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Archives départementales de Lot-et-Garonne école nationale d’administration pénitentiaire ien le lien le lien le le l lien ien le l l li e le en n li e le e li l n e ie l n le n e le l li ie e l n l ie n n le ie l l li le e e n n l e i l li e e le lie n n ie n l l l le e e li ien en e l l n l Bulletin d’histoire judiciaire et pénitentiaire l e li lie i en le lien le e en Lot-et-Garonne n

ien le lien le lien le le l lien ien le l l li e le en n li e le e li l n e ie l n le n e le l li ie e l n l ie n n le ie l l li le e e n n l e i l li e e le lie n n ie n l l l le e e li ien en e l l n l l e li lie i en le lien le e n 100 ans de criminalité en La vocation agricole du Lot-et-Garonne, les traditions et les usages qui ont laissé dans l’imaginaire l’image d’une Lot-et-Garonne ruralité paisible, n’ont pas pour autant exempté ce département d’une crimi- nalité dont les caractérisiques sont des marqueurs de sa sociologie. Pour ce numéro 7 du Lien, nous avons choisi d’évoquer trois affaires criminelles qui s’ancrent dans des particularismes de notre département. Deux d’entre elles auront pour cadre inattendu la prison d’Eysses, la troi- sième nous offrant une galerie de fi- gures rurales qui auraient pu faire sou- rire si la cupidité nouée à la plus crasse bêtise ne les avait amenées au crime le plus sordide. Ces trois dossiers qui appartiennent à la série U des Archives départemen- tales vont nous replonger dans un siècle de l’histoire criminelle de notre département.

Supplément illustré du «Petit Journal»,13 décembre 1896. Collection privée. n°7 - 2017

sommaire

> L’affaire Anne Bataille ...... p. 3

> L’affaire Jean Piraube ...... p. 9

> L’affaire de ...... p. 13

l e > Sources et bibliographie...... p. 20

l i e ntroduction n I

l e

l n le lien i e lie le l e n l ien Au-delà de leur factualité toujours tragique, parfois sordide, les af- nombre de 8e 355 lie mais pour une population qui estle passée à 67 mil- n en l lie li n l e l e faires criminelles disponibles dans la série U (Justice) des archives lionsn l d’habitants. Bien évidemment, il faudrait, pour avoire tous les e l l li ie i e n e départementales sont aussi une source inextinguible d’informa- l éléments autorisant une rigoureuse comparaison, mettre en équa l - n en e li l le tions concernant d’une part les pratiques judiciaires et plus largee - tion le chiffre des procédures pénales ouvertes pour chacune desi e l n l n ie ment ce qu’il est convenu d’appeler par un raccourci commode,ie les années retenues. Si les crimes de sang ont sensiblement diminué le n l mœurs judiciaires. le ces trente dernières années, d’autres qualifications sont venues li le n e l e n ie Pour ce qui est des pratiques professionnelles des lmagistratsi ins- augmenter la charge des magistrats instructeurs dont le nombre n le le n (2) tructeursli sur un siècle (1820 - 1925), on esti efrappé par la célérité ne cesse de diminuer . Malgré cela, les délais de renvoi d’une en e l avec laquellele sont conduites leurs instructionsn l sans rien céder pour affaire pénale devant la juridiction de jugement sont de plus de 59 lien l le lie autant à la nécessairee lien rigueur le lie avecn laquelle les différents actes sont mois(3) pour les cours d’assises et de 14,6 mois pour les tribunaux conduits, qu’il s’agisse de l’enquête préalable, des auditions des correctionnels. inculpés ou celles des témoins, des commissions rogatoires lan- Un autre constat et non des moindres, renvoie à la distribution des cées et, à partir des années 1920, des ordonnances de demande peines prononcées par la Cour d’assises de Lot-et-Garonne(4). Là d’expertise médicolégale. Rien n’est laissé au hasard et les actes aussi, il conviendrait de réaliser un travail rigoureux de comparai- s’enchaînent en cohérence dans une temporalité le plus souvent son (évolution des lois pénales, époques, sociologie des dépar- congruente. tements, contextes socio-politiques…) mais si on veut bien se De la cinquantaine de dossiers (d’assises) que nous avons pu dé- contenter d’un premier constat, il apparaît que les peines pronon- pouiller et quels que soit la complexité de l’affaire ou le nombre cées sont globalement plus clémentes que celles qui pourraient de personnes inculpées (actuelles « mises en examen »), il ne l’être aujourd’hui à qualification égale évidemment. Si, en 1820, se passe pas plus de sept mois, délai maximum observé entre la Anne Bataille est condamnée à mort sans aveux et sans preuves commission des faits et le renvoi des personnes inculpées devant irréfutables de sa culpabilité, on peut s’étonner qu’en 1913, la poé- la Cour d’assises de Lot-et-Garonne. Non pas que « nos » magis- tesse agenaise Alice Crespy qui tue son amant - prêtre de son état trats aient été plus véloces, plus appliqués que leurs collègues des - et qui ne le nie pas, est acquittée suite à une plaidoirie habile autres départements, mais plus simplement, que sur la période qui de son avocat. En 1921, le jury acquitte également Hyppolite Rey, nous intéresse (1820-1925), le maillage territorial de la justice était inculpé d’un double assassinat, sa femme et le valet de ferme différent et le nombre de magistrats en proportion de la population qu’il suspecte d’être son amant. Il est vrai qu’Hyppolite Rey est française sur cette période bien supérieur à ce qu’il est aujourd’hui. un militaire de carrière qui s’est vaillamment conduit au front. Si on Qu’on en juge, si le lecteur veut bien nous permettre cette bien regarde la composition du jury, on constate que près de la moitié facile facétie. des hommes qui le compose, au regard de leur âge, furent aussi En 1800, la comptait approximativement 27 millions d’habi- des poilus de 14-18. Allaient-ils envoyer à la guillotine ou au bagne tants. 7 786 magistrats étaient à cette même période en fonction un frère d’armes ? Il n’est pas rare dans ces années 1900-1925 dont 4 807 juges de paix(1). En 1900, la population française était de voir des meurtriers par passion ou par cupidité, condamnés à passée à 38 millions d’habitants pour 7 168 magistrats dont 3 857 des peines de cinq à sept années de réclusion criminelle ou de juges de paix. travaux forcés. Ces mêmes inculpations vaudraient aujourd’hui à En 1958, année de la réforme des institutions judiciaires, la France leurs auteurs, sauf cas particuliers, des peines deux à trois fois le lien l comptait alors 45 millions d’habitants pour un nombre de magis- supérieures. e lien e lien l n l e lie trats qui était tombé à 6 723 auxquels il faut encore néanmoins lie n l le le e n l ajouter les 3887 juges de paix dont la fonction allait être supprimée ie l lie n ie e l en même temps que la justice du même nom pour être remplacée (1) n l e Les juges de paix avaient pour principale mission de régler les li- n l l e ie par les tribunaux d’instance. tiges de la vie quotidienne par une démarche conciliatrice : petites af- e li n l e faires personnelles et mobilières, litiges entre voisins, contraventions ie l l Trente ans plus tard, en 1987, l’effectif des magistrats était de 5 n n e de simple police. Le juge de paix était présent dans chaque canton. ie l le l ie 501. En 2016, les magistrats, toutes juridictions confondues sont au L’accès à la fonction ne nécessitait aucune qualification particulière en l le n ie n n ie l droit, ni diplômes, mais résultait d’un vote, suivi d’une nomination. l e (2) le le l Seuls 20% des dossiers pénaux ouverts font l’objet d’une instruc- l n i ie lie e tion. n le le ien n (3) lie e l Il s’agit d’une moyenne nationale, les délais étant assez hétéro- n n l l le lien le lien le lie e

gènes selon les juridictions, ceux des grandes métropoles plus crimi- l i Dossier réalisé par Jean-Michel Armand (CRHCP - énap) avec la partici- nogènes sont évidemment plus longs. e n pation d’Isabelle Brunet et de Pascal De Toffoli (Archives départemen- (4) Jusqu’en 1942, le jury décide seul de la culpabilité tandis que les tales de Lot-et-Garonne). trois magistrats décident de la peine, ce qui donne lieu à des acquit- tements de compassion ou à des condamnations de représailles fon- Conception graphique, mise en page : dées sur l’émotion populaire. La loi du 21 novembre 1941 attribuera Odette Baix - Laetitia Eleaume (Unité édition, énap) la décision – culpabilité et peine – à l’ensemble de la cour d’assises et Impression : Éric Dall’ava - Xavier Dabadie (Unité édition, énap) 2 réduira à six le nombre des jurés. Le jury populaire n’étant plus, dès lors systématiquement maître des décisions de jugement. n°7 - 2017

L’affaire Anne Bataille

Le soleil est encore haut et bien chaud approximatifs, notamment pour toutes

l e en cette fin d’après-midi du 19 mai 1820 celles et ceux nés avant la création de

l i mais il est déjà bien tard pour venir tirer la l’état civil tel que nous le connaissons, e n cloche de la porte d’entrée de la maison lequel n’existe que depuis le décret du 27 l e

