04 De Suse à 32,6 km

À présent, nous parcourons la vallée dans sa partie d’où l’on provient et qui progressivement s’éloignent. centrale en suivant parfois la voie de chemin de fer. Encore un coup d’œil à l’antique auberge de la Croce Des deux côtés s’élèvent des montagnes majestueuses, Bianca qui accueillait les pèlerins et les voyageurs, et mais c’est le groupe du parc Orsiéra-Rocciavré qui puis on continue en traversant le centre ville qui, dé- domine sur la droite. Avant de pénétrer dans le vil- sormais, a pris des airs d’agglomération de plaine. En lage de Foresto, on rencontre la chapelle de la Nôtre- passant devant les vitrines des commerces et les diffé- Dame-des-Grâces avec ses fresques du XVe siècle rents affichages on remarquera l’activité culturelle et (visite possible uniquement sur réservation), qui sociale très présente qui la caractérise. invite tout naturellement à un moment de répit et de À partir de maintenant et durant tout le reste de la recueillement. journée, le chemin est comme « guidé » par la pré- À , le pèlerin a le choix entre deux chemins sence de l’omniprésente silhouette de la Sacra di San possibles, un sur la droite orographique de la Doire Michele, abbaye de Saint-Michel-de-la-Cluse, qui se et l’autre sur la gauche, tous deux largement docu- détache au sommet de la montagne, comme pour mentés en tant que chemins empruntés pour aller nous indiquer clairement le lieu de destination de vers ou provenir de la France. Les deux parcours se l’étape d’aujourd’hui. réunissent à l’entrée de , mais le voyageur pour- On avance en traversant une succession de centres ra passer de l’un à l’autre à sa guise, créant ainsi son habités qui s’alternent avec des chemins secondaires propre cheminement grâce à plusieurs croisements dans les campagnes de la basse vallée, des petites qui servent de liaison. routes qui, par la toponymie « Strada Antica di Fran- Le tracé de droite part de la gare ferroviaire et traverse cia », « Route Antique de France », rappellent les la Doire Ripaire grâce à un des ponts les plus anciens nombreux siècles d’histoire que nous traversons. aux alentours. En traversant le pont on pourra ap- Le nom de Chiusa di San Michele, Saint-Michel-de-la- précier une belle vue sur les Alpes en arrière-plan Cluse, est un témoin de l’histoire de la bataille entre

Le Lac Grand et le château d’Avigliana.

46 04 De Suse à Avigliana 32,6 km

DISTANCE 32,6 km Avertissement : ce parcours propose également la dévia- (41 km avec la variante de la Sacra di San Michele) tion par la Sacra di San Mi- chele, sachant que pour vi- TEMPS DE PARCOURS 6 h 10 siter le monument il faudra compter au moins 2 heures. (9 h avec la variante pour la Sacra di San Michele) C’est la raison pour laquel- le nous vous suggérons de DÉNIVELÉ 250 m dédier plutôt deux jours à (800 m avec la variante de la Sacra di San Michele) cette étape : le premier pour arriver à Avigliana, le second pour monter à la Sacra.

CENTRES D’INTÉRÊT CULTUREL

FERALP (Musée du Transport Ferroviaire à travers Museo del dinamitificio Nobel - Musée de la dyna- les Alpes), via Suse, 2, Bussoleno. Ouverture : miterie Nobel, via Galiniè, 38 (zone industrielle jeudi matin et samedi, les autres jours sur réserva- ouest), Avigliana. Ouverture : du lundi au vendredi tion en téléphonant au : Tél + 39 335 8003983 (10h - 12h et 14h - 18h) ; samedis et dimanches ou + 39 011 6652653. (14h - 18h) d’octobre à mars ; d’avril à septembre Infos : [email protected], www.feralpteam.com du lundi au vendredi (10h - 12h et 14h - 19h), (actuellement le musée ne peut pas se visiter à samedis et dimanches (10h 30 - 19h). Infos et cause des conséquences d’un récent incendie réservation : Tél + 39 011 9327447. criminel). Pour les visites guidées : Tél + 39 338 7124386. Musée d’archeologie expérimentale, . Sacra di San Michele. Ouverture : du 16 octobre Ouverture : le samedi 14h 30 - 16h 30 ; le au 15 mars : du mardi au samedi 9h 30 - 12h 30 dimanche et jours fériés : 10h - 12h et 14h 30 - et 14h 30 - 17h ; dimanches et fériés 9h 30 - 12h 16h 30, fermé à Pâques. Les jours et les horaires et 14h 30 - 17h 30. Du 16 mars au 15 octobre : du peuvent changer selon les saisons. mardi au samedi 9h 30 - 12h 30 et 14h 30 - 18h ; Infos : Tél + 39 339 8274420, dimanche et fériés 9h 30 - 12h et 14h 30 - 18h [email protected], 30. De juin à septembre inclus ouverte aussi le www.museopreistoriavaie.it. lundi. Infos : Tél + 39 011 939130, [email protected].

47 les lombards et Charlemagne dont l’essor facilita la décider de dédier une journée entière à la montée naissance du Sacro Romano Impero, Sacré Empire suivie de la visite et de la redescente dans la vallée Romain moyenâgeux. avant de reprendre le chemin. Ceci permettra de se Enfin, on poursuivra vers Sant’Ambrogio ou Aviglia- concéder, en quelque sorte, une journée de repos qui na (splendide bourg médiéval) qui marqueront la fin sera largement remplie par la visite de ce monument de l’étape, mais on pourra également opter pour l’as- magnifique, symbole de la Région Piémont. cension à la Sacra di San Michele. Là, il sera possible de trouver l’hospitalité uniquement sur réservation Le chemin, comme la vie, n’est pas une compétition. étant donné l’isolement du lieu. Ne jamais céder à l’envie de trop en faire : La montée, à la fin d’une étape malgré tout assez ton organisme t’en demandera très vite des comptes. longue, requiert un réel effort avec ses 500 m de dé- Regarder autour de soi, observer, s’arrêter, apprécier. nivelé, ce pourquoi le pèlerin pourra tout aussi bien Voilà ce que t’enseignera le chemin. (M. D.)

