme à la grande navigation. Devant le fait accompli, l’Empire ottoman et la Grande-Bretagne sonts contraints d’élaborer de nouvelles stratégies. Une escadre anglaise de sept navires attend devant Alexandrie. L’Angleterre occupe des îlots dans la mer Rouge. Le grand vizir fait part de son mécontentement à Saïd Pacha. La question du canal est importante pour l’Empire et doit être examinée de manière approfondie. Les travaux ne doivent pas commencer avant qu’un firman ne stipule l’autorisation du Sultan. Le vice-roi ordonne à Lesseps de faire cesser les opérations entreprises dans l’isthme de Suez. Les ouvriers étrangers venus en Egypte doivent rentrer chez eux. Les fonctionnaires égyptiens doivent empêcher les ouvriers égyptiens de se rendre sur les chantiers. Saïd Pacha a craint un conflit armé et l’éviction de la famille de Mehmed Ali Pacha. La victoire de Napoléon III en Italie contre l’Autriche conforte Lesseps. Il passe à l’offensive contre la Porte en faisant intervenir l’appareil gouvernemental français. Le conseil d’administration de la compagnie est reçu le 23 octobre 1859 par l’Empereur qui l’assure de son appui et de sa protection. A Istanbul, Thouvenel reçoit des instructions portées par Lesseps lui-même. Le gouvernement ottoman est sollicité de donner une réponse satisfaisante à la question de l’isthme. Celui-ci envisage alors de soumettre la question à une conférence internationale, mais il y renonce sous la pression de l’ambassadeur britannique qui ne veut pas que la France et la Grande Bretagne soient placées sur un pied d’égalité. A la fin décembre 1859, le conseil des ministres de l’Empire ottoman se réunit pendant plusieurs jours pour adopter une politique. Des conditions importantes sont posées. Il n’est pas admissible que les terres longeant le canal d’eau douce soient cultivées et abandonnées à la compagnie. L’administration et la sécurité du canal relèvent de la Sublime Porte. Pour préserver la neutralité internationale du canal, les pays européens doivent donner les garanties nécessaires à la Sublime Porte. Le conseil veut éviter tout malentendu avec la France ou la Grande Bretagne. Sous ces conditions, le Sultan autoriserait la poursuite des travaux et entérinerait l’existence légale de la compagnie. Les instructions correspondantes sont envoyées aux ambassadeurs ottomans à Londres et à Paris pour informer les gouvernements respectifs. En soumettant sa politique au bon vouloir de la France et de la Grande Bretagne, la Porte se condamne à rester passive sur une question aussi vitale. Les deux capitales ne réagissent pas officiellement. Elles sont engagées ensemble dans la deuxième guerre contre la Chine et ne veulent pas se heurter. Le gouvernement britannique considère que la Porte ne peut pas donner son agrément puisqu’il y a à la fois aliénation de la terre et recours au travail forcé sous la responsabilité d’une compagnie étrangère. Après un temps d’arrêt provisoire, les travaux reprennent suivant un programme bien établi, dans l’isthme de Suez et surtout sur le canal d’eau douce. En juin 1861, le Sultan Abdülmecid meurt et un nouveau Sultan Abdülaziz est intronisé. En septembre, Saïd Pacha vient à Istanbul pour le féliciter et parler du canal. La Porte ottomane ne veut pas brusquer les choses et adopte une attitude bienveillante. En attendant que la France et la Grande Bretagne se mettent d’accord, elle reconnaît que le canal peut servir les intérêts de l’Empire. En décembre 1861, en compagnie de Lesseps le vice-roi fait une longue tournée d‘inspection des chantiers. Il est enthousiaste, des villes et des villages naissent un peu partout dans l’isthme. Il permet le recrutement d’un plus grand nombre d’ouvriers ce qui donne un coup d’accélérateur aux travaux du canal d’eau douce et de la rigole maritime. Le canal est alors un immense chantier, l’activité est intense. Le 2 février 1862, la construction du canal d’eau douce est terminée. Le 18 novembre 1862, la Méditerranée entre dans le lac Timsah. Saïd Pacha meurt le 18 janvier 1863. Son neveu et successeur, Ismail Pacha, va poursuivre son oeuvre dans le domaine de l’autonomie politique et militaire vis à vis de l’Empire ottoman, mais en admettant une dépendance plus étroite de l’Europe occidentale. Il est le petit-fils de Mehmed Ali Pacha et a été formé à l’Ecole militaire de Saint Cyr. Ismail Pacha veut terminer les travaux du canal sans entraîner la faillite de l’Egypte et sans se soumettre à la volonté de la compagnie, montrant une certaine irritation à l’égard des privilèges exclusifs qui lui ont été accordés. Il demande que la Porte lui donne des instructions sur la question du canal. Sa démarche est très bien accueillie à Istanbul. La Porte n’a toujours pas donné son accord, l’Angleterre persiste dans son opposition, la France s’engage de plus en plus aux côtés de la compagnie. Celle-ci est en plein désarroi financier car Saïd Pacha , le plus grand actionnaire, est mort sans avoir réglé ses dettes.