centrale d’Eysses. septembre 1792 qui l’institue et le codifie. l n le lien i e lie le l e n l ie e lie n le C’est pourtant ce qu’un gamin de 14 ans Antérieurement, seuls les registres pa- n en l lie li n l e l e n l e s’apprête à faire. En tenant de l’autre roissiaux attestaient des filiations et bon e l l li ie i e n main un panier, il tire résolument sur la nombre d’entre eux avaient été détruits e l l n en e li l corde. Dans l’encadrement du guichet qui pendant la Révolution française. Il était le e ie l n l n s’ouvre, un gardien lance « qu’est-ce que encore assez facile pour tous ceux qui y ie ie le n l e l tu veux ? « Je m’appelle Maurice Fardel avaient intérêt de changer de nom au gré le l ie n n li lie et je viens apporter à mon père ce panier des nécessités. À cette époque, il n’existe en l le e l en de victuailles ». évidemment pas de fichier de police ADLG, 4 U 180 ien li le n le « Bah ! » répond le surveillant…mais ce centralisant les informations sur les justi- lien e lie le lien le lien l n’est plus l’heure des visites…reviens ciables (2). demain ! » A la mine déconfite du gamin, Mais revenons donc à la prison d’Eysses Prestement, on va réveiller le surveillant- le surveillant, compatissant, engage sa où notre zélé gardien va remettre sans chef qui lui-même va arracher à son som- serrante dans la serrure et ouvre la porte attendre à Baldou/Fardel le panier de vic- meil le directeur, monsieur Maydieu. L’état qui hurle sur ses gonds. tuailles. Si le commun des mortels n’a pas du malheureux paraît vraiment inquié- « Bon, allez, donne-moi ça, j’irai le porter encore dîné, il y a déjà un bon moment que tant ! On fait prévenir le médecin rattaché à ton père ce tantôt ! La prochaine fois, tu les détenus ont avalé leur soupe du soir à la prison, le docteur Lalaurie qui habite essayeras de te conformer au règlement servie à 5 heures. Jean Fardel (convenons Villeneuve-d’, lequel n’arrive qu’au petit et de respecter les horaires », balance de l’appeler ainsi puisque c’est son vrai matin. On pense évidemment à une intoxi- gouailleur, l’homme en uniforme. (1) nom) a donc déjà avalé sa gamelle. Cette cation alimentaire mais aucun autre détenu Le gamin remercie et tourne les ga- saucisse a vraiment l’air appétissant ! N’y n’a été malade durant la nuit… Le médecin loches pour refaire dans l’autre sens les tenant plus, il en détache un petit bout et et le directeur se font présenter les reliefs quelques kilomètres qui le séparent du s’en délecte avec un morceau de pain qui du repas de la veille…rien de suspect a village de Saint-Sylvestre-sur-Lot où il vit lui reste du repas. (3) priori ! avec sa mère. Voilà qui va améliorer l’ordinaire pour Le 22 mai, le docteur Lalaurie adresse au Il est près de 7 heures du soir quand le quelques jours, pense Fardel, réjoui que directeur le compte rendu du premier exa- surveillant apporte le panier au détenu son épouse, malgré tout ce qu’il lui a fait men qu’il a pratiqué sur Pierre Baldou(5) Pierre Baldou, c’est en tout cas sous ce subir, pense encore à venir adoucir ces ainsi que sur les restes du repas servi le nom que cet homme a été écroué pour jours pénibles en prison. soir. Il décrit des douleurs abdominales vio- purger une peine de 5 années d’empri- Vers trois heures du matin, les « nui- lentes, éjection de matières glaireuses avec sonnement en vertu d’un jugement rendu teux» (4) sont tirés de leur torpeur par des constriction de la gorge et de l’œsophage. par la cour d’assises des Hautes-Pyré- coups redoublés dans la porte d’une cel- Il conclut son rapport en disant que pareille nées. Pierre Baldou ?...tiens ! le gamin ne lule. symptomatologie ne peut être attribuée porte pas le nom de son père ?...à moins qu’à l’ingestion de « substances dange- que celui-ci ne soit pas…son père ? « C’est Baldou, chef, il est très malade, reuses ». Troublé et consciencieux, le méde- Le dossier d’instruction qui sera bientôt ouvrez vite ! » cin s’est fait remettre également le dernier ouvert et nous allons vite savoir pourquoi, Baldou est sur sa couche et se tord de dou- contenu du bassinle des lie vomissures.n l Il exclut e lien e lien l n l e lie nous confirmera que le jeuneM aurice- leur, les deux mains se tenant le ventre. les lalimentsie du repas servi le soir à la popun - l le le e n li Guillaume à l’état civil est bien le fils légi- Il est en sueur et un mince filet de bavei e lation pénale puisqu’aucun détenu n’a été e li l n e e le n time de Fardel… Jean de son prénom. ourle ses lèvres. Il vomit à plusieurs lre- malade. Il exclut aussi le pain puisque les n li le ie e prises dans des spasmes douloureux l qui codétenus de Baldou ont mangé la même n li le l e Baldou ? Fardel ?...souvenons-nous qu’à lui arrachent à chaque fois des plaintes miche partagée au repas. Reste la saucisse e n en l li li e déchirantes. qui devient immédiatement suspecte. e cette l époque, les états civils sont encore le n ie n n ie l l e le le l l n i ie ie e n le l le ien n lie e l n n l l le lien le lien le lie e

l i (1) Ce dialogue est évidemment imaginaire mais il est possiblement vraisemblable. e n (2) C’est François Vidocq, premier chef de la sûreté qui aura l’idée d’un fichier central de police. (3) Selon les déclarations faites au juge par les codétenus de Jean Fardel. (4) Les gardiens qui assurent le service de nuit. (5) Dans les rapports, on continue à le nommer ainsi puisque c’est sous ce (faux) nom qu’il a été écroué.

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du reste de saucisse… « 2/3 d’une saucisse mi-cuite » nous révèle le procès-verbal. Mais qui est réellement la victime ?... Bal- dou Pierre ou Fardel Jean? Monsieur Mara- bal est bien ennuyé car la femme Bataille n’aurait, en ce premier cas de figure, rien à voir avec ce Baldou. La journée se termine llàie etn lesle ldeuxien lsuspectse lien iront, dans le doute, n le le li lie dormir à la prison de Villeneuve.en l e l e l e n Le lendemain, 24 mai, un courrier l iurgent du ie e li l n e e le n l directeur de la prison d’Eysses est opportu - n li le ie nément déposé sur le bureau du juge Marae - l n li le e bal, l’informant qu’après recherches, les le n en li li le sieurs Baldou et Fardel ne feraient qu’un. e l le n ie n n ie l l Si Baldou a bien été condamné le 19 mars e le le l l n i ie ie 1819 à cinq années de réclusion par la cour e n le l le ien n lie e l d’assises des Hautes-Pyrénées pour vio- n n l l le lien le lien le lie e lences volontaires, c’est Fardel qui a reçu l i e

condamnation du tribunal correctionnel n d’Agen pour vols le 19 septembre 1811. A bien y regarder, le chiffre 19 ne porte pas chance ni à Fardel, ni à Baldou ! C’est donc bien Fardel qui a failli passer de vie à trépas car, précisons-le, sa bonne constitution couplée aux soins attentifs du docteur Lalaurie l’ont tiré d’affaire au bout Rapport de M Lalaurie, médecin, au directeur de la maison centrale d’Eysses, 22 mai 1820 (ADLG, 4 U 180) de trois journées de grande souffrance. Certes, le couple Fardel vit plus ou moins Le médecin s’en saisit et isole dans les aussi. La question est simple : quelle main séparé depuis plusieurs années. Monsieur, méandres de la boyauderie « des grains malveillante a placé la fameuse saucisse qui exerce la profession de marchand ambu- blancs d’origine minérale mais qui ne sont au-dessus du panier ? lant va et vient, repart du domicile familial pas du sel »…/…il conviendrait de faire au gré de ses fantaisies et de ses plus ou analyser au plus vite ces grains », ajoute- Le juge d’instruction dépêche aussitôt la moins bonnes fortunes. C’est un mari infi- il ayant déjà probablement sa petite idée maréchaussée aux fins d’amener sans dèle, coureur de jupons, buveur et querel- sur le sujet. délai mère et fils en son cabinet.E ncadrés leur selon les déclarations d’Anne Bataille Fort de ces premières informations, le di- par deux gendarmes royaux de la compa- qui, bien que le divorce n’ait jamais été pro- recteur de la prison envoie, le même jour, gnie de Villeneuve, les militaires Gabot et noncé, a repris son nom de jeune fille. Ses un courrier au Procureur du Roi l’informant Delepierre, arrive Anne Bataille, 39 ans, condamnations attestent que Baldou-Fardel de l’incident en y joignant les premières modiste de profession, cheveux et sour- n’est pas un mari exemplaire et qu’il s’était constatations du médecin et la forte suspi- cils châtains, yeux gris, bouche moyenne montré violent avec son épouse laquelle cion d’un empoisonnement… à l’arsenic. et menton ovale. Elle a le teint coloré des avait fini par se détacher de ce peu reluisant Une tentative d’empoisonnement donc ? femmes de la campagne et…une verrue conjoint. Le procureur prend la chose très au sé- sur le haut de la joue droite nous informe Pendant ce temps, les deux pharmaciens rieux, requiert que soit saisie sur-le-champ la fiche que le chef d’escorte Gabot remet ne chôment pas…on pourra lire dans leur et placée sous scellés ladite suspecte au magistrat. Son fils, Maurice-Guillaume rapport remis au juge qu’ils ont trouvé « un saucisse aux fins d’analyse et saisit sans âgé de 14 ans vit avec elle. Il est garçon de morceau de substance blanchâtre prélevé à délai le juge d’instruction du tribunal de ferme à la journée. la pointe d’une aiguille et porté à la dégus- Villeneuve-d’Agen, M. Paulin Marabal. L’interrogatoire commence tandis que tation …/… qu’à la suite de différentes opé- Evidemment la saucisse n’est pas venue messieurs Fourastie et Riviere tous deux rations de dissolution et de réactivité des toute seule et l’épouse tout comme le pharmaciens à Villeneuve sont mandatés traces d’acide arsénieux sont clairement fils sont immédiatement suspectés eux par le juge pour une analyse plus poussée identifiées ».

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Prudents, les deux chimistes précisent défense qui scelle assez rapidement la - Non, répond Anne Bataille, il me devait qu’ils ont gardé précieusement « les conviction du juge lequel néanmoins pour- de l’argent, c’est tout. On était encore en restes de l’expérience afin qu’il puisse suit ses investigations. affaire si on peut dire ! être procédé à un nouvel examen si le - « N’êtes-vous pas l’amie et l’associée - Différentes personnes entendues par magistrat le souhaite ». d’un certain François Prayssas ? les gendarmes font état d’avoir été les - Oui, c’est exact, répond Anne Bataille, témoins d’une violente dispute entre Dans le cabinet du juge, Anne Bataille jure c’est avec lui que j’ai ouvert un commerce Prayssas et vous, ce dernier vous accusant (6) lien le lien le lien ses grands dieux qu’elle n’est pour rien de société il y a trois ans…/.. J’ai mis de l’avoir incité à acheter des doses d’arse- n le le li lie en dans cette malheureuse histoire, qu’elle dans cette affaire mes économies mais ça nic… l e l e l e n li a acheté la saucisse chez la femme La- n’a pas marché très longtemps - Mensonges, calomnies d’envieux qui ie e li l n e e le n l fargue charcutière de son état à Ville- - Quelles étaient vos liens avec ce veulent me nuire » se récrie Anne Bataille. n li le ie e neuve et que….ah ! oui ! elle se souvient Prayssas ? hasarde le magistrat sentant l n li le e le maintenant, que celle-ci lui avait parlé qu’il y avait sûrement là partie à en tirer. Le juge signe alors un mandat d’amener et n en li li le e d’un chien errant qui venait sans cesse - Je le connaissais depuis quelque temps, se fait présenter François Prayssas, 28 ans l le n ie n n ie l l e l’importuner autour de son étal et qu’elle suffisamment pour que je lui fasse sans profession. Il n’est pas à proprement le le l l n i ie ie e était résolu à lui donner « un bout de bi- confiance mais j’ai eu tort. » parler défavorablement connu mais passe n le l le ien n lie e l doche » (sic) qu’elle aurait préalablement - « Vous étiez sa…maîtresse et vous aviez pour un paresseux, jouisseur, plus assidu n n l l le lien le lien le lie e empoisonnée. des projets de remariage ? assène tout à au cabaret qu’à l’ouvrage. Un drôle de l i e n C’est cela, la charcutière m’aura vendu trac le juge Marabal, poussant ainsi l’avan- « client » quand même semble penser le par mégarde cette saucisse empoisonnée tage face à cette femme à l’évidence dés- que je destinais à mon mari emprisonné. tabilisée. Évidemment, les gendarmes s’en vont quérir cette dame Lafargue laquelle se récrie : « oui, j’ai bien empoisonné ce chien avec un vieux bout de saucisse mais c’était il y a quatre mois et j’avais pris grand soin de ne pas mélanger ce mor- ceau avec ceux destinés à mes clients» clame cette commerçante surprise et mé- contente qu’on puisse soupçonner son professionnalisme. « Madame Bataille, reprend le juge, les gens de la prison de Eysses me disent que vous n’étiez pas coutumière des vi- sites à votre mari, pourquoi cette fois-ci avez-vous décidé de lui adresser des vic- tuailles et pourquoi donc y avoir envoyé votre fils ? « J’avais de l’ouvrage en retard et ne pou- vais me déplacer sans risquer de mécon- tenter mes clientes et puis j’avais fait cuire la saucisse…et puis… » Et puis… Anne Bataille hésite, bafouille, se reprend et se contredit. « Une main malveillante aurait pu empoisonner la sau- cisse ou bien la substituer à celle achetée la veille…allez savoir ? ». Une bien piètre