ITINÉRAIRE Entre Suse et Turin, on a le choix entre deux par- cours possibles, un sur la droite orographique de la Doire Ripaire, l’autre sur la gauche. Cependant, les deux ont en commun la première partie entre Suse et Bussoleno. De la gare ferroviaire de Suse, suivre la route gou- dronnée et traverser Urbiano (502 m ; 1,5 km), faubourg dépendant de , bien connu pour le rituel Fora l’ours « L’Ours dehors », qui le 31 janvier fête le réveil imminent de l’ours de sa léthargie hivernale. Le parcours traverse ensuite San Giuliano et Chiodo, hameaux dépendants de Suse et, après avoir traversé une zone cultivée, dé- passer la chapelle de Nôtre-Dame-des-Grâces (avec des fresques du XVe siècle) afin d’atteindre le centre deForesto , non loin Auberge Croce Bianca. de la Réserve naturelle du gouffre de Foresto (488 m ; 6,8 km ; 1h 20). Laisser sur la droite le siège de l’Organisme de gestion des Zones Pro- tégées des Alpes Cottiennes et suivre l’Antique Route de Foresto en se dirigeant vers le centre de la vallée par la Rue Cascina del Gallo, puis à gauche par la Rue Moletta qui suit la voie ferrée. Une fois dépassée la gare de Bussoleno, on arrive à un croisement (442 m ; 8,4 km ; 1h 40). En continuant tout droit, en prenant la Rue , on suivra le parcours sur la gauche orographique. Pour le parcours qui conduit à Avi- gliana, par contre, il faudra prendre à droite, en utilisant le passage piéton qui conduit dans la Rue Guido Carli au feu rouge de la Rue Traforo ; là, tourner à gauche et, au prochain feu, tourner à droite, traverser la Doire Ripaire puis le bourg médiéval de la petite ville. Non loin de la gare de Bussoleno, le long de la SS 25 (RN), se trouve également le musée FERALP (Musée du Transport Ferroviaire à travers les Alpes), qui n’est pas ouvert aux visites pour le moment suite aux dommages causés par un incendie récent. Après Bussoleno, poursuivre le long d’une route en terre qui traverse des champs cultivés jusqu’à , où se trouvent le château médiéval, ainsi que les chapelles de Saint-Sébastien et de Saint-Laurent (XIVe siècle), la Garitte et la paroisse de Saint-Georges martyre (424 m ; 12,5 km ; 2h 30).

48 04 De Suse à Avigliana 32,6 km

LE CHÂTEAU DE SAN GIORIO

Le village de San Giorio, étape fondamentale de de Montmélian, les Calvi d’Avigliana, les Chignin l’Antique Via Francigena qui passe par la vallée de et les Aschieri de Suse, il devint de Suse, fut confié à la famille Bertrandi par la propriété des Savoie au XVIe siècle. Charles- maison de Savoie. Le village qui a su conserver de Emmanuel Ier en fit don à son fils naturel, père nombreux vestiges médiévaux, est dominé par les Emmanuel de Savoie, qui lui-même en fit don par restes d’un château imposant, érigé sur une col- la suite à son frère Victor-Amédée. Le premier line rocheuse connue sous le nom de « Mollare », roi de Sardaigne l’inféoda au colonel Ressano « Molaire ». Probablement, le château existait de , gouverneur de Suse et capitaine des déjà dans la première moitié des années 1200, troupes ducales, pour les mérites acquis lors de lorsque le marquis de Turin Olderico Manfredi la bataille d’Avigliana qui fut combattue en 1630 et sa femme Berthe le donnèrent au monastère contre les Français de Louis XIII. En 1691, alors Saint-Just de Suse qui en fut propriétaire jusqu’au que le château était défendu par les troupes de début du XIVe siècle. Après avoir appartenu à des Victor-Amédée II, il fut conquis, puis en partie familles illustres de la vallée comme les Bertrand détruit par le général français Catinat.

Château de San Giorio.

LES BRIGANDS DE MALPASSO ET LA CASCINA (FERME) ROLAND

À la frontière entre les communes de San Giorio chés dans les fourrés ou dans une cavité dans la et Villarfocchiardo se trouve une localité connue montagne. Il semblerait que les brigands de Mal- sous le nom de Malpasso, dont le nom est relié passo ait eu pour habitude de se mettre d’accord à la légendaire présence de brigands qui déro- avec les domestiques de la Giaconera et avec les baient les voyageurs. C’est l’endroit où la Route employés du relais de poste Roland, non loin, où de France se resserrait, prise entre la montagne l’on changeait les chevaux et qui se trouvent sur et le torrent, un passage obligé où il était facile l’actuelle route nationale 24. Les servants disaient de tendre des pièges et d’attendre l’occasion, ca- aux garçons d’écurie si les passagers étaient des

49 gens aisés selon leur comportement à l’hôtel. Si Roland. Ceci laisse à penser que, dans le passé, la c’était le cas, ces derniers mettaient des petites zone toute entière qui inclut les édifices et qui se clochettes qui faisaient un bruit particulier aux trouve le long de la route en correspondance d’un harnais des chevaux qui tiraient le carrosse, ce pont et d’un croisement, étaient indiqués sous le qui permettait d’avertir les brigands qu’une proie nom de « Jaconeriam » (La Giaconera). intéressante arrivait. La « maison Roland » a été en grande partie res- La Cascina Roland se trouve un peu plus loin que taurée et, de nos jours, c’est un centre multi-ac- Malpasso (environ 2 km), en ne déviant du che- tivités avec un espace musée et dont les parties min que de quelques centaines de mètres. Cette latérales ont été réhabilitées en appartements. ferme est composée de deux corps de bâtiment, Sur la façade, on remarquera des fenêtres en un qui servait de relais de poste pour le change ogive encadrées par des petites briques façonnées des chevaux et l’autre qui était une maison forte, et, par endroit, on distingue encore d’antiques elle aussi sur l’Antique Route de France. La lé- fresques. Au-dessus du portail d’entrée sur le côté gende raconte que son nom dériverait du passage oriental de la clôture se trouvent les restes du du célèbre paladin de Charlemagne, en proie à la mur d’enceinte crénelé, seules parties encore pré- folie, suite au refus d’Angélique qui lui avait pré- sentes de l’ancienne fortification. À l’extérieur se féré Médor. Roland ayant perdu la raison, sur son trouve la fameuse et légendaire « roche Roland ». passage il détruisait tout ce qui pouvait porter le nom des deux amants. C’est ainsi que le paladin s’en pris même à un gros rocher dans un pré non Roche de Roland. loin de la ferme, qu’il fendit en deux en le frap- pant avec sa fameuse épée magique Durendal. Voilà les légendes qui accompagnent le chemin. La réalité historique, cependant, est un peu diffé- rente. Il est fort probable que les trois bâtiments de la Giaconera, le relais de poste Roland et la ferme Roland aient été à l’origine des maisons fortes, c’est-à-dire des édifices fortifiés qui hé- bergeaient des services ou qui surveillaient des endroits stratégiques. Dans les différents docu- ments, ces édifices sont indiqués de plusieurs façons comme Giaconera, maison forte Giaco- nera, Colombaro, ferme Giaconera, relais de poste Giaconera, relais de poste Roland, Giaco- nera supérieur, maison forte de Roland, ferme de

Cascina Roland.

