La Correspondance Entre Alfred Des Cloizeaux Et Quintino Sella * ** *** CRISTIANO FERRARIS - OPHÉLIE WEINERT - GIOVANNI FERRARIS
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Saggi e Studi La correspondance entre Alfred Des Cloizeaux et Quintino Sella * ** *** CRISTIANO FERRARIS - OPHÉLIE WEINERT - GIOVANNI FERRARIS 1. Introduction Les lettres envoyées par Quintino Sella à divers correspondants et diverses institutions sont bien documentées. Elles ont été publiées en neuf volumes par Guido Quazza (1922-1996) et sa femme Marisa Quazza (née Piola, 1920-2013)1. Les lettres reçues par Sella n’ont, quant à elles, été cités ou publiées qu’occasionnellement, essentiellement dans les ouvrages précédemment mentionnés. De ce fait, la seule correspondance à avoir été publiée est celle de Sella et de l’astronome Giovanni Virginio Schiaparelli (1835-1910)2. Cette publication s’inscrit comme la première étape d’un projet qui, sous la direction de Clara Silvia Roero, vise à étendre cette initiative à d’autres correspondants. S’inscrivant à la suite de recherches sur le travail de Quintino Sella3, nous avons rallié le projet et avons examinés la correspondance entre Sella et Alfred Des Cloizeaux, un savant minéralogiste français. Cette démarche nous permet de retracer un pan de l’histoire du Muséum National d’Histoire Naturelle (MNHN), où deux d’entre nous travaillons (C.F. et O.W.), et notamment une période de l’âge d’or de la cristallographie française4. Le matériel de recherche et les échantillons étudiés par Alfred Des Cloizeaux sont conservés au MNHN, tandis que les archives manuscrites sont conservées aux Archives de l’Académie des Sciences de Paris (ArAcSciP). Ces manuscrits ont été donnés par Des Cloizeaux lui-même à son élève Alfred Lacroix (1863-1948). Ils ont été déposés par ce dernier aux Archives de l’Académie dans un très vaste fond documentaire consultable sur place. D’autres archives sont conservées par les héritiers de Des Cloizeaux et constituent un fond privé. Dans le fond Lacroix de l’ArAcSciP on trouve, entre autres, 21 lettres inédites et un télégramme de Quintino Sella à Alfred Des Cloizeaux. Mis à part quelques lacunes (signalées ponctuellement dans les notes de cet article), ces lettres trouvent leurs réponses dans les 36 lettres et un télégramme de Des Cloizeaux à Sella conservés à la Fondazione Sella di Biella (FScqc et FScql). Nous avons donc pu reconstituer, au moins en partie, l’intense collaboration * Cristiano Ferraris, Institut de Minéralogie, de Physique des Matériaux et de Cosmochimie (IMPMC), Muséum National d’Histoire Naturelle, CP 52, 61, rue Buffon, 75005, Paris, France; e-mail: [email protected]. ** OphélieWeinert, Muséum National d’Histoire Naturelle, Direction des Collections, 57, rue Cuvier, 75005, Paris, France; e-mail: [email protected]. *** Giovanni Ferraris, Dipartimento di Scienze della Terra, Università degli Studi di Torino, Via Valperga Caluso 35, 10125 Torino, Italie; e-mail: [email protected]. 1 GUIDO QUAZZA - MARISA QUAZZA, Epistolario di Quintino Sella, Roma, ISRI, 1980-2011. 2 CHIARA PIZZARELLI - CLARA SILVIA ROERO, Il carteggio fra Giovanni Virginio Schiaparelli e Quintino Sella, «Rivista di Storia dell’Università di Torino» IV (2), 2015, pp. 1-124. 3 GIOVANNI FERRARIS, Quintino Sella tra matematica, cristallografia e mineralogia, «Atti dei Convegni Lincei», 269, 2013, pp. 207-235; CRISTIANO FERRARIS - GIOVANNI FERRARIS, Lo scienziato e le sue collezioni mineralogiche, dans NICOLÒ SELLA DI MONTELUCE (Ed.), Quintino Sella - Scritti di Scienza. L’Armonia del Sapere e del Fare, Roma, Opera Pia Sella, 2012, pp. 429-444. 4 Cf.: ANDRÉ AUTHIER, Early days of X-ray Crystallography, Oxford, Oxforf University Press, 2013; JOSÉ LIMA DE FARIA (Ed.), Historical atlas of crystallography, Dordrecht, Kluwer Academic Publishers, 1990. Rivista di Storia dell’Università di Torino VII 2018.1 1 CRISTIANO FERRARIS - OPHÉLIE WEINERT - GIOVANNI FERRARIS scientifique entre les deux cristallographes5. En plus de cette correspondance, nous disposons de documents originaux que nous avons inclus dans cet article: une lettre de Des Cloizeaux au Président de l’Accademia delle Science di Torino6 et une autre de Sella au Secrétaires perpétuels de l’Académie des Sciences de Paris7. La correspondance entre Sella et Des Cloizeaux s’étend de 1856 à 1884, mais elle est plus soutenue entre 1856 et 1866, lorsque Sella est plus actif scientifiquement parlant et se dédie exclusivement à l’enseignement et à la recherche. 