cap sur lesAmériques

La famille Agostini sur la terrasse de la maison de Les premiers migrants vers et de l’import-export. D’autres exercent des 1915 les « Indes Occidentales » professions libérales. Enfi n, nombreux sont Photographie de Jean-Baptiste Agostini (reproduction) ceux qui demeurent toute leur vie employés © Collection particulière famille Agostini-Biaggi/DR e e (XVI -XVIII siècles) des maisons de commerce ou des exploitations liaient à la Corse et souvent l’espoir de devenir Lorsque Christophe Colomb disparaît en 1506, agricoles. encore plus riches. les Corses sont déjà en chemin vers les « Indes occidentales ». Majoritairement originaires de Garder le lien Les Américains Calvi puis du , ils sont actifs dans les ports, les centres miniers et les sièges Les Corses s’intègrent progressivement dans de retour en Corse la société locale. Ils apprennent la langue, administratifs du Nouveau Monde. Enrichis De retour en Corse, les Americani, comme adoptent les usages locaux et s’unissent par dans le commerce, quelques-uns reviennent on les appelle désormais dans leur village, mariage aux familles autochtones ou aux en Europe, principalement à Séville, puis à habitent avec leur famille un luxueux descendants de leurs compatriotes arrivés Cadix où la fl otte des Indes est basée à partir palazzu, entourés de servantes, de jardiniers e avant eux. de la fi n du XVII siècle. C’est à cette époque et souvent d’un cocher. Ils s’adonnent aux que les retours en Corse commencent à se plaisirs de la chasse ou de la faire un peu plus nombreux, annonçant le vaste pêche, pratiquent la musique mouvement du XIXe siècle. On peut estimer à et fréquentent le théâtre de un peu plus de 500 le nombre de ces premiers . «Américains ». Vue de la mine de Pierre Fiorini Vers 1912-1915 Photographie, anonyme Pour les travaux des champs Collection particulière famille Cerani L’émigration © CTC, musée de la Corse/DR ou l’aménagement du palazzu, au XIXe siècle ils emploient régulièrement une main d’œuvre largement Cette tradition migratoire se composée de travailleurs origi- diffuse plus largement au naires de Toscane ou des mon- e XIX siècle. Le phénomène tagnes de Parme qui se fi xent en touche désormais l’ensemble nombre dans les villages. Cette du Cap Corse, la ville de Bastia immigration italienne, déjà ancienne et et sa proche région, le Nebbio,, courante à cette époque en Corse, est in- la Balagne, la Castagniccia ett contestablement plus importante dans les de façon marginale le sud dee communes qui comptent le plus d’Américani. l’île. Désormais, les Corses see dirigent essentiellement versrs Tout en gérant leurs « affaires » à distance, les Antilles (notamment Portoto ces derniers investissent une part de leurs Rico), le Venezuela et les États-s- capitaux en Corse (mines, secteur bancaire, Unis. De 1800 à 1920, près dee forges, vins et spiritueux). Ils s’occupent 4000 individus partent vers le aussi de politique. Durant la deuxième moitié continent américain. e Lettre du XIX siècle et les premières décennies du d’Émile Raff alli XXe, les conseillers généraux des cantons du Le voyage à son frère Jean-Antoine Raff alli Cap Corse sont majoritairement des Corses et l’arrivée 1897 américains ou de très proches parents. Manuscrit outre-Atlantiqueue Collection particulière Achille Raff alli Financée par les économies familialesles ou un © CTC, musée de la Corse/ Généreux mécènes, ils assument la recons- emprunt réalisé avant le départ,art, lala traverséetraversée Philippe Pierangeli truction de certains clochers et églises (Pino, coûte entre 150 et 500 francs. Le voyage vers Sisco, Centuri, Santa Maria di Lota…) et fi - les Antilles dure une quarantaine de jours. À Participant pleinement à la vie sociale et nancent fontaines, lavoirs, horloges publiques, leur arrivée, les jeunes Corses sont accueillis culturelle, les Corses gardent cependant des paratonnerres, cimetières, écoles, ou rendent par des parents proches ou des compatriotes liens étroits avec leur île par une correspon- la médecine gratuite pour les pauvres. et intègrent les exploitations existantes. Après dance régulière, l’abonnement aux journaux plusieurs années de travail et d’économies, insulaires et l’échange de produits. Mais certains Americani ne trouvent pas certains s’établissent à leur compte. toujours le bonheur espéré dans leur palazzu Revenir ou rester ? villageois. Ils s’établissent alors en ville, La vie aux Amériques notamment à Bastia où ils achètent ou font Seuls 15 % des migrants reviennent au pays construire leur maison ou un immeuble. Outre-Atlantique, les Corses n’hésitent pas car revenir au village sans fortune était D’autres enfi n préfèrent les villes des à se lancer dans des domaines qui leur sont inconcevable et tous ne sont pas devenus continents italiens et français, telles Livourne, totalement étrangers comme les plantations riches. Paris, Nice ou . de café, de sucre, de cacao, de coton et de La majorité des Corses renoncent défi nitive- (Source J-C. Liccia) bananiers ou l’exploitation de forêts tropicales, ment à revenir ou tout du moins n’en ont plus de mines et le secteur des chemins de fer. Quel l’intention, à un moment donné de leur vie. En que soit leur secteur d’activité, les Corses sont effet, ils parlent une autre langue (l’espagnol) ; e durant une partie du XIX siècle propriétaires sont mariés à des autochtones ; ont dans leur d’esclaves, et certains en font commerce. pays d’adoption leurs amis et habitudes ; Ils sont aussi actifs dans le commerce de détail parfois ont perdu les parents chers qui les Avec les citadelles et les tours du littoral, les chapelles romanes et les églises baroques, les palazzi ou maisons d’Américains de la Corse font partie des éléments I Palazzi emblématiques du patrimoine insulaire. Si les maisons d’Américains sont généralement appelées palazzi (palais), c’est en raison de leurs grandes dimensions et de leurs façades ornementées. Elles sont dans certains cas simplement dénommées case (maisons). L’usage varie suivant les communes et les commanditaires. Les résultats de l’enquête et des recherches menées par le professeur Enrique Vivoni Farage du département d’architecture de l’université de Porto Rico et de ses des étudiants ont permis d’identifi er cinq types différents. type 1 Type 3 type 5 Les maisons ancestrales, Les maisons classiques Les immeubles urbains avec remaniements (toits à quatre pentes) La ville de Bastia a attiré de nombreuses « américains » Il s’agit du groupe numériquement le plus familles de Corses américains. Beaucoup y Certains Corses enrichis aux Amériques ont important. Ces palazzi reprennent les louaient un confortable appartement dans les choisi de ne pas construire une maison ex- caractéristiques du type 2 mais sont couverts quartiers neufs de la place Saint-Nicolas ou nihilo. Ils ont préféré agrandir et embellir leur d’un toit en pavillon (à quatre pentes), du boulevard Paoli. Certains y fi rent construire maison ancestrale. conférant ainsi plus de majesté à la bâtisse. des immeubles. (Source E. Vivoni) Les façades sont architecturées, elles ont reçu une modénature qui les distingue des maisons ordinaires : corniches, pilastres, bossages, encadrements de fenêtre, fronteaux. Ces ornements en relief sont généralement d’un style néoclassique qui plonge ses racines dans l’art des architectes italiens du XVIe siècle, tels Palladio et Vignola. La recherche de point de vue sur la vallée et sur la mer est un élément récurrent. Elle implique des aménagements particuliers, tels des belvédères sur les toits, des balcons ou des terrasses au devant des maisons.