(6) Entendons un cabaret où on joue aux jeux d’argent. Suite et fin du rapport précédent (ADLG, 4 U 180)

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juge et puis, cette relation dont personne et Penne-d’Agenais arrivent sur le bureau chef d’accusation. Des pharmaciens age- ne semble dupe avec cette femme, en- du juge Marabal relatives aux ventes nais cette fois, messieurs Pons et Monta- core mariée, de 11 ans son aînée…. d’arsenic dans les pharmacies de leurs gnac qui confirment le diagnostic de leurs Aux questions inquisitoriales du juge, ce communes respectives. Rien qui ne cor- confrères villeneuvois ; ils ont bien trouvé dernier crie à l’injustice… Il n’a rien à voir responde parmi les acheteurs à la femme de l’acide arsénieux dans le bout de sau- avec cette histoire. Au reste ce Farel ou Bataille ou au jeune Prayssas. cisse qui leur a été confié. Baldou, il ne le connaît pas ou…si peu. - Bon, tant pis, pense le juge, ça m’aurait Malgré de nombreuses autres convocations Pourquoi lui en aurait-il donc voulu au facilité la tâche mais cela ne prouve rien ldansien lsone li ecabinet,n le li elan ligne de défense d’An- n le le li point de vouloir le tuer ? évidemment. De l’arsenic, il y en ali eun ne Bataille - si on peut l’appeleren ainsi tant l e l e l e « Vous, non, reprend calmement le magis- peu partout dans les fermes de nla région ses dénégations semblent maladroites li et ie e li l n e e le n trat, mais vous auriez pu ne pas vouloir ou et ce n’est guère difficile de l s’en procurer butées -, ne varie en rien « c’est la charcu - n li le ne pas pouvoir refuser ce service à votre même si la vente en est istrictemente régle- tière qui…ou bien, si ce n’est pas elle, c’este l n li le e maîtresse ? » mentée (7). quelqu’un d’autre…un malfaisant qui durant le n en li li le - « Pas du tout, hurle Prayssas, cette his- Et puis, le poison, c’est bien l’arme des le transport aurait…Qui? Ah ! ça je ne sais e l le n ie n n ie l toire était finie depuis plusieurs mois et femmes meurtrières,l non ? La chronique pas… mais pas son fils Ah ! non…pas mon e le le l l n i ieje n’ai jamais eu l’intention de me marier judiciaireie est pleine de ces histoires… on fils ! » e n le l le ien n avec lcetteie femme. Si elle l’a cru, c’este l peut supposer mais supposer seulement Le juge d’instruction convoque encore deux n n l l le lien le lien le lie e bien à tort ! » … le juge Marabal, en professionnel rigou- fois Anne Bataille qui s’obstine …non, non l i e

Dubitatif tout de même, le juge expédie reux, déroule son instruction en faisant, et non, ce n’est pas elle qui a empoisonné n le jeune homme à la prison de Villeneuve pour le moment, fi de sa conviction. cette saucisse, pas plus qu’elle n’aurait pour qu’il réfléchisse calmement à tout On ne pourra guère au demeurant lui demandé à François Prayssas de le faire cela et peut-être, le lendemain, le souve- reprocher des a priori en la matière. Ce ou à… quiconque d’autre ! Elle ne sait pas nir lui sera-t-il revenu…qui sait ? matin, il a justement entre les mains, le et ne s’explique pas comment cette char- Le lendemain, plusieurs lettres émanant rapport des deux nouveaux experts qu’il cuterie a pu être empoisonnée….et si les des maires de Laroque-Timbaut, Beauville a commis pour être bien assuré de son pharmaciens s’étaient trompés… hasarde- t-elle ? Le juge doit trouver que cette femme a déci- demment un sacré toupet et décide, faute d’aveux, de clore là son instruction. Pas son fils non plus, c’est ce que pensent aussi, mais pour d’autres raisons, les ma- gistrats de la chambre d’accusation de la cour d’appel d’Agen. Dans son audience du 1er août 1820, soit seulement deux mois et demi après l’inculpation des trois protago- nistes de l’affaire, le substitut du procureur du Roi, M. Foulques, demande l’annulation des ordonnances de prises de corps de Maurice Guillaume Fardel et de François Prayssas, au motif que l’ordonnance du juge d’instruction n’en stipulait pas le motif. (8)

À l’époque, le procureur demandera qu’on rédige simplement un autre mandat et que les deux prévenus soient transférés à la

Collection privée

(7) Emma Bovary n’aura, fictivement, aucun mal à s’en procurer auprès du pharmacien Homais dans son village de Yonville. (8) Aujourd’hui, pour ces mêmes raisons – rares il est vrai – le mandat du juge serait frappé de nullité et les mis en examen provisoirement remis en liberté. (9) Il ne s’agit pas encore de notre maison d’arrêt de la rue Montesquieu laquelle ne sera construite qu’à partir de 1854 et mise en service en 1860. (10) On notera la célérité procédurale entre le premier acte d’instruction le 20 mai et le renvoi de l’affaire : 106 jours très exactement. Il ne faut pas penser qu’à cette époque, les procédures étaient expéditives voire… expédiées. La lecture des dossiers judiciaires atteste que les magistrats met- taient beaucoup de pugnacité dans la conduite de leurs dossiers et n’hésitaient pas à multiplier les actes d’instruction aux fins de manifestation de la vérité. Ils étaient simplement en nombre suffisant pour bien faire leur travail. Il y avait autant de magistrats avant la Première Guerre mondiale qu’aujourd’hui et ce, malgré une population nationale qui a doublé. 6 n°7 - 2017

maison de justice(9) établie près de la cour vous demande d’expliquer à la cour les rai- d’appel d’Agen. Dans ce même arrêt de sons de votre geste ? » renvoi, la chambre d’accusation indique - « mais je n’ai voulu empoisonner per- que malgré ses dénégations, « il existe sonne, m’sieur le président ! C’est la des charges suffisantes de culpabilité à charcutière ! Elle a voulu empoisonner l’encontre d’Anne Bataille épouse Far- un chien et m’aura vendu la saucisse par del »…/…et qu’il y a lieu de la renvoyer mégarde, voilà tout ! » lien le lien le lien devant la juridiction de jugement compé- - « mais madame, ce chien a été effecti- n le le li lie en tente mais que – a contrario – il n’existe vement empoisonné par cette charcutière l e l e l e n li pas de charges ou d’indices suffisants qui l’a du reste confirmé aux gendarmes ie e li l n e e le n l pour établir soit comme auteur, soit mais c’était bien avant l’empoisonnement n li le ie e comme complice à l’encontre de Maurice de votre époux » l n li le e le Guillaume Fardel et de François Prayssas - « alors c’est peut-être que la saucisse a n en li li le e et que, conséquemment, la cour d’appel été changée durant le transport » reprend l le n ie n n ie l l e ordonne leur remise en liberté. ». alors sans se démonter, Anne Bataille» le le l l n i ie ie e Les deux garçons sont élargis le soir - « Votre fils ne nous a rien dit à ce sujet car n le l le ien n lie e l même. de votre domicile à la prison de Eysses, il n n l l le lien le lien le lie e C’est donc seule qu’Anne Bataille épouse ne s’est pas arrêté et n’a conversé avec l i e n Fardel va devoir affronter ses juges. personne …à moins que vous n’accusiez L’audience de la cour d’assises de Lot-et- maintenant votre fils, comment expliquez- Garonne est programmée pour trois jour- vous cela ? » nées : du 3 au 5 septembre 1820 (10).On s’attend donc à une audience compliquée. Anne Bataille fait signe que non et plonge Elle est présidée par le conseiller Desmo- sa tête entre les mains. On imagine alors lin tandis que le ministère public est tenu que son avocat doit penser que sa tâche par l’avocat général Lebe aîné. de défenseur va être bien rude tout à Compte-rendu d’exécution d’Anne Bataille, 15 novembre 1820 Anne Bataille va être défendue par maître l’heure car aucun élément ne peut effica- (ADLG, 4 U 180) Laroche du barreau d’Agen. cement venir semer le doute dans l’esprit des jurés. d’avoir entendu de ses propres oreilles les Après le tirage au sort des dix jurés, le Percevant le trouble, le président Desmo- propos tenus par les deux amants. président Desmolin reprend l’acte d’accu- lin porte alors l’estocade : Mais, on ne s’arrête pas plus que cela sur sation : - « Anne Bataille ne fréquentiez-vous pas ces imprécisions pourtant fondamentales. - « Anne Bataille, vous êtes ici pour ré- un jeune homme de 11 ans votre cadet au- Bien que la personnalité de l’empoisonné pondre de l’empoisonnement commis à quel vous auriez dit que le seul moyen de soit sujette à réserves : mari querelleur, l’encontre de votre mari le nommé Jean sceller votre union était de se débarrasser violent avec son épouse parce que violent Fardel dit Baldou. Je rappelle les faits : il définitivement de votre mari ? » de tempérament, voleur, griveleur…un mari y a quelques semaines vous avez acheté - « mais c’est faux monsieur le président, pas tout à fait exemplaire dont on aurait eu chez une charcutière de Villeneuve une faux, je vous le promets ». sans doute, toutes les (bonnes?) raisons saucisse que vous avez donnée le lende- On fait alors entrer les trois témoins de de vouloir se débarrasser… mais, tous ces main à votre fils pour qu’il aille la remettre, cette conversation qui se serait tenue en éléments ne vont pourtant pas servir la entre autres victuailles, à votre époux. À public, un jour de marché alors que les défense de l’accusée. Femme mariée, elle peine ce dernier en eût-il mangé un mor- deux…amoureux s’invectivaient copieu- avait un amant ce qui en cette période de ceau qu’il fut atteint de douleurs abdo- sement. restauration des bonnes mœurs était une minales effroyables. Aussitôt appelé, le - « oui, oui, on a bien entendu que Prays- preuve d’immoralité pouvant en expliquer médecin ne tarda pas à soupçonner l’in- sas reprochait à la femme Bataille de lui d’autres. gestion de poison d’ailleurs rapidement avoir demandé d’empoisonner son mari ». Les autres témoins et les questions qui sui- confirmée par l’analyse de la dite sau- Le témoin est formel sur ce point (capital vront leurs dépositions n’amèneront rien de cisse par plusieurs pharmaciens experts. s’il en fût !). Le second confirme « à peu plus au débat. Votre mari a, certes su résister aux effets près » ce qu’a dit le précédent, quant au À cette époque, la justice s’intéresse aux de l’arsenic puisque cela en était, mais je troisième, il n’est plus vraiment certain faits et à eux seuls.