2. Le contexte scientifique de l’époque Avant la découverte de la diffraction des rayons X par Max von Laue8 en 1912, les méthodes principales de détermination d’un minéral sont l’analyse chimique, l’observation de la morphologie des cristaux et les caractéristiques optiques. S’il est impossible de déterminer la morphologie avec des mesures angulaires, il devient alors impossible de déterminer la symétrie, ni d’appliquer des méthodes optiques dépendantes de lames minces orientées. Dans ce contexte scientifique, Quintino Sella et Alfred Des Cloizeaux sont des maîtres du développement de la cristallographie du XIXème siècle. Sella, expert dans l’utilisation du goniomètre (en contact et en réflexion), est l’un des pères de la cristallographie mathématique grâce à l’introduction du calcul matriciel. Des Cloizeaux développe les méthodes optiques en apportant des modifications fondamentales au microscope polarisant. D’après des minéraux aux morphologies presque idéales, il prépare des lames minces obtenues en coupant les cristaux perpendiculairement aux bissectrices des axes optiques. Cette méthode lui permet de déterminer les propriétés optiques de centaines d’échantillons. Bien que Des Cloizeaux et Sella ont reçus les mêmes enseignements de H.H. de Sénarmont9, pionnier dans l’étude des relations entre la structure cristalline et les propriétés de la matière, notamment à travers l’étude de l’isomorphisme10, les scientifiques ont deux approches différentes quant aux possibilités de recherches cristallographiques, déjà amorcées par les hypothèses de René Just Haüy11. Sella sera le seul des deux élèves à suivre les 5 Il est à noter que, hormis le texte du télégramme (n° 54, 29.12.1880), aucune correspondance entre Sella et Des Cloizeaux est contenue dans EQS. Là, le cristallographe français est seulement mentionné dans les lettres numérotées 150150 (05.05.1860, EQS vol. 1, pp. 258-261), 1930 (27.02.1871, EQS vol. 3, p. 385), 3358 (06.06.1875, EQS, vol. 5, p. 74), 4405 (05.01.1881, EQS, vol. 6, pp. 293-294), 4877 (21-08.1883, EQS, vol. 7, pp. 290-292), 4985 (28.[01].1894, EQS, vol. 7, pp. 293-294), A1 (09.06.1851, EQS, vol. 8, pp. 11-15) et A27 (24.02.1864, EQS, vol. 8, p. 118). 6 Cf. lettre n° 61 (23.1.1881). 7 Cf. lettre n° 55 (14.1.1881). 8 Max Theodor Felix von Laue (1879-1960) physicien et cristallographe allemand. L’espèce minérale laueite lui est dédiée. 9 Henri Hureau de Sénarmont (1808-1862) minéralogiste français. L’espèce minérale sénarmontite lui est dédiée. Il existe des lettres inédites de Sénarmont à Sella dans FScqc et de Sella à Sénarmont publiées dans EQS. Ici l’orthographe de «Sénarmont» est adoptée bien qu’écrit «Senarmont» dans les lettres et, mais également dans: JOSEPH BERTRAND, Éloge de M. Senarmont, Paris, Imprimerie de Ch. Lahure, 1863. 10 HENRI HUREAU DE SENARMONT, Recherches sur les propriétés optiques biréfringentes des corps isomorphes, «Annales de chimie et de physique» (3rd sér.) 33, 1851, pp. 391-437. Dans cet article la connexion entre structure et propriétés est clairement décrite comme il suit (p. 393): «Il est donc évident que l’isomorphisme suppose certaines analogies conditionnelles, et s’accorde en même temps avec certaines dissemblances d’organisation intime, dont on ne retrouvera la trace que dans les propriétés le plus immédiatement dépendantes de cette organisation». 11 René Just Haüy (1743-1822) minéralogiste et cristallographe français. L’espèce minérale haüyne lui est dédiée. 2 La correspondance entre A. Des Cloizeaux et Q. Sella enseignements du maître pour relier les propriétés des matériaux cristallins à leur structure interne. Bien que novateur, Des Cloizeaux se révèle être peu enclin aux nouvelles tendances. Il continue, par exemple, à utiliser la notation d’A. Lévy12, qui s’avère être symbolique, car elle ne fait en aucun cas référence à la structure des cristaux, à la différence de la notation de W. Miller13, utilisée par Sella. Cette notation identifie les faces et les directions des cristaux au moyen de nombres entiers - hkl et uvw, dans l’ordre - en fonction des translations a, b, c de la structure périodique tridimensionnelle déjà mise en avant par A. Bravais14. 3. Alfred Des Cloizeaux Fig. 1 Portrait de A. Des Cloizeaux jeune (ArAcSciP, Lacroix). Reproduction autorisée. Alfred-Louis-Olivier Legrand Des Cloizeaux est né à Beauvais (Oise) le 17 octobre 181715. Dès son plus jeune âge, il visite d’importantes collections minéralogiques à travers 12 Serve-Dieu Abailard Lévy (dit Armand Lévy) (1795-1841). Dans son ouvrage Description d'une collection de minéraux formée par M. Henri Heuland, Londres 1937, on trouve la notation cristallographique utilisée par Des Cloizeaux (cf. Tab. I et Tab. II). La zéolite lévyne lui est dédiée. 13 William Hallowes Miller (1801-1880) minéralogiste, cristallographe et physicien britannique. Le minéral millerite lui est dédié. Il existe des lettres inédites de Miller à Sella dans FScqc. 14 Auguste Bravais (1811-1863) physicien et cristallographe français. 15 La biographie la plus complète de Des Cloizeaux, incluant la bibliographie de ses travaux scientifiques, est celle publiée par son élève et successeur à la Chaire de Minéralogie au Muséum National d’Histoire Naturelle à Paris, Alfred Lacroix. Cfr. ALFRED LACROIX, Notice historique sur François-Sulpice Beudant et Alfred-Louis- Olivier Legrand des Cloizeaux. Membres de la section de Minéralogie, Paris Académie des Sciences, 1930. Plusieurs notices nécrologiques ont été publiées par différentes revues scientifiques, mais les plus complètes sont sûrement celles parues lors de la séance du 13 mai 1897 par Pierre Termier (1859-1930), Président de la Société Française de Minéralogie, et lors de la séance du 9 décembre de la même année par A.