ChâteauChâteau Piccioni ((1853)1853) Immeuble Agostini, (1854) Metimo, Pino. Bastia ©ProgramaPdEdiCó de Estudios en Córcega / © CTC, musée de la Corse/Philippe Pierangeli Escuela de Arquitectura / Universidad de Puerto Rico Les décors peints, un type 2 phénomène de mode Les maisons neuves, de Si jusque-là les décors peints étaient réservés aux églises, au cours de la 2e moitié du XIXe forme traditionnelle siècle, la demande est très forte car les décors (toit à deux pentes) peints sont un élément incontournable dans les Cette catégorie regroupe des maisons palais d’Américains du Cap Corse et de Balagne. construites sur un terrain vierge dans le courant du XIXe siècle mais selon un modèle traditionnel. Les plans et l’esthétique générale sont ceux de la maison de notables en vigueur au siècle précèdent ; plan rectangulaire, grandes sur- Allégorie de l’Amérique sous la forme d’une Indienne avec ses attributs Palazzu Nicrosi (1877) faces, hauts plafonds, toit à deux pentes, traditionnels (arc, fl èches, plumes, perroquet). Rogliano. Médaillon central du plafond du grand salon du palazzu façades plates, percements réguliers et symé- ©Programa de Estudios en Córcega / Escuela de Stoppielle – Centuri de Arquitectura / Universidad de Puerto Rico triques, jardin attenant. Paul-Baptiste Profi zi, Vers 1889-1890 Centuri château de Stoppielle, Type 4 © M.-É. Nigaglioni Les variantes académiques Les peintres favoris des commanditaires À l’extrême fi n du XIXe et au début du XXe siècle, capcorsins sont Paul-Baptiste Profi zi (1839 l’infl uence de la culture, de l’architecture et - 1908 Bastia) et Gaetano Leoni (1856 de l’art académique français se fait ressentir Bastia - 1924 Luri) élève de Profi zi. sur les palazzi. Le décor des façades devient La technique utilisée est dite «à la détrempe» ; plus chargé et, dans une recherche d’effet on l’appelle aussi «peinture à la colle». pittoresque, le plan s’affranchit parfois de (Source M-É. Nigaglioni) la symétrie.