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Les circonstances de la commission d’un Le président Desmolin prononce alors Le 6 novembre tombe la réponse…c’est le crime et plus encore les éléments de per- la peine : « résultant que l’accusée est rejet ! sonnalité des accusés n’intéressent pas déclarée coupable du crime d’empoison- Le 15 novembre 1820, la charrette qui vraiment la justice pénale, même si beau- nement sur la personne de son mari, celle- amène Anne Bataille débouche sur la place coup de magistrats tentent d’humaniser ci est condamnée…. à la peine de mort! du Pin à Agen où la guillotine a été mon- les procès. Le sort d’Anne Bataille semble Ordonnons que l’exécution se fera sur une tée, et où attendent l’exécuteur des arrêts scellé et la condamnation sera sans aucun des places de la présente ville d’Agen. La criminels ainsi que les représentants de doute sévère…on n’attente pas à la vie condamnons en outre à supporter les frais l’autoritéle l iejudiciairen l qu’on a installés dans e lien e lien l n l e lie d’un mari, du pater familias, de l’homme de procédure ». lie le petit bâtiment d’octroi situén à la pointe l le le e n li sans en payer le prix fort. Face à la terrible sanction, l’avocatie d’Anne de la place, laquelle est noire dee monde. li l n e e le n Le bref mais implacable réquisitoire de Bataille reprend besogneusement l le dos- Assistée de l’abbé Malroux, l’aumônier de n li le ie e l’avocat général n’aura d’égal que la plai- sier et trouve ce qui lui semble l être un vice la prison, elle monte « sans faiblesse » surn li le e doirie expédiée de l’avocat qui n’a trouvé de forme lui permettant d’aller en cassa- l’échafaud « en chrétienne et avec résigna-le n en li li le aucun argument probant pour faire douter tion. Las ! Un mois après, le pourvoi est tion » comme le notera le chroniqueur du e l le n ie n n ie l les dix jurés. rejeté par l la Cour suprême. « Journal du Lot-et-Garonne ». e le le l l n i ieAprès 40 minutes de délibération, le jury Anneie Bataille ne peut donc plus compter e n le l le ien n revientlie et c’est à la simple majorité dee ses l que sur le recours en grâce auprès du roi n n l l le lien le lien le lie e

membres que la décision de la peine est Louis XVIII. l i e

prise. n

lien le lien le lien n le le li lie en l e l e l e n lie l lie n ie e l n l e n l l e ie e li n l e ie l le n en li li ADLG, 4 U 180 le e l le n ie n n ie l l e le le l l n i ie ie e n le l le ien n lie e l n n l l le lien le lien le lie e

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L’affaire Jean Piraube

Le 22 octobre 1899, les gendarmes à chaque jour chez le couple Lacosse, des pied André Séronis et Jean Rapin « en voisins chez lesquels elle amenait chaque tournée ordinaire dans le secteur » (1) sont jour des affaires…du linge, de la vais- avisés par le maire de que le selle…Lacosse voulant qu’elle amène tout corps de Marie Labat, veuve Piraube vient y compris de l’argent ! » d’être retrouvé brûlé dans la cheminée de Interrogé, Jacques Lacosse, 46 ans, culti- sa cuisine en son domicile au lieu-dit « La vateur déclare « qu’effectivement, Marie lien le lien le lien Barbère ». Labat venait presque chaque jour travailler n le le li lie en Les deux gendarmes se rendent immédia- chez eux parce qu’elle ne voulait pas res- l e l e l e n li ter seule chez elle ayant très peur de son ie e tement sur les lieux et trouvent le corps li l n e e le n l « pour moitié carboné » et constatent une fils ». n li le ie e Le procureur assisté des gendarmes re- l n plaie de 10 cm de diamètre sur le haut du li le e le crâne. Le juge de paix de Bouglou (2) et vient vers Jean Piraube lequel dit que dans n en li li le e le procureur de sont immédia- la matinée du 22, il est allé chez sa mère Photographie de Jean Piraube contenue dans l le n ie n le dossier de procédure (ADLG, 4 U 116) n ie l l e tement avertis. Au regard de l’heure déjà « pour la ramener à de meilleurs senti- le le l l n i ie ie e avancée, on demande aux deux militaires ments à mon égard …/…mais, ne me sen- n le l le ien n lie e l de garder sur place le cadavre. Sans at- tant pas très bien, je me suis allongé sur n n l l le lien le lien le lie e son lit et j’y suis resté un moment puis, je l tendre l’arrivée du parquet le lendemain, i e n les deux gendarmes décident d’entendre suis sorti en fermant la porte au loquet car en ce début de matinée du 23 octobre, ma mère prend toujours sa clef quand elle Catherine Labat, épouse Boudey laquelle sort ». Il ajoute que c’est la dernière fois déclare : « hier, à l’entrée de la nuit, j’ai en- qu’il a vu sa mère de la journée. tendu crier ma sœur Marie Labat laquelle Les enquêteurs de plus en plus intrigués habite la maison attenante à la mienne. élargissent leurs investigations et inter- Elle disait ‘’Ah ! Ah !’’. Un moment après rogent Jean Badié, 67 ans, propriétaire, j’ai senti une odeur de brûlé. J’ai dit à mon lequel déclare que cette même journée du mari, il y a quelque chose qui brûle chez 22 octobre, Marie Labat est venue chez lui ma sœur. Je suis partie prévenir notre pour lui demander de l’accompagner chez voisin Monsieur Pilastre ainsi que mon elle car elle craignait que « quelqu’un s’y neveu, le fils de ma sœur …/…Pilastre et soit introduit…comme c’est déjà arrivé mon neveu sont entrés dans la maison et quelques jours avant ajoute-t-elle ». ont aperçu le corps de ma sœur allongé Incrédule, Jean Badié lui demande qui elle dans le foyer, entouré de flammes. Mon pourrait bien craindre dans le village. Hési- neveu a pris un seau d’eau et l’a jeté sur tante la vieille femme répond qu’en fait le corps …/… j’ajoute que je ne suis pas « c’est de son fils qu’elle craint l’intrusion ». entrée chez ma sœur car nous sommes Après un interrogatoire de première com- fâchées depuis plusieurs années » parution, le juge d’instruction de Mar- Le fils de la victime, Jean Piraube, 32 ans, mande, Louis Verdaulore, délivre à son cultivateur à Romestaing est immédiate- encontre un mandat de dépôt. C’est le ment entendu sur les faits et son emploi docteur Claude Couret, médecin à Mar- du temps de la veille. mande qui va pratiquer l’examen médico- le lien l e lien e lien l n l e lie légal. Il conclut que « la mort a été pro- lie n l le le e n li Il décrit une journée de travaux agricoles voquée par une fracture du crâne et une ie e li l n e e le n « jusqu’au moment où ma tante est venue calcination de la partie antérieure et supé l - n li le ie e me prévenir du malheur ». Son emploi rieure du corps ». l n li le l e du temps est confirmé par son épouse Jean Piraube passe sa première nuit dans e n en l li li e la chambre de sûreté de la gendarmerie e A iméel Faure, 23 ans. Au procureur, le n ie n n ie l entre-temps arrivé, Jean Piraube déclare car le juge veut reprendre l son audition dès e le le l l n Rapport de gendarmerie, 22 octobre 1899 (ADLG, 4 U 116)i ie le lendemain matin.ie e spontanémentn que sa mère « se rendait le l le ien n lie e l n n l l le lien le lien le lie e

l i (1) Les passages en italiques sont extraits in extenso des différentes pièces de procédure (4U 116 - Archives départementales de Lot-et-Garonne) e n (2) Il existait un juge de paix par canton, chargé des contentieux civils et des contraventions de police. Instaurée par la Constituante (lois des 16 et 24 août 1790), la justice de paix constituait une véritable justice de proximité. Elle fut supprimée en 1958 au profit des tribunaux d’instance.

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lien le lien le lien n le le li lie en l e l e l e n lie l lie n ie e l n l e n l l e ie e li n l e ie l l n n e ie l le l ie l le n ie n n ie l l e le le l l n i ie ie e n le l le ien n lie e l n n l l le lien le lien le lie e

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Extrait du plan cadastral des lieux et scène de crime, 15 novembre 1899 (ADLG, 4 U 116)

Dans la soirée, sous la garde du maréchal Dans cette lettre, il explique clairement Ce même 24 octobre, le juge Verdaulore des logis Servié, et pressé de questions que son geste s’est nourri des menaces entend sa femme Aimée Faure, épouse par le militaire, Jean Piraube finit par constantes de sa mère de le déshériter au Piraube qui confirme que le couple « craquer » et avoue le meurtre de sa profit du couple Lacosse, des propos hai- « vivait en mauvaise intelligence avec ma mère. Le gendarme consigne les décla- neux à l’encontre de son épouse qu’elle belle-mère ». Elle affirme qu’elle n’a jamais rations sur procès-verbal et le fait signer n’appelait pas autrement que par le sobri- levé la main sur elle « quoiqu’elle ait pu en par Piraube qui réitèrera ses déclarations quet de « ta charmante » et de l’échec de dire ». Elle dit aussi qu’une fois, elle a en- dans le cabinet du juge. ses différentes tentatives « de la rame- tendu son mari dire « quel malheur d’être ner à la raison ». Le refus méprisant de dépossédé par des étrangers…/… quelque Ramené sur les lieux du crime, il indique la veuve Piraube à l’invitation à déjeuner jour, je ferai un mauvais coup ! ». aux gendarmes l’endroit où il a caché ses « pour en reparler tranquillement », fût Elle raconte que ce dimanche 22 octobre vêtements tâchés de sang et la bûche de l’attitude de trop qui fit basculer son fils vers cinq heures, son mari est rentré chêne avec laquelle il a frappé sa mère. dans une rage froide. très remonté contre sa mère et le couple L’enquête de voisinage établit que Jean Le geste meurtrier est décrit par le détail : Lacosse qu’il accuse de la manipuler. « Vers Piraube jouit de l’estime publique tandis « j’ai saisi une bûche près de la cheminée six heures, il est revenu les vêtements tout que sa mère passait pour « acariâtre et et lui ai porté le premier coup sur le haut tachés de sang. Il m’a dit, ‘’je viens de tuer souvent éprise de boisson ». de la tête ». La mère titube et va s’effon- ma mère’’. Je lui ai répondu ‘’c’est un grand D’après les voisins les plus proches, la drer au pied de son lit. Puis il dit l’avoir malheur’’ ». cause de l’assassinat est à rattacher à la saisie à bras le corps pour la transporter Ces craintes de dépossession étaient-elles le lien l e lien e lien l menace de déshéritement du fils au profit dans la pièce principale. Geignant, la têten l fondées ou Jean Piraubee l ies’en était–il per- lie n l du couple Lacosse. en sang, elle trouve encore la forcele de se suadé au fil du temps et des conflitsle de plus e n l e ie li C’est effectivement ce que va confir- débattre et de le griffer au visage.li Ces en plus vifs ? n e e l n l e (3) n l l mer Jean Piraube dans un courrier de griffures intrigueront aue demeurant les C’est ce à quoi va s’attacher le juge.ie e li n l e ie confession qu’il adresse au magistrat le gendarmes lorsqu’ils l l’interrogent pour la Il sera vite au fait, quand maître Jean-l n n e 22 octobre 1899. Il reconnaît à nouveau première fois. ie Louis Chauvret, notaire à Grignols l le l ie l le n ie avoir tué sa mère : « …/… d’après tout Il précise encoren : « j’ai déposé le corps (Gironde) lui confirmera que le couple n ie l l e le le cela, j’ai tué ma mère avec le morceau dans la cheminée, le corps engagé jusqu’à Lacosse était inconnu de son étude et que l l n i ie ie e n le l del ebois en la frappant à la tête. J’en ai unie n la taille dans le feu…/…seules les jambes jamais Marie Labat ne lui avait fait part de n lie e l n n l l grand repentirle li eetn sile j’étais lien làe recommen lie - étaient à l’extérieur…/… puis j’ai jeté des son intention de faire une donation à ce der- e

l i cer, je ne le referais pas » (sic). fagots de petit bois pour raviver le feu ». nier. Il précise qu’il avait pris en pitié cette e