50 04 De Suse à Avigliana 32,6 km À la sortie de San Giorio, suivre sur une partie la route goudronnée, puis la laisser et dévier à gauche pour traverser des champs, potagers et vignes. Traverser la RN dans la zone de Malpasso pour arriver au hameau Pianverso où, grâce à une déviation de quelques centaines de mètres, on arrive à Cascina Roland et à la Giaconera. Revenir sur le parcours et poursuivre jusqu’à Villarfocchiardo, village bien connu pour sa Fête du Marron et où se trouve la paroisse du XVIIIe siècle de Sainte-Marie-de- l’Assomption (419 m ; 18,5 km ; 3h 20). En amont de Villarfocchiardo se trouve la Chartreuse de Montebenedetto, dans le parc Orsiéra-Rocciavré.

LE PARC NATUREL ORSIÉRA-ROCCIAVRÈ ET LA CHARTREUSE DE MONTEBENEDETTO

La rive gauche orographique de la vallée de Suse, de nature presque intact où, en plus d’une faune depuis le Col des Fenêtres jusqu’à la commune de et d’une flore particulièrement riches, la présence Villarfocchiardo, fait partie du Parc Naturel Orsié- humaine a su s’intégrer avec des activités agricoles ra-Rocciavré ; 11 000 hectares de territoire protégé de montagne, des petits hameaux dispersés dans par la Région Piémont depuis 1980 qui, au sud, les bois, des alpages et des antiques zones habitées s’avancent jusqu’à la vallée Chisone et, à est, vont riches d’histoire comme pour la Chartreuse de jusqu’à l’entrée de la vallée Sangone. Montebenedetto. C’est une zone de montagne (les frontières du Son origine remonte au XIIe siècle, elle fut parc se situent au-dessus des 1000 m d’altitude), construite par les moines chartreux dont le pre- comme en témoignent les dizaines de sommets mier groupe s’implanta entre Meana et qui, outre le Monts Orsiéra (2878 m) et Rocciavré pour fonder l’abbaye de Nôtre-Dame-de-la-Lose (2778 m), dépassent les 2600 m. (1189) où, cependant, ils ne restèrent qu’une Contrairement à de nombreuses zones de mon- dizaine d’années. Le territoire était déjà sous la tagne, celle-ci est restée en marge du développe- juridiction de qui, à cette époque-là, ment du tourisme de masse. C’est resté un coin était bien plus puissante, poussant les moines à se

L’église de la chartreuse de Montebenedetto.

51 déplacer vers Villarfocchiardo où ils bâtirent leur (selon les chroniques, celle de 1473 fut très grave) nouveau monastère à 1600 m d’altitude. Pendant provoquées par les crues imprévues des petits leur permanence à Montebenedetto, les moines ruisseaux qui drainaient les eaux vers la vallée. mirent en place une communauté économique- Aujourd’hui, une bonne partie de ce qui reste des ment autosuffisante, capable de vivre du travail des édifices est utilisée comme ferme d’alpage, mais frères lais ou convers (qui ne sont pas des frères de on peut toujours visiter l’église construite en bloc chœur) et des paysans salariés, tous soumis aux de pierre de taille sans enduit, avec un intérieur ordres du père supérieur, véritable administrateur. très sobre, à nef unique, dominée par une voûte Les locaux alloués aux travailleurs se trouvaient en berceau à arc brisé. Les édifices alentours, qui en dehors des murs de la chartreuse, là où, de nos jadis constituaient les locaux communs (cuisine, jours, se trouvent encore les restes des murs qui réfectoire, lieux d’accueil des visiteurs), ainsi que jadis étaient ceux de la chapelle et les habitations les cellules des moines et un petit cloitre, ont été des frères lais ainsi que des familles qui y travail- détruits par les inondations. À l’entrée principale laient. Entre 1468 et 1498, la chartreuse fut aban- de l’abbaye qui a été murée, on peut encore voir les donnée et, progressivement, elle fut remplacée par restes d’une fresque du XVe siècle représentant la l’abbaye non loin de Banda suite à des inondations Vierge à l’Enfant trônant parmi les anges.

À la sortie de Villarfocchiardo, dépasser le hameau de Comba en suivant Église le tracé de l’Antique Route de France jusqu’à Sant’Antonino di Susa de Saint-Antoine, (380 m ; 22 km ; 4 h), où se trouve une des plus antiques églises de la à Sant’Antonino di Susa. vallée, avec une tour-clocher du XIe siècle et des cycles de peinture du XIVe siècle. Suivre la rue centrale du village et, un peu avant de rejoindre la RN, dévier à droite pour reprendre l’Antique Route de France en se dirigeant vers Vaie (381 m ; 23,7 km). Là, un parcours archéologique et naturalistique très intéressant conduit au sanctuaire de Saint-Pancrace (XIe siècle) pour terminer au Musée d’Archéologie expérimentale. 04 De Suse à Avigliana 32,6 km

LES MARRONS DE LA VALSUSA

Entre septem- hauteur et largeur est de 0,81 - 0,85, tandis que bre et octobre, les fruits les plus gros ont tendance à s’élargir sur en promenant les côtés. le long de la rive C’est le type de châtaignes qui se prête tout parti- droite orographi- culièrement à la préparation des marrons glacés, que de la basse spécialité qu’il semblerait qu’elle ait été inventée vallée de Suse, et servie pour la première fois par un cuisinier du dans la partie duc de Savoie Charles-Emmanuel Ier (1562-1630) comprise entre dont on ne connait pas le nom. Cette hypothèse Vaie et Villar- serait confortée par la recette retrouvée pour la focchiardo, on remarquera des sous-bois riches, première fois dans le traité Confiturier piémon- soigneusement entretenus, caractérisés par des tais, édité à Turin en 1766. La préparation de ces châtaigniers séculaires plantés sur de nombreu- fruits confits demande plusieurs jours de travail. ses parcelles étroitement surveillées par leurs Les marrons sont bouillis une première fois pour propriétaires. Le fruit du châtaignier représente pouvoir les éplucher plus facilement, puis ils sont un revenu considérable pour l’économie locale : cuits à plusieurs reprises durant une semaine, le marron de Vaie. Une parmi les plus cultivées dans un sirop à 50% d’eau et de sucre. La prépa- de la région est la dénommée châtaigne poilue ration se termine par le glaçage des marrons, ce de Vaie, qui produit des fruits ovales de grosses qui leur donne un aspect à la fois blanchâtre et dimensions dont le rapport du diamètre entre translucide, très original.