PalazzuPalalazzu CCagninacci (1879-1913) SantaSanntat María-di-Lota.Ma Villa St. Sauveur (1840-1844) ©Programa©Progro am de Estudios en Córcega / Escuela de Castiglioni, Luri. ArquitecturaArquitecu / Universidad de Puerto Rico ©Programa de Estudios en Córcega / Escuela de Arquitectura / Universidad de Puerto Rico Altieri à leur tour la prospérité. L’un d’eux choisit de terminer François-Marie Altieri est né en 1861 à . En sa vie en Amérique du Sud, mais les deux autres Familles 1879, il s’expatrie à Yauco (Porto Rico) où des membres décident de fi nir leurs jours dans leur village natal où de sa famille sont déjà établis. D’abord employé dans ils font ériger un vaste palazzu, monument patrimonial les haciendas d’autres Corses, après un passage à fi erté des Barrettalais. [1] et [3] Saint Domingue, il s’établit à Haïti Il y fonde sa propre et Destins maison commerciale dédiée à l’importation. À la tête Raffalli d’une grande fortune, il fait construire à Bastia une très Jean-Antoine Raffalli naît en 1841 dans une famille Gaspari luxueuse et fonde la Banque de la Corse, en 1923. Altieri, bourgeoise de Castagniccia. À 17 ans, il quitte Stazzona qui avait été consul de en Haïti, est nommé, en DifférentsDiffér membres de la famille Gaspari de Sisco pour accompagner Thomas Massiani, un Corse installé 1936, consul général d’Haïti à Bastia. Il décède dans vont s’enrichir au Venezuela dans la première au Venezuela, propriétaire d’une société exportatrice cette ville en 1943. [4] moitié du XIXe siècle. Quatre frères tentent l’aventure de cacao, de café et de sucre. Jean-Antoine Raffalli américaine Santo, dit Don Santos Gaspari, est le seul à travaille dans la société de son protecteur, y prend de revenir en Corse. À son retour, il s’installe à Bastia, dans plus en plus de responsabilités et fait venir ses sept un très grand appartement de la place Saint-Nicolas. À frères auprès de lui. Les frères Raffalli créent leur la belle saison, il séjourne à Sisco, dans une luxueuse propre compagnie, Raffalli Hermanos, productrice et villa, construite près de sa maison ancestrale. exportatrice de cacao et de café. À 40 ans, fortune faite, Avec les autres Américains de Sisco, la famille Gaspari Jean-Antoine Raffalli se retire en Corse, laissant va fi nancer la complète restauration de l’église à Carúpano une affaire fl orissante que deux de paroissiale de leur village, entre 1868 et 1876. [1] ses frères continuent de faire prospérer jusqu’à leur retour. [6] Cipriani Leonetto Cipriani est né à Centuri, en 1812. Son père Renucci s’est enrichi aux Antilles (île de Saint Thomas) à partir Si la grande majorité des Corses qui de 1795. Héros du Risorgimento, Leonetto créé comte, ont cherché fortune aux Amériques est général et sénateur du royaume d’Italie séjourne six ou originaire du Cap Corse, il en existe un sept fois en Californie. Consul de Piémont-Sardaigne à petit nombre issu d’autres régions de San Francisco. Il visite aussi l’Arctique et le Groenland l’île. Parmi eux, la famille Renucci, avec le prince Napoléon. [2] de en Balagne, constitue l’un des plus brillants exemples. Fantauzzi De son aventure américaine est Francisca Faustina Cora y Hernandez est née le né un imposant palazzu de quatre 25 octobre 1851 à Arroyo (Porto Rico). En 1871, elle étages construit entre 1865 et 1870 y épouse le Capcorsin Mathieu Fantauzzi. Le couple par Nicolas Renucci, de retour d’un aura deux enfants. Elle meurt prématurément à séjour de 35 ans à Porto Rico. Bastia, le 25 juillet 1874, âgée de 22 ans. Francisca est Depuis 1962, ses héritiers ont Bastia (Corse) – Banque de la CorseVers converti la vaste demeure en hôtel représentative de ces jeunes « Américaines » ayant 2e quart XXe siècle suivi leur époux en Corse. [2] A. Breger frères trois étoiles, l’hôtel Mare e Monti. Corte, musée de la Corse – 2003.12.483 Le palazzu conserve intacts les plus Giordani © CTC, musée de la Corse/DR beaux témoignages de son riche passé : son vestibule à voûte peinte, Paul Giordani est né à , en 1875, dans une Agostini sa chapelle privée et son fastueux famille de notables ruraux, propriétaires terriens. Il Joseph-Marie