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(3) La lettre est datée au 22 octobre mais se termine : « à Bouglou, le 24 octobre 1899 ». Il est à peu près certain que Jean Piraube a daté le haut du courrier de la date du jour de la commission des faits. La lettre a bien été écrite le surlendemain, le mardi 24 octobre.

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femme qui était « venue me voir à plu- Elle ajoute encore que quelques jours le lien l e lien e lien l n l e lie sieurs reprises et qui disait être persécu- avant sa mère, Jean Piraube avait porté le lie n l le le e n li tée et battue par son fils et sa belle-fille ». poing à la figure de son père en hurlantie e li l n e e le n On interroge également Georges-Pierre « vieux fumier ! vieux fumier ! …/… lon n li le ie e Armand, propriétaire, âgé de 48 ans qui disait dans le village que le fils battait l le n li le e déclare que Monsieur Courge, agent d’af- père et il n’était pas rare qu’on le voit la le n en li li lfairee s’étant occupé des biens de la veuve figure tuméfiée ». e l le n ie n n ie l Piraube lui avait demandé, « la veille du Jean Piraube est renvoyé l devant la cour e le le l l n i meurtre, id’intervenire auprès de celle-ci d’assises dei eLot-et-Garonne présidée e n le l le ien n pour aplanir les angleslie entre elle et son cettee l fois par le conseiller Bétille sous le n n l l le lien le lien le lie e

fils » au sujet notamment de la plainte chef d’accusation « d’homicide volontaire l i e

qu’elle avait déposée auprès du juge d’ar- sur la personne de sa mère légitime », n rondissement concernant la rente conve- crime puni par les articles 299 et 302 du nue avec son fils sur la vente des produits code pénal. Le procès s’ouvre le 9 dé- du domaine. cembre 1899. Étonnamment, la presse locale et régionale S’estimant lésée, elle avait porté l’affaire ne témoigne que peu d’intérêt pour ce pro- en justice laquelle avait condamné le fils cès sans doute trop lisse pour en faire de à payer un arriéré de rente de 150 francs. ‘’bonnes feuilles’’. Le « Journal du Lot-et- Acte d’accusation contre Jean Piraube, s.d. (ADLG, 4 U 116) C’est ce que confirmeJ ean Couyot, 84 ans, propriétaire qui stipule au juge que le soir du rendu du jugement, la veuve Piraube était venue le voir pour essayer « d’arranger les choses …/…elle sem- blait disposée à renoncer à la somme ». Mais le fils ne veut rien entendre et se dit résolu à faire appel de la condamnation. Ce témoin, qui fût aussi l’instituteur du village, dit qu’il a eu comme élève Jean Piraube dont il garde le souvenir « d’un enfant violent et sournois ».

Et comme pour contrebalancer ce portrait peu flatteur, il ajoute : « la mère a aussi un caractère difficile ». Ce que ne contre- dira pas Marie Artiguebère, épouse Bodin, 57 ans qui déclare au juge : « un jour du printemps 1898, le fils Piraube est venu me trouver dans ma vigne et me dit : lien le lien le lien « je suis bien fâché, j’arrive de Grignols(4) n le le li lie en et j’ai appris que ma mère voulait don- l e le e l n lie (5) (6) l lie n ner la propriété à Louis Garbaix …/… ie e l n l e n l je suis bien malheureux, samedi, j’irai à l e ie e li n l e Marmande acheter un revolver. Je tuerai ie l le n n ma mère puis je me tuerai ensuite …/… ie l le l ie l le n vous qui connaissez ma mère allez lui ie n n ie l l e raconter ce que je viens de vous dire ». le le l l n i ie ie e n le l le ien n Bulletin de statistique morale de Jean Piraube, [1900] (ADCM, 2 Y 1/248) lie e l n n l l le lien le lien le lie e l i e n

(4) C’est à Grignols que se trouve l’étude de maître Chauvret, notaire de Marie Labat, veuve Piraube. (5) Marie Labat tenait la propriété de son père qu’elle avait reçue en héritage. (6) Cet autre « bénéficiaire » jamais cité dans la procédure tendrait à montrer que Jean Piraube voyait des captateurs d’héritage partout…sans doute une espèce de monomanie devenue obsessionnelle ?

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Garonne » dans son édition du 13 dé- en Guyane. On retrouve dans son dossier la maison. Il ajoute : « mon avocat n’ayant cembre 1899 y consacre quatre lignes judiciaire un courrier de sa main daté du pas fait mention de cela durant l’instruction pour simplement dire que l’avocat général 25 avril 1900 adressé au procureur géné- et le procès, je pense qu’il y a là un vice de Eyquem a prononcé un « habile réquisi- ral de la cour d’appel d’Agen pour réitérer procédure ». toire » tandis que le défenseur de Jean (cela suppose qu’il avait déjà formulé une La cour de cassation rejette le pourvoi Piraube, maître Nicolaï, « a fait une plai- requête en ce sens) sa demande de révi- considérant « que la procédure a été régu- doirie « qui a produit une vive impression sion de son procès au motif que le témoin lière et la peine légalement prononcée ». sur les jurés ». Jacques Lacosse avait déclaré que Marie Elle condamne Jean Piraube aux dépens. Jean Piraube est condamné à quinze an- Labat, veuve Piraube lui avait demandé de Il faudrait consulter les dossiers des ‘’ba- nées de réclusion criminelle compte tenu l’héberger parce qu’un intrus tentait d’en- gnards’’ aux Archives nationales d’Outre- des circonstances atténuantes qui lui sont trer chez elle (son fils évidemment) pour Mer (ANOM) pour, possiblement, connaître accordées. la voler. Jean Piraube suggère, assez mal- le devenir de Jean Piraube, fils besogneux habilement, que sa mère fermant toujours qui n’entendait pas qu’une mère atrabilaire Il est transféré au mois de février (à une sa porte à double tour, il était alors assez le dépossédât de son héritage. date inconnue) au dépôt des forçats de facile pour Lacosse de s’emparer des Saint-Martin-de-Ré pour être transporté clefs pour aller subtiliser des effets dans

lien le lien le lien n le le li lie en l e l e l e n lie l lie n ie e l n l e n l l e ie e li n l e ie l l n n e ie l le l ie l le n ie n n ie l l e le le l l n i ie ie e n le l le ien n lie e l n n l l le lien le lien le lie e

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Échanges entre le procureur d’Agen et le directeur du dépôt de Saint-Martin-de-Ré, 19 et 25 avril 1900 (ADCM, 2 Y 1/248)

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L’affaire de Monbahus

Qui ne se souvient pas du film du réalisa- gé avec son frère Martineau, sa propre teur italien Ettore Scola « Affreux, sales femme enceinte contre un… fusil de et méchants » (1976) ? Si aucune informa- chasse, une truie et deux sacs de pommes tion ne nous indique que le second quali- de terre ! ficatif leur soit imputable, les deux autres De nombreuses fois condamné, faible- leur vont bien et l’on pourrait même ajou- ment il est vrai, pour violences volon- ter « et stupides ». taires, il a eu la chance de voir son casier Guillaume et Martineau Brugère, Oswald judiciaire retrouver sa virginité grâce à la dit Ozelis Flouret, Marie Marcy, Elisabeth loi d’amnistie que votent les députés en Taillardat, Isabeau Pourcharesse vont se octobre 1919. rendre coupables d’un crime abject sur Aujourd’hui, il partage la vie de la femme les personnes d’un couple de paysans Taillardat que l’enquête à venir décrira laborieux, Jean Mautor qui, avec son comme « sotte ». Elle passe pour avoir épouse, tente de faire rendre le meil- des mœurs dissolues et multiplie les leur à ses terres du canton de , aventures galantes. Sa fiche anthropo- au point certainement, pense la petite métrique nous la décrit ainsi : 1m51, les troupe, d’avoir amassé un joli magot. yeux concentriques, le nez busqué qui Pour le malheur du couple Mautor, non tombe vers le bas, une cicatrice orbitale loin de leur ferme, se tient celle de celui et une verrue sur l’aile gauche du nez. Elle qu’on appelle dans le pays d’un sobriquet est née à en 1877, elle a donc 44

qui ne lui correspond guère…le Plaisant ! ans et est mère de quatre enfants. Elle a Procès-verbal d’audition de témoin du tribunal de première Son nom à l’état civil est Guillaume Bru- dix ans de moins quand elle entre comme instance de Villeneuve-sur-Lot, 5 avril 1921 (ADLG, 4 U 217) gère. domestique au service de Guillaume Bru- L’enquête préliminaire réalisée par les gère qui a quand même le « bon cœur » de gendarmes de Cancon tout comme les l’accueillir avec ses quatre enfants… On la chichement d’un petit élevage de volailles actes d’instruction nous le présentent décrit comme « ayant du tempérament ». et quand les fins de mois sont trop difficiles, comme un être fruste. Il ne se trouvera Guillaume Brugère ne semble du reste elle n’hésite pas à envoyer ses garçons n le lien le pas grand monde dans le village pour en pas regardant et elle non plus quant aux e lie lien l chapardern l çà et là dans les fermese letie les lie n l dire autre chose que du mal…. « escroc », frasques auxquelles se livre le couple qui grangesle des environs. le e n l e ie li « querelleur », « malfaisant ». se pérennise sur ce contrat marital ! li Tout ce petit monde se ressemble assez et n e e l n l e n l l Dans le pays de Cancon, il fait peur le Passons au frère maintenant qui a eaussi il fallait bien que le destin les unisse pour le ie e li n l Plaisant car ce n’est pas l’honnêteté qui e ie un joli prénom, il se nomme M l artineau meilleur et surtout …pour le pire ! l n n e semble l’étouffer. que l’on pourrait traduire iepar « petit Voilà donc les acteurs de cette tragédie bien l le l ie l le n Trèsie hâbleur et vantard, assez bagarreur Martin », mais tout le monden l’appelle Joa- en place. n ie l l e le le et souvent voleur, il plaît néanmoins aux chim ; sans doute préfère-t-il ce prénom- Que se passe-t-il donc dans la nuit du 14 au l l n i ie ie e n le l femmes… à telle point qu’il ne sait plus à là, uni epeun moins… agricole. Il est décrit 15 juillet 1921 au lieu-dit « Verrières » près n lie e l n n l l laquelle se donner. le lien le lien le lie comme timide, à la limite de l’intelligence de Montagnac ? e