La Sacra di San Michele.

53 Après Vaie, on arrive à Chiusa San Michele (377 m ; 26,8 km ; 5h), nom évocateur de la bataille historique entre Charlemagne et Didier de Lombardie où, en face de la paroisse du XVIIe siècle de Saint-Pierre-Apos- tolique, se trouve le départ du sentier muletier qui conduit à la Sacra di San Michele, monument symbole du Piémont (936 m ; 7 h).

Attention : il faudra au moins 2h pour monter à la Sacra et 1h pour redescendre à Sant’Ambrogio (8h). Pour ceux qui décideront de visiter la Sacra le lendemain, il suffira de poursuivre environ une demi-heure sur l’Antique Route de France pour arriver à Sant’Ambrogio (356 m ; 28,6 km ; 5h 30).

Le panneau signalétique qui indique le départ du sentier muletier pour la Sacra di San Michele.

LA SACRA DI SAN MICHELE - SAINT-MICHEL-DE-LA-CLUSE

L’abbaye de la Sacra di San Michele a été édifiée sur Le religieux se tourna alors vers Saint Michel qui lui un éperon rocheux du Mont Pirchiriano, duquel elle apparut dans un rêve pour l’accompagner de l’autre domine l’entrée de la vallée de Suse. Sa construction côté de la vallée, sur le mont Pirchiriano, où anges débuta dans les années 983-987 apr. J.-C., lorsque, et colombes avaient commencé à ériger une église selon la légende, l’ermite Giovanni Vincenzo voulut avec les matériaux dérobés. Selon la volonté du édifier une église en l’honneur de Saint-Michel-Ar- saint, Giovanni abandonna les travaux à Celle et se change. Son premier choix fut pour le mont Capra- transféra à l’endroit indiqué où il put terminer son sio, dans la localité dénommée Celle, sur le versant œuvre sans plus être interrompu. Pour la consécra- de la vallée de Suse opposé à celui où se dresse l’ab- tion, l’évêque de Turin Amizone fut convié mais, la baye. nuit où celui-ci dormit à Avigliana, le mont s’illumi- Tandis que l’homme travaillait toute la journée à na d’une lumière vive. L’évêque se rendit immédia- préparer les matériaux nécessaires à la construction, tement au pied de l’édifice alors que le parfum des chaque matin, lorsqu’il revenait sur le chantier, il huiles célestes, que les anges avaient utilisées pour découvrait que tout ce qu’il avait fait avait disparu. consacrer l’église, flottaient encore dans les airs.

54 04 De Suse à Avigliana 32,6 km Sacra di San Michele : la porta du Zodiaque (détail).

avait construit une troisième. Les restes de ces trois chapelles sont toujours présents à peine en dessous de l’actuelle église de la Sacra. L’abbaye Saint-Michel- de-la-Cluse, ainsi que celle de Novalesa et de Mon- tebenedetto-Banda, furent parmi les plus grandes et puissantes abbayes de la basse vallée de Suse. Son influence sur le territoire alentours perdura pendant plusieurs siècles et alla jusqu’à une bonne partie de la vallée Sangone, qui fut inféodée à l’abbé par investi- ture de la maison de Savoie du 22 juin 1103 jusqu’en Depuis ce jour, la Sacra di San Michele fut consi- 1622. Les armoiries de la commune de dérée comme un lieu miraculeux. Ce n’est qu’une (une étoile d’or à six branches sur un fond azur), légende, une parmi tant d’autres qui entourent de par exemple, reproduisent fidèlement le drapeau de leur voile l’abbaye, dont l’origine quoi qu’il en soit l’abbaye sous lequel, si nécessaire, militaient les sol- reste quelque peu entourée de mystère. Certains en dats de Giaveno. Dans l’abbaye, essentiellement au attribuent le mérite à Guglielmo de , des XIIe siècle, des ouvriers venus de la plaine padane Arduinidi d’, d’autres à san Romualdo, d’autres travaillèrent à l’édifice, ceux-là même qui pendant encore à san Giovanni Vincenzo. En fait, les infor- plusieurs décennies travaillèrent dans d’autres cathé- mations restent incertaines même si, en 999, Hugo drales importantes en Émilie. Des artistes qui réa- de Montboissier, en revenant de Rome chargé par lisèrent des œuvres très précieuses comme la porte le pape de construire un hospice pour les pèlerins, du Zodiaque en 1130 par Niccolò, puis les chapi- se retrouva devant le travail accompli par Giovanni teaux de la nef, les sculptures de l’abside, le cycle des Vincenzo qui avait restauré les antiques chapelles fresques du XVIe siècle et un important triptyque de byzantines et lombardes et, au même endroit, en Defendente Ferrari (en 1531, également auteur du polyptyque de Saint-Antoine-de-Ranvers). Sacra di San Michele : le grand escalier des Morts. Durant les cinq siècles de majeure splendeur et jusqu’en 1379, la Sacra fut dirigée par des abbés, jusqu’à ce qu’ils soient destitués par le Conte Verde (Comte Vert), puis par des commanditaires. Par la suite, en 1622, Grégoire XV supprima le mona- chisme dans l’abbaye. L’édifice vécut donc une longue période de déclin et d’abandon qui dura jusqu’en 1836, lorsque Charles Albert décida d’en financer la renaissance à l’occasion du transfert de vingt-sept dépouilles de la famille des Savoie, et en confiant la tâche à Antonio Rosmini. Cette forte volonté laïque convainquit également les pouvoirs ecclésiastiques et, le 23 août de la même année, le pontefice Grégoire XVI concéda à jamais le monastère aux pères rosminiens. Au début de ce nouveau millénaire, le Conseil Régional a défini la Sacra di San Michele comme monument symbole du Piémont. De nombreuses légendes accompagnent ces lieux riches d’histoire et de mystère, dont deux sont tout particulièrement connues dans les vallées de San- gone et de Suse. Outre celle sur les origines du mo- nument que nous avons vu plus haut, la légende qui