44 Le 19 février 1863, Ismail Pacha arrive à Istanbul pour recevoir son investiture des mains du Sultan Abdülaziz. Il invite le Sultan à venir en Egypte. Ce voyage, qui commence le 3 avril 1863, est un évènement important. Aucun Sultan n’est venu en Egypte depuis Selim 1er en 1517. La véritable raison de ce voyage est d’affirmer la suzeraineté ottomane sur l’Egypte. C’est aussi l’occasion d’en finir avec les polémiques autour du canal. Pendant le voyage du Sultan, qui est accompagné de sept cents personnes, le gouvernement ottoman prend position en ce qui concerne le canal de Suez. Cependant, le Sultan ne visite pas le chantier. La Sublime Porte ne veut pas empêcher la réalisation d’une entreprise qui lui semble conforme à l’utilité générale. Mais elle estime que la neutralité du canal n’est pas garantie. Elle soulève aussi deux questions : la corvée et la concession de terrains tout au long des canaux d’eau douce et maritime. Immédiatement après la visite du Sultan, le prince Napoléon-Jérôme Bonaparte se rend en Egypte. Il va servir d’intermédiaire entre la compagnie et Napoléon III. L’administration égyptienne mobilise en moyenne 60.000 hommes pour le canal. L’interdiction du travail forcé va entraîner une mécanisation accrue des chantiers. La Porte demande que les terres concédées par Saïd Pacha soient rétrocédées au gouvernement égyptien. Le gouvernement ottoman donne six mois au gouvernement égyptien, à compter du 1er août 1863, pour trouver les arrangements nécessaires. Nubar Pacha, le représentant du vice-roi, en tant que son ministre des affaires étrangères, va jouer un rôle déterminant. A Istanbul, il se met d’accord avec le gouvernement ottoman pour arrêter la corvée. A Paris, Nubar Pacha porte l’affaire devant Napoléon III. Il signe le compromis désignant Napoléon III comme arbitre pour régler les questions en suspens. Ce qui mécontente la Porte mise devant le fait accompli. La sentence du 6 juillet 1864 dépossède la compagnie d’une main d’oeuvre à bas coût et corvéable. Elle l’oblige à rétrocéder une grande partie des 60.000 hectares qu’elle possède dans l’isthme à titre de concession. Elle perd également la propriété du canal d’eau douce , mais elle en conserve la jouissance pendant la durée de la concession. Cette sentence fait sortir Istanbul de son immobilisme et de ses tergiversations pour donner au canal une existence légale. Mais deux ans vont s’écouler ente la proclamation de l’arbitrage et la conclusion d’un nouvel accord. La Porte engage d’intenses négociations avec le gouvernement britannique. Osman Nuri Pacha est désigné par le gouvernement ottoman pour régler la question des terrains avoisinant le canal maritime et le canal d’eau douce. Sans amender la sentence arbitrale de Napoléon III, il doit établir un nouveau contrat pour délimiter les terres à céder à la compagnie et fixer à six ans le délai de rétrocession du canal d’eau douce. Cette mission heurte la susceptibilité du vice-roi. Osman Nuri Pacha visite les chantiers et il est impressionnné par le spectacle grandiose des travaux. Il rencontre Lesseps et lui fait force compliments. Osman Nuri Pacha estime à 1.784 hectares la surface des terrains nécessaires à la compagnie, contre 10.264 estimés par l’instance arbitrale et très loin des 60.000 accordés initialement à la compagnie. Une commission mixte composée de délégués ottoman, français, britannique et de la compagnie de Suez est créée. Elle arrive à la conclusion que 10.214 hectares sont concédés à la compagnie. Une convention est signée le 30 janvier 1866, entre le gouvernement égyptien et la compagnie du canal de Suez. Elle reçoit le 19 mars la sanction de la Sublime Porte. Des distinctions honorifiques sont décernées par la Porte à Lesseps, aux membres de la commission mixte, à Voisin Bey. L’emploi des fellahs est aboli. Le canal d’eau douce est rétrocédé au gouvernement égyptien. Le canal maritime est soumis à la police égyptienne. Après moult batailles diplomatiques, l’Empire ottoman donne enfin son accord et un firman impérial légalise l’existence de la compagnie du canal. Les relations deviennent alors cordiales entre la Porte et l’Egypte. Pas pour longtemps, car une nouvelle zone de turbulences va se situer dans les années 1867-1870. Une insurrection se produit en Crète et Ismail Pacha envoie 18.000 hommes pour appuyer les troupes du Sultan. Ismail Pacha aurait souhaité que la Crète soit rattachée à l’Egypte. Cette idée est inacceptable pour la Porte, mais aussi pour le France et la Grande Bretagne. En compensation de son refus, le Sultan accorde à Ismail Pacha le titre de Khédive par un firman du 8 juin 1867. Le vice-roi a de ce fait un certain pouvoir législatif et un droit de négociation économique. Ces évènements donnent lieu en Egypte à de grandes liesses populaires. Le Sultan et le vice-roi se rendent en même temps à l’Exposition universelle de Paris ce qui génère des tensions. Ayant le titre de Khédive, le vice-roi veut renforcer les moyens militaires de l’Egypte. Les effectifs de l’armée passent de 30.000 à 160.000 hommes. Mais c’est le renforcement de la marine militaire égyptienne qui est considéré à Istanbul comme un défi. Des cuirassés sont commandés à des chantiers français. L’Egypte va disposer d’une force navale égale à celle de l’Empire ottoman. L’utilisation de la langue arabe au détriment du turc dans les administrations est un autre motif de tension. Mais c’est le voyage en Europe que va entreprendre le Khédive pour inviter les chefs d’Etat et de gouvernement à l’inauguration du canal qui va porter la crise à son comble.