l i Pourtant la seule (mauvaise) photographie commune mais pas vindicatif comme son C’est la veille plus précisément, le 13 juillet, e que l’on ait de lui, prise furtivement dans frère. Malgré ses efforts, il n’a jamais réus- que tout va réellement commencer. n l’enceinte de la cour d’assises par un pho- si à trouver femme. Mais depuis le troc Guillaume Brugère, toujours à court d’argent tographe du journal « La Dépêche », ne avec sa belle-sœur, il vit avec Marie Marcy. bien que possédant de la terre, a une hypo- nous montre pas un adonis. Petit (1m65), Il a conclu cette affaire d’échange sans thèque de 2 000 francs à régler rapidement. noir de poil, portant le plus souvent barbe que cela lui pose question. Marie Marcy Que faire ? Il va voir Jean Mautor, un voisin et moustache, les traits épais et burinés ne semble pas s’en être posé non plus. qui possède une modeste ferme non loin du paysan … car il travaille le Plaisant, Elle a 44 ans elle aussi et est mère de trois de la sienne pour lui demander de lui faire et durement, les terres dont il est pro- enfants. un prêt. On peut supposer que connaissant priétaire et d’autres encore qu’il loue. Quant à la veuve Flouret, Isabeau son homme et sa réputation, Jean Mautor Guillaume Brugère ne rebute pas cinq ou Pourcharesse à l’état civil, elle habite une refuse. Et voilà les premières invectives qui six femmes du canton dont il a fait ses maison assez délabrée avec ses deux fils, fusent : maitresses « officielles » et dont il aurait Oswald dit Ozelis et Pierre-Eloi, un ado- « Fais attention ! tu sais que je suis devin eu, murmure-t-on dans le village, dix-sept lescent présenté dans différents actes de et je te prédis qu’il pourrait t’arriver malheur enfants ! (*) procédure comme « faible d’esprit ». On avant peu ». Et puis, il est arrangeant le Plaisant ! verra plus tard que c’est néanmoins par lui Voilà une menace exprimée sans détour et N’a-t-il pas, il y a quelques années, échan- que l’affaire va s’accélérer. Veuve, elle vit sans grande retenue.

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Le soir même, la décision est prise... le plus efficace sera de mettre le feu à la main, le vieil homme, qui n’a pas de raison prendre l’argent des époux Mautor qu’il maison le coup fait. particulière de se méfier de son voisin, des- sait caché sur la poutre de la cuisine dans À ces fins, il a fait acheter la veille, un bi- cend et ouvre…les jambes nues, en che- une boîte en fer-blanc qu’il a lui-même don de cinq litres de pétrole. Cette tâche mise de nuit ! donnée au couple il y a quelques mois. Il est confiée à Elisabeth Taillardat selon ses Sans plus de mots, Guillaume Brugère suppose que la boîte doit être maintenant déclarations, ce que niera farouchement lui assène sur le haut du crâne un violent bien remplie car le couple septuagénaire sa concubine. A l’heure convenue, toute coup de barre de fer. En sang, titubant mais est bien connu dans le coin pour sa fru- la troupe se retrouve au carrefour des encore solide malgré ses 73 ans, il tente galité. « J’en ai parlé à Ozelis, dit-il à sa deux routes. Ne renonçant pas, Pierre- de se défendre. C’est alors que Martineau concubine « la Taillardat », et il est d’ac- Eloi suit le groupe à bonne distance, dissi- qui était resté en retrait, se rue sur lui et cord pour m’aider ». mulé par la nuit. Mieux, il coupe à travers l’étrangle jusqu’à ce que le vieil homme « J’ai vu aussi mon frère, Martineau les champs qu’il connaît comme sa poche tombe, pour ne plus se relever cette fois. qui sera là avec Marie. Je leur ai donné et arrive le premier à la ferme des Mautor. Quand les deux frères se penchent sur lui, rendez-vous à 10 heures au carrefour Là, il se cache dans les taillis et attend. ses cheveux blancs sont tout poisseux du des routes de Montagnac et de Tombe- Un quart d’heure après, le reste de la pe- sang qui coule de son horrible blessure. boeuf ». Le soir-même, tous se retrouvent tite troupe arrive. Tout ce remue-ménage a fini par réveiller la chez Guillaume Brugère, très excités. Pour On a tout prévu, même un morceau de femme Mautor (2) qui se lève et qui, du haut se donner du cœur à l’ouvrage, la petite viande pour amadouer le chien de la mai- de l’escalier, voit son époux au sol, inanimé. troupe avale un poulet cuit dans du rhum son qui fera sans nul doute son travail en Elle s’écrie « Au secours ! à l’assassin ! » agrémenté de quelques litres de vin. (1) aboyant. A ce même moment, Ozelis Flouret et Aux alentours de 22 heures, tout le Elisabeth Taillardat se ruent tous deux On a intimé l’ordre à Pierre-Eloi de rester monde est positionné. Seul Guillaume sur la vieille femme, la repoussent vers la là… on ne veut pas de lui ! Brugère s’avance à découvert et cogne chambre. Ozelis Flouret l’étrangle de ses Le gamin insiste tellement que Guillaume fortement dans la porte. deux mains tandis que saisissant un oreil- Brugère est obligé de le menacer avec Les Mautor sont déjà couchés. Guillaume ler, la Taillardat tente de l’étouffer. La vieille son fusil. Brugère redouble ses coups et crie « Eh ! femme tombe inanimée. Le Plaisant a tout prévu…pour ne laisser Mautor, c’est moi Le Plaisant, ouvre vite Le travail va enfin pouvoir commencer : aucune trace de leur passage, le mieux et c’est urgent ! Une lampe à pétrole à la d’abord la boîte en métal qui n’est pas dif-

Croquis des lieux du crime, 16 juillet 1920 (ADLG, 4 U 217)

(1) Tous ces détails sont extraits des déclarations, relevés dans les différents procès-verbaux de l’instruction (cote ?). (2) On ne se formalisera pas de cette familiarité mais aucune des pièces du dossier ne mentionne son prénom.

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ficile à trouver car Guillaume Brugère sa- vait parfaitement où ses voisins l’avaient cachée… tout simplement posée sur la poutre médiane de la cuisine. Puis, on s’affaire dans les placards, commodes et coffres. Tout est sorti et regroupé en tas dont ADLG, 4 U 217 chacun fera un ballot à ramener chez lui : linge de maison, vêtements, chaussures, maison d’aller chercher des fagots dans la On interpelle tout d’abord Guillaume passementerie, bibelots. On ne sera pas grange. Le gamin s’exécute prestement. Brugère et sa concubine Elisabeth Taillardat venu pour rien même si on est un peu puis Martineau Brugère et sa concubine déçu de ne pas avoir trouvé un magot On arrose le tout du pétrole amené, on Marie Marcy épouse Guillaume Brugère. plus…. épais ! La déception ne coupe craque une allumette et la pauvre maison Les deux frères se récrient… Ils ne sont du reste pas l’appétit de la bande qui des Mautor s’embrase rapidement. On absolument pour rien dans cette affaire. s’attable autour d’un reste de crêpes, de termine le bidon en incendiant également Perquisitionnant les fermes respectives, les quelques cochonnailles trouvées dans le la grange où se trouvent deux vaches et enquêteurs retrouvent au domicile de Guil- garde-manger. On dégotte du vin et de la une génisse. Les pauvres bêtes finiront laume, à peine dissimulés, des vêtements gnôle au cellier. On rigole, on s’esclaffe, comme leurs propriétaires…carbonisées ! aux initiales brodées du nom de jeune fille de pas assez fort en tous cas pour masquer A la lecture des procès-verbaux d’audition Madame Mautor, son trousseau de mariage. les râles de Madame Mautor qui gémit. dans le cabinet du juge, on peut voir que On retrouve également des billets de cent Ne croyant pas aux fantômes, la troupe ce « détail » contribuera fortement au francs pliés en quatre dans un portefeuille. doit se rendre à l’évidence : la « vieille » ressentiment des habitants du canton à Les deux frères Brugère ont beau affirmer n’est pas morte ! C’est la Taillardat qui l’égard des assassins. qu’il s’agit là de leurs économies, honnête- cette fois se saisit d’une hache à manche De grandes flammes s’élèvent rapide- ment gagnées, les inspecteurs n’en croient court, se précipite à l’étage et va termi- ment dans le ciel clair de juillet et attirent rien. Gardés à vue dans les locaux de la ner l’horrible besogne. Elle rejoint ses l’attention d’un groupe de garçons qui re- gendarmerie, les deux hommes ne baissent complices et, satisfaite, revient terminer viennent d’un bal. Ils donnent vite l’alerte pas la garde. Non et non ! Ils n’ont rien à ces ripailles sanglantes selon l’expression et les gendarmes de la brigade de Cancon voir avec cette sordide affaire et il n’y a que utilisée par le chroniqueur judiciaire de La se portent rapidement sur les lieux. de méchantes personnes voire des envieux Petite Gironde. Avec des voisins eux aussi accourus, on pour sous-entendre de pareilles choses. Mais l’heure avance et il faut songer à par- extirpe des cendres les deux cadavres des tir mais avant, il reste le plus important… époux Mautor. Au reste, pourquoi Guillaume en aurait-il le partage du contenu de la boîte en fer Le feu n’a pas complètement altéré les voulu au vieux Mautor, son plus proche voi- qui contient… à peu près 4 500 francs corps et les blessures sont encore appa- sin ? dont on fait trois parts, billets de 100 rentes. « pour les voler ? » suggère les enquêteurs. francs, pièces d’or et d’argent mélangés, Plus de doute donc, il s’agit bien là d’un « bah ! allons donc ! je ne pense pas qu’ils ce qui fait que chacun des deux couples double crime. Dans la matinée du 15 juil- aient été beaucoup plus riches que moi ! » plus la veuve Flouret et son fils Oze- let, le procureur de la République du tri- rétorque Guillaume Brugère pensant tenir là lis, perçoivent chacun 1 500 francs. On bunal de Villeneuve-sur-Lot est sur place un argument décisif ! donne deux billets de 20 francs à Pierre- et procède avec les gendarmes aux pre- Mais Elisabeth Taillardat n’est pas du même Eloi pour prix de son silence… Guillaume mières investigations et à l’interrogatoire bois, elle « s’allonge » comme on dit dans le Brugère le menaçant au passage : « si tu des plus proches voisins. jargon de police et décrit tout par le menu : parles, je te tue ! » Le juge d’instruction est saisi, lequel, la préparation de l’équipée, l’assassinat des Mais nul ne pense à cela, tout à sa satis- face à la monstruosité du crime, désigne Mautor, le vol puis l’incendie de la maison. faction d’un coup… rapide et qui s’est la brigade mobile (3) de Bordeaux aux fins Au passage, elle donne les noms de tout le finalement bien passé. d’enquête. La rumeur qui court dans le monde. Il reste cependant une dernière tâche à pays sur la mauvaise réputation des frères Sa relation des faits sera vite corroborée par accomplir : effacer toute trace de leur pas- Brugère et de leurs compagnes respec- celle du jeune Pierre-Eloi dont le récit va se sage. On demande à Pierre- Eloi qui est tives va vite amener les inspecteurs sur juxtaposer au sien. Ozelis Flouret et sa mère resté depuis le début à l’extérieur de la leurs traces. sont évidemment mis en cause. Mais cette

(3) Ceux qu’on appelle les mobilards sont déjà célèbres sous le nom de brigades du Tigre. Car c’est Georges Clemenceau alors ministre de l’Inté- rieur qui va créer ces brigades régionales de police mobile en 1907.

