L'alpinisme À L'unesco
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L’ALPINISME À L’UNESCO PATRIMOINE CULTUREL IMMATÉRIEL DE L’HUMANITÉ LE POIDS DES MOTS… L’ALPINISME Ce long travail a permis d’identifier les caractéristiques qui font de l’alpinisme une activité spécifique et pointer celles qui en font un sport à forte composante culturelle et sociale (les liens qu’elle tisse entre ses adeptes et sa faculté à ignorer les frontières). Les valeurs de l’alpinisme y sont citées, parmi lesquelles la solidarité - entre membres d’une cordée mais aussi VU PAR L’UNESCO envers d’autres praticiens - et un profond sentiment de la nature qui imprègne les alpinistes, en constante interaction avec Le mont Rose et le Lyskamm, au soir d’une belle journée d’été. les éléments. Dressés sur un sommet, bien accrochés à la Terre, l’altitude nous transmet une profonde sensation du cosmos et de la préciosité de notre planète. Ces mots, nous les avons pensés, sans les exprimer. Aujourd’hui, des scientifiques, universitaires de haut niveau, se sont penchés sur l’alpinisme pour « mettre les mots sur les choses ». Ces mots ont du poids. Ils sont repris par l’UNESCO dans un texte qui fera autorité. L’ALPINISME, UN SPORT, UNE CULTURE L’ALPINISME, EN QUELQUES CHIFFRES La dimension physique et sportive de l’alpinisme Union Internationale des Associations d’Alpinisme est connue. Son versant culturel l’est moins. Pourtant, (UIAA) : 90 associations, venues de 69 pays, pour 3 millions on ne peut parcourir les montagnes sans acquérir des de membres. connaissances variées : géographie, géologie, histoire, Club Alpino Italiano (CAI) : 311 000 membres ; Club météorologie, nivologie… Alpin Suisse (CAS/SAC) : 150 000 ; Fédération Française L’aspect culturel de l’alpinisme ne s’arrête pas à ces des Clubs Alpins et de Montagne (FFCAM) : 100 000. savoirs indispensables : l’activité repose sur un socle Chacun des organismes publie des revues, de mensuelles de valeurs déjà évoquées plus haut ; il faut y ajouter à trimestrielles. de nombreuses publications : livres et magazines. La Union Internationale des Associations de Guides de photographie et le cinéma de montagne livrent des Montagne (UIAGM) : 6600 guides, venus de 25 pays. témoignages et des œuvres importantes. L’activité et ses productions génèrent aussi de nombreux événements : Dans les Alpes, on compte plus de 1100 refuges, gérés salons, rassemblements, cérémonies de remises de prix, principalement par les clubs alpins : 150 refuges du CAS, tournées cinématographiques et festivals. 774 refuges et bivouacs du CAI, 140 refuges et chalets d’accueil de la FFCAM. Enfin, certains musées, comme le Museo della Montagna à Turin, le Musée Alpin de Berne, les musées du grand En route pour le sommet alpiniste Reinhold Messner, ceux de Chamonix, Zermatt ou du Grand Paradis. Grindelwald, sont consacrés à l’alpinisme et aux montagnes. Le volumineux dossier élaboré pendant huit années par le comité de pilotage de la candidature, a été évalué par les experts mandatés par le Comité Intergouvernemental pour la sauvegarde du Patrimoine Culturel Immatériel de l’Humanité (UNESCO) (PCI) ; il a donné lieu à l’automne 2019 à un projet de décision, où figure une belle définition de l’alpinisme : « L’alpinisme est l’art de gravir des sommets et des parois en haute montagne, en toutes saisons, en terrain rocheux ou glaciaire. Il fait appel à des capacités physiques, techniques et intellectuelles et se pratique en utilisant des techniques adaptées, du matériel et des outils très spécifiques (…) Il s’agit d’une pratique physique traditionnelle qui se caractérise par une culture partagée, regroupant la connaissance de l’environnement de la haute montagne, l’histoire de la pratique et des valeurs qui lui sont associées, et des savoir-faire spécifiques. L’alpinisme requiert (…) des connaissances sur l’environnement, les conditions climatiques changeantes et les risques naturels. Il s’appuie aussi sur des références esthétiques, les alpinistes étant attachés à l’élégance du geste dans l’ascension, à la contemplation des paysages et à la communion avec les milieux naturels traversés. La pratique mobilise en outre des principes éthiques reposant sur les Le grand guide Patrick Gabarrou Une cordée au Zinalrothorn, sur fond de Cervin. au sommet du mont Blanc du Tacul en hiver. engagements de chacun, notamment à ne laisser aucune trace de son passage et à porter secours aux autres praticiens. L’esprit d’équipe, symbolisé par la cordée, est un autre élément essentiel de la mentalité des alpinistes ». PATRIMOINE CULTUREL IMMATÉRIEL DE L’HUMANITÉ (UNESCO) ? QU’EST-CE QUE C’EST ? Dans l’argumentation qui suit, les experts relèvent que : Le PCI résulte d’une convention de l’UNESCO de 2003, signée depuis par 178 pays. Le patrimoine culturel ne s’arrête « L’alpinisme joue un rôle central dans l’interaction sociale entre les praticiens et contribue à cultiver le respect pas aux monuments et aux collections