45 En marge de l’invitation à l’inauguration du canal, le Khédive et son ministre des Affaires étrangères, Nubar Pacha, négocient un traité international sur la neutralité du canal. Tout ceci n’est pas acceptable pour Istanbul qui met en garde les diplomates ottomans dans les capitales européennes contre l’attitude indépendantiste du vice-roi. Accompagné de Lesseps, Ismail Pacha se rend en Grèce puis à Venise, Florence, Vienne, Berlin, Bruxelles, Londres et enfin Paris. Partout Ismail Pacha est logé dans des palais royaux ou impériaux. A Florence, le roi Emmanuel le reçoit avec tout le gouvernement, à Vienne, c’est l’empereur François Joseph qui l’accueille, à Berlin, le roi Guillaume 1er, à Londres, la reine Victoria. Dans cette dernière ville, on le met en garde contre toute velléité d’indépendance. A Paris, reçu par Napoléon III, Ismail Pacha est logé à l’Elysée, dans l’appartement même qu’avait occupé le Sultan deux ans auparavant. L’ambassadeur ottoman demande que l’Impératrice ne se rende pas en Egypte pour l’inauguration du canal. Ce voyage crée un climat de guerre psychologique entre le gouvernement ottoman et le vice-roi. Le Khédive est critiqué à Istanbul pour le désordre de ses finances, pour n’avoir pas consulté la Porte avant d’entreprendre son voyage en Europe, pour avoir invité des souverains étrangers à venir chez son maître assister à l’inauguration du canal de Suez au coeur même de l’Empire. Le fait que Nubar Pacha ait eu le titre de ministre des Affaires étrangères pendant le voyage est tout à fait contraire au droit établi. Seule, la Porte peut signer des traités internationaux. Le grand vizir estime que Ismail Pacha ruine l’Egypte. Il formule les griefs de la Porte contre le vice-roi : - les cuirassés commandés doivent être vendus ou cédés à la Porte - le vice-roi ne peut contracter d’emprunts extérieurs sans autorisation du Sultan - les relations avec les puissances extérieures doivent être réglés par le biais des ambassadeurs ottomans