55 est toujours aussi présente dans l’esprit des habitants so Schiavone, père franciscain qui vécut quelques de ces vallées est celle de la belle Alda. Une magni- siècles plus tard, réalisé grâce à une donation d’un fique jeune fille qui, pour échapper aux outrages des noble d’Avigliana, Ludovico Berta di Celle, le 15 juil- troupes armées de Frédéric Ier Barberousse, se lança let 1515. L’ensemble des édifices se trouve en un lieu dans le vide du haut d’un des bastions de la Sacra stratégique, à cheval entre les vallées de Suse et San- et, avec l’aide de la Madone, toucha le sol indemne. gone, il vécut des périodes plus ou moins fortunées, Cependant, peu de temps après, la vaniteuse voulu mais sans jamais cependant réussir à s’imposer dans répéter le geste ; Massimo d’ écrit qu’après le le cadre des activités monastiques locales. Le cou- vol « l’toc pi gross a l’è staita l’ouria » (en langue lo- vent fut construit trop tard pour pouvoir récolter cale, le piémontais : « le morceau le plus gros qui en les fruits de l’époque des monastères et il resta sans resta fut l’oreille »). La version fournie par Edoardo nul doute dans l’ombre de la Sacra di San Michele, il Calandra, selon laquelle Alda se serait lancée pour vécut par ailleurs une histoire difficile. fuir à Corbo, l’incarnation de l’infamie et de la turpi- Pour preuve nous avons une supplication que les tude, est tout aussi intéressante ; elle se serait posée frères franciscains adressèrent à la Sainte-Mère- au sol indemne grâce à l’aide divine. Se croyant une Église le 10 mai 1800. Ils demandaient l’autorisation sainte, la pauvre fille, peu de temps après, tenta à de vendre certains bâtiments et arbres fruitiers et nouveau l’expérience mais cette fois-ci elle s’écrasa de dépenser la somme de 3500 lires qu’ils avaient au sol. Alors Arduino, son fiancé et seigneur de la en dépôt parce que, depuis le mois de septembre vallée, décida de la venger en tuant le mauvais Cor- 1799, cela faisait « sept fois que les soldats fran- bo et, à l’instant même où ce dernier arriva en enfer, çais passaient en prélevant tout le vin (1000 litres), un terrible tremblement de terre accompagné d’un tout le pain, tout le linge, les meubles ; ils avaient ouragan d’une violence unique s’abattirent sur Avi- dévasté et emporté tous les fruits de la terre, à tel gliana. Le jour suivant, la ville avait disparu. À sa point que les frères avaient dû se réfugier ailleurs. place se trouvaient deux lacs séparés par une étroite De plus, les frères avaient donné 415 livres de foin et langue de terre sur laquelle se dressait, seule, la mai- 115 de paille, 25 toises de bois à brûler [environ 130 son de la belle Alda. m3]. Ils avaient logé les troupes militaires en place L’itinéraire touche aussi le couvent de Saint-Fran- à Giaveno, mais il n’était resté plus rien, même pas çois, monastère bien plus modeste et de mineure les grilles aux fenêtres » (S. Chiaberto, Francescani importance que la Sacra di San Michele. Una e certosine alla Mortera, in AA.VV., La Mortera e la légende en attribue la fondation à saint François strada dei Principi, Parco naturale di Avigliana, Avi- lui-même, mais en réalité c’est l’œuvre de Tomma- gliana 2000).

Sacra di San Michele : le sépulcre des moines.

56 04 De Suse à Avigliana 32,6 km

SANT’AMBROGIO DE TURIN

Petite ville de la basse vallée de Suse au pied du par la maison de Savoie. Cependant, ils furent à Mont Pirchiriano, Sant’Ambrogio de Turin fut an- nouveau détruits en 1630, durant le conflit entre ciennement lieu de frontière, jusqu’en 733, entre le Charles Emmanuel Ier de Savoie et Louis XII de royaume des Burgondes et des Lombards. Le nom France, et puis encore en 1706, durant le siège de actuel de la Commune remonte à peu près à cette Turin. même période et, très probablement, il lui fut at- Dénommé Sant’Ambrogio de Turin dès 1862 sur tribué par les Lombards, christianisés depuis peu décret royal de Victor-Emmanuel II, la ville a pu et dévots envers le saint évêque milanais. Comme conserver un beau centre historique, qui recèle tous les centres habités de la vallée, entre le IXe et certains monuments plutôt intéressants, comme le Xe siècle, la zone subit les passages des Sarrasins le clocher roman du XIe siècle, le palais abbatial tout comme ceux des armées d’Ardouin qui les du XIIe siècle et la tour communale qui lui est pourchassaient. À peu près au IXe siècle, Sant’Am- rattachée, décorée de belles fresques à l’intérieur, brogio fut donné à la Sacra di San Michele, puis à deux tours jadis intégrées dans les murs d’enceinte, l’abbaye de Suse San Giusto et puis, sur ordre de quelques restes du mur d’enceinte et, dans le ha- l’empereur Frédéric Ier Barberousse de nouveau à meau San Pietro, les restes de l’antique église du la Sacra. Le bourg et le palais abbatial de Sant’Am- même nom. brogio furent détruits par les milices mercenaires anglaises de Filippo d’Acaja en 1363 et ne se re- Sant’Ambrogio, une tour dans les murs. prirent qu’au XVIe siècle après avoir été achetés

Sant’Ambrogio, palais abbatial.