Agostini (1814-1861) salon de style Napoléon III. [1] épouse Anne-Marie Nigaglioni (1891-1975), originaire originaire de Cagnano rejoint de Morsiglia. Les époux Giordani s’expatrient en Haïti Porto Rico à l’âge de 23 ans où il Robe de Francisca Fantauzzi durant les années 1920-1927. Ils rentrent en Corse pour Vers 1873-1874 est accueilli chez des cousins. Soie, dentelle donner naissance à leur enfant. [1] Ses affaires prospèrent, il possède Collection particulière famille trois haciendas et fait venir son frère Alice Fantauzzi-Bertozzi Cerani et ses neveux. © Ville de Bastia/Jean-André Bertozzi Émigré très jeune au Venezuela, Pío Cerani ( 1887 En 1861, au cours d’un voyage pour la Corse, Franceschi-Massari - Caracas 1978) se lance dans l’exploitation d’une mine il décède brutalement à Paris. En 1878, son épouse Grégoire Franceschi est né à Luri en 1823. Son frère d’or. Dès 1912, il fonde sa première société minière, liquide ses affaires et vient s’installer défi nitivement à aîné, Jean, part pour Porto Rico en 1840, âgé de vingt nommée Salva la Patria, y travaille d’arrache-pied Carbonacce dans la maison natale de son défunt mari. ans. Il devient propriétaire de l’Estrella, l’une des plus et fait fortune. Rentré en France, il dilapide tout son En sa mémoire, elle fait édifi er une luxueuse chapelle grandes haciendas sucrières de l’île. argent dans les casinos de la Côte d’Azur. De retour funéraire réalisée par l’architecte bastiais Nardini. [5] Grégoire et quatre de ses frères traversent l’Atlantique au Venezuela en 1916, il s’aventure dans l’exploitation pour le rejoindre et s’installent comme commerçants. du caoutchouc et réalise d’énormes profi ts qu’il Biaggi Rentier, il fait édifi er la Villa Saint-Jacques dans son Pierre-Paul Biaggi (1869-1935) quitte Cagnano pour village natal, en 1874. Il décide de rentrer en Corse en rejoindre Porto Rico à l’âge de vingt ans. Placé comme 1877. Il y meurt en 1914, à l’âge de 91 ans. [7] commis chez les Franceschi, il apprend le métier et Paul Giordani à Port-au- monte bientôt sa propre boutique à Villalba. Son frère, Prince, avec des membres Antoine-Felix, et son beau-frère, Ange Morazzani, le Portrait du fi ls et des domestiques de la communauté corse rejoignent. Ensemble, ils créent à Yauco la société de Francisca Fantauzzi Vers 1920 Avril 1872 Photographie, anonyme Biaggi Hermanos, spécialisée dans la fabrication de Photo-carte de visite, Barthélemy Collection particulière cigares et de cigarettes ainsi que dans le négoce du Graziani photographe © M.-É. Nigaglioni sucre et du café. Pendant la Première Guerre mondiale, Collection particulière il occupe une place active au sein de « l’Offrande © DR patriotique française ». Notable respecté, il est nommé en 1917 consul honoraire de France à Ponce. Marié à [1] Source M-É. Nigaglioni Anita Agostini, il aura huit enfants dont quatre naîtront [2] Source M. Vergé-Franceschi dilapide aussi vite. En 1925, il exploite une nouvelle à Porto Rico. Par choix familial, la famille quitte les [3] Source J.-B. Canarelli mine d’or qu’il baptise Oro de Carabobo et s’attaque Caraïbes pour la Corse en 1920. [5] [4] Source J-C. Liccia ensuite à la commercialisation de la sarrapia (une fève [5] Source A. Giuliani odoriférante utilisée en parfumerie). Après la Seconde [6] Source M.-T. Raffalli Guerre mondiale, il se risque une troisième fois dans la Giuliani [7] Source A. Giuliani prospection aurifère et fait à nouveau fortune à la tête Trois frères de la famille Giuliani, originaires du village de la compagnie VuelvaVuelvan Caras. [3] de Barrettali, rejoignent des parents et des amis qui se

sont établis avec succès au Venezuela. Ils y connaissent : Imprimerie Bastiaise / Impression / Mise en page : www.alma-design.fr Laroche : Gaëtan Visuel de la couverture

Commissariat de l’exposition Jean-Christophe Liccia, ancien président de l’association de recherches historiques Petre Scritte et fondateur de la revue A Cronica Michel-Édouard Nigaglioni, directeur du patrimoine de la ville de Bastia

Scénographie Mathilde Meignan et Lise Perot

Production : Musée de la Corse Collectivité territoriale de Corse