Le Khédive réagit avec mesure. Il essaye d’apaiser le grand vizir. Il souligne que la prospérité de l’Egypte contraste avec l’état du pays quand il est arrivé au pouvoir. Son unique souci est le bien de l’Egypte, tout en se conformant à la volonté et aux ordres du Sultan. C’est dans cette atmosphère que va avoir lieu l’inauguration du canal où il y aura un grand absent : le Sultan ottoman. Le vice-roi ne manifeste pas le désir de voir le Sultan ou le grand vizir venir en Egypte, sans doute par peur d’être en seconde position. Pour pallier à l’absence du Sultan et par diplomatie, les délégations importantes passent d’abord par Istanbul. Le premier est le prince de Galles. Mais c’est la venue de l’Impératrice Eugénie à bord de l’Aigle qui constitue un grand évènement. Napoléon III a un bon prétexte pour se faire représenter, il est malade. Ensuite viendront les princes de Prusse, des Pays Bas, de Suède, le duc d’Aoste et surtout l’empereur d’Autriche François-Joseph. Jamais Istanbul n’avait reçu la visite d’autant de souverains étrangers. La Porte estime que le vice-roi a engagé des dépenses excessives pour cette inauguration : 50 millions de francs, soit la moitié du revenu annuel du pays. Le canal de Suez marque la dernière résistance de l’Empire ottoman à la domination totale des créanciers européens sur les finances égyptiennes. Viendra le temps de l’occupation et de la colonisation de l’Egypte en 1882 par l’Angleterre, elles n’ont pas d’autre signification que la possession du canal. Le canal de Suez a contribué au démembrement de la partie islamique de l’Empire ottoman. On disait, avant sa construction, que le canal allait créer une ligne infranchissable entre l’Egypte et le reste de l’Empire ottoman. Cette prédiction s’est bien réalisée : le canal est devenu le tombeau de l’Empire ottoman. Sans Nasser, il aurait pu être celui de l’Egypte.

Naïma et Roland Laffitte, L’Orient d’Ismaÿl Urbain, d’Égypte en Algérie

óóóó Ouvrage, paru chez Geuthner en deux volumes présenté le 10 janvier 2020 à la Société de études saint-simoniennes.

46 Adhérents

Départ de Nivine Khaled, conseillère culturelle et scientifique auprès de l’ambassade d’Égypte (5 mars 2020)

óóóó Nivine Khaled, conseillère culturelle et scientifique auprès de l’ambassade d’Égypte va regagner son pays. Son départ est unanimement regretté et elle ne laisse que des amis en France. A l’occasion de ce départ, une manifestation a été organisée au Centre Culturel Égyptien de Paris le 5 mars 2020. Elle était présidée par SE M. Ehab Badawi, ambassadeur d’Égypte en France, accompagné de son épouse, Omneya Badawi. Un texte tout à fait remarquable, écrit à la demande de Nivine Khaled dans le cadre de la célébration du cinquantenaire de la Francophonie, a été lu. II sera publié dans notre Bulletin. Un cocktail d’amitié a ensuite réuni les participants. Nivine Khaled est membre du Conseil d’Administration de notre association ce qui nous laisse espérer de la revoir régulièrement à Paris.

Photo de gauche : Mona Latif-Ghattas, Nivine Khaled et Omneya Badawi Photo de droite : Christine Adrien, Jean-Philippe Bernard, Nivine Khaled, Omneya Badawi et Thierry Chambolle

Promotion de la Légion d’honneur du Nouvel an

óóóó Signalons que Christiane Ziegler, conservatrice générale du patrimoine et administrateur de notre association, a été élevée à la dignité de grand officier (sur la liste du Premier ministre). Jean Villeret, déporté résistant, président délégué d'une fédération nationale d'anciens combattants, est promu au grade de commandeur (contingent des déportés et internés de la Résistance).

Archives nationales du monde du travail (ANMT) à Roubaix

óóóó Corinne Porte, directrice des archives départementales de l’Ardèche prendra la direction des ANMT à compter du 1 er juillet 2020 ; elle succédera à ce poste à Anne Lebel. Rappelons que les ANMT conservent notamment les archives de la Compagnie universelle du canal maritime de Suez.

47

"Les dirigeants de l’Association adressent leurs plus vifs remerciements à toutes celles et à tous ceux qui ont contribué à la rédaction des textes et à la réalisation de ce bulletin."

Directeur de la publication : Bruno Chauffert-Yvart Rédacteur en chef : Jean-Philippe Bernard Maquette (conception et réalisation) : Juliette Gallois.

Photo de couverture : Bâtiment de la Suez canal Authorithy à Port-Saïd, 16 novembre 2019 (photographie Juliette Gallois).

48

Association Souvenir de Ferdinand de Lesseps et du canal de Suez Association loi 1er juillet 1901 C/O ENGIE 1 Place Samuel de Champlain Case courrier 953 92930 Paris La Défense CEDEX France Tél. (+33) 01 56 65 55 05 - [email protected]

Site internet : http://www.lessepssuez.org