d’objets. Il comprend les traditions vivantes héritées de nos ancêtres et transmises mutuel entre compagnons de cordée, qui sont plus que de simples partenaires d’ascension. Les alpinistes considèrent à nos descendants, les connaissances et pratiques concernant la nature et les savoir-faire nécessaires à ces activités leur pratique comme une expérience très intense où se nouent des relations durables, au-delà des barrières sociales, traditionnelles, comme l’alpinisme. générationnelles et nationales. » En novembre 2019, sont inscrits 508 éléments, portés par 122 pays, parmi lesquels l’équitation française (représentée par « Le dossier […] souligne l’importance du savoir traditionnel relatif à la nature et à l’univers, et propose un exemple le Cadre noir de Saumur), le compagnonnage, la gestion du danger d’avalanches (Autriche/Suisse), le yoga (Inde), le reggae positif de relation durable entre les êtres humains et leur environnement. » (Jamaïque), le tango (Argentine/Uruguay). 2 3 CONRAD GESSNER ANCRAGE LOCAL : Les Alpes passionnent les esprits curieux. Conrad Gessner est de ceux-là. Naturaliste et médecin, né à Zurich en 1516, il laisse une œuvre colossale. En 1555, il gravit le « être né quelque part » mont Pilatus. Ce sommet de 2128 m, où était censé errer l’esprit de Ponce Pilate, domine Lucerne et le lac des Quatre Cantons. Gessner y monte pour herboriser. Malgré ses préoccupations scientifiques, il est tombé amoureux des montagnes, quelques années plus tôt : « Aussi longtemps que Dieu me laissera vivre, je ferai chaque année l’ascension de quelques montagnes, à la saison où les plantes sont en pleine floraison, pour les examiner, et procurer à mon corps un noble exercice en même temps qu’une jouissance à mon esprit ». L’univers montagnard le transporte au-delà de la curiosité : « Nulle part autant que dans la montagne on ne Une gravure ancienne montrant le mont Pilatus, tel que Conrad Gessner a pu le contempler. découvre dans un si petit espace aussi grande variété (…) Dans un silence profond et religieux, du haut des crêtes sublimes de la montagne, on pourrait presque percevoir Conrad Gessner (1516-1565) a vécu principalement en l’harmonie des sphères célestes... ». Suisse, mais il a beaucoup voyagé : Strasbourg, Conrad Gessner, il y a quatre cents ans, donnait déjà une où il étudie l’hébreu et Paris parfaite définition de l’alpinisme. où il étudie la médecine. Il termine ses études à Bâle. Il travaille aussi sur la théologie, les langues anciennes et les sciences naturelles. Esprit cultivé, universel, il est l’un des premiers à exprimer une passion d’esthète pour les montagnes, ainsi qu’un besoin Du sommet du mont Blanc, de les parcourir sans autre le mont Blanc de Courmayeur et le massif du Grand Paradis. souci que de jouir de la beauté des paysage et d’un effort physique Une activité candidate à l’inscription au PCI de fond mystérieux au paysage. À la Renaissance, les peintres bénéfique. l’UNESCO doit faire état de ses racines. L’alpinisme a été intègrent les montagnes et les vallées au décor de leurs pratiqué à des époques différentes, dans des lieux différents. portraits ou de leurs scènes religieuses : Léonard de Vinci HISTOIRES DE PIOLETS Le massif du Mont-Blanc est l’un de ceux-ci. La première fait poser Sainte Anne, la Vierge et l’Enfant devant un ascension du point culminant des Alpes, en 1786, par paysage qui rappelle les Dolomites ! L’alpinisme a si profondément colonisé les vallées alpines deux Chamoniards, a lancé une mode, soutenue par la que les forgerons locaux se sont vite mis à fabriquer des En 1741, William Windham et Richard Pococke publication des écrits d’Horace-Bénédict de Saussure, outils destinés aux alpinistes. Leurs premiers « conseillers faisaient leur « Grand Tour », ce voyage prisé des jeunes naturaliste genevois, sponsor de l’expédition et auteur de techniques » étaient les guides locaux. Ainsi, dès 1818, le Britanniques à travers le continent. De Genève, à la seule la troisième ascension en 1787. La candidature au PCI est fils du forgeron de Courmayeur, Dominique Grivel, forge vue du mont Blanc, ils montent une expédition, et sont partie des vallées du Mont-Blanc, massif qui reste un des ses premiers piolets. La marque se développe de façon parmi les premiers à admirer les « glacières du Haut plus fréquentés par les alpinistes. Les Alpes jouent, depuis spectaculaire, et, si l’usine a déménagé plus bas dans la Faucigny ». Surtout, ils sont les premiers à raconter ce plus de deux cents ans, un rôle central dans la pratique et vallée, l’Espace Grivel attend toujours les visiteurs, face au qu’ils ont vu. Saussure, en 1760, fait son premier voyage l’évolution de l’alpinisme. mont Blanc. À Chamonix, les frères Simond fabriquent à Chamonix. Sa curiosité scientifique ne s’accommode des cloches et de l’outillage agricole. Cristalliers, ils créent Les paysans montagnards ont de tout temps fréquenté guère du simple spectacle depuis la vallée.