57 CHARLEMAGNE ET DIDIER DE LOMBARDIE AUX CLUSES

La Chiusa di San Michele et la plaine qui s’étend tandis que le roi franc, en tant que romain patri- devant elle évoquent des faits historiques qui cien, devait protéger le siège apostolique ». remontent à la seconde moitié du VIIIe siècle, Nous ne sommes pas ici pour mettre en discussion lorsque les Francs repoussèrent les Lombards et ce qui pouvait alors être l’honneur ou l’intérêt. Les conquirent une ample partie de la plaine padane. faits fournissent au lecteur les éléments qui lui per- Un évènement auquel les Italiens, trop occupés mettent de juger. Les frontières entre les royaumes par leur petits intérêts et leur négoce, ne prêtèrent franc-burgond et lombard, alors, traversaient la guère attention et qui fut décrit par Alessandro basse vallée de Suse. C’est pourquoi Charlemagne, Manzoni au XIXe siècle avec sa synthèse poétique en 773, descendit en Italie avec une importante et la force du conteur dans un extrait du second armée en se cantonnant non loin de Novalesa, acte de l’Adelchi : abbaye fondée quelques dizaines d’années plus tôt grâce au sponsoring (dirait-on de nos jours) Dagli atrii muscosi, dai fori cadenti, du royaume des Francs. De son côté, Didier avait dai boschi, dall’arse fucine stridenti, réalisé un système de défense dans la plaine qui se dai solchi bagnati di servo sudor, trouve entre les actuelles petites villes d’Avigliana, un volgo disperso repente si desta ; Sant’Ambrogio, , et Chiusa di intende l’orecchio, solleva la testa San Michele, entre les pentes du Mont Pirchiriano percosso da novo crescente romor. et le contrefort de Rocca Sella. [...] Charlemagne se trouvant devant une route barrée, E il premio sperato, promesso a quei forti, il décida de se placer au croisement entre les val- sarebbe, o delusi, rivolger le sorti lées Cenischia et Suse, en attendant l’arrivée de son d’un volgo straniero, por fine al dolor ? oncle Bernardo qui devait conduire la cavallerie à Tornate alle vostre superbe ruine, travers le Col du Grand Saint-Bernard et prendre all’opere imbelli dell’arse officine, l’ennemi à revers. ai solchi bagnati con servo sudor. Très probablement, les défenses préparées par Il forte si mesce col vinto nemico, Didier n’étaient pas un véritable bastion protégé col nuovo signore rimane l’antico ; par une vallée, ainsi que le suggère le Chronicon l’un popolo e l’altro sul collo vi sta. Novalicense, mais plutôt un système mixte qui, Dividono i servi, dividon gli armenti ; en exploitant les caractéristiques du territoire, se si posano insieme sui campi cruenti composait de zones inondées, de fossés et de bar- d’un volgo disperso che nome non ha. rières. La situation d’immobilité dura pendant des mois, avec la bénédiction de l’abbé de Novalesa et L’histoire est bien connue : les Francs, dans leurs de la population de la Valsusa qui devait pourvoir conquêtes de nouveaux territoires, avaient jeté leur au ravitaillement des troupes. Les armées étaient dévolu sur les terres fertiles de la plaine du Po que épuisées et Charlemagne était sur le point d’aban- les Lombards ne voulaient pas céder. Une question donner la lutte lorsque, à l’improviste, la possibilité qu’il fallait régler au fil de la lame mais, pour dé- de prendre à revers les Chiuse, et par là même les clarer la guerre, il fallait une occasion, tandis que troupes de Didier, se présenta. la raison formelle, selon les dires de l’historien de C’est à ce moment-là que l’histoire devint légende. Giaveno Claretta, ce fut une question d’honneur : Est-ce que ce fut le diacre Martino ou un moine « Charlemagne avait épousé, et après une brève de Novalesa envoyé par l’archevêque de Raven- période répudié, une des filles de Didier (Ermen- na qui indiqua le chemin aux Francs ? Ce fut un garda) ; et Didier avait également hébergé à sa cour ménestrel lombard qui trahit les siens en vendant des neveux de Charlemagne privés de leur héritage l’information, ou bien ce fut une patrouille hardie légitime » ; même si, toujours Claretta insiste en en reconnaissance qui découvrit par où passer ? soulignant la ténacité de Didier qui ne voulait pas Ou bien la suggestion vint-elle d’un habitant de la « rendre au pontéfice Adrien erI la ville que celui-ci vallée ? Il n’existe aucun fait historiquement prouvé avait occupé avec les armes, en menaçant Rome ; qui puisse confirmer une de ces théories. Cepen-

58 04 De Suse à Avigliana 32,6 km dant, l’évènement fut déterminant pour la bataille : ils arrivèrent [les Francs] dans un village en plaine « Cumque de predicto discendissent montem, de- dont le nom était Giaveno et là, une fois réunis, ils venerunt in planiciem vici, cui nome erat Gaven- alignèrent leurs troupes contre Didier) ». La suite sis inique se adunantes struebant aciem contra est connue, Didier fut battu, il se retira à Pavia et ce Desiderium (Une fois descendus de la montagne, fut la fin du règne des lombards.

La statue de Charlemagne sur la Place de Nôtre-Dame à Paris. 59 Laisser Sant’Ambrogio et continuer tout droit vers la zone industrielle d’Avigliana, où se trouve le Musée de Dynamiterie Nobel, dédié à l’usine d’explosifs la plus importante d’Europe. Après le musée, remon- ter la petite colline qui mène au centre historique d’Avigliana (372 m ; 32,6 km ; 6h 10 ; 9h en comptant la déviation à la Sacra di San Mi- chele) où, parmi les nombreux monuments, se trouve aussi le palais de Humbert le Bienheureux (XIVe siècle), qui était déjà le siège de l’ancien hôpital où les pèlerins qui transitaient sur la Via Francigena étaient accueillis.

Centre historique d’Avigliana : Place Santa Maria.