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dernière va nier farouchement toute parti- pas avoir d’enfants…mettez-vous à ma faire. Les noms d’oiseaux fusent de part et le lien le cipation malgré les mises en cause de ses place monsieur le président ! d’autre des box et il faut que le président se e lien lien l n l e lie lie n deux fils qu’elle n’hésitera pas à traiter de Un énorme éclat de rire secoue la salle et fâche pour faire cesser l’algarade. l le le e n li ie e « menteurs » à plusieurs reprises dans le le président a du mal à imposer le calme. Au sujet de sa mère, il confirme sa pré- li l n e e le n l cabinet du juge d’instruction. « vous vous vantez d’avoir 17 enfants sence comme son frère Pierre-Eloi l’avait n li le ie e l n Cette fois, les suspects vont avoir du mal et… » déjà fait, ce qui déclenche aussitôt la colère li le l e n e à trouver la parade ! Tous sont écroués à de la veuve Flouret. n e Guillaume Brugère ne laisse pas le temps l li li e e e la prison (4) de Villeneuve-sur-Lot. « Ah ! non ! explose le président, ça ne l l n au président de finir sa phrase ie n n ie l l e Après cinq mois d’instruction, toute « sûrement ! s’esclaffe-t-il mais pas avec va pas recommencer, taisez-vous mainte- le le l l n i ie ie e la bande est renvoyée devant la cour la même ! » nant ! » n le l le ien n lie e l n n l l d’assises de Lot-et-Garonne. Le procès La salle s’en donne à cœur joie ! le pré- Isabeau Pourcharesse, veuve Flouret se le le lien le lien le lie e

l s’ouvre le samedi 26 novembre 1921. La sident Casteix commence à s’agacer et, tient pour dit et se tasse dans son box. i e foule est nombreuse et pressante quand mesurant que, s’il n’y met pas bon ordre, Puis s’adressant de nouveau à Ozelis Flouret : n on la fait sortir de la maison d’arrêt d’Agen. c’est lui, Brugère l’aîné, qui va faire le « vous n’étiez pas l’amant d’Elisabeth Taillar- Sans surprise, on y trouve les deux frères spectacle à l’audience, il change donc de dat ? » se hasarde-t-il Brugère et leurs concubines respectives stratégie et prend en tenailles la pauvre « je n’ai été l’amant de celle-là pas plus que Elisabeth Taillardat et Marie Marcy aux- défense des deux frères. Elle est au reste des autres » rétorque Flouret quels s’ajoutent Isabeau Pourcharesse on ne peut plus simple : ils nient, ils nient « je n’en pince pas pour les femmes » croit- veuve Flouret et son fils Ozelis. tout et systématiquement. Guillaume il utile d’ajouter sans y voir plus de malice, Le jeune âge, l’état mental et une parti- Brugère le fait avec un aplomb qui agace. provoquant de nouveau les ricanements de cipation passive aux événements permet- Mis face à ses contradictions, de ses men- la salle tandis que Guillaume Brugère est tront au jeune Pierre-Eloi d’échapper aux songes, il nie, objectant invariablement carrément hilare. poursuites judiciaires. dans une espèce d’écholalie désolante : L’audition des femmes est pénible. Quand les accusés font leur entrée dans « c’est pas moi » ou « j’en sais rien » ou Elisabeth Taillardat reconnaît, sans émo- la salle d’audience, tout le public est encore « c’est pas vrai » et s’agace parfois tion particulière, l’arme avec laquelle elle a debout. On se hisse sur la pointe des face aux dépositions des témoins à charge achevé Madame Mautor et que les jurés se pieds pour voir le visage des « monstres « c’est tous des menteurs ». passent de main en main, un gourdin em- de Monbahus » puisque c’est ainsi que la Martineau, bien que considéré comme manché d’une douille de pioche. Elle refait presse régionale les nomme. limité intellectuellement, est plus subtil pour la cour le récit du massacre. dans sa défense : « pourquoi a-t-on atten- Isabeau Pourcharesse, visage ridé et les La description que fait le chroniqueur du plusieurs mois avant de venir m’arrêter traits tirés, écoute sans broncher le pré- du journal La Dépêche des « monstres si on avait des preuves contre moi ? …/… sident égrener ses précédentes condamna- de Monbahus » n’est pas flatteuse ; ils je suis innocent …/…je n’ai pas menti et je tions pour vols et redire la piètre qualité de semblent cumuler les tares physiques me défendrai jusqu’au bout ». ses mœurs. décrites par le célèbre criminologue ita- Puis c’est au tour d’Ozelis Flouret. Comme Elle ne peut plus nier comme au début de lien Cesare Lombroso dans son ouvrage les frères Brugère, il a commencé par l’enquête sa présence mais elle veut mini- « L’Homme criminel ». nier… totalement, intégralement. Mais les miser sa participation. Elle n’a fait que pro- Guillaume Brugère avait-il ce profil-là ? « Il enquêteurs ont bien vite compris qu’il était fiter du vol chez les Mautor, non, elle n’a faut bien reconnaître…/… reprend le le « maillon faible » du trio masculin. Les tué personne « j’en serai bien incapable » président, que votre jeunesse ne plaide mobilards, vrais professionnels de police juge-t-elle opportun d’ajouter. guère en votre faveur…/… Depuis votre criminelle, l’ont « travaillé » subtilement. Puis vient le tour de Marie Marcy, épouse enfance et nombre témoignages en font Il finit par tout avouer. Il réitère devant la de Guillaume Brugère et concubine de Mar- état, vous êtes considéré comme un cour ses aveux : les préparatifs chez Guil- tineau. menteur, un voleur. Devenu adulte, vos laume, l’expédition, le double assassinat, Non, elle n’a pas été troquée contre une prétendus dons de devin vous amènent à l’incendie de la maison…Il donne force truie, un fusil et des pommes de terre escroquer de pauvres gens naïfs. Quant détails, pensant sans doute que cette col- comme cela a été dit par des « malhonnêtes à vos mœurs…parlons-en ! Vous cumu- laboration va l’absoudre de son crime. gens du pays ». Mais les choses avaient lez les aventures, les maîtresses…/…. À entendre son complice le charger de été convenues comme cela entre les deux Ben oui ! coupe le Plaisant, dame ! elles tout, Guillaume Brugère explose et insulte frères. Dans la salle, on se contente de sou- venaient me voir quand elles ne pouvaient grossièrement Ozelis qui ne se laisse pas rire.

(4) La prison de Villeneuve-sur-Lot fermera en 1930 pour laisser la place au nouveau théâtre municipal.

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L’audition des accusés étant terminée, le lien le le président lève cette première journée e lien lien l n l e lie lie n l l’audience à 19H45. le le e n li ie e li l n e e le n l Elle reprend le lendemain dimanche 27 n li le ie e (5) l n l novembre . e ie l l n n e La journée est consacrée à l’audition des ie l le l ie l le n témoins.ie Voisins et connaissances des n n ie l l e frères leBrugère en dressent un tableau le l l n i ie ie e peu reluisant,n surtout de l’aîné Guillaume le l le ien n lie e l n n l l qui un jour ou l’autre lesle a ltousien «le filoutés lien l e» lie e

l pour reprendre le mot de l’un d’entre eux. i e Les propos sont plus nuancés concernant n Martineau dont on reconnaît qu’il est « tra- vailleur ». Il est à noter que l’on n’a retrou- vé chez lui aucun objet en provenance du vol. A-t-il été plus malin ou simplement, interpellé de nombreuses semaines après les autres, a-t-il eu simplement le temps de tout faire disparaître ? Ce qui ne fut pas le cas des Flouret mère Transcription de l’ardoise (ADLG, 4 U 217) et fils chez lesquels on retrouva du linge et des objets que deux sœurs de ma- dame Mautor identifieront sans hésiter. valant l’autre et que les deux ne valent Il veut bien prendre sa part Ozelis, mais rien ». pas plus. Quand ils sont montés dans « Pour eux, il nous faut un verdict sans pitié la chambre après avoir entendu gémir avec refus des circonstances atténuantes Madame Mautor, il confirme que c’est »(6). Chacun comprend dans la salle et chez Elisabeth Taillardat et elle seule qui lui a les défenseurs que le refus des circons- porté le coup fatal, que c’est Guillaume tances atténuantes vaut condamnation à qui a tué l’époux et que ce sont les deux mort pour les deux frères. frères qui ont monté le coup. « L’idée vient d’eux pas de moi » dira-t-il encore « Quant à Flouret, poursuit-il, c’est un dans un ultime effort de disculpation. dégénéré, fils d’alcoolique et d’une mère Il est 12H15 quand l’avocat général Julien amorale. Il a eu un geste inutilement commence à plaider pour soutenir l’accu- cruel.../…il mérite la vie sauve par les sation. aveux et les regrets exprimés ». « Voleurs, assassins, incendiaires », ils « Quant à la femme Taillardat qui a donné méritent déjà trois fois la mort lance-t-il en le coup de grâce à Madame Mautor, elle a préambule donnant ainsi la tonalité de son subi l’influence de son amant. Elle a avoué réquisitoire et fait redouter la nature des et a eu elle aussi, un geste de regret ». châtiments réclamés. Et puis, conclura-t-il avec une miso- « À grand crime commis dans des cir- gynie tranquille et assumée à cette constances d’atrocités exceptionnelles, il époque…, « c’est une femme ! » faut des mesures exceptionnelles […/…] Il demande aussi le bénéfice des circons- Bout d’ardoise gravée par Guillaume Brugère dans ce lot d’accusés, deux personnages tances atténuantes pour la veuve Flouret détenu à la maison d’arrêt d’Agen. Ce texte sibyllin émergent, reprend-t-il, les désignant du et Marie Marcy « peu intéressantes, aux fut décrypté par le commissaire de police de la doigt pour en forcer l’effet, ce sont les antipodes des vertus et des qualités qu’on ville. L’ardoise a été versée au dossier judiciaire frères Brugère dont on nous dit que l’un attend chez une femme » dans lequel elle se trouve encore. (ADLG, 4 U 217)

(5) à cette époque, on n’interrompait pas une audience d’assises pour cause de dimanche ou de jour férié. (6) Pour rappel, la loi du 28 avril 1832 réformant le Code pénal et le Code d’instruction criminelle étend le domaine d’application des circonstances atténuantes à l’ensemble des crimes, rompant ainsi avec l’habitude prise par les jurés d’acquitter plutôt que de prononcer une peine trop lourde.