LE BOURG MÉDIÉVAL D’AVIGLIANA

Les premières traces qui attestent de la présence château) et les reliefs de Montecapretto sont les humaine dans la zone d’Avigliana remontent au seuls passages dans une zone où, en ces temps- Néolithique, ainsi qu’en témoignent les objets re- là, le terrain était pratiquement impraticable à trouvés dans les tourbières au sud et au nord des cause des vastes paluds. Et surtout, la vallée était le deux lacs (une hache en bronze, une broche et un point de croisement des routes commerciales qui fragment de pagaie conservés dans les musées de du Nord, Sud et surtout de l’Est, permettaient de Turin). Mais, à peine quelques millénaires plus rejoindre la France. En fait, par la suite, ce réseau tard, entre le 58 et 50 av. J.-C., suite à la conquête routier deviendra la Via Francigena pour passer des Gaules par Jules César, Avigliana entra dans les Alpes ou Via Romea pour ceux qui partaient l’histoire grâce à sa position stratégique qui la dans le sens opposé. transforma en point très important pour le recou- Au début, on suppose que les premiers à s’implan- vrement de la quadragesima galliarum, l’équiva- ter furent les composants d’un groupe puissant – lent de ce que nous définirions de nos jours un on pense que le nom de la ville dérive en effet du péage de douane. nom de la famille romaine des Avilii – qui avaient En observant la morphologie du terrain on ne également le droit de cultiver les terres d’inon- peut que comprendre le choix des Romains. Le dations fertiles de la zone. Ce dont on est certain Pezzulano (endroit où se dressent les ruines du c’est que, très rapidement, la zone devint un centre 60 04 De Suse à Avigliana 32,6 km et Saint-Pierre, le château, les tours, les portes, les portiques et les habitations seigneuriales qui vont de la Place Conte Rosso à la placette Santa Maria. À partir du XVIe siècle, ce fut le début du déclin d’Avigliana, lorsque le duc Emmanuel-Philibert choisit Turin comme capitale du règne de la mai- son de Savoie, en laissant à la petite ville unique- ment un rôle défensif secondaire, avec une petite garnison en place au château. Une lente agonie et un coup de grâce en 1691, lorsque le maréchal Catinat, au commandement des troupes du Roi Soleil, mit à sac la ville et réduisit le château en ruines qui aujourd’hui encore se dressent fières. L’Avigliana historique apparait au visiteur comme un réseau de routes qui entourent le centre histo- rique pour défendre les habitations de la force du vent qui souffle souvent violemment dans la val- lée. Des ruelles tortueuses qui débouchent sur des placettes abritent des commerces et sont parées de portiques avec des arcs en ogive en unissant l’utile à l’esthétique, témoins de l’activité d’une vie civile et commerciale importante. Et puis les églises, qui plongent leurs origines au tout début du mil- lénaire passé et qui continuent d’offrir en témoi- gnage le goût artistique qui, au cours des siècles, s’est exprimé dans l’âme de la ville, avec la réali- sation de chefs-d’œuvres d’architecture et d’art et Avigliana : la porte de l’Ancien Bourg (ou de Sainte-Marie). qui continue d’en faire, selon l’humble avis de celui qui écrit, le plus beau faubourg médiéval de tout avec des commerces très prospères et, malgré les le Piémont. hauts et les bas, déjà au Moyen-Âge ce centre était Le centre historique d’Avigliana se visite en moins devenu une petite ville accrochée aux pentes de la de deux heures, en suivant des panneaux qui in- montagne, là où de nos jours se dresse le Borgo diquent le parcours tout en décrivant les sites, en Vecchio, Ancien Bourg. partant plus ou moins de la Place del Popolo pour Cependant, ce fut à partir du XIIe siècle, avec aller toucher tous les points les plus caractéris- l’arrivée des comtes de Savoie, qu’Avigliana vécut tiques et importants de la ville. sa période de splendeur. Le centre habité grandit Place Conte Rosso à Avigliana. en s’élargissant jusqu’à la zone de nos jours dénommée Borgo Nuo- vo, Nouveau Bourg, et, pendant au moins trois siècles, il conti- nua de grandir sous la protection de Humbert III le Bienheureux (XIIe siècle) et d’Amédée VII (le Conte Rosso, XIVe siècle). C’est à cette époque que l’architecture d’Avigliana passa du roman au gothique. Ce furent des siècles durant lesquels on construisit d’importants édifices comme les églises Sainte-Marie, Saint-Jean

61 On peut éventuellement rejoindre le centre historique d’Avigliana grâce à une déviation (qui rallonge le parcours de 4 km) en traversant le Parc naturel des Lacs d’Avigliana. Du Musée de la Dynamiterie, tourner direc- tion sud en traversant la zone industrielle et poursuivre, sur route en terre, dans la zone protégée dans les paluds de Mareschi. La petite route rejoint la rive du Grand Lac, avant de continuer jusqu’à Avigliana, accompagnés par la silhouette du château.

L’ÉCOMUSÉE DE LA DYNAMITERIE NOBEL D’AVIGLIANA

L’écomusée occupe une partie de la vieille Dyna- loja ne suffirent plus à satisfaire la demande et ce miterie Nobel et se trouve à l’entrée de la zone fut alors que l’on construisit une troisième usine industrielle d’Avigliana, à quelques centaines de dans la localité Mareschi, aujourd’hui partie inté- mètres de la RN 25. Sa localisation est signalée par grante du Parc naturel des Lacs d’Avigliana, connu des panneaux situés le long de la voie d’accès. La comme Dynamiterie Nobel. Dans cet édifice, pen- construction d’une usine d’explosifs à Avigliana dant le Seconde Guerre mondiale, on produisit la remonte à 1872 par volonté de cinq banquiers cyclotriméthylènetrinitramine, également connue parisiens et de la Société Anonyme Dynamite sous le nom de RDX, qui est l’un des explosifs les Nobel d’Hambourg. Le premier établissement fut plus puissants après la bombe à hydrogène. construit dans la localité Valloja, aux frontières de Les périodes plus ou moins prospères de la dyna- la Commune avec Sant’Ambrogio, où de nos jours miterie s’alternèrent au gré des carnets de com- se trouve l’écomusée. Cet emplacement était par- mandes. Aussi, avec la fin de la Grande Guerre, ticulièrement intéressant car proche du train (la la demande en explosif diminua au point que les gare à Avigliana se trouvait à quelques centaines ouvriers passèrent de 5000 à 350. À cette période, de mètres) et pour la morphologie du terrain, où afin de se diversifier, les propriétaires décidèrent l’alternance de collines et zones plus plates repré- de se lancer dans la production de peinture et ils sentait une bonne protection pour les habitations constituèrent une société autonome, la DUCO. en cas d’accident, et l’abondance de l’eau que ga- Primo Levi travailla dans cette usine, au retour de rantissait le Grand Lac, en plus de deux gros ca- la dramatique expérience d’Auschwitz (nous avons naux d’irrigation. les écrits de l’écrivain sur cette période dans un de Dès ses débuts, la construction de grands ouvrages ses récits de Il sistema periodico - Le système pério- de génie civil – les tunnels routiers et ferroviaires, dique). par exemple – et les exigences liées aux guerres L’activité de la dynamiterie profita d’une réelle re- firent la fortune de la dynamiterie qui, en 1892, prise au moment de la guerre coloniale italienne, employait déjà 800 personnes pour la production entre 1933 et 1935, période durant laquelle mille de dynamite, gélatine, fulmicoton, balistite et, ouvriers furent embauchés. Puis à nouveau la crise comme sous-produits en complément de la pro- et enfin la Seconde Guerre mondiale, avec 4000 duction principale, des intermèdes chimiques et ouvriers au travail. des engrais. Les commandes continuaient d’arri- Après 1945 l’usine repris son activité, mais à ver toujours plus nombreuses et, en 1908, dans rythme réduit et, tandis que la crise se poursuivait, la localité Allemandi aux frontières avec la Com- la Società Dinamite Nobel fut rachetée par la so- mune de , un second établissement ciété Montecatini qui décida de transférer la pro- fut construit pour la production d’explosif plastic. duction à Orbetello et de fermer définitivement Puis vint la Première Guerre mondiale et la de- l’usine d’Avigliana. C’était le 22 novembre 1965. mande augmenta encore. L’Allemandi et la Val- La Dynamiterie Nobel représenta sans nul doute