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Fauvel accuse brutalement Martineau aisée car Elisabeth Taillardat a tué mais il d’avoir, lui, eu le geste fatal en étranglant insiste sur l’influence pernicieuse de son de ses mains le pauvre Mautor « car qui amant Guillaume Brugère; « On nous l’a nous dit que le coup porté à la tête par présentée comme une voleuse, une mal- Guillaume Brugère était mortel ? » honnête femme, mais elle n’a jamais été Dissimulant son trouble, maître Fauvel condamnée pour ces faits…/… quant à ses contre-attaque en s’étonnant qu’on ait mœurs, nous ne sommes pas ici pour les attendu près de dix mois pour inculper son apprécier ». client, que les éléments de preuve sont C’est maître Amblard qui prend le der- minces et ne reposent que sur les décla- nier la parole pour sa cliente Isabeau rations contradictoires des membres de la Pourcharesse, la veuve Flouret comme cha- bande. Puis, il abat ce qu’il croit être son cun la désigne. Elle n’est pas poursuivie joker en faisant citer le commissaire Lam- pour assassinat elle, mais pour vol, incendie bert de la brigade mobile de Bordeaux. livolontaireen le lie etn ldestructione lien de preuves. L’avo- n le le li Celui-ci déclare qu’auditionnant pour lie la cat insiste sur le fait que l’accusationen repose l e l e l e seconde fois Elisabeth Taillardat,n cette der- sur les déclarations de son fils li Peierre-Eloi l lie n ie nière s’est exclamée « Martineaue n’était « un imbécile que guette la folie », lMaître n l e n l l pas avec nous durant lae nuit du 14 au 15 ie e li Amblard demande l’acquittement de san l e ie l l n juillet » « Propos que,n malheureusement, cliente sur les deux chefs d’accusation. En-e ie l le elle rétractera ldevant le juge d’instruc- fin et pour en terminer avec les plaidoiries, ie l le n ie n n tion » lui objecteie alors le président Casteix. c’est au tour de maître Lindon de plaider l l e le le l li Ete iln y a aussi les déclarations de Pierre- Eloi pour sa cliente Marie Marcy. Il s’en prend i en li e le n le ien Flouret que l’avocat gratifie au passage de de suite violemment à Ozelis Flouret « le lie e l n n l l le lien le lien le lie e minus habens « qui a d’abord déclaré que repentant », comme il l’appelle avec un cer- l i ie e le l n le Martineau Brugère n’était pas présent ce tain dédain. « Il semble avoir passé un pacte e lien lien l n n l e lie lie n soir-là pour revenir après sur ses déclara- judiciaire avec l’accusation qui lui sait gré de l le le e n li Questions posées au jury, 30 novembre 1921 (ADLG, 4 U 217) ie e tions…avec l’aimable insistance des poli- ses révélations en demandant pour lui des li l n e e le n l ciers » instille perfidement le jeune avocat. circonstances atténuantes afin de sauver sa n li « Les coupables absolus sont les deux le ie e l n Maitre de Lacvivier pour Ozelis Flouret tête ». li le frères Brugère vis-à-vis desquels, je vous e le n en met en exergue la faiblesse d’esprit de Adepte avant l’heure de la stratégie « dite li li demande, messieurs les jurés, de ne pas le e l le n son client et l’amoralité totale de ses pa- de rupture », maître Lindon va réclamer la ie n n ie l faiblir dans la juste condamnation au châ- l e rents. « Il a reconnu les faits, quel intérêt tête de ceux qui ont avoué et demander le le l l n i timent suprême que vous allez pronon- ie lie e aurait-il à accuser les frères Brugère ?.../… l’acquittement de ceux qui nient même si n le le ien n cer ». lie e l n n l l Flouret n’a été qu’un agent d’exécution et les charges semblent probantes. Curieuse le lien le lien le lie e Bien que leurs têtes soient déjà presque l i il serait paradoxal que le seul qui avoue façon dira-t-on de sauver la tête de son e

tombées, la terrible réquisition de l’avo- n soit le seul condamné » martèle l’avocat client en précipitant dans la sciure celles cat général ne fait guère réagir les deux agenais. Maître Ducasse a la tâche moins des autres. Le public ne s’y trompe du reste frères qui demeurent inexpressifs selon le mot du chroniqueur de La Dépêche. Puis c’est au tour des avocats de plaider pour chacun de leurs clients respectifs. Leur tâche va être exceptionnellement difficile. Ils plaident avec conviction, l’in- conscience, l’irresponsabilité, l’amoralité d’un milieu qui s’est auto motivé pour commettre cet acte odieux que seuls, ils n’auraient pas été capables de com- mettre. Et puis les élèments tangibles de la culpabilité de ceux qui ne recon- naissent rien ne sont pas probantes. Seules les dénonciations de leurs com- plices les accablent. L’un d’eux, maître

Extrait de La Petite Gironde, décembre 1921 (205JX79)

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pas en manifestant sa réprobation d’un cient toutes deux des circonstances atté- nés à mort auront « la tête tranchée ». coup aussi déloyal. nuantes, ce qui est assez inespéré pour Le 26 janvier 1922, la chambre criminelle C’est sur cette paradoxale et ultime plai- Isabeau Pourcharesse, veuve Flouret qui de la cour de cassation rejette les pourvois doirie que le président Casteix clôt les affichait déjà des condamnations anté- formés par les avocats des trois condamnés débats et demande rituellement aux accu- rieures pour vols. à mort. sés s’ils ont une ultime déclaration à faire. A 17H15, la cour fait à son tour son entrée Deux mois après, jour pour jour, le président Sait-on jamais ? et, compte tenu des réponses apportées Alexandre Millerand leur accorde sa grâce Mais pour le sextet de Monbahus, rien par les jurés, prononce les condamna- leur évitant d’aller côtoyer « la veuve » d’extraordinaire ne viendra troubler cette tions : comme l’on désignait alors la guillotine. fin de procès : ceux qui ont reconnu les Guillaume Brugère, Ozelis Flouret et Leur peine est commuée en travaux forcés faits se taisent en baissant la tête, ceux Elisabeth Taillardat sont condamnés à à perpétuité. qui protestent de leur innocence le font mort. Guillaume Brugère et Ozelis Flouret avec la dernière énergie. Martineau Brugère est condamné aux attendent au dépôt des forçats de Saint- travaux forcés à perpétuité et Isabeau lien le lien le lien Martin-de-Ré leur embarquement à bord du n le le li lie en Le président donne donc lecture aux jurés Pourcharesse et Marie Marcy à 20 ans de nouveau bateau-cage qu’est le Martinière, l e l e l e n lie des questions auxquelles ils ont mainte- travaux forcés. qui deux fois dans l’année transfère au l lie n ie e l nant à répondre. Il est 15H00 quand ce- Pendant la lecture des prononcés de bagne de Guyane les condamnés. n l e n l l e ie peine, aucun des accusés ne manifeste e li n lui-ci se retire. On imagine aisément l’at- Quant à la Taillardat, les lourdes portes de l e ie l le une quelconque émotion, un trouble… n n tente angoissante des frères Brugère et la centrale de Montpellier vont se refermer ie l le l ie d’Ozelis Flouret pour lesquels la peine ils sont comme pétrifiés. Seul, Guillaume sur elle. Elle y mourra quelque vingt années l le n ie n n ie l de mort a été requise. Une heure s’est Brugère secoue la tête dans un signe de plus tard. l e le le l li en i déjà écoulée et un silence sépulcral pèse dénégation semblant vouloir dire : « ce Dans une tradition aujourd’hui disparue, les en li e le n le ien toujours sur ces lieux hiératiques. Il est n’est pas possible ! ». colporteurs qui vendaient des chansons à lie e l n n l l le lien le lien le lie e 16H15 très précisément quand la son- cinq sous, poussaient dans les cours et les l i ie e le l n le nette annonçant le retour des jurés reten- Un frisson parcourt l’assistance quand carrefourse deslien rues de notre li edépartementn l n n l e li lie en l le président déclare, comme l’exige e l e tit. lal complainte des assassins de Monbahus !e n lie l On fait renter les six accusés, même la procédure, que les trois condam-lie n ie e l n l e « le Plaisant » semble avoir perdu de sa n l l e ie e li n l superbe. La foule aussi est revenue, com- e ie l l n n e pacte, ondulante. On s’écrase dans les ie l le l ie l le n travées.ie Les avocats sont à leurs bancs. n n ie l l e Et c’estle dans le plus profond silence que le l l n i ie lie e le chef des jurésn donne réponse aux ques- le le ien n lie e l n n l l tions posées : le lien le lien le lie e

l i Guillaume et Martineau Brugère tout e comme Ozelis Flouret sont reconnus n coupables de meurtre sur la personne de Jean Mautor, de vols qualifiés et d’incen- die volontaire. Martineau bénéficie des circonstances atténuantes étant reconnu que l’étranglement porté sur la personne de Jean Mautor n’a pas, selon l’autopsie, provoqué la mort.

Elisabeth Taillardat est reconnue coupable exactement des mêmes chefs d’accusa- tion et se voit exclue des circonstances atténuantes.

Quant à la veuve Flouret et à Marie Marcy, elles sont reconnues coupables de Collection privée vols et d’incendie volontaire mais bénéfi-

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Sources Bibliographie sélective

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omité de rédaction C lien le lien le lien n le le li Directeurs de la publication : Sophie Bleuet et Stéphane Capot. lie en l e l e l e n lie l Comité de rédaction : Jean-François Alonzo, Jean-Michel Armand, Isabellelie Brunet, Pascal De Toffoli, Jack Garçon, Isabelle n ie e l n l e Guérineau, Karine Nouhaud, Catherine Pénicaud. n l l e ie e li n l e ie l l n n e ie l le l ie l le n ie n 3, place de Verdun - 47922 Agen cedex n Archives départementalesie l l Tél : 05 53 69 42 67 - Fax : 05 53 69 44 62 e le le l l n i ie de Lot-et-Garonneie www.lot-et-garonne.fr/archives/ - [email protected] e n le l le ien n lie e l n n l l le lien le lien le lie école nationale énap - 440 av. Michel Serres - CS 10028 - 47916 AGEN cedex 9 e

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20 ISSN : en cours