62 04 De Suse à Avigliana 32,6 km une ressource essentielle pour l’économie locale, Les restes de la chapelle Santa Barbara (Sainte-Barbe) mais la communauté en paya le prix cher. dans la Dynamiterie Nobel d’Avigliana. Les 92 ans d’activité de la fabrique furent funestés par de nombreux accidents avec morts et blessés. Parmi les nombreux épisodes, les plus graves furent l’incendie du 13 mai 1890 et l’explosion dans le sec- teur dynamite et dans l’endroit réservé au mélange des différents composants avec l’eau, du 16 janvier 1900. Cet accident fit 13 morts et plus de 50 blessés ; tandis que celui du 14 novembre 1961 fit un mort et 22 blessés, ce qui poussa l’entreprise à prendre la décision de fermer l’usine. L’écomusée fut inauguré en 2002 et il constitue un des exemples les plus repré- sentatifs de l’archéologie industrielle pié- montaise. La mise en scène est interactive et propose des vidéos, des documentaires, des descriptifs montés sur panneaux, des mis en œuvre enfin d’éviter les accidents et, grâce photos d’époque et des outils utilisés pour la pro- aux effets sonores et aux reconstitutions, les sen- duction des explosifs. Le parcours à l’intérieur des sations sont proches du réel. Nous parcourons les bâtiments conduit le visiteur au contact de la réalité galeries sinueuses aux nombreux virages et chemi- de l’usine et nous montre quels étaient les moyens nées d’évacuation qui servaient à réduire l’impact du déplacement d’air lors d’une éventuelle défla- gration ; nous remarquerons le contraste entre les Chemin dans la zone de production des explosifs de la Dynamiterie Nobel d’Avigliana. structures en ciment armé des locaux destinés au travail le plus à risque et les toits en bois ou fibro- ciment ainsi que les enduits faits en mortier et en bois prévus pour éviter le cumul des décombres en cas d’effondrement. Enfin, l’expérience dans le refuge est intéressant car le visiteur pourra revivre les sensations d’un bombardement aérien pendant la Seconde Guerre mondiale.

L’explosion de 1961 de la Dynamiterie Nobel d’Avigliana.

63 LE PARC NATUREL DES LACS D’AVIGLIANA

ou tout au moins lorsque les glaces Avigliana : le Petit Lac. commencent à libérer les eaux, les grèbes huppés offrent au visiteur un spectacle magnifique lors de leurs parades d’amour – familièrement dite « danse du miroir » – lorsque les deux partenaires, l’un en face de l’autre, s’affrontent avec des mouve- ments synchronisés et spéculaires. La zone des paluds des Mareschi, à nord-ouest du Grand Lac, est aussi très importante car elle abrite une flore particulièrement riche de Constitué par la Région Piémont en 1980, le Parc nymphéas, de lys d’eau, prêle des naturel des Lacs d’Avigliana couvre une zone de 410 champs, cannes et salicornes, habitat idéal pour hectares à quelques centaines de mètres au sud-est une avifaune spécifique et parfois même exclusive, du chemin de la Haute Voie. comme le butor qui a refait son apparition à la fin La zone protégée, gérée par l’Ente di Gestione dei du siècle dernier. Au début des années 1900, des Parchi e Riserve delle Alpi Cozie – l’Institut de Ges- objets de l’âge de bronze ont été retrouvés dans cette tion des Parcs et Réserves des Alpes Cottiennes –, zone et dans la tourbière similaire qui se trouve en est de grand intérêt naturalistique et historique. direction de , témoins de la très ancienne oc- Grâce à sa position stratégique dans la basse vallée cupation des terres autour des lacs. Sur le côté est de Suse, tout au long des siècles, toute la zone et sur- des Mareschi, bien que quelque peu cachés par la tout Avigliana s’est massivement peuplée, ainsi qu’en végétation, on peut encore voir les restes de la Dy- témoignent les précieux objets préhistoriques re- namiterie Nobel, qui produisit jusqu’en 1965 (cf. le trouvés lors de l’extraction de tourbe dans les zones chapitre dédié). Enfin, les reliefs collinaires à l’ouest autour des lacs, connues sous le nom de Mareschi, et du Petit lac : une colline morainique résultat du tra- l’importance de la ville durant la période médiévale vail des glaciers où, en quelques mètres, on passe ainsi que nous venons de le voir en ce qui concerne d’une végétation particulièrement dépendante de la le centre historique d’Avigliana. présence de l’eau – dite « hygrophile » –, jusqu’à la D’un point de vue naturalistique, la zone protégée zone dominée par la présence des châtaigniers qui présente de nombreux intérêts essentiellement pour nécessitent d’un sol sec. la cohabitation de trois biotypes distincts, bien que Par contre, les collines centrales de Montecapretto dépendants l’un de l’autre, que constituent les reliefs et de Pezzulano (où se dressent les ruines du châ- des collines, la zone des paluds et les deux lacs. Ces teau de la maison de Savoie) sont complètement derniers se sont formés durant les deux grandes gla- différentes car très ro- ciations du Pléistocène – Riss (il y a 230.000 ans) et cheuses. La différence Würm (il y a 120.000 ans) – et de nos jours, dans ce de leur origine géolo- secteur de l’arc alpin occidental, ils représentent le gique par rapport à la plus important lieu de repos des anatidés de passage moraine glacière fait lors de leur migration de printemps ou d’automne. qu’elles sont privées de Entre fin octobre et début novembre, on peut comp- cours d’eau, que leur ter ces oiseaux par centaines, délicatement posés sur sommet profite d’un l’eau le temps d’un bref repos sur cette longue route. climat chaud et sec, ce Dans les Grand et Petit lacs vivent de grandes colo- qui est idéal pour le nies de canards colverts, de foulques et de grèbes chêne et le micocoulier. huppés qui se sont également établies. Au prin- Grèbe huppé (photo temps, en particulier au début du mois de février de Valentina